Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 12 - Témoignages du 4 juin 2014
OTTAWA, le mercredi 4 juin 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence, s'est réuni aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à mes collègues, à nos invités, aux membres du public qui suivent la séance d'aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous tenons aujourd'hui notre première séance au sujet du projet de loi C-23, la Loi sur l'intégrité des élections. Le projet de loi propose de modifier de nombreux aspects de la Loi électorale du Canada et d'apporter des modifications corrélatives à la Loi sur les télécommunications, à la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales, et à la Loi sur le directeur des poursuites pénales, notamment.
Avant de commencer, je tiens à rappeler à ceux qui regardent cette séance que notre comité a commencé le 7 avril 2014 une étude préalable de la teneur du projet de loi C-23. Les études préalables sont un aspect unique de la procédure du Sénat qui autorise les comités à commencer plus rapidement leur étude d'un projet de loi et à fournir des commentaires à la Chambre des communes avant que le projet de loi soit présenté au Sénat. Dans ce contexte, le comité a tenu huit séances et entendu 27 témoins au cours de l'étude préalable.
Le 15 avril, le comité a déposé un rapport provisoire qui contenait un certain nombre de recommandations relatives à des amendements possibles. Le projet de loi que nous avons aujourd'hui reflète un certain nombre de ces recommandations; notre tâche consiste maintenant à étudier le projet de loi amendé.
Avant de commencer, j'aimerais vous faire savoir que la greffière a été informée, il y a un instant, qu'un des témoins de notre deuxième groupe, Simon Rowland, le directeur général de Direct Leap Technologies, a manqué son avion et ne pourra être avec nous aujourd'hui. Le comité de direction — le sénateur Baker, la sénatrice Frum et moi-même — s'est réuni brièvement et a convenu que M. Rowland, s'il est en mesure de le faire — et nous pensons qu'il l'est — sera entendu au début de la séance de demain matin. Ce sera le premier témoin que nous entendrons, le seul témoin que nous entendrons demain avant de passer à l'étude article par article du projet de loi. Je voulais simplement vous mettre au courant de tout cela.
Le premier groupe de témoins que nous allons entendre aujourd'hui pour commencer notre étude du projet de loi amendé comprend les représentants du Bureau du Conseil privé qui suivent : Marc Chénier, agent principal du Bureau du Conseil privé, conseiller, Réforme démocratique et Natasha Kim, directrice, Réforme démocratique. Bienvenue à tous.
Madame Kim, je pense que vous souhaitez tous les deux faire une déclaration préliminaire. Nous allons commencer par vous. Vous avez la parole.
Natasha Kim, directrice, Réforme démocratique, Bureau du Conseil privé : Sénateurs, monsieur le président, je vous remercie de nous avoir invités à participer à l'examen législatif du projet de loi C-23, Loi sur l'intégrité des élections, à laquelle procède le comité.
Nous croyons savoir que vous aimeriez obtenir un aperçu des amendements au projet de loi qui ont été adoptés à la Chambre des communes depuis que ce comité a conclu son étude préalable de ce projet de loi. Comme les sénateurs le savent, la Loi sur l'intégrité des élections propose de vastes réformes et mises à jour de la Loi électorale du Canada dans divers secteurs. Les amendements touchent également un grand nombre de sujets. Au cours de l'étude article par article, d'une durée d'environ 17 heures, qu'a menée le Comité de la Chambre des communes chargé de la procédure et des affaires de la Chambre, il y a eu 47 amendements et suppression de trois articles. Ces changements peuvent être classés sommairement sous 14 thèmes que je vais maintenant résumer brièvement dans l'ordre, de façon générale, dans lequel ils figurent dans le projet de loi.
Premièrement, à l'article 3 du projet de loi, un amendement a été apporté pour faire en sorte que le mandat de 10 ans du directeur général des élections ne soit pas renouvelable, comme c'est le cas pour le vérificateur général.
Deuxièmement, des amendements ont été apportés au nouveau processus introduit par le projet de loi C-23 de manière à ce que le directeur général des élections doive rendre une décision anticipée ou diffuser une note d'interprétation à la demande d'un parti politique, après consultation du comité consultatif des partis politiques.
Ces dispositions ont été amendées de trois façons : pour allonger et faire passer de 45 à 60 jours la période dont dispose le directeur général des élections pour rendre une décision anticipée ou diffuser une note d'interprétation, tout en réduisant la période de consultation pour la faire passer de 30 à 15 jours; pour exiger que le directeur général des élections consulte également le commissaire aux élections fédérales avant de rendre une décision anticipée ou de diffuser une note d'interprétation; pour conférer une valeur de précédent aux décisions anticipées pour le directeur général des élections et pour le commissaire aux élections fédérales en ce qui a trait aux activités ou aux pratiques semblables menées par d'autres entités politiques afin de mieux parvenir à assurer une application uniforme.
Le troisième secteur sur lequel ont porté les amendements est celui des pouvoirs du directeur général des élections et du commissaire aux élections fédérales de divulguer des renseignements entre eux et avec le public. Le projet de loi prévoit que le directeur général des élections peut divulguer des renseignements et des documents au commissaire aux élections fédérales dans les cas où il le juge utile. Le commissaire peut demander au directeur général des élections des renseignements et des documents dans les cas où il le juge nécessaire à l'exercice de ses fonctions; le commissaire peut également divulguer publiquement des renseignements sur les enquêtes dans les cas où il juge qu'il en va de l'intérêt public.
Le secteur de modifications suivant concernait le mandat du directeur général des élections en matière d'information et d'éducation du public. Les amendements clarifient le fait que le directeur général des élections peut communiquer avec le public, mais que, lorsqu'il fait de la publicité pour informer les électeurs concernant l'exercice de leurs droits démocratiques, il ne peut que fournir de l'information sur la façon de se porter candidat, quand, où et comment voter, et sur les outils offerts aux électeurs handicapés. Les amendements permettent également au directeur général des élections de continuer à mettre en œuvre des programmes d'éducation civique pour les élèves des écoles primaires et secondaires.
Le cinquième domaine sur lequel ont porté les amendements concerne les dispositions sur l'identification des électeurs. Dans la forme où il a été déposé, le projet de loi C-23 éliminait l'option qui consistait à faire prouver son identité et son lieu de résidence par un autre électeur répondant. Les amendements adoptés par la Chambre prévoient une nouvelle option permettant d'établir l'identité et le lieu de résidence de ceux qui n'ont pas de preuve documentaire de leur lieu de résidence. Selon ce mécanisme, un électeur peut s'inscrire ou voter en présentant deux pièces d'identité portant son nom et en prêtant serment par écrit relativement à son lieu de résidence. Un autre électeur de la même section de vote doit aussi prêter serment pour attester du lieu de résidence du premier électeur. Pour assurer l'intégrité du vote, les amendements exigent également que les déclarations sous serment soient faites par écrit, que les serments faits par écrit soient conservés dans des enveloppes distinctes, que le directeur du scrutin compile ces serments après le jour du scrutin pour permettre le repérage de cas possibles de votes multiples ou d'attestations illégales du lieu de résidence d'un autre électeur et qu'une vérification de la conformité aux règles d'inscription et aux règles électorales soit effectuée après chaque élection et que les résultats soient communiqués au Parlement. Les amendements ont aussi clarifié l'exigence selon laquelle tous ceux qui demandent un bulletin de vote spécial au bureau du directeur du scrutin doivent faire la preuve de leur identité et de leur lieu de résidence de la même manière que s'ils se trouvaient dans un bureau de scrutin.
Sixièmement, les changements proposés au processus de nomination des superviseurs de centre de scrutin ont été abrogés. Dans la forme où il a été déposé, le projet de loi mettait en œuvre une recommandation unanime du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre selon laquelle les superviseurs de centre de scrutin seraient nommés de la même façon que les scrutateurs, c'est-à-dire à partir d'une liste de noms fournis par le candidat ayant terminé premier au cours de la dernière élection, ou par l'association ou le parti enregistré de celui-ci. Ces changements ne figurent plus dans la Loi sur l'intégrité des élections.
Septièmement, en ce qui concerne la nouvelle partie de la Loi électorale du Canada, le projet de loi précise de nouvelles règles relatives aux services d'appels aux électeurs. Un amendement a été apporté pour que la période pendant laquelle le fournisseur de services est tenu de conserver une copie des scripts et des enregistrements passe à trois ans.
Huitièmement, tel que présenté, le projet de loi augmentait, au prorata, le plafond de dépenses pour les partis et les candidats lorsque la période électorale s'étend sur plus de 36 jours. Au moyen d'amendements, la période électorale minimale a été corrigée, passant de 36 à 37 jours. L'augmentation au prorata du plafond de dépenses a été étendue pour inclure les tiers.
Neuvièmement, la Loi sur l'intégrité des élections exige qu'un tiers fasse la preuve d'un lien clair avec le Canada fin de pouvoir s'enregistrer, ce que tout tiers doit faire s'il souhaite engager des dépenses de 500 $ ou plus pendant une élection. Les amendements ont ajouté une interdiction claire contre tout tiers incapable de prouver un lien avec le Canada lorsqu'il dépense 500 $ ou plus pendant une élection.
[Français]
Dixièmement, dans la version déposée, le projet de loi propose une exception qui constitue une dépense électorale pour les dépenses engagées afin de solliciter des contributions financières auprès des personnes ayant donné, au moins à une reprise au cours des cinq dernières années, une somme de 20 $ ou plus. Cette exception a été retirée du projet de loi.
Onzièmement, le projet de loi a été amendé de sorte qu'on y retire tout ce que le commissaire doit respecter avant de commencer une enquête.
Douzièmement, en ce qui a trait au délai de prescription pour les infractions, les amendements ont précisé qu'il n'existera aucun délai de prescription pour les infractions à la Loi électorale du Canada nécessitant une intention.
Treizièmement, le projet de loi a modifié la Loi sur le directeur des poursuites pénales pour qu'un rapport annuel du directeur comporte une section sur les activités du commissaire. Les amendements ont permis de préciser que cette section doit être fournie par le commissaire afin de montrer l'indépendance de ces deux organismes.
Finalement, quelques amendements ont été effectués pour apporter des corrections techniques au projet de loi, ainsi que pour ajuster les textes à la suite des modifications substantielles dont je viens de parler.
[Traduction]
Honorables sénateurs, voilà qui termine le résumé des amendements adoptés par la Chambre des communes. Si vous avez des questions, nous nous ferons un plaisir de vous fournir des renseignements supplémentaires de nature technique au sujet du projet de loi et des amendements qui lui ont été apportés.
Le président : Merci, madame Kim.
Nous allons commencer les questions en donnant la parole au vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je remercie les témoins pour le résumé des changements apportés au projet de loi qu'ils nous ont présenté.
Chaque fois qu'un projet de loi gouvernemental est soumis à notre comité, nous vérifions habituellement que le projet de loi est constitutionnel avant de présenter la version finale de celui-ci. Êtes-vous capable de répondre à cette question?
Marc Chénier, agent principal du Bureau du Conseil privé, conseiller, Réforme démocratique, Bureau du Conseil privé : Monsieur le président, le projet de loi a été présenté au Parlement, et s'il n'avait pas été constitutionnel, le gouvernement ne l'aurait pas présenté.
