Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 31 - Témoignages du 13 mai 2015
OTTAWA, le mercredi 13 mai 2015
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières), et le projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour procéder à l'étude de ces projets de loi.
Le sénateur Bob Runciman (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Bienvenue, chers collègues, invités et membres du public qui suivent les délibérations aujourd'hui du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Il s'agit de notre quatrième réunion sur le projet de loi C-377, qui porte sur les exigences relatives à la divulgation de renseignements financiers applicables aux organisations ouvrières. Notre premier point à l'ordre du jour aujourd'hui est l'étude article par article du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).
Plaît-il au comité de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-377?
La sénatrice Ringuette : Monsieur le président, j'ai quelques questions, et puisque nous avons tenu trois réunions et entendu 23 témoins, j'aimerais obtenir une liste des particuliers et des groupes qui ont demandé à comparaître, mais à qui nous avons refusé cette possibilité.
Le président : Très bien. Je pense avoir cette information ici. Il y a eu en tout 75 demandes pour comparaître de la part d'organisations, d'universitaires et d'avocats. C'est un dédoublement important. Bon nombre d'entre eux avaient également témoigné devant le Comité des banques lorsque le projet de loi a fait l'objet d'une étude antérieurement.
Nous, par l'entremise du comité de direction, voulions convoquer des témoins qui pourraient parler de la constitutionnalité du projet de loi. Notre objectif n'était pas de simplement entendre à nouveau des témoins qui avaient déjà comparu devant le Comité des banques. Nous avons passé en revue toutes les demandes de comparution. Nous avons choisi les témoins de manière à entendre toutes les perspectives.
Parmi les 23 témoins qui ont comparu, plusieurs étaient des représentants des nombreux autres groupes qui ont demandé à comparaître, notamment des grands syndicats qui appartiennent au Congrès du travail du Canada. L'avocat Paul Cavalluzzo, qui est venu témoigner, a représenté un grand nombre d'organisations syndicales. Le Comité des banques a entendu 49 témoins lorsqu'il a étudié le projet de loi. Il a tenu 14 heures de séance. Si l'on pense aux 23 témoins qui ont comparu sur une période de 7 heures, on constate que ce projet de loi a fait l'objet d'un examen beaucoup plus approfondi que, je pense, la majorité des projets de loi d'initiative ministérielle et certainement plus que les projets de loi d'initiative parlementaire au cours des dernières années.
La sénatrice Ringuette : Monsieur le président, je suis absolument consternée que seulement 10 p. 100 des organisations et des particuliers ont pu comparaître. La liste comporte un grand nombre de personnes. La greffière pourrait peut-être nous préciser le nombre exact de personnes qui ont demandé à comparaître.
Le président : J'ai vu ce nombre. Le nombre total de lettres types de demande — les lettres qui ont été signées par des particuliers — est de 249.
La sénatrice Ringuette : Deux cent quarante-neuf.
Le président : Oui.
La sénatrice Ringuette : Vous croyez que c'est un second examen objectif? Le Sénat est la chambre du Parlement à laquelle les citoyens s'adressent pour faire part de leurs observations et de leur point de vue sur une mesure législative. Nous n'avons même pas entendu 8 p. 100 des témoins. Je suis désolée, monsieur le président, mais je suis la seule personne à cette table qui a entendu les témoins il y a deux ans au Comité des banques. Par conséquent, tous les membres à cette table n'ont pas eu ce privilège.
Lorsque vous dites que les gens ont été invités pour discuter de la constitutionnalité, permettez-moi de dire que les messieurs qui ont témoigné devant nous à titre de représentants de la Fédération canadienne des contribuables ont dit qu'ils allaient contourner la question de la constitutionnalité. C'est ce que l'un d'eux a dit lorsqu'il a comparu le 7 mai dernier.
Permettez-moi également d'ajouter que le comité a reçu à maintes reprises un témoin de LabourWatch, qui a également témoigné devant le Comité des banques il y a deux ans. Malheureusement, vous avez également reçu un homme du nom de Mark Roumy, qui voulait exprimer son appui au projet de loi — et c'est très bien, car nous vivons dans une société libre —, mais qui a également formulé des accusations contre Air Canada et le SCFP. Toutefois, vous n'avez jamais donné le droit et le privilège aux représentants du SCFP de témoigner devant le comité et de donner leur version de ces circonstances très malheureuses.
De plus, aucune organisation syndicale du Québec n'est venue témoigner. La FTQ et la CSN sont les principales organisations au Québec qui ont fait l'objet d'accusations, mais elles n'ont pas été invitées à comparaître devant le comité. Elles ont demandé à comparaître, mais elles ont accusé un refus. Ma prochaine question est la suivante : qui a rejeté leur demande?
Le président : Je vais répondre à quelques points que vous avez soulevés et à votre dernière question, puis je donnerai à d'autres sénateurs l'occasion d'intervenir.
Pour ce qui est des témoins que nous avons convoqués et que vous avez mentionnés, je tiens à dire que le comité de direction avait l'intention au départ de tenir deux réunions complètes sur le projet de loi. Nous avons ensuite été pressentis, d'après ce que j'ai compris, par le sénateur Cowan, le leader de l'opposition, pour entendre sept témoins supplémentaires. Nous avons accédé à sa demande et avons ajouté une journée de séance additionnelle pour entendre ces témoins. Nous avons également ajouté plusieurs autres témoins pour équilibrer les témoignages que nous allions entendre, à partir de leurs antécédents, avec ceux des personnes proposées par le sénateur Cowan.
La sénatrice Ringuette : J'ai devant moi, monsieur le président...
Le président : Laissez-moi terminer. Vous avez soulevé ces questions, alors voilà pourquoi.
Pour ce qui est de savoir qui prend ces décisions, le comité de direction prend les décisions finales sur les témoins qui comparaîtront. Nous pouvons les contester, mais si nous avions accepté ces 249 témoins, nous n'aurions jamais pu tous les entendre cette année. Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire. Nous estimons y avoir accordé une attention sans précédent. C'est l'opinion du comité de direction. Je parle en tant que membre du comité de direction.
Je vais revenir à vous, mais je veux donner à plusieurs autres sénateurs l'occasion d'intervenir au sujet de vos préoccupations.
Le sénateur Plett : Monsieur le président, j'ai une question différente que je veux soulever, ce que je peux faire après avoir discuté de celle-ci. Je veux citer quelque chose aux fins du compte rendu.
Le président : Nous pouvons peut-être attendre d'avoir terminé avec cette question.
Le sénateur Baker : Je tiens à présenter des excuses aux témoins qui attendent de pouvoir se faire entendre sur un autre sujet. Nous devons consacrer du temps à l'étude article par article du projet de loi. Ce ne devrait pas être trop long.
La sénatrice Fraser : Pour faire suite aux points soulevés par la sénatrice Ringuette, à la lumière des diverses discussions, je croyais que le comité allait tenir de nombreuses séances sur ce projet de loi. Sauf votre respect, deux ou trois réunions ne permettent pas d'étudier de façon exhaustive un projet de loi complexe qui semble entraîner de nombreuses répercussions — dont certaines sont probablement imprévues.
Pour citer deux exemples, je trouve étrange que nous ayons permis à un témoin de venir exprimer ses griefs — pas dans le sens des relations de travail, mais dans le sens normal du terme « griefs » — à l'égard du Syndicat canadien de la fonction publique, mais n'avons pas donné la chance au SCFP de venir donner sa version des faits.
Je trouve également étrange que nous n'ayons pas entendu des représentants de l'industrie des investissements, des fonds communs de placement et d'associations professionnelles, qui craignent fort d'être visés par ce projet de loi. Je ne crois pas, avec tout ce que j'ai entendu de l'auteur du projet de loi, le député Hiebert, qu'il avait l'intention de viser l'industrie des fonds communs de placement, la Nova Scotia Medical Association ou l'un ou l'autre des nombreux autres groupes qui ont sonné l'alarme au sujet de ce projet de loi.
Ils n'ont peut-être pas soulevé de questions constitutionnelles, mais, comme la sénatrice Ringuette l'a dit, peu importe quel était le plan pour limiter les audiences sur les questions constitutionnelles, nous avons en fait permis à nos témoins de couvrir un vaste éventail de sujets. Puisque je suis sur le sujet, à mon avis, nous n'avons pas étudié le projet de loi de façon aussi approfondie que nous aurions pu et aurions dû le faire.
Le président : Je comprends votre point de vue. J'imagine qu'en ouvrant cette porte, nous essayons d'être justes envers toutes les personnes visées. Nous ne voulions certainement pas exclure des gens, mais nous avons un délai à respecter. Je pense que nous avons été, à mon avis, en tant que membres du comité de direction, éminemment justes quant au temps que nous avons alloué à ce projet de loi.
La sénatrice Batters : Je vais ajouter quelques remarques à ce qui a été dit. Je me rappelle que le président a dit très clairement, même avant que nos audiences commencent, que le comité se concentrerait sur la constitutionnalité du projet de loi. Il a aussi précisé la portée limitée à laquelle nous serions confrontés, compte tenu des nombreuses audiences que le Comité des banques a déjà tenues. Cela a été réitéré lorsque nous avons entamé ces audiences du comité sur le projet de loi C-377, comme nous pourrons le voir dans le compte rendu des délibérations.
De plus, nous avons les longues délibérations de nombreuses séances du Comité des banques et les témoignages. Bon nombre des témoins qui ont demandé à comparaître à nouveau ont déjà témoigné devant le Comité des banques. Nous avons le compte rendu de leurs témoignages et le temps qu'ils ont reçu.
La sénatrice Ringuette a indiqué que le domaine de compétence d'un témoin, même s'il était avocat, n'était pas la constitutionnalité. Je voulais répéter que nous avons entendu le témoignage très avisé de l'ancien juge Bastarache, qui a été pendant 11 ans à la Cour suprême du Canada, où 20 p. 100 des causes qu'il a entendues étaient de nature constitutionnelle. Notre comité a toujours accordé la priorité à l'étude des projets de loi d'initiative ministérielle plutôt qu'aux projets de loi d'initiative parlementaire. Nous avons été saisis de projets de loi d'initiative ministérielle très importants, dont la Charte des droits des victimes récemment. Nous avons dû équilibrer le temps consacré aux projets de loi d'initiative parlementaire et aux projets de loi d'initiative ministérielle.
Le président : Comme le sénateur Baker l'a souligné, nous avons des témoins qui attendent, dont certains ont fait un long trajet pour venir ici discuter du prochain point à l'ordre du jour. J'espère que vous ne l'oublierez pas.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Évidemment, je n'ai pas siégé au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, parce que je suis devenu le parrain du projet de loi un peu plus tard. Cela dit, nous avons reçu beaucoup de documents de la part d'organisations syndicales et de bureaux d'avocats, et je peux vous assurer que j'ai pris le temps nécessaire pour les lire.
De plus, nous avons reçu des documents de la part de membres de syndicats. Ce qui ressort des témoins que nous avons entendus, c'est que la plupart des présidents, des membres de l'exécutif et des avocats, qui sont des fournisseurs de service pour les exécutifs syndicaux, n'appuient pas le projet de loi. Nous avons reçu moins de membres de la base. Ce que j'appelle les « membres de la base », ce sont les vrais syndiqués, comme le professeur que nous avons reçu la semaine passée, comme Ken Pereira.
J'ai reçu aussi de nombreuses lettres des débardeurs de certains ports qui semblaient offusqués. Ils ne semblaient pas inquiets de la transparence des états financiers. Je ne veux pas revenir là-dessus, mais il n'en demeure pas moins que — encore une fois, je l'ai soulevé la semaine passée — si les états financiers sont aussi transparents, parfois les membres des syndicats l'apprennent des médias.
Malgré qu'on n'ait pas entendu tous les témoins — je n'ai pas la prétention de la sénatrice Ringuette, et avec raison; elle l'a dit, elle siégeait au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce et a entendu les témoins —, j'ai pris le temps de lire tous les documents, et vous savez comme moi que nous en avons reçu beaucoup. Même si nous n'avons pas entendu ces témoins-là, nous avons reçu beaucoup de documentation. Alors, j'estime que, au moment où nous en sommes, même si nous tenions deux ou trois jours ou semaines de séances supplémentaires, nous n'en saurions pas plus. Nous avons déjà une bonne idée du dossier.
J'aimerais souligner une chose; d'ailleurs, la sénatrice Batters l'a souligné également : le juge Bastarache, qui a siégé longtemps à la Cour suprême et qui nous a donné un témoignage objectif, nous a dit — et je l'ai très bien retenu — que le projet de loi n'est pas anticonstitutionnel, qu'il ne nuit pas aux activités syndicales, mais qu'il s'adresse à l'Agence du revenu du Canada. Je ne puis mettre en doute les paroles du juge Bastarache. Voilà ce que j'avais à dire.
[Traduction]
Le président : J'encourage les intervenants à être brefs, dans la mesure du possible.
La sénatrice Jaffer : Monsieur le président, je me rappelle aussi que lorsque nous avons entamé ces audiences, vous avez dit, et je suis d'accord avec la sénatrice Batters, que le Comité des banques avait reçu des témoins sur d'autres sujets et que nous allions entendre des témoignages sur la constitutionnalité. Ma collègue a parlé du témoignage de M. Bastarache, mais il avait un point de vue. Je suis déçue que nous n'ayons pas entendu une personne de sa stature exprimer l'autre point de vue.
La sénatrice Batters : Nous avons reçu M. Ryder.
La sénatrice Jaffer : En effet, mais il n'est pas de sa stature.
Ma collègue a parlé de M. Bastarache, et c'est très bien. Nous avons reçu M. Ryder, qui a également été un excellent témoin. Ce qui me préoccupe énormément, c'est que nous sommes un comité des affaires juridiques et constitutionnelles où il devrait y avoir un sens de l'équité. Nous avons ouvert le dossier et n'avons tout simplement pas entendu des témoins parler de questions constitutionnelles. Nous avons reçu M. Dias et d'autres qui ont discuté des questions qui n'étaient pas constitutionnelles. Ce qui me dérange, c'est qu'un témoin s'est plaint au sujet du SCFP et que nous n'avons pas convoqué des témoins pour répondre à ce qu'il a dit, comme la sénatrice Fraser l'a mentionné. Ce n'est pas la bonne façon de procéder, et j'en suis un peu gênée.
Le sénateur McInnis : Le rôle du comité consiste à comprendre le projet de loi, les diverses questions, et à entendre dans la mesure du possible des personnes qui ont une certaine expertise ou une expérience pratique dans tous les aspects de ce que nous essayons de faire ici. Nous faisons tous nos recherches. Nous avons tenu ces audiences et des réunions privées. Nous avons reçu un très grand nombre de courriels au cours de cette session. Par ailleurs, le projet de loi a fait l'objet de débats approfondis au Sénat. Je ne sais pas où vous pourriez avoir de meilleures audiences. À ce stade-ci, tous ceux qui veulent discuter du projet de loi ont eu l'occasion de le faire. Je pense que nous avons fait le tour de la question.
En ce qui a trait à la constitutionnalité, nous avons tous entendu ce que les témoins ont dit, et je suppose qu'il n'y a pas beaucoup de juges de la Cour suprême du Canada à la retraite qui sont disponibles.
Sauf votre respect, nous avons fait tout ce que nous pouvions en ce qui concerne ce projet de loi. Si les gens ne sont pas informés, alors j'en suis désolé. Cela ne devrait pas être une tribune libre à Hyde Park. Ce devrait être un endroit où nous tenons des audiences et entendons divers témoignages.
Le président : Sénatrice Ringuette, je vais vous donner la chance de conclure votre intervention pour nous faire part de votre point de vue à ce sujet.
