Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 25 - Témoignages du 5 février 2015
OTTAWA, le jeudi 5 février 2015
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-479, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (équité à l'égard des victimes), se réunit aujourd'hui, à 10 h 29, pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue à mes collègues, à nos invités et aux membres du public qui suivent les travaux du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-479, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (équité à l'égard des victimes).
Le projet de loi C-479 a été présenté à la Chambre des communes en février 2013 par M. David Sweet, député d'Ancaster—Dundas—Flamborough—Westdale, en Ontario. Le projet de loi a été rétabli par la Chambre au début de la présente session.
Il s'agit aujourd'hui de notre deuxième séance sur ce projet de loi. Je rappelle aux gens qui regardent que les séances sont ouvertes au public et qu'elles sont aussi diffusées sur le site web du Sénat, au sen.parl.gc.ca. Vous trouverez plus d'information sur l'horaire établi pour les témoignages sur le site web, sous la rubrique « Comités du Sénat ».
Veuillez accueillir notre premier groupe de témoins. Nous entendrons, Eric Purtzki, avocat, qui est ici à titre personnel, tout comme Mary Campbell, qui a déjà comparu devant le comité concernant d'autres projets de loi, et ce, dans un rôle différent, ainsi que Rick Sauvé, pair mentor à la Société Saint-Léonard du Canada.
Eric Purtzki, avocat, à titre personnel : Mesdames et messieurs, je suis heureux de témoigner devant vous pour vous faire part de mes commentaires sur le projet de loi C-479. Je suis ici pour exprimer mes préoccupations au sujet de ce projet de loi et pour souligner ce que je perçois respectueusement comme d'importants problèmes d'ordre constitutionnel.
Je limiterai mes commentaires aux délais d'inadmissibilité préalables à la libération conditionnelle. C'est le délai d'inadmissibilité préalable de quatre ans, de cinq ans, après le refus ou la révocation de la libération conditionnelle. Le projet de loi a des effets sur l'inadmissibilité, et les questions d'inadmissibilité s'accompagnent toujours de facteurs importants sur le plan constitutionnel.
Les tribunaux ont indiqué clairement que l'obtention de la libération conditionnelle n'est pas un droit constitutionnel. Cependant, la prolongation du délai d'attente fait problème, en ce sens que ce que fait ou dit le délinquant n'importe pas; il va rester derrière les barreaux parce qu'il ne peut se prévaloir de la possibilité de présenter une demande à la Commission des libérations conditionnelles.
Il est question d'inadmissibilité, et la façon dont l'inadmissibilité est mise en œuvre est effectivement universelle. Elle s'applique de manière universelle à tous les délinquants trouvés coupables de crimes violents dont la libération conditionnelle est révoquée ou refusée. C'est automatique.
D'un angle prospectif, je dis que ces trois éléments sont toxiques, sur le plan constitutionnel, en vertu de l'article 7 de la Charte, compte tenu de l'objet du projet de loi. Je dirais donc que le projet de loi va trop loin à cet égard, et qu'il est justiciable en vertu de l'article 7 de la Charte. Je dirais plus particulièrement qu'il y a des problèmes graves sur le plan technique, concernant la rétroactivité et la « rétrospectivité » du projet de loi, et ce, de deux façons. Les dispositions sont rétrospectives, en termes constitutionnels, et il s'agit de la principale question en matière de rétrospectivité, à savoir s'il s'agit ou non d'une punition, étant donné qu'il est question de la durée et des délais d'inadmissibilité à la libération conditionnelle, et que son application est universelle et automatique.
Il ne s'agit pas d'une décision discrétionnaire prise par la commission. Nous ne cherchons pas à obtenir pour les Clifford Olson du monde, qui n'ont aucune chance d'obtenir la libération conditionnelle, l'occasion d'aggraver la souffrance des victimes. Je ne trouverais pas choquant qu'on repousse la libération conditionnelle d'une personne comme lui, mais on crée d'énormes problèmes en appliquant cela à tout le monde sans exception.
C'est ce que j'avais à présenter au comité aujourd'hui.
Mary Campbell, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je suis ravie d'être de retour. Je vais aussi être très brève. J'ai distribué trois pages qui comportent plus de points, ainsi que deux pages de graphiques qui, je l'espère, vous seront utiles.
Je pense que ce plan visant à repousser les examens, comme M. Purtzki le dit, est problématique, et je vais vous donner quelques raisons pour cela. Je sais que la loi exige un examen dans les cinq années suivantes; on ne dit donc pas que c'est automatiquement cinq ans après, ou quatre ans après, pour l'examen subséquent à une ordonnance de détention d'un délinquant libéré d'office. Ce qui me préoccupe, c'est que les humains et les bureaucraties ont tendance à opter par défaut pour la plus longue période possible. Je ne cherche pas à critiquer qui que ce soit; nous le faisons tous. Si on nous donne deux semaines pour faire quelque chose, nous prenons les deux semaines. Si on nous donne cinq semaines, il est sûr que nous allons utiliser ce temps de plus qui nous est accordé.
J'ai une perspective plutôt pessimiste, alors que d'autres ont une perspective optimiste et disent que, non, les examens peuvent avoir lieu beaucoup plus rapidement. J'espère qu'on pourra me démontrer que je me trompe.
Il serait utile d'avoir des données relatives au système actuel, pour que nous puissions voir à quel moment l'examen qui suit un refus a lieu, dans la période de deux ans. Bien entendu, ces données n'existent pas, mais elles nous seraient utiles.
La raison pour laquelle mon pessimisme se meut en une profonde inquiétude, c'est l'incidence sur le système. Je crains fort qu'à cause de ce projet de loi, bien plus de détenus soient libérés plus tard au cours de leur peine, à la libération d'office, aux deux tiers de la peine, ou à l'expiration du mandat, à la fin de la peine. Nous voyons déjà une forte augmentation du nombre de détenus qui ont leur libération d'office plutôt qu'une libération conditionnelle.
Je présentais un exposé dans la région du Pacifique, dernièrement, et 61 p. 100 des libérations d'office n'ont été précédées d'aucun contact avec la Commission des libérations conditionnelles, peu importe la raison. Ce que je crains, c'est qu'à cause du projet de loi, conjugué aux examens relatifs à la libération d'office et au maintien en incarcération, cela sera exacerbé et plus de détenus seront libérés à l'expiration du mandat.
Cela cause de toute évidence d'énormes pressions en raison de l'augmentation de la population carcérale et des ressources nécessaires, et on ne fait aucune évaluation des coûts quand il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Cela diminue aussi la sécurité du public, car nous savons qu'une personne qu'on laisse sortir sans autant de supervision et de soutien risque de faire pire. La recherche montre cela, et c'est ce qui me préoccupe.
Pour terminer, étant donné que le gouvernement s'est engagé à abolir la libération d'office, cela va venir aussi. Nous voyons bien l'un des problèmes qui viennent avec les projets de loi qui ne portent que sur une petite partie du problème : les mesures ne sont pas toutes interreliées.
Cet engagement a été lancé. Je n'ai aucune idée des intentions du gouvernement. Il pourrait proposer d'abolir la libération d'office comme promis, ou tout simplement de la restreindre. Ma question, dans ce cas, est la suivante. Pourquoi apporter maintenant des changements très fondamentaux à la libération d'office, si de telles mesures législatives s'en viennent?
Ce sont les raisons pour lesquelles les articles 2 et 3 me préoccupent. Je serai ravie d'aborder les autres aspects liés aux victimes et à la renonciation au droit à une audience.
Rick Sauvé, pair mentor, Société Saint-Léonard du Canada : Je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Quand je lis le projet de loi, je pense que je l'envisage dans des angles très uniques, car j'ai purgé de nombreuses années en prison. Je suis en libération conditionnelle depuis 1995 et je purge ma peine en liberté conditionnelle totale dans la collectivité.
Je retourne dans les établissements de la région de l'Ontario depuis la fin de 1998. Pendant cette période, j'ai offert mon aide dans le cadre de plus de 400 audiences de libération conditionnelle, j'ai travaillé avec des centaines d'hommes et avec plusieurs femmes qui ont purgé leur peine dans les établissements et je continue d'y aller. Tant de détenus perdent véritablement l'espoir.
L'une des choses que j'ai découvertes au fil des nombreuses audiences de libération conditionnelle auxquelles j'ai travaillé, c'est qu'on y entend certains des renseignements les plus importants, au moment de déterminer si on peut en toute sécurité laisser une personne retourner dans la collectivité. Je pense qu'il ne faut pas limiter l'accès à la Commission des libérations conditionnelles, car c'est là que la meilleure information fait surface. Vous ne pouvez vous fier uniquement à l'information au dossier qui est produite au sein de la prison, car, très souvent, elle comporte des lacunes. Mon propre dossier comportait bien des lacunes, et il est presque impossible d'obtenir que l'information soit corrigée. Ils ne vont tout simplement pas retirer l'information qui est fausse.
De nombreux hommes avec lesquels j'ai travaillé au fil des années ont eu de la difficulté à être transférés dans des établissements à sécurité inférieure, alors quand il est question de libération conditionnelle, la plupart du temps, on leur demande de renoncer à leurs audiences. On leur dit tout simplement : « Renoncez à votre audience, participez à des programmes. Après, vous pourrez aller de l'avant. »
Récemment, j'ai participé à l'audience de libération conditionnelle d'un homme de 82 ans. La Commission des libérations conditionnelles la lui a refusée parce qu'il n'avait pas complété une partie des programmes auxquels il devait participer. Je le regarde, et je me demande s'il va survivre. Je ne pense pas qu'il présente un risque pour la collectivité, mais je ne pense pas qu'il vivra assez longtemps pour se rendre à sa prochaine audience de libération conditionnelle, si le projet de loi est adopté.
Merci.
Le président : Merci à vous tous. Nous allons passer aux questions, et je vais demander au vice-président du comité, le sénateur Baker, de commencer.
Le sénateur Baker : Merci à nos trois témoins. Vous avez présenté d'excellents exposés qui sont directement liés au projet de loi que nous étudions. Je vais adresser mes deux questions à M. Eric Purtzki.
Monsieur Purtzki, la raison pour laquelle vous avez été invité à comparaître devant le comité, c'est que vous êtes devenu célèbre, dans les sphères juridiques canadiennes, après avoir représenté M. Whaling devant la Cour suprême du Canada dans la cause Canada (Procureur général) c. Whaling. Les dispositions touchant la libération conditionnelle anticipée qui ont été déclarées inconstitutionnelles par la Cour suprême du Canada avaient été adoptées par le comité en mars 2011. Certains des membres du comité qui siégeaient alors sont encore là aujourd'hui. Le ministre avait comparu avec Mme Campbell, qui se trouvait dans une position différente de sa position actuelle, et il y avait eu un débat entre le sénateur Joyal et le ministre. Le sénateur Joyal affirmait que les dispositions contrevenaient aux alinéas 11i) et 11h) de la Charte pour les mêmes raisons que la Cour suprême du Canada a évoquées par la suite afin d'invalider ces dispositions.
Ce qui a attiré mon attention, c'est que le projet de loi a été adopté en mars 2011. En septembre 2011, la question de la constitutionnalité des dispositions était devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Autrement dit, vous aviez présenté vos arguments, obtenu la réponse de la Couronne, et cetera. Tout cela s'est donc fait très vite. Vous avez franchi toutes les étapes — cour supérieure, cour d'appel et Cour suprême du Canada —, alors vous méritez des félicitations.
