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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 28 - Témoignages du 26 mars 2015


OTTAWA, le jeudi 26 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Bonjour. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, à nos invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre examen du projet de loi C-32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois.

C'est la deuxième séance que nous consacrons à cette mesure législative. Je rappelle à ceux qui nous regardent que le grand public peut assister aux audiences du comité et les visionner en webdiffusion à l'adresse parl.gc.ca. On trouvera de plus amples renseignements sur l'horaire de comparution des témoins sur le même site web, sous « Comités du Sénat ».

Notre premier groupe de témoins aujourd'hui se compose de Sue O'Sullivan, ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, et de Sharon Rosenfeldt, présidente de Victims of Violence - Canadian Centre for Missing Children.

Madame O'Sullivan, nous commencerons par votre déclaration préliminaire. Ce sera ensuite au tour de Mme Rosenfeldt.

[English]

Sue O'Sullivan, ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels : Bonjour, monsieur le président, et membres du comité.

[Translation]

Je vous remercie de m'avoir invitée aujourd'hui à venir vous parler du projet de loi C-32, la Charte canadienne des droits des victimes. Le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels vient en aide aux victimes de façon individuelle et collective. De façon individuelle, en leur parlant tous les jours, en répondant à leurs questions et en traitant leurs plaintes. Et de façon collective, en étudiant des questions importantes et en présentant au gouvernement fédéral des recommandations sur la façon d'améliorer ses lois, ses politiques et ses programmes, de façon à mieux soutenir les victimes d'actes criminels.

J'ai fourni au comité des copies de mon allocution ainsi que de la documentation qui présente mes recommandations relativement à la Charte des droits des victimes. Comme je suis limitée dans le temps, je n'aborderai pas chacune de mes recommandations, mais je vais attirer votre attention sur quelques amendements qui sont nécessaires selon moi pour renforcer le projet de loi.

Ce projet de loi reconnaît le travail et les efforts acharnés des victimes et des défenseurs des droits des victimes qui se sont battus pendant de nombreuses années afin que des changements soient apportés au Canada. Je félicite le gouvernement du Canada d'avoir inclus les victimes dans l'élaboration de ce projet de loi, et j'espère qu'une telle approche sera utilisée à l'avenir pour apporter d'autres changements importants aux politiques et aux lois touchant les victimes d'actes criminels.

Ce projet de loi est une grande réalisation, mais il doit être renforcé pour mieux prendre en compte la totalité des droits et des préoccupations des victimes.

Pour donner plus de force au projet de loi, il faut accroître les droits des victimes à toutes les étapes du processus de justice pénale, de la perpétration de l'acte criminel aux procédures judiciaires, de même qu'après la déclaration de culpabilité du délinquant et à sa mise en liberté sous condition. Mes recommandations visent à améliorer davantage le traitement des victimes du point de vue de leur droit d'être informées, d'être considérées, d'être protégées et d'être appuyées.

Un des droits les plus fondamentaux auxquels une victime devrait s'attendre est celui d'être informée. Le projet de loi confère aux victimes le droit de recevoir des renseignements au sujet du système de justice, du rôle qu'elles y jouent et des services et programmes qui leur sont offerts. Cela comprend le droit d'obtenir des renseignements concernant l'enquête et les procédures et certaines informations sur le délinquant ou l'accusé.

Bien que le projet de loi offre des droits accrus en matière d'information, il ne précise pas qui est responsable de fournir cette information aux différentes étapes du système.

Je recommande que les victimes obtiennent automatiquement, au moment du crime, des renseignements clairs au sujet de leurs droits en vertu de la Charte, et qu'elles sachent quels renseignements elles ont le droit de recevoir et qui est chargé de les leur fournir et à quel moment. Par ailleurs, les victimes devraient pouvoir obtenir ces renseignements dans le support de leur choix.

Les victimes veulent également obtenir de l'information sur la situation des délinquants pendant qu'ils purgent leur peine. La Charte des droits des victimes garantit le droit de recevoir de l'information concernant le délinquant, mais avec de simples modifications, elle répondrait davantage aux droits et aux préoccupations des victimes. Par exemple, le projet de loi prévoit un accès automatique à une photographie récente du délinquant avant sa libération conditionnelle ou sa mise en liberté sous condition. Je recommande que ce principe soit également appliqué lorsque le délinquant est en sortie temporaire avec escorte.

Le projet de loi ne prévoit pas suffisamment de mesures pour reconnaître et gérer l'importance d'offrir des choix et des options aux victimes. Par exemple, il n'y a pas de disposition proposant aux victimes des options pour les aider à assister à une audience de libération conditionnelle, si elles ont des raisons personnelles qui font qu'il est difficile pour elles de se déplacer ou si elles sont trop anxieuses ou effrayées pour y assister en personne.

Je recommande que le projet de loi soit modifié afin d'octroyer aux victimes le droit de choisir de quelle façon elles assisteront à une audience de libération conditionnelle ou elles présenteront leur déclaration, c'est-à-dire en personne, par vidéoconférence ou téléconférence, au moyen de la télévision en circuit fermé ou au moyen de toute autre technologie sécurisée, raisonnable et disponible.

Par ailleurs, aux termes du projet de loi, les victimes peuvent avoir accès à l'enregistrement audio de l'audience de libération conditionnelle lorsqu'elles ne sont pas en mesure d'y assister.

Je recommande que l'on offre aux victimes l'option d'obtenir l'enregistrement audio de l'audience, qu'elles y aient assisté ou non. Cette disposition est inutilement restrictive. Il y a eu bon nombre de situations où les victimes ont assisté à l'audience de libération conditionnelle en personne, mais ont été incapables d'en retenir les détails parce que l'expérience avait été trop éprouvante. Ces victimes devraient elles aussi avoir accès aux enregistrements audio.

Pendant les procédures judiciaires et les audiences de libération conditionnelle, les victimes veulent avoir l'occasion de dire et de faire valoir leur opinion, surtout en ce qui a trait à leur sécurité. Cela fait partie des droits des victimes en matière de participation. La Charte confère à chaque victime le droit de faire valoir son point de vue au sujet des décisions des autorités compétentes du système de justice pénale qui touchent les droits de la victime, et le droit à ce que ce point de vue soit pris en compte.

La Charte des droits des victimes confère aux victimes le droit de faire entendre leurs préoccupations quant à leur sécurité aux audiences sur le cautionnement. Les victimes bénéficient ainsi de droits de participation accrus, mais le projet de loi ne prévoit pas de mécanisme pour recueillir leurs points de vue et les faire valoir au tribunal. La Charte des droits des victimes prévoit également des mesures pour faire en sorte que les victimes soient informées d'une négociation de plaidoyer dans les cas d'infractions ayant causé des lésions corporelles graves ou de meurtre. Il est utile à certains égards d'informer les victimes d'une négociation de plaidoyer, mais les victimes ont clairement fait savoir qu'elles veulent que leur point de vue soit pris en considération avant que la cour décide d'accepter un plaidoyer.

On ne propose pas ici de donner aux victimes un droit de veto sur les négociations de plaidoyer, mais on s'assure que les victimes puissent exercer leur droit de faire valoir leur point de vue avant qu'une décision soit rendue par les autorités compétences du système de justice pénale.

La Charte des droits des victimes prévoit des mesures pour accroître la sécurité des victimes lors des procès, notamment en protégeant les renseignements relatifs à la victime et son identité lors du procès et lors de son témoignage; en autorisant des aides au témoignage, par exemple la présence d'une personne de soutien; et en permettant à la victime de lire une déclaration à l'extérieur de la salle d'audience.

Des considérations similaires devraient s'appliquer pour assurer la sécurité de la victime lors des audiences de libération conditionnelle. Actuellement, on ne garantit pas aux victimes l'accès à une aire distincte et protégée pour éviter tout contact avec le délinquant à l'audience de libération conditionnelle. Je recommande que des mesures appropriées soient établies pour protéger le sentiment de sécurité de la victime lorsqu'elle assiste à une audience de la Commission des libérations conditionnelles, comme des aires d'attente sécurisées et séparées.

En ce qui concerne le soutien aux victimes, la Charte des droits des victimes obligerait le juge à envisager la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement dans tous les cas. Lorsque la victime ne reçoit pas la totalité du dédommagement, elle doit entamer des procédures au civil pour que les sommes impayées lui soient versées. Le dédommagement fait partie intégrante de la peine du délinquant. Ce n'est pas la victime qui devrait être responsable de prendre des mesures pour récupérer l'argent qui lui est dû. Je recommande qu'un mécanisme de collecte soit mis en place pour que la victime n'ait pas à prendre elle-même des mesures pour avoir l'argent qui lui est dû.

En ce qui a trait à l'exercice des droits, la Charte des droits des victimes exige que chaque ministère ou organisme fédéral ait une procédure de traitement des plaintes relatives à l'atteinte aux droits des victimes.

Lorsque les victimes ne sont pas satisfaites du résultat de la procédure, elles peuvent déposer leur plainte auprès d'une autre autorité compétente pour qu'elle revoie les plaintes soumises au ministère ou à l'organisme en question. Nos recommandations pour renforcer la Charte des droits des victimes reposent sur deux approches liées à l'exercice des droits des victimes en ce qui a trait à leur participation et en matière de services. Ces deux approches seront différentes selon la nature du droit et l'étape du processus à laquelle elles s'appliquent : au moment du crime, pendant le procès, pendant la période de détention, à la mise en liberté sous condition ou à la libération conditionnelle.

Dans le contexte des droits en matière de services, ou des droits en matière d'information, le recours aux mécanismes internes de plainte pourrait protéger adéquatement les droits des victimes, dans la mesure où ces mécanismes sont soumis à une surveillance appropriée. Je recommande que toute autorité fédérale ayant compétence pour examiner des plaintes soit dotée des pouvoirs d'enquête nécessaires pour contraindre les ministères et organismes fédéraux à produire l'information et les documents en lien avec une plainte, et pour formuler des recommandations sur les recours dans le contexte de plaintes ou en lien avec des questions systémiques. Je recommande aussi que les victimes aient accès aux services d'un avocat lorsqu'elles s'adressent aux tribunaux afin d'exercer ou de faire valoir leurs droits de participation en vertu de la Charte des droits des victimes.

La représentation juridique des victimes est déjà permise dans le contexte de la détermination de l'accès aux dossiers personnels des victimes dans les affaires d'agression sexuelle. Cela ne signifie pas que les victimes ont le statut de « partie », mais plutôt qu'elles auraient la possibilité de s'adresser au tribunal seulement en ce qui touche directement aux droits conférés dans le projet de loi. Certains pourraient faire valoir que cela retarderait les procédures et minerait le principe d'un procès juste et équitable, mais je n'ai relevé aucune preuve en ce sens dans les autres administrations dans lesquelles les victimes peuvent être représentées lorsqu'elles s'adressent aux tribunaux, comme c'est le cas dans plusieurs États américains. Offrir aux victimes un mécanisme pour s'adresser aux tribunaux contribuerait à assurer que le processus tient compte de manière équitable des intérêts de chacun et qu'il les protège. Le traitement équitable et l'assurance d'une participation significative des victimes sont essentiels pour accroître la confiance du public dans le système de justice pénale et pour accroître l'efficacité globale du système.

Les forces de ce projet de loi se mesureront véritablement par la mesure dans laquelle il répond aux besoins des victimes. Le projet de loi a été amendé pour inclure un examen parlementaire du projet de loi cinq ans après son entrée en vigueur. Cet examen ne devrait pas se limiter à évaluer la façon dont le gouvernement respecte le projet de loi, mais également la différence qui en résulte pour les victimes. Pour y arriver, le Parlement doit maintenant déterminer quelles mesures de rendement doivent être mises en place pour évaluer les avantages du projet de loi pour les victimes. À quels résultats devrait donner lieu ce projet de loi et comment peut-on les mesurer? Le fait d'intégrer dans le projet de loi des mesures d'évaluation fournira aux parlementaires les renseignements dont ils auront besoin pour déterminer si le projet de loi atteint les objectifs visés.

Je recommande que le comité envisage de préciser les rôles et responsabilités relativement aux rapports sur la conformité et à l'évaluation de la conformité. Cela permettrait ainsi aux parlementaires de mieux évaluer la portée et l'incidence de la Charte des droits ainsi que de déterminer de quelle façon elle pourrait être renforcée pour mieux répondre aux besoins des victimes d'actes criminels.

En conclusion, je suis d'avis que le projet de loi C-32 est un pas dans la bonne direction pour les victimes d'actes criminels au Canada. Le projet de loi contient de nombreuses mesures qui contribueront à améliorer le système pour les victimes d'actes criminels et à veiller à ce qu'elles soient informées, considérées, protégées et appuyées. Mais il reste que bon nombre des mesures qu'il contient pourraient être renforcées pour que les victimes soient traitées de façon équitable à toutes les étapes du processus de justice pénale.

[English]

Je vous remercie de votre attention et je serai heureuse de répondre à vos questions.

[Translation]

Sharon Rosenfeldt, présidente, Victims of Violence - Canadian Centre for Missing Children : Bonjour, chers membres du comité sénatorial. Je vous remercie d'avoir invité notre organisme, Victims of Violence, à vous présenter son point de vue concernant le projet de loi C-32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois.

Victims of Violence est un organisme national ayant obtenu sa charte fédérale le 27 novembre 1984, soit il y a 30 ans. Notre mandat consiste notamment à soutenir les victimes d'un crime avec violence tout au long de leur parcours au sein du système de justice canadien. Il va sans dire que ces 30 années ont été marquées de nombreuses péripéties, positives pour la plupart. Nous avons notamment appris à faire montre d'une très grande patience, car les bonnes choses finissent toujours par arriver le moment venu. C'est la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui. Nous considérons que le projet de loi C-32 est une mesure législative bien réfléchie dans le contexte actuel canadien où l'on cherche une façon juste et responsable de mieux répondre aux nombreux besoins, préoccupations, demandes de services et problèmes parfois complexes des victimes d'actes criminels.

