Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 16 - Témoignages du 18 septembre 2014
OTTAWA, le jeudi 18 septembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 10, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac), s'est réuni aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue aux sénateurs, aux invités et aux membres du grand public qui suivent les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (contrebande de tabac). Selon son sommaire, le projet de loi modifie le Code criminel afin de créer une nouvelle infraction de contrebande de tabac et d'établir des peines minimales d'emprisonnement en cas de récidive des délinquants qui font le commerce de grandes quantités de tabac de contrebande.
Le projet de loi C-10 a été présenté comme projet de loi S-16 lors de la dernière session parlementaire, et notre comité avait tenu quatre séances et entendu 17 témoins à ce sujet.
Le 9 mai 2013, le comité a fait rapport du projet de loi S-16 au Sénat, sans amendement, mais avec une observation quant à la définition d'« agent de l'autorité » prévue aux termes de ce projet de loi et d'autres textes législatifs connexes. Le projet de loi S-16 est mort au Feuilleton lors de la dernière prorogation, et le projet de loi C-10 a été présenté pour le remplacer le 5 novembre 2013. C'est notre première réunion portant sur ce projet de loi.
Pour commencer les délibérations, j'ai le plaisir d'accueillir de nouveau devant ce comité Paul Saint-Denis, qui est avocat-conseil à la Section de la politique en matière de droit pénal à Justice Canada.
Monsieur, soyez le bienvenu. On m'informe que vous allez faire une déclaration préliminaire. Nous vous écoutons.
Paul Saint-Denis, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, Justice Canada : Merci, monsieur le président. Compte tenu de ce que vous venez de dire — et qui reprenait l'essentiel de ce que j'allais dire —, je crois que mon intervention sera encore plus courte que ce que j'avais prévu.
Comme vous l'avez dit, ce projet de loi a été présenté l'an dernier en tant que projet de loi S-16, et a fait l'objet d'un examen par ce comité. Ses dispositions visent essentiellement à créer une nouvelle infraction pour le trafic du tabac de contrebande. On y propose une peine maximum de cinq ans d'emprisonnement par mise en accusation, mais aussi cette série inusitée de peines minimales en vertu desquelles les récidivistes — c'est-à-dire, ceux qui ont été reconnus coupables de ce délit une première fois — sont passibles d'une peine minimale de 90 jours pour une deuxième infraction, de 180 jours pour une troisième et de deux ans moins un jour pour une quatrième infraction et toutes les suivantes lorsque les quantités de cigarettes ou de produits du tabac en jeu sont importantes. Et par importantes, on entend 10 000 cigarettes, 10 kilos de feuilles de tabac ou 10 kilos de produits du tabac.
Ce projet de loi est campé dans un contexte assez large, soit le problème plus vaste du tabagisme en général. Il ne cherche pas uniquement à s'attaquer au problème de la contrebande du tabac, mais il cherche aussi à faire reculer la consommation de cigarettes. Comme ces cigarettes de contrebande se vendent à très bas prix, les fumeurs tentent évidemment de s'en procurer, dont les jeunes. Or, ce n'est pas un secret pour personne : lorsqu'il est question de cigarettes et de fumée, les jeunes sont particulièrement vulnérables. Nous espérons par conséquent que le projet de loi permettra de freiner cette tendance à consommer du tabac de contrebande tant chez les adultes que chez les jeunes.
Voilà qui met un terme à mes très brèves observations. Je me ferai une joie de répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci. Voilà qui est bien. Commençons donc avec le vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je souhaite la bienvenue à M. Saint-Denis, qui, au fil des ans, s'est adressé à maintes reprises à notre comité.
La recommandation que notre comité a faite au moment de présenter son rapport était que le gouvernement devrait envisager la possibilité de doter un agent — comme le sénateur Dagenais, quand il était policier — des mêmes pouvoirs que ceux que la Loi sur les douanes confère aux agents des douanes ou que la Loi sur l'accise confère à un responsable de l'accise.
J'ai remarqué que vous ne l'avez pas souligné, mais il semble que la seule chose qui soit différente dans ce projet de loi est la phrase suivante : « Il est interdit de vendre, d'offrir en vente, de transporter, de livrer, de distribuer ou d'avoir en sa possession pour la vente des produits du tabac ou du tabac en feuilles non emballé qui ne sont pas estampillés [...] » C'est tout. La moitié de ce passage, soit « Il est interdit de vendre, d'offrir en vente », est dans la Loi sur la taxe d'accise, et le reste de l'infraction — le transport, la livraison et la distribution — fait partie de lois provinciales. En Ontario, il y a la Loi de la taxe sur le tabac, qui porte en partie sur le transport et la distribution des produits du tabac.
La vente est couverte par la Loi sur la taxe d'accise : « de vendre, d'offrir en vente ».
Les deux principaux éléments de cette nouvelle infraction — présumément nouvelle, devrais-je dire — font déjà partie des lois, nommément de la Loi sur la taxe d'accise et des lois provinciales sur le tabac qui encadrent la distribution et le transport de ces produits.
Est-ce exact? Quel est votre point de vue à ce sujet?
M. Saint-Denis : Oui, Monsieur, ce que vous dites est vrai. Il y a des chevauchements entre cette infraction et les infractions visées par la Loi sur l'accise, ainsi qu'entre ces dispositions et certaines lois provinciales en matière de taxes ou de finances.
Je n'ai pas vraiment quoi que ce soit à ajouter si ce n'est que ce que nous tentons de faire consiste à rendre ces pratiques criminelles en vertu du Code criminel, et que nous avons ajouté des peines minimales.
La Loi sur l'accise ne contient pas de peines minimales d'emprisonnement, mais bien des amendes minimales. Les lois provinciales sont essentiellement de nature non criminelle. Ce qui nous intéresse est d'une autre nature. Ce ne serait pas la première fois qu'il y a chevauchement entre une infraction criminelle et d'autres lois fédérales. L'intention est différente, c'est tout. Dans ce cas-ci, nous cherchons à criminaliser un comportement aux termes du Code criminel afin de souligner l'importance et la portée que nous souhaitons donner à la gravité de la contrebande de tabac.
Le sénateur Baker : Au Canada, on voit couramment des causes portant sur ces éléments. Les accusés se retrouvent en cour et se font donner des peines pour chacun des éléments visés par le projet de loi : la vente, l'offre de vente, le transport et la livraison aux fins de vente.
Or, votre ministère ou vous ne trouvez pas étrange que le projet de loi aille à l'encontre du principe voulant qu'on ne puisse être accusé plusieurs fois d'une seule et même infraction? Autrement dit, vous ne pouvez pas accuser quelqu'un pour des infractions dont les éléments — ou leur approximation — sont couverts par un autre chef d'accusation. Cela signifie qu'un agent aura désormais à choisir entre le même libellé à trois endroits différents : dans la Loi sur la taxe d'accise, dans la loi provinciale et, bientôt, dans le Code criminel. Le policier — ou le procureur, une fois que le policier aura porté l'accusation — aura donc à établir lequel des libellés s'appliquera.
Ne croyez-vous pas que les principes res judicata et Kienapple seraient applicables dans ce cas particulier, attendu qu'il n'y a vraiment aucun nouveau motif de poursuite? La seule nouvelle chose est ce minimum obligatoire aux termes du Code criminel.
M. Saint-Denis : Oui. Eh bien, à vrai dire, bien qu'il y ait un chevauchement entre le texte de loi proposé et la Loi sur l'accise, 2001, ainsi qu'entre le texte de loi proposé et certaines lois provinciales, le policier qui procédera à l'arrestation choisira l'infraction sur laquelle il souhaite axer la poursuite, alors je ne crois pas qu'il y ait quelque risque que ce soit d'aller à l'encontre du principe Kienapple. L'agent se fondra sur son discernement et sur son point de vue pour choisir l'infraction qui s'applique le mieux.
Le sénateur Baker : Certaines de ces infractions ont lieu au Canada et aux États-Unis. En ce qui concerne les réserves, il y en a au moins une qui, je le crois, exerce sa juridiction aux États-Unis et au Canada. La Cour d'appel de l'Ontario a statué il y a deux ans — je suis convaincu que vous êtes au courant — que vous ne pouvez pas signifier une assignation à comparaître à quelqu'un qui n'est pas en sol canadien, sauf si la loi vous y autorise. Pourquoi avez-vous laissé en plan ce qui est, à mon sens, une disposition clé qui vous permettrait de signifier une assignation à comparaître pour certaines activités qui n'ont pas cours qu'au Canada, mais aussi, en partie, aux États-Unis?
M. Saint-Denis : Tout d'abord, si une activité se déroule aux États-Unis, aucune infraction n'est commise au Canada. Les États-Unis ont leurs propres lois pour composer avec ce phénomène, et ils sont libres de traiter à leur guise tout ce qui a lieu sur leur territoire.
En ce qui concerne votre question de base, à savoir pourquoi ce projet loi ne prévoit rien pour permettre de signifier une assignation à comparaître, il faut comprendre que cette infraction n'a aucune portée extraterritoriale. Il n'y a par conséquent aucune raison d'inclure la capacité de signifier une assignation à comparaître à l'intention de quelqu'un qui est aux États-Unis.
Ensuite, cela n'est rien d'autre qu'une infraction que nous avons ajoutée au Code criminel, et il n'y a à ma connaissance aucune infraction du Code criminel pour laquelle il est possible de signifier une assignation à comparaître à l'extérieur du pays. Alors, nous avons traité cette infraction de la même façon que toutes les autres du Code criminel. C'est tout.
Le président : J'essaie de me souvenir de la façon dont nous avons traité cette loi par le passé. N'y avait-il pas eu un problème d'application découlant de l'inclusion d'infractions aux termes de la Loi sur l'accise? Je crois que nous avions eu un témoignage concernant une affaire où la Police provinciale de l'Ontario était partie prenante, mais où la GRC était seule autorisée à faire appliquer les dispositions de la Loi sur l'accise. N'était-ce pas une de vos préoccupations?
M. Saint-Denis : Oui. Le fait d'avoir cela aux termes du Code criminel permettra aux agents de la paix ordinaires — et pas seulement ceux de la GRC — d'appliquer cette loi, alors que présentement, l'application de la Loi sur l'accise, 2001, est l'affaire exclusive de la GRC.
Le sénateur Joyal : L'agent aura à décider en vertu de quelle rubrique juridique il souhaite porter des accusations. Il pourra opter pour le Code criminel, qui prévoit une peine minimale, ce qui entraînera une sentence en vertu de l'alinéa 718.2e) dudit code. Il lui faudra entre autres tenir compte du principe de l'arrêt Gladue, car il y a une peine minimale. Il pourra aussi choisir de passer par la Loi sur l'accise ou la loi provinciale.
En d'autres mots, l'agent aura la possibilité de choisir le type d'infraction avec tout ce que cela signifie en vertu du Code criminel — dont un casier judiciaire et tout ce qui accompagne une accusation criminelle —, mais aussi en ce qui concerne la détermination de la peine. Pouvez-vous confirmer cela?
M. Saint-Denis : Je suis désolé, je crois que j'ai manqué la question. Vous dites qu'essentiellement, l'agent de la paix pourra choisir le chef d'accusation qu'il estimera le mieux adapté aux circonstances, soit en vertu du Code criminel, soit aux termes de la Loi sur l'accise ou de la loi provinciale? Oui, c'est bien ce qui va arriver.
Le sénateur Joyal : Oui, car la détermination de la peine est différente. Le principe de la détermination de la peine varie selon qu'elle se fait en fonction de la Loi sur l'accise ou de la loi provinciale et, bien entendu, du principe de Gladue, 718, en vertu duquel un juge ne peut pas tenir compte de l'identité autochtone d'un accusé au moment de prononcer sa sentence puisque l'infraction reprochée s'accompagne d'une peine minimale. Selon la jurisprudence et des décisions passées de la Cour suprême, lorsqu'il y a une peine minimale, le principe de Gladue, alinéa 718.2e), ne s'applique pas.
M. Saint-Denis : C'est exact. Cela ne s'appliquerait pas si le particulier est accusé d'une infraction au Code criminel et qu'il s'agit d'un récidiviste, c'est-à-dire qu'il a déjà été reconnu coupable de cette infraction une première fois, et pas d'une infraction en vertu de la Loi sur l'accise. S'il est inculpé une deuxième fois pour le même délit, il sera nécessairement passible d'une peine minimale. Toutefois, si l'avocat de la Couronne décide, pour des raisons qui lui sont propres, de ne pas demander l'application d'une peine minimale, aucune peine minimale ne s'appliquera.
