Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 30 - Témoignages du 7 mai 2015
OTTAWA, le jeudi 7 mai 2015
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), se réunit aujourd'hui, à 10 h 30 pour étudier ce projet de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J'avise tous les témoins aujourd'hui que nous avons un ordre du jour bien chargé. Je vous rappelle la limite de cinq minutes pour les déclarations liminaires. Si vous dépassez cinq minutes, il se peut que je vous rappelle à l'ordre. J'encourage les sénateurs et les témoins à être aussi succincts que possible dans leurs questions et leurs réponses. Cela nous aidera à accomplir notre tâche.
Bienvenue chers collègues, chers invités et membres du public qui suivent les procédures aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Nous continuons notre étude du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières). Il s'agit d'un projet de loi déposé à la Chambre des communes en décembre 2011 par M. Russ Hiebert, député de South Surrey —White Rock — Cloverdale en Colombie-Britannique. Le projet de loi a été rétabli au début de la session actuelle et il s'agit de notre troisième réunion portant sur ce projet de loi.
Je rappelle à tous ceux qui nous écoutent que ces audiences du comité sont ouvertes au public et accessibles en webdiffusion à partir du site web parl.gc.ca. Vous trouverez de plus amples détails et l'horaire des témoins à comparaître sur le même site web, sous l'onglet Comités du Sénat.
J'ai dit que nous avions de nombreux témoins, qui sont avec nous, soit en personne, soit par vidéoconférence. Pour notre premier groupe, je vous prie d'accueillir Bruce Ryder, professeur, Osgoode Hall Law School, par vidéoconférence, et il devra peut-être partir avant la fin de la réunion; Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers, qui est avec nous aussi par vidéoconférence d'Edmonton; Jerry Dias, président national, Unifor; et John Mortimer, président de l'Association Labour Watch du Canada.
Nous commencerons par le professeur Ryder.
Bruce Ryder, professeur, Osgoode Hall Law School, à titre personnel : Merci beaucoup, sénateur Runciman. Je suis ravi de comparaître devant le comité dans le cadre de votre étude du projet de loi C-377.
Je suis professeur à l'Osgoode Hall Law School. Mon champ d'expertise est le droit constitutionnel, incluant la séparation des pouvoirs législatifs prévue par la Loi constitutionnelle de 1867. Aujourd'hui, mes remarques se concentreront sur les enjeux en lien avec la validité constitutionnelle des dispositions de la loi en vertu de la séparation des pouvoirs.
J'ai soumis au comité un mémoire qui détaille davantage mon point de vue. Puisque je n'ai que cinq minutes ce matin, permettez-moi d'aller à l'essentiel.
Il y a deux enjeux cruciaux dont les sénateurs doivent débattre qui portent sur les enjeux constitutionnels en lien avec la séparation des pouvoirs législatifs. Le premier enjeu découle du principe du caractère véritable et vous trouverez les questions afférentes à ce principe à la page 3 de mon mémoire. La question est la suivante : le projet de loi C-377 et ses caractéristiques principales, en lien avec les organisations ouvrières, relève-t-il exclusivement du champ de compétence provincial et donc il est ultra vires ou, en raison de son lien avec l'impôt sur le revenu, relève-t-il des compétences du Parlement conformément à l'article 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867?
Selon moi, il est évident que le caractère véritable de cette loi vise à promouvoir la transparence et la reddition de comptes des organisations ouvrières, une question qui ne relève tout simplement pas des compétences fédérales et est donc ultra vires.
La deuxième question importante, car ce n'est pas la fin de l'histoire, est liée à la doctrine des pouvoirs accessoires. Cette question se retrouve en haut de la page 6 de mon mémoire et se lit ainsi : les dispositions en matière de divulgation financière telles que proposées par le projet de loi C-377 jouent-elles un rôle important et substantiel dans l'accomplissement des objectifs de la Loi de l'impôt sur le revenu? Ces dispositions sont-elles liées d'un point de vue rationnel et fonctionnel aux objectifs de la Loi de l'impôt sur le revenu dans la mesure où elles améliorent les dispositions existantes?
Je réponds qu'il est manifeste, encore une fois, que le projet de loi n'est pas lié aux dispositions existantes de la Loi de l'impôt sur le revenu, qu'il n'a pas de lien étroit avec les objectifs de la loi et qu'il sera ainsi déclaré inopérant par les tribunaux.
Vous trouverez dans mon mémoire quelques détails expliquant les deux conclusions. Au sujet du caractère véritable de la loi, je m'en remets surtout à ce que la loi accomplit, à ce qu'elle prétend accomplir, à ses effets et ses objectifs juridiques, à ce que le parrain du projet de loi, M. Hiebert, a dit au sujet de son objectif et aux débats qui ont eu lieu au Parlement. Toutes les interventions ciblaient la promotion de la transparence et de la reddition de comptes de la part des organisations ouvrières. C'est ce qui la caractérise, c'est son caractère véritable. On a bien peu parlé des répercussions fiscales de ce projet de loi, et je crois qu'il n'y a aucune répercussion du genre dans la mesure où le projet de loi n'est pas lié aux dispositions existantes de la Loi de l'impôt sur le revenu. Voilà sur quoi se fonde ma conclusion sur le caractère véritable.
Au sujet de la doctrine des pouvoirs auxiliaires, à savoir s'il y a un lien assez fort avec les dispositions existantes de la Loi de l'impôt sur le revenu, j'écris dans mon mémoire, aux pages 6 et 7, les raisons pour lesquelles ce lien n'existe pas. Le projet de loi n'aborde pas la question de la situation fiscale des organisations ouvrières ni les conséquences fiscales des activités des membres d'une organisation ouvrière ou de l'organisation ouvrière elle-même. Le projet de loi ne fait aucun lien entre le traitement fiscal actuel des organisations ouvrières, leurs activités, ou les cotisations syndicales. Les obligations en matière de divulgation prévues dans la loi sont appliquées par des amendes, et non un assujettissement à l'impôt ou le retrait d'une déduction fiscale ou tout autre avantage fiscal.
Il est primordial de distinguer entre la façon dont la loi, la Loi de l'impôt sur le revenu, exempte les organisations ouvrières et la façon dont elle exempte les organismes caritatifs et les associations sportives. Ces deux derniers genres d'organismes sont définis de manière détaillée et doivent respecter des conditions en vertu de leur inscription à titre d'organismes exonérés d'impôt et s'ils veulent continuer à jouir de ce statut. Rien de tel n'existe pour les organisations ouvrières.
Le projet de loi C-377 ne propose pas de faire correspondre les obligations en matière de divulgation au traitement fiscal actuel des organisations ouvrières. C'est la raison pour laquelle je suis certain que les tribunaux concluront que, de par son caractère véritable, la loi n'est pas liée à l'impôt sur le revenu, mais plutôt aux organisations ouvrières, qui relèvent exclusivement des compétences provinciales.
Merci beaucoup.
Le président : Juste à temps, professeur. Passons maintenant à M. Stamatakis.
Tom Stamatakis, président, Association canadienne des policiers : Monsieur le président, honorables sénateurs, merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître ce matin au sujet du projet de loi C-377 dans le cadre de votre étude sur la loi proposée.
Ce n'est pas la première fois que je comparais devant vous, mais pour ceux qui ne connaissent pas l'Association canadienne des policiers, il s'agit du porte-parole national pour près de 60 000 membres des forces policières partout au Canada. Nous comptons parmi nos membres des policiers et du personnel civil œuvrant dans 160 services de police partout au pays, dans les plus petites villes et villages du Canada comme au sein de nos corps de police les plus importants, y compris des membres de la GRC, de la police du chemin de fer du CP et des services de police des Premières Nations.
Je me dois aussi de souligner que je suis policier à Vancouver. Je suis détaché par le service de police au Vancouver Police Union, en qualité de président, je suis aussi président de la British Columbia Police Association, qui réunit tous les syndicats de police municipale de la Colombie-Britannique; je suis en outre président de l'Association canadienne des policiers. Je suis détaché à ces postes, donc j'occupe les fonctions de président. Si je n'avais plus ce titre, je retournerais à ma carrière de policier à Vancouver.
À l'exception de nos collègues de la GRC, chacun des policiers assermentés et des civils que je représente sont aussi membres d'un syndicat et c'est pourquoi le projet de loi C-377 inquiète tellement nos membres et le personnel policier de première ligne du pays.
Je tiens à rappeler que la Cour suprême du Canada a rendu cette année une importante décision aux termes de laquelle nos collègues de la GRC jouissent aussi des droits d'association syndicale et de négociation collective. Le résultat de ce débat pourrait donc avoir d'importantes répercussions pour eux à court terme.
Avant d'exprimer précisément mes préoccupations, je tiens à dire qu'alors que les associations policières tiennent un rôle d'unité de négociation, représentent leurs membres dans les processus de grief et fournissent au besoin des protections juridiques additionnelles à leurs membres, outre ces nombreux autres rôles, elles sont très différentes de la plupart des organisations syndicales. Nous n'avons pas d'affiliation politique formelle avec aucun des partis nationaux, et nous sommes fiers de travailler avec tous les parlementaires dans la poursuite de l'objectif ultime qui est d'assurer la sécurité des collectivités pour les Canadiens et pour nos membres.
En ce qui concerne le projet de loi C-377, je ne peux m'empêcher d'y voir une solution à un problème qui n'existe pas, et de surcroît, une solution coûteuse. Bien que je ne doute aucunement que les promoteurs de ce projet de loi puissent aller pêcher des exemples de représentants syndicaux qui auraient détourné des fonds de leurs propres membres, le fait tout simple est que diverses dispositions du Code criminel portent déjà sur ce genre de situations. Fort heureusement, celles-ci sont des plus rares, dans l'ensemble.
Même si je n'aime pas tellement soulever cette question, je suppose qu'il serait possible de faire un parallèle entre ce projet de loi et le registre des armes d'épaule qui vient d'être aboli, et c'est pourquoi je m'étonne souvent d'entendre des parlementaires conservateurs défendre le projet de loi C-377. En tant que policiers, nous nous sommes fait dire que le registre des armes d'épaule était coûteux à mettre en œuvre et à tenir à jour, et représentait peu d'avantages puisque ce ne serait pas les criminels qui enregistreraient leurs armes à feu. Le projet de loi C-377 créera un registre qui sera coûteux à établir — d'après l'Agence du revenu du Canada, ce serait de l'ordre de plusieurs millions de dollars — il serait coûteux à tenir à jour et présenterait vraisemblablement peu d'avantages puisqu'il est peu probable que les fraudeurs signalent leurs comportements criminels.
J'ai travaillé pendant des années avec mon association locale, la Vancouver Police Union, ainsi qu'avec mon association provinciale, la British Columbia Police Association et avec notre organisation nationale, l'Association canadienne des policiers. Je peux vous assurer que la très grande majorité des dirigeants syndicaux sont des gens honnêtes, qui travaillent très fort et mettent en suspens leurs propres carrières au sein de la police pour travailler pour leurs membres, bien souvent en conciliant leurs fonctions policières avec leurs obligations en tant que représentants syndicaux élus.
Il est un peu ridicule, à mon avis, de laisser entendre qu'une loi onéreuse soit nécessaire pour empêcher une très mince minorité de commettre des actes criminels. De fait, comme certains d'entre vous le savent peut-être, des allégations ont été portées contre certains de nos collègues de l'Association de la Police provinciale de l'Ontario relativement aux états financiers de leur association. Comme l'enquête se poursuit, il ne conviendrait pas que je commente les détails de ce cas, que ce soit dans ma déclaration ou en réponse à vos questions. Je dois dire cependant que c'est un exemple concret de la façon dont fonctionne le système actuel.
J'aimerais aussi saisir cette occasion de parler un peu des membres de nos associations, puisque les parrains de ce projet de loi se plaisent à laisser entendre qu'ils proposent ces mesures en leur nom. J'ai assisté à des centaines de réunions générales annuelles de syndicats policiers dans tout le pays, et chaque fois, les états financiers de ces syndicats étaient à la disposition des membres, assortis d'explications détaillées. Souvent, les conclusions de vérification étaient fournies par des tierces parties pour bien montrer que l'argent des syndiqués était dépensé judicieusement, et dans leur intérêt.
J'ai été interrogé par des syndiqués, tout comme d'ailleurs d'autres présidents, à l'occasion d'audiences de comités financiers. Nos livres peuvent toujours être consultés par nos membres. L'idée qu'il faille un registre inefficace pour les protéger contre leur propre association est absolument ridicule, surtout quand on pense que la grande majorité des membres que je représente sont des enquêteurs policiers chevronnés, qui sont tout à fait capables de poser les questions pertinentes ou des questions pointues sur les sujets qui les préoccupent.
Un autre aspect de ce projet de loi qui préoccupe notre association...
Le président : Monsieur Stamatakis, veuillez terminer. Vous avez dépassé les cinq minutes qui vous étaient imparties. Veuillez tirer vos conclusions.
M. Stamatakis : Permettez-moi de terminer en disant que nous nous préoccupons de l'aspect de la protection des renseignements personnels. Autre grave inquiétude, la plupart de nos dirigeants syndicaux élus, à l'Association canadienne des policiers, sont aussi des policiers. Quand ils quittent leur association locale, ils retournent à leur carrière de policier. Ce qui les inquiète, évidemment, c'est que leur nom, leur adresse et d'autres renseignements personnels soient rendus publics et exploités par des particuliers ou organisations criminels, ce qui pourrait mettre en péril...
Le président : Je suis désolé, mais j'ai dit tout au début de la séance que j'allais tenter de respecter notre horaire. Notre programme est assez chargé.
Monsieur Dias, vous avez la parole.
Jerry Dias, président national, Unifor : Bonjour, je suis Jerry Dias, président national d'Unifor. Je pense que l'une des raisons pour lesquelles on a présenté ce projet de loi, c'est l'amour que certains portent au mouvement syndical au sein du gouvernement fédéral.
Ce projet de loi C-377 nous inquiète. C'est une proposition purement antisyndicale, qui n'a nulle autre raison que de harceler et d'affaiblir les syndicats du Canada. Ce projet de loi cible injustement les syndicats. C'est une tentative de remédier à un problème qui n'existe que dans l'imagination de son promoteur, M. Hiebert.
Nous ne donnerons pas de mémoire détaillé sur les problèmes juridiques et autres que pose le projet de loi C-377. D'autres l'ont fait, et très bien. Au lieu de répéter ce que d'autres critiques ont déjà dit, nous nous concentrerons sur les aspects discriminatoires de ce projet de loi à l'égard des organisations syndicales et l'incidence qu'ils pourraient avoir sur la capacité des syndicats de représenter leurs membres.
Dans une analyse récente du projet de loi C-377, le professeur David Doorey, de l'Université York, qui a d'ailleurs été cité à deux reprises par la Cour suprême du Canada cette année, a visé dans le mille quand il a mis au défi les promoteurs de ce projet de loi d'avouer ce qu'ils cherchaient réellement à faire. Voici ce qu'il a dit :
Il est facile de démontrer que le projet de loi C-377 est un gaspillage ridicule des fonds publics à des fins partisanes, qui ne vise qu'à punir, à désavantager et à faire taire les syndicats, qui sont une épine dans le pied des conservateurs. Il suffit de demander à un défenseur conservateur du projet de loi pourquoi une politique fiscale devrait exiger des syndicats qu'ils divulguent bien plus de renseignements sur leurs activités et leurs employés que toute autre organisation, y compris les organismes de bienfaisance, les sociétés, les églises et les associations professionnelles qui perçoivent des cotisations. Ils n'ont pas de réponse à donner, parce qu'il n'y en a pas, à part qu'ils détestent les syndicats.
Voilà ce qui se cache derrière ce projet de loi. Il est fondé uniquement sur la perception que les syndicats sont illégitimes ou peu dignes de confiance.
Parlons de la reddition des comptes par les syndicats; donc, voyons un peu ce qu'est le prétendu objectif de ce projet de loi. Lors de sa comparution, M. Hiebert s'est concentré sur la nécessité de la reddition des comptes, mais ce que je demande, c'est à qui? La reddition des comptes aux syndiqués? Les syndicats fonctionnent déjà de façon ouverte et transparente.
Le président : Pourriez-vous, s'il vous plaît, ralentir un peu?
M. Dias : Je n'ai que 5 minutes, et j'ai 10 minutes de commentaires à faire.
Le président : Les interprètes ont du mal à vous suivre.
M. Dias : D'accord.
Les syndicats fonctionnent déjà de façon ouverte et transparente. Ils rendent des comptes à leurs membres. Par exemple, les statuts d'Unifor exigent que les sections locales fassent l'objet de vérifications périodiques et diffusent les résultats de celles-ci à leurs membres. De plus, les syndicats sont des institutions démocratiques. Leurs membres élisent leurs dirigeants et ont donc le choix de ne pas les réélire s'ils ne les servent pas bien.
S'agissant de la reddition de comptes au grand public, M. Hiebert a laissé entendre que les syndicats devraient lui rendre des comptes parce qu'ils ne paient pas d'impôt, ou qu'ils reçoivent des avantages fiscaux quelconques. Soyons clairs : les syndicats paient tous les impôts qui sont exigés d'eux, y compris les taxes municipales, les taxes de vente, et cetera. Les syndicats sont comme des organisations à but non lucratif. Ils ne font pas de profits, et par conséquent, ne paient pas d'impôt sur le revenu. Seuls les syndiqués et leur famille sont admissibles à des crédits d'impôt pour les cotisations versées. Ce n'est absolument pas différent des nombreux autres types de dépenses d'emploi et d'affaires qui sont admissibles à des crédits d'impôt. Or, le projet de loi C-377 ne s'attaque qu'aux syndicats.
Bien des comparaisons ont été faites avec la divulgation exigée des organismes de bienfaisance. Comme l'ont déjà dit plusieurs témoins devant le comité, les exigences de divulgation que propose ce projet de loi pour les syndicats dépassent de loin celles qui sont faites aux organismes de bienfaisance. Ceci confirme la conclusion que ce projet de loi ne vise uniquement qu'à harceler les syndicats et à saper leur efficacité. C'est ce que confirme l'examen de l'incidence des exigences de divulgation imposées aux syndicats.
Tout d'abord, il y a le coût de la conformité. Chacune des 755 sections locales d'Unifor devra consigner ses dépenses pour pouvoir faire rapport des transactions supérieures à 5 000 $. Les syndicats locaux devront, en gros, reprendre la fonction de vérification dont s'acquittent les fiduciaires ou les vérificateurs de l'extérieur, ce qui coûterait, selon les estimations, entre 5 000 $ et 25 000 $ par année pour chaque section locale. Cela signifie que pour nos syndicats locaux, et Unifor n'est qu'un syndicat, le coût annuel de la conformité serait de l'ordre de 3 à 4 millions de dollars, et même plus. Cela ne comprend pas les coûts d'Unifor à l'échelle nationale. Cela signifie que les syndicats devront consacrer énormément d'argent et de ressources qui pourraient autrement servir à mieux représenter leurs syndiqués, y compris en s'opposant aux lobbyistes antisyndicaux qui profiteraient de l'adoption de ce projet de loi.