Dans une réponse au compte rendu de WestlawCarswell's portant sur le jugement, un célèbre professeur de droit de l'Université de la Saskatchewan, Tim Quigley, a déclaré ceci, et j'aimerais savoir si vous êtes d'accord. Il a dit que l'admissibilité à la libération conditionnelle, mis à part ce qui est envisagé à l'audience sur la détermination de la peine, est maintenant ainsi protégée, et qu'il est clair que des mesures législatives rétrospectives ne prévoyant pas un examen individualisé du délinquant et des protections procédurales seront toujours en contravention. Êtes-vous d'accord?
M. Purtzki : Je suis d'accord, en effet. Le projet de loi dit « dans les cinq ans », mais une chose est sûre, et c'est que ce sera plus que deux ans. C'était deux ans, et maintenant, c'est plus long. Même si c'était une seule semaine de plus, du point de vue de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle, ça demeure que c'est plus long. C'est fait, comme le souligne M. Quigley, et le gros problème, c'est que c'est d'application automatique et universelle. Cela ne laisse aucune place à une décision discrétionnaire.
Comme je l'ai dit dans mon exposé, c'est le vice sur le plan constitutionnel qui a été relevé dans l'arrêt Whaling, et c'est ce qui a été fatal, en fin de compte, pour diverses raisons. Cela se fonde sur les critères que la Cour suprême a ultimement établis : comment détermine-t-on la peine d'une personne? Eh bien, il ne s'agit pas d'une punition si la Commission des libérations conditionnelles prend une décision discrétionnaire, comme je l'ai dit dans mon exposé, et qu'elle dit : « Vous, monsieur, n'avez aucune chance d'obtenir la libération conditionnelle. Les victimes sont présentes. Vous ne causez que des ennuis à ces gens. Après mûre réflexion, nous rendons une ordonnance selon laquelle vous ne pouvez vous présenter de nouveau devant la commission avant x années. » Une telle disposition risque peu de répondre aux critères établis pour la peine que M. Quigley a énoncés. Il n'en va pas ainsi du présent projet de loi.
Le sénateur Baker : Disons que le projet de loi est inconstitutionnel. La cour doit envisager une autre question : Est-il justifié par l'article premier de la Charte? Autrement dit, est-ce justifié dans une société libre et démocratique parce que la majorité des gens...
Quand il s'agit de déterminer si c'est justifié par l'article premier, il faut se demander quel est l'objectif de la rétrospectivité.
Avez-vous regardé la modification adoptée à la Chambre des communes et la personne qui l'a proposée? Avez-vous vu le libellé et la raison pour laquelle elle a été proposée, le libellé employé par celle qui a proposé la modification relative à l'effet rétrospectif?
M. Purtzki : Oui.
Le sénateur Baker : Ce n'est pas un projet de loi du gouvernement du Canada. C'est un projet de loi d'initiative parlementaire. Voici ce qu'elle dit :
Cet article vient préciser que le projet de loi C-479 touchera les catégories suivantes de délinquants sous responsabilité fédérale : ... les délinquants actuellement incarcérés après la première audience de liberté conditionnelle ou le premier contrôle des motifs de détention suivant l'entrée en vigueur du projet de loi C-479.
La raison motivant cet amendement est que dans sa forme actuelle, le projet de loi ne s'appliquerait qu'aux délinquants qui n'avaient pas encore reçu leur condamnation à l'entrée en vigueur des modifications, et il faudrait attendre de nombreuses années avant de voir les résultats escomptés.
Est-ce justifié par l'article premier de la Charte?
M. Purtzki : Non, car ce n'est pas une raison d'ordre constitutionnel ou juridique, mais plutôt d'ordre politique.
Dans le cas d'une mesure qu'on cherche à justifier par l'article premier, la cour se demandera entre autres principalement s'il est possible d'atteindre l'objectif d'une manière moins intrusive. Cela revient à l'application automatique et universelle qui est prévue dans le projet de loi. La cour pourrait estimer qu'il sera moins intrusif de rendre la décision discrétionnaire.
Le sénateur Baker : Une solution proactive, plutôt que rétrospective.
M. Sauvé : De plus, la mise en œuvre du projet est différée de toute façon. Si la décision était discrétionnaire, le projet de loi pourrait être adopté demain. Le Parlement semble reconnaître qu'il est important de le différer. Par chance, car dans un cas comme dans l'autre, il n'est pas à la hauteur.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup d'être ici ce matin. Vous nous montrez l'autre côté de la médaille, soit celui des droits des criminels. Ce qui peut vous paraître excessif peut être perçu, du côté des victimes, comme un projet de loi plus juste et plus équitable. C'est souvent une question de perspective, et je respecte votre point de vue, sans toutefois le partager.
Madame Campbell, vous avez affirmé que l'intention du gouvernement était de mettre fin aux libérations d'office. Cependant, le principe auquel nous nous attaquons n'est pas nécessairement celui de mettre fin aux libérations d'office, mais celui des automatismes. On l'a fait dans un sixième des cas liés à des crimes de nature économique, et on le fera dans le cas des libérations d'office, parce que ce sont des privilèges et que les privilèges doivent se mériter. Les gens pourront toujours bénéficier d'une libération au tiers ou à la moitié de leur peine dans la mesure où, lors du processus de réhabilitation, ils ont démontré des efforts pour mériter une libération anticipée.
Dans notre système carcéral, être libéré avant la fin de la sentence est un privilège et non un droit. Être automatiquement admissible à des privilèges sans faire d'efforts, n'êtes-vous pas d'accord que cela constitue une contradiction par rapport au message qu'on envoie au criminel en lui disant que, même s'il ne fait pas d'effort, il peut avoir les mêmes droits que celui qui en fait et qui est libéré automatiquement?
[Traduction]
Mme Campbell : Oui, je comprends ce qui vous préoccupe. L'engagement du gouvernement, qui remonte à 2006, si je ne me trompe pas, était en réalité d'abolir la libération d'office aux deux tiers de la peine. Je sais que ce n'est peut-être pas ce qui ressort, mais je pense qu'on avait utilisé le mot « abolir ».
Je suis d'accord avec vous : nous voulons tous que les personnes qui sont libérées le soient après avoir fait les efforts nécessaires pour faciliter leur réintégration en toute sécurité. Je pense que, parfois, les gens perçoivent la libération d'office aux deux tiers de la peine comme quelque chose qu'on obtient simplement parce qu'on est arrivé aux deux tiers de la peine. C'est une mise en liberté à une date prédéterminée, et la raison en est qu'à ce point, tout le monde dans le système prend une respiration profonde et dit : « La fin de la peine approche. La personne va être libérée, alors que faut-il faire pour gérer cette libération? » Le détenu n'a peut-être jamais comparu devant la Commission des libérations conditionnelles; peut-être qu'il a comparu et qu'il a essuyé un refus; peut-être qu'il a bénéficié d'une libération conditionnelle, mais que cela a été un échec. Cependant, nous en sommes maintenant aux deux tiers de la peine, et le détenu va sortir, alors que faut-il faire pour gérer cela? C'est la philosophie qui sous-tend la libération d'office.
Les résultats de recherche sont clairs : la liberté surveillée vaut mieux que la liberté sans condition aux deux tiers de la peine. Personnellement, je ne souhaite pas qu'un détenu de l'établissement de Millhaven — un établissement à sécurité maximale — en sorte et vienne s'installer dans mon immeuble. Ce n'est pas une manière sûre de libérer quelqu'un.
Je pense que vous avez des points de vue contradictoires sur ce qui se produit aux deux tiers de la peine. Le pouvoir de détention est là, et la commission peut l'exercer si la personne semble présenter un risque.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : C'est une question de philosophie. Vous dites : « si nous avons fait tous les efforts ». Au fond, la philosophie que l'on modifie est celle-ci : si le criminel a fait tous les efforts, parce que ce n'est pas au système carcéral de faire des efforts, mais au criminel.
Monsieur Purtzki, dans votre mémoire, vous affirmez que le délinquant violent serait soumis à des délais d'inadmissibilité beaucoup plus longs que les autres délinquants, même s'il ne pose peut-être pas de danger pour la victime ou pour la société.
Toutefois, si le système considère le criminel violent, ne représente-t-il pas un risque? Comment peut-on considérer un criminel comme étant violent et à la fois dire qu'il ne représente pas de risque pour la société?
[Traduction]
M. Purtzki : Je pense que ce qui importe, c'est de faire une évaluation de ce risque. Si l'on refuse à un délinquant la libération conditionnelle et qu'il doit suivre un programme, une fois qu'il a suivi le programme, il faut une évaluation du risque qu'il pose. Si les délinquants font ce qu'ils sont censés faire au sein du système correctionnel pour abaisser le risque de récidive, faire une prise de conscience et tout cela, ce qui est important d'après moi, c'est que la commission doit se pencher sur la situation puis déterminer si le détenu pose un risque ou pas.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Monsieur Purtzki, quand on parle d'un délinquant violent, le principe même de l'utilisation du terme « violent » indique qu'il représente un risque. C'est dans ce cadre que cette loi a été introduite. Si vous êtes considéré comme violent et à risque, l'échéancier, en ce qui concerne l'accès au privilège d'être remis en liberté, sera prolongé dans le temps pour que vous puissiez passer plus de temps dans un programme afin de limiter ce risque. C'est l'intention du projet de loi.
[Traduction]
M. Purtzki : La violence représente en effet un risque, et il y a des facteurs criminogènes particuliers, comme pour tous les crimes, mais le Service correctionnel est conçu pour remédier à ces risques. Un délinquant peut suivre des programmes et prendre les mesures nécessaires pour répondre à ces risques d'une manière que le Service correctionnel juge satisfaisante, et le Service correctionnel n'est pas le Petit Chaperon rouge. Il sait exactement comment évaluer le risque. On lui a confié la tâche de protéger la société. Alors si le Service correctionnel dit « Nous pensons qu'il convient de mettre ce délinquant en liberté », cela veut dire qu'il peut être mis en liberté. À mon humble avis, il n'y a pas de mal à permettre à ce délinquant de plaider sa cause devant la Commission des libérations conditionnelles avec l'appui du Service correctionnel.
Le sénateur Boisvenu : Même s'il est toujours violent?
Le président : Sénateur, nous devons donner la parole au sénateur Joyal.
Le sénateur Joyal : Je vous remercie de votre contribution, monsieur Purtzki. J'aimerais revenir sur ce que le sénateur Baker a soulevé concertant la rétrospectivité. Comme le sénateur Baker l'a mentionné, en 2011, le ministre est venu témoigner concernant les modifications à la Loi sur l'abolition de la libération anticipée des criminels qui ont été au centre de l'arrêt Whaling. J'avais exprimé des doutes sur la constitutionnalité du projet de loi. J'avais clairement dit au ministre, à l'époque, que je ne croyais pas le projet de loi constitutionnel. Le ministre avait affirmé avoir obtenu un avis juridique selon lequel le projet de loi était constitutionnel, et il nous avait demandé de l'adopter.
La majorité des membres du comité a voté pour le projet et, bien sûr, en juin dernier, l'arrêt Whaling a confirmé l'inconstitutionnalité du projet de loi à cause de la rétroactivité qui était contraire aux alinéas 11h) et 11i) de la Charte.
Hier, j'ai soulevé la même préoccupation, et le président a mentionné le paragraphe 63 de l'arrêt Whaling. Avez-vous l'arrêt avec vous?
