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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 28 - Témoignages du 2 avril 2015


OTTAWA, le jeudi 2 avril 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 32, Loi sur la Charte des droits des victimes et modifiant certaines lois, se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour procéder à l'étude article par article du projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Translation]

Le président : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, à nos invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous nous réunissons aujourd'hui pour terminer notre étude du projet C-32, Loi sur la Charte des droits des victimes et modifiant certaines lois. Nous allons procéder à l'étude article par article du projet de loi. Il s'agit de notre quatrième séance sur le sujet.

Je rappelle à ceux qui suivent les délibérations que les séances du comité sont ouvertes au public et qu'elles peuvent être visionnées sur le Web, à l'adresse sen.parl.gc.ca. Vous trouverez de plus amples renseignements sur l'horaire des témoins sous la rubrique « Comités du Sénat ».

Avant de commencer, j'aimerais informer les membres du comité qu'un certain nombre de fonctionnaires de divers ministères concernés par ce projet de loi sont ici pour éventuellement répondre à nos questions techniques. Nous accueillons aujourd'hui, représentant Justice Canada, Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal; et Pamela Arnott, directrice et avocate-conseil, Centre de la politique concernant les victimes. Nous recevons également les représentants de Sécurité publique Canada, Daryl Churney, directeur, Division des affaires correctionnelles et de la justice pénale; Christy Hitchcock, analyste principale des politiques, Division des affaires correctionnelles et de la justice pénale; et Hasti Kousha, avocate, Services juridiques. Nous avons ensuite Suzanne Brisebois, de la Commission des libérations conditionnelles du Canada; Carl Desmarais, de l'Agence des services frontaliers du Canada, Carl Desmarais; et Don Head, commissaire du Service correctionnel du Canada, accompagné de Claude Pilon, avocat.

Avant de procéder à l'étude article par article, j'aimerais céder la parole aux membres du comité. S'ils souhaitent adresser des questions aux fonctionnaires, je pense que c'est le bon moment.

Sénateur Baker, avez-vous des questions?

Le sénateur Baker : J'aimerais que Mme Morency me donne plus d'information au sujet des dispositions relatives au dédommagement. Il en est question aux articles 16 et 17. Lorsqu'on voit la mise en œuvre de ces deux articles plus loin dans le projet de loi, on constate que les dispositions relatives au dédommagement qui figurent déjà dans le Code criminel y demeurent; est-ce exact? Aux termes des dispositions du Code criminel, qui sont les mêmes que ce qui est prévu dans ce projet de loi, le juge « peut » et non « est tenu »; autrement dit, le juge peut exercer son pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit d'accorder un dédommagement. J'aimerais savoir si on a déjà envisagé la possibilité de remplacer le mot « peut », que l'on trouve actuellement dans le Code criminel, par « est tenu » afin que cela corresponde au projet de loi?

La raison pour laquelle je pose la question, c'est parce que tous les témoins que nous avons entendu avaient l'impression qu'il y avait une disposition obligatoire, que c'était en quelque sorte obligatoire. Pourriez-vous vérifier que même si on utilise le terme « est tenu », cela se rapporte à ce qui figure dans le Code criminel, c'est-à-dire que le tribunal « peut »?

Pamela Arnott, directrice et avocate-conseil, Centre de la politique concernant les victimes, ministère de la Justice Canada : Je serais ravie de répondre à cette question, sénateur.

Si vous prenez l'article 29 du projet de loi, qui crée l'article 737.1, on dit que le tribunal « est tenu d'envisager... ». Cet article va précéder l'article 738.

L'article 738 indique au tribunal les types de dommages ou de pertes, si vous voulez, qui peuvent faire l'objet d'un dédommagement. Par conséquent, dans le Code criminel, le libellé deviendra « est tenu d'envisager la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement. »

Le sénateur Baker : Toutefois, à l'heure actuelle, le tribunal « est tenu » d'envisager la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement en vertu de l'article 738, ce qui donne au juge le pouvoir discrétionnaire d'accorder un dédommagement.

Mme Arnott : C'est exact.

Le sénateur Baker : A-t-on envisagé ou est-ce problématique d'étoffer les dispositions qui figurent déjà dans le Code criminel pour ce qui est des ordonnances de dédommagement? Nous avons examiné cette question en détail lors d'une réunion précédente. Selon la formule relative au dédommagement du Code criminel, cet article s'applique à la fraude. Il renvoie précisément à l'article 380 du Code criminel. En vertu de cet article, dans une affaire de fraude, il est essentiel de prouver qu'il y a eu perte.

Cela fait partie de la décision du tribunal; il doit être parfaitement clair qu'il y a eu une perte, laquelle peut ensuite être décrite dans la formule qui se trouve dans le projet de loi. Nous modifions seulement le haut de la formule. Nous ne modifions pas le libellé qui s'applique à la fraude, aux éléments essentiels qui ont été évalués. Si une personne est reconnue coupable, le tribunal ordonne un dédommagement en se fondant sur les éléments de preuve qui lui ont été soumis.

Maintenant, nous nous retrouvons dans une situation où le juge doit écouter et se prononcer sur quelque chose de complètement nouveau, alors qu'il n'y a peut-être pas eu de perte dans le cadre des poursuites, mais nous utilisons toujours la même formule qui, dans ce cas, se limiterait à des reçus — des reçus d'autobus ou de taxi. Je crois qu'une des dispositions du Code prévoit qu'il pourrait y avoir des dépenses extraordinaires si, par exemple, la personne devait se trouver un nouveau logement. Seules les dépenses limitées seront prises en considération en vertu de ce projet de loi.

Malheureusement, c'est ce que nous appelons des dommages. Il peut y avoir des dommages physiques et psychologiques. C'est ce que prévoit le projet de loi. D'aucune façon, les dommages psychologiques ne sont pris en considération dans cette formule.

Voici donc ma question : a-t-on envisagé ou est-ce problématique d'étendre le dédommagement prévu dans ce projet de loi qui permettrait aux victimes de croire qu'elles pourront obtenir un dédommagement pour leurs dommages psychologiques? C'est ce que nous avons entendu hier au comité. Y a-t-on réfléchi ou croyez-vous qu'il y a un problème à cet égard?