Le sénateur Joyal : Bien sûr. Il n'y a pas de minimum. Nous sommes tous d'accord avec ça. Il n'y a pas de peine minimale, et puis il y a le principe de Gladue, qui s'accompagne d'amendes. Nous nous entendons là-dessus.
Ma deuxième question porte sur les lois comparables en vigueur aux États-Unis au sujet des réserves indiennes qui, comme le soulignait le sénateur Baker, s'étendent de part et d'autre de la frontière. Nous savons tous de quelle réserve je veux parler, laquelle n'est pas très loin d'ici.
Au moment de rédiger le projet de loi, avez-vous tenu compte des peines comparables qui s'appliquent dans les États américains voisins ou en vertu du Code pénal des États-Unis pour ce type d'infraction?
M. Saint-Denis : Non. Nous avons avant tout examiné les infractions et les peines découlant de la Loi sur l'accise. Nous n'avons aucunement tenu compte des lois américaines.
Le sénateur Joyal : Il nous est donc impossible d'établir si la responsabilité pénale est semblable des deux côtés de la frontière.
M. Saint-Denis : C'est exact.
Le sénateur Joyal : Autrement dit, quelqu'un qui voudrait s'embarquer dans la vente, le transport, la distribution et toute cette sorte de choses aurait intérêt à savoir de quel côté de la frontière les peines sont les moins lourdes.
M. Saint-Denis : D'un côté pratique, je ne crois pas que cela soit si important. Une personne qui souhaite faire l'importation illégale de cigarettes au Canada devra commettre une partie de son crime au Canada. Une partie de l'infraction se fera du côté américain et ce sera aux États-Unis d'y voir, mais s'il doit ensuite faire quoi que ce soit en sol canadien, ce sont les lois canadiennes qui s'appliqueront. Je ne crois pas qu'il se mette à réfléchir en ces termes, sauf s'il opte pour mener toutes ses activités répréhensibles dans le pays où les peines sont moins lourdes. En présumant que les peines sont moins lourdes aux États-Unis, il pourrait décider de limiter ses activités en sol américain. Et ce sera tant mieux ainsi, car nous n'aurons pas à nous en préoccuper. Je ne crois pas que cet aspect pose problème.
Le sénateur Joyal : Avez-vous consulté les leaders autochtones pour la rédaction de cette nouvelle disposition?
M. Saint-Denis : Non. Nous ne les avons pas consultés.
Le sénateur Joyal : Il n'y a donc pas eu de consultation préalable?
M. Saint-Denis : Il n'y en a pas eu. Nous savions que les peuples autochtones viendraient témoigner ici. Dans un certain sens, c'est une forme de consultation. Les parlementaires ont eu la chance de donner leurs points de vue, mais nous n'avons pas poussé les consultations à l'extérieur du giron fédéral. Nous avons parlé à des gens responsables de l'accise, ainsi qu'à des représentants de Finances, de la GRC et de la Sécurité publique.
Le sénateur Joyal : Mais à aucun procureur général ou ministre de la Justice provincial?
M. Saint-Denis : Non. Il n'y a eu aucune consultation avec les provinces ou les peuples autochtones.
Le sénateur McIntyre : Avec le projet de loi C-10, les modifications du Code criminel permettront à une plus grande diversité d'agents de la force publique d'intervenir dans la contrebande de tabac. Est-ce que le fait de nommer différents corps policiers à l'article 10 de la Loi sur l'accise permettrait de réaliser les mêmes objectifs que ceux visés par la nouvelle disposition du projet de loi C-10? Au lieu de modifier le Code criminel, ne serait-il pas plus simple de modifier la Loi sur l'accise, en permettant à une plus grande diversité d'agents de la force publique de surveiller la contrebande du tabac? Je crois comprendre que les agents de la GRC sont les seuls qui sont autorisés à faire appliquer les dispositions de la Loi sur l'accise.
M. Saint-Denis : En fait, non, cela n'accomplirait pas la même chose. Tout d'abord, il ne s'agit pas que d'avoir des corps policiers autres que la GRC pour s'occuper de cela. Il y a aussi la question des peines minimales. Si nous nous étions contentés de désigner des agents de la paix autres que ceux de la GRC aux termes de la Loi sur l'accise, nous n'aurions pas eu les peines minimales que nous cherchions à mettre en place.
Et, ce qui est tout aussi important, nous n'aurions pas eu d'infraction dans le Code criminel, avec tout ce que la criminalisation d'une activité aux termes du Code criminel signifie. De façon générale, une infraction inscrite au Code criminel est prise plus au sérieux. Même s'il s'agit d'une activité de la même teneur qu'une autre qui serait inscrite, disons, dans la Loi sur l'accise, le fait qu'elle soit dans le Code criminel lui donne une certaine aura et rend compte de la perception négative de la société à son égard.
Si nous avions désigné de nouveaux corps policiers aux termes de la Loi sur l'accise, cela nous aurait bien sûr permis d'augmenter le nombre d'agents de la paix habilités à veiller à son application, mais l'autre aspect visé par le projet de loi n'aurait pas été là. Bien qu'il soit techniquement possible de désigner d'autres corps policiers, l'Agence du revenu du Canada n'a jamais dit que ces corps policiers souhaitent s'occuper de cela.
Le sénateur McIntyre : Je me souviens que, dans les années 1990, certains grands fabricants de cigarettes qui œuvraient en toute légalité au Canada participaient aussi à la contrebande de tabac. Ils exportaient des cigarettes aux États-Unis, qui étaient par la suite réexpédiées en cachette au Canada pour être vendues sans taxes. Je crois aussi comprendre que les grandes sociétés ont dû payer des milliards de dollars en amendes pénales et en dédommagements civils.
Depuis cette époque, le visage du commerce illicite des produits du tabac a changé. La fabrication illégale de cigarettes et la contrefaçon de cigarettes augmentent, tandis que la contrebande de cigarettes produites légalement comme moyen d'éviter les taxes n'est plus un problème important. Ai-je raison de penser cela?
M. Saint-Denis : Je crois que oui. La GRC a indiqué que la nature de l'activité a changé, et le portrait que vous en faites est juste.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Saint-Denis. Il s'agit d'un bon projet de loi, mais je ne crois pas qu'il criminalise la possession simple. Vous avez parlé de tout cela. Si l'on avait inclus la possession simple dans le projet de loi, ne pensez-vous pas que cela aurait réduit la demande qui alimente le fameux marché noir?
M. Saint-Denis : Nous nous sommes posé cette question, sénateur, et notre crainte venait du fait que la possession simple risquait de criminaliser un nombre assez impressionnant d'individus. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il était préférable d'éviter ce genre de situation.
Nous avions à l'esprit la question de ce qui se passe avec les drogues. Nous savons que, dans certains cas, la possession de certaines drogues cause d'énormes problèmes lorsque vient le temps d'appliquer la loi. Nous avons voulu éviter cela. En outre, l'idée de criminaliser la possession d'une cigarette de contrebande aurait été, techniquement, un peu excessive, d'autant plus que la Loi sur l'accise contient un article pour criminaliser la possession comme telle. Dans ce cas, plus particulièrement lorsque nous ajoutions des peines minimales, criminaliser la possession n'était pas indiqué.
[Traduction]
Le sénateur McInnis : Le projet de loi souhaite faire diminuer le nombre de jeunes qui fument. Il est clair que les jeunes font partie du problème, car ils commencent très tôt à consommer. Où achètent-ils ces cigarettes de contrebande? Les achètent-ils sur la réserve ou à l'extérieur de la réserve?
M. Saint-Denis : Je crois qu'il y en a tant dans la réserve qu'en dehors de la réserve.
En ce qui concerne les jeunes, je crois comprendre que la chaîne d'approvisionnement part du producteur — qui, la plupart du temps, est dans la réserve —, puis les produits sont sortis de la réserve et entreposés dans des endroits comme des cabanes à tabac avant de se retrouver dans les dépanneurs, et ainsi de suite. Lorsqu'ils arrivent dans les dépanneurs, ils sont disponibles pour le grand public, y compris les jeunes. Certaines ventes se font peut-être à l'école. Je ne suis pas absolument certain de cela, mais je crois que la présence des cigarettes dans les dépanneurs les rend certainement plus facilement accessibles aux jeunes.
Le sénateur McInnis : Le sénateur Joyal a mentionné cela, mais sans insister; il a posé la question au sujet des consultations provinciales. Les Autochtones sont toujours contrariés lorsqu'ils ne sont pas consultés. Qu'ils soient en accord ou en désaccord avec ce que vous souhaitez faire, je crois qu'il est toujours judicieux de les consulter. Dans la dynamique bien précise du projet de loi, je présume — et il ne s'agit que d'une supposition bien personnelle — qu'on les perçoit comme étant, dans une certaine mesure, la racine du problème.
J'ai lu que le gouvernement de l'Ontario avait prétendument donné une subvention au conseil d'Akwesasne pour qu'il se dote d'une loi sur le tabac, et que les deux entités travailleraient à l'élaboration d'un cadre de réglementation pour le tabac. Bien entendu, elles auraient aussi aimé que le gouvernement fédéral participe au processus. Mais, si je comprends bien, on a estimé que cela les inciterait à réglementer le commerce du tabac. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
Ils ont aussi dit que cela les aiderait à faire face au crime organisé et à leur implication à cet égard ou, du moins, que cela leur faciliterait les choses. Avez-vous entendu quoi que ce soit en ce sens? Cela aurait été, à mon sens, une autre raison de les consulter. Je sais que nous avons le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien et d'autres entités représentantes. Mais je présume que vous ne savez pas s'ils avaient quelque chose à voir là- dedans. Il reste que je suis toujours d'avis qu'il est utile de mener des consultations.
M. Saint-Denis : Je suis tout à fait d'accord. Malheureusement, dans le cas qui nous occupe, il n'y en a pas eu.
Pour ce qui est de l'initiative de l'Ontario, je ne suis pas au courant. C'est la première fois que j'entends parler de cela, alors je ne peux pas me prononcer.
En ce qui concerne la participation autochtone, je crois comprendre que leur position est qu'ils ont assurément le droit de contrôler leur propre consommation. Hier comme aujourd'hui — du moins, c'est ce que je crois — la position du gouvernement a toujours été que le commerce des produits du tabac ne fait pas partie des droits autochtones et que les activités qui s'y rattachent sont encadrées par la Loi sur l'accise, et donc que cela serait assujetti à ces dispositions.
Pour ce qui est de savoir si ces dispositions seront appliquées sur les terres autochtones, je crois que la question reste ouverte.
En jetant un coup d'œil à la liste des témoins, j'ai constaté que certains d'entre eux viendront des communautés autochtones, alors je crois qu'ils seront mieux en mesure que moi de vous expliquer leurs positions à cet égard.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bonjour, monsieur Saint-Denis. En 1989, une étude a été réalisée dans 75 polyvalentes du Québec et qui a démontré que 40 p. 100 des cigarettes provenaient d'achat illégal. Aujourd'hui, on sait que le carton de cigarette coûte environ 85 $, contre environ 30 $ sur le marché noir, ce qui représente une économie de 50 à 55 $. On sait donc que la contrebande est repartie de plus belle.
Il est évident que j'appuie ce projet de loi, mais ce que j'essaie de comprendre, en dehors de ce projet de loi, c'est la stratégie gouvernementale qui va être adoptée pour stopper la contrebande. Je naviguais sur Internet tantôt, en vous écoutant, et je regardais les saisies de cigarettes depuis 2010. En Estrie seulement, il y en a toutes les semaines, et l'on parle de 300 000 à 400 000 cigarettes de contrebande.
J'essaie donc de comprendre ce que l'on va se donner comme stratégie pour appliquer cette loi, d'autant plus que vous avez dit, si j'ai bien compris, qu'elle ne serait pas appliquée par d'autres corps policiers que la GRC. Quelle stratégie va-t-on se donner pour stopper cette flambée d'achat de cigarettes de contrebande, surtout par les plus jeunes, sachant deux choses : premièrement, que l'État n'en tire aucune recette, et deuxièmement que, sur le plan de la santé, et Santé Canada nous l'a rappelé, ces cigarettes-là contiennent 40 fois plus de substances toxiques que les cigarettes vendues légalement?
J'essaie de savoir quelle stratégie on va se donner pour réduire la vente illégale de cigarettes. On peut bien arrêter 5, 6 ou 10 contrebandiers et récupérer quelques millions de dollars en amendes, mais si le marché noir reste aussi florissant... Comprenez-vous le sens de ma question?