Comme nous ne pouvons pas compter sur l'expertise professionnelle d'avocats capables d'analyser ce projet de loi, je vais vous en parler dans la perspective de ce qui me touche le plus directement. Lorsque nous avons signalé la disparition de notre fils à la police il y a 33 ans, on nous a répondu qu'on ne pouvait rien faire avant 48 heures, car il venait d'avoir 16 ans et qu'il était peut-être en fugue. Les choses ne se passent plus de cette manière au Canada. Lorsque nous avons voulu remettre sa photo aux journaux, ils nous ont dit ne pas pouvoir la publier, car la police ne l'autoriserait pas. Les choses ne se passent plus de cette manière au Canada. Lorsque son petit corps a été découvert un mois plus tard, on m'en a informée par téléphone. Je me suis évanouie. Les choses ne se passent plus de cette manière au Canada. Lorsque j'ai demandé comment il était mort, on m'a dit qu'il avait reçu un coup à la tête. J'ai voulu savoir s'il portait encore ses vêtements lorsqu'on l'a trouvé; on m'a dit qu'on ne pouvait pas me fournir cette information. J'ai toutefois eu ma réponse quelques jours plus tard dans les grands titres des journaux, où la photo de mon fils faisait la une. On y indiquait qu'une personne qui promenait son chien avait découvert son corps dénudé après qu'il eut été violé et battu à mort. Les choses ne se passent plus de cette manière au Canada. Lorsque j'ai voulu voir son corps pour m'assurer que c'était bien mon fils, la police m'a indiqué à quelle résidence mortuaire j'allais le trouver. Sur place, le directeur a été surpris de nous voir arriver, mon mari et moi, et a demandé qui nous avait envoyés. Nous avons dit que c'était la police. Il nous a amenés dans une pièce fermée pour nous expliquer que nous n'allions pas pouvoir reconnaître notre fils vu l'état de ses restes que l'on avait dû ramasser et placer dans un contenant de verre. Les choses ne se passent plus de cette manière au Canada. Lorsque le tueur a été appréhendé et inculpé, nous l'avons appris en regardant les actualités à la télé. On y a présenté la photo du tueur et celle de 11 enfants. Mon fils était parmi ceux-ci. Les choses ne se passent plus de cette manière au Canada. Lorsque nous, les familles, avons eu droit à notre seule et unique rencontre avec le procureur général et le procureur de la Couronne en raison de la controverse entourant la négociation de plaidoyer où l'on a offert 100 000 $ pour retrouver les corps des victimes, le procureur de la Couronne nous a tous regardés et a déclaré : « Je ne comprends pas que vous soyez autant en colère. Ces 11 enfants auraient pu tout aussi bien mourir dans un accident d'autobus scolaire. Ils sont morts, point à la ligne. » Les choses ne se passent plus de cette manière au Canada.

Je vous raconte tout cela simplement pour vous montrer que, malgré les énormes progrès réalisés pour éviter que se répètent les torts causés à notre famille et à bien d'autres au fil des ans au Canada, le projet de loi C-32 va plus loin en enchâssant dans la législation fédérale le droit à l'information au moyen des articles 6, 7 et 8 de la Charte canadienne des droits des victimes.

En outre, notre exemple témoigne des objectifs visés par le préambule qui indique notamment « que les victimes d'actes criminels et leurs familles méritent d'être traitées avec courtoisie, compassion et respect ». Il ne s'agit pas simplement de belles paroles creuses, car l'impact peut vraiment se faire ressentir pendant très longtemps pour la victime elle-même et/ou pour sa famille dans le cas d'un assassinat. Lorsque le Canada a adopté au départ la déclaration des Nations Unies sur les principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité, celle-ci indiquait que les victimes doivent être traitées avec courtoisie, compassion et respect de leur dignité. Les termes de cette déclaration m'interpellent vraiment compte tenu du manque de respect que j'ai ressenti à l'égard de ma dignité et de mes questionnements quant aux raisons d'un tel traitement de la part des divers intervenants de notre système de justice. Tout cela m'a beaucoup blessée. On a traité le dossier de mon fils décédé en manquant totalement de respect à l'égard de sa dignité. Comme il ne peut plus se défendre lui-même, j'ai pris à mon compte ce manque de respect pour l'ajouter à celui que j'ai moi-même ressenti. C'est ainsi qu'au moment de son enterrement, j'ai été envahie d'un fort sentiment de honte qui m'a empêchée de garder la tête haute. Je lui ai alors promis que je ne retournerais pas sur sa tombe tant que je ne pourrais pas me présenter devant lui la tête haute et avec dignité.

Il m'a fallu 16 ans pour pouvoir retourner là-bas. Dans l'intervalle, de nombreuses autres victimes et défenseurs de leurs droits ont pris la parole si bien que les gouvernements en sont venus à mieux comprendre ce qu'on tentait de leur expliquer relativement à ces engagements. On a parlé de second traumatisme ou de nouvelle victimisation pour désigner l'impact causé par ce manque de respect de la dignité dans le parcours de la victime au sein du système de justice pénale.

L'événement le plus significatif est survenu à l'occasion de l'audience tenue à Vancouver en application de la disposition de la dernière chance pour Clifford Olson. La GRC a alors réuni toutes les familles présentes dans une salle du palais de justice pour leur présenter des excuses officielles quant à la manière dont elles avaient été traitées. On nous a indiqué que des améliorations avaient été apportées au fil des ans et que l'on traitait désormais beaucoup mieux les proches des victimes et des personnes portées disparues. Sur le chemin du retour vers Ottawa, nous nous sommes arrêtés à Saskatoon où mon fils est enterré et nous nous sommes rendus sur la tombe de Daryn, la tête bien haute et avec l'impression que l'on commençait à mieux respecter sa dignité comme la nôtre.

Quelque part entre 1988 et 2004, le terme « dignité » est disparu si bien que l'on disait simplement qu'il fallait traiter les victimes avec respect. C'est un phénomène que l'on semble noter davantage dans les documents et les sites Web fédéraux, car certaines provinces continuent de prôner le respect de la dignité des victimes. Nous aimerions que la Charte canadienne des droits des victimes en revienne à l'intention originale visée par la formulation de la déclaration des principes fondamentaux des Nations Unies. Je sais que c'est strictement le point de vue des victimes, mais l'expression « respect de leur dignité » revêt beaucoup d'importance pour ceux qui ont été victimes d'un acte criminel. J'ai constaté que les recommandations finales de la Chambre des communes comprennent cette recommandation, et j'espère que le comité du Sénat continuera de tenir compte de ce que signifie le mot « dignité ».

Comme le temps me manque, je vais moi aussi laisser tomber une partie de mon intervention. Nous considérons que la Charte canadienne des droits des victimes est un premier pas dans l'élaboration d'un cadre national pour le traitement des victimes partout au pays. Le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels pourrait contribuer à l'établissement d'une norme nationale pour les services aux victimes et travailler en partenariat avec les bureaux régionaux et les ombudsmans provinciaux pour favoriser l'application de cette norme. C'est bien sûr une question de compétence provinciale, mais c'est un domaine où les préoccupations de la sorte devraient être mises de côté pour permettre de conjuguer les efforts. Comme il ne s'agit pas pour le gouvernement de dire aux provinces ce qu'elles ont à faire, pourquoi ces dernières ne voudraient-elles pas tout mettre en œuvre pour offrir les meilleurs services possible aux victimes? Bref, le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels devrait travailler en étroite collaboration avec chaque province et chaque territoire en vue d'élaborer ce cadre et cette norme de service à l'échelle du Canada. Il reste bien sûr à déterminer si la Charte canadienne des droits des victimes permettra d'y parvenir; mais nous souhaitons certes une plus grande uniformité dans la prestation des services offerts au pays.

J'aimerais faire deux observations en guise de conclusion. Premièrement, je veux souligner les efforts du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui ont travaillé avec diligence ces dernières années pour appuyer les victimes d'actes criminels, puisque la période qui suit la déclaration de culpabilité dans notre système de justice est si importante pour les victimes.

Deuxièmement, je tiens à mentionner le Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels ainsi que l'ombudsman elle-même, qui a mené de nombreuses consultations auprès des victimes d'actes criminels et qui a tenu un important forum sur la création d'une charte fédérale des droits des victimes, auquel beaucoup de victimes, de fournisseurs de services aux victimes et d'autres intervenants de partout au pays ont participé.

Le président : Merci à vous deux. Nous allons commencer la période de questions avec le vice-président de notre comité, le sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins. Je tiens à féliciter Mme Rosenfeldt et à porter à l'attention du comité que les mots « notamment [le respect] de leur dignité » ont été ajoutés au projet de loi sur l'ordre du ministre, comme elle l'avait demandé. Quand on lisait ce passage dans la version antérieure du projet de loi, cela donnait « que les victimes d'actes criminels et leurs familles méritent d'être traitées avec courtoisie, compassion et respect » et la phrase se terminait là, mais vous serez heureuse de voir que, dans la version finale, la phrase continue. Il y a une virgule, puis on peut lire « notamment celui de leur dignité ». C'est dans le projet de loi. Personne autour de cette table ne s'opposerait à l'inclusion de ces mots, qui a été ordonnée par le ministre dans les dernières étapes du processus d'approbation du projet de loi.

Je voulais donc vous féliciter pour cette grande victoire. Je m'adresse maintenant à l'ombudsman. Madame O'Sullivan, je crois que vous proposez que le droit présomptif d'assister aux audiences de libération conditionnelle soit accordé aux victimes dans le projet de loi.

Mme O'Sullivan : Oui.

Le sénateur Baker : Ce droit a-t-il été inscrit dans le projet de loi?

Mme O'Sullivan : Les victimes ont le droit de présenter une déclaration lors des audiences de libération conditionnelle, mais le droit en question n'a pas été ajouté. Ce droit présomptif devrait exister. Nous sommes conscients que des menaces à l'endroit d'une personne ou d'une institution pourraient empêcher les victimes de se prévaloir de ce droit, mais elles devraient avoir le droit présomptif d'assister aux audiences de libération conditionnelle.

Le sénateur Baker : Vous n'en avez pas fait mention dans votre présentation, mais je crois comprendre que c'était un élément central dès le début de la conception du projet de loi. Un autre élément central — corrigez-moi si je me trompe — est que toutes les chartes des droits des victimes en vigueur dans d'autres pays contiennent une disposition qui garantit aux victimes une déclaration de leurs droits en vertu de cette loi. Je pense que vous êtes une des premières personnes qui ont porté cela à l'attention du gouvernement pendant la rédaction du projet de loi et qui ont dit que cela devrait être inclus. Vous n'en avez pas parlé pendant votre présentation. Est-ce exact? Ai-je raison de dire que vous étiez en faveur de cette inclusion?

Mme O'Sullivan : Comme je manquais de temps, j'ai choisi quelques exemples, mes recommandations. Je sais que vous êtes tous au courant des nombreux rapports que nous avons produits sur la question. Lorsqu'on parle des droits des victimes, il y a plusieurs points à prendre en considération. Par exemple, aux États-Unis, plus de 30 États ont des lois qui concernent les droits des victimes.

Comme vous le savez, aux États-Unis, des lois constitutionnelles peuvent être adoptées par les États. Vous savez peut-être aussi que les 28 pays de l'Union européenne sont en train de mettre en œuvre leur directive, qui est essentiellement une charte des droits qui porte spécifiquement sur les droits aux services. Il y a deux catégories de droits auxquels les victimes ont accès : les droits aux services et les droits à la participation. On parle toujours de l'étape du processus, c'est-à-dire la commission du crime, le procès, la période suivant la déclaration de culpabilité, et la libération conditionnelle. Tout dépend de l'étape à laquelle on se trouve.

Par exemple, à l'étape de la commission du crime — je vais parler ici du droit à l'information —, le projet de loi dit « sur demande ». Nous sommes d'avis qu'au moment où un crime est commis, lorsque la victime fait le signalement à la police, elle devrait automatiquement se faire indiquer quels sont ses droits. On pourrait donner bien des exemples à ce sujet. En Californie, c'est ce qu'on appelle « la carte de Marsy ». En Oregon, il y a une carte.

Le sénateur Baker : De quoi parlez-vous exactement?

Mme O'Sullivan : Il s'agit d'une carte qu'on donne aux victimes pour leur dire qu'elles ont le droit d'être informées, d'être tenues au courant de...

Le sénateur Baker : Pourquoi est-ce que cela n'est pas dans le projet de loi, si vous étiez en faveur d'une telle mesure?

Mme O'Sullivan : C'est une question à laquelle les deux comités, celui de la Chambre et celui-ci, devraient répondre. Si votre comité proposait un amendement à cet effet, je l'appuierais volontiers.

Le sénateur Baker : Il faut faire vite parce que notre temps est presque écoulé. Vous avez mentionné un point important à la fin de votre présentation : l'examen après cinq ans. Mais on ne peut pas procéder à un tel examen si on n'a pas les renseignements nécessaires, et je crois que c'était l'essentiel de votre propos. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Mme O'Sullivan : Merci beaucoup de me poser cette question. Une occasion s'offre à nous. Je vois cela d'un bon œil. Je vais donner un exemple. Comme les gens le savent sans doute, la seule enquête nationale qui recueille de l'information directement auprès des victimes est l'Enquête sociale générale, qui est réalisée tous les cinq ans et dont les résultats seront publiés plus tard cette année. Après la publication de ce rapport, il y a une période de consultations. Si le projet de loi est adopté, nous aurons la possibilité de demander si les questions qui seront posées dans le cadre de l'enquête qui sera effectuée pendant la période de consultations sont encore pertinentes ou si nous voulons profiter de l'occasion pour les adapter en fonction de la Charte des droits des victimes.

Ce projet de loi offre d'énormes possibilités de collecte de données à propos desquelles nous pouvons poser des questions aux agences. Je comprends que cela s'adresse sans doute avant tout à la GRC, mais aussi aux autres services de police provinciaux. Le projet de loi parle de déclaration commune de la victime et de formulaires de demande de dédommagement. Ce sont là deux exemples simples de sources de données potentielles que nous pourrions envisager.

