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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 4 - Témoignages du 26 février 2014


OTTAWA, le mercredi 26 février 2014

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 12 h 3, pour poursuivre son étude sur les impacts des changements récents au système d'immigration sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

La sénatrice Andrée Champagne (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Mesdames et messieurs, bonjour. Je suis la sénatrice Andrée Champagne, du Québec, et la vice- présidente de ce comité. Je vais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant à ma gauche.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Je suis la sénatrice Lynn Beyak, de Dryden, dans le nord-ouest de l'Ontario.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Sénatrice Suzanne Fortin-Duplessis, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Charette-Poulin : Marie Charette-Poulin, je représente le Nord de l'Ontario au Sénat. Bienvenue à notre comité. Je m'excuse à l'avance parce que je devrai partir avant la fin de vos témoignages malheureusement parce que j'ai une autre réunion de prévue dans une demi-heure. Mais j'ai hâte d'entendre vos témoignages.

La sénatrice Chaput : Sénatrice Maria Chaput, du Manitoba.

La vice-présidente : Nous continuons notre étude, qui a débuté en mars 2013, sur les impacts des changements récents au système d'immigration sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Cet après-midi, nous recevons des témoins du Quebec Community Groups Network (QCGN) et de Voice of English-speaking Québec.

Le Quebec Community Groups Network (QCGN) est un organisme à but non lucratif qui rassemble 41 organismes communautaires de langue anglaise à travers le Québec. Il a pour but d'assurer le développement, de soutenir et d'améliorer la vitalité des communautés minoritaires d'expression anglaise.

Voice of English-speaking Québec est un organisme à but non lucratif également, mais qui vise, lui, à préserver le dynamisme de la communauté anglophone de la région de Québec. Il aide des gens à participer, en français et en anglais, à la vie communautaire de cette région.

Du Quebec Community Groups Network (QCGN), je vous présente Mme Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, et M. Stephen Thompson, directeur de la politique stratégique, de la recherche et des affaires publiques.

De Voice of English-speaking Québec, nous avons avec nous M. Jean-Sébastien Gignac, directeur général.

Je donne premièrement la parole à Mme Martin-Laforge et ensuite à M. Gignac. Après vos présentations, les sénateurs auront sûrement des questions.

[Traduction]

Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, Quebec Community Groups Network (QCGN) : Mesdames et messieurs, nous sommes heureux de témoigner devant vous aujourd'hui. Il y a quelques années, nous vous avions parlé du dossier d'Air Canada. Nous ne pensions pas que notre témoignage aurait une quelconque incidence. Or, Air Canada parraine maintenant les Prix Goldbloom, qui représentent une commandite de 5 000 $ par année. C'est sa façon d'aider la communauté anglophone du Québec. Nous voulons donc vous parler aujourd'hui des façons novatrices d'inciter les ministères et les organismes à changer leur façon de percevoir les communautés anglophones du Québec.

Nous comptons d'abord vous donner un bref aperçu des enjeux qui ont une incidence sur les communautés minoritaires d'expression anglaise du Canada, que tout le monde connaît sous le nom de communautés anglophones du Québec. Le dossier de l'immigration est assez complexe. Jean-Sébastien vous en parlera.

Toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire du Canada, ou CLOSM, sont confrontées à des défis uniques en matière de renouvellement. Notre communauté est établie au sein d'un espace politique unique et délicat, où la valeur canadienne fondamentale qu'est la dualité linguistique ne correspond pas toujours à l'intérêt vital de l'unité. Nous avons parfois le sentiment d'être une minorité qui dérange, mais nous avons transformé cette perception en un sentiment de résilience et d'autonomie.

Notre communauté fait face à des défis quand vient le temps de bénéficier de manière équitable de l'appui offert par Citoyenneté et Immigration Canada dans le cadre du programme des CLOSM. Ces défis sont d'ailleurs bien documentés dans votre rapport intitulé L'épanouissement des communautés anglophones du Québec : Du mythe à la réalité, publié en octobre 2011. En vertu de l'article 95 de la Constitution, l'agriculture et l'immigration sont des domaines de compétence partagée. L'Accord Canada-Québec relatif à l'immigration et à l'admission temporaire des aubains de 1991 définit les responsabilités; le Québec assure la sélection, l'établissement et l'intégration des résidents permanents, ce qui fournit à la province :

[...] de nouveaux moyens de préserver son poids démographique au sein du Canada, et d'assurer dans la province une intégration des immigrants respectueuse du caractère distinct de la société québécoise.

L'organisation Voice of English-speaking Québec vous expliquera ce que cela signifie pour les groupes communautaires qui travaillent sur le terrain avec les nouveaux arrivants.

L'accord de 1991 s'inspirait de l'entente Cullen-Couture, qui aurait été intégrée à la Constitution canadienne si l'accord du lac Meech de 1987 avait été adopté. En effet, il s'agit du premier élément convenu par les gouvernements du Québec et du Canada après l'accord. Nous voulons ainsi souligner l'importance de l'année 1991 pour les relations entre le Québec et le Canada, et nous rappeler la nature délicate du sujet de l'immigration.

Néanmoins, en vertu des droits linguistiques constitutionnels des Canadiens et de la Loi sur les langues officielles, Citoyenneté et Immigration Canada a une obligation envers les Québécois anglophones. Il a fallu déployer d'importants efforts pour aider CIC à comprendre ses obligations envers notre communauté, obligations qui ne sont toujours pas clairement énoncées dans la Loi sur les langues officielles ni l'article 3 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Heureusement, toutefois, la culture organisationnelle de CIC se défait de la notion selon laquelle le ministère ne s'occupe pas de la partie VII au Québec.

En fait, nous sommes heureux de vous annoncer que CIC appuie de plus en plus notre communauté. Par exemple, on nous a promis que notre communauté tirerait profit de façon équitable du financement de la recherche associée à l'immigration dans le cadre de la feuille de route de CIC. Nos relations avec les directeurs de recherche de CIC sont excellentes, et nous nous réjouissons de la capacité de recherche que ces ressources établiront.