M. Purtzki : Non, je ne l'ai pas.
Le sénateur Joyal : Il a servi d'introduction pour la réponse à l'allégation selon laquelle un article du projet de loi avait été ajouté au moyen d'une modification de la part du gouvernement par le secrétaire parlementaire du ministre de la Sécurité publique à la Chambre des communes, maintenant l'article 7(3) du projet de loi. De toute évidence, d'après moi, il était question d'une rétroactivité que le paragraphe 63 de l'arrêt Whaling permettrait de sauvegarder. En tout respect, c'est ce que le président a laissé entendre en citant le paragraphe 63 hier. Quelle lecture faites-vous du paragraphe 63 de l'arrêt Whaling, concernant le paragraphe 7(3) du projet de loi?
M. Purtzki : C'est là que la Cour suprême du Canada donne une indication de ce qui constitue une peine ou pas. Comme je l'ai dit, dans le paragraphe 63, la Cour suprême dit que si vous retardez la libération conditionnelle, il faut que cette décision fasse partie d'un processus de décision discrétionnaire. Est-ce qu'il y aura une audience sur la question?
Je dis que si on vous refuse la libération conditionnelle, ou si on révoque votre libération conditionnelle, cela a automatiquement pour effet de vous obliger à attendre plus longtemps. C'est l'effet automatique. Comme je l'ai dit, si le Parlement avait dit, oui, nous allons donner à la Commission des libérations conditionnelles le pouvoir additionnel de faire une telle ordonnance — de retarder la libération — pour vous, le délinquant, il y aura une protection procédurale vous permettant de demander à la commission de déterminer s'il doit y avoir une période d'attente plus longue à la lumière des inquiétudes d'une victime. C'est de cela que la Cour suprême du Canada parle : de la détermination discrétionnaire prévue dans la protection procédurale.
Par exemple, si la commission dit à un délinquant qu'il n'a aucune chance d'être libéré parce qu'il fait cela pour aggraver les souffrances des victimes, que ce soit de manière intentionnelle ou pas, alors le délinquant peut en appeler de cette conclusion et ainsi de suite. C'est de cela qu'on parle, concernant les protections procédurales. Mais nous parlons de l'effet automatique du projet de loi. Si je suis un délinquant auquel on refuse la libération conditionnelle, j'attends plus de deux ans. C'est ce que nous voulons dire quand nous parlons de l'effet automatique, et c'est le contexte que la Cour suprême du Canada a établi.
Il est important de se rappeler que le paragraphe 63, tel qu'il est orienté, dans l'arrêt Whaling, indique que la prolongation de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle telle qu'on l'a prévue dans la Loi sur l'abolition de la libération anticipée des criminels se situe à une extrémité du spectre. C'est le cas le plus clair. Puis il y a l'autre extrémité, comme dans l'arrêt Cunningham, où il ne s'agit pas d'une peine. La Cour suprême du Canada n'a pas dit : « C'est la seule fois où nous faisons cela, les amis. » Il y a aussi, au centre du spectre, quelque chose d'également inconstitutionnel. Ce n'est peut-être pas aussi extrême que dans la cause Whaling, mais c'est au moins au milieu, ou plus près. Quand nous parlons d'inconstitutionnalité, le terrain est vaste, et il y a bien plus de terrain à parcourir pour sortir de l'inconstitutionnalité.
Le sénateur Joyal : Je vais lire la fin du paragraphe 63, rédigé par le juge Wagner :
Comme je l'ai souligné précédemment, la principale considération est la mesure dans laquelle l'attente légitime en matière de liberté du délinquant a été trompée. Un changement qui entraîne directement une prolongation de l'incarcération sans égard à la situation du délinquant et qui ne prévoit pas l'application de garantie procédurale à la procédure d'examen contrevient manifestement à l'al. 11h).
Il me semble que la rétroactivité automatique prévue au paragraphe 7(3) du projet de loi décrit parfaitement cette situation. La période d'incarcération est immédiatement prolongée, sans égard aux circonstances qui pourraient avoir mené à une nouvelle comparution de la personne devant la Commission des libérations conditionnelles.
M. Purtzki : Exactement.
Le sénateur Joyal : Lorsqu'un accusé se retrouve devant les tribunaux, la détermination de son admissibilité ou de son inadmissibilité à la libération conditionnelle est un aspect qui pourrait être pris en compte dans le plaidoyer que la personne pourrait vouloir présenter. À mon avis, modifier cet aspect de façon rétroactive contrevient aux droits prévus aux alinéas 11i) et h) de la Charte, et selon l'interprétation et la compréhension que j'en ai, je ne crois pas que le paragraphe 63 permette de les protéger.
M. Purtzki : Je suis d'accord avec vous sur ce point.
Le sénateur Plett : J'ai deux ou trois commentaires à formuler, suivis d'une question.
Dans votre exposé, monsieur Purtzki, vous avez indiqué que si nous voulons nous attaquer à des cas comme celui de Clifford Olson, nous devrions viser les Clifford Olson de ce monde, et que le projet de loi ne permet pas de le faire.
Comme le parrain du projet de loi l'a maintes fois indiqué hier, le projet de loi vise le plus odieux des crimes. Les frères Munro ont abattu un policier, M. Michael Sweet, alors qu'il suppliait qu'on lui sauve la vie. Ils se sont moqués de lui, ils ont ri et l'ont laissé mourir au bout de son sang. Je suis porté à croire que la veuve de Michael Sweet et ses trois enfants diraient qu'il s'agit d'un crime presque aussi grave que celui que Clifford Olsen a commis. Je ne sais trop pourquoi vous voudriez utiliser l'exemple de Clifford Olsen. On vise le plus odieux des crimes.
Monsieur Sauvé, vous avez dit que vous êtes en liberté conditionnelle. Je ne sais pas quel était votre crime, s'il s'agissait d'un crime odieux de ce genre. Vous voudrez peut-être en parler; je ne vous le demande pas, mais vous voudrez peut-être le faire.
Madame Campbell, dans votre mémoire, vous énumérez un certain nombre d'éléments que vous considérez comme négatifs. Toutefois, je trouve que plusieurs d'entre eux sont positifs, à certains égards. Lorsque vous parlez d'opter par défaut pour la peine maximale, je pense que c'est formidable. Le projet de loi ne vise pas à aider les délinquants, mais à être avantageux pour les victimes. Honnêtement, j'aimerais que l'on s'en remette à la peine maximale le plus souvent possible.
Madame Campbell, parmi les préoccupations que vous soulevez, vous indiquez que cela pourrait avoir pour conséquence nette d'accroître la population carcérale tout en diminuant la sécurité publique. En quoi l'incarcération des gens peut-elle réduire la sécurité publique? Je me sens bien plus en sécurité maintenant que M. Munro est derrière les barreaux. Je n'aimerais pas non plus qu'il habite mon immeuble, s'il était en libération conditionnelle.
Ensuite, vous indiquez que les transcriptions ne sont tout simplement pas faites et qu'il est très improbable qu'elles le soient dans un avenir prévisible. La loi, c'est la loi. J'ose espérer que la Commission des libérations conditionnelles respectera la loi, et que si la loi l'oblige à procéder à la transcription, elle le fera.
Mme Campbell : La sécurité compte divers aspects, évidemment. Pour commencer, je dirais que l'on se préoccupe de ce qui se passe au sein des pénitenciers. Il y a donc, par rapport aux gens qui y travaillent, un enjeu lié à la sécurité publique, et je sais que cette question vous préoccupe. Manifestement, plus le milieu dans lequel ils travaillent comptera de gens qui n'ont rien à perdre, plus ce milieu deviendra dangereux et plus les risques seront grands.
En ce qui concerne la détermination de la peine, la neutralisation est certes un objectif louable. L'intéressé doit être placé à l'écart de la société pendant un certain temps. Toutefois, à moins qu'ils purgent une peine d'emprisonnement à perpétuité, la plupart des gens seront libérés; il faut donc déterminer quelles sont les circonstances idéales pour le faire tout en favorisant la sécurité publique. Pour 300 personnes par année, environ, c'est l'expiration du mandat. Ils purgent la totalité de la peine dans le pénitencier.
Le problème, c'est que vous faites allusion à des cas très graves, mais puisque c'est automatique, comme M. Purtzki l'a souligné, cela concerne tout le monde, les cas graves et les moins graves, sans distinction. Certains de ceux qui ont commis des crimes très graves, qui ont commis un meurtre, deviennent des citoyens très respectueux des lois.
Voilà ce qui explique pourquoi j'ai mentionné que la sécurité publique est réduite si une personne est libérée sans supervision.
En ce qui concerne la transcription des audiences, ce qui me préoccupe, c'est que dans le projet de loi, on indique que cela s'applique uniquement si une transcription a été effectuée. Je n'aime pas du tout l'idée de donner de faux espoirs aux gens. Actuellement, on n'effectue pas la transcription en raison d'un manque de ressources. De plus, étant donné les nombreuses pressions exercées sur les ressources de la commission, je ne pense pas qu'on fera la transcription de mon vivant. Je ne crois pas que l'on en fait une priorité; cela suscite de fausses attentes.
Le sénateur Plett : Monsieur Purtzki, en vertu du projet de loi, la Commission des libérations conditionnelles peut-elle fixer une nouvelle date d'audience deux ans plus tard?
M. Purtzki : Oui, mais ce n'est pas précisé clairement dans le projet de loi.
Le sénateur Plett : Elle a donc ce pouvoir.
M. Purtzki : Il n'existe aucun critère sur lequel elle pourrait se fonder pour accorder ce pouvoir. Quels sont les critères?
Le sénateur Plett : Là n'est pas la question. Je veux savoir si la commission détient ce pouvoir.
M. Purtzki : Ce n'est pas clairement indiqué dans le projet de loi; on indique qu'elle peut le faire dans les cinq ans.
Le sénateur Plett : Je suis navré que vous ne puissiez répondre à la question. Vous semblez être convaincu que c'est inconstitutionnel et c'est une question très élémentaire. Je ne suis pas avocat et je pense que la commission a ce pouvoir. Je suis donc surpris que vous ne puissiez me donner une réponse claire.
M. Purtzki : Ma réponse, cependant, c'est que la demande de libération conditionnelle du délinquant a été rejetée. Il doit donc attendre plus de deux ans. C'est là le but. C'est lié à l'inadmissibilité à la libération conditionnelle.
La sénatrice Batters : Merci à tous d'être ici.
Madame Campbell, l'automne dernier, vous êtes venue témoigner au comité au sujet d'un autre projet de loi d'initiative parlementaire. Vous avez alors indiqué que vous avez quitté vos fonctions de directrice générale de la Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale de Sécurité publique Canada en avril 2013. Est-ce exact?
Mme Campbell : Oui.
La sénatrice Batters : Lorsque vous avez comparu au comité lors de son étude de ce projet de loi d'initiative parlementaire — le projet de loi C-483, parrainé par le député David MacKenzie, qui portait sur les permissions de sortir avec escorte —, vous avez dit ce qui suit : « À l'heure actuelle, je n'ai malheureusement pas la même perception que les autres au sujet de la responsabilisation ou de la transparence des commissions des libérations conditionnelles. » Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Mme Campbell : C'était une opinion fondée sur ma propre expérience avec la commission, surtout au cours des dernières années. Je comprends donc que d'autres puissent avoir vécu autre chose dans leurs interactions avec la commission et puissent, par conséquent, avoir une opinion différente. Malheureusement, au cours des deux ou trois dernières années, j'ai constaté que la commission rejetait de plus en plus de demandes et que souvent, le refus était fondé sur des motifs qui étaient hors du cadre de la loi, à mon avis. J'ai donc été très déçue, non seulement des décisions qui ont été rendues, mais des motifs sur lesquels elles étaient fondées.