À mon avis, l'occasion s'offre à nous — même si je sais que cela pourrait imposer un fardeau aux gens — de procéder à une étude de faisabilité. Quelles seraient ces sources de données potentielles? À l'échelle fédérale, nous avons déjà un bassin non négligeable puisqu'il y a plus de 7 000 victimes enregistrées.

Nous pouvons faire en sorte dès maintenant que le Parlement dispose des données essentielles pour faire cet examen et faire les bons choix dans cinq ans.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie, madame Rosenfeldt, pour votre présentation. Nous sommes toujours ravis de vous revoir. Je vous félicite pour le travail que vous faites, non pas depuis des années, mais depuis des décennies.

En fait, la présente charte représente le fruit de vos efforts. Je comprends bien vos recommandations, mais, à mon avis, la Charte canadienne des droits des victimes est un outil qui sera dynamique dans le temps. Certaines personnes la voient comme une fin, c'est-à-dire qu'ils veulent en avoir le plus possible — un peu comme un gros gâteau au chocolat —, et d'autres la perçoivent comme un outil qui évoluera dans le temps et qui s'améliorera. J'adhère entièrement à vos recommandations, et elles vont tout à fait dans le sens voulu par les victimes. Cependant, ne croyez-vous pas que dans deux, trois ou quatre ans, dans le cadre de l'application de la Charte canadienne des droits des victimes, ces choses-là vont arriver? Le principal objectif de la Charte canadienne des droits des victimes n'est pas seulement de modifier des éléments techniques au sein du processus judiciaire, mais de changer les mentalités de ceux qui l'administrent et de ceux qui y travaillent tous les jours comme professionnels. Qu'en pensez-vous?

[Translation]

Mme O'Sullivan : Merci pour la question. Il y a deux éléments. Les recommandations que je présente au comité aujourd'hui découlent de discussions avec des victimes, des défenseurs des droits des victimes et des professionnels.

Je vais donner l'exemple d'une victime. Selon le projet de loi tel qu'il est rédigé, dans le cas d'une victime ayant subi des dommages personnels graves ou d'une victime de meurtre, le tribunal est tenu, après avoir accepté un plaidoyer, de s'enquérir auprès du poursuivant si des mesures raisonnables ont été prises pour en informer les victimes ou les familles.

Voici où je veux en venir — et je ne veux en aucun cas dénigrer l'excellent travail des nombreux procureurs de la Couronne qui rencontrent les victimes au préalable. J'ai discuté avec des représentants d'associations de procureurs de la Couronne, et je ne veux surtout pas minimiser l'excellent travail réalisé au Canada par les procureurs de la Couronne.

Ce que je veux dire, c'est que les victimes ont le droit de se faire entendre. Je ne propose pas un droit de veto. Ce projet de loi stipule que les victimes ont le droit d'être entendues et d'exprimer ce qu'elles veulent dire. Comme je l'ai dit, bien des procureurs de la Couronne le font déjà, mais pour les victimes, être écouté devrait être un droit. C'est intéressant, parce que certaines victimes peuvent avoir un point de vue.

Les victimes qui ont l'occasion de parler au procureur de la Couronne à propos d'un plaidoyer peuvent prendre connaissance du raisonnement. C'est pour cela qu'il est important qu'elles se fassent entendre. Les victimes peuvent au bout du compte ne pas être d'accord avec la décision finale du procureur, mais les recherches montrent que les victimes qui font entendre leur voix et à qui on donne l'occasion de participer tirent plus de satisfaction du système de justice pénale. C'est une question de confiance dans le système. Ce n'est qu'un exemple de ces recommandations.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Prenons l'exemple de la Commission des libérations conditionnelles quant à la façon dont les victimes peuvent témoigner. Parmi vos recommandations, vous proposez de laisser aux victimes le choix de témoigner par vidéoconférence, par correspondance ou en personne.

Lorsqu'on suit l'évolution de la Commission des libérations conditionnelles depuis 2002, maintenant que les victimes sont mieux intégrées dans le processus d'audience, ne croyez-vous pas que cette charte fera en sorte que la commission offre aux victimes, dans deux, trois ou quatre ans, l'occasion de témoigner selon le moyen qu'elles préfèrent?

[Translation]

Mme O'Sullivan : Loin de moi l'idée de minimiser l'excellent travail et l'évolution des pratiques du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles. Je rencontre régulièrement leurs représentants pour discuter de problèmes à régler. Les victimes se plaignent encore du processus. Je vous renvoie aux observations que j'ai formulées.

Je ne veux pas dénigrer l'excellent travail accompli par les personnes qui offrent des services aux victimes et les travailleurs régionaux, tant à la Commission des libérations conditionnelles qu'au Service correctionnel. En définitive, le droit d'avoir des options quant à la façon d'assister à une audience de libération conditionnelle ne devrait pas dépendre du bon vouloir de l'organisation. C'est ce que je pense et ma recommandation va dans ce sens.

Il y a un important changement culturel en cours, si je puis dire. Il n'est pas terminé, bien entendu, car nous recevons encore des plaintes. Cela dit, il y a de la volonté de la part des deux organismes, la communication est bonne et ouverte, et nous avons des rencontres régulières au sujet des enjeux et des préoccupations. Il ne devrait donc pas s'agir d'une question de bon vouloir. Les victimes devraient avoir droit à ces choix.

[English]

La sénatrice Hervieux-Payette : J'ai deux questions à poser : l'une qui s'adresse à Mme O'Sullivan, et l'autre à Mme Rosenfeldt.

Avez-vous transmis vos recommandations à la Chambre des communes? Est-ce que certaines de vos recommandations y ont été adoptées? Je n'ai pas lu le rapport du comité de la Chambre des communes.

J'aimerais aussi aborder la question de la compensation et de l'aide des avocats. En consultant le site du gouvernement fédéral, j'ai remarqué que les programmes d'indemnisation des victimes sont très différents d'une province à l'autre. On a l'impression que les victimes sont mieux servies dans une province que dans une autre, ce qui est ridicule. Il ne semble pas y avoir d'uniformité dans les services offerts aux victimes. Si une victime habite dans une province où l'on n'obtient presque rien, c'est tant pis pour elle, alors que dans d'autres provinces, elle peut obtenir jusqu'à 25 000 $, comme c'est le cas, d'ailleurs, en Colombie-Britannique.

Madame Rosenfeldt, en tant que parent victime du décès d'un enfant, avez-vous obtenu une compensation? En avez-vous fait la demande? Est-ce que, dorénavant, tous les parents qui perdront un enfant obtiendront une compensation pour la perte d'un être cher, pour avoir été privés de l'un des êtres les plus chers de leur vie?

[Translation]

Recommandez-vous une indemnisation et des services aux parents?

Mme Rosenfeldt : Absolument. Des membres de familles de victimes d'homicide ont formé de petits groupes de soutien un peu partout au pays, mais le financement manque. Pour ce qui est des indemnisations à la suite de blessures causées par des actes criminels, nous n'avons jamais reçu quoi que ce soit, sauf peut-être après cinq ans environ je crois, à la suite de nombreuses demandes, nous avons reçu 2 500 $ pour les dépenses liées aux funérailles.

Nous avons quitté la Colombie-Britannique environ un an et demi après le meurtre de notre fils parce que nos deux autres fils, qui avaient 9 et 11 ans à l'époque, avaient de la difficulté à vivre à Vancouver. L'affaire était très médiatisée et nous causait beaucoup de problèmes. Nous sommes donc retournés à Edmonton, en Alberta, où nous vivions à l'origine. Nous avions énormément besoin de counseling, nos enfants et nous. Nous avons demandé au gouvernement de la Colombie-Britannique de nous aider. Il a refusé, car nous ne vivions plus dans cette province. L'Alberta a également refusé, car le meurtre n'avait pas eu lieu en Alberta. Ce raisonnement existe toujours aujourd'hui, mais je dois dire que les indemnisations liées aux actes criminels se sont améliorées.

Une grande partie des problèmes liés à l'indemnisation pour des actes criminels a commencé il y a des années, lorsque le gouvernement fédéral a mis fin aux paiements de transfert aux provinces. Je crois que c'était en 1993. La raison invoquée à l'époque était l'entrée en vigueur de la nouvelle suramende compensatoire fédérale, qui était censée générer suffisamment d'argent pour que chaque province en utilise une partie pour les indemnisations.

Dans les faits, certaines provinces n'ont aucun programme d'indemnisation. Si je suis si heureuse à l'idée d'une charte fédérale des droits des victimes, c'est parce qu'un tel cadre fait défaut au Canada. Je ne suis pas certaine que notre ombudsman... J'ai fait ces recommandations, mais ce n'est que pour semer l'idée. Ce comité comprend l'importance de ce projet de loi, afin que nous puissions commencer à élaborer un cadre national, de telle sorte qu'une victime en Ontario devrait pouvoir bénéficier d'indemnisations ou de services assez semblables en Alberta. En ce moment, l'écart est énorme, sans parler du piètre travail accompli, mais je compte vraiment sur ce projet de loi.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup de votre présence à toutes les deux.

Madame Rosenfeldt, j'ai été très heureuse que le sénateur Baker souligne que le respect de la dignité fait maintenant partie du projet de loi, comme le ministre MacKay l'a ordonné. C'est grâce à vous. C'est votre héritage et celui de votre fils, qui repose à Saskatoon, dans ma province natale.

J'ai une autre question de fond, mais je voudrais d'abord vous demander le prénom de votre fils, car je crois que c'est important qu'on le sache.

Mme Rosenfeldt : Daryn.

La sénatrice Batters : Madame Rosenfledt, êtes-vous d'accord avec cette disposition de la Charte des droits des victimes qui prévoit qu'on remette une photo à jour du délinquant à la victime afin qu'elle sache à quoi ressemble son bourreau au moment de sa libération? Si vous êtes d'accord, croyez-vous que c'est important?

Mme Rosenfeldt : Je suis entièrement d'accord avec cette initiative. Au fil des ans, de nombreuses victimes ont rencontré leur bourreau par hasard, et certaines ne savaient même pas qu'il avait été libéré. Nous avons réagi à ce genre de problème. Mais lorsqu'un délinquant passe de nombreuses années en prison, il est fréquent qu'il change de coiffure, qu'il se laisse pousser la barbe, qu'il se mette à la musculature, bref, qu'il change totalement d'aspect. Je crois donc qu'il est important que la victime sache au moins à quoi il ressemble à sa sortie de prison, sans parler évidemment de l'aspect sécurité.

La sénatrice Batters : J'ai noté que votre allocution préliminaire était très bien rédigée, et que vous n'aviez pas eu le temps de la lire au complet. J'aimerais en lire une partie pour vous. Il s'agit du paragraphe dans lequel vous avez écrit que la Charte canadienne des droits des victimes est une mesure législative importante qui cherche, pour la première fois dans l'histoire canadienne, à créer des droits garantis par la loi à l'échelle fédérale pour les victimes d'actes criminels, et que le caractère quasi constitutionnel de ce document est important. L'article 2 stipule clairement qu'il s'agit d'une loi visant la reconnaissance des droits des victimes, ce qui signifie que le gouvernement fédéral admet que la criminalité cause des torts, des pertes et des blessures aux personnes, et non seulement à l'État.

C'était très bien dit. Je voulais simplement glisser cela pour vous.

Madame O'Sullivan, certains membres de la communauté juridique, surtout des avocats de la défense, soutiennent que les victimes ont déjà suffisamment voix au chapitre dans notre système juridique. Comment réagissez-vous à cette affirmation? Est-ce votre avis et l'avis des victimes d'actes criminels que vous avez rencontrées?

Mme O'Sullivan : Non, pas plus que ce n'est l'avis des défenseurs des droits des victimes. Je crois que les recommandations que nous soumettons sont raisonnables. Elles respectent le processus accusatoire. Nous avons établi un précédent en 1988. Nous avons inclus dans le Code criminel le droit, pour les victimes, de faire une déclaration. Ce projet de loi fera en sorte que les juges devront envisager le dédommagement.

Il y a ces deux questions : il est possible de se faire entendre, car le projet de loi stipule que les victimes ont le droit d'être entendues et de faire valoir leurs craintes en matière de sécurité au moment de l'enquête sur le cautionnement. Il n'existe pourtant aucun mécanisme à cette fin. La victime ne peut s'adresser aux tribunaux. Comme on le sait, la Couronne ne représente pas la victime, et le moment d'être entendu, avant le plaidoyer. Je le répète, je ne suggère pas un véto.

Il y a deux exemples où le projet de loi indique que la victime devrait être entendue, et j'ai relié cela à la confiance dans le système de justice pénale, car c'est ce que des victimes m'ont dit.

Ce système a été conçu en tant que système accusatoire. Il doit respecter tous les droits. Je crois que certaines de nos recommandations... j'ai sciemment utilisé le mot « retarder ». J'ai parlé à des avocats des droits des victimes. J'ai aussi parlé à des représentants du National Crime Victim Law Institute, en Oregon, où ces mesures existent. Ils constatent que la représentation juridique des victimes accélère en fait la procédure. Ils rencontrent les victimes à l'avance. Contrairement à la Couronne, ils représentent les victimes. Ils vont donc s'asseoir avec Sharon et discuter de l'impact que la déclaration de la victime pourrait avoir au moment du prononcer de la peine. Voici vos droits. Quelles sont vos inquiétudes sur le plan de la sécurité? Ils me disent qu'ils ont cette conversation à l'avance, et qu'il y aurait le procureur du district. Au bout du compte, c'est au juge qu'il revient de décider si un délinquant doit être libéré sur cautionnement ou non, de savoir si la victime souhaite ou non sa libération, mais s'il est libéré, je songerais à certaines limites géographiques. Ils trouvent que savoir tout cela à l'avance accélère les choses. Nos recommandations visent à permettre aux victimes d'exercer les droits que le projet de loi affirme qu'elles ont.

Le président : Cinq autres sénateurs souhaitent poser des questions. Je demanderais aussi aux témoins de raccourcir leurs réponses, même si je sais que c'est difficile.

Le sénateur Joyal : Merci à vous deux de vos exposés.