M. Saint-Denis : Tout à fait. Premièrement, je voudrais apporter une correction. Le fait de criminaliser cette activité et d'insérer l'infraction dans le Code criminel voudra dire que non seulement la GRC pourra appliquer la loi, mais que les autres corps policiers pourront le faire également. Donc, il y a un effet multiplicateur qui fera en sorte que plus d'agents de la paix pourront intervenir.
Le sénateur Boisvenu : C'est nouveau.
M. Saint-Denis : C'est nouveau, parce que l'infraction sera incluse dans le Code criminel. Auparavant, l'infraction se trouvait exclusivement dans la Loi sur l'accise, et on était limité aux activités de la GRC.
Deuxièmement, lorsque le projet de loi S-16 a été déposé, le ministre responsable de la sécurité publique a annoncé la création d'un nouveau groupe composé d'une cinquantaine d'agents de la GRC qui viserait les activités de la contrebande de tabac.
Au-delà de cela, le gouvernement — Santé Canada — mène des campagnes antitabagisme. Je crois que les provinces font également ce genre d'activités.
Finalement, l'aspect dissuasif des peines minimales et le fait que l'infraction sera inscrite au Code criminel auront peut-être un impact sur les activités criminelles — nous le pensons et nous l'espérons, tout en reconnaissant le fait que les cigarettes illégales seront disponibles à des prix escomptés, ce qui est difficile à combattre. Nous devons le reconnaître. Nous avons peut-être des difficultés à surmonter, mais c'est un début, je pense.
[Traduction]
Le président : Je présume que le fait de criminaliser ces infractions ouvrira aussi la porte à l'inclusion aux termes du code de dispositions sur les produits du crime et les saisies. Est-ce une supposition que l'on peut faire?
M. Saint-Denis : Oui, mais je dois vous répondre cela parce qu'une infraction aux termes de la Loi sur l'accise est un acte criminel — qui est une infraction mixte et, par conséquent, un acte criminel — les dispositions du Code criminel sur les produits de la criminalité s'appliquent déjà à cela. Mais que l'application puisse être encadrée par d'autres corps policiers que la GRC fera peut-être en sorte qu'il y aura plus de gens qui penseront à cet aspect des choses. Dans cette optique, il est donc possible, comme vous l'avez pressenti, que ces dispositions soient appliquées plus souvent.
Le président : Il sera intéressant de voir comment les choses évolueront, car nous savons que certains groupes peuvent être très militants — du moins, en parole —, surtout si vous avez recours à des dispositions de saisies qui peuvent mener à des affrontements. Nous espérons que rien de cela n'arrivera, mais l'histoire nous a appris que c'est une possibilité.
Il y a environ deux ans, j'ai rencontré quelques personnes qui étaient très préoccupées par la situation des producteurs de tabac de l'Ontario, alléguant que le gouvernement de la province n'était pas aussi proactif qu'il aurait pu et qu'une grande partie du tabac fourni aux Six Nations, par exemple, provenait de producteurs ontariens qui n'étaient pas surveillés par le ministère des Finances de l'Ontario. Que savez-vous à ce sujet? Pour peu que ma description soit fidèle à la réalité, cette situation a-t-elle changé?
M. Saint-Denis : Je ne connais pas la situation particulière des producteurs ontariens. Je crois qu'une partie du tabac brut destiné aux fabricants est détournée. Je ne sais pas si les fabricants de cigarettes sur les réserves reçoivent tout leur tabac de producteurs canadiens. Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Je crois que la GRC serait mieux en mesure de vous répondre à ce sujet.
[Français]
Le sénateur Joyal : Monsieur Saint-Denis, comme vous n'avez pas consulté les représentants autochtones ni les procureurs généraux des provinces, sur quelle étude factuelle vous êtes-vous fondé pour arriver à conclure qu'il était important d'amender le Code criminel dans les dispositions que vous nous proposez aujourd'hui?
M. Saint-Denis : Il n'y a aucune étude qui nous a poussés à accomplir cela; nous avons reçu des directives concernant la création d'une nouvelle infraction et nous les avons suivies.
Le sénateur Joyal : Des directives venant de qui?
M. Saint-Denis : Du ministre.
Le sénateur Joyal : Donc, d'une source politique.
M. Saint-Denis : Le ministre a établi la politique qu'il voulait que nous suivions; nous l'avons donc suivie.
Le sénateur Joyal : Donc, ce n'est pas à la suite d'un rapport de la Gendarmerie royale qui, dans le cas de la contrebande de certains produits, arrive à la conclusion qu'il y a lieu de resserrer les peines, parce que ce serait un moyen efficace d'atteindre les objectifs qu'elle n'arrive pas à satisfaire dans le cadre législatif actuel.
M. Saint-Denis : Je ne suis pas bien placé pour dire exactement ce qui a motivé le ministre à prendre cette voie. Nous savons que des rapports ont été produits par la GRC en 2008 ou 2009 concernant la situation du tabac. Peut-être que le ministre a consulté ces rapports et obtenu de l'information d'autres sources, qui l'ont mis au parfum et guidé dans ce qu'il voulait faire.
Le sénateur Joyal : Le projet de loi, dans la façon dont vous l'avez présenté, cherche à atteindre des objectifs de politique sociale, ou de santé publique, dans le but de réduire la consommation d'un produit qu'on estime nocif à la santé. À votre avis, y a-t-il d'autres exemples, dans le Code criminel, de dispositions pénales qu'on y introduit ou que l'on y ajoute dans le but de promouvoir des politiques sociales?
Le tabac n'est pas un produit illicite en soi, et l'alcool ne l'est pas non plus. Ce sont des produits qui peuvent devenir dangereux dans une certaine forme de consommation, tout comme les gras trans peuvent devenir dangereux. Dans le cadre d'un régime alimentaire où on en surconsommerait, la personne développera toutes sortes de maladies secondaires, comme le diabète ou, à la limite, le cancer.
Avez-vous d'autres exemples de dispositions d'infractions, dans le Code criminel, que l'on crée dans le but de satisfaire à un objectif de politique sociale?
M. Saint-Denis : On pourrait peut-être qualifier les infractions touchant les armes à feu comme visant une certaine politique sociale. Le contrôle des armes à feu, entre autres, on pourrait dire, comporte un élément d'objectif social. Une infraction vise l'administration de biens toxiques, qui a, on pourrait dire, un élément de politique sociale.
Vous vous êtes limité au Code criminel. Par contre, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances n'est que cela. C'est-à-dire qu'on vise le contrôle de l'usage de certaines substances et de drogues. C'est une loi dont on peut dire que l'une des caractéristiques principales est liée à la politique sociale.
J'essaie de penser à quelque chose d'autre qu'on pourrait retrouver dans le code. Vous vous êtes penché récemment sur la question des infractions visant la prostitution. Cette question comporte un élément d'aspect social.
Le code contient plusieurs infractions. Tout dépend de la façon dont vous définissez l'expression « politique sociale » en fonction des éléments du code.
Ce cas en est simplement un autre exemple.
Le sénateur Joyal : Vous n'avez pas tenu compte d'études plus récentes sur, par exemple, l'augmentation de la consommation du tabac. D'après l'information générale véhiculée par les médias, il ne semble pas que la consommation du tabac ait augmenté à un point tel qu'on doive, comme on dit, prendre le marteau du Code pénal pour arriver à combattre une augmentation qui serait devenue effrénée, qui mettrait en danger la santé publique et exercerait une pression considérable sur les institutions de santé — on connaît toute la chaîne des réactions. Avez-vous une étude qui démontrerait que la consommation du tabac a augmenté considérablement et qu'il y a lieu d'intervenir de façon directe au moyen du Code pénal?
M. Saint-Denis : Je ne suis pas au courant de telles études. Par contre, si je ne m'abuse, il me semble, d'une part, que les renseignements indiquent que la consommation du tabac chez les jeunes ait augmenté — mais peut-être pas d'une façon importante.
D'autre part, nous sommes au courant de certaines activités qui impliquent la contrebande de tabac où des actes de violence ont été commis. On parle du déchargement d'armes à feu, même de l'usage d'armes à feu, dans certains cas, pour commettre une infraction. Il s'agissait de l'un des éléments que le gouvernement voulait viser. Sinon, je ne suis pas au courant de ce genre d'étude.
Le sénateur Joyal : Le projet de loi, à l'article 3, traite du bien de la vente, de la livraison, de la distribution et non de l'achat. C'est-à-dire qu'un jeune qui achète des cigarettes de contrebande n'est pas visé par le projet de loi — à moins que je ne lise pas bien l'article 3.
M. Saint-Denis : Non, l'achat n'est pas une activité qui est comprise.
Le sénateur Joyal : On ne peut pas dire que ce projet de loi aura un effet direct pour décourager les jeunes, en leur disant que, s'ils achètent des cigarettes de contrebande, ils risquent de se retrouver en prison. Ce n'est pas le cas de la marijuana ou d'autres drogues que les jeunes peuvent vouloir consommer et pour lesquelles on pourrait estimer qu'il y a une augmentation de la consommation, donc une augmentation du danger et de toutes les conséquences qui s'ensuivent.
M. Saint-Denis : Non, ce n'est pas le cas.
Le sénateur Joyal : Ce n'est pas le cas. De plus, d'après la réponse que vous avez donnée au sénateur Dagenais, ça n'en est pas non plus l'objectif. Donc, le projet de loi aura un effet très lointain sur la consommation du tabac de contrebande par les jeunes puisque, en pratique, une fois qu'il se trouve dans le réseau de la revente, celui qui l'achète en destination finale ne pose pas un acte criminel ou n'est pas présumé être partie à un acte criminel.
M. Saint-Denis : C'est très juste. Toutefois, l'achat s'associe beaucoup à la question de la possession. L'une des choses que nous ne voulions pas faire, c'était justement de criminaliser la possession. Nous ne voulions pas criminaliser l'acheteur ou le possesseur de cigarettes de contrebande. C'est une tentative de contrôle de l'offre plutôt que de contrôle de la demande par le truchement d'une loi criminelle.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Saint-Denis, vous avez mentionné qu'il y aura désormais participation des autres corps policiers. Vous savez, comme moi, que les corps policiers ont des budgets à administrer et doivent choisir leurs luttes en conséquence. Si je me fie à ce que je lisais ce matin, la Sûreté du Québec est quand même le troisième plus gros corps policier au Canada. Compte tenu de ce qui se passe au Québec, elle subira des restrictions budgétaires et devra réduire ses services.
À quoi vous attendez-vous des services de police, maintenant qu'ils pourront participer à cette lutte en vertu du projet de loi?
M. Saint-Denis : Je ne pourrais pas vous prédire quelles seront leurs réactions ou quelles stratégies ils adopteront. Il est fort possible qu'on se limite aux cas de découvertes accidentelles où on découvre, par exemple, dans un camion qui se promène sur l'autoroute 40 ou sur l'autoroute 20, au Québec, des quantités importantes de tabac de contrebande. Les policiers auront alors le loisir de déposer des accusations visant cette nouvelle infraction.
Pour ce qui est des stratégies visant des activités précises, je ne peux pas faire de prévision.
[Traduction]
Le sénateur Baker : En ce qui concerne la constitutionnalité de la disposition, je sais que les dispositions qui font partie de la Loi sur l'accise et des lois provinciales ont souvent été contestées devant les tribunaux afin de trancher sur le caractère cruel et inusité de la peine par rapport aux termes de l'article 12 de la Charte, et je crois que la constitutionnalité s'est avérée.
Or, dans ces cas, il s'agissait surtout d'infractions réglementaires, toutes passibles d'amendes assurément. Mais désormais, on se servira d'une masse pour les mêmes infractions aux termes du Code criminel. Que vous soyez le grand patron ou le simple passeur, peu importe, on vous donnera la même peine. Le conducteur sera passible de la même peine que celui ou ceux qui l'ont engagé.
Comme vous le savez très bien, les dispositions relatives à la détermination de la peine par des juges aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ne traitent pas ceux qui transportent la drogue de la même façon que leurs chefs et ceux qui sont en haut de la pyramide. Les peines sont beaucoup moins lourdes pour les mules. Si vous examinez toutes les décisions liées à la détermination de la peine, vous verrez qu'elles sont beaucoup moins lourdes pour ceux qui ne sont pas des piliers de l'organisation.
Or, cette disposition s'appliquera à, quoi, 500 paquets de cigarettes? S'il y a 10 000 cigarettes à raison de 20 cigarettes par paquet, cela fait 500 paquets. Quelqu'un transporte ces 500 paquets. À la deuxième infraction, il est envoyé en prison, peu importe la situation.
