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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 29 - Témoignages du 22 avril 2015


OTTAWA, le mercredi 22 avril 2015.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières) se réunit aujourd'hui, à 16 h 32, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je souhaite la bienvenue aux sénateurs, à nos invités et aux membres du grand public qui suivent aujourd'hui les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous nous réunissons aujourd'hui pour commencer notre étude du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).

Le projet de loi exigerait des organisations ouvrières et des fiducies ouvrières qu'elles produisent une déclaration annuelle comportant certains renseignements financiers, qui serait soumise à l'Agence du revenu du Canada afin d'être rendue publique. Il imposerait également une sanction administrative pécuniaire aux organisations ouvrières et aux fiducies ouvrières en cas de non-production de déclaration. Le projet de loi C-377 a été déposé à la Chambre des communes en décembre 2011 par M. Russ Hiebert, de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale, en Colombie- Britannique. Le projet de loi a été rétabli par la Chambre au début de la législature actuelle. Nous tenons aujourd'hui notre première réunion sur ce projet de loi.

Je rappelle à ceux qui suivent les délibérations que les séances du comité sont ouvertes au public et qu'elles peuvent aussi être visionnées sur le Web, à l'adresse www.sen.parl.gc.ca. Vous trouverez de plus amples renseignements sur l'horaire des témoins à la rubrique « Comités du Sénat ».

Dans notre premier groupe de témoins aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir le parrain du projet de loi, le député Russ Hiebert, de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale. À vous la parole, monsieur.

Russ Hiebert, député de Surrey-Sud—White Rock—Cloverdale, parrain du projet de loi : Merci beaucoup, monsieur le président.

Sénateurs, c'est un honneur pour moi que de comparaître et de défendre mon projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-377. Il a eu un parcours assez intéressant à ce jour. Sans m'attarder sur les détails, permettez-moi de mentionner que, en 2011, j'ai été le premier député dont le nom a été tiré pour les initiatives parlementaires de la 41e législature, celle qui est en cours.

Quatre ans se sont écoulés et il semblerait qu'il reste juste assez de temps pour que le projet de loi C-377 soit étudié, adopté et promulgué comme loi, si vous et vos collègues le jugez approprié.

Et il y a de bonnes raisons pour adopter le projet de loi.

Tout d'abord, exiger des organisations ouvrières qu'elles divulguent leurs états financiers serait une étape importante vers la transparence et la reddition de comptes dans un groupe d'institutions qui bénéficient d'un énorme soutien public. En effet, les organisations ouvrières du Canada sont exemptes d'impôt; les cotisations syndicales payées par leurs membres sont entièrement déductibles, comme le sont les indemnités de grève. À elle seule, la déductibilité des cotisations syndicales coûte au Trésor fédéral environ 500 millions de dollars par an.

Le Sénat, au cours de cette législature, a adopté récemment une autre loi portant sur la transparence intitulée la Loi sur la transparence financière des Premières Nations. Je crois que grâce à la publication des premiers rapports cette année, les membres des bandes et les Canadiens ont vu que la plupart des Premières Nations sont, en fait, responsables sur le plan financier, et que celles qui ne le sont pas doivent maintenant rendre des comptes.

Dans le même ordre d'idées, grâce à l'information financière qui sera rendue publique grâce au projet de loi C-377, les Canadiens pourront mieux évaluer l'efficacité ainsi que l'intégrité et la santé financières des syndicats canadiens. Les contribuables pourront aussi savoir s'ils en ont pour leur argent.

En ce qui a trait à la transparence des organisations ouvrières, ce projet de loi permettra au Canada d'entrer au XXIe siècle. Il existe déjà des lois sur la divulgation publique de renseignements financiers pour les organisations ouvrières dans d'autres nations développées et chez nos principaux partenaires commerciaux, dont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Australie.

En fait, depuis ma dernière comparution devant un comité sénatorial pour parler du projet de loi C-377 il y a deux ans, une commission royale en Australie sur la gouvernance des syndicats et sur la corruption s'est réunie et a recommandé de renforcer les mesures de divulgation dans ce pays, incluant la mise en ligne des états financiers vérifiés des syndicats sur un site web du gouvernement.

Selon moi, il ne fait aucun doute qu'une exigence en matière de divulgation publique aidera beaucoup de syndicats canadiens à éviter les irrégularités financières.

Encore une fois, depuis ma dernière comparution devant un comité sénatorial au sujet de ce projet de loi, nous avons entendu les révélations scandaleuses de la commission Charbonneau au Québec, nous avons entendu parler d'une enquête sur le vol, l'abus de confiance, la fraude, le blanchiment d'argent et les produits de la criminalité qui impliquait des cadres du syndicat de la police provinciale de l'Ontario. Nous avons, entre autres, vu un patron de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec reconnu coupable de fraude pour des demandes de remboursement de dépenses gonflées ainsi que des accusations de fraude être déposées contre un gestionnaire de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité de Windsor en Ontario.

Bien que le projet de loi C-377 n'empêche pas toute activité criminelle, il est évident que si les états financiers sont rendus publics, la tâche des criminels potentiels qui voudraient profiter de l'argent des syndiqués devient beaucoup plus compliquée.

Il est évident aussi que les syndiqués, ainsi que les Canadiens, veulent une telle reddition de comptes. Selon un sondage de 2013 de la firme Léger, sur 1 400 Canadiens, 83 p. 100 ont dit qu'ils voulaient voir ce genre de loi être adoptée, et 84 p. 100 des membres actuels d'un syndicat sont aussi d'accord.

Ces chiffres sont cohérents avec les sondages antérieurs, y compris un sondage mené par la firme Nanos en 2011 qui posait la même question.

Maintenant, permettez-moi de prendre un instant pour répondre aux détracteurs de ce projet de loi. Premièrement, certains ont dit qu'il créerait un fardeau administratif et financier pour les syndicats. Cependant, un nombre non négligeable de dirigeants syndicaux ont déjà témoigné devant la Chambre et le Sénat au cours de cette législature et ont presque tous dit qu'ils fournissent déjà cette information financière à leurs membres.

Mesdames et messieurs les sénateurs, si ces renseignements sont déjà fournis aux membres, alors il ne coûte rien ou presque rien de les fournir aussi à l'Agence du revenu du Canada.

Bien sûr, il y aura un coût pour le gouvernement qui devra recueillir et publier ces renseignements. L'ARC a confirmé au Parlement que l'estimation des coûts de démarrage pour la mise en œuvre du projet de loi C-377 sera de 1,2 million de dollars pour chacune des deux premières années, et 800 000 $ annuels par la suite. Je crois que cela est un prix modeste à payer pour obtenir la transparence sur l'utilisation de centaines de millions de dollars d'avantages publics.

Deuxièmement, certains dirigeants syndicaux ont remis en question la constitutionnalité du projet de loi, alors je veux en parler directement. Je crois que le projet de loi C-377 est constitutionnel pour les raisons suivantes.

Premièrement, le projet de loi C-377 ne traite que de questions qui relèvent déjà de la Loi de l'impôt sur le revenu et sont depuis longtemps constitutionnelles, c'est-à-dire la déclaration de renseignements financiers et la publication de données. Depuis près de 40 ans, la Loi de l'impôt sur le revenu exige la collecte et la divulgation publique du même genre de renseignements provenant des organismes caritatifs, et cela n'a jamais été contesté avec succès.

Deuxièmement, le projet de loi C-377 ne réglemente pas les activités des syndicats, et ne leur dit pas comment dépenser leur argent. Tout ce que les syndicats font aujourd'hui, ils pourront continuer de le faire après l'adoption de ce projet de loi.

Enfin, le projet de loi n'enfreint pas de droits garantis par la Charte et respecte la vie privée des Canadiens en demandant une divulgation limitée des salaires et des avantages ou du temps payé consacré à des activités politiques. En fait, les lois sur la divulgation des salaires dans diverses provinces canadiennes sont en place depuis des décennies et, en ce qui touche les renseignements personnels, l'ancienne commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Jennifer Stoddart, a confirmé au Comité sénatorial des banques le 29 mai 2013 qu'il n'y a rien dans le projet de loi C- 377, s'il était adopté, qui enfreindrait la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Il est certain que vous entendrez d'autres avis juridiques à ce sujet, mais le point qui a motivé Stéphane Dion, ancien chef du Parti libéral du Canada et constitutionnaliste, de voter pour que ce projet de loi aille de l'avant lorsqu'il a été présenté au sous-comité sur les projets de loi émanant de députés de la Chambre des communes est clair. M. Dion a reconnu le fait que le projet de loi C-377 est nettement constitutionnel.

Après avoir entendu tous les témoins, je vous exhorterais à en arriver à la même conclusion que lui, à savoir que les questions soulevées par certains au sujet de la constitutionnalité ne représentent pas une raison suffisante pour empêcher ce projet de loi d'être soumis à l'examen du Sénat en troisième lecture.

Si vous croyez aux principes de transparence et de reddition de comptes pour nos institutions publiques, alors je vous encourage fortement à appuyer le projet de loi C-377.

Encore une fois merci de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président : Merci monsieur. Nous allons commencer par laisser le vice-président poser des questions.

Le sénateur Baker : Merci, monsieur le président. Je souhaite la bienvenue à nos témoins. J'essaierai d'être bref afin que d'autres puissent poser des questions.

D'abord, monsieur Hiebert, vous dites que si le projet de loi est adopté, sa mise en œuvre coûtera aux contribuables canadiens 1,2 million de dollars pendant la première année. Comme vous le savez, une règle parlementaire s'applique au Sénat. Nous ne pouvons pas approuver de projets de loi d'initiative parlementaire qui comprennent des dépenses publiques.

Comment répondez-vous à cette question?

M. Hiebert : Monsieur Baker, le Président de la Chambre des communes s'est penché sur cette question lorsque le projet de loi a été déposé aux communes et il en est arrivé à la conclusion que l'ARC peut intégrer dans ses activités courantes et son budget actuel ce type d'activité. Par conséquent, le projet de loi ne nécessite pas la recommandation royale.

Le sénateur Baker : Eh bien, selon votre témoignage, il en coûtera 1,2 million de dollars la première année et, si j'ai bien compris, 800 000 $ l'année suivante. Cela évoque une règle parlementaire qui est très claire. À ma connaissance, lorsque le projet de loi a été étudié à la Chambre des communes, il n'a nullement été question de ce qu'il en coûterait au Trésor public.

M. Hiebert : Comme je l'ai dit, le Président de la Chambre s'est penché sur cette question lorsqu'il...

Le sénateur Baker : Il n'a pas abordé la question des 1,2 million de dollars.

M. Hiebert : Il a abordé la question des coûts supplémentaires pour l'ARC.

Le sénateur Baker : À quel moment avez-vous appris qu'il en coûterait 1,2 million de dollars?

M. Hiebert : Lorsque l'ARC a témoigné devant le Sénat il y a deux ans.

Le sénateur Baker : C'était après l'adoption du projet de loi à la Chambre des communes.

M. Hiebert : L'ARC a témoigné.

Le sénateur Baker : Très bien, poursuivons. Vous dites que c'est semblable au système actuel aux États-Unis. À ce que je sache, le système américain que vous évoquez ne s'applique qu'aux syndicats du secteur privé, est-ce exact?

M. Hiebert : Je crois qu'il s'applique à une multiplicité de syndicats.

Le sénateur Baker : Non, uniquement aux syndicats du secteur privé; le système comprend une restriction. En outre, les 5 000 $ ne s'appliquent qu'aux syndicats ayant des recettes de plus d'un quart de million de dollars annuellement, est-ce exact?

M. Hiebert : C'est exact.

Le sénateur Baker : Eh bien voilà, autrement dit nous n'avons pas de législation semblable.

Pourriez-vous nous éclairer sur le libellé à la page 3 du projet de loi où vous dites ce qui suit :

[...] un état indiquant une estimation raisonnable du pourcentage du temps que les personnes visées au sous-alinéa (vii) consacrent à la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations du travail...

Dans le paragraphe précédent, cela ne vise pas uniquement les personnes recevant plus de 100 000 $, mais également, et je cite, « des personnes exerçant des fonctions de gestion » au sein des syndicats.

Cette disposition s'appliquera à une personne occupant un poste de gestion dans une petite municipalité qui compte un syndicat. Comment pourrez-vous déterminer le pourcentage de temps — une estimation raisonnable — qu'une personne consacre à des activités politiques et à des activités non liées aux relations de travail dans cette collectivité? Cette personne ne pourrait-elle pas dire, en toute logique, « le temps que je passe à travailler pour le Parti conservateur du Canada ne vous concerne pas »? Toute personne normale vous regarderait et vous dirait : « cette question a été réglée il y a un très grand nombre d'années. Cela ne regarde personne que je passe une partie de mes temps libres à travailler pour un parti politique, pour l'Église ou pour qui que ce soit. » Mais, c'est ce que ce passage vise parce qu'il n'y a aucun paramètre dans la loi à cet égard. Comment répondez-vous à cette question?