Madame O'Sullivan, madame Rosenfeldt, vous avez toutes deux parlé de la façon d'obtenir réparation si ces quatre droits ne sont pas respectés. Madame O'Sullivan, c'était à la page 9 de votre exposé, et madame Rosenfeldt, à la page 3. Madame O'Sullivan, à la page 9, troisième point, vous avez indiqué :

Je recommande que toute autorité fédérale ayant compétence pour examiner des plaintes soit dotée des pouvoirs d'enquêtes nécessaires pour contraindre les ministères et organismes fédéraux à produire l'information et les documents en lien avec une plainte, et pour formuler des recommandations sur les recours dans le contexte de plaintes de particulier ou en lien avec des questions systémiques.

Il me semble que ce projet de loi est contraignant car il prévoit un système pour obtenir réparation et une ordonnance lorsqu'un de ces droits a été enfreint.

Malheureusement, lorsque je lis les articles 25, 27 et 28 du projet de loi, je ne constate pas que ce mécanisme est suffisamment solide pour permettre d'obtenir réparation.

Je ne veux pas que ce document ne devienne qu'une liste de vœux pieux. Une charte possède habituellement un processus permettant à une victime d'obtenir réparation. Si le système ou le processus approprié n'a pas de mordant ou n'est associé à aucune ordonnance juridique, il ne nous reste plus qu'à prier pour le mieux, et les victimes resteront encore une fois sur leur appétit, n'ayant pu faire valoir leurs droits ou obtenir une ordonnance de réparation.

Malheureusement, lorsque je lis les paragraphes 25(1) et 25(2), ainsi que les articles 28 et 29, je n'y vois aucun mécanisme juridique suffisamment solide pour permettre à Mme O'Sullivan d'ordonner qu'il y ait réparation. Nous revenons alors aux recommandations et aux vœux pieux, ainsi qu'au bon vouloir de l'administrateur des services concernés. Il est essentiel que votre recommandation de la page 9 fasse l'objet d'un amendement à ce projet de loi et de faire en sorte que ce projet de loi soit vraiment solide, du moins pour ce qui est des droits des victimes.

Mme O'Sullivan : Ce projet de loi se veut un recours pour ce qui est des droits à des services. Je vais donc me servir de l'information disponible au moment du crime et d'un mécanisme de plainte, comme c'est actuellement le cas, car mon bureau a le mandat d'enquêter sur une plainte et de chercher une résolution. Il existe un recours en ce sens. Mais pour ce qui est du droit à participer, et c'est pourquoi nous avons une recommandation à cet effet, je trouve le recours très limité dans le projet de loi.

Dans d'autres pays, il existe un ombudsman parlementaire qui peut émettre des recommandations et présenter des données financières. Nous en discutons parce que ce projet de loi, s'il est adopté, aura probablement une incidence financière car il faudra instaurer des mécanismes internes de gestion des plaintes à la Commission des libérations conditionnelles du Canada et à Service correctionnel Canada. J'ai des échanges avec le cabinet du ministre, car les plaignants s'adresseraient d'abord au ministère plutôt qu'à nous. Nous nous occuperions toujours des plaintes, mais il existerait dorénavant un mécanisme d'enquête interne au sein de l'organisme. Nous sommes indépendants, ce qui est extrêmement important à mon avis. Mais nous poursuivons aussi les discussions car nous serions en mesure d'examiner ce mécanisme interne de gestion des plaintes. Nous poursuivons donc les discussions.

Un des éléments qui revient constamment dans les autres pays est justement la force des mécanismes de recours pour les victimes.

Le sénateur McIntyre : Merci à toutes les deux de vos exposés. Vous avez bien fait vos recherches sur ce sujet.

Madame O'Sullivan, si je comprends bien, l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels est uniquement chargé de s'occuper des plaintes des victimes en ce qui a trait au processus décrit dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. À votre avis, le mandat de l'ombudsman devrait-il être élargi de façon à inclure les plaintes liées au système de justice pénale en général?

Mme O'Sullivan : Merci de le souligner. Mon mandat se limite aux plaintes de victimes d'actes criminels en lien avec des programmes, des politiques, des lois et des organismes fédéraux. Vous avez raison de dire que les décisions concernant la majorité des questions relatives aux droits à des services reviennent aux provinces et aux territoires.

Cela dit, cette décision ne me revient pas. Ce serait au gouvernement de décider. Les provinces ont des mécanismes de traitement des plaintes. Le Manitoba a un ombudsman et une loi qui détermine quel organisme — police, système correctionnel, tribunaux — est chargé de fournir quel type de renseignements à la victime. Si celle-ci n'est pas satisfaite ou qu'elle estime que ses droits ont été enfreints, elle peut s'adresser au bureau de l'ombudsman provincial. Voilà le genre de discussion que j'invite le gouvernement fédéral à avoir avec les provinces et les territoires.

On ne peut oublier les défis qui se posent dans certaines collectivités rurales ou éloignées du pays, et le fait que les provinces et les territoires connaissent les particularités de leurs collectivités. Nous n'avons pas abordé le fait que dans certains cas, le juge, le procureur et les personnes chargées de soutenir la victime arrivent par avion, puis repartent par le même moyen.

Le sénateur McIntyre : Vous avez le pouvoir d'émettre des recommandations, mais ces recommandations sont non contraignantes.

Mme O'Sullivan : C'est exact.

Le sénateur McIntyre : Dans vos recherches, avez-vous été en mesure de comparer le Canada à d'autres pays, comme la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis, en ce qui a trait à la reconnaissance des droits des victimes d'actes criminels?

Mme O'Sullivan : Oui. Je pense à certains États américains, comme dans l'exemple que j'ai fourni au comité. J'ai aussi étudié attentivement les lignes directrices de l'Union européenne, et je suis de près les activités de Victims Support Europe. J'ai récemment eu l'occasion de participer à quelque chose concernant l'Irlande, que l'Union européenne doit mettre en œuvre d'ici novembre 2015. C'est donc une excellente occasion pour nous d'examiner ce que font d'autres pays, car ils doivent relever les mêmes défis en matière de mise en œuvre.

La sénatrice Fraser : Merci beaucoup, madame Rosenfeldt. C'est toujours un privilège d'entendre ce que vous avez à dire.

Madame O'Sullivan, j'aimerais revenir à la partie de votre exposé à laquelle le sénateur Joyal a fait allusion, mais pas tout à fait à la même question. Vous recommandez que toute autorité ayant compétence pour examiner des plaintes soit dotée des pouvoirs d'enquête nécessaires pour contraindre les ministères et organismes fédéraux à produire l'information et les documents en lien avec une plainte.

Disposez-vous de ces pouvoirs à l'heure actuelle?

Mme O'Sullivan : Non. J'obtiens les renseignements nécessaires en entretenant des communications ouvertes avec les organisations compétentes.

La sénatrice Fraser : Les institutions, en particulier celles de nature bureaucratique, ont tendance à se protéger.

Mme O'Sullivan : Dans le cadre des nombreuses enquêtes que nous avons menées, nous avons toujours réussi à obtenir assez facilement l'information pertinente auprès du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Comme dans le cas de nombreuses autres organisations fédérales de grande taille, les délais sont parfois un peu longs.

Comme je l'ai dit, nous nous rencontrons régulièrement, car, pour apporter des changements susceptibles d'aider les victimes d'actes criminels, il faut aller au-delà des simples dispositions législatives. Dans le cadre de mon mandat, je dois notamment veiller à ce que les principaux intervenants du système de justice pénale puissent être mobilisés et sensibilisés aux différents enjeux. Par conséquent, nous avons pu apporter des changements en utilisant les voies de communication régulières.

Je sais que Don Head, commissaire du SCC, et Richard Clair, de la CLCC, ont comparu hier devant votre comité pour parler des réunions des comités consultatifs sur les victimes. Cette semaine, j'ai justement eu l'occasion de présenter un exposé devant le comité des Prairies. Ils sollicitent donc constamment le point de vue des personnes intéressées pour éclairer l'élaboration de politiques ou de directives du commissaire.

Notre bureau travaille de nombreuses façons avec ces organismes pour favoriser le changement. Je ne possède pas les pouvoirs dont dispose l'enquêteur correctionnel, M. Howard Sapers. Voilà le genre de discussions qu'il faudra avoir si ce projet de loi est adopté et mis en application.

La sénatrice Fraser : Je pense que vous devriez disposer de ces pouvoirs.

Mme Rosenfeldt : À l'instar de nombreux autres intervenants, c'est ce que demande depuis longtemps notre organisme de défense des victimes d'actes criminels. Il faudrait renforcer les pouvoirs de l'ombudsman et faire en sorte qu'ils soient comparables à ceux de l'enquêteur correctionnel. Espérons qu'elle se verra confier ces pouvoirs lorsque la loi sera mise en application.

Nous nous croisons les doigts. Il n'est pas aisé pour l'ombudsman de s'exprimer à ce sujet, mais les intervenants du milieu recommandent vivement qu'elle dispose de ces pouvoirs.

Le sénateur Plett : Je vous remercie toutes les deux d'être ici aujourd'hui. Madame Rosenfeldt, nous ne pouvons même pas imaginer l'épreuve que vous avez traversée. Merci de nous avoir fait part de votre expérience.

Mme Rosenfeldt : Je vous en prie.

Le sénateur Plett : Madame O'Sullivan, en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes, une personne de confiance peut être présente aux côtés de la victime lorsqu'elle témoigne ou présente sa déclaration.

Pourriez-vous nous dire brièvement ce que seront les effets positifs de cette mesure?

Ma question suivante s'adresse à vous deux, mais j'aimerais tout particulièrement entendre la réponse de Mme Rosenfeldt. Vous avez formulé un certain nombre de recommandations devant ce comité et celui de la Chambre. Nous sommes aujourd'hui le 26 mars, la Chambre va ajourner au milieu du mois de juin et il y aura des élections en octobre. Les projets de loi qui ne seront pas adoptés d'ici là vont mourir au Feuilleton. Si nous avons la possibilité d'apporter des amendements et de les faire adopter à la Chambre des communes, puis au Sénat avant les élections et avant que le projet de loi meure au Feuilleton, êtes-vous satisfaites des dispositions actuelles de cette mesure législative? Préférez- vous que le projet de loi soit adopté, plutôt qu'il meure au Feuilleton sans que des amendements y soient apportés?

Mme O'Sullivan : Pour ce qui est de votre question sur les personnes de confiance, je pense qu'il s'agit d'un élément crucial du projet de loi. Comme vous le savez, de nombreux services d'aide aux victimes fournissent un soutien de ce genre partout au pays. Nous sommes conscients de certains exemples, dont un qui a été présenté l'autre jour. De passage à Calgary récemment, j'ai pu constater que des services offrent toutes sortes de mesures, comme l'utilisation de chiens à des fins thérapeutiques auprès des victimes. On se rend compte que cette définition pourrait être élargie afin qu'elle n'englobe pas uniquement les « personnes de confiance ».

Il faut que notre système de justice pénale reconnaisse que ces mesures relèvent du bon sens, car, en fin de compte, nous ne devons jamais oublier les victimes qui ont subi des torts et des pertes. Nous pensons que les recommandations formulées par notre bureau sont toutes raisonnables, dans la mesure où elles contribueront à faire en sorte que la voix des victimes soit entendue.

Le président : Je dois vous interrompre. Pourriez-vous répondre à la question?

Mme O'Sullivan : Je pensais que j'étais en train de le faire. À mon avis, les dispositions sur les personnes de confiance sont essentielles.

Le président : Le sénateur Plett vous a posé une question assez directe.

Mme O'Sullivan : En effet. Il s'agit évidemment d'une mesure extrêmement utile. Merci.

Le sénateur Plett : Vous préférez que ce projet de loi soit adopté.

Mme O'Sullivan : Je pense qu'il appartient au comité de prendre cette décision. Mon travail consiste à proposer un amendement. Je laisse au comité le soin de prendre la décision qu'il juge appropriée.

Mme Rosenfeldt : En tant que victime qui s'intéresse à ces questions depuis longtemps et qui a constaté que, parfois, les choses évoluent très lentement, je peux dire que notre organisation serait satisfaite du projet de loi dans sa forme actuelle, à l'exception d'une question. Il s'agit de la négociation de plaidoyer, une situation dont a parlé l'ombudsman. Nous souhaitons que les victimes soient informées avant la conclusion d'un accord avec le juge. Si cela n'est pas possible, nous sommes satisfaits de constater que la victime serait informée le mieux possible par le procureur de la Couronne, en sachant que bien des choses peuvent se produire.

Dans ma déclaration liminaire, j'ai dit que, selon nous, le projet de loi C-32 est une mesure législative bien pensée, juste et responsable. Elle permettra de mieux répondre au large éventail de besoins que présentent les victimes d'actes criminels au Canada. On peut certainement en faire beaucoup plus. Comme l'ombudsman l'a expliqué, j'espère que, si le projet de loi est adopté, on pourra se servir de l'examen au bout de cinq ans pour adopter d'autres mesures utiles.

Le sénateur McInnis : Merci d'être ici aujourd'hui. J'aimerais présenter très rapidement quelques observations, puis poser une question. Madame O'Sullivan, j'ai entendu vos recommandations et j'ai lu les mesures que vous souhaitez voir inscrites dans la loi.

Pour faire suite aux commentaires du sénateur Boisvenu, je dirais que bon nombre de ces choses évolueront au fil du temps. On pourra donner suite à un grand nombre des demandes et des recommandations en adoptant des politiques. Prenons l'exemple d'une salle d'attente pour les personnes qui assistent à une audience de libération conditionnelle. Il appartiendrait au sous-ministre ou au ministre, ou encore au président de la commission des libérations conditionnelles de décider s'il convient ou non d'élaborer une politique à cet égard. La façon dont les victimes écoutent le déroulement des audiences, que ce soit en étant présentes sur place ou en ayant accès aux enregistrements audio, devrait aussi faire l'objet d'une politique. Il serait étonnant que bon nombre de ces choses soient inscrites dans la loi. On aimerait bien que ce soit le cas, mais ces mesures seront plutôt précisées dans des politiques.

Hier, le ministre de la Justice a signalé que, selon une étude sur l'année 2008 réalisée en 2011, les coûts tangibles et intangibles de la criminalité au Canada s'élèvent à 100 milliards de dollars par année, dont 83 p. 100 sont assumés par les victimes.