La sénatrice Batters : Pourriez-vous nous parler davantage de la reddition de comptes et de la transparence dont vous avez parlé plus tôt?
Mme Campbell : Je ne veux pas prendre trop de temps, mais je pense que certaines décisions sont simplement fondées sur des motifs qui sont hors du cadre des critères de libération conditionnelle. J'en suis aussi venue à être préoccupée par la reddition de comptes concernant le mécanisme d'appel de la Commission des libérations conditionnelles. Je réitère qu'il s'agit de mon opinion personnelle, selon mon expérience. C'est sujet à débat.
Ces dernières années, dans un dossier qui a été renvoyé à la Section d'appel — c'était une décision négative —, la réponse fournie par les gens de la Section d'appel était la suivante : « Nous appuyons la décision de l'instance inférieure, car nous faisons partie de l'équipe de gestion et nous avons adopté cette politique. Nous maintenons donc la décision de l'instance inférieure. » À mon avis, ce n'est pas un organisme d'appel indépendant. Ce sont des choses de ce genre qui expliquent pourquoi j'ai une perception négative de la situation en ce moment.
La sénatrice Batters : Selon vous, les victimes sont-elles adéquatement représentées actuellement dans le cadre du processus de la Commission des libérations conditionnelles?
Mme Campbell : Je me fonde sur les commentaires de victimes. Leur message semble être que les choses s'améliorent, mais qu'elles ne sont pas encore au point. J'aurais tendance à le penser aussi. On tente d'apporter des améliorations. Toutefois, plutôt que de me concentrer sur des aspects qui, selon moi, ne changeront rien, j'aurais tendance à faire d'autres choses pour améliorer l'expérience et essayer de régler certains problèmes concrets.
La sénatrice Batters : Vous avez également parlé de l'engagement remarquable du gouvernement d'abolir la libération d'office, et vous vous interrogiez sur la pertinence d'apporter, dans ce projet de loi, des modifications à la libération d'office.
Je sais que vous le savez fort bien, mais pour ceux qui s'intéressent aux travaux du comité et qui ne le sauraient pas, nous traitons d'un projet de loi d'initiative parlementaire parrainé par un député conservateur, et non d'un projet de loi d'initiative ministérielle. On parle d'un député comptant beaucoup d'années d'expérience, qui a écouté les préoccupations de ses électeurs — j'en suis convaincue — et écouté le point de vue des divers intervenants qu'il aura rencontrés au fil des ans, avant de présenter ce projet de loi. Ce n'est pas une réponse du gouvernement.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Sauvé, je tiens à vous féliciter. Vous êtes un exemple de réhabilitation, et je pense qu'il devrait y en avoir plus. Cependant, il ne faut pas oublier que si les gens se retrouvent en prison, c'est parce qu'ils ont commis un crime. Quand il y a eu un crime, c'est qu'il y a eu une victime. Depuis sa mise en place, la Commission des libérations conditionnelles a pour mission d'aider les gens en milieu carcéral à s'en sortir, et on ne peut être contre la vertu. Par contre, le projet de loi C-479 vise à apporter une procédure d'équité envers les victimes.
Je m'adresse à M. Purtzki : le but du projet de loi est de favoriser la participation des victimes. Je pense que les victimes ont le droit d'être prises en compte par le système correctionnel canadien. Il faut améliorer le droit des victimes et celui de leur famille. J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi vous n'êtes pas en faveur de ce projet de loi.
[Traduction]
M. Purtzki : Je ne suis pas contre. Je dis simplement que...
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ce n'est pas l'impression que vous donnez.
[Traduction]
M. Purtzki : Je ne suis pas contre. La participation des victimes est importante. Les victimes participent, mais dans bien des cas, elles ne sont pas présentes devant la Commission des libérations conditionnelles. Les victimes appuient parfois la libération. Le système correctionnel canadien compte de nombreux programmes. En fait, le Service correctionnel du Canada offre divers mécanismes de médiation entre les victimes et les délinquants tout au long de la sentence des délinquants, si les victimes sont ouvertes à l'idée. Dans bien des cas, les victimes sont favorables à la libération conditionnelle du délinquant. Ce n'est pas simplement que les victimes ne veulent pas que la commission entende les délinquants. Dans bien des cas, elles l'encouragent.
Le président : Sauf votre respect, certains diront qu'en repoussant la date pour les personnes qui se sont déjà vues refuser une demande de libération anticipée, on accorde la discrétion nécessaire pour empêcher la revictimisation des victimes. On parle de discrétion et non d'obligation, et ce, pour des raisons que je trouve tout à fait légitimes. Que répondez-vous à cela?
M. Purtzki : Il est important de préciser ce que l'on entend par pouvoir discrétionnaire dans ce cas-ci. Il ne s'agit pas d'un pouvoir qui permet de dire à un délinquant que pour éviter de revictimiser les victimes, on va retarder sa libération conditionnelle ou lui refuser d'avoir droit à une autre audience pendant un certain temps. Comme je l'ai indiqué, il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire, et il est peu probable que les tribunaux se prononcent contre.
Cela dit, je parle de l'effet automatique. Pour les personnes qui se sont vues refuser la libération conditionnelle, il y a un prolongement automatique du délai d'inadmissibilité, qui excède de deux ans le délai initial. J'estime donc, bien respectueusement, qu'il est important de définir la nature du pouvoir discrétionnaire dont il est question.
Le président : Il me semble que le pouvoir discrétionnaire vise essentiellement à prolonger le délai d'inadmissibilité pour les personnes qui ont déjà essuyé un refus. Quoi qu'il en soit, nous devrions poursuivre.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Sauvé, pouvez-vous nous dire pourquoi vous vous êtes retrouvé en prison pendant une période de 20 ans ou de 25 ans?
[Traduction]
M. Sauvé : J'ai été reconnu coupable de meurtre au premier degré. Nous étions huit accusés. Six d'entre nous ont été reconnus coupables, soit deux pour meurtre au premier degré et quatre pour meurtre au deuxième degré. Aucun de nous n'est l'auteur du meurtre. J'ai malgré tout purgé ma peine en établissement carcéral, et je purge le reste de ma peine dans la collectivité. Je continue de clamer mon innocence et je poursuis mes efforts pour faire annuler ma condamnation. Je respecte tout de même les conditions qui m'ont été imposées par la Commission des libérations conditionnelles. J'honore la confiance que l'on m'a témoignée en me permettant de retourner dans la collectivité et je vais continuer à le faire.
Le sénateur McIntyre : Merci à tous de vos exposés. Je comprends votre préoccupation commune à l'égard du projet de loi et de l'un de ses éléments, soit la modification des périodes d'examen des motifs de la détention et de la libération conditionnelle, ce qui revient essentiellement à accorder à la Commission des libérations conditionnelles du Canada la possibilité de prolonger la période qui s'écoule entre deux audiences de libération conditionnelle pour les délinquants violents.
Toutefois, comme Mme Campbell l'a indiqué dans son exposé, le terme employé dans le libellé du projet de loi est « jusqu'à », ce qui signifie que la Commission des libérations conditionnelles a le pouvoir discrétionnaire de tenir — ou non — une audience subséquente au cours de la période de quatre ou cinq ans.
De plus, lorsque j'ai eu affaire à la Commission des libérations conditionnelles, j'ai constaté qu'elle a recours à ce que l'on appelle les examens par voie d'étude du dossier. Autrement dit, la commission dispose d'une grande marge de manœuvre par rapport à ses activités. À titre d'exemple, à l'issue d'une audience, un délinquant peut se voir refuser une semi-liberté, mais elle peut ensuite lui être accordée lors d'un examen par voie d'étude du dossier subséquent. Qu'en pensez-vous?
Mme Campbell : C'est un point important parce qu'actuellement, les décisions de la commission concernant toutes les questions sont, en grande majorité, fondées sur des examens par voie d'étude du dossier. Je comprends les préoccupations des gens au sujet des audiences et de la participation, mais nous perdons de vue une bonne partie du problème si nous nous concentrons uniquement sur ces aspects.
Des audiences doivent être tenues dans certaines circonstances. Ensuite... Par exemple, si une personne s'est bien comportée pendant sa semi-liberté, elle pourrait se voir accorder une libération conditionnelle totale après un examen par voie d'étude du dossier. Par conséquent, j'estime qu'il ne faut pas négliger l'importance des examens par voie d'étude du dossier et des facteurs qui entrent en jeu à ce moment-là.
Je suis entièrement d'accord avec vous; il est possible que la commission étudie les bons dossiers plus rapidement, et j'espère que vous me prouverez que j'ai tort d'être préoccupée.
Le dernier point que je désire souligner, c'est qu'il faut aussi garder à l'esprit que c'est là l'aspect préoccupant de cette approche généralisée. Elle touche tout le monde, sans distinction. Actuellement, seulement 17 p. 100 des délinquants sont associés à des victimes inscrites — parmi l'ensemble des délinquants, 17 p. 100 ont une victime inscrite à leur dossier.
En ce qui concerne les audiences de libération conditionnelle auxquelles assistent les victimes, elles ne représentent qu'un très faible pourcentage des audiences tenues par la commission chaque année. Ces audiences revêtent une grande importance pour les victimes et elles sont surtout liées, et de loin, aux cas les plus graves d'homicide ou d'agression sexuelle. Je le comprends, mais je pense que cela se rapporte aux propos de M. Purtzki, soit que l'on modifie l'ensemble du système pour régler un problème lié à un petit nombre de grands délinquants, mais que cela touche également l'ensemble des petits délinquants. Nous devrons compter sur la commission pour augmenter le nombre d'audiences pour les petits délinquants.
Le sénateur McIntyre : Je crois comprendre que la tenue d'un examen par voie d'étude du dossier dépend essentiellement du respect du plan correctionnel. Si le délinquant ne l'a pas respecté, il n'y aura pas d'examen. Dans le cas contraire, il y en aura un.
Mme Campbell : Il devrait normalement y avoir des preuves qu'un examen par voie d'étude du dossier a mené à une décision favorable. Dans le cadre de ce processus, le délinquant et la victime peuvent toujours présenter des observations. Je pense qu'il est important que les gens le sachent, mais tout se fait par écrit. Il n'y a pas d'audience, ni d'exposé. Actuellement, je crois que tout cela ne relève que d'un membre de la commission.
Le sénateur McInnis : Merci de votre présence. Je n'ai pas pratiqué le droit constitutionnel, heureusement. J'étais plutôt spécialisé en droit des sociétés et en droit commercial. J'ai seulement pris connaissance de l'arrêt Whaling hier, grâce aux sénateurs Joyal et Baker. J'ai beaucoup de rattrapage à faire.
J'aimerais, aux fins du compte rendu, lire un passage du paragraphe 63 au sujet de la double peine :
[...] conditions de la peine n'est pas punitif s'il n'augmente pas considérablement le risque d'une incarcération prolongée. Une procédure prévoyant une prise de décisions reposant sur la situation particulière du délinquant et le respect des droits procéduraux dans le calcul du temps d'épreuve sont des indices d'un faible risque d'une incarcération prolongée.
Plus loin — et c'est important —, on indique ce qui suit :
[...] dans l'arrêt Cunningham, la Cour a décidé que la substitution d'un système de mise en liberté discrétionnaire à un système de mise en liberté d'office était constitutionnelle, en partie en raison du respect de diverses garanties procédurales [...]
À mon avis, cela signifie que ce que nous faisons semble correct.