Pouvez-vous répondre à la question? Vous n'êtes pas obligée de répondre.

Mme Arnott : Je serais ravie de répondre à cette question, sénateur. Je crois que la réponse comporte plusieurs volets.

Tout d'abord, d'après ce que j'ai entendu, les témoins ne semblaient pas faire la distinction entre le dédommagement et l'indemnisation. Lorsqu'on entend des témoins parler de possibilité de recevoir un paiement pour des torts psychologiques, ils font allusion à l'indemnisation. L'indemnisation n'est pas fournie par le gouvernement fédéral, mais bien par les provinces et les territoires. Il s'agit d'un paiement que le gouvernement verse à une victime.

Le dédommagement fait partie, au contraire, de la peine du contrevenant. Vous avez raison de dire qu'il se limite à des types précis de dommages et de pertes, qui sont tous énoncés à l'article 738 du Code criminel. Le dédommagement fait partie de la peine prononcée par le juge. Le juge rendra sa décision en tenant compte de tous les principes de détermination de la peine.

Par ailleurs, nous n'apportons aucune modification aux types de dommages pour lesquels un dédommagement peut être ordonné. Ceux-ci sont énoncés aux alinéas a), b), c), d) et e) de l'article 738. Nous proposons plutôt de modifier l'applicabilité ou l'application d'une ordonnance de dédommagement.

Le sénateur Baker : J'ai une dernière question. L'ordonnance de dédommagement est rendue par le juge. La disposition du projet de loi dit que si aucun paiement n'est versé, cela peut devenir une ordonnance par le simple fait d'intenter des poursuites au civil dans la province en question.

Hier, nous avons entendu un avocat spécialisé dans les cas de préjudice personnel qui nous a confirmé que, dans le cadre d'une poursuite au civil, les types de dommages sont très différents de ce qui figure dans le Code. Autrement dit, ici, on ne met pas en cause la perte de jouissance de la vie, les souffrances et douleurs, les futures pertes ou les dépenses pour des services de consultation psychologique ni les torts d'ordre physique ou mental. L'ordonnance de dédommagement ne prévoit rien de tout cela.

Lorsqu'on intente une poursuite au civil, le tribunal peut ordonner qu'un dédommagement soit accordé. Toutefois, au moment où le paiement est versé, l'avocat de l'autre partie dit : « Voici votre argent et vous devez signer sur la ligne pointillée pour attester que cela nous dégage de toute autre responsabilité à l'avenir. » C'est la procédure normale.

A-t-on songé à inscrire dans cette loi, ou dans une future loi, une disposition selon laquelle cette ordonnance de dédommagement ne pourrait être considérée par le tribunal comme étant la conclusion définitive de l'affaire, de manière à ce qu'il n'y ait pas d'influence?

Le témoin que nous avons entendu aujourd'hui est un expert du droit en matière de préjudices corporels. Nous comprenons le droit relatif aux préjudices corporels, mais une fois qu'une ordonnance est rendue, qu'un jugement final est rendu par le tribunal, vous devez signer une renonciation pour obtenir votre argent. Si vous signez la renonciation, vous n'avez plus aucun recours à l'avenir. Toutes ces personnes qui obtiendront un dédommagement en vertu de ce projet de loi ne pourront pas intenter d'autres poursuites relativement aux pertes qu'elles ont subies. Elles ne sont pas nécessairement guéries. Elles ont peut-être subi des torts irréparables, comme c'est le cas dans les affaires relatives à des préjudices corporels.

A-t-on envisagé ou proposé de faire en sorte que cette ordonnance de dédommagement ne soit pas un règlement final et définitif dans les poursuites au civil?

Mme Arnott : La première chose que je dirais, sénateur, c'est que nous exerçons le pouvoir de légiférer en droit criminel pour présenter ce projet de loi. Nous ne voulions délibérément pas nous aventurer dans le droit ou les recours civils.

Ensuite, comme vous le savez, les principes entourant les dispositions relatives au dédommagement concernent les pertes pouvant être déterminées facilement par le tribunal et directement liées à la perpétration de l'infraction.

Certains exemples que vous avez donnés devraient être fondés sur une norme de preuve différente s'ils étaient portés devant un tribunal pénal. Ce ne sont pas des choses qui figurent dans la jurisprudence ni dans les types de dommages qui peuvent être invoqués au titre du droit criminel.

Le sénateur Baker : Merci.

[English]

Le sénateur Boisvenu : Madame Arnott, les victimes qui sont venues témoigner étaient préoccupées par le mécanisme de plainte. À mon avis, ce mécanisme est l'élément clé du projet de loi, qui fera en sorte qu'au cours des prochaines années, on pourra bonifier le projet de loi en cernant les lacunes à partir des plaintes. J'aimerais savoir qui établira ce mécanisme de plainte. Est-ce qu'il sera identique d'un ministère à l'autre? Comment les victimes seront-elles informées qu'elles peuvent déposer une plainte et de la façon dont elles peuvent la déposer?

Mme Arnott : Le mécanisme de plainte sera établi par chacun des ministères en fonction de leurs opérations, de leurs responsabilités et de leur mission. Le gouvernement compte mettre en place un site web centralisé qui fournira divers renseignements aux victimes, tels que l'endroit où déposer une plainte, le mécanisme de plainte à utiliser, et les recours auxquels elles peuvent s'attendre à la suite d'une plainte.

Le sénateur Boisvenu : À l'article 25, on dit que, lorsque la victime aura épuisé tous ses recours... Par exemple, elle a déposé une plainte à la Commission des libérations conditionnelles, et elle n'est pas satisfaite. L'article stipule donc ceci :

(2) Toute victime qui a épuisé les recours prévus par le mécanisme d'examen des plaintes et qui n'est pas satisfaite de la réponse du ministère, de l'agence ou de l'organisme fédéral peut déposer une plainte auprès de toute autorité compétente pour examiner les plaintes concernant ce ministère, cette agence ou cet organisme.

Est-ce que le bureau de l'ombudsman jouera un rôle à ce niveau?