Le ministère a-t-il vérifié la constitutionnalité de cette disposition? L'a-t-il analysée afin d'établir si elle allait passer le test de la constitutionnalité par rapport à l'article 12?
M. Saint-Denis : En bref, oui. En fait, le ministère vérifie toujours la constitutionnalité de toutes les dispositions que nous proposons, surtout lorsqu'elles comportent des peines minimales.
Pour répondre à certaines des questions ou certains des problèmes que vous avez soulevés, disons que le cas du pilier de l'organisation ne serait pas nécessairement traité par l'entremise de la disposition proposée. Il se peut que ce soient plutôt les dispositions sur le crime organisé du Code qui servent à juger son cas, dispositions qui s'accompagnent de peines beaucoup plus lourdes. Si nous pouvons prouver que la personne a fourni des instructions ou d'autres indications semblables, ou qu'il travaille pour le crime organisé, ce sont ces dispositions qui seront évoquées.
Le sénateur Baker : Une différente accusation.
M. Saint-Denis : Les règles du jeu changent complètement, et les conséquences sont beaucoup plus graves.
Le sénateur Baker : Merci.
Le sénateur McInnis : En définitive, la raison pour laquelle vous proposez cette modification, c'est que vous souhaitez que tous les corps policiers du Canada puissent avoir recours à cette infraction, n'est-ce pas? L'autre raison, bien entendu, c'est que vous essayez de combattre le crime organisé ainsi que la perte de revenus. Au Canada, la loi dit que vous devez payer des taxes fédérales et provinciales sur les cigarettes, sauf si vous êtes un Autochtone et que vous vivez dans une réserve.
Mais une partie du problème des cigarettes de contrebande est que le nombre de saisies effectuées par la GRC a diminué de façon marquée entre 1999 et 2004. Si je me rappelle bien, la raison de cette diminution était que les gouvernements avaient décidé de réduire les taxes pour combattre la contrebande. Je crois que cela était en partie à l'origine du problème. Comme le sénateur McIntyre l'a dit, de grandes sociétés opérant au Canada envoyaient une partie de leur production aux États-Unis et la faisaient rentrer clandestinement au pays pour contourner les taxes — c'est incroyable! Elles se sont fait pincer, certes, mais il reste que cet aspect est une partie de la problématique entourant la contrebande de cigarettes.
M. Saint-Denis : Eh bien, vous avez tout à fait raison. Je crois que la taxe d'accise élevée qui frappe le tabac fait partie du problème. L'écart de prix est évidemment un aspect dont un groupe criminel tiendra compte au moment de faire le trafic d'une denrée donnée. Or, le tabac est une denrée très taxée. Alors, s'il parvient à contourner cela et qu'il arrive à offrir un produit équivalent, mais à bien meilleur marché, le produit devient, du coup, plus attrayant. Tout cela est vrai, mais ce sont des considérations qui échappent complètement au droit criminel.
Le sénateur McInnis : Oui, je le sais.
La sénatrice Batters : Merci d'être ici, aujourd'hui, monsieur Saint-Denis. Ma première question a trait à une question que le sénateur Baker a posée plus tôt au sujet des contestations possibles en matière de constitutionnalité.
Cette infraction — nous voulons l'intégrer au Code criminel — porte sur le fait que la contrebande de tabac est devenue un problème important. Le crime organisé s'en mêle, et dans beaucoup de témoignages que nous avons entendus la première fois que nous avons été saisis du projet de loi, on nous a dit que les mêmes réseaux de contrebande de cigarettes servent également au trafic de drogues, d'armes à feu ainsi qu'à toutes les terribles activités de ce genre. Cela ne renforce-t-il pas l'argument concernant la constitutionnalité?
M. Saint-Denis : Il ne fait aucun doute que les réseaux, comme vous l'avez indiqué, ne servent pas exclusivement à la contrebande de tabac. D'après ce qu'en sait la GRC, les mêmes groupes se livrent également à d'autres types de contrebande, comme, d'une part, le trafic d'armes à feu et de drogues. Vous avez raison de dire que cet argument serait invoqué, tout comme l'ampleur des activités criminelles dans ce domaine.
Je pense que l'argument le plus important serait que, en réalité, il s'agit selon nous d'une approche adaptée au problème, car nous ne proposons pas de criminaliser la simple possession. Nous ne suggérons pas plus qu'un délinquant primaire soit passible d'une peine minimale. Nous proposons que pour ce qui est des récidivistes, lorsqu'il y a une quantité importante de produits du tabac et, enfin, que le contrevenant est poursuivi par mise en accusation, il soit possible, dans ces circonstances, de prescrire une peine minimale. Nous croyons que les tribunaux reconnaîtraient le bien-fondé de ce type de peine et qu'ils en appuieraient la constitutionnalité.
La sénatrice Batters : Merci.
Le président : Monsieur Saint-Denis, merci de votre contribution à nos audiences; nous vous en sommes très reconnaissants.
Nous passons au deuxième groupe de témoins. Veuillez souhaiter la bienvenue à la chef Ava Hill et au conseiller Richard Powless, des Six Nations of the Grand River; au chef Kirby Whiteduck, de la Première Nation des Algonquins de Pikwakanagan; à Jody Kechego, analyste principal en matière de politique, de la Nation Anishinabek; et au grand chef Gordon Peters, de l'Association of Iroquois and Allied Indians.
Madame, messieurs, soyez les bienvenus. Nous sommes heureux de vous compter parmi nous. Je crois que vous avez tous une déclaration liminaire. Nous allons commencer par M. Peters.
Gordon Peters, grand chef, The Association of Iroquois and Allied Indians : Bonjour. Je représente une association dont la plupart des membres possèdent des traités conclus avant la Confédération; ils ont été signés avant la formation du Canada. Par conséquent, nous continuons d'exercer leur autorité souveraine en tant que nations ayant entretenu des relations avec d'autres pays, y compris la Grande-Bretagne.
Pour les peuples qui ont signé ces traités, il ne fait aucun doute qu'ils constituent des nations, et ils n'ont jamais renoncé à leur souveraineté au profit de qui que ce soit. En fait, il est évident de nos jours que la Cour suprême est de plus en plus disposée à reconnaître non seulement les droits territoriaux et économiques, mais également le titre ancestral. C'est donc dans ce contexte que nous exerçons nos activités.
Nous sommes ici aujourd'hui pour parler du projet de loi C-10. Nous croyons actuellement que ce projet de loi devrait être rejeté pour plusieurs raisons. La première, qui est fondamentale, concerne l'obligation de consulter. Il est évident que la Cour suprême du Canada a accordé au gouvernement du Canada l'honneur de la Couronne, qui est une obligation de consulter. Conformément à cette obligation, le Canada doit collaborer avec nous, non seulement en nous consultant, mais aussi dans le cadre de consultations visant à nous accommoder. Cela reste à faire, car aucune consultation n'a été menée au sujet du projet de loi C-10. À nos yeux, le projet de loi C-10 représente un enjeu économique. De toute évidence, ce n'est pas une chose que nous prenons à la légère, car il aura d'immenses répercussions sur nos communautés.
Le projet de loi vise la base de nos collectivités, car la plupart des commerces qu'on y trouve sont de petits magasins familiaux. Nous allons perdre énormément d'emplois. Les familles comptent sur cette industrie pour survivre. Nous croyons sincèrement que l'adoption de ce projet de loi entraînerait dans nos communautés une hausse marquée des besoins sociaux, du crime et de la violence. Nous savons que les gens qui touchent un revenu jouissent d'une certaine qualité de vie, mais lorsqu'ils perdent leur emploi, cette qualité de vie diminue. C'est ce à quoi doivent actuellement s'attendre nos communautés.
Nous recommandons au gouvernement fédéral de collaborer avec nos communautés pour considérer de nouveaux modèles de partage des recettes qui respectent les traités de nation à nation.
Cela donne suite à la discussion que nous avons eue ce matin au sujet du partage des recettes. Le commerce du tabac représente un des domaines où c'est possible. C'est un des secteurs pour lesquels nous pourrions mettre conjointement sur pied une commission du commerce pour partager la compétence, collaborer et trouver des solutions. En fin de compte, nous devons trouver de nouvelles solutions compte tenu de l'approche autoritaire et paternaliste du projet de loi. Il est évident pour nous que cette attitude autoritaire n'a pas fonctionné pour ce qui est du contrôle de l'éducation des Premières Nations, car cela concernait nos enfants. Cette mesure touchera nos familles de la même façon. Je suis certain que vous verrez les mêmes résultats dans le cadre de vos démarches.
Nous avons besoin d'une nouvelle définition du mot « contrebande », car celle que nous avons maintenant vise directement nos communautés. Elle ne porte pas sur la contrebande à laquelle se livrent les grandes compagnies de tabac ou d'autres pays, qui importent leurs produits au Canada. De toute évidence, nous devons discuter de ce que nous entendons vraiment par « contrebande » lorsqu'il s'agit de nos communautés, et nous devons commencer à faire une distinction pour ce qui est du tabac des Premières Nations et à discuter de la façon d'envisager cela.
Je pense que nous avons manifestement la responsabilité de travailler ensemble. Les traités ont établi pour nous la marche à suivre pour y arriver, et notre incapacité à collaborer continue de porter atteinte à la primauté du droit au Canada. Nous croyons que nous sommes capables d'établir une réglementation. Nous avons le pouvoir de le faire. Nous réglementons actuellement beaucoup de choses dans nos communautés. Nous n'appuyons pas particulièrement la Loi sur les Indiens, mais ce processus de réglementation va également dans le même sens que ce qu'elle prévoit. Rien ne s'oppose à ce que l'on travaille avec nous pour trouver des solutions réglementaires qui permettent à nos communautés de faire le commerce du tabac.
Je termine là-dessus. Je vous laisse y réfléchir. S'il y a d'autres questions, nous serons heureux d'y répondre quand tout le monde aura fait sa déclaration.
[Mme Hill parle dans une langue autochtone.]
Ava Hill, chef, Six Nations of the Grand River : Bonjour. Je suis la chef du conseil élu des Six Nations de la rivière Grand. Notre mémoire comprend des renseignements généraux sur notre communauté. Je vais donc m'en tenir à l'essentiel et vous faire part de nos commentaires sur le projet de loi C-10. Je remercie tous les sénateurs de nous avoir invités à témoigner pour prendre connaissance de nos préoccupations au sujet du projet de loi C-10.
J'aimerais en dire plus long sur certains points abordés par le grand chef Peters. Je vais commencer par la destruction de l'économie de nos Premières Nations. Ce projet de loi aura un effet dévastateur sur notre économie. Il créera un vide économique pour les Six Nations. Seulement dans notre communauté, il se traduira par la perte de 2 000 emplois et un taux de chômage sans précédent qui touchera les producteurs, les détaillants, les fabricants et les nombreuses entreprises dérivées qui génèrent des revenus grâce à cette industrie. Pour beaucoup de monde, ce projet de loi mènera à des problèmes de pauvreté.
Le gouvernement a affirmé à maintes reprises qu'il s'agit de créer des emplois et de stimuler l'économie. Le projet de loi aura l'effet contraire, et nous ne pouvons faire autrement que nous demander pourquoi nous faisons l'objet d'un traitement aussi sévère.
Dans d'autres secteurs, si 2 000 emplois étaient éliminés, le Canada interviendrait avec un plan de sauvetage ou une autre mesure de relance de l'économie. Qu'est-ce qui est fait pour nous? Forcer des gens travaillants et honnêtes à recourir à l'aide sociale n'est pas une mesure de relance économique. Le Canada nous donnera-t-il plus d'argent pour offrir de l'aide sociale à ceux qui perdront leur emploi et qui n'auront d'autres choix que de se tourner vers cette option?
L'industrie du tabac crée des emplois où il n'y en a pas autrement. Il y a beaucoup d'entreprises familiales, et ce projet de loi privera donc des familles entières de leur gagne-pain.
De nombreuses familles sont concernées compte tenu du nombre de nos citoyens qui travaillent dans l'industrie du tabac. Beaucoup de fabricants font également pousser leur propre tabac, qui est ensuite utilisé dans l'industrie manufacturière locale. Dans notre communauté, un groupe de fabricants de tabac collabore avec le gouvernement élu et son pendant traditionnel pour élaborer des règlements visant à contrôler l'industrie du tabac. Je crois d'ailleurs que ce groupe comparaîtra devant vous la semaine prochaine.