M. Hiebert : Monsieur Baker, cette loi reflète largement les exigences contenues dans la loi américaine et bon nombre d'organisations ouvrières dont l'administration centrale se situe aux États-Unis doivent justement divulguer exactement ce type d'information. Vous pouvez jeter un coup d'œil sur le site web du département du Travail des États- Unis, comme je l'ai fait, où des syndicalistes canadiens, des travailleurs et des lobbyistes divulguent à l'heure actuelle le temps qu'ils consacrent à des activités politiques.

Pour ce qui est de la situation hypothétique que vous avez présentée, dans ce cas, je suppose qu'il ne s'agirait pas de beaucoup de temps de sorte que la réponse serait très peu de temps, voire aucun le cas échéant.

Est-ce que j'estime qu'il devrait y avoir des normes distinctes? Est-ce que je pense que certaines organisations ouvrières devraient être tenues de divulguer leurs activités politiques au département du Travail américain tandis que d'autres organisations ouvrières canadiennes n'auraient pas à le faire? Non, je suis totalement en désaccord avec cette position. Je pense qu'il faut des règles de jeu équitables au Canada et que toutes les organisations ouvrières doivent divulguer le même type d'information même si, à l'heure actuelle, ce n'est pas le cas.

Le sénateur Baker : Vous allez devoir...

Le président : Je suis désolé, sénateur. La parole est maintenant au sénateur Dagenais

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question concerne les syndicats et leurs avocats, de même que certains intervenants sociaux, qui sont montés aux barricades pour s'opposer au projet de loi. Vous êtes peut-être au courant que j'ai été président de syndicat et vice-président aux finances. Pendant 15 ans, j'ai produit des rapports financiers pour le syndicat. Je produisais des rapports publics quand j'étais à la tête de l'association. Est-ce si extraordinaire, au Canada, de demander à des syndicats de rendre disponibles leurs états financiers? Pour faire suite à ma question, pourquoi, selon vous, les syndicats ont-ils si peur qu'on examine les dépenses qu'ils font avec de l'argent collecté à l'abri de l'impôt et qui donne droit à des crédits d'impôt à ceux qui paient des cotisations?

M. Hiebert : Merci pour votre question.

[Traduction]

Non, je ne pense pas qu'il soit extraordinaire que les Canadiens s'attendent à ce que les organisations ouvrières leur communiquent ce type d'information. Au Canada, nous appuyons toute une panoplie d'institutions : qu'il s'agisse d'organismes caritatifs, d'institutions autochtones ou d'organisations ouvrières. Elles reçoivent toutes des avantages publics considérables. Dans le cas des organisations ouvrières, ces avantages s'élèvent à hauteur de 500 millions de dollars par année en déductions fiscales. Est-ce que je crois qu'il est dans l'intérêt des Canadiens de savoir ce qu'ils obtiennent en contrepartie de ce manque à gagner? Oui, je le crois. Comme je l'ai dit, c'est ce que nous faisons pour les organismes caritatifs. Nous avons récemment élargi ces exigences pour englober les Premières Nations. Pendant de nombreuses années, les sociétés d'État du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux étaient également visées. Nous avons appris que la transparence et la reddition de comptes sont bonnes pour les institutions qui servent le grand public.

Nous savons, d'après les sondages, que les Canadiens veulent avoir ce type d'information. D'après des sondages répétés, 83 p. 100 des Canadiens ont affirmé et réitéré que ce serait bon pour le pays. Le fait que c'est la pratique actuellement pour certaines institutions démontre aussi ce soutien.

Dans le cas des organismes de bienfaisance, pendant près de 40 ans, ils ont été tenus de divulguer des renseignements de ce genre. Ceux-ci sont publiés dans des sites web auxquels le public a accès, de façon à ce que, quand des gens font des dons, ils puissent penser que leur argent est dépensé judicieusement parce qu'il y a une forme de reddition des comptes. Je pense que le même raisonnement s'applique aux organisations syndicales.

Quand le gouvernement, le public canadien, consacre pareille somme à l'appui de ces institutions et ce, à juste titre, personne ne le remet en question, il y a obligation subséquente ou réciproque de leur part de fournir certaines informations. Nous ne demandons pas tout, et nous savons qu'il existe des exemptions dont nous pouvons parler si vous voulez, mais le département du Travail des États-Unis exige certains types de renseignements. C'est en fait cela qui a suscité mon intérêt au départ : j'ai constaté que certaines organisations syndicales canadiennes divulguent déjà ces renseignements et ce, depuis des années. Cependant, ce n'est pas à une source canadienne, mais bien au département du Travail des États-Unis. Quand j'ai cherché à me renseigner, je leur ai demandé pourquoi. Pourquoi est-ce qu'il n'y avait pas aussi ce type de divulgation au Canada? C'est là l'objet de ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Les syndicats canadiens sont-ils impliqués en politique autant qu'on ne le prétend? Si oui, le font-ils avec un réel appui de la part de leurs membres? L'enquête qui est actuellement en cours sur l'Association des policiers de l'Ontario renforce-t-elle le fondement de votre projet de loi? Vous avez parlé également de ce qui s'est passé au Québec avec la commission Charbonneau et la FTQ-Construction. Nul besoin de donner beaucoup d'exemples pour s'apercevoir que les syndicats doivent faire preuve de transparence. Ces deux exemples le démontrent.

[Traduction]

M. Hiebert : Eh bien, pour répondre à votre première question, je pense que les Canadiens ne savent pas à quel point les syndicats participent à des activités politiques. Nous entendons dire certaines choses, et nous pouvons tirer certaines conclusions en raison de la divulgation par les organisations ouvrières canadiennes dans le site web du département du Travail américain. Nous ne savons pas vraiment, pas plus que leurs membres, à quel point elles sont engagées dans les activités politiques.

Ce projet de loi nous en donnerait une idée. Il n'impose aucune restriction à cette participation, aucun obstacle ni règlement. Il exige simplement de l'information, afin que le public puisse connaître la nature de leurs activités, comme on peut le voir actuellement dans le site web du département du Travail des États-Unis.

En ce qui concerne l'enquête par l'Ontario dans l'association des policiers ou l'enquête sur la construction et la FTQ dans le cadre de la commission Charbonneau, ces choses ont fait surface depuis que j'ai proposé ce projet de loi, et certaines personnes ont établi un lien. J'ai toujours pensé que l'objet du projet de loi était de jauger l'efficacité, la reddition de comptes et la solidité de ces organisations. J'ai toujours pensé que ce que les Canadiens apprendraient ne ferait que confirmer le bien-fondé de la confiance qu'ils vouent à ces institutions.

Le président : Je dois vous demander de résumer.

M. Hiebert : Ce sont sans doute là des exceptions. Il s'agirait d'exceptions à la règle. Ce genre de projet de loi sera sans doute utile. Je suis porté à croire que dans l'ensemble, il sera bien accueilli en ce qui concerne les divulgations par les syndicats.

La sénatrice Ringuette : Certains membres du comité abordent ce dossier pour la première fois. La sénatrice Bellemare et moi-même sommes les deux seules membres du comité à nous être penchées sur la question il y a quelques années au sein du Comité sénatorial des banques. Je me reporte à mes documents et je constate qu'une recherche approfondie a été effectuée. Je saisis l'occasion pour apporter quelques compléments d'information à la déclaration du témoin.

Le premier porte sur l'aspect constitutionnel et le fait que le témoin affirme que Stéphane Dion, membre d'un sous- comité, avait donné son aval au projet de loi. Je vais vous lire une lettre signée par M. Dion et adressée au sénateur Gerstein, en date du 5 juin 2013. Je me reporte au deuxième paragraphe :

[Français]

Bien que je sois flatté par la confiance que des collègues expriment envers mon expertise constitutionnelle, je me dois de signaler que le sous-comité des affaires émanant des députés du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre n'est en rien une cour constitutionnelle. Il ne fait pas une analyse approfondie, exhaustive et définitive des projets de loi. Tout ce que nous faisons dans ce comité, c'est évaluer si un projet de loi est digne d'être débattu et soumis à un vote.

Et il termine le paragraphe en disant ce qui suit, et je cite :

Au contraire, cela signifie que la constitutionnalité est un objet de débat légitime entre parlementaires.

En d'autres mots, ce n'était aucunement un endossement constitutionnel.

J'aimerais aussi faire une correction quant aux coûts. Revenu Canada a indiqué que le coût de mise en œuvre du projet de loi serait de 2,4 millions de dollars, à raison de 1 000 entités ayant à soumettre des documents à Revenu Canada. Nous devons tenir compte du nombre d'entités impliquées — parce qu'il ne s'agit pas seulement des entités syndicales, si vous regardez bien la définition du projet de loi C-377,

[Traduction]

Les organisations du travail englobent également les organisations d'employeurs.

[Français]

Selon le directeur parlementaire du budget, on estime les coûts à près de 60 millions de dollars pour la première année. Alors, il s'agit de coûts considérables.

[Traduction]

Une affirmation importante faite par le témoin nécessite des éclaircissements.

Monsieur Hiebert, vous avez parlé de transparence, d'efficacité et de reddition de comptes. Vous avez dit que les contribuables doivent être renseignés quand il y a des allègements fiscaux. Pensez-vous qu'il devrait en être ainsi également pour les entreprises qui obtiennent de tels allègements et s'occupent de relations de travail?

M. Hiebert : Est-ce là votre question?

La sénatrice Ringuette : Oui.

M. Hiebert : D'accord. Avant d'y répondre, je voudrais aborder certains propos que vous avez tenus tout à l'heure. S'agissant du Sous-comité des affaires émanant des députés, plusieurs critères sont appliqués pour déterminer si un projet de loi émanant d'un député sera étudié. L'une des questions que l'on pose est la suivante : le projet de loi est-il clairement constitutionnel?

Un député néo-démocrate de la Chambre des communes a mis M. Dion au défi sur cet aspect. M. Dion a voté avec la majorité pour donner le feu vert au projet de loi car, manifestement, ce critère était respecté. Si ce critère n'avait pas été respecté, M. Dion s'y serait opposé. C'est à cela que je faisais allusion quand j'ai dit que M. Dion appuyait ce projet de loi. À ce moment-là, manifestement, il ne pensait pas que le projet de loi était inconstitutionnel. Si cela avait été le cas, nous ne serions pas ici aujourd'hui.

En ce qui concerne le coût, à mon avis, les estimations faites par le directeur parlementaire du budget sont beaucoup moins pertinentes que celles que fournit le ministère qui va veiller à l'application de ces dispositions législatives. Les représentants du ministère ont comparu devant le comité sénatorial et, comme je l'ai mentionné, ils ont dit qu'au cours des deux premières années, il en coûterait 1,2 million de dollars par année et, par la suite, 800 000 $ par année. Je pense que c'est là une information pertinente. Le reste est hypothétique.

Pour ce qui est des entreprises, on m'a souvent demandé pourquoi ce projet de loi ne viserait pas d'autres entités. Tout simplement parce que je m'intéresse au premier chef à ce genre d'entité tout comme par le passé, en 1977, il y a eu des dispositions législatives qui visaient les œuvres caritatives. À partir de là, ces entités ont été tenues de divulguer certains renseignements. Plus récemment, la Loi sur la transparence financière des Premières Nations visait ce genre d'entité. Désormais, la divulgation est obligatoire.

Le président : Je dois vous interrompre. Excusez-moi. Sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le président. Je ne sais pas à quel témoin je devrais adresser ma question, mais je vais emprunter la voie officielle, et là je l'adresserai à M. Hiebert.

Monsieur Hiebert, je vous remercie de la ténacité dont vous avez fait preuve à l'égard de ce projet de loi. Je pense qu'il est grand temps que nous fermions le dossier et que ce projet de loi soit adopté. Je vous remercie du travail que vous avez accompli.

Il y a quelques agents de police ici et le parrain du projet de loi a été président d'une association de policiers. Ma question porte sur les associations de policiers. Vous et moi en avons parlé auparavant.

Certains membres d'associations de policiers à l'échelle du pays se sont inquiétés de la sécurité. Avez-vous rencontré des membres de l'Association canadienne des policiers? Le cas échéant, pouvez-vous nous parler de leurs préoccupations et rassurer les membres du comité, à savoir que ce projet de loi ne menace en rien la sécurité des membres d'associations de policiers?

M. Hiebert : Sénateur Plett, merci de cette question. Quand le projet de loi était étudié à la Chambre des communes, effectivement nous avons entendu parler des inquiétudes de l'Association canadienne des policiers. Nous avons rencontré certains membres de l'association pour répondre à leurs préoccupations concernant la divulgation de renseignements délicats qui pourraient révéler l'identité d'un policier. Voilà pourquoi nous avons présenté des amendements pour apaiser cette inquiétude. Je pense que, par la suite, une fois les amendements apportés, l'association s'est dite satisfaite en ce qui concerne cet aspect du projet de loi. Il se peut qu'elle ne soit pas satisfaite en ce qui concerne toutes les dispositions du projet de loi, mais elle l'est en ce qui concerne cet élément en particulier.