Le sénateur Baker : Oui. Cela confirme, bien sûr, ce que le ministre a déclaré dans ses remarques préliminaires. Je vais donc essayer d'être plus précis.
La disposition relative aux répondants, la disposition qui a été déclarée inconstitutionnelle dans l'accord avec la Colombie-Britannique, et qui a été mentionnée par le sénateur Moore dans son discours devant le Sénat il y a quelques jours, la constitutionnalité de la disposition relative aux répondants avait été conservée dans le projet de loi original à titre de mécanisme sans faille; il s'agissait en fait de laisser une personne se porter garante d'une autre.
Les changements que vous venez de décrire ne ressemblent pas aux changements dont j'ai pris connaissance dans les médias. Sont-ce les médias qui se trompent ou est-ce le ministre qui se trompe? Pourriez-vous répéter cela? Les changements introduits, pour ce qui est du recours à un répondant, faisaient-ils référence à deux pièces d'identité? Les médias et le ministre, d'après mon souvenir, parlaient d'une pièce d'identité. Pourriez-vous éclaircir cet aspect?
M. Chénier : Pour qu'un électeur puisse faire attester sa résidence par un autre électeur, il devra présenter deux pièces d'identité qui établissent son identité.
Le sénateur Baker : Ensuite, il n'y a pas cela, mais...
M. Chénier : Il doit ensuite prêter serment par écrit au sujet de sa résidence, et un autre électeur du même bureau de vote doit également prêter serment par écrit au sujet de la résidence de l'autre électeur.
Le sénateur Baker : La confusion qui s'est produite entre le fait d'exiger une ou deux pièces d'identité, qui est maintenant ce que prévoit le projet de loi, savez-vous d'où elle vient? Tous les médias canadiens parlaient d'une seule pièce d'identité.
M. Chénier : Je ne suis pas en mesure de vous répondre, sénateur. Le projet de loi exige effectivement que l'électeur présente deux pièces d'identité qui établissent son identité.
Le sénateur Baker : Très bien. Pour ce qui est de l'autre disposition importante — et je ne peux que faire des hypothèses au sujet des amendements qui pourraient être proposés devant notre comité demain. Bien sûr, je ne vais pas essayer de deviner ce que le sénateur Moore va proposer parce qu'il est responsable de ce projet pour ce qui est de l'autre côté du Sénat. Sur la question de la convocation des témoins, cette disposition particulière a-t-elle été modifiée?
M. Chénier : Non. Le projet de loi, tel que présenté, n'accordait pas au commissaire le pouvoir de demander une ordonnance judiciaire pour convoquer des témoins et la Chambre des communes n'a pas amendé ce projet de loi sur ce point.
Le président : Quant à la disposition concernant la carte d'identification de l'électeur, cet article a-t-il été modifié?
M. Chénier : Non, le projet de loi...
Le sénateur Baker : Il a par contre supprimé la carte d'identification de l'électeur.
M. Chénier : Le projet de loi, tel qu'il a été présenté, énonce que la carte d'identification de l'électeur ne constitue pas une pièce d'identité et cela n'a pas été modifié par la Chambre des communes.
Le sénateur Baker : Le quatrième sujet des quatre sujets les plus importants est l'approbation du Conseil du Trésor, cet article. Cela a-t-il été modifié?
M. Chénier : Non, c'est un article qui autorise le directeur général des élections à conclure des contrats de service personnels et le projet de loi énonce qu'il doit obtenir l'approbation du Conseil du Trésor pour ce qui est des honoraires versés, des dépenses remboursées, et cette disposition n'a pas été modifiée par la Chambre des communes.
Le sénateur Baker : Il s'agit donc là de quatre possibilités d'amendements que le comité va sans doute devoir examiner demain.
Permettez-moi de vous poser deux questions corrélatives concernant ce que vous avez déclaré au sujet du rapport du directeur des poursuites pénales. Lorsqu'il présente son rapport annuel, il fait également rapport sur ses activités. La disposition mentionne « les activités du commissaire ». Est-ce bien ce qui a été amendé dans ce projet de loi, les activités? Pouvons-nous en déduire la façon dont les activités du commissaire figureront dans le rapport annuel du directeur des poursuites pénales?
M. Chénier : Le changement que la Chambre des communes a introduit dans cette disposition consiste uniquement à préciser que la partie du rapport annuel du directeur des poursuites pénales qui traite des activités du commissaire est en réalité rédigée et transmise par le commissaire au DPP et le projet de loi énonce qu'il s'agit d'un rapport sur les activités, quelle que puisse être la mission du commissaire, mais ne fournit pas de détails au sujet de la nature d'une enquête.
Le sénateur Baker : Cela dépend donc de la décision du commissaire; c'est ce que le directeur des poursuites pénales présentera.
M. Chénier : C'est exact.
Le sénateur Baker : Dernière question, si vous le permettez, monsieur le président.
Le président : Oui.
Le sénateur Baker : Le projet de loi énonce que les actes criminels ne se prescrivent pas. L'intention doit être prouvée aux termes de la Loi électorale du Canada. Bien entendu, c'est la procédure normale applicable aux actes criminels au Canada. A-t-on modifié la prescription applicable aux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité aux termes de la Loi électorale du Canada?
M. Chénier : Lorsque le projet de loi a été présenté, l'objectif était que les infractions exigeant une intention, qu'il s'agisse d'une infraction punissable par procédure sommaire ou d'un acte criminel, ne se prescrivent pas, mais il y a eu un problème technique dans la façon dont cette disposition a été rédigée. Elle a été corrigée dans le projet de loi, mais uniquement pour préciser que les infractions punissables par procédure sommaire commises avec une intention ne se prescrivaient pas.
Le sénateur Baker : Dites-vous que les infractions punissables par procédure sommaire avec intention ne se prescrivent pas?
M. Chénier : C'est exact.
Le sénateur Baker : Les actes criminels avec intention ne se prescrivent pas. Pour les infractions punissables par procédure sommaire qui n'exigent pas l'intention, la prescription de 10 ans est préservée ou êtes-vous au courant de cela?
M. Chénier : Oui. La disposition fait passer cette période à six ans, je crois. C'est la durée actuelle, et il y a une disposition qui crée une exception lorsque l'auteur de l'infraction est à l'étranger.
Le sénateur Baker : De sorte que la prescription de 10 ans est passée à 6 ans. Voilà qui est intéressant. C'est un changement majeur dans ce projet de loi. Sommes-nous sûrs de cela, monsieur le président?
M. Chénier : La période est de six ans à partir du jour de l'infraction.
Le sénateur Baker : Le moment où le commissaire a appris...
M. Chénier : Non.
Le sénateur Baker : Non, à partir de la perpétration de l'infraction.
M. Chénier : C'est exact. Six ans à partir de la perpétration de l'infraction.
La sénatrice Frum : Puis-je vous poser des questions au sujet des articles qui traitent des tiers étrangers? La loi précise maintenant que les tiers étrangers doivent avoir un lien clair avec le Canada. Nous avons mentionné dans notre étude préalable que c'était une expression difficile à définir. Pensez-vous que la formulation est suffisamment claire? J'aimerais également savoir en quoi cet article diffère de ce qui existe déjà dans la loi électorale?
M. Chénier : La Loi électorale du Canada actuelle ne contient rien au sujet des tiers étrangers. C'est une notion qui a été introduite dans le projet de loi, et sa formulation est en fait très précise. Elle exige, par exemple, que, lorsque le tiers est une personne physique, il doit s'agir d'un citoyen canadien, d'un résident permanent ou d'une personne qui réside au Canada. Il y a des règles précises comme pour les sociétés et les autres personnes morales.
La sénatrice Frum : Vous estimez donc que l'intention à l'origine de cet article ressort clairement de son libellé?
M. Chénier : C'est exact. Il y aura un lien clair avec le Canada, d'une façon ou d'une autre, pour chaque catégorie de tiers.
La sénatrice Frum : Très bien.
Pour revenir à l'identification, parce que c'est évidemment un aspect important de la discussion au sujet de ce projet de loi, estimez-vous que les conditions qui sont prévues par le projet de loi C-23 sont raisonnables dans le sens où les Canadiens pourront exercer le droit de vote que leur garantit la Constitution.
M. Chénier : Les dispositions autorisent les électeurs à voter de trois façons. La première exige qu'ils possèdent une pièce d'identité délivrée par un gouvernement qui contienne leur photographie, leur nom et leur adresse. La deuxième façon consiste à présenter deux pièces d'identité qui ont été autorisées par le directeur général des élections, pourvu que les deux contiennent le nom de l'électeur et qu'une d'entre elles mentionne son adresse. La troisième méthode consiste pour l'électeur à produire deux pièces d'identité qui établissent son nom et à prêter serment par écrit au sujet de sa résidence, pourvu qu'un autre électeur du même bureau de vote atteste également sa résidence en prêtant un serment par écrit. Les électeurs auront donc différentes façons de prouver leur identité et leur résidence avant de voter.
La sénatrice Frum : Pensez-vous que ces conditions sont raisonnables?
M. Chénier : Je crois qu'elles permettront aux citoyens de voter.
La sénatrice Frum : Je vous remercie.
Le sénateur Plett : Puis-je poser une question supplémentaire?
Le président : Oui, allez-y, sénateur Plett.
Le sénateur Plett : Au sujet de la personne qui atteste ou répond d'un électeur, si vous me permettez, avez-vous dit qu'elle doit être de la même association de la circonscription ou simplement...
M. Chénier : Il faut que cette personne relève du même bureau de vote.
Le sénateur Plett : Le bureau de vote.
M. Chénier : C'est exact.
Le sénateur Plett : Merci.
Le sénateur Moore : Je remercie les témoins d'être venus. J'aimerais revenir à la question que le sénateur Baker a posée au sujet des répondants.
Dans l'affaire de la Colombie-Britannique, connaissez-vous celle qu'il a mentionnée?
M. Chénier : L'affaire Henry, je crois?
Le sénateur Moore : Oui. Le gouvernement a demandé à la Cour suprême du Canada d'être entendu. Dans cette affaire, le gouvernement a soutenu, et soutient toujours, que le recours à un répondant est un mécanisme de vote sans faille et qui permet à un maximum de Canadiens d'exercer leur droit de vote. Comment conciliez-vous cet argument avec la disposition du projet de loi C-23 qui traite des répondants?
M. Chénier : Il est exact, qu'aux termes de la loi actuelle, le recours au répondant est un mécanisme sans faille. Encore une fois, j'ai mentionné les deux autres façons qui permettent à l'électeur d'établir son identité en produisant une preuve documentaire. À l'heure actuelle, le recours à un répondant est un mécanisme sans faille. Lorsqu'un électeur ne possède pas une preuve documentaire établissant son identité et sa résidence, un autre électeur peut alors répondre de lui. Je pense que les témoins qui ont comparu devant le comité ont fait état du problème que posait le projet de loi, tel que présenté, aux électeurs, à savoir qu'ils ne seraient pas en mesure d'établir leur résidence parce qu'il existe très peu de pièces d'identité sur lesquelles figure leur adresse. C'est donc le nouveau mécanisme sans faille que propose le projet de loi et comme je l'ai mentionné, il permettra aux gens de voter sans posséder de pièce d'identité établissant leur adresse pourvu qu'un autre électeur soit en mesure d'attester leur résidence.