Mme Arnott : C'est exact, en ce qui concerne les libérations conditionnelles et les services correctionnels. Cependant, étant donné le nombre d'agences et de personnes qui sont impliquées dans le processus de justice pénale, on ne pouvait préciser dans l'article toute l'étendue des autorités. Par exemple, s'il s'agit d'une plainte contre un avocat fédéral de la section des poursuites, la plainte peut être déposée devant le barreau de cet avocat ou devant la gestion des services de poursuites fédérales. Donc, on ne peut pas préciser l'étendue des autorités. C'est la raison pour laquelle l'article en question mentionne l'« autorité compétente ».

Le sénateur Boisvenu : J'ai une dernière question à poser. Est-ce qu'il y aura, de façon annuelle ou périodique, un bilan des plaintes déposées par rapport à chaque organisme ou ministère pour nous permettre en tant que législateurs de voir à l'amélioration de la charte?

Mme Arnott : C'est une question qui relève de la gestion de chaque agence ou ministère. Je crois comme vous que le processus de recours servira d'outil d'apprentissage et de correction pour les ministères.

Le sénateur Boisvenu : D'accord. Je vous remercie.

[Translation]

Le sénateur Joyal : Je vous souhaite la bienvenue. J'ai deux groupes de questions. Mes premières questions portent sur les articles 23 et 24 du projet de loi, que l'on retrouve aux pages 22 et 23. À l'article 23, il est question de la « collectivité ».

[English]

Il s'agit de « collectivité » en français.

[Translation]

L'article 23 se lit comme suit :

Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d'autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

a) dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;

J'insiste ici sur les termes « tort causé à la collectivité. »

L'article 24 est un amendement à l'article 718.2 du Code :

e) l'examen [...] de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité...

Autrement dit, il est ici question du tort causé à la collectivité.

J'ai vérifié dans le Code criminel, et la définition de « collectivité » n'y figure pas. Sur quels critères se fonde-t-on pour définir ce qu'est la collectivité? Est-ce le quartier, le village, la ville, la province, le pays? Combien de gens sont touchés au sein de la collectivité? Qui est visé? De quelle façon mesure-t-on les dommages infligés à la collectivité? Il me semble qu'on introduit ici un concept extrêmement vague dans le Code criminel.

Comme vous le savez, étant donné qu'il est ici question de la détermination de la peine, lorsqu'une victime veut faire une déclaration, le juge qui devra évaluer le tort causé à la collectivité se retrouve avec un concept flou; il n'a pas de critère objectif sur lequel se fonder. Je pense notamment à certains dossiers très médiatisés. Évidemment, lorsqu'il y a un grand battage médiatique, nous savons que la collectivité est informée, mais il y a beaucoup d'autres cas où l'affaire est seulement portée devant les tribunaux, où les médias sont absents et où, par conséquent, on ne porte pas préjudice à la collectivité, parce que cela demeure plus ou moins confidentiel.

Il me semble que ce concept est tellement vague qu'il sera difficile pour le juge de se prononcer sur les notions de « collectivité » et de « tort causé à la collectivité ». Qui sont les personnes lésées au sein de la collectivité? Qui ne l'est pas? Selon moi, il faudrait définir ce terme plus clairement pour permettre au tribunal de déterminer l'étendue des dommages et d'imposer une peine conformément à ce que prévoit le projet de loi.

Mme Arnott : Sénateur, si vous me le permettez, je vais vous parler de la notion de collectivité, puis je vais laisser mon collègue vous entretenir de la détermination de la peine qui, si je ne me trompe pas, était à la base de votre question.

Aux termes du Code criminel actuel, les tribunaux doivent déjà déterminer ce qu'est une collectivité dans le cas d'une déclaration de la victime. Dans la jurisprudence, les tribunaux ont défini la notion de collectivité de différentes façons. La collectivité pouvait se définir comme une collectivité des Premières Nations, lorsqu'une déclaration faite au nom de la collectivité a été présentée relativement aux répercussions d'un crime lié à la drogue ou d'un père reconnu coupable de négligence criminelle envers ses enfants.

Le sénateur Joyal : La collectivité était la famille.

Mme Arnott : Dans un cas, c'était la famille; dans l'autre, c'était la bande des Premières Nations. Dans d'autres cas, c'est la municipalité qui a présenté une déclaration des répercussions découlant, encore une fois, d'un crime lié à la drogue, plus précisément d'un vol d'électricité.

La collectivité peut également être un groupe religieux. Par exemple, une synagogue a présenté une déclaration des répercussions des crimes haineux sur cette communauté religieuse. Par conséquent, les tribunaux peuvent désormais utiliser leur pouvoir discrétionnaire et faire preuve de souplesse pour évaluer les répercussions des dommages causés par l'infraction.

Pour remédier à l'imprécision du concept de « collectivité », nous proposons notamment d'obliger la personne qui souhaite présenter une déclaration au nom de la collectivité à préciser au tribunal pourquoi elle est autorisée à le faire. Représente-t-elle un organisme de bienfaisance reconnu? Est-elle le chef héréditaire de ce groupe? Nous avons indiqué dans la déclaration que la personne doit être en mesure de justifier la présentation de sa déclaration.

Le sénateur Joyal : Autrement dit, il s'agit de déterminer à quel point ces gens sont « représentatifs » de la collectivité. Il reviendra au juge d'établir si la personne ou le groupe a qualité pour déposer une déclaration au nom d'une collectivité.

Mme Arnott : C'est exact.

Le sénateur Joyal : C'est donc très subjectif.

Mme Arnott : Oui.

Le sénateur Joyal : Comme vous le dites, concernant la « collectivité », il peut s'agir d'une famille, d'un quartier ou d'une Première Nation. Eh bien, une Première Nation pourrait vivre dans une réserve et aux frontières et parfois dans un endroit éloigné dans une réserve.

Toutefois, il y a de nombreux cas. La plupart des crimes sont commis dans de grandes villes. Comme je l'ai déjà dit, ce sont vraiment les médias qui alertent les gens à cet égard; ils peuvent alors se sentir lésés. Il me semble que ce concept est tellement vague qu'il ouvrira la porte à une appréciation subjective de la part des tribunaux et qu'il sera très difficile d'arriver à certaines conclusions, de savoir avec certitude qui est habilité à le faire et de savoir comment évaluer une déclaration au nom d'une collectivité.

