Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 13 - Témoignages du 12 juin 2014
OTTAWA, le jeudi 12 juin 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renvoyés le projet de loi C-489, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (conditions imposées aux délinquants), et le projet de loi S-221, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun), se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner les projets de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue à mes collègues, aux témoins et aux membres du public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous en sommes à notre deuxième séance sur le projet de loi C-489, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (conditions imposées aux délinquants). Ce projet de loi obligerait le tribunal à envisager de rendre une ordonnance interdisant à certains délinquants de se trouver à moins d'une certaine distance de leurs victimes.
Il obligerait également une autorité compétente comme la Commission des libérations conditionnelles du Canada à envisager d'imposer des conditions à certains délinquants qui bénéficient d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir, afin de protéger leurs victimes.
Enfin, le projet de loi prévoit d'inclure dans les ordonnances de probation et les ordonnances de sursis une condition obligatoire précisant que les délinquants doivent s'abstenir de communiquer avec leurs victimes ou d'aller dans les lieux qui y sont mentionnés.
En se fondant sur certaines des questions qui ont été posées hier, le conseiller juridique du comité a dit craindre qu'il y ait une certaine confusion à propos des personnes visées par ce projet de loi. Nous voulions préciser qu'il est loin de viser uniquement les délinquants ayant commis des infractions sexuelles contre des enfants. Il va plus loin que cela, et quand les représentants du ministère de la Justice seront ici, nous pourrons obtenir des éclaircissements à ce sujet. Nous ne voulions tout simplement pas que les gens aient cette impression ce matin.
J'aimerais demander au conseiller juridique — je sais que c'est inhabituel — de nous expliquer qui, selon lui, est visé par le projet de loi.
Robin MacKay, analyste, Service d'information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement : Je voulais simplement préciser que le projet de loi s'applique en partie aux infractions commises contre les personnes de moins de 16 ans; on le voit dans la première partie du projet de loi, par exemple, qui porte sur l'article 161 du Code criminel. Toutefois, à peu près tout le reste s'applique à tous les délinquants, pour toutes les infractions et les victimes de tous âges. Par exemple, le projet de loi ajoutera, dans les ordonnances de probation et les ordonnances de sursis, des conditions précisant que le délinquant doit s'abstenir de communiquer avec la victime et d'aller dans certains lieux, et ces conditions s'appliqueront de façon générale. En outre, en vertu de l'article 133 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, en ce qui concerne la liberté conditionnelle, par exemple, cela s'appliquera encore à tous les délinquants qui ont commis une infraction dans certaines conditions.
Je voulais simplement préciser que le projet de loi a peut-être une portée plus large que ce que croyaient les gens à la séance d'hier.
La sénatrice Batters : Pour clarifier les choses, l'article portant sur la restriction géographique de deux kilomètres est la partie qui vise uniquement les délinquants sexuels qui commettent des infractions à l'égard des enfants. Les autres parties, qui portent sur la communication et ce genre de choses, sont davantage d'application générale, n'est-ce pas?
M. MacKay : Oui, c'est exact.
Le président : Nous allons maintenant entendre notre premier témoin d'aujourd'hui, et nous le remercions d'avoir accepté de modifier son horaire à la suite des votes d'hier. Il s'est adapté de bonne grâce au calendrier du comité. Accueillons de nouveau M. Harvey Cenaiko, président de la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Soyez le bienvenu, monsieur. Avez-vous une déclaration préliminaire à faire?
Harvey Cenaiko, président, Commission des libérations conditionnelles du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis ici pour vous parler du projet de loi d'initiative parlementaire C-489 et de la façon dont il peut toucher la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
J'aimerais commencer par vous donner un aperçu du mandat de la commission. La Commission des libérations conditionnelles du Canada contribue à la protection de la société en favorisant la réintégration en temps opportun des délinquants comme citoyens respectueux des lois. La commission est un tribunal administratif indépendant qui, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ou LSCMLC, a le pouvoir exclusif de rendre des décisions concernant la mise en liberté des délinquants sous responsabilité fédérale. La commission rend aussi des décisions sur la suspension du casier et formule des recommandions en matière de clémence. Cependant, puisque le projet de loi ne concerne pas la Loi sur le casier judiciaire, je limiterai mes remarques au système de mise en liberté sous condition. Je ne parlerai pas des modifications au Code criminel; je ne traiterai que de la LSCMLC.
Les décisions de la commission sont fondées sur des critères énoncés dans la loi et sur une évaluation approfondie et prudente du risque que présenterait le délinquant s'il était placé sous surveillance dans la collectivité.
Lorsqu'ils rendent les décisions sur la mise en liberté sous condition, les commissaires tiennent compte de renseignements qui proviennent de diverses sources, notamment les services de police, les victimes, les tribunaux, le Service correctionnel du Canada et les psychologues. La protection de la société est le critère déterminant de toute décision.
Ce projet de loi concerne l'intérêt et les droits des victimes et, plus particulièrement, l'imposition de conditions interdisant aux délinquants mis en liberté de communiquer avec certaines personnes ou d'aller à certains endroits, ce qui nous amène à parler des cas examinés par la commission où une victime est inscrite.
Actuellement, en vertu de la loi, tous les délinquants mis en liberté sous condition sont tenus de respecter un ensemble de conditions normalement imposées qui ont pour objectif de réduire le risque de récidive. Ils doivent notamment se présenter à leur agent de libération conditionnelle, respecter la loi et s'abstenir de troubler l'ordre public.
L'article 133 de la LSCMLC permet déjà à la commission d'imposer des conditions particulières à un délinquant si son dossier contient des renseignements qui indiquent que ces conditions sont nécessaires pour assurer la sécurité du public et la réinsertion du délinquant dans la communauté en tant que citoyen respectueux des lois.
Les conditions spéciales peuvent notamment consister à interdire au délinquant de consommer de la drogue ou de l'alcool ou à éviter d'être en présence de personnes impliquées dans des activités criminelles, par exemple. Il peut aussi s'agir de restrictions géographiques — de secteurs interdits, si l'on veut — et d'ordonnances interdisant d'avoir des contacts avec des victimes ou d'autres personnes mentionnées dans le dossier de la commission.
Cependant, le paragraphe 133(3) dit actuellement que la commission « peut imposer », alors que le projet de loi que nous avons devant nous dit : « L'autorité compétente impose... ». C'est une différence très importante entre ces deux mesures législatives.
La commission se penche régulièrement sur des demandes de victimes qui désirent qu'elle impose aux délinquants des restrictions géographiques ou des conditions précisant de s'abstenir d'avoir des contacts, lorsque cette information lui est fournie ou figure au dossier. Il peut arriver que la victime et le délinquant vivent dans la même ville et que le plan de réinsertion sociale du délinquant repose sur un traitement offert dans un établissement situé dans cette ville. Dans un tel cas, la commission peut, par exemple, imposer au délinquant une restriction géographique lui interdisant de quitter un certain secteur de la ville, afin de respecter les besoins de la victime. De cette manière, la commission ne révèle pas au délinquant l'emplacement exact de la victime.
Je suis fier de dire que la Commission des libérations conditionnelles du Canada est à l'avant-garde de l'innovation, au sein du système de justice pénale, dans la recherche d'un juste équilibre entre les droits des délinquants et ceux des victimes, dans le respect de la loi. Par exemple, depuis 1982, la commission accepte que les victimes présentent des déclarations. Ce droit a été inscrit dans la loi à la suite de l'adoption de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés.
À l'heure actuelle, il y a 7 829 victimes inscrites auprès de la commission. Plus de la moitié d'entre elles, soit 4 100, sont associées à 1 809 délinquants qui purgent une peine d'emprisonnement à perpétuité.
Les déclarations fournies par les victimes peuvent aider les commissaires à évaluer le risque et à déterminer quelles conditions spéciales sont nécessaires pour assurer la protection de la société et la réinsertion sécuritaire des délinquants.
En vertu du projet de loi C-489, si une victime inscrite fournit une déclaration, la commission impose au délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir sans escorte les conditions qu'elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. Elle pourrait notamment interdire au délinquant d'avoir des contacts avec la victime, d'aller dans des endroits déterminés, comme des terrains de jeux ou des écoles, ou de demeurer dans une zone déterminée.
Il est important de souligner que, si le projet de loi C-489 est adopté, la commission conservera, comme tribunal indépendant, le pouvoir de déterminer quand imposer une condition de s'abstenir d'avoir des contacts. Dans les cas où il y a une déclaration de la victime au dossier et que la commission décide de ne pas imposer une condition de s'abstenir d'avoir des contacts ou une restriction géographique, le projet de loi C-489 obligerait les commissaires à expliquer par écrit les motifs pour lesquels ils n'ont pas imposé une telle condition.
L'an dernier, la commission a imposé aux délinquants des conditions leur interdisant d'avoir des contacts avec la victime dans plus de 10 p. 100 de ses décisions relativement à la libération conditionnelle totale. Au cours de la même période, environ 24 p. 100 des cas de libération d'office renvoyés à la commission comportaient de telles conditions.
L'imposition judicieuse de conditions est le pilier du système de mise en liberté sous condition. Nos statistiques révèlent d'ailleurs que la majorité des délinquants terminent leur période de surveillance dans la collectivité sans avoir récidivé. L'an dernier, près de 99 p. 100 des périodes de semi-liberté et 97 p. 100 des périodes de liberté conditionnelle totale des délinquants purgeant une peine d'une durée déterminée ont été menées à bien sans récidive. Les délinquants qui manquent à une condition peuvent être réincarcérés ou voir leurs conditions être modifiées.
Pour conclure, je tiens à souligner qu'en tant que tribunal administratif indépendant, la Commission des libérations conditionnelles du Canada se sert depuis longtemps de sa compétence pour maintenir un juste équilibre entre les droits des délinquants et les préoccupations et les droits des victimes, particulièrement au moment d'imposer des conditions raisonnables et nécessaires pour favoriser la réinsertion sociale du délinquant, tout en protégeant la société et les victimes.
La condition spéciale interdisant au délinquant d'avoir des contacts avec la victime a pour effet de faire reposer sur les épaules du délinquant la responsabilité non seulement de ne pas avoir de contact avec la victime, mais aussi d'éviter ou de s'abstenir d'entrer en contact avec elle; la responsabilité incombe donc au délinquant, et non pas à la victime.
Notre mandat est d'assurer la sécurité publique. Lorsqu'elle est assurée, nous aidons les victimes et tous les Canadiens.
Je remercie les membres du comité du temps et de l'attention qu'ils m'ont accordés. Je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions.
Le sénateur Baker : Autrement dit, ce que vous nous dites, c'est que les dispositions prévues dans ce projet de loi existent déjà, mais que l'on dit par exemple « peut imposer » au lieu de dire « impose »; est-ce bien cela?
M. Cenaiko : C'est l'un des changements, oui.
Le sénateur Baker : L'autre changement porte sur la question de fournir des motifs écrits. Le projet de loi initial présenté à la Chambre des communes a été considérablement modifié à l'étape de l'étude en comité; le critère relatif aux deux kilomètres a été supprimé. Est-ce deux kilomètres dont il est question?
