Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 10 - Témoignages du 14 mai 2014
OTTAWA, le mercredi 14 mai 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à qui a été renvoyé le projet de loi C- 394, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (recrutement par des organisations criminelles), s'est réuni aujourd'hui, à 16 h 18, pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-394, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la défense nationale (recrutement par des organisations criminelles). Le projet de loi modifie le Code criminel afin d'ériger en infraction le fait de recruter une personne pour faire partie d'une organisation criminelle, de l'inviter, l'encourager, ou la contraindre à en faire partie ou de la solliciter à cette fin. Il prévoit une peine pour cette infraction de même qu'une peine plus sévère pour le recrutement de personnes âgées de moins de 18 ans. C'est la deuxième séance que nous consacrons au projet de loi C-394.
Notre premier témoin pour aujourd'hui comparaît par vidéoconférence de Winnipeg, au Manitoba. Ce n'est pas sa première comparution devant le comité et nous sommes heureux qu'il ait été disposé à participer à nos délibérations. Je vous demande d'accueillir l'honorable Andrew Swan, député, ministre de la Justice et procureur général de la province du Manitoba. Bienvenue, monsieur le ministre. Nous allons commencer par votre déclaration préliminaire. Vous avez la parole.
L'honorable Andrew Swan, député, ministre de la Justice et procureur général, gouvernement du Manitoba : Je tiens à vous remercier de me donner la possibilité de présenter mes commentaires au comité cet après-midi. Je vous envoie mes salutations de l'édifice Woodsworth du centre-ville de Winnipeg qui est situé à proximité de l'Assemblée législative du Manitoba.
C'est un plaisir de vous parler du projet de loi C-394. En deux mots, le Manitoba est en faveur du projet de loi C- 394. Nous pensons qu'il pourrait être encore renforcé et rendu encore plus efficace si on lui apportait un petit nombre d'amendements, qui sont mineurs d'après nous, et dont je vais vous parler au cours de mon exposé.
Pendant la période dont je dispose aujourd'hui, j'aimerais vous donner un aperçu général du point de vue du Manitoba, recommander ces deux amendements et bien sûr, essayer de répondre ensuite aux questions des sénateurs.
Je vous ai envoyé un mémoire. J'espère qu'il vous a été distribué. Je ne vais pas le lire mot à mot, mais je crois qu'il permettra aux membres du comité de me suivre plus facilement.
Je suis très heureux d'apprendre que George VanMackelbergh, vice-président de la Winnipeg Police Association, va également présenter au comité des commentaires au sujet de ce projet de loi. Nous avons assisté tous les deux à une séance d'un comité de la Chambre des communes, et je crois qu'il est très utile que vous soient exposés non seulement le point de vue du procureur général, mais également celui des policiers au sujet des défis que pose la protection de nos adolescents.
Je suis accompagné aujourd'hui à Winnipeg par Donna Miller, sous-ministre de la Justice, par Glen Lewis, le directeur exécutif des Services de police et de la sécurité publique et Heather Wilde, mon adjointe spéciale. Si vous me posez des questions un peu difficiles, il se peut que je demande discrètement à ces personnes de venir à mon secours.
Pour parler simplement, je dirais que nous sommes prêts à faire tout ce qui est possible afin de créer un environnement hostile pour le crime organisé et pour les gangs. Nous savons que le crime organisé nuit énormément à nos collectivités et qu'il favorise le chaos. Parallèlement, nous voulons faire tout ce qui est possible pour assurer la sécurité de nos citoyens, en particulier de nos citoyens les plus jeunes, qui risquent, nous le savons, d'être amenés à participer à des activités de gang.
Le crime organisé exerce ses activités dans l'ensemble du Canada. Il perturbe la sécurité de la population malgré tous les efforts que nous déployons pour l'assurer. Les organisations criminelles exercent toute une gamme d'activités illégales qui victimisent les citoyens, profitent de nos structures sociales et vont même jusqu'à compromettre la stabilité de nos collectivités. Nous savons que le crime organisé et les gangs exercent des activités particulièrement destructrices, comme la prostitution et le trafic de drogues. Nous savons que ces personnes utilisent des armes, la violence et l'intimidation pour atteindre leurs objectifs. Nous savons également que le crime organisé et les gangs ont besoin d'un approvisionnement constant en jeunes pour pouvoir exercer leurs activités illégales et nuisibles.
Au Manitoba, nous pensons que la meilleure façon de lutter contre cette situation est d'adopter une approche équilibrée axée sur la prévention, les interventions, l'élimination et l'aggravation des conséquences pour le crime organisé. J'ai déjà parlé des initiatives qu'a prises le Manitoba en matière de prévention. Nous sommes très fiers de choses comme les centres Lighthouses, un programme de prévention de la criminalité chez les jeunes qui offre maintenant 71 centres sécuritaires qui accueillent les enfants et les jeunes pour qu'ils se rencontrent et exercent des activités positives. Il y a Neighbourhoods Alive!, un programme de développement communautaire qui a pour but d'aider les collectivités manitobaines défavorisées à utiliser l'expertise et les connaissances locales pour renforcer ces collectivités. Nous offrons de nombreux autres programmes de soutien qui ont été mis en place pour empêcher que ces choses se produisent au départ.
Nous sommes également en faveur des interventions. Lorsque des jeunes participent à des activités illégales, nous savons qu'il est utile d'essayer de changer leur comportement, pour que celui-ci ne s'aggrave pas. Nous avons le programme Turnabout qui cible les enfants de moins de 12 ans. Comme vous le savez, il n'est pas possible de porter des accusations pénales contre un enfant de moins de 12 ans, mais nous ne pensons pas que les obligations de l'État devraient s'arrêter là. Nous travaillons avec les familles ou les tuteurs, ainsi qu'avec les enfants, pour essayer d'introduire des changements dans la vie des jeunes, parce que, si nous ne le faisons pas, nous savons qu'ils se retrouveront plus tard devant les tribunaux.
Nous sommes convaincus de l'utilité d'une surveillance intensive des récidivistes et nous visons une surveillance accrue des délinquants les plus difficiles, comme les voleurs d'autos chroniques. Nous investissons des fonds importants dans ces mesures. Nous avons d'autres programmes, dont certains sont gérés par des organismes autochtones, qui essaient de fournir des programmes spécialisés pour aider ces personnes, parce que nous pensons que ce sont là des choses utiles.
Nous investissons également beaucoup dans l'élimination de ces activités. Notre gouvernement continue à fournir des fonds qui nous permettent d'embaucher davantage de policiers et de procureurs de la Couronne. Nous fournissons davantage de ressources affectées à la surveillance des membres adultes des gangs qui sont visés par des ordonnances judiciaires de surveillance dont sont chargés les policiers qui patrouillent les rues et le personnel correctionnel. Nous appuyons les unités de police intégrées qui regroupent la Winnipeg Police Association, le Service de police de Brandon et la GRC dans le but de démanteler le crime organisé au Manitoba, et je peux vous dire que ces efforts ont donné d'excellents résultats; nous savons toutefois qu'il y a toujours beaucoup à faire.
Le Manitoba est une province de pointe pour ce qui est du recours aux mesures civiles dans la lutte contre le crime organisé. Des mesures comme la Loi visant à accroître la sécurité des collectivités et des quartiers ont vraiment amélioré la situation dans les collectivités, y compris dans la collectivité que je représente, le centre-ville ouest de Winnipeg.
Je peux également vous dire que le Manitoba a obtenu un autre résultat très important dans la lutte contre le crime organisé, le 21 février de cette année; le Manitoba est le premier en Amérique du Nord à démontrer, dans le cadre d'une poursuite provinciale, qu'en droit, le Hells Angels Motorcycle Club est une organisation criminelle. Le Manitoba a créé une annexe des organisations criminelles qui a été ajoutée à la Loi sur la preuve du Manitoba pour que les procureurs de la Couronne ne soient plus tenus de démontrer à chaque fois dans les poursuites provinciales qu'un groupe particulier est une organisation criminelle et nous pensons que cela aidera à lutter efficacement contre les Hells Angels, et par la suite, contre d'autres organisations criminelles qui nuisent tant à la société.
Nous avons demandé au gouvernement fédéral d'aggraver les conséquences associées à la mise en œuvre de diverses initiatives. Nous sommes très heureux que le gouvernement fédéral ait donné suite à un certain nombre de ces propositions. Il en reste d'autres, mais nous sommes certainement heureux de constater que la Chambre des communes nous a écoutés avec le projet de loi C-394, même si nous avons des idées sur les autres mesures que nous pourrions prendre.
Je peux vous dire que toutes les réformes du droit fédéral relatif au crime organisé découlent des recherches et des consultations approfondies qu'ont effectuées les membres de notre Initiative de lutte contre le crime organisé. Cette initiative réunissait des hauts fonctionnaires du ministère de la Justice provincial, un comité consultatif composé de policiers, de poursuivants, de membres des services correctionnels, d'experts en droit civil et constitutionnel. Nous avons consulté plus de 120 personnes au sujet de la meilleure façon de lutter contre le crime organisé et j'ai le plaisir de vous dire que depuis 2006, le gouvernement fédéral a adopté un certain nombre de ces recommandations. Nous avons travaillé avec d'autres provinces et territoires ainsi qu'avec le gouvernement fédéral pour continuer à faire du Canada le pays le plus hostile possible pour le crime organisé.
Parmi nos propositions, nous recommandions que le recrutement par les gangs soit expressément érigé en infraction. Les organisations criminelles constituent un grave danger pour la sécurité des collectivités canadiennes. Comme je l'ai déjà dit, les gangs se développent, notamment par le recrutement de jeunes. Les jeunes constituent un marché important pour le trafic de drogue et cette activité représente bien souvent une importante source de revenus pour les organisations criminelles au Canada.
Les sénateurs savent que la gamme des peines prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents est relativement moins sévère que les peines applicables aux adultes. Les organisations criminelles connaissent fort bien cette loi. Elles recrutent parfois des jeunes avant qu'ils atteignent l'âge de 12 ans, parce qu'avant cet âge, les gangs savent que ces jeunes ne peuvent être accusés d'aucune infraction pénale.
Nous savons qu'il est facile de manipuler les jeunes. Même s'il paraît dysfonctionnel, un gang peut exercer une grande influence sur les jeunes en leur donnant un sentiment d'appartenance si la collectivité ne leur fournit pas des ressources. La recherche de camarades, de protection, de respect et d'argent sont des éléments qui les incitent à devenir membres d'un gang. Ceux-ci utilisent également la contrainte et la violence pour les recruter et lorsqu'ils sont devenus membres, pour qu'ils demeurent dans l'organisation criminelle.
Il existe actuellement des dispositions du Code criminel qui ont pour but de lutter contre le recrutement par les gangs. J'ai parlé à des policiers et à des procureurs de la Couronne, et je crois que l'on peut dire que les dispositions actuelles sont un instrument grossier qui ne vise pas vraiment le fait d'inciter ou de contraindre quelqu'un à devenir membre d'une organisation criminelle. Les dispositions du projet de loi C-394 sont beaucoup plus ciblées et nous les appuyons totalement.
Nous sommes heureux de constater que ce projet de loi va dans le sens de la disposition législative relative au recrutement par les gangs que nous avons proposée parce qu'il crée un nouvel acte criminel prévu par le Code criminel qui interdit le fait de recruter une personne ou de l'inciter à faire partie d'une organisation criminelle. Nous sommes heureux de constater que la nouvelle infraction sera punissable par une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement et qu'elle aura une conséquence automatique, savoir une peine minimale obligatoire de six mois si la personne recrutée est un jeune de moins de 18 ans. La Loi sur la défense nationale devrait, d'après moi, également être modifiée pour faire référence à cette nouvelle infraction relative au recrutement.
Je dirais toutefois que le projet de loi serait amélioré s'il contenait certaines autres dispositions clés que le Manitoba a proposées pour mieux cibler la dynamique interne du recrutement par les gangs. La nouvelle infraction prévoit une peine minimale lorsque la personne recrutée a moins de 18 ans. Cela est conforme à la proposition du Manitoba relative au recrutement par les gangs. Nous pensons que nous pourrions aller plus loin et étendre la portée de cette disposition aux lieux où se fait le recrutement.
Nous estimons que la modification devrait viser les organisations criminelles qui recrutent des membres dans les secteurs où elles savent que se réunissent les jeunes et les enfants. Je crois que les représentants des Clubs Garçons et Filles du Canada vont nous présenter leurs commentaires plus tard aujourd'hui ou demain. C'est un excellent exemple d'organisation qui fournit un refuge aux enfants et un endroit où ceux-ci aiment aller. Malheureusement, les gangs et les organisations criminelles savent également où se trouvent ces endroits et lorsqu'un gang vise une place de ce genre et essaie de contraindre des jeunes qui suivent ou ont suivi des programmes offerts par ces clubs ou qui se trouvent dans un centre d'accueil, nous pensons que ces activités devraient être visées par la loi et entraîner les conséquences automatiques mentionnées ci-dessus.
Nous pensons que le recrutement qui s'effectue dans des endroits où les jeunes se réunissent doit entraîner des conséquences plus graves.
Nous pensons également que le projet de loi C-394 pourrait être amendé et renforcé pour qu'il vise le fait d'utiliser la contrainte ou la violence pour empêcher une personne de quitter une organisation criminelle. Tout comme pour le recrutement, ce genre de contrainte et de violence a pour but d'assurer la longévité et la stabilité des organisations criminelles, objectif contre lequel nous devons lutter dans le cadre d'une réponse juridique au crime organisé au Canada.