Le tabac est pour nous une plante sacrée que nous utilisons et que nous échangeons depuis des milliers d'années. Pour nous, il s'agit d'une question de compétence et de droits de même qu'un enjeu économique. Le Canada se sert de sa force dominante pour s'approprier des revenus touchés par les Premières Nations, et il n'offre pourtant rien en retour pour remplacer les retombées économiques du commerce du tabac des Premières Nations. Quand les gens ont plus d'argent qu'il leur en faut pour assurer leurs besoins de base, ils dépensent cet argent dans l'économie locale, ce qui permet de créer de nouveaux emplois. Les restaurants, les épiceries locales et les garages de mécanique automobile ne sont que quelques exemples du type d'établissements concernés. L'économie des Six Nations sera dévastée, tout comme les entreprises non autochtones des environs à Brantford, à Cayuga, à Hagersville et à Caledonia, les villes près de nous, car nos citoyens n'auront plus d'argent à y dépenser.
Ce projet de loi ne porte pas sur le crime, mais sur des pertes de recettes fiscales. Le gouvernement fédéral veut faire croire que cette mesure législative concerne la contrebande ou le tabac illégal et le crime, mais ce n'est pas le cas. Ce lien avec le crime est un faux-fuyant qui fait partie d'une campagne de peur utilisée par le gouvernement pour inciter les législateurs et les assemblées législatives à adopter le projet de loi.
Un avocat de la défense de Toronto s'est occupé de 1 000 affaires criminelles portant sur le crime organisé pour se rendre compte que des membres des Premières Nations étaient impliqués dans seulement cinq de ces affaires, et qu'aucune n'était liée au tabac.
Les Six Nations conviennent qu'il pourrait y avoir un élément de criminalité dans de nombreux secteurs du milieu des affaires et de la société, mais il faut bien préciser que nous ne soutenons ou n'approuvons aucune activité criminelle liée à l'industrie du tabac. La réalité, c'est que la majorité des producteurs et des vendeurs des Six Nations ne sont pas impliqués dans le crime organisé et qu'ils s'opposent eux aussi à tout élément de criminalité dans l'industrie du tabac.
Les taxes fédérales et provinciales élevées ont fait en sorte que c'est encore plus rentable pour ceux qui cherchent à en tirer parti. Pourtant, les gouvernements n'examinent pas la possibilité de réduire les taxes qui cible cette activité très lucrative. Les Six Nations se réjouissent des efforts qui visent à sévir contre toute activité criminelle liée au tabac qui prendrait place dans notre communauté.
Dans le cadre de ses tactiques alarmistes, le gouvernement fédéral a également affirmé que les cigarettes fabriquées par les Premières Nations contiennent des additifs dangereux ou malsains tels que des drogues illégales. Or, rien n'est plus faux. Beaucoup de nos fabricants font pousser eux-mêmes le tabac qu'on retrouve dans leur produit final. Ils exercent donc un meilleur contrôle de la qualité, et les cigarettes des Premières Nations sont bien souvent plus pures que celles que produisent les fabricants dont les revenus atteignent plusieurs milliards de dollars.
Dans les faits, avec le projet de loi C-10, le Canada essaie de protéger ses recettes fiscales aux dépens des communautés des Premières Nations. Nous n'avons pourtant jamais autorisé la Couronne ou le Canada à nous imposer des taxes ou à empiéter sur notre compétence en matière de taxes. Comme le grand chef l'a dit, nous avons conclu des traités avec la Couronne avant la Confédération. Ces traités sont reconnus et protégés par la Constitution du Canada de 1982 et font maintenant partie de la règle de droit du pays. Bref, la relation entre les nations iroquoises et la Couronne au Canada est une relation entre égaux et entre alliés. Nous n'avons jamais accepté d'être soumis ni donné à la Couronne ou au Canada le droit d'adopter des lois que nous devons respecter.
Nous avons continuellement soutenu cette position à l'échelle internationale depuis que le chef Deskaheh s'est adressé à la Société des Nations en 1924. Cette ingérence dans nos affaires internes et nos compétences est une violation directe du Guswentha, le traité de wampum à deux rangs. Notre droit à l'autodétermination a également été reconnu dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que le Canada a appuyée.
En termes simples, le projet de loi C-10 constitue une violation de la Constitution du Canada. Il est donc illégal et devrait être rejeté. Il est également possible qu'il déroge à la Loi canadienne sur les droits de la personne, car il vise surtout les collectivités autochtones.
Le président : Madame Hill, je dois vous demander d'en venir à votre conclusion.
Mme Hill : Si le projet de loi est adopté, nous allons revoir toutes nos options, y compris porter une accusation pour avoir violé nos droits de la personne. Le Canada ne s'est également pas acquitté de son obligation de consulter dans le cadre de la rédaction du projet de loi.
Je vais passer directement à nos recommandations : que le Canada retire le projet de loi C-10 pour les raisons susmentionnées; que s'il décide d'adopter le projet de loi, il voit à ce que les Premières Nations ne soient pas assujetties à la loi; qu'il modifie immédiatement l'entente relative aux droits territoriaux des Premières Nations — les Six Nations ont depuis longtemps un différend non résolu, et le gouvernement fédéral refuse de reprendre les négociations — et qu'il verse les sommes dues pour avoir volé des terres et des ressources; que les gouvernements fédéral et provinciaux partagent avec les Premières Nations les milliards de dollars perçus en recettes fiscales découlant des produits du tabac; que le Canada renonce à ce projet de loi et le renvoie à la Cour suprême du Canada parce qu'il contrevient à l'article 35 de la Constitution canadienne, à la Loi canadienne sur les droits de la personne ainsi qu'à l'obligation de consulter et au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause; qu'il s'engage à mener de véritables consultations exhaustives auprès des titulaires de droits des Premières Nations de partout au Canada en envoyant des représentants dans toutes les régions occupées par les Premières Nations afin d'engager des discussions et d'obtenir les commentaires des Autochtones au sujet de la question plus vaste du soutien économique accordé à leurs communautés, dans le but de conclure des accords de partage des recettes provenant de l'exploitation des ressources et des traités fiscaux avec nos nations; et, pour finir, qu'il entame avec les Premières Nations un processus de révision de toutes les lois fédérales pour assurer la conformité aux articles 25 et 35 de la Constitution canadienne.
Kirby Whiteduck, chef, Première Nation des Algonquins de Pikwakanagan : Je suis le chef de la Première Nation des Algonquins de Pikwakanagan. Pikwakanagan est le nom d'une réserve qui se trouve à environ 90 milles d'ici. Nous faisons partie de la nation algonquine, qui est plus vaste. Notre territoire traditionnel est le bassin hydrographique de la rivière des Outaouais. Nous sommes également membres de la Nation Anishinabek.
J'aimerais commencer par recommander que l'on renonce au projet de loi tel qu'il a été lu et que des consultations directes soient menées auprès de toutes les Premières Nations, y compris les Algonquins de Pikwakanagan. S'il faut établir certains règlements, ou qu'on désire le faire, des consultations directes devraient être menées auprès des Premières Nations, y compris les Algonquins de Pikwakanagan, afin que certains règlements plus vastes soient élaborés conjointement.
J'aimerais également dire que la Première Nation algonquine de Pikwakanagan n'a jamais signé de traités portant sur la cession de terres, ce qui signifie que ce bâtiment, les édifices du Parlement, la résidence du gouverneur général, la Cour suprême du Canada, de nombreuses ambassades et plus d'un million de personnes se trouvent ou vivent sur un territoire algonquin qui n'a jamais été cédé. Nous n'avons jamais renoncé à nos terres ou à nos droits, et, pour cette raison, nous menons actuellement des négociations avec les gouvernements fédéral et provinciaux, bien que nous n'ayons rien entendu de la part des représentants du Canada depuis 10 mois. Je ne sais pas trop où ils en sont, mais le Canada a accepté notre demande de négociation compte tenu du non-respect des obligations constitutionnelles.
Les Algonquins ont prouvé qu'ils occupaient le territoire au moment du contact avec Champlain qui est venu ici en 1613, juste à côté de cet immeuble, avec l'aide des Algonquins. On leur a remis une copie de la proclamation royale de 1763 que le roi George III avait signée et qui affirmait que les territoires occupés par les Indiens ne seraient pas saisis ou colonisés sans qu'un traité ne soit conclu à cette fin. On en a donné une copie aux Algonquins qui l'ont gardée avec eux pendant environ 80 ans, car s'était un peuple semi-nomade. Ils ont fait allusion à cette proclamation royale et à la promesse du roi dans de nombreuses pétitions et de nombreuses réunions du conseil avec des représentants de la Couronne. À ce jour, aucun traité n'a été signé et la proclamation royale est encore en vigueur et fait partie de la Constitution à l'article 25.
Au cours des dernières années, les Algonquins de Pikwakanagan ont déployé de nombreux efforts pour favoriser et créer un développement économique. Nous avons construit quelques centres de services aux petites entreprises et nous encourageons les entreprises et le développement économique. Un certain nombre de petites entreprises, y compris de petites entreprises familiales, comme mes collègues l'ont mentionné, vendent du tabac. Les aînés participent et parfois des grands-parents et des jeunes qui essaient d'améliorer leur qualité de vie. Ils veulent avoir plus de moyens pour eux et leurs familles, que ce soit pour acheter un bicycle, pour que leurs enfants soient convenablement vêtus quand ils vont à l'école ou pour les aider dans leurs études. Tout cela est donc bénéfique pour l'économie locale, car une grande partie de l'argent ainsi obtenu est dépensé dans des commerces locaux à l'extérieur de la réserve. Si nous sommes considérés comme des criminels à la suite de l'adoption de ce projet de loi, vous considérerez ainsi des jeunes, des grands-parents et des aînés, et dans ce cas-ci, sur un territoire algonquin non cédé. Nous pensons que c'est criminel en soi.
Ce projet de loi aurait des répercussions très négatives, et il ne devrait pas être adopté. Nous avons les droits des Autochtones. Le Canada et l'Ontario en conviennent, et nous pensons que le tabac, son utilisation et sa possession, est un de ces droits. La première fois que Champlain est venu ici, les Algonquins lui ont servi un festin, et il y avait du tabac. En descendant la rivière, il a également vu des Algonquins avec du tabac tout près d'ici aux chutes Chaudière. Les Algonquins utilisaient le tabac avant le premier contact et ils n'ont jamais cessé depuis.
Les tribunaux ont également entendu une affaire portant sur le titre ancestral. Je pense que tout le monde connaît l'arrêt William, qui vient tout juste d'être prononcé à la fin juin. On y dit que les peuples semi-nomades, comme les Algonquins, pourraient démontrer qu'ils ont un titre ancestral et qu'un accord de propriété foncière a été conclu. Nous avons fait valoir le titre à maintes reprises auprès du gouvernement, et si nous pouvons en faire la preuve, la propriété des terres nous reviendra. La cour a également dit que si le gouvernement met en œuvre un projet de développement ou qu'il porte atteinte aux droits autochtones, une Première Nation peut ensuite faire valoir son titre. Nous pouvons donc nous adresser aux tribunaux pour faire renverser la décision, le projet, peu importe les coûts. C'est peut-être ce que nous devrons faire. C'est une option advenant l'adoption du projet de loi. On ne nous a pas consultés. Cette mesure législative a des répercussions sur nos droits, ne respecte pas la Constitution et peut-être pas plus la décision de la Cour suprême du Canada. Nous pourrions employer des moyens tels que des poursuites et ainsi de suite. Des options s'offrent à nous. Espérons que l'honneur de la Couronne sera préservé et que ce projet de loi ne sera pas adopté.
Jody Kechego, analyste principal en matière de politiques, Nation Anishinabek : Je vais lire une déclaration au nom du chef du grand conseil, Patrick Wedaseh Madahbee, de la Nation Anishinabek.
La Nation Anishinabek regroupe 39 Premières Nations de l'Ontario. Elle applique les principes de la gouvernance traditionnelle et emploie la langue et les pratiques culturelles qui sont répandues au sein du peuple anishinabek.
Les Premières Nations anishinabek demeurent des nations souveraines selon les normes internationales.
Conformément aux traités des Premières Nations, le gouvernement du Canada n'a aucun droit légal de réglementer le tabac sur les territoires traditionnels. Le tabac est une plante indigène d'Amérique du Nord, et les peuples autochtones l'ont cultivée et en ont fait le commerce pendant des siècles avant l'arrivée des premiers colons européens au Canada. À vrai dire, nous avons fait découvrir le tabac au reste du monde. La Nation anishinabek n'a jamais, et j'insiste, jamais renoncé à son droit ou à son autorité relativement au tabac ou cédé ce droit au Canada ou à la Couronne britannique dans le cadre d'un traité ou d'un accord juridique. Les règles, les règlements et les lois du Canada, qu'il s'agisse de mesures législatives ou de politiques ministérielles, sont assujettis aux traités conclus entre les Premières Nations et la Couronne, notamment ceux qui datent d'avant l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Le tabac des Premières Nations anishinabek, qu'il soit cultivé, transformé, acheté, vendu ou utilisé pour faire du commerce, a toujours été entièrement assujetti au pouvoir et à l'autorité de la Nation anishinabek.