Le sénateur Baker : J'ai une question à poser sur le sujet dont parle le sénateur Joyal. Je suis sûr qu'en vous écoutant, il lui est venu la même chose que moi à l'esprit. Lorsqu'une requête est présentée à un tribunal ayant compétence en matière pénale, la question de la qualité pour agir se pose toujours. Il faut avoir qualité pour participer à la procédure.

Ces choses nécessitent habituellement une audience complète. Des jugements rendus par le tribunal ne visent qu'à déterminer si une personne ou un organisme a la qualité requise. Combien de temps faut-il à la Cour suprême pour déterminer si une organisation, un organisme communautaire ou une personne parlant au nom d'une collectivité a la qualité requise? C'est ce qui se passe dans chaque tribunal.

Doit-on comprendre alors que le juge déterminera si les personnes qui déposent des déclarations au nom d'une collectivité ont qualité pour le faire? Si c'est le cas, cela ne fera-t-il pas en sorte que la durée d'un procès sera prolongée, ce qui le rendra impossible? La période déterminée lorsqu'un procès commence et se termine, c'est lorsque l'accusation est portée, lorsque le plaidoyer est déposé et lorsque la détermination de la peine a été effectuée. Cela fera partie du processus de détermination de la peine. Cela fera partie de l'audience de détermination de la peine.

Le sénateur Joyal n'a-t-il pas raison de demander qui est habilité à le faire? Il n'est pas possible qu'une personne puisse simplement remplir un formulaire que nous lui avons donné et qui est intitulé « Déclaration au nom d'une collectivité » et qu'une personne présente un formulaire qui va complètement à l'opposé de celui-ci et que les deux représentent le même organisme ou la même collectivité. Il faut que ce soit jugé en fonction de la qualité pour agir.

Le sénateur Joyal n'a-t-il pas raison de dire que cela prolongera les audiences de détermination de la peine, que c'est possible? N'y a-t-il pas un mécanisme que nous pourrions établir dans le cadre du projet de loi pour raccourcir le processus de sorte que les gens qui commettent les pires crimes au pays ne puissent plus s'en tirer simplement parce que le procès a été trop long?

Mme Arnott : Tout d'abord, sénateur, je dirais que ce dont nous parlons ici concernant les déclarations de la victime, les déclarations au nom d'une collectivité, comme vous le dites, c'est de la partie liée à la détermination de la peine. Les modifications que nous proposons n'ont pas de conséquences sur la durée d'un procès, de toutes les parties.

Le sénateur Baker : Or, la Cour suprême du Canada a clairement... D'accord, allez-y. Cela fait partie des procédures, Votre Honneur.

Le président : Nous revenons au sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Je voulais le soulever parce qu'il me semble qu'on entre en terrain inconnu, que cela n'a pas été bien défini par les tribunaux jusqu'à maintenant et que cela causerait certains problèmes.

Mon autre question concerne l'essence du projet de loi. Elle porte sur la définition de « victime » qui figure à l'article 2, dans la partie intitulée « Définitions et interprétations », à la page 2. À la ligne 27, voici comment on définit « victime » : « [p]articulier qui a subi des dommages — matériels, corporels ou moraux ou des pertes économiques par suite de la perpétration ou prétendue perpétration d'une infraction ». Elle comporte une évaluation de ce qui a été subi. Il faut que la personne ait subi quelque chose.

Qui le détermine? Nous sommes en train d'établir une charte de droits. Pour bénéficier des quatre droits qu'il contient, il faut que la personne soit une victime. C'est le principe sur lequel se base le projet de loi. Qui détermine qu'une personne est une victime? À mon sens, c'est un élément fondamental. Comment prouve-t-on qu'on a subi quelque chose? Quelqu'un pourrait dire qu'on n'a rien subi. Si une personne dit qu'elle a subi des dommages matériels, on pourrait lui dire que ce n'est pas vrai.

En d'autres termes, ce concept laisse entendre qu'on se manifeste, qu'on affirme avoir subi quelque chose, qu'on est une victime et qu'on a le droit de bénéficier des droits énoncés dans le projet de loi. J'essaie de comprendre sur quels fondements repose le projet de loi et de quelle façon quelqu'un pourrait soutenir qu'il ne s'agit pas d'une victime, car le projet de loi prévoit qu'une fois qu'on est une victime, on a le droit de bénéficier d'un certain nombre de droits.

Nous sommes confrontés à l'idée de dommages, qui est fluide dans différentes provinces. Il me semble que si, en tant que membres d'une société, nous établissons qu'une victime a un droit — ce que j'approuve —, nous devons nous assurer que lorsqu'une personne se déclare victime, il est possible de le confirmer ou de le vérifier.

J'ai lu la partie qui contient les dispositions commençant par « Attendu » pour vérifier si un autre élément est lié à cela, mais je n'ai pas trouvé de réponse à mes questions concernant cet élément conceptuel du projet de loi.

C'est un projet de loi important. Je ne sous-estime certainement pas son importance relativement à ce qu'on demande au Parlement de faire dans le cadre de l'établissement de ces droits. Toutefois, en établissant ces droits, il faut définir la personne qui les a. Dans notre Charte des droits et libertés, le simple fait d'être un individu, un être humain, qui est un critère objectif, signifie qu'on a ces droits ou que les citoyens ont tel droit. Le concept de « citoyen » est mesurable. Or, dans ce cas-ci, c'est lié à quelque chose qui a été subi. Donc, qui devrait pouvoir confirmer qu'une personne a subi quelque chose? C'est cet élément qui établit le lien entre la personne et les dommages qui ont été causés.

Voilà pourquoi j'estime que du point de vue conceptuel, il manque encore quelque chose pour établir les droits sur des fondements plus solides pour l'indemnisation qui vient ensuite. Je ne sais pas si on me comprend bien, mais c'est ce à quoi j'ai réfléchi après l'avoir relu. Je me demande si nous ancrons ces droits de la façon la plus irrévocable.