Le sénateur Moore : Le processus qui fait l'objet d'un appel dans l'affaire Henry ne comportait pas les dispositions actuelles en matière de répondants. Le gouvernement soutient par conséquent que le processus antérieur à 2007 était un mécanisme sans faille. Il ne parle pas de ces dispositions. Ce ne sont pas les faits de cette affaire. C'est la raison pour laquelle je vous pose la question. Comment conciliez-vous cela avec ce qui se trouve au projet de loi?
M. Chénier : Je crois que dans l'affaire Henry, le tribunal examine les dispositions, telles qu'elles étaient formulées à l'époque où la demande a été présentée.
Le sénateur Moore : C'est exact.
M. Chénier : À cette époque, le recours à un répondant était le mécanisme sans faille prévu par la Loi électorale du Canada et ce projet de loi prévoit maintenant un autre mécanisme sans faille qui fera en sorte que les électeurs pourront établir leur résidence sans produire de document établissant leur lieu de résidence.
Mme Kim : La question en litige dans l'affaire Henry portait sur les conditions applicables à l'identification des électeurs. Comme mon collègue l'a fait remarquer, il y a trois possibilités. C'est le régime qui a été examiné par le tribunal, qui a été déclaré constitutionnel par le tribunal de première instance et par la Cour d'appel et la permission d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été demandée. Le projet de loi C-23 apporte quelques modifications à ce régime, mais dans cette affaire, ce n'est pas le recours à un répondant qui était en litige.
La sénatrice Batters : Une bonne partie des changements qui ont été apportés par les amendements de la loi sur l'intégrité des élections découlent des suggestions fort utiles qui ont été adoptées à l'unanimité par le comité qui a effectué un travail particulièrement soigneux et efficace. Pouvez-vous expliquer quels sont les amendements que vous avez décrits aujourd'hui en passant en revue ces 13 ou 14 catégories qui découlaient des recommandations du comité sénatorial? Pourriez-vous nous en dire davantage sur la façon dont les travaux du comité et les auditions nombreuses qu'il a tenues vous ont aidés à mettre en forme cet ensemble de mesures important.
M. Chénier : Monsieur le président, un certain nombre des amendements apportés au projet de loi à la Chambre des communes sont semblables aux recommandations qu'avait formulées le comité. J'ai devant moi votre sixième rapport et le premier élément visait à autoriser expressément les communications entre le commissaire aux élections fédérales et le directeur général des élections. Le projet de loi a été modifié en ce sens.
Numéro 3 : supprimer les dispositions sur les dépenses en période électorale qui autorisent les parties à communiquer avec les personnes les ayant déjà appuyées financièrement sans que cela constitue une dépense électorale. Il y a eu un changement conforme avec cette recommandation.
Il était également recommandé de faire passer à trois ans la durée de conservation obligatoire des scripts et des inscriptions des électeurs par les fournisseurs de services d'appels et la Chambre des communes a adopté un amendement conforme à cette recommandation.
Il y a également un rapport minoritaire.
Mme Kim : La recommandation demandant que soit maintenu l'appui financier au vote étudiant et à d'autres activités d'éducation à l'intention des élèves des écoles primaires et secondaires et ensuite la recommandation concernant le commissaire et le directeur général des élections pour qu'ils puissent communiquer avec le public ont également été adoptées.
M. Chénier : Le rapport minoritaire mentionnait également l'incapacité du commissaire aux élections fédérales de divulguer des informations concernant les enquêtes. Un amendement a été apporté pour autoriser le commissaire aux élections fédérales à divulguer l'information s'il estime qu'il est dans l'intérêt public de le faire.
La sénatrice Batters : Pour ce qui est de la question que le sénateur Baker vous a posée il y a un instant, monsieur Chénier, lorsqu'il parlait des deux pièces d'identité exigées pour établir l'identité d'un électeur, si celui-ci n'a pas d'autre façon d'établir sa résidence, nous avons entendu un témoignage, au cours d'une séance du comité, de M. Lee, je crois que c'est lui, qui nous a décrit tous les types de pièces d'identité existantes, en particulier pour les personnes à faible revenu, le nombre des différentes pièces d'identité exigées pour établir leur droit à bénéficier d'un certain nombre de programmes gouvernementaux, comme l'aide sociale ou l'assurance-emploi, ce genre de choses.
Je tenais à signaler, pour ceux qui nous regardent ou qui vont lire le compte rendu par la suite, que, si cela est exigé, si vous n'avez pas de pièce d'identité établissant votre résidence et que vous devez maintenant produite deux pièces d'identité pour établir votre identité, j'inviterais les gens à relire l'important témoignage de M. Lee qui décrit tous les types de papiers d'identité que les citoyens peuvent utiliser, même s'ils font partie de certains groupes défavorisés.
M. Chénier : Monsieur le président, je pense que le directeur général des élections a dressé la liste des papiers d'identité autorisés pour que certains secteurs de la population qui ont de la difficulté à produire des pièces d'identité puissent le faire. Je crois qu'il a été mentionné que l'on peut utiliser 39 pièces d'identité, et qu'un bon nombre de ces pièces ont été expressément placées sur la liste pour que certains secteurs de la population susceptible d'avoir de la difficulté à établir leur identité, puissent le faire.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir sur la question des répondants pour que tout le monde comprenne bien le processus.
Si j'ai bien compris, cela veut dire que, lorsqu'un électeur arrive dans un bureau de vote et qu'il possède certaines pièces d'identité — disons un passeport. Le passeport ne mentionne pas mon adresse. Aucun passeport ne mentionne l'adresse d'un Canadien, mais bien entendu l'identité de son titulaire est bien établie. Pour qu'elle puisse voter, cette personne doit demander à quelqu'un d'autre de répondre pour elle. Le répondant confirme l'adresse de cette personne.
Supposons que je vis dans un appartement ou ailleurs, une maison ou n'importe quel logement, et que je vis avec un conjoint et un enfant. Je dis un enfant, mais une personne de plus de 18 ans a le droit de voter. Cela veut dire que mon voisin qui figure sur la liste électorale et qui possède une pièce d'identité, devra choisir de quelle personne vivant à cette adresse il peut répondre, même s'il nous connaît tous les trois, parce qu'il se trouve qu'il est le propriétaire, par exemple, qu'il vit au rez-de-chaussée ou à côté de la maison.
Quelle est la logique de la règle voulant qu'il soit possible de répondre d'une seule personne alors que le répondant serait en mesure de témoigner que les trois personnes que je vous donnais comme exemple sont de vraies personnes, sont de vrais électeurs et devraient pouvoir voter?
M. Chénier : Monsieur le président, selon la loi actuelle, un électeur ne peut se porter garant que d'une seule autre personne. Il n'est pas possible de répondre de plus d'une personne selon le projet de loi, tel qu'amendé par la Chambre des communes. Un électeur ne peut attester la résidence que d'un seul électeur. Cette partie de l'équation n'a pas été modifiée.
Le sénateur Joyal : Quelle est la raison d'être de cette règle? Je crois que l'on peut dire que l'exemple que je vous donne est un exemple raisonnable. Ce n'est pas quelque chose, comme nous le disons en français, de tiré par les cheveux. Ce n'est pas une situation tout à fait hypothétique et déraisonnable. Ce pourrait être quelque chose de tout à fait normal dans le cas que je vous ai décrit.
M. Chénier : Je pense que le Parlement a adopté au départ cette disposition parce qu'il voulait réduire les risques de fraude électorale. Lorsque quelqu'un répond d'une autre personne, et qu'elle ne devrait pas le faire, cela réduit le problème à un seul cas, au seul électeur pour lequel un répondant est intervenu.
Le sénateur Joyal : Je sais que la procédure existait auparavant, mais puisque nous essayons de moderniser la loi, il y a d'autres aspects de cette loi qui ont été annulés, comme vous le savez, par un tribunal, et je fais référence à l'affaire Frank c. Canada (Procureur général) en Ontario, qui interdit aux personnes qui vivent à l'extérieur du Canada depuis plus de cinq ans de voter. La décision de la Cour supérieure de l'Ontario — qui est une décision récente, du 2 mai, en fait, il y a presque un mois — se reflète-t-elle dans la proposition que vous formulez selon laquelle il conviendrait de modifier la loi pour donner effet à la décision de la Cour supérieure de justice de l'Ontario de façon à autoriser les personnes qui vivent à l'étranger à voter même si elles ont quitté le Canada depuis plus de cinq ans?
M. Chénier : Le projet de loi ne porte pas sur cette question. Je crois que le gouvernement a déposé un avis d'appel la semaine dernière dans cette affaire, de sorte qu'elle va demeurer devant les tribunaux pendant encore un certain temps.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, dans cette affaire, nous en sommes encore là où nous étions auparavant.
Dans l'affaire dont a parlé mon collègue, le sénateur Moore, celle de la Colombie-Britannique, l'affaire Henry, qui est également une affaire récente — elle a été instituée au début de l'année; c'était à la fin du mois de janvier — est-ce que le gouvernement a également interjeté appel devant la Cour suprême, a-t-il demandé à une des parties d'être entendue par la cour, la BC Civil Liberties Association, ou Mme Henry, si je ne m'abuse et M. Wright, qui sont les demandeurs dans cette affaire?
Mme Kim : Les demandeurs dans cette affaire ont déposé une demande d'autorisation d'appel; étant donné que la validité de la loi a été confirmée, le procureur général n'a pas interjeté appel.
Le sénateur Joyal : Il n'a pas interjeté appel. Bien évidemment, si la demande est accordée, le gouvernement devra se conformer aux principes énoncés.
J'ai lu attentivement la décision de la Cour supérieure de l'Ontario et j'invite mes collègues que cela intéresse à examiner l'article 3 de la Charte, qui est le droit de vote. Je crois que cette décision a bien précisé la portée de l'article 3, un aspect très important, parce que le tribunal a déclaré que la citoyenneté était le critère essentiel qui permettait de voter. Ce n'est pas une question d'identification ou de résidence — même si je suis d'accord avec une condition de résidence —, mais le critère essentiel est la citoyenneté qui relie une personne à un pays. C'est pour l'essentiel le principe qui est en jeu.
Admettez-vous que ce principe précise, en réalité, la portée de toutes les autres conditions que le Parlement peut prévoir pour limiter la fraude, et toutes les autres conséquences que nous ne voulons pas voir se produire de façon à ce que le processus démocratique demeure crédible? Acceptez-vous le principe selon lequel la citoyenneté est l'élément essentiel du droit de vote?
M. Chénier : Monsieur le président, je ne suis pas en mesure de parler de la décision Frank aujourd'hui. Nous sommes ici aujourd'hui pour parler des aspects techniques du projet de loi C-23. Je regrette de ne pas être en mesure de répondre à la question que pose l'honorable sénateur.