La sénatrice Ringuette : Je répète que vous n'avez pas accepté que les deux plus grands syndicats au Québec comparaissent. Ce sont les plus grands syndicats au pays et ils ont été accusés en quelque sorte au comité.
Je crois également que vous n'avez pas reçu le témoin de l'association des médecins de la Nouvelle-Écosse. Brièvement, vous n'avez accepté que 8 p. 100 des gens qui ont demandé à comparaître devant le comité. Certains ont déjà été entendus, et je les ai mentionnés tout à l'heure.
Je propose donc :
Que le comité ne procède pas à l'étude article par article jusqu'à ce qu'un nombre raisonnable de personnes et d'organisations aient été convoquées par le comité à témoigner sur ce dossier.
Le président : Pendant que nous attendons que la greffière note la motion, je tiens à souligner que l'entité de la Nouvelle-Écosse que vous avez mentionnée a eu trois chances, trois dates, pour comparaître, mais a décliné l'invitation à chaque fois. Le comité a fait l'effort d'essayer de l'inviter.
La sénatrice Ringuette propose que le comité ne procède pas à l'étude article par article jusqu'à ce que nous ayons suffisamment de témoins.
Shaila Anwar, greffière du comité : Jusqu'à ce qu'un plus grand nombre de témoins...
Le président : Voulez-vous intégrer cela à la motion?
La sénatrice Ringuette : Oui. Je pense qu'au moins 20 p. 100 des témoins devraient être entendus, soit un plus grand nombre que prévu.
Le président : La sénatrice Ringuette propose :
Que le comité ne procède pas à l'étude article par article jusqu'à ce qu'un plus grand nombre de témoins aient été invités à comparaître.
Tous ceux qui sont en faveur de la motion de la sénatrice Ringuette?
Des voix : D'accord.
Des voix : Non.
La sénatrice Ringuette : Je veux la tenue d'un vote par appel nominal.
Mme Anwar : L'honorable sénateur Runciman?
Le sénateur Runciman : Contre, non.
Mme Anwar : L'honorable sénateur Baker?
Le sénateur Baker : Oui.
Mme Anwar : L'honorable sénatrice Batters?
La sénatrice Batters : Non, contre.
Mme Anwar : L'honorable sénateur Dagenais?
Le sénateur Dagenais : Non.
Mme Anwar : L'honorable sénatrice Fraser?
La sénatrice Fraser : Oui.
Mme Anwar : L'honorable sénatrice Jaffer?
La sénatrice Jaffer : Oui.
Mme Anwar : L'honorable sénateur Manning?
Le sénateur Manning : Non.
Mme Anwar : L'honorable sénateur McInnis?
Le sénateur McInnis : Non.
Mme Anwar : L'honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Non.
Mme Anwar : L'honorable sénateur Plett?
Le sénateur Plett : Non.
Mme Anwar : L'honorable sénatrice Ringuette?
La sénatrice Ringuette : Oui.
Mme Anwar : L'honorable sénateur Wells?
Le sénateur Wells : Non.
Mme Anwar : La motion est rejetée par 8 voix contre 4.
Le président : La motion est rejetée.
Plaît-il au comité de procéder à l'étude article par article du projet de loi C-377?
Des voix : Avec dissidence.
Le président : La motion est adoptée, avec dissidence.
Le sénateur Plett : Si vous le permettez avant que nous poursuivions, monsieur le président, j'aimerais simplement dire qu'une question a été portée à mon attention après la comparution de M. Paul Cavalluzzo. Plusieurs enseignants de l'Ontario English Catholic Teachers' Association ont communiqué avec moi pour me faire part de leur indignation à l'égard du fait que M. Cavalluzzo ait indiqué qu'il ne représentait personne, lorsque le sénateur Dagenais lui a posé la question. Il s'est offusqué de la question et a répondu qu'il ne représentait personne lorsqu'il a comparu devant le comité.
Maintenant, même s'il a le droit de comparaître à titre personnel, par souci de transparence, je pense qu'il faut savoir que selon l'Ontario Catholic Teachers' Association qui a communiqué avec moi, l'association retient ses services en tant qu'avocat, et je crois que cela devrait être pris en compte dans le témoignage qu'il a fait.
La sénatrice Ringuette : C'est un coup bas, vraiment bas.
La sénatrice Fraser : Monsieur le président, on a le droit de consigner quelque chose au compte rendu si on le juge pertinent, mais je crois le témoin sur parole lorsqu'il déclare qu'il ne comparaît qu'à titre personnel. C'est un avocat qui a de nombreux clients. De son côté, le juge Bastarache nous a dit qu'à propos de ce même projet de loi, il a fourni un avis à un client de sa firme.
La sénatrice Ringuette : Contre rémunération.
La sénatrice Fraser : Un avis donné contre rémunération.
Le sénateur Plett : C'est une divulgation complète.
La sénatrice Fraser : Oui, il l'a fait, mais c'était à propos de ce projet de loi. Or, il a quand même dit qu'il ne comparaissait pas devant le comité au nom de ce client, mais uniquement à titre personnel. Monsieur Cavalluzzo a dit la même chose. Je les crois tous les deux sur parole et je ne veux pas qu'on ait l'impression que ce comité dénigre des témoins en leur absence.
Le président : Je vais maintenant poursuivre.
L'étude du titre est-elle réservée?
Des voix : D'accord.
Le président : D'accord.
L'article 1 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
La sénatrice Fraser : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
L'article 2 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Des voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
L'article 3 est-il adopté?
Des voix : D'accord.
Une voix : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
Est-ce que le titre est adopté?
Des voix : D'accord.
La sénatrice Ringuette : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
La sénatrice Ringuette : Avant de boucler la boucle, monsieur le président, j'aimerais que l'on joigne des observations.
Le président : D'accord, mais je n'en suis pas encore là.
La sénatrice Ringuette : D'accord.
Le président : Est-ce que le projet de loi est adopté?
Des voix : D'accord.
La sénatrice Ringuette : Avec dissidence.
Le président : Adopté avec dissidence.
Est-ce que le comité souhaite étudier l'ajout d'observations au rapport?
La sénatrice Ringuette : Oui, j'aimerais faire joindre l'observation suivante, qui se lit comme suit :
Bien que le Comité adopte le projet de loi C-377 sans amendement, il tient à noter qu'après avoir entendu le témoignage de témoins et reçu de nombreux mémoires de la part de gouvernements, d'organisations syndicales, d'universitaires et d'associations professionnelles, entre autres — on a soulevé dans la grande majorité des témoignages et mémoires d'importantes préoccupations au sujet de cette mesure législative.
L'une de ces principales inquiétudes concerne la validité constitutionnelle du projet de loi en ce qui a trait à la répartition des pouvoirs et la Charte. On a également soulevé d'autres points portant sur la protection des renseignements personnels, le coût et l'importance d'une plus grande transparence et le manque de précision quant aux entités visées par le projet de loi.
Le Comité partage ces préoccupations.
Le Comité n'a proposé aucun amendement car il est préférable que ces questions importantes soient débattues par l'ensemble du Sénat.
Ces observations correspondent essentiellement à celles qu'a faites le Comité des banques en 2013 sur le projet de loi C-377.
Le président : D'autres commentaires sur l'observation proposée?
La sénatrice Batters : La différence entre le moment où le Comité des banques a délibéré sur ce projet de loi et maintenant, c'est que nous avons pris un temps fou — sept heures d'audience pendant lesquelles nous avons entendu 23 témoins. La grande majorité des délibérations ont porté sur le caractère constitutionnel du projet de loi. Nous avons entendu un ancien juge de la Cour suprême du Canada, qui y a siégé pendant 11 ans. Non seulement il a fourni une opinion juridique sur ce projet de loi, mais il nous a donné aussi des arguments extrêmement convaincants, indiquant que ce projet de loi était constitutionnel, tant par rapport à la répartition des pouvoirs qu'aux arguments invoqués concernant la Charte des droits. À mon avis, il a très bien répondu aux questions qui lui ont été posées et je ne vois aucune raison d'ajouter une telle observation.
La sénatrice Fraser : Sauf l'immense respect que j'ai pour l'ancien juge Bastarache, il n'a pas été le seul à s'exprimer. Nous avons aussi entendu d'autres constitutionnalistes qui ont soulevé des préoccupations, de graves préoccupations. Comme on l'a mentionné pendant les délibérations, le Comité des banques — qui a entendu un nombre encore plus grand de témoins et a consacré à ce projet de loi plus de temps que nous l'avons fait — en est arrivé à la conclusion que ces observations étaient opportunes. J'estime qu'elles le sont toujours et qu'elles pondèrent notre propre examen de ce projet de loi.
La sénatrice Ringuette : Est-ce la conclusion? D'autres sénateurs veulent-ils intervenir?
Le sénateur Plett : La sénatrice Fraser affirme qu'il y a d'autres opinions que celle du juge Bastarache et elle a tout à fait raison, mais on parle ici de la grande majorité des témoignages et des mémoires. Je ne sais pas si la sénatrice Ringuette et moi avons assisté à la même réunion, mais je pense qu'il y avait autant de témoins favorables à ce projet de loi qu'il y en avait contre. Et nous avons consacré beaucoup de temps à écouter les deux.
Le fait de dire que la grande majorité des témoignages... a suscité d'importantes préoccupations et que nous adoptions ce projet de loi sans en tenir compte n'est pas, à mon avis, une observation pertinente et je voterai certainement contre.
Le sénateur Baker : La sénatrice Ringuette peut me corriger si je me trompe, mais il s'agit, à ce que je sache, de la même procédure qui a été suivie au Comité des banques.
La sénatrice Ringuette : Oui.
Le sénateur Baker : Aucun amendement n'a été proposé en comité...
La sénatrice Ringuette : Exactement.
Le sénateur Baker : ... pour les mêmes raisons dont fait état votre déclaration. En fait, ce projet de loi sera maintenant renvoyé au Sénat, où l'on peut s'attendre à ce qu'il fasse l'objet d'amendements — comme cela est déjà arrivé pour d'autres projets de loi — et que c'est au sein de cette chambre que se présenteront les vrais obstacles à son adoption. N'ai-je pas raison?
La sénatrice Ringuette : Vous avez raison, monsieur.
Vous avez tous parlé du juge Bastarache. Venant moi-même du Nouveau-Brunswick, je reconnais sa vaste expérience.
Cela étant dit, des ministres provinciaux ont fait valoir que ce projet de loi empiète sur leur champ de compétence exclusive. La preuve en est que 90 p. 100 de la main-d'œuvre syndiquée relèvent de la juridiction des provinces.
Et si cela n'était pas suffisant, on doit relire les témoignages et les différents mémoires qui ont été soumis, sans parler des différents arguments qui ont été avancés lors de la troisième lecture du projet de loi en juin 2013.
Le comité n'a reçu que 8 p. 100 des témoins qui voulaient être entendus. Je vous le dis en toute bonne foi — bien que je sois extrêmement déçue du nombre modeste de témoins qui en subiront les conséquences dans leur vie personnelle et professionnelle...
Le président : Je ne veux pas recommencer le débat sur ce projet de loi auquel nous avons déjà consacré trois jours.
La sénatrice Ringuette : Non, mais nous débattons des observations que je souhaite joindre et que j'ai présentées. Nous en avons débattu et ce sont pratiquement les mêmes observations que le Comité des banques a jointes, à l'unanimité dois-je le dire, au projet de loi lorsqu'il en a fait rapport, en juin 2013.
Le président : Entendu. Depuis que je siège au comité, nous joignons des observations sur la base d'un consensus. Or, il est clair que nous ne l'avons pas.
Sénateur Dagenais, vous vouliez, très rapidement, ajouter quelque chose. Je le répète, je ne veux pas rouvrir le débat. À ce train-là, nous n'entendrons jamais nos témoins et c'est ce qui m'inquiète. Il y a des gens qui attendent.
Le sénateur Plett : Je suis bien d'accord.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur le président, en tant que parrain du projet de loi, je tiens à vous faire part de mes commentaires. Pour faire suite aux observations de la sénatrice Ringuette, je retiens que les questions importantes seront débattues au Sénat. Je savais très bien que nous n'apporterions pas d'amendements à ce projet de loi et que nous choisirions plutôt d'en débattre au Sénat. Je ne comprends pas pourquoi nous formulons des observations à ce sujet aujourd'hui, parce que, de toute façon, nous en débattrons au Sénat.
J'ai un commentaire à exprimer concernant les ministres provinciaux. Je tiens à vous rappeler que la ministre du Travail de Winnipeg — à moins que je ne me trompe — était autrefois présidente du syndicat des enseignants. Je ne sais pas si madame a témoigné en tant que ministre du Travail ou à titre d'ancienne présidente de syndicat. Soit dit en passant, c'est grâce à son syndicat qu'elle a été élue. Ainsi, cela donne un témoignage assez étrange.
[Traduction]
Le président : Mes appels tombent manifestement dans l'oreille d'un sourd. J'aimerais poursuivre. Je ne pense pas que qui que ce soit ait à gagner à prolonger le débat. S'il n'y a ni entente, ni consensus, sénatrice Ringuette, et que vous désiriez présenter une motion et procéder à un vote...
La sénatrice Ringuette : Oui, je le veux.
Le président :
La sénatrice Ringuette propose :
Que ces observations soient portées en annexe du rapport du comité?
Est-ce qu'on est d'accord?
Des voix : Non.
Des voix : Oui.
La sénatrice Ringuette : J'aimerais un vote par appel nominal, s'il vous plaît.
Le président : Vote par appel nominal.
Mme Anwar : Honorable sénateur Runciman?
Le sénateur Runciman : Non.
Mme Anwar : Honorable sénateur Baker?
[Français]
Le sénateur Baker : Oui.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Non.
[Français]
Mme Anwar : L'honorable sénateur Dagenais?
Le sénateur Dagenais : Non.
[Traduction]
Mme Anwar : L'honorable sénatrice Fraser?
La sénatrice Fraser : Oui.
Mme Anwar : L'honorable sénatrice Jaffer?
La sénatrice Jaffer : Oui.
Mme Anwar : L'honorable sénateur Manning?
Le sénateur Manning : Non.
Mme Anwar : L'honorable sénateur McInnis?
Le sénateur McInnis : Non.
Mme Anwar : L'honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Non.
Mme Anwar : L'honorable sénateur Plett?
Le sénateur Plett : Non.
[Français]
Mme Anwar : L'honorable sénatrice Ringuette?
La sénatrice Ringuette : Oui.
[Traduction]
Mme Anwar : L'honorable sénateur Wells?
Le sénateur Wells : Non.
Mme Anwar : La motion est rejetée par 8 voix contre 4.
Le président : La motion est rejetée. Quelqu'un d'autre voudrait-il joindre une observation?
La sénatrice Batters : Brièvement, et je pense que cela fera consensus, puisque c'est le sénateur Joyal qui a soulevé la question au moment de l'interrogation d'un témoin et que nous avons eu la lettre datée du 22 avril 2015 présentée au comité par l'AJLNH et qui était libellée de la même façon — la greffière et le comité directeur peuvent certainement se pencher sur la question —, je propose, si cela est jugé acceptable, la recommandation suivante :
Étant donné que l'Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey, l'AJLNH, contrairement à d'autres organisations syndicales au Canada, signe des ententes internationales pour des compétitions de hockey, l'obtention de permis et le marketing, nous recommandons que l'AJLNH soit dispensée de l'application du projet de loi C-377. Nous proposons qu'une telle dispense soit adoptée le plus tôt possible aux termes d'une loi distincte.
La sénatrice Fraser : Ce n'est pas une observation de nature générale. Normalement, les observations sont de nature plutôt générale. Je ne pense pas qu'il soit opportun de joindre cette observation en annexe étant donné les très nombreuses parties prenantes qui s'estiment desservies par ce projet de loi et que beaucoup pâtiront de ces conséquences inattendues, comme l'Association des joueurs de la LNH.