M. Cenaiko : Je crois que l'on mentionne ce qui sera mentionné dans le Code criminel.
Le sénateur Baker : Oui, ce dont vous ne traitez pas, mais le projet de loi a été modifié afin qu'il dise « à moins de deux kilomètres ou à moins de toute autre distance prévue dans l'ordonnance ». Autrement dit, je crois que les deux kilomètres n'ont pas beaucoup d'incidence en raison des mots « ou à moins de toute autre distance prévue dans l'ordonnance ».
L'autre changement important, c'est que le projet de loi, dans sa version originale, prévoyait que : « Si le tribunal en arrive à la conclusion visée au sous-alinéa (2)a.1)(ii), il en consigne les motifs au dossier de l'instance. » Avant cela, il disait : « en donne les motifs par écrit », ce qui a été supprimé par le comité parce que la plupart de ses membres estimaient ne pas pouvoir obliger le tribunal à fournir les motifs par écrit, car cela ne serait pas pratique pour le tribunal. C'est ce qu'a décidé la majorité à la Chambre des communes. Mais on a laissé votre article sur les motifs écrits.
Pour vous, est-ce un changement important de devoir fournir par écrit les motifs pour lesquels vous n'avez pas tenu compte d'un document demandant une intervention? Cela nuit-il à la commission?
M. Cenaiko : Non.
Le sénateur Baker : Pourquoi?
M. Cenaiko : Je pense que c'est une mesure législative très juste qui tient compte des traumatismes subis et des événements tragiques vécus par la victime durant la perpétration d'une infraction. Lorsqu'une victime inscrite présente une déclaration dans laquelle elle exprime des inquiétudes concernant son bien-être, je crois que la commission se doit de respecter cela. En vertu de ce projet de loi, si les membres de la commission décident de ne pas imposer au délinquant la condition de s'abstenir d'avoir des contacts, ils devront en expliquer les raisons à la victime, et c'est tout à fait approprié.
Toutefois, je peux dire que cela arrive très rarement. Je suis président de la commission depuis cinq ans. Je n'ai jamais vu de cas où lorsqu'une victime en avait fait la demande dans une déclaration ou à une audience, on ne lui a pas accordé une condition de non-communication.
Le sénateur Baker : Oui, mais si l'autorité compétente refusait... Autrement dit, vous dites ne pas vous souvenir, durant vos cinq années comme président, d'un cas où une victime a demandé cela et où la commission ne l'a pas fait.
M. Cenaiko : C'est exact.
Le sénateur Baker : Autrement dit, il n'y a aucun changement important, ici.
M. Cenaiko : La commission a l'obligation de le faire. Le projet de loi l'exige.
Le sénateur Baker : Elle le faisait de toute façon.
M. Cenaiko : Que les victimes le demandent ou non, les membres de la commission lisent les rapports de police. Ils se penchent sur la tragédie. Ils prennent connaissance du drame, du traumatisme que peut avoir subi la victime et ils prennent cette décision en fonction du risque que représente le délinquant dans la collectivité. S'ils jugent qu'un délinquant risque de s'approcher d'une victime ou de la harceler, ils imposent cette condition au délinquant à ce moment-là de toute façon.
Le sénateur Baker : Que peut faire la victime si la commission refuse d'imposer les conditions et d'en fournir les motifs par écrit? Quel recours aura la victime en ce qui concerne cette décision de la commission?
M. Cenaiko : Actuellement, il n'y en a pas.
Le sénateur Baker : Il n'y a pas de recours.
M. Cenaiko : Toutefois, la Charte des droits des victimes, le projet de loi C-32, est en cours d'étude; il y aura un processus de traitement des plaintes, qui sera officialisé pour tous les organismes d'application de la loi. Le système de justice pénale en général, y compris nous-mêmes, aura à composer avec un processus de traitement des plaintes qui sera imposé par voie législative.
Le sénateur Baker : Autrement dit, il n'y a pas d'appel.
M. Cenaiko : Non, il n'y en a pas.
Le sénateur Baker : Dans le contexte actuel.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Cenaiko, d'être ici aujourd'hui.
J'aurais juste un petit commentaire sur la conclusion de votre présentation. Vous dites qu'il faut « maintenir un juste équilibre entre les droits des délinquants et les préoccupations des victimes ». Moi, je dirais plutôt entre les « devoirs des délinquants », parce que ces gens ont des devoirs envers la société, et les « droits des victimes ». Les droits des délinquants, j'ai un peu de difficulté avec cela.
De toute façon, vous dites dans votre présentation que vous ne donnez pas une idée au délinquant de la situation géographique de la victime. Comment faites-vous, à ce moment-là, si vous ne lui donnez pas une idée de la situation géographique de la victime, pour le tenir à distance des deux kilomètres visés par le projet de loi?
[Traduction]
M. Cenaiko : Nous imposons une restriction, par exemple, pour qu'il n'y ait aucun contact avec la victime, mais le délinquant ne devrait pas quitter la localité de Kanata; ainsi, il ne saurait pas si la victime habite à Orleans ou à Ottawa.
Nous voulons assurer la protection des victimes et nous ne les mettrons pas en danger en disant au délinquant qu'il ne peut pas aller à Orleans. Si le délinquant va habiter quelque part dans le secteur où réside la victime... Nous lui disons qu'il ne peut quitter la collectivité dans laquelle il réside en liberté d'office ou en semi-liberté dans un établissement correctionnel.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Vous dites aussi que vous vous assurez que les conditions que vous demandez au délinquant sont respectées. Vous devez savoir que je suis un ancien policier et qu'il m'arrivait de passer à la cour le matin, où le juge disait, par exemple, dans un cas particulier, que le délinquant ne devait pas être vu dans le secteur du village de Rawdon. Or, le soir même, lorsque je commençais mon quart de travail, je voyais, par hasard, l'individu sur le trottoir dans le village de Rawdon.
Parfois, les gens ne respectent pas les conditions, parce qu'il n'y a pas de surveillance. Avez-vous les moyens pour vous assurer que ces gens respectent les conditions? On a souvent entendu dire que vous manquez d'agents sur le terrain, et je comprends que vous ne pouvez pas mettre un agent pour chaque personne.
Comment faites-vous pour vous assurer que ces gens respectent leurs conditions? Surtout dans le cas des prédateurs sexuels, car on dirait, parfois, qu'ils ont plus de difficulté que les autres à comprendre; je ne sais pas pourquoi.
[Traduction]
M. Cenaiko : J'ai pris ma retraite après avoir travaillé 25 ans au Service de police de Calgary. Je comprends ce que vous voulez dire. La Charte des droits des victimes est l'une des mesures législatives les plus imposantes qu'il m'ait été donné de voir au cours de mes 37 ans de service. Elle sera éducative pour le système de justice et les organismes d'application de la loi. Il y aura énormément de besoins sur le plan de l'éducation dans l'avenir.
Comme vous l'avez mentionné, lorsque nous imposons une condition spéciale au délinquant, notre objectif, en tant que membres de la commission, c'est de le garder sous contrôle à l'intérieur d'un secteur afin qu'il redevienne un citoyen respectueux des lois. S'il va au-delà de ce secteur et, pour revenir à l'exemple que j'ai donné tout à l'heure, s'il est localisé par la police à Ottawa, alors il n'a pas respecté sa condition et il est arrêté par la police.
La police a désormais ce pouvoir. Je crois que la police a le droit depuis à peine un an et demi d'arrêter un délinquant qui violerait l'une des conditions de sa libération, à condition cependant d'avoir un mandat. Le délinquant appréhendé serait mis en prison puis retourné à SCC où une autre audience serait tenue afin d'établir si sa libération doit être révoquée ou annulée, et s'il doit être renvoyé à son établissement. Ces possibilités sont toutes déjà en place.
En ce qui concerne le passage qui interdit au délinquant « de se trouver », je crois que vous avez fait allusion à Rawdon. En fait, le texte devrait dire que le délinquant doit rester dans tel ou tel secteur. Dans le cas que vous avez rapporté, il faut s'abstenir de dire au délinquant où reste la victime. Il le sait peut-être. Le délinquant peut aussi être un membre de la famille et ça, c'est un autre problème. Quoi qu'il en soit, nous voulons nous assurer qu'il ne viendra pas près de là.
Le projet de loi renforce ce qui est déjà en place. Comme je l'ai dit, le paragraphe 133(3) actuel indique que l'autorité compétente « peut imposer », alors que la modification proposée fait en sorte que l'autorité compétente « impose ».
La sénatrice Jaffer : Merci de votre exposé.
Dans la vie professionnelle que je menais avant d'arriver ici, j'ai vu tellement d'ordonnances de non-communication. Alors je suis encore perplexe quant à l'ajout de toutes ces autres dispositions, quand tout cela ne concerne que les ordonnances de non-communication. Que j'aie défendu le délinquant ou la victime, j'ai toujours averti le délinquant qu'il lui incombait de ne s'approcher d'aucune façon de la victime. Cela n'a rien à voir avec la victime. C'est vous qui avez commis le crime et c'est à vous de vous tenir loin de la victime.
Nous ne vivons pas en vases clos. Le délinquant peut être un membre de la famille ou de la communauté. J'avais beaucoup à faire avec la même mosquée, alors il fallait dire au délinquant qu'il ne pouvait pas aller à la même mosquée que la victime, point à la ligne. Aucune communication.
Lorsque vos fonctionnaires disent à quelqu'un « aucun contact », est-ce qu'ils lui expliquent ce que cela signifie? Le parrain du projet de loi nous a raconté cette curieuse histoire, hier, où il était question d'une personne qui vivait en face de chez sa victime. Eh bien, c'est évidemment trop près. C'est une bonne chose que ce projet de loi cherche à encadrer des situations particulières, mais ce n'est pas une panacée. J'aimerais savoir ce que vous enseignez au délinquant avant de le laisser partir en ce qui concerne la signification de « aucun contact ».
M. Cenaiko : Les délinquants sont sous la responsabilité de Service correctionnel Canada. Le SCC leur fournit des renseignements pour les préparer à leur libération conditionnelle, et c'est quelque chose que nous faisons aussi. Nous leur donnons des brochures et d'autres informations sur la façon de se préparer pour leur audience de libération conditionnelle. Ils savent que des conditions particulières peuvent aussi leur être imposées.
Ces conditions sont prises à la légère. La condition actuelle est de s'abstenir de tout contact, alors que l'ancienne disait qu'il fallait éviter tout contact.
Je vais vous lire les trois. Le terme d'origine de « non-communication » a habituellement trait à une ordonnance inscrite dans le Code criminel, et c'est ce dont parlait le sénateur Baker. Elle peut s'accompagner d'un engagement de ne pas troubler l'ordre public ou d'une ordonnance restrictive prononcée par un juge.
L'interdiction de communiquer est le terme que la commission utilise à l'heure actuelle pour imposer une condition spéciale à la libération d'un délinquant, soit celle de n'avoir aucun contact direct ou indirect avec la victime ou avec un membre de la famille de la victime. La responsabilité incombe au délinquant d'éviter la victime. Par exemple, si le délinquant va magasiner et qu'il aperçoit la victime, c'est à lui qu'incombe la responsabilité de quitter les lieux immédiatement et d'éviter tout contact avec la victime. Le délinquant est en outre tenu de rapporter cet incident à son agent de libération conditionnelle.