Deuxièmement, le projet de loi minera la capacité des syndicats d'exercer leur droit de négociation collective. Les employeurs auront accès à de l'information qui peut servir à saper la position d'un syndicat lors de négociations.
Pour conclure, ce qui est clair quand on regarde de plus près la prétendue justification qui sous-tend ce projet de loi et l'incidence qu'il aura sur les syndicats, c'est que le projet de loi C-377 est motivé par une aversion pour les syndicats. Les syndicats sont isolés et ciblés par un projet de loi qui ne pourrait avoir d'autre objectif que de nuire au mouvement syndical et de saper la capacité des citoyens canadiens de jouir des avantages de la représentation syndicale.
Pour toutes ces raisons, en plus de celles présentées par les autres témoins, nous vous exhortons à rejeter ce projet de loi.
Le président : Merci.
Monsieur Mortimer.
John Mortimer, président, Association LabourWatch du Canada : Honorables sénateurs, mon mémoire vise tout d'abord à rectifier les déclarations inexactes faites par des leaders syndicaux et des critiques du projet de loi C-377.
Deux éminents dirigeants syndicaux, Ken Lewenza et Dave Coles, ont écrit, et je les cite :
La plupart des autorités au Canada exigent de la part de tous les syndicats des états financiers annuels qui peuvent être inspectés par le public.
De son côté, M. Stanford, qui représente Unifor, écrit et je cite :
Les membres peuvent demander ces états financiers à leur section locale, à leur syndicat national ou (s'ils ont « peur » des grands méchants loups que sont les chefs syndicaux) ils peuvent s'adresser directement aux commissions de travail.
Avec tout le respect que je vous dois, ces déclarations sont tout à fait fausses. Aucune commission de travail et aucun organisme gouvernemental au Canada ne consigne les états financiers des syndicats pour que le public, et encore moins les employés syndiqués, puissent les consulter. Je vous invite à passer en revue l'annexe C de notre mémoire, qui précise en une seule page, les 9 des 14 autorités fiscales canadiennes qui permettent aux membres des syndicats de demander uniquement les états financiers de leur syndicat et non les états financiers à l'échelon national ou provincial, et certainement pas les états financiers du Congrès du travail du Canada. Aucune de ces 9 autorités ne permet aux non-membres payant des cotisations syndicales d'accéder à des renseignements à propos de l'utilisation de ces cotisations.
Dans son témoignage devant vous, le président du CTC, Hassan Yussuff, a affirmé et je cite :
La Commission du travail peut confirmer que toutes les demandes de divulgation ont été traitées.
Il semblerait qu'il n'a pas pris connaissance du piège que son prédécesseur, Ken Georgetti, s'est lui-même tendu lorsqu'il a témoigné devant un comité de la Chambre des communes qu'aucun syndicat membre du Congrès du travail du Canada n'avait eu de problème par rapport à la divulgation. Dans l'annexe B de notre mémoire, nous citons certains cas recensés dans ma propre province, cas qui illustrent à quel point les syndicats membres du CTC, dont les TCA — aujourd'hui Unifor — se sont battus contre le droit légal des membres de consulter des états financiers d'ordre général.
Que les membres disposent ou non d'un accès limité à l'information est un faux débat par rapport à l'accès intégral aux données fiscales ou par rapport aux lacunes du modèle fiscal actuel — ce qui m'amène à parler du deuxième objectif de ma présentation. Une partie clé de la Loi de l'impôt sur le revenu porte sur les cotisations syndicales non déductibles. Selon la jurisprudence et les bulletins de l'ARC, il est clair qu'un grand pourcentage des cotisations prélevées par les syndicats n'est pas admissible à une déduction en raison de conditions fiscales avantageuses. Il s'agit d'une question fiscale fédérale et non d'une question de code du travail provincial.
Les renseignements très détaillés prescrits par le projet de loi et le seuil de 5 000 $ sont essentiels pour mettre fin aux pratiques actuelles. Si la loi actuelle était bien appliquée, les Canadiens paieraient moins de cotisations syndicales et les dépenses fiscales du gouvernement seraient réduites.
L'alinéa 8(5)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu stipule que :
... les cotisations ne sont pas déductibles... dans la mesure où elles sont... prélevées.
c) à toute... fin qui n'est pas directement liée aux frais ordinaires de fonctionnement... du syndicat...
Dans notre mémoire, nous citons des documents de l'ARC et la jurisprudence de la Cour fiscale fédérale qui démontrent la constance dans l'interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est soigneusement ficelée. Les connaissances limitées que nous avons du grand éventail de dépenses et de la durée du prélèvement des cotisations syndicales laissent supposer que des centaines de millions de dollars en cotisations syndicales sont déduites et les revenus fiscaux correspondant perdus, alors que ce ne devrait pas être le cas. Il s'agit d'un problème de politique publique : personne ne semble disposer des renseignements adéquats pour assurer l'application convenable de la Loi de l'impôt sur le revenu pour le compte des contribuables canadiens. Et si les Canadiens syndiqués le savent, il n'est pas dans leur intérêt de lever le voile sur les dépenses de leurs syndicats qui ne répondent pas aux exigences de la loi parce que leur impôt pourrait augmenter si leur syndicat continue de dépenser les cotisations obligatoires à des fins non admissibles en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.
De la même façon, les syndicats exonérés d'impôt qui prélèvent des cotisations à des fins non admissibles n'ont aucun intérêt à en informer le gouvernement, et encore moins ceux qui cotisent. Par exemple, le CTC n'est pas un syndicat. Il ne représente pas d'employés relevant d'un employeur. Il faut agir pour s'assurer que les cotisations syndicales prélevées à des fins déductibles par rapport à celles qui ne le sont pas soient comptabilisées par les syndicats afin de ne pas être incluses dans les relevés T4 des Canadiens qui doivent obligatoirement payer leurs cotisations sous peine de perdre leur emploi. Tous les contribuables canadiens y compris les syndiqués, méritent mieux que le statu quo.
Merci.
Le président : Merci.
Commençons notre tour de table par la sénatrice Ringuette.
La sénatrice Ringuette : La première question s'adresse à M. Mortimer. En novembre, la CBC a mis en lumière une grave violation de la confidentialité des renseignements détenus par l'Agence de revenu du Canada. Il s'agissait de renseignements fiscaux confidentiels portant sur des centaines de Canadiens qui avaient donné des œuvres à des musées, des galeries, et cetera, pour lesquelles ils avaient reçu un crédit d'impôt. La ministre du Revenu national a dénoncé la gravité de la fuite à la Chambre des communes, en disant qu'il était tout à fait inacceptable que des renseignements confidentiels deviennent publics. Elle a ajouté et je cite :
Le gouvernement comprend que les Canadiens s'attendent à ce que leurs renseignements personnels soient protégés...
Pourquoi ne pas protéger les renseignements personnels des travailleurs? Ceux qui font don d'œuvres d'art à des musées et des galeries ont probablement des revenus assez élevés. Pourquoi ce gouvernement croit-il qu'il est inapproprié de divulguer ce type de renseignements personnels? Quelles sont les mesures à deux vitesses en matière de divulgation?
M. Mortimer : Les renseignements divulgués en vertu de ce projet de loi seraient considérés confidentiels si le gouvernement les détient au moment de les rendre publics. Il incombe au Parlement de décider quels renseignements sont considérés confidentiels en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu — ce qui est actuellement clair dans la loi — et quels renseignements le gouvernement choisit de rendre publics parmi ceux qu'il recueille. Il revient au Parlement de décider; ce projet de loi n'est que le reflet de ce type de décisions.
L'argument est semblable à celui avancé par les défenseurs du droit à la vie privée. La Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels permet expressément de rendre public tout renseignement exigé aux termes des lois fédérales ou provinciales. Ces dispositions ne s'appliquent pas étant donné la structure de la loi. Toutefois beaucoup de gens, y compris des avocats, vous diront le contraire, autant de mensonges flagrants de la part des détracteurs de ce projet de loi.
La sénatrice Ringuette : Je n'ai pas vraiment obtenu de réponse à ma question.
Monsieur Ryder, ma question porte sur le manque de lien avec les syndicats dont vous avez fait état dans votre exposé. Le parrain de ce projet de loi fait un parallèle avec les œuvres de bienfaisance. L'ARC peut retirer son statut à une œuvre de bienfaisance, mais pour ce qui est des syndicats et de l'accréditation syndicale, l'ARC n'a pas le pouvoir de retirer l'accréditation. Il est clair que cette responsabilité ne relève pas du gouvernement fédéral ou de l'ARC.
M. Ryder : Je suis tout à fait du même avis, sénatrice Ringuette. À la page 7 de mon mémoire, j'ai tenté d'expliquer cela et de souligner qu'il y a trois différences notables entre l'exemption d'impôt accordée aux syndicats et celle accordée aux œuvres de bienfaisance et aux associations sportives dont on donne souvent l'exemple dans les débats sur le projet de loi C-377. Les organismes de bienfaisance et les associations sportives doivent être enregistrés pour avoir droit à une exemption d'impôt et pour être enregistrés, ils doivent correspondre à la définition de ce que constitue un organisme de bienfaisance ou une association sportive aux fins de l'impôt. La définition contient un certain nombre de critères. Par exemple, ces organismes doivent consacrer toutes leurs ressources à des œuvres de bienfaisance ou au profit du sport amateur. Comme vous le dites, le ministre peut refuser une demande d'enregistrement ou révoquer un enregistrement pour les organismes qui ne respectent pas les exigences de la loi.
Il n'y a aucun de ces critères pour les syndicats, aucune exigence d'enregistrement, aucune définition de syndicat, à l'exception de la définition ajoutée dans le projet de loi C-377, qui n'énumère pas de critères, mais qui est en fait très large. Il n'y a par ailleurs aucun pouvoir de révocation, aucune conséquence fiscale suite à une violation des dispositions de divulgation prévues par le projet de loi C-377. Voilà pourquoi dans mon mémoire, je fais valoir que l'analogie avec le traitement fiscal des organismes de bienfaisance et des associations sportives, ainsi que les exigences de divulgation qu'on leur impose, est plutôt spécieuse à la lumière des dispositions détaillées pertinentes incluses dans la Loi de l'impôt sur le revenu.
La sénatrice Ringuette : Une autre question...
Le président : Désolé, non.
Sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Ryder. Comment réconciliez-vous ce que vous avez dit dans votre présentation et l'avis juridique de l'ancien juge Bastarache, selon lequel la loi telle qu'elle est présentée est constitutionnelle et n'entrave en rien les activités syndicales, à part le fait que celles-ci devront être plus transparentes?
[Traduction]
M. Ryder : Merci, sénateur Dagenais. Il est clair que d'autres constitutionnalistes et moi-même n'avons pas la même opinion que celle de l'ancien juge Bastarache. Je dirais brièvement que le juge Bastarache et M. Hiebert croient qu'il est suffisant de placer le projet de loi C-377 sous l'autorité du Parlement pour la création de mesures législatives fiscales étant donné que les syndicats profitent de certains avantages publics sous forme d'exemptions fiscales et de déduction des cotisations fiscales. C'est pour eux une bonne raison d'exiger des informations financières détaillées simplement parce qu'ils profitent d'un avantage public et cela suffit pour faire en sorte que ces mesures relèvent de l'autorité fiscale du Parlement.
Honnêtement, j'estime que le lien avec la Loi de l'impôt sur le revenu est plutôt mince. Si c'était le cas, on pourrait exiger une masse d'informations d'à peu près toutes les institutions au pays qui profitent d'une certaine forme d'avantage fiscal, et il y en a beaucoup.
Je suis d'avis, et je pense que c'est aussi l'avis d'autres constitutionnalistes qui ont présenté des mémoires dans le cadre de l'étude de ce projet de loi au Parlement, qu'il faut établir un lien plus étroit entre la loi et le traitement fiscal des syndicats ou les conséquences fiscales de transactions mettant en jeu les syndicats pour justifier l'exercice du pouvoir fiscal du Parlement.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Lorsqu'on met deux avocats dans une même pièce, on peut obtenir deux opinions différentes. Merci pour votre réponse.
Ma prochaine question s'adresse à M. Stamatakis, que je connais depuis des années. Que répondez-vous à Ken Pereira, qui a témoigné devant ce comité la semaine dernière, qui est collaborateur de la police et qui appuie ce projet de loi en tant qu'élément qui peut contribuer à éliminer l'omerta permettant aux syndicats de faire ce qu'on a vu à la Commission Charbonneau et — je sais que vous ne voulez pas en parler —à l'Association de la Police provinciale de l'Ontario?
[Traduction]
M. Stamatakis : J'aimerais revenir sur ce que j'ai dit dans mon exposé. Il y a déjà dans le Code criminel de nombreuses dispositions s'appliquant aux gens dont les pratiques sont clairement illégales et qui ne respectent pas les intérêts des membres. Je ne suis pas certain que de cibler les syndicats comme on l'a fait dans d'autres témoignages et de la manière décrite dans le projet de loi servirait les intérêts de quiconque, y compris les membres de syndicats que ce projet de loi vise à protéger, selon ce que laissent entendre certains.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Ryder, j'ai trouvé votre exposé intéressant parce que si j'ai bien compris, vous feriez une distinction s'il s'agissait d'une décision de politique souhaitée par le gouvernement fédéral. Vous avez aussi dit que ce dont il est question n'est pas vraiment du ressort de la Loi de l'impôt sur le revenu.
J'aimerais que vous développiez votre argument sur le caractère véritable. Pourquoi estimez-vous que ce projet de loi ne résiste pas à l'épreuve du caractère véritable?
M. Ryder : Je veux dire que de prélever des recettes de façon prévue au paragraphe 91(3) ne répond pas au caractère véritable du Parlement. C'est toutefois le cas des syndicats, notamment quand il est question de faire la promotion de la transparence et de l'ouverture de ceux-là.
Quand on étudie le texte du projet de loi et le résumé, je crois que c'est tout à fait clair. Prenons par exemple la description au début du projet de loi C-377. De la manière dont le parrain, M. Hiebert, a défini l'objectif, il est clair — de même que dans les nombreux débats qui ont eu lieu à la Chambre des communes et au Sénat et en comité parlementaire — que l'objectif vise à déterminer si la transparence et la reddition de comptes sont adéquates relativement à la gestion des finances et des dépenses des revenus des syndicats ainsi que des transactions qu'ils effectuent. On a très peu parlé des problèmes qu'il faut régler relativement aux revenus imposables et à l'administration de la déduction des cotisations ou de l'exemption des syndicats. Le débat n'a pas porté sur ces dispositions fiscales mais plutôt sur la transparence et la reddition de comptes. Alors je pense que c'est assez clair.
Bien sûr, la promotion de la transparence et de la reddition de comptes sont des objectifs importants. Toutefois, il existe de bonnes et de mauvaises manières constitutionnelles de s'y prendre. Le Parlement peut faire la promotion de la transparence et de la reddition de comptes des syndicats sous l'angle de la négociation collective au moyen du Code du travail du Canada ou de projets de loi portant sur les syndicats de la fonction publique fédérale. On peut modifier la Loi de l'impôt sur le revenu en incluant des obligations de divulgation qui concernent le statut fiscal des syndicats ou le traitement fiscal des transactions qu'ils effectuent. Mais ce n'est pas ce qu'on fait dans le cas qui nous occupe. Le lien pertinent n'existe pas. Voilà qui explique mes conclusions.
Le sénateur Plett : Mes questions s'adressent à M. Stamatakis.
Bienvenue, Tom. Comme je peux voir, vous êtes à Edmonton et vous faites la promotion d'Edmonton aujourd'hui plutôt que de Vancouver. Je me demande bien si c'est apprécié, mais en tous les cas, bienvenue.
Tom, dans votre exposé et dans le cadre de discussions que j'ai tenues avec vous et avec d'autres associations policières, surtout à Winnipeg, et comme vous en avez parlé, je pense que l'un des problèmes plus larges ici, c'est l'inquiétude par rapport à la sécurité des policiers et policières.
Savez-vous qu'un amendement a été apporté à la Chambre des communes afin de retirer l'exigence de divulguer les adresses, ce qui inquiétait votre association? Avant que vous ne répondiez, je vous poserais une autre question en même temps.
Au Manitoba, on a récemment élu le chef du NPD et ce sont les syndicats qui ont réussi à faire réélire Greg Salinger. Je ne laisse pas entendre qu'il s'agissait de syndicats policiers. L'association des pompiers y a sans doute joué un grand rôle, tout comme d'autres. L'association policière participe-t-elle, en tant qu'association, à l'élection de politiciens et à l'élection du premier ministre de la province? Dans l'affirmative, ces associations ne devraient-elles pas divulguer leurs activités étant donné qu'elles utilisent l'argent des cotisations prélevées et qui sont exemptes d'impôt? Il n'est pas seulement question de reddition de comptes auprès des membres de syndicat, mais aussi de l'utilisation de revenus exempts d'impôt pour possiblement appuyer des candidats politiques.
M. Stamatakis : Je répondrais à votre première question parce que je n'ai pas eu le temps d'en parler dans mon exposé. Je voulais dire que M. Hiebert est entré en communication avec notre association à propos de certains problèmes de protection de la vie privée que j'ai soulevés aujourd'hui et que nous avions déjà soulevés, et des amendements ont été apportés.
Ce qui m'inquiète, c'est que les amendements ne vont pas assez loin. Par exemple, il n'existe aucune protection pour les employés des syndicats ou des associations de policiers et policières, et il n'existe aucune protection pour les sous-traitants qui fournissent des services à ces mêmes organismes. Bien sûr, beaucoup sont très fiers de leur association et de leur syndicat policier, mais il est impossible de prédire comment les membres du crime organisé ou d'autres individus menant des activités criminelles pourraient profiter de ces renseignements publics pour leurs propres intérêts, ce qui pourrait compromettre la sécurité de certaines personnes et de leur famille. Il s'agit d'une préoccupation majeure pour nous.
Pour ce qui est de votre deuxième question, j'en ai parlé dans mes observations. En général, au niveau de l'Association canadienne des policiers, nous n'appuyons pas publiquement de parti politique.
Je ne peux pas dire que cela n'a pas été fait par certaines de nos associations membres au niveau local, mais je m'en remets à ce que dit le professeur Ryder sur ce que serait la meilleure approche pour créer la sorte de transparence exigée par ce genre d'activités. Cela ne pose pas de problème pour moi. Comme je l'ai dit dans mes observations en ce qui a trait à nos propres rapports internes, toute cette information devrait être divulguée. Elle est divulguée dans nos états financiers. Par exemple, à l'Association canadienne des policiers, je distribue nos rapports financiers mensuels à toutes nos associations membres et nous produisons ensuite les relevés annuels financiers qui comprennent toute l'information concernant l'ensemble de nos activités.