La question peut être soulevée à l'occasion du débat en troisième lecture et la suggestion pourrait alors prendre la forme d'un amendement ou faire l'objet d'une loi distincte. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une observation opportune.
La sénatrice Batters : Pour répondre brièvement à cela, on a, si ma mémoire est bonne, proposé tout récemment au comité des observations très précises notamment à propos du projet de loi C-525. Il y avait, me semble-t-il, deux observations qui étaient tout à fait précises. Si je me souviens bien de l'expérience passée, on peut avoir quelquefois des recommandations plus précises.
La sénatrice Fraser : Si vous me permettez de préciser, monsieur le président, je ne dis pas qu'il y ait quoi que ce soit de mal avec des observations précises. En l'occurrence, nous singularisons une des très nombreuses parties prenantes qui s'estiment pénalisées par ce projet de loi. Je pense qu'il est inapproprié d'en distinguer une. Nous devrions, soit débattre de toute la question, soit reporter le débat en troisième lecture.
Le président : Puisqu'il n'y a pas consensus, sénatrice Batters, consentez-vous à ce que nous poursuivions sans porter cette observation en annexe?
La sénatrice Batters : Vous m'avez dit que c'est la façon habituelle de procéder au comité.
Le président : C'est exact, c'est la façon habituelle de procéder.
La sénatrice Batters : Je m'y conformerai donc.
Le président : Êtes-vous d'accord pour que je fasse rapport du projet de loi au Sénat?
Des voix : D'accord.
Le président : Cela clôture le dossier.
Les témoins sont prêts. Nous allons leur demander d'entrer.
Notre prochain point à l'ordre du jour est la poursuite de l'examen du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Le projet de loi C-2 prévoit un régime d'exemption distinct pour l'exploitation des sites de consommation supervisée au Canada. À l'origine, il a été présenté en réponse à la décision, couramment appelée décision Insite, prise par la Cour suprême du Canada en 2011.
Je rappelle aux téléspectateurs que les audiences du comité sont ouvertes au public et qu'elles sont aussi proposées en webémission sur le site web « sen.parl.gc.ca ». Vous trouverez de plus amples renseignements sur le calendrier de comparution des témoins sur le même site web sous la rubrique « Comités du Sénat ».
Dans notre premier groupe de témoins, qui ont fait preuve de beaucoup de patience, nous accueillons par vidéoconférence de Vancouver, Chuck Doucette, président du Drug Prevention Network of Canada, Chris Grinham, cofondateur de Safer Ottawa et Russell Maynard, directeur de programmes à Insite, site d'injection supervisée.
Avant de commencer, je vous rappelle que ces témoins sont avec nous pendant la première heure et qu'il y aura après eux un second groupe de témoins. Nous commençons par la déclaration liminaire de cinq minutes de M. Doucette, et nous entendrons ensuite M. Grinham, puis M. Maynard.
Monsieur Doucette, vous avez la parole.
Chuck Doucette, président, Drug Prevention Network of Canada : Merci. Le Drug Prevention Network of Canada est heureux d'appuyer le projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, que l'on appelle aussi Loi sur le respect des collectivités.
Nous sommes d'avis qu'il faut prendre très au sérieux tout examen visant à accorder une dispense de l'application des dispositions de cette loi et, en fait, de toute autre loi fédérale. Nous estimons ainsi que les amendements proposés à ce projet de loi sont opportuns et nécessaires afin de protéger la sécurité et la santé publiques.
Permettez-moi de résumer les questions que vise à régler le projet de loi.
Les sites de consommation supervisée découlent de la réalité selon laquelle le consommateur doit acheter des drogues interdites auprès des trafiquants qui les vendent dans la rue. Cette réalité va à l'encontre des efforts que déploie la police pour réduire les crimes contre les biens qui sont commis afin d'obtenir ces drogues et crée un marché pour les organisations criminelles qui fournissent la drogue illégale aux vendeurs de rue. Ces mêmes organisations criminelles prennent part à de nombreuses autres activités illégales dans cette collectivité et ailleurs.
Toute initiative extrême prise pour réduire les risques, telle qu'un site d'injection, doit être replacée dans son contexte. Le moyen le plus efficace de réduire l'ensemble des risques associés à la consommation de drogues est de faire diminuer le nombre d'utilisateurs. Des efforts de prévention globaux peuvent réduire le nombre des gens qui commencent à consommer et des programmes de traitement efficaces peuvent réduire le nombre des gens déjà dépendants. Ces efforts visent à réduire les dangers auxquels est exposé le consommateur sans l'empêcher de continuer à consommer.
En conséquence, le fait de réduire les méfaits de façon isolée contribue en fait à augmenter le nombre de consommateurs. Au fur et à mesure que leur nombre augmente dans une collectivité, augmentent également les coûts associés à la réduction des méfaits causés par la consommation.
Cela crée un cycle d'augmentation du nombre d'utilisateurs et des coûts correspondants. Pour prendre une analogie, c'est comme si vous cherchiez à éponger une dette de carte de crédit en ne payant que le minimum requis. On ne peut interrompre le cycle sans prévention globale et sans traitement efficace visant à réduire le nombre d'utilisateurs. Si l'on privilégie la réduction des risques, on n'aura jamais assez d'argent pour financer la prévention et le traitement. En conséquence, une collectivité ne devrait même pas envisager de mettre sur pied un site de consommation supervisée sans avoir auparavant élaboré une stratégie globale privilégiant avant tout la prévention et le traitement.
Lorsque l'on examine les répercussions éventuelles d'un site de consommation supervisée, il est important d'examiner soigneusement les faits qui sont présentés comme des preuves scientifiques. Et l'un des facteurs les plus importants à examiner lorsque l'on consulte les rapports d'évaluation est de vérifier si les auteurs de la recherche avaient des conflits d'intérêt. Selon l'information obtenue entre 2003 et 2011 aux termes de la Loi sur l'accès à l'information, les mêmes chercheurs du B.C. Centre for Excellence in HIV/AIDS, qui avaient déjà fait du lobbying pour le site d'injection, avaient reçu plus de 18 millions de dollars des Instituts de recherche en santé du Canada pour mener leurs recherches sur Insite. Il n'est donc pas surprenant qu'il y ait eu à leur encontre des allégations de graves exagérations et de préjugés qui donneraient à penser que le but de leur recherche était de réaliser l'objectif politique du maintien d'Insite, quels que soient les faits.
Une équipe internationale d'experts a cerné des failles dans la recherche, ce qui a essentiellement invalidé les résultats de ces évaluations.
En conclusion, les modifications proposées à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances sont non seulement nécessaires, mais elles auraient dû être adoptées depuis longtemps. Lorsqu'on prend des décisions sur des questions d'une telle importance, seules les preuves scientifiques véridiques, impartiales et crédibles devraient entrer en ligne de compte. L'actuel centre d'injection supervisée à Vancouver, le seul en Amérique du Nord, a donné lieu à des cas d'abus et d'exploitation. Je doute qu'il ait servi les intérêts des toxicomanes ou ceux de la société. Le projet de loi C- 2, qui propose certaines modifications au fonctionnement de tels centres d'injection supervisée, est, dans les circonstances, une mesure législative bien justifiée et très responsable, qui mérite d'être adoptée sans délai.
Chris Grinham, cofondateur, Safer Ottawa : Tout d'abord, j'aimerais vous remercier de m'avoir invité à vous parler aujourd'hui en faveur du projet de loi C-2. Je m'appelle Chris Grinham, et je suis l'un des fondateurs d'un organisme sans but lucratif qui s'appelle Safer Ottawa. Mon épouse et moi avons fondé Safer Ottawa en 2007 afin de lutter contre le problème des seringues souillées abandonnées dans notre quartier. De 2007 à 2010, nous passions chaque printemps, été et automne à ramasser des seringues, des pipes à crack et d'autre matériel connexe à la traîne dans les rues, les parcs, les églises, les garderies, les commerces et les résidences de la basse-ville, de Sandy Hill et du marché By. À la fin de 2010, nous avions recueilli plus de 6 000 seringues et 27 gallons de matériel de réduction des méfaits. C'est à ce moment-là que nous nous sommes rendu compte qu'il fallait en faire plus. Pour améliorer la situation et rendre nos rues plus sûres, nous avons mis l'accent sur trois aspects : la participation, l'éducation et la sensibilisation.
Au chapitre de la participation, nous avons travaillé avec la Ville d'Ottawa, la police municipale et le programme de ramassage des seringues souillées d'Ottawa afin de créer et de mettre en œuvre un programme de réaction rapide qui permet de ramasser les seringues jetées lorsqu'elles sont trouvées, ainsi que de remanier et d'améliorer les stratégies utilisées pour repérer les seringues de façon proactive.
Quant à l'éducation, nous avons travaillé avec le service de santé publique d'Ottawa, les refuges d'Ottawa et divers organismes de sensibilisation afin de nous assurer que les clients avaient été renseignés correctement sur les endroits et les techniques sûrs pour se débarrasser des seringues usagées et qu'ils connaissent les risques et les dangers associés au fait de jeter leur matériel dans des endroits où d'autres personnes pourraient les toucher.
Pour ce qui est de la sensibilisation, nous avons travaillé avec les résidants, les associations communautaires et les programmes de surveillance de quartier afin que les résidants soient au courant des dangers et sachent ce qu'il faut guetter ainsi que ce qu'il faut faire si jamais ils trouvent des seringues ou d'autre matériel. Bref, afin de remédier au problème des seringues jetées à Ottawa, nous devions consulter, renseigner et faire participer la collectivité, les organisations sanitaires, l'administration municipale, la police d'Ottawa et d'autres organismes partenaires. La stratégie a été couronnée de succès. Le problème des seringues jetées à Ottawa s'est énormément amélioré depuis que nous avons commencé nos efforts. Cette formule fort efficace de collaboration et d'inclusion correspond à l'objectif du projet de loi C-2.
Notre organisation ne se cache pas pour s'opposer à la création de sites d'injection ou de consommation supervisée à Ottawa. Ce n'est pas parce que nous voulons moraliser et dire que la drogue, c'est mauvais ou illégal, mais plutôt parce que nous avons établi notre position après avoir effectué des recherches pendant des années sur le problème, après avoir rencontré les experts en la matière tant à Ottawa qu'à l'étranger et après avoir consulté des organismes et des militants qui représentent tous les points de vue sur la question.
Pourquoi alors sommes-nous en faveur du projet de loi C-2 qui, essentiellement, prévoit un cadre pour la création des sites auxquels nous nous opposons? C'est parce que nous avons été directement témoins de la prolifération de renseignements incorrects et inexacts, ce qui augmente les risques inhérents à la toxicomanie et aux maladies. Le projet de loi C-2 veillerait à ce qu'il y ait des consultations appropriées et efficaces avec les municipalités, les corps policiers, les intervenants et les résidants en vue de mettre fin à l'emprise néfaste de la désinformation qui afflige le système.
La toxicomanie est un problème extrêmement complexe, qui met certes en jeu des aspects liés à la santé, mais qui englobe aussi beaucoup d'autres questions, notamment la criminalité, l'éducation, la santé mentale, l'itinérance, la prostitution, la transmission de maladies et, bien entendu, la sécurité communautaire.
Il s'agit d'un problème qui frappe des personnes de toutes les couches de la société : les riches et les pauvres, les gens célèbres et les laissés-pour-compte. Il s'agit aussi d'un problème qui comporte de nombreuses facettes, variantes et ramifications étroitement liées, si bien qu'on ne peut pas s'occuper de l'une sans tenir compte des autres. Ces questions ne peuvent tout simplement pas être examinées sous un seul angle. On ne peut pas les traiter d'un point de vue purement médical ou criminel.
Comme nous l'avons fait dans le cadre de Safer Ottawa, pour commencer à régler ces questions, il faut d'abord réunir tous les intervenants, de tous les côtés, et faire entendre toutes les opinions. Ainsi, peu importe la stratégie élaborée, on aura l'assurance d'avoir tenu compte des renseignements les plus exacts et, par conséquent, d'avoir trouvé la meilleure solution, c'est-à-dire celle qui aura le meilleur effet positif. C'est justement ce que vise le projet de loi C-2, et c'est pourquoi nous l'appuyons.
Russell Maynard, directeur de programme, Insite - Supervised Injection Site : Merci tout le monde d'avoir bien voulu me réserver du temps. Je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions, car je suis la seule personne ici qui possède une expérience de travail dans un centre d'injection supervisée. J'ai voyagé partout en Amérique du Nord dans le cadre de projets de réduction des méfaits et j'ai visité des sites de consommation, comme on les appelle couramment en Europe, où il y a le plus grand nombre de tels établissements dans le monde entier. On dénombre 80 ou 90 centres d'injection à l'échelle mondiale, dont seulement deux sont anglophones : l'un à Vancouver, au Canada et l'autre à Sydney, en Australie. D'ailleurs, nous entretenons une relation étroite avec le centre de Sydney, en Australie, et nous travaillons ensemble pour améliorer chaque projet.
J'aimerais commencer par vous fournir des renseignements qu'on n'entend pas très souvent. Insite est beaucoup plus qu'un centre d'injection supervisée. Il reçoit environ 800 visites par jour, et sa clientèle de base comprend probablement environ 300 utilisateurs. Cela ne représente pas un grand nombre de personnes. En fait, il ne s'agit que d'une poignée de personnes, et nous parlons ici d'un projet très local, qui mise beaucoup sur l'action communautaire. Insite a pour mandat d'essayer de faire tout en son pouvoir pour améliorer la sécurité des collectivités qui sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie, ce qui est généralement le cas dans chaque centre urbain du monde développé. Ce sont toujours les régions à faible revenu qui en sont touchées.
Je travaille étroitement — et j'insiste sur le mot « étroitement » — avec les agents du Service de police de Vancouver. Je les rencontre régulièrement. J'assiste toujours à des réunions. On m'invite à parler aux nouveaux policiers avant qu'ils se mettent à faire des patrouilles dans le quartier centre-est de la ville, afin de leur faire comprendre le contexte du centre d'injection et des gens qui le fréquentent.
Qui sont les clients des centres d'injection? La réponse n'est pas simple à comprendre. Pourtant, il s'agit d'un groupe incroyablement homogène partout dans le monde, que ce soit en Espagne, au Danemark, à Vancouver ou à Sydney, en Australie. En général, il s'agit de gens qui viennent de familles d'accueil. Ayant grandi dans des milieux désavantagés, ces gens fréquentent l'école, sans toutefois pouvoir se concentrer sur leurs études en raison de leur mode de vie. Ensuite, ils passent entre les mailles du filet pour le reste de leur vie. Ils finissent par être des gens à faible revenu, qui prennent des médicaments sans prescription médicale ou qui utilisent des drogues pour toutes les mauvaises raisons. Tout ce que nous essayons de faire à Insite, c'est, premièrement, de les garder en vie pour leur offrir un traitement et, deuxièmement, de leur fournir les services dont ils ont besoin — logement, soins de santé et santé mentale.
Je veux m'assurer que le comité sénatorial comprend bien ceci, et là encore, il s'agit d'un chiffre puissant : chaque année, 450 clients d'Insite sont directement transférés à un service de désintoxication. Je parle en tant que spécialiste en toxicomanie — à ma connaissance, aucun autre projet dans le monde entier n'affiche de tels résultats. Je le répète : chaque année, 450 personnes passent de l'étage d'Insite à un service de traitement.