« S'abstenir d'avoir des contacts » est la formule utilisée dans ce projet de loi. Je crois comprendre qu'elle fait allusion à une condition qui placerait elle aussi la responsabilité sur les épaules du délinquant de s'abstenir d'entrer de quelque façon que ce soit en contact ou en communication avec la victime, ce qui ajoute une facette à la loi présentement en vigueur. Avec cette précision additionnelle, il n'y a plus d'ambiguïté. La loi devient intelligible et limpide. De toutes les lois avec lesquelles j'ai eu à travailler depuis 37 ans, celle-ci est l'une des plus faciles à comprendre.
La sénatrice Jaffer : C'est important et j'admets tout à fait que le délinquant doit rester loin de la victime. Mais nous devons aussi penser au délinquant à contrôler qui, nous l'espérons, pourrait devenir un bon citoyen. Ce projet de loi aura-t-il quelque incidence que ce soit sur les chances de réhabilitation des délinquants? Quelles sont les possibilités de réhabilitation?
M. Cenaiko : Eh bien, les programmes pour les délinquants et leur supervision relèvent de Service correctionnel Canada.
La sénatrice Jaffer : Nous n'avons pas eu leur point de vue à ce sujet.
M. Cenaiko : Je ne peux pas vous expliquer comment le SCC encadre les délinquants, mais c'est son rôle, la gestion et la supervision des dossiers.
Notre rôle est de veiller à la réinsertion sécuritaire des délinquants dans la communauté, mais aussi de voir au respect des droits des victimes. Je le répète, cette mesure législative donne des droits aux victimes, comme le fera la Loi sur la Charte des droits des victimes, qui en est, je crois, à sa deuxième lecture ou qui est sur le point d'aller en comité.
Je le répète, ces dispositions assurent l'équilibre entre les droits des délinquants et le devoir d'être entendu, le droit d'être libéré d'un établissement conféré aux termes d'une libération d'office, ainsi que le droit d'avoir de demander une audience de libération conditionnelle et, maintenant, les droits des victimes. Les victimes ont effectivement des droits; elles ont le droit de dire qu'elles veulent être protégées. Ce n'est pas le cas de chaque victime, mais voici quelques statistiques portant sur les trois dernières années.
Depuis 2011-2012, la condition d'éviter les victimes a été imposée 198 fois à des semi-libertés; l'an dernier, ce nombre est passé à 601. Il y a trois ans, il y en a eu 46 pour des libérations conditionnelles totales; l'an dernier, il y en a eu 150. À la publication de ces statistiques, il y a trois ans, la condition s'est appliquée 512 fois et, l'an dernier, 1 503 fois.
Les statistiques vous montrent que nous nous servons de plus en plus de cette condition spéciale afin de protéger la société et les victimes. Bien entendu, la condition impose aussi une restriction au délinquant, mais notre préoccupation fondamentale est de protéger la société.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue au comité, et merci de votre présence, c'est vraiment très intéressant de vous entendre. Historiquement, le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada donnaient la priorité, il me semble, à la réinsertion sociale plutôt qu'à la protection de la société. Nous avons tous, dans notre entourage, connaissance d'histoires d'horreurs dans lesquelles on a libéré des criminels sans trop se soucier de la sécurité de la population, et ces gens ont commis des crimes irréparables.
J'ai une longue liste qui en fait la démonstration. La confusion de notre système fait en sorte qu'on considérerait un privilège comme un droit. Demander une libération conditionnelle est un droit, mais l'obtenir est un privilège. Lorsqu'on obtient un privilège, ce n'est pas un droit qu'on obtient; ce sont des obligations et des devoirs à accomplir.
Malgré toutes les lois que l'on peut adopter et qui peuvent servir à recentrer la victime dans le cadre du processus d'audiences, dans le cadre du processus de remise en liberté et dans le cadre de la protection des victimes, ma préoccupation est beaucoup plus de savoir comment nous allons changer la mentalité des commissaires de la Commission des libérations conditionnelles afin qu'ils se préoccupent des victimes et de la sécurité de la population plutôt que de toujours se concentrer sur les droits du criminel à se réinsérer et à reprendre sa liberté rapidement.
Vous parlez de cet équilibre entre la préoccupation pour les victimes par rapport à celle pour le criminel, mais quelle est votre stratégie pour amener les mentalités dans votre organisation à changer?
Encore aujourd'hui, je reçois des appels de victimes à mon bureau; des associations de victimes m'en parlent encore. Ce changement philosophique n'est pas encore ancré au sein de votre organisation, à savoir d'intégrer les victimes dans le processus. Quelle est votre stratégie pour effectuer ces changements?
On peut adopter des dizaines de lois, mais si, au sein de votre organisation, cette mentalité ne change pas, je pense que c'est une cause perdue pour les victimes.
[Traduction]
M. Cenaiko : C'est une excellente question. Cela se fera par l'éducation et par la sélection des bons candidats pour la commission.
J'ai demandé que les candidats qui soumettent une demande pour devenir membre de la commission soumettent également une lettre faisant état du travail qu'ils ont fait auprès des victimes ou en tant que victime. Cette lettre doit être jointe à leur curriculum vitæ ou à leur demande d'emploi. L'expérience qui y est relatée peut aussi porter sur le travail effectué avec des ONG qui s'occupent des délinquants. Cela dépend de chacun.
Ces renseignements additionnels permettent au comité de sélection d'avoir une bonne idée des antécédents des candidats en ce qui concerne le travail auprès des victimes ou de la compréhension qu'ils ont de l'effet que le système de justice pénale peut avoir sur les victimes. Cette façon de parfaire le processus de sélection est l'une des choses que nous faisons.
Nous tentons d'inclure de l'enseignement, diverses composantes, et nous avons une formation annuelle. Nous espérions pouvoir consacrer une partie de la formation annuelle à la charte des droits des victimes, mais les retards — la loi n'en était qu'à sa première lecture — ont fait en sorte que nous n'avons pas pu le faire. Je peux cependant vous assurer que la formation qui sera offerte à tous nos membres au cours de la prochaine année comprendra une séance sur cette charte, et que nous suivrons sa progression à la Chambre des communes et au Sénat.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : À la page 9 de votre document, vous dites que, lors du dernier exercice financier, plus de 10 p. 100 des décisions de la commission concernant des libérations conditionnelles totales contenaient des conditions stipulant de ne pas avoir de contact avec les victimes. On parle d'une proportion de 10 p. 100 pour les gens libérés avant la libération d'office, mais lorsqu'on arrive à la libération d'office, il s'agit de 24 p. 100, donc deux fois et demie de plus. Cela veut dire que ces gens représentent un risque beaucoup plus grand de rencontrer leurs victimes.
Lorsqu'on libère les gens d'office, disposez-vous de renseignements uniquement sur le dossier du criminel qui sera libéré? On vous informe; c'est le système carcéral canadien qui a la responsabilité de le remettre en liberté, ce n'est pas la commission. Lorsque vous recevez le dossier d'un criminel remis en liberté d'office, la commission révise-t-elle la décision prise? Je pense, entre autres, au cas de Sandra Dion, pour lequel le système carcéral canadien était prêt à installer le criminel à quelques centaines de mètres de Mme Dion, même ce dernier avait dit qu'il l'agresserait encore. C'est votre commission qui a révisé la décision du système carcéral canadien et déterminé qu'il irait à Montréal plutôt qu'à quelques centaines de mètres de la victime. Dans la majorité des cas de libération d'office, où il y a beaucoup de demandes de non-contact avec les victimes, est-ce que la commission révise ces dossiers pour savoir si, effectivement, on a vraiment tenu compte de la protection des victimes?
[Traduction]
M. Cenaiko : Sénateur, si une victime inscrite figure au dossier d'un cas que nous relayerait Service correctionnel Canada, s'il y a une demande en ce sens ou si un membre de la commission établit qu'il est nécessaire qu'il n'y ait pas de contact ou que certaines personnes doivent être évitées, nous ne manquerons pas d'en tenir compte.
En tant que membre de la commission, je ne peux pas vraiment parler de cas spécifiques. Si nous connaissons l'adresse de la victime et que nous savons où se situe l'établissement de traitement ou que nous connaissons l'endroit où le délinquant compte aller, parfois ces renseignements sont inscrits au dossier... Il n'est pas toujours clairement indiqué à quel établissement le délinquant prévoit aller lors d'une semi-liberté. Pour ce type de libération, nous savons qu'il sera à son établissement correctionnel. Toutefois, pour une libération conditionnelle totale ou une libération d'office, le délinquant rentre chez lui, dans sa collectivité ou retourne vivre avec quelqu'un. Si son conjoint ou la victime... C'est ce dont nous devons nous assurer. Tous les cas sont différents.
Néanmoins, nous prenons effectivement connaissance des observations de la victime, qu'elles aient été faites durant une audience ou pas, ou notées lors d'un examen au bureau. Je peux vous assurer que nous examinons les déclarations des victimes, car cela fait partie du processus d'évaluation des risques. Nous examinons toute la documentation reçue des tribunaux, des juges, des psychiatres, de SCC et des programmes de l'établissement. C'est sur toute cette information que nous fondons notre évaluation des risques à propos de ces questions.
Le sénateur Joyal : Lorsque vous dites que vous examinez les déclarations de la victime, cela signifie-t-il que la victime ne peut présenter qu'une déclaration écrite? Peut-elle demander à se présenter en chair et en os afin de présenter son cas avec l'aide, par exemple, d'un psychologue ou de quelqu'un qui pourra corroborer sa détresse psychologique et expliquer comment cela devait être pris en compte par la commission?
M. Cenaiko : La loi permet maintenant aux victimes d'assister aux audiences. Elles peuvent lire ou faire lire leurs déclarations, elles peuvent présenter leur déclaration sur vidéo ou se présenter en personne. Justice Canada offre un programme pour fournir une aide financière aux victimes qui souhaitent assister aux audiences ainsi qu'une personne pour les aider à y assister, n'importe où au pays. La personne qui accompagnera la victime sera une personne qu'elle aura choisie, comme son conjoint ou un psychologue. Le psychologue ne peut fournir de soutien psychologique additionnel au moment de l'audience. La victime a néanmoins le droit d'être sur place et de lire sa déclaration au délinquant et aux membres de la commission qui prendront la décision.
Le sénateur Joyal : De mémoire, avez-vous une idée du nombre de situations ou d'affaires où la victime aurait demandé une ordonnance de non-communication que la commission aurait refusée ou atténuée à tel point que la victime aurait pu avoir l'impression qu'elle n'avait pas été entendue?
M. Cenaiko : Je n'ai jamais entendu parler d'une situation de ce genre. Le seul cas particulier dont j'ai eu vent est celui d'une victime qui aurait menacé son agresseur de mort. Dans cette affaire, la victime s'était aussi vue interdire d'assister à l'audience. Cela n'a toutefois rien à voir avec le fait de s'abstenir de tout contact. C'est en fait le contraire de ce que vous dites.
Je peux assurément vous soumettre les statistiques que nous avons, mais comme je l'ai dit, je ne suis pas au courant si de telles situations se sont produites. Les victimes qui demandent cette condition spéciale voient leurs demandes satisfaites dans 99,9 p. 100 des cas.
Le sénateur Joyal : Une victime qui demande une ordonnance de la cour est entendue par la commission.
M. Cenaiko : Si elle est à l'audience, oui, elle sera entendue par la commission. Si elle n'est pas sur place, sa déclaration peut être soumise et présentée sur vidéo.