Par ailleurs, je constate que plusieurs syndicats de policiers au Canada publient déjà sur leurs sites Internet des noms et, dans certains cas, des photographies. Mes amendements au projet de loi répondent aux préoccupations à cet égard, mais la question plus générale de savoir s'il serait opportun de diffuser ce genre de renseignements concernant les policiers n'est pas réglée.

Le sénateur Plett : Merci. L'Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey a également soulevé certaines inquiétudes. C'est encore la même question : avez-vous rencontré l'Association des joueurs de la LNH et avez-vous répondu à certaines de leurs préoccupations?

M. Hiebert : Je ne les ai pas rencontrés. Je n'ai reçu aucune demande de les rencontrer. C'est la première fois que je vois cela. J'ai entendu parler des inquiétudes venant d'autres membres et, ce que je peux dire, c'est que nous ne sommes pas ici pour choisir les organisations qui devraient être tenues de déclarer des renseignements. La définition d'une organisation ouvrière s'inspire d'antécédents et de lois précédentes et elle englobe à peu près tout. S'ils correspondent à la définition, alors qu'il en soit ainsi. Mais l'objectif plus large de ce projet de loi est d'apporter plus de transparence et de reddition de comptes pour ce genre d'institutions.

Le sénateur Plett : Pour des raisons d'activité politique, ils disent qu'ils ne participeraient pas à des activités politiques partisanes.

M. Hiebert : Si tel est le cas, eh bien leurs déclarations dans ce domaine précis devraient être nulles; elles devraient être égales à zéro.

La sénatrice Jaffer : Merci pour votre exposé. Permettez-moi de passer à quelque chose de complètement différent. Sachant que vous êtes également avocat, j'aimerais que vous abordiez les questions soulevées par un grand nombre de personnes au titre de la Charte des droits et libertés : la question qu'on retrouve aux alinéas 2b) et 2d), à savoir la garantie de la liberté d'expression et la garantie de la liberté d'association. Avez-vous des inquiétudes à ce sujet? Ce projet de loi est-il compatible avec la Charte des droits et libertés en ce qui concerne les droits énoncés aux alinéas 2b) et 2d)?

M. Hiebert : J'estime que oui, il est compatible. Je crois que le fait que le projet de loi exempte précisément les organisations ouvrières de communiquer en détail leurs activités de base permet de couvrir la question. J'estime qu'exiger de leur part qu'elles déclarent les cadeaux qu'elles remettent ou les voyages qu'elles effectuent pour aller à des congrès ne nuirait aucunement à leur liberté d'association ou à leur liberté d'expression. Le fait est que ce projet de loi ne les réglemente d'aucune façon. Comme je l'ai indiqué dans mes remarques liminaires, si ce projet de loi est adopté, les syndicats pourraient continuer de faire ce qu'ils font. Ils devraient simplement communiquer certains éléments de leurs activités. Puisque le projet de loi ne les réglemente pas ni ne leur interdit quoi que ce soit, je ne pense pas que cela puisse poser problème. Mais je n'estime pas que ce soit un motif acceptable au point de contestation fondé sur la Charte.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Hiebert, j'ai une question à vous poser pour enchaîner sur celle du sénateur Baker en ce qui concerne l'alinéa (vii.1) à la page 3. Pourriez-vous nous donner la définition de ce que sont « les autres activités non liées aux relations du travail »? Quelle est votre définition de cela?

M. Hiebert : Le projet de loi ne contient aucune définition de l'expression « autres activités non liées aux relations du travail » et cela pourrait être, en quelque sorte, à l'ARC de fournir plus de détails sur ce que cela pourrait signifier. Une interprétation directe pourrait être toutes activités différentes de celles qui touchent aux relations du travail.

La sénatrice Jaffer : Est-ce que cela s'appliquerait à un chef Scout qui travaille dans votre église? C'est vous qui avez rédigé ce projet de loi et donc je vous demande : Comment expliqueriez-vous à un Canadien quelles sont ces activités non liées aux relations du travail? Est-ce que ça inclut le travail fait pour une église, le fait d'être chef Scout?

M. Hiebert : Comme je le disais, honorable sénatrice, pour ce qui est des exemples particuliers que vous donnez, je crois que si une institution répond aux critères de la définition d'une organisation ouvrière, laquelle se pose cette question, elle pourrait la poser aux fonctionnaires de l'ARC. Mais, comme nous le savons tous, on ne peut pas prévoir dans un texte de loi toute situation hypothétique. Il faut donner des lignes directrices générales. Le libellé de ce projet de loi est le même que celui de la Loi de l'impôt sur le revenu et les définitions sont les mêmes. Il est semblable au libellé de la loi qui a été rédigée en 1959 et mise à jour en 2004 aux États-Unis.

Le président : Il nous reste un peu moins de 15 minutes, et j'ai encore sept noms sur ma liste. Je vous encourage tous — et je sais que c'est toujours difficile — ainsi que nos témoins — à raccourcir vos réponses. Ce serait bien apprécié.

Le sénateur McIntyre : Merci pour votre exposé. Après avoir lu le projet de loi C-377, il me semble que le seuil de divulgation de 5 000 $ ne s'applique pas aux fonctions centrales d'une organisation ouvrière. Par exemple, lorsque des fonds sont dépensés pour l'administration, les frais généraux ou les activités liés aux relations de travail, j'ai cru comprendre qu'alors il suffira de fournir un montant global pour toutes ces dépenses dans ces secteurs. Cependant, dans le cas des opérations entre personnes apparentées, les conflits d'intérêts, la participation aux activités politiques ou de lobbying de l'organisation ouvrière, il faudra que tous les détails de ces transactions soient déclarés. Ai-je raison?

M. Hiebert : Le projet de loi exclut expressément ces activités centrales d'une organisation ouvrière. Dans le cas de ces activités, il lui suffit de divulguer un montant global.

Le sénateur McIntyre : En d'autres mots, un montant total.

M. Hiebert : Oui.

Le sénateur McIntyre : Elle n'est pas obligée d'entrer dans les détails?

M. Hiebert : C'est exact.

Le sénateur McIntyre : Est-ce que le projet de loi exige des certificats d'audit?

M. Hiebert : Non.

Le sénateur McIntyre : Il n'exige pas, par exemple, que la déclaration fasse l'objet d'un audit? Il me semble que la seule activité qui doit être vérifiée en application du projet de loi c'est la déclaration de renseignement.

M. Hiebert : C'est juste.

Le sénateur McIntyre : Merci.

La sénatrice Fraser : Monsieur Hiebert, bienvenue. Dans votre déclaration préliminaire, vous, tout comme le sénateur Dagenais et bien d'autres partisans de ce projet de loi, avez mentionné la commission Charbonneau comme preuve qu'il y a, au sein des organisations ouvrières je suppose, un problème de corruption auquel il faut s'attaquer. Je suis Québécoise. J'ai suivi avec attention la commission Charbonneau. Le rapport n'a pas encore été déposé. Parmi les témoins qui ont fourni des témoignages très troublants, si je me rappelle bien, il y avait davantage d'employeurs que de représentants syndicaux. Vous dites que ce projet de loi vise un secteur en particulier, mais en fait, les organisations ouvrières existent dans un contexte unique puisqu'elles font partie, en quelque sorte, d'un ensemble assorti. Elles existent pour exercer un rapport d'opposition avec les employeurs. Pourquoi est-ce que vous n'exigez pas que les employeurs fournissent les mêmes renseignements, et pas seulement à l'ARC, mais qu'ils rendent public cet extraordinaire niveau de détails qui va jusqu'à l'objectif de tous et chacun des contrats de 5 000 $?

M. Hiebert : Merci pour cette question, sénatrice Fraser. Comme je l'ai dit plus tôt, je crois qu'il faut reconnaître que les organisations fonctionnent différemment. Les organismes caritatifs ne fonctionnent pas comme les organisations ouvrières ou les Premières Nations, et je crois que les entreprises fonctionnent différemment des organisations ouvrières. Je ne m'opposerais pas à ce que l'un de mes collègues ou quelqu'un de la Chambre haute présente des exigences semblables en matière de divulgation pour les entreprises. Je dis simplement que j'ai constaté que certaines organisations ouvrières canadiennes doivent divulguer ces renseignements, et d'autres pas. Celles qui doivent le divulguer le font auprès du département du Travail des États-Unis, mais pas au Canada. Je pense que les Canadiens méritent autant que les Américains ce genre de divulgation.

Le sénateur White : Merci d'être ici aujourd'hui. Je commencerai en disant que je suis pour la transparence, mais en réponse à ce que vous venez juste de dire, ceux qui doivent respecter ces exigences aux États-Unis, par exemple, ne le font pas en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Quelle loi les oblige à fournir ces renseignements?

M. Hiebert : Les États-Unis ont leur propre LMRDA, leur loi sur la déclaration et la divulgation en matière de relations de travail.

Le sénateur White : Une loi sur le travail. La difficulté serait qu'au Canada, je crois, les lois sur le travail ne sont pas fédérales, mais provinciales.

M. Hiebert : Elles sont de compétence provinciale.

Le sénateur White : Est-ce qu'il y a des provinces au Canada qui ont déjà mis en place un tel système en vertu de leur loi sur le travail?

M. Hiebert : Sept des dix provinces exigent un certain degré de divulgation, qui varie, aux membres, en application de la loi sur le travail. Mais il faut se rappeler que ce projet de loi parle de la divulgation auprès des Canadiens, puisque ce sont eux qui appuient ces institutions à hauteur de 500 millions de dollars par année, avec les déductions d'impôt.

Le sénateur White : Je comprends. Je veux répéter que je crois en la transparence, mais je crois aussi que les lois doivent passer par les bonnes voies et être élaborées en vertu des lois appropriées. J'ai une préoccupation. Il faudrait me convaincre que la loi sur le travail n'est pas le bon endroit. Que cela ne doit pas être réglé par les provinces, mais plutôt par la Loi de l'impôt sur le revenu fédéral. Voilà ma difficulté. Pour être franc, lorsque vous utilisez les États- Unis comme exemple, alors que les États-Unis n'utilisent pas leur loi de l'impôt sur le revenu pour exiger ces renseignements, mais plutôt leur loi sur le travail, qui aux États-Unis est de compétence fédérale, je ne suis pas sûr que cela me satisfasse.

M. Hiebert : Puis-je répondre? Le fait est que la Loi de l'impôt sur le revenu exige des renseignements d'autres organisations, comme les organismes caritatifs, et c'est pourquoi je crois que c'est le bon véhicule pour cette divulgation.

Le sénateur Joyal : Monsieur Hiebert, il y a trois semaines, j'ai rencontré le représentant de l'Association des joueurs de la LNH, M. Fehr. Il m'a présenté ses arguments en toute sincérité. Il m'a expliqué qu'il contractait une licence conventionnelle avec un tiers pour vendre les images, les cartes, les maillots, les jeux vidéo et les autres articles de promotion de la LNH au Canada. Nous savons qu'en ce moment les Canadiens s'intéressent beaucoup au hockey. M. Fehr m'a dit : « Nous sommes visés par ce projet de loi. Ce n'était sûrement pas leur intention, mais nous sommes néanmoins visés. Nous demanderions une exemption à ce projet de loi parce que, cela va s'en dire, nos activités ne sont pas celles d'un syndicat. » Il était d'avis que le projet de loi devrait prévoir une exception ou reconnaître des circonstances exceptionnelles permettant à une association comme la leur d'être exclue de la définition. Il était d'avis que c'était dans l'ordre des choses de faire une telle demande compte tenu que cette demande ne mettrait pas en péril les objectifs du projet de loi.

Êtes-vous favorable à une telle exception dans le projet de loi ou, comme vous l'avez dit plus tôt, pensez-vous qu'on devrait laisser les choses telles quelles?

M. Hiebert : Je ne suis pas favorable à un amendement particulier pour traiter une question particulière. Je pense qu'il faut étudier la situation dans son ensemble. Je voudrais simplement faire remarquer que les autres organisations sportives professionnelles, comme le baseball ou le basketball, n'ont pas exprimé de telles préoccupations. Je ne vois donc pas pourquoi on daignerait examiner une telle exemption pour une entité sportive et pas les autres.