Il y a eu trop de cas où des gangs ont utilisé la force pour empêcher des membres de quitter l'organisation et il faudrait que le droit pénal tienne compte de cette réalité. Je suis sûr que George VanMackelbergh de la Winnipeg Police Association vous le dira, parce que je sais qu'il a parlé avec des jeunes et j'ai entendu des jeunes le dire; des organisations de jeunes nous ont dit que la vie au sein des gangs peut attirer les adolescents, mais ces gangs perdent parfois rapidement leurs membres. Les jeunes qu'on a persuadés de faire partie de gangs constatent que l'argent, les possibilités et la sécurité promise ne se retrouvent pas dans la vie concrète de ces gangs.
Bien souvent, les jeunes nous disent qu'ils s'aperçoivent qu'ils se mettent en danger, qu'ils mettent leurs familles en danger; ils savent qu'ils nuisent à leurs collectivités et qu'ils mettent également en danger leurs amis. Nous savons qu'il est très difficile pour les jeunes de quitter les gangs.
Nous pensons qu'il est souhaitable que le projet de loi C-394 augmente les peines et impose des peines minimales obligatoires pour le fait de persuader des jeunes à faire partie de gangs, mais nous pensons qu'il est également répréhensible que l'adolescent qui souhaite quitter un gang et revenir dans la société puisse être menacé sans que cela soit associé à une peine comparable. C'est pourquoi nous pensons que c'est là un changement qu'il serait bon d'apporter au projet de loi C-394. Nous estimons que cela renforcerait le projet de loi et aiderait les agences, tant au Manitoba que dans les autres régions du pays, à être mieux en mesure de sauver les jeunes et de les assurer qu'ils bénéficient de la protection de la loi si quelqu'un essaie de les empêcher de quitter l'organisation en question.
En conclusion, les organisations criminelles exercent leurs activités dans tout le Canada. Nous savons qu'elles sont actives au Manitoba. Nous savons qu'elles exercent des activités illégales et nuisibles qui touchent nos citoyens et nos collectivités. Nous savons que le danger que les gangs représentent pour la sécurité de la population serait atténué si le projet de loi C-394 était adopté et également renforcé. Nous savons que les jeunes sont particulièrement vulnérables et je peux vous en dire davantage si vous avez des questions au sujet de la situation au Manitoba. Nous pensons qu'il faut adopter des lois sévères pour assurer la sécurité des citoyens canadiens, en particulier celle de nos jeunes.
Ce projet de loi est une bonne initiative. Il vous appartient, je dirais, de l'améliorer. Nous invitons les sénateurs à protéger nos jeunes en adoptant le projet de loi C-394 et en lui apportant ces amendements très importants.
Monsieur le président, je serai heureux de répondre aux questions que les membres du comité souhaitent poser.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Le sénateur Baker : Merci. Bienvenue encore une fois, monsieur le ministre. Je vous félicite d'avoir pris de telles initiatives.
Vous avez comparu devant le Comité de la justice de la Chambre des communes. Lorsque vous avez présenté votre exposé devant le Comité de la justice de la Chambre des communes, vous avez recommandé d'introduire dans le projet de loi le mot « contrainte », dans l'article 467.111, est-ce bien exact? Vous avez présenté le même argument au sujet de la contrainte pour ce qui est des adolescents.
Le comité de la Chambre des communes en a tenu compte. Un membre du gouvernement a proposé un amendement et un membre du NPD l'a appuyé. Je cite le rapport de ce comité, où l'on peut lire :
[...] on est conscient de ce que le ministre Swan nous a dit.
Par ailleurs, je pense qu'il nous a ouvert une fenêtre pour considérer aussi la contrainte subie pour rester dans un gang. La question de cette contrainte n'est pas incluse dans ce projet de loi.
Le comité a ensuite proposé un amendement au projet de loi visant à insérer le mot « contrainte ».
Voici la question que je vous pose : le mot « contrainte » n'apparaît pas dans l'article qui traite des jeunes de moins de 18 ans. Il est placé dans le paragraphe introductif de ce sous-alinéa. On peut lire « recrute une personne [...] ou l'invite, l'encourage ou la contraint » et l'on arrive ensuite à l'alinéa a) qui énonce : « dans le cas de la personne recrutée, sollicitée, invitée ou encouragée est âgée de moins de 18 ans » et qui impose ensuite une peine minimale obligatoire.
Le comité a suivi votre avis au sujet de la contrainte, il a signalé cet aspect et je vous en félicite. Il me semble toutefois, si j'interprète littéralement ce qu'a fait le comité, que celui-ci a placé le mot « contrainte » dans l'article qui ne traite pas des personnes de moins de 18 ans. Je ne sais pas si le sous-ministre veut faire des commentaires à ce sujet. Le comité de la Chambre des communes a eu l'intention de faire exactement ce que vous demandiez, savoir insérer le mot « contrainte » dans le projet de loi, ce qu'il a fait. Selon la façon dont cette disposition se lit à l'heure actuelle, la personne qui serait passible d'une peine minimale obligatoire pour une personne de moins de 18 ans ne peut être poursuivie si elle a utilisé la contrainte à l'égard de l'adolescent.
Avez-vous des commentaires à ce sujet, compte tenu du fait que le comité de la Chambre des communes a eu l'intention de faire ce que vous souhaitiez, mais il semble qu'il ne l'ait pas fait?
M. Swan : Sénateur Baker, je vous remercie de me signaler cet aspect. Je vois exactement ce que vous voulez dire. Je ne le savais pas. Je suis heureux de constater que le mot « contraint » a été ajouté au préambule de l'article 467.111. Il me semblerait logique que ce mot soit également inséré à l'alinéa a) qui traite de la participation des personnes de moins de 18 ans. Je dirais qu'il serait très souhaitable que le comité présente une telle recommandation.
Je tiens toutefois à signaler que tous ces termes visent le fait d'amener un adolescent à faire partie d'une organisation criminelle, mais nous estimons que le projet de loi serait amélioré s'il les appliquait non seulement au fait de devenir membre d'une organisation criminelle, mais à celui d'en devenir membre ou de demeurer dans l'organisation criminelle. Cela renforcerait beaucoup le projet de loi.
Votre remarque au sujet de l'ajout du mot « contraint » à l'alinéa a) paraît tout à fait juste.
Le sénateur Baker : Nous avons donc appliqué à moitié votre recommandation. Il est vraiment regrettable, monsieur le président, que cette erreur ait été commise parce que l'intention du comité était d'appliquer ce terme aux jeunes de moins de 18 ans. Il est évident que telle était l'intention, mais malheureusement ce terme a été placé dans une autre disposition. Je ne sais pas si légalement — il y a ici un spécialiste du ministère de la Justice qui pourrait nous parler des conséquences de cette erreur. Quoi qu'il en soit, nous allons en rester là.
Mon temps de parole est écoulé, monsieur le ministre, mais encore une fois, je vous ai déjà félicité pour les initiatives que vous avez prises; continuez dans cette voie.
M. Swan : Merci, sénateur.
Le sénateur Plett : Merci, et bienvenue monsieur le ministre. C'est toujours un plaisir pour moi de me trouver du même côté que vous sur une question et c'est bien ce qui se passe ici. Je suis heureux que vous soyez ici.
Monsieur le ministre, j'aimerais vous poser quelques questions, si vous le permettez. Dans l'autre endroit, la principale critique qu'aient adressée les libéraux à ce projet de loi — et, bien sûr, nous savons que le NPD l'a appuyé — était que les peines minimales obligatoires n'avaient pas d'effet dissuasif. À mon avis, je ne pense pas que l'on puisse dire que les peines minimales obligatoires n'ont pas d'effet dissuasif, en particulier dans une situation comme celle-ci.
L'utilisation d'enfants par les gangs montre qu'effectivement les membres de ces gangs réfléchissent aux conséquences de leurs choix et utilisent des enfants pour une raison très précise, comme vous l'avez déjà signalé, à savoir que les actes criminels commis par ces jeunes auront peu de conséquences, voire aucune. Sachant que les membres des gangs prennent en considération les peines légères qui sont imposées pour ainsi profiter des lois, il est déraisonnable de penser qu'ils ne seraient pas influencés par des peines plus sévères. Les gangs connaissent la loi.
Cela dit, notre préoccupation, comme la vôtre, a toujours été la perception ou les souhaits de la population, dans votre cas, celle de la province du Manitoba, qui est également la mienne. Je suis certain que vous avez parlé aux intéressés dans cette province. Quelle est l'attitude générale de la population de notre province à l'égard de projets de loi de ce genre?
M. Swan : Sénateur Plett, je suis heureux de vous voir.
Écoutez, l'aspect regrettable de tout cela est que les jeunes qui deviennent membres des gangs courent un grand danger, ils en font courir un à leurs familles, à leurs amis et à leurs collectivités. À ceux qui déclarent ne pas croire dans l'efficacité des conséquences automatiques pour la personne qui en convainc une autre de devenir membre d'un gang, je leur dirais que le fait de devenir membre d'un gang ne devrait pas être une peine à perpétuité. Les adolescents qui ont été recrutés ont beaucoup de mal à quitter ces gangs sans danger. Malheureusement, les jeunes qui sont mêlés aux activités des gangs ont vécu de trop nombreuses tragédies. Les actes qu'ils commettent s'aggravent et ils se trouvent dans l'impossibilité de leur échapper. Je sais que nous sommes d'accord tous les deux pour dire que c'est une question très grave pour les jeunes.
Comme vous l'avez mentionné, les gangs connaissent la loi. C'est la raison pour laquelle ils demandent à des jeunes de moins de 12 ans de faire de la surveillance ou de transporter des drogues parce qu'ils savent que cela n'aura aucune conséquence pour eux. C'est la raison pour laquelle ils demandent à des membres de moins de 18 ans d'assumer certaines responsabilités au sein du gang parce qu'ils savent que les peines seront très différentes.
Ce projet de loi, s'il est amendé tel que demandé ou adopté tel quel, va-t-il empêcher le recrutement? Non, il n'empêchera pas les gangs de recruter des membres, mais il obligera ces derniers à modifier leurs façons de faire. Ils seront moins confiants lorsqu'ils essayeront de recruter de nouveaux membres. Nous pensons que les amendements que nous proposons les empêcheront de se rendre dans les lieux où ils vont à l'heure actuelle pour essayer de recruter des jeunes, que ce soit les centres Lighthouses ou les Clubs Garçons et Filles du Canada, ou les groupes religieux qui font tout ce qu'ils peuvent. Tous ces changements permettront à nos jeunes de mieux réussir.
Je pense que ce projet de loi va également renforcer, avec les amendements que nous demandons, l'action des groupes qui font tout ce qu'ils peuvent pour offrir aux jeunes une façon positive d'échapper aux gangs. Je pense que ce sont là des aspects très importants dont le comité devrait tenir compte.
Le sénateur Plett : Le député Parm Gill, le parrain de ce projet de loi, a parlé du fait que les gangs étaient de plus en plus actifs dans sa région de Brampton et Toronto. Pouvez-vous nous parler des activités des gangs au Manitoba et nous dire si ces activités se multiplient? Vous avez évidemment obtenu des résultats très importants avec les Hells Angels et le reste, mais pourriez-vous nous parler des activités des gangs au Manitoba?
M. Swan : Il est très difficile de savoir exactement quel est le niveau d'activités des gangs. Nous savons que le taux des crimes violents diminue au Manitoba comme ailleurs. Dans notre système correctionnel, il demeure difficile de gérer les détenus qui sont membres de gangs. C'est une lutte constante — je serai franc et j'utiliserai cette expression « une lutte constante » — que notre système correctionnel doit livrer pour veiller à ce que notre personnel et les détenus soient en sécurité — une dynamique très complexe et une dynamique qui, je dois vous le dire, peut se modifier d'un seul coup parce que les alliances et loyautés changent constamment. Cela est toujours une menace pour Winnipeg et pour de nombreuses collectivités du Nord, et je pense que c'est également une menace dans les villes et les collectivités de tout le Canada.
La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur le ministre. J'apprécie le fait que vous soyez toujours disposé à nous rencontrer. J'apprécie certainement le fait que vous souhaitiez nous parler des défis auxquels vous faites face dans votre travail ainsi que des aspects que nous devrions examiner.
Je me trouvais à Winnipeg avec le Comité des droits de la personne pour examiner les problèmes que connaissaient les Autochtones vivant hors réserve dans les rues de Winnipeg. Voir qu'il y avait tout un groupe de jeunes que vous connaissez — je ne vais pas donner leur nom — et qu'un enfant de cinq ans, parce qu'il se trouvait au mauvais endroit, a été tué par des gangs, je dois dire que cela m'a ouvert les yeux. Je comprends très bien les défis auxquels vous faites face.
Vous avez été très clair lorsque vous avez parlé de la vulnérabilité des jeunes, des Clubs Garçons et Filles du Canada et les centres Lighthouses. J'estime que vous prenez de très bonnes initiatives pour assurer la sécurité de nos jeunes.
Le problème que pose pour moi ce projet de loi est que nous savons qu'un adolescent traduit devant un tribunal pour adolescents peut être jugé comme un adulte. Est-ce que cet adolescent risquera de se voir imposer la peine minimale obligatoire?
M. Swan : D'une façon générale, les jeunes qui sont jugés en qualité d'adultes sont habituellement ceux qui ont commis les crimes les plus violents et les plus graves, comme le meurtre, l'homicide involontaire coupable et je pense que, si un jeune était inculpé d'une infraction très grave reliée aux drogues, la Couronne fédérale essaierait de le faire juger par un tribunal pour adultes.
À mon avis, il est peu probable que l'infraction de recrutement amènerait le procureur de la Couronne à demander le renvoi du jeune devant un tribunal pour adultes et j'estime qu'il est peu probable qu'un juge donne suite à une telle demande. D'une façon générale, ces demandes sont réservées aux crimes les plus graves et les plus violents. Le recrutement est un crime grave, mais ce n'est pas un crime qui devrait amener un adolescent à être jugé par un tribunal pour adultes.