Notre objectif stratégique est simple : établir une base de données probantes pour démontrer la valeur des nouveaux arrivants anglophones au Québec et le rôle essentiel que jouent les groupes communautaires comme VEQ pour les aider à s'établir et à s'intégrer à la société québécoise. La politique vise à établir un partenariat avec le Québec pour permettre à la province de miser sur le rôle des communautés anglophones lorsqu'il s'agit d'attirer et de retenir des immigrants. Nous croyons que c'est ce qui se passe dans les régions, à Sherbrooke et à Québec, par exemple. C'est pourquoi nous nous réjouissons que notre collègue de Voice of English-speaking Québec puisse être ici aujourd'hui. J'ai eu la chance d'entendre son exposé; j'espère que vous en profiterez. Merci.

[Français]

La vice-présidente : Madame Martin-Laforge, je me souviens du travail que vous et notre comité avons fait ensemble lorsque nous avons pris le temps nécessaire pour étudier spécifiquement la vie des anglophones du Québec, qui par ailleurs vivent en situation minoritaire. Je n'ai que de bons souvenirs d'un rapport qui, si je me souviens bien, avait plu à votre communauté.

[Traduction]

Mme Martin-Laforge : Nous l'utilisons tous les jours à titre de référence, madame la sénatrice. Nous vous en remercions.

La vice-présidente : Les sénateurs accomplissent donc parfois de bonnes choses.

Mme Martin-Laforge : Sans aucun doute.

La vice-présidente : Il faut savoir rire de soi-même, sinon on aurait de quoi pleurer toute la journée.

[Français]

Monsieur Gignac, la parole est à vous.

[Traduction]

Jean-Sébastien Gignac, directeur général, Voice of English-speaking Québec : Je tiens d'abord à vous remercier de me donner l'occasion de vous parler de nos activités dans la ville de Québec de même que du travail difficile, mais important que nous faisons pour attirer des immigrants et des migrants canadiens et les intégrer dans une communauté linguistique minoritaire, la communauté anglophone de Québec.

Je vais vous présenter rapidement notre communauté, notre programme et nos activités, et vous parler de certains défis auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de notre travail.

Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, la communauté anglophone de Québec est assez petite : elle compte un peu moins de 15 000 personnes qui représentent 1,9 p. 100 de l'ensemble de la population de la grande région de Québec. La communauté est toutefois bien desservie par de nombreuses institutions clés du secteur de la santé, des services sociaux et de l'éducation, des églises, et cetera.

Les nouveaux arrivants sont très importants pour notre région. Tous les cinq ans, les nouveaux arrivants — les migrants et les immigrants — permettent le renouvellement de 25 p. 100 de notre population. Le développement économique et la pérennité de notre communauté sont directement associés à notre capacité d'attirer et d'intégrer un plus grand nombre de nouveaux arrivants. C'est aussi important pour l'ensemble de la région. De nombreux employeurs n'arrivent pas à maximiser leur potentiel de croissance parce qu'ils n'ont pas suffisamment de ressources qualifiées et bilingues.

L'organisation Voice of English-speaking Québec est établie depuis 30 ans. L'un de nos premiers objectifs consistait à aider les nouveaux arrivants à s'intégrer; cet objectif demeure le même à ce jour. Nous avons élaboré et amélioré notre programme en fonction des besoins exprimés par les nouveaux arrivants et des principales études réalisées depuis notre création, devant les besoins croissants des employeurs qui nous demandent d'en faire plus et, bien sûr, en fonction de notre capacité de convaincre un plus grand nombre de partenaires publics et privés d'investir dans notre organisation.

Chaque année, nous accueillons directement 400 à 500 personnes qui cognent à notre porte pour obtenir des services : des nouveaux arrivants anglophones. C'est donc 150 à 250 familles. Parmi celles-ci, 30 à 40 p. 100 sont des immigrants, et les autres sont des migrants canadiens. Nous rencontrons 70 à 85 p. 100 de ces personnes dans les six mois suivant leur arrivée. Nous nous sommes améliorés à cet égard. Ces personnes proviennent de partout au pays et au monde — des États-Unis, du Royaume-Uni, et de plus en plus de l'Asie : de la Chine, de la Corée et des Philippines. C'est une bonne nouvelle, mais cela signifie également qu'il s'agit d'un groupe diversifié et que nous devons répondre à différents types besoins.

Bien entendu, les barrières linguistiques représentent l'un des principaux défis auxquels sont confrontés les nouveaux arrivants. La ville de Québec est composée de 98 p. 100 de francophones; on ne peut donc pas vivre dans la région si on parle seulement l'anglais. L'intégration au marché local de l'emploi est plus difficile en raison de l'isolement social et de l'adaptation à une nouvelle culture. Au fil des ans, nous avons créé de nombreux outils pour répondre à ces besoins.

J'ai l'un de ces principaux outils avec moi. J'en ai un pour chacun d'entre vous. Il s'agit d'une trousse du nouvel arrivant, que nous remettons à chacun des nouveaux arrivants que nous rencontrons. Elle contient une grande quantité de renseignements sur les établissements d'enseignement du français, l'obtention d'une carte d'assurance-maladie, le permis de conduire, et cetera. La plupart de ces outils sont également offerts en ligne. Nous offrons un passeport sur la santé pour aider les nouveaux arrivants à naviguer dans le système de santé et des services sociaux lorsqu'ils ont des problèmes de santé. Tout comme l'ensemble de la population, la plupart des employés des institutions de la ville de Québec ne parlent pas l'anglais. C'est donc compliqué pour les anglophones.

Nous avons fait beaucoup pour accroître l'employabilité et le développement économique de la communauté. Nous avons créé un guichet emplois pour les anglophones; nous organisons des événements de réseautage professionnel avec des employeurs qui cherchent des candidats bilingues; nous encourageons les nouveaux arrivants à démarrer leur propre entreprise, puisqu'il s'agit souvent de la voie qu'empruntent les immigrants en raison des difficultés à trouver un emploi.

Cela dit, je tiens à vous faire part des difficultés que nous connaissons, malgré la réussite du programme.

Il importe de souligner que le ministère du Patrimoine canadien est notre seul bailleur de fonds à l'échelon fédéral, et que le financement vise notre programme de base. Il ne vise pas uniquement les immigrants, mais nous nous servons des fonds de notre programme de base pour aider les nouveaux arrivants. L'ennui, c'est que le budget n'a pas augmenté depuis 15 ans; il n'a même pas été indexé. Nous peinons donc de plus en plus à faire notre important travail chaque année.

Nous n'avons réussi à convaincre aucun organisme ou ministère de l'importance d'en faire plus pour les migrants canadiens. Je sais qu'ils ne sont pas immigrants; ils passent donc souvent entre les mailles du filet. Il y a pourtant tant à faire pour les aider. À de nombreux égards, leur situation ressemble à celle des immigrants qui arrivent dans un nouveau pays, et certains de leurs besoins sont très similaires.