Le sénateur Joyal : Selon M. Fehr, lors du débat dans l'autre Chambre, les délibérations portaient en grande partie sur les syndicats traditionnels, à un point tel qu'ils ne pensaient pas être visés par le projet de loi. Je suis sûr que si vous posiez la question aux autres associations sportives, elles auraient le même avis que la ligue de hockey. Je suis sûr qu'elles en arriveraient à la même conclusion. Compte tenu des droits de propriété qu'elles négocient avec un tiers, quel que soit le sport en question, ces associations feront face au même problème. Encore une fois, je suis favorable à l'intérêt public, à la transparence et à tous les objectifs dont vous parlez dans votre projet de loi. En l'occurrence, je pense que la préoccupation est légitime, à savoir que des accords avec des tiers devraient être protégés. Il est question du commerce des images des joueurs et des autres articles de promotion. À mon avis, c'est logique. Je suis surpris de constater que vous ne souhaitez pas modifier votre projet de loi.

M. Hiebert : Comme je l'ai dit précédemment, il est intéressant de voir que les autres associations sportives professionnelles n'ont pas les mêmes préoccupations. Elles mènent aussi leurs activités aux États-Unis. La définition est très semblable à celle qui s'applique aux États-Unis. Si effectivement les associations étaient préoccupées au Canada, on s'attendrait à ce qu'elles le soient également aux États-Unis. Je n'en ai toutefois pas eu vent.

La sénatrice Batters : Monsieur Hiebert, merci beaucoup d'être venu. Je vous félicite d'avoir porté votre projet de loi jusqu'à cette étape. Je crois que vous en êtes à votre 11e année comme député.

Pour rebondir sur l'exemple des États-Unis, je crois savoir que nombre d'autres administrations, y compris les États- Unis, ont pris des dispositions pour exiger une telle divulgation financière. Nous en avons déjà discuté aujourd'hui, mais j'aimerais simplement vous donner l'occasion de nous en dire un peu plus. Dans les autres pays, les lois sur la divulgation financière ont-elles été efficaces? Quelles ont été les répercussions sur les organisations syndicales? Ces lois ont-elles détruit les organisations syndicales?

M. Hiebert : Merci pour votre question. Comme je l'ai dit plus tôt, presque tous nos partenaires commerciaux, les pays du G7 et d'autres, exigent que les syndicats soient financièrement transparents. Parmi ces partenaires, on compte le Royaume-Uni, les États-Unis, dont on s'est inspiré pour ce projet de loi, la France, l'Allemagne et l'Australie. Selon les recherches que j'ai effectuées, malgré la divulgation obligatoire auprès du public, les organisations ouvrières dans ces pays sont toujours aussi fortes et n'ont pas subi d'effets indésirables, que ce soit dans les négociations ou les activités qu'elles mènent au nom de leurs membres. Plusieurs autres pays ont adopté ces lois il y a longtemps, et jamais on a eu l'impression que c'était un problème. Des organisations ouvrières canadiennes ont dû divulguer cette information au département du Travail américain pendant bien des années, et elles ne se sont pas opposées à ces exigences. Pourquoi ne pas obliger ces mêmes organisations à divulguer au Canada et incorporer celles qui jusqu'à maintenant n'ont pas eu à le faire? C'est la raison d'être de mon projet de loi.

Le sénateur McInnis : Merci d'être venu. C'est un projet de loi intéressant, et je sais que vous y travaillez depuis longtemps. Je suis favorable à la transparence, surtout pour les syndiqués, mais je souhaite vous poser une question qui a été traitée dans les médias. Cherchez-vous, par l'intermédiaire de ce projet de loi, à attaquer les syndicats? Essayez- vous de mettre en évidence l'implication de tiers qui pourraient, par exemple, financer des partis politiques avec pour objectif d'influer sur le résultat des élections?

M. Hiebert : Merci beaucoup, sénateur McInnis, de votre question. Comme je l'ai dit dès le début, j'estime que les organisations ouvrières jouent un rôle inappréciable dans la société canadienne et, à ce titre, méritent le soutien que le public leur donne par l'entremise des déductions d'impôt. Elles contribuent à un milieu de travail sain et à une rémunération juste.

Donc, non, ce projet de loi n'est rien d'autre qu'une occasion pour les organisations ouvrières de justifier leurs activités et de démontrer qu'elles sont vigoureuses, efficaces, et que les Canadiens ont raison de leur faire confiance.

Le président : Je suis désolé, vous avez dépassé votre temps de parole. Nous pourrions continuer à en parler longuement, monsieur Hiebert, je vous remercie d'être venu et d'avoir présenté votre point de vue. C'est très apprécié.

Passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Je suis ravi de vous présenter, du Congrès du travail du Canada, Hassan Yussuff, président. Et comparaissant à titre personnel, Brian Johnston, associé, Stewart McKelvy, et Paul Cavalluzzo, associé principal, Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP. Bienvenue, messieurs. Je crois que vous avez tous des remarques liminaires. Monsieur Yussuff, voulez-vous commencer? Vous avez la parole.

Hassan Yussuff, président, Congrès du travail du Canada : Honorables sénateurs, merci de m'inviter à comparaître aujourd'hui. Je m'appelle Hassan Yussuff, je suis président du Congrès du travail du Canada et, à ce titre, je représente fièrement quelque 3,3 millions de travailleurs syndiqués de partout au Canada.

Vous avez devant vous nos remarques détaillées sur ce projet de loi et notre mémoire écrit, soumis au greffier du comité. Sénateurs, il n'y a aucune raison concrète de déposer le projet de loi C-377. Le Congrès du travail du Canada estime que le projet de loi C-377 est infondé, anticonstitutionnel et indéfendable, qui est vicié et qui doit être défait. J'examinerai d'abord l'aspect constitutionnel de ce projet de loi et je parlerai de certaines questions de confidentialité et de vie privée.

Le projet de loi C-377 semble viser des activités protégées par la Charte canadienne des droits et des libertés en exigeant la divulgation du temps consacré aux activités politiques. Or, le droit à la vie privée est un droit constitutionnel fondamental en droit canadien.

Le projet de loi prête le flanc aux litiges et aux procès constitutionnels. La publication d'information privée et personnelle sur les paiements faits à des personnes, par exemple leur nom et leur adresse figurant sur leurs chèques de pension, pourrait rendre ces personnes vulnérables aux fraudeurs et aux arnaques, ce qui porte atteinte à leurs droits à la vie privée.

Ce projet de loi viole le droit à la liberté d'association garanti par la Charte des droits et des libertés. Les tribunaux canadiens ont reconnu à maintes reprises la protection constitutionnelle accordée à la liberté d'association. Ce droit est essentiel, car les employeurs pourraient s'ingérer dans le droit démocratique des travailleurs à l'association et à l'autogouvernance.

Sénateurs, la transparence est une chose formidable. Si seulement nous avions en politique la même transparence que dans les organisations démocratiques comme les mouvements syndicaux.

Je suis le président de la plus importante organisation démocratique du pays, et je dois rendre des comptes à mon exécutif, au conseil, au congrès et à nos membres. Nous demander d'ouvrir nos livres aux employeurs revient à demander à un parti politique de présenter à ses adversaires ses livres donnant le détail de chacune de ses dépenses et de sa stratégie. De fait, le sénateur Segal a fait une bonne comparaison, quand il a demandé si Coca-Cola devrait être forcée de dévoiler son plan de marketing et ses dépenses de plus de 5 000 $ à Pepsi.

Les syndicats l'ont dit auparavant, et je le répète : nous ne voyons pas d'inconvénient à fournir de détails financiers sur nos opérations à nos membres. Nous le faisons d'ailleurs régulièrement.

La Commission des relations de travail peut vous confirmer que toutes les demandes de divulgation ont été satisfaites. J'inviterais d'ailleurs le comité à convoquer le président du Conseil canadien des relations industrielles à venir en témoigner. Si vous pensez que nos membres nous permettraient de nous en tirer sans leur rendre des comptes détaillés, c'est que vous n'avez jamais assisté à une réunion syndicale ou à un congrès syndical.

Évidemment, il y a la loi qui est en vigueur. Le projet de loi C-377 va bien au-delà de la sphère fédérale en tentant de réglementer les syndicats et les relations syndicales dans des domaines qui relèvent de la compétence constitutionnelle des provinces. La plupart des lois provinciales exigent la divulgation des renseignements financiers aux membres des syndicats. La Colombie-Britannique, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse, par exemple, exigent des syndicats qu'ils remettent chaque année à chacun de leurs membres les états financiers vérifiés. Cinq autres provinces, et le Code canadien du travail, exigent que ces états financiers soient fournis sur demande.

En réalité, ce projet de loi ne vise à la base qu'une seule chose. C'est de singulariser les syndicats, de les affaiblir et de s'ingérer dans leurs affaires. Je peux vous affirmer que nous n'avons aucune intention de nous laisser affaiblir. Nous allons défendre les travailleurs de tout le pays, que ce soit contre les attaques du gouvernement ou contre les tentatives des employeurs de réduire les salaires et les avantages sociaux. Il est clair que nous rendons déjà largement compte de nos activités, et que nous faisons preuve de transparence à l'égard de nos membres au titre des lois en vigueur, et nous y veillons.

Ce projet de loi s'ingère aussi dans les affaires internes de l'administration des syndicats d'une manière qu'interdisent le Code du travail du Canada, les lois syndicales provinciales et les lois sur les relations syndicales du pays.

Pour terminer, ce projet de loi garantit que bien des gens devront assumer des coûts. Cela signifie une hausse des coûts des régimes de pension et des fonds en fiducie. Cela signifiera très probablement aussi moins d'avantages sociaux et des cotisations supérieures, et peut-être même aussi des contributions plus importantes pour nos membres. Les coûts augmenteront pour le gouvernement fédéral, bien entendu, de l'ordre de plus de 20 millions de dollars dans les deux ou trois prochaines années, puis de 3 millions de dollars par la suite, d'après l'ARC.

Mesdames et messieurs les sénateurs, lors d'audiences antérieures sur le sujet, vous avez modifié ce projet de loi et l'avez renvoyé à la Chambre des communes. L'adoption de ce projet de loi imparfait serait un affront aux travailleurs et à la bonne pratique législative de ce pays. Le projet de loi C-377 est vicié, problème auquel aucun amendement ne saura jamais remédier. La seule solution serait d'y renoncer intégralement.

Je terminerai par une citation de mon bon ami, le sénateur Hugh Segal, qui a dit que ce projet de loi :

[...] est une expression de mépris législatif pour les travailleurs et les travailleuses de nos syndicats ainsi que pour les syndicats eux-mêmes et leur droit de s'organiser en vertu des lois fédérales et provinciales.

Je suis tout à fait d'accord. J'espère pouvoir compter sur l'appui que vous pouvez fournir aux Canadiens en rejetant ce projet de loi.

Brian Johnston, associé, Stewart McKelvey, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. C'est un honneur pour moi que d'être ici pour vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi C-377.

Je pratique dans le domaine du droit du travail, principalement du côté de la gestion depuis mon admission au Barreau de la Nouvelle-Écosse, en 1981.

Je suis un avocat spécialisé en relations de travail, qui représente les gestionnaires. Mon nom a été mentionné dans des articles de Lexpert/American Lawyer Guide to the Leading 500 Lawyers in Canada, de l'Expert Guide to the World's Leading Labour and Employment Lawyers et de l'International Who's Who of Management Labour & Employment Lawyers, Expert Guide to the World's Leading Labour and Employment Lawyers in Canada.

J'ai grandi à Sydney, et déjà, alors que j'étais en 10e année, j'aspirais à devenir avocat spécialisé dans les relations de travail. Mon père était métallurgiste comme son père avant lui. Ils ont été membres d'un syndicat pendant une grande partie de leur vie professionnelle.

J'ai représenté des syndicats et j'en ai organisés. J'ai même parfois agi pour le compte de syndicats alors qu'ils devaient négocier avec leurs propres employés.

Je soupçonne que compte tenu de mes antécédents, et comme vous entendez tellement de témoins sur tellement de questions liées à ce projet de loi, vous aimeriez que je réponde à une question importante, celle de savoir si ce projet de loi est nocif pour les relations de travail. Je ne le crois pas. Je pense qu'il est tout à fait cohérent et ne va pas à l'encontre des principes que nous voulons appliquer en matière de lois du travail — à savoir l'équilibre, la transparence et la reddition de comptes.

Maintenant, si l'on peut mettre tout cela en contexte, quelque 5 millions de Canadiens sont protégés par des conventions collectives, et le Congrès du travail du Canada est l'organisme qui chapeaute nombre de ces syndicats et représente environ 3,3 millions de travailleurs. Environ 30 p. 100 des travailleurs canadiens sont syndiqués. Aux États- Unis, c'est de l'ordre de 11 p. 100. La grande majorité des travailleurs du Canada sont représentés par de grands syndicats; les huit principaux syndicats représentent environ 48 p. 100 des travailleurs syndiqués du pays.