De plus, même s'il s'agit d'un examen effectué dans un bureau, la déclaration de la victime figure au dossier. Je peux vous assurer que les membres de la commission examinent ces déclarations au même titre que tous les autres renseignements pertinents qu'on leur remet lorsqu'ils font l'évaluation des risques que peut présenter le délinquant.
Le sénateur Joyal : D'après vos souvenirs, la commission n'a donc jamais refusé d'ordonnance de non-communication à une victime qui lui en avait fait la demande, c'est bien cela?
M. Spratt : En ce qui concerne les ordonnances de non-communication, oui, c'est déjà arrivé. Nous pouvons faire une vérification et donner l'heure juste au président, mais je n'en ai jamais entendu parler.
Le sénateur Joyal : Hier, on nous a dit que 88 p. 100 des agressions sexuelles sur des mineurs avaient été commises par un membre de la famille, 38 p. 100, ou par quelqu'un que la victime connaît. Comment traitez-vous cette question de non-communication lorsque la personne visée est un membre de la famille immédiate ou de la communauté? Il me semble que ces cas où la victime souhaite éviter d'entrer en contact rapproché avec une personne qu'elle est vraisemblablement susceptible de croiser sont beaucoup plus difficiles à traiter que d'autres.
M. Cenaiko : L'examen de ces dossiers demande toujours beaucoup de doigté.
Mais encore ici, nous tiendrons compte de ce que souhaite la victime. Si elle veut éviter tout contact, il est évident que la condition spéciale portera en partie là-dessus. Cependant, après un certain temps, la victime ou sa mère peut toujours s'inscrire comme victime. Il arrive que les victimes souhaitent renouer avec leur agresseur. Nous l'avons constaté à quelques reprises.
Le sénateur Joyal : Dans cette éventualité, doivent-elles s'adresser à vous de nouveau? Comme cela fonctionne-t-il?
M. Cenaiko : La restriction viserait le délinquant; elle porterait sur le délinquant, pas sur la victime. Une note serait inscrite au dossier du délinquant. La commission réexaminerait le dossier pour s'assurer qu'il contient une nouvelle déclaration de la victime, et la demande serait traitée selon tous les procédés convenus. La commission doit en outre s'assurer que la nouvelle donne convient aux deux parties.
Le sénateur Plett : Je ne veux pas donner l'impression de m'acharner. Je suis bien content que vous affirmiez ne pas avoir souvenir de quelque affaire que ce soit où la commission aurait refusé d'émettre une ordonnance de non-communication demandée par une victime. Dans votre exposé, vous avez dit que vous deviez fournir un avis écrit dans les cas où la commission déciderait de ne pas imposer de condition de s'abstenir de tout contact ou de restriction géographique alors que le dossier contient une déclaration de la victime, mais que cela n'est jamais arrivé. Pouvez-vous penser à une situation où vous refuseriez d'honorer la demande de la victime, attendu que cela est vraisemblablement possible? Y a-t-il quelque raison que vous puissiez imaginer qui vous pousserait à ne pas honorer cette demande?
M. Cenaiko : Je n'en vois aucune pour l'instant. En ma qualité de vice-président pour la région des Prairies — c'est le poste que j'occupais il y a cinq ans, avant d'être nommé président —, j'ai eu à participer à un certain nombre de prises de décisions, en plus des fonctions législatives attachées à mon poste d'alors. Je n'ai souvenir d'aucune raison — quoique certaines déclarations de victimes peuvent parfois contenir certains propos désobligeants selon la gravité de l'agression, la nature du crime perpétré et le traumatisme subi. Nous avons parfois eu à avertir les victimes qu'elles ne pouvaient pas utiliser ce genre de propos dans leur déclaration. Je ne me souviens d'aucun cas où nous aurions refusé d'inclure une demande pour cette raison. Or, le projet de loi s'assurera que si cela devait arriver, nous aurions nécessairement à fournir un avis par écrit.
Le sénateur Plett : Ce serait une bien maigre consolation pour la victime. Je suis convaincu que la commission actuelle partage en grande partie votre point de vue et, peut-être aussi, le nôtre. Bien entendu, je ne veux pas apporter d'amendements. Mais, par ailleurs, vous ne serez pas toujours là. L'un de vos successeurs pourrait se montrer plus clément envers les délinquants. J'espère que cela ne se produira pas.
Nous insistons beaucoup pour empêcher que le délinquant sache où habite la victime. De l'autre côté de la lorgnette, permet-on à la victime de savoir où reste son agresseur afin d'éviter à tout prix qu'elle mette les pieds dans l'immeuble où il vit?
M. Cenaiko : Non. La victime reçoit des renseignements. Aux termes des mesures législatives proposées, je crois qu'on leur donnera des renseignements sur les programmes suivis par le délinquant pendant qu'il est en établissement, sur sa date de libération, sur l'établissement de libération ainsi qu'une photo.
Le sénateur Plett : Mais pas d'information sur l'endroit où il reste...
M. Cenaiko : Non.
Le sénateur Plett : ... pour éviter que la victime vienne à passer par hasard devant chez lui ou chez elle. Le délinquant n'a pas le droit de quitter le secteur, mais rien n'empêche la victime de déambuler dans le secteur où vit le délinquant.
M. Cenaiko : Je vais devoir vous revenir là-dessus. Avec cette nouvelle loi, c'est quelque chose qui serait confié à SCC, mais je n'ai rien entendu à ce sujet. C'est une bonne question.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Cenaiko, de votre exposé. Vous avez déjà couvert beaucoup de terrain. Alors, je vais éviter d'y revenir.
Ma question est complémentaire à celle du sénateur Baker au sujet des raisons qui doivent être données par écrit par l'autorité chargée de la remise en liberté, la Commission des libérations conditionnelles ou le directeur de l'établissement lorsqu'il a été décidé de ne pas imposer de conditions.
Comme vous le savez, aux termes du projet de loi C-489 et du Code criminel, la cour doit donner des raisons qui seront portées au dossier. Dans le cas de l'autorité chargée de la remise en liberté, comment les raisons seront-elles portées au dossier? Je sais que tous les tribunaux indépendants doivent étayer leurs décisions par des raisons, et que, normalement, ces raisons doivent être communiquées à toutes les parties intéressées. Les gardez-vous, les consignez-vous par écrit ou les rangez-vous séparément?
M. Cenaiko : C'est une bonne question puisque, encore une fois, cela fera partie de la nouvelle loi. Comme je l'ai dit, je ne me souviens pas d'avoir refusé d'en imposer une lorsque l'on me le demandait. Je ne m'en souviens pas.
Si le projet de loi devient loi, nous devrons assurément mettre ces décisions par écrit et les communiquer. La victime y aura accès par le biais du registre des décisions, ou dans le cadre de l'information qu'elle reçoit normalement. On ne peut pas présumer de ce qui sera indiqué dans ces décisions. On y trouvera probablement quelque chose comme : étant donné que le délinquant entend retourner dans une collectivité relativement modeste — disons, dans une collectivité autochtone — il se peut que ce soit problématique d'imposer une ordonnance de s'abstenir de communiquer, que ce ne soit pas une solution convenable dans une petite collectivité de 140 personnes située dans le nord de l'Ontario ou de l'Alberta. Il se peut que ce ne soit pas viable dans le contexte ou le délinquant et la victime se retrouveront dans la même collectivité.
Le sénateur McIntyre : Je présume que la Commission des libérations conditionnelles — comme n'importe quelle autre instance d'examen — fait le rangement des ordonnances portant décisions et des raisons étayant ces décisions. Est-ce que ces raisons sont communiquées à toutes les parties prenantes, ce qui comprend la Couronne, le directeur de l'établissement, l'avocat du délinquant et la victime?
M. Cenaiko : Nos décisions sont accessibles au public. Nous avons un registre des décisions, et les gens de partout au pays peuvent nous demander par écrit qu'on leur transmette la décision concernant tel ou tel délinquant. Et on leur fera parvenir cette décision, la plus récente décision. Et ils recevront la prochaine décision, puis la suivante. C'est quelque chose qui est offert à tous les Canadiens.
Le sénateur McIntyre : Pouvez-vous nous en dire plus sur la composition de la commission? Par exemple, quelles compétences faut-il avoir pour siéger à la commission? Quels sont les antécédents des membres actuels?
M. Cenaiko : Environ 25 p. 100 d'entre eux ont une expérience dans l'application de la loi. Environ 25 p. 100 ont une expérience juridique et, au moment où l'on se parle, environ 25 p. 100 ont de l'expérience dans les services correctionnels. Les 25 p. 100 qui restent sont composés de personnes qui ont œuvré dans l'enseignement, la psychologie ou la psychiatrie. Il y en a au moins deux qui ont fait du travail auprès des victimes.
Le sénateur McIntyre : Y a-t-il des policiers?
M. Cenaiko : Des retraités, oui, une vingtaine.
Le sénateur McInnis : Merci, monsieur le témoin, de votre présence.
Le sénateur Boisvenu a déjà touché à la plupart des sujets dont je voulais vous parler, mais j'aimerais tout de même avoir votre opinion au sujet de cette dynamique. Habituellement, le crime a été perpétré il y a un certain temps, et la Commission des libérations conditionnelles ou l'établissement s'intéresse normalement à l'instant présent lorsqu'il s'agit d'envisager comment il sera possible de réussir la réinsertion sociale du délinquant. Or, lorsque le projet de loi sera adopté, il vous faudra associer la condition de communication et de destination à un endroit donné. Est-il juste et normal d'entendre les victimes et les groupes qui les représentent faire valoir quelles sont celles qui ont été oubliées, quelles sont celles que le système de justice n'a pas traitées équitablement? Cette affirmation est-elle juste?
Vous parliez de la formation dispensée aux membres de la commission. Est-ce que vous vous efforcez de renseigner la population sur les activités de votre commission? Le sénateur Boisvenu nous a dit que la plupart des victimes avaient l'impression d'avoir été oubliées.
M. Cenaiko : Voilà encore une très bonne question. Lorsque nous examinons un dossier de crime violent, les observations du juge chargé du prononcé de la peine figurent parmi les éléments les plus importants à considérer. Ces observations sont généralement formulées de 12 à 18 mois après l'infraction. Lorsqu'on doit se pencher sur le dossier 15 ou 20 ans plus tard, il est tout à fait primordial de pouvoir considérer ce que le juge en a pensé lorsqu'il a eu à déterminer la peine, peu de temps après le crime.
Il faut par ailleurs se demander comment le contrevenant s'est comporté pendant ses 20 années d'incarcération. Nous commençons par revenir sur ce qui s'est passé 20 ans auparavant en examinant la déclaration de la victime. Il est d'ailleurs possible que plusieurs déclarations aient été versées au dossier. Ces déclarations peuvent être soumises à la commission et sont systématiquement intégrées au dossier lorsqu'il s'agit d'un meurtre ou d'une agression sexuelle grave.
Comme je l'indiquais précédemment, tous ces éléments sont pris en compte pour évaluer le risque que représente le délinquant. On regarde tous les programmes auxquels il a participé pendant son incarcération. Participait-il de bon gré aux programmes? Est-ce qu'il les a menés à terme? Son comportement était-il respectueux du personnel carcéral, qu'il s'agisse des agents correctionnels, des préposés aux programmes ou des enseignants? Tout cela est donc considéré.