Le sénateur Joyal : Je le comprends, mais je pensais que vous auriez pu nous dire comment, d'une façon générale, vous compreniez l'article 3.
M. Chénier : Malheureusement, nous ne représentons pas le ministère de la Justice.
Le sénateur Joyal : Mais vous êtes venu nous expliquer les modifications apportées à la loi.
M. Chénier : C'est exact.
Le sénateur Joyal : Vous comprenez donc probablement cette loi; je l'espère.
M. Chénier : Nous comprenons le projet de loi C-23.
Le sénateur Joyal : Qui traite de l'article 3 de la Charte des droits, qui garantit le droit de vote.
J'aurais une autre question au sujet de la mission du directeur général des élections en matière d'information publique.
Le président : Nous vous redonnerons la parole plus tard.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie tous les deux pour vos exposés. Ma question ne porte pas sur les 14 amendements. Elle concerne l'embauche d'un vérificateur. J'attire votre attention sur les projets d'articles 143 à 149, et 161, 162 et 169, qui concernent la vérification de la conformité à la loi.
Aux termes du projet d'article 164.1 :
[...] le directeur général des élections retient les services d'un vérificateur [...] qu'il charge de vérifier que les scrutateurs, greffiers et agents d'inscription ont exercé leurs pouvoirs conformément à la loi [...] et de faire rapport à ce sujet [...]
Autrement dit, le DGE peut embaucher un expert; il doit toutefois obtenir l'approbation du Conseil du Trésor avant d'embaucher un expert. Je me demandais simplement si la loi s'appliquait à cette situation précise. Je pense que c'est le cas.
Madame Kim, vous êtes peut-être en mesure de répondre. Je pense que c'est le cas, parce que si l'on se reporte au projet de paragraphe 20(1), cette disposition lui attribue des pouvoirs en matière contractuelle, après approbation du Conseil du Trésor.
J'examine le paragraphe 20(1). Il énonce :
Le directeur général des élections peut retenir temporairement les services d'experts ou de spécialistes dont la compétence lui est utile dans l'exercice des attributions que lui confère la présente loi [...] et payer, avec l'approbation du Conseil du Trésor, leur rémunération et leurs frais.
Voici ma question : La loi s'applique-t-elle à ces articles particuliers?
M. Chénier : Le projet d'article 20 s'appliquerait, de sorte que le directeur général des élections retiendrait les services d'un expert ou d'un vérificateur qui posséderait les connaissances spécialisées nécessaires à l'exécution de la vérification. L'obligation que contient le projet d'article 20 concerne l'obtention d'une approbation au sujet des honoraires de la personne embauchée et non pas la conclusion du contrat lui-même. C'est un article que l'on retrouve couramment dans les lois qui concernent des agences comme celle-ci. Cette disposition a principalement pour but de préciser que le DGE a le pouvoir de conclure un contrat de services professionnels, malgré que la Loi sur l'emploi dans la fonction publique exige que les personnes soient embauchées aux termes de cette loi, et l'obligation d'obtenir l'approbation par le Conseil du Trésor de la rémunération a simplement pour but de veiller à ce que cette rémunération corresponde à celle qui est versée dans la fonction publique.
Le sénateur McIntyre : Autrement dit, le DGE peut embaucher un expert, mais il doit à chaque fois obtenir l'approbation du Conseil du Trésor.
M. Chénier : La façon dont le Conseil du Trésor fonctionne, d'après ce que je sais, est qu'il établit des barèmes, de sorte que si les personnes sont embauchées pour offrir un type de services particuliers et que leur rémunération est conforme au barème, alors l'approbation est automatique; on peut donc parler de préautorisation.
De toute façon, je crois que cela n'est pas incompatible avec les autres conditions prévues par la loi. Dans la Loi électorale du Canada, la rémunération versée aux agents électoraux doit être approuvée au préalable par le gouverneur en conseil. Le gouvernement doit donc toujours approuver la rémunération de ces personnes, tout simplement pour veiller à ce qu'elle soit raisonnable et qu'elle soit comparable à celle qui est versée à d'autres.
Le sénateur McIntyre : Une simple question de suivi. Je remarque que le mot « vérification » n'est pas défini dans la loi. Il est toutefois utilisé dans d'autres lois comme pour le financement politique, les rapports d'élection ainsi que pour les vérifications de conformité. Je comprends que la loi veille à assurer la conformité, mais ma question est la suivante : Que veut donc dire le mot « vérifier »? Il existe différentes sortes de vérification. Cela veut-il dire qu'il faut procéder à une vérification dans les 338 circonscriptions électorales? Si c'est le cas, cela coûterait assez cher.
M. Chénier : Il convient d'interpréter cette disposition, comme l'a mentionné l'honorable sénateur, dans le contexte des obligations qu'impose la loi. Dans ce cas-ci, c'est une vérification de la conformité des décisions des agents électoraux aux règles en matière d'inscription et d'identification des électeurs.
Ce n'est pas une disposition qui a surgi de nulle part. Le directeur général des élections a effectivement procédé à une vérification de ce genre au cours des élections générales de 2011; dans ce cas-là, il a décidé d'utiliser un échantillon comprenant différents bureaux de vote et différentes circonscriptions électorales. La personne dont les services ont été retenus pour effectuer la vérification a fait des extrapolations à partir de ces résultats pour déterminer quelle était l'ampleur des irrégularités commises le jour de l'élection. Il est donc raisonnable de penser que le directeur général des élections continuera de procéder comme il l'a fait pour l'élection générale de 2011.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame Kim, monsieur Chénier, merci de votre présence. Je tiens à souligner la qualité de votre présentation, qui m'apparaît très claire en ce qui concerne la majorité des amendements qui ont été apportés à la Chambre des communes.
J'aimerais revenir au point 4 portant sur le mandat du directeur général des élections. En matière d'information et d'éducation du public, on sait que, lorsque le directeur général des élections est venu déposer son mémoire, c'est l'un des points sur lesquels il a été relativement critique. Pouvez-vous nous donner davantage de détails sur ce que le directeur avait comme pouvoir ou comme droit de communiquer avec le public auparavant? Qu'est-ce que le projet de loi actuel lui donnerait comme responsabilité? Ce serait ma première question.
Ma deuxième question : pouvez-vous confirmer au comité quel est le raisonnement derrière cette modification pour limiter, selon le point de vue du directeur général des élections du moins, ses communications avec le public?
M. Chénier : Monsieur le président, l'article 18 actuel de la Loi électorale du Canada prévoit un mandat d'information et d'éducation populaire pour le directeur général des élections. Au paragraphe 1, on prévoit qu'il peut mettre en œuvre des programmes d'information et d'éducation populaires visant à mieux faire connaître le processus électoral à la population, particulièrement aux personnes ou aux groupes de personnes susceptibles d'avoir des difficultés à exercer leur droit démocratique.
Au paragraphe 2, on prévoit qu'il peut utiliser les médias pour communiquer avec le public et qu'il peut donner des renseignements sur le système électoral canadien de même que sur le droit démocratique de voter et de se porter candidat à une élection.
Au paragraphe 3, on prévoit qu'il peut aussi mettre en œuvre des programmes de diffusion de l'information à l'étranger portant sur la façon de voter dans le cadre de l'article 11.
Le projet de loi contient des dispositions, premièrement, pour cibler le pouvoir du DGE de communiquer des renseignements au public; ainsi, on prévoit qu'il peut faire de la publicité pour informer les électeurs sur leur droit démocratique. Cependant, lorsqu'il le fait, la communication doit porter sur la façon de devenir candidat et sur le où, le quand et le comment voter, ainsi que sur les outils qui sont disponibles pour permettre aux personnes ayant des handicaps d'exercer leur droit de vote.
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous diriez que le projet de loi vient encadrer une responsabilité ou une activité qui n'était pas encadrée auparavant, dans le sens que sa possibilité était assez illimitée et qu'il pouvait faire à peu près n'importe quoi? Ainsi, le projet de loi actuel vient baliser ses fonctions dans le domaine de la communication avec le public.
M. Chénier : Dans le cas de la publicité, c'est effectivement le cas; on lui donne un mandat de communication qui est très spécifique. Je crois que le ministre indiquait que c'est en réaction à des sondages qui ont eu lieu, où les électeurs, y compris les électeurs de moins de 24 ans, indiquaient qu'ils n'avaient pas voté parce qu'ils n'avaient pas reçu l'information sur le où, le quand et le comment voter.
Le sénateur Rivest : Est-ce qu'il y avait des abus de la part du directeur général des élections de divulguer de l'information qui n'était pas pertinente?
M. Chénier : Je ne pense pas qu'il y ait eu des abus. C'est simplement une réaction au fait qu'il y a eu des indications selon lesquelles les électeurs n'avaient pas les renseignements dont ils avaient besoin pour exercer leur droit de vote. On cible donc son mandat pour veiller à ce qu'ils obtiennent ces renseignements.
[Traduction]
Le sénateur Plett : J'ai une brève question qui touche encore les répondants. Bien évidemment, le principal argument ou la principale critique que fait l'opposition à l'égard de ce projet de loi concerne l'utilisation des répondants parce qu'ils craignent que cinq ou six Canadiens ne pourront voter à cause de ce projet de loi.
Lorsque le ministre a comparu, les membres de l'opposition ont présenté toutes sortes de situations dans lesquelles des citoyens ne pourraient pas voter et le ministre a en fait présenté de bons arguments et montré que toutes ces personnes pourraient en fait voter.
Maintenant que nous avons encore amélioré les choses et créé une situation où une personne peut en répondre d'une autre, pensez-vous que tous les Canadiens seront désormais en mesure de voter s'ils font l'effort de se rendre dans un bureau de vote et de demander à une personne de répondre d'eux, pourvu qu'ils aient les papiers d'identité nécessaires pour être en mesure de déposer leur bulletin?
M. Chénier : Je pense que, premièrement, la loi, comme nous le disions il y a un instant, recentre la mission du directeur général des élections en matière d'éducation pour que les électeurs disposent des renseignements dont ils ont besoin pour pouvoir voter. Une partie de l'obligation imposée au directeur général des élections consiste à faire de la publicité au sujet des documents à posséder pour pouvoir voter, au sujet des pièces d'identité exigées. Cette information sera diffusée avant le jour du vote et les gens qui veulent voter pourront prendre les mesures nécessaires pour se procurer ces documents avant le jour du vote.
Le sénateur Plett : Je vous remercie.
Le président : Bien répondu, monsieur Chénier.
Nous allons passer à notre deuxième tour de questions et commencer avec le vice-président, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Le sénateur Moore pourrait peut-être aborder la question principale. La position du gouvernement du Canada le préoccupe.
Le sénateur Moore : Oui.
Le sénateur Baker : En passant, je signale que le 15 mai, la Cour suprême a autorisé l'appel. La permission a été demandée le 1er avril, et le 15 mai, la permission a été accordée par la Cour suprême du Canada pour que l'appel soit entendu par elle.
Le sénateur Moore va présenter la phrase qui décrit la position du Canada.
Le sénateur Moore : Vous pouvez la lire.