En ce qui a trait au gouvernement provincial, notre plus grand défi — et c'est le même depuis que j'ai été engagé en 2005 — consiste à convaincre le gouvernement que nous faisons partie de la solution, et non du problème. C'est facile à dire, mais ce n'est pas si facile de convaincre le gouvernement, qui interdit à toutes les organisations qu'il finance d'offrir des services en anglais. Le premier conseil que nous donnons à tous les nouveaux arrivants, c'est d'apprendre le français. Nous avons le même objectif. Cela étant dit, pendant leur apprentissage, ils ne peuvent pas se prévaloir des services offerts en français; c'est pourquoi nous sommes là. Il est toutefois difficile d'en convaincre le gouvernement. Malgré certains progrès réalisés, l'accès aux programmes de français subventionnés pour les immigrants canadiens demeure un problème. C'est un autre problème auquel nous sommes confrontés.

À l'échelon municipal, nous avons été très chanceux au cours des trois dernières années. L'administration actuelle du maire Labeaume a investi beaucoup d'argent dans notre programme, parce qu'elle croit en nous et comprend le besoin d'en faire plus pour les employeurs et d'attirer plus d'anglophones. Nous pourrions toutefois perdre ce soutien financier puisque notre organisation n'est pas reconnue par le gouvernement provincial; l'administration municipale a donc les mains liées et ne sait pas si elle pourra renouveler son financement, puisque le gouvernement provincial lui demande de financer uniquement les organisations reconnues. Puisque nous ne voulons, ou ne pouvons pas offrir nos services en français, nous ne serons jamais reconnus par le gouvernement provincial dans le contexte actuel.

Si nous ne pouvons pas renouveler notre partenariat avec la ville de Québec, nous devrons abandonner bon nombre des services offerts, ou alors les réduire à un point tel que nous nous retrouverons dans la même situation qu'il y a 10 ou 15 ans, lorsque nous étions pris dans une approche passive par opposition à une approche proactive grâce à laquelle nous pouvons offrir des services aux nouveaux arrivants avant même leur arrivée et, bien entendu, multiplier le nombre de services offerts aux immigrants et aux migrants. Il s'agit d'un enjeu important.

Enfin, en ce qui a trait aux défis associés au secteur privé, nous devons convaincre un plus grand nombre d'employeurs de l'importance de notre travail. Nous devons miser davantage sur nos réussites avec certains employeurs clés qui ont constaté les avantages de notre travail auprès de leurs employés et de leur famille. Nous devons également convaincre un plus grand nombre de fondations — certaines fondations locales de la ville de Québec — d'appuyer notre programme jusqu'à ce que nous puissions en convaincre d'autres de le faire, au cas où nous perdrions le financement de la ville, ce qui pourrait malheureusement arriver.

Je le répète : notre travail est important et nous aidons un grand nombre de personnes. J'ai parlé des 500 personnes que nous rencontrons chaque année. Si l'on considère que notre communauté compte 15 000 personnes, c'est beaucoup. Nous ne prétendons pas rencontrer chaque nouvel arrivant dans la région. Ce serait vraiment triste de devoir cesser d'offrir nos services en raison de l'absence de financement de la ville.

Je vous remercie de votre temps.

[Français]

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Gignac. Les premières questions seront posées par la sénatrice Fortin-Duplessis, de Québec.

La sénatrice Fortin-Duplessis : En tout premier lieu, soyez les bienvenus. Il me fait plaisir de vous revoir car que j'ai encore en tête tous les témoignages que vous avez rendus lorsque nous avons visité Québec pour voir si vous obteniez les services auxquels vous aviez droit.

Je voudrais aussi vous féliciter, monsieur Gignac, pour la trousse d'accueil que vous avez préparée pour le bénéfice des nouveaux arrivants. Vous avez sûrement pris connaissance du sondage commandé par la CBC, mené par EKOS et qui révèle que 50 p. 100 des Québécois non francophones songent à quitter le Québec.

Avez-vous des commentaires à faire quant à cette situation?

Mme Martin-Laforge : Je ne peux pas parler pour la ville de Québec, mais pour l'ensemble de la population.

[Traduction]

Nous avons beaucoup analysé les chiffres. Nous avons travaillé avec Jacques Jedois et Richard Boris afin de dégager certaines tendances. Les résultats du sondage commandé par la CBC montrent une tendance intéressante et surprenante : les anglophones ne sont pas les seuls à songer à quitter le Québec; les francophones y songent aussi. Le pourcentage d'anglophones et d'allophones est plus élevé, mais la population en général y songe également, pour diverses raisons — d'ordre économique, certainement. Je crois que les raisons sont variées, mais que la situation économique est une raison importante, ce qui est très inquiétant. Stephen a des statistiques sur les raisons pour lesquelles les gens quittent le Québec ou y restent, et ce qui leur arrive ensuite. Il conviendrait peut-être d'aborder ces statistiques à un certain moment aujourd'hui.

Or, je crois qu'il faut surtout songer aux façons d'attirer les gens vers le Québec, et non aux raisons qui les motivent à partir. Je crois que la plupart des Québécois veulent que le Québec soit une province où il fait bon vivre, travailler et se divertir. Il faut attirer les gens. Bien sûr, on se soucie des gens qui quittent la province pour des raisons économiques, mais il est décevant de voir qu'aucun de ces sondages ne parle d'attirer de nouveaux arrivants. À mon avis, le fait que le Québec ne représente pas un attrait nuit à tous les Québécois.

[Français]

Madame la sénatrice, je suis inquiète pour tout le Québec par rapport à l'exode de tout ce bon monde qui partirait et qui pense ne pas revenir.

M. Gignac : J'aimerais ajouter que je ne peux qu'être d'accord avec ce que vient de dire Sylvia. Je vais parler spécifiquement pour la région de Québec. Les anglophones de Québec, soit qu'ils sont nés à Québec et ont décidé d'y rester, soit qu'ils ont choisi Québec. Ils veulent faire partie de cette région et ils l'aiment.

Cela étant dit, il y en a beaucoup qui en arrivent à se dire qu'il y a quand même une limite à se faire identifier systématiquement comme étant le problème. C'est certain qu'à Québec les tensions entre les deux communautés linguistiques sont beaucoup moins grandes qu'elles peuvent l'être ailleurs, étant donné la relative petite taille de la communauté.