Les Premières Nations anishinabek sont étroitement liées à leurs terres, à l'eau et à tous les éléments de la nature. Nous reconnaissons et honorons nos droits issus de traités comme moyens de protéger nos droits inhérents que Gitchi Manitou, le créateur de toutes choses, a donnés au peuple anishinabek. Nos droits ne nous ont pas été donnés par la Couronne britannique, le gouvernement du Canada ou toute autre personne ou gouvernement qui, en fait, sont des immigrants sur notre territoire.
Les ressources naturelles qui se trouvent sur le territoire des Premières Nations anishinabek sont toutes assujetties aux droits inhérents et issus de traités, en particulier le tabac, qui est au cœur de la culture et de l'économie du peuple anishinabek. Aucune Première Nation n'a accepté de payer des taxes sur son propre territoire, et le Canada doit encore rembourser ses propres dettes pour les nombreuses atteintes aux traités et les abus commis en exploitant les ressources naturelles, y compris le tabac, à l'intérieur des frontières établies dans les traités.
La Couronne britannique et le Canada n'ont jamais conquis les peuples autochtones par la guerre ou d'autres moyens. Ils ont plutôt conclu des traités avec les Premières Nations à des fins territoriales et militaires. Les documents historiques et juridiques indiquent clairement que les Autochtones ont préservé leur droit de pêcher, de chasser et de cultiver le tabac ou d'autres plantes indigènes. S'il est adopté, le projet de loi C-10, qui vise à modifier le Code criminel, aura une incidence négative sur les droits, l'économie et les familles des Premières Nations. Selon ses propres lois, le Canada doit consulter et accommoder les Premières Nations lorsqu'il envisage des mesures qui pourraient avoir un effet négatif sur leurs droits inhérents et issus de traités.
La Nation anishinabek est persuadée que le gouvernement fédéral du Canada ne remplira pas son obligation de consulter et d'accommoder les Premières Nations en ce qui a trait au projet de loi C-10. En réglementant le tabac au sein des collectivités des Premières Nations et, de surcroît, en criminalisant les citoyens autochtones qui exploitent des entreprises familiales, le Canada porte encore une fois atteinte à sa relation avec les Premières Nations, qui se fonde sur des traités, et à ses obligations fiduciaires.
Il est bien connu que les Premières Nations sont au premier rang des groupes ethniques du Canada en matière de pauvreté, d'itinérance et d'incarcération sur ses propres terres. Dans beaucoup de collectivités du pays, le tabac a permis à de nombreuses familles de sortir de la pauvreté et de maintenir un niveau de vie moyen. Avec le projet de loi C-10, le Canada décide maintenant qu'il est temps de punir les Premières Nations en rendant plus difficile pour les propriétaires d'entreprise de gagner leur vie tout en se récompensant en tant que gouvernement avec des recettes fiscales plus élevées.
De nos jours, le tabac est un produit important sur tous les marchés mondiaux, et les gouvernements fédéral et provinciaux engrangent annuellement des milliards de dollars en recettes provenant de la taxe sur le tabac. Nous avons fait découvrir le tabac au reste du monde, et vous voulez maintenant nous imposer des règles et nous faire payer des taxes parce que nous cultivons nos propres plants, alors que des familles souffrent de pauvreté et de tous les problèmes sociaux qui en découlent. C'est une question morale autant qu'une question juridique.
Le Canada démontre une fois de plus que les Premières Nations n'ont aucune raison de faire confiance à un gouvernement qui adopte des lois pour produire des recettes et criminaliser des familles défavorisées. Dans l'histoire des Autochtones, le tabac n'a jamais été perçu comme de la contrebande, mais ce gouvernement a décidé de présenter une mesure législative et de changer comme il l'entend les règles en la matière, en ne portant pas attention à la relation historique ou culturelle qui s'est développée pendant des siècles de culture et de commerce. La détermination des Premières Nations est encore une fois mise à l'épreuve par un gouvernement qui établit des règles et des conditions sans procédure équitable, sans consultation et sans honneur.
J'encourage les générations actuelles et futures de la Nation anishinabek à tenir compte de mes mises en garde : ne faites pas confiance aux gouvernements et ne concluez pas de traités avec eux, car ils ont démontré qu'ils ne les respectent pas, et ils enrichissent les plus privilégiés aux dépens des plus vulnérables. D'ici à ce qu'on respecte les obligations découlant des traités, aucun membre du gouvernement ne sera considéré comme notre ami.
Cette déclaration est signée par le grand chef du conseil de la Nation anishinabek, Patrick Madahbee.
Le président : Merci. Nous allons commencer les questions en donnant la parole au vice-président du comité, le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Chers témoins, merci de comparaître aujourd'hui devant le comité. Certains d'entre nous, des parlementaires plus âgés, ont lu de nombreuses décisions de tribunaux relativement à des accusations en vertu de la Loi de 2001 sur l'accise, du Code criminel et des lois provinciales. En prenant connaissance des cas signalés, j'ai été frappé par le volume impressionnant de la réglementation visant votre industrie.
Je me souviens d'une affaire récente où un camion a été arrêté. L'agent qui l'a inspecté voulait voir sept permis que le conducteur devait détenir pour le déplacement, la fabrication, la vente, le transport, l'importation, l'exportation et ainsi de suite. Un permis était échu. Devinez ce qui est arrivé? Tout a été saisi, y compris l'argent.
Je n'arrive pas à m'imaginer comment nous avons pu en arriver au point où on doit présenter tant de permis. Il faut s'adresser à la province pour obtenir des permis conformément à sa législation, et il faut ensuite se conformer à la législation fédérale. Comment en êtes-vous arrivés là? Tout est contrôlé, même le nombre de cigarettes qui peut être vendu dans un commerce — un quota. Imaginez ce qui se passerait si un quota de vente de cigarettes était fixé pour chaque commerce au pays. Je ne peux absolument pas comprendre à quel moment nous en sommes arrivés au point où nous en sommes aujourd'hui avec tant de règles à respecter. Qu'est-ce qui explique cette situation?
M. Kechego : À mon avis, la réponse à cette question est liée aux pratiques colonialistes, à la maladie, au manque de nourriture et à la saignée des Autochtones au cours des derniers siècles. Au moment de l'entrée en contact avec les Autochtones et de la proclamation royale de 1763, nous avions la plus importante armée en Amérique du Nord, et nous avons conclu des alliances avec la Couronne britannique. Sur une période de 80 ans, jusqu'à 90 p. 100 des Autochtones sont morts des suites de maladies européennes, et le Canada a ensuite continué avec les pensionnats, des lois et des règlements pour réglementer les peuples autochtones, et ainsi de suite.
Richard Powless, conseiller, Six Nations of the Grand River : Il y a quelques années, l'ancienne vérificatrice générale a publié un rapport. Elle a dit que les communautés autochtones présentent en moyenne 64 rapports par année au gouvernement du Canada. Je crois que cela fait de nous l'une des communautés ou l'un des gouvernements les plus responsables au Canada. Nous ne comprenons aucunement cette insistance démesurée. Le gouvernement fédéral a adopté dernièrement la Loi sur la transparence financière des Premières Nations et il demande encore une fois de plus en plus de rapports. La vérificatrice générale a dit que la majorité des 64 rapports, 90 p. 100, dorment tout simplement sur les tablettes et ne sont jamais lus. Nous posons la même question : pourquoi devons-nous présenter tous ces rapports?
Le sénateur Baker : Vouliez-vous ajouter quelque chose, madame Hill?
Mme Hill : Je suis d'accord avec vous, on nous l'a imposé. Pour gagner leur vie, les gens suivent les règlements qu'on leur impose; mais nos gens déclarent qu'ils en ont assez. Ils ne vont plus accepter ce genre de choses.
Vous parliez des permis exigés. Je veux à ce sujet vous raconter l'histoire d'un homme qui est venu me rendre visite au bureau l'autre jour. Il y a six ou sept ans, il a eu un pontage coronarien et n'avait pas de revenus. Il a donc décidé de transporter du tabac de notre collectivité dans une autre collectivité des Premières Nations, à Akwesasne. Il n'a jamais quitté le pays. Il est allé sur l'île de Cornwall, a fait une provision de cigarettes et au retour, il a été arrêté sur la 401. Toute sa provision a été saisie parce qu'il n'avait pas les sept ou huit permis dont vous parliez. Et en plus, on lui a imposé une amende. Tout cela est arrivé il y a six ou sept ans et aujourd'hui encore on le harcèle pour qu'il paie une amende de 30 000 $. Tout ce qu'il voulait, c'était faire un peu d'argent pour acheter de la nourriture et des vêtements pour ses enfants. Il ne pouvait pas travailler à cause de son pontage coronarien.
C'est l'une des situations auxquelles nous devons faire face. Des histoires comme celle-ci, j'en entends tous les jours dans mon bureau. On nous a imposé cela. Comment en est-on arrivé là?
Les gens n'aiment pas être harcelés par des déclarations du genre : « Si vous ne remboursez par cette somme, nous allons vous jeter en prison ». Comment vont-ils s'occuper de leur famille, si on les jette en prison? Parfois, on accepte cela mais, comme je vous l'ai dit, nous sommes de plus en plus progressistes et de plus en plus informés. Nous avons une population de jeunes qui savent ce qu'ils font et qui sont de plus en plus exigeants.
Le sénateur McIntyre : Merci à tous d'être venus témoigner et de vos exposés. Il ne fait aucun doute que, selon les Premières Nations, l'usage et le commerce du tabac sont un droit inhérent qui devrait être constitutionnellement reconnu en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Mais je crois aussi comprendre qu'au lieu du projet de loi C-10, les Premières Nations voudraient que le commerce du tabac soit réglementé par les conseils de bande. D'après ce que j'ai compris, la réglementation permettrait de réinvestir les profits dans la collectivité.
Je sais que l'an dernier, le Conseil des Mohawks d'Akwesasne a reçu une subvention du gouvernement de l'Ontario pour élaborer un cadre juridique et réglementaire sur le tabac. Vous en avez certainement connaissance. Pourrait-on savoir ce que vous en pensez, s'il vous plaît?
M. Peters : Oui, nous connaissons bien ce projet pilote que l'Ontario a mis en place à Akwesasne concernant la réglementation des produits du tabac. Je crois que cela s'inscrit fondamentalement dans un processus suivi qui devrait s'appliquer à d'autres domaines.
Quelqu'un a demandé ce qui était arrivé. Eh bien ce qui est arrivé, c'est qu'en vertu de l'article 91,24 de l'AANB, le Canada a pris la responsabilité des Indiens et des terres réservées aux Indiens et qu'à partir de là, le Canada nous a simplement dominés.
À ce jour, nous avons acquis dans nos collectivités la capacité de faire les choses dont nous parlons ici même. C'est une façon d'aller de l'avant. J'ai laissé entendre que dans un certain nombre de domaines, nous pourrions faire les choses selon un partage des conséquences. Ce pourrait être une commission sur le tabac, ou tout autre véhicule qui nous permettrait d'aller de l'avant. Nous avons pu dialoguer avec le gouvernement de l'Ontario et collaborer avec lui dans de nombreux secteurs. Notre problème, c'est que nous ne pouvons pas collaborer avec le gouvernement fédéral.
Le gouvernement fédéral refuse de travailler avec nous. Le gouvernement conservateur refuse de parler de nombreux sujets. Nous n'avons pas pu trouver la possibilité de collaborer. C'est là où nous en sommes et c'est l'obstacle que nous devons surmonter.
Le sénateur McIntyre : Où en est le projet pilote d'Akwesasne?
M. Peters : J'ai parlé du processus avec le grand chef Mitchell. L'une des conditions est de parler avec tous les vendeurs, les producteurs, les cultivateurs pour qu'ils comprennent que la meilleure solution pour eux est de se joindre au processus.
Ils progressent. Pour le grand chef Mitchell, l'obstacle le plus difficile est surmonté. Il s'agissait de parler avec les parties prenantes. La plupart des gens dans l'industrie ne venaient pas aux réunions des conseils communautaires. Ils n'ont sollicité aucune subvention ni adhéré à aucun programme pour monter leur entreprise. La plupart se débrouillaient tout seuls. Ils ont donc de la difficulté à se soumettre à un processus réglementaire.
