Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 9 - Témoignages du 3 novembre 2014


OTTAWA, le lundi 3 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour étudier le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte.

Je suis la sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta, et la présidente de ce comité.

J'invite les sénateurs autour de la table à se présenter, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Poirier : Sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bonsoir.

[Traduction]

Le sénateur McInnis : Sénateur Tom McInnis, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Wells : Sénateur David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

La sénatrice Charette-Poulin : Marie Poulin. Je représente le Nord de l'Ontario depuis 1995.

La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.

La présidente : Aujourd'hui, nous continuons notre étude du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).

Le projet de loi présente la notion de qualité égale des communications et des services offerts dans chacune des langues officielles par les institutions fédérales. Il précise les lieux où les institutions fédérales sont tenues d'offrir des communications et des services dans les deux langues officielles.

Nous recevons deux groupes d'experts aujourd'hui. Je vous présente le premier groupe : de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, Mme Marie-France Kenny, présidente, ainsi que Mme Diane Côté, directrice des liaisons gouvernementales et communautaires. De la Fédération culturelle canadienne-française, M. Martin Théberge, président, ainsi que Mme Maggy Razafimbahiny, directrice générale. Finalement, M. Daniel Boucher, président et directeur général de la Société franco-manitobaine.

Bienvenue. Merci d'avoir accepté notre invitation. Je donne la parole à Mme Kenny.

Marie-France Kenny, présidente, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Honorables sénateurs et sénatrices, je souhaite tout d'abord vous remercier de nous avoir invités à comparaître dans le cadre de votre étude sur le projet de loi S-205.

Je tiens à souligner à quel point la FCFA est heureuse que l'expertise du Comité des langues officielles soit mise à contribution dans le cadre de l'étude de ce projet de loi. Nous vous savons animés d'une détermination à vous assurer que les citoyens canadiens puissent recevoir des services et des communications dans la langue officielle de leur choix.

Comme vous vous en doutez, la FCFA s'intéresse de près à ce projet de loi, et pour cause. Il y a maintenant près de 15 ans que la fédération milite pour une revue en profondeur du Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services. Ce règlement, qui date de 1991, nous semble mal adapté aux réalités de la francophonie en 2014.

La FCFA a abordé ce sujet dans un mémoire qu'elle a publié en 2009 à l'occasion du 40e anniversaire de la Loi sur les langues officielles, mémoire dont on vous a remis une copie.

Nous y avons expliqué que, en utilisant seulement des données statistiques pour définir ce qui constitue une collectivité francophone, on exclut des communautés de petite taille ou des communautés qui constituent une faible proportion de la population, certes, mais qui n'en sont pas moins dynamiques et déterminées à vivre en français. On pourrait aussi vous parler de ces communautés en émergence comme Brooks, en Alberta, où c'est largement l'immigration d'expression française qui crée les besoins en termes de services.

Dans notre document de 2009, nous avons parlé de l'importance d'adopter un calcul plus inclusif afin de mesurer non pas uniquement le nombre de francophones de langue maternelle, mais, également, le nombre de personnes qui choisissent de communiquer régulièrement en français dans leur vie quotidienne.

Nous avons aussi fait valoir l'importance d'aller au-delà des chiffres en prenant en compte d'autres facteurs de vitalité de la communauté, comme les institutions de langue française, et en adoptant une définition plus large et plus inclusive de la population de la minorité francophone. Voilà donc pour nous les ingrédients de base d'une réglementation adaptée à la francophonie d'aujourd'hui.

C'est l'une des raisons pour lesquelles la FCFA a appuyé dès sa conception le projet de loi S-205. L'autre raison, c'est que le projet de loi clarifie considérablement les droits du public voyageur, notamment en précisant quels aéroports, gares ferroviaires et traversiers ont l'obligation de servir la population dans les deux langues officielles. Dans le cas des aéroports et des gares ferroviaires, on parle, entre autres, des régions métropolitaines, des capitales provinciales et territoriales et des gares de traversiers qui desservent au moins 100 000 personnes.

Je tiens également à souligner que nous sommes heureux de voir dans le projet de loi des dispositions proposant une révision tous les dix ans de la réglementation liée à la Loi sur les langues officielles. Ce n'est pas simplement utile, c'est essentiel. On a vu combien, au fil des ans, le règlement actuel est devenu progressivement déphasé par rapport à la population dont il traite. Une révision décennale permettra de faire en sorte que la réglementation demeure à jour et pertinente.