Je tiens à ajouter quelque chose, car je pense que l'élément important de la question, de l'origine du projet de loi, est lié aux victimes, à leur souffrance et au traumatisme qu'elles vivent, mais il faut aussi tenir compte du fait que la Commission des libérations conditionnelles aura plus de latitude dans la détermination du moment où une personne devient admissible à la libération conditionnelle. Elle aura cette discrétion. À mon avis, cela ne veut pas nécessairement dire que la période de détention sera prolongée. Cela signifie que l'on étudiera la situation factuelle. On examinera le rapport des services correctionnels, le plan correctionnel et le comportement du détenu, puis il y aura la libération conditionnelle, maintenant ou plus tard. Nous avons entendu parler des victimes qui se sont présentées maintes fois à ces audiences et des traumatismes qui en découlent. Pour moi, tout cela concorde parfaitement. Je sais que vous dites que cette discrétion ne se traduit pas dans les faits, mais en somme, on prolonge la période, n'est-ce pas?
M. Purtzki : C'est ce que je maintiens, et je suis de cet avis parce que la discrétion de la commission correspond en fait à la décision de refuser la libération conditionnelle. Elle indique qu'elle rejette la demande de libération conditionnelle, mais sans fixer une nouvelle date. Dans la loi, on énonce simplement que cela doit se faire dans les cinq ans. L'intéressé ne pourra porter plainte avant la cinquième année. L'audience peut avoir lieu à n'importe quel moment au cours de cette période. À mon avis, le problème, c'est que le projet de loi ne précise aucune balise quant à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, par exemple, si la commission dit à une personne que son plan correctionnel n'est pas bon et lui demande de ne pas présenter de demande avant un certain nombre d'années.
Le sénateur McInnis : C'est la politique de la Commission des libérations conditionnelles.
M. Purtzki : De quelle façon exerce-t-on ce pouvoir discrétionnaire, en vertu du projet de loi? Comment la commission peut-elle passer de deux à trois ans ou à quatre ans?
Le sénateur McInnis : Ce que je dis, c'est que la Commission des libérations conditionnelles et sa politique relative à la gestion de cas et aux personnes dont elle étudie le dossier relèvent d'une politique des Services correctionnels. On ne peut considérer la question de l'autre point de vue, soit que la commission n'aurait pas cette politique et que son intention serait de prolonger de cinq ans la période d'incarcération de ces gens.
M. Purtzki : L'important, sur le plan de l'inadmissibilité à la libération conditionnelle et d'un point de vue constitutionnel, c'est qu'il s'agit d'une période plus longue que deux ans.
Le sénateur McInnis : Nous devrons convenir que nous ne sommes pas d'accord sur ce point.
La sénatrice Frum : Monsieur Sauvé, ma question est dans la même veine que les questions du sénateur Boisvenu. Si la Commission des libérations conditionnelles rejette la demande d'un délinquant violent qui a purgé les deux tiers de sa peine au motif que l'on considère toujours qu'il représente un risque pour la société, un danger pour la société, pouvez-vous m'aider à comprendre quels seraient les délais relatifs au plan correctionnel qui serait adopté? L'objection semble être liée au fait qu'il s'agit d'un délinquant violent qui a par conséquent passé beaucoup de temps en prison, mais qui est toujours considéré comme dangereux. Combien de temps de plus faudra-t-il? C'est ce que disait le sénateur Boisvenu. La situation peut-elle changer du tout au tout en 12 mois? Comment peut-on être considéré comme un risque, puis avoir tant progressé dans un plan correctionnel en 12 mois pour ne plus l'être? Pouvez-vous nous décrire un programme typique et nous dire quelle est sa durée?
M. Sauvé : Le problème découle en partie du fait que beaucoup de délinquants sont exclus des programmes par sélection. Lors de leur comparution devant la Commission des libérations conditionnelles, on leur répond parfois qu'ils ont besoin d'un programme quelconque, puis ils retournent auprès de leur agent de libération conditionnelle et une commission d'examen, puis on les inscrit à un programme. Je ne saurais dire combien de temps dont une personne a idéalement besoin pour se reprendre en main. Le problème, c'est que pour certaines de ces personnes, un refus signifie qu'elles seront libérées sans aucune supervision au terme de leur libération conditionnelle. Donc, elles seront simplement mises en liberté dans la collectivité.
Le président : Il nous reste deux ou trois minutes, et j'aimerais donner aux gens des deux côtés l'occasion de poser une brève question et d'obtenir une brève réponse des témoins.
Le sénateur Joyal : Monsieur Purtzki, j'aimerais revenir à votre déclaration — et ce point a aussi été évoqué par Mme Campbell — concernant la période de temps dont il est question dans le projet de loi. Ce n'est pas jusqu'à cinq ans. Le terme « jusqu'à » ne figure pas dans le projet de loi. On indique plutôt « dans les cinq ans », ce qui, sur le plan juridique, a une autre signification. Lorsque vous en avez parlé, j'ai consulté le projet de loi, car je voulais être certain du libellé. C'est un concept important lorsque la liberté et les droits d'une personne sont en jeu.
Lorsque vous avez mentionné que la portée excessive du projet de loi pourrait être contraire à l'article 7 de la Charte des droits et libertés, vous ne vous y êtes pas attardé. Pourriez-vous nous expliquer en quoi, sur le plan juridique, la portée excessive du projet de loi pourrait être jugée comme inconstitutionnelle?
M. Purtzki : Certainement. Par rapport à la portée excessive, l'idée est de savoir si la mesure législative va trop loin. Je pense que Mme Campbell en a parlé ce matin. Dans les observations qu'elle a présentées au comité, elle a fait valoir que l'on vise tout le monde, les petits délinquants et les grands. Voilà en quoi cela consiste. Va-t-on trop loin pour atteindre un objectif donné? Plutôt que de généraliser, il faut cibler les délinquants dont les victimes assistent aux audiences et s'opposent farouchement à leur libération, ce qui entraîne des situations extrêmement fâcheuses. La portée excessive est liée à la généralisation.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'aimerais apporter une correction. Madame Campbell, vous avez dit que la Commission des libérations conditionnelles libérait de moins en moins de gens. Je vais vous donner quelques statistiques. Depuis 2011, le nombre de criminels remis en semi-liberté ou en liberté totale a augmenté de 5,1 p. 100 à 12 p. 100. Au cours des cinq dernières années, on a atteint l'année la plus basse. Effectivement, 2007 a été l'année lors de laquelle on a atteint un plafond en termes de remises en liberté. On est retourné au même niveau. Donc, votre affirmation que de moins en moins de gens sont libérés n'est pas tout à fait exacte.
Monsieur Sauvé, il y a un mythe qu'il faut démystifier. J'ai visité les pénitenciers fédéraux et j'éprouve quelques difficultés quand on affirme qu'il n'y a pas assez de programmes dans les pénitenciers. J'ai visité une classe où il y avait un professeur et un étudiant, alors qu'on pouvait en accueillir une vingtaine.
Ne croyez-vous pas que les criminels participent moins ou ont moins de motivation à participer à certains programmes?
[Traduction]
M. Sauvé : Non, les délinquants sont motivés à participer aux certains programmes. Encore une fois, ils en sont souvent exclus, par sélection. On tient compte du temps qui reste avant leur admissibilité à la libération conditionnelle. Je crois que les programmes devraient être offerts le plus tôt possible parce que s'ils suivent un programme au début de leur peine, ils peuvent commencer à changer leur façon de penser.
Beaucoup trop de personnes sont exclues des programmes. J'en suis convaincu. Je ne comprends pas pourquoi on exclut des programmes pour personnes violentes des gens qui ont commis des crimes violents, des meurtres, mais cela arrive.
Le président : Merci beaucoup à tous les témoins. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir comparu et témoigné aujourd'hui.
Veuillez accueillir notre prochain témoin, Mme Suzanne Brisebois, qui est directrice générale des Politiques, de la planification et des opérations à la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Suzanne Brisebois, directrice générale, Politiques, planification et opérations, Commission des libérations conditionnelles du Canada : Je suis ici pour vous parler de l'incidence que pourrait avoir le projet de loi C-479, la loi sur l'équité à l'égard des victimes proposée.
Comme vous le savez sans doute, la Commission des libérations conditionnelles du Canada est un tribunal administratif chargé des décisions relatives à la libération conditionnelle des délinquants. Les décisions de la commission sont rendues conformément aux critères énoncés dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, ou LSCMLC, et s'appuient sur une évaluation rigoureuse du risque que le délinquant présenterait pour la société s'il était mis en liberté sous surveillance. Le critère prépondérant dans toutes les décisions de la commission est la protection de la société.
Les modifications proposées à la LSCMLC dans le projet de loi C-479 visent à augmenter les périodes prévues par la loi qui doivent s'écouler avant le réexamen en vue de la semi-liberté et de la libération conditionnelle totale de certains délinquants, et touchent également à certains aspects de la loi qui se rapportent aux victimes.
Le projet de loi prolongerait les périodes d'examen obligatoire pour les délinquants condamnés pour des infractions avec violence, soit les infractions visées à l'annexe I, et meurtre. Plus précisément, il aurait pour effet de faire passer de deux à cinq ans la période à la fin de laquelle la Commission des libérations conditionnelles doit, en cas de refus de libération conditionnelle totale, procéder à un réexamen du dossier de ces délinquants.
La période à la fin de laquelle la commission doit réexaminer une décision en cas de révocation ou cessation de la libération conditionnelle totale passerait de deux à quatre ans pour le premier réexamen, puis à cinq ans pour tout réexamen subséquent.
Il importe de souligner que ces modifications ne s'appliquent qu'aux délais prévus par la loi pour la tenue d'un examen en vue de la libération conditionnelle. Les délinquants admissibles seront toujours autorisés à présenter une demande de libération conditionnelle un an après le refus, l'annulation ou la cessation.
Enfin, on propose de faire passer d'un an à deux ans la période à la fin de laquelle la Commission doit procéder à un examen d'une ordonnance de maintien en incarcération d'un délinquant violent ayant causé la mort ou un dommage grave à une autre personne.
Il convient de souligner que même si la mesure législative précise les délais minimaux pour la tenue des examens, la Commission peut tenir un examen en vue d'une libération conditionnelle ou du maintien en incarcération avant le moment fixé, en fonction des renseignements qu'elle reçoit du SCC. Cela ne changerait pas en vertu du projet de loi C-479.
Comme il a été mentionné, le projet de loi renferme un certain nombre de modifications qui touchent expressément les victimes. La Commission des libérations conditionnelles du Canada est fermement déterminée à ce que les victimes jouent un rôle important dans le processus de mise en liberté sous condition. En vertu de la LSCMLC, les victimes ont le droit de recevoir certains renseignements sur le délinquant qui leur a causé du tort. Cela englobe les informations relatives aux dates d'admissibilité et d'examen applicables au délinquant. De plus, les victimes peuvent obtenir une copie des décisions de la Commission par l'intermédiaire de notre registre des décisions. En outre, les victimes peuvent fournir une déclaration écrite et la présenter au moment de l'audience.
Le projet de loi C-479 modifierait d'autres aspects de la LSCMLC liés aux victimes, notamment l'obligation de divulguer d'autres types de renseignements aux victimes inscrites dans les 14 jours, si possible, au sujet de la libération prévue d'un délinquant.
Le projet de loi comporte également une description explicite des droits des victimes et des membres de leur famille d'assister et de participer aux audiences de la commission. Dans les cas où les victimes ne sont pas autorisées à assister à l'audience, la commission doit alors prendre les dispositions nécessaires pour que les victimes puissent observer le déroulement de l'audience par tout moyen que la commission juge approprié.