Comment cela se traduit-il concrètement? En clair, nous ne connaissons aucun autre modèle qui réussit à diriger les toxicomanes vers la voie du traitement. Imaginez, si vous le pouvez, que vous devez vous cacher dans des entrées d'immeubles ou dans des ruelles pour dissimuler votre consommation. Et un jour, vous apprenez qu'il y a un projet dans votre collectivité. Il s'agit d'un centre où l'on vous dit : « Très bien. Nous reconnaissons qu'il s'agit d'un problème sinistre et chaotique. Entrez donc, et essayons de voir ce que nous pouvons faire. » Du coup, chaque jour, vous interagissez avec des gens comme ceux qui sont assis autour de cette table. Voilà un changement profond dans votre mode de vie. Au lieu d'entretenir des relations uniquement avec des toxicomanes et d'autres personnes ayant une vie chaotique, vous vous trouvez maintenant dans une salle remplie de gens qui mènent une vie fonctionnelle et dont le travail consiste à vous diriger vers des services de santé mentale et des services cliniques. C'est ce que nous faisons, jour après jour, 365 jours par année, 18 heures par jour.
Revenons à certaines des questions les plus évidentes : le projet de loi C-2, dans sa version actuelle, exigerait des statistiques sur la criminalité qui remontent, dans le cas d'Insite, à la date à laquelle la première exemption a été accordée. Pour nous, au centre Insite, cela représente plus de 10 ans de statistiques sur la criminalité.
Les responsables du Service de police de Vancouver nous ont toujours dit que, selon eux, ce type de données ne veut rien dire parce qu'il ne tient pas compte du contexte général — c'est-à-dire de la ville. Par ailleurs, la disposition liée à la vérification du casier judiciaire du personnel sur une période de 10 ans présente deux aspects importants : nous ne serons plus en mesure d'employer des pairs. À l'heure actuelle, nous employons des pairs — des gens qui viennent à Insite et qui établissent ces liens, comme je vous l'ai expliqué, et qui finissent par y décrocher un emploi. Ils commencent par des emplois de trois heures, lorsque leur vie chaotique les empêche d'être fonctionnels, pour ensuite occuper des emplois à temps plein; cela se fait plus tard, lorsque nous leur trouvons un logement, et cetera. Comment vais-je m'y prendre avec le projet de loi?
Je vois qu'il ne me reste plus de temps; en tout cas, je pourrais en parler encore très longtemps. Je vous remercie de votre temps et de votre attention.
Le président : Les membres du comité ont des questions, et nous allons commencer par le sénateur Baker.
Le sénateur Baker : Je tiens à remercier les témoins de l'excellence de leurs exposés devant le comité. Ma première question s'adresse à M. Doucette.
Monsieur Doucette, lorsque le projet de loi entrera en vigueur, tous les sites existants au Canada devront répondre à des critères pour se qualifier. Ils seront soumis aux procédures énoncées dans le projet de loi.
Si je m'en tiens à votre exposé, ai-je raison de conclure qu'à votre avis, le centre Insite, à Vancouver, ne pourra pas répondre aux exigences aux termes du projet de loi?
M. Doucette : Je n'en suis pas sûr, mais je sais qu'on devrait l'obliger à fournir de l'information. Malheureusement, le centre repose sur la désinformation, et c'est ce qui maintient sa survie. S'il souhaite bénéficier d'une nouvelle exemption, alors il doit miser sur des données véridiques. En fait, si la vérité justifie son maintien, alors je n'y vois pas d'inconvénient. Par contre, cela m'embêterait si le centre restait ouvert en raison de la désinformation.
Le sénateur Baker : Monsieur Maynard, la ministre a comparu devant notre comité, en compagnie de ses collaborateurs, et elle a indiqué très clairement que le projet de loi répond aux exigences de la Cour suprême du Canada. La ministre a donné suite à ce que la Cour suprême du Canada avait précisément exigé. Selon les fonctionnaires, la ministre a un pouvoir discrétionnaire absolu. Donc, quand le projet de loi entrera en vigueur, ce sera à elle de décider si Insite doit fermer ses portes.
Avez-vous lu la décision de la Cour suprême du Canada?
M. Maynard : Oui.
Le sénateur Baker : Avez-vous remarqué qu'en établissant ces lignes directrices, la Cour suprême du Canada a déclaré de façon catégorique qu'Insite répondait aux critères?
M. Maynard : Ce que j'ai surtout remarqué, c'est que la Cour suprême du Canada a déclaré de façon catégorique que la ministre a l'obligation d'examiner à la fois les objectifs de l'article 56, qui ont trait à la sécurité, et les obligations de la Charte énoncées dans le même article. Comme je l'ai dit, Insite a rempli tous ces objectifs en se basant sur les recherches scientifiques, les résultats de santé, les effets démontrables, le taux de rétablissement, et cetera.
Le sénateur Baker : Je suppose qu'on ne peut pas demander mieux, n'est-ce pas? La Cour suprême du Canada énonce des lignes directrices, puis la ministre y donne suite et affirme que cela correspond exactement à ce que la Cour suprême du Canada souhaite. Et maintenant, la cour statue que votre centre satisfait aux critères. N'êtes-vous pas de cet avis?
M. Maynard : Je tiens à gagner la confiance de ceux qui ne sont pas convaincus, et c'est pourquoi je veux m'assurer que tout le monde dans la salle reconnaît ceci : il n'y a pas d'autre modèle plus puissant dans le monde développé que le site de consommation supervisée à Vancouver, un site dont la conception est purement canadienne. Insite est unique en son genre par rapport aux autres centres d'injection; ainsi, on trouve un centre de désintoxication et un programme de rétablissement aux étages supérieurs. C'est comme une clinique sans rendez-vous, assortie de services spécialisés — par exemple, la chirurgie oculaire, et cetera —, bref un endroit où l'on offre un continuum de soins.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je tiens à remercier nos trois invités pour leur exposé. Vous nous avez présenté les activités du centre d'injection Insite, de Vancouver, que je connais bien, d'ailleurs.
Comment faites-vous l'évaluation des activités du centre d'injection Insite? En fait, j'aimerais savoir quels sont les avantages offerts par le site d'injection supervisée. Est-ce qu'il permet de réduire davantage les méfaits liés à la consommation de drogues par rapport à la Stratégie nationale antidrogue du gouvernement du Canada?
[Traduction]
M. Maynard : Nous pouvons songer à un exemple révélateur. Examinons notre voisin du Sud, à savoir les États- Unis, qui sont essentiellement nos cousins politiques. Peu de pays développés ont des lois antidrogues aussi rigoureuses que les États-Unis — et, pourtant, ce pays en arrache.
Je ne sais pas si vous savez ce qui se passe en Indiana à l'heure actuelle. Je vais d'ailleurs recevoir des invités de cet État au mois de juin; ils viendront à Vancouver expressément pour prendre connaissance non pas des problèmes, mais des solutions que nous utilisons à Vancouver dans ces domaines. Ils veulent savoir comment nous faisons pour réduire le nombre d'infections au VIH parmi les consommateurs de drogue injectable, alors que chaque autre pays dans le monde envisage de stabiliser les taux, au lieu de les accroître.
En effet, nous avons peine à composer avec les taux de VIH parmi les consommateurs de drogue injectable dans notre pays. Il suffit de regarder la Saskatchewan, où la propagation du VIH fait rage parmi les consommateurs de drogue injectable. Les gens viennent de partout dans le monde, et mon travail consiste souvent à leur montrer les programmes de prévention du VIH dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver.
Encore une fois, une bonne partie du problème est liée au logement. Tout le monde sait que Vancouver est aux prises avec un grave problème d'itinérance. Beaucoup de sans-abri souffrent de deux gros problèmes : la toxicomanie et la santé mentale. Nous faisons tout notre possible pour loger les gens; à cette fin, nous travaillons main dans la main avec la ville et avec la province. Je rencontre régulièrement ces partenaires afin de discuter de ces questions.
Je le répète, le modèle canadien au centre Insite représente, par analogie, une table comme celle-ci, où l'on trouve des représentants de la régie du logement provinciale, de l'autorité sanitaire provinciale et des groupes communautaires qui travaillent à régler les problèmes.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Vous avez déjà mentionné qu'il y a un problème d'itinérance et de logement à Vancouver. Étant donné que les services Insite sont à Vancouver, ne croyez-vous pas que cela y attire des gens des autres provinces? Je sais parfaitement bien qu'il y a des gens qui sont partis du Québec pour aller vivre à Vancouver tout près des services Insite.
[Traduction]
M. Maynard : En tout respect, je suis très surpris d'entendre que vous connaissez des gens qui agissent ainsi. Honnêtement, je me demande comment faire passer ce message, puisque je bénéficie d'un avantage indu. Je vois ces gens tous les jours. Je travaille dans ce domaine depuis 15 ans, mais je me rappelle ce que c'est de ne pas avoir cette connaissance pratique et de s'en tenir plutôt à des images, sans vraiment comprendre ce qui se trouve de l'autre côté de la clôture.
L'« effet de pot de miel » : c'est ainsi qu'on décrit souvent la situation dont vous venez de parler. À Paris, la question des centres d'injection suscite actuellement un grand débat. Les toxicomanes qui vivent de l'aide sociale, à raison de 550 $ par mois, dont 375 $ servent à payer le loyer — donc, des gens qui ont très peu d'argent — n'ont pas les moyens de prendre l'autobus pour se rendre dans un autre quartier à l'autre bout de la ville — et encore moins à l'autre bout du pays — dans le but de se procurer des drogues. C'est un mythe.
Je ne dis pas que personne ne le fait et il est tout à fait possible que vous connaissiez quelqu'un qui l'ait fait, mais le nombre dont nous parlons ne mérite même pas qu'on y porte attention. Nous parlons de nombres plus importants et les chiffres bruts correspondent davantage au tableau que j'ai brossé. Je veux parler des enfants de nos collectivités qui ne sont pas en sécurité. Si nous étions vraiment intéressés à la sécurité de nos collectivités, nous réfléchirions aux mesures à prendre pour tous ces enfants que nous connaissons. Nous examinerions les indicateurs sociaux de la santé dont on parle dans toutes les universités. Quelles sont les cibles? Quels sont ces enfants?
La sénatrice Jaffer : Merci à vous trois de vos exposés.
Ma question s'adresse à M. Maynard. Je viens du quartier où est situé Insite et j'ai travaillé dans ce quartier pratiquement toute ma vie. Je me souviens très bien — et je l'ai dit d'ailleurs dans ma présentation au Sénat — avoir ramassé des seringues dans le quartier lorsque mes enfants étaient jeunes. Si Insite n'est plus là, je crains que mes petits- enfants aient à le faire à leur tour. Depuis qu'Insite est là, les seringues ont presque disparu.
Je suis presque désespérée à l'idée que si ce projet de loi est adopté — et si je ne m'abuse, il faut se conformer à 26 dispenses — qu'arrivera-t-il? Disons que le projet de loi est adopté dans quelques mois. Qu'arrivera-t-il à Insite?
M. Maynard : C'est un peu une zone grise. Pourquoi dis-je cela? Le projet de loi, lui, n'a pas de zone grise. Il stipule les choses clairement. Ce qui rend la réponse à votre question opaque c'est que la Cour suprême du Canada a déjà été saisie trois fois de l'affaire Insite. Il est difficile d'imaginer que, si Insite ne répondait pas aux critères, il s'adresse de nouveau aux tribunaux. Ce serait un retour en arrière. Il est par ailleurs difficile d'imaginer que nous n'aurions pas encore une fois gain de cause devant les tribunaux. Treize juges ont examiné le dossier et tous les 13 ont pris le parti d'Insite en entendant les preuves fournies pendant des jours.
L'article 5 du nouveau projet de loi, les amendements, dresse la liste de 26 obligations, figurant de la lettre a) à la lettre z). Le paragraphe 56.1(5) stipule :
a) les substances illicites peuvent avoir des effets importants sur la santé;
b) les substances désignées adultérées peuvent poser des risques pour la santé;
c) les risques de surdose sont inhérents à l'utilisation de certaines substances illicites.
Voilà certains des points qui figurent au paragraphe (5). Chacun d'entre eux est amélioré sur un site de consommation de drogue. Il n'y a pas eu une seule mort causée par surdose. Dans les plus de 80 sites d'injection répartis dans le monde, il n'y a jamais eu un seul décès.
Vancouver a une longue histoire — peut-être la plus longue en Amérique du Nord — de décès par surdose. Les premiers documents de recherche sur la méthadone ont été publiés à Vancouver à la fin des années 1950. Le problème ne date donc pas d'hier. Il précède et de loin Insite. Insite fait quelque chose et contribue à faire avancer le dossier. C'est un progrès.
La sénatrice Jaffer : Mon collègue, le sénateur Baker — et j'espère que je ne lui fais pas dire ce qu'il n'a pas dit —, est convaincu que, forte d'un pouvoir discrétionnaire absolu, la ministre autorisera le maintien du site. J'ai confiance que, même si ce projet de loi entre en vigueur, votre site restera ouvert, grâce au pouvoir discrétionnaire absolu de la ministre.
Je crois savoir que, outre les services de désintoxication, vous offrez aussi du logement aux sans-abri, n'est-ce pas?
M. Maynard : Oui.
La sénatrice Jaffer : En plus d'être un site d'injection, vous adoptez un type d'approche holistique ou globale. Pouvez-vous nous décrire exactement les services que vous offrez?
M. Maynard : Oui, je vais essayer d'être concis. C'est une question qui mérite réponse.
Il faut penser au traitement comme à un continuum de soins. Le toxicomane sans abri peut passer d'un seul coup d'une vie chaotique dans la rue à la prise en charge par Insite. On lui trouvera du logement. Ce n'est pas facile de nos jours, et si on ne peut pas lui en trouver immédiatement, il aura au moins un abri, c'est certain.
Au refuge, ces gens travaillent aussi avec moi. Les communications entre nous sont étroites. C'est inhabituel dans d'autres villes du monde, où les refuges pour sans-abri fonctionnent en vase clos. Ce que les gens du monde entier viennent voir à Vancouver, c'est ce modèle de réseau où les sans-abri toxicomanes peuvent être pris en charge et traités au-dessus du site.
Je ne veux pas paraître désinvolte. Reparlons de nos cousins américains, qui brandissent leur drapeau. Pas nous. Nous, nous brandissons notre système de santé publique. Nous adorons notre système de santé publique et pourtant, il y a dans chaque ville canadienne des gens comme vous qui n'ont pas accès aux soins primaires et lorsque je parle de soins primaires, les soins primaires étant définis comme...
Le président : Je suis désolé, mais il faut conclure.
Le sénateur McIntyre : Monsieur Grinham, je crois savoir que vous accueillez favorablement cette loi qui encadre juridiquement les sites d'injection. Je pense que vous avez raison, parce qu'il n'existe pas de tel cadre actuellement.
Comme vous le savez, le projet de loi prévoit trois niveaux de consultation. Premièrement, nous recevrons les avis des ministres et des agents de la santé publique, et ceux des agents d'application de la loi. Le deuxième niveau de consultation concernera les organismes de réglementation professionnelle et les intervenants communautaires, et évidemment, le troisième niveau aura trait à une période de 90 jours de consultation auprès des membres de la collectivité. Êtes-vous satisfait du processus de consultation?
M. Grinham : Je suis absolument satisfait du processus de consultation, dans la mesure où il se limite au cadre prévu actuellement par le projet de loi C-2.
Comme je l'ai dit, d'après mon expérience, dans de nombreux processus du genre, il n'y a pas beaucoup de consultation. Comme vous l'avez mentionné par ailleurs, il n'y a actuellement aucun cadre entourant l'ouverture d'un site d'injection ou de consommation supervisée au Canada.
Celui de Vancouver était à l'origine un projet pilote et pour être honnête, il s'agissait d'un ultime effort pour sauver un quartier en déroute. Dix ans ont passé et le quartier Downtown Eastside n'est pas encore sorti du bois.