Le sénateur Plett : Tout montant libre d'impôt doit faire l'objet d'un rapport aux contribuables.
Le sénateur Joyal : Monsieur Ryder, j'aimerais revenir à certaines des répercussions juridiques du projet de loi C-377. Le professeur Bastarache, puisque c'est comme ça qu'il s'appelait lorsque je l'ai connu à l'Université de Moncton il y a de nombreuses années, a écrit dans son avis :
[...] le fait que les relations de travail ne constituent pas un chef de compétence affecté exclusivement aux provinces aux termes de la Constitution confirme le fait que le projet de loi C-377 n'empiète pas sur les pouvoirs provinciaux.
Comment réagissez-vous à cette déclaration, à savoir que les relations de travail constituent un champ de compétence conjoint lorsqu'un chef du gouvernement, c'est-à-dire la province, occupe le champ de compétence pour réglementer les relations de travail comme l'ont fait la plupart des provinces? Nous avons reçu des lettres du Nouveau-Brunswick, de l'Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse et de Winnipeg. Toutes ces administrations soutiennent qu'elles ont des lois qui réglementent les relations de travail et, qu'en fait, l'autre ordre de gouvernement n'est pas autorisé à prendre des décisions sur les mêmes questions. Comment interprétez-vous cet argument du professeur Bastarache?
M. Ryder : Sauf votre respect, je ne partage pas le point de vue du juge Bastarache sur cette question. Une façon utile de décrire les failles du projet de loi du point de vue des relations de travail, c'est qu'il ne respecte pas les compétences partagées entre le Parlement et les assemblées législatives provinciales sur les relations de travail parce que les tribunaux soutiennent depuis longtemps que les relations de travail relèvent du droit de la propriété et du droit civil qui sont exclusivement de compétence provinciale aux termes de l'article 92(13). La compétence du Parlement relativement aux relations de travail y compris sa capacité de réglementer les syndicats en ce qui touche les négociations collectives relève exclusivement des milieux de travail sous réglementation fédérale, c'est-à-dire la fonction publique fédérale et les milieux de travail où sont menées des activités relevant de la compétence du fédéral, comme les banques, les télécommunications, les compagnies aériennes et ainsi de suite.
Il s'agit donc d'une compétence partagée et notre régime de loi du travail pancanadien respecte cela. Environ 90 p. 100 ou plus des milieux de travail sont assujettis à la réglementation provinciale. Bien sûr, il existe aussi le Code canadien du travail et les lois sur le travail dans la fonction publique qui traitent des relations de travail, des négociations collectives et du rôle des syndicats dans le processus de négociation collective.
À l'échelle fédérale, le Code canadien du travail ne vise que les milieux de travail de compétence fédérale. Ici, on tente de réglementer les organisations syndicales d'un bout à l'autre du pays sans exception. Compte tenu que 90 p. 100 ou plus des milieux de travail relèvent du champ de compétence provincial, j'estime que c'est un problème sérieux, c'est pourquoi je suis en désaccord avec le juge Bastarache sur ce point, ou plutôt le professeur Bastarache, si vous préférez.
Le sénateur Joyal : L'autre argument soulevé dans cet avis porte sur la doctrine de la compétence accessoire que vous avez évoquée dans votre exposé. Je vais lire sa déclaration à ce sujet :
Selon la doctrine des compétences accessoires, tant que l'article 109.01 ne sera pas suffisamment intégré au régime fédéral, elle sera confirmée comme application valable des pouvoirs fédéraux.
Et j'insiste sur la phrase suivante :
Le niveau d'intégration requis dépend de la gravité de l'empiètement sur les pouvoirs de l'autre chef de gouvernement.
Quel est, à votre avis le degré d'intégration dans le contexte du projet de loi C-377?
M. Ryder : Comme je l'ai dit dans mes observations, sénateur Joyal, je ne pense pas qu'il y ait de véritable intégration entre les dispositions du projet de loi C-377 et celles de la Loi de l'impôt sur le revenu. C'est pourquoi je suis en désaccord avec le juge Bastarache sur la doctrine des pouvoirs accessoires.
Je pense qu'il est important d'examiner la dernière décision de la Cour suprême qui traite de façon détaillée la doctrine des pouvoirs accessoires, je veux parler de la décision Québec c. Lacombe à partir de laquelle j'ai cité certains des passages clés de l'opinion majoritaire de la juge en chef, passages clés qui figurent à la page 5 de mon mémoire. La juge en chef dit que pour qu'une disposition soit maintenue aux termes de la doctrine des pouvoirs accessoires, le lien entre cette disposition et l'ensemble des lois valables — dans ce cas-ci, la Loi de l'impôt sur le revenu — doit être très étroit. Ce lien doit contribuer de manière significative à l'application du régime législatif. Je pense que l'absence de lien entre les exigences de divulgation établies dans le projet de loi C-377 et les répercussions sur l'impôt ou le statut fiscal des organisations syndicales est cruciale de ce point de vue.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma question s'adresse à M. Dias. On observe, depuis la dernière décennie, de nombreuses activités politiques menées par les syndicats dans le cadre de campagnes électorales, soit provinciales ou fédérales. Je pense que vous avez été assez actif lors de la dernière campagne électorale en Ontario. On a vu ce qui s'est passé au printemps 2012, lorsque les syndicats ont même financé les groupes d'étudiants afin qu'ils manifestent assez bruyamment, ce qui a mené à des activités de vandalisme.
Ce type de manifestation est évident, et nous avons pu le constater au Québec, car la FTQ a annoncé qu'elle ferait tout en son pouvoir dans le cadre de la prochaine campagne fédérale pour défaire le gouvernement conservateur. Lorsqu'on voit les syndicats s'impliquer de plus en plus dans des activités dites politiques, est-ce que les agents qui font ce travail doivent aller au-delà de la tâche d'informer uniquement les membres, ou est-ce qu'ils ne devraient pas informer l'ensemble des Canadiens de ces activités?
[Traduction]
M. Dias : Vous soulevez toutes sortes de questions. Le mouvement ouvrier n'appuie aucune sorte de violence. Nous n'insinuons pas que nous tolérerions le vandalisme ou la violence, peu importe la nature.
Le sénateur Boisvenu : Ce n'est pas ce que je crois.
M. Dias : Ensuite, la FTQ a annoncé publiquement qu'elle va appuyer le parti qui aura le plus de chance de défaire un conservateur. Vous constaterez que la FTQ n'est pas la seule à adopter cette position, parce qu'Unifor a fait de même. Je suis honnêtement déçu que M. Hiebert ait décidé de ne pas se présenter.
Alors participons-nous à des activités politiques? La réponse est oui.
D'abord, les syndicats se font généralement entraîner dans la politique. Il suffit de regarder le projet de loi C-4, le projet de loi C-525 ou bien le C-377.
Le sénateur Boisvenu : Ce n'était pas ma question.
M. Dias : J'y viens.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je sais que les syndicats informent leurs membres.
[Traduction]
M. Dias : J'y suis presque, laissez-moi répondre à votre question.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je veux savoir si l'information ne devrait pas déborder le cadre des membres, et si elle devrait s'adresser à tous les Canadiens.
[Traduction]
M. Dias : Nos membres, qui sont des contribuables, ont accès à absolument tout. Les dépenses consacrées aux activités politiques sont déterminées par un conseil exécutif national constitué de dirigeants syndicaux locaux. C'est clair. Quand on nous demande ce qui a été dépensé pour des activités politiques, nous répondons très clairement. Sur la plupart des stations de télévision d'importance, nous rendons compte exactement de notre action et de nos dépenses.
Je pense que vous trouverez que nous sommes très transparents et très ouverts.
Le sénateur Boisvenu : Pour vos membres.
M. Dias : Pour nos membres et de façon assez publique. Sénateur, je passe au bulletin de nouvelles presque tous les soirs.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Dias, je crois comprendre qu'Unifor a un fonds de justice sociale.
M. Dias : Oui.
Le sénateur McIntyre : Et qu'il jouit du statut d'organisme de bienfaisance enregistré.
M. Dias : C'est exact.
Le sénateur McIntyre : Je crois que le fonds doit déposer des rapports annuels et divulguer les activités politiques, les salaires, l'argent étranger, et cetera. Si le fonds de justice sociale d'Unifor doit rendre publiques toutes ces choses, pourquoi est-ce que l'administration centrale de votre syndicat ne peut pas le faire elle aussi?
M. Dias : Je n'ai aucun problème à vivre selon les mêmes règles que tout un chacun, je pense à InfoTravail, aux entrepreneurs Merit, à la National Citizens Coalition et au Bureau du premier ministre, dont on discute d'ailleurs la transparence au procès Duffy.
Si l'on s'en tient à la Loi de l'impôt sur le revenu, les entreprises vivent selon des normes totalement différentes. Parmi la centaine de milliers d'organisations à but non lucratif, personne n'est visé par le projet de loi C-377, sauf le mouvement ouvrier. Les entreprises peuvent déduire des stylos à bille, des billets pour assister à des matchs de baseball et des dîners d'affaires. Elles obtiennent les mêmes déductions d'impôt que les cotisations syndicales.
Pourquoi le mouvement ouvrier? Nous savons pourquoi; ne nous comptons pas d'histoire. Il s'agit de museler le mouvement ouvrier. On crée des obstacles afin de le museler, en l'obligeant à respecter des normes différentes des autres. Voilà ce dont il s'agit. Si on veut parler de transparence, il faut regarder les deux côtés. Il y a les Dean Del Mastro, les Michael Sona et les Tom Stamatakis. On peut regarder tout cela. Mais on parle ici du mouvement ouvrier.
Une voix : Et le NPD. Le NPD aussi?
M. Dias : Le Bureau du premier ministre, n'est-ce pas? Voilà ce qu'on examine maintenant n'est-ce pas?
Le président : Passons à autre chose.
Sénatrice Batters
La sénatrice Batters : Monsieur Mortimer, vous nous avez fourni un mémoire étoffé. Bien sûr, nous n'avons pu vous donner que cinq minutes pour votre déclaration liminaire, dans laquelle vous avez présenté des arguments logiques et appréciés.
Un témoin entendu récemment au sujet de ce projet de loi nous disait pourquoi le projet de loi C-377 devait exiger la divulgation de ce genre de renseignement, en prenant l'exemple du Congrès du travail du Canada. Le congrès ne fournit pas ce genre de renseignement parce que ses membres sont des syndicats et non des syndiqués. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? À la page 8 de votre mémoire, vous dites qu'il n'y pas de langage statutaire pour appuyer les affirmations des dirigeants syndicaux selon lesquelles la loi concernant la divulgation des renseignements financiers s'applique.
Le président : Avant de répondre, je voudrais dire que le professeur Ryder doit partir.
Merci, monsieur le professeur.
M. Mortimer : M. Yussuff nous a donné l'impression qu'il représente 3,3 millions de personnes. C'est faux, il représente 41 syndicats, et aucun de ces 3,3 millions de syndiqués ne peut obtenir les états financiers de M. Yussuff, ni d'ailleurs aucun de ceux qui m'ont dit avoir essayé.
Le problème, c'est que je ne sais même pas vraiment si les cotisations syndicales envoyées au Congrès du travail du Canada servent aux dépenses de fonctionnement du syndicat. C'est un sujet dont aucun constitutionnaliste ne veut parler. Malheureusement, M. Ryder est parti, mais a évité ce sujet que j'ai soulevé.
Le Tribunal canadien de l'impôt et l'ARC ont examiné les cotisations syndicales qui ne sont pas des dépenses ordinaires de fonctionnement et ont dit qu'elles n'étaient pas déductibles. Voilà l'enjeu juridique, sénateurs. La Loi de l'impôt sur le revenu n'est pas respectée.
S'agissant des affirmations de M. Ryder et d'autres, le projet de loi C-377 n'a pas besoin d'autres dispositions. Il contient l'information nécessaire. Il revient aux Canadiens de la loi actuelle de la faire respecter.
Lorsqu'on envoie de l'argent pour financer des émeutes étudiantes au Québec, comme l'ont fait le syndicat de M. Dias, le SCFP et d'autres, ce n'est pas une dépense ordinaire de fonctionnement. Cela n'est pas conforme à l'alinéa 8(5) c) de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada et ne devrait figurer sur aucun T4. C'était illégal, point final.
Le sénateur McInnis : Merci à tous d'être ici.
Monsieur Dias, concernant ce que vous avez dit au sujet de l'origine de ce projet de loi et sa justification, permettez-moi de vous dire — et je pense que je parle au nom de tous mes collègues — qu'il ne vise pas à attaquer les syndicats. On a débattu intensément du projet de loi au Sénat. En fait, un amendement a été rejeté. Cela a été un débat intense et j'imagine que lorsqu'on en fera rapport à la Chambre, il y en aura un autre. Je pense que personne ici ne peut prévoir le résultat du vote. On ne le sait tout simplement pas.
Je crois à la transparence et à la reddition de comptes. Selon moi, même si vous êtes un porte-parole des syndicats, vous protestez trop. J'imagine que vous ne comprenez pas comment fonctionne le système.
Lorsque la population nous dit que des changements sont nécessaires, il faut normalement une loi, et la loi passe par plusieurs étapes. Elle passe à la Chambre des communes et puis au Sénat. Je ne pense pas qu'il y ait des systèmes démocratiques meilleurs que celui du Canada.
Je ne suis pas ici pour sermonner. Je vous demande simplement de comprendre que la démocratie prend différentes formes.
Voilà ma question : concernant la proactivité et la transparence, rendre ces renseignements publics pour vos membres, dans un sondage Nanos, 83 p. 100 ont dit...
Le président : Veuillez résumer, sénateur.
Le sénateur McInnis : N'êtes-vous pas d'accord avec cela?
M. Dias : Je suis complètement d'accord en ce qui concerne la proactivité. Je comprends aussi la démocratie canadienne. Je pense qu'elle a assez bien fonctionné l'autre jour en Alberta.
Le projet de loi C-377 a été débattu au Sénat et il y a eu les amendements du sénateur Segal. Alors on en a déjà discuté et un vote a eu lieu. Cela a été envoyé à la Chambre, mais la Chambre a été prorogée, ce qui a mis fin au débat, et on doit recommencer.
Je comprends bien la démocratie. En ce qui concerne le fait que je proteste trop, il faut qu'il y ait une voix pour s'opposer aux extrémistes de la droite dans ce pays et c'est le mouvement ouvrier qui le fera. Je vais continuer de protester contre des enjeux qui d'après moi créent de l'inégalité au Canada.
Le président : Dernière question. Sénateur Baker.
Le sénateur Baker : J'aimerais féliciter les témoins pour leurs excellents exposés et féliciter M. Dias d'être ici aujourd'hui et pour l'excellent travail qu'il fait pour son organisation.
Selon la loi que nous examinons aujourd'hui, toute personne exerçant des fonctions de gestion dans un syndicat devra produire une déclaration indiquant une estimation raisonnable du pourcentage de temps passé à des activités non liées aux relations de travail. Comment interprétez-vous cela?
Il faut fournir une déclaration. Où qu'il soit, chaque syndiqué, délégué syndical et président d'un syndicat local doivent fournir chaque année une déclaration indiquant le pourcentage de temps qu'ils consacrent à des activités non liées aux relations de travail. Comment interprétez-vous cela, monsieur Dias? Monsieur Stamatakis peut-être, que pensez-vous que cela signifie?
M. Dias : C'est une très bonne question. Soutenez-vous que la politique n'est pas liée aux relations de travail? Je soutiendrais que la politique est bel et bien liée aux relations de travail — le gouvernement a présenté le projet de loi C-525, qui a des conséquences sur l'accréditation syndicale et il a imposé le projet de loi C-4, qui a eu un effet sur notre droit de refuser du travail dangereux. Votre question est plutôt générale.
Je vous dirais que je me consacre corps et âme à nos membres et je le fais de différentes façons. Nous avons un rôle important à jouer à la fois auprès de la population et à la table de négociation.
Le président : Il ne reste plus de temps pour M. Stamatakis. Nous en sommes à la fin de cette séance. Je voudrais remercier tous les témoins d'avoir comparu et de nous avoir aidés à examiner cet important projet de loi.
Avant que je ne présente nos prochains témoins, je vous rappelle la limite de cinq minutes pour les exposés liminaires. Je n'aime pas interrompre, mais si vous dépassez les cinq minutes, je vous préviendrai bien à l'avance.
Nous rejoignent par vidéoconférence depuis Halifax l'honorable Kelly Regan, ministre du Travail et de l'Éducation postsecondaire de la Nouvelle-Écosse; Dick Heinen, directeur exécutif de la CLAC; D. Cameron Hunter, principal, Eckler Ltd.; et Aaron Wudrick, directeur fédéral de la Fédération canadienne des contribuables.
Nous allons commencer par Mme Regan.
L'honorable Kelly Regan, députée provinciale, ministre du Travail et de l'Éducation postsecondaire, gouvernement de la Nouvelle-Écosse : Merci de m'avoir invitée à intervenir au sujet de ce projet de loi et d'avoir tenu compte de mes engagements auprès de l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse.
Le principal enjeu dont je veux parler aujourd'hui est notre crainte que ce projet de loi n'empiète sur les compétences des provinces en matière de travail et qu'il ait des conséquences inattendues sur les relations patronales-syndicales. Des constitutionnalistes qui ont déjà comparu devant votre comité ont d'ailleurs traité cette question.
Depuis l'arrêt Snider, qui a été rendu en 1925, il est bien établi que le droit du travail est du ressort des provinces. Ce qui nous inquiète dans ce projet de loi, c'est qu'il est davantage axé sur les obligations des syndicats à rendre des comptes que sur la fiscalité.
Le projet de loi prévoit que les syndicats, et non les employeurs, devront divulguer toute dépense de 5 000 $ ou plus à l'Agence du revenu du Canada. Doivent également être divulgués les salaires et avantages sociaux des employés syndiqués qui gagnent plus de 100 000 $. Les syndicats devront aussi produire une ventilation détaillée des dépenses liées au lobbying et aux activités politiques. Ils auront à afficher ces informations sur le site web de l'ARC. Ces dépenses peuvent être des paiements à un cabinet d'avocats, les coûts de règlement d'un grief ou des coûts de publicité. Ces renseignements pourraient donner aux employeurs un avantage déloyal à la table de négociation.
À toutes fins utiles, n'importe qui pourra voir l'état financier d'un syndicat ou d'une organisation de travail. Les finances des petites sections locales — et il y en beaucoup en Nouvelle-Écosse — seraient pratiquement mises à nu, car elles n'effectuent que quelques transactions. Dans le cas où il y a un seul règlement de grief, la publication des états financiers révèlerait l'identité du membre qui en a fait l'objet et violerait ainsi fondamentalement son droit à la protection de la vie privée.
La province de la Nouvelle-Écosse s'inquiète du caractère unilatéral de ce projet de loi qui exige des seuls syndicats la divulgation d'informations très détaillées dont on pourrait se servir contre eux. Nous aimerions qu'il tienne compte des principes fondamentaux d'équité.