J'ai trouvé que ces chiffres étaient astronomiques. Je me demande dans quelle mesure les ordonnances de dédommagement seront efficaces, si les victimes obtiennent une réparation financière et comment un délinquant pourra payer s'il est incarcéré. Je crois que les ordonnances de dédommagement seront délivrées à la suite d'un jugement rendu par un tribunal civil. Je pense aussi que votre bureau, madame O'Sullivan, ou le gouvernement fédéral acheminera de l'argent aux provinces pour qu'elles puissent mettre sur pied un système de perception, parce que, à l'heure actuelle, elles doivent payer 15 ou 20 p. 100.

Mme O'Sullivan : Pour ce qui est de la question du dédommagement, j'aimerais citer rapidement un exemple. Depuis cinq ans, la Saskatchewan peut compter sur la présence de coordonnateurs des dédommagements. Une disposition du projet de loi permettrait à ces coordonnateurs de représenter des victimes.

Voici ce que je suis autorisée à dire publiquement à ce sujet. Les coordonnateurs réussissent à obtenir des paiements de la part de 76 p. 100 des délinquants visés. Il existe aussi un autre domaine dans lequel les délinquants ne sont peut- être pas enclins à participer. Je ne suis pas autorisée à rendre publiques les données, mais le taux de réussite est assez élevé, puisque les provinces et les territoires ont mis en place les régimes nécessaires. Par exemple, ils sont habilités à saisir les salaires. Les victimes, elles, n'ont pas le droit de faire cela. Je vais m'arrêter là.

Le président : Encore une fois, merci à vous deux. Vos témoignages seront très utiles aux délibérations du comité.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons aujourd'hui Megan Walker, directrice générale du London Abused Women's Centre; un autre visage familier, Michael Spratt, criminaliste et membre de la Criminal Lawyers' Association; ainsi que Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada. Nous vous souhaitons la bienvenue parmi nous. Nous allons commencer par les déclarations liminaires.

Megan Walker, directrice générale, London Abused Women's Centre : Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Le London Abused Women's Centre fournit des services de counselling, de défense des intérêts et de soutien à des femmes et à des adolescentes de plus de 12 ans qui sont victimes de violence de la part d'hommes, dont leur partenaire intime, de violence sexuelle ou de la traite des personnes, ou encore qui sont contraintes à se prostituer.

Au bureau, nous pouvons constater la douleur et la souffrance incroyables de ces victimes et de leurs enfants. Toutefois, ce qui nous inspire aussi énormément, c'est de voir à quel point elles peuvent faire preuve de force et de courage pour refaire leur vie dans un contexte de liberté, de paix et de guérison.

Le London Abused Women's Centre appuie ce projet de loi et demande qu'il soit adopté. Nous savons que certaines personnes souhaitent qu'ils fassent l'objet d'amendements. Nous croyons que, au bout de cinq ans, il sera possible d'examiner les pratiques exemplaires et les procédures et, si nécessaire, d'apporter des modifications au texte de loi.

Aujourd'hui, mes observations porteront sur l'importance que revêtent pour les victimes les articles 14, 16, 17 et 25.

Nous savons que, en Ontario, seulement 1 p. 100 des personnes visées par une plainte en matière de violence familiale sont condamnées à l'issue de leur procès. Nous devons être conscients que la plupart des victimes d'agression sexuelle et de violence familiale n'appelleront jamais la police et n'auront jamais recours au système de justice pénale. Bon nombre d'entre elles se sentent honteuses et coupables de se retrouver dans une situation pareille. Certaines craignent tous les jours que leur conjoint violent mette à exécution la menace de les tuer, elles ou leurs enfants. Ce phénomène existe partout au pays.

Nous savons que c'est au moment de la séparation que les femmes sont les plus susceptibles de subir des blessures graves ou d'être victimes d'homicide. Le système de justice pénale est terrifiant pour les victimes. Elles craignent de subir des représailles de la part de leur agresseur, surtout si celui-ci se défend lui-même et les contre-interroge.

Les victimes et les prestataires de services en matière de justice pénale nous répètent sans cesse que les victimes sont plus susceptibles de comparaître devant le tribunal et d'avoir recours au système de justice si elles sont appuyées dans leurs démarches. Il faut qu'une personne de confiance se trouve à leurs côtés pour les aider à composer avec le traumatisme qu'elles ont subi et pour leur dire qu'elles ne sont pas seules au moment de comparaître courageusement en tant que témoins.

Les victimes disent aussi que la peur pourrait les pousser à se parjurer ou qu'elles pourraient refuser de participer à un procès si elles pensaient que leur agresseur risquait de les contre-interroger. La peur que leur inspire leur agresseur empêche les victimes de témoigner. Plus de victimes seraient prêtes à témoigner si elles n'avaient pas à faire face à leur agresseur dans le cadre d'un contre-interrogatoire.

Nous savons aussi que les choses progressent très lentement devant les tribunaux. Plus le traitement d'une affaire par un tribunal exige du temps, plus les femmes victimes de violence sont susceptibles de ne pas présenter de témoignage ou de demander à l'avance au procureur de la Couronne d'abandonner les accusations.

Dans certains cas, lorsque les tribunaux sont enfin saisis de leur affaire, ces femmes sont passées à une autre étape de leur vie. Dans d'autres cas, ces femmes et leur conjoint violent ont eu recours à des services de counselling et se sont réconciliés.

À l'heure actuelle, à London, il faut attendre environ un an avant qu'une affaire dont a été saisie la Cour supérieure passe à l'étape de l'audition préliminaire, et deux ans avant qu'elle passe à l'étape finale du procès. Quant aux tribunaux provinciaux, il leur faut de 9 à 15 mois avant d'être en mesure d'entendre une affaire. Nous devons éviter de prendre des mesures qui risquent de ralentir encore davantage le processus.

Comme nous venons de l'entendre, nous savons que certains défenseurs des droits des victimes proposent un amendement qui conférerait aux victimes la qualité d'intervenant dans le cadre de certaines procédures. Une telle mesure aurait pour les femmes d'énormes conséquences négatives inattendues et leur rendrait encore plus difficile l'accès aux tribunaux. De plus, cette situation créerait de nouveaux arriérés, retarderait les procédures judiciaires et entraînerait des coûts connexes astronomiques.

Aujourd'hui, un sénateur a déclaré que, selon le ministre MacKay, les coûts pour les victimes s'élèvent à 100 milliards de dollars. Ce que nous savons, c'est que le total des coûts sociaux et économiques tangibles des infractions criminelles au Canada atteint environ 31,4 milliards de dollars. Nous ne pouvons donc pas appuyer d'autres mesures coûteuses, qui ralentiront encore plus le processus.

Nous appuyons fortement l'article 17, qui, dans certaines conditions, permettrait à des personnes de témoigner sous le couvert de l'anonymat. Pour que justice soit faite, il faut que toutes les victimes puissent se faire entendre. Lorsque la peur empêche des victimes de témoigner, il n'y a pas de justice. Protéger l'anonymat d'un témoin ne signifie pas qu'il ne peut pas être contre-interrogé. En outre, pour que cela soit autorisé, il faut se conformer à un processus judiciaire précis.

Nous avons entendu parler de l'intention de créer un mécanisme d'arbitrage externe. Encore une fois, ce mécanisme aurait pour effet d'accroître les chevauchements administratifs, ce qui serait coûteux, et nous sommes d'avis que ce mécanisme serait totalement inutile au moment d'examiner les préoccupations et les plaintes des victimes.

Nous sommes favorables à ce que les ministères et les organismes fédéraux examinent les dossiers, et nous croyons qu'ils sont les mieux outillés pour répondre aux plaintes et aux préoccupations des victimes, pour autant qu'on leur donne des directives claires quant à leur rôle.

Il faut mettre en place un mécanisme de plainte transparent, accessible et compréhensible pour les victimes. Il faut que les victimes puissent obtenir, au tout premier point d'accès, l'information dont elles ont besoin, y compris les renseignements relatifs à la procédure de règlement des plaintes et les coordonnées des personnes-ressources.

Nous croyons également que tous les partenaires qui offrent des services aux victimes dans l'ensemble du pays devraient recevoir ce genre de renseignements afin qu'ils puissent les publier en ligne et les fournir directement aux femmes et aux victimes qui font appel à leurs services.

En près de 20 ans de carrière, c'est la première fois que je vois un gouvernement accorder autant d'attention aux victimes, notamment celles qui bénéficient de nos services, c'est-à-dire les femmes. Des mesures énergiques ont été prises l'année dernière avec l'adoption du projet de loi C-36. Nous sommes sur le point de nous engager dans un autre processus avec le projet de loi sur les peines de prison à vie purgées en entier. Nous sommes maintenant saisis d'une charte des droits des victimes très détaillée. Nous vous demandons d'appuyer cette initiative avec célérité. Merci.

Michael Spratt, membre et criminaliste, Criminal Lawyers' Association : Je suis ici au nom de la Criminal Lawyers' Association, ou CLA, un organisme sans but lucratif qui regroupe plus d'un millier d'avocats spécialisés en droit criminel. La CLA a été appelée à participer à bon nombre de procédures d'appel et d'autres procédures judiciaires importantes. Divers comités parlementaires, y compris celui-ci, la consultent régulièrement, et je vous remercie de me permettre de comparaître devant vous.

La CLA appuie les projets de loi qui sont nécessaires, de portée modeste, équitables, constitutionnels et fondés sur des données probantes. J'aimerais seulement dire d'emblée que les victimes n'ont rien d'abstrait pour les criminalistes. Nous savons que les victimes existent, et nous sommes directement témoins des difficultés auxquelles elles doivent faire face dans le cadre de notre système de justice pénale. C'est pour cette raison que la CLA ne remet pas en question bon nombre des aspects de ce projet de loi. En effet, ce projet de loi ne fait que codifier des droits qui sont déjà en grande partie pris en considération par nos tribunaux, et il ne fait aucun doute que c'est une bonne chose. Cela dit, il y a des aspects de ce projet de loi qui nous préoccupent vivement, et c'est pour cela que la CLA n'est pas en mesure d'appuyer ce qui aurait pu être — et ce qui pourrait probablement être — un projet de loi très utile.

Selon ce qui ressort des témoignages précédents ainsi que de mes échanges avec les victimes, il est clair que l'extrême lenteur du système de justice pénale est l'un des principaux problèmes auxquels les victimes doivent faire face. Parmi les éléments les plus remarquables de ce projet de loi, soulignons qu'il permettrait aux témoins et aux plaignants de participer davantage au processus en présentant en personne diverses demandes dans le cadre des procédures pénales. À l'heure actuelle, ces demandes sont généralement présentées par la Couronne, dans la mesure de ce qui est raisonnable.

Ce qui me préoccupe dans le fait d'ajouter des procédures à un système de justice que nous savons déjà surchargé, c'est que cela va tout simplement retarder les procédures, y compris les procès et les plaidoyers, de plusieurs jours, semaines ou mois. Les retards constituent déjà un véritable problème. Pas plus tard qu'hier, une juge de la Cour supérieure à Brampton a vivement critiqué les retards insensés auxquels ce tribunal doit faire face. Nous savons que les procès peuvent durer des années, et qu'ils sont extrêmement éprouvants pour les témoins, les victimes, les plaignants, et même pour les accusés qui vivent sous le coup des procédures pénales.

Ce n'est pas parce que les accusés ont trop de droits, ni parce que les procès sont en quelque sorte trop équitables. Les tribunaux et les plaideurs s'évertuent à composer du mieux qu'ils peuvent avec les contraintes actuellement imposées au système de justice. Nous recommandons non pas plus de lois, mais plus de financement pour les tribunaux, les plaideurs et les victimes. Je crois que tout le monde en bénéficierait, et il n'est dans l'intérêt de personne que l'on se décharge des coûts liés à l'application des lois.

Le deuxième aspect dont j'aimerais parler et qui me semble le plus important, c'est l'article 17 de ce projet de loi. Je n'ai aucun doute que tous ici présents veulent que les procès soient équitables. Or, ces dispositions les rendront inéquitables. Cet article vise évidemment à ajouter de nouvelles dispositions au Code criminel qui non seulement permettent aux témoins de témoigner de façon anonyme, mais qui permettent également de ne pas divulguer tout renseignement qui permettrait d'établir l'identité du témoin. Cela fait également partie des demandes qui peuvent être présentées par un témoin. Cette demande peut être présentée à tout moment au cours des procédures, même en plein procès, ce qui aurait pour effet de retarder les procédures, d'autant que cette demande, par sa nature même, impliquerait une procédure ex parte. À quoi bon demander l'anonymat si l'avocat de la défense est présent?

La façon dont le gouvernement a décrit ces dispositions est quelque peu trompeuse. On ne propose pas simplement d'employer des pseudonymes, comme on l'a fait auparavant. Cela n'a rien à voir avec les protections accordées aux informateurs. De plus, l'article 17 n'apporterait évidemment aucun avantage dans les affaires de violence familiale, puisque le plaignant et la victime se connaissent mutuellement.

Il n'est pas exagéré de dire que cette modification s'éloigne considérablement des procédures auxquelles le système de justice pénale canadien nous a habitués. Certaines personnes, moi y compris, pourraient dire que ce n'est pas sans rappeler la Chambre étoilée, un tribunal qui a évidemment été aboli il y a des centaines d'années.

Il y a déjà des systèmes en place pour prévenir la publication des noms des témoins et pour que l'accusé ne puisse pas contre-interroger personnellement divers types de plaignants, y compris ceux qui ont des liens familiaux avec l'accusé.

Ces dispositions qui permettent de protéger l'anonymat d'un témoin grâce à une audience ex parte et d'empêcher la divulgation d'information sur ce témoin sont tout simplement inconstitutionnelles. Je tiens à préciser que l'Association canadienne des juristes de l'État a les mêmes préoccupations.