Mme Arnott : Sénateur, vous avez raison de dire que les dommages ou les pertes constituent une partie très importante de la définition de « victime ». L'autre partie importante, c'est la perpétration ou la prétendue perpétration d'une infraction. Nous parlons donc d'un acte criminel. C'est tout à fait subjectif en ce sens qu'une personne peut dire qu'il lui est arrivé quelque chose. Elle le déclare à la police, qui dira : « Je ne pense pas que cela vous est arrivé. » Toutefois, c'est vraiment fondé sur l'idée qu'il s'agit d'un acte criminel, qui a causé des pertes ou des dommages.

Pour ce qui est de déterminer qui décidera, les questions liées aux droits se posent à différents endroits dans le système. Une victime s'adresse à un organisme chargé de faire appliquer la loi. Il appartiendra à cet organisme de déterminer qu'un acte criminel a été commis, que des dommages ont été subis et que telle personne les a subis. Il a la capacité de le déterminer. Nous ne changeons pas cet aspect. C'est ainsi que les choses se passent à l'heure actuelle.

De la même façon, la Couronne ou les autorités correctionnelles effectuent la même analyse. Telle personne, qui a été identifiée par la preuve, a fait l'objet d'une infraction telle que définie par le Code criminel, et voici les dommages et les pertes subis.

Le dernier point que je veux soulever, sénateur, c'est que le projet de loi ne porte en rien sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Les droits que nous prévoyons concernant l'aspect financier portent sur une possible ordonnance de dédommagement. Or, l'indemnisation et la définition de « victime » concernant l'indemnisation se trouvent dans les lois provinciales et territoriales, et chacune a ses nuances.

La sénatrice Batters : Je veux revenir à la question que le sénateur Baker a posée. Il a nommé un certain nombre de types de dommages. Tous les dommages dont il parlait — nous en avons discuté auparavant dans le processus d'audience — sont des dommages non pécuniaires. Le projet de loi porte sur des dommages pécuniaires, qui sont plus faciles à évaluer. Je me demande si vous pourriez nous expliquer pourquoi, dans le cadre de ce moyen de dédommagement, on permet les requêtes pour ce type de pertes, plus faciles à évaluer, et non pas les autres types de dépenses, plus difficiles à évaluer.

Mme Arnott : Merci, sénatrice. Les dommages pécuniaires qui font bien l'objet d'une ordonnance de dédommagement se trouvent à l'article 738, aux alinéas a) à d). Ces catégories de dommages sont les éléments qui sont facilement déterminés. La raison pour laquelle la loi prévoit ces catégories de dommages est en partie liée au temps, c'est-à-dire que la peine est imposée à l'intérieur d'une période donnée après que l'infraction a été commise, alors que certains des dommages dont le sénateur Baker ou vous-même avez parlé sont des dommages qui n'ont peut- être pas été calculés ou connus au moment de la détermination de la peine. Encore une fois, parce que cela fait partie de la peine, le tribunal a la responsabilité d'adopter une approche équilibrée et d'appliquer le principe de totalité. Un tribunal ne pourrait pas émettre une ordonnance pour des pertes de revenu ou des souffrances ultérieures qui seraient difficiles à évaluer dans le cadre de la sentence.

La sénatrice Batters : Oui.

Par exemple, ce serait facile à évaluer dans un cas où, par exemple, un délinquant est entré par effraction chez quelqu'un en cassant une fenêtre. Est-ce que cette fenêtre cassée correspond au type de dommage pour lequel une personne pourrait faire une requête en dédommagement?

Mme Arnott : Absolument.

La sénatrice Batters : Le projet de loi prévoit un processus plus facile pour ce qui pourrait constituer un plus petit montant pour lequel une victime n'aurait pas les moyens financiers de s'engager dans un procès, dans un processus faisant appel aux tribunaux civils, pour obtenir ce type de dédommagement. Est-ce là la raison?

Mme Arnott : Absolument. C'est exact.

La sénatrice Jaffer : J'ai deux questions très brèves. Quelque chose me préoccupe au sujet du projet de loi. C'est un très bon projet de loi et je l'appuie, mais à quel moment définit-on une victime? Après la condamnation? C'est que normalement, il y a un plaignant. Cela me pose problème.

Je vais poser ma deuxième question également. Des procureurs nous ont dit — et je me fie aussi à mon expérience dans ma propre province —, qu'ils sont pressés et qu'ils ont beaucoup de travail. Vous disiez que pour les questions liées à la victime, ce serait après la condamnation. Si je comprends bien, hier, une procureure chevronnée a dit que si une personne plaide coupable, par exemple, il faudra que le procureur consulte la victime. C'est donc avant la condamnation. À mon avis, cela aurait pour effet de retarder le procès.

J'aimerais que vous nous donniez des explications à cet égard, s'il vous plaît.

Mme Arnott : J'en serai ravie, madame la sénatrice.

Si j'ai bien compris, votre première question est la suivante : À quel moment la victime est-elle définie comme telle? C'est l'autorité à laquelle la victime affirme quelque chose qui la définit comme telle. Ainsi, comme je l'ai dit au sénateur Joyal, si une personne croit qu'un acte criminel a été commis, qu'elle en a été victime et qu'elle a par conséquent subi des dommages ou des pertes, elle cherchera à obtenir des services ou de l'information auprès d'une autorité. Dans l'exemple de l'organisme de l'application de la loi, il faudra des motifs raisonnables de croire qu'un acte criminel a été commis.

En ce qui concerne ce qui a été dit au sujet de la négociation de plaidoyers, des accords conclus et des modifications proposées dans le projet de loi, les modifications n'exigent pas qu'une victime accepte un tel accord. Selon la modification proposée, dans la mesure du possible — et nous avons choisi ce libellé de façon très délibérée —, le procureur doit consulter la victime et discuter avec elle de ce qui est proposé. C'est que, comme nous l'avons clairement entendu dans les consultations, les victimes ne voulaient pas un veto, mais elles voulaient comprendre. Elles voulaient obtenir de l'information sur les raisons de l'accord et sur le moment choisi. On était d'avis que la plupart des procureurs étaient ouverts à avoir ces discussions, tout en sachant que, comme vous le dites, la plupart d'entre eux ont une charge de travail très lourde. Dans les dispositions, nous avons prévu des mesures de protection qui font en sorte que s'il n'est pas possible pour un procureur de discuter avec la personne à l'avance, il doit le faire dans les meilleurs délais, après que le tribunal ait accepté le plaidoyer.