Je peux plus facilement parler en connaissance de cause de la situation à Ottawa. Nous avons certes des problèmes mais ceux-ci n'ont pas, et de loin, la même portée qu'à Vancouver. Sans vouloir contredire M. Maynard, les taux de VIH et de VHC ont diminué sans qu'on ait eu besoin d'un site de consommation ou d'injection supervisée. Nous nous sommes occupés du problème des seringues jetées sans qu'on ait eu besoin d'un site de consommation supervisée. Nous avons de très nombreux services de proximité et travailleurs qui peuvent vous adresser à des centres de traitement et de désintoxication, et à des services de logement. Ces travailleurs font inlassablement le lien avec des refuges et autres services d'Ottawa. Tous les services qui font partie d'Insite sont disponibles dans la ville d'Ottawa et les points de contact sont là.
Pour toutes ces raisons, nous ne sommes pas d'accord avec le fait qu'un centre d'injection ou de consommation supervisée soit nécessaire sous quelque forme que ce soit pour que ces services soient offerts. On n'en a certainement pas besoin pour les services de proximité. De plus, nous avons des services de proximité dans tous les refuges.
Ce qu'il faut, c'est s'assurer que si l'un de ces sites ouvre, on procède aux consultations appropriées, en ayant en main l'information et des données scientifiques exactes.
Le sénateur McIntyre : D'après ce que je comprends, monsieur Maynard, lorsque le projet de loi aura reçu la sanction royale, le processus qu'il prévoit s'appliquerait à n'importe quel requérant, y compris Insite. Que pensez-vous par ailleurs des règles de renouvellement de l'autorisation?
Pour le renouvellement, je crois comprendre que deux autres critères s'appliquent. Premièrement, il faudra prouver tout changement dans les taux de criminalité à proximité du site, pendant la période où le site a été ouvert. Deuxièmement, il faudra prouver les retombées que le site aura eues sur des particuliers ou la santé publique pendant cette période. Qu'en pensez-vous, s'il vous plaît?
M. Maynard : Comme je l'ai dit, je travaille en étroite collaboration avec le Service de police de Vancouver. Je sais que les statistiques seraient favorables à Insite, mais, comme je l'ai déjà mentionné, le service de police nous a dit, par rapport à ces statistiques, qu'on ne peut pas se limiter au taux de criminalité à proximité du site ou dans un rayon de 10 pâtés de maisons aux alentours. Il faut tenir compte des statistiques concernant toute la ville. Il faut avoir des statistiques sur ce qui se passe dans la ville et pas seulement dans un quartier.
Je ne suis pas un expert dans ce domaine, je vous rapporte simplement ce que m'a dit le Service de police de Vancouver. Celui-ci préférerait d'ailleurs que la loi prévoie une lettre d'opinion du service de police plutôt que l'analyse de statistiques qui sont difficiles à colliger et qui coûtent cher.
Le sénateur McIntyre : À ce que je sache, il y a deux centres, Insite et celui du Dr Peter. Les deux sont situés à Vancouver et sont réputés offrir des services de santé. Est-ce exact?
M. Maynard : Oui.
Le sénateur McIntyre : Quels sont vos rapports avec le centre du Dr Peter?
M. Maynard : Nos rapports sont étroits. Mais il faut faire une importante distinction : Insite est un site de consommation publique, ce qui veut dire que tout le monde peut y avoir accès, tandis que le centre du Dr Peter fait partie d'une clinique dont vous devez être l'un des patients.
La sénatrice Fraser : Merci aux témoins. J'ai quelques questions pour M. Doucette. Vous êtes le président du Drug Prevention Network of Canada. Quel est ce réseau?
M. Doucette : C'est une organisation nationale sans but lucratif qui relie les services qui s'occupent de prévention et de traitement des toxicomanies afin d'avoir une voix plus forte dans la collectivité, dans les médias et au Parlement.
La sénatrice Fraser : Combien de membres avez-vous? Et ce n'est pas ma deuxième question, mais une question supplémentaire à la première.
M. Doucette : Je suis désolé, mais je ne le sais pas. Notre directeur exécutif pourrait peut-être vous le dire. Je ne m'étais pas préparé à répondre à ce genre de questions. Désolé.
La sénatrice Fraser : Vous pourriez peut-être communiquer la réponse au comité par écrit.
Et voilà ma deuxième question, à laquelle vous pourriez aussi répondre par écrit. S'agissant de la recherche qui a été publiée et qui confirme essentiellement le succès d'Insite, vous dites dans votre présentation qu'une équipe internationale d'experts a signalé des allégations de graves exagérations, de preuves d'interprétation biaisée et de lacunes dans la recherche.
Vous comprendrez certainement qu'en laissant entendre qu'il y a eu des allégations, on se demande ce qui se passe. Je vous saurais donc gré de fournir au comité toute preuve écrite, et notamment des études scientifiques, qui confirme ce que vous nous dites.
M. Doucette : Certainement, je peux vous fournir quatre critiques indépendantes de ces évaluations, qui disent toutes essentiellement qu'elles ne sont pas valables, et un rapport spécial envoyé d'Australie par Gary Christian, qui met le doigt sur les problèmes.
La sénatrice Fraser : Merci. Vous n'avez pas à les détailler tout de suite, mais nous vous serions reconnaissants de nous les envoyer. C'est tout ce dont j'ai besoin.
M. Doucette : D'accord.
Le sénateur Plett : Mon préambule sera bref.
Monsieur Grinham tout d'abord, j'ai sous les yeux des statistiques selon lesquelles Vancouver a en fait le taux d'infection au VIH le plus élevé de toutes les grandes villes du Canada. Je me demandais si vous vouliez faire un commentaire à ce sujet.
Monsieur Maynard prétend qu'il n'y a pas eu de décès par surdose à Insite, et on en parle dans votre mémoire. Puis- je avoir un commentaire à ce sujet?
Voudriez-vous répondre à ces deux questions et j'en aurai ensuite une autre pour M. Doucette.
M. Grinham : Certainement. Dans le mémoire que nous vous avons remis, vous verrez de l'information provenant de divers organismes de santé. L'information concernant Vancouver a été colligée par la Vancouver Coastal Health Society et porte sur les taux d'infection au VIH par 100 000 personnes. Ce taux, comparé à celui d'autres grandes villes du Canada, à savoir Ottawa, Montréal et Toronto, était alors la statistique la plus récente dont disposait la Vancouver Coastal Health. Il y avait alors à Vancouver 25 cas...
Le sénateur Plett : Le taux était de 19,8 pour 100 000.
M. Grinham : Exactement. Le taux d'infection au VHC est de 49,5 pour 100 000, alors qu'à Ottawa il semble s'être stabilisé, parmi les grandes villes, au bas de cette fourchette.
Le sénateur Plett : Pourriez-vous faire un bref commentaire sur la question des surdoses?
M. Grinham : L'une des choses que nous avons apprises — et cela a été dit à maintes reprises — est qu'il y a eu des décès par surdose à Insite. Nous n'avons pas trouvé de preuves du contraire. Nous avons fait des demandes d'accès à l'information à la Vancouver Coastal Health et aux services ambulanciers de la Colombie-Britannique en leur posant la question suivante : « Lorsque quelqu'un quitte Insite après une surdose, a-t-on constaté des décès? » La réponse qu'on nous fournit toujours est qu'on ne tient pas de statistiques sur cette donnée. Il n'y a pas d'informations disponibles à ce sujet.
Lorsque quelqu'un quitte Insite en ambulance et de son propre gré, on ne cherche pas à savoir s'il est décédé à la suite d'une surdose donnée à Insite. Vous verrez en outre en lisant notre mémoire que les cas de surdose ont augmenté de deux fois et demie à Insite, depuis cinq ans, je crois, pour passer de 200 cas par an à près de 500 aujourd'hui.
Le sénateur Plett : Merci. À votre avis, monsieur Doucette, est-ce que les initiatives de réduction des risques comme celle des centres d'injection supervisée favorisent la consommation de drogues? Croyez-vous que ceux qui sont en faveur de ces centres et les exploitent cherchent réellement à faire cesser la consommation?
M. Doucette : La question est complexe. Les nombreux toxicomanes en convalescence auxquels j'ai parlé m'ont dit que s'il y avait eu un centre comme Insite au moment où ils consommaient, ils n'auraient probablement pas arrêté. Pour arrêter la drogue, il faut être traité. Tout ce qui facilite la consommation est contre-productif.
Je suis très surpris de ce que vient de dire M. Maynard au sujet des gens qui se font traiter. J'en serais ravi si c'est vrai. Cela doit être très récent, car au cours des premières années, aucun centre de traitement n'a reçu qui que ce soit d'Insite et je suis en contact avec tous les centres de traitement de Vancouver et de sa région. Leurs rapports font état des personnes qui leur sont adressées. C'est facile d'adresser quelqu'un à un centre, mais ça ne veut pas dire qu'il y est allé. C'est une donnée qu'il faut mesurer. Est-ce qu'ils permettent vraiment aux gens d'arrêter de consommer? Non.
Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris la deuxième partie de votre question.
Le sénateur Plett : Dans la deuxième partie de ma question, je vous demandais si vous pensez que le personnel d'Insite cherche vraiment à faire cesser la consommation ou bien se contente-t-il de donner aux gens des drogues ou des traitements sûrs?
M. Doucette : Je sais qu'il a maintenant un centre à l'étage. On l'a beaucoup critiqué lorsqu'il a ouvert ses portes parce qu'il n'avait pas de centre. Je sais qu'il y a un tel centre à Francfort. À propos, j'ai eu aussi l'occasion de visiter des sites d'injection supervisée ou bien ce qu'on appelle des « salles de consommation » à Francfort, en Allemagne, avant qu'on en ouvre un à Vancouver. On y incitait les gens à se faire traiter à l'étage, mais très peu y allaient.
Comme nous l'avons attendu de la part du témoin d'Ottawa, il y a certainement beaucoup de manières plus efficaces d'encourager les gens à suivre des traitements que de passer par le centre Insite. Par exemple, l'Union Gospel Chapel à Vancouver offre gratuitement des repas, héberge les gens et les incite à venir pour leur donner ce dont ils ont besoin pour survivre sans les aider à consommer de la drogue. L'organisme aide les gens à se trouver un logement et à suivre des traitements, comme le font tous les autres centres de traitement que je connais.
Le sénateur Plett : Bravo! Merci.
M. Doucette : Il y a peut-être un petit nombre de gens qui décident de suivre des traitements en passant par le centre Insite, mais ce nombre est tellement faible comparativement aux autres centres que je crois que cela n'en vaut pas la peine.
Le sénateur McInnis : Monsieur Doucette, je dois avouer avoir été surpris des statistiques que j'ai lues dans le rapport de M. Grinham concernant les surdoses au centre Insite; il y en a eu 197 en 2008 et 616 en 2013. Je crois que vous devriez avoir l'occasion d'offrir une explication.
Permettez-moi avant de vous poser rapidement une deuxième question, monsieur Doucette. À la lumière de ce que nous entendons aujourd'hui, croyez-vous que le centre Insite devrait présenter une demande en vertu de ce nouveau régime et de cette nouvelle mesure législative?
J'aimerais entendre vos commentaires à tous les deux. Qu'en pensez-vous?
M. Maynard : J'aimerais corriger ce qu'a dit M. Doucette; je peux dire sans l'ombre d'un doute qu'il y a de 400 à 450 personnes par année qui fréquentent le centre Insite et qui vont directement suivre des traitements. Ce n'est pas une statistique sur les gens qui ont été dirigés vers des spécialistes. M. Doucette soulève un point important. Il a tout à fait raison au sujet de la statistique sur les gens qui ont été dirigés vers des spécialistes.
Ce n'est pas de cette statistique dont je parle. Il y a de 400 à 450 personnes en pyjamas et en pantoufles qui participent à un projet de désintoxication. Point final.
Le sénateur McInnis : Répondez à cette question. Il s'agit d'un centre d'injection supervisée, n'est-ce pas?
M. Maynard : C'est exact.
Le sénateur McInnis : Y a-t-il 616 surdoses qui se produisent dans ce centre?
M. Maynard : Par année?
Le sénateur McInnis : Eh bien, il est écrit ici qu'il y a eu 616 surdoses en 2013.
M. Maynard : Je vais le dire d'une manière qui ne contredira pas cela, mais c'est tout simplement plus facile à comprendre. Il y a environ 30 surdoses par mois, voire 35, au centre Insite. Ce n'est pas négatif. J'ai deux enfants. Je souhaiterais que personne ne fasse de surdose. Je souhaiterais que personne ne consomme de drogues injectables, mais ce n'est pas la réalité dans laquelle nous vivons. La réalité est qu'Insite est le meilleur modèle pour établir une relation avec ces gens.
Je suis ravi que le sénateur Plett soit de retour, parce que je sens qu'il ne le pense pas ou qu'il n'est pas d'accord avec moi. Je ne sais pas si le sénateur Plett a des enfants.
Toutefois, si vous aviez des enfants, sénateur Plett, et qu'ils connaissaient des difficultés, nous nous fendrions en quatre jour et nuit pour essayer de les maintenir en vie et de les encourager à suivre des traitements, à trouver un logement et à communiquer avec leur famille.
Si vous êtes de Saskatoon ou du Nouveau-Brunswick, que vous venez au centre Insite et que vous me dites que vous n'avez pas parlé à vos parents depuis une ou deux années, vous pouvez faire un appel interurbain. Nous en assumerons les frais. Je veux vous permettre d'avoir ce rapport.
La sénatrice Batters : Monsieur Doucette, j'ai lu l'un de vos articles il y a quelques années. Au début, il était écrit que vous avez été agent de la GRC durant 35 ans dans la lutte antidrogue. Vous avez donc évidemment beaucoup d'expérience en la matière. Dans cet article, vous exprimiez de grandes réserves quant à l'approche visant à réduire les dommages. Pourriez-vous nous donner un peu plus de renseignements que ce dont vous avez eu le temps de nous faire part dans votre courte déclaration?
M. Doucette : Oui. Je n'ai pas non plus eu l'occasion de répondre à la question du dernier sénateur, à savoir si le centre devait de nouveau présenter une demande. À mon avis, il devrait le faire. Nous devrions nous assurer cette fois- ci de vraiment savoir ce qui s'y passe. Par exemple, il n'y a peut-être pas eu de décès par surdose au centre Insite...
Le président : Non, monsieur. Monsieur Doucette. Veuillez répondre à la question. Notre temps est pratiquement écoulé, et je veux vous donner l'occasion de répondre à la question de la sénatrice Batters, mais veuillez ne pas vous étendre sur d'autres sujets.
M. Doucette : Je m'excuse. L'autre sénateur m'avait également posé une question.
Oui. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, la réduction des dommages a sa raison d'être, mais il est très important de rétablir les faits. Selon moi, Vancouver a fait une erreur en mettant majoritairement l'accent sur la réduction des dommages. Comme je l'ai dit, si vous n'avez pas de mesures de prévention et de traitements adéquats, la réduction des dommages siphonne toutes les ressources, parce que cela ne vise pas à essayer d'aider les gens à cesser de consommer de la drogue. Cela ne fait que les maintenir en vie. Cela ne me pose aucun problème, mais il faut seulement le faire si vous avez suffisamment de ressources pour leur faire suivre des traitements adéquats qui fonctionnent vraiment.
Nous mettons entièrement l'accent sur la réduction des dommages. Comme nous le disons, l'approche qui repose sur quatre piliers repose en fait sur un pilier et trois brindilles. C'est une blague à Vancouver. La réduction des dommages était le seul élément qui avait suffisamment de ressources. Dans un tel cas, cela ne fonctionne pas.