Pour ce qui est de la sensibilisation de la population, des vidéos interactives sont accessibles sur notre site web. Si vous avez été victime d'un crime, vous pouvez voir comment une audience se déroule. Ces vidéos ont été produites au cours des deux ou trois dernières années. Nous en avons réalisé un certain nombre d'autres depuis que je suis en poste dans le cadre de nos efforts pour mieux renseigner la population, les victimes et les contrevenants.
La sénatrice Batters : Un grand merci pour votre présence aujourd'hui, mais également pour les services rendus au sein des forces de l'ordre et de la Commission des libérations conditionnelles.
Le sénateur Joyal a abordé la question. Vous lui indiquiez que l'on acquiesçait plus souvent qu'autrement aux demandes d'interdiction de communication présentées par les victimes. J'en profite pour souligner un élément que j'apprécie tout particulièrement dans ce projet de loi. Ainsi, la victime n'est plus tenue de formuler une telle demande; c'est à la commission qu'il incombe désormais de faire le nécessaire dans les circonstances que vous avez décrites. Je pense que c'est sans doute préférable de cette manière. Je voulais seulement dire que c'est mieux ainsi, car les victimes ont déjà leur large part de préoccupations.
Je note que vous avez précisé qu'il n'existait actuellement aucun recours pour une victime dont la demande a été rejetée. La Charte des droits des victimes proposée par le gouvernement va combler cette lacune. Nous avons grand hâte de pouvoir nous pencher sur cette charte qui permettra aux victimes d'avoir davantage voix au chapitre dans le processus. Quel est votre point de vue sur ces deux aspects?
M. Cenaiko : Comme nous l'avons déjà mentionné, le nouveau libellé proposé dans le projet de loi fait en sorte que l'on est désormais tenu d'imposer les conditions jugées raisonnables, ce qui diffère grandement de la loi en vigueur qui permet d'imposer de telles conditions. Comme vous le dites, c'est maintenant beaucoup plus clair. Cela s'appliquera lorsque la victime aura fourni une déclaration à l'égard des pertes ou des dommages qui lui ont été causés par la perpétration d'une infraction. La commission peut alors imposer toutes les conditions de libération qu'elle juge nécessaires pour protéger la victime, comme celle de s'abstenir d'entrer en contact
C'est un changement très important. Comme vous l'indiquez, c'est dorénavant une obligation pour nous. Cela deviendra clair pour les commissaires si ce projet de loi est adopté. Nous n'aurons pas à investir pour la formation de nos commissaires. C'est quelque chose que nous pouvons faire. Le projet de loi n'entraînera aucun coût supplémentaire. Nous appliquerons les nouvelles mesures prévues dès qu'elles entreront en vigueur.
Le président : Dans votre déclaration préliminaire, vous avez souligné qu'il n'y avait pas eu de récidive pendant près de 99 p. 100 des périodes de semi-liberté et 97 p. 100 des périodes de liberté conditionnelle totale. Lorsque vous parlez de récidive, s'agit-il du fait de commettre un autre crime?
M. Cenaiko : Oui, durant la période de libération jusqu'à l'expiration du mandat. Nous n'avons pas de statistiques sur ce qui arrive une fois le mandat expiré, parce que cela ne relève plus de nous.
Le président : Un manquement à une interdiction de communication ne serait pas considéré comme une récidive; ce n'est pas un crime.
M. Cenaiko : Effectivement, ce n'est pas un crime, mais l'individu pourrait être appréhendé. Ce n'est toutefois pas considéré comme un crime, car il n'y a rien d'illégal, par exemple, à consommer de l'alcool dans un bar. Cependant, s'il s'agit d'une condition de libération imposée à l'individu, il peut être arrêté et incarcéré de nouveau.
Le président : Je comprends, mais j'essaie seulement de faire le lien avec vos statistiques. Vous avez indiqué que plus de 10 p. 100 des décisions rendues par la commission l'an dernier pour accorder une libération conditionnelle totale étaient assorties d'ordonnances de non-communication. Qu'en est-il des manquements à ces ordonnances? Je ne vois ici aucun chiffre sur les manquements aux interdictions de communication, et je présume que les autorités policières ne sont pas tenues de signaler ce genre de situations. Avez-vous des données à ce sujet?
M. Cenaiko : Je n'en ai pas aujourd'hui, mais nous pourrons vous les communiquer, sénateur. Nous pouvons trouver tout ce que vous voulez. Je ne saurais vous répondre maintenant, car j'ignore les chiffres exacts. Je ne pense pas qu'il y en ait tant que ça, mais nous allons vous dénicher cette information. Au cours de la dernière année, nous avons examiné 19 789 dossiers dans des cas de semi-liberté, de libération conditionnelle totale ou de libération d'office.
Le président : Je sais qu'il est possible pour Service correctionnel Canada de prendre des mesures de surveillance électronique. Est-ce que la commission s'est penchée sur cette question? Je sais que certains États américains utilisent un système déclenchant une alarme lorsque le contrevenant se retrouve à moins de 500 pieds de sa victime. Celle-ci peut alors se mettre à l'abri quelque part si elle le juge nécessaire. Est-ce une option qui a aussi été envisagée?
M. Cenaiko : Cela ne fait pas partie de notre mandat; c'est davantage de l'ordre de la surveillance.
Le président : Est-ce que cela ne devrait pas faire partie de votre rôle? Je sais que SCC a la possibilité de le faire, mais ne semble pas vouloir s'en prévaloir.
M. Cenaiko : Je ne pense pas que cela devrait nous incomber, car notre rôle consiste à évaluer les risques, alors que le mandat de SCC englobe l'incarcération et la surveillance des contrevenants. Nous sommes chargés de déterminer si la libération d'un individu comporte un risque et, le cas échéant, s'il nous est possible de gérer ce risque sans mettre personne en danger.
Le président : Nous pourrions certes en débattre. Nous vous remercions de votre comparution et de votre contribution à notre étude.
Chers collègues, si vous le voulez bien, nous allons passer à l'étude article par article. Est-il convenu de procéder à l'étude par article par article du projet de loi C-489?
Des voix : D'accord.
Le président : Convenu.
Êtes-vous d'accord pour suspendre l'adoption du titre?
Des voix : D'accord.
Le président : L'article 1 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
L'article 2 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
L'article 3 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
L'article 4 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
L'article 5 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
L'article 6 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
Le titre est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
Le projet de loi est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Le président : Adopté.
Est-ce que le comité veut annexer des observations au rapport?
Des voix : Non.
Le président : Est-il convenu que je fasse rapport de ce projet de loi au Sénat?
Des voix : D'accord.
Le président : Convenu.
Le sénateur George Baker (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Chers collègues, comme vous le savez, nous passons maintenant au point suivant à notre ordre du jour, à savoir le projet de loi S-221, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun).
Comme le sénateur Runciman, président de notre comité, est le parrain de ce projet de loi, il m'a demandé d'occuper le fauteuil lors des séances portant sur le sujet. Nous amorçons maintenant l'étude du projet de loi S-221, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun).
Ce projet de loi vise à modifier le Code criminel de telle sorte qu'un tribunal soit tenu de considérer comme circonstance aggravante au moment de la détermination de la peine le fait que la victime des voies de fait soit un conducteur de véhicule de transport en commun.
Nous accueillons aujourd'hui deux témoins qui vont nous parler de ce projet de loi. D'abord, l'honorable sénateur Bob Runciman, parrain du projet de loi et président du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles; et, de Metro Vancouver Transit, Neil Dubord, agent en chef.
Nous allons d'abord entendre la déclaration préliminaire du sénateur Runciman.
L'honorable Bob Runciman, parrain du projet de loi : Monsieur le président, je tiens à vous remercier personnellement de votre soutien qui a permis d'aller de l'avant avec ce projet de loi dans des délais raisonnables. Je vais m'efforcer de m'en tenir à la limite des cinq minutes que j'essaie toujours d'imposer à nos témoins.
Ce projet de loi modifie le Code criminel afin d'exiger du tribunal qu'il considère comme circonstance aggravante pour la détermination de la peine le fait que la victime de voies de fait soit le conducteur d'un véhicule de transport en commun dans l'exercice de ses fonctions. Pour ce faire, il crée un article après l'article 269 du Code criminel. Ce nouvel article vise les infractions suivantes : 264.1(1)a), menacer de causer la mort ou des lésions corporelles; 266, voies de fait; 267, agressions armées ou infliction de lésions corporelles; 268, voies de fait graves; 269, lésions corporelles.
Le nouvel article 269.01 proposé définit également le terme « conducteur de véhicule de transport en commun » comme la personne qui conduit un véhicule servant à la prestation au public de services de transport de passagers, y compris le conducteur d'autobus scolaire.
Quant au terme « véhicule », il s'agit notamment d'un autobus, d'un véhicule de transport adapté, d'un taxi agréé, d'un train, d'un métro, d'un tramway et d'un traversier.
Selon l'Association canadienne du transport urbain, 2 061 cas de voies de fait contre des employés de transport en commun ont été signalées au Canada en 2011, dont plus de 80 p. 100 ont été commis dans le véhicule. Je pense qu'il s'agit d'un chiffre conservateur, parce que les voies de fait ne sont pas toujours signalées. En fait, ce ne sont pas tous les services de transport en commun qui participent à l'enquête annuelle menée par l'association. Le nombre d'agressions est alarmant, comme le degré de violence.
À l'étape de la deuxième lecture, j'ai parlé d'un passager qui a tabassé longuement un conducteur d'autobus de Winnipeg qui refusait de lui remettre une correspondance. Ces dernières années, des conducteurs ont été frappés à coups de marteau, poignardés, battus jusqu'à l'évanouissement. Un conducteur d'Ottawa a été aspergé d'urine. Souvent, les agressions surviennent pendant que l'autobus est en mouvement, ce qui est très dangereux. À cause de ces agressions, les victimes doivent parfois s'absenter du travail pendant des mois, mais l'agresseur, lui, n'est souvent même pas condamné à un jour d'emprisonnement.
Je veux vous parler d'un cas précis dont la Cour de justice de l'Ontario a été saisie plus tôt cette année : La Reine c. Patrick Guitard.
La décision a été rendue le 16 avril. M. Guitard a plaidé coupable à des accusations de voie de fait contre le conducteur d'autobus Ian Hodge et de non-respect de son ordonnance de probation. Avant cette agression, il avait été reconnu coupable de 17 agressions et de deux vols qualifiés. Dans cette affaire, le procureur de la Couronne demandait une peine d'emprisonnement de 18 mois et un an de probation. Quant à l'avocat de l'accusé, il demandait un an de détention sous garde.
Le juge David Paciocco l'a plutôt condamné à six mois de prison pour agression et à neuf jours de détention sous garde pour manquement aux conditions de sa probation. Dans sa décision, le juge écrit qu'il ne considère pas qu'il s'agit de voies de fait graves du simple fait que la victime est un conducteur d'autobus.
À mon avis, il convient de considérer une agression contre un conducteur de transport en commun de manière spéciale. Le conducteur est particulièrement vulnérable et une agression pose un risque pour les passagers, les autres conducteurs et les piétons.