Ils ont fini par l'accepter, ce qui est une étape importante. Seul le temps nous dira comment tout cela fonctionne, mais les choses vont bon train.
Le sénateur McIntyre : Merci, chef Peters.
Mme Hill : Pourrais-je ajouter quelque chose?
Le président : Très rapidement.
Mme Hill : Il a dit que certaines collectivités veulent élaborer leur propre règlement et c'est ce que nous faisons. Ce n'est pas le conseil de bande qui s'en occupe. Les producteurs de tabac se regroupent. Ce sont eux qui forment l'industrie et qui savent ce qu'il y a de mieux à faire. Ils élaborent la réglementation en nous consultant et avec l'aide de notre administration traditionnelle. Ils examinent la réglementation. Ce sont eux qui vont la contrôler et la faire appliquer. C'est dans ce sens que nous évoluons et je pense que c'est ce qu'il y a de mieux pour nous. Nous allons contrôler ces activités et les réglementer. C'est ce que nous faisons et nous pouvons le faire.
Nous pourrions l'appeler notre régie des tabacs et ils s'occuperont des tampons, des inspections et du contrôle. Nous allons établir des règles très strictes sur les acheteurs, les partenariats et d'autres éléments. Comme je l'ai dit, nous y travaillons. C'est quelque chose que nous appuyons vraiment en tant que conseil élu. Nous avons ce pouvoir et c'est dans ce sens que nous travaillons.
Le sénateur Joyal : Je suis heureux de vous voir, chef Hill et grand chef Peters. Nous nous connaissons depuis de nombreuses années. Je ne dirai pas 100 ans, mais nous sommes dans un nouveau siècle. C'était une autre époque. Nous débattions alors au Parlement de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, concernant la reconnaissance des droits issus des traités.
L'été dernier, j'ai lu la décision de la Cour suprême du Canada concernant vos droits issus des traités et, comme M. Whiteduck l'a mentionné, à propos du territoire autochtone qui ne faisait pas l'objet d'un traité. C'est essentiellement le contexte dans lequel la décision a été prise par le tribunal. Ce dernier a toutefois reconnu qu'il y a des intérêts publics pour lesquels le gouvernement canadien pourrait adopter une loi. Je pense au domaine de la santé, par exemple. Si la santé du public est en jeu, tout le monde reconnaîtra que la protection de la santé du public est un objectif fondamental que tout le monde doit chercher à atteindre.
Est-ce que d'après vous, cette décision limite votre capacité de faire le négoce du tabac en raison des contraintes qui y sont assorties pour d'autres fins que celle d'une simple transaction commerciale?
M. Whiteduck : Le tribunal le dit, mais il dit aussi que le gouvernement doit prendre la mesure la moins radicale possible; or nous pensons que son approche est musclée. Je pense à la question du sénateur McIntyre qui y fait allusion. S'il doit y avoir une réglementation dans notre collectivité, elle doit venir des détaillants eux-mêmes, probablement avec l'aide du conseil. Ce serait l'approche la plus souple possible pour atteindre l'objectif du gouvernement. Je conviens que c'est probablement l'approche que privilégient les tribunaux.
Si le projet de loi est adopté et que nous faisons appel aux tribunaux, l'un des éléments que nous envisagerions en cas d'atteinte à un droit, ce sont les mesures les moins radicales susceptibles d'être prises.
Le sénateur Joyal : Merci.
M. Powless : J'aimerais examiner le contexte de cette question sous un angle légèrement différent. Les tribunaux sont un instrument de l'État et, en tant que nations, nous avons un traité qui a été conclu avec la Couronne et adopté par le Canada à titre de partenaires égaux. Le wampum à deux rangs représente deux voies parallèles. De la même façon qu'elles ne se rencontrent jamais, nos nations ne sont pas censées intervenir. C'est un traité de non-ingérence.
Pour l'avenir, nous nous posons la question de savoir de quelle façon le Canada a obtenu le pouvoir d'adopter ces lois et de nous les imposer. Par aucun traité nous n'avons renoncé à notre autonomie et à notre autodétermination. Nous nous demandons donc pourquoi l'État utilise ces institutions pour nous imposer à nouveau sa volonté? Nous nous demandons de quelle façon les tribunaux du Canada en arrivent à établir nos droits alors que nous sommes censés être des partenaires. C'est l'autre perspective de cette question.
M. Peters : Je trouve tout à fait renversant que vous puissiez reconnaître les titres autochtones, les terres que cette population a occupées bien longtemps avant le contrat et que cela puisse faire l'objet d'une réglementation par le gouvernement fédéral. Cette décision du tribunal me pose problème.
Je suis au courant du processus d'atteinte à un droit et d'autres éléments qu'il faut envisager, mais il s'agit simplement de la notion selon laquelle les mêmes principes qui sont appliqués aux droits autochtones dans cette décision sont ceux qui ont été appliqués presque au tout début du contrat. Elle suppose en quelque sorte que les gens qui sont arrivés sur nos terres étaient supérieurs à nous et que nous n'étions pas capables de nous occuper de nous- mêmes. Nous n'étions pas censés avoir une organisation. Nous n'étions pas censés avoir des institutions gouvernementales et autres institutions du genre. Par conséquent, ils avaient le droit de prendre nos terres et de nous traiter selon leur bon vouloir.
Cette théorie, cette doctrine de la découverte, que nous soyons d'accord ou non avec elle, ou que nous en venions à notre propre conclusion, fait partie de la Cour suprême du Canada. Elle en est imprégnée. On peut le nier, mais c'est le cas. Lorsque nous négocions avec le gouvernement fédéral, quelle que soit l'instance en question, nous avons la même position. Nous avons les mêmes connaissances. Nous parlons des mêmes choses et nous disons que notre droit inhérent n'a jamais été aboli; il n'a jamais existé.
En fait, dans le cadre de l'entente de Charlottetown négocié par l'ancien premier ministre Brian Mulroney, on a reconnu ce droit inhérent, ce droit absolu. Il a fait l'objet d'un référendum au Canada. Essentiellement, l'accord n'a pas tenu lorsque le Québec a voté contre, mais l'enjeu était toujours là, à savoir que ce droit inhérent existe et que les gouvernements l'ont reconnu. Au début des années 1990, le gouvernement Rae l'a reconnu.
Ces considérations sont valables. Reste à savoir pourquoi nous devons continuer cette lutte? Quelles sommes le gouvernement fédéral a-t-il dépensées en poursuites?
Le président : Il faut continuer. J'ai une longue liste de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je souhaite la bienvenue à nos invités. Je dois informer nos invités que j'ai été policier à la Sûreté du Québec pendant 39 ans. Grand chef Peters, j'ai eu l'occasion de travailler sur la réserve d'Akwesasne en 1990 alors que deux membres de votre communauté s'étaient entretués à cause du trafic de cigarette qui se faisait sur la rivière Snye. Par la suite, j'ai été appelé à travailler sur le territoire de Kanesatake, parce qu'on avait brûlé la maison du chef Gabriel, car il s'opposait au trafic de cigarette. D'ailleurs, les policiers autochtones avaient été expulsés du territoire. On a dû assurer la sécurité des membres de votre communauté pendant plusieurs années, parce qu'ils craignaient la contrebande de cigarettes et le crime organisé.
J'ai travaillé sur la réserve de Kahnawake, entre autres, parce que beaucoup de trafic de cigarette se faisait sur le pont Mercier. J'y ai moi-même arrêté plusieurs véhicules. Peut-être n'étiez-vous pas au courant, mais les cigarettes arrivaient par hydravions qui amerrissaient en pleine nuit sur le fleuve Saint-Laurent.
On a parlé d'économie et de traités, mais j'aimerais vous entendre sur la sécurité que vous offrez aux membres de votre communauté. On a quitté Akwesasne, mais on a toujours compris que tout le monde n'était pas d'accord avec cela sur les réserves et que certains craignaient de s'exprimer par crainte de représailles. Quelle sécurité offrez-vous maintenant à vos communautés à la suite de la contrebande de cigarettes, qui semble un fléau semblable au crime organisé?
[Traduction]
Mme Hill : Même s'il est sous-financé, le conseil des Six Nations a son propre service de police. Cela fait pas mal de temps que nous avons notre propre service de police. Comme je l'ai déjà mentionné, si nous décidons de réglementer et de contrôler le commerce du tabac, les membres de notre communauté aideront la police, car nous allons élaborer un règlement et nous allons faire beaucoup de travaux communautaires pour que les gens comprennent ce qui se passe.
Va-t-il y avoir de l'opposition? Certes il y a toujours de l'opposition, mais nous sommes prêts, en tant que communauté, à éduquer les gens et à leur dire : « Voilà ce qui va arriver si nous ne nous occupons pas de nos propres affaires ». C'est ce que nous sommes prêts à faire, avec l'aide de la force policière de nos Six Nations et, au besoin, celle d'autres services. Nous sommes prêts à nous occuper de la sécurité de nos collectivités.
Vous parlez de deux autres collectivités. Celles-ci ont leurs propres problèmes internes, donc elles peuvent certainement s'occuper. Ce dont nous n'avons pas besoin, c'est de l'ingérence qui aggravera nos problèmes et c'est ce qu'entraînera ce projet de loi. On cherche à faire peur aux gens et lorsqu'on a peur, on fait des choses qu'on ne ferait pas autrement.
Nous allons donc travailler avec d'autres communautés. J'ai déjà eu deux ou trois réunions avec des intervenants de l'industrie. Notre communauté ne veut pas du crime organisé. S'il y en a, nous allons nous en débarrasser. Nous ne ménagerons pas nos efforts et nous allons éduquer notre propre collectivité pour avoir l'adhésion de tout le monde. Lorsque les gens participent à l'élaboration des règlements, ils font en sorte qu'ils soient respectés. Les gens nous aideront et c'est le message que nous voulons transmettre aux membres de notre communauté.
Comme je l'ai dit, nous avons notre propre service de police qui nous appuie entièrement et nous travaillons très bien avec lui.
Le président : Le temps presse et j'aimerais que chaque sénateur puisse poser au moins une question.
La sénatrice Batters : Chef Peters, dans votre déclaration liminaire, vous affirmez craindre que l'adoption du projet de loi C-10 aggrave la criminalité et la violence dans vos communautés. L'an dernier, nous nous sommes abondamment penchés sur ce projet de loi, que nous sommes en train de réexaminer. Nous avons entendu de très nombreux témoins qui nous ont parlé de la présence du crime organisé et de l'utilisation de ces canaux — comme on en a parlé avec le précédent témoin du ministère de la Justice — non seulement pour la contrebande de cigarettes, mais aussi pour les armes, la drogue et toutes sortes d'activités criminelles. Ne conviendriez-vous pas que l'adoption du projet de loi C-10 et notre intention sont de diminuer la criminalité et la violence dans vos communautés? C'est là l'objectif important que nous essayons d'atteindre. Ne pensez-vous pas que c'est ce qui arrivera en fait?
M. Peters : Merci, madame la sénatrice.
Non, je ne crois pas que cette mesure législative aboutisse à cela du tout. Lorsqu'on pousse les choses dans la clandestinité, cela crée toute une autre série de problèmes.
La sénatrice Batters : Et quels seraient-ils?
M. Peters : Cela me rappelle l'étude qui a été faite sur les 1 000 dossiers et l'absence d'activité criminelle.
Je vous dirai très brièvement quel est le revers de la médaille. Ces choses-là arrivent dans notre communauté parce que nous n'avons pas de contrôle. Nous sommes des conseils de bande qui n'exerçons aucun contrôle. Si nous l'avions, nous pourrions mener à bien cette lutte. Nous pourrions avoir ce contrôle, mais le problème, c'est que nous ne l'avons pas.
Le président : Il y a quatre sénateurs qui aimeraient encore poser des questions. Je vous demande donc d'être concis. Nous allons manquer de temps, mais je veux donner à tous la possibilité d'intervenir.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vous souhaite la bienvenue. Je suis content d'apprendre que l'industrie de la cigarette fait vivre de nombreuses familles sur vos territoires, malgré le fait que la cigarette tue 50 000 Canadiens chaque année.
J'ai lu le rapport de la GRC selon lequel environ 175 groupes criminels gravitent autour du commerce illégal de la cigarette. Vous dites que cela fait vivre beaucoup de petites communautés, mais je vous informe que cela fait vivre également beaucoup de groupes non autochtones criminalisés en dehors de vos réserves.