Le président : Merci. Merci à tous les témoins de leur présence ce soir, de leur témoignage et de leur patience. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants.
J'aimerais vous présenter les membres de notre deuxième panel. Nous accueillons Richard Elliott, directeur général du Réseau juridique canadien du VIH-sida; Bryan Larkin, chef du Service de police régional de Waterloo et membre du Comité sur la sensibilisation aux drogues de l'Association canadienne des chefs de police; et Michael Spratt, criminaliste et membre de la Criminal Lawyers' Association.
Nous avons une heure pour le panel. Chers témoins, vous avez chacun cinq minutes pour faire votre déclaration. Vous avez une certaine marge de manœuvre, mais elle n'est pas grande.
M. Elliott fera sa déclaration en premier; nous entendrons ensuite M. Larkin, puis ce sera le tour de M. Spratt.
Richard Elliott, directeur général, Réseau juridique canadien du VIH-sida : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité. Je représente le Réseau juridique canadien du VIH-sida. Je suis directeur général de l'organisme et je suis également avocat. Je traite depuis plus de 20 ans de diverses questions liées aux droits de la personne relativement au VIH, y compris la question de l'accès à des services de santé pour les gens qui consomment des drogues injectables.
J'aimerais vous présenter aujourd'hui deux points principaux qui se divisent en plusieurs éléments dont je traiterai en fonction du temps et de vos questions.
Premièrement, la manière dont le projet de loi C-2 a été présenté est trompeuse. Deuxièmement, les dispositions du projet de loi C-2 sont mal avisées.
Pour ce qui est du premier point, vous avez entendu la semaine dernière les ministres Ambrose et Blaney dire certaines choses qui devraient, selon moi, vous inquiéter à titre de législateurs. Premièrement, nous nous inquiétons de la manière dont sont décrits les sites de consommation supervisée et les utilisateurs d'un tel service qui améliore leur santé. Vous avez entendu la ministre de la Santé faire constamment allusion aux centres d'injection de drogues, et je présume que c'est pour essayer de rappeler les fumeries de crack et toute la stigmatisation que cela évoque. Je considère cela comme une grossière déformation des services de consommation supervisée de drogues.
Hélas, nous avons entendu le ministre de la Sécurité publique dépeindre les toxicomanes comme une menace pour nos enfants.
Même le titre du projet de loi C-2 est troublant. D'après nous, ce n'est pas un signe de respect envers les collectivités de refuser l'accès à des services de santé fondés sur des données probantes aux membres de notre collectivité qui comptent parmi les personnes les plus vulnérables.
C'est particulièrement troublant lorsque du même souffle nous nous inquiétons de la santé et du bien-être des personnes qui consomment de la drogue. Par exemple, Rona Ambrose, la ministre de la Santé, dit s'inquiéter des surdoses, y compris des décès par surdose, et vouloir aider les gens à suivre des traitements. Or, si c'est vraiment une préoccupation, comme nous le pensons tous évidemment, c'est quelque peu étrange de créer un projet de loi qui nuirait à la prestation de services de santé qui empêchent en fait les décès par surdose et qui encouragent les gens à suivre des traitements. Cela a été prouvé maintes et maintes fois au Canada et dans de nombreux autres pays.
C'est un peu étrange d'entendre le ministre de la Sécurité publique dépeindre faussement les services de consommation supervisée comme une menace à la sécurité publique. Devant votre comité et celui de la Chambre des communes, le ministre de la Sécurité publique a prétendu que les services de consommation supervisée de drogues contribuent à augmenter la criminalité dans les environs des sites.
Ce n'est pas vrai et ce ne l'est certainement pas dans le cas du centre Insite selon les données dont nous disposons. Qui plus est, il n'y a aucune raison de penser que les services de consommation supervisée exploités ailleurs ont fait grimper la criminalité.
C'est également étrange de suggérer que nous jugerons de l'efficacité de services de santé en fonction de son rapport avec la criminalité. Que se passerait-il si nous disions que nous permettons seulement aux hôpitaux d'offrir des services dans un certain quartier si les administrateurs de ce service peuvent démontrer que les services hospitaliers n'entraînent pas l'augmentation de la criminalité ou — encore pire — si nous disions qu'ils doivent démontrer que leurs services réduisent la criminalité pour être reconnus comme des services de santé légitimes?
C'est une mauvaise application de base de la mauvaise norme pour juger d'un service de santé comme des services de consommation supervisée. Si nous continuons d'en parler dans ces termes, je crois que nous sommes vraiment à côté de la plaque.
Voilà pour mon premier point. La manière dont nous parlons du projet de loi et dont nous le présentons est en fait trompeuse, et nous rapportons incorrectement les données les plus fiables à notre disposition.
Comme je l'ai mentionné au début, mon deuxième point est que les dispositions du projet de loi C-2 sont mal avisées. Permettez-moi de vous en donner quelques exemples.
À son niveau le plus élémentaire, le projet de loi C-2 va à l'encontre de la teneur de la décision de la Cour suprême du Canada dans le dossier d'Insite. La décision de la Cour suprême du Canada disait essentiellement qu'il était inacceptable, du point de vue du régime constitutionnel des droits de la personne, d'étendre les interdictions criminelles en matière de possession de drogue jusqu'à empêcher les gens d'avoir accès aux services de santé dont ils ont besoin pour demeurer en vie et en santé et qu'il fallait que les intérêts en matière de santé passent avant le droit pénal. C'est justement pourquoi nous avons un régime qui permet à la ministre de la Santé d'accorder des exemptions pour autoriser la prestation de tels services.
La Cour suprême a également très clairement dit qu'en règle générale, la ministre de la Santé devrait accorder des exemptions pour de tels services de santé. Or, l'objectif global du projet de loi C-2 vise justement l'inverse. Son objectif est d'empêcher la prestation de services de consommation supervisée, de générer de l'opposition aux services de consommation supervisée, de fausser le dossier dont sera saisie la ministre de la Santé et de créer de multiples excuses pour justifier manifestement le refus par la ministre d'une demande d'exemption. Le processus de demande est notamment excessif. La ministre de la Santé doit recevoir au moins 26 documents avant même d'exercer son pouvoir discrétionnaire et d'examiner une demande d'exemption. Parmi ces 26 critères, diverses parties intéressées ont un certain droit de veto, parce qu'elles peuvent mettre en suspens tout le processus en ne fournissant tout simplement pas une lettre qui comporte le résumé de leur opinion.
Le président : Monsieur Elliott, je dois vous demander de conclure votre déclaration. Vos cinq minutes sont écoulées.
M. Elliott : Je vais élaborer plus tard ces éléments.
Bryan Larkin, membre, Comité sur la sensibilisation aux drogues, chef du Service de police régional de Waterloo, Association canadienne des chefs de police : Merci, sénateur Runciman, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Bryan Larkin et je suis chef du Service de police régional de Waterloo. Je suis membre du Comité sur la sensibilisation aux drogues de l'Association canadienne des chefs de police. En mon nom personnel et au nom de M. Clive Weighill, chef du Service de police de Saskatoon, j'aimerais sincèrement vous remercier de nous donner l'occasion de contribuer à cette discussion importante en vue de permettre aux gens de la collectivité d'avoir leur mot à dire dans le processus décisionnel sur la présence possible de sites d'injection supervisée dans leur collectivité.
L'Association canadienne des chefs de police contribue grandement aux divers comités du Sénat et de la Chambre des communes par l'entremise de ces 20 comités qui se penchent sur des questions relatives à la sécurité publique et à la justice. À titre informatif, nous représentons plus de 90 p. 100 des policiers canadiens, y compris des services et des chefs fédéraux, provinciaux, régionaux, municipaux et des Premières Nations. Nous avons le mandat de veiller à la sécurité de tous les Canadiens grâce au leadership novateur et collaboratif des chefs de police.
En 2007, nous avons adopté une politique sur les drogues qui a été élaborée par notre Comité sur la sensibilisation aux drogues; cette politique établit très clairement la position des chefs de police canadiens sur ce problème national très important qui a chaque jour des répercussions directes sur la sécurité et le bien-être de la collectivité et tous les Canadiens. J'aimerais vous décrire brièvement notre politique sur les drogues.
Nous croyons fermement qu'il faut une approche équilibrée pour nous attaquer à la consommation de drogues et à la toxicomanie au Canada. Une telle approche doit inclure la prévention, la sensibilisation, l'application de la loi, les services de counselling, les traitements, la réadaptation et, là où c'est indiqué, des mesures de substitution et la déjudiciarisation des délinquants pour lutter contre les problèmes de dépendance au Canada. Nous ne pouvons pas régler le problème en procédant à des arrestations. Nous croyons en des pratiques équilibrées pour chaque composante de la politique. Par ailleurs, les composantes de la politique doivent être fondamentalement éthiques, respecter la loi, tenir compte des intérêts de tous et chercher à trouver le juste équilibre entre les intérêts de la société et ceux du particulier. Nous croyons que les initiatives doivent se fonder le plus possible sur des données probantes.
L'ACCP appuie, en principe, les principes qui sous-tendent le projet de loi, notamment le besoin de tenir compte à la fois de la sécurité et de la santé publiques. C'est la nouvelle norme en matière de services sociaux intégrés. La seule manière de continuer d'avoir des collectivités vibrantes et en santé, c'est de tenir compte de la sécurité lorsqu'il est question de la santé publique.
L'ACCP ne fait pas de déclarations particulières à l'égard des sites de consommation supervisée. Notre position est que la décision d'appuyer ou non ce genre de site revient aux gens de la collectivité. Nous sommes heureux de constater la présence d'un processus clair qui fournira des critères pour les consultations communautaires avant qu'une décision soit prise par la ministre de la Santé. Ce qui fonctionne dans une région du Canada ne fonctionne peut-être pas dans une autre, et il faut que ce soit fait de manière communautaire et que cela s'appuie sur des recherches fondées sur des données probantes. Le projet de loi C-2 prévoit 27 critères qu'un demandeur doit respecter avant que la ministre de la Santé accorde une exemption pour un site de consommation supervisée. L'un de ces critères précise que le demandeur doit communiquer avec le service de police locale et obtenir son opinion, comme le prévoit l'alinéa 56(3)e) du projet de loi, à savoir qu'il faut une lettre du chef du corps policier chargé de la prestation de services de police dans la municipalité où le site sera établi qui comporte le résumé de son opinion relativement aux activités qui y sont projetées, notamment toute préoccupation liée à la sécurité publique.
Je répète que la position de l'ACCP est claire et neutre en ce qui concerne le bien-fondé des sites de consommation supervisée, mais nous nous préoccupons de la sécurité publique. Même si le maintien de l'ordre fait partie intégrante du processus décisionnel, nous sommes d'avis qu'il faut obtenir l'opinion de l'ensemble de la collectivité. Nous devons reconnaître que chaque collectivité est unique.
Nous vous remercions de votre invitation et nous avons hâte de répondre à vos questions.
Michael Spratt, membre et criminaliste, Criminal Lawyers' Association : À mon avis, le meilleur point de départ en ce qui concerne le projet de loi C-2, c'est la décision même de la Cour suprême. Les premiers paragraphes de ce jugement révèlent l'existence difficile des toxicomanes. La lutte antidrogue et la répression de la criminalité n'ont clairement pas eu l'effet escompté, et il est temps de revoir notre approche.
En septembre 2014, la Commission globale de politique en matière de drogues a publié un rapport qui a présenté une analyse critique de la présente politique globale en matière de drogues. Le rapport a martelé qu'il fallait une réorientation fondamentale des politiques sociales et des politiques en matière de santé et de criminalité pour atténuer les dommages liés à la consommation de drogues. Le rapport était éloquent. Les anciennes approches concernant les politiques en matière de drogues qui mettent l'accent sur des mesures punitives en application de la loi n'ont pas eu le résultat escompté. La commission recommande entre autres une réorientation des politiques, des priorités et des ressources en ce qui concerne la santé et la sécurité des collectivités. Elle recommande aussi de cesser de criminaliser l'usage et la possession de drogues.
Passons maintenant à la réponse du gouvernement quant à la décision de la Cour suprême. La politique générale en matière de drogues du présent gouvernement est désuète, punitive, régressive, néfaste et déphasée par rapport aux tendances internationales; elle s'appuie sur de belles paroles et est vouée à l'échec. Elle ne fonctionne pas, et le gouvernement fait semblant de ne pas le voir ou s'en satisfait. Le centre Insite était un succès. Le nombre de décès et les dommages étaient réduits. Rien n'indiquait une augmentation des rechutes ou du taux de criminalité. Voilà ce que le juge de première instance a dit. Ce sont les conclusions de la Cour d'appel. C'est ce que la Cour suprême du Canada a aussi affirmé. C'est également ce que prouvent les travaux de quatre chercheurs en France et en Suisse qui ont examiné 75 articles pertinents, et c'est ce qui a été démontré devant le comité de la Chambre des communes.
Ces chercheurs ont conclu que les sites d'injection supervisée amélioraient l'accès aux soins de santé primaires et réduisaient les surdoses, mais qu'ils n'entraînaient pas une augmentation du trafic de stupéfiants et des crimes connexes dans le quartier.
Donc, sur le plan juridique, de quoi est-il question? Le projet de loi se veut-il vraiment une réponse à la décision de la Cour suprême? La Cour suprême a déterminé que la décision de la ministre était déraisonnable et contrevenait à l'article 7 de la Charte. Le projet de loi ne corrige rien. Les tribunaux ont déterminé que la ministre devrait en règle générale accorder une exemption dans des cas comme celui d'Insite. Le projet de loi prévoit plus de 25 critères pour donner l'occasion à la ministre d'exercer son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée. En fait, le projet de loi mentionne que de telles exceptions devraient être exceptionnelles, ce qui est très différent des mots choisis par la Cour suprême dans sa décision, à savoir que la ministre devrait en règle générale accorder une telle exemption.
Le projet de loi est malhonnête. C'est une fausse réponse à la décision de la Cour suprême. Vous pensez peut-être que je suis injuste. Vous pensez peut-être que je fais des discours creux. Examinons comment le gouvernement a traité de la question. Examinons ce que les membres du gouvernement ont dit. Le 18 octobre 2013, à la Chambre des communes, la députée Kellie Leitch a affirmé que les opposants au projet de loi sont pour l'héroïne. Le 6 juin 2013, tout juste après le dépôt du projet de loi, une pétition pour ramasser des fonds pour les conservateurs a été envoyée aux gens pour leur demander s'ils appuyaient la création dans leur collectivité de sites de consommation de drogue. La lettre mentionnait que c'étaient des installations où les toxicomanes pouvaient s'injecter de l'héroïne et d'autres drogues et que les gens n'en voulaient pas dans leur quartier.
Le 18 novembre 2013, le député Steven Fletcher a dit :
[...] ultimement, si quelqu'un enfreint la loi, il doit en payer le prix.
[...]
Si les gens n'étaient pas préoccupés, ils n'enverraient pas d'argent afin d'aider le gouvernement à mettre en place la loi nécessaire pour empêcher la création de ces repaires d'héroïnomanes.
Voilà l'objectif du projet de loi. Voilà ce que ces paroles révèlent clairement, à savoir qu'il s'agit d'un projet de loi pour empêcher la création de ce que le gouvernement considère comme des repaires d'héroïnomanes.
Julian Fantino a affirmé qu'il existe un rapport entre de tels sites et le terrorisme.
Nous avons entendu le ministre Blaney dire devant votre comité et d'autres que de tels sites entraînent une augmentation de la criminalité dans les quartiers, ce qui est clairement inexact, et cela ne se fonde sur aucune donnée probante.