Et moi je commence à l'entendre aussi. Quand j'entends des gens qui ont été des piliers de notre communauté depuis des décennies commencer à dire qu'il faut peut-être penser à aller ailleurs, pour nous cela nous arrache le cœur. Ces gens ont été la colonne vertébrale de ce qu'on est comme communauté et de nos institutions.

Donc, c'est dur à entendre, et comme Sylvia l'a dit, il ne s'agit pas simplement de convaincre ceux qui y sont d'y rester. Le gros travail à faire, c'est d'en convaincre davantage de venir se joindre à nous, et dans le contexte actuel, ce n'est pas facile.

Personnellement, à Québec je siège à une table de concertation en immigration où plusieurs groupes représentent différentes communautés, différents secteurs et différentes clientèles. À prime abord, lorsque tu te présentes en disant que tu travailles pour la communauté anglophone, tu en perds quelques-uns. Il y a des gens qui ont un parti pris.

Par contre, dans mon cas, étant donné que j'ai un nom de famille très francophone, cela aide et cela pique la curiosité des gens. Mais il n'en demeure pas moins que c'est vraiment une préoccupation. Et ce qui se dégage du sondage, malheureusement on le ressent chez nous.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Avez-vous encore l'impression que les fonds transférés par le gouvernement fédéral pour la communauté anglophone au Québec vous parviennent entièrement? Parce que lorsqu'on a tenu nos audiences, on vous a souvent entendus dire que vous n'étiez certains de recevoir toutes les sommes qui étaient accordées par le gouvernement fédéral.

Mme Martin-Laforge : C'était surtout en éducation.

[Traduction]

C'était surtout en éducation, et dans le domaine de la santé aussi.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Oui, en éducation et au niveau des soins de santé.

[Traduction]

Mme Martin-Laforge : Des négociations sont en cours entre l'actuel gouvernement provincial et le gouvernement fédéral dans le but d'offrir un financement sans condition au Québec. Voilà l'enjeu. Je crois que toutes les provinces — pas seulement le Québec, pour être juste — aimeraient obtenir plus de fonds sans qu'aucune condition n'y soit rattachée, mais au Québec, c'est un peu plus difficile.

Par ailleurs, certaines clauses linguistiques ont été ajoutées dernièrement, dont une pour le domaine de l'agriculture. Je ne m'en souviens jamais précisément. Stephen pourrait vous le dire.

Stephen D. Thompson, directeur de la politique stratégique, de la recherche et des affaires publiques, Quebec Community Groups Network (QCGN) : Je pense que c'est important. En fait, cette initiative découle du travail mené par le comité. Le comité devrait s'en attribuer le mérite puisque l'initiative date du moment où le président du Conseil du Trésor est venu témoigner et qu'il s'est engagé à ce que les accords bilatéraux entre les gouvernements fédéral et provinciaux contiennent des clauses linguistiques, ce qui est désormais le cas. Du reste, ces dispositions permettent de savoir où va l'argent. Au moins, il y a maintenant un mécanisme. Nous ne savons pas encore dans quelle mesure il sera efficace, mais nous ne tarderons pas à le savoir.

J'aimerais apporter une précision : le gouvernement fédéral n'envoie pas d'argent au gouvernement du Québec pour nos communautés et, plus particulièrement, en ce qui a trait à l'établissement et à l'intégration des immigrants. Il n'y a pas d'argent.

Le sénateur McIntyre : Merci de votre exposé. Je remarque que vous représentez, tous les deux, des organismes sans but lucratif. Je suis convaincu que vos deux organisations s'entendent bien et qu'elles sont d'accord à maints égards.

Vous arrive-t-il d'être en désaccord, profondément ou légèrement, sur diverses questions touchant les communautés anglophones ou les groupes de langue anglaise?

Mme Martin-Laforge : Je ne comprends pas très bien la question. Des désaccords entre les organisations? Que voulez-vous dire?

Le sénateur McIntyre : Les organisations s'entendent-elles bien?

Mme Martin-Laforge : Voice of English-speaking Québec et nous?

Le sénateur McIntyre : Oui.

Mme Martin-Laforge : Nous nous entendons à merveille.

Le sénateur McIntyre : Vous arrive-t-il d'être en désaccord sur certaines questions?

Mme Martin-Laforge : Certainement pas en ce qui concerne l'immigration. Bien sûr, il y a toujours quelque chose, mais en ce qui concerne l'immigration — à tout le moins, sur le plan des politiques —, le QCGN travaille depuis environ sept ans pour que l'on reconnaisse le bien-fondé d'un financement destiné à la communauté anglophone dans le cadre de la feuille de route.

Sur le plan des politiques, lorsque je suis arrivée... Il y a une note ici, qui dit que nous ne touchons pas à la partie VII, et les gens de l'immigration me l'avaient déjà dit, il y a sept ans. Pour ceux d'entre vous qui s'en souviendront, le plan d'action prévoyait des fonds de 9 millions de dollars. Je n'en veux pas aux francophones hors Québec. C'est leur façon de se renouveler. Bien sûr, nous comprenons la dynamique et nous leur souhaitons tout le succès possible.

Le plan d'action prévoyait donc un financement de 9 millions de dollars. L'enveloppe pour la première feuille de route était de 20 millions de dollars, mais il n'y a jamais eu de reconnaissance du bien-fondé d'un financement. En fait, les gens se demandaient avec crainte si l'on parlait de la possibilité d'accorder à la communauté anglophone une partie du financement de la feuille de route qui était destiné à l'immigration.

Alors, des fonds ont été octroyés dans le cadre du plan d'action. De l'enveloppe destinée à la feuille de route, le gouvernement a fini par nous accorder, un peu en catimini, 63 000 $ par année aux fins de recherche, car le QCGN n'arrêtait pas de répéter : « Au moins, donnez-nous de l'argent pour la recherche. » Bien entendu, nous ne pouvons pas prendre l'argent destiné à l'établissement des immigrants — nous en convenons tous —, mais au moins, donnez-nous de l'argent pour la recherche.