La province de la Nouvelle-Écosse a déjà adopté des dispositions qui exigent des syndicats qu'ils fournissent les états financiers à leurs membres. Selon la Trade Unions Act, les syndiqués peuvent obtenir gratuitement des copies de tous les états financiers. Au cours des cinq dernières années, cette disposition n'a fait l'objet d'aucune plainte.
Ce projet de loi pourrait être amendé en retirant les exigences relatives à la divulgation publique et en examinant ses répercussions sur les petits syndicats. D'aucuns croient que les entreprises divulguent déjà ce genre d'information mais cela concerne uniquement les sociétés cotées en bourse, alors que la majorité des entreprises de Nouvelle-Écosse ne le sont pas, étant de petites entreprises privées qui ne sont pas obligées de faire ce genre de divulgation.
D'autres témoins estiment qu'il s'agit simplement d'un projet de loi fiscal qui n'empiète pas du tout sur les compétences provinciales. Je comprends que le gouvernement fédéral ait le pouvoir d'ordonner des vérifications afin d'assurer le respect de la Loi sur l'impôt, mais les dispositions concernant la divulgation publique ont comme conséquence imprévue de ne pas traiter les syndicats sur un pied d'égalité.
Mon dernier point a trait aux efforts que déploient toutes les administrations au Canada pour éliminer les doubles emplois et la paperasse. La Nouvelle-Écosse, par exemple, vient de conclure un accord avec le Nouveau-Brunswick à cet égard. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement fédéral s'immiscerait dans ce domaine de compétence provinciale. C'est une intrusion qui se soldera par des poursuites devant les tribunaux.
C'est sur ce point que je conclus et je serais heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Monsieur Heinen.
Dick Heinen, directeur exécutif, CLAC : Merci, monsieur le président et honorables membres du comité, de me donner l'occasion de vous parler du projet de loi C-377. Je suis directeur exécutif du CLAC, l'un des syndicats qui connaît la plus forte croissance au Canada. Nous représentons plus de 60 000 travailleurs à l'échelle nationale et dans tous les secteurs.
Le CLAC reconnaît l'importance de la transparence et de la responsabilisation envers ses membres et de façon plus générale envers les Canadiens. Nous comprenons l'importance de la transparence des activités politiques des organisations canadiennes, qu'il s'agisse de syndicats, d'organisations professionnelles ou d'autres groupes de pression.
Par contre, nous avons les mêmes inquiétudes que des témoins précédents concernant les exigences de divulgation publique contenues dans ce projet de loi, qui violent les lois de confidentialité et qui feront l'objet de poursuites constitutionnelles si la loi est adoptée telle quelle. Nous croyons plutôt à la divulgation opportune aux organes concernés.
Comme des témoins précédents ont passé en revue ces problèmes juridiques, je n'y reviendrai pas et soulignerai plutôt le fait que le projet de loi C-377 aura pour effet d'élargir l'influence des grands syndicats et de diminuer celle des plus petits.
J'imagine que les défenseurs de ce projet de loi n'avaient pas comme objectif d'augmenter les parts du marché des gros syndicats, mais, en tant que directeur exécutif du CLAC, je suis bien placé pour affirmer que cela sera bel et bien le cas.
Pour bien replacer la question dans son contexte, il faut savoir que l'approche des relations de travail du CLAC est très différente de celles des autres syndicats. Nous appuyons le droit des travailleurs de choisir leur syndicat. Nous ne croyons pas qu'un seul syndicat devrait avoir le monopole d'un métier ou d'un secteur. Nous appuyons la concurrence libre pour le travail des secteurs publics et privés. Ce projet de loi compromettra la capacité du CLAC et d'autres syndicats et organisations de travail de livrer concurrence aux syndicats bien établis au Canada. Je m'explique.
Ce projet de loi exige la divulgation de tout débours de 5 000 $ ou plus aux fournisseurs, aux entrepreneurs ou à tout autre créancier. Ce faisant, et toujours dans le contexte de notre syndicat, cette loi donnera aux grands syndicats des métiers, comme ceux de la construction, le pouvoir de nous rendre la vie très difficile en nous empêchant d'exercer la concurrence.
Or, nous avons connu des cas où des fournisseurs ont refusé de faire affaire avec le CLAC de peur de s'exposer à l'opprobre des syndicats établis. Leur importance et les parts du marché qu'elles possèdent leur donnent déjà un avantage, que viendrait encore renforcer ce projet de loi.
Par exemple, il y a des services clés pour lesquels nous offrons entre autres à nos membres des couvertures d'assurance-santé et de bien-être social, et des régimes de pension. Mais très peu d'organismes peuvent nous offrir la structure administrative correspondante.
Lorsque nous avons lancé notre appel d'offres, seulement deux des six organismes ont daigné y répondre, de peur de se faire bouder par les grands syndicats si ceux-ci apprenaient qu'ils travaillent avec le CLAC. Et nous avons fait des recherches à ce sujet. Dans au moins six ou sept cas, des fournisseurs et autres partenaires potentiels se sont fait dire par d'autres syndicats que s'ils travaillaient avec le CLAC ils les perdraient comme clients. Nous forcer à faire connaître à nos concurrents cette information délicate aurait des conséquences funestes pour notre syndicat.
Le président : Je vais devoir vous demander de conclure.
M. Heinen : La Cour suprême du Canada a reconnu que toute information confidentielle susceptible d'être utile à la concurrence et de faire du tort aux parties prenantes sera dispensée de divulgation en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. C'est une simple question de concurrence.
Le président : Merci.
Monsieur Hunter.
D. Cameron Hunter, principal, Eckler Ltd., à titre personnel : Merci, monsieur le président et honorables membres du comité, de me permettre de m'adresser à vous. C'est un privilège que d'être ici et de vous présenter mon point de vue sur le projet de loi C-377.
Je suis actuaire consultant spécialisé en régimes de pension et avantages sociaux. La plupart de mes clients sont des conseillers d'administration de régimes d'assurance et de pension, y compris des régimes de travailleurs syndiqués et non syndiqués. J'ai donné des conseils de façon publique et confidentielle aux administrations provinciales et aux organes réglementaires des questions de pension, et j'ai été reconnu par l'Institut canadien des actuaires pour mon travail bénévole au profit de la profession. Je suis également directeur et vice-président du Multi-Employer Benefit Plan Council of Canada (MEBCO). Le MEBCO est un organisme à but non lucratif dont le mandat est de représenter les intérêts des régimes de pension et d'avantages sociaux multi-employeurs au Canada auprès des gouvernements fédéral et provinciaux dès lors qu'il s'agit de lois existantes ou proposées. Cela dit, je comparais aujourd'hui à titre personnel. Je ne représente personne d'autre que moi.
Étant donné la nature de mon travail, mes commentaires se borneront à l'application pratique de ce projet de loi dans sa forme actuelle. Je vais notamment m'attarder sur certaines des conséquences imprévues du projet de loi tel qu'il existe actuellement.
L'objectif du projet de loi C-377 est d'assurer la transparence et l'imputabilité des organisations ouvrières. Toutefois, je crois que ses conséquences auront une portée bien plus vaste. Une partie du problème réside dans la définition d'« organisation ouvrière », qui est très large. L'alinéa (6)b) du projet de loi donne une liste d'activités exonérées, mais la liste est incomplète. En fait, étant donné la grande variété de dispositions qui existent aujourd'hui, il n'est pas possible de dresser la liste complète de toutes les exceptions possibles. Je vais vous en donner quelques exemples.
Certains employeurs auront pris des dispositions pour offrir des pensions dépassant les limites permises en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Comme certaines de ces dispositions peuvent concerner des personnes syndiquées et qu'elles ne sont pas expressément exonérés, ils feront l'objet d'exigences de divulgation. Il arrive toutefois assez souvent que ces dispositions spéciales soient financées à même les revenus de l'employeur, ce qui expose les comptes de l'employeur aux lois sur la divulgation. En fait, il est tout à fait possible que certains gouvernements aient également pris ce genre de disposition, auquel cas leur Trésor serait assujetti aux exigences de divulgation.
Il y a, dans la liste d'exemptions, d'autres omissions notables. Par exemple, les fiducies établies pour percevoir la paie de vacances, fournir des services juridiques et peut-être financer des programmes de lutte contre la toxicomanie pourraient ne pas être exemptées. Je connais un programme de logement sans but lucratif qui pourrait aussi être assujetti à l'exigence de divulgation. Il est difficile de comprendre la justification, sur le plan de la politique publique, de l'exemption de certains de ces types de régime.
Autre lacune dans le libellé du projet de loi, seules les fiducies ou les fonds qui se consacrent exclusivement à l'administration, la gestion ou l'investissement liés aux régimes qui sont sur la liste sont exemptés. Ceci est problématique pour les conventions de fiducies principales où les fiducies distinctes sont combinées en une seule fiducie plus importante. Chaque fiducie peut fournir des avantages sociaux différents. Si l'un ou l'autre de ces avantages sociaux est omis de la liste d'exemptions, il semble que tous les autres avantages sociaux, comme l'assurance-santé, l'assurance et d'autres types d'avantages exemptés pourront être assujettis à l'obligation de divulgation.
Le régime d'indemnisation des accidents du travail pourrait aussi être visé par le projet de loi. La Commission ontarienne de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail, par exemple, est maintenue à tout le moins en partie dans l'intérêt des syndiqués, et donc, semblerait correspondre à la définition de « fiducie syndicale ». Entre autres prestations que verse la CSPAAT, il y a les prestations aux survivants, les coûts des services funéraires et de transport, l'accompagnement psychologique des personnes en deuil, et le soutien des conjoints qui souhaitent réintégrer le marché du travail. Puisque ces prestations ne sont pas exemptées, il semble que l'intégralité du fonds de la CSPAAT pourrait être nécessaire pour répondre aux obligations de divulgation prévues dans le projet de loi.
On peut supposer que les exemptions prévues au paragraphe 6 ont été ajoutées au projet de loi en réponse aux préoccupations soulevées au sujet de la divulgation publique de renseignements personnels. À mon avis, ce projet de loi ne fournit pas une liste exhaustive du type de régime qui devrait être exempté pour ce motif. De plus, l'exigence d'exclusivité pourrait neutraliser l'effet des exemptions prévues.
J'aimerais aussi souligner que bien que le projet de loi exige la divulgation de renseignements personnels délicats, il ne prévoit absolument pas que les personnes auxquelles s'applique cette obligation de divulgation soient averties du fait que ces renseignements seront accessibles au public. Cela semble aller bien au-delà des objectifs déclarés de transparence et de reddition de comptes des organisations syndicales et des fiducies syndicales.
Cela dit, la liste incomplète des fiducies exemptées, l'exigence d'exclusivité liée à cette liste et l'absence d'avertissement aux personnes touchées sont des raisons suffisantes pour renvoyer le projet de loi C-377 à ses auteurs pour qu'ils en fassent une analyse plus approfondie du libellé et de ses conséquences.
Je vous remercie de m'avoir accordé de votre temps.
Le président : Merci.
Monsieur Wudrick.
Aaron Wudrick, directeur fédéral, Fédération canadienne des contribuables : Je vous remercie, messieurs et mesdames les sénateurs, de m'avoir invité. Je m'appelle Aaron Wurdrick, je suis directeur fédéral de la Fédération canadienne des contribuables. Je vous remercie de me donner cette occasion de parler aujourd'hui du projet de loi C-377, lequel la fédération appuie, puisqu'il est conforme à nos objectifs de promotion et de la transparence et de la reddition de comptes en ce qui concerne les fonds publics.
La FCT est un groupe de citoyens constitué en vertu d'une loi fédérale et sans but lucratif, qui a l'appui de plus de 84 000 personnes et se consacre à trois grands principes : la réduction des impôts et du gaspillage, et un gouvernement responsable.
Ceci dit, nous appuyons les principes de transparence et de reddition de comptes. Nous avons demandé une plus grande divulgation, par exemple, des dépenses des députés, et nous avons prôné l'établissement d'une liste fédérale publique des salaires dans le secteur public. Nous sommes aussi un ardent défenseur de la Loi sur la transparence financière des Premières Nations, que beaucoup comparent au projet de loi C-377, puisqu'il vise à donner aux membres des réserves des Premières Nations et au public le droit aux états financiers et salaires des membres des bandes autochtones.
Les opposants à cette loi proposent le même type d'arguments que les témoins représentant des syndicats qui ont comparu devant votre comité au sujet de ce projet de loi. Ils se sont dits préoccupés, notamment, de la constitutionnalité de cette loi, de la protection des renseignements personnels et de la paperasserie. J'admets que je vais esquiver la question de la constitutionnalité, et je dirais seulement qu'il y a des avis dissidents d'experts sur cet aspect du projet de loi. Bien que je sois avocat, je ne me considère certainement pas comme expert du droit constitutionnel au même titre que M. Ryder, un ex-juge de la Cour suprême, et c'est pourquoi je m'en remets à eux pour cette question.
Le plus grand intérêt que porte la FCT à ce projet de loi vise l'application appropriée de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les syndicats perçoivent quelque 4 milliards de dollars par année au Canada et peuvent dépenser ces fonds comme ils l'entendent, sans obligation de reddition de comptes à leurs membres ou au grand public. Ce qui en fait un problème pour le contribuable, c'est le simple fait que les syndicats jouissent d'un large éventail de crédits d'impôt et d'un traitement fiscal particulier qui constituent une subvention pour les activités qu'ils mènent. Les cotisations syndicales, nous le savons, sont admises en déduction, de même que l'indemnité de grève. Ces allégements fiscaux ont été chiffrés à quelque 400 millions de dollars par année, sinon plus. Les organismes de bienfaisance jouissent d'un traitement spécial similaire, mais pas aussi étendu, et eux aussi doivent divulguer des renseignements pour préserver leur statut. Pareil système exige des freins et contrepoids puis que les fonds syndicaux sont subventionnés par les contribuables, et la divulgation au public de leurs états financiers tient ce rôle.
Bien entendu, toute forme d'allégement fiscal relève au bout du compte d'une décision en matière de politique publique, et ces décisions doivent avoir l'approbation du grand public, qui doit déterminer si elles sont encore valables. Il est donc dans l'intérêt des syndicats et de leurs dirigeants d'être aussi transparents que possible en ce qui a trait à leurs transactions financières, compte tenu surtout de certaines révélations récentes qui ont été faites lors des audiences à la Commission Charbonneau et de l'Association de la Police provinciale de l'Ontario.
On pourrait s'attendre à ce que des organisations qui sont confrontées à de si graves allégations ouvrent toutes grandes les portes et ne cachent rien, qu'elles assainissent l'air et rassurent le grand public en démontrant qu'il s'agit de cas isolés et non d'un problème systémique. Au lieu de cela, nous n'avons encore une fois vu que les mêmes tentatives de faire obstacle à la divulgation, comme celles des chefs des Premières Nations, relativement à la Loi sur la transparence financière des Premières Nations et comme continue de le faire le gouvernement fédéral en ce qui a trait aux salaires et aux dépenses.
Pour donner un bon exemple, il est difficile d'imaginer que certaines des allégations, comme celles qui ont récemment été faites à l'égard de l'Association de la Police provinciale de l'Ontario, auraient pu passer inaperçues aussi longtemps si les syndicats avaient été obligés de rendre compte de leurs données financières au public. Il est probable que quelqu'un, que ce soit un journaliste curieux, un policier, un membre du personnel politique, un membre de syndicat ou un groupe comme la FCT aurait découvert ce genre d'activité plus tôt et l'aurait dénoncée. Par ailleurs, peut-être que, sachant l'existence de ces obligations de divulgation au public, les personnes participant à ces activités douteuses auraient renoncé à leurs projets, conscientes du fait qu'elles n'auraient aucun moyen de les cacher.
C'est pourquoi nous estimons que la transparence revêt tellement d'importance. Tout d'abord, elle a un effet dissuasif. Deuxièmement, si elle n'a pas cet effet, vous donnez la possibilité à une plus grande partie de la population de découvrir les fautes commises.
J'aimerais aussi signaler l'engagement politique et social des syndicats. Quiconque a assisté aux dernières élections en Ontario sait que les syndicats sont capables d'exercer un énorme poids politique, et ils prévoient d'exporter ce modèle partout au pays. Non pas que nous soyons contre le fait que les syndicats s'engagent dans ce genre d'activités. Pas du tout. Ce à quoi nous nous opposons, c'est qu'ils soient subventionnés par les contribuables pour le faire. Cependant, puisque c'est ce qu'ils font, nous pensons que cet avantage particulier devrait être assujetti à plus d'obligations de transparence que si les syndicats n'étaient pas subventionnés par le public.
Je le répète, ces allégements fiscaux sont une décision en matière de politique publique, ce qui signifie que le public a tout à fait le droit d'examiner et d'évaluer les implications de ces politiques, ce qu'il est très difficile de faire en vertu du statu quo. Si les syndicats veulent influencer le programme politique et économique, ils devraient être ouverts et transparents en ce qui concerne le mode de financement de ces activités, afin que les Canadiens puissent décider eux-mêmes s'ils sont satisfaits de les subventionner.
Nous estimons que, comme pour la Loi sur la transparence financière des Premières Nations, l'adoption du projet de loi C-377 s'avèrera une mesure positive pour la transparence et la responsabilité au Canada. C'est pourquoi la Fédération canadienne des contribuables est heureuse d'appuyer le projet de loi, en espérant qu'il soit adopté.
Le président : Merci.
Nous entamons les questions, avec la sénatrice Ringuette.
La sénatrice Ringuette : Ma première question s'adresse à la ministre Regan, que nous remercions d'avoir accepté de témoigner.
M. Wudrick, de la Fédération canadienne des contribuables, vient de déclarer au comité qu'il n'y a pas de loi rendant obligatoire la divulgation des finances aux membres d'un syndicat. Pourriez-vous nous dire si tel est le cas en Nouvelle-Écosse?
Mme Regan : Merci de la question, sénatrice Ringuette. Ce type de loi existe déjà et, vu que les syndicats sont quasi exclusivement de compétence provinciale, nous estimons que c'est suffisant.
La sénatrice Ringuette : Merci d'avoir corrigé ce point.
Ma prochaine question s'adresse à M. Hunter. Merci beaucoup de votre exposé. J'aimerais ajouter que, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il y aurait à l'heure actuelle deux exigences. Le syndicat devrait demander aux citoyens la permission de divulguer ces données à l'Agence du revenu du Canada, après quoi le ministre de l'ARC devrait obtenir une autorisation signée de toute personne dont les renseignements figurent sur le site web. C'est ce qu'exige la Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada, si bien que j'ai vraiment du mal à imaginer comment cela se ferait.
Laissez-moi vérifier que j'ai bien compris votre exposé. Vous dites que, vu la structure des différents fonds et fiducies, dans certains cas, il peut y avoir des fonds plus importants que les membres d'un syndicat. Dans ce cas, toutes les autres personnes participant à la fiducie verraient leurs opérations financières de 5 000 $ rendues publiques. Est-ce bien le cas?