Je tiens à signaler que cela n'est pas inhabituel. La plupart des États américains prévoient des infractions précises ou des peines plus sévères pour les agressions contre un employé du transport en commun. Ce qui distingue le projet de loi S-221 des autres mesures législatives semblables au Canada, c'est que la définition de conducteur de véhicule de transport en commun s'applique aux chauffeurs de taxi. Selon Statistique Canada, le taux d'homicides parmi les chauffeurs de taxi, de 1987 à 2011, se situait à 3,2 pour 100 000 personnes exerçant la profession, ce qui est beaucoup plus élevé que le taux d'homicides parmi les policiers.
Il n'y a pas de statistiques fiables en ce qui concerne les voies de fait commises contre des chauffeurs de taxi, mais l'iTaxi Workers Association, qui représente les chauffeurs de taxi de l'Ontario, a réalisé un sondage auprès de ses membres et a constaté que la moitié d'entre eux disent avoir été victimes de voies de fait au travail. Les chauffeurs de taxi travaillent seuls, de nuit, se font payer comptant et ils ne connaissent pas leurs clients, qui ont souvent les facultés affaiblies. C'est un emploi extrêmement dangereux et c'est pourquoi la définition comprend leur profession.
En terminant, j'aimerais simplement dire que le projet de loi établit un équilibre entre le droit du Parlement de fournir une orientation aux tribunaux et l'exercice du pouvoir discrétionnaire des juges au moment de déterminer la peine. C'est une façon de faire qui, je pense, peut avoir une bonne incidence sur la détermination de la peine et protéger les conducteurs et les passagers.
Neil Dubord, agent en chef, Metro Vancouver Transit : Je vous remercie de m'accorder le privilège de comparaître devant vous aujourd'hui à l'amorce de ce qui promet d'être un important débat dans un effort pour instaurer un climat de sécurité et de confiance pour les conducteurs de véhicules de transport en commun, leurs passagers et tous ceux qui partagent la route avec eux.
J'ai été agent de police pendant 28 ans et j'étais chef adjoint du service de police d'Edmonton avant de devenir agent en chef de la police des transports en commun de Vancouver.
Je voudrais aujourd'hui répondre à trois questions pour démontrer la pertinence du projet de loi S-221 parrainé par l'honorable sénateur Runciman. Demandons-nous premièrement pourquoi le projet de loi est nécessaire.
Il y a quatre éléments qui montrent que cette mesure est tout à fait justifiée. Considérons d'abord la protection des conducteurs de véhicules de transport en commun. Personne ne mérite d'être agressé en se présentant au travail. C'est pourtant une réalité avec laquelle doivent composer quotidiennement les conducteurs du transport en commun. Chaque jour à Toronto, l'un d'eux est victime de voies de fait. Deuxièmement, il y a l'aspect de la sécurité publique, à la fois pour les passagers du véhicule et pour les autres usagers de la route. Qu'il s'agisse de piétons, de cyclistes ou d'autres conducteurs, ils courent un plus grand risque lorsque le chauffeur d'un gros véhicule est agressé.
La confiance des passagers envers le transport public est le troisième élément à considérer. Lorsqu'un chauffeur est victime de voies de fait, les passagers qui sont témoins de l'agression sont perturbés, deviennent anxieux et perdent confiance dans le système. Partout au Canada, les villes s'efforcent d'encourager leurs citoyens à utiliser le transport en commun pour des motifs économiques et environnementaux. Sans la confiance des usagers, le transport en commun ne pourra pas poursuivre sa croissance.
La quatrième raison émane de la nécessité de recruter et de maintenir en poste des conducteurs compétents. Nous savons à quel point le travail des conducteurs de véhicules de transport en commun peut être difficile et exige d'excellentes compétences en service à la clientèle et en communication. Si nous n'arrivons pas à créer un milieu de travail sûr pour ces conducteurs, il nous sera impossible de recruter des candidats compétents et de les maintenir en poste.
La deuxième question à laquelle j'espère répondre aujourd'hui est la suivante : qu'est-ce qui distingue un conducteur de véhicule de transport en commun d'un autre travailleur, comme un infirmier, un médecin ou un enseignant? Pourquoi ces conducteurs ont-ils besoin du projet de loi S-221?
Comme je l'indiquais tout à l'heure, il y a chaque jour à Toronto un conducteur de véhicule de transport en commun qui est victime de voies de fait. Pour la région métropolitaine de Vancouver, nous en étions rendus à la fin mai à 101 enquêtes sur des signalements de voies de fait ou de menaces à l'endroit d'un conducteur. Dans quelle autre occupation peut-on recenser ainsi une agression par jour? Je vous dirais que si la situation était la même pour les médecins, les enseignants ou les travailleurs de n'importe quelle autre profession, on considérerait qu'il y a crise.
Pourquoi voit-on les choses autrement dans le cas du transport en commun?
Le transport public se distingue des autres milieux de travail du fait qu'il dessert, de par sa nature même, un très large éventail d'usagers incluant les petits salariés, les sans-abri, les toxicomanes et les personnes souffrant de maladie mentale. Contrairement à d'autres travailleurs, les conducteurs ne peuvent pas battre en retraite et se sortir de situations où la violence peut éclater. Ils ne peuvent pas fuir ou se soustraire à un incident parce qu'ils sont coincés sur leur siège et doivent conduire un véhicule de grande dimension. Un pilote d'avion ne permettrait jamais à un passager de circuler librement dans son cockpit et un capitaine ferait exactement la même chose sur son traversier. Les conducteurs de véhicules de transport en commun n'ont pas le luxe d'imposer des restrictions d'accès; leur situation est unique et ils sont exposés à des risques qui n'existent pas pour les autres travailleurs. C'est la raison pour laquelle ils ont besoin de la protection offerte par le projet de loi S-221.
Voici maintenant la troisième question à laquelle je souhaite répondre. Comme les juges disposent déjà des outils nécessaires pour déterminer la peine à imposer en fonction des circonstances particulières à chaque cas, pourquoi avons-nous besoin du projet de loi S-221?
Il n'est pas rare que l'on néglige de faire valoir au juge chargé de déterminer la peine le caractère particulier de l'environnement de travail du conducteur de véhicule de transport en commun et les risques auxquels il s'expose. Comme on ne souligne pas le fait que ces conducteurs sont vulnérables et sans défense et que l'on passe sous silence les répercussions d'une agression, les peines imposées sont souvent insuffisantes.
Ainsi, tous les conducteurs auxquels j'ai pu parler m'ont indiqué qu'ils préféreraient être victimes d'une agression physique mineure, plutôt que de se faire cracher dessus. Les impacts psychologiques, le manque de respect, la honte et le mépris associés à un crachat sont rarement pris en compte au moment de la détermination de la peine. Très souvent, les cas d'expectoration donnent lieu à des peines relativement clémentes, malgré les répercussions importantes sur le conducteur.
Je vous dirais en conclusion que des 101 cas d'agression ou de menaces à l'endroit de conducteurs ayant fait l'objet d'une enquête à Vancouver en 2014, 51 pouvaient être considérés comme des voies de fait au sens du Code criminel.
En 2013, le nombre de voies de fait sur le réseau du Grand Vancouver a augmenté de 9 p. 100 par rapport à l'année précédente. Des 134 cas de voies de fait recensés en 2013, 68 étaient des agressions physiques et 56 comportaient des crachats, dont 19 au visage des conducteurs. Comme ils vous l'ont indiqué, les représentants de l'ATU estiment que l'on a surtout besoin d'un puissant moyen de dissuasion pour réduire le nombre de voies de fait à l'endroit des conducteurs de véhicules de transport en commun. Malgré des années d'efforts de plus en plus soutenus de notre industrie via la formation, le soutien en temps réel et l'installation de caméras, le nombre d'agressions continue de croître.
Je viens de vous donner quatre raisons pour lesquelles le projet de loi S-221 est essentiel en vue d'assurer la sécurité des conducteurs et des usagers et de restaurer la confiance de la population envers le transport en commun. En outre, j'ai répondu à deux interrogations fréquemment soulevées pour faire entrave aux efforts déployés par le passé.
Vous avez le pouvoir et les moyens de faire le nécessaire. Le Sénat est reconnu pour sa capacité d'action.
Victor Hugo a déjà dit que rien n'est plus fort qu'une idée dont l'heure est venue. Eh bien, l'heure du projet de loi S-221 est venue.
Si vous me permettez une dernière observation, je vous dirais qu'il y a deux choses qui distinguent ce projet de loi des autres qui ont pu être proposés. Premièrement, il ne prévoit pas de peines minimales obligatoires, lesquelles ont pour effet d'acculer les juges au pied du mur. Il les oblige seulement à considérer comme une circonstance aggravante le fait que la victime est conducteur d'un véhicule de transport en commun. Ce projet de loi se distingue aussi de ceux qui l'ont précédé du fait que la définition de conducteur de véhicule de transport en commun est nettement élargie. Elle inclut désormais les chauffeurs de taxi, lesquels sont exposés à des risques considérables, les capitaines de traversier et les conducteurs d'autobus scolaire, un changement de portée que j'estime important.
Le vice-président : Nous allons maintenant vous poser des questions au sujet de votre exposé.
La sénatrice Jaffer : Je veux commencer par féliciter le sénateur Runciman d'avoir présenté ce projet de loi. Je viens de la Colombie-Britannique, et je suis parfaitement d'accord avec ce que M. Dubord a dit. Nos chauffeurs de taxi et nos conducteurs d'autobus sont confrontés à des situations difficiles chaque jour, et ce, avec très peu de protection. Je tiens donc à féliciter le sénateur Runciman, et à souhaiter la bienvenue à notre témoin.
J'aimerais poser deux questions, et je vais commencer par m'adresser à vous, monsieur Dubord.
Comme vous et le sénateur Runciman l'avez dit, le projet de loi S-221 stipule que le fait de s'attaquer à des chauffeurs de taxi et à des conducteurs d'autobus constitue des facteurs aggravants. Pensez-vous que, à une date ultérieure, d'autres mesures pourraient être prises pour protéger les gens avec qui vous travaillez?
M. Dubord : À mon avis, la protection des conducteurs de véhicules de transport en commun nécessite une stratégie à plusieurs volets. Parmi les composantes de cette stratégie, il y a l'imposition de peines et une déclaration publique et explicite selon laquelle nous ne tolérerons plus ce genre de comportement. Voilà ce que le projet de loi S-221 tente d'accomplir, en plus de prévoir la notion de circonstance aggravante et une certaine cohérence dans l'ensemble du Canada en ce qui concerne l'imposition des peines.
Quant au fait d'apporter des modifications précises à des lois existantes ou de créer de nouvelles lois, je n'y ai pas vraiment réfléchi. Du côté de la prévention, nous essayons toujours d'enseigner à nos conducteurs des techniques de désamorçage et la façon de traiter les personnes atteintes d'une maladie mentale et les toxicomanes. Nous savons qu'un grand nombre de délinquants sont soit des toxicomanes soit des personnes atteintes d'une maladie mentale. Nous continuons donc d'enseigner aux conducteurs des techniques de désamorçage et aussi de les former sur le plan des compétences dans le domaine de l'intervention en situation de crise. L'objectif, c'est qu'ils soient mieux en mesure de gérer une situation quand ils se trouvent devant un délinquant dangereux.
Toutefois, je ne pourrais pas formuler de commentaire au sujet de la création de nouvelles lois.