On s'est mis d'accord pour qu'environ 63 000 $ provenant du financement de la feuille de route aillent chaque année à la recherche pour la communauté anglophone. Il a été très difficile de faire bon usage de ces 63 000 $, et le gros de cet argent a été perdu. Néanmoins, quelques milliers de dollars ont effectivement servi à faire de la recherche. L'une des recherches qui ont été menées — je crois que nous en avons remis une copie au comité — est celle de Mme Michèle Vatz Laaroussi, qui s'intéressait déjà au capital social destiné aux francophones dans les régions du Québec, et qui a accepté de se pencher sur le capital social dans les régions où vivent les anglophones.

Nous lui avons proposé d'examiner quelques organisations, dont Voice of English-speaking Quebec, l'Association des Townshippers et celle de Gaspé. Alors elle a regardé tout cela. Et je crois qu'il y a un document de recherche auquel vous pourrez sans doute avoir accès. Cette étude a été financée par les quelques milliers de dollars obtenus du financement de la feuille de route.

Nous n'avons pas de données probantes pour le Québec. Il nous est donc difficile de formuler clairement nos besoins. C'est la raison pour laquelle QCGN a continué de faire des représentations auprès de CIC pour l'obtention d'un financement approprié pour la communauté anglophone du Québec. Vous en avez parlé dans votre rapport, et nous avons continué de faire pression.

À Québec, comme dans les Cantons de l'Est, le travail se faisait déjà, car les anglophones de ces régions ont compris qu'il y avait un besoin. Il s'agissait, en quelque sorte, de joindre la politique à la pratique. Il fallait agir ainsi pour démontrer qu'il y avait un besoin. Je crois que l'idée de conjuguer politique et pratique n'existait pas il y a trois ou quatre ans. Nous avons proposé à CIC de nous donner plus d'argent. C'est donc avec beaucoup d'intérêt que nous avons appris que le ministre Kenney consacrait 2,5 millions de dollars de la feuille de route à la recherche pour les deux communautés, en précisant que la communauté anglophone allait avoir sa part du gâteau. C'était la première fois que nous entendions une telle annonce, et nous en étions très heureux. Il a évoqué la somme de 500 000 $, mais cela pourrait être plus selon la qualité des propositions que nous soumettrons.

Grâce à ces fonds de recherche, nous aimerions, par exemple, que le modèle de Voice of English-speaking Québec soit examiné ou évalué. Voice of English-speaking Québec souhaite la même chose, à savoir la tenue d'une évaluation par une tierce partie, afin que nous puissions adopter certaines pratiques exemplaires. Voice of English-speaking Québec et QCGN estiment que cela pourrait être très utile pour montrer au gouvernement provincial ce qui se fait dans la communauté anglophone et comment ces mesures profitent à l'ensemble du Québec. C'est très bien, surtout que le Québec souhaite que les immigrants s'installent en région. Nous croyons pour cette raison que les travaux en ce sens seront très utiles et qu'ils profiteront également aux municipalités.

Bref, il n'y a pas eu de désaccords en ce qui concerne ce dossier. Il s'agissait simplement de conjuguer politique et pratique.

Le sénateur McIntyre : Ma deuxième question concerne la citoyenneté. Il y a quelques semaines, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-24 à la Chambre des communes. Nous n'en sommes qu'à la première lecture, alors ce n'est pas encore une loi.

En gros, le projet de loi modifie la Loi sur la citoyenneté. On y trouve deux modifications ayant trait à la langue. La première modification veut faire en sorte que les personnes qui demandent la citoyenneté soient en mesure de démontrer dans l'une des deux langues officielles qu'ils ont une certaine connaissance du Canada ainsi que des devoirs et privilèges attachés à la citoyenneté.

La deuxième modification vise les candidats de 14 à 64 ans, à qui l'on demanderait d'avoir une connaissance suffisante de l'une de nos langues officielles. Comme vous le savez, cette exigence est pour l'instant réservée aux demandeurs de 18 à 54 ans.

Que pensez-vous du projet de loi C-24? Croyez-vous qu'on devrait en faire une loi? Les considérations relatives à l'âge sont-elles une source de préoccupation pour votre organisme?

M. Thompson : Plutôt que de faire des observations particulières sur le projet de loi C-24, nous pouvons parler de l'expérience de notre communauté en ce qui concerne les nouveaux arrivants. Nous pouvons parler un peu de notre communauté, de l'identité de ceux qui immigrent au Québec et de l'expérience des groupes communautaires qui appuient leur intégration.

La majorité des immigrants qui choisissent le Québec ont entre 25 et 44 ans. C'est la cohorte la plus importante; elle regroupe 35 p. 100 de tous les immigrants.

Mme Martin-Laforge a fait allusion à la question de l'exode. Je crois qu'il y aurait lieu de vérifier auprès des fonctionnaires de CIC, car ce sont eux qui ont les chiffres sur ces mouvements de population.

De façon générale, le Québec peine à retenir ses immigrants. En ce qui concerne l'intégration des immigrants, le problème est que le Québec est la seule administration où l'établissement est dirigé par l'État. Ailleurs au Canada, l'établissement est confié à des groupes communautaires. Les fournisseurs de services dans le domaine sont donc financés par les provinces ou par le gouvernement fédéral, mais les personnes qui font du travail sur le terrain relèvent de groupes communautaires. Au Québec, l'établissement est assuré par l'État, et le tout se fait, comme vous le savez, en français.

Dans le rapport intitulé Quebec's English-Speaking Immigrants and Poverty : Sharing our analysis and building a research agenda, dont nous avons remis une copie à vos analystes, on explique les problèmes rencontrés par les immigrants qui choisissent de s'installer au Québec, comment ils se retrouvent dans la pauvreté et comment ceux qui ne peuvent pas parler français ont de la difficulté à s'intégrer. Ils n'arrivent pas à décrocher un emploi ou se trouvent coincés dans des emplois qui sont bien en deçà de leurs aptitudes. Si des occasions se présentent ailleurs au Canada, ils déménagent. Les trois provinces qui profitent le plus de cet exode sont l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique. Ce sont les destinations que choisissent ceux qui quittent notre province.

Pour ce qui est de l'exigence d'avoir une connaissance de l'anglais ou du français, rappelez-vous qu'il est ici question d'un processus de sélection. La règle s'appliquerait autrement au Québec, puisque le Québec fait déjà une sélection. Je ne sais pas si le projet de loi C-24 pourra s'appliquer au Québec, car la province contrôle elle-même ses établissements. En effet, selon l'accord de 1991, le Québec a ses propres critères d'établissement. Vous obtenez un certain nombre de points pour votre capacité de parler français; c'est un aspect dont le processus de sélection du Québec tient déjà compte.