Le sénateur White : Je vous remercie de votre présence. Je veux parler de la déclaration au nom d'une collectivité, si vous me le permettez.

J'ai vu des juges accepter une collectivité comme victime, en particulier dans des causes liées à la drogue, à des narcotrafiquants qui mènent leurs activités dans un secteur précis, mais souvent, les gens à qui ils permettent de s'exprimer devant le tribunal sont les plaignants, les victimes du crime. Donc, c'est le lien pour le tribunal. J'essaie de déterminer si les dispositions répondront aux besoins dans ce cas. Toutefois, dans d'autres causes qui portent sur les actes de gens comme Ed Horne, un enseignant qui a agressé sexuellement des centaines d'enfants dans le Nord, il a fallu des décennies pour que nous réussissions à faire témoigner un représentant de la collectivité sur les effets à long terme que les actes commis par cet individu ont eus sur la collectivité. D'une part, c'est parce qu'il n'y avait pas de lien direct avec la collectivité, mis à part avec les gens, et d'autre part — je suppose —, parce que la collectivité essayait de s'identifier presque comme un particulier; l'impact global qu'Ed Horne a eu sur Kimmirut, par exemple. J'imagine que dans ces types de causes, le juge serait au moins en mesure de tenir compte des répercussions qu'ont eues, de façon globale, les actes de l'agresseur sur la collectivité. C'est vraiment notre objectif ici.

Mme Arnott : C'est exact, sénateur. Selon la disposition du projet de loi, le tribunal prendrait en considération une déclaration préparée par un particulier au nom d'une collectivité et décrivant les dommages ou les pertes causés à la collectivité. Nous essayons de signifier clairement au tribunal qu'il peut prendre en considération les torts causés à la collectivité, et non uniquement les torts causés à des particuliers.

Le sénateur White : Dans bien des cas de mauvais traitements subis par des Autochtones dans les pensionnats, j'ai constaté que les collectivités auraient aimé s'exprimer au sujet des répercussions de ces crimes. Nous aurions pu réussir si la collectivité avait fait cela 30 ans après le crime, par exemple.

Mme Arnott : Oui.

La sénatrice Fraser : J'ai deux questions, et j'imagine que vous pourrez y répondre très facilement.

Pour revenir à la question de la définition de « victime » et de la prétendue perpétration d'une infraction, vous vous souviendrez peut-être que la dernière fois que nous étions tous réunis ici, cela me préoccupait un peu. J'aimerais que vous précisiez quelque chose.

Si j'ai bien compris, vous dites qu'aux fins de ce projet de loi, le terme allégation ne s'applique pas lorsqu'une personne se présente aux autorités policières et allègue être victime de fraude, par exemple. Aux fins de ce projet de loi, la définition d'allégation s'applique une fois que les autorités ont établi qu'il y a eu infraction et que la personne concernée a subi des conséquences à la suite de ladite infraction. Vous voyez la différence? Ce n'est pas suffisant de simplement dire que mon voisin m'a fait du tort.

Mme Arnott : J'aimerais apporter une précision, si vous me le permettez.

L'allégation doit concerner une infraction criminelle et ensuite, comme vous le soulignez, les autorités — encore une fois, les organismes d'application de la loi — doivent avoir un doute raisonnable. Donc, si une personne a une maladie mentale et distord la réalité, les droits ne s'appliqueraient pas.

Le sénateur Joyal : Il doit y avoir un plaignant et une plainte. Pour être victime, une personne doit déposer une plainte.

La sénatrice Fraser : Mais, les dispositions du projet de loi ne s'appliquent pas simplement parce qu'une personne dépose une plainte. C'est ce que j'essaie de dire, et je crois que vous venez de me donner raison.

Mme Arnott : Oui. Il faut, un, que la plainte concerne une infraction criminelle, et, deux, qu'elle soit ancrée dans la réalité. Il doit y avoir un lien réciproque — les autorités doivent avoir un doute raisonnable ou prendre une décision en fonction des preuves.

La sénatrice Fraser : Ma prochaine question en est vraiment une de profane. Qu'arrive-t-il si l'affaire est portée en appel et que la déclaration de culpabilité est annulée? J'imagine, par exemple, que les ordonnances de restitution ne pourraient pas être exécutées tant que le processus d'appel n'est pas terminé, mais qu'en est-il, notamment, des informations fournies par Service correctionnel? Les droits deviennent-ils subitement caducs parce que la déclaration de culpabilité a été annulée?

Mme Arnott : Je vais demander à M. Head de vous répondre concernant Service correctionnel. Ce que je peux vous dire, c'est que les droits s'appliquent à un moment précis. Le droit de la victime aux informations relatives à l'enquête, au procès et au processus demeure en vigueur.

La sénatrice Fraser : Pendant le processus.

Mme Arnott : C'est exact.

La sénatrice Fraser : J'imagine que M. Head a la garde du délinquant et que la Cour d'appel dit non.

Don Head, commissaire, Service correctionnel Canada : Vous avez raison. Si le tribunal libère le délinquant et qu'un nouveau procès est amorcé, nous ne sommes plus responsables du délinquant. Donc, ces dispositions ne s'appliqueraient pas. Nous communiquons aux victimes des informations relatives au délinquant uniquement s'il est sous notre responsabilité.

Le président : D'autres commentaires? Ce fut une discussion assez approfondie.

Le sénateur Joyal : J'ai bien réfléchi et, en me basant sur ce projet de loi, j'ai tenté de trouver une référence à d'autres droits canadiens. Par exemple, au Canada, les citoyens ont le droit de voir leur santé protégée. Dans l'affaire Chaoulli, que certains d'entre vous connaissent peut-être, la Cour suprême a jugé que les citoyens ont droit à des soins de santé. Si l'État ne peut pas leur fournir des soins de santé, ils peuvent aller dans le secteur privé et le gouvernement les remboursera.