Le mouvement syndical canadien n'est pas en perte de vitesse. Les syndicats ont vu leurs membres augmenter au cours des 15 dernières années. En fait, le mouvement célèbre — et cela vient du site web de M. Cavalluzzo — le stimulant début de 2015, où la Cour suprême du Canada a rendu trois décisions définissant la portée de la protection constitutionnelle des droits des travailleurs au titre de la Charte. Cette nouvelle trilogie syndicale fait avancer la protection des droits fondamentaux des travailleurs. Selon la protection liée à la liberté d'association prévue par la Charte, celle-ci protège les droits des employés, comme on le voit, de créer un syndicat, d'y appartenir, et d'en être membre; de se joindre à un syndicat; de mener des négociations collectives; et de faire la grève.

Par conséquent, ces décisions de 2015 au sujet de la Charte garantissent l'avenir du mouvement syndical canadien. Je reviendrai donc à la question de l'équilibre, de la transparence et de la responsabilité.

L'équilibre est une caractéristique essentielle de tout projet de loi touchant les syndicats. Les codes du travail cherchent à établir un équilibre afin que les employeurs puissent négocier d'égal à égal avec les syndicats. Le projet de loi en question conserve cet équilibre. Les syndicats en connaissent déjà long au sujet de la situation financière de l'employeur, notamment la rémunération et les avantages. Au Canada, les employeurs en divulguent beaucoup. Par contre, la plupart des employeurs ne connaissent pas très bien la situation des syndicats; ils présument généralement que les syndicats jouissent de ressources financières et d'un appui considérables et, si j'en juge par mon expérience, les employeurs n'ont pas tort.

La transparence est une autre caractéristique essentielle. Les syndicats ont le droit de demander qu'une quantité considérable d'informations soient divulguées pendant le processus de négociations collectives. Par exemple, si un employeur affirme ne pas avoir suffisamment d'argent pour accorder une augmentation de salaire, on s'attend à ce qu'il divulgue les renseignements qui prouvent cette affirmation. Les commissions des relations de travail et les arbitres ont d'importants pouvoirs d'assignation afin d'insister pour que l'employeur procède à cette divulgation, tout en ayant le devoir de négocier de bonne foi.

Enfin, il y a la question de la responsabilité. Les projets de loi portant sur des questions de relations de travail prévoient généralement certaines attentes quant à la responsabilité. Les employeurs et les syndicats doivent suivre les règles. S'ils les enfreignent, il existe des recours ou des pénalités.

Nous connaissons les attentes considérables en matière de déclaration que doivent respecter les sociétés publiques — les salaires, les primes, les options d'achat d'actions — les gouvernements, les municipalités, les commissions scolaires, les universités et les contrats des présidents dont on parle dans les médias. Il n'est pas rare que les honoraires des avocats soient rendus publics, y compris les miens.

Il existe également les listes des employés les mieux rémunérés découlant des lois sur la rémunération, comme celle que nous avons en Nouvelle-Écosse, qui a été instaurée par le gouvernement néo-démocrate afin d'honorer l'engagement qu'il avait pris d'être plus ouvert et responsable en ce qui touche les activités du gouvernement; ces listes renferment des noms.

Ainsi, au bout du compte, ce n'est pas moi qui déciderai si l'avantage considérable qu'offre actuellement la Loi de l'impôt sur le revenu aux syndicats et à leurs membres doit être pris en considération dans le cadre de l'étude du projet de loi.

À mon avis, le projet de loi C-377 ne nuira pas aux relations de travail. Au Canada, les syndicats sont là pour rester. La Charte le garantit.

Merci.

Paul Cavalluzzo, associé principal, Cavalluzzo Shilton McIntyre Cornish LLP, à titre personnel : Merci monsieur le président. Je remercie tous les sénateurs de m'avoir invité aujourd'hui.

Je suis avocat constitutionnel spécialisé en droit du travail et je pratique en Ontario depuis 1973. Je représente, entre autres, des syndicats, des organisations professionnelles, des employés et des régimes de pension; j'ai plaidé de nombreux dossiers constitutionnels devant la Cour suprême du Canada.

À titre d'avocat constitutionnel, j'estime qu'il est important pour moi de vous faire part de mes graves préoccupations quant à la constitutionnalité du projet de loi C-377.

Mais tout d'abord, je tiens à formuler un avis général sur ce dont il s'agit. Il s'agit d'un projet de loi contraignant et paternaliste qui représente une insulte à l'endroit des travailleurs au pays, parce qu'il laisse entendre que les travailleurs ne sont pas en mesure — pas en mesure — de veiller à ce que leurs propres syndicats soient responsables et transparents. Un syndicat est une association bénévole. Il est composé de ses membres. C'est envers ses membres qu'il a une responsabilité. Selon moi — et la Cour suprême l'a aussi indiqué dans une affaire très semblable — un syndicat est une organisation très démocratique, et le gouvernement n'a pas intérêt à intervenir dans ses affaires internes.

En ce qui concerne les problèmes constitutionnels, ce projet de loi en soulève tellement que je n'ai pas le temps de tous vous les expliquer. Je n'en aborderai donc que deux.

Le premier — et vous avez mon mémoire — est un problème de division des pouvoirs parce que, comme on l'a dit auparavant, les relations de travail au pays sont une question de compétence principalement provinciale. La compétence fédérale est l'exception. Quatre-vingt-douze pour cent des employés au pays sont représentés par des syndicats sous compétence provinciale. Le gouvernement fédéral ne doit pas tenter de réglementer les relations de travail des provinces.

J'ai entendu le témoignage de M. Hiebert, et je n'ai trouvé aucun exemple démontrant mieux l'objectif réel du projet de loi. Celui-ci n'a rien à voir avec la taxation. Les compétences du gouvernement fédéral en matière de taxation au titre de la loi constitutionnelle sont énoncées à l'article 91.3, et il y est question de collecte de fonds. Ce projet de loi n'a rien à voir avec une collecte de fonds. M. Hiebert a laissé entendre que ce projet de loi vise plutôt à rendre les syndicats plus responsables et transparents. Cela démontre sans aucun doute que le projet de loi vise les syndicats. Le gouvernement fédéral ne doit pas s'ingérer dans les compétences provinciales, et je suis certain que les gouvernements provinciaux vont d'ailleurs faire valoir cet argument.

Seuls 10 p. 100 des salariés au pays relèvent d'une autorité fédérale et cette loi ne s'appliquerait qu'à ce groupe parce que, selon moi, les tribunaux détermineront qu'il s'agit d'une compétence provinciale étant donné que le projet de loi porte sur le droit du travail et non sur les impôts.

Je n'en croyais pas mes oreilles. M. Hiebert se présente devant vous et affirme que le projet de loi est fondé sur la loi du travail des États-Unis. Les relations de travail aux États-Unis relèvent effectivement de l'échelon fédéral. C'est pourquoi le gouvernement fédéral américain a adopté la Labor Management Reporting and Disclosure Act sur laquelle il se fonde, mais il ne s'agit pas d'une loi provinciale ou étatique.

En plus des problèmes de séparation des pouvoirs, le projet de loi soulève de graves problèmes relativement à la Charte des droits et libertés. Je ne mentionne ici que deux dispositions, l'alinéa 2b) qui protège la liberté d'expression et l'alinéa 2d) qui protège la liberté d'association. De quel droit un gouvernement ici au pays demanderait à une association bénévole comme un syndicat combien il dépense en activités politiques ou en lobbying? Il s'agit d'une question d'expression politique, qui est l'un des fondements de notre pays. Il n'appartient pas au gouvernement de demander à un organisme la somme de ses dépenses en activités politiques.

Autre point : le droit à l'association. La liberté d'association vise à trouver un équilibre entre le pouvoir des employeurs et des employés. Pourquoi alors ne pas demander aux employeurs de produire le même genre de rapport répondant à des exigences de divulgation? J'ai entendu parler de la commission royale au Québec. Les problèmes venaient plus souvent des employeurs que des syndicats. La liberté d'association vise justement à garantir cette équité.

Ce projet de loi aura pour effet de forcer les syndicats à communiquer des informations financières internes à l'employeur, ce qui aura des incidences considérables sur les négociations collectives. C'est ce dont la Cour suprême du Canada a fait état récemment dans les trois causes auxquelles M. Johnston a fait allusion, c'est-à-dire qu'il n'appartient à aucun gouvernement d'agir de la sorte. Il s'agit de liberté d'association et c'est ainsi qu'on protège les mécanismes internes d'un organisme.

En conclusion, j'ai apporté un document que je vous transmettrai, et j'aimerais en parler brièvement.

Le président : J'ai bien peur que nous n'ayons pas le temps. Nous avons le document. Vous aurez peut-être l'occasion d'en parler pendant la période de questions.

Le sénateur Baker : Merci aux trois témoins. M. Cavalluzzo et M. Johnston disposent de nombreux documents de jurisprudence. Monsieur Cavalluzzo, vous avez signalé 150 causes et jugements répertoriés dans la base de données Westlaw Carswell.

M. Cavalluzzo : Je l'ignorais.

Le sénateur Baker : M. Johnston en a presque 100, et bien sûr M. Yussuff, qui travaille en droit au Congrès du travail du Canada, a défendu de nombreuses causes par le passé. Il a fait de l'excellent travail pour les travailleurs du Canada il y a plusieurs années.

J'aimerais vous poser deux questions, et ainsi le président ne pourra pas m'interrompre si je m'éternise. Voici les deux questions : aux États-Unis, dans la loi citée, le chiffre de 5 000 $ est entré en vigueur en 2005 après quelques décisions des tribunaux émanant de mesures législatives initiées en 2002. Celle-ci s'applique seulement aux organismes et aux syndicats du secteur privé aux États-Unis; elle ne s'applique pas aux syndicats du secteur public.

En second lieu, la taille des syndicats du secteur privé est divisée en trois niveaux : un, deux et trois. Le niveau 1 correspond aux grands syndicats, le 2, aux syndicats de taille moyenne, et le 3, aux plus petits.

Le projet de loi dont nous sommes saisis ne ressemble en rien à la loi en vigueur aux États-Unis.

Voici ma question : une partie de ce projet de loi est si vexatoire que j'arrive à peine à le digérer. Je sais que les Canadiens seraient absolument choqués de l'entendre, et aucun d'entre vous n'en a parlé, mais je sais que vous l'avez à l'esprit. Il s'agit de cette mesure : toute personne en position d'autorité au sein d'un syndicat au Canada devra maintenant produire une déclaration faisant état d'une estimation raisonnable du pourcentage de temps qu'elle a consacré à des activités politiques, et à des activités non liées aux relations du travail dans sa collectivité. Par exemple, dans une petite localité de Terre-Neuve ou de la Nouvelle-Écosse, un commerçant ou le président d'un petit syndicat municipal devra produire un document, chaque année, faisant état de ses activités politiques tout en précisant la nature des activités auxquelles il a participé et préciser s'il s'agissait d'activités syndicales ou non.

Cette mesure me paraît très désobligeante à l'égard des Canadiens. J'aimerais savoir si l'un d'entre vous à des vos commentaires à formuler à ce sujet.

M. Cavalluzzo : Absolument. Dans l'affaire Lavigne, la Cour suprême du Canada a déclaré qu'il est à peu près impossible de faire la distinction entre les dépenses liées aux négociations collectives et les dépenses associées aux activités politiques. Par exemple, peut-on dire que les dépenses d'un syndicat du secteur public découlant de mesures législatives qui influent sur son unité de négociation sont liées aux négociations collectives? Ces dépenses serviraient à protéger son unité de négociation. Ou s'agirait-il plutôt de dépenses associées aux activités politiques?

La Cour suprême du Canada affirme que c'est ridicule. Quand il est question des syndicats au Canada, il est impossible de faire cette distinction. Les syndicats canadiens sont très différents de leurs pendants américains. Nous ne devrions pas importer les lois syndicales des États-Unis, merci bien.

M. Yussuff : Sénateur Baker, vous faites allusion à l'article lié aux activités politiques. Je suis chargé de défendre mes membres par tous les moyens possibles quand ils font face à des difficultés. Je peux être appelé à agir pour améliorer le cadre législatif qui les protège ici au pays aux échelons national et provincial. De la même façon, pour ce qui est des actions auprès du gouvernement, si mes membres négocient avec un employeur et que le gouvernement s'ingère dans le processus de négociation collective libre, il est de mon devoir de défendre mes membres dans l'arène politique. C'est mon travail parce qu'ils tirent des revenus de leur capacité de négocier avec l'employeur. Si le gouvernement s'ingère dans leur liberté de négocier, j'interviendrai en faisant des représentations auprès du ministre et des députés de l'opposition pour affirmer que les relations de travail sont fondamentalement biaisées au Canada.

Comment peut-on me dicter quel pourcentage de mon temps je devrais déclarer? Je vais consacrer 100 p. 100 de mon temps à militer pour mes membres dans ce pays, que le gouvernement adopte une loi ou non, parce que c'est mon devoir.

Sinon, cela revient à me demander de m'asseoir dans mon bureau et d'écrire des belles lettres à des gens formidables comme vous pour vous remercier de votre aimable service, même quand vous êtes en train de fourrer mes membres. Ça ne va pas se passer ainsi.