En principe, nous croyons qu'il est sensé de demander aux immigrants de parler l'une des deux langues officielles lorsqu'ils viennent au Canada. Cela facilite sans conteste leur intégration dans le marché du travail, et les résultats n'en sont que meilleurs.

En pratique, une connaissance de l'anglais n'est pas nécessairement le gage d'une intégration réussie des nouveaux arrivants au Québec, mais c'est une tout autre histoire s'ils décident par la suite de déménager ailleurs au Canada.

[Français]

La vice-présidente : En relisant le communiqué de presse qui était présenté hier, on constatait que la fédération travaille énormément en ce moment afin d'attirer des gens compétents et bilingues de l'étranger. Elle fait une tournée présentement dans une dizaine de villes ontariennes où on a besoin de gens compétents, mais plus particulièrement bilingues.

Allons-nous aller les chercher à l'étranger? Allons-nous aller les chercher au Québec et les inviter à migrer ailleurs au Canada? C'est une chose.

Mme Martin-Laforge, vous nous parliez de l'étude de Mme Vatz-Laaroussi et j'ai le plaisir de vous informer que nous la rencontrerons le 31 mars prochain. Comme vous le constatez, ce comité n'a aucunement l'intention de laisser les communautés anglophones du Québec de côté.

Nous verrons ce qui se passera alors que nous rencontrerons ce groupe qui veut attirer des gens de l'étranger à condition qu'ils soient bilingues. Nous continuons à travailler.

La sénatrice Chaput : C'est un plaisir de vous recevoir. Je vous remercie d'être ici.

[Traduction]

Plus tôt cette semaine, je feuilletais le rapport du comité et j'ai lu quelque chose au sujet de ce programme très réussi qui vise à intégrer et à retenir les nouveaux arrivants, et je suis heureux de constater qu'il fonctionne bien. Je suis très contente que vous disposiez maintenant, si j'ai bien compris, d'un financement officiel approprié pour la feuille de route. Alors, ce travail devrait se poursuivre maintenant. C'est un début, n'est-ce pas?

Mme Martin-Laforge : Si je puis me le permettre, nous étions tellement prêts à recevoir ce financement que la communauté s'était donné un plan de développement en mars 2012 contenant des priorités qui se prêtent aux priorités en matière d'immigration ainsi qu'à toute forme de recherche dans ce domaine.

Notre conseil a adopté une résolution sur les priorités de l'immigration au Québec et l'a communiquée à CIC pour qu'il s'en serve comme point de départ pour ses recherches. Nous pourrions vous en faire parvenir une copie.

Nous avons remis une liste de priorités en matière d'immigration aux responsables de CIC, qui évalueront les propositions des chercheurs et des groupes communautaires, et qui distribueront l'argent — un exercice qui, nous l'espérons, nous apportera un financement substantiel.

La sénatrice Chaput : Cette fois, notre étude porte sur les répercussions des récents changements au système d'immigration sur les minorités de langue officielle. Pourriez-vous nous parler un peu des répercussions que ces changements ont sur la communauté anglophone du Québec?

Mme Martin-Laforge : Comme mon collègue Stephen l'a dit, il nous est difficile de répondre à cela.

Je dois vous raconter une petite anecdote. Lorsque nous avons su que vous faisiez cette étude et que nous étions invités à témoigner, j'ai dit à Stephen : « Je ne sais pas ce que nous allons pouvoir leur dire, car le régime québécois en matière d'immigration, d'intégration, d'établissement, et cetera est complètement différent de celui du Canada. Comment peut-on arriver à marier les besoins du Québec avec les changements qui sont apportés dans le reste du Canada? »

Mais nous avons décidé de nous présenter ici quand même, malgré cette évidence incontournable qui ne facilite pas les choses.

Le Québec apporte lui aussi des modifications à son processus de sélection. Alors, comment peut-on adapter cette sélection aux besoins de la communauté anglophone? Si je ne m'abuse, Mme De Courcy a dit il y a deux semaines qu'on allait accorder plus d'importance aux compétences, c'est-à-dire que les choix allaient être davantage motivés par les compétences. Eh bien, c'est bon pour le Québec; c'est bon pour tout le monde. Cependant, si ces changements visent à favoriser une sélection axée sur les compétences, et qu'il faut aussi tenir compte de la question de la langue, d'où viendront les nouveaux immigrants? S'ils viennent de pays à prédominance anglophone, ils arriveront au Québec avec leurs compétences, mais amèneront-ils leur famille avec eux? Les membres de la famille ne parleront pas nécessairement français. Que fera-t-on des familles?

Je vais vous raconter une anecdote amusante qui s'est passée il y a environ deux ans et qui concerne un joueur de l'Impact, un Américain. J'ai reçu un courriel de cet homme qui m'annonçait qu'il allait jouer pour l'Impact. Il venait des États-Unis et était accompagné de son épouse. Il cherchait des sites web en anglais et voulait savoir ce que son épouse allait pouvoir faire à Montréal. Il nous demandait de l'orienter dans la bonne direction.

La situation est difficile pour ceux qui arrivent avec leur famille. Cet homme allait probablement gagner beaucoup d'argent, mais comment sa conjointe allait-elle occuper son temps? Nous lui avons dit de s'adresser à Youth Employment Services, car sa conjointe était une jeune femme. Il semble que c'est maintenant là qu'elle travaille.

Il est difficile pour les gens d'envisager la possibilité de venir au Québec avec leur famille. Je suis convaincue que Jean-Sébastien peut vous en parler. Que fera la famille? Bien sûr, ces gens pourront parler anglais avec les employeurs; ils pourront même s'exprimer en anglais au travail et ils sauront se débrouiller, mais qu'en est-il de leur famille?

Nous ne sommes pas venus ici sous des prétextes fallacieux, mais il y a cette donnée incontournable, et les choses ne finissent pas toujours par s'arranger.

La sénatrice Chaput : Si je comprends bien, lorsque la province de Québec négocie avec le gouvernement fédéral au chapitre de l'immigration, vous ne participez pas à ces discussions et vous n'y avez jamais pris part. Vous n'intervenez pas, point à la ligne. C'est bien exact?