Le sénateur Baker : Le Canada soutient qu'en l'absence de pièce d'identité, le recours au répondant est un mécanisme sans faille qui confirme la validité de la législation. Et bien entendu, nous avons maintenant une nouvelle loi. Je vais toutefois en rester là. Ce sera aux avocats de trouver une solution à ce problème. C'est bien sûr un problème très grave.
C'est le changement apporté aux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité qui me préoccupe. Vous avez dit que cela avait été modifié et que la nouvelle règle parle de six ans. Auparavant, il y avait une période de dix ans après la perpétration de l'infraction, mais cinq ans après que le commissaire prenne connaissance de l'infraction. Dites-vous qu'avec le projet de loi cette période sera seulement de six ans après l'événement?
M. Chénier : C'est exact.
Le sénateur Baker : Il y a quelque chose comme le Code criminel qui dit que l'accusation doit être portée dans les six mois de la perpétration de l'infraction. En droit administratif et en droit réglementaire, cela soulève un problème parce que la vérification des registres d'une élection prend beaucoup de temps et c'est pourquoi on avait parlé au départ d'une période de dix ans, l'argument étant que le directeur général des élections avait besoin de dix ans parce qu'il lui fallait parfois quatre, cinq ou six ans pour s'apercevoir qu'une erreur avait été commise. C'est le témoignage qui a été livré devant le comité. Je me suis opposé à cette disposition à l'époque parce qu'elle me paraissait extraordinaire. Aucune autre loi canadienne ne prévoyait une période de dix ans. Dans la Loi sur la protection de l'environnement, oui, on parle de deux ans et dans la Loi sur les pêches, c'est deux ans, mais ces délais ont été choisis pour les raisons qui ont été exposées, ils accordent un certain délai pour faire enquête.
Nous pourrions donc en arriver à une situation où le commissaire découvre qu'une erreur a été commise il y a cinq ans et 364 jours après l'élection et où il porterait alors des accusations contre la personne parce que cela est à l'intérieur du délai de six ans; la personne en question n'en aurait pas eu connaissance. Cela me préoccupe et je me pose la question suivante : existe-t-il d'autres documents qui expliquent ce changement particulier?
Je sais que les dossiers des sociétés d'appels automatisés peuvent être conservés pendant trois ans aux termes des modifications — n'est-ce pas le cas — dans le projet de loi, mais des accusations peuvent désormais être portées six ans après la perpétration de l'infraction. La même loi dit toutefois qu'il est possible de détruire les preuves après trois ans.
Voulez-vous faire des commentaires sur ce point ou est-ce que cela n'entre pas dans le cadre de vos sujets de commentaire?
Le sénateur Moore : Il est avocat.
M. Chénier : Juste une petite correction.
Le sénateur Baker : D'accord.
M. Chénier : Il n'y avait pas de prescription de 10 ans. Ce délai a été introduit dans la Loi fédérale sur la responsabilité de 2006. Ce n'était pas une recommandation émanant du directeur général des élections. C'était une initiative gouvernementale qui avait été prise dans le cadre de la Loi fédérale sur la responsabilité.
Le sénateur Baker : C'est exact. Cela se trouvait dans la Loi sur la responsabilité, mais c'était sur sa recommandation.
M. Chénier : Non, ce n'était pas la recommandation du directeur général des élections.
Le sénateur Baker : Eh bien, c'est moi qui l'ai contre-interrogé, mais quoi qu'il en soit, c'est vous le témoin. Allez-y.
M. Chénier : Pour ce qui est des infractions qui seraient désormais visées par une prescription de six ans, il faut savoir que ce sont toutes des infractions de responsabilité stricte; ce sont donc des infractions de nature réglementaire et c'est pourquoi le gouvernement estime qu'une période de six ans est suffisante pour que l'on puisse poursuivre efficacement ceux qui commettent des infractions finalement relativement mineures.
Le sénateur Baker : Oui.
M. Chénier : Pour ce qui est de la période de conservation des messages et des enregistrements, on peut prévoir qu'une telle enquête serait déclenchée peu après une élection, de sorte qu'une fois une enquête déclenchée, on peut penser que le commissaire serait en mesure d'obtenir les documents dont il a besoin auprès des fournisseurs de services. Je ne prévois pas que cela pose un problème pour ce qui est...
Le sénateur Baker : Autrement dit, il pourra obtenir les preuves avant l'expiration de la période de trois ans, c'est bien ce que vous soutenez?
M. Chénier : C'est exact.
Le sénateur Baker : Il aurait ensuite six ans pour porter des accusations, est-ce bien cela?
M. Chénier : C'est exact.
Le sénateur Baker : Oui. Quelqu'un a-t-il proposé de faire passer de trois à six ans cette période pour se conformer aux infractions de responsabilité stricte puisqu'il s'agit d'infractions, comme l'excès de vitesse, qui dépendent uniquement des faits? A-t-il été envisagé, à votre connaissance, de demander aux sociétés qui font des appels automatisés de conserver les preuves pendant six ans puisque maintenant la période est passée à six ans après l'infraction dans le cas des infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité?
M. Chénier : La Chambre des communes a choisi trois ans et je note que le comité a également recommandé que cette période soit de trois ans; je pense donc qu'il y avait un consensus sur l'idée qu'une période de trois ans était suffisante.
Le sénateur Moore : Je ne comprends pas la réponse que vous avez donnée à la question sur l'affaire Henry, parce que, dans cette affaire, le Canada a déclaré que les pièces d'identité n'étaient pas nécessaires, que le recours à un répondant était autorisé et que c'était là un mécanisme sans faille, de sorte que je ne comprends pas comment on peut dire aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Je ne comprends pas.
En outre, pour ce qui est de la question que le sénateur Joyal a posée à ce sujet, aux termes de l'article 3 de la Charte, tout citoyen a le droit de voter. À propos de l'exemple qu'il a proposé, celui d'une personne qui vit en face d'un appartement où vivent ces trois personnes, qui viennent voter, et où la personne qui vit en face de leur appartement peut uniquement répondre d'une personne, alors qu'il connaît les trois autres, ne pensez-vous pas que cela soit un peu déraisonnable et risque d'ouvrir la porte à une contestation fondée sur la Charte? Il est déraisonnable de penser que le voisin qui habite l'appartement d'en face connaît bien les trois personnes en question, mais il ne peut être leur répondant. Où est le caractère raisonnable de la chose? En quoi cela respecte-t-il la Charte?
M. Chénier : Monsieur le président, l'interdiction de se porter répondant de plus d'un électeur était une des dispositions contestées dans l'affaire Henry, et tant le juge de première instance que la Cour d'appel ont déclaré que c'était là une limite raisonnable apportée au droit de vote.
Pour ce qui est de la nature sans faille du nouveau processus d'attestation, je crois que l'immense majorité des témoins qui ont comparu devant le comité estimaient que le véritable problème que posait l'établissement de l'identité et de la résidence à l'aide d'un document portait sur le volet résidence parce qu'il y a très peu de pièces d'identité sur lesquelles figure l'adresse de son titulaire. Le gouvernement a répondu à cette préoccupation en autorisant l'électeur à faire attester son adresse par un autre électeur.
Le sénateur Joyal : Le tribunal qui s'est prononcé dans l'affaire Henry n'a pas exactement déclaré ce que vous avez dit. Je suis désolé d'avoir à apporter cette distinction. Le tribunal n'a pas déclaré qu'une disposition prévoyant qu'un électeur peut uniquement répondre d'une autre personne était constitutionnelle. La cour a déclaré très clairement que le système des répondants était approprié et que c'était une façon de répondre aux conditions de résidence et d'identité. Il n'a pas déclaré que l'article 3 avait un effet restrictif et permettait uniquement à une personne de répondre d'une autre. Ce n'est pas ce que le tribunal a déclaré. Je suis désolé de ne pas être de votre avis.
M. Chénier : J'estime que la disposition qui permet à un répondant de se porter garant d'un seul électeur était une des dispositions contestées et le tribunal ne l'a pas invalidée; j'en conclus donc personnellement qu'il a estimé qu'elle était constitutionnelle.
Le sénateur Joyal : Cela va faire l'objet d'un débat judiciaire, comme vous le savez. L'autre aspect concerne la façon dont le directeur général des élections peut faire de la publicité et je vais vous lire votre texte : « Pour mieux informer les électeurs au sujet de l'exercice de leurs droits démocratiques ». C'est une expression assez générale. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le sens que nous devrions attribuer à l'expression « l'exercice de leurs droits démocratiques »?
M. Chénier : Oui. Lorsqu'il fait de la publicité au sujet de l'exercice des droits démocratiques, la nouvelle disposition limite les messages qu'il peut transmettre à ceux qui sont énumérés dans cette disposition, à savoir la façon de se porter candidat, comment, quand et où voter et les outils offerts aux électeurs handicapés.
Le sénateur Joyal : Dois-je comprendre que cela veut dire qu'il pourrait diffuser la liste des documents qu'un électeur est invité à produire pour s'identifier?
M. Chénier : C'est une des choses qui était énumérée parmi celles qu'il peut diffuser.
Le sénateur Joyal : Mais rien d'autre?
M. Chénier : Cette disposition limite sa capacité de communiquer au public les façons d'exercer ces droits démocratiques; il peut uniquement parler des éléments énumérés dans la disposition.
Le sénateur Joyal : Merci.
Le président : Merci, madame Kim et monsieur Chénier. Je pense que nous vous reverrons également demain.
Comme je l'ai expliqué plus tôt, M. Rowland n'a pu venir et comparaîtra demain. M. Colin Bennett comparaît par vidéoconférence. M. Bennett est professeur à la faculté des sciences politiques de l'Université de Victoria.
Bienvenue, monsieur, voulez-vous faire une déclaration préliminaire?
Colin Bennett, professeur, faculté des sciences politiques, Université de Victoria, à titre personnel : Oui.
Bonjour et merci de m'avoir invité. J'enseigne les sciences politiques à l'Université de Victoria; toutefois, je ne comparais pas comme un spécialiste des élections et du droit électoral, mais comme une personne qui a étudié la protection des renseignements personnels pendant près de 30 ans, tant au Canada qu'au niveau international. Le rapport sur les partis politiques et sur la protection des renseignements personnels que j'ai préparé récemment pour le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada touche directement ce sujet.
J'aimerais parler aujourd'hui de certaines répercussions du projet de loi C-23 sur la vie privée. Je pense que les effets cumulatifs et peut-être involontaires de ce projet de loi donneront aux représentants des partis un accès plus large qu'auparavant aux renseignements personnels des électeurs. Je ne pense pas que cet aspect du projet de loi ait attiré suffisamment l'attention. Il y a également lieu d'examiner les risques qu'il pose pour la vie privée dans le contexte des grandes tendances en matière de surveillance exercée sur les électeurs au Canada et à l'étranger.
Il y a deux dispositions du projet de loi C-23 qui me préoccupent. La première concerne ce que l'on appelle couramment les cartes de bingo. La loi propose que soit préparée toutes les 30 minutes une liste des personnes ayant voté, que ces listes soient remises à un représentant du candidat le jour de l'élection et que ces résumés soient transmis aux partis après le jour de l'élection.