La sénatrice Jaffer : Vous avez mentionné très franchement dans votre exposé qu'on utilisait même des jeunes de 12 ans comme recruteurs. Est-ce qu'un tel jeune se verrait imposer la peine minimale obligatoire de six mois?
M. Swan : Excusez-moi. C'est dans le cas où la personne a moins de 18 ans, non parce que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents s'appliquerait; différents facteurs déterminent la peine imposée et les conséquences automatiques prévues par le projet de loi ne s'appliqueraient pas.
La sénatrice Jaffer : Ma deuxième question porte sur les peines minimales obligatoires. Ce type de peine que l'on retrouve pratiquement dans tous les projets de loi qui nous sont soumis me préoccupe beaucoup. D'après la recherche que j'ai effectuée, je n'ai pas constaté que ces peines pouvaient mieux protéger la population. Je ne pense pas que les peines minimales obligatoires soient un pas dans la bonne direction si l'on vise à protéger la population à long terme. Qu'en pensez-vous?
M. Swan : C'est une très vaste question. Nous pensons qu'il existe un certain nombre de crimes qui mettent suffisamment gravement en danger la sécurité de la population pour qu'il faille les associer à des conséquences automatiques pour dissuader les criminels de les commettre. Nous estimons que les conséquences automatiques jouent un rôle; elles empêchent ces personnes de se retrouver en liberté et de commettre la même infraction. Nous pensons qu'elles ont un effet dissuasif.
Dans un projet de loi comme celui-ci, il faut dire encore une fois que le recrutement des jeunes est un élément essentiel pour les organisations criminelles qui cherchent principalement à faire de l'argent. Il est admis qu'il leur importe peu de causer des dommages à des personnes et de nuire aux collectivités. Là encore, d'après ce que je connais des activités des gangs et d'après ce que je crois que des policiers vont vous dire, j'estime que le projet de loi va modifier la façon dont fonctionnent les organisations criminelles et les gangs.
Je ne sais pas s'il convient de lancer ici le vaste débat des peines obligatoires. En fait, le Manitoba a demandé l'imposition de conséquences automatiques pour un certain nombre de crimes reliés aux gangs et nous sommes heureux de constater que le gouvernement fédéral a donné suite à cette demande. Nous pensons que c'est la bonne façon de faire. Nous avons également demandé des conséquences automatiques, par exemple, pour les fusillades auxquelles sont mêlés des gangs. Il est regrettable qu'il y ait eu trop de violence à Winnipeg et dans d'autres villes canadiennes et il existe de bonnes raisons de croire que dans certains cas des conséquences automatiques sont appropriées.
Si nous avions davantage de temps, nous pourrions aborder toutes sortes d'idées au sujet de la déjudiciarisation, des tribunaux de traitement de la toxicomanie et des tribunaux de la santé mentale. Il y a des mesures d'évitement et de déjudiciarisation que l'on peut utiliser dans les cas appropriés, mais j'estime que des conséquences automatiques pour ce qui me paraît être des actes répréhensibles, à savoir le fait de recruter des jeunes pour leur faire courir des risques extrêmes, sont appropriées.
La sénatrice Batters : Merci d'avoir comparu devant notre comité encore une fois, monsieur le ministre Swan. Tout d'abord, dans ma province de la Saskatchewan, les gangs sont un problème, comme ils le sont au Manitoba, de sorte que j'apprécie l'appui que vous accordez à cet important projet de loi. J'ai été heureuse que vous ayez mentionné dans votre déclaration préliminaire qu'il existe actuellement une disposition qui n'est pas utilisée et en particulier, que c'est ce que vous avez constaté au Manitoba. Pouvez-vous nous dire pourquoi cette disposition n'est pas utilisée et pourquoi nous avons besoin de celle du projet de loi? Vous disiez qu'il fallait une disposition plus explicite et plus ciblée et que c'est ce que fournit ce projet de loi. Pouvez-vous nous en dire davantage?
M. Swan : Je vais devoir m'en remettre aux avis que les policiers m'ont donnés ainsi qu'aux avis que les procureurs de la Couronne qui s'occupent de ces affaires m'ont fournis. Je sais qu'il n'y a eu qu'un petit nombre de poursuites intentées avec succès à l'aide des dispositions actuelles au Manitoba. J'imagine que les résultats doivent être les mêmes dans le reste du pays.
L'avantage qu'offre le projet de loi C-394 est qu'il précise bien mieux la nature de l'infraction. Encore une fois, dans cette situation, comme le sénateur Baker l'a fait remarquer, le fait de recruter, de solliciter, d'encourager, de contraindre ou d'inviter une personne à faire partie d'une organisation criminelle, si j'ai bien compris, est beaucoup mieux défini que l'infraction qui existe actuellement dans le Code criminel.
La sénatrice Batters : Merci. Lorsque vous avez parlé de l'amendement que vous avez proposé au sujet des lieux utilisés pour faire du recrutement, comment pourrait-on ajouter cet élément à ce projet de loi? Celui-ci traite déjà du recrutement et prévoit une peine minimale obligatoire lorsque la personne recrutée, sollicitée ou invitée, et cetera, a moins de 18 ans. Il existe déjà une peine minimale obligatoire dans ce projet de loi, quel que soit l'endroit où ces actes sont commis. Dans quelle mesure l'amendement que vous proposez qui touche le lieu utilisé pour faire du recrutement va-t-il renforcer cette disposition?
M. Swan : L'article que contient à l'heure actuelle le projet de loi exige que soit établi le fait que la personne a effectivement encouragé une autre à faire partie d'un gang. Nous demandons maintenant d'ériger en infraction le fait de faire du recrutement dans un lieu où les jeunes se réunissent, que la personne réussisse ou non à contraindre ou à inviter un autre jeune à faire partie du gang. Cela indiquerait très clairement aux membres des gangs qu'ils ne doivent pas se trouver dans des endroits comme les Clubs Garçons et Filles du Canada ou les centres Lighthouses. Nous voulons que dans ces endroits, les enfants puissent jouer en sécurité, et nous pensons que ce changement renforcerait, de façon significative, le contenu de ce projet de loi.
La sénatrice Batters : Une invitation ne veut pas nécessairement dire qu'elle a été couronnée de succès et que la personne visée est devenue membre d'un gang, mais l'invitation a été faite. Il n'est pas nécessaire que la personne devienne membre du gang, mais elle a été invitée à le faire. Cela ne va pas suffisamment loin?
M. Swan : Non, nous pensons que réprimer le fait de se trouver dans ces endroits où il est connu que les jeunes se réunissent signalera de façon encore plus claire aux gangs qu'ils ne doivent pas s'y trouver et ainsi les policiers pourront plus facilement obtenir les renseignements dont ils ont besoin et les procureurs de la Couronne décider s'il existe une probabilité raisonnable qu'une poursuite réussisse.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur le ministre. J'aimerais revenir sur les deux propositions que vous avez faites en vue d'améliorer le projet de loi, comme l'a fait la sénatrice Batters. J'essaie de comprendre la nature de l'infraction que vous souhaitez ajouter. N'est-ce pas essentiellement une circonstance aggravante, à savoir que le recrutement a été effectué près d'une école, d'un terrain de jeux, d'une arcade de jeux ou d'un autre endroit où nous savons que les jeunes se réunissent? Ou est-ce le fait qu'une infraction a été commise dans ce genre d'endroit qui constitue lui-même une infraction? Vous comprenez, bien entendu, la différence qui existe entre l'un et l'autre sur le plan du droit. Le premier élément touche la peine et le second constitue une infraction. Dans votre exposé, je n'ai pas trouvé l'endroit où vous indiquiez ce que vous alliez faire avec cette proposition.
M. Swan : L'un ou l'autre de ces changements seraient une amélioration. Si le comité décide que le recrutement qui se fait devant un centre Lighthouses ou Youth for Christ à Winnipeg doit être considéré comme une circonstance aggravante au moment d'imposer la peine, alors nous pensons que cela serait très utile. Si le comité décide que le seul fait de faire du recrutement dans ou près d'un endroit comme celui-ci doit entraîner des conséquences, nous estimerions également que cela est positif. Je laisse au comité le soin de décider quelle est l'approche qui serait la plus utile.
Le sénateur Joyal : Je réfléchissais pendant que vous faisiez ces commentaires. Lorsque notre comité a examiné la question du trafic de drogues qui s'effectuait dans les écoles, dans les terrains de jeux ou dans un de ces endroits, alors bien sûr, il a estimé que c'était là un élément qu'il convenait de prendre en considération pour déterminer la responsabilité du contrevenant. Le président se souvient peut-être de la discussion que nous avons eue, ainsi que le sénateur Baker, et je pensais à une disposition semblable à celle-ci pour essayer d'uniformiser le code. Comme l'a mentionné le sénateur Baker, lorsque nous modifions autant d'articles du Code criminel, celui-ci devient de plus en plus volumineux, et il y a toujours le problème de la concordance des dispositions du code. J'ai déjà parlé de l'article 6 et je ne vais pas soulever de nouveau cette question avec vous aujourd'hui. Je dirais la même chose avec cette infraction pour laquelle vous suggérez de tenir compte de l'endroit où elle est commise parce que, si nous voulons agir de façon efficace, il serait utile de cibler ces endroits.
Je reviens avec votre affirmation selon laquelle le projet de loi va modifier la façon dont les gangs font du recrutement. Lorsque nous essayons de lutter contre un comportement criminel d'une certaine façon et que nous essayons de prendre en compte toutes les répercussions des mesures que nous prenons, c'est un peu comme si nous appuyons sur un bouton pour en faire sortir un autre. D'après votre expérience, quelle pourrait être la conséquence imprévue de la mise en œuvre de ce projet de loi? Comment pensez-vous que le recrutement va changer? Autrement dit, ne sommes-nous pas en train de changer un mal pour un autre? Je sais qu'il n'est pas facile de répondre à cette question, mais je pense que vous en êtes conscient parce que vous l'avez mentionné vous-même.
M. Swan : Nous pensons qu'avec ce projet de loi, les gangs auront davantage de difficulté à faire du recrutement et cette mesure est, à elle seule, positive. Nous pensons que l'adoption du projet de loi C-394, avec certains amendements je l'espère, leur rendra les choses plus difficiles et qu'en conséquence, le nombre des jeunes qui deviennent membres des gangs diminuera.
Je dis au départ que nous voulons faire en sorte que le Canada ne soit pas une place accueillante pour le crime organisé et les gangs. Nous savons que, quelles que soient les mesures que nous prenons, qu'il s'agisse de saisir le refuge des Hells Angels, d'effectuer une grande opération contre les drogues ou de protéger un enfant qu'on souhaite amener à faire partie d'un gang, ce n'est pas tout cela qui fera disparaître le crime organisé; ces organismes auront toutefois plus de difficulté à exercer leurs activités. Cela augmentera leurs frais commerciaux, si je peux m'exprimer ainsi. Une telle mesure aidera à réduire l'activité des gangs. Nous sommes convaincus de l'utilité d'une approche équilibrée. Nous voulons être aussi sévères que possible du côté de l'élimination des gangs. Nous voulons également intervenir dans la vie des jeunes. Nous voulons également prévenir les infractions. Cela peut se faire en partie en offrant aux jeunes des endroits où ils aiment se rendre et dans lesquels ils ont un sentiment d'appartenance.
Oui, je pense que si ce projet de loi est adopté, les gangs vont trouver de meilleures façons de procéder, qui leur éviteront de faire l'objet de lourdes peines. Je ne pense pas qu'ils réussiront autant qu'ils le font à l'heure actuelle. Il sera beaucoup plus risqué pour les membres du gang d'aller dans ces endroits pour essayer d'amener d'autres jeunes à faire partie de gangs. Cet aspect à lui seul est dans l'intérêt public.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur le ministre, pour votre exposé. Si je me souviens bien, le Manitoba souhaite obtenir cette mesure législative depuis 2006. En réalité, à la réunion des ministres de 2006, le Manitoba avait présenté 14 propositions concernant le crime organisé. Je crois savoir que la plupart de ces propositions ont été mises en œuvre par le gouvernement, à l'exception du projet de loi C-394. Ce projet de loi C-394 doit vraiment vous faire plaisir et ne faisait-il pas partie de ces 14 propositions?
M. Swan : Oui, c'est exact. Et encore une fois, Glen Lewis, un de mes collaborateurs, a joué un grand rôle pour ce qui est de nous fournir les données et les renseignements à ce sujet.
Nous travaillons encore sur quelques éléments. J'ai mentionné brièvement dans mes commentaires l'établissement d'une annexe énumérant les organisations criminelles. Nous l'avons fait avec les Hells Angels aux fins des lois provinciales. Nous souhaitons appuyer le gouvernement fédéral s'il décide d'aller de l'avant avec l'établissement d'une annexe énumérant les organisations criminelles à des fins pénales. C'est une mesure très importante et je pense que je risque de revenir devant vous pour appuyer un tel projet de loi, s'il était proposé.
Nous estimons qu'il s'agit là d'un des éléments essentiels qui n'a pas encore été mis en œuvre. Nous savons que, si nous réussissons à réduire le nombre de jeunes qui deviennent membres de ces organisations criminelles, voire d'empêcher tout recrutement, ces organisations éprouveront beaucoup plus de difficultés à exercer leurs activités.
Le sénateur McIntyre : Une autre question rapide : Dans la note de service que vous nous avez remise, vous avez parlé d'un processus que vous avez appelé votre Initiative de lutte contre le crime organisé, ILCO, dans le cadre de laquelle des représentants de votre gouvernement ont rencontré les intéressés, des membres des forces policières et d'autres organismes au Canada et en Amérique du Nord. Je crois savoir que cela a été une entreprise de très grande ampleur et je crois également savoir que ce processus a joué un grand rôle pour ce qui est des réformes du droit fédéral relatif au crime organisé proposées par le Manitoba.