M. Gignac : Même à ce chapitre, nous pourrions essayer de définir la politique officielle du gouvernement du Québec de bien des façons, mais peu importe la définition que nous lui attribuons, nous sommes naturellement exclus de l'équation. Telle est la politique officielle du gouvernement. Or, voici ce que je dis à la ministre de l'Immigration du Québec et à de nombreux employeurs clés à l'échelon ministériel : « Mettez-nous à l'essai. Envoyez-nous des immigrants et vous verrez ce que nous leur dirons. Le premier conseil que nous leur donnerons, c'est d'apprendre le français, car ils risquent de ne pas aimer leur expérience ici s'ils ne l'apprennent pas. »

Nous travaillons avec les employeurs. Comme vous dites, le monsieur est content ou la madame est contente. C'est au travail qu'il ou elle tisse son réseau social. Par contre, la conjointe ou le conjoint n'a rien, et le gouvernement du Québec croit que nous ne devrions pas nous en occuper. Eh bien, si ce couple — avec deux enfants, qui sait? — doit rester en région, il faudra qu'il y ait des gens pour l'aider.

À Québec il y a beaucoup d'excellents groupes qui travaillent avec les immigrants. La qualité de leur travail n'est pas la question, mais ils ne peuvent le faire qu'en français, et ils refusent de le faire dans une autre langue que le français. Que peuvent-ils faire pour quelqu'un qui ne parle pas un mot de français?

En ce qui nous concerne, nous n'avons besoin que de six mois. Nous aiderons cette personne à apprendre le français, et nous l'aiderons à s'intégrer et à trouver les ressources dont elle aura besoin pour rester ici. Vous serez dès lors en mesure de la convaincre d'apprendre la langue. En revanche, si vous lui dites d'emblée qu'elle n'est pas vraiment la bienvenue chez vous, les chances qu'elle s'intègre sont à peu près nulles.

La sénatrice Poirier : Merci d'être venu. Votre témoignage est très intéressant. J'ai pas mal de questions à vous poser, mais je vais commencer par une ou deux, puis nous verrons.

Compte tenu de la discussion que nous venons d'avoir, il est certain que le gouvernement provincial à Québec appuie l'immigration, n'est-ce pas? Y a-t-il des programmes en place en prévision de l'arrivée d'immigrants anglophones? Y a-t-il du personnel bilingue qui pourrait aider les familles à apprendre la langue seconde?

M. Gignac : Ils font diverses choses pour les immigrants. Mais leur souhait est qu'ils apprennent le français, d'où les programmes de francisation qui leur sont destinés. Pour l'apprentissage du français, c'est un peu plus facile pour les immigrants que pour les migrants canadiens. Il ne fait donc aucun doute qu'ils essaient cette solution.

Il n'en reste pas moins que le gouvernement du Québec ne veut pas que ces gens soient au courant de notre existence et sachent que nous avons des églises anglaises et des services en anglais. On leur dit par exemple : « En cas de problème de santé, voici l'adresse du CLSC le plus proche. » La personne qui s'y présente est en cours d'apprentissage de la langue. Et si vous commencez à partir de zéro, ce n'est pas en six mois que vous allez apprendre le français. Cet apprentissage prend énormément de temps. La personne se présente donc au centre de santé et de services sociaux, où on ne comprend rien à ce qu'elle dit. Elle n'arrive pas à communiquer son problème. Si elle s'était adressée à nous, nous lui aurions dit : « Nous avons un centre de santé et de services sociaux qui offre des services en anglais. Vous pouvez y aller. » Ce faisant, vous pourriez la convaincre beaucoup plus facilement de rester à Québec. Et même lorsqu'ils offrent des services de francisation, ils empêchent ces gens d'apprendre ce qui est disponible en anglais dans leur région.

M. Thompson : Il importe aussi de savoir, madame la sénatrice, le niveau d'instruction qui est offert. Ce qu'on offre aux immigrants, c'est un niveau d'instruction en français élémentaire. Ce n'est certainement pas le niveau dont vous avez besoin pour travailler, et encore moins pour travailler dans votre domaine de compétence. Le rapport fait état d'histoires à briser le cœur. Par exemple une mère ou un père qui doit rester à la maison pour s'occuper des enfants, ou qui doit occuper deux emplois pour payer des cours de français au conjoint — et ces cours sont bel et bien payés par les immigrants et non pas par l'État — pour avoir un niveau acceptable de français et trouver un emploi ailleurs que dans l'industrie des services.

Ce que je peux dire, c'est que le niveau de formation en français offert aux immigrants par le gouvernement du Québec n'est pas suffisant pour qu'ils puissent trouver du travail dans leur domaine de compétence.

La sénatrice Poirier : On dirait qu'au niveau provincial, on a du mal à accepter la communauté de langue anglaise, est-ce exact?

Mme Martin-Laforge : Chez beaucoup — et je dis bien « beaucoup » et non pas « tous » —, il y a une mentalité de gagnant-perdant. Ce que nous gagnons, dans notre collectivité de langue anglaise, c'est que beaucoup plus d'immigrants s'attacheraient à notre collectivité. Qu'il s'agisse d'immigrants ou de migrants, ils s'attacheraient à notre collectivité, ce qui nous aiderait à stimuler les institutions qui la composent. Les immigrants ne pourront certainement pas envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Les migrants, par contre, pourraient se prévaloir de la clause Canada. Ce n'est pas toujours facile, mais ils pourraient avoir gain de cause. Le problème vient du fait que lorsque le Québec dénombre les citoyens de langue anglaise, ce sont des gens dont c'est la langue maternelle. Ce n'est pas une approche très inclusive, de sorte que la communauté traditionnelle de langue anglaise disparaîtra un jour ou relèvera du folklore. Combien y a-t-il de gens dont l'anglais est la langue maternelle, 600 000?

Il n'est pas question de « première langue officielle ». On dit des gens qui viennent dans notre pays et qui parlent anglais, que c'est leur première langue officielle. Comme ils viennent d'un pays de langue anglaise — qu'il s'agisse d'Américains ou d'Anglais de Grande-Bretagne —, on pense qu'ils ont des affinités avec nous et que c'est pour cette raison qu'ils viennent vers nous. Même s'ils envoient leurs enfants à l'école française, ce n'est pas un problème, ils nous fréquentent quand même. Ils fréquentent nos églises, et cetera. La plupart des gens au ministère de l'Immigration à Québec ne voient pas cela d'un bon œil.