Le sénateur Baker : Bravo. Ça, c'est une vraie réponse.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Cavalluzzo. J'ai lu votre document, et j'ai constaté que, après avoir fait des recherches, en 2014, votre cabinet a reçu plus de 400 000 $ de la part de divers syndicats...

Excusez-moi, je n'ai pas vu que vous n'aviez pas l'interprétation. Vous me comprenez?

Vous venez de dire que vous étiez ici à titre personnel, mais permettez-moi d'avoir quelques doutes. Votre opinion pourrait être indépendante, mais je vois des factures comme les 400 000 $ qui ont été collectés de la United Food and Commercial Workers Union, des Machinistes et autres. Je vois que vous avez travaillé pour beaucoup d'entre eux, peut-être aux États-Unis, car ce sont des documents de taxation américains. Je ne sais pas qui vous paie aujourd'hui pour comparaître devant nous, mais de toute façon...

Cela dit, j'imagine que vous devez être au courant de ce qui s'est passé au Québec avec la commission Charbonneau. Sinon, je peux vous le dire. J'entends dire que le rapport n'est pas déposé devant la Commission Charbonneau et que ce sont seulement des employeurs qui sont allés témoigner.

Pourtant, j'ai vu défiler beaucoup de représentants de la FTQ-Construction qui ont été dénoncés par leurs membres et qui font face à des accusations criminelles. D'après vous, qu'est-ce qu'on a fait de la cotisation des travailleurs, et que pensez-vous de la qualité de ces chefs syndicaux?

Je suis moi-même policier, et je trouve malheureux que l'Association des policiers provinciaux de l'Ontario fasse l'objet d'une enquête par la Gendarmerie royale du Canada. L'un de ses conseillers a été congédié, tandis que le président et le vice-président sont suspendus, parce qu'ils ont « tripoté » l'argent des membres. J'aimerais entendre votre point de vue au sujet de la qualité des chefs syndicaux.

Pendant que j'ai la parole, j'aimerais vous parler aussi de transparence et préciser que c'est l'employeur qui collecte les cotisations syndicales. Lorsqu'on insinue que l'employeur ne sait pas ce qui se passe dans les poches des syndicats, laissez-moi vous dire que tous les 15 jours, à l'époque où j'étais vice-président aux finances de mon syndicat, je recevais un chèque de l'employeur. L'employeur savait que chaque année il me remettait 4,8 millions en cotisations syndicales, et il connaissait les états financiers des syndicats.

Quelle est votre opinion au sujet de la transparence du projet de loi? À l'heure actuelle, je pense que le gouvernement, autant que les syndicats, requiert de la transparence. Cela se joue de part et d'autre et, maintenant, c'est au tour des syndicats de faire preuve de transparence.

[Traduction]

M. Cavalluzzo : D'abord, je ne suis pas venu ici pour qu'on m'insulte.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je ne vous insulte pas, cher monsieur, je vous pose une question.

[Traduction]

M. Cavalluzzo : Je suis venu de mon propre chef. Personne ne me paie pour le faire. Ça m'a pris une semaine pour rédiger ce mémoire. Je n'ai pas reçu un cent d'honoraires, alors voilà pour votre premier point.

Deuxièmement, plusieurs institutions, même cette Chambre, ont des membres qui font face à des accusations criminelles. Le fait que certains individus font face à des accusations criminelles ne veut pas dire que l'institution entière est mauvaise ou fautive. Ce qui se passe au Québec...

[Français]

Le sénateur Dagenais : Mais on change les règles, par exemple.

[Traduction]

M. Cavalluzzo : En ce qui a trait à ce qui se passe au Québec, il va falloir qu'on attende pour voir. Pour ce qui est de ce qui se passe en Ontario avec l'Association de la police provinciale de l'Ontario, je crois que vous, les sénateurs, devrez faire très attention. Ces trois individus font face à des accusations criminelles, et au titre de notre Charte des droits, les gens sont présumés innocents tant qu'ils ne sont pas déclarés coupables Je ne crois pas que les politiciens devraient parler de la culpabilité ou de l'innocence de ces gens qui n'ont même pas encore été accusés. C'est l'essence même de la charte des droits : le respect de la procédure établie.

En ce qui a trait à la qualité de nos chefs syndicaux, je crois qu'ils comptent parmi les meilleurs au monde.

Des voix : Bravo, bravo!

M. Cavalluzzo : J'aurais cru que, en tant que sénateur de ce pays, vous auriez été fier du mouvement ouvrier. Malheureusement, vous ne l'êtes pas.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je ne parle pas de culpabilité, je parle de transparence.

[Traduction]

La sénatrice Ringuette : Mes questions s'adressent à M. Johnston : merci pour votre exposé. Vous insistez beaucoup sur le fait que l'équilibre doit être la marque de lois qui ont une incidence sur les syndicats. Ne pensez-vous pas qu'afin de réaliser cet équilibre, le projet de loi C-377 devrait aussi exiger la transparence et tous les autres renseignements relatifs à la Loi sur l'impôt pour qu'il y ait cet équilibre entre les parties en négociation? Ne le croyez-vous pas?

M. Johnston : D'après mon expérience en relations de travail, il existe déjà un déséquilibre. Ce sont les règles; c'est le jeu auquel on participe. Les syndicats possèdent beaucoup de renseignements concernant l'employeur ainsi que l'échelle salariale et les avantages de tout un chacun — vraiment beaucoup. Dans certains établissements, comme les universités, toute cette information est disponible.

La sénatrice Ringuette : Je m'excuse. Je faisais allusion au projet de loi C-377 en ce qui concerne la divulgation sur le site web de l'Agence du revenu du Canada, c'est-à-dire la transparence concernant des dépenses de 5 000 $ ou plus de la part des employeurs.

M. Johnston : Eh bien, si vous, sénatrice Ringuette, regardez sur le site web du gouvernement de la Nouvelle-Écosse, vous y trouverez le nom et le salaire de tous les employés d'une université d'une commission scolaire, d'une régie de la santé ou du gouvernement qui gagne plus de 100 000 $ dans cette province.

La sénatrice Ringuette : Peut-être que ma question n'est pas claire. Voilà ce que je cherche à savoir : puisque le projet de loi exige que tous les syndicats au pays divulguent sur le site web de l'Agence du revenu du Canada toute dépense de 5 000 $ ou plus, ne croyez-vous pas que, dans l'intérêt de cet équilibre que vous préconisez, les employeurs qui négocient devraient eux aussi divulguer les dépenses de 5 000 $ sur ce site web? Les employeurs aussi reçoivent des crédits d'impôt.

M. Johnston : Il est un peu difficile de répondre à la question, puisque je sais que le projet de loi porte uniquement sur les syndicats. Je sais que les employeurs doivent divulguer tout ce qui concerne les négociations collectives et qu'ils le font.

La sénatrice Ringuette : Mais il ne s'agit pas d'une divulgation publique.

M. Johnston : Je peux vous dire que la divulgation est souvent rendue publique par les syndicats, mais pas de façon inopportune. De plus, je dois dire que suis d'accord avec la défense faite par M. Cavalluzzo du mouvement syndical au Canada. Cette information n'est donc pas divulguée de façon inopportune, mais elle est divulguée. Mais nous sommes ici au sujet de ce projet de loi en particulier. D'après mon expérience, ces dispositions ne créeront pas de déséquilibre. Le projet de loi n'aura pas pour effet de miner le bon fonctionnement des relations de travail au Canada.

La sénatrice Ringuette : Avec toute votre expérience comme représentant de l'employeur dans les relations de travail, vous êtes sûrement bien conscient de la répartition des pouvoirs entre les gouvernements fédéral et provinciaux dans ce domaine. Selon vous, quels seront les effets de ce projet de loi à cet égard?

M. Johnston : Je crois que le projet de loi ira sans doute devant les tribunaux. J'ai lu l'opinion exprimée par l'ancien juge de la Cour suprême, Michel Bastarache, dans laquelle il considère le projet de loi tout à fait constitutionnel, d'après son expérience. Cela étant dit, j'ai beaucoup de respect pour le point de vue exprimé par M. Cavalluzzo, qui a énormément d'expérience en ce qui touche les questions constitutionnelles.

La sénatrice Ringuette : Vous avez de l'expérience en tant qu'avocat spécialisé en droit du travail. Vous connaissez certainement les codes du travail des provinces ainsi que le Code canadien du travail au niveau fédéral. Que pensez- vous du projet de loi C-377 en ce qui concerne les différents ordres de gouvernement?

M. Johnston : Je vous avouerais que je suis satisfait du projet de loi. Je ne suis pas un avocat spécialisé en droit constitutionnel, mais je pense qu'il s'agit d'un projet de loi constitutionnel. Il porte sur la transparence et la responsabilité en ce qui touche le statut d'exonération fiscale des syndicats et la déductibilité fiscale des cotisations syndicales. En fin de compte, il faut être transparent en ce qui concerne l'utilisation de cet argent. Si je comprends bien, c'est ce qui arrive, dans une certaine mesure, dans le cas des organismes caritatifs et des organismes sportifs en application de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais je ne peux pas vous le confirmer sans l'ombre d'un doute, car je ne suis pas un avocat spécialisé en droit constitutionnel.

La sénatrice Batters : Je vous remercie de votre présence aujourd'hui. Monsieur Johnston, merci beaucoup pour votre témoignage. Vous avez été reçu au Barreau de la Nouvelle-Écosse en 1981. Cela fait 20 ans depuis que je suis membre du Barreau de la Saskatchewan. En outre, vous pratiquez le droit du travail presque exclusivement depuis 14 ans. C'est toute une réalisation. Vous avez une grande expérience du droit des relations de travail, et j'essaie seulement d'imaginer le nombre de dossiers à vous que le sénateur Baker a trouvés lorsqu'il a fait sa recherche sur la jurisprudence dans cette affaire.

Vous avez dû prononcer vos remarques liminaires en temps limité aujourd'hui. Vos commentaires étaient très utiles, très concis, mais comme votre temps était limité, je veux vous donner une occasion supplémentaire de nous parler de cette question. Vous avez mentionné ne pas être un avocat spécialisé en droit constitutionnel, mais vous connaissez très bien la trilogie et vous avez beaucoup parlé de certains dossiers récents et de l'incidence de ces affaires sur le droit des relations du travail au Canada. Je voulais vous donner l'occasion de nous parler plus en détails des raisons pour lesquelles vous êtes d'avis que ce projet de loi ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il est même constitutionnel.

M. Johnston : Très rapidement, alors.

Sénateur Baker, lorsque vous avez fait votre recherche sur M. Cavalluzzo et moi, vous avez probablement retrouvé un dossier auquel nous avons tous les deux travaillé il y a une trentaine d'années. Il a gagné, moi j'ai perdu, et ce fut notre seule rencontre.

M. Cavalluzzo : Je ne m'en souviens même pas.

M. Johnston : Je dois dire que ça me perturbe encore d'y penser.

J'ai lu l'opinion de Michel Bastarache. À son avis, ce projet de loi vise la divulgation et non pas la réglementation. Selon lui, il y a d'autres intrusions du même genre, par exemple chez les organismes caritatifs et les associations athlétiques.

En ce qui concerne l'aspect volontaire de la participation aux syndicats, c'est un argument qu'on nous présente de temps en temps, mais ce n'est pas juste, sauf tout le respect que je dois aux personnes qui sont de cet avis. Je participe à la négociation de conventions collectives; en tant que syndicat, vous avez le droit de négocier contre mon client, l'employeur, et je dois reconnaître ce droit. Les syndicats nous demandent d'inclure dans la convention collective une disposition selon laquelle tous les employés doivent être membres du syndicat et, à chaque fois, je me plie à leur volonté. L'employeur n'a rien à gagner à dire non, donc pourquoi refuser?

L'adhésion à un syndicat est volontaire au départ, mais elle ne le reste pas. Le CTC est un organisme de nature différente. Il s'agit d'un organisme-cadre qui regroupe plusieurs syndicats, et ces syndicats sont effectivement des membres volontaires. Ils peuvent décider d'adhérer au CTC ou à une autre organisation.

La sénatrice Batters : J'ai une question brève pour M. Cavalluzzo. À votre avis, ce projet de loi viole le partage des pouvoirs constitutionnels. Je ne sais pas si vous en êtes conscient, mais la semaine dernière, Andrea Gunn a publié un article dans iPolitics dans lequel l'ancien juge de la Cour suprême, Michel Bastarache, a formulé quelques commentaires à l'égard de ce projet de loi. Je vais vous lire quelques citations tirées de cet article :

M. Bastarache considère que, en général, ce projet de loi traite de l'imposition, et non pas du droit du travail, puisqu'il s'agit seulement de divulgation.