Pouvez-vous nous parler davantage de l'ILCO, monsieur le ministre?
M. Swan : Cela a été un projet très vaste qui a été lancé par certains fonctionnaires de mon ministère, qui ont rencontré plus de 120 experts du crime organisé dans toute une série de secteurs — services policiers, poursuites, services correctionnels et réforme du droit — cinq provinces, de nombreux ministères et agences fédéraux ainsi que des États américains. L'ILCO avait pour but d'essayer d'identifier des lacunes. Nous savons que les organisations criminelles obtiennent d'excellents conseils. Elles trouvent le moyen de contourner nos lois et l'ILCO avait pour but de préparer des propositions visant à renforcer le Code criminel et d'autres lois, encore une fois, pour rendre plus difficile la vie des organisations criminelles.
Vous avez raison. Cela a débouché sur un plan en 14 points qui a été présenté aux réunions fédérales-provinciales- territoriales en 2006. Je suis heureux de constater que le gouvernement fédéral a adopté un grand nombre de ces propositions. Cela constitue un autre élément de ce tout. Nous savons qu'il y a encore beaucoup à faire. Nous savons également que de nouveaux défis se posent et nous déployons de nombreux efforts, tant au Manitoba que dans d'autres provinces, pour trouver des idées qui empêcheront ces groupes de nuire à nos collectivités.
Le sénateur McInnis : Je vous remercie d'avoir comparu. La question que je voulais poser l'a déjà été, il s'agissait des organisations criminelles qui se rendent dans des endroits précis.
Pour ce qui est du fait que le Manitoba a établi, en droit, que le Hells Angels Motorcycle Club est une organisation criminelle dans un contexte pénal, est-ce la même chose dans les autres provinces? Le savez-vous?
M. Swan : Non. Le Manitoba est la première province à le faire. Nous avons adopté une loi relative à l'établissement d'annexes et pour vous donner le contexte dans lequel cela doit se faire, je vais vous dire que le directeur du ministère doit présenter une demande en ce sens, accompagné de nombreux documents. Pour ce qui est des Hells Angels, nous avons réuni un grand nombre de classeurs contenant des documents, la jurisprudence du Manitoba, celle de différentes régions du Canada, et également des États-Unis, ainsi que des preuves énumérant les objets que les services de police ont découvert lorsqu'ils ont démantelé des chapitres des Hells Angels. Toute cette information a été recensée. Un comité indépendant a examiné les documents pour décider s'il existait des preuves suffisantes indiquant que les Hells Angels étaient une organisation criminelle. Ce comité a conclu que c'était le cas. En qualité de ministre, j'ai souscrit à cette conclusion, et notre cabinet a accepté d'inscrire les Hells Angels dans cette annexe.
Cela veut dire que nous pouvons utiliser diverses lois provinciales pour empêcher les Hells Angels d'exercer leurs activités au Manitoba. Par exemple, je parlais de la Loi visant à accroître la sécurité des collectivités et des quartiers. Si nous apprenons que quelqu'un porte les couleurs des Hells Angels dans une résidence ou dans un appartement, cet élément à lui seul permet à notre unité provinciale d'intervenir aux termes de cette loi.
Nous pourrons ainsi plus facilement refuser d'attribuer des permis de vente de boisson ou des permis commerciaux à des personnes qui sont associées aux Hells Angels. Le droit provincial a des limites. Nous ne pouvons pas utiliser cette loi dans les poursuites pénales. Nous espérons qu'en nous associant au gouvernement fédéral, celui-ci pourra faire quelque chose, mais du côté fédéral, cet aspect soulève de grandes questions constitutionnelles et il y a beaucoup de travail à faire du côté fédéral.
Cela a été une autre mesure importante qui fait savoir clairement au crime organisé qu'il n'a pas intérêt à exercer ses activités au Manitoba. Nous travaillons en étroite collaboration avec les autres provinces. La confiscation pénale des biens est un autre élément qui a donné de bons résultats, puisque nous avons confisqué des biens criminels ayant une valeur de plus de sept millions de dollars. Nous avons établi un protocole d'entente avec de nombreuses autres provinces au Canada. Nous partageons avec elles l'information et les ressources et nous nous réjouissons des succès que nous avons obtenus en faisant mal au crime organisé là où ça lui fait mal, au portefeuille, et nous pouvons nous approprier l'argent que nous prenons au crime organisé. Nous le rendons aux victimes, aux services à l'intention des victimes et également, aux services d'application de la loi pour qu'ils soient mieux équipés, mieux formés et mieux armés et pour qu'ils continuent ainsi à nous protéger. C'est une histoire très positive.
Le sénateur McInnis : J'aurais pensé que les autres provinces auraient suivi votre exemple.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Nous apprécions votre contribution.
Nous accueillons notre deuxième groupe de témoins aujourd'hui au sujet du projet de loi C-394; il comprend Rachel Gouin, directrice, Recherche et politiques publiques et Marlene Deboisbriand, vice-présidente, Services de membres, des Clubs Garçons et Filles du Canada; nous accueillons également Stuart Auty, président du Canadian Safe School Network, et George VanMackelbergh, vice-président de la Winnipeg Police Association.
Nous allons, je crois, commencer par Mme Gouin et nous poursuivrons ensuite dans cet ordre pour les déclarations préliminaires. Vous avez la parole.
Rachel Gouin, directrice, Recherche et politiques publiques, Clubs Garçons et Filles du Canada : Merci de nous avoir invités à prendre la parole aujourd'hui. C'est un honneur pour nous. L'organisation Clubs Garçons et Filles du Canada regroupe 99 clubs. Ils sont répartis dans l'ensemble du pays. Nous desservons 200 000 enfants, jeunes et leurs familles, chaque année. Nous savons, grâce à nos clubs, que les gangs ont un impact disproportionné sur certaines collectivités. Nos clubs situés à Winnipeg, Calgary, Toronto Scarborough, Battleford et Vancouver nous ont décrit les effets dévastateurs qu'avaient la violence et les activités des gangs sur leurs collectivités — les traumatismes, les souffrances, les possibilités perdues — et ils ont une connaissance directe de la situation.
Lorsque le projet de loi a été présenté, il était accompagné d'un exemple venant de notre club de Winnipeg, ce qui nous a amenés à examiner de près la situation et à participer à la discussion.
Dans le club de Winnipeg, dans l'un de ses locaux, il y a des membres de gang qui attendent dans le stationnement qui se trouve en face du club, de l'autre côté de la rue, et lorsque les jeunes passent devant eux à pied, ils les accostent. Ils essaient de les attirer et d'établir une relation avec eux. Heureusement que le club est là. Ces jeunes ont des relations étroites avec le personnel du club et celui-ci est un endroit qu'ils apprécient, un endroit sécuritaire. Le club collabore avec la police pour veiller à ce que les membres des gangs soient dispersés, mais c'est un problème récurrent. Il semble que le projet de loi donnera aux policiers un outil supplémentaire pour intervenir dans ce genre de situation et cela me paraît être une mesure positive.
Il y a également des clubs qui nous disent qu'en réalité, le recrutement ne se fait pas de façon aussi manifeste. Les Clubs Garçons et Filles du Canada de la région de Vancouver nous parlent de l'effet d'être sans-abri pour les jeunes; il arrive à ces derniers de dormir ici et là et de rester sans le savoir dans la maison d'un membre d'un gang qui leur demande de faire certaines choses. Les jeunes femmes sont particulièrement vulnérables à l'exploitation sexuelle. Ces activités ne sont pas aussi évidentes et visibles, mais ce sont également des façons de recruter les jeunes en profitant de leur vulnérabilité pour qu'ils se joignent aux gangs.
Le projet de loi va certes accorder des moyens supplémentaires aux policiers, mais il ne pourra pas résoudre tous les problèmes, ni empêcher que les enfants et les jeunes soient ciblés par les gangs ou attirés vers ce genre d'activités, parce que cela répond en partie à leur besoin d'appartenance, de sécurité et d'opportunité. Nous sommes en mesure de répondre à ces besoins en utilisant des façons plus productives et plus positives.
Certains de nos clubs de la région de Regina nous ont dit que souvent, les enfants ne pouvaient pas vraiment choisir d'être ou de ne pas être membres d'un gang. Si quelqu'un vit dans une famille qui comprend déjà des membres d'un gang, tout le monde pense qu'ils sont également membres du gang.
Notre club de Battleford nous a parlé d'un cas où des jeunes se trouvaient dans un parc avant le début des cours. Un des jeunes avait des bonbons et un de nos moniteurs lui a demandé : où est-ce que tu as trouvé ça?
« Un ami de mon frère m'a donné de l'argent pour que je m'achète à manger. » Le moniteur savait que cette personne faisait partie d'un gang. Ils ont essayé de l'intégrer au gang. Ils essaient simplement d'établir une relation avec le jeune et les Clubs Garçons et Filles du Canada veulent établir des relations avec les jeunes pour qu'ils soient entourés par des adultes responsables.
J'aimerais aussi parler de mesures qui vont au-delà du projet de loi C-394. Nous avons préparé trois recommandations qui pourraient, d'après nous, donner d'excellents résultats. Il faudrait s'occuper des sans-abri de façon plus globale. Il faudrait offrir aux jeunes des programmes qui vont les valoriser, renforcer leur sentiment d'appartenance et les rendre moins vulnérables au recrutement des gangs parce que, comme nous l'avons entendu dire par le ministre Swan, les gangs vont trouver d'autres façons de recruter des jeunes. C'est donc une bonne mesure, mais il faut être alerte et aider les jeunes à avoir une vie positive influencée par de bons modèles. Nous sommes également favorables à la justice réparatrice parce qu'elle donne aux jeunes la possibilité de reconnaître leurs torts, de mener une meilleure vie et de réparer le mal qu'ils ont fait.
J'aimerais aller un peu plus loin pour ce qui est des sans-abri; nous pensons qu'il est très important d'offrir aux jeunes des possibilités de logement acceptables. Nos clubs d'Okanagan et de Calgary travaillent dans ce domaine. Okanagan a un centre d'accueil d'urgence pour les jeunes de 13 à 18 ans. Le club offre une place sûre où les jeunes peuvent se rendre pour y dormir, et y passer du temps, ils ont accès à un soutien avec des adultes qui peuvent les écouter, il y a des douches et toutes ces choses que les jeunes recherchent parfois; on leur offre également une formation pour éventuellement les amener à reprendre leurs études ou à prendre un travail. Le club de Calgary offre une ligne téléphonique qu'utilisent les policiers, les conseillers et les écoles lorsqu'un jeune est sans abri ou risque de ne plus en avoir. Ces intervenants sont en mesure de répondre dans les 24 heures pour rejoindre le jeune, et de lui offrir un abri; ils essaient aussi de le faire communiquer avec sa famille, si cela est possible, ou alors de trouver des solutions permanentes et à long terme pour leur problème de logement. Grâce à ces programmes, ces jeunes sont moins vulnérables à l'attrait des gangs.
Pour ce qui est des programmes destinés aux jeunes, nous savons que, même les jeunes qui sont le plus à risque et ceux qui risquent de faire des bêtises peuvent être rejoints grâce à des programmes extrascolaires de qualité. Nous pouvons ainsi réduire la violence et également, réduire la victimisation, de sorte que cela répond, comme je le disais, aux besoins de sécurité, d'appartenance et d'épanouissement des jeunes.
En particulier, lorsqu'ils sont offerts dans des quartiers où se réunissent des gangs, il faut que ces programmes soient fiables et de longue durée. Il faut de six à sept ans, nous disent les clubs, pour établir avec un adolescent une relation qui soit suffisamment forte pour le soustraire à une situation difficile et pour que ce dernier soit suffisamment en confiance pour s'adresser à vous s'il se sent attiré par la vie de gang ou s'il a besoin d'un appui.
Il faut beaucoup de temps pour construire de telles relations et c'est pourquoi nous avons besoin d'un financement stable. Ce financement peut venir du Fonds du système de justice pour les jeunes ou du Fonds de lutte contre les activités des gangs de jeunes. Ce sont là d'excellents programmes. Il arrive toutefois qu'ils ne durent pas suffisamment longtemps, de sorte que l'on crée un projet pilote ou que le projet se termine dans un délai trop court, ce qui pose des problèmes.
La Stratégie emploi jeunesse — nous pouvons également faire beaucoup avec les programmes d'emploi jeunesse. Mais là encore, dans les quartiers à haut risque et pour les jeunes lourdement défavorisés, nous avons besoin de davantage de temps pour leur trouver un emploi, en particulier s'ils ont déjà eu maille à partir avec le système de justice pénale.
Le président : Je ne veux pas vous interrompre, mais en avez-vous encore pour longtemps?
Mme Gouin : Le dernier point porte sur la justice réparatrice. Nous pensons que les jeunes qui ont fait de mauvais choix de vie devraient avoir la possibilité de se racheter. Il y a des programmes de justice réparatrice dans nos clubs. Nous accueillons les jeunes, travaillons avec les services de police, on nous les envoie, et nous les aidons à en apprendre davantage sur ce qu'ils ont fait, à effectuer des travaux communautaires et à se remettre dans le bon chemin. Nous savons que des gens qui ont déjà eu maille à partir avec le système de justice peuvent, s'ils sont bien accompagnés et bénéficient de soutien en santé mentale, peuvent aussi jouer le rôle de mentor vis-à-vis des jeunes et amener ces derniers à vivre une vie plus positive.
George VanMackelbergh, vice-président, Winnipeg Police Association : J'aimerais dire que c'est un honneur pour moi d'être ici pour représenter mon organisation et j'aimerais remercier le comité pour son excellent travail. J'aimerais remercier également l'honorable Parm Gill d'avoir présenté ce projet de loi et pour l'excellent travail qu'il a effectué jusqu'ici à ce sujet.