M. Gignac : C'est certain et c'est d'ailleurs ce que m'ont dit mot pour mot certains responsables qui travaillent dans ce ministère. Idéalement, les immigrants devraient pouvoir fréquenter l'église, l'école et le centre de santé et de services sociaux les plus proches de chez eux. Ce qui est irritant et ironique en même temps, c'est que l'un des objectifs, programmes ou politiques clés du gouvernement du Québec est ce qu'il appelle la régionalisation, qui consiste à attirer les immigrants de Montréal ailleurs dans la province. Si vous voulez y parvenir, utilisez donc les ressources qui existent déjà dans ces régions. C'est ce que nous leur avons dit. Nous sommes un outil dont vous refusez de vous servir et, dans bien des cas, nous serions votre meilleur outil. Pourtant, vous refusez de l'utiliser. La politique que suit le gouvernement va à l'encontre de ses propres objectifs.

La sénatrice Poirier : Vous avez dit dans votre exposé que, même si vous accueillez les immigrants, il y en a beaucoup qui quitte le Québec pour diverses raisons. Avez-vous le pourcentage des gens, francophones et anglophones, qui quittent la province?

M. Thompson : Il est important de comprendre que la migration est un sujet émotif et qu'il suscite notre attention.

En termes de chiffres, cela ne concerne que très peu de gens. Environ 1 p. 100 des Québécois de langue anglaise quitteront la province au cours d'une année. Pour la population francophone, le pourcentage est d'environ 0,1 p. 100. Le Québec subit une perte démographique nette, mais l'an dernier, par exemple, la perte nette a été de 10 000 personnes. Sur une population de 7 millions d'habitants, ce n'est pas grand-chose. En fait, ce n'est rien.

Qui sont ceux qui partent? Quelles sont leurs qualités? Leur âge? Leur niveau d'éducation? Les gens qui partent sont en général des jeunes qui sont éduqués. Ainsi, ce ne sont pas seulement eux qui s'en vont, mais aussi les enfants qu'ils auraient eus. C'est un fait des migrations — et il y a ce sujet d'excellentes recherches qui ont été menées et que nous pouvons vous communiquer — qu'elles sont motivées par des facteurs économiques. On s'en va pour des raisons économiques et si l'on ne revient pas, c'est aussi pour des raisons économiques. Si l'on revient, on aura plus de chances de gagner moins d'argent qu'à l'endroit que l'on quitte, et aussi plus de chances de gagner moins d'argent que ceux qui sont restés. Autrement dit, lorsqu'on s'en va, c'est pour de bon.

Tout ce que je voulais dire, je suppose, quoique d'une manière longue et compliquée, c'est que c'est une réalité sur le plan statistique, même si en termes de chiffres, ce n'est pas très important.

La sénatrice Poirier : Ma dernière...

[Français]

La vice-présidente : Merci, sénatrice Poirier. Mesdames et messieurs, il nous reste à peine quelques minutes puisque les travaux de la Chambre débuteront bientôt et deux sénateurs ont demandé la parole.

Sénatrice Chaput, la parole est à vous.

La sénatrice Chaput : Je vais poser ma question et vous pourrez y répondre par écrit si nous manquons de temps.

Je reviens à l'objectif de l'étude de notre comité qui est l'impact des changements récents au système d'immigration.

Quels changements aimeriez-vous voir apportés aux politiques d'immigration qui vous aideraient vous, en tant que communauté anglophone de la province du Québec?

[Traduction]

Mme Martin-Laforge : Je pense que nous devrons y réfléchir avant de répondre, madame.

La sénatrice Chaput : C'est parfait.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : En tant que représentants des communautés anglophones, j'aimerais que vous me disiez si vos communautés disposent des ressources suffisantes pour appuyer le recrutement et l'intégration des nouveaux arrivants.

J'aimerais également savoir quels résultats Voice of English-speaking Québec a-t-il atteints avec son programme d'intégration et de maintien en place des nouveaux arrivants?

[Traduction]

Mme Martin-Laforge : Je dirai seulement qu'il n'y a pas assez de ressources. Je crois qu'il faudrait une approche plus intégrée, ce qui serait un bon début, car nous ne sommes même pas sûrs de ce dont nous avons besoin. Ce n'est peut- être même pas d'argent dont nous avons besoin, mais de coordination et de recherche. Ce seraient donc là nos priorités.

M. Gignac : Il est certain cependant que les ressources sont insuffisantes. Nous n'avons pratiquement rien pour servir les immigrants; et presque rien pour servir les immigrants canadiens. Si l'on pense à nos réalisations de ces dernières années, je pense que notre programme a donné beaucoup de résultats et pas seulement quantitatifs — c'est-à- dire en termes de gens que nous servons, mais aussi qualitatifs, je pense par exemple, à l'une de nos clientes qui deviendrait infirmière dans l'une de nos institutions. Je pourrais vous en donner des milliers d'exemples.

Cependant, le problème que nous vivons depuis trois ans si l'on songe à un seul programme — et je ne veux pas me vanter parce que c'est le nôtre —, c'est un programme qui donne d'excellents résultats pour la collectivité de langue officielle en situation minoritaire. Or, le plus gros pourcentage de nos ressources provient de la ville de Québec. Nous sommes une collectivité de langue officielle en situation minoritaire, mais le plus gros pourcentage de nos ressources ne vient ni du fédéral, ni du provincial mais de l'administration municipale. Le maire Labeaume m'a un jour rencontré, moi et un autre homme qui travaille à Québec, et il nous a donné 10 minutes pour le convaincre. Au bout de ces 10 minutes, il nous a dit : « Vos arguments sont logiques, nous vous donnerons l'argent. » Et l'affaire était conclue.

C'est fantastique d'avoir pu le convaincre en 10 minutes, mais c'est un peu étrange que l'accueil et l'intégration des nouveaux arrivants de langue anglaise dans ma région aient pu être rendus possibles grâce à une conversation de 10 minutes avec un maire.

[Français]

La vice-présidente : Madame Martin-Laforge, monsieur Thompson, monsieur Gignac, au nom du comité, je vous remercie d'être venus nous voir cet après-midi. Je pense que je peux, sans en avoir demandé la permission aux membres du comité, vous assurer que ce Comité sénatorial permanent des langues officielles continuera à ne pas oublier la population anglophone du Québec, pas plus qu'elle n'oublie la population francophone d'ailleurs.

Nous comptons sur vous pour nous faire parvenir la nouvelle documentation qui, selon vous, pourrait nous être utile. Nous lisons beaucoup et nous écoutons bien. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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