Avec cette nouvelle disposition, les parties seront en mesure d'obtenir de façon méthodique des renseignements indiquant, parmi les électeurs inscrits, ceux qui ont voté et ceux qui ne l'ont pas fait. Comme le DGE l'a déclaré :
La collecte de renseignements personnels fondamentaux indiquant si une personne a voté ou non va bien au-delà du but opérationnel concernant le vote le jour du scrutin. Les renseignements concernant les personnes qui ont voté ne devraient pas être transmis aux partis au-delà des renseignements qu'ils possèdent déjà.
Il recommandait la suppression de cette disposition et je souscris à sa recommandation.
Deuxièmement, le projet de loi énonce, dans le contexte des nouvelles règles au sujet de l'identification des électeurs, qu'un candidat ou son représentant peut examiner, mais non manipuler, toute pièce d'identité présentée aux termes de l'article pertinent.
Cela ne plaira certainement pas à certains électeurs, en particulier si l'agent électoral d'un parti que l'électeur n'appuie pas examine un des documents d'identité autorisés, dont certains contiennent parfois des renseignements personnels très sensibles.
L'opposition a présenté des amendements à la Chambre pour prévoir ce qui suit :
Il est précisé que l'électeur qui refuse de laisser un candidat ou son représentant examiner la pièce d'identité qu'il présente ne l'empêche pas d'exercer son droit de vote.
Je suis en faveur d'amendements en ce sens.
En conclusion, sénateurs, j'aimerais toutefois souligner un problème plus large. Ces dispositions prêteraient moins à la controverse si au Canada, les partis politiques devaient respecter les lois canadiennes relatives à la protection de la vie privée, ce qui n'est pas le cas. Les partis ne sont pratiquement pas réglementés par la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDE, ni par les lois provinciales pratiquement semblables, à l'exception de celle de la C.-B. Ce ne sont pas des agences gouvernementales, de sorte que les partis ne sont pas visés par la Loi sur la protection des renseignements personnels; ils sont pour la plupart soustraient à la nouvelle législation antipourriel qui entre en vigueur en juillet, ainsi qu'au règlement sur le refus des appels téléphoniques administré par le CRTC.
Ainsi, dans l'ensemble, les individus n'ont pas le droit de savoir quels sont les renseignements à leur sujet que contiennent les bases de données des parties; ils n'ont pas le droit d'avoir accès à ces données ni de les corriger, de supprimer leurs données des systèmes, de limiter la collecte, l'utilisation et la divulgation de leurs données personnelles. D'une façon générale, les partis ne sont pas légalement tenus d'assurer la sécurité de ces renseignements, de les conserver que pour la durée nécessaire et d'exercer un contrôle sur les personnes qui y ont accès.
Nous savons que les partis canadiens utilisent des bases de données de gestion des électeurs qui sont très importantes et j'en dis davantage à ce sujet dans mon rapport. Ces bases de données sont établies à partir de la liste des électeurs fournie aux termes de la loi électorale. Ils ajoutent alors de très nombreuses données personnelles provenant de sondages téléphoniques, des méthodes traditionnelles de sollicitation, des pétitions, des bases de données de commercialisation que l'on peut acheter, des réseaux sociaux et le reste. Il est également possible qu'un nombre fluctuant d'employés et de bénévoles de formations très diverses aient accès à ces données, alors que ces personnes n'ont reçu aucune formation en matière de respect de la vie privée ou de sécurité.
Le DGE a reconnu l'existence de ce problème plus vaste, et dans son rapport de mars 2013 sur les questions soulevées par l'usage irrégulier des télécommunications avec les électeurs, il proposait que les grands principes de la LPRPDE en matière de protection de la vie privée soient appliqués aux partis politiques, en exigeant l'obtention d'un certificat de respect de la vie privée pour pouvoir continuer à recevoir les listes d'électeurs d'Élections Canada.
Je note que, dans ses recommandations initiales au sujet du projet de loi C-23, le DGE suggérait que le projet de loi comprenne une disposition qui étendrait les principes généralement acceptés en matière de protection de la vie privée aux entités politiques et exigerait que les partis soient guidés par la prudence lorsqu'ils diffusent des renseignements personnels contenus dans leurs bases de données. Cette même exigence a été présentée à titre d'amendement au projet de loi C-23 devant le comité de la Chambre le 14 avril. L'amendement déclarait également que le DGE aurait le pouvoir de refuser à un parti politique les renseignements contenus dans les listes si le parti ne pouvait démontrer qu'il se conformait aux principes du respect de la vie privée.
Au nom du gouvernement, M. Lukiwski a répondu que l'amendement serait rejeté parce que le DGE avait déjà mentionné qu'il consulterait le nouveau Comité consultatif des partis politiques sur ces questions de vie privée. Le gouvernement estime qu'une approche consultative est préférable à une mesure législative qui serait prématurée. On peut penser que cette approche est raisonnable, mais il est important de veiller à ce que des consultations soient effectivement tenues à ce sujet.
Pour terminer, j'invite le comité à se pencher sur les répercussions du projet de loi C-23 sur le respect de la vie privée et demande instamment au directeur général des élections ainsi qu'aux partis politiques d'entamer des consultations en vue d'élaborer un ensemble de normes en matière de vie privée, de saines pratiques de gestion des renseignements personnels, normes que tous les partis politiques devraient respecter. D'autres organismes tant privés que publics doivent rendre des comptes au sujet du traitement des données personnelles et il n'y a pas de raison pour qu'il en soit différemment pour les partis politiques. En dernière analyse, il ne s'agit pas là de simples questions de protection de la vie privée. L'absence de volonté d'assurer la protection des renseignements personnels risque de saper la confiance des Canadiens dans les partis politiques et dans notre système démocratique.
Sénateurs, je vous remercie.
Le sénateur Baker : Monsieur, merci pour votre exposé. Vous avez présenté des remarques très intéressantes au sujet de la vie privée. Votre principale recommandation est que les partis politiques soient, aux termes de la Loi électorale du Canada, assujettis à la LPRPDE. Vous avez mentionné certains changements qui ont été faits, certains amendements qui ont été apportés par la Chambre des communes auxquels vous souscrivez, et vous les avez expliqués.
Au-delà de la LPRPDE et de la question de la vie privée, y a-t-il d'autres amendements que le ministre aurait pu apporter, ou que la Chambre des communes ou le Sénat aurait pu proposer? Y a-t-il d'autres aspects de la version finale de ce projet de loi qui vous préoccupent?
M. Bennett : J'aimerais redire que je ne suis pas vraiment un spécialiste du droit électoral général, ni des autres questions que vous avez abordées avec d'autres témoins; j'aimerais toutefois préciser quelque chose au sujet des principes de respect de la vie privée de la LPRPDE.
Lorsque le DGE faisait enquête sur ce qui a été appelé depuis « le scandale des appels automatisés », il est apparu clairement que tout cela avait des répercussions beaucoup plus vastes et qu'il était nécessaire de commencer à réfléchir sur la façon dont on pourrait demander aux partis politiques de rendre des comptes au sujet des renseignements personnels qu'ils utilisent, et, comme je l'ai dit, ils les utilisent énormément. Il y a là un dilemme. Les partis politiques sont une drôle de sorte d'organisme. Ils ne rentrent pas dans les catégories habituelles. Ce ne sont pas des organismes commerciaux. Ce ne sont pas des organismes gouvernementaux. C'est pourquoi il serait peut-être bon, à titre de mesure provisoire, de commencer à négocier un code de pratique qui serait fondé sur les principes de la LPRPDE, et je pense que le nouveau comité consultatif des partis politiques serait l'instance appropriée pour le faire.
Le gouvernement estime — et je le comprends tout à fait — que, compte tenu de la complexité de ce projet de loi, il n'est pas souhaitable d'ajouter davantage de principes relatifs à la vie privée et de compliquer une loi déjà complexe. Le DGE espère néanmoins, je crois, que le débat général qui entoure la Loi électorale du Canada et le projet de loi C-23 permettra de porter la question de la vie privée à l'attention de la Chambre, du Sénat et de la population; il sera alors possible d'utiliser ce processus comme un aiguillon pour amener les partis politiques à participer à un processus consultatif et à commencer à réfléchir sérieusement aux questions de vie privée.
J'espère que cela répond à votre question.
Le sénateur Baker : Oui. Le grand problème, monsieur, est d'arriver à convaincre les partis politiques qui sont représentés à la Chambre des communes de la sagesse de vos commentaires. Nous avons reçu, il n'y a pas très longtemps, un projet de loi qui reflétait un accord entre tous les partis qui aurait permis de leur communiquer les dates de naissance de tous les électeurs canadiens. Un parti politique aurait ainsi pu communiquer les renseignements obtenus auprès du Bureau du directeur général des élections à ses représentants dans les circonscriptions.
M. Bennett : Oui.
Le sénateur Baker : Le Sénat a dû prendre une mesure extraordinaire; il a amendé le projet de loi pour supprimer la date de naissance des électeurs pour les raisons que vous avez mentionnées il y a un instant. Convaincre les politiciens de renoncer à avoir accès à tous les renseignements personnels possibles pour qu'ils puissent identifier les électeurs de leurs circonscriptions est une entreprise très difficile; c'est une lutte incessante. Il est très difficile pour le Sénat ou pour vous ou pour n'importe qui de les convaincre de se conformer à la LPRPDE ou à une autre loi relative à la vie privée. Je pense que vous le comprenez très bien.
M. Bennett : Effectivement, mais je peux dire certaines choses. Premièrement, les partis politiques ont déjà élaboré certaines politiques relatives à la protection de la vie privée et ce, de façon bénévole, en particulier pour ce qui est de leurs activités en ligne.
Le sénateur Baker : Oui.
M. Bennett : De sorte que, dans une certaine mesure, ils ont déjà pris quelques engagements. Deuxièmement, un certain nombre de plaintes et de cas concernant la collecte et le traitement inappropriés de données personnelles par les partis politiques ont déjà été portés à l'attention du commissaire à la protection de la vie privée. Nous en faisons état dans notre rapport et une de nos grandes préoccupations est le risque de fuite de données. Au Canada, tous les organismes ont connu ce genre de problèmes et il est difficile d'imaginer que les partis politiques soient immunisés contre ce problème.
Troisièmement, une bonne partie des dispositions de la LPRPDE qui touchent les principes applicables en matière de respect de la vie privée sont en fait non controversées parce qu'ils ne font que refléter le sens commun. Ces principes prévoient des mesures que n'importe quelle organisation voudrait adopter pour obtenir la confiance des électeurs.
Je prends note de votre remarque au sujet de la législation et en outre, il est très difficile de savoir, compte tenu du climat actuel, comment l'on pourrait modifier la LPRPDE ou la Loi sur la protection de la vie privée sur ce point. C'est la raison pour laquelle le DGE et d'autres estiment qu'il s'agit là d'une mesure provisoire, qui est d'essayer de négocier une norme commune que les partis pourraient accepter, si vous voulez, de façon volontaire; ils seraient ainsi un peu plus transparents au sujet de ce qu'ils font avec les données personnelles des citoyens.