Je représente ici les 1 943 membres de mon association. J'ai 25 ans d'expérience comme policier, et j'ai travaillé principalement dans le centre-ville de Winnipeg, un des secteurs les plus occupés et les plus difficiles du Canada. Pendant ces 25 années, j'ai passé six ans comme enquêteur sur les gangs, et je travaillais uniquement sur le crime organisé sous ses différents aspects. Cela voulait dire recruter des informateurs et aider ces derniers à devenir des associés, et à faire des choses comme l'extorsion et même des tentatives de meurtre.
Dans mon secteur, les gangs que nous connaissons existent depuis 30 ans, ce sont ce que nous appelons maintenant des gangs de rue. Nous avons au sein de certaines familles, plusieurs générations de personnes qui sont ou ont été membres de ces gangs. Il est important de comprendre l'origine du phénomène contre lequel nous luttons.
La WPA est favorable à ce projet de loi, comme nous appuyons tout projet de loi du gouvernement au pouvoir qui tente d'entraver les gangs ou les activités du crime organisé. Ces activités constituent une menace réelle pour notre culture et pour nos citoyens à différents niveaux. Je pense que le projet de loi C-24 parlait du contexte du recrutement des membres des gangs, mais ne le visait pas expressément et c'est la raison pour laquelle je suis heureux de voir ce projet de loi.
Nous aimerions que les peines soient plus sévères lorsque le recrutement s'effectue dans des endroits où les jeunes se sentent en sécurité : les écoles, les centres communautaires, les terrains de jeu ou tous les endroits où ils se réunissent. Pour éliminer les gangs, nous devons empêcher les jeunes d'en devenir membres. Le projet de loi parle d'un crime qui est de nature prédatrice. C'est sa véritable nature. Une activité prédatrice. Ils recherchent les jeunes les plus vulnérables et leur offrent une apparence de sécurité, une apparence d'acceptation, une apparence de famille, aspects qui disparaissent dès qu'ils deviennent membres d'un gang. Dès qu'un jeune de 13 ans est introduit dans un gang et commence à porter des tatouages sur son visage, dès qu'il établit des liens entre sa famille et le gang, ses options sont limitées. Il n'est pas facile pour un jeune de 16 ans à Winnipeg de se procurer un travail avec un tatouage sur le visage ou sur le cou où l'on peut lire « B-Side » et c'est la raison pour laquelle il nous faut intervenir.
Les gangs cherchent à recruter des personnes de plus en plus jeunes. C'est triste à dire, mais il y a des jeunes de 15 ans qui sont mêlés à des meurtres à Winnipeg. Ils travaillent pour des gangs qui comprennent bien notre système judiciaire.
Comme cela a déjà été dit, une fois qu'un jeune devient membre d'un gang, il lui est très difficile de le quitter. Il risque d'être sauvagement battu, sa famille est menacée et il y a toutes sortes d'éléments dissuasifs dont vous n'entendez jamais parler. Ce sont des pratiques insidieuses, qu'il s'agisse de dettes ou de menaces. J'ai vu des tatouages que l'on faisait disparaître avec des brosses en métal. Ce n'est pas très beau à voir.
Progressivement, j'ai personnellement constaté que dans ma ville les activités des gangs s'étaient déplacées vers les quartiers riches. Il ne s'agit pas uniquement de pauvres, mais ils se glissent également au sein des classes moyennes et supérieures.
Si ce projet de loi est adopté, j'aimerais qu'il bénéficie d'un soutien et que le fardeau de la preuve ne soit pas trop lourd pour les services de police de petite taille. Encore une fois, il est important que ce fardeau ne soit pas tellement lourd que les services de police n'ont pas la capacité de l'assumer.
Je donnerais comme exemple l'affaire Lindsay et Bonner, des Hells Angels; les procureurs ont essayé d'établir que les Hells étaient une organisation criminelle et ils ont dû nommer toute une série d'experts à propos d'une simple accusation d'extorsion. Je n'aimerais pas que cela se reproduise parce qu'il s'agit là d'un excellent projet de loi.
Pour obtenir des condamnations dans ce genre d'accusation, la Couronne doit se fonder en partie sur des documents qu'elle doit se procurer auprès de divers intéressés au sein du système de justice pénale, qui disposent de montagnes de renseignements. L'appui dont nous aurions besoin consisterait à faciliter la communication de ces renseignements par ces intéressés. Il faudrait disposer d'une base de données intégrée qui soit accessible à tous les services d'application de la loi.
Les gangs existent toujours au Canada, et il est important de comprendre qu'ils fonctionnent comme la LNH. Ils ont un système de gang-école. Les caïds du coin surveillent les jeunes qui deviennent membres de leur gang et ils suivent leurs progrès quand ils sont acceptés par des gangs plus importants. Cela leur donne la possibilité d'écarter les jeunes susceptibles de devenir des informateurs et cela les isole davantage. Une fois qu'ils ont été amenés à adopter ce mode de vie, ils s'enfoncent de plus en plus dans ce genre de vie et ils n'ont plus aucune porte de sortie.
Nous avons constaté que les gangs les plus importants utilisaient comme un écran des gangs de moindre envergure pour faire des affaires, et cet écran leur évite d'être poursuivis.
Le fait d'incriminer le recrutement donne aux policiers un outil supplémentaire. Il n'est pas parfait, mais je pense que c'est un pas dans la bonne direction si nous réussissons à empêcher les membres des gangs de recruter les jeunes dans les écoles, dans les clubs et de limiter le recrutement à la population carcérale. Je pense que c'est un pas dans la bonne direction.
Je dirais en terminant que cette mesure me satisfait beaucoup à la fois en ma qualité de citoyen et en celle de policier. Je suis très satisfait de voir le gouvernement présenter une mesure législative qui a pour but de protéger notre bien le plus précieux, nos jeunes. Ce projet de loi protégera les ressources que tous les paliers de gouvernement ont investies dans ce domaine et donnera aux jeunes des possibilités.
Une mesure législative comme celle-ci et une déclaration des droits des victimes ont pour effet d'équilibrer notre système de justice et de rappeler aux Canadiens qu'il n'y a pas de crime sans victime.
Stuart Auty, président, The Canadian Safe School Network : Merci de m'avoir invité aujourd'hui. C'est une question importante pour le Canadian Safe School Network, puisque nous nous occupons de ce genre de questions depuis de nombreuses années. Quelques mots au sujet de notre organisation : nous sommes un organisme caritatif national qui a pour mission de favoriser l'intervention précoce et la prévention. C'est sur ces aspects que nous avons axé notre action et que nous continuons à le faire.
Notre organisme a été créé à la suite du rapport du Groupe d'étude sur la sécurité dans les écoles de l'Ontario au début des années 1990, de sorte que cela fait un moment que nous existons. Nous savons qu'il est possible de modifier très tôt le comportement et les attitudes des enfants. C'est ce que démontre la recherche. Notre organisation y est en fait parvenue.
Mon expérience personnelle est celle d'un ancien administrateur d'école secondaire et fondateur de la Vanier School for Young Offenders. Je le mentionne parce que j'ai été dans les prisons, j'ai accompagné les jeunes. J'ai administré la Vanier School pendant des années à Brampton, juste de l'autre côté du chemin McLaughlin, pour ceux qui connaissent la région. Nous avons construit cette école dans un entrepôt. Je l'ai administrée pendant plusieurs années et j'ai constaté que ces jeunes n'étaient pas différents de ceux que j'avais connus à l'école secondaire que je venais de quitter. C'étaient les mêmes. Mais ils venaient de familles qui n'avaient pas d'objectifs et ils n'en avaient pas non plus. Cela venait principalement du fait qu'on ne leur avait jamais dit « non ». Ils se retrouvaient dans des situations qui leur étaient arrivées, pensaient-ils, par accident. Je connais bien ce monde.
Je souscris à l'intention du projet de loi qui est de mieux protéger nos jeunes. Je reconnais qu'il faut établir un équilibre, comme l'intervenant du Manitoba l'a mentionné à plusieurs reprises, entre la créativité et la prévention — et je dirais entre l'intervention et la prévention, dans ce qu'offre ce projet de loi, de sorte qu'il faut effectivement un équilibre.
Je souscris à l'intention de mieux protéger nos jeunes. Il faut que nous le fassions comme adultes et comme membres d'une société protectrice. Je reconnais que les études montrent que les gangs sont de plus en plus nombreux. Ils se sont multipliés depuis que nous avons créé cet organisme au début des années 1990, et ce, à un rythme exceptionnel. Ils se sont tout simplement multipliés. Je reconnais tout cela.
Je reconnais bien sûr que les jeunes sont vulnérables. Ils le sont. Nous le savons tous. Nos buts sont les mêmes, mais les chemins empruntés pour les atteindre sont différents.
M. Gill a donné l'exemple d'un jeune de 19 ans qui avait été recruté par le crime organisé. Il aurait pu mener une vie respectueuse des lois et réussir. Ce jeune homme a grandi dans un milieu négatif. Il avait un mode de vie antisocial. Il avait besoin qu'on lui explique ce qu'était un mode de vie prosocial. Il existe des programmes prosociaux qui enseignent à ces enfants comment modifier leur comportement. Le Canadian Safe School Network est un des organismes qui a fait en réalité ce genre de choses et a obtenu de bons succès.
La question que je me pose est la suivante. Essayons-nous d'attraper les recruteurs, avec le coût associé à l'incarcération obligatoire ou essayons-nous de réduire la clientèle des recruteurs, le bassin de la clientèle? N'est-ce pas là que nous devrions faire porter nos efforts?
Le problème vient du fait qu'en théorie, le projet de loi permettra à la police d'attraper et d'incarcérer davantage de recruteurs. C'est l'objectif de cette mesure. Le problème est que nous n'en connaissons pas le coût. Nous savons par contre que ce coût est inconnu. C'est toujours le cas avec un programme policier — c'est l'inconnu : au cours des 30 dernières années, il n'y a eu aucun programme, à ma connaissance, qui ait prévu d'accorder massivement des fonds à des programmes communautaires. Je n'en connais pas un seul qui ait accordé ce genre de fonds. Je connais par contre un certain nombre de programmes policiers auxquels des fonds considérables ont été affectés. Je travaille en partenariat avec les services de police. Je comprends leurs besoins. Je sais que la collectivité souhaite naturellement appuyer les services de police et je trouve cela très bien. Quel est l'équilibre à instaurer? C'est de cela dont je parle. C'est en grande partie ma position et notre position sur cette question aujourd'hui.
L'idée que l'incarcération obligatoire a un effet dissuasif est sujette à caution. Je ne connais aucune étude qui affirme que l'emprisonnement obligatoire a effectivement un effet dissuasif. C'est peut-être ce qui se passe en réalité. Cela pourrait fort bien être le cas. Je sais par contre que l'emprisonnement obligatoire a été un échec complet aux États- Unis. Il suffit de prendre le cas de la Californie. C'est le chaos; les autorités le savent et essaient de changer les choses. Il semble que nous allions pourtant dans cette direction pour une raison incompréhensible qui ne m'a jamais été expliquée.
Les Clubs Garçons et Filles du Canada ont leurs programmes, tout comme le Canadian Safe School Network. Nous avons le programme appelé SNAP — Stop Now and Plan. Nous avons offert ce programme pendant quatre ans et près de 6 000 jeunes en danger du Grand Toronto y ont participé, avec la collaboration de cinq conseils scolaires. Le coût de ce programme représente le coût de l'incarcération d'une personne pendant un an dans une prison canadienne. Une seule personne. Nous avons offert des services à 6 000 enfants en danger. Cela est une bonne comparaison de la façon dont nous dépensons notre argent.
En fait, le financement des programmes communautaires comparé aux programmes répressifs est déséquilibré. Permettez-moi de dire que je ne suis pas contre ce projet de loi; je suis contre l'aspect peine obligatoire du projet de loi. Nous recommandons que le gouvernement effectue une étude comparative du coût des peines minimales obligatoires par rapport aux programmes de déjudiciarisation axés sur la prévention, premièrement. Il faudrait connaître les faits. Ce n'est pas une croyance.
Deuxièmement, il faudrait créer une structure de financement qui faciliterait la poursuite des programmes pilotes financés par le gouvernement fédéral qui donnent de bons résultats — il y en a — en collaboration avec les ministères provinciaux de l'Éducation. Il n'y a aucune structure. Nous avions un programme de quatre millions de dollars, sur une durée de quatre ans, financé par le gouvernement fédéral et qui a donné d'excellents résultats. Le ministère ontarien de l'Éducation souhaitait poursuivre le programme en association avec le gouvernement fédéral, mais il n'a pas pu le faire. Il n'y avait pas de structure. La volonté était là, mais il n'y avait pas de structure. Qu'ont fait les responsables? Ils ont ajouté 200 000 $ pour que ce programme continue encore quelques mois. C'est une chose terrible de constater que ce programme s'est terminé ainsi. Je suis sûr que les Clubs Garçons et Filles du Canada pourraient vous raconter des histoires semblables au sujet des fonds de démarrage versés par le gouvernement fédéral.
Mesdames et messieurs, je pourrais continuer longtemps dans cette veine, mais c'est l'essentiel de ce que nous voulions vous dire. Il est prouvé que les peines minimales n'ont pas donné de bons résultats dans d'autres pays; il est prouvé que les programmes préventifs sont un succès; il faut équilibrer les choses, c'est ce qui a été dit à plusieurs reprises cet après-midi. Il faut équilibrer les choses. Nous n'avons pas atteint cet équilibre, alors nous devons le rechercher.
Le sénateur Baker : Nous avons vraiment beaucoup aimé les exposés présentés aujourd'hui : M. Auty, excellent; Mme Gouin, excellent.
Je voudrais poser une question à George VanMackelbergh. Vous travaillez dans ce domaine depuis 25 ans. Vous avez lutté contre les organisations criminelles et les gangs pendant six ans.