Le projet de loi ne reflète pas l'équilibre dont parle la Cour suprême. Le projet de loi ne suit pas ce que font les Nations Unies et d'autres pays dans le monde. Les déclarations que j'ai lues ont été faites par des personnes qui — nous l'espérons — sauront agir raisonnablement, mais le projet de loi leur donne des outils pour agir de manière non raisonnable, refuser des critères et trouver des raisons de refuser la demande.
En notre qualité de criminalistes, nous sommes témoins de tous les côtés de la toxicomanie et des dommages que causent les stupéfiants. Je constate également que la lutte antidrogue ne porte pas ses fruits. Les sites de consommation qui réduisent les dommages sont utiles pour réduire les accusations et améliorer la santé communautaire. Il ne faut pas tout simplement criminaliser la dépendance. C'est bon pour les toxicomanes, mais ce l'est aussi pour les tribunaux, les ressources et la collectivité. C'est ce que la Cour suprême disait. Si le présent projet de loi traitait vraiment de cette question, son contenu serait très différent de ce que nous voyons aujourd'hui.
Le président : Merci beaucoup. Commençons les séries de questions avec la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Merci à tous les trois de vos déclarations.
J'aimerais poser une question aux deux avocats du panel. J'ai lu la décision de la Cour suprême et bien entendu le projet de loi. J'ai de la difficulté à faire concorder ce que la Cour suprême du Canada a dit et ce qui se trouve dans le projet de loi.
Voici ma première question. J'avais l'impression que la Cour suprême avait établi les cinq critères. Je n'arrive pas à faire concorder les cinq critères et les 26 exemptions. Pourriez-vous me l'expliquer? Le présent projet de loi correspond- il à ce qu'a dit la Cour suprême?
M. Elliott : Je crois que la réponse courte à votre question est non. Comme je le disais plus tôt, la décision de la Cour suprême dans le dossier d'Insite était que la ministre de la Santé devrait en règle générale accorder des exemptions pour de telles installations sanitaires. Les juges ont évidemment tenu compte des données d'Insite pour affirmer qu'ils avaient suffisamment de données probantes d'Insite et de dizaines d'autres sites de consommation supervisée dans le monde pour conclure que l'accès à de tels sites fait partie de la protection de la santé et de la sécurité des gens qui consomment de la drogue. L'objectif est de sauver des vies. C'est ce que les juges ont dit. Les avantages d'Insite sont prouvés. Cela sauve des vies. Par conséquent, la ministre devrait en règle générale accorder des exemptions pour de tels sites.
Les juges ont établi cinq facteurs dont la ministre de la Santé doit tenir compte, et la Cour suprême a très clairement dit que la ministre doit tenir compte de ces cinq facteurs, s'il y a des données probantes. Les juges n'ont pas dit qu'il devait y avoir des données probantes concernant les cinq facteurs avant que la ministre puisse décider si elle accorde ou non une exemption, et ils n'ont pas non plus dit que l'un ou l'autre de ces éléments sont déterminants.
Ce que propose le projet de loi C-2 va beaucoup plus loin que les cinq facteurs que la Cour suprême mentionne dans sa décision dans le dossier d'Insite. Par ailleurs, le processus que prévoit le projet de loi fait en sorte que la ministre doit avoir de l'information sur les 26 éléments mentionnés dans le projet de loi et d'autres renseignements que la ministre juge pertinents, parce que le projet de loi contient une disposition ouverte, et ce, avant même que la ministre puisse exercer son pouvoir discrétionnaire au sujet d'une demande donnée.
Ce n'est pas ce qu'a dit la Cour suprême dans sa décision dans le dossier d'Insite. Le projet de loi va bien au-delà de cela, et cela crée une série de multiples obstacles qui doivent être surmontés avant même d'arriver à l'étape de la prise de décision par la ministre. Un certain nombre de documents qui doivent être remis à la ministre ne sont pas rédigés de manière à fournir des données probantes à la ministre. Il s'agit tout simplement d'opinions de divers intervenants, et ces opinions ne se fondent pas nécessairement sur des données probantes. À mon avis, cela ne semble pas concorder avec ce qu'a dit la Cour suprême dans le dossier d'Insite.
M. Spratt : Je suis tout à fait d'accord avec sa réponse, et j'ajouterai que la liste de critères que prévoit le projet de loi ne garantit pas le caractère raisonnable de la décision. En fait, ces critères donnent l'occasion aux gens d'être déraisonnables et donnent des raisons de retourner devant un tribunal de première instance, la Cour d'appel et la Cour suprême, alors que, durant tout ce temps, les dommages ne sont pas réduits.
La sénatrice Jaffer : Puis-je poser une autre question?
Le président : Nous n'avons pas vraiment le temps.
Sénateur Dagenais.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je tiens à remercier nos invités. Monsieur Spratt, il y a 10 ans que vous témoignez devant les comités sénatoriaux. J'ose espérer que vous allez approuver l'un des projets de loi de notre gouvernement. C'était simplement un commentaire.
Monsieur Larkin, ma question s'adresse à vous. Lorsque j'étais président de l'Association des policiers provinciaux du Québec, M. Tom Stamatakis, un policier qui travaillait sur le terrain à Vancouver, nous avait dit que le site Insite attirait des criminels en provenance de l'extérieur, et que les policiers n'aimaient pas patrouiller dans la zone du site Insite. Lorsqu'on leur confiait cette mission, ils devaient s'y rendre à pied et porter des gants métalliques pour éviter de se faire piquer lors d'arrestations.
J'aimerais entendre votre opinion à ce sujet, monsieur Larkin. En tant que policier, que pensez-vous des sites d'injection supervisée?
[Traduction]
M. Larkin : Merci beaucoup, sénateur. Évidemment, les choses ont beaucoup changé depuis le début d'Insite, et je crois qu'il y a beaucoup de mythes au sujet de la manière dont les services de police — en particulier celui de Vancouver — s'occupaient d'Insite. Il y a un membre du Service de police de Vancouver qui siège au Comité sur la sensibilisation aux drogues. Il ne pouvait pas venir témoigner aujourd'hui, mais il y a divers éléments. Je tiens à expliquer le contexte qui est très important en ce qui a trait à la criminalité.
Lorsque nous avons commencé le processus, c'était nouveau. C'était une transformation publique. La politique publique évoluait, et cela nécessitait des changements au sein de la collectivité. Il fallait que ce soit accepté.
Nous avons également changé de chef de police à Vancouver, et le chef Jim Chu amène une approche très différente en matière de services de police, de sensibilisation et de développement communautaires et met davantage l'accent sur le développement social. L'un des mythes est qu'il n'y avait aucune présence policière dans ce secteur.
Selon ce que j'en comprends, d'après le membre du Service de police de Vancouver et les nombreuses discussions que nous avons eues avec les autres chefs canadiens, c'est faux. En fait, Jim Chu, le chef du Service de police de Vancouver, a augmenté le nombre de policiers dans le secteur du site de consommation supervisée Insite. C'est l'une de nos inquiétudes, à savoir que cela peut nécessiter plus de ressources policières dans ce secteur, étant donné qu'il y a naturellement une demande en ce sens. Il y a une approche intégrée pour le faire différemment.
La criminalité est un élément intéressant, parce qu'il faut déterminer le véritable effet qu'a l'ajout de plus de policiers sur le taux de criminalité. Le taux peut en fait augmenter, mais il peut aussi diminuer en fonction du degré d'application de la loi, de différentes appréhensions et de la manière dont nous intervenons différemment.
Je vais vous donner un portrait de la situation en octobre 2014 à Vancouver sur une période de quatre jours. À notre connaissance, il y a eu 31 surdoses au centre Insite. Le Service de police de Vancouver a réalisé des analyses d'urgence pour comprendre ce qui se passait, et il y avait bien entendu un mélange important de fentanyl et de caféine. Parmi les 31 surdoses au centre Insite, aucune n'a entraîné la mort. Or, le Service de police de Vancouver a enquêté sur 3 surdoses survenues en dehors du centre Insite. Il est vrai qu'il y a eu 31 surdoses au centre Insite, mais il n'y a eu aucun décès. En dehors du centre, 3 personnes sont mortes. Bref, que vaut une vie humaine?
L'une des stratégies du service de police était de dépêcher des policiers pour dire aux consommateurs de drogues injectables : « Écoute. Il y a des combinaisons néfastes de drogues dans la rue. Tu dois aller au centre Insite. Si tu consommes des drogues injectables, tu dois te rendre dans un endroit sécuritaire pour le faire, parce que c'est dangereux. »
Il y a donc eu des changements considérables. Par contre, je suis d'accord avec vous. Au début, l'approche était différente, mais le milieu policier a acquis une certaine maturité au fil des ans. Nos processus se sont améliorés, et je crois que nous arrivons à mieux gérer le tout, en particulier à Vancouver, où se trouve le seul site au pays. Évidemment, nous considérons comme important de tenir compte de différents facteurs si nous envisageons de créer d'autres sites ailleurs au Canada, parce que chaque endroit est unique.
La sénatrice Fraser : Merci à tous les témoins.
C'était une réponse fascinante, monsieur Larkin, mais j'aimerais poser une question aux avocats, si vous me le permettez, qui va dans le même sens que celle de la sénatrice Jaffer.
En ce qui a trait à la longue liste de documents que le demandeur doit fournir à la ministre, l'alinéa p) à la page 10, si vous avez le projet de loi en main, a retenu mon attention. Le demandeur doit fournir « le rapport des consultations tenues avec un large éventail d'organismes communautaires de la municipalité où le site serait établi [...] »
J'aimerais vous poser des questions sur deux de ces mots.
Le premier est « communautaires ». Pourriez-vous me donner votre avis juridique sur la manière dont nous devrions interpréter le mot « communautaires »? Cela signifie-t-il le quartier ou des groupes d'intérêts?
L'autre mot est « municipalité ». C'est peut-être parce que je viens de Montréal, qui a des frontières disparates, mais je crois que la municipalité n'est peut-être pas la meilleure façon de juger des conséquences d'une activité ou d'une institution, y compris un site de consommation supervisée, parce que les frontières varient. Si le site se trouve dans un coin d'une municipalité, il est plus susceptible d'avoir des conséquences sur les municipalités voisines que l'ensemble de la municipalité où le site serait établi.
M. Spratt : Vous avez raison, sénatrice. Le mot « communautaires » peut avoir de nombreuses significations. Dans le contexte de cet article, c'est l'endroit où le site est établi qui définit les mots « communautaires » et « municipalité ». Je crois qu'on entend par communautaire le secteur qui entoure le centre d'injection; l'endroit où le site est situé nous donne également la définition de municipalité. Ce qui est ironique, avec ces critères, c'est qu'à certains égards ils sont trop restreints, c'est-à-dire qu'il n'y a pas suffisamment de consultations, et qu'à d'autres, ils sont beaucoup trop vastes.
J'ai pensé qu'en posant la question, vous vouliez parler du caractère ambigu des mots « un large éventail d'organismes communautaires ». Qu'est-ce qu'un large éventail?
La sénatrice Fraser : Oui, qu'est-ce qu'un large éventail? Parlons-nous, comme quelqu'un l'a dit à l'une de nos audiences, de l'organisme Real Women, ou plus précisément, parlons-nous de groupes confessionnels, de Surveillance de quartier ou du Parti libéral du Canada? Je l'ignore.
M. Spratt : Est-ce tout simplement une autre occasion pour la ministre de ne même pas envisager l'exemption parce qu'à son avis, les consultations ne seraient pas assez vastes?
M. Elliott : Permettez-moi d'ajouter qu'il y a une disposition connexe, dans le projet de loi, qui soulève une préoccupation semblable. Vers la fin du projet de loi, il y a une disposition qui prévoit que le ministre peut donner avis de toute demande d'exemption qui a été présentée et inviter le public à présenter des observations dans un délai de 90 jours. Rien dans cette disposition ne prévoit que les observations que devrait prendre en considération le ministre doivent provenir d'une collectivité qui a un certain lien avec l'endroit où le site proposé serait situé ou qui a un intérêt dans le dossier. Le ministre pourrait donc recevoir des observations de personnes et de groupes de partout au pays qui, pour une raison quelconque, seraient mal informés au sujet de la question et qui s'opposeraient aux services de consommation supervisée. Ils pourraient inonder le ministre de commentaires qui feraient partie du dossier, même si la question ne les concerne pas. Encore une fois, cela permettrait l'accumulation de documents dont on pourrait tenir compte pour prendre une décision négative, mais qui ne résisteraient pas à un examen approfondi.
Le sénateur McInnis : Monsieur Elliott, vous conviendrez que l'implantation de l'un de ces sites dans la collectivité suscite de la controverse. Je crois que vous avez établi une analogie entre l'implantation d'un hôpital et l'un de ces sites d'injection supervisée.
Le chef nous a dit que les décisions relatives à ces sites doivent être prises dans les collectivités. Le ministre Blaney et la ministre Ambrose représentent tous les Canadiens. Laissez-vous entendre que les collectivités dans lesquelles ces sites seront établis et le public concerné ne devraient pas avoir leur mot à dire?
M. Elliott : Je conviens que les ministres de la Santé et de la Sécurité publique doivent se préoccuper de la santé et de la sécurité de tous les Canadiens, y compris de ceux qui comptent parmi les plus marginalisés et les plus à risque et qui ont besoin de ces services de santé.
Il y a quelques autres services qui ont parfois provoqué une controverse semblable dans les collectivités, comme les foyers collectifs pour les personnes ayant des déficiences psychosociales. Trouverions-nous acceptable de suggérer que ce genre de foyer ne devrait pas se trouver dans une collectivité, si la décision est fondée sur une opinion mal éclairée et souvent nuisible, plutôt que sur les données scientifiques probantes que nous avons à propos des bienfaits de ces services pour la santé et du fait qu'ils ne sont pas préjudiciables?
Les personnes qui retirent des bienfaits de ce service ne sont pas uniquement celles qui l'utilisent, celles qui ne mourront pas des suites d'une surdose, comme l'a dit le chef Larkin, ou celles qui ne contracteront pas une maladie infectieuse parce qu'elles utilisent du matériel d'injection stérile. Le service comporte aussi des avantages pour les collectivités; il y aura moins de déchets liés aux drogues injectables, puisque la consommation ne se fera plus dans les endroits publics, et il y aura également une réduction des cas de désordre public à proximité du service de consommation supervisée.
Le but premier, en ce qui concerne ces services, c'est de les offrir là où ils vont répondre à un besoin réel. À quoi bon offrir un service de santé à l'intention d'une population là où on n'en a pas besoin et où les gens ne viendront pas.
C'est en partie la raison pour laquelle de nombreux organismes de partout au pays, qui fournissent déjà divers services de santé aux toxicomanes, notamment l'échange de seringues, souhaitent pouvoir aménager pour eux un espace sécuritaire pour la consommation au lieu de leur donner des seringues et de leur dire d'aller consommer dans la ruelle avec du matériel souillé, où ils risquent d'utiliser l'eau d'une flaque et de ne pas avoir accès à des soins de santé en cas de surdose. Si quelque chose tourne mal, comme cela s'est produit à Insite et dans d'autres services de consommation supervisée, parce que les gens s'injectent des substances sans connaître leur composition ni leur puissance, des professionnels de la santé sont sur place pour intervenir et sauver des vies.
On procède également à une élimination appropriée et sécuritaire du matériel utilisé pour consommer les drogues.
Ce sont des avantages non seulement pour les personnes qui fréquentent l'établissement de santé, mais aussi pour la collectivité dans laquelle il est situé.
Le sénateur McInnis : Je comprends. Vous n'avez pas besoin de m'expliquer cela.