Comme vous le savez, les questions de vie privée et de surveillance font la une tous les jours. Je dirais qu'à mesure que se développent les nouvelles technologies, la question du traitement des données relatives aux électeurs ne pourra que prendre de l'importance et attirer l'attention de la population.
La sénatrice Frum : Je voulais vous poser une question au sujet des commentaires reliés aux questions de la vie privée dus au fait que les agents électoraux pourraient examiner les pièces d'identité personnelles. Par définition, une pièce d'identité a la vocation d'être publique. Elle a une utilité.
M. Bennett : Oui.
La sénatrice Frum : J'imagine que vous faites référence au cas où une personne apporterait, disons, un relevé de banque qu'elle a reçu par la poste et où ce document serait un document sensible. Rien n'empêcherait toutefois l'électeur dans un tel cas de caviarder les chiffres ou de plier la partie identité du relevé d'une certaine façon. Tout ce que l'agent électoral a besoin de voir, c'est le logo de la banque, le nom et l'adresse. Tout le reste pourrait être plié pour respecter la vie privée.
Je me demande s'il s'agit bien là d'un problème réel.
M. Bennett : Je comprends votre remarque. Je dirais que certains électeurs seraient assez habiles pour agir ainsi et d'autres non.
C'est une préoccupation et ce serait très grave si nous en arrivions à un point où l'électeur dirait : « Je ne vais pas vous fournir des données aussi sensibles et par conséquent, je n'irais pas voter. »
Par contre, et cela est une remarque de nature plus vaste, le fait que les agents électoraux des partis examinent des renseignements sensibles m'inquiéterait beaucoup moins si je savais que tous ceux qui travaillent pour les partis politiques ont reçu une formation en matière de vie privée et de sécurité; mais étant donné qu'ils ne sont pas assujettis aux lois relatives à la vie privée et qu'ils ne sont pas obligés de mettre sur pied le genre de programmes de protection de la vie privée que d'autres organisations sont obligées de mettre sur pied, alors je pense que cette formation n'est pas donnée.
La sénatrice Frum : Vous avez mentionné que les partis politiques n'étaient pas tenus de se conformer aux dispositions antipourriels ni au règlement relatif au refus d'appels téléphoniques.
M. Bennett : Oui.
La sénatrice Frum : Pensez-vous que ce soit inapproprié?
M. Bennett : Oui. Permettez-moi de préciser quelque chose au sujet de la règle relative au refus d'appels. En théorie, les partis politiques doivent dresser des listes internes de refus d'appels téléphoniques. Ils sont soustraits à la réglementation du CRTC dans la plupart des domaines, mais ils sont tenus d'élaborer leurs propres listes, de sorte que, si un électeur leur dit « Je ne veux pas que vous m'appeliez », ils ne l'appelleront pas.
Cela soulève toutefois un certain nombre de difficultés. Ils ne font pas d'efforts pour indiquer à la population qu'il est possible de refuser ces appels. Par exemple, on ne voit pas sur les principaux sites web des principaux partis politiques un avertissement mentionnant : « Si vous ne voulez pas que nous vous appelions, inscrivez ici votre nom et votre adresse. » Cela soulève également quelques difficultés lorsqu'il y a dans la même famille des personnes qui sont membres de différents partis politiques. Un membre de la famille pourrait être heureux de recevoir un appel des conservateurs et un autre ne serait pas du même avis.
Je reconnais qu'effectivement cela pose des problèmes de mise en œuvre, mais c'est quand même un peu dans l'intérêt des partis politiques de ne pas harceler les personnes qui ne veulent pas recevoir d'appels téléphoniques ou de courriels comme ceux qu'elles vont certainement recevoir au cours des prochaines élections.
La sénatrice Frum : Cette dernière remarque est tout à fait juste. Rien n'est plus important pour les partis politiques que de faire plaisir à leurs membres.
M. Bennett : Oui.
La sénatrice Frum : Il y a aussi le fait qu'il est essentiel de défendre un dialogue démocratique.
M. Bennett : Exactement, et c'est une remarque que je veux faire. Les partis politiques jouent un rôle crucial dans notre processus démocratique. Ils ont le droit d'utiliser les données personnelles pour inciter la population à voter et diffuser leur message. Il y a lieu d'instaurer un équilibre très intéressant et très délicat dans ce domaine.
Il faut concilier l'intérêt public qui vise à favoriser la participation de la population et le respect de la vie privée; cette conciliation est très différente de l'équilibre qu'il faut instaurer entre la vie privée et les cas dont vous parliez qui concernent une banque ou une société de télémarketing ou un gouvernement ou autre chose.
C'est un débat que nous devons avoir. C'est la raison pour laquelle j'estime que si le comité consultatif des partis politiques pouvait démarrer le débat et réunir des représentants des partis politiques accompagnés d'experts, nous pourrions trouver des façons d'introduire dans le domaine politique les grands principes fondamentaux de la LPRPDE.
Comme je l'ai dit, nous avons des discussions à ce sujet dans le contexte d'Élections Canada. Je ne pense pas que cela soit une question très controversée, mais il s'agit d'amener les représentants des partis politiques à s'intéresser à ce problème et je ne pense pas que ce soit vraiment le cas actuellement.
La sénatrice Frum : Je comprends votre remarque. Je vous remercie.
Le sénateur Moore : Merci, monsieur, d'être venu.
J'aimerais vous demander d'en dire davantage sur le deuxième élément, qui se trouve en bas de la page 1, et qui m'amène à la page 2, au sujet des nouvelles règles concernant les papiers d'identité :
Un candidat ou son représentant peut examiner, mais sans la manipuler, une pièce d'identité présentée aux termes du présent article.
J'aurais pensé que c'était là le rôle du scrutateur. Ne serait-ce pas en fait à lui de décider si la pièce d'identité est valide?
M. Bennett : J'en conviens. C'est parce que, lorsque j'ai lu le projet de loi, j'ai compris qu'il autorisait également des candidats et leurs représentants à examiner ces pièces d'identité. Je cite quelques dispositions : les articles 54 et 161 du projet de loi. Je pense qu'il y en a d'autres qui contiennent également cette disposition.
Je ne vois pas très bien le but de cette disposition. Je conviens avec vous qu'il me semble tout à fait approprié de confier au directeur du scrutin le soin de décider de la validité d'une pièce d'identité, mais je peux concevoir que cette disposition, dans le cas où un représentant d'un parti politique insisterait pour examiner la pièce d'identité, puisse irriter certains électeurs. Le directeur général des élections a fait la même remarque dans les recommandations initiales qu'il a présentées au sujet du projet de loi.
Le sénateur Moore : Cela pourrait effectivement irriter un électeur. Cela va également ralentir le processus électoral.
M. Bennett : Oui.
Le sénateur Moore : Que se passerait-il si le candidat ou son représentant n'aimait pas le document? Que se passerait-il alors? Allons-nous connaître un match nul dans le bureau de vote? Que se passerait-il?
M. Bennett : Sénateur, c'est une excellente question, je n'en sais rien. J'y ai pensé moi-même.
Le sénateur Moore : Pourquoi cette disposition figure-t-elle ici? Il est possible que nous obtenions deux opinions divergentes.
M. Bennett : Peut-être plus, s'il y a plus d'un parti qui a un représentant dans les bureaux de vote.
Le sénateur Moore : Exactement.
M. Bennett : C'est la raison pour laquelle j'attire votre attention là-dessus. Je ne comprends pas l'utilité de cette disposition et je pense qu'elle comporte davantage d'inconvénients que d'avantages.
Le sénateur Moore : Je ne savais pas que les partis politiques n'étaient pas tenus de respecter le règlement relatif au refus d'appels téléphoniques jusqu'à ce que je le lise aujourd'hui. Je pensais qu'ils y étaient assujettis.
M. Bennett : Permettez-moi de préciser certaines choses. Ils sont assujettis à certains règlements relatifs au refus d'appels. C'est une question très compliquée et nous sortons un peu du sujet. S'ils utilisent une entreprise de sondage, par exemple, les partis doivent déclarer qui ils sont, préciser les règles au sujet de l'identification et le reste.
Ce n'est pas la liste des refus d'appels qui fait problème ici. Ils ne sont pas légalement tenus d'examiner la liste des refus d'appels administrée par le CRTC et de ne pas appeler la personne qui y figure comme le serait une entreprise de marketing direct. En théorie, les partis politiques doivent élaborer des listes internes, l'argument étant que les partis politiques sont quelque peu différents des entreprises de marketing direct et que le télémarketing, et le publipostage direct, notamment, qu'utilisent les partis politiques sont davantage justifiés que les messages commerciaux que nous recevons.
Je n'ai pas tous les détails avec moi, mais ces aspects sont expliqués de façon plus détaillée dans le rapport que j'ai présenté au commissaire à la protection de la vie privée, sénateur.
La sénatrice Batters : Je vous remercie, monsieur.
Premièrement, j'aimerais revenir sur le commentaire que vous avez fait dans votre déclaration préliminaire au sujet de la disposition qui vous inquiète, celle qui permet de remettre aux représentants des candidats la liste des électeurs ayant voté.
M. Bennett : Oui.
La sénatrice Batters : Je suis certaine que vous savez qu'Élections Canada remet déjà aux partis la liste des électeurs ayant voté. Je ne sais pas comment cela a commencé. Je sais que cette pratique était effectivement en place pour l'élection de 2004, à l'époque où les libéraux étaient au pouvoir. Le document qui est fourni ici consiste à présenter, selon un format plus compréhensible et transmis plus rapidement aux destinataires que ce qui se fait déjà.
M. Bennett : Sénatrice, il y a une différence entre fournir cette information le jour du vote pour que les candidats et les représentants puissent solliciter les électeurs qui n'ont pas encore voté et leur remettre un document permanent qui peut être intégré à leur système existant de gestion du vote.
Cela me préoccupe. Je ne pensais pas, et je ne pense pas, que cela se fasse à l'heure actuelle. Une précision au sujet de ces divers systèmes; il y a le système SIM pour les conservateurs, la Liberalist pour les libéraux et le Vote pour le NPD; ces systèmes sont de plus en plus complexes à mesure que l'on ajoute davantage de catégories de données, de façon à mieux profiler les électeurs et à établir des priorités pour ce qui est des cibles des messages envoyés par courriel, par texte, par téléphone, notamment.
Le problème vient du fait que ces systèmes ne sont pas assujettis à une enquête de vérification effectuée par le commissaire à la protection de la vie privée, et que nous ne savons pas vraiment ce qu'ils contiennent. Nous ne savons pas dans quelle mesure l'information qui est également fournie par Élections Canada, aux termes de la Loi électorale, est ensuite utilisée et collationnée avec d'autres types de données provenant d'autres sources. C'est pourquoi j'estime qu'il règne une certaine confusion dans ce domaine.
La sénatrice Batters : Oui. J'aimerais fournir quelques explications supplémentaires; mon mari est député. Il a été élu pour la première fois en 2004 et je sais qu'il existe des restrictions très sévères sur l'utilisation qui peut être faite de ce genre d'information. Je ne parle pas simplement des cartes de bingo, et de l'information qui est obtenue le jour de l'élection.