M. VanMackelbergh : Oui, monsieur.
Le sénateur Baker : Un de vos commentaires a frappé ceux d'entre nous qui lisent la jurisprudence; le voici : « Ne faites pas en sorte que le fardeau de la preuve soit trop lourd. »
M. VanMackelbergh : Oui, monsieur.
Le sénateur Baker : Je lisais il y a un instant une décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, 2007, CSCB 1671, paragraphe 65 : Cette disposition n'érige pas en infraction le fait d'être membre d'une association qui a été qualifiée d'organisation criminelle. Pour être visée par l'article 467.111 du code, la personne doit sciemment participer aux activités d'une organisation criminelle dans le but de renforcer sa capacité de commettre un acte criminel. Le seul fait d'appartenir à une telle organisation n'est pas une infraction.
La Cour d'appel de la Saskatchewan a également déclaré cette année à peu près la même chose au paragraphe 19 du Recueil 2014 Carswell SASK 2, pour ce qui est du fait de sciemment charger quelqu'un de faire quelque chose.
Il y a donc « participer sciemment » à l'article 467.11. L'expression « charger sciemment » se trouve à l'article 467.13, et l'article 467.12 traite de la perpétration d'une infraction, mais il faut prouver non seulement que son auteur fait partie d'une organisation criminelle, mais également le but de l'organisation, et établir que cette personne a sciemment participé aux activités de l'organisation en question.
Le fardeau de la preuve vous incombe — il faut bien sûr admettre qu'il s'agit d'une partie extraordinaire du code. Vous pouvez faire de l'écoute électronique sans avoir à établir que vous avez déjà eu recours à d'autres méthodes d'enquête. Vous pouvez poursuivre cette écoute pendant un an, voire trois ans, je ne me souviens pas de la durée exacte, et la peine dont est passible l'infraction la plus grave prévue par cet article est l'emprisonnement à perpétuité.
Je suis heureux de vous apprendre que les rédacteurs de cette disposition législative — et je crois que le sénateur Plett a beaucoup travaillé sur ce point — a omis le mot « sciemment » pour que vous n'ayez pas à établir, selon le texte de a disposition, que l'auteur de l'infraction savait que l'organisation commettait des actes criminels et qu'il participait à une activité de nature lucrative. Cela soulève, je crois, la question suivante : cette disposition est-elle constitutionnelle?
Quelle est votre réaction? Cela fait tellement longtemps que vous faites partie des services de police. Vous savez qu'il se commet des infractions et nous ne faisons que vous rendre très difficile la tâche consistant à porter les accusations.
M. VanMackelbergh : Voilà une bonne question. Pour obtenir la bonne réponse, il faudrait la poser à quelqu'un qui gagne beaucoup plus que moi.
Je dirais toutefois ceci : je pense que toutes nos lois ont été adoptées dans d'excellentes intentions. Malheureusement, le système judiciaire repose en partie sur la suprématie de la loi et sur les règles juridiques, et je dois dire que ces aspects me dépassent. Je pense simplement que, lorsqu'on rédige ce genre de disposition, il faut qu'elle soit équilibrée. Il n'y a pas de défenseur plus acharné de la Charte des droits que moi. J'ai passé toute ma vie d'adulte dans un uniforme comme membre des forces armées ou comme policier et je suis profondément convaincu de l'importance de ces droits. C'est ce qui fait que le Canada est un grand pays. Mais lorsque nous parlons de loi, il faut qu'il y ait un équilibre. Il faut qu'elle permette à la police de faire son travail. Si nous bloquons le système à cause des questions de droit qui se posent, alors il ne servira à personne. Voilà mon humble opinion, monsieur.
Le sénateur Baker : Eh bien, c'est excellent. Merci.
Le sénateur Plett : Merci. Je suis toujours surpris d'entendre dire, lorsque nous sommes à bout d'arguments pour critiquer une mesure, « Eh bien, cette mesure n'est probablement pas constitutionnelle. » Cela fait cinq ans que je suis ici, et je ne pense pas qu'aucune des lois que nous avons adoptées n'ait été déclarée inconstitutionnelle. Je me trompe peut-être, mais je ne pense pas que cela ait été le cas. Je pense qu'il en sera de même pour ce projet de loi.
J'aimerais poser quelques questions, si vous le permettez, d'abord à la représentante des Clubs Garçons et Filles du Canada et ensuite, à M. Auty. Nous n'essayons pas de créer une disposition qui va punir les jeunes. Le but est d'aider les jeunes. Vous soutenez qu'il faut renforcer les programmes pour les jeunes. Ce n'est pas ça qui va empêcher un membre d'un gang de recruter un jeune pour la seule raison que nous avons un excellent programme pour les jeunes. Ils vont encore essayer de les recruter et de leur faire des offres intéressantes.
Les peines minimales obligatoires d'emprisonnement de six mois seulement s'appliquent exclusivement aux adultes qui recrutent des enfants. Que le recruteur ait eu une vie difficile ne me semble absolument pas pertinent dans ce contexte.
Comme je l'ai dit, cela n'empêche pas la mise en œuvre d'autres mesures législatives et d'autres programmes — et j'appuie vos programmes — qui visent les personnes qui ont déjà été recrutées, mais cela constitue un outil utile qui permet de s'attaquer à un problème grave et précis.
À part le fait qu'il faut des programmes pour les jeunes, ne convenez-vous pas que ce projet de loi ne vise pas à punir les jeunes, mais plutôt les adultes et pouvez-vous me dire si cela est acceptable?
Marlene Deboisbriand, vice-présidente, Services de membres, Clubs Garçons et Filles du Canada : Je vous répondrai en quelques phrases. Nous sommes en réalité en faveur du projet de loi. La difficulté vient du fait que ce n'est pas nécessairement le recruteur qui devrait être envoyé en prison. Le recruteur est bien souvent un jeune de 18 ans qui essaie de recruter un jeune de 16 ans et le fait d'emprisonner pendant six mois un jeune de 18 ans aura probablement pour effet de l'ancrer davantage dans sa vie de gang, et c'est ce qui nous préoccupe.
Le deuxième aspect est que quelqu'un a demandé plus tôt au ministre Swan s'il prévoyait que l'entrée en vigueur de cette loi aura des effets imprévus et nous pensons qu'un des effets imprévus de cette loi est que les recruteurs auront moins de 18 ans. De cette façon, ils ne seront tout simplement pas visés par la loi. Cela ne veut pas dire que nous sommes contre cette loi.
Le sénateur Plett : Il faut d'abord qu'ils soient recrutés.
Mme Deboisbriand : Il faut d'abord qu'ils soient recrutés, mais ils ont beaucoup de talent pour le faire, Nous ne parlons pas de gangs ou de Hells Angels. Ce n'est pas ce genre de groupes qui recrutent nos enfants. Ce sont les gangs de rue qui les recrutent. Le problème est que, dans certaines de nos collectivités, il y a de plus en plus d'enfants autochtones qui sont recrutés de cette façon. Ceux qui recrutent seront de plus en plus jeunes et ils finiront par être assez jeunes, quel que soit l'âge — 16, 17 ou 18 — s'ils passent du temps en prison, certains vont s'y retrouver et d'autres devraient y être, mais pour certains, cela voudra dire qu'ils seront toute leur vie membres d'un gang au lieu de s'orienter dans une autre direction grâce à la justice réparatrice. Encore une fois, c'est une question d'équilibre. Je crois que nous avons utilisé ce terme.
M. Auty : Je ne connais aucune étude qui démontre que les peines minimales obligatoires donnent de bons résultats. Si vous en avez une, citez-moi-la, mais je n'en connais aucune. Deuxièmement, les peines minimales font partie du projet de loi. C'est la principale raison pour laquelle je ne peux l'appuyer, à moins que quelqu'un me démontre que ces peines donnent vraiment de bons résultats.
L'autre aspect concerne la clientèle. Les recruteurs visent une certaine clientèle. Il est beaucoup plus rentable, d'après moi, de réduire la taille de la clientèle qui intéresse les recruteurs et bien sûr, ces personnes peuvent être amenées à participer à des programmes qui existent — les Clubs Garçons et Filles du Canada en ont, nous en avons et d'autres organisations en ont également — et ces programmes donnent de bons résultats.
Le sénateur Plett : Je vous encourage à continuer d'offrir ces programmes.
M. Auty : J'ai parlé de quantités massives d'argent. C'est là qu'est le problème. On a accordé des quantités massives de fonds aux services de police. Le Groupe d'intervention contre les bandes criminalisées et les armes à feu de Toronto, qui a été un grand succès, je le mentionne en passant, a chassé les gangs de Toronto qui se sont réfugiés à Orillia et en d'autres endroits, comme je suis certain vous le savez. La PPO vous le dira. Leur charge de travail a considérablement augmenté après le succès obtenu à Toronto. Il y a eu un déplacement. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais il y a eu un déplacement.
Ce qu'il faut, c'est changer l'attitude de l'enfant très tôt; on a parlé d'un âge minimum de sept ans et je crois que c'est exact. Notre programme visait les enfants de troisième année qui étaient en danger, il y en avait 6 000. Je le mentionne parce que ce programme a effectivement diminué le nombre des personnes que les recruteurs pouvaient solliciter.
Comment dépensez-vous votre argent? Je dis simplement que, si nous voulons bien le dépenser, il faut le diriger vers des programmes rentables.
Le sénateur Plett : Je suis d'accord avec vous. On ne recrute pas les jeunes dans les églises, c'est pourquoi nous vous appuyons. J'ai été choqué par le commentaire que vous avez fait au sujet de la référence qu'avait faite M. Gill à un jeune homme. Je pense que c'était un jeune homme du nom de T.J. Wiebe. T.J. Wiebe ne venait pas d'un foyer difficile. Il venait d'une excellente famille. J'aimerais que M. VanMackelbergh, qui connaît très bien cette affaire nous donne quelques...
M. Auty : Je vous signale que je ne faisais pas référence à cette affaire.
Le sénateur Plett : Très bien. J'en suis heureux.
M. Auty : C'était une autre personne qu'il a mentionné dans les commentaires contenus dans le rapport qui m'a été envoyé. Ce n'était pas M. Wiebe.
Le sénateur Plett : Très bien. J'aimerais que M. VanMackelbergh nous raconte l'histoire de T.J. Wiebe, et je crois que cela replacerait les choses dans leur contexte.
Le président : Si vous pouvez répondre brièvement.
M. VanMackelbergh : Oui, je peux le faire. L'affaire T.J. Wiebe est une affaire pleine d'enseignements. Je n'irai pas dans les détails. Cela appuie ce que j'ai dit au sujet des citoyens qui comprennent que les programmes de gang de jeunes ne touchent pas uniquement les classes inférieures. T.J. Wiebe venait d'une famille de la classe moyenne. Il était attiré par le pouvoir et l'argent, et il pensait que tout irait bien. Mais ce qui arrive aux jeunes, qu'il s'agisse de T.J. Wiebe ou d'un autre gars de la rue Spence, c'est que les choses qui les avaient attirés disparaissent. Lorsque vous devez de l'argent aux gangs et que vous ne leur servez plus à rien, c'est vous qui payez. Malheureusement, T.J. Wiebe a payé de sa vie.
C'est la raison pour laquelle cette activité est si insidieuse. Je suis d'accord avec les autres témoins. Il est certain qu'il faut une approche à trois volets pour lutter contre l'activité des gangs au Canada — éducation, ressources pour les jeunes, lois et projets de loi et outils pour les policiers — et nous sommes ici pour parler d'un outil.
La sénatrice Jaffer : Merci à tous. Les trois exposés m'ont beaucoup intéressée. Je tiens aussi à remercier Patsy George, l'ancienne vice-présidente des Clubs Garçons et Filles du Canada, qui est assise au fond.
Vendredi dernier, je suis allé prendre le petit déjeuner dans les locaux des Clubs Garçons et Filles du Canada et j'ai été très alarmée de constater que tous les jeunes qui s'y présentaient disaient qu'ils venaient y chercher la sécurité. « Nous sommes devenus membres du club parce que nous nous y sentons en sécurité », affirmaient-ils. Quelle drôle de coïncidence, ce petit-déjeuner, au moment où l'on présente ce projet de loi. Je saisis mieux le problème maintenant, alors que je n'aurais probablement pas compris autrement à quel point les jeunes sont vulnérables, ce qui les amène à chercher la sécurité au sein des Clubs Garçons et Filles du Canada.
En ce qui concerne l'éducation et les ressources, que va-t-on faire de tous ces projets de loi si l'on n'y affecte pas les ressources nécessaires? On ne peut tout simplement pas adopter un projet de loi sans les ressources correspondantes. J'ai été véritablement frappée par votre mémoire.
Vous nous avez parlé de la surreprésentation des enfants autochtones dans les prisons, et les organisations criminelles qui se trouvent dans les prisons ne font qu'aggraver les problèmes posés par celles qui sont dans la rue. Vous avez déjà évoqué la question, mais pourriez-vous revenir sur les difficultés auxquelles font face les enfants autochtones?
Mme Deboisbriand : Les difficultés à surmonter sont énormes. Nous savons tous, je crois, que nombre de ces enfants appartiennent à des familles qui ont beaucoup souffert des problèmes posés par les pensionnats autochtones, par exemple. Les conditions de vie dans la plupart des réserves au Canada laissent beaucoup à désirer. Par conséquent, nombre de ces enfants quittent les réserves à l'adolescence pour aller dans les centres urbains, et là, ils se cherchent et s'efforcent de s'intégrer à la collectivité. Ils ne sont plus attachés à leur réserve; ils ont laissé ce lien derrière eux. S'ils n'ont pas d'amis, des adultes qui les conseillent ou un endroit sûr pour se réunir — souvent dans un club, mais parfois ailleurs — ils seront tentés d'aller là où ils se sentent reconnus, où ils ont l'impression d'être importants, où ils sont en mesure de gagner un revenu, parce qu'ils ont besoin de biens matériels, d'argent, ce que les organisations criminelles semblent pouvoir leur offrir à première vue. Bien entendu, dès qu'ils ont mis le doigt dans l'engrenage, ils s'aperçoivent bien vite, comme l'a indiqué George, que tout n'est pas rose. C'est attirant au départ; mais ça ne dure pas.