Vous avez parlé des gens qui sont mal informés. Les consultations publiques ont pour but de les informer; c'est ce qui est important. Je suis désolé, mais je suis totalement en désaccord lorsque vous laissez entendre qu'on ne devrait pas mener de consultations publiques exhaustives et que les gens ne devraient pas avoir la possibilité de s'exprimer et d'influencer les personnes qu'ils ont envoyées à Ottawa ou les autorités locales.
M. Elliott : Un certain nombre d'amendements au projet de loi ont été proposés devant le comité de la Chambre; ils visaient à s'assurer que les renseignements recueillis aux diverses étapes de ce processus seraient fondés sur des données probantes. Je doute que nous voulions que notre ministre de la Santé fonde sur l'opprobre et les préjugés ses décisions relatives à l'emplacement d'établissements de santé destinés à une population déjà souvent stigmatisée. J'ose espérer que la ministre de la Santé veut fonder ses décisions sur les données probantes liées au besoin de ces gens et aux avantages de leur offrir ce genre de service de santé. Les amendements qui visaient à garantir que ce soit bien le fondement de ses décisions ont été rejetés. Si ces amendements étaient apportés au projet de loi, cela contribuerait grandement à ce que ces décisions soient fondées sur des données solides et appropriées, et non pas sur des renseignements erronés.
Je conviens tout à fait que le processus d'information et de consultation du public peut avoir cet avantage, mais au bout du compte, rien ne garantit que ce sera le cas. Nous savons à quel point ce projet de loi et ce type de services suscitent la controverse, et pourtant, lorsque ces services sont finalement offerts malgré l'opposition, nous constatons que les opinions changent. Les gens se rendent compte que le ciel ne leur est pas tombé sur la tête, qu'ils ne sont pas morts et qu'ils n'ont pas été infectés par des maladies.
Le sénateur McInnis : C'est ce qu'on appelle la démocratie.
Le sénateur Plett : Le sénateur McInnis a abordé ma question, mais je voudrais tout de même faire un commentaire, monsieur Elliott, et connaître ensuite votre point de vue au sujet du document que j'ai ici.
Comment peut-on comparer cela avec un hôpital, où les gens font serment de tenter de sauver des vies et d'aider les gens à se libérer de la drogue, et non de leur donner accès aux drogues? Même dans les centres de traitement, on peut leur donner des drogues afin de les sortir graduellement de la toxicomanie, mais le principal objectif de ces centres est d'aider les gens à devenir sobres, alors que dans un centre d'injection, le principal objectif est simplement de veiller à ce qu'ils aient des aiguilles propres; on ne tente aucunement d'aider ces personnes à vaincre leur terrible dépendance. Pourtant, vous tentez de faire croire qu'Insite est l'équivalent d'un hôpital. Cela me dépasse, et je voudrais que vous nous en parliez.
De plus, les témoins des deux groupes nous ont beaucoup parlé aujourd'hui des infections et du fait qu'Insite permet d'éviter que des gens ne contractent le VIH, par exemple.
Pourtant, comme je l'ai dit au dernier groupe de témoins, Vancouver a le taux d'infection au VIH le plus élevé de toutes les grandes villes du Canada, soit 19,8 par 100 000 habitants. Elle a le taux d'infection à l'hépatite C le plus élevé, à 58,9 par 100 000 habitants. Ottawa a un taux d'infection de 25,5 pour l'hépatite C, et de 6,4 pour le VIH.
Comment pouvez-vous dire qu'Insite aide à contrôler le VIH et d'autres maladies infectieuses?
M. Elliott : Je vous remercie de ces deux questions.
D'abord, au sujet de l'analogie avec un hôpital, je crois effectivement que la comparaison est juste. Tout d'abord, les services comme Insite et les autres services semblables qui sont envisagés existent déjà au sein d'un continuum de soins plus vaste. Ces services visent notamment à diriger les gens vers d'autres types de soins de santé requis, dont le traitement des dépendances. Des témoins sont déjà venus vous dire — et ils vous l'ont amplement démontré — que c'est précisément ce que font Insite et d'autres services semblables.
Or, permettez-moi de dire que même si un centre ne faisait rien d'autre que de fournir du matériel d'injection stérile et d'intervenir lorsqu'une personne fait une surdose, ce qui contribue à sauver des vies, ce serait tout de même très positif. De toute évidence, nous pouvons faire plus. Ces services font davantage, mais si c'était tout ce qu'ils faisaient, ils seraient tout de même avantageux. On ne peut diriger une personne vers un traitement qui l'aidera à vaincre sa dépendance, ce qui est extrêmement difficile, si cette personne est morte.
C'est en partie ce que fait Insite. Les personnes décédées ne peuvent retirer un bienfait d'un traitement de la toxicomanie. Insite prévient les décès. Les preuves le démontrent. La Cour suprême a reconnu ces preuves. Le comité consultatif d'experts que le ministre de la Santé a mis sur pied pour le conseiller sur la question l'a conclu également. Toutes les études évaluées par les pairs ont démontré ces bienfaits; je pense donc que cette analogie avec un hôpital est tout à fait juste.
En ce qui concerne les taux d'infection au VIH et à l'hépatite C, nous ne devrions pas commettre une erreur de logique en prétendant que corrélation est synonyme de causalité. En fait, c'est précisément là où les cas d'infection au VIH et à l'hépatite C sont les plus nombreux parmi les consommateurs de drogues injectables qu'il faut des services de réduction des méfaits, comme des programmes d'échange de seringues et des services de consommation supervisée, car c'est là où il est le plus urgent qu'on ait accès à du matériel d'injection stérile. Voilà pourquoi il faudrait établir des services de ce genre à ces endroits. C'est l'un des principaux facteurs qui ont contribué à la mise sur pied de ce type de services dans de nombreux pays du monde.
Le fait d'avoir un seul centre dans un quartier aux prises avec autant de problèmes que Downtown Eastside, à Vancouver, ne peut être considéré comme une panacée à tous les problèmes. Un témoin du premier groupe nous a dit tout à l'heure qu'une décennie plus tard, ce quartier est toujours aux prises avec des difficultés, même si nous avons Insite. Je pense qu'il est un peu exagéré de s'attendre à ce qu'un petit établissement de santé règle toutes les facettes d'un problème multifactoriel lié à la santé publique dans un secteur donné.
Nous savons qu'il aide à prévenir les infections et les décès par surdose, et qu'il dirige les gens vers des options de traitement. Il me semble que ce sont là des résultats positifs.
Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie de vos exposés.
D'après ce que je comprends, le projet de loi C-2 vise à mettre en place un processus ou un cadre législatif permettant à la ministre d'exercer son pouvoir d'exemption, conformément à l'orientation donnée par la Cour suprême du Canada.
Or, après avoir pris connaissance de la décision de la cour, je constate qu'elle ne conteste pas le pouvoir discrétionnaire exercé par la ministre, mais la manière dont ce pouvoir discrétionnaire est exercé. Nous savons tous que le pouvoir discrétionnaire de la ministre est sans entrave, mais qu'il n'est pas absolu; il doit être exercé dans les limites imposées par la loi et la Charte.
Cela étant dit, en vertu du projet de loi, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir d'exemption, la ministre recevrait de l'information de plusieurs sources et, munie de cette information, elle serait en mesure d'évaluer les considérations relatives à la santé et à la sécurité publiques dans le cas en question. Cela l'aiderait à établir un équilibre entre les deux éléments, la sécurité publique et la santé publique, en conformité avec l'article 7 de la Charte et comme le décrit la Cour suprême. Puis-je savoir ce que vous en pensez?
M. Spratt : D'abord, je pense que vous avez raison, sénateur, en ce sens que certaines des conditions prévues dans le projet de loi portent sur des facteurs que la Cour suprême a établis, mais je crois que cela peut induire en erreur dans une certaine mesure lorsqu'on tient compte du principe plus général. La Cour suprême a dit qu'en général, dans les situations comme celle d'Insite — et particulièrement dans la situation d'Insite —, des exemptions devraient être accordées. Le projet de loi part d'un principe bien différent; il dit que les exemptions ne devraient être accordées que dans des circonstances exceptionnelles.
Lorsqu'on examine les exigences énoncées dans les dispositions, on constate qu'il y a d'autres problèmes. M. Elliott les a clairement expliqués tout à l'heure. Fondamentalement, le projet de loi semble être conçu de façon à favoriser davantage un refus qu'une approbation.
Le sénateur McIntyre : Faites-vous allusion aux 27 critères?
M. Spratt : Oui, et aussi au principe selon lequel une exemption ne peut être accordée que dans des circonstances exceptionnelles.
Le sénateur McIntyre : Pour ce qui est des 27 critères, ne pensez-vous pas que la ministre a besoin de ces renseignements pour effectuer une évaluation adéquate et exercer son pouvoir d'exemption?
M. Spratt : Elle n'a pas nécessairement besoin de tous ces renseignements. L'un des problèmes, c'est que tous ces renseignements doivent être fournis. S'il n'y a pas de coopération de la part de l'une des parties responsables de ces renseignements, dès le départ, une décision discrétionnaire ne pourra être rendue.
Cela donne également beaucoup de pouvoir à certaines organisations qui pourraient s'opposer, d'un point de vue idéologique, à la réduction des méfaits et au traitement des groupes défavorisés. Imaginez si les policiers n'étaient pas aussi avant-gardistes que M. Larkin. À certains égards, c'est un véritable droit de veto. C'est également très dangereux.
Le sénateur McIntyre : Tout tourne autour de son pouvoir discrétionnaire. C'est ainsi que je comprends la décision de la Cour suprême du Canada. Encore une fois, la cour n'a pas contesté son pouvoir discrétionnaire comme tel, mais la manière dont ce pouvoir est exercé. Je pense que la ministre veut s'assurer d'avoir toutes les réponses à ses questions avant de rendre sa décision.
M. Spratt : Il est également troublant que dans certaines dispositions, on parle d'opinions et non de données probantes; les opinions ne sont probablement pas très utiles à un décideur.
La sénatrice Batters : Chef Larkin, je tiens d'abord à vous souhaiter la bienvenue. Je voulais prendre quelques instants pour saluer le président de votre organisation, le chef Clive Weighill, de Saskatoon. Nous avons eu la chance de le côtoyer durant de nombreuses années dans ma ville natale, Regina; ces dernières années, ce sont les habitants de Saskatoon qui ont eu la chance de l'avoir comme chef de police; et maintenant, il exerce son leadership à l'échelon national.
Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que vous étiez heureux qu'il y ait un processus clair de consultation de la collectivité avant que la ministre prenne une décision. D'après votre expérience, quelles sont les préoccupations des collectivités que vous servez?
M. Larkin : Merci, sénatrice. Nous sommes évidemment très fiers du chef Clive Weighill et de son leadership.
Comme nous l'avons mentionné, nous sommes très favorables à la consultation de la collectivité. Je pense que c'est la base même de la démocratie, et pour nous, qui fournissons des services policiers à une collectivité moderne, c'est très important.
Nous nous voyons comme une partie d'un tout dans cette discussion. Tout n'est pas nécessairement une question d'application de la loi. D'ailleurs, nous considérons que c'est une combinaison de divers groupes communautaires, services publics, services sociaux et services pour les familles et les enfants qui participent à cette discussion.
Nous appuyons le projet de loi C-2 en ce sens que pour nous, les 27 critères liés à une demande permettent de consulter de nombreuses sources et d'obtenir beaucoup de renseignements, mais du point de vue policier, nous examinons un certain nombre de facteurs. Évidemment, nous examinerons le profil démographique de la collectivité, du secteur proposé, ainsi que son taux de criminalité, et contrairement à ce qu'ont dit d'autres témoins, nous examinons les analyses des quartiers et les données démographiques et géographiques par rapport aux données sur la criminalité et l'ordre public. Voilà de quelle façon nous déployons les ressources policières. Nous déterminons où les ressources sont nécessaires.
Nous examinons également les choses du point de vue de la planification; nous nous penchons avec les municipalités sur la coexistence des résidences et des commerces, sur la mesure dans laquelle ils seront touchés. Cela aurait-il des répercussions sur les personnes sans abri et marginalisées? Se préoccupe-t-on, dans la collectivité, des personnes qui vivent dans le secteur et qui pourraient être marginalisées?
Nous nous demandons également si cela donnera une occasion aux prédateurs de cibler les personnes vulnérables.
En ce qui concerne les drogues illicites, que les choses soient bien claires : l'ACCP n'est pas en faveur d'une consommation permanente de drogue. Nous visons la réadaptation. Nous voyons cela comme un facteur à quatre volets qui permet de faire avancer les gens dans ce processus. Souvent, les centres d'injection supervisée sont considérés comme une stratégie de réduction des méfaits. Quelles méthodes continuerons-nous d'utiliser pour la prévention, la sensibilisation et la réadaptation? Quels services sont offerts dans ces secteurs? Quels sont les liens avec les déterminants sociaux de la santé dans ce quartier, et comment pouvons-nous commencer à changer certains de ces éléments? En conséquence, nous croyons que les 27 critères offrent une occasion d'engager la discussion.
Je n'aborderai pas la question de l'exemption de la ministre, mais il est clair qu'il y a une procédure à suivre. Nous nous considérons comme un maillon de la chaîne et nous accordons notre appui. En principe, nous pensons que c'est une bonne voie à suivre.
La sénatrice Batters : Très bien, merci.
Le président : Une dernière petite question, sénatrice Fraser.
La sénatrice Fraser : C'est au sujet de la discrétion ministérielle, une question qui revient sans cesse dans nos discussions sur ce projet de loi. Encore une fois, j'adresse ma question aux avocats, mais pas à vous, monsieur Larkin. Ce n'est pas que je ne vous trouve pas intéressant, mais nous traitons ici des aspects juridiques.
Ce que je comprends, en lisant ce projet de loi, c'est que si la ministre veut accorder une exemption, elle n'a aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne ces 27 critères et plus, car certains critères ont aussi des sous-catégories. Elle n'a aucun pouvoir discrétionnaire. Elle doit avoir chacun de ces éléments, y compris les dossiers de police datant de 10 ans de tout pays étranger, dossiers qui pourraient ne pas être disponibles; elle doit aussi tenir compte de la liste des six principes, tous négatifs — on ne tient compte d'aucun principe positif — ainsi que des circonstances exceptionnelles et, dans le cas du renouvellement d'une exemption, d'autres renseignements concernant le taux de criminalité.
D'après ce que je comprends, elle n'a aucun pouvoir discrétionnaire sur tous ces éléments. Elle doit avoir tout cela ou faire tout cela. Est-ce que quelque chose m'échappe? Je vous en prie, dites-moi que quelque chose m'échappe.
M. Elliott : C'est exact.
M. Spratt : C'est exact. Rien dans ce projet de loi ne garantit le caractère raisonnable des décisions, même si la ministre a tous ces éléments. On compte donc sur des décisions raisonnables, en dépit d'un gouvernement qui appelle ces centres des repaires d'héroïnomanes...
La sénatrice Fraser : Oui, mais oublions l'idéologie du gouvernement. Les lois survivent aux gouvernements. Ce projet de loi, si je comprends bien, n'accorde aucun pouvoir discrétionnaire sur ce plan.
M. Spratt : Si un projet de loi comme celui-ci est adopté, il devrait inclure un mécanisme pour aider le ministre à prendre une décision raisonnable, et non pas aider un ministre qui veut prendre une décision déraisonnable.
La sénatrice Fraser : Merci.
Le président : Nous avons dépassé l'heure prévue. Messieurs, je tiens à vous remercier tous les trois d'être venus. Je suis désolé que nous vous ayons fait attendre, mais vous avez pu nous faire part de vos points de vue sur le projet de loi. Nous vous en sommes reconnaissants.
Chers collègues, nous allons lever la séance et nous retrouver demain matin pour poursuivre nos délibérations sur le projet de loi C-2.
(La séance est levée.)