De même, on inscrirait dans la loi le droit d'une victime qui n'assiste pas à l'audience de présenter une déclaration lors de l'audience à l'aide d'un enregistrement audio ou vidéo.
Il y a également une disposition selon laquelle la commission est tenue de fournir aux victimes inscrites ou aux délinquants, sur demande, une copie de la transcription de l'audience, si elle a été effectuée.
Comme je l'ai indiqué, la Commission des libérations conditionnelles du Canada est fermement déterminée à ce que les victimes jouent un rôle important dans le processus de mise en liberté sous condition.
C'est là-dessus que se termine mon exposé. C'est avec plaisir que je répondrai aux questions.
Le sénateur Baker : Je vous remercie. Je tiens à souligner l'excellent travail que vous faites, avec votre équipe, au sein de la Commission des libérations conditionnelles.
Ma principale préoccupation à l'égard du projet de loi et de la déclaration que vous venez de faire est la suivante : la mesure législative dont nous sommes saisis est un projet de loi d'initiative parlementaire, et on y trouve une disposition selon laquelle cela s'appliquera de façon rétroactive. Si je vous posais la question, j'imagine que vous me répondriez qu'en ce qui concerne la constitutionnalité de cette mesure, je devrais m'adresser au ministère de la Justice, n'est-ce pas?
Mme Brisebois : Oui.
Le sénateur Baker : Dans ce cas, permettez-moi de parler d'un autre aspect du projet de loi. L'un des principaux objectifs est d'augmenter les périodes prévues par la loi qui doivent s'écouler avant un réexamen, qui passeraient ainsi de deux à cinq ans dans le cas d'une personne dont la demande de libération conditionnelle a été refusée à l'issue de la première audience.
Ma première question est la suivante : en général, quel est le pourcentage de gens dont la demande est approuvée lors de la première audience? Est-ce la majorité des demandeurs?
Mme Brisebois : J'ai des statistiques générales sur les taux d'octroi de la libération conditionnelle totale. Environ 32 p. 100 des délinquants dont le dossier a été examiné aux fins de la mise en liberté sous condition ont obtenu la libération conditionnelle totale.
Le sénateur Baker : Donc, 68 p. 100 des demandes de mise en liberté sous condition sont rejetées lors de la première audience?
Mme Brisebois : Il s'agit encore une fois de statistiques très générales.
Le sénateur Baker : J'en conviens, mais elles s'appliqueraient à la majorité.
Vous avez mentionné que cela n'a aucune incidence sur le droit des délinquants de présenter une demande de libération conditionnelle un an après le refus de sa demande précédente; est-ce exact?
Mme Brisebois : C'est exact.
Le sénateur Baker : C'est dans la loi.
Dans vos règlements, on indique que la commission doit examiner la demande dans les six mois après la présentation de la demande; est-ce exact?
Mme Brisebois : C'est exact.
Le sénateur Baker : Cela fait donc 18 mois. Toutefois, lorsque la personne détenue présente elle-même une demande dans ces circonstances, la Commission des libérations conditionnelles doit examiner la demande, mais elle ne doit pas nécessairement tenir une audience à ce sujet, n'est-ce pas?
Mme Brisebois : Nous sommes tenus d'examiner les demandes. Divers facteurs entrent en jeu quant à la tenue, mais vous avez raison de dire que dans certaines circonstances, la tenue d'une audience ne serait pas nécessaire.
Le sénateur Baker : Voilà la distinction, en ce sens que les examens obligatoires prévus par la loi ont maintenant changé. J'imagine que vous joindriez probablement les deux si vous teniez une audience en bonne et due forme. Autrement dit, la période de l'examen prévu par la loi pourrait correspondre à celle de l'examen demandé, et vous tiendriez alors une audience complète; est-ce bien cela?
Mme Brisebois : Encore une fois, cela dépend. Par exemple, actuellement, si le délinquant fait l'objet d'un examen en vue d'une libération conditionnelle totale après deux ans, qu'il présente une demande de semi-liberté et que les deux dates sont rapprochées, nous examinerons la demande de semi-liberté et la demande de libération conditionnelle totale en même temps.
Le sénateur Baker : Au fond, le projet de loi fait ce que le député qui le parraine a cherché à faire, soit accorder davantage de temps pour la tenue d'un examen ou d'une audience.
Mme Brisebois : Oui.
Le sénateur Baker : Merci.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Madame Brisebois, d'abord, merci beaucoup pour votre mémoire. Hier, des victimes et des représentants de victimes ont témoigné devant le comité et ont affirmé que le projet de loi n'allait pas encore assez loin en termes de transparence par rapport aux renseignements qu'on transmet aux victimes d'acte criminel.
Aussi bien dans votre conclusion que dans le corps de votre présentation, il est mentionné que les victimes doivent jouer un rôle important dans le processus de mise en liberté sous condition. Je crois que tous s'accordent pour dire que ce projet de loi est un premier pas en matière de reconnaissance légale. Seront inscrits dans la loi des énoncés qui permettront de reconnaître de vrais droits aux victimes, alors que, auparavant, des directives étaient émises par la commission à ses commissaires pour inviter les victimes, si la volonté y était, mais on sait que cela se faisait de façon plutôt aléatoire.
L'ombudsman des victimes, Mme O'Sullivan, a formulé sept recommandations qui feraient en sorte que la Commission des libérations conditionnelles soit encore plus transparente dans les renseignements qu'elle transmet aux victimes, que les victimes aient accès à plus d'information, notamment aux enregistrements visuels plutôt qu'audio des commissions, aux dossiers criminels, et aux antécédents criminels du délinquant s'il a commis des actes criminels en prison.
Devrait-on aller encore plus loin en ce qui concerne la reconnaissance des droits des victimes dans le processus des libérations conditionnelles?
[Traduction]
Mme Brisebois : Je ne peux parler que de la façon dont la commission met la loi en application et de l'incidence qu'aurait actuellement ce projet de loi sur la commission. J'aimerais souligner que la commission a plus de 22 000 contacts chaque année avec plus de 7 500 victimes. Il y a actuellement plus de 900 victimes qui observent nos audiences, et l'an dernier, 264 victimes ont présenté une déclaration à nos audiences. Cinquante-cinq pour cent des demandes d'accès au registre des décisions proviennent des victimes; nous travaillons donc actuellement en étroite collaboration avec les victimes, en vertu de la loi en vigueur.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : La commission serait-elle éventuellement disposée à rendre les enregistrements vidéo des audiences?
[Traduction]
Mme Brisebois : Je ne saurais vous donner un point de vue précis à cet égard, mais je peux vous dire que nous avons des enregistrements sonores des audiences qui peuvent être utilisés par notre section d'appel, ainsi que par les délinquants qui voudraient, à la suite d'un refus, réexaminer leur cas. Toutefois, nous n'enregistrons pas nos audiences sur bande vidéo à l'heure actuelle.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Nous avons reçu ce matin des témoins qui se rangeaient davantage du côté de la défense des droits des criminels. Étant donné le nombre relativement limité de criminels qui seront touchés par ce projet de loi, selon vous, cela va-t-il alourdir ou augmenter le travail de la Commission des libérations conditionnelles du Canada?
La Commission des libérations conditionnelles sera-t-elle en mesure d'administrer ce projet de loi, compte tenu des impacts qu'il pourrait entraîner et des ressources dont vous disposez?
[Traduction]
Mme Brisebois : La commission pourrait mettre en application le projet de loi dans sa forme actuelle avec les ressources actuellement à sa disposition.
Le sénateur McIntyre : Je vous remercie de votre exposé, madame Brisebois. À la page 3 de vos notes d'allocution, au paragraphe 4, vous dites que « [...] la Commission peut tenir un examen en vue d'une libération conditionnelle ou du maintien en incarcération avant le moment fixé, en fonction des renseignements qu'elle reçoit du SCC » et que « cela ne changerait pas en vertu du projet de loi C-479. » Faites-vous allusion aux examens par voie d'étude du dossier?
Mme Brisebois : Pas précisément. Je parle des examens effectués par la commission. Il peut donc s'agir des examens par voie d'étude du dossier ou des audiences. Il pourrait s'agir, par exemple, d'un délinquant à qui nous avons refusé la libération conditionnelle totale; dans le projet de loi, une disposition prévoit qu'une année doit s'écouler avant que le délinquant puisse présenter une autre demande. Or, si la commission reçoit une recommandation du Service correctionnel et des renseignements indiquant qu'il y a eu des changements importants et que le délinquant a participé à un programme, par exemple, en vertu de la politique et en collaboration avec le Service correctionnel du Canada, elle pourrait examiner le cas du délinquant avant le délai de présentation d'un an.
Le sénateur McIntyre : Pourriez-vous nous en dire plus au sujet des examens par voie d'étude du dossier?
Mme Brisebois : Les membres de la commission évaluent les dossiers dans tous les cas, mais dans certains cas, ils tiennent des audiences, qui comprennent une rencontre en personne avec le délinquant. Lors de ces audiences, le délinquant a droit à la présence d'un assistant. Les victimes peuvent également observer les audiences. Elles peuvent d'ailleurs faire une déclaration lors de l'audience, si elles le souhaitent. L'audience consiste essentiellement en une discussion en personne entre les membres de la commission, le délinquant et les participants à l'audience.
Lorsque nous effectuons un examen par voie d'étude du dossier, nous recevons une grande quantité de renseignements. Le membre de la commission examine les renseignements qui figurent au dossier du délinquant. Comme l'a mentionné Mary Campbell dans son exposé, cela peut comprendre une déclaration de la victime ou les renseignements fournis par la victime, ainsi que les observations formulées par le délinquant.
Le sénateur McIntyre : L'un des éléments clés du projet de loi, c'est la divulgation aux victimes du plan correctionnel du délinquant. Êtes-vous en faveur?
Mme Brisebois : Je ne suis pas en mesure de fournir un avis sur cette question, mais la commission travaillerait en étroite collaboration avec le Service correctionnel du Canada, qui a la responsabilité d'élaborer et de tenir à jour le plan correctionnel, afin de mettre la loi en application si elle était adoptée dans sa version actuelle.
Le sénateur Plett : Madame Brisebois, dans votre exposé, vous avez dit : « Dans les cas où les victimes ne sont pas autorisées à assister à l'audience, la commission doit alors... » Dans quelles circonstances n'autoriseriez-vous pas une victime à assister à l'audience?
Mme Brisebois : J'en parle parce que cela fait partie des propositions législatives qui exigeraient que la commission prenne les dispositions nécessaires afin que la victime puisse observer le déroulement de l'audience par d'autres moyens. Cela arrive rarement, mais il y a certains critères qui sont prévus par la loi, notamment en ce qui concerne la sécurité dans les établissements. La victime pourrait avoir un casier judiciaire ou soulever des préoccupations en matière de sécurité. On ne lui permettrait pas de pénétrer à l'intérieur de l'établissement, mais la commission prendrait les dispositions nécessaires pour qu'elle puisse observer à distance le déroulement de l'audience. Nous le faisons actuellement. Pas nécessairement pour cette raison en particulier, mais dans d'autres cas où la victime n'est pas en mesure d'assister à l'audience, par exemple pour des raisons médicales, nous faisons en sorte qu'elle puisse observer à distance le déroulement de l'audience par vidéoconférence.