On a saisi, dernièrement, à Sept-Îles, des cigarettes qui étaient fabriquées dans une communauté autochtone, mais ce sont des Blancs qui vivent, au fond, de la vente de cigarettes qui sont produites chez vous. Est-ce que vous vous donnez des mécanismes d'opération pour faire en sorte de contrôler les cigarettes qui sortent de vos réserves afin qu'elles n'aboutissent pas dans les mains de criminels non autochtones qui vivent de votre industrie?
Je suis d'accord avec le fait que les communautés autochtones vivent de cette industrie. Je vous donnerais tous les pouvoirs, mais le problème est lié au fait que ce sont des groupes non autochtones, majoritairement issus du crime organisé, qui vivent de votre industrie.
J'aimerais savoir comment vous pouvez vous donner des mécanismes de contrôle suffisants pour ne pas faire vivre ces groupes criminalisés. C'est ce qui donne une très mauvaise image à l'industrie de la cigarette sur les réserves autochtones. Il y aussi des groupes criminalisés non autochtones qui en vivent.
[Traduction]
M. Peters : « Le problème est que, pour l'instant, la production ou la vente de cigarettes est limitée à la réserve. C'est là le plus gros problème. Si le gouvernement fédéral était prêt à travailler avec nous pour développer cette économie et que nous pouvions vendre nos cigarettes aux autres citoyens canadiens, nous n'aurions pas d'intermédiaire. Nous pourrions nous occuper directement de la vente.
Ainsi, la solution — et nous l'avons dit aujourd'hui — est de nous aider à trouver une solution. Travaillons ensemble pour éliminer les obstacles. Pour l'instant, nous ne pouvons pas parce que nous vendons exclusivement les cigarettes à nos communautés.
Le sénateur Plett : Chef Hill, vous nous avez raconté la triste histoire de cette personne qui avait une maladie cardiaque et qui avait pris des mesures pour pouvoir financer son opération ou pour utiliser cet argent autrement. Toutefois cette personne violait la loi. Elle n'était peut-être pas d'accord avec cette loi, mais elle la violait. Que la loi soit juste ou non, elle était violée.
Je n'ai pas l'intention de débattre du bien-fondé de ce projet de loi. Vous dites qu'il n'est pas bon, d'autres disent qu'il l'est. Comment pouvez-vous appuyer quelqu'un qui enfreint la loi, qu'on aime cette loi ou qu'on ne l'aime pas? Ce serait ma première question.
Deuxièmement, chef, vous avez dit, dans l'entrevue que vous avez accordée au Brantford Expositor que si ce projet de loi était adopté et je vous cite : « Je ne peux pas vous garantir qu'il n'y aura pas de violence. » Que vouliez-vous dire par là?
Mme Hill : Premièrement, je crois que cette personne n'enfreignait pas la loi. Nous sommes une nation souveraine et nous ne pensons pas que les lois canadiennes s'appliquent à nous. Nous pouvons élaborer nos propres lois.
Le sénateur Plett : N'importe où vous vous trouvez?
Mme Hill : Je crois que nous avons le pouvoir inhérent de commercer entre Premières Nations, et c'est ce que nous faisons, entre Akwesasne et les Six Nations. Cette personne empruntait l'autoroute 401 lorsqu'elle a été arrêtée. Je ne pense donc pas qu'elle violait la loi. Et en plus, nous avons le droit de commercer entre nous et c'est ce que nous faisons depuis des temps immémoriaux.
À propos du commentaire que j'ai fait sur l'impossibilité de garantir qu'il n'y aura pas de violence, c'est ce que m'ont dit les gens de notre communauté.
Le sénateur Plett : Quel type de violence?
Mme Hill : Qui sait? Je ne cautionne pas la violence mais des gens disent que si ce projet de loi est adopté, si on intervient dans nos affaires et que l'on fait des raids dans notre communauté, ils feront tout ce qu'il faut pour se protéger.
Le sénateur McInnis : Je tiens à faire une distinction entre l'industrie du tabac que l'on voit dans vos réserves et ce que j'ai constaté. Par exemple, à Membertou, au cap Breton, et à Millbrook, en Nouvelle-Écosse, on trouve de tout : des casinos, des centres de congrès, des dépanneurs, des stations-service, des cinémas, bref, toutes sortes d'entreprises. Je suppose que toutes ces entreprises respectent les codes de construction et les lois du Canada et celles de la Nouvelle- Écosse touchant le zonage, et cetera. C'est ce que l'on peut constater, j'en suis certain, dans vos réserves respectives.
Pouvez-vous me dire si j'ai raison; d'après ce que je comprends, vous aimeriez disposer d'une certaine réglementation qui vous permettrait de concurrencer — au début à petite échelle, sans doute — les cigarettiers Rothmans ou Macdonald, n'est-ce pas? Est-ce que c'est ce qu'il faut comprendre? Est-ce là votre but ultime? Vous voulez exploiter une entreprise.
M. Kechego : Dans les exposés que nous vous avons faits et par rapport à ce projet de loi, il s'agit d'arrêter de criminaliser les Premières Nations qui exercent des droits qui ont toujours été les leurs. On peut certes débattre de la concurrence dans les affaires, mais le gouvernement fédéral n'a jamais amorcé ce dialogue.
Le sénateur McInnis : Ce débat dépasse le mandat du comité.
M. Kechego : Exactement.
M. Whiteduck : Nous essayons d'être concurrentiels, de développer des économies, d'être autonomes et cherchons des moyens d'y arriver. Je sais qu'en l'occurrence il n'y a pas de traité en jeu et, à moins de cela, nous faisons notre possible pour y arriver sans créer de conflit. Il n'y a pas de gang à Pikwakanagan. Il n'y a pas d'activité criminelle à Pikwakanagan. Il pourrait y en avoir ailleurs, mais je ne crois pas pour autant qu'il faille punir tout le monde en imposant ce projet de loi.
Nous voulons simplement continuer de lever les contraintes qui nous sont imposées, d'être concurrentiels et d'augmenter la qualité de vie et la stabilité des familles et des revenus des communautés des Premières Nations.
Je ne sais pas si cela répond précisément à la question, mais je crois que cela concerne le sujet.
Le sénateur McInnis : Je n'ai pas de preuve, mais il semblerait que des cigarettes circulent ou sont importées en contrebande. C'est de cela dont il s'agit. À terme, vous souhaitez un régime réglementaire qui vous permettrait d'exploiter une entreprise concurrentielle. Vous dites que 2 000 emplois pourraient être menacés. Personne ne souhaite mettre en péril des emplois légitimes, mais vous comprenez sans doute le problème que nous avons.
M. Whiteduck : S'il y a des soucis de sécurité et autres, nous voudrions très certainement mettre en place nos propres règlements. Je ne crois pas qu'il y ait contrebande en ce qui nous concerne. Je comprends parfaitement ce que dit le grand chef Peters : il est difficile d'imaginer pourquoi d'autres gens adoptent des lois pour faire de nous des criminels alors qu'il n'y a pas de traité. Vous avez votre constitution; vous avez l'article 35 et l'article 25, selon lesquels nous sommes censés jouir des droits et libertés conformément à la proclamation royale, qui stipule que des particuliers et des gouvernements ne s'installeront pas sur ce territoire à moins qu'il y ait un traité. Qu'avons-nous ici? La Ville d'Ottawa. Je trouve cela dur à avaler. J'ai du mal à imaginer que cela continue. Chaque fois que j'y pense, cela m'agace, car c'est contradictoire. Je ne crois pas que notre commerce du tabac s'apparente à de la contrebande. C'est ma position.
Le sénateur Joyal : Selon ce qu'a dit ce matin le représentant du ministère de la Justice, la question de la vente du tabac en dehors de la réserve ou dans la réserve n'est pas régie par traité. Ce n'est pas un droit issu d'un traité. Puisqu'il ne s'agit pas de droit issu d'un traité, il n'y a aucune obligation officielle de tenir compte des perspectives autochtones. Avez-vous un commentaire à ce sujet, monsieur Powless?
M. Powless : On fait l'erreur de définir notre territoire comme les réserves minuscules que nous avons aujourd'hui. Ainsi, les Six Nations qui occupent aujourd'hui 50 000 acres avaient à l'origine un territoire d'un million d'acres — à partir de la source de la rivière Grand, soit six milles de chaque côté. Et cela s'applique à toutes les Premières Nations du Canada. Elles vivent désormais dans de petites réserves situées sur les territoires traditionnels où elles avaient l'habitude de survivre. C'est le titre autochtone qui a été décidé dans le jugement Tsilhqot'in de la Cour suprême. C'est le titre autochtone qui n'est toujours pas réglé. Lorsque l'on parle de juridiction sur notre territoire, c'est le territoire dont nous parlons. S'agissant des ventes, on ne peut pas contrôler ce qui arrive en dehors des réserves, lorsque le produit est retiré de la réserve.
J'aimerais faire un commentaire à propos des gangs. Il y a un élément de criminalité dans tous les aspects de la vie et partout. Tout le monde le sait. On le voit tout le temps à la télévision et dans les médias. C'est incontournable. Ce qui ne veut pas dire que nous l'approuvons. S'il y en a dans notre communauté, nous essaierons de nous en débarrasser.
Deuxièmement, je pense qu'il y a une solution vraiment simple au problème. Le gouvernement fédéral la connaît mais ne veut pas l'envisager; il s'agirait de réduire les impôts et l'élément criminel n'aurait plus sa raison d'être. C'est très simple, il faut réduire les impôts. Puisque votre gouvernement est majoritaire, vous pourriez adopter cette solution du jour au lendemain. Vous avez la solution; alors évitez de punir des communautés pauvres qui essaient de tirer profit d'un produit légal. Ne criminalisez pas la possession d'un produit légal.
La sénatrice Batters : On nous a dit que l'argument que vous avancez à propos du taux d'imposition implique une approche à deux volets. Il y a des enjeux de criminalité que nous devons traiter dans ce projet de loi, mais il y a aussi d'importants enjeux de santé. La vente de tabac est importante et votre peuple, le peuple autochtone, en est grandement affecté.
Le chef Hill a donné l'exemple de cet homme atteint de maladie cardiaque. Eh bien, le tabac est l'une des causes majeures des maladies cardiaques et c'est sans parler du cancer, dont le mot n'a même pas encore été prononcé aujourd'hui.
Dans son exposé liminaire, l'un d'entre vous a dit qu'il s'agissait d'une question tout autant morale que juridique. Comment traitez-vous cette question de santé extrêmement importante à laquelle font face tous les Canadiens, ainsi que votre peuple?
M. Kechego : Premièrement à propos de votre dernière question, le ministère de la Justice a tort. C'est une question de traités. Il y a de nombreux traités au Canada et pas seulement un. Dans de nombreuses revendications particulières et affaires, on a donné tort au ministère de la Justice.
S'agissant de l'enjeu de la santé, le projet de loi C-10 ne le traite pas puisqu'il concerne la criminalité. Le gouvernement du Canada n'a jamais eu avec les Premières Nations de dialogue ouvert sur les moyens de traiter des problèmes de santé tels que cancers et autres, liés au tabac. Ce projet de loi vise strictement les revenus liés au tabac et la criminalisation des Premières Nations s'agissant du tabac et de la réglementation.
Pourquoi le gouvernement ne criminalise-t-il pas des sociétés comme du Maurier, Rothmans et autres, pour avoir ajouté dans leurs produits des substances toxiques qui ont tué — et cela a été prouvé — plus de gens que n'importe quel autre produit dans le monde?
Pourquoi tout d'un coup parle-t-on de santé lorsque des petites entreprises de tabac des Premières Nations ouvrent leurs portes et ne paient pas d'impôt réglementaire dans les réserves? Ce n'est pas logique. S'il s'agit d'un problème de santé, parlons-en. Or, ce projet de loi n'en parle pas.
Toujours à propos de l'enjeu de criminalité, le gouvernement peut-il garantir que, à la suite de ce projet de loi, seuls les éléments criminels — c'est-à-dire le crime organisé, comme vous dites — seront déclarés criminels? On a déjà vu dans les journaux des histoires de familles qui avaient fait l'objet de descente de police accusées de « crime organisé », ce qui est faux. Tout cela n'est que de la poudre aux yeux.
La nation anishinabek ne croit pas que le gouvernement est concerné par la bonne santé des Canadiens. Si c'était le cas, nous aurions une discussion sur la santé.
Le président : Merci beaucoup. Nous allons devoir nous arrêter là.
Nous vous remercions tous pour avoir exprimé votre point de vue sur les questions dont nous sommes saisis et pour avoir répondu à nos questions. Nous vous en sommes très reconnaissants.
(La séance est levée.)