On répond évidemment que les juges joueront le rôle de gardien, et qu'ils pourront exercer leur pouvoir discrétionnaire, un argument extrêmement paradoxal de la part du gouvernement actuel, qui a systématiquement réduit le pouvoir discrétionnaire de la magistrature. Voilà maintenant qu'on le considère comme une solution miracle. Faire des juges des gardiens ne devrait pas être la solution, car ce problème est si important qu'on ne devrait même pas prendre le risque qu'il se produise.

Il est difficile d'imaginer un changement qui soit plus fondamental pour la loi canadienne et qui soit moins conforme aux principes de transparence et d'équité sur lesquels se fonde le système de justice canadien, et selon lesquels toute personne a droit à un procès équitable et à une défense pleine et entière.

Je vais en rester là pour le moment, mais non sans ajouter que nous avons d'autres préoccupations au sujet des modifications concernant l'immunité du conjoint, des modifications qui ont peut-être du bon, mais qui méritent une étude approfondie et qui auraient d'autres conséquences. Nous sommes préoccupés par les modifications à l'alinéa 718.2e) du Code criminel, qui portent sur les facteurs liés à l'affaire Gladue. Nous sommes également préoccupés par les dispositions sur le dédommagement, car elles excluraient l'analyse de la capacité du délinquant de s'acquitter du dédommagement prévu dans l'ordonnance de dédommagement.

Il y a de bons éléments dans ce projet de loi, mais nous sommes seulement préoccupés par les changements fondamentaux qu'il propose et qui nous empêchent de l'appuyer sans réserve.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Merci beaucoup. Je suis très heureuse d'être ici pour vous parler de ce projet de loi important.

Comme vous le savez, la Société John Howard est un organisme de bienfaisance dont la mission est de favoriser le traitement juste et humanitaire des causes et des conséquences de la criminalité. Bon nombre des quelque 60 filiales de la Société John Howard établies dans l'ensemble du pays offrent des services et du soutien aux personnes qui ont des démêlés avec la justice, leur famille et leurs victimes.

Nous croyons qu'il est extrêmement important de répondre aux besoins des victimes, et qu'il est louable de mettre en place des mesures pour assurer un dédommagement adéquat, des services de consultation et, bien sûr, des mesures qui visent à accorder aux victimes le respect et la dignité qui leur sont dus.

Nous sommes cependant préoccupés par certains aspects du projet de charte des droits. À l'instar du ministre MacKay, nous croyons également que ce projet de loi aura pour effet de transformer le système de justice et le système correctionnel. Avant d'entreprendre cette transformation, il faut évaluer avec soin ses effets possibles sur le système de justice, les victimes et les délinquants. Nous sommes d'avis que beaucoup de questions demeurent sans réponse en ce qui a trait aux conséquences de ce projet de loi. Je tiens à souligner brièvement quelques-unes de nos préoccupations.

Dans la section des définitions, le terme « victime » inclut non seulement les personnes qui ont subi des dommages moraux, mais aussi celles qui ont subi des dommages matériels et des pertes économiques. Je me demande si cela a pour effet d'étendre les droits des victimes à des entités comme les sociétés ou les entreprises qui pourraient avoir subi des pertes à cause d'une activité criminelle. Puisque les nouveaux droits en matière de dédommagement ouvrent en quelque sorte les cours pénales aux recours civils, est-ce que cela encouragerait les sociétés à contourner les procédures civiles pour obtenir un dédommagement aux dépens du système de justice pénale? Je ne crois pas que ce soit tout à fait approprié.

Ce projet de loi étend les droits des victimes aux collectivités, mais nous ne sommes pas tout à fait sûrs de la façon de définir ces collectivités. En quoi consistent exactement les collectivités victimes? Quelles sont-elles?

Je pense que le droit à l'information est extrêmement important, mais il semble que l'on réduise la capacité du système de justice et du système correctionnel de refuser de communiquer de l'information. De nombreux groupes prennent la parole au nom des victimes, y compris le groupe de Sharon Rosenfeldt, qui est encore ici, et dont un membre de la famille a été l'innocente victime d'un tueur en série très dangereux. Cependant, de nombreuses personnes sont attaquées ou deviennent des victimes à cause d'un gang rival, d'une rupture conjugale ou d'autres circonstances où l'animosité et d'autres problèmes sont en cause. Sommes-nous sûrs de vouloir faire en sorte que toutes les victimes aient accès à des renseignements détaillés sur les délinquants quand on sait que la divulgation de ce genre d'information pourrait amener des gens à se faire justice eux-mêmes?

Dans le même ordre d'idées, quels seraient exactement les effets du droit de participation sur l'impartialité et l'objectivité du système de justice et du système correctionnel? C'est une question particulièrement pertinente lorsque les catégories sont floues.

Par exemple, quelqu'un — je crois que c'était Megan — a parlé du projet de loi C-53, qui vise à faire en sorte qu'il n'y ait aucune possibilité de liberté conditionnelle dans le cas d'un meurtre particulièrement brutal. Je crois qu'aucune victime ayant vu un proche mourir aux mains d'un meurtrier ne serait portée à dire que cet acte n'était pas brutal. Si le système de justice écoutait les paroles des victimes, il aurait de la difficulté à faire la part des choses et à faire en sorte que les dispositions du projet de loi sur les peines de prison à vie purgées en entier s'appliquent seulement aux quelque six personnes auxquelles ces dispositions s'appliqueraient selon le ministre MacKay.

Je crois que la prise de parole s'accompagnera d'un durcissement des peines. Je suis consciente qu'il s'agit d'avoir voix au chapitre et non d'exercer un droit de veto, mais cela aura certainement des conséquences pour le système de justice que nous ne pouvons probablement pas prévoir en ce moment.

Le droit au dédommagement est l'une de nos principales sources de préoccupation. Compte tenu du principe voulant que les peines de prison à vie soient purgées en entier, si on exige que les tribunaux envisagent d'imposer des sanctions pécuniaires pour aider les victimes lors de la détermination de la peine, cela ne va-t-il pas à l'encontre des principes et des procédures du système de justice pénale? Ce que j'entends par là, c'est que notre système de justice pénale s'est éloigné du modèle axé sur les sanctions pécuniaires dont le criminel ou la famille du criminel doit s'acquitter pour chaque type de préjudice subi par une victime. Dans certains pays, il y a encore un système qui impose en quelque sorte le prix du sang, ce qui consiste à exiger, dans le cadre des procédures pénales, que l'on verse de l'argent à la victime et à sa famille.

Dans notre cas, il s'agit davantage d'un élément de la détermination de la peine qui doit s'inscrire dans un ensemble de sanctions jugées appropriées pour tenir une personne responsable de ses actes. Si une partie des sanctions jugées appropriées peuvent être acquittées plus facilement par les mieux nantis, ne va-t-on pas à l'encontre des dispositions concernant la détermination de la peine ainsi que des pouvoirs et du principe d'équité qui s'y rattachent en proposant une approche dont les effets varient selon la classe sociale?

Nous sommes préoccupés non seulement par l'équité des dispositions en matière de dédommagement lorsqu'il s'agit d'imposer une peine proportionnée et équitable, mais aussi par les effets que ces dispositions auront sur l'administration de la justice, notamment le ralentissement du système, ce qui inciterait peut-être les compagnies d'assurances à obliger la victime d'un vol de voiture à engager des poursuites contre le délinquant avant que sa réclamation lui soit payée. Nous nous demandons également si ces dispositions auront pour effet d'imposer un fardeau indu au système de justice pénale.

Nous sommes également préoccupés par les recours. Alors que les droits des victimes ne sont pas établis de façon détaillée, le recours offert lorsque le système porte atteinte à ces droits consiste à déposer une plainte. Est-on en train de créer des attentes à l'égard des victimes qui iraient au-delà de ce que le système de justice et le système correctionnel sont capables ou obligés de faire aux termes de ce projet de loi? Je crois qu'il est vraiment injuste pour les victimes d'établir un ensemble de droits que le système de justice n'est pas en mesure de respecter.

Nous concluons que même si le projet de loi comporte de nombreux éléments tout à fait louables, son caractère transformateur et le nombre de questions sans réponse appellent selon nous à une réflexion nettement plus approfondie, avant son adoption, sur ses répercussions sur les systèmes pénal et correctionnel.

Le sénateur Baker : Je remercie les témoins de ces trois excellentes présentations.

J'avoue qu'il est fort intéressant, mais très difficile de s'en tenir à une ou deux questions. Je félicite également M. Spratt d'avoir témoigné auprès de la Cour d'appel et de la Cour suprême du Canada au fil des ans, de même que son organisme, son association, d'avoir joué un rôle d'intervenant dans de nombreuses affaires marquantes.

Je saisis les arguments que vous trois nous présentez, ce qui vous préoccupe, c'est-à-dire le ralentissement de la procédure judiciaire. Je pense que c'est Mme Walker qui a parlé la première, puis M. Spratt, des procès retardés en raison du prolongement du délai dont disposeraient les témoins pour soumettre une demande aux tribunaux.

Si la question revêt autant d'importance, c'est en raison de l'augmentation actuelle, dans toutes les provinces, du nombre de demandes reposant sur l'arrêt Askov, l'application du paragraphe 11b) de la Charte, qui concerne le droit d'être jugé dans un délai raisonnable. Des individus sont accusés d'avoir commis les pires crimes. La GRC emploie tout son temps — le chef Vernon White vous le confirmerait — à enquêter sur les actes criminels en vue de la comparution, comme Mme Walker l'a indiqué dès le début, mais le procès traîne deux ou trois ans, alors toutes les accusations sont simplement rejetées. L'accusé est alors libéré — acquitté purement et simplement — parce que le procès a mis trop de temps. Le droit canadien prévoit — et je me demande, monsieur Spratt, si vous pourriez le confirmer — que, de la mise en accusation à la première comparution, au début du procès, il ne faut pas dépasser certains délais définis par la Cour suprême du Canada. Si on les dépasse trop — à cause des demandes et non à cause de l'accusé — bref, à défaut de respecter les délais impartis, l'accusé peut se retrouver acquitté, purement et simplement. Est-ce exact? Il existe des normes définies, et le projet de loi entraînera des délais supplémentaires. Est-ce exact?

M. Spratt : C'est exact. Le problème, ce n'est pas que les accusations puissent finir par être suspendues, mais que la mémoire des faits des témoins risque de s'estomper au fil du temps. Pendant ce temps, les plaignants ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Par ailleurs, l'accusé déclaré non coupable peut avoir été soumis à des restrictions aux termes de sa liberté sous caution. Le prolongement des délais n'apporte rien à personne, et aucune partie ne tient à les prolonger, mais c'est la réalité.

Le sénateur Baker : C'est ce qui préoccupe les Canadiens. Plus un procès est retardé, pires sont les risques qu'aucune décision ne soit rendue par rapport à l'accusé et que l'affaire soit suspendue aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte.

En ce qui concerne le droit à une ordonnance de dédommagement, une ordonnance de dédommagement n'a rien d'étrange en droit canadien. La formule proposée est déjà utilisée; c'est la formule 34.1, qui s'applique actuellement à la fraude, mais qui s'appliquera de manière générale à toutes les infractions. Au cours d'un procès pour fraude, le tribunal calcule la somme ayant fait l'objet de la fraude, ce qui constitue un élément essentiel au moment de déterminer la gravité de l'infraction. C'est là-dessus que repose le procès. On peut dire que l'ordonnance de dédommagement devrait s'élever à la somme correspondante. C'est très simple. Cela fait partie du procès.

Comment les choses fonctionneront-elles si l'ordonnance de dédommagement n'a plus rien à voir avec les éléments fondamentaux en cause dans le procès? Savez-vous s'il est déjà arrivé, au Canada, qu'une loi ou une partie de loi indique qu'il ne faut pas du tout tenir compte de la capacité de payer de quelqu'un? Après tout, la Cour suprême du Canada et toutes les cours d'appel au pays ont statué que la capacité de quelqu'un à payer constitue l'un des principaux critères dont il faut tenir compte en matière de dédommagement. Pouvez-vous répondre à cette question? Selon vous, quelle serait désormais la procédure pour déterminer le montant de l'ordonnance de dédommagement aux termes du projet de loi? Monsieur Spratt? Madame Latimer?

M. Spratt : En tant que criminaliste, lorsque le montant du dédommagement ne fait pas partie de l'infraction en soi, je ne vois pas comment on pourra établir la preuve. Le tribunal me permettra-t-il de contre-interroger un plaignant relativement au montant réclamé? Procédera-t-on comme une compagnie d'assurance, qui exige trois soumissions pour réparer une propriété? Pourrai-je soumettre des demandes ou contre-interroger un témoin sur le temps de travail perdu ou les problèmes de santé mentale qui auraient pu entraîner des difficultés financières pour lui? Tout cela prolongera manifestement la procédure. J'imagine que je ne suis pas d'accord. Je ne peux penser qu'à un seul cas où la capacité à payer ne constitue pas un facteur à prendre en cause : la suramende compensatoire.

Le sénateur Baker : Mais ce n'est pas une ordonnance de dédommagement.

M. Spratt : Ce n'est pas une ordonnance de dédommagement, mais c'est quelque chose que les tribunaux peuvent déjà imposer. Des questions d'ordre constitutionnel ont été soulevées. C'est pour le moins préoccupant.

Mme Latimer : Je pense que la capacité de payer figure déjà parmi les peines prévues dans les dispositions du Code criminel applicables aux amendes. Si on considère qu'il s'agit d'une peine, c'est alors une bonne politique, et la loi indique déjà qu'il faut examiner la capacité de payer avant d'établir l'ordonnance.

Mme Walker : Bien sûr, les autres témoins d'aujourd'hui travaillent en droit criminel. Ils fournissent une aide à la défense, j'imagine, alors que moi, je travaille avec des victimes. Or, nous savons de la bouche de femmes victimes de violence conjugale qu'il n'est pas rare que leur conjoint cache de l'argent. C'est très facile pour lui de le faire au moyen d'ordonnances des tribunaux de la famille. Il travaille au noir et tout et tout. Je suis absolument ravie de signaler qu'il devrait y avoir une ordonnance de dédommagement sans égard à la capacité de payer. Qu'en est-il de la capacité de la victime d'obtenir de l'aide? N'y a-t-elle pas droit? Les victimes n'ont-elles pas le droit d'être dédommagées afin de pouvoir rebâtir leur vie? Très franchement, je me fiche que le délinquant soit incapable de payer. Ce qui compte pour moi, c'est que la victime, que ce soit une femme, un homme ou un enfant, ait accès à des ressources pour l'aider à rebâtir sa vie.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie de vos témoignages. Madame Walker, je vous remercie également d'avoir reconnu que notre gouvernement travaille d'arrache-pied pour les victimes d'actes criminels. C'est une opinion que beaucoup de gens partagent.