La sénatrice Jaffer : Sénateur Runciman, j'apprécie beaucoup le fait que vous ayez inclus les chauffeurs de taxi. Hier soir, une personne qui travaille pour moi a dit qu'elle allait vous écouter attentivement parce que, chaque jour, sa famille se fait du souci pour son père quand il va au travail. De toute évidence, vous êtes sensible à ces problèmes.
Vous avez mentionné que vous avez inclus les trains et les traversiers. Un domaine que vous n'avez pas inclus, c'est celui des vols de passagers, qui, bien sûr, constitue une autre forme de transports en commun. À votre avis, devrions-nous inclure les vols de passagers? Existe-t-il des raisons d'intérêt public pour lesquelles vous ne les avez pas inclus?
Le sénateur Runciman : J'ai mené des consultations assez vastes à ce sujet. Tout a commencé quand j'ai fait une déclaration au Sénat l'année dernière, parce que j'étais préoccupé par la peine qui avait été infligée après qu'un conducteur ait été attaqué dans un autobus à Ottawa, traîné dans la rue, puis sauvagement agressé. L'auteur du crime n'a pas passé une seule journée en prison. J'ai donc fait une déclaration cette journée-là. Peu après, le syndicat des travailleurs des transports en commun a communiqué avec moi, et cela a servi de catalyseur pour la présente démarche. Avant de me lancer dans l'élaboration du projet de loi, j'ai mené des consultations assez vastes, notamment auprès d'un ancien procureur de la Couronne et d'un ancien chef de police. Tout le monde était d'accord pour dire que nous devrions nous pencher sur la situation des chauffeurs de taxi parce que, comme vous l'avez dit, il s'agit d'une occupation dangereuse. Ils courent beaucoup plus de risques d'être tués que les policiers.
Il n'a pas été question des transports en avion, principalement parce que, d'après ce que je comprends, dans pratiquement tous les avions, ceux qui pilotent sont dans une section assez sécurisée. Les passagers n'ont pas facilement accès aux pilotes qui, d'ailleurs, ne sont pas chargés de recueillir des billets ou de l'argent de la part des voyageurs. Je pense qu'il existe là une nette distinction sur le plan des risques.
La sénatrice Jaffer : Merci.
La sénatrice Frum : Sénateur Runciman, je vous félicite d'avoir présenté cet important projet de loi, et j'ai hâte qu'il soit adopté.
Dans l'exemple que vous nous avez donné, la Couronne demandait que l'auteur du crime passe 18 mois en prison, mais le juge lui a imposé une peine de 6 mois, avec 9 jours en détention. Si cette mesure législative avait force de loi, compte tenu du facteur aggravant, à votre avis, quel genre de peine serait raisonnable? À quoi vous attendriez-vous comme peines?
Le sénateur Runciman : Rien ne garantit que les choses seraient différentes, mais le tribunal serait tenu de considérer cela comme une circonstance aggravante.
Le chef et moi en avons parlé plus tôt. Il espère que cette mesure donnera lieu à une plus grande uniformité partout au pays. En ce moment, on assiste à des cas étranges, comme l'exemple que j'ai cité, et à plusieurs autres dans lesquels on a imposé des sanctions plus appropriées. On s'attend donc à ce qu'il y ait davantage d'uniformité et à ce que les peines reflètent mieux la gravité de l'infraction. Ce n'est souvent pas le cas à l'heure actuelle.
La sénatrice Frum : Monsieur Dubord, faites-vous affaire à des récidivistes?
M. Dubord : En effet, nous traitons souvent avec les mêmes délinquants. Nous avons un rigoureux programme de surveillance des récidivistes dans le cadre duquel nous surveillons de près les personnes qui ont déjà menacé des conducteurs d'autobus ou de véhicule de transport en commun. Nous nous assurons qu'ils respectent leur couvre-feu et les conditions auxquelles ils sont assujettis afin de prévenir les risques de récidive et d'éviter qu'ils s'en prennent à nouveau à des conducteurs de véhicules de transport en commun.
La sénatrice Frum : La récidive est-elle considérée comme une circonstance aggravante pour la détermination de la peine?
M. Dubord : Je peux en parler de façon plus générale. Lorsque les procureurs de la Couronne proposent aux juges la peine qu'ils aimeraient voir imposer, ils ne connaissent souvent pas les circonstances et le contexte dans lequel travaillent les conducteurs d'autobus ou de véhicules de transport en commun. Je fais souvent une démonstration lors de mes exposés. J'amène une personne en avant et je lui demande de s'asseoir sur une chaise semblable à celle sur laquelle nous sommes assis aujourd'hui et je lui fais porter une ceinture de sécurité. Elle a un volant devant et un mur d'acier derrière. Elle dispose d'un terminal de données mobiles et d'une boîte de péage. Elle doit ensuite composer avec une personne au-dessus d'elle qui est en position de pouvoir. Elle doit donc se concentrer et essayer de conduire un véhicule de 10 tonnes, à 60 kilomètres à l'heure, avec 40 passagers à bord, tout en discutant avec cette personne.
Nous avons récemment eu un cas d'agression sexuelle à l'endroit d'une conductrice d'autobus qui conduisait sur une autoroute à 70 kilomètres à l'heure, avec deux passagers à bord, qui avaient les yeux rivés sur leur téléphone intelligent. L'individu à l'avant était en état d'ébriété; il a au moins eu la bonne idée de prendre l'autobus plutôt que sa voiture. Il a mis sa main sur l'épaule de la conductrice et a commencé à lui faire des attouchements. Lorsque la conductrice est parvenue à stationner l'autobus et à ouvrir les portes, l'individu s'est enfui. Le suspect est d'ailleurs toujours recherché. Les caractéristiques propres à l'environnement ne sont pas bien transmises aux procureurs ni aux juges, ce qui fait en sorte qu'ils ne tiennent pas compte de ces circonstances atténuantes, qui ont une incidence sur la détermination de la peine.
Le président : Vous voulez dire les circonstances aggravantes.
M. Dubord : Oui. Absolument; je suis désolé.
Le sénateur McIntyre : Merci à vous deux pour vos exposés. Sénateur Runciman, je vous félicite d'avoir présenté ce projet de loi. Je trouve qu'il va de pair avec le projet de loi C-444, qui oblige le tribunal à considérer comme circonstance aggravante le fait que l'accusé a prétendu faussement être un agent de la paix. Autrement dit, on met l'accent sur les circonstances aggravantes.
Je suis sûr que vous êtes au courant du projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-533, qui a été présenté à la Chambre des communes en juin dernier par le député Ralph Goodale. Le projet de loi vise à modifier le Code criminel afin de protéger les employés des services de transport en commun. Le projet de loi du député Goodale ferait en sorte d'exiger du tribunal qu'il considère, pour la détermination de la peine, comme une circonstance aggravante le fait que la victime, lors de la perpétration de l'infraction, était soit une personne employée par un service de transport en commun et agissant dans l'exercice de ses fonctions, soit prêtait main-forte à une telle personne. Le projet de loi a été en première lecture seulement. Comment votre projet de loi se distingue-t-il de celui du député Goodale? Je sais que votre projet de loi concerne uniquement les conducteurs de véhicules de transport en commun.
Le sénateur Runciman : Il y a plusieurs différences. Son projet de loi modifie les dispositions générales relatives à la détermination de la peine aux termes d'un différent article du Code criminel. Nous avons plutôt choisi de nous attaquer à une infraction particulière afin de dissuader les gens de commettre cette infraction. Par cet amendement, nous avons voulu nous rapprocher le plus possible de l'infraction désignée plutôt qu'elle soit visée par la disposition générale. C'est une des différences.
L'autre distinction concerne la définition de « conducteur de véhicules de transport en commun », issue des consultations que j'ai tenues et des conseils que j'ai reçus. Chose certaine, l'inclusion des chauffeurs de taxi distingue mon projet de loi de celui de M. Goodale. Ce sont donc les principales distinctions en ce qui concerne les définitions et la façon dont nous avons proposé de modifier le Code criminel.
Le sénateur McIntyre : Vous ne pensez pas qu'il aurait fallu inclure le personnel de soutien?
Le sénateur Runciman : Non, car je ne crois pas qu'il fait face aux mêmes types de risques.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Tout d'abord, félicitations, sénateur Runciman, pour le travail que vous avez fait dans ce projet de loi, qui m'apparaît important parce qu'au Québec, on entend toutes les semaines des cas de violence contre les chauffeurs de taxi qui se produisent la nuit. Les chauffeurs de taxi vont souvent revendiquer la mise sur pied de règlements sur le plan civil ou des outils de protection comme des caméras de surveillance, et il est très difficile d'obtenir ce genre d'outil. Ces gens sont souvent laissés à eux-mêmes. Il faudrait que le Code criminel soit plus sévère.
Sénateur Runciman, pouvez-vous me dire pourquoi ne pas avoir pris la même approche que celle adoptée pour la protection des monuments militaires, où il y a aggravation des sentences en fonction de la récidive?
Monsieur Dubord, vous dites que les agresseurs sont limités, eux qui, à répétition, agressent les chauffeurs de taxi ou d'autobus; ce sont souvent les mêmes. Pourquoi l'approche n'a-t-elle pas été de déterminer une première récidive, une deuxième récidive et une troisième récidive, et qu'il y ait une progression dans les sentences plutôt que de laisser les juges déterminer cette sentence? Souvent, on voit que la sentence sera plus grave à la première récidive qu'à la troisième. Le message qu'on lance au criminel, c'est que plus il commet de crimes, plus la sentence sera légère.
Ainsi, sénateur Runciman, pourquoi ne pas avoir pris la même approche que pour les monuments militaires où il y a une progression dans les sentences ou les amendes?
[Traduction]
Le sénateur Runciman : Nous avons assurément étudié cette question. Je souhaitais avoir une mesure qui réponde aux préoccupations générales et qui me permette de parvenir à un consensus. Comme le chef l'a indiqué, cet élément de mon projet de loi est très positif puisque le tribunal n'aura pas les mains liées; il pourra quand même exercer son pouvoir discrétionnaire, mais il sera tenu de prendre en considération les circonstances aggravantes.
Je pense que ce que vous proposez serait utile, mais à mon avis, cela aurait été beaucoup plus controversé et plus difficile de faire ce que nous voulions faire ici, c'est-à-dire avoir un véritable impact. Je pense qu'il aurait été beaucoup plus difficile d'obtenir l'assentiment non seulement du Sénat, mais aussi de la Chambre des communes. Tous les intervenants et les personnes à qui j'ai parlé m'ont dit qu'il s'agissait de la meilleure approche à adopter.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Dubord, sur les 2 061 cas d'agression, avons-nous une idée du nombre d'agresseurs qui ont été condamnés par rapport à ceux qui n'ont pas reçu de sentence?
[Traduction]
M. Dubord : Je peux me prononcer sur le nombre de délinquants qui ont été accusés. Le taux d'accusation dans les cas de voies de fait contre des conducteurs de véhicules de transport en commun se situe entre 21 et 23 p. cent. Ce sont les personnes contre qui on a porté des accusations; les condamnations sont moins nombreuses.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup, sénateur Runciman. Je vous félicite pour ce projet de loi bien pensé qui s'attaque à un problème bien évident. Quand j'ai vu que le juge avait refusé, dans l'arrêt R. c. Guitard, de considérer que les voies de fait étaient aggravées du fait que la victime était un chauffeur d'autobus et qu'il avait ajouté que le Code criminel identifiait certains groupes pour lesquels la gravité d'une infraction commise est plus élevée, mais que les chauffeurs d'autobus n'en faisaient pas partie, je me suis dit qu'il fallait absolument modifier le Code criminel.