Mme Gouin : Ces jeunes doivent être protégés, c'est ce que va faire ce projet de loi. Ils ont besoin d'une protection, mais aussi de programmes leur apportant un appui et permettant de les intégrer. Les deux choses sont donc nécessaires.
La sénatrice Jaffer : Il me reste très peu de temps, mais j'aimerais savoir si l'un d'entre vous a déjà rencontré un jeune ou une autre personne lui ayant déclaré : « Il n'est pas question pour moi de commettre ce crime parce que je ne veux pas qu'on m'inflige une peine minimale obligatoire »?
M. VanMackelbergh : Voilà qui est intéressant. J'ai entendu toutes sortes de théories concernant l'incarcération, mais mon expérience me fait dire que les criminels d'habitude, lorsqu'ils prennent de l'âge, ne craignent que de devoir passer beaucoup de temps en prison. Le principe de la justice réparatrice ne s'applique qu'aux jeunes qui ont fait des erreurs, mais les membres des organisations criminelles chevronnés ne se préoccupent que de la durée de l'incarcération.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Auty, je pense que nous sommes tous les deux d'accord. La question des peines minimales obligatoires me préoccupe beaucoup. Je ne pense pas que cela change quoi que ce soit. Vous en avez dit suffisamment en répondant au sénateur Plett. Est-ce que vous avez déjà entendu un jeune ou une autre personne vous dire : « Je me suis rangé parce que j'ai peur de faire l'objet d'une peine minimale », ou « parce qu'on va m'imposer une peine minimale obligatoire »?
M. Auty : Lorsque j'administrais l'école Vanier pour les jeunes délinquants, j'ai fait l'expérience tout à fait inverse. Les jeunes étaient tous surpris d'être là. Ils ne pensaient pas que ça leur arriverait un jour. Je suis d'accord avec vous pour ce qui est des criminels d'habitude, des récidivistes. Ce n'est pas d'eux dont nous parlons. Ce ne sont pas ceux-là qui nous intéressent. Nous parlons des nouveaux arrivés dans le réseau carcéral. D'après mon expérience, les prisons sont les écoles du crime. Ce sont les universités du crime. Les jeunes s'y familiarisent avec la criminalité.
Je me penche sur toute cette question de la dissuasion. Une personne intelligente va être dissuadée. Vous et moi allons être dissuadés de commettre un crime. Nous allons nous dire : « Attention, nous risquons d'aller en prison. » C'est comme lorsqu'il s'agit de payer l'impôt sur le revenu : « Le gouvernement fédéral va me poursuivre. L'ARC va me retrouver et il faut donc que je paie mes impôts. » Nous raisonnons intelligemment. Un criminel ne raisonne pas de cette manière. C'est un esprit différent. Il pense différemment.
Lorsque nous réfléchissons à la dissuasion et lorsque la collectivité se penche sur la question, on considère que c'est une bonne chose; que cela va les arrêter. Ce ne sont pas ces gens-là que cela arrête.
La question que je me pose est donc la suivante : est-ce que la chose peut être réellement prouvée? Quelqu'un le sait- il, parce que moi je n'en ai jamais eu la preuve?
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous de vos exposés.
Monsieur VanMackelbergh, je peux comprendre vos réserves, en tant qu'avocat, concernant la charge de la preuve. Dans ce projet de loi précis, avant qu'il puisse prouver qu'il y a eu un recrutement, le poursuivant doit d'abord apporter la preuve, premièrement, qu'il y a une organisation, et ensuite, qu'elle est liée ou associée à des activités criminelles.
Cela étant dit, l'article 14 du projet de loi exige une mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Dans un procès criminel, vous le savez, c'est le poursuivant qui a la charge de la preuve; il doit apporter une preuve hors de tout doute raisonnable. Aux termes de ce projet de loi, toutefois, le fardeau de la preuve est inversé. Je me réfère ici précisément à l'article 14. Autrement dit, c'est l'accusé, et non pas celui qui le poursuit, qui doit prouver que la mise en détention n'est pas justifiée.
Pour certaines infractions, notamment les trois infractions s'appliquant actuellement aux organisations criminelles, aux termes des dispositions des articles 467.11, 467.12 et 467.13, le fardeau de la preuve est là aussi inversé. Je suis d'accord avec cette législation, mais j'aimerais simplement savoir ce que vous en pensez.
M. VanMackelbergh : Personnellement, je suis d'accord avec l'inversion du fardeau de la preuve lorsqu'il s'agit d'activités liées au crime organisé.
Le sénateur McIntyre : Moi aussi.
M. VanMackelbergh : Je sais que par le passé la justice canadienne s'est montrée très prudente sur la question, contrairement à d'autres pays comme les États-Unis. Je suis cependant tout à fait d'accord avec vous et avec ce projet de loi lorsqu'on inverse le fardeau de la preuve en matière d'activités criminelles organisées. Celui qui ne fait pas partie d'une organisation criminelle ne devrait avoir aucune difficulté à le prouver.
Le sénateur McIntyre : Vous avez évoqué deux programmes : le Fonds du système de justice pour les jeunes et le Fonds de lutte contre les activités des gangs de jeunes. Pourriez-vous nous en dire quelques mots? Quelles sont les différences entre ces deux fonds?
Mme Gouin : Je ne suis pas sûre d'en connaître les différences. Je sais que les clubs y ont accès et je peux donc vous parler de chacun de ces programmes en particulier. Ce n'est pas moi qui les administre.
Il n'en reste pas moins que plusieurs de nos clubs ont déjà profité de ces financements. Ils s'étalent sur une durée de trois à cinq ans. C'est trop court pour être vraiment utile. Certains clubs refusent d'administrer les programmes relevant de ces fonds, là encore parce que cela les empêche de vraiment réaliser leurs objectifs. Ce sont là les défis à relever.
Bien souvent, lorsqu'un projet a du succès, on y met fin parce qu'il ne s'agit que d'un projet pilote qui va s'appliquer à une autre collectivité. Cela pose, là encore, de grosses difficultés. Ceux qui sont véritablement en danger doivent se contenter du provisoire et voient constamment débarquer de nouvelles personnes dans leur vie, alors qu'il est très important de pouvoir tabler sur des relations suivies pendant de nombreuses années.
Mme Deboisbriand : Je rajouterai simplement qu'au niveau national nous avons obtenu des crédits par l'intermédiaire d'un de ces fonds lors des deux dernières années. Nous avons organisé un atelier de prévention du recrutement au sein des accusations criminelles grâce à des campagnes ciblées de sensibilisation. Vous pouvez imaginer que nos collègues des Clubs Garçons et Filles d'Amérique faisaient face à de bien plus grandes difficultés que les nôtres. Ils nous ont donné, à nous-mêmes et à nos clubs, de nombreux conseils sur la façon de cibler véritablement les jeunes les plus vulnérables, de les faire venir dans les clubs et de leur faire profiter des programmes. Nous avons appris bien des choses que nous entendions pour la première fois. Ainsi, par exemple, ces jeunes n'aiment pas fréquenter les responsables chargés de les encadrer après l'école. Ils appartiennent à des mondes différents.
Cet atelier s'est révélé très utile, et cela grâce au fonds. Nous n'avons pas pu organiser la deuxième phase ni donner à nos clubs la formation professionnelle nécessaire en la matière, car nous n'avons pas réussi à nous faire subventionner une deuxième fois par ce fonds. C'est toujours le problème, non seulement en matière de financement par le gouvernement fédéral, mais aussi lorsqu'il s'agit du gouvernement provincial.
Le sénateur Joyal : Je vous remercie de vos observations. Il se trouve que je ne suis pas du même avis concernant notre devoir, autour de cette table, de vérifier la constitutionnalité des mesures que nous prenons, parce que tôt ou tard les tribunaux canadiens vont nous rappeler à l'ordre, comme ils l'ont fait à trois reprises à la suite de lois adoptées en ces lieux.
Je vous renvoie à l'arrêt rendu en mars par la Cour suprême dans l'affaire Whaling ainsi qu'à la décision prise par la Cour d'appel de l'Ontario en juillet dans l'affaire Smickle. Je vous renvoie enfin à une autre décision prise par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, elle aussi sur la question des peines minimales.
Ce n'est pas essentiellement la question que je tiens à évoquer avec vous, mais le problème posé par la dissuasion peut s'appliquer différemment selon les faits de l'espèce. Ce n'est pas parce qu'on a adopté une détermination fixe de la peine que les gens vont rester chez eux et se dire automatiquement : « Malheur, je risque la prison. Je vais me tenir tranquille. »
Des témoins nous ont dit que, lorsqu'une personne a l'intention de commettre un crime, elle ne pense pas se faire prendre. Si elle imaginait qu'elle puisse se faire prendre, elle resterait chez elle. Elle cherche avant tout les moyens de commettre un crime qui restera impuni. Voilà à quoi elle pense. On nous l'a répété une centaine de fois. Malheureusement, j'estime que c'est cela le plus logique. Il nous faut donc nous attaquer davantage à la motivation du criminel qu'à sa peur de se retrouver en prison. Il y a deux façons de voir les choses. Ce n'est pas, toutefois, ce que je veux développer cet après-midi.
Je m'inquiète davantage au sujet de la recommandation que vous avez faite, monsieur VanMackelbergh, et de celle dont nous a fait part le ministre Swan. Je cite votre mémoire :
Nous aimerions que des peines plus lourdes soient prononcées lorsque le recrutement se produit en des lieux où les jeunes se sentent en sécurité : écoles, centres communautaires, terrains de jeu ou tous lieux dans lesquels ils se rassemblent.
J'ai entendu le ministre — et je l'ai indiqué un peu plus tôt — nous rappeler que nous avons été saisis par le passé de certains amendements devant être apportés au Code au sujet du trafic de drogues. Nous avons alourdi les peines prononcées si la transaction se produisait, par exemple, dans une cour d'école.
On peut toujours fixer une limite de cinq cents pieds autour d'une installation de loisirs, mais que faire au sujet des arrêts d'autobus? Que dire aussi d'Internet? On sait bien ce que font aujourd'hui nos enfants à l'école. Il y a des moyens bien plus faciles de recruter les jeunes que de s'approcher de la cour de l'école en leur disant : « Viens là. J'ai quelque chose à te montrer. » C'était peut-être possible il y a une dizaine ou une quinzaine d'années, mais notre monde a complètement changé. En établissant ainsi une circonstance aggravante lorsque le recrutement ou la contrainte s'exercent dans une cour d'école ou dans un autre lieu de rencontre des jeunes, ne cherchons-nous pas en fait à remédier à un problème mineur alors que c'est surtout au moyen d'Internet que ces jeunes vont être recrutés? À quel niveau la criminalité va-t-elle davantage passer par Internet plutôt que par un contact direct entre les personnes?
M. VanMackelbergh : Vous faites une excellente remarque. Je vous répondrai ceci : la cyberintimidation va prendre de plus en plus de l'ampleur, j'estime qu'un grand nombre de recrutements se font par ce moyen — voilà en ce qui concerne Internet. Il n'en reste pas moins que ces individus font les cours d'école. Ils continuent à traîner à la porte des clubs dispensant des programmes financés par le gouvernement pour aider les jeunes à risque à faire de meilleurs choix. Ça continue à se faire. Je vous comprends — votre observation est excellente — mais en matière d'intimidation par Internet et compte tenu des mesures qui sont prises, la police a des moyens à sa disposition. Pourtant, dans les quartiers, les membres des organisations criminelles continuent à se tenir devant les centres communautaires et à recruter dans les écoles. Cette situation n'a pas cessé.
Il n'est pas question pour moi de faire étalage de connaissances sur des sujets qui ne relèvent pas de ma compétence, et c'est pourquoi j'admire le magnifique travail que vous faites. Il n'en reste pas moins qu'en sillonnant les rues de Winnipeg dans une voiture de police, je peux voir presque partout des membres d'organisations criminelles traîner dans les cours d'école. J'ai l'occasion de constater qu'ils profitent des plus faibles, des désespérés et de ceux qui se sont laissés intimider; ils sont toujours là. Ils les attirent dans un mode de vie qu'il est bien difficile de quitter.
Cette solution me semble-t-elle parfaite? Non. Est-ce qu'elle me paraît intéressante et utile? Oui.
Le sénateur Joyal : Monsieur Auty, pouvez-vous nous dire comment contrer le crime organisé s'il s'avisait de rendre inefficaces les mesures que nous avons prises dans un secteur donné en déplaçant le problème ailleurs?
M. Auty : C'est un problème qui n'est pas nouveau dans les écoles. Il remonte à de nombreuses années. Au départ, il y a eu les téléphones cellulaires. Les organisations criminelles contactent instantanément nos jeunes. C'est un véritable cauchemar pour un surveillant général dans une école secondaire d'avoir affaire avec des groupes ou des organisations criminelles qui cherchent la bagarre ou veulent tout casser. Ces groupes peuvent passer presque instantanément d'un bâtiment à l'autre en se servant des téléphones cellulaires ou d'Internet. C'est un vieux problème qui ne fait qu'empirer. Bien évidemment, la cyberintimidation est bien présente et ses répercussions sont énormes sur les enfants. Il y a eu des suicides dans les affaires Parsons et Todd. Nous n'avions pas l'habitude de voir ça. Aujourd'hui, ça revient assez souvent. Effectivement, Internet aura des effets considérables en matière de recrutement. La police devra en conséquence renforcer ses activités de répression; c'est donc un facteur essentiel.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. VanMackelbergh. Vous saluerez votre président de ma part; j'ai eu le plaisir de le connaître à l'Association canadienne des policiers lorsque j'en étais membre.