M. Hunter : Oui. En vertu de la définition de « fiducie de syndicat », il ne s'agit pas seulement des membres d'une organisation ouvrière. Il suffit qu'une personne fasse partie d'une fiducie de syndicat. Si d'autres particuliers participent à une fiducie de syndicat, il semblerait que, en vertu de la loi, la divulgation s'impose pour eux aussi.
La sénatrice Ringuette : Monsieur Wudrick, la Fédération canadienne des contribuables est un organisme à but non lucratif. Votre organisme ne paie donc pas d'impôt. Rendez-vous des comptes au public?
M. Wudrick : Ce n'est pas la première fois que la FCC se voit poser la question. Selon moi, il y a un lien entre financement public et transparence. Autrement dit, bénéficier d'un avantage en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu entraîne une plus haute exigence de transparence et de reddition de comptes. Si un organisme tient avant tout à protéger les renseignements personnels de ses partisans, ce qui est le cas de la FCC, elle est prête à sacrifier ces avantages. La FCC ne délivre pas de reçus aux fins d'impôt. Contrairement aux partis politiques, nous ne sommes pas en mesure de fournir des incitatifs à appuyer notre organisation.
Je suis complètement d'accord pour affirmer l'importance de la protection des renseignements personnels. La question que doit se poser chaque organisme, organisme de bienfaisance, organisme à but non lucratif ou société, est de savoir si les avantages consentis en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu compensent les concessions nécessaires pour les obtenir.
La sénatrice Ringuette : Vous croyez à la suprématie de la protection des renseignements personnels, notamment en ce qui concerne votre organisme et vos membres. Pourquoi alors appliquer d'autres principes à toute autre relation de travail?
M. Wudrick : Laissez-moi le répéter. Selon moi, ce qui déclenche le plus haut niveau de transparence et de responsabilité est l'avantage consenti en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si la population subventionne une entité, elle est en droit de savoir comment cette entité fonctionne. Si, par contre, un organisme ne reçoit pas d'argent de l'État et ne bénéficie pas d'un traitement spécial en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, selon moi, il n'a pas les mêmes obligations que les organismes favorisés.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je remercie nos témoins d'avoir accepté notre invitation à comparaître. Ma question s'adresse à M. Hunter. Monsieur Hunter, vous êtes actuaire?
[Traduction]
M. Hunter : Oui, c'est ça.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je ne sais pas si vous avez déjà reçu des mandats de la part de syndicats pour y faire du travail en tant qu'actuaire. Lorsque j'étais président de l'Association des policiers provinciaux du Québec, nous avions des actuaires du groupe Aon Consulting. Ceux-ci devaient fournir toutes les évaluations des fonds d'assurance-maladie, des fonds d'assurance vie. Comme l'a mentionné M. Heinen, évidemment, nous devions fournir des rapports de concert avec nos actuaires sur nos fonds d'assurance, parce que nous devions payer une taxe sur les assurances et préparer une déclaration de revenus.
Cela dit, nos actuaires faisaient nos déclarations de revenus sur le fonds d'administration général. Par contre, le fonds d'administration général n'était pas assujetti comme tel à la Loi de l'impôt sur le revenu, parce qu'il s'agissait d'un organisme à but non lucratif.
Pourquoi doit-on faire preuve de transparence dans le cas des fonds d'assurance-maladie, d'assurance vie et même humanitaires? Quant au fonds d'administration général, on devait divulguer à nos membres les salaires des dirigeants, ce qu'on payait en frais d'avocat et en frais d'actuariat. Pourquoi devrait-on soustraire ces éléments à la transparence des citoyens canadiens, comme l'a mentionné M. Wudrick? Parce que la grande partie de nos dépenses, c'était les frais liés aux salaires, et les frais d'actuariat étaient faramineux également.
J'aimerais vous entendre à ce sujet, sur les raisons pour lesquelles on soustrait le fonds d'administration général à la divulgation d'information aux Canadiens.
[Traduction]
M. Hunter : Merci de votre question, sénateur Dagenais. Mon expertise est dans le domaine des régimes de retraite et d'avantages sociaux, et l'objectif de mon exposé est de démontrer que la définition de « fiducie de syndicat » est une définition très large et qu'il y a certains types de fonds qui à mon avis devraient être exemptés et non assujettis à cette disposition. Je vous en ai donné quelques exemples.
Je n'ai pas d'expertise concernant la structure des fonds généraux des syndicats. Comme je l'ai dit, je ne crois pas qu'il soit approprié de divulguer par exemple des informations concernant les membres du syndicat et le montant d'argent qu'ils reçoivent en paye de vacances parce que cela dépasse les 5 000 $. Je crois que ceci est une des conséquences de la loi.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'ai une dernière question pour madame la ministre Regan. Corrigez-moi si je me trompe, madame Regan. Vous avez mentionné que le projet de loi pourrait forcer les syndicats à dévoiler leurs ressources financières. Évidemment, je vous donne un exemple que j'ai vécu tout de même pendant 28 ans. En tant que syndiqué, je devais payer 1,25 p. 100 de mon salaire sous la forme de cotisations syndicales. C'est l'employeur qui percevait la cotisation syndicale et qui la déposait dans les comptes du syndicat. L'employeur savait, bon an, mal an, que 4,5 ou 5 millions de dollars se retrouvaient dans les coffres du syndicat, et ce, dans le cas de tous les syndicats. C'est l'employeur qui perçoit la cotisation syndicale, donc il sait déjà que les syndicats reçoivent des montants d'argent.
Ainsi, le projet de loi C-377 ne dévoilera pas ces renseignements, qui sont déjà connus, n'est-ce pas?
[Traduction]
Mme Regan : En fait, c'est justement ce que je voulais dire. Ici en Nouvelle-Écosse, les salaires et cetera sont déjà divulgués par les syndicaux. On n'a pas besoin d'avoir un tel projet de loi en Nouvelle-Écosse. Ce serait de l'intrusion dans des domaines de compétence provinciale.
Nous savons qu'environ 8 p. 100 des membres de syndicat sont de compétence fédérale pour des services de transport et des services sans fil, mais les autres sont de compétence provinciale. Nous croyons qu'ils devraient être de compétence provinciale et non pas — c'est quoi le mot que je cherche? L'intrusion. Il s'agit d'une intrusion de la part du gouvernement fédéral dans des domaines provinciaux. C'est une situation clairement définie depuis 1925, depuis le cas Snider.
Le sénateur Joyal : Madame la ministre, j'aimerais revenir au troisième paragraphe de votre lettre. Selon mon interprétation, ce projet de loi empiète sur la compétence provinciale dans le domaine du droit de travail, et il semble chercher des informations sous le couvert de la Loi de l'impôt sur le revenu. Voilà le libellé de votre lettre du 21 avril. Est-ce que vous avez reçu un avis juridique de la part de votre ministère ou du ministère de la Justice concernant les conséquences constitutionnelles et juridiques du projet de loi C-377?
Mme Regan : Je n'ai pas demandé d'avis concernant sa constitutionnalité. Nous avons examiné la jurisprudence de 1925 et après nous en sommes arrivés à cette conclusion.
Le sénateur Joyal : En d'autres mots, vous avez reçu un avis juridique formel de la part des autorités juridiques de votre ministère, en plus du ministère de la Justice, je suppose.
Mme Regan : Non. Ce que j'ai dit, c'est que j'ai reçu des informations basées sur la common law.
Le sénateur Joyal : Des informations. Est-ce qu'il s'agissait d'informations écrites ou orales?
Mme Regan : Des informations orales.
Le sénateur Joyal : Est-ce que votre ministère a l'intention de contester la constitutionnalité du projet de loi C-377 si ce dernier était adopté par le Parlement?
Mme Regan : Je pense que j'aurais une conversation avec mes collègues de tout le pays et également avec mes collègues du cabinet.
Le sénateur Joyal : Monsieur Hunter, pour ce qui est de la fiducie de syndicat, est-ce que vous vous êtes penché sur la situation des fonds gérés par des syndicats comme la FTQ au Québec, ou d'autres fonds qui sont gérés par des syndicats? On pourrait comparer l'investissement du syndicat dans des initiatives économiques dans divers domaines à d'autres fonds privés avec qui les syndicats partageraient la propriété d'une entreprise ou d'autres activités et l'incidence de ces activités sur les syndicats qui participent à ces investissements?
M. Hunter : Je n'ai pas étudié ce cas particulier. Mon seul commentaire serait de dire que dans mon travail je n'ai jamais connu de situations semblables.
Le sénateur Joyal : Mais vous savez bien que ces fonds existent. Ils sont administrés par des syndicats et servent à des activités économiques légitimes. Ils produisent des ristournes, et celles-ci sont partagées avec les membres de syndicats. Ne savez-vous pas que cela existe? Dans ma province du Québec, les deux grands syndicats, la FTQ et la CSN, administrent tous les deux un tel fonds, qui génère d'énormes bénéfices pour leurs membres.
M. Hunter : Je comprends qu'il y a toute une variété d'arrangements de ce genre, certes. Mais je n'ai jamais enquêté là-dessus.
Le sénateur Joyal : Monsieur Heinen, je reviens sur votre exposé. J'ai tenté de comprendre comment ce projet de loi nuirait à votre approche des activités syndicales. Vous avez affirmé que vous étiez en faveur de la liberté de choisir son syndicat. Ce projet de loi, à mon avis, permettrait d'une certaine façon la dissémination d'information qui pourrait aider quelqu'un à choisir le sien. Pourquoi continuez-vous à vous opposer à ce projet de loi?
M. Heinen : Pour diverses raisons, mais je vous dirais d'abord que nous sommes prêts à divulguer nos états financiers à quiconque nous les demanderait. Si on nous pose des questions sur nos finances, nous serions prêts à divulguer sans hésiter tout ce que les gens voudraient savoir.
Le problème réside dans la rédaction d'une liste noire de nos fournisseurs et la possibilité qu'un préjudice soit commis en utilisant de l'information publique. La Cour suprême a statué là-dessus. Il est illégal pour le gouvernement fédéral de fournir aux gens des renseignements qui pourraient causer à un tiers des pertes financières importantes ou encore un préjudice à sa position concurrentielle. Cette divulgation publique, dans un environnement concurrentiel, est ce qui nous préoccupe.
J'ai aussi des inquiétudes entourant la paye de vacances. La convention collective que nous négocions avec nos membres comprend une paye de vacances. La compagnie nous remet une paye de vacances. Nous l'accumulons dans un fonds, et une fois par an, nous déboursons. Faut-il maintenant qu'on aille demander à tout un chacun qui reçoit une paye de vacances s'il veut inclure cela dans la convention collective? Une conséquence imprévue sera que cette information sera divulguée publiquement, et tous sauront qui se fait payer quoi. Nous sommes préoccupés par les détails de ce projet de loi.
Le sénateur Plett : Monsieur Wudrick, l'un des témoins précédents s'en est pris à notre gouvernement parce qu'on ciblait les syndicats plutôt que d'autres organismes. Comme vous le savez, nous avons aussi travaillé avec les organismes de bienfaisance, car nous croyons qu'il faut de la transparence de leur part également, et vous avez été très cohérent là-dessus.
Les opposants au projet de loi se rallient autour de l'idée que les codes du travail sont les outils opportuns pour régler la question de la divulgation des cotisations déductibles d'impôt. Nous avons passé en revue tous les codes du travail principaux au pays pour voir s'ils prévoyaient des dispositions liées à l'imposition des cotisations au syndicat, et bien sûr, nous n'avons rien trouvé.
Les codes du travail n'ont rien à voir avec la détermination de ce qui constitue une cotisation syndicale déductible d'impôt, ni de ce qui constitue un syndicat exonéré d'impôt, parce que ces deux choses sont assujetties à la loi fédérale de l'impôt sur le revenu et non pas au droit du travail.
Si les syndicats décidaient qu'ils ne veulent pas d'exemption d'impôt, si, comme la Fédération des contribuables, ils décidaient de ne pas délivrer de reçus aux fins d'impôt, de ne pas bénéficier d'exemption d'impôt, si les cotisations syndicales n'étaient pas exemptes d'impôt ou si la ministre Regan proposait que ce soit la Nouvelle-Écosse qui consente des exemptions d'impôt, au lieu du gouvernement fédéral, vu qu'elle pense qu'on empiète sur la compétence des provinces, comme l'a déclaré il y a une ou deux semaines le ministre Braun, du Manitoba, quelle serait votre position? Est-ce que cela satisferait la Fédération canadienne des contribuables?
M. Wudrick : Oui. Laissez-moi répéter ce que j'ai dit à la sénatrice plus tôt : ce sont les avantages fiscaux qui attirent un plus haut niveau de divulgation. Si un organisme est disposé à se passer de traitement préférentiel, les arguments contre le projet de loi n'ont plus de raison d'être. Je serais d'accord : si un organisme estime qu'il est plus important de protéger les renseignements personnels que de bénéficier d'un traitement spécial en vertu de la Loi sur l'impôt, le projet de loi devient superflu.
Le sénateur Plett : Et si les provinces disaient qu'elles sont disposées à consentir la marge de manœuvre qu'offre maintenant le gouvernement fédéral, qu'elles consentaient ces avantages puis demandaient au gouvernement fédéral de s'abstenir de marcher dans leur plate-bande, cela répondrait également à nos préoccupations.
M. Wudrick : Effectivement. L'argument du domaine de compétence est problématique selon moi. J'ai promis que je ne me mêlerais pas de constitutionnalité. Il me semble que, si la Loi de l'impôt sur le revenu consacre la validité de la déduction des cotisations syndicales, c'est aussi dans la Loi de l'impôt sur le revenu que devrait figurer un mécanisme permettant de déterminer quelle est la composition de la déduction pour cotisation.
La sénatrice Jaffer : Merci pour vos exposés. Madame la ministre, je vous remercie de votre présence ici aujourd'hui.
J'ai une question pour vous. Vous avez récemment étudié le projet de loi et l'avez indubitablement comparé à ce qui existe dans votre province. Estimez-vous que ce qui existe en Nouvelle-Écosse est assez transparent et que les syndicats rendent des comptes à leurs membres?
Mme Regan : Oui. En fait, sénatrice, je n'ai eu aucune plainte à ce sujet. C'est pourquoi j'ai été surprise que le gouvernement fédéral prenne des mesures dans ce domaine.
Permettez-moi de mentionner quelque chose à quoi le sénateur Plett a fait allusion. En ce qui concerne les prestations de décès, je peux vous dire que j'ai bénéficié en tant que particulière d'une prestation de décès quand mon premier mari est mort à l'âge de 30 ans. C'était une prestation octroyée par son syndicat. Et je n'aurais pas voulu que le montant soit rendu public. Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui seraient dans la même situation et n'apprécieraient pas une atteinte de ce type à leur vie privée, qu'il s'agisse de prestations de la Commission des accidents du travail ou d'un régime de syndicat.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, madame la ministre.
J'ai une question pour M. Heinen. Je m'efforce de comprendre. Vous avez mentionné un problème au vu de la Loi sur la concurrence et de l'accès à l'information. C'est peut-être quelque chose dont d'autres ont entendu parler, mais c'est nouveau pour moi. Laissez-moi vous donner un exemple, histoire d'être sûre de comprendre.
Vous négociez une prestation — quelle qu'elle soit — au nom de vos membres. Vous négociez cette prestation avec une société et cela fait l'objet d'une divulgation publique. Puis vous découvrez qu'un syndicat plus important veut maintenant que la société accorde une autre prestation ou vous nuise d'une façon ou d'une autre. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Heinen : En fait vous mélangez deux choses, mais ça me donne l'occasion de les clarifier.
Nous faisons appel à toutes sortes de tiers fournisseurs, pour l'impression, par exemple. Nous faisons un appel d'offres pour choisir une société qui imprime tous nos documents et publications. C'est parfois un gros contrat. Nous avons récemment décidé d'imprimer à l'interne, mais c'était juste un exemple.
Mettons qu'un fournisseur décide de faire une offre pour l'ensemble de l'impression, en concurrence avec trois ou quatre autres imprimeurs. C'est une décision commerciale, une question commerciale qui ne devrait pas être influencée par d'éventuelles pressions des syndicats de métier du bâtiment. Ces derniers pourraient menacer l'imprimeur de ne plus lui donner de travail s'il travaille pour CLAC. Ce serait un problème, un méfait touchant à une opération commerciale, protégée, je crois, par la Loi sur la concurrence.
L'autre problème tient à la négociation d'avantages au sein de notre organisme. Mettons, par exemple, que 10 employés travaillent pour une société donnée. Cinq ou six d'entre eux veulent négocier le fonds de congés payés et n'ont pas d'objection à ce que ce soit divulgué au public; mais il y en a quatre qui ne veulent pas que ce soit divulgué. Comment affronter ce type de situation dans une unité de négociation, ou ce qui est négocié dépend de la décision de la majorité? Ça ne fonctionne pas.
Nous devrons demander à chaque individu ou peut-être à des milliers d'individus si, oui ou non, nous pouvons divulguer leurs renseignements personnels. Et ce serait alors hautement problématique pour nous.
Le président : Il reste six sénateurs sur la liste et 12 minutes à peu près. Je vais donc vous demander de bien vouloir faire preuve de courtoisie envers vos collègues et demander aux témoins de nous faire une espèce de précis Coles de leurs réponses.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Heinen, dans votre exposé oral et dans votre mémoire, vous indiquez que, si le projet de loi est adopté, il sera plus difficile pour les grands syndicats de métier, comme les syndicats des métiers de la construction du Canada, d'affronter la concurrence du marché. Comme vous le savez, les syndicats canadiens ayant des sièges aux États-Unis, comme le Syndicat des Métallos du Canada et d'autres, colligent et divulguent déjà publiquement des renseignements financiers aux États-Unis. Ils sont affichés dans un site web du ministère du Travail des États-Unis. Autant que je sache, il n'y a pas de plainte comme quoi cela constitue un désavantage. Dans le cadre de la négociation avec les sociétés, cela ne leur pose pas problème; ils ont dû s'adapter. Auriez-vous deux mots à dire à ce sujet?
M. Heinen : Sauf le respect que je vous dois, je pense que c'est interprété un peu de travers. Ce que nous disons, c'est que CLAC va être désavantagé par rapport aux autres très grands syndicats de métier, parce que notre structure diffère de la leur et qu'ils profiteront de leur taille pour obtenir des avantages commerciaux et nous causer des inconvénients commerciaux. C'est là qu'entre en jeu la Loi sur la concurrence.
Est-ce que nous nous adopterions? Eh bien je pense que ce serait très difficile.
Le sénateur Cowan : Je me demande, monsieur Heinen, si vous voudriez bien nous fournir par écrit le nom des cas auxquels vous faites allusion en ce qui concerne les préoccupations par rapport aux renseignements personnels.