D'autre part, nous avons noté que le projet de loi parle de la vitalité communautaire sans pour autant la définir explicitement. D'autres concepts, comme celui des modalités réglementaires de consultation, doivent également être bien définis et clarifiés. Bien entendu, après l'adoption de ce projet de loi, la FCFA entend participer aux consultations qui mèneront à la nouvelle réglementation et, à ce moment, nous nous ferons un plaisir de proposer des définitions à cet égard.

En terminant, je vous encourage dans votre étude à garder bien en vue l'objectif de ce projet de loi : les citoyens et citoyennes de ce pays qui veulent être servis dans la langue officielle de leur choix, comme ils en ont le droit lorsqu'ils voyagent ou s'adressent à un bureau de leur gouvernement.

Si les travaux de votre comité mènent à des modifications de ce projet de loi, que ces modifications soient de nature à le renforcer et à en clarifier l'essence et l'intention. Quand on a choisi de rendre les bureaux fédéraux accessibles aux personnes à mobilité réduite, on ne s'est pas demandé combien cela coûterait; on l'a fait, tout simplement, parce que c'était la chose à faire pour bien servir les citoyens. C'est dans cet esprit que je vous encourage à étudier ce projet de loi. Je vous remercie.

La présidente : Merci, madame Kenny.

Martin Théberge, président, Fédération culturelle canadienne-française : En mon nom personnel, mais plus particulièrement au nom de la Fédération culturelle canadienne-français, la FCCF, je tiens à remercier le Comité sénatorial sur les langues officielles de l'invitation à comparaître dans le cadre de son étude sur le projet de loi S-205.

Je tiens aussi à vous remercier de l'attention et de la détermination que vous portez au développement durable de nos communautés.

La FCCF s'intéresse de près à votre projet de loi, notre mission étant de promouvoir l'expression artistique et culturelle des communautés francophones en situation minoritaire. L'avenir de ces communautés nous tient énormément à cœur. C'est donc à titre de porte-parole du secteur des arts, de la culture et des industries culturelles des communautés francophones de Saint-Jean, Terre-Neuve, à Whitehorse, au Yukon, en passant par Windsor, en Ontario, et Saint-Boniface, au Manitoba, que nous sommes ici.

La FCCF représente quelque 3 125 artistes professionnels vivant dans plus de 200 communautés d'un bout à l'autre du pays, et plus de 180 organismes culturels de la francophonie canadienne regroupés par nos 22 membres. C'est donc au nom de toutes ces personnes que je prends la parole aujourd'hui.

Le Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, qui date de 1991, nous semble très mal adapté aux réalités de la francophonie canadienne et du secteur des arts, de la culture et des industries culturelles d'aujourd'hui. Nous sommes d'avis que des mesures doivent être prises pour assurer le minimum pour nos artistes, nos travailleurs culturels et les artisans des industries culturelles, bref, pour nos communautés entières.

Le secteur des arts, de la culture et des industries culturelles des communautés francophone et acadienne du pays est un élément majeur du développement et de l'épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM), mais également du développement de la société canadienne dans son ensemble.

Vous ne serez pas surpris de m'entendre parler des retombées économiques et de la création d'emplois qu'engendre ce secteur au Canada. Entre autres, notons que le secteur des arts et de la culture a engendré, en 2010, un PIB évalué à 53,2 milliards de dollars, et 25 milliards de dollars en taxes et impôts à tous les paliers de gouvernement en 2007.

En tout, le secteur embauche 700 000 personnes au Canada, sans compter les 97 millions d'heures de bénévolat qui sont faites, ce qui équivaut à 50 000 emplois à temps plein qui ont été générés par le secteur en 2007.

Ce qui nous intéresse aussi beaucoup, aujourd'hui, ce sont les retombées sociales du secteur et sa contribution à la création et au renforcement du tissu social canadien. Selon Simon Brault, directeur du Conseil des Arts du Canada, la culture est la définition du « nous » collectif. Si c'est le cas, à mon avis, l'expression artistique aide non seulement à élaborer, à concevoir et à actualiser cette définition de la culture, mais aussi à la penser et à faire en sorte qu'elle s'ancre dans le quotidien. Il n'y a pas de doute, les arts, la culture et les industries culturelles contribuent au développement du sentiment d'appartenance et à la construction identitaire des Canadiens. Par contre, pour que les créateurs puissent contribuer à la hauteur de leurs capacités au développement durable de nos communautés, il faut mettre en place les appuis nécessaires. Le projet de loi S-205 nous apparaît comme l'un des appuis législatifs qui pourraient faciliter un apport des créateurs à la vitalité des communautés. Il va sans dire qu'il y en a bien d'autres, mais ce n'est pas là la teneur de nos propos aujourd'hui.