Il y a une autre citation dont j'aimerais vous faire part :

Il a déclaré ce qui suit : « les mesures prises par les provinces n'entravent en rien les pouvoirs du gouvernement fédéral en matière d'imposition. Je pense qu'il y a très peu de chances que cette affaire se rende jusqu'à la Cour suprême, car la possibilité d'obtenir gain de cause avec cet argument est si faible qu'il ne ferait même pas l'objet d'un appel. »

Vous avez exprimé l'opinion contraire, et je me demande si vous pensez que votre évaluation du caractère constitutionnel de ce projet de loi est supérieure à celle de l'ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache.

M. Cavalluzzo : Merci d'avoir posé la question. En ce qui concerne les opinions des anciens juges de la Cour suprême du Canada, il ne faut pas oublier que l'ancien juge de la Cour suprême Ian Binnie a confirmé au gouvernement fédéral que sa nomination du juge Nadon à la Cour suprême du Canada respectait la loi. Il avait tort, de toute évidence, ce qui a causé toutes sortes d'embarras au gouvernement. Je pense que le juge Bastarache se trompe lui aussi.

Mais les avocats aiment les changements climatiques; il y a des avocats qui disent tout et son contraire. Voilà pourquoi j'ai apporté ce document, parce que dans le cadre de mes recherches, j'ai noté que la Loi sur la Cour suprême, contient une disposition, à l'article 54, qui permet au Sénat de renvoyer un projet de loi d'initiative parlementaire à la Cour suprême du Canada. C'est ce qu'on devrait faire. Les opinions sont partagées, donc on devrait laisser les tribunaux trancher. Je vous recommande d'envoyer le projet de loi devant la Cour suprême du Canada, car vous disposez de ce pouvoir constitutionnel. C'est logique, parce qu'il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire qui ne fera pas l'objet du même examen rigoureux qu'un projet de loi déposé par la ministre. La constitution exige que ces derniers soient évalués par un ministre afin d'assurer leur conformité avec la Charte des droits et libertés. Ce n'est pas le cas pour un projet de loi d'initiative parlementaire.

La sénatrice Jaffer : Merci pour vos exposés. Je commencerai par vous, monsieur Cavalluzzo.

Vous avez parlé de la Charte des droits, alinéas 2b) et 2d), concernant la liberté d'expression et la liberté d'association. Je sais que vous avez eu très peu de temps pour faire votre présentation. J'aimerais que vous disiez exactement ce qu'on empêcherait en vertu de ce projet de loi. En quoi brimerait-on la liberté d'expression des gens?

M. Cavalluzzo : L'alinéa 2b) porte sur la liberté d'expression. L'essentiel de l'expression politique, de la liberté d'expression, c'est le débat politique. Donc, je suis d'avis que le gouvernement n'a pas à découvrir ou à demander combien d'argent un syndicat dépense pour des activités politiques. Il s'agit d'activités en rapport avec l'expression garantie par l'alinéa 2b).

En ce qui concerne l'alinéa 2d) concernant la liberté d'association, il garantit que les travailleurs peuvent se rassembler et faire valoir leurs intérêts ensemble. Il me semble que lorsque vous accordez un avantage indu à l'employeur en demandant : « Combien le syndicat a-t-il en banque? Combien dépense-t-il çà et là? Je gage qu'il ne peut se permettre de faire la grève, je prendrai donc une position très ferme pendant les négociations », cela entraverait sérieusement le processus de négociation collective et, comme l'a dit M. Johnston il y a quelques mois, la Cour suprême a déterminé qu'il s'agit là d'une contravention de l'alinéa 2d).

La sénatrice Jaffer : J'ai une question pour vous, monsieur Yussuff. Je suis très préoccupée par l'idée de demander aux Canadiens combien d'heures ils consacrent aux activités non syndicales. Comme vous êtes le chef d'un puissant syndicat, j'aimerais vous entendre. Vos membres consacrent beaucoup de temps, j'en suis certaine, à l'église, aux activités de Scouts et Guides, et à toutes sortes d'activités de bénévolat. Le parrain de ce projet de loi a dit que l'ARC interprétera le sens des activités non syndicales. Je ne l'accepte pas. Le parrain devrait nous expliquer ce qu'il veut dire, mais il a décidé de ne pas le faire.

Alors, je vous pose la question : comment pensez-vous que vos membres réagiront demain s'ils devaient indiquer combien d'heures ils ont consacrées à la construction de leur église ou de leur mosquée?

M. Yussuff : J'estime que c'est l'essence même de ce qui cloche dans ce projet de loi. Il est si fondamentalement vicié, de manière si profonde. Pour que ce projet de loi soit adopté et devienne la loi du pays, cette instance devra permettre l'attaque la plus importante contre les libertés les plus fondamentales de notre pays.

Mes membres font du bénévolat dans tous les secteurs de la société canadienne. Ils font tant de bénévolat que presque 300 millions de dollars amassés pour les agences de Centraide au Canada sont attribuables aux efforts des bénévoles. Mes travailleurs demandaient à leurs membres : « Pourriez-vous s'il vous plaît signer ce formulaire pour contribuer à la campagne de Centraide? » Mes membres font du bénévolat quotidiennement auprès de ligues de soccer parce que leurs communautés leur sont précieuses. Pourquoi devrait-il y avoir un rapport avec nos activités relatives au mouvement des travailleurs?

Du côté politique, j'ai passé beaucoup de temps avec l'amie du sénateur Runciman, Kellie Leitch, qui est la ministre du Travail. Je lui parle régulièrement afin de résoudre des problèmes dans le domaine des relations du travail au Canada. Pourquoi? Parce qu'elle est ministre du Travail. C'est ma responsabilité de lui parler.

La réalité c'est qu'elle a un travail à faire et moi aussi. Pourquoi est-ce que je devrais divulguer ce renseignement sur un site web du gouvernement? Pourquoi le gouvernement devrait-il s'ingérer dans ce principe fondamental de notre société?

À ce sujet, il y a 25 000 syndicats locaux au pays. Est-ce que vous me dites que l'ARC a le temps de vérifier si on a respecté toutes les lois à chaque fois qu'on participe à une activité? Peut-être que M. Russ Hiebert comprend ce qu'on fait de notre temps. On fait beaucoup de choses. Nous sommes des citoyens de ce pays, et la Constitution garantit notre droit d'effectuer notre travail et de participer à toute activité qu'on choisisse en fin de compte.

Si le gouvernement pense qu'on ne devrait pas le faire, il pourrait présenter une nouvelle loi qui sera ensuite soumise au critère établi par la Cour suprême.

Le sénateur Plett : Monsieur Cavalluzzo, vous avez fait deux affirmations. Dans la première affirmation, vous avez suggéré que la participation aux syndicats était volontaire. M. Johnston en a déjà parlé, mais moi aussi je voulais faire un commentaire à ce sujet.

J'ai travaillé dans le domaine de la construction toute ma vie avant d'être nommé au Sénat. Les syndicats ont beaucoup de caractéristiques, mais leur participation n'est définitivement pas volontaire. Et je serais prêt à défendre ce point n'importe quand, n'importe où. La participation aux syndicats n'est pas volontaire.

Vous avez également dit — non, ce n'était pas une question. C'était un commentaire. Vous avez fait référence à cette institution lorsque vous avez donné votre non-réponse au sénateur Dagenais. Vous avez cité cette institution comme exemple pour contrer son argument. Cette institution est transparente. Chaque trimestre, vous pouvez vous rendre sur le site web pour vérifier chaque dollar que j'ai dépensé. Les Canadiens n'en méritent pas moins. Ils méritent de savoir comment leur argent est dépensé. Ils savent exactement comment l'argent des contribuables que je reçois est dépensé.

Les gens se rendent devant les tribunaux non pas parce que les Canadiens ne savent pas comment leur argent est dépensé, mais parce qu'ils savent comment il l'est. Voilà pourquoi ils se rendent devant les tribunaux.

Ma première question pour vous est la suivante : pensez-vous que le gouvernement a le droit de savoir comment les organismes caritatifs dépensent leur argent?

M. Cavalluzzo : D'abord, pour ce qui est de la participation volontaire aux syndicats. Chaque code de travail provincial et fédéral dans ce pays donne aux employés syndicalisés l'occasion, à tous les deux ou trois ans, de voter contre le syndicat. C'est un droit garanti en vertu des lois relatives au travail, à tous les deux ou trois ans. Ce processus s'appelle l'accréditation et la révocation.

Le sénateur Plett : Lorsque je vais travailler pour la compagnie X, soit je deviens membre du syndicat soit la compagnie X ne me permet pas de devenir employé. Ce n'est pas volontaire ça.

M. Cavalluzzo : Si vous voulez vous joindre...

Le sénateur Plett : Ce n'était pas ma question.

M. Cavalluzzo : Mon propre syndicat...

Le sénateur Plett : Ma question à vous était au sujet des organismes de bienfaisance.

M. Cavalluzzo : Mon propre syndicat, le Barreau du Haut-Canada...

Le sénateur Plett : Pourriez-vous répondre à la question concernant les organismes de bienfaisance?

M. Cavalluzzo : Le Barreau du Haut-Canada me force à devenir membre.

Le sénateur Plett : Pourriez-vous répondre à ma question concernant les organismes de bienfaisance?

M. Cavalluzzo : Pourquoi le projet de loi C-377 ne soumet-il pas le Barreau du Haut-Canada aux mêmes exigences?

Le sénateur Plett : Je vous ai posé une question, monsieur.

M. Cavalluzzo : Et la question, alors? Vous avez fait plusieurs commentaires. Quelle était votre dernière question?

Le sénateur Plett : Il n'y avait qu'une seule question. Croyez-vous que les organismes de bienfaisance devraient être transparents et divulguer comment ils dépensent leur argent?

M. Cavalluzzo : Il y a une vaste différence entre les exigences de déclaration des organismes de bienfaisance et des syndicats.

Le sénateur Plett : Oui ou non?

M. Cavalluzzo : Les exigences du projet de loi C-377 sont tellement vastes; les exigences imposées aux organismes de bienfaisance sont limitées comparativement à celles que le projet de loi C-377 exige des syndicats. Si vous songez que nous essayons de les comparer à celles des organismes de bienfaisance, pourquoi les exigences ne sont-elles pas identiques? Pourquoi créez-vous une infraction pénale pour les syndicats, mais non pour les organismes de bienfaisance si vous voulez les comparer l'une à l'autre? Donc la réponse...

Le sénateur Plett : Pour citer le sénateur Vern White il y a quelques semaines pendant un témoignage, merci beaucoup de votre présence, mais je pense qu'on a gaspillé votre temps et le mien aussi parce que vous n'avez pas répondu à mes questions.

M. Cavalluzzo : Quelle insulte. Quelle insulte incroyable de la part d'un soi-disant fonctionnaire. Vous êtes fonctionnaire?

Le président : Ce débat est devenu un peu excessif. Sénateur Plett, je pense que vous devriez peut-être reconsidérer votre commentaire. Je ne crois pas qu'il ajoute quoi que ce soit à la discussion.

Passons au prochain sénateur, le sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : J'aimerais en revenir à la question à l'étude, c'est-à-dire la constitutionnalité du projet de loi. On nous a demandé de nous attacher à cet aspect précis du projet de loi.

Les trois dernières décisions de la Cour suprême du Canada au sujet des syndicats au Canada m'ont impressionné. En fait, je devrais dire que j'étais étonné qu'ils soient allés aussi loin. Peut-être je ne suis pas le seul Canadien à avoir été surpris.

Je suis tenté de lire le projet de loi C-377 dans le contexte de ces trois dernières décisions, puisque si vous dites qu'on devrait s'attendre à ce que ce projet de loi soit contesté sur le plan constitutionnel, la même Cour suprême que nous avons maintenant, plus ou moins, va devoir statuer sur ce projet de loi en fonction des principes qu'elle a entérinés dans ces trois dernières décisions.

Est-ce que j'ai raison de dire qu'elle va bien sûr examiner le projet de loi et son incidence sur les syndicats en soi, dans le cadre des activités syndicales, mais qu'elle va aussi évaluer l'incidence de ce projet de loi dans le contexte global de l'équilibre qui devrait exister dans le rapport entre les employeurs et les employés? Elle aurait donc une analyse beaucoup plus générale du projet de loi qu'une simple comparaison avec les organismes de bienfaisance qui sont inclus dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

Un organisme de bienfaisance n'a pas un mandat social du même genre qu'un syndicat. Un syndicat a un droit très précis d'exister que la cour a reconnu, comme vous le savez, dans ces trois décisions. Donc je crois que la cour va essayer d'évaluer la nature de ce projet de loi en ce qui a trait à son incidence générale et aux conséquences sociales dans la négociation d'une convention collective entre un employeur et un employé.

Pensez-vous que j'exagère ma réflexion par rapport à la constitutionnalité de ce projet de loi.