Ma question s'adresse à M. Wudrick. Vous suggérez que ce qui fait la différence c'est si un organisme ou une personne a le droit de faire certaines déductions. Ne seriez-vous pas d'accord pour dire que, tous autant que nous sommes, personnes âgées, parents, employeurs, retraités ou personnes avec un handicap, nous avons droit à une déduction d'une sorte ou d'une autre? Suggérez-vous que toute personne bénéficiant d'une déduction de ce type en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu devrait être tenue à ce niveau de divulgation? Est-ce là ce que vous suggérez?
M. Wudrick : Non, ce que je suggère c'est que les syndicats, en tant que groupe, tout comme les organismes de bienfaisance et les sociétés, sont traités différemment de vous et de moi en tant que contribuables particuliers. L'une des critiques du projet de loi est que tout n'est pas mis sur un plan d'égalité : cela s'adresse aux syndicats seulement et non au reste. Notre réponse? Faites des suggestions pour le reste. Nous pensons qu'un projet de loi vaut la peine d'être soutenu, même s'il touche seulement une classe d'entités. La Loi sur la transparence financière des Premières Nations en est un bon exemple : elle ne couvrait pas tous les politiciens au pays, mais remédiait à une lacune. La fédération ne dédouane pas le gouvernement lui-même; nous estimons que le gouvernement doit aller plus loin dans la divulgation, qui devrait, par exemple, couvrir les dépenses des députés, ainsi que celles de votre honorable institution, bien sûr. Je ne pense pas que l'impossibilité de traiter tous les problèmes d'un coup soit un argument suffisant contre la nécessité d'en régler certains.
La sénatrice Batters : Madame la ministre, la loi de Nouvelle-Écosse à laquelle vous avez fait allusion dans votre réponse à la sénatrice Ringuette porte sur la divulgation des comptes aux syndicalistes et non à la population en général, c'est bien le cas? Oui?
Mme Regan : Oui.
La sénatrice Batters : Merci.
Monsieur Wudrick, dans vos remarques d'ouverture, vous avez effectué une comparaison utile avec la Loi sur la transparence financière des Premières Nations. Vous avez rappelé que les organismes comme les Premières Nations, les organismes de bienfaisance, et cetera, divulguaient effectivement des renseignements financiers. Dans la même veine, pourriez-vous préciser quels sont les avantages de la divulgation des comptes de ces organismes, ainsi que des syndicats, pour les Canadiens et pour les politiques publiques?
M. Wudrick : L'un des arguments à l'encontre de la Loi sur la transparence financière des Premières Nations, notamment, était que cela allait attiser les flammes de la discrimination à l'encontre des bandes autochtones et renforcer le regrettable stéréotype comme quoi les chefs autochtones font des dépenses douteuses. En fait, maintenant qu'a eu lieu le plus gros des divulgations, on constate le contraire : que la vaste majorité des bandes dépense des montants raisonnables d'argent et n'ont rien de louche dans leurs comptes. Nous pensons que c'est une heureuse constatation, que les chefs autochtones devraient être heureux, parce qu'ils ont maintenant de véritables preuves suggérant que la plupart d'entre eux respectent les règles. Seuls les contrevenants sont montrés du doigt. Nous pensons qu'il en irait de même pour le mouvement syndical : seuls les délinquants seront affectés; ce seront les seuls sous les feux des projecteurs. En fait, cela étayera les arguments des syndicats pour que des mesures similaires s'appliquent à d'autres entités, ce qui permettra à tout le monde d'être sur un pied d'égalité.
La sénatrice Batters : En réponse à un commentaire que vous avez fait plus tôt, comme quoi tous les organismes bénéficieraient d'une plus grande transparence et reddition de comptes financière, laissez-moi attirer votre attention sur le fait que les sénateurs affichent une bonne part de leurs dépenses en ligne depuis un an ou un an et demi.
Merci.
Le sénateur McInnis : Madame la ministre, bienvenue.
Mme Regan : Merci.
Le sénateur McInnis : Je suis heureux de vous voir.
Dans votre lettre du 21 avril 2015, vous écrivez que « le projet de loi empiète sur les compétences des provinces en matière de travail et semble être un moyen d'obtenir de l'information sous le couvert de la Loi de l'impôt sur le revenu ».
Tel qu'envisagé, l'article 149.01 stipule uniquement la divulgation de renseignements financiers par les organisations ouvrières. Vous constatez qu'il ne s'agit aucunement de tenter de réglementer les activités de ces organismes, de s'immiscer dans leur fonctionnement ni de déterminer comment ils dépensent leur argent. En quoi alors cela constitue-t-il un empiètement sur les compétences des provinces?
Mme Regan : Merci, sénateur McInnis. Je suis heureuse de vous revoir aussi.
Je dirais que toute tentative de contrôle ou de réglementation des activités syndicales qui relèvent des provinces, c'est-à-dire 92 p. 100 des syndicats au Canada, est en fait une tentative de contrôle. Comme je l'ai déjà dit, j'ai malheureusement eu la chance de recevoir une prestation provenant du syndicat de mon mari après sa mort. Non seulement avons-nous une disposition en vertu de laquelle de nouvelles réglementations régissent les syndicats, qui ne sont pas, pour la plupart, de compétence fédérale, mais bien franchement, vous demandez aussi la divulgation d'information personnelle. Que j'aie reçu une prestation après la mort de mon mari il y a 25 ans ne regarde personne d'autre que moi.
Le sénateur Baker : L'une des questions les plus difficiles que les tribunaux auront à trancher après l'adoption de cette loi porte sur l'objectif visé par cette loi. Vous devez connaître le but de la loi avant de déterminer sa constitutionnalité ou son respect des dispositions protégeant la vie privée telles qu'énoncées aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Je ne sais pas si vous vouliez commenter à ce sujet, mais je crois que la partie la plus choquante de cette loi, c'est qu'elle oblige quiconque occupant une position d'autorité au sein d'un syndicat, de n'importe quelle grosseur, au Canada, de déclarer publiquement, par l'entremise de l'Agence du revenu du Canada, non seulement ses activités politiques au cours de l'année et ses activités de lobbying, mais aussi toutes les activités qui ne sont pas liées aux relations de travail, ce qui inclurait quoi? Est-ce qu'on inclut les scouts?
Personne dans une petite collectivité qui est président d'un petit syndicat local ou délégué syndical ne voudrait être reconduit dans ses fonctions s'il devait déclarer non seulement ses activités politiques et de lobbying, mais aussi toutes ses activités qui ne sont pas en lien avec les relations de travail.
Nos témoins ont-ils des commentaires sur le caractère scandaleux de cette invasion de la vie privée d'un membre d'un syndicat? Madame la ministre?
Mme Regan : Merci sénateur. On en revient encore à la question de la vie privée. On aborde aussi un problème qu'on a vécu ici en Nouvelle-Écosse. Nous avons de nombreux très petits syndicats et l'ajout d'une autre exigence en matière de rapport pour ces très petits syndicats serait une mesure beaucoup plus onéreuse pour eux que pour les plus gros syndicats. La situation est différente pour les organisations qui ont plus d'employés pour faire cette tâche.
En toute franchise, l'imposition de réglementation onéreuse sur un petit syndicat nous préoccupe. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont combiné leurs efforts pour réduire la bureaucratie. Cette loi fait tout le contraire.
Le président : Quelqu'un d'autre souhaite-t-il répondre à la question du sénateur Baker?
Le sénateur Plett : J'invoque le Règlement, monsieur le président. Pourrais-je lire ce qui suit aux fins du compte rendu? La ministre a parlé des prestations de décès à de multiples reprises. En fait, ce n'est pas pertinent, car la Chambre a adopté un amendement exemptant de ce projet de loi les prestations de décès.
Le président : Merci à nos témoins. Nous vous remercions de votre temps et de vos témoignages. Vous nous avez bien aidés.
Pour notre dernier panel ce matin, je vous prie d'accueillir Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée; par vidéoconférence, l'honorable Kevin Flynn, député provincial, ministre du Travail de l'Ontario; par vidéoconférence, Laurie Channer, directrice des relations industrielles, Writers Guild of Canada; et Ian Lee, professeur adjoint, Université Carleton.
Merci à tous d'être nôtres. Nous allons commencer par le commissaire Therrien, qui sera suivi de M. Flynn, de Mme Channer et de M. Lee.
[Français]
Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Pour examiner les risques pouvant découler d'un projet de loi, le commissariat se sert depuis des années d'un cadre d'analyse de la protection de la vie privée qui cherche à déterminer si la mesure est tout d'abord nécessaire, et ensuite efficace et proportionnelle, et s'il existe d'autres moyens moins envahissants de parvenir à ces mêmes fins. C'est autour de ces quatre critères que s'articulent mes remarques aujourd'hui.
Le projet de loi C-377 cherche à rendre les syndicats plus transparents et plus imputables en les obligeant à divulguer, par l'entremise du site web de l'Agence du revenu du Canada, des renseignements personnels de nature généralement très sensible, comme les salaires et l'activité politique.
Si la transparence et l'imputabilité sont des éléments essentiels à une saine gestion et des éléments cruciaux à une démocratie efficace et solide, la nécessité de protéger la vie privée l'est tout autant. En d'autres termes, il doit y avoir un équilibre entre l'imputabilité et la protection de la vie privée. Or, pour déterminer si une mesure législative est nécessaire à des fins d'imputabilité, je crois qu'il est pertinent de se demander qui est censé être le bénéficiaire de cette plus grande transparence.
Si c'est pour aider les travailleurs et les membres des syndicats qu'on exige une plus grande transparence et imputabilité, comme le suggèrent certains, je ferais valoir qu'il n'est pas nécessaire, pour atteindre cet objectif, de procéder à une divulgation publique de renseignements personnels sensibles sur le site web de l'Agence du revenu. Les lois provinciales obligent déjà les syndicats à divulguer des états financiers à leurs membres. Cette information est disponible à l'interne, elle est transmise aux membres et est souvent affichée publiquement sur les sites web des syndicats. Ces états financiers ne divulguent pas de noms et sont généralement présentés sous forme de sommaire. Il se peut que l'imputabilité requière la divulgation de certains renseignements personnels sur les dirigeants syndicaux, par exemple leurs salaires. Cependant, si cette imputabilité est pour le bénéfice des membres, je ne vois pas pourquoi l'information devrait être disponible au grand public.
D'autre part, si le Parlement est d'avis que les syndicats sont imputables envers les contribuables en général, étant donné que les cotisations syndicales sont déductibles d'impôt, j'aimerais vous faire part de quelques réflexions sur la proportionnalité entre la vie privée et l'imputabilité.
[Traduction]
Il existe un précédent dans la loi fédérale obligeant la divulgation de renseignements personnels au nom de la reddition de comptes envers les contribuables. Je fais référence ici au régime applicable aux organismes de charité enregistrés. En vertu de ce régime, les organismes de charité enregistrés doivent divulguer les renseignements sur les salaires pour les postes les mieux rémunérés dans leur déclaration de renseignements annuelle, sans identifier les personnes qui occupent ces postes. Il n'y a pas d'exigence de divulguer les activités politiques de ces cadres, ni leurs activités de lobbying ou d'éducation. Selon moi, une telle exigence en matière de rapport représente un meilleur équilibre entre la reddition de comptes et la vie privée, et pourrait aussi être appliquée à des organisations ouvrières.
Je dois dire que le fait que le projet de loi C-377 propose d'associer le nom d'une personne précise avec ses activités politiques m'inquiète. Ces activités ont évidemment un caractère sensible. Pourquoi obliger une telle divulgation quand d'autres régimes adoptés au nom de la reddition de comptes n'ont pas une telle obligation?
Bien qu'il s'agisse d'un enjeu moins délicat, nommer publiquement les personnes participant à des transactions dont la valeur cumulative est de plus de 5 000 $ est aussi, selon moi, une mesure beaucoup trop intrusive du point de vue de la vie privée. Cette mesure identifierait non seulement les membres des syndicats, mais aussi les entrepreneurs tiers.
En ce qui a trait à la divulgation publique du nom des personnes touchant plus de 100 000 $ par année, le principe demeure que la rémunération d'une personne est une information de nature délicate qui ne peut être divulguée sans son consentement. Bien sûr, il y a des exceptions, comme la divulgation du salaire de hauts fonctionnaires dans certaines administrations. Toutefois, même quand des exceptions peuvent être faites au nom d'une plus grande reddition de comptes et d'une plus grande transparence, je crois que ces exceptions devraient quand même être restreintes.
Le quatrième élément d'une analyse de la vie privée consiste à voir s'il est possible d'adopter des solutions de rechange moins envahissantes pour atteindre les objectifs de la loi, dans le cas qui nous occupe : la transparence. Comme je l'ai dit, des lois provinciales prévoient déjà la divulgation d'information aux membres du syndicat au nom de la reddition de comptes. Selon moi, ils agissent de manière à respecter la vie privée. À l'échelle internationale, les lois avec des objectifs semblables se limitent soit à la divulgation d'états financiers, comme en France, ou lorsque de l'information personnelle est affichée, la divulgation se limite aux salaires des employés les mieux payés d'un syndicat, comme c'est le cas au Royaume-Uni ou en Australie. Seuls les États-Unis ont une loi semblable au projet de loi C-377.
Pour en revenir au projet de loi à l'étude, si vous croyez que des transactions ayant une valeur cumulative de plus de 5 000 $ devraient être rapportées, ces transactions devraient, selon moi, se retrouver dans les états financiers du syndicat sans préciser les parties de cette transaction.
En dernier lieu, la ventilation estimée du pourcentage du temps consacré à des activités de lobbying politique ou à des activités non reliées au syndicat ne devrait pas, selon moi, être attribuée à des personnes précises. Si le Parlement est d'avis qu'une telle divulgation publique est nécessaire, et qu'elle est efficace et appropriée au nom d'une plus grande transparence et d'une meilleure reddition de comptes des syndicats, une telle divulgation devrait se faire uniquement en des termes généraux.
J'espère que mes remarques vous ont été utiles. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Merci.
Monsieur le ministre Flynn.
L'honorable Kevin Flynn, député provincial, ministre du Travail, gouvernement de l'Ontario : Merci, monsieur le président. Bonjour et merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Je suis ravi de partager avec les membres du Comité permanent du Sénat sur les affaires juridiques et constitutionnelles la perspective du gouvernement ontarien sur le projet de loi C-377.
Comme vous le savez sans doute déjà, deux de mes prédécesseurs à titre de ministre du Travail de la province ont formulé des commentaires sur ce projet de loi par le passé. Aujourd'hui, je tiens à réitérer nos graves préoccupations et à demander au comité et au Sénat de rejeter ce projet de loi.
Nous vous demandons d'agir ainsi, monsieur le président, car le gouvernement de l'Ontario a cinq craintes précises en lien avec ce projet de loi. Premièrement, nous croyons que le projet de loi n'est pas nécessaire. L'administration interne d'un syndicat ne regarde que le syndicat et ses membres. En Ontario, les syndicats doivent déjà fournir des états financiers vérifiés à n'importe quel de ses membres qui en fait la demande. En effet, dans la plupart des provinces et territoires au Canada, des exigences en matière de divulgation financière sont déjà imposées aux syndicats. Ainsi, il n'y a nul besoin de légiférer.
Deuxièmement, nous craignons que les obligations de divulgation financière du projet de loi créent un fardeau inutile et augmentent les coûts pour les membres des syndicats. Cette loi impose injustement un fardeau inutile sur les organisations ouvrières, mais pas sur les autres organisations au Canada.
Notre troisième préoccupation porte sur les craintes liées au respect de la vie privée, comme vous venez de l'entendre. Le commissaire à la vie privée du Canada a déjà dit à un autre comité sénatorial que les exigences en matière de divulgation prévues dans ce projet de loi impliqueraient clairement des informations personnelles de nature délicate. Cet avis est aussi partagé par l'Association du Barreau canadien.
Quatrièmement, nous craignons que ce projet de loi fragilise les relations de travail ici en Ontario. À l'heure actuelle, l'Ontario a une excellente relation avec les organisations ouvrières. Près de 98 p. 100 des contrats de travail en Ontario sont ratifiés sans aucune perturbation. Si ce projet de loi est adopté, je crains qu'il fasse dérailler radicalement les bonnes relations de travail et les bonnes négociations collectives dont nous jouissons ici en Ontario en attaquant indûment un parti et en nuisant à l'équilibre délicat entre les employeurs et les syndicats.
Enfin, notre cinquième et plus importante crainte entourant ce projet de loi est sa constitutionnalité. Si le projet de loi était adopté, le gouvernement fédéral outrepasserait ses frontières constitutionnelles et empiéterait sur les compétences provinciales. Au Canada, la loi et la réglementation portant sur les relations de travail sont du ressort du gouvernement provincial.
Je suis convaincu que le comité connaît la cause judiciaire de 1925 Toronto Electric Commissioners c. Snider. C'était il y a 90 ans. Dans cette cause, le comité judiciaire du Conseil privé détermina que l'article 92 de la Constitution identifiait le droit du travail comme étant une compétence exclusive des gouvernements provinciaux.
Cinquante-quatre ans plus tard, la Cour suprême en est venue à la même conclusion dans Northern Telecom c. Communications Workers. La cour a déterminé qu'en ce qui a trait aux relations de travail, la règle veut que les provinces aient compétence exclusive.
Certains ont dit que le gouvernement fédéral était dans son droit parce que les changements sont en fait des modifications fiscales. En un mot comme en mille, monsieur le président, cette conclusion est erronée. Les exigences en matière de rapports proposées n'ont aucune incidence fiscale et ainsi ne peuvent pas relever des institutions fédérales.
De plus, comme l'a dit l'Association du Barreau canadien dans sa mise en garde, le projet de loi peut contenir des exigences en matière de divulgation qui vont à l'encontre de la protection de la liberté d'expression et de la liberté d'association prévues par la Charte.
Je vous exhorte à ne pas adopter ce projet de loi. Il s'agit d'un recul pour les relations de travail au Canada, recul qui risque de déboucher sur des litiges longs et onéreux.
En conclusion, en plus d'être redondant, ce projet de loi représente un fardeau inutile pour les syndicats et ses membres, menace de faire dérailler les négociations collectives et les bonnes relations de travail partout au Canada et soulève de graves préoccupations constitutionnelles et en lien avec la vie privée. En dépit de tout cela, le projet de loi ne présente aucun avantage pour les Canadiens.
Je vous suggérerais respectueusement de suivre l'exemple de l'ancien sénateur conservateur Hugh Segal. La dernière fois que ce projet de loi a été renvoyé au Sénat, M. Segal a accordé préséance aux principes plutôt qu'à la partisanerie et il a lutté avec succès pour que ce projet de loi soit amendé. Lui et d'autres aussi partagent les mêmes préoccupations sur ce projet de loi, par exemple le gouvernement de l'Ontario. Je recommanderais que ce projet de loi ne soit pas adopté.
Merci.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Madame Channer.