J'apprécie le fait que votre projet de loi, contrairement aux autres qui ont été présentés par le passé, y compris celui de Ralph Goodale, s'applique également aux chauffeurs de taxi. À Regina, en particulier, ma ville natale, je sais que les voies de fait à l'endroit des chauffeurs de taxi sont devenues une réelle préoccupation. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi les conducteurs de véhicules de transport en commun, comme le définit le projet de loi, sont particulièrement vulnérables?
Le sénateur Runciman : Le chef serait probablement mieux en mesure que moi de le faire, mais je peux essayer de vous en parler. La réaction des gens de l'industrie, des propriétaires et des conducteurs face au dépôt de ce projet de loi a été très émotive. Les gens sont touchés par le fait que nous essayons de faire quelque chose pour eux. Ils l'apprécient réellement. À bien des égards, je pense qu'ils se sentent laissés à eux-mêmes et croient qu'on ne se soucie pas de leur sécurité. Il y a évidemment le fait que, dans bien des cas, des accusations ne sont pas portées, parce qu'il n'y a pas de témoins, entre autres. Ils sont très reconnaissants envers le Sénat et se réjouissent de cette initiative en leur faveur.
Comme le chef l'a indiqué, une personne a été agressée sexuellement à bord d'un autobus, devant 40 passagers. Un conducteur d'Ottawa s'est également fait bousculer et frapper, alors qu'il était au volant. L'autobus a fait une embardée et s'est retrouvé dans la voie inverse. Heureusement, il n'y avait pas d'autres véhicules, mais dans ces situations, il y a aussi le risque qu'on heurte des piétons, par exemple. Si un conducteur perd le contrôle de son véhicule, il pourrait causer de graves blessures, voire des décès. Je pense que les circonstances dans lesquelles ces gens travaillent font en sorte qu'ils s'exposent à des risques très importants. Dans bien des cas, les tribunaux ne le reconnaissent pas. Nous espérons que cela les encouragera à en tenir compte à l'avenir.
La sénatrice Batters : D'une certaine façon, ils sont isolés, mais en même temps, ils sont très accessibles à ceux qui voudraient leur faire du mal.
Monsieur Dubord, je vous remercie pour votre témoignage fort convaincant. Je crois que vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion, et vous avez même cité Victor Hugo, ce qui n'est pas rien. Vous avez mentionné brièvement que vous préfériez ce projet de loi à ceux qui ont été présentés par le passé, y compris celui de Ralph Goodale. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous préférez ce projet de loi à celui de Ralph Goodale?
M. Dubord : Je crois que l'une des raisons pour lesquelles les autres projets de loi présentés à la Chambre des communes n'ont pas reçu un aussi grand appui, c'est parce qu'ils prévoyaient une peine précise ou une peine minimale obligatoire. Ces mesures sont donc considérées plus restrictives et ont tendance à ne pas bénéficier d'un appui suffisant pour aller de l'avant. Ce serait la première chose.
Ensuite, en élargissant la définition de conducteur de véhicule de transport en commun, on inclut désormais les conducteurs de taxi, de traversier et d'autobus scolaire. Avec une portée plus générale, je pense que le projet de loi jouit d'un plus large appui.
Je crois que vous avez parlé du fait que les conducteurs d'autobus se sentent isolés. On s'attend à ce que les conducteurs d'autobus ou de véhicules de transport en commun puissent recueillir l'argent et composer avec les personnes qui ont un mauvais comportement à bord de l'autobus. Lorsqu'un autobus compte 30 ou 40 passagers et qu'une personne a une mauvaise conduite, que ce soit en raison d'un trouble de santé mentale ou d'une intoxication, le conducteur de l'autobus doit gérer la situation. Nous savons que dans 30 p. 100 des cas, l'agression survient à la suite d'une dispute, lorsqu'un passager refuse de payer ou adopte un comportement inacceptable à bord de l'autobus. Le conducteur intervient pour faire cesser ce comportement et se retrouve finalement victime d'agression. Selon moi, le projet de loi a le potentiel pour aller de l'avant. En outre, je crois qu'il établit une distinction entre ces professions et les autres, par exemple, les enseignants, les médecins et les avocats, pour qui des circonstances aggravantes pourraient également être prises en considération. Je pense que cela élimine également cette possibilité.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Au risque de me répéter, je tiens à féliciter le sénateur Runciman pour ce projet de loi qui, je crois, est très important.
Ma question s'adresse à M. Dubord. Vous savez certainement que certains chauffeurs de taxi équipent leur véhicule de grilles pour se protéger; nous avons déjà discuté de la situation des pilotes d'avion; les chauffeurs du métro de Montréal sont dans des cabines isolées; j'ai eu l'occasion de voir des chauffeurs d'autobus articulé isolés dans une espèce de cage en Plexiglas. Croyez-vous que vous devrez en arriver à ce genre de décision un jour? Vous avez déjà été policier. Les choses ont bien changé depuis ce temps, et vous savez certainement que toutes les autopatrouilles sont équipées de grilles maintenant. Avez-vous pensé à isoler les chauffeurs pour leur protection?
[Traduction]
M. Dubord : C'est une excellente question. Merci beaucoup. Les écrans protecteurs sont assez fréquents dans les autobus aux États-Unis.
À l'heure actuelle, le syndicat UNIFOR, qui représente les conducteurs de véhicules de transport en commun dans la vallée du bas Fraser, à Vancouver, a tenu un vote concernant l'installation de ces écrans à bord des véhicules. Les résultats du vote ont démontré que les conducteurs n'étaient pas en faveur de ces écrans. Étant donné le petit nombre de gens qui agressent des conducteurs, ils avaient l'impression qu'on leur enlevait la meilleure partie de leur travail. Évidemment, on parle ici du service à la clientèle et du fait qu'ils peuvent côtoyer des clients réguliers sur leur parcours quotidien. Les chauffeurs veulent donc pouvoir continuer à avoir des conversations avec les utilisateurs, et les écrans les empêcheraient de le faire.
Il a été question d'un écran protecteur avec une porte à deux battants. On en a discuté avec WorkSafeBC, la Commission des accidents du travail ou la Commission de la santé et de la sécurité au travail pour savoir si ces écrans devraient être utilisés obligatoirement s'ils étaient installés. Les conducteurs ne devraient pas avoir le choix de les laisser ouverts.
Il y a donc un grand débat concernant les écrans eux-mêmes et leur incidence sur le sentiment d'appartenance à la communauté que crée le transport en commun. Pour ce qui est de protéger les conducteurs, évidemment, cela les protégerait. Nous pourrions installer ces dispositifs, qui ressemblent réellement à une petite cellule de prison.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Le projet de loi va de soi pour éviter que ces événements se produisent à répétition, car compte tenu des faibles sentences, les gens sont portés à répéter ce genre d'agression.
On ne peut pas passer sous silence le travail des policiers qui doivent intervenir, faire enquête, arrêter les individus à répétition. Cela représente un coût pour la société, mais, en plus, il y a la somme de travail pour les chauffeurs, les policiers et autres.
M. Dubord : Absolument.
[Traduction]
Le sénateur McInnis : Je n'ai rien de très profond à ajouter. Je voulais simplement profiter de l'occasion pour remercier le sénateur Runciman d'avoir présenté ce projet de loi. Cela démontre le grand rôle que jouent les sénateurs et le travail qu'ils peuvent accomplir.
Il me semble que ce projet de loi se passe d'explications, pourtant il a fallu que vous présentiez un discours au Sénat, d'après ce que je comprends, à la suite d'une agression horrible à l'endroit d'un conducteur de transport en commun. Nous venons de traiter du projet de loi C-489. Il a fallu qu'une agression se produise à Langley pour qu'on présente une mesure législative garantissant que le système judiciaire réagisse.
Il faut se poser la question suivante : où était l'Association des avocats criminalistes, qui rencontre de façon régulière les procureurs généraux locaux, les ministres de la justice ou les juges de la cour fédérale? Pourquoi n'a-t-on pas songé à une telle initiative avant?
Quoi qu'il en soit, je suis heureux que vous ayez inclus les chauffeurs de taxi dans ce projet de loi. C'est un emploi extrêmement dangereux, mais pourquoi a-t-on attendu qu'un crime horrible se produise avant d'intervenir?
Le sénateur Runciman : Il est très difficile de répondre à cette question, c'est le moins qu'on puisse dire.
Pour ce qui est de remédier à la situation des voies de fait contre les conducteurs d'autobus, je crois savoir qu'au fil des années, plusieurs projets de loi d'initiative parlementaire ont été déposés à la Chambre des communes, mais n'ont pas abouti, pour quelque raison que ce soit. En effet, cette agression et la décision des tribunaux d'Ottawa dans cette affaire m'ont fait réagir. Mon point de vue n'est pas nécessairement personnel, mais comme vous et la sénatrice Jaffer l'avez indiqué, le Sénat peut jouer un rôle dans ces cas-là.
Dans certaines situations, nous avons la possibilité de faire quelque chose, étant donné le nombre de représentants au Sénat et le fait que nous adoptions une approche plus collégiale face aux projets de loi présentés au Sénat. Contrairement au système de tirage au sort de la Chambre des communes, où on peut présenter un projet de loi et attendre des années avant qu'il voit le jour, nous avons la possibilité d'intervenir rapidement, particulièrement dans des cas importants. Nous réussissons habituellement à obtenir l'appui des deux côtés. Je pense que c'est un très bon exemple qui démontre aux Canadiens que les sénateurs peuvent réaliser de grandes choses en leur nom.
Le vice-président : Je tiens à préciser que le sénateur McInnis est un membre respecté du Barreau et on lui pardonne sa critique passagère du pouvoir législatif.
Le sénateur McInnis : Je parlais de façon générale.
Le vice-président : Exactement, et je suis parfaitement d'accord avec vous sur cette question.
Nous avons vérifié le projet de loi C-533 déposé à la Chambre des communes, et il ne ressemble pas du tout au projet de loi dont nous sommes saisis, puisque ce projet de loi donne des définitions, définit les questions et s'applique uniquement aux conducteurs de transport en commun. Comme le président l'a fait observer, l'autre projet de loi vise les personnes qui travaillent dans le système et ceux qui les soutiennent. C'est donc complètement différent.
Nous félicitons le sénateur Runciman. Je tiens à mentionner que le sénateur Runciman a fait un excellent travail. Avant de présenter cette mesure législative, il s'est entretenu avec tous les sénateurs de chaque côté pour s'assurer que le projet de loi soit approuvé rapidement. Je ne connais pas de sénateurs qui s'opposent au projet de loi présenté par le sénateur Runciman.
Nous remercions également notre témoin d'aujourd'hui. Chef, vous avez très bien fait valoir votre point de vue concernant ce projet de loi.
M. Dubord : Merci.
Le vice-président : Cela dit, comme il n'y a pas d'autres points à l'ordre du jour, la séance est levée.
(La séance est levée.)