M. Cavalluzzo : Absolument pas. Vous avez mis le doigt sur le problème. Parce que vous avez raison; un syndicat n'est pas la même chose qu'un organisme de bienfaisance. Un syndicat est garanti au plan constitutionnel. C'est prévu à l'alinéa 2d) de la Charte. Les organismes de bienfaisance ne sont pas garantis au plan constitutionnel, donc on ne peut pas les comparer.

En ce qui a trait à la question de la répartition des pouvoirs, est-ce qu'elle relève du provincial ou non, la Cour suprême va examiner la loi et voir, est-ce que c'est une loi fiscale ou est-ce qu'elle traite des syndicats. Je pense que la réponse est évidente, d'après ce qu'a dit M. Hiebert, parrain du projet de loi. Elle va examiner l'affirmation du gouvernement selon laquelle c'est une loi fiscale. Est-ce que c'est une tentative déguisée d'empiéter sur une compétence provinciale? À mon humble avis, elle dira que oui.

Le sénateur Joyal : Oui, monsieur.

M. Yussuff : Très brièvement, j'appuie tous les points de la réponse de Paul, mais j'aimerais ajouter que ce projet de loi fait essentiellement pencher la balance en faveur de l'employeur. Les syndicats ne sont pas tous les mêmes. Ils ne sont pas de la même taille et ils n'ont pas les mêmes ressources ou capacités pour la négociation collective.

Si un syndicat met de côté de l'argent pour une campagne de syndicalisation dans ses finances, pourquoi cela devrait-il devenir public pour que les employeurs puissent maintenant résister aux ressources que les syndicats ont mises de côté pour la syndicalisation? Je pense que c'est simplement injuste. Pourquoi l'employeur devrait-il avoir accès à cette information pour bien sûr en profiter?

Les deux parties n'étaient jamais sur le même pied d'égalité. L'employeur dispose de beaucoup plus de ressources.

Le sénateur Joyal : Sur un même pied d'égalité.

M. Yussuff : Précisément. Dans la juridiction fédérale, on considère depuis longtemps que le Code canadien du travail devrait être un texte législatif équilibré. Les deux employeurs avec lesquels nos organisations, — donc l'ETCOF et nous — avons travaillé m'ont chargé d'entretenir la relation, qui va au-delà de la négociation collective. Lorsqu'une des parties tente de changer les règles du jeu, l'harmonie dans les relations de travail est brisée, et c'est justement ce que fait ce projet de loi.

Le sénateur Joyal : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Johnston?

M. Johnston : Je ne vois pas en quoi ce projet de loi brisera l'équilibre dans les relations de travail. D'après mon expérience, les syndicats annoncent souvent à l'avance leur intention de s'organiser et les sommes qu'ils entendent dépenser sur l'organisation d'une activité.

Si je me rappelle bien, lors de son dernier congrès, la FAT-COI avait annoncé son intention de dépenser un certain montant pour organiser des activités syndicales. Ce n'est pas normalement un grand secret. Encore une fois, à mon avis, on n'est pas en train de changer les règles du jeu.

Si l'équilibre était bel et bien brisé, et je conclurai là-dessus, par rapport à l'affaire impliquant M. Cavalluzzo devant la Cour suprême du Canada, il y avait des employeurs qui s'y opposaient. Il y avait des employeurs de l'autre côté dans cette affaire.

Pour ce qui est de ce projet de loi, s'il favorisait vraiment les employeurs, eh bien, où sont-ils? Pourquoi l'ETCOF et les autres groupes ne demandent-ils pas à ce qu'on revienne à la charge? Ça ne veut rien dire. Le projet de loi n'affectera aucunement les relations de travail. C'est mon avis.

Le sénateur McIntyre : Merci, messieurs, pour vos présentations.

L'alinéa 2b) garantit la liberté d'expression et l'alinéa 2d) garantit la liberté d'association. Certaines personnes ont déclaré que le projet de loi porterait atteinte à ces garanties contenues dans la Charte. Si c'était vrai, pensez-vous que l'atteinte de ces droits serait justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte? Permettez-moi d'expliquer.

D'après mon interprétation, le projet de loi imposerait une obligation de divulgation publique. D'après le parrain du projet de loi, le but n'est pas de réglementer les activités des syndicats, ni de prescrire comment ils doivent dépenser leur argent. Donc, on pourrait arguer que le projet de loi ne limite pas le droit d'association tel que conféré à l'alinéa 2d) de la Charte.

De plus, puisque le projet de loi cherche à rehausser la transparence et la responsabilité des organisations qui bénéficient de crédits d'impôt, ne pensez-vous pas qu'on puisse justifier une atteinte aux droits prévus à l'article 1 de la Charte en invoquant l'importance de l'objectif du projet de loi?

M. Cavalluzzo : Il s'agit d'une très bonne question. Je vous le dis avec respect.

Le sénateur McIntyre : Merci beaucoup.

M. Cavalluzzo : La Cour suprême du Canada fait très attention et procède à un examen rigoureux en application de l'article 1 lorsqu'un droit constitutionnel est violé. La première question que la Cour suprême se pose est la suivante : existe-t-il un objectif réel et urgent à la loi. La Cour suprême se penchera là-dessus. Quel est le problème? Quel méfait le projet de loi C-377 vise-t-il à enrayer? La cour examinerait les études qui ont été faites au préalable pour déterminer si plus de transparence est nécessaire. Je crois comprendre que rien, mais alors rien, n'est fait. Il y aurait donc un débat sur cette question. Existe-t-il un objectif réel et urgent? À mon avis, la réponse est non.

La deuxième question sera la suivante : s'il existe un objectif réel et urgent, est-ce que les moyens adoptés sont appropriés? Est-ce que la loi est proportionnelle au problème? À mon avis, elle n'est pas proportionnelle. Par exemple, si vous voulez faire une comparaison avec des organismes caritatifs, les exigences en matière de déclaration pour les organismes caritatifs sont beaucoup moins rigoureuses que les exigences en matière de déclaration des syndicats. Alors, si on impose ces exigences aux organismes caritatifs pour les rendre plus transparents, on devrait faire la même chose pour les syndicats. Pourquoi les exigences en matière de rapport sont-elles beaucoup plus élevées pour les syndicats? S'il est vraiment question de transparence, alors pourquoi créer des sanctions pénales pour les syndicats, mais pas pour les organismes caritatifs? Alors la lutte se ferait au titre de l'article 1. Je vous ai donné mon point de vue. D'autres ne seront pas d'accord, bien sûr. C'est pour cela que je crois que, en votre qualité de sénateur, vous devriez demander que le projet de loi soit renvoyé à la Cour suprême du Canada, en application de l'article 54, pour que l'on puisse avoir une réponse officielle à cette question aussi importante.

Le président : Est-ce que vous voulez aussi entendre l'opinion de M. Yussuff? Il vous reste assez de temps, et il a envie de répondre.

M. Yussuff : Je serai bref. J'ai suivi très attentivement Russ Hiebert et son exposé. Il y a un point que M. Hiebert n'a pas soulevé : quel problème voulons-nous régler? Quel problème essayons-nous de corriger? M. Hiebert, bien entendu, a découvert une loi américaine qui prévoit la divulgation aux États-Unis. Moi, je n'habite pas aux États-Unis. À l'heure actuelle, il existe dans plusieurs provinces, ainsi qu'au niveau fédéral, des lois qui permettent aux membres de recevoir de l'information financière. Si nous ne faisions pas notre travail, il y aurait un nombre élevé de plaintes devant les commissions aux échelons provincial et fédéral. Il n'y a jamais eu de recours dans le cadre desquels les membres d'un syndicat ont fait une demande de divulgation financière qui n'a pas été respectée. À la base, voilà ce qui devrait être notre point de départ. Nous sommes un organisme privé. Nos membres adhèrent à notre organisme. Ils ont droit à l'information et à la divulgation financière.

Nous ne savons toujours pas quel est le problème qu'on tente de régler. Ou est-ce plutôt qu'on tente de créer le problème? Ce projet de loi selon moi est issu d'une motivation politique et a très peu à voir avec la divulgation et la transparence.

La sénatrice Fraser : J'aimerais vous remercier tous de votre présence. Loin d'une perte de temps, cette discussion a été jusqu'ici la partie la plus informative de notre étude, et je vous suis reconnaissante à tous les trois. Monsieur Cavalluzzo, je vous remercie tout particulièrement pour avoir aussi vigoureusement défendu votre présence ici. Je note à l'intention de l'auditoire que le Sénat a l'habitude de payer les déplacements des témoins appelés à comparaître afin qu'ils soient tous présents ici et sur le même pied d'égalité. Les gens n'ont pas à rester chez eux parce qu'ils n'ont pas les moyens de voyager.

Monsieur Cavalluzzo, vous dites à la page 7 de votre mémoire que le projet de loi C-377 établit des classifications arbitraires et déraisonnables des cotisations syndicales qu'autant la Cour suprême du Canada que la Commission des relations du travail de l'Ontario ont déterminées être contraignantes et difficiles à appliquer.

Pourriez-vous nous en dire davantage?

M. Cavalluzzo : Je faisais allusion là au fait que la Cour suprême du Canada, dans l'affaire Lavigne, qui traitait des cotisations syndicales, a dit qu'il ne fallait pas tenter de distinguer entre les dépenses pour la négociation collective et les dépenses de nature politique. C'est trop difficile — et nous l'avons déjà dit — surtout quand il est question de syndicats du secteur public. Les syndicats du secteur public peuvent dépenser de l'argent pour faire changer une loi. Cependant, cette loi s'applique à l'unité de négociation, et ils le font pour les besoins de la négociation. La Cour suprême a dit qu'il est carrément impossible de faire la distinction entre la négociation collective — ou les « relations de travail », comme le dit C-377 — et les activités politiques. Je faisais aussi allusion à l'affaire General Motors, de la Commission des relations du travail de l'Ontario qui remonte à 1995, et où il était question d'une grève politique, et la conclusion était la même. La commission a dit en gros qu'il est impossible de faire la distinction entre la négociation collective et l'activité politique, les deux étant tellement enchevêtrées. C'est surtout le cas aujourd'hui, avec la flopée de règlements qui traitent des travailleurs et des syndicats : quand on s'engage dans une activité politique, on le fait toujours pour les membres. Les gens tentent d'atteindre les objectifs de négociation de l'association d'une unité de négociation. C'est ce à quoi la Cour suprême et la Commission des relations de travail de l'Ontario voulaient en venir quand elles ont dit qu'il ne fallait pas faire de distinction.

La sénatrice Fraser : Une question complémentaire, si je peux : Est-ce que la Cour suprême a parlé de la distinction entre les activités politiques et les activités partisanes?

M. Cavalluzzo : Non. Elle s'est prononcée en des termes plus généraux.

[Français]

La sénatrice Bellemare : On a parlé du Québec et de la commission Charbonneau. Dans la foulée des débats à la commission Charbonneau, le Québec s'est pris en main au chapitre de la transparence dans l'industrie de la construction.

Notamment, il y a eu le projet de loi no 33 qui a été déposé et sanctionné à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 2 décembre 2011, et qui s'intitule « La Loi éliminant le placement syndical et visant l'amélioration du fonctionnement de l'industrie de la construction. »

Une modification a été apportée à cette loi en ce qui concerne les relations de travail dans l'industrie de la construction, notamment l'amendement 93. On a modifié l'article 93 de la loi R-20 qui gère les relations de travail dans l'industrie de la construction. Désormais, cette loi impose une obligation aux associations patronales liées à la construction et aux associations syndicales. Je vous en cite un extrait :

Toute association visée par l'un des paragraphes a, b, c ou c.2 [...]

Ma question est la suivante : compte tenu de ces modifications importantes apportées au Code du travail de l'industrie de la construction, qui oblige l'industrie à publier sur le site web des renseignements sur les états financiers et les dépenses des associations patronales et syndicales, est-ce que cela n'engendre pas un conflit juridictionnel? Ici, nous avons une loi que le Québec est en voie d'appliquer, mais le projet de loi C-377 entre en conflit avec cette loi.

J'aimerais savoir ce que vous pensez de cette information.

[Traduction]

M. Cavalluzzo : Je suis d'accord. Je suis d'accord pour dire que les provinces, le Québec en l'occurrence, ont l'autorité de faire affaire avec les syndicats. Je n'ai rien contre la transparence. Ce qui m'importe, c'est que l'autorité idoine s'en occupe. S'il y a problème, occupons-nous-en, mais qu'il s'agisse au moins de la bonne autorité. Par exemple, M. Hiebert justifie sa position sur une loi américaine. Or, le fait est qu'à l'époque, c'était la mafia qui contrôlait les fonds de retraite. Fort heureusement, ce n'est pas le cas au Canada. Donc, nous devons nous assurer que l'autorité idoine règle la question.

Le président : Est-ce que d'autres témoins souhaitent répondre brièvement à cette question? Non? Merci à tous. Nous apprécions infiniment votre comparution et votre témoignage. Nous allons lever la séance et nous réunir à nouveau demain.

(La séance est levée.)


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