Nous appuyons particulièrement la proposition que fait le projet de loi de tenir compte de la spécificité, notamment du nombre de personnes pouvant communiquer dans la langue, et de la vitalité institutionnelle de la minorité francophone de la région desservie. Nous sommes spécialement intéressés et d'accord avec l'idée d'élargir la définition de « population de minorité linguistique ». Selon nous, les éléments spécifiques qui caractérisent les communautés francophones en situation minoritaire doivent être considérés dans les décisions prises par les services fédéraux concernés.

Les répercussions et les effets à long terme de certaines initiatives sur la vitalité et le développement des communautés doivent déterminer ses décisions et non pas le nombre de bénéficiaires des initiatives proposées dans les régions.

En tant que travailleurs culturels, nous apprenons vite que le nombre de participants ou de spectateurs à nos activités n'est pas gage de qualité. En effet, il faut tenir autant compte des indicateurs qualitatifs et abstraits, comme l'apport à la vitalité communautaire du milieu et l'effet structurant à long terme.

Selon nous, à la FCCF, l'introduction de la notion d'égalité réelle des communications et services offerts dans chaque langue officielle aura un impact majeur sur notre secteur. Notamment, ceci permettra de mieux adapter les communications aux réalités des communautés où vivent nos artistes, créateurs et travailleurs culturels afin d'appuyer leur travail.

La multiplicité des plateformes médiatiques est un phénomène dont il faut tenir compte, car ceci a complètement changé l'environnement médiatique. À cela s'ajoute la fragilité de Radio-Canada, puisqu'elle est aux prises avec des compressions budgétaires à répétition qui auront inévitablement un impact néfaste sur les stations régionales, notamment.

Dans ce contexte, la FCCF craint qu'aucun organisme n'ait les moyens réels d'être un relais efficace d'information régionale, variée et bien documentée. La chaîne UNIS fera certes de son mieux pour refléter la réalité des CLOSM, mais celle-ci ne diffuse pas de bulletin d'informations.

Pour obtenir un relais efficace, il faut donner aux médias communautaires qui sont déjà présents dans nos communautés des moyens accrus pour que ceux-ci soient encore plus performants. Il est bien de noter que, déjà, les médias communautaires sont des partenaires incontournables des institutions publiques fédérales, ne serait-ce que parce que ce réseau diffuse les communications d'intérêt public émises par celles-ci de façon précise et claire.

De plus, ces médias communautaires sont des organisations de proximité qui ont des programmations de haut niveau et qui créent ainsi des contenus locaux pertinents qui reflètent la communauté. Il nous semble donc primordial que la fragilité de notre diffuseur public, ainsi que des radios et journaux communautaires, soit donc au cœur de cette réflexion sur l'égalité réelle des communications.

En pensant à cette notion d'offre de services en français, là où les services en question représentent une retombée importante pour la population francophone d'une région donnée, nous ne pouvons faire autrement qu'être d'accord, et nous croyons que ce concept devrait inclure aussi l'évaluation des demandes de financement, notamment celles déposées au ministère du Patrimoine canadien afin de tenir compte des spécificités des régions. C'est parfois grâce à des organismes culturels francophones agissant comme noyau central de la communauté que la francophonie se vit en situation minoritaire. Ces organismes ont besoin d'un minimum de financement afin d'assurer leur survie et d'être en mesure d'offrir les outils et services nécessaires au développement et à l'épanouissement des communautés.

Grâce aux changements proposés à la Loi sur les langues officielles dans le cadre du projet de loi S-205, les organismes culturels et les travailleurs de l'industrie pourraient mieux appuyer la création de nouvelles initiatives d'emploi de la langue. Ces organismes pourraient aussi mieux participer à la promotion des arts et de la culture francophone dans la région, revitalisant ainsi l'utilisation de cette langue.

De plus, de telles initiatives appuieraient aussi la créativité locale qui, à son tour, nourrirait la collectivité et assurerait la création d'un sentiment d'appartenance à la communauté culturelle rattachée à la langue utilisée. L'effet rassembleur des structures artistiques et culturelles est indéniable et contribuera de façon significative à l'épanouissement de la communauté. Le centre culturel, les centres professionnels d'artistes ou les organismes francophones sont, pour plusieurs communautés, le parvis d'église d'il y a 100 ans.