Le sénateur Plett : Je pense que le sénateur Boisvenu a abordé cette question, mais j'aimerais obtenir un peu plus de précisions, car j'ai posé la question à Mme Campbell. Comme vous le dites, il y a une disposition qui obligerait la commission à fournir aux victimes inscrites ou aux délinquants, sur demande, une copie de la transcription de l'audience. Mme Campbell semblait penser que ce ne serait pas possible, notamment parce que vous n'avez pas les ressources nécessaires. Vous avez répondu. Incluriez-vous cela dans votre réponse au sénateur Boisvenu, lorsque vous dites avoir les ressources nécessaires pour faire tout ce que prévoit le projet de loi?
Mme Brisebois : Dans sa forme actuelle, et je vais fournir des précisions sur ce point.
Dans sa forme actuelle, le projet de loi indique que si une transcription de l'audience a été effectuée, la commission en fournirait une copie à la victime, à un membre de sa famille, ou aux délinquants. Actuellement, on n'effectue pas systématiquement la transcription des audiences.
Le sénateur Plett : Je sais que je reprends en partie la question du sénateur Baker, mais M. Purtzki, qui est avocat de droit constitutionnel, a semblé remettre en question la constitutionnalité du projet de loi et il n'a pas été en mesure de répondre à la question très simple que je lui ai posée. Je voudrais vous poser cette question, aux fins du compte rendu, et j'aimerais avoir une réponse.
En vertu du projet de loi, la Commission des libérations conditionnelles a-t-elle le pouvoir de fixer une nouvelle date d'audience deux ans plus tard?
Mme Brisebois : Parlez-vous de la possibilité pour la commission d'examiner le cas d'un délinquant avant les cinq ans qui sont proposés?
Le sénateur Plett : Oui.
Mme Brisebois : Si nous revenons à ce dont nous avons parlé au sujet de la présentation d'une demande, le délinquant peut présenter une demande un an après un refus. La commission doit examiner cette demande en vue d'une libération conditionnelle totale ou d'une semi-liberté dans un délai de six mois. De plus, la commission pourrait aussi, en vertu de la politique, examiner un cas avant le moment fixé si le délinquant a fait des progrès dans le cadre de son programme et de son plan correctionnels.
Le sénateur Plett : Donc, la réponse est oui?
Mme Brisebois : Oui.
La sénatrice Batters : Je vous remercie beaucoup de comparaître devant nous aujourd'hui. Je tiens aussi à vous remercier des observations très utiles que vous avez formulées dans votre déclaration préliminaire; vous avez exposé en détail les nombreuses façons dont la Commission des libérations conditionnelles peut exercer son pouvoir discrétionnaire dans ce genre de cas.
Je sais que vous êtes limitée en ce qui concerne les opinions que vous pouvez exprimer, mais je me demande si vous pourriez nous parler un peu de la façon dont nous pourrions assurer une meilleure inclusion des victimes dans le processus de la Commission des libérations conditionnelles. Vous pouvez peut-être nous en parler par rapport à ce projet de loi, ou vous pouvez formuler tout autre commentaire à cet égard.
Mme Brisebois : Dans sa forme actuelle, le projet de loi confirme certains éléments qui sont appliqués à l'heure actuelle; il reconnaît le droit des victimes d'observer le déroulement d'une audience. J'ai mentionné que lorsqu'une victime ne peut être présente, elle peut, en vertu de la politique, observer le déroulement de l'audience par vidéoconférence. Mais le projet de loi consacrerait cet élément précis dans la loi. Il permet également d'élargir le type de renseignements qu'on fournirait à la victime. Le plan correctionnel en est un exemple, de même que les transcriptions des audiences. Le projet de loi permettrait donc aux victimes d'obtenir des renseignements supplémentaires.
[Français]
Le sénateur Dagenais : On sait que la victime a le droit d'obtenir des renseignements de la part de la Commission des libérations conditionnelles, qui ont porté préjudice. Qui prend la décision de transmettre les renseignements et à quel degré les renseignements peuvent-ils être transmis?
[Traduction]
Mme Brisebois : La loi actuelle indique clairement quels renseignements peuvent être fournis à la victime par la Commission des libérations conditionnelles et le Service correctionnel du Canada. Elle établit quels renseignements doivent obligatoirement être fournis à la victime et quels renseignements sont de nature discrétionnaire. Toutefois, dans la plupart des cas, les renseignements qui peuvent être fournis à la victime le sont. La loi est très claire.
La partie discrétionnaire à laquelle vous faites allusion concerne les cas où la communication de ces renseignements... Il existe un critère qui tient compte de l'intérêt du délinquant et de l'intérêt de la victime. Il peut aussi y avoir des questions de sécurité. Toutefois, dans l'ensemble, le Service correctionnel du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles sont actuellement en mesure de communiquer les renseignements prévus dans la loi.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Donc, je comprends que vous tenez compte des intérêts de la victime, mais aussi des intérêts du délinquant. Ai-je bien compris?
[Traduction]
Mme Brisebois : Il existe un critère. Cela dépend. Pour les observateurs, le critère est différent. Je simplifie les choses, mais la réponse est oui.
Le sénateur Joyal : Pour être franc, je ne comprends pas trop pourquoi vous dites que ce projet de loi ne vous obligera pas à utiliser des ressources supplémentaires.
Hier, nous avons entendu le parrain du projet de loi et le représentant des victimes; ils s'attendaient — et je crois qu'ils en ont le droit, étant donné que la loi est censée signifier quelque chose — à ce qu'il y ait une amélioration sur le plan des renseignements, de la participation des victimes et du traitement des demandes des délinquants par la Commission des libérations conditionnelles. Or, vous semblez dire que vous disposez de toutes les ressources et de la capacité pour répondre à l'appel. En même temps, en réponse à une question précédente, vous avez dit « s'ils sont disponibles ». Vous pouvez donc décider qu'ils ne sont pas disponibles et vous ne serez ainsi pas obligés de fournir ces renseignements. Il me semble que c'est un peu comme un chien qui court après sa queue. Je pensais, peut-être naïvement, que ce projet de loi imposerait à la Commission des libérations conditionnelles davantage de responsabilités qu'auparavant par rapport aux victimes. Or, vous semblez nous dire : « Nous ne le ferons que si nous voulons le faire. Voilà, merci ». Est-ce que j'interprète correctement votre réponse?
Mme Brisebois : J'aimerais clarifier cette question, car ce n'est pas ce que je voulais laisser entendre. La commission a du personnel spécialisé qui travaille avec les victimes. Nous communiquons des renseignements sur de nombreux plans et nous collaborons très étroitement avec les victimes. Nous estimons que l'examen de renseignements supplémentaires relatifs à un plan correctionnel, par exemple, peut être absorbé au sein de notre cadre actuel. Même si le projet de loi prévoit des tâches supplémentaires, nous croyons qu'il est possible de les accomplir grâce à notre cadre actuel.
En ce qui concerne les transcriptions, et je veux être claire, le libellé du projet de loi indique qu'une transcription sera fournie si on en a préparé une. Il n'y a pas de pouvoir discrétionnaire quant à savoir si nous en préparons une ou non actuellement. Cela se fait à titre exceptionnel. Nous fournissons des copies des décisions; n'importe qui peut demander une copie d'une décision.
Le sénateur Joyal : Nous ne parlons pas des décisions. Il est clair que les décisions doivent être publiques. Il me semble qu'une décision de la Commission des libérations conditionnelles doit être rendue publique. Vous n'améliorez pas le système en me disant que la décision sera rendue publique. Je suis désolé de vous interrompre. J'allais employer un mot, mais je ne le ferai pas parce que nous sommes au Parlement. Je dirai que cela ne répond pas aux attentes, pour faire preuve de diplomatie.
Mme Brisebois : Je tiens à préciser que les décisions sont enregistrées. Les justifications à l'appui des décisions et les décisions mêmes sont disponibles.
En ce qui concerne les transcriptions, cela supposerait un compte rendu intégral écrit de l'audience. Ce que j'essaie de préciser, c'est qu'actuellement, la commission ne le fait pas régulièrement, mais exceptionnellement. Dans les cas de litiges, par exemple. C'est ce que je voulais préciser.
Le sénateur Joyal : Hier, le représentant du Service de police de Toronto nous a dit que certains délinquants sont incarcérés en Colombie-Britannique, par exemple, alors que la victime vit à Toronto. On informe les victimes de l'annulation de l'audience très peu de temps à l'avance. Elles ne peuvent être présentes. Elles doivent réorganiser leur vie. On impose une énorme responsabilité aux victimes qui veulent participer au processus d'audience.
On nous a aussi parlé de victimes qui ont demandé à la Commission des libérations conditionnelles de leur fournir des renseignements personnels. La commission a refusé. On nous a donné comme exemple le cas d'une personne qui voulait avoir la photo du détenu afin que lorsqu'il serait libéré, elle puisse le reconnaître. Ce genre d'information me semble être plutôt accessible à une personne qui veut protéger sa propre vie.
Il me semble qu'il faudrait régler certains problèmes du côté des victimes. Bien que vous affirmiez généreusement être ouverts à la représentation des victimes, je n'ai pas l'impression que le système fait encore preuve de souplesse, en ce sens qu'il reconnaît la souffrance des victimes dans le contexte de la commission. Ai-je raison ou tort?
Mme Brisebois : Je pense que la commission fait beaucoup d'efforts pour répondre aux besoins des victimes et que dans certains cas, au moyen d'une politique, elle instaure des mesures qui sont plus tard adoptées dans le cadre de modifications législatives. Par exemple, la présentation de déclarations de victimes est une politique que la commission a adoptée il y a longtemps et qui a été établie par la Loi sur la sécurité des rues et des communautés; elle a été inscrite dans la loi. La commission est consciente du rôle important que jouent les victimes dans le processus de libération conditionnelle et elle cherche des moyens de faire de leur participation un aspect essentiel du processus.
Le sénateur Joyal : Quels critères utilise-t-on pour définir l'information se rapportant à un détenu, information jugée privée et inaccessible à une victime?
Mme Brisebois : La loi? Comme n'importe quel autre ministère, nous sommes assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui est la principale loi nous concernant. Aux termes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et contrairement à d'autres citoyens, les victimes ont accès à d'autres informations concernant le délinquant qui leur a fait du tort. La loi précise quels types de renseignements peuvent être communiqués à la victime et la commission se conforme aux critères législatifs.
Le sénateur Joyal : De la Loi sur la protection des renseignements personnels?
Mme Brisebois : De la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, mais oui, nous nous conformons aussi à la Loi sur la protection des renseignements personnels.
La sénatrice Frum : Vous avez également mentionné que pour les délinquants les plus violents, le taux d'échec était de 68 p. 100 après la première demande de libération conditionnelle. Autrement dit, dans 68 p. 100 des cas, leur première demande est refusée.
Mme Brisebois : J'ai dit que le taux d'octroi de la libération conditionnelle totale était de 32 p. 100.
Le sénateur Plett : Le sénateur Baker a fait la soustraction.
Mme Brisebois : On accorde la libération conditionnelle totale à 32 p. 100 des délinquants dont la demande est examinée.
La sénatrice Frum : Pour les membres de ce groupe, vous aurez probablement alors travaillé avec eux pour élaborer un nouveau plan correctionnel, soit parce qu'ils ne l'ont pas fait, soit parce qu'ils ne l'ont pas suivi. Leur plan ne fonctionne pas. Je suppose qu'à partir de là, ils auraient un nouveau plan. Quelle est la durée habituelle de ces plans, pour quelqu'un qui a échoué au processus?
Mme Brisebois : Les statistiques peuvent être trompeuses. Je viens de vous mentionner le taux d'octroi des libérations conditionnelles totales. Elles ne permettent pas de brosser un tableau complet, parce qu'il y a aussi des délinquants qui ont obtenu une libération conditionnelle de jour et il peut y avoir d'autres circonstances ou scénarios.