Ce qu'on avait remarqué dans le cas du recrutement des gangs de rue, c'est que l'on allait recruter des jeunes sachant très bien que le jeune qui commet un crime grave reçoit une peine moins sévère. Évidemment, il va falloir pénaliser ceux qui vont chercher ces jeunes, parce qu'ils savent qu'ils leur font commettre des crimes assez graves. Mais les peines sont moins sévères, ce sont des mineurs.
Selon vous, est-ce que ce recrutement est en progression ou est-il stable? Je peux vous dire qu'à Montréal et à Québec, c'était un crime en progression, pour les raisons que je vous donne.
[Traduction]
M. VanMackelbergh : Je suis bien d'accord avec vous. Malheureusement, on se rend compte dans la police que chaque fois que l'on réussit à réprimer avec succès les activités des organisations criminelles, ces dernières en tire les enseignements qui s'imposent. Je vous le répète, les jeunes sont recrutés de plus en plus tôt. Sans vouloir faire preuve d'exagération, nous avons aujourd'hui un jeune de 15 ans impliqué dans des meurtres parce que les membres des organisations criminelles savent que les peines prononcées pour les mineurs sont moindres.
Même lorsqu'on les traduit devant les tribunaux pour adultes, il semble que ces derniers continuent à faire preuve de clémence. On les retrouve partout. Je suis sûr que c'est la même chose à Montréal. Lorsque je m'occupais des motards, nous voyions constamment des jeunes sur leurs vélos acrobatiques avec des téléphones cellulaires, de la drogue ou des armes. Donc, pour vous répondre simplement, nous constatons effectivement qu'il y a une augmentation.
La sénatrice Frum : Madame Deboisbriand, je vous ai écoutée avec attention lorsque vous avez évoqué les effets pervers, ce qui nous ramène à la question à laquelle on vient de répondre, et le fait que cela va entraîner le recrutement des jeunes de plus en plus tôt. C'est un argument intéressant et convaincant. Vous dites être en faveur de ce projet de loi, je le suis aussi, mais vous pouvez voir que c'est l'une des conséquences possibles.
J'ajouterai que toutes ces polémiques au sujet de la dissuasion prouvent de toute évidence que les mesures de dissuasion qui figurent dans ce projet de loi sont très efficaces. Pourquoi les criminels se rabattraient sur des mineurs s'ils ne se rendaient pas compte que leurs agissements vont avoir des conséquences? Est-ce que cela ne rend pas plus plausible le facteur lié à la dissuasion?
Mme Deboisbriand : À un certain niveau, vous avez tout à fait raison. Il y a aussi une grosse différence d'un jeune à l'autre, selon qu'il a 18 ou 25 ans. Il faut que le législateur fixe une limite quelque part. Je vous comprends parfaitement. Est-ce qu'un jeune de 18 ans va bien comprendre que la loi a changé? Je n'en sais rien. Est-ce qu'un membre d'une organisation criminelle âgé de 25 ans va le savoir? Il va certainement y avoir des interprétations différentes.
Vous avez raison. Il est important de faire la police pour un jeune qui risque d'être recruté à l'extérieur d'un club à Winnipeg, pour prendre un exemple théorique. Pour ces jeunes qui sont la cible du recrutement, les opérations de police sont importantes parce que la peur de se faire prendre est un élément dissuasif, à mon avis. Je pense que mon collègue sera d'accord avec moi sur ce point. Un adolescent âgé de 12 à 14 ans aura-t-il peur toutefois d'aller en prison? Il est probable qu'il ne se posera pas tant de questions. La mentalité des jeunes change considérablement selon qu'ils ont 12, 18 ou 25 ans.
La sénatrice Frum : Est-ce que ce sont les jeunes de 25 ans qui recrutent le plus à l'heure actuelle? Les jeunes adolescents sont-ils flattés de bénéficier de l'attention des plus âgés? Comment se passent les choses?
Mme Deboisbriand : Nous constatons en fait que ceux qui recrutent, par exemple dans nos clubs et dans le cadre des programmes dispensés après l'école aux adolescents de 12 à 15 ans, ont tendance à être de plus en plus jeunes. Ce ne sont plus les jeunes de 25 ans qui recrutent, mais ceux de 17, 18 et 19 ans qui le font de plus en plus tôt, à moins que cela se passe à l'intérieur de la famille. Lorsque le grand frère fait partie d'une organisation criminelle, il recrute bien entendu le petit frère. Sinon, cela se fait au niveau du groupe d'âge immédiatement inférieur. C'est généralement ce que nous constatons.
M. VanMackelbergh : Sans vouloir faire de la psychologie, parce que ce n'est pas mon métier, je dirai que l'organisation criminelle s'apparente avant tout à une famille. Elle joue le rôle du grand frère que l'on n'a jamais eu. Cela prend souvent la forme d'une figure mâle dominante qui remplit un vide. Les jeunes candidats recrutés ont une terrible envie de plaire, dont ces organisations savent tirer parti. L'opération de recrutement est essentiellement prédatrice.
La sénatrice Batters : Laissez-moi vous dire tout d'abord, monsieur VanMackelbergh, que vous faites preuve de beaucoup de modestie en nous rappelant constamment que vous n'avez pas telle ou telle compétence, alors que vous avez fait de grandes choses pour la collectivité et notre pays, ce dont je vous remercie.
M. VanMackelbergh : Merci.
La sénatrice Batters : Monsieur Auty, il y a une chose qu'il me semble vous avoir entendu mentionner brièvement au début de votre exposé, mais je n'en ai pas pris note. Pourriez-vous nous dire quelques mots de votre organisation? Je ne la connais pas très bien. Qui représentez-vous?
M. Auty : Le Canadian Safe School Network dérive de l'Ontario Safe School Task Force dont j'étais membre. Je siégeais au conseil d'administration des directeurs des écoles secondaires de l'Ontario. En raison de mon expérience au sein de l'école Vanier pour les jeunes délinquants, nous nous retrouvions lors des pauses-café — nous nous réunissions une fois par mois. Il s'agit d'une organisation provinciale des directeurs d'école. Nous nous sommes mis à discuter de plus en plus des activités très pernicieuses et de la violence qui avaient cours dans les écoles. C'était en fait en 1990.
La sénatrice Batters : Cela regroupait toutes les écoles secondaires de l'Ontario?
M. Auty : Toutes les écoles secondaires de l'Ontario.
La sénatrice Batters : Elles faisaient toutes partie de votre organisation?
M. Auty : Oui. Nous avons créé en conséquence un comité chargé d'examiner la chose. Compte tenu de mon expérience, il m'a été demandé de présider ce comité. Le temps de le dire, ma candidature a été appuyée et est devenue permanente. Je ne suis jamais retourné dans le réseau scolaire. J'ai présidé l'Ontario Safe School Task Force pendant un certain nombre d'années jusqu'à ce que les crédits soient épuisés.
Nous avons beaucoup travaillé. Nous avons fait des recherches, des études, des enquêtes, et Dave Boothby, qui était à l'époque le chef de la police de Toronto, m'a demandé si je voulais poursuivre ma tâche, parce que j'étais sur le point de reprendre un poste de directeur d'école dans le réseau scolaire. Je n'avais aucune idée de la façon de procéder. Il m'a dit qu'il me trouverait un contact au sein du gouvernement et qu'il me financerait d'une façon ou d'une autre si je voulais faire le travail. Ça s'est passé lors d'un petit-déjeuner avec lui en avril 1997. Il m'a demandé : « Qui dois-je appeler? » Je lui ai répondu : « Vous avez deux possibilités : soit le directeur, soit le président du conseil d'administration. » À 10 heures le lendemain matin, j'ai reçu un appel du président du conseil d'administration qui m'a dit : « Voilà, tu les quittes une fois de plus. »
C'était Dave Boothby. Nous avons été étroitement associés avec la police de Toronto pendant de nombreuses années.
La sénatrice Batters : Monsieur VanMackelbergh, vous nous avez dit tout à l'heure, et j'espère que je reproduis bien vos propos, que les membres des organisations criminelles ne se préoccupent que de la durée de l'incarcération. Vous avez insisté sur l'efficacité de ce genre de mesures et je me demande ce que vous en pensez en tant que responsable impliqué dans les opérations de police.
M. Auty : Avez-vous entendu parler du programme de dissuasion par la peur?
La sénatrice Batters : Oui.
M. Auty : C'est un vieux programme qui s'est révélé inefficace. Je me souviens de cette fois où, avec la police de Toronto, nous avons fait visiter le pénitencier de Kingston à tout un groupe de jeunes ayant eu des démêlés avec la police. Ils risquaient de s'y retrouver un jour. Je n'oublierai jamais l'expérience. Nous étions dans une fourgonnette et pendant tout le trajet ces jeunes se sont moqués de la vie en prison. Ce sont davantage des durs que les détenus.
Cela dit, que pensez-vous de la dissuasion et de la théorie selon laquelle ces jeunes ont peur d'aller en prison? De nombreux jeunes ne craignent pas la prison parce qu'ils ne la comprennent pas. Ils ne la comprennent que lorsqu'ils ont été incarcérés à plusieurs reprises et que ce sont des récidivistes, mais avant d'en arriver là, ils font comme ces adolescents qui roulent à 100 milles à l'heure sans jamais avoir d'accident. Ils ne voient pas l'intérêt de porter un casque lorsqu'ils sont en moto. Ils n'ont pas l'âge de comprendre la gravité de leurs actions.
C'est de cela dont nous parlons. La mentalité des adolescents, des jeunes détenus depuis un certain temps, ou encore des membres d'une organisation criminelle qui en font profession, n'est pas la même. Je considère qu'il y a là en fait trois niveaux différents qui nous intéressent. Ce n'est pas une situation simple à laquelle peut remédier un seul et unique projet de loi. J'insiste sur ce côté parcellaire.
Je considère que c'est en partie un bon projet de loi, mais il faut équilibrer l'autre partie. Il manque tout simplement d'un certain équilibre. Des sommes énormes sont dépensées en raison de ce manque d'équilibre.
Le sénateur McInnis : Monsieur Auty, vous nous dites que ce projet de loi est déséquilibré et vous avez indiqué tout à l'heure, plus particulièrement au sujet des projets pilotes, qu'il n'y avait aucune structure.
M. Auty : En effet, il n'y en a pas.
Le sénateur McInnis : Qui doit être responsable de cette structure? S'il s'agit d'éducation, cela ne relève-t-il pas, de toute évidence, des compétences provinciales? Le gouvernement fédéral transfère énormément d'argent dans les secteurs de l'éducation et des services communautaires. Qu'envisagez-vous sur le plan des structures?
M. Auty : Je suis convaincu que vous en savez beaucoup plus que moi sur l'élaboration des structures. Voici ce que je peux vous dire en tant que profane : le gouvernement fédéral a d'excellentes intentions. Nous n'avons pas de mandat national en matière d'éducation. Cela relève des compétences provinciales, c'est entendu.
Lorsque le gouvernement fédéral entreprend d'affecter des crédits aux Clubs Garçons et Filles du Canada, il intervient dans le domaine de l'éducation. Cela ne relève pas de son mandat, mais il réussit ainsi à le contourner en réalisant d'excellentes choses.
Lorsqu'un de ses programmes pilotes est mis en application par les écoles de toutes les provinces, il y a là un programme de démarrage conçu par le fédéral qui ne bénéficie cependant d'aucune structure permettant d'en prolonger l'existence.
Je me suis entretenu au printemps dernier avec le sous-ministre de l'Ontario à la fin de notre programme, un programme fédéral de 4 millions de dollars ayant eu énormément de succès et s'adressant aux élèves de troisième année. Il n'y avait aucune structure sur laquelle compter alors que tout le monde voulait poursuivre l'expérience. Le sous- ministre a appelé un responsable au ministère de la Justice qui avait subventionné ce programme pour trouver une solution. « Comment devons-nous procéder car nous voulons verser une subvention de plusieurs centaines de milliers de dollars », lui a-t-il demandé. Il n'y a eu aucune réaction. C'est à se demander ce qu'il faut faire.
Il faut une structure pour que les programmes fédéraux qui donnent des résultats œuvrent en collaboration, plus particulièrement avec les ministères de l'éducation provinciaux, parce que ce sont eux qui sont chargés des écoles et qui sont en mesure d'en modifier les programmes. Toutefois, nous n'avons pas de structure. Vous voyez ce que je veux dire?
Le sénateur McInnis : Oui. Il y a aussi une question de compétence. L'éducation relève...
M. Auty : Des compétences provinciales. Vous avez tout à fait raison.
Si le gouvernement nous dit : « Nous allons affecter des crédits à la prévention de la criminalité et, par conséquent, un programme doté de 4 millions de dollars va être spécialement consacré à cette cause et repris plus précisément par les provinces, qui vont en discuter avec nous. Si ce programme a du succès, sa durée de vie sera prolongée. » On va donc en discuter avec les ministres — c'est un exemple tout à fait théorique...
Le président : Nous avons dépassé le temps qui nous était imparti. Monsieur Auty était lancé, et je regrette de devoir l'interrompre. La conversation a été très intéressante et pleine d'enseignements. Elle aidera notre comité dans ses délibérations. Merci à tous d'être venus aujourd'hui.
Je signale aux membres du comité que nous nous réunirons demain matin à 10 h 30 pour poursuivre nos délibérations au sujet du projet de loi C-394 et que nous aurons comme témoins l'Association canadienne des policiers, la GRC, la Criminal Lawyers' Association et les Services juridiques pour les autochtones de Toronto.
(La séance est levée.)