Dans le cas qui nous concerne, nous reconnaissons que les victimes ont des droits, mais à quel moment ont-elles droit à une compensation? À l'article 2, le dernier point sur la page 1 dit :

[Attendu] que la prise en considération des droits des victimes sert la bonne administration de la justice;

À mon avis, selon l'objectif de ce projet de loi, le terme « justice » signifie qu'une victime, en fonction de ses droits, qui subit un préjudice a droit à une compensation. On ne peut pas mettre en place un système qui reconnaît aux victimes le droit de participer, d'être entendues, d'obtenir des informations et de se prévaloir de recours, mais qui ne propose aucune conclusion. C'est la raison pour laquelle je crois que ce système doit être établi de la même façon dont l'a été le système de soin de santé; pour ce système, le gouvernement fédéral avait besoin des provinces pour assurer la prestation des soins de santé. La même logique s'applique dans ce cas-ci; il faut reconnaître qu'une victime a vu ses droits en tant que citoyenne canadienne être brimés, ce qui lui donne droit à une compensation.

Vous avez peut-être raison de dire que ce projet de loi constitue une première étape, mais il n'épouse pas le concept sur lequel il s'appuie concernant les victimes. Il s'agit d'une Charte des droits des victimes. Donc, si c'est une charte, elle a une certaine signification.

Mme Arnott : Encore une fois, sénateur, nous ne tentons pas d'établir un droit à la compensation dans ce projet de loi. La compensation est régie par la législation et les programmes provinciaux et territoriaux.

Je souligne également que, lors de nos consultations sur cette mesure législative, les victimes — bon nombre d'entre elles, mais pas toutes — ont fait savoir qu'elles ne voulaient pas de compensation financière. Elles veulent pouvoir obtenir des informations et éviter à quiconque de subir le même préjudice qu'elles, que ce soit l'infraction elle-même ou le fait de ne pas obtenir d'informations en temps opportun de la part de la Couronne ou des autorités policières. Elles souhaitent voir ce problème réglé.

Le sénateur Joyal : Je ne veux pas en discuter plus longtemps, car le temps file, mais ce que vous dites, c'est que puisque certaines victimes ne cherchent pas à obtenir une pleine compensation, il n'est pas nécessaire d'établir la question de compensation dans ce projet de loi.

Ce que je dis, c'est que pour établir les droits des victimes — toutes les victimes, peu importe qui elles sont, peu importe les circonstances... au bout du compte, la victime doit avoir droit à une compensation, comme c'est le cas avec la Charte. La Charte s'applique aussi bien au gouvernement fédéral qu'aux gouvernements provinciaux, peu importe les circonstances.

Il me semble que le concept de victime, s'il est si important et je crois qu'il l'est... Pour les victimes, il doit y avoir — sans parler d'un objectif ultime — une conclusion. Si nous voulons que la société canadienne soit plus attentive et qu'elle ait une approche plus humaine à l'égard des victimes, il faudrait trouver une façon d'y arriver. Les déclarations « Attendu que » ne font rien pour nous engager dans cette direction.

Le président : Je crois que la question a été bien débattue.

Nous reviendrons à vous, sénateur Baker. Auparavant, j'aimerais donner à tous ceux qui le désirent l'occasion d'intervenir.

Le sénateur McInnis : Je vous ai posé cette question lors de la première journée de témoignages. L'expression « dommages moraux » dans la définition de « victime » m'inquiétait. C'est large.

Ce que vous m'avez dit — alors que mon temps était écoulé —, c'est que cette expression revient à six ou sept reprises dans le Code criminel. D'accord, mais cela ne justifie pas son utilisation dans cette mesure législative. C'est difficile, mais comme l'a souligné le sénateur Boisvenu, ce projet de loi, cette charte, évolue. Nous verrons si elle fonctionne bien.

Si j'ai bien compris, le gouvernement fédéral transférera des fonds aux provinces pour les compensations, puisque c'est leur compétence. J'ignore si des sommes seront mises de côté spécialement pour cela, mais il y aurait intérêt à ce que les fonds soient amplement suffisants.

Dans ma ville natale de Sheet Harbour, une petite ville, si une personne âgée était malheureusement victime de meurtre, de nombreuses personnes seraient touchées sur le plan émotionnel. Cela est-il compensable? Je l'ignore, mais je crois que le sénateur Joyal a soulevé une question qu'il faudra surveiller.

Mme Arnott : Je ne crois pas avoir autre chose à dire au sujet de la compensation, sénateur.

Le sénateur McInnis : Je le sais. Vous n'êtes pas obligée de me répondre.

Le sénateur McIntyre : Si j'ai bien compris, ce projet de loi n'est peut-être pas parfait, mais ce qu'il donne aux victimes, c'est un choix, et non un droit de veto. Il leur accorde des droits; il ne parle pas uniquement de principes. Pour aller un peu plus loin, il faudrait leur donner le droit de participer aux procédures, ce qui n'est pas le cas. C'est ainsi que je vois ce projet de loi. Il donne aux victimes un choix, et non un droit de veto.

Mme Arnott : Vous avez raison, sénateur. Dès le début, lorsqu'il a obtenu le portefeuille, le ministre de la Justice a indiqué que, selon lui, le fait d'accorder une participation plus importante aux victimes ne répondrait pas aux besoins qu'elles ont exprimés. Cela aurait un impact négatif ou très important sur les responsabilités des provinces et territoires dans l'administration de la justice. Comme vous le dites, ce projet de loi ne constitue qu'une première étape.

Le sénateur Baker : J'aimerais faire un dernier commentaire, monsieur le président, et souligner l'excellent travail de Mme Pamela Arnott au comité. Je tiens à la féliciter pour son témoignage et ses réponses à des questions très difficiles. J'aimerais aussi remercier Mme Morency et M. Head pour leur témoignage.