Quant au plan correctionnel, il relève du Service correctionnel du Canada, qui a la responsabilité de l'élaborer de concert avec le délinquant. Il le commence au moment de l'admission et le plan est suivi jusqu'à ce que la peine soit purgée. Il incombe donc au Service correctionnel du Canada d'élaborer le plan, de le suivre et de travailler avec le délinquant afin qu'il en remplisse les objectifs.
La sénatrice Frum : Pourrais-je alors vous demander, pour cette seconde série de questions, si le délai est d'un an ou de deux ans après; avez-vous des statistiques sur ce qui survient?
Mme Brisebois : À la suite d'un refus?
La sénatrice Frum : Oui, le savez-vous?
Mme Brisebois : Divers facteurs entrent en jeu. Par exemple, la longueur de la peine serait un important facteur à étudier pour l'examen d'une demande de libération conditionnelle totale. Si un délinquant a une peine de deux ou trois ans et que sa demande de libération conditionnelle totale est refusée, mais qu'il purge une peine de durée déterminée, il serait libéré d'office peu de temps après, soit aux deux tiers de sa peine. Habituellement, ces délinquants ne font pas de nouveau de demande de libération conditionnelle totale, mais ils peuvent faire une demande de semi-liberté. Dans certains cas, la semi-liberté avant la liberté d'office pourrait permettre à un délinquant de participer à un programme de lutte contre la toxicomanie, par exemple. Divers facteurs entrent donc en jeu.
Le président : Le sénateur Joyal a soulevé la question des ressources et l'un des points qu'a fait valoir hier la police de Toronto concernait l'exemple de la Colombie-Britannique qu'il avait cité. En l'occurrence, la commission avait payé les dépenses de témoins auxquels on avait donné la possibilité d'assister aux audiences, n'est-ce pas? Ainsi, si une victime de Toronto voulait se rendre en Colombie-Britannique, l'institution assumerait les coûts, n'est-ce pas?
Mme Brisebois : Un fonds est administré par Justice Canada pour payer les déplacements d'une victime qui souhaite assister aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles.
Le président : La question a été soulevée par rapport au manque de technologies modernes, telles que la vidéoconférence, que nous utilisons par ailleurs régulièrement pour les audiences de ce comité. Est-ce que des mesures sont envisagées pour combler cette lacune, qui permettraient de faire d'importantes économies, dans le cas de la Colombie-Britannique, et que pourrait prendre la commission dans d'autres domaines?
Mme Brisebois : La commission a six bureaux régionaux et dispose d'un réseau protégé qui permet la communication par vidéoconférence avec l'institution. Des facteurs sécuritaires imposent certaines limites. Par exemple, pour une victime qui vit à Terre-Neuve et qui souhaiterait assister à une audience, notre bureau régional est situé à Moncton. En raison des conditions de vidéoconférence et de sécurité, elle déciderait de se rendre au bureau de Moncton ou directement à l'institution. Tout dépend donc de divers facteurs.
Le président : De quel problème de sécurité s'agit-il?
Mme Brisebois : Nous avons parlé de la Loi sur la protection des renseignements personnels, car nous traitons des informations protégées. L'information débattue à l'occasion d'une audience se rapporte aux antécédents criminels d'un délinquant, mais aussi aux victimes. Cette information doit être protégée à un certain niveau. Je ne suis pas experte dans les questions de sécurité. Je m'occupe des politiques et des opérations, mais je sais qu'il y a des conditions de sécurité qui empêcheraient que l'on puisse assister à une audience par Skype. Je sais qu'il y a beaucoup de technologies sur le marché, mais en raison de la nature des audiences, nous devons utiliser un réseau protégé.
Le sénateur Baker : Les attentes en matière de protection de la vie privée sont substantiellement réduites pour quelqu'un qui est incarcéré dans une institution.
J'aimerais revenir à la question que vous a posée le sénateur Joyal. Lorsque ce projet de loi a été proposé — il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire, et non pas ministérielle — et qu'il a été présenté à la Chambre des communes, il était très différent de celui que nous avons aujourd'hui. Il a été considérablement modifié. Bien que des témoins nous aient dit qu'ils seraient ravis d'obtenir des transcriptions, vous avez rectifié les faits. Le projet de loi stipule en effet et je cite : « Si une transcription de l'audience a été effectuée, la Commission, sur demande écrite... » Comme vous l'avez signalé, c'est ce que l'on fait normalement. Mais la suite du texte stipule : « ... exclut les passages portant sur toute partie de l'audience poursuivie ou qui aurait été poursuivie en l'absence de tout observateur en vertu du paragraphe 140(5). » Non seulement cette disposition permet de refuser de remettre une transcription, mais elle permet aussi de réduire encore davantage, lorsque cette transcription est disponible, le contenu qui peut être divulgué. Je ne sais pas si vous voulez faire un commentaire à ce sujet.
Le sénateur Plett vous a demandé si ce projet de loi empêcherait les demandes d'examen de libération conditionnelle. La loi a manifestement pour objet de rallonger les intervalles entre les examens. C'est son but essentiel. Vous avez bien expliqué, je crois, qu'outre l'obligation légale d'examen, quelqu'un peut, certes, faire une demande d'examen et que vous avez un an et six mois pour répondre à la demande. Cela ne veut pas dire qu'il y aura une audience. Je ne sais pas si vous voulez commenter à ce sujet ou me dire si j'ai bien exposé les faits?
Mme Brisebois : Ce que vous avez dit est exact.
Le sénateur McInnis : Quelles seront, d'ici cinq ans, les conséquences de ces délibérations pour la gestion? Comment cela fonctionnera-t-il pour vous? Disons, par exemple, que quelqu'un n'est pas exactement un prisonnier modèle et que les rapports qui le concernent ne sont pas favorables. Est-ce que ce pouvoir discrétionnaire servira à gérer la charge de travail? Autrement dit, dans le cas qui nous occupe, est-ce que vous reporteriez à un an l'examen du dossier, est-ce que vous confieriez le dossier du travailleur social à la Commission des libérations conditionnelles, autant de mesures qui ne feraient pas faire d'économies et n'allégeraient pas le traumatisme des victimes. Pensez-vous qu'à l'avenir, cela fera partie du système de gestion de la Commission des libérations conditionnelles?
Mme Brisebois : Les examens, le calendrier des examens et le moment où un délinquant peut refaire une demande à la suite d'un rejet, tout cela est prévu par la loi. Ainsi, la commission n'aurait pas le pouvoir de reporter un examen. Si le délai d'examen prévu par la loi est de deux ans ou cinq ans, ou que le délai d'annulation ou de clôture du dossier est de quatre ans, nous serions tenus de faire un examen.
Le sénateur McInnis : Dans un délai de cinq ans.
Mme Brisebois : Oui et la commission procède à l'examen à l'approche du délai de cinq ans. Pendant cette même période, le délinquant peut en faire la demande.
Le sénateur McInnis : C'est bien là où je veux en venir. S'il fait une demande, et que vous avez sur lui un rapport défavorable, n'est-ce pas une perte de temps que d'attendre jusqu'à cinq ans?
Mme Brisebois : Les calendriers sont en fait fixés par la loi. Si le délinquant en fait la demande dans l'année suivant un refus, la commission est tenue d'examiner la demande dans les six mois; elle n'a donc pas le pouvoir de le reporter. Il en va de même des délais prescrits par la loi, qu'il s'agisse de délais de deux ou de cinq ans. La commission continuerait d'examiner le cas selon les délais prescrits et conformément à la LSCMLC.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous confirmer les statistiques que nous a données ce matin Mme Campbell, selon lesquelles seulement 17 p. 100 des victimes préoccupées par leur agresseur se sont inscrites auprès de la Commission des libérations conditionnelles afin de recevoir de l'information sur les audiences et procédures diverses?
Mme Brisebois : Je ne suis pas en mesure de les confirmer; je n'ai pas les chiffres. Nous avons plus de 7 500 victimes enregistrées. Le problème est qu'une victime peut-être enregistrée par rapport à plusieurs délinquants. Divers scénarios influent sur notre capacité d'établir précisément le pourcentage de victimes par rapport au nombre total des délinquants. Mais je sais qu'il y a plus de 7 500 victimes enregistrées auxquelles nous fournissons de l'information et avec lesquelles nous travaillons.
Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous redire à combien de délinquants vous avez affaire?
Mme Brisebois : Je pense qu'il y en a plus de 20 000 au sein du Service correctionnel du Canada. Je dirais entre 19 000 et 20 000 au total, mais je n'en mettrais pas ma main au feu.
Le sénateur Joyal : Pour environ un tiers des victimes.
Auriez-vous des statistiques sur le nombre de victimes enregistrées concernant les délinquants visés par ce projet de loi, soit ceux qui ont commis des infractions graves, les délinquants les plus violents?
Mme Brisebois : Vous avez raison de dire que la plupart des personnes enregistrées ont été victimes des infractions les plus graves. Ainsi, si un délinquant purge une peine de deux ou trois ans, ce projet de loi n'aurait pas nécessairement de conséquences significatives sur l'examen de son cas, car il sera entendu dans le cadre d'un seul examen d'une demande de libération conditionnelle totale et il sera probablement libéré d'office selon les échéanciers. Les gens avec lesquels nous avons affaire sont les victimes des types d'infractions les plus graves, qui ont fait l'objet de longues peines.
Le sénateur Joyal : L'ombudsman des victimes nous a donné hier une liste de recommandations sur les améliorations auxquelles elle s'attend s'agissant de l'accès des victimes au processus de la Commission des libérations conditionnelles. Avez-vous pris connaissance de la liste qu'elle nous a présentée?
Mme Brisebois : Elle a présenté un certain nombre de rapports et j'ai pris connaissance de son témoignage.
Le sénateur Joyal : Pourriez-vous faire un commentaire sur les recommandations que vous jugez les plus importantes?
Mme Brisebois : Je ne suis pas en mesure de vous donner un point de vue sur ses recommandations. Je pourrais certainement vous parler de la façon de mettre en œuvre certains de leurs éléments. S'agissant des vidéoconférences dont elle a parlé, la commission collabore étroitement avec les victimes pour évaluer leurs besoins dans le but d'utiliser cette technologie lorsqu'une victime ne peut pas se rendre à une audience. Je pourrais donc vous parler des aspects opérationnels des recommandations, mais pas nécessairement vous donner un point de vue à leur sujet.
Le président : Je me permets de vous poser une dernière question. Le sénateur Baker a soulevé la question des transcriptions et le fait qu'elles ne sont pas habituellement conservées.
Dans des circonstances bien définies, si cela continue d'être problématique, comme l'a fait valoir le service de police de Toronto et, je crois, d'autres instances, pourrait-on régler le problème par une directive ministérielle qui enjoindrait la commission à fournir des transcriptions dans des circonstances bien définies, dans certains cas?
Mme Brisebois : Pour être tout à fait honnête, je n'en suis pas sûre. Je ne suis pas nécessairement certaine de la façon dont...
Le président : Si quelqu'un pouvait obtenir cette réponse, ce serait utile au moment du débat en troisième lecture. Le débat de cette question se poursuit.
Merci beaucoup, madame Brisebois, d'avoir accepté notre invitation et d'avoir répondu à nos questions. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Chers collègues, nous nous réunirons à nouveau le 18 février pour procéder à un examen article par article de ce projet de loi. Nous espérons pouvoir par ailleurs aborder la Loi corrective.
(La séance est levée.)