M. Bennett : Oui, vous avez raison.
La sénatrice Batters : Après l'élection, habituellement un bon moment après — je ne me souviens pas du nombre de mois qu'il faut attendre — je crois que c'était sous la forme d'un disque informatique ou quelque chose du genre qui avait été remis par Élections Canada et qui contenait l'information au sujet des personnes qui avaient voté au cours de cette élection.
M. Bennett : Oui. Je n'en suis pas certain. Je ne comprends pas quel est l'intérêt public que l'on cherche à promouvoir. C'est ce que je dis.
La sénatrice Batters : Juste pour que vous le sachiez, je vous dis que cela se faisait au moins déjà en 2004.
M. Bennett : Je sais, mais je ne vois pas quel est l'intérêt public recherché. Compte tenu du fait que nous avions, il y a 10 ans, des bases de données beaucoup plus sophistiquées que celles que nous avons actuellement, et aussi du fait que le directeur général des élections a exprimé des préoccupations à ce sujet, j'estime que cela ne fera qu'augmenter la quantité de renseignements que les partis politiques possèdent au sujet des électeurs. Encore une fois, cela m'inquiéterait moins s'ils étaient assujettis aux règles en matière de la vie privée, mais ce n'est pas le cas.
La sénatrice Batters : L'autre aspect sur lequel je voulais attirer l'attention du comité est la discussion que vous avez eue il y a un instant au sujet des agents électoraux et les raisons pour lesquelles ces derniers ont besoin qu'on leur fournisse ce genre de pièces d'identité pour que l'électeur puisse établir son identité et sa résidence, ce genre de choses.
J'ai participé à de très nombreuses élections et j'ai été agente électorale pendant également de nombreuses élections, pour les gens qui surveillent le déroulement du scrutin, le motif qui est mentionné dans cet article est que l'agent électoral doit décider s'il veut contester la décision du directeur de scrutin adjoint d'autoriser certaines pièces d'identité et cela serait aussi consigné. Habituellement, on examine ces aspects à la fin de la soirée, lorsqu'on compte les votes et ce genre de choses. C'est le type de questions que l'on soulève. C'est la raison pour laquelle ces personnes doivent pouvoir examiner et non pas manipuler ces pièces d'identité.
M. Bennett : Je comprends cela et j'en conviens. Je signale simplement que le processus d'examen de ce genre de renseignements par les agents électoraux est rendu plus complexe avec les nouvelles dispositions du projet de loi C-23 qu'il ne l'était antérieurement, comme la discussion que nous avons eue avec votre collègue l'a démontré, je crois.
Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur. Savez-vous combien de partis politiques enregistrés ont le droit au Canada d'obtenir la liste des électeurs canadiens?
M. Bennett : Je n'ai pas ce chiffre en tête, sénateur. Mais il y en a beaucoup.
Le sénateur Joyal : C'est ce que je voulais souligner. Il y a une liste que les partis politiques conservent comme liste de secours, c'est celle que nous appelons en français « la liste pointée ».
M. Bennett : Oui, c'est exact.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, la liste et l'allégeance — pour employer un terme neutre — l'allégeance politique de la personne. Ils adorent cette liste et il la protège comme nous disons en français comme si c'était la prunelle de leurs yeux. L'autre partie de la liste est, comme vous le savez, et comme l'a dit aujourd'hui mon collègue, la sénatrice Batters, se trouve dans un ordinateur, il est bien sûr possible de placer la liste où on le souhaite et d'en supprimer ce qu'on ne veut pas. Une fois que vous avez purgé votre liste des allégeances politiques, vous pouvez ensuite sous-traiter cette liste à une société de levée de fonds. Vous pouvez sous-traiter cette liste à une autre société qui, par exemple, pourra faire des appels pour votre compte, des appels généraux à tous les électeurs, dans l'idée que dans l'ensemble il est avantageux pour eux de rejoindre toutes ces personnes. Ils peuvent également vendre cette liste à une autre société qui fera des appels téléphoniques en se faisant passer pour une société de sondage pour finalement savoir où vous en êtes à propos de questions générales d'intérêt public, pour en arriver à une liste essentielle. Ces listes circulent, et elles peuvent être réparties entre les différentes associations de circonscription, en y ajoutant un certain nombre d'identifiants. Les listes se multiplient. Vous seriez surpris de savoir combien de listes il y a et qu'elles sont données à toutes sortes de sources et de groupes.
Les partis politiques estiment que cela est dans leur intérêt. À mon avis, vous proposez en fin de compte de restreindre quelque peu l'utilisation de ces listes, ce qui ne peut être qu'un vœu pieux, parce que je ne vois pas comment les partis politiques estimeraient qu'il est dans leur avantage de respecter un règlement ou un cadre plus strict les empêchant de diffuser la liste.
En réalité, ces règles seront sévères, étant donné que toute violation pourrait entraîner une peine ou une sanction. Autrement dit, ce sera à chacun de décider comment il entend utiliser la liste, mais comme vous l'avez dit; les Canadiens seraient surpris de voir comment leurs noms sont trafiqués et utilisés par les partis politiques, en particulier maintenant que nous avons un système informatique qui, vous le savez mieux que moi, peut organiser et regrouper tout genre de renseignement que les partis politiques estiment utiles parce qu'au lieu d'avoir à leur écrire et d'essayer d'appeler la personne, cela peut se faire électroniquement.
Cela leur fait épargner du temps et de l'argent et c'est beaucoup plus efficace. Je ne pense pas que les partis politiques n'accepteront jamais ce que vous proposez. J'aimerais bien que votre conclusion soit adoptée. Je ne veux pas être cynique, mais je doute que cela change dans un avenir proche.
M. Bennett : Puis-je essayer de vous convaincre du contraire, sénateur?
Le sénateur Joyal : Ce n'est pas que je ne veuille pas être convaincu. Je vous pose des questions sur le caractère réaliste de ces aspects politiques.
M. Bennett : Je comprends, mais je crois qu'il faut tenir compte d'autres aspects. Il est important de mentionner que les partis sont déjà obligés de respecter les règles très strictes en matière de vie privée que contient déjà la loi électorale, mais ces règles s'appliquent uniquement aux renseignements provenant d'Élections Canada, conformément à la loi électorale.
Ce qui me préoccupe, c'est, comme vous le dites, la pratique qui consiste à utiliser cette liste et élaborer à partir d'elle un système de profilage des électeurs beaucoup plus sophistiqué. La plupart de ces pratiques sont importées des États- Unis. Un bon nombre d'entre elles découlent également de l'emploi des médias sociaux et dans d'autres pays, en particulier en Europe, les renseignements concernant l'affiliation en politique sont considérés, selon la loi, de nature très sensible et ne peuvent être traités dans le consentement exprès de la personne concernée.
Je comprends bien ce que vous dites au sujet des réalités politiques, à savoir que les partis politiques n'aiment pas se réglementer eux-mêmes, mais je crois que je peux répondre à votre argument en disant qu'il y a certaines raisons pour lesquelles les partis politiques pourraient souhaiter réfléchir à la réalité d'avoir à faire face, par exemple, à une grave fuite de données dans le contexte d'une élection ou à la perte d'un fichier contenant des milliers et des milliers de renseignements sur les électeurs et il leur faudrait alors dire : « Eh bien, nous n'avions pas de politique en matière de protection des renseignements personnels, ou nous n'avions pas de responsable principal de la protection de la vie privée, nous n'avions pas mis en place de système pour empêcher ce genre de choses. »
Toutes les entreprises canadiennes doivent respecter les dispositions de la LPRPDE, et on nous avait dit, au moment de l'adoption de la LPRPDE, que cette loi allait étouffer les entreprises et les empêcher de prospérer. Ce n'est pas ce qui s'est produit. Je souligne qu'une bonne partie de ce que l'on retrouve dans la LPRPDE s'applique quand même aux partis politiques. Je crois qu'il est possible d'élaborer un cadre de règles qui permettrait aux partis de faire ce qu'ils ont besoin de faire — à savoir cibler, établir des priorités pour les électeurs qu'ils doivent cibler et transmettre à ces électeurs leurs messages et les encourager à aller voter — sans porter atteinte inutilement à la vie privée de ces personnes et parallèlement, en permettant aux personnes qui ne veulent pas être contactées et qui ne veulent pas figurer dans ces listes, ni voir leurs renseignements manipulés par les partis politiques de demander d'être supprimées de la liste.
À l'heure actuelle, les citoyens n'ont pas ces droits et je ne vois pas pourquoi les partis politiques devraient recevoir un traitement différent de celui que l'on applique à tous les autres organismes au Canada. Je pense que l'expérience que nous avons acquise avec nos lois sur le respect de la vie privée dans le secteur privé démontre que la protection de la vie privée est finalement dans l'intérêt des organisations et ne va pas à l'encontre de leurs intérêts. Voilà comment je répondrais à votre question, sénateur.
Le sénateur Joyal : Pour ce qui est d'élaborer un cadre de règles, ou je vais le formuler en termes plus larges, de définir ce qu'est un comportement éthique par les partis politiques, je crois que cela ne peut se faire que sur une base volontaire, étant donné que les partis politiques dominent le Parlement.
Si vous souhaitez que les choses évoluent dans cette direction, je dois vous dire que les partis sont directement motivés à protéger leurs intérêts, leurs intérêts politiques. Comment espérer en arriver à un point où les Canadiens et les électeurs en général accepteront ce que vous proposez, ce qui paraît logique, et en feront la norme à appliquer en matière de comportement démocratique au Canada?
M. Bennett : Je dirais deux choses : premièrement, le Canada est pratiquement le seul pays occidental où les partis politiques ne sont pas visés par une loi protégeant la vie privée. Les États-Unis n'en ont pas, l'Australie n'en a pas, mais tous les autres grands pays démocratiques en ont.
Deuxièmement, je répète que les partis politiques ont déjà fait quelques déclarations au sujet de la vie privée. Lorsqu'ils affichent leurs politiques en matière de protection des renseignements personnels sur leurs sites web, ces politiques sont partielles. Nous les analysons dans notre rapport, mais ils ont déjà fait des déclarations à ce sujet.
C'est pourquoi je ne pense pas que cela soit tout à fait nouveau, mais j'aimerais que les principes acceptés volontairement soient étendus pour qu'ils comprennent tous les principes énoncés dans la LPRPDE, et pour qu'ils soient harmonisés sur certains points pour qu'il y ait un ensemble de normes communes au sujet de ce qu'est une action appropriée pour ce qui est du traitement et la décision des données concernant les citoyens, données qui sont parfois très sensibles. Je pense également que, si cela ne se produit pas de cette façon, il y aura un jour un scandale ou une fuite de données, tellement grave que des règles seront finalement élaborées à la suite de la publicité qui entourera un tel événement.
Le président : Voilà qui termine notre séance, monsieur. Je vous remercie d'avoir apporté une contribution intéressante et stimulante à nos délibérations. Nous l'apprécions beaucoup.
M. Bennett : Je vous remercie. Au revoir.
Le président : Nous allons nous réunir demain à 10 h 30, même heure, même endroit.
(La séance est levée.)