Monsieur le président, je voudrais simplement revenir sur notre discussion et les observations soulevées concernant le paragraphe 11b) de la Charte qui parle « d'être jugé dans un délai raisonnable. » En 2011, la Cour suprême a jugé que la période couverte par ce paragraphe s'étendait du plaidoyer au prononcé de la sentence.

Le président : Merci.

Tout a été dit. Nous allons maintenant passer à l'étude article par article.

Plaît-il aux membres de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-32, Loi sur la Charte des droits des victimes et modifiant certaines lois?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord.

L'étude du titre est-elle réservée?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord.

L'étude de l'article 1, le titre abrégé, est-elle réservée?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord.

Aux fins du vote, plaît-il aux membres de regrouper les articles restants selon la Table analytique du projet de loi C- 32? Bien entendu, si vous n'êtes pas à l'aise avec cette façon de procéder, nous procéderons article par article.

Le sénateur Joyal : Dans ce cas, monsieur le président, j'ai l'intention de proposer des amendements aux articles 25, 28 et 29, que l'on retrouve aux pages 7 et 8, lors de la troisième lecture du projet de loi. Je vais donc m'abstenir au moment du vote sur ces articles, tout comme pour les articles 23 et 24 que l'on retrouve aux pages 22 et 23. J'aurai également des amendements à proposer pour ces articles.

Le président : Les articles 23 et 24, aux pages 22 et 23?

Le sénateur Joyal : C'est exact.

Je ne m'oppose pas au projet de loi, mais je préfère m'abstenir de voter sur ces articles. Je veux qu'il n'y ait aucun doute quant à ma position.

La sénatrice Fraser : On pourrait regrouper les articles des autres sections et procéder article par article pour les deux sections concernées.

Le sénateur Joyal : Oui. Cela éviterait de compliquer les choses.

Le président : Dans ce cas, si vous êtes d'accord, nous regrouperons les articles pour le vote.

La sénatrice Batters : Je veux juste m'assurer d'avoir bien compris ce que le sénateur Joyal a dit.

Avez-vous l'intention de proposer des amendements aux articles 23 et 24 ou aux articles 25, 28 et 29?

Le sénateur Joyal : Il y a deux articles; l'article 23 et l'article 24.

À la page 7, sous la rubrique « Recours », il y a l'article 25. À la page suivante, la page 8, il y a les articles 28 et 29. Ils sont dans la même section.

Plus loin, aux pages 22 et 23, on propose les articles 23 et 24.

Ce sont deux sections différentes. Je sais que ça porte à confusion, mais c'est ainsi que le projet de loi est structuré.

La sénatrice Batters : Je comprends. Merci.

Le président : Nous allons tenter de procéder dans ce contexte.

Êtes-vous d'accord pour procéder?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 2, avec une note précisant que le sénateur Joyal s'abstiendra de voter aux articles 23 et 24, est- il adopté?

Le sénateur Joyal : L'article 25, à la page 7, et les articles 28 et 29, à la page 8.

Le président : L'article 2, avec...

Le sénateur Baker : Avec dissidence, dans ce cas.

Le président : Nous voulons que le procès-verbal rende compte du fait que le sénateur Joyal s'abstiendra de voter sur les sections soulignées.

Le sénateur Joyal : C'est exact, en précisant que j'ai l'intention de proposer des amendements à la troisième lecture.

Le sénateur Baker : Ne serait-il pas plus simple de dire « avec dissidence » au moment de voter sur ces sections?

Le président : Je croyais simplement que le sénateur Joyal voulait que cela figure au procès-verbal.

Dans ce cas, l'article 2 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 2.1 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles 3 à 36 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord.

Les articles 37 à 44 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : Encore une fois, monsieur le président, je formule le même commentaire concernant les articles 23 et 24, à la page 22. J'ai l'intention de proposer des amendements à ces articles lors de la troisième lecture. Je vais donc m'abstenir de voter.

Le président : C'est noté. Donc, les articles 37 à 44, en tenant compte de l'abstention du sénateur Joyal, pour les mêmes raisons, sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles 45 à 51 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord.

Les articles 52 et 53 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 54 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Les articles 55 à 59 sont-ils adoptés?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 60 est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : L'article 1, le titre abrégé, est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

Le président : D'accord.

Le projet de loi est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Fraser : Avec abstentions.

Le président : Avec abstentions.

Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?

La sénatrice Fraser : Non.

Le président : Dans ce cas, est-il convenu que je fasse rapport du projet de loi au Sénat?

Des voix : D'accord.

Le président : Je vous remercie.

Avant de lever la séance, j'aurais quelques points à souligner. Le comité directeur se réunira après la présente séance pour discuter des travaux futurs. Au retour du congé de Pâques, notre première étude portera sur le projet de loi C-377, Loi sur les organisations ouvrières, dont vous êtes certainement au courant. D'autres informations vous seront communiquées. Notre analyste travaille à un aperçu et à un résumé des délibérations du Comité des banques sur ce projet de loi. Le format de la mesure législative n'a pas changé. Nous en obtiendrons également copie avant d'amorcer les témoignages.

Le sénateur Joyal : Concernant les documents en cours de préparation, serait-il possible de porter une attention particulière aux discussions entourant la constitutionnalité du projet de loi? Je sais que le Comité des banques n'est pas le forum traditionnel pour soulever ce genre de question, mais si vous pouviez porter une attention spéciale à cette discussion, je vous en serais reconnaissance. Merci.

Le président : C'est une bonne suggestion.

Le sénateur Baker : Monsieur le président, nous devons faire tous les efforts possibles — évidemment, je participerai à la réunion du comité directeur après la présente séance — pour avoir un représentant du secteur juridique, peut-être un juge retraité de la Cour suprême du Canada, comme témoin pour discuter du point soulevé par le sénateur Joyal.

Aussi, monsieur le président, je souligne qu'au retour du congé, nous devrons peut-être aussi procéder à l'étude du projet de loi C-2, un projet de loi d'initiative ministérielle.

Le président : Merci pour cette suggestion. J'imagine que le projet de loi nous a été renvoyé et notre principal objectif devrait être d'étudier la question constitutionnelle.

Le sénateur Baker : La constitutionnalité.

Le président : Oui, c'est cela. Merci.

(La séance est levée.)


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