Laurie Channer, directrice des relations industrielles, Writers Guild of Canada : Bonjour sénateurs. Je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant vous et de vous présenter les perspectives de la Writers Guild of Canada sur le projet de loi C-377.
La Writers Guild of Canada (WGC) est l'association nationale qui représente plus de 2 100 scénaristes professionnels œuvrant dans le domaine de la production cinématographique, télévisuelle, radiophonique et de média numérique de langue anglaise au Canada. Nos membres sont des entrepreneurs créatifs à la base des 3,2 milliards de dollars de PIB que l'industrie cinématographique, télévisuelle et de média numérique rapporte à l'économie canadienne.
La WGC est une petite organisation ayant pour mandat de négocier, d'appliquer et d'administrer les conventions collectives pour ses membres autonomes. Nous percevons et versons également les redevances.
Nous réglons les conflits liés aux conditions de travail, aux paiements et aux crédits de scénarisation. Nous menons à bien d'importants projets de politiques et nous travaillons de près avec les organismes gouvernementaux comme le CRTC pour nous assurer que les Canadiens obtiennent des émissions comportant du contenu canadien.
Nous sommes une petite organisation sans but lucratif. Notre financement provient de cotisations syndicales et d'autres redevances qui découlent de nos conventions collectives. Nous ne recevons aucun financement gouvernemental. Nous sommes administrativement indépendants et gérés par un conseil de membres volontaires élus provenant de toutes les régions du pays. Les cotisations, les droits et les obligations sont établis dans notre document constitutif et nos règlements. Les membres votent pour élire ceux qui les représentent, pour leur constitution et les ententes collectives.
Nous devons également mener des audits annuels de nos opérations et les faire circuler à nos membres. Les membres ont voix au chapitre grâce à leurs représentants élus et à leur droit de vote.
Compte tenu de ces freins et contrepoids déjà en place, quel problème le projet de loi cherche-t-il à régler et à quel coût?
La WGC est très préoccupée par les dommages que le projet de loi C-377 aura sur notre capacité à travailler pour nos membres et la capacité de nos membres à se trouver du travail. Si ce projet de loi est adopté par le Sénat, il nuira à nos membres de la façon suivante :
Ce projet de loi fera en sorte que les petites organisations ouvrières comme la Writers Guild of Canada et ses membres seront désavantagés si chaque paiement de plus de 5 000 $ doit être rendu public.
Lorsque nous réglons des différends entre les donneurs d'ouvrage et les scénaristes dans des règlements confidentiels, d'autres donneurs d'ouvrage prendront connaissance des scénaristes qui ont été indemnisés et ils risquent de mettre leur nom sur une liste noire, ce qui les empêcherait d'obtenir du travail.
Ce projet de loi exposera nos stratégies de négociation collective parce que nous faisons appel à des conseillers juridiques externes pour nous aider dans les négociations. Nous perdrons tout positionnement stratégique dans les négociations collectives lorsque les parties adverses pourront décoder nos plans en prenant connaissance des personnes que nous consultons. Cela aura une incidence directe sur nos conventions collectives et les échelles salariales des scénaristes. Cela biaise les règles du jeu en faveur du donneur d'ouvrage.
Ce projet de loi qui exige la divulgation des salaires de plus de 100 000 $ nuira à notre capacité d'embaucher et de conserver notre personnel exécutif bien formé et talentueux. En tant que l'une des plus petites organisations de notre industrie, ces divulgations faciliteront la tâche aux plus grands joueurs qui voudront s'accaparer notre personnel.
Les paiements que nous faisons à presque tous nos fournisseurs y compris pour assurer les scénaristes et les montants pour leur retraite devront être dévoilés ce qui révélera les salaires de nos membres. Il en ira de même pour les montants versés à notre locataire, fournisseur de service Internet et nettoyeur de bureau pour ne nommer que ceux-là. Toutes leurs factures seront dévoilées à l'examen du public. En outre, qui voudra nous offrir des services si nous sommes obligés de recueillir de l'information indiscrète sur leurs activités politiques ainsi que celles n'ayant rien à voir avec les relations de travail?
Nous utilisons déjà nos ressources au maximum. Ce projet de loi nous pénalise. S'il est adopté, nous devrons dépenser d'importantes ressources pour embaucher du nouveau personnel afin qu'il puisse recueillir et saisir toutes les données supplémentaires exigées. Nous devons plutôt mettre l'accent sur ce que nos membres veulent que nous fassions pour eux plutôt que sur des activités contraignantes en matière de reddition de comptes que nous ne voulons pas et qui ne sont pas nécessaires.
Le projet de loi imposera aussi des coûts importants aux contribuables canadiens qu'ils devront payer pour la base de données et ceux qui veilleront à l'application de la loi, et on ne semble pas se bousculer au portillon pour faire ce genre de travail. Le projet de loi ne servira pas l'intérêt du public; il ne servira qu'à l'intérêt de nos opposants. Nous faisons déjà l'impossible auprès du CRTC pour nous assurer que les Canadiens ont accès à du contenu canadien sur leurs écrans. Nous faisons face à des compagnies comme Bell et Rogers qui ont des portefeuilles bien garnis ainsi qu'un service du contentieux. Nous devons retenir les services d'avocats spécialisés en réglementation et de cabinets comptables d'expérience dont certains ne travailleront avec nous qu'à titre confidentiel puisqu'ils craignent les répercussions qui s'ensuivront.
Il ne fait aucun doute que les radiodiffuseurs et les compagnies de télécommunications feront des recherches dans la nouvelle base de données pour savoir qui nous avons embauché et combien nous avons dépensé à cet effet en vue de faire obstacle à nos efforts. Cela nuira à tous les Canadiens et supprimera les conditions dans lesquelles nos membres travaillent s'ils ne disposent pas de notre voix pour les protéger.
Je vous prie de songer à amender ce projet de loi. Il nuira aux syndiqués plutôt que de les protéger, et doit être révisé en profondeur.
Je vous remercie de votre temps, et je suis prête à répondre à vos questions.
Le président : Merci.
Monsieur Lee.
Ian Lee, professeur adjoint, Université Carleton, à titre personnel : Je remercie le comité sénatorial de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui, aux côtés de ces distingués témoins.
Toutefois, par opposition à certains de vos témoins, je dois demander votre indulgence parce que je ne suis qu'un simple travailleur syndiqué qui enseigne dans une université publique. En résumé, je ne suis qu'un simple travailleur qui œuvre à l'atelier de la manufacture de l'éducation, pour ainsi dire, de sorte que mon opinion risque d'être diamétralement opposée à celle des gens qui œuvrent dans les hautes sphères des syndicats, contrairement aux petites gens comme moi qui sont au bas de l'échelle.
J'aimerais faire rapidement les déclarations suivantes. Je ne consulte personne ou aucune entité — société, syndicat, ONG, gouvernement ou parti politique.
Deuxièmement, je ne suis pas un lobbyiste enregistré ou non enregistré.
Troisièmement, je ne dispose d'aucun investissement financier, sauf pour ma part du régime de pension de l'Université Carleton.
Quatrièmement, j'ai publié des articles universitaires et des articles d'opinion sur les relations de travail, et plus particulièrement sur la fonction publique canadienne.
Cinquièmement, et c'est le point le plus important, je suis un membre qui verse des cotisations à la Carleton University Academic Staff Association, c'est-à-dire le syndicat de la faculté, et ce, depuis 27 ans. Qui plus est, je suis depuis récemment un invité régulier à temps partiel à l'émission The Exchange with Amanda Lang à la CBC. Je reçois un modeste honoraire d'où l'on déduit des cotisations pour un syndicat des communications. Autrement dit, j'aime tellement être un employé syndiqué que je fais partie de deux syndicats.
J'appuie le projet de loi C-377 pour deux raisons bien distinctes. D'abord, il y a son équité, ce à quoi les sénateurs libéraux et les anciens sénateurs libéraux s'identifieront de près à la lumière du discours prononcé il y a trois jours par le chef libéral lorsqu'il a invoqué l'équité à maintes reprises. Ensuite, il y a la gouvernance démocratique. Revenons donc à la question de l'équité.
Depuis le milieu des années 1990, l'Ontario a obligé la divulgation des salaires s'élevant à plus de 100 000 $, non seulement dans le cas des fonctionnaires ontariens, mais aussi pour tous les professeurs, enseignants, instructeurs, travailleurs de la santé, et cetera. Cette loi a été adoptée à ce moment-là grâce à un appui important de la part des syndicats. Je le sais parce que j'ai participé au débat. J'étais là à l'époque, bien sûr. Puisque mon modeste salaire est divulgué annuellement, je trouve tout à fait bizarre que les syndicats luttent si fort pour s'exempter de la divulgation qu'ils estimaient être si merveilleuse lorsqu'ils me l'ont imposée, ainsi qu'à bon nombre de travailleurs en Ontario.
Peut-être comme l'a dit la défunte milliardaire Leona Helmsley, « Seules les petites gens paient des taxes. » Il est fort possible que ceux qui s'opposent au projet de loi C-377 pensent que seuls les salaires des pauvres devraient être divulgués, mais pas les salaires des personnes importantes au haut de l'échelle. Comme Napoléon l'a dit dans La ferme des animaux, « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d'autres. »
Parlons de la deuxième raison, soit la gouvernance démocratique. Un ancien premier ministre bien futé, Jean Chrétien, a interdit les contributions financières des sociétés et des syndicats aux partis politiques, et je pense que c'est pour cette raison qu'il était si sage. Malheureusement, en Ontario, mes cotisations syndicales peuvent et sont détournées contre ma volonté et sans mon consentement pour appuyer diverses causes et politiques que je désapprouve. Je ne suis pas le seul à penser ainsi. En effet, au cours des élections provinciales ontariennes de 2014, les syndicats ont dépensé plus que l'ensemble des partis politiques en se servant de mes cotisations syndicales et de celles de mes collègues de travail pour injustement influencer les résultats des élections. C'est terriblement mal, comme l'a dit dans son rapport le commissaire aux élections de l'Ontario. Si le gouvernement de l'Ontario ne veut pas agir pour interdire — et non pas seulement réglementer — ce comportement, j'estime qu'il est nécessaire de trouver une autre façon d'agir en faisant appel à la Loi de l'impôt sur le revenu.
Selon les rapports annuels de Finances Canada sur les dépenses fiscales, les impôts annuels cédés en raison de la déductibilité des cotisations syndicales s'élèvent à près d'un milliard de dollars annuellement. C'est un avantage considérable, et les syndicats eux-mêmes n'ont pas à payer d'impôt. Si nous voulons permettre, dans le cadre d'une politique publique, le détournement des cotisations syndicales sans le consentement des membres qui les payent à tout le moins, ce que nous pourrions faire, c'est d'obliger la divulgation de ce comportement antidémocratique inacceptable.
Je conclus en signalant — et je fais cette observation avec la plus grande délicatesse et le plus grand respect — que les sénateurs comprennent maintenant beaucoup mieux la valeur de la transparence en raison des problèmes qu'a connus le Sénat au cours des deux dernières années. Par analogie, les dirigeants syndicaux font leur œuvre derrière des portes closes au beau milieu de la nuit avec les lumières fermées, et personne n'examine le bien-fondé de leurs décisions concernant la répartition des ressources. Toutefois, à l'instar des ONG, il faudrait considérer les syndicats comme étant très semblables à des sociétés cotées en bourse parce que ces trois entités ont d'importantes répercussions sur le grand public, et non pas seulement sur les parties prenantes immédiates. Il ne s'agit très certainement pas d'organisations privées.
Les sénateurs ont appris à la dure l'importance cruciale de la divulgation. Ces leçons difficilement acquises devraient être appliquées au projet de loi C-377 et à la transparence des syndicats.
Le président : Merci, monsieur Lee.
Nous allons commencer avec le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je remercie tous les témoins qui ont fait un exposé. Je n'ai qu'une seule question, et elle s'adresse au commissaire à la protection de la vie privée. Avant de poser cette question, j'aimerais remercier Ian Lee et l'Université Carleton. M. Lee s'est mis à la disposition de nombreux comités de la Chambre des communes et du Sénat au fil des ans et a énormément contribué à leur compréhension des lois. J'aimerais toutefois ajouter qu'il a négligé de mentionner qu'il est également un ancien banquier. Nous pouvons facilement comprendre pourquoi nous avons eu de nombreuses conversations très intéressantes à l'occasion des maintenant tristement célèbres débats nationaux Baker-Lee, et nous pouvons comprendre pourquoi nous avons pris des positions divergentes après avoir entendu son exposé de ce matin. Mais je le félicite et le remercie de son aide continue.
À la lumière du témoignage d' un ancien juge de la Cour suprême du Canada devant notre comité sur la constitutionnalité du projet de loi et de sa remarque catégorique selon laquelle la Charte ne s'appliquerait pas à ce projet de loi, est-ce que le commissaire à la protection de la vie privée pourrait confirmer à notre comité que les renseignements privés des Canadiens sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, et plus particulièrement aux articles 7 et 8? Et pourrait-il confirmer qu'il arrive que des lois soient contestées une fois qu'elles ont été adoptées parce qu'on craint qu'elles violent l'article 7 sur la protection des renseignements personnels?
M. Therrien : Je peux tout simplement confirmer que cette loi, comme les autres, peut être contestée en vertu de la Charte. Vous avez mentionné les articles 7 et 8 qui portent généralement sur la protection des renseignements personnels.
J'ajouterais aussi — non pas pour laisser entendre que c'est une conclusion inévitable — que dans ce cas-ci, la liberté d'expression et la liberté d'association pourraient aussi être potentiellement invoquées par les syndicats et d'autres qui voudraient contester cette loi sous prétexte que la divulgation exigée serait une contrainte à leur liberté d'association ou à leur liberté d'expression.
Le sénateur Baker : Et vous pourriez être appelé à titre d'intervenant dans ces cas-là.
M. Therrien : C'est certainement une possibilité.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je tiens à saluer le courage de M. Ian Lee, parce que c'est le deuxième membre de la base des syndicats que nous entendons, après M. Pereira. Nous avons reçu des présidents de syndicat, des ministres, des avocats, des actuaires et des dirigeants, et je commençais à m'inquiéter que l'omerta se soit insinuée dans les syndicats.
Un grand nombre de témoins ont voulu nous rassurer en nous disant que les états financiers étaient remis aux membres ou qu'ils étaient disponibles et pouvaient être consultés. Ceci dit, comment se fait-il que les membres de la FTQ-Construction aient été informés d'irrégularités et de malversations en suivant les audiences de la Commission Charbonneau? Ils l'ont su en écoutant les audiences de la Commission Charbonneau; non pas en étudiant les états financiers.
Les policiers provinciaux de l'Ontario ont également été mis au courant par les médias d'irrégularités à la tête de leur syndicat. Ce sont les médias qui les ont mis au courant que la GRC faisait enquête sur des dirigeants syndicaux. Cela n'aurait pas dû exister. Les états financiers étaient on ne peut plus transparents. Comment se fait-il qu'ils ne l'aient pas vu dans les états financiers? Je me pose la question, et j'aimerais entendre les témoins à ce sujet. Tout le monde dit qu'il n'y a pas de problème, que les états financiers sont donnés aux membres. Pourtant, lors d'irrégularités, on l'apprend par les commissions d'enquête ou dans les journaux.
[Traduction]
M. Lee : J'aimerais parler de cela parce qu'il est fort probable que la majorité des gens dans cette pièce ne sont pas syndiqués ou ne le sont plus depuis un bon moment. Ensuite, vous ne connaissez peut-être pas très bien les états financiers et, comme l'a si bien signalé le sénateur Baker, j'ai été banquier pendant neuf ans juste ici, au 144 Wellington, dans un bâtiment que le Parlement s'est approprié, je crois, pour tenir les réunions du Comité des finances.
Les états financiers sont constitués de données agglomérées. Il n'y a pas de ventilation. Il y a littéralement cinq ou six postes dans la déclaration des revenus, et les données sont si générales qu'elles ne veulent presque rien dire. Les états financiers font bien sûr l'objet d'une vérification qui garantit qu'ils ont été présentés selon des principes comptables généralement reconnus, mais en tant que documents de divulgation, ils sont tout à fait inadéquats. Je dis cela en tant qu'ancien banquier, et professeur qui enseigne cette matière dans une école de commerce depuis 27 ans et qui a essayé d'obtenir avec beaucoup de difficulté les états financiers de syndicats aux fins de recherches.
Les syndicats se vantent que les données sont accessibles à tous les membres, mais ils érigent des obstacles. Je ne parle pas pour tous les syndicats, mais je vous fais part de l'expérience que j'en ai. Oui, si vous prenez un rendez-vous trois semaines plus tard à un certain moment de la journée, mais ce n'est ce qu'on entend par transparence. Lorsqu'il y a de la transparence, les données se trouvent sur le site web tout comme les sociétés cotées en bourse, données que mes étudiants et moi utilisons pour faire de la recherche et que tout le monde peut se procurer. Voilà ce à quoi ressemble la transparence.
Ici, c'est de la fausse transparence lorsqu'il faut prendre un rendez-vous comme pour voir son médecin afin de prendre connaissance des états financiers où figurent vos cotisations syndicales. Cela dépasse les bornes, et c'est pour cette raison qu'il faut apporter des réformes. Malheureusement, l'Ontario ne fera rien à cet égard.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur Lee. J'aime beaucoup votre réponse.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : J'ai une question pour M. Therrien. Je vous remercie de votre présence. Vous présentez essentiellement la même opinion que votre prédécesseure, Mme Stoddart.
J'ai examiné la Loi sur la protection des renseignements personnels relativement au projet de loi, et je constate que le consentement se ferait en deux temps. D'abord, il faudrait que les syndicats obtiennent la permission du particulier pour fournir l'information à l'ARC, et il faudrait ensuite que l'ARC, par l'entremise du ministre du Revenu national, obtienne un deuxième consentement pour rendre cette information publique. C'est donc un processus en deux étapes et, à ce que je sache, chacune d'elles nécessiterait le consentement de la personne visée.
M. Therrien : Le consentement que vous mentionnez s'appliquerait en général à la divulgation de renseignements personnels concernant un particulier.
Toutefois, selon mon interprétation du projet de loi, il créerait une loi distincte qui divulguerait sans le consentement de la personne visée l'information sur les représentants syndicaux les mieux rémunérés, c'est-à-dire ceux qui participent à certaines transactions concernant notamment des services ou des activités de lobbying. Cela se ferait sans consentement.
En matière d'interprétation législative et de relation entre ce projet de loi, s'il est adopté, et la Loi sur la protection des renseignements personnels, je pense que le projet de loi C-377 aurait préséance et que tout consentement qui s'appliquerait aux termes des lois sur la protection des renseignements personnels serait mis de côté.
En matière de loi constitutionnelle, on a posé la question plus tôt à savoir si ces exigences de divulgation risquent d'empiéter sur les droits à la vie privée garantis par la Constitution, et j'ai ajouté la liberté d'association, parce que nous parlons de syndicats. C'est une tout autre question.