Madame Walker, il est vrai que les taux de mise en accusation et de reconnaissance de culpabilité sont de 2,5 p. 100 au Canada, ce qui représente le pourcentage d'hommes ou de personnes violentes qui ne feront qu'une journée de prison, et 97 p. 100 d'entre eux ne seront jamais condamnés à une peine d'emprisonnement.

Il y a deux raisons pour cela. Premièrement, une victime sur 10 dénonce son agresseur, car dans 50 p. 100 des cas, les autres abandonneront leur plainte en cours de procès, parce qu'elles ne se sentent pas protégées et parce que les sentences sont souvent légères.

Cette charte repose sur des principes fondamentaux, comme l'information et la protection. Comme je le disais hier au commissaire Don Head, notre système carcéral protégera-t-il les femmes une fois que le conjoint ou la personne violente sortira de prison? On sait que, souvent, elles ne dénoncent pas leur agresseur, parce que la violence qu'elles risquent de subir sera plus grande encore après.

En ce sens, cette charte aidera-t-elle à mieux protéger les victimes et les incitera-t-elle à dénoncer leurs agresseurs?

[Translation]

Mme Walker : Nous savons que les femmes demeurent victimisées même après l'emprisonnement de leur agresseur du fait d'appels téléphoniques et d'autres messages incessants de tiers. Pour ma part, je suis fermement solidaire des femmes et des victimes qui tentent de rebâtir leur vie. Il faut se doter de mécanismes qui assurent la sécurité des femmes. Je crois que c'est ce que fait le projet de loi. Il garantit un soutien. Il permet aux témoins de rester anonymes. Il prévoit des ordonnances de dédommagement. Il reconnaît ce qu'est une victime.

M. Spratt a parlé un peu plus tôt de la notion d'anonymat en disant qu'elle n'était pas pertinente dans les dossiers de violence conjugale. Je ne sais pas quelle est son expérience auprès des femmes qui ont été agressées physiquement ou sexuellement par leur conjoint. Nous, nous en avons vu 3 300 l'an dernier, en plus d'avoir répondu à 5 000 appels. Dans bien des cas, un témoin — peut-être pas la femme, mais un témoin — refusera de se manifester et de témoigner pour la victime s'il lui est impossible de le faire dans l'anonymat. Selon moi, l'article 17 proposé correspond à ce que nous réclamons depuis très longtemps. Les dispositions du projet de loi seront fort utiles pour protéger les femmes et les enfants au Canada.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Madame Latimer, vous avez soulevé beaucoup de questions dans votre témoignage, et c'est très sage. La situation est semblable à celle de la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982, alors que les avocats de la défense, qui s'en servent très bien aujourd'hui, ne savaient pas trop comment elle allait encadrer à moyen terme les droits des présumés criminels. On le constate aujourd'hui; c'est une charte qui les protège beaucoup.

Vous dites tout d'abord que la participation des victimes risque de réduire l'objectivité du système de justice, mais est-ce que le fait que le criminel participe activement au système de justice actuel lui confère plus d'objectivité?

Vous dites que les dédommagements ne font pas partie de la sentence. Cependant, je vois tous les jours, au Québec, des juges donner, dans des cas d'agression, une sentence d'emprisonnement et condamner le criminel à faire un don à un organisme qui vient en aide aux victimes. Je constate que le principe du dédommagement est appliqué tous les jours dans le domaine criminel, surtout dans les cas d'agression.

J'essaie de comprendre. Pourriez-vous mieux expliquer comment la charte aura pour effet de handicaper le système de justice, de sorte que le dédommagement alourdisse la peine, alors que cela se fait déjà?

[Translation]

Mme Latimer : Je pense qu'elle exacerbera le problème du fardeau. Imaginons qu'on porte des accusations criminelles contre une société ferroviaire parce qu'elle aurait supposément fait preuve de négligence criminelle ayant causé une catastrophe ferroviaire qui aurait fait un très grand nombre de victimes, sans compter les personnes subissant les répercussions économiques de l'accident. Si les policiers et les procureurs tentaient d'aviser toutes les victimes et de communiquer avec elles, cela leur prendrait tellement de temps qu'on risquerait de ne pas respecter les délais définis dans l'arrêt Askov. De même, les procès très compliqués qui visent des gangs du monde interlope comportent une preuve énorme qu'il faut un temps considérable à amasser. Ce sont les crimes les plus graves, ceux qui doivent absolument aboutir à des condamnations.

Par conséquent, si le système accumule les retards dans le but d'informer les victimes et pour d'autres raisons, il se pourrait que des délinquants qui comptent parmi les pires criminels échappent au procès que devraient leur valoir leurs agissements. C'est un problème.

L'autre problème, c'est que le système pénal doit être objectif, juste et impartial. Après tout, c'est pour cela qu'il a évolué : alors que, à l'origine, un différend opposait l'auteur d'un crime et sa victime, un procès oppose plutôt un accusé et la reine ou l'État. C'est objectif.

La sénatrice Fraser : Merci à tous d'être ici. Vous avez tous soulevé des arguments percutants, mais, en tant que Québécoise, j'ai été frappée, pour des raisons évidentes, qu'on fasse allusion à un déraillement. Je me suis dit qu'on nous demande en quelque sorte de résoudre la quadrature du cercle compte tenu des points que vous avez soulevés, madame Latimer, relativement aux retards. Vous avez tous soulevé des préoccupations sur ce point. N'importe quel Canadien qui réfléchit ne serait-ce que cinq secondes au système juridique est troublé par les délais qui semblent ne jamais cesser de s'étirer. Pourtant, dans un dossier comme celui de Lac-Mégantic, il est question des victimes d'un accident atroce. Je me demande s'il est possible de résoudre la quadrature du cercle.

Par exemple, aux termes du projet de loi, serait-il possible qu'un représentant des victimes soit responsable — dans le sens noble du terme — de servir de trait d'union entre le tribunal et elles? C'est aujourd'hui possible grâce à l'électronique. Cette personne serait chargée de transmettre toute l'information voulue et de recueillir les commentaires des victimes. Serait-ce possible? Est-ce que cela fonctionnerait?

Mme Latimer : Je trouve que c'est une excellente idée. Lorsque surviennent des incidents majeurs qui créent beaucoup de victimes, il n'est pas rare que des impératifs liés à la sécurité entravent la transmission de renseignements. Pensons par exemple à l'attentat survenu au cours du marathon de Boston. Combien y a-t-il eu de victimes et de blessés? Si vous aviez l'obligation de consulter chaque victime pour recueillir leurs commentaires, vous entraveriez le travail des forces de l'ordre. Cependant, il serait éventuellement possible de trouver un autre mécanisme permettant de répondre aux intérêts légitimes des victimes sans alourdir le fardeau des policiers et des autres personnes en première ligne. Le projet de loi ne répond à aucune de ces questions.

La sénatrice Fraser : Vous ne trouvez rien dans le projet de loi?

Mme Latimer : Il y a une possibilité de désignation. La victime peut désigner quelqu'un.

La sénatrice Fraser : Il serait peut-être utile que toutes les victimes désignent la même personne.

Mme Latimer : Peut-être, mais la disposition relative à la désignation pose également certains problèmes à mes yeux. Et si elles désignaient quelqu'un d'hostile? On ne peut pas savoir qui sera désigné.

Mme Walker : Madame la sénatrice Fraser, j'ai de la peine pour toutes les victimes. C'est mon travail, qu'il s'agisse d'un écrasement, d'un déraillement ou d'un autre acte criminel. Cependant, je pense qu'il faut reconnaître que le lieu le plus dangereux pour une femme, c'est chez elle, là où elle est pourtant censée être libre et en sécurité. Plus de 50 p. 100 des femmes et des filles de plus de 16 ans seront un jour ou l'autre victimes d'une agression sexuelle ou physique. C'est un problème énorme. Il faut s'y attaquer, ce que fait le projet de loi.

En ce qui concerne les retards, je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas appliquer ces dispositions afin de ne pas causer de retards dans la procédure juridique, mais plutôt qu'il faut faire attention à ce qu'on ajoute à la loi, car cela entraînera d'autres retards dans la procédure. À vrai dire, nous estimons que le projet de loi accélérera les choses. Après tout, des femmes victimes d'agression sexuelle disent à la Couronne, après 16 mois ou plus, qu'elles ne veulent plus poursuivre les démarches ou, après trois mois, qu'elles retirent leurs accusations. C'est autant de temps perdu. Or, si une victime dit cela, c'est qu'elle ne se sent pas soutenue. Le projet de loi lui assurera le soutien dont elle a besoin pour aller de l'avant dans ses démarches juridiques.

La sénatrice Fraser : Comprenez-moi bien : je ne cherchais pas à m'en prendre au concept de droits des victimes, en particulier à ceux des femmes agressées. Ma question à Mme Latimer concernait essentiellement ces dossiers très lourds qui visent des crimes graves, mais qui finissent par ne pas faire l'objet d'un procès à cause des retards interminables. Je cherche un moyen de résoudre la quadrature du cercle. Ne croyez surtout pas que je tente de quelque façon que ce soit de porter atteinte aux droits des femmes qui ont besoin de jouir de droits.

Le sénateur Plett : Monsieur Spratt, cela fait plusieurs fois que vous comparaissez devant le comité; j'aimerais commencer sur un ton positif en vous remerciant de votre témoignage. Je ne pense pas vous avoir entendu dire que le projet de loi est inconstitutionnel; je vous en suis reconnaissant. Au moins nous nous entendons là-dessus.

M. Spratt : J'en suis au point où je cherche à trouver des synonymes.

Le sénateur Plett : Monsieur Spratt, j'aimerais entendre votre réaction à deux points, et je poserai ensuite une question à Mme Walker.

Je trouve ironique d'entendre un avocat de la défense se plaindre des retards judiciaires alors que les avocats de la défense sont ceux qui tentent le plus souvent de retarder le procès s'il est dans l'intérêt de leur client de le faire. Je trouve cela plutôt ironique de vous entendre soulever un tel argument.

L'autre observation que je voulais faire, c'est que vous avez critiqué le gouvernement à un moment dans votre discours, et ce, malgré le fait que le projet de loi a été adopté à l'unanimité à la Chambre, signifiant qu'il bénéficie également de l'appui des libéraux et des néo-démocrates. Voilà mes observations à l'intention de M. Spratt.

M. Spratt : Peut-être serait-il utile de clarifier d'entrée de jeu une question juridique dont on a déjà parlé. Le principe de base est que les garanties prévues dans la Charte ne visent pas seulement les personnes qui enfreignent la loi. Elles nous protègent tous. L'article de la Charte qui porte sur les retards nous concerne tous. Vous devriez passer une journée avec moi. Je vous ferai visiter les tribunaux.

Si vous m'y aviez accompagné vendredi dernier, vous m'auriez vu tenter de fixer la date du procès; c'était la deuxième fois que je comparaissais devant le tribunal, et on m'a répondu que c'était impossible. Vous m'auriez vu plaider devant le tribunal pour que la date du procès d'une personne en détention soit fixée; j'étais disponible la semaine suivante, le mois suivant, et même celui d'après. Savez-vous quand le procès a été fixé? En janvier. Ce n'est pas comme si j'ai demandé qu'il ait lieu en janvier. Si le procès a lieu en janvier, c'est en grande partie parce que toutes sortes de projets de loi qui viennent bricoler le système judiciaire sont adoptés pour des raisons politiques sans être assortis de fonds afférents. Il n'est pas difficile d'adopter une loi, et certaines de leurs dispositions sont très utiles et se justifient. Personne ne conteste la communication de renseignements aux victimes. Personne ne conteste le fait qu'on devrait leur venir en aide. Dans la plupart des cas, on leur vient déjà en aide. Ce n'est pas le renforcement de cette structure de soutien qui pose problème, mais en l'absence de financement supplémentaire, je trouve cela ironique que l'on rejette la faute quant aux retards sur les avocats de la défense alors que nous nous trouvons constamment dans l'impossibilité de fixer la date des procès. Avec plus de ressources, nous pourrions fixer les dates des procès, car nous aurions plus de temps. Si vous voulez passer une journée avec moi, je vous emmènerai en prison pour vous présenter tous mes clients en détention qui veulent seulement que leur procès se déroule.

Le sénateur Plett : D'accord. Il nous est tous arrivé de voir les juges et les avocats les yeux rivés sur leur agenda. C'est aussi souvent les avocats que les juges qui ne peuvent trouver une date convenable parce qu'ils sont trop occupés, que ce soit par un autre procès ou par une randonnée de ski à Whistler. Quoi qu'il en soit, je pense que tout le monde a connu cela à un moment donné.

Madame Walker, premièrement, vous avez affirmé travailler avec et pour les victimes. Merci de tout votre excellent travail.

Mme Walker : Merci.

Le sénateur Plett : Vous avez répondu à ma question au sujet de l'ordonnance de dédommagement, dont on a déjà parlé en long et en large. Mme Latimer en a parlé, comme tous les autres témoins. J'ai donc la question suivante à vous poser. J'aimerais connaître votre avis au sujet des modifications à la Loi sur la preuve du Canada éliminant la règle de common law empêchant le conjoint d'un accusé de témoigner contre lui pour la Couronne. Trouvez-vous que c'est une bonne chose?

Mme Walker : Absolument. Je ne vois aucune raison pourquoi, un délinquant devrait pouvoir obtenir gain de cause alors que son conjoint a des renseignements importants qui pourraient assurer sa condamnation. Nous sommes complètement en faveur de cette modification.

J'ai une chose à dire au sujet des retards judiciaires, problème qui existe maintenant depuis des années et qui touche l'ensemble du pays. Je doute que la discussion d'aujourd'hui sur les droits des victimes soit le moment opportun pour aborder le grave problème des retards judiciaires, qui a commencé bien avant et auquel s'attaquent selon nous de nombreuses mesures prévues dans le projet de loi.

Le sénateur Plett : Absolument. Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup, j'aimerais dire quelques mots de plus au sujet des retards judiciaires. C'est un grave problème dans le système de justice pénale; j'en ai vivement pris connaissance lorsque je travaillais pour le cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan, où nous passions beaucoup de temps à veiller à ce que les retards ne soient pas déraisonnables et ne deviennent pas impossibles à gérer afin d'éviter que le gouvernement provincial, qui est responsable de l'administration de la justice, ne se retrouve pas dans une situation où des affaires importantes mettant en cause des criminels graves ne soient pas rejetées pour cause de retards judiciaires.

Je dirais cependant que c'est justement ce grave problème qui explique pourquoi certains aspects du projet de loi ne vont pas aussi loin que l'auraient voulu certains groupes de défense des victimes. C'est pour éviter des retards supplémentaires. Madame Walker, vous avez fait valoir, à raison, que les mesures revendiquées par ces groupes contribueraient encore davantage aux retards judiciaires. Merci beaucoup pour cette observation des plus judicieuses.

Madame Walker, vous avez comparu devant le comité dans le cadre de son étude du projet de loi C-36, sur la prostitution. Je tiens à vous féliciter non seulement pour le travail que vous faites au nom des femmes et des enfants battus mais aussi pour votre excellent travail dans d'autres dossiers d'actualité. Une fois de temps en temps, je vous aperçois à la télévision nationale en train de parler de diverses questions d'importance pour les femmes. Merci beaucoup pour tout votre travail.

Mme Walker : Merci.

La sénatrice Batters : Lorsque vous avez comparu devant le comité de la justice de la Chambre des communes, vous avez affirmé qu'il est très difficile pour les victimes d'accéder au système de justice pénale. Selon vous, quels sont les obstacles qui empêchent les victimes d'accéder au système de justice pénale et de quelle façon le projet de loi à l'étude leur viendra-t-il en aide?

Mme Walker : Je pourrais vous décrire le processus en vitesse. Lorsqu'une femme fait appel à nos services, nous commençons par lui expliquer quelles sont ses options. Disons qu'elle souhaite s'adresser à la police. Qu'est-ce que cela entend? Nous lui expliquons qu'elle sera interrogée, qu'elle sera filmée, et que lorsqu'elle témoignera en cour, l'avocat de la défense l'attaquera comme si c'était elle la délinquante. C'est un processus de très longue haleine, et le taux de condamnation est très faible. Ensuite, il est probable qu'elle demande d'être accompagnée d'une personne chargée de la soutenir tout au long du processus, craignant ne pas pouvoir subir tout cela seule. Mais c'est impossible à l'heure actuelle. Nous ne pouvons pas l'accompagner durant le procès afin, par exemple, de demander une pause pour récapituler la situation si on estime que la victime subit un traumatisme nouveau. Il y a moyen, à toutes les étapes du processus, de l'aider à s'exprimer succinctement, à se souvenir de l'incident et à sentir qu'elle a fait le bon choix lorsqu'elle rentrera chez elle. C'est pour cela que nous appuyons si vigoureusement la mesure. Elle donne aux victimes les outils dont elles ont besoin pour composer avec le système de justice pénale.

La sénatrice Batters : Parfaitement. Vous avez témoigné dans le cadre de notre étude du projet de loi C-36, le projet de loi sur la prostitution dont le principal objectif est d'aider les femmes et les enfants exploités. Je pense que vous conviendriez avec moi pour dire que le projet de loi à l'étude sur les droits des victimes au Canada constitue un changement de paradigme, à l'instar de cet autre projet de loi, qui lui aussi représentait un changement d'attitude complet à l'égard de la façon dont nous traitons ces personnes vulnérables.

Mme Walker : Tout à fait, et comme nous l'avons affirmé dans le débat sur le projet de loi C-36, nous pensons que le projet de loi changera totalement la façon dont les générations futures de garçons et de filles appréhenderont la question. Ces deux mesures changent radicalement la reconnaissance que nous donnons aux victimes, le respect que nous avons pour elles et la façon dont nous les traitons, qu'elles soient toujours en vie ou non.

Le sénateur McIntyre : Merci à tous pour vos exposés. Monsieur Spratt, Madame Latimer, vous avez exprimé des réserves au sujet du droit au dédommagement prévu aux termes du projet de loi. Le libellé dit clairement que les tribunaux sont tenus d'envisager sans exception la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement. Cela ne signifie pas qu'ils sont tenus de rendre une telle ordonnance, mais plutôt d'en envisager la possibilité.

Cela dit, sauf erreur, si une ordonnance de dédommagement est rendue et que le délinquant ne s'y plie pas, la victime peut ensuite signifier ce fait dans le cadre du jugement d'un tribunal civil afin de l'amener à s'y plier, permettant à la victime de demander réparation en vertu de l'article 29 du projet de loi, qui prévoit la saisie des fonds du délinquant. N'est-il pas possible d'accomplir la même chose aux termes de l'article 741 du Code criminel? Je ne vois pas en quoi le droit au dédommagement est limité aux termes des dispositions actuelles.

M. Spratt : Je parlais très particulièrement de l'article 30, sur les moyens financiers ou la capacité de payer. J'ai déjà constaté le phénomène dans l'exercice de mes fonctions : les iniquités entre les riches et les pauvres ont un effet déterminant sur les résultats judiciaires. Prenons par exemple un cas de fraude importante; c'est une accusation grave, et quiconque plaide coupable est inadmissible à l'absolution conditionnelle. La condamnation laissera une marque permanente au dossier. Dans de tels cas, la Couronne use souvent de son pouvoir discrétionnaire pour proposer de porter une accusation de fraude mineure, assortie d'une peine moins sévère, si l'accusé accepte de rembourser une partie des fonds immédiatement. Une personne pauvre qui n'a pas les moyens de rembourser l'argent se retrouve donc avec des perspectives bien différentes. Si l'on ne tient pas compte de la capacité de payer — que les cours d'appel considèrent comme étant un facteur important —, les ordonnances de dédommagement risquent d'avoir pour effet de créer une différence importante entre les peines purgées par les riches et celles purgées par les pauvres.

Le sénateur McIntyre : Je demanderais maintenant aux deux mêmes témoins d'apporter une précision.

Les articles 28 et 29 du projet de loi disent clairement que la violation des droits définis dans la Charte canadienne des droits des victimes ne donne pas ouverture à un droit d'action ni au droit d'être dédommagé. La violation ou la privation d'un droit prévu aux termes du projet de loi ne donne pas le droit d'interjeter appel d'une décision rendue dans le cadre de procédures criminelles.

Dans le projet de loi, il est question de « droits » plutôt que de « principes ». Dans l'ensemble, les droits énoncés dans le projet de loi C-32 — dont le droit à l'information, à la protection, à la participation et au dédommagement — sont de nature procédurale. Le projet n'accorde pas aux victimes le statut de partie à la procédure. Les parties aux procédures pénales sont le procureur et le prévenu, à l'exclusion, en l'occurrence, de la victime.

Ma question est la suivante : Voudriez-vous que le projet de loi soit rédigé de manière à ce que les victimes puissent être partie aux procédures?

M. Spratt : Dieu que non.

Le sénateur McIntyre : Vous avez répondu à ma question. Madame Latimer, partagez-vous son avis?

Mme Latimer : Non, mais je pense que si le dédommagement entend une perte additionnelle de biens pour le délinquant...

Le sénateur McIntyre : Sur ce point-ci seulement?

Mme Latimer : Oui, mais les délinquants devraient avoir le droit de connaître les pertes réelles encourues par la victime, de remettre en question ses revendications et la somme qu'on lui demande de rembourser. C'est à mon sens le fruit d'un rapprochement malheureux des principes du droit pénal et du droit civil; ce n'est vraiment pas rendre service aux gens que d'enchâsser un recours civil dans un processus pénal.

Le sénateur McIntyre : Pourtant, il suffit simplement de se prévaloir du mécanisme de plaintes devant les autorités provinciales ou fédérales.

Mme Latimer : Vous voulez dire que, si la victime n'obtient pas d'ordonnance de dédommagement, elle pourrait porter plainte?

Le sénateur McIntyre : Oui.

Mme Latimer : À mon sens, les recours prévus dans le projet de loi sont assez maigres et c'est vraiment dommage pour les victimes. Vous amenez les victimes à croire qu'on leur confère un droit au dédommagement, mais elles ne peuvent pas grand-chose pour le faire respecter.

Le sénateur McIntyre : Je suis d'accord avec vous pour dire que la victime ne devrait pas se voir accorder le statut de « partie » à l'instance. Vous avez tous les deux répondu à ma question. Merci.

Le sénateur McInnis : Je vous remercie. Je suis heureux que vous soyez ici, monsieur Spratt, parce que vous avez clarifié certaines choses. J'ignore à quelle fréquence vous et vos collègues vous réunissez et communiquez ensemble, mais il se trouve que, lors de sa comparution devant le Comité de la justice, le représentant de votre association a déclaré que la solution ne tenait pas à l'instauration de nouvelles lois, mais plutôt à un accroissement du financement versé aux tribunaux et aux plaideurs afin d'accélérer les procédures.

En lisant son témoignage, je me suis dit que cet homme n'estimait pas le projet de loi très important. Vous avez apporté des précisions. Nous vous savons gré de nous faire part de vos critiques, toujours énoncées intelligemment. J'espère vous voir un jour comparaître devant nous alors que vous approuvez sans réserve une mesure — mais peut- être ne venez-vous pas dans ces cas-là.

M. Spratt : C'est arrivé une fois.

Le sénateur McInnis : Je n'ai pas encore vu cela.

La criminalité est en baisse au Canada. Ce que vous dites au sujet de la durée des procès est tout à fait vrai. C'est horrible — vraiment — et les gens en souffrent. Toutefois, d'après mon expérience au sein du système de justice, l'injection de fonds ne fonctionne pas. Qu'a fait l'Association du Barreau canadien pour contribuer à corriger le système?

M. Spratt : Ce que nous avons fait pour améliorer le système, c'est militer pour des façons de faire et un financement adéquats.

Je conviens qu'un problème ne se règle pas nécessairement à coups d'argent, mails il faut davantage de juges, ce qui relève dans une large mesure de la compétence des provinces. Il faut plus de salles d'audience. Il faut renforcer l'aide juridique afin de soutenir les démunis qui risquent de perdre leur liberté et d'aller en prison, mais ne peuvent pas se payer un avocat. Voilà les causes de retard qui nous intéressent.

Le sénateur McInnis : Mais le taux de criminalité recule; il a diminué de 4 p. 100 l'an dernier.

M. Spratt : La complexité des instances — aspect dont nous avons discuté dans le contexte du projet de loi — augmente. Pensons à l'interception de communications électroniques. Je suis sûr que le sénateur White, à votre gauche, pourra vous entretenir de la quantité phénoménale d'information qu'on peut recueillir dans le cadre d'une enquête criminelle en raison des méthodes de pointe d'aujourd'hui.

Le processus était peut-être moins long avant l'adoption de la Charte des droits et libertés, à l'époque où l'information n'était pas divulguée à l'avocat de la défense et où il y avait moins d'instances. La non-divulgation donnait lieu à beaucoup de condamnations injustifiées. Bien faire les choses prend parfois du temps et de l'argent.

Le sénateur McInnis : Certains procès ont duré trois ans. C'est fou.

M. Spratt : Surtout si c'est une cause d'envergure, avec de nombreux coaccusés et beaucoup de ressources policières ayant contribué à l'enquête et aux arrestations. En effet, parfois, les procès sont longs.

Le sénateur White : J'ai une courte question à vous poser, si vous le permettez, car vous avez dit mon nom.

Il y a quelques années, j'ai participé à un projet de recherche. Nous nous sommes penchés sur le cas de l'Ontario. En moyenne, chaque année, 200 000 affaires étaient menées à bien, c'est-à-dire qu'elles allaient devant les tribunaux. Ces affaires comptaient en moyenne neuf comparutions chacune. Peu importe la gravité du crime, qu'il s'agisse de vol à l'étalage ou de tentative de meurtre, il y avait neuf comparutions. Plus de la moitié des demandes d'ajournement provenait de la défense.

Je comprends votre argument en faveur de mesures pour accélérer le processus, mais je ne suis pas d'accord pour dire que la responsabilité incombe uniquement au tribunal ou à la Couronne. Les avocats de la défense ont aussi leur rôle à jouer.

M. Spratt : Si la défense demande des ajournements, c'est pour avoir de l'information, pour que le client obtienne de l'aide juridique et retienne les services d'un avocat. Il s'agit de demandes présentées par la défense, mais elles n'entraînent pas nécessairement des retards à imputer aux avocats de la défense.

La dernière fois que j'ai demandé qu'on ajourne une audience, c'était parce que le rapport présentenciel n'était pas prêt. Voyez-vous, on manque d'agents de probation pour rédiger les rapports présentenciels, ce qui peut prendre huit semaines. J'ai dû retarder une autre affaire en raison du temps exigé à Ottawa pour rédiger un rapport sur l'arrêt Gladue au sujet de la situation d'un délinquant autochtone.

Si des ressources pouvaient être allouées à ces tâches, le temps passé au tribunal serait réduit. Je voudrais préciser que je ne vois pas d'objection à ce qu'on utilise des ressources pour soutenir les plaignants. Dans les tribunaux, nous voyons des professionnels de l'aide aux victimes qui accompagnent les plaignants. Le Code criminel comprend d'ailleurs des dispositions qui se rapportent aux demandes de communication de dossiers de tiers...

Le président : Monsieur Spratt, le comité pourra se pencher là-dessus si jamais il étudie la question des délais judiciaires. Je sais que la question du calcul en double du temps passé en détention préventive est aussi une question qui intéresse les avocats de la défense.

Je vous remercie tous de votre contribution digne d'intérêt à nos délibérations.

(La séance est levée.)


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