Il y a donc deux niveaux. Au niveau législatif, le projet de loi C-377 aurait, selon moi, prévalence à moins qu'il n'y ait contestation en vertu de la Constitution.
La sénatrice Ringuette : Merci.
On a soulevé la question de données regroupées relativement à la divulgation, et j'essaie de me rappeler si les partis politiques font rapport à l'ARC en présentant des données regroupées ou non.
Monsieur Lee, vous pouvez peut-être nous fournir cette information?
M. Lee : Je n'ai pas examiné les pratiques des partis politiques.
La sénatrice Ringuette : Merci.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Monsieur Therrien, j'aimerais soulever deux petits points avec vous. Tout d'abord, merci de votre présentation.
Comme vous le savez, des amendements ont été adoptés par la Chambre des communes et sont intégrés au projet de loi C-377. Certains de ces amendements touchent la vie privée. Par exemple, les régimes de pension, les régimes d'assurance-maladie et d'autres régimes réglementés n'auront pas à déclarer les prestations versées aux participants. Je comprends que les adresses personnelles ne sont pas exigées non plus. Également, les employés des syndicats qui gagnent moins de 100 000 $ ne seront pas identifiés à moins d'exercer des fonctions de gestion.
Mon deuxième point est le suivant. Si je comprends bien, selon l'ex-commissaire à la vie privée, Mme Jennifer Stoddart, le projet de loi C-377 ne constitue pas une violation à la vie privée. Pourrais-je avoir vos commentaires sur ces deux points, s'il vous plaît?
M. Therrien : Pour ce qui est du premier point, vous faites état de modifications qui, effectivement, apportent des améliorations en matière de vie privée. Il reste que, en exigeant la divulgation de certains salaires ou de certaines transactions au-delà d'un montant de dollars, est-il possible d'arriver à une imputabilité des syndicats et de leurs dirigeants, qui divulgueraient ce genre d'information, mais de façon agrégée, de sorte que les membres des syndicats et les contribuables puissent prendre connaissance des salaires versés et des activités des dirigeants syndicaux sans avoir à attribuer ces renseignements à des personnes en particulier? Mon point principal est qu'il devrait y avoir un équilibre entre l'imputabilité, qui est une valeur importante, et la vie privée, qui est une valeur tout aussi importante. Est-il important de nommer des gens, par rapport au type de renseignement divulgué, pour arriver à l'imputabilité? Il est sans doute possible d'arriver à l'imputabilité en divulguant des renseignements de façon agrégée. C'est une recommandation que je vous fais.
Quant à la violation de la vie privée, je crois que Mme Stoddart a donné une réponse semblable à celle que j'ai donnée à une question de la sénatrice Ringuette, à savoir que...
Le sénateur McIntyre : Il n'y a pas de conflits avec la loi.
M. Therrien : Il n'y a pas de conflits avec la loi statutaire. J'ai parlé de la Loi sur la protection des renseignements personnels, et on a parlé de PIPEDA. Le projet de loi C-377 l'emporterait sur ces autres lois. En ce sens, ce serait le droit existant sous réserve de contestations au niveau constitutionnel.
Le sénateur McIntyre : Merci, monsieur Therrien, pour ces éclaircissements.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de vos exposés. J'ai deux questions. L'une d'elles s'adresse au ministre.
Monsieur le ministre, vous avez maintenant eu l'occasion d'étudier ce projet de loi et vous avez bien entendu examiné le régime qui existe dans votre province. Êtes-vous satisfait des mesures de reddition de comptes et de transparence exigées de la part des syndicats dans votre province?
M. Flynn : Je vous remercie de cette question, madame la sénatrice. La réponse est oui, je le suis.
Nous avons eu quelque chose de très semblable à ce projet de loi. Je ne pense pas qu'il était aussi strict que la proposition que vous avez devant vous, mais nous avons adopté une loi en Ontario qui est entrée en vigueur dans les années 1990, je pense, et elle imposait des exigences de divulgation aux syndicats. Nous avons trouvé que c'était complètement inutile. À notre avis, les règlements et les lois existantes en Ontario qui portent sur notre Commission des relations de travail suffisaient amplement pour traiter le nombre de plaintes dont nous étions saisis. Elles étaient traitées par la CRTO, ou la Commission des relations de travail de l'Ontario, d'une façon qui satisfaisait les membres des syndicats.
La proposition qui avait été mise en place en 2005 a été abrogée tout simplement parce qu'il s'agissait du dédoublement d'un processus qui, de toute façon, fonctionnait bien.
Nous estimons tout simplement qu'il s'agit d'une intrusion inutile. En Ontario, nous traversons une période économique difficile, et il en va de même pour le reste du pays. Nous sommes peut-être mieux placés que d'autres, mais la situation est néanmoins difficile. Il faut que le gouvernement, les entreprises et les employés travaillent ensemble. Ce type de projet de loi ne fait qu'intervenir d'une façon qui n'ajoute aucune valeur à cette proposition.
La sénatrice Jaffer : J'ai une question pour vous, monsieur Therrien. Savez-vous s'il y a d'autres groupes, institutions ou organisations dont les droits à la vie privée sont aussi brimés par ce projet de loi? J'aimerais savoir si une personne serait obligée de déclarer les heures qu'elle a consacrées à des activités politiques ou à des activités non liées à son travail comme des travaux communautaires en tant que chef d'un groupe de scouts, par exemple. Ces personnes devraient noter toutes ces heures. Avez-vous déjà vu ce genre d'empiétement sur le droit à la vie privée dans d'autres lois, et que pensez-vous de cette situation?
M. Therrien : Il ne fait aucun doute que je n'ai jamais rien vu de tel dans une loi canadienne. Une partie de cette information, surtout celle concernant la participation à des activités politiques, est de nature extrêmement délicate. C'est pour cette raison que nous avons des lois sur la protection des renseignements personnels au Canada. Je suis donc très préoccupé par le fait que ce type de divulgation soit exigée dans le projet de loi.
Le sénateur Plett : Monsieur Lee, le sénateur Baker commence habituellement ses questions en félicitant tous ceux qui comparaissent sur l'excellence de leur témoignage, et je sais qu'il a tout simplement oublié de vous féliciter pour votre excellent témoignage lorsqu'il s'est adressé à vous. Voilà ce que je voulais faire, c'est-à-dire vous remercier de vos excellentes observations.
Mais j'ai une ou deux questions pour vous. Nous avons reçu un témoin plus tôt aujourd'hui, M. Dias, qui a dit que son syndicat allait prendre toutes les mesures nécessaires pour défaire le présent gouvernement conservateur.
M. Greg Selinger est le premier ministre de ma province parce que des syndicats l'ont aidé à remporter la course au leadership grâce à des cotisations syndicales.
Je dirais aussi que M. Flynn est le ministre des Relations de travail en Ontario parce que ce sont les syndicats qui l'ont aidé à obtenir ce poste.
La Commission Charbonneau existe parce qu'il y a manifestement des problèmes avec les syndicats. Le syndicat des policiers de l'Ontario fait maintenant l'objet d'une enquête.
Si les syndicats utilisent l'argent des contribuables pour faire tout cela, ne devraient-ils pas être transparents dans la divulgation de leurs dépenses? Est-il acceptable pour des syndicats de dépenser davantage que tous les partis politiques combinés, comme ils l'ont fait au cours des dernières élections en Ontario pour faire en sorte que les libéraux emportent la mise? Pourquoi n'y a-t-il pas de plafond sur les dépenses des tierces parties comme il en existe ailleurs? Et le tout, bien sûr, se fait avec l'argent des cotisations syndicales. J'aimerais connaître votre avis.
M. Lee : Je serai bref, mais c'est exactement ce que je soulevais dans mon exposé. Il ne s'agit pas seulement des fonds des contribuables, mais aussi de l'argent des Canadiens et, dans mon cas, des Ontariens. J'appuie les négociations collectives. Je suis en faveur de la formule Rand, mais je veux que les syndicats fassent ce qu'ils sont censés faire, c'est-à-dire se pencher sur les questions essentielles à la table des négociations. Les syndicats ont été mis sur pied pour cette raison. Lorsqu'ils commencent à se mêler de campagnes électorales, cela pose immédiatement un problème de représentation puisque ce ne sont pas tous les membres d'un syndicat qui appuient un seul parti. Il y a des divisions claires entre les membres comme celles qui existent dans la population en général. Certains appuient les libéraux, d'autres les néo-démocrates et ainsi de suite. C'est pourquoi cela soulève une question d'équité, en plus du point que vous avez soulevé.
J'aimerais rapidement mentionner un point que je n'ai pas eu le temps de soulever dans ma déclaration préliminaire. Dans de nombreux pays occidentaux de l'OCDE, la divulgation telle qu'elle est proposée dans le projet de loi C-377 est courante. Il suffit de songer aux États-Unis.
Le dernier point que j'aimerais soulever, parce que je sais qu'il y a beaucoup de discussions entourant la vie privée, c'est que je ne comprends pas pourquoi l'Ontario divulgue le salaire de centaines de milliers de personnes si la province estime réellement que c'est problématique. Deuxièmement, les salaires sont divulgués aux termes des lois sur la divulgation des renseignements par les organisations qui visent les sociétés cotées en bourse tant au Canada qu'aux États-Unis. Manifestement, la loi n'empêche pas, dans certaines situations et certains contextes, qu'on divulgue les salaires de certaines personnes puisque cela se fait en Ontario, au Canada et aux États-Unis.
Le sénateur Plett : Merci.
Le sénateur Joyal : Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue. J'aimerais revenir au cinquième point mentionné dans votre exposé qui porte sur la constitutionnalité du projet de loi C-377. Vous avez évoqué l'affaire Snider contre Northern Telecom, qui est très célèbre et qui est enseigné dans les écoles de droit partout au Canada. Avez-vous demandé un avis juridique de votre propre ministère pour préparer votre exposé?
M. Flynn : Merci de cette question, sénateur.
Oui, nous en avons évidemment discuté au ministère du Travail. En préparation pour ce projet de loi et cet exposé, nous avons examiné très sérieusement la constitutionnalité.
Bien que je ne sois pas moi-même avocat et que je dépende de l'expertise des autres, il me semble, d'après les recherches que nous avons faites, que si ce projet de loi est adopté, sa constitutionnalité sera contestée. C'est ce que je disais dans ma déclaration préliminaire. Il semble que si ce projet de loi était adopté, il mènerait à des poursuites coûteuses et inutiles pour les syndicats, les gouvernements et les contribuables.
Le sénateur Joyal : Vous avez aussi parlé de la violation des libertés d'expression et d'association, qui sont des droits clairement protégés par la Charte. Le gouvernement de l'Ontario croit-il actuellement qu'il interviendrait si la constitutionnalité était contestée ou si le projet de loi C-377 ne respectait pas la Charte?
M. Flynn : Eh bien, en tant que ministre du Travail pour la province de l'Ontario, si ce projet de loi était adopté, nous aurions des questions très difficiles à poser à nos experts et avocats en droit du travail à notre ministère. Certainement, si nous croyions qu'il y avait un empiétement dans un domaine qui est clairement de compétence provinciale, je crois que notre gouvernement agirait.
Le sénateur Joyal : Merci, monsieur le ministre.
Monsieur Therrien, j'aimerais revenir à votre exposé. Dans le projet de loi C-377, on demande la divulgation de renseignements concernant — et je cite le projet de loi — « d'autres activités non liées aux relations du travail ». Il pourrait s'agir d'activités familiales. Il pourrait s'agir d'autres activités professionnelles qui n'ont rien à voir avec les relations de travail. D'après vous, est-ce que le projet de loi dépasse les limites de ce qui est acceptable en matière de renseignements personnels?
M. Therrien : Je pense qu'il va trop loin. La reddition de comptes est un principe important qui peut justifier la divulgation de certains renseignements tels que les salaires des dirigeants les mieux rémunérés, mais je pense qu'il va trop loin en exigeant la divulgation d'activités non syndicales, comme ce que vous avez mentionné, et les activités politiques ou de lobbying. Je pense qu'il va beaucoup trop loin.
Le sénateur Joyal : En d'autres mots, le projet de loi ne respecterait pas les lois canadiennes dans ce domaine.
M. Therrien : Du point de vue des politiques, c'est un projet de loi qui irait trop loin parce que la reddition de comptes aurait préséance sur la protection des renseignements personnels.
Y aurait-il des manquements du point de vue constitutionnel? Comme d'autres l'ont dit, il y aurait certainement des contestations, il faudrait voir ce que les tribunaux diraient. Mais d'un point de vue stratégique à tout le moins quant à ce que le Parlement devrait adopter pour atteindre l'équilibre entre ces deux valeurs importantes, je pense que l'équilibre ne serait pas préservé.
Le sénateur Joyal : Comme M. Flynn l'a mentionné, si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, chercheriez-vous à intervenir pour présenter le principe dont vous venez de parler?
M. Therrien : Nous intervenons parfois devant les tribunaux. Des intérêts privés peuvent le faire. Il faudrait évaluer la situation lorsque le moment sera venu, mais il est possible que nous interviendrions, oui.
Le sénateur Joyal : Bien sûr, ce projet de loi force aussi ceux qui fournissent des services à un syndicat à divulguer des renseignements. Je dirais qu'on va encore plus loin par rapport aux renseignements qui seraient mis à la disposition des membres du syndicat ou de la population. Dans ce contexte, ne croyez-vous pas que cela ne respecte pas l'équilibre entre la transparence et la protection des renseignements personnels, ce qui devrait être inclus dans le projet de loi?
M. Therrien : Oui. J'en ai parlé dans mon témoignage. En résumé, ma réponse à votre question est oui.
La sénatrice Batters : Monsieur Lee, bienvenue à nouveau à notre comité. J'aurais bien aimé assister à ces débats Baker-Lee, je dois dire, et je pense qu'il n'y a que vous qui pouvez inclure Napoléon et Leona Helmsley dans la même déclaration préliminaire. Il faut du talent.
En tant que cotisant à votre association de professeurs, ne serait-il pas utile pour vous de comprendre comment sont utilisées vos cotisations, par exemple, par les dirigeants de votre association, mais aussi de savoir ce que font les dirigeants durant les heures où ils sont rémunérés, y compris selon les termes déjà définis — les activités politiques, les activités de lobbying et les autres activités non liées aux relations du travail?
M. Lee : Absolument. Voilà pourquoi il y a cette disposition — je ne veux pas discréditer les états financiers vérifiés. Ils constituent un outil très important. Ils sont utilisés par les banques, les sociétés d'État, et cetera. Ils sont très importants, mais ils sont très généraux. Ils n'entrent pas dans les détails, n'offrent pas la même profondeur et étendue de renseignements que la comptabilité de gestion. La comptabilité financière est pour les intervenants de l'extérieur. La comptabilité de gestion fournit beaucoup plus de données et d'analyses en profondeur pour les intervenants internes, comme le dirigeant principal des finances ou le sous-ministre dans un gouvernement.
Lorsque le gouvernement de l'Ontario — et je ne veux pas critiquer ce ministre, mais juste le gouvernement en général — dit : « Écoutez, nous exigeons la divulgation de renseignements et nous avons les états financiers », c'est pour les gens de l'extérieur. C'est pour les intervenants externes, les banquiers, si le syndicat emprunte de l'argent, par exemple, ou pour respecter une exigence de reddition de comptes au gouvernement de l'Ontario. Mais les intervenants internes, nous, les propriétaires, les cotisants, devraient recevoir beaucoup plus de renseignements que les intervenants externes, et nous ne pouvons pas les obtenir même si c'est de l'argent qui est prélevé de nos chèques de paie.
La sénatrice Batters : Absolument. Et d'autres...
M. Lee : Je vous assure que je dois me battre tout le temps.
La sénatrice Batters : Sénatrice Ringuette, c'est mon tour.
Le président : La sénatrice Batters a la parole.
La sénatrice Batters : Je voulais aussi dire qu'avec le projet de loi C-377, les syndicats n'ont qu'à divulguer le pourcentage du temps qu'ils ont consacré à des activités politiques ou non liées aux relations de travail, et seulement pendant les heures au travail. N'est-ce pas?
M. Lee : C'est ce que j'en comprends, oui.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur Cowan : C'est une précision. Je n'ai pas de questions pour les témoins, mais cela fait suite à ce qu'a dit le sénateur Plett à la fin concernant ce qu'avait dit la ministre Regan par rapport à l'amendement apporté en Chambre. Je veux simplement lire l'amendement, l'exemption, qui se lit comme suit :
b) aux fiducies de syndicat dont les activités ont trait exclusivement à l'administration, à la gestion ou aux placements d'une fiducie de soins de santé au bénéfice d'employés, d'une police collective d'assurance temporaire sur la vie, d'un régime d'assurance collective contre la maladie ou les accidents, d'un régime de participation différée aux bénéfices, d'un régime de pension agréé, d'un régime de prestations supplémentaires de chômage ou d'un régime privé d'assurance-maladie.
J'ai ensuite reçu un courriel de M. Hunter qui disait que c'était ce qu'il a fait valoir dans son témoignage, et qu'il pensait que les préoccupations soulevées par la ministre Regan concernant la divulgation de la prestation de décès qu'elle a reçue après la mort de son premier mari étaient justifiées. Je voulais simplement le mentionner.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aimerais soumettre un commentaire à M. Flynn. Je vous trouve vraiment sympathique comme ministre. En tant qu'ancien président de l'Association des policiers provinciaux du Québec, je peux vous affirmer qu'il n'était pas toujours facile de négocier avec certains ministres. J'aurais sûrement aimé m'entretenir avec vous lors des négociations.
Monsieur Terrien, j'aimerais que vous preniez connaissance de la décision du juge Bastarache selon laquelle la loi n'est pas anticonstitutionnelle. Je ne sais pas si j'ai mal compris, mais vous avez dit que le projet de loi pourrait être contesté, qu'il pourrait être anticonstitutionnel. Le juge Bastarache a pris le temps de bien examiner cette question et il été très clair : le projet de loi n'est pas anticonstitutionnel et ne nuit pas aux activités syndicales. Je vous invite tout simplement à lire sa décision.
[Traduction]
Le président : C'était simplement un commentaire.
La sénatrice Ringuette veut poser une question très rapidement.
La sénatrice Ringuette : J'ai une question technique qui s'adresse à M. Lee.
Puisque vous appartenez à deux syndicats, le projet de loi exigerait la divulgation d'activités politiques de chaque membre. Dans votre cas, de quel syndicat votre petit-déjeuner de financement pour M. Poilievre dans la région relèverait-il, est-ce que ce serait des deux?
M. Lee : C'est une bonne question. Je ne fais pas de financement. Je n'appartiens pas à un parti politique, et je ne fais pas de dons à des partis politiques. Je vous le répète : je ne fais pas de financement.
Le président : Voilà qui met fin à la séance. Je tiens à remercier tous nos témoins de leur temps et de leur contribution à nos délibérations. Nous leur en sommes très reconnaissants.
(La séance est levée.)