En conclusion, nous souhaitons que votre comité recommande l'adoption du projet de loi S-205.

Les changements proposés seront bénéfiques à notre secteur et aux CLOSM. La Loi sur les langues officielles ainsi modifiée et modernisée nous permettra d'assurer et de maintenir de façon continue l'évolution de nos communautés, en passant, entre autres, par les arts, la culture et les industries culturelles.

Je vous remercie.

Daniel Boucher, président-directeur général, Société franco-manitobaine : Merci beaucoup, madame la présidente.

C'est un plaisir de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles pour appuyer pleinement et sans réserve le projet de loi proposé par notre sénatrice du Manitoba, l'honorable Maria Chaput, qui vise à moderniser la partie IV de la Loi sur les langues officielles. Nous sommes également reconnaissants que votre comité ait accepté d'étudier ce projet de loi, qui est important pour l'ensemble de nos communautés.

Ce soir, je partagerai surtout mes commentaires sur l'importance d'avoir des définitions plus inclusives qui tiennent compte de la vitalité et aussi un calcul administratif du règlement qui reflète la population de façon plus juste et exacte lorsqu'on parle de demande importante. Je laisse la tâche à des experts pour commenter les droits du public voyageur.

J'ai le plaisir de travailler à la SFM depuis plus de 20 ans, et j'ai pu témoigner d'une communauté francophone qui a beaucoup évolué, changé et progressé au fil des années. Dès 2001, la communauté francophone du Manitoba s'est arrêtée pour revoir où elle était rendue comme communauté. Nous nous sommes alors engagés collectivement à une stratégie que nous avons intitulée : Agrandir l'espace francophone au Manitoba. C'est aujourd'hui notre feuille de route pour l'avenir, et cette stratégie s'appuie sur les cinq orientations stratégiques suivantes : la pleine continuité francophone, le goût du français dans les familles mixtes, le choix des nouveaux arrivants, le rapprochement avec les personnes bilingues et la sensibilisation des anglophones.

La SFM s'est aussi dotée d'un Plan stratégique communautaire de 2010 à 2015 qui vise à assurer l'épanouissement et la vitalité de la communauté francophone du Manitoba. Ce plan tient compte des importants changements démographiques et linguistiques qu'a subis la communauté francophone du Manitoba au cours des dernières années. Nous savons très bien que c'est aussi le cas dans l'ensemble de nos communautés partout au Canada.

Finalement, le 29 novembre prochain, nous lancerons les États généraux de la francophonie manitobaine qui nous permettront de façonner une nouvelle vision pour l'avenir dans une communauté en évolution constante.

Le projet de loi S-205 que vous étudiez présentement tient compte des changements et de l'évolution de la communauté, car on cherche à moderniser le Règlement sur les langues officielles pour mieux refléter les personnes qui devraient faire partie du calcul utilisé pour définir la demande importante dans le règlement.

Parallèlement, je tiens à mentionner que le premier ministre du Manitoba a récemment annoncé, à notre assemblée générale annuelle, que son gouvernement étudie la possibilité de modifier la définition de « francophone » pour la rendre plus inclusive.

Comme vous le savez, la sénatrice Chaput a déposé la première version de son projet de loi en mars 2010, la deuxième en mai 2012 et, finalement, cette nouvelle version en octobre 2013. Dès le début, l'honorable sénatrice Chaput a consulté plusieurs groupes au Canada, y inclus les chefs de file de sa communauté au Manitoba. Nous avons appuyé sa démarche dès le début.

Dans le but de renforcer et d'appuyer davantage les démarches de la sénatrice Chaput, la SFM a cru bon de poser un geste concret le 21 mai 2013 en déposant une plainte au commissaire aux langues officielles pour le non-respect des articles 2, 21, 22, 23, 25, 41, 42 et 43 de la Loi sur les langues officielles. Croyez-moi, il en reste d'autres, mais on en a laissé. Nous sommes toujours en attente d'une réponse à la plainte.

De plus, nous avons reçu du financement de la part du Programme d'appui aux droits linguistiques pour présenter un recours judiciaire devant la Cour fédérale afin de contester la constitutionnalité du Règlement sur les langues officielles.

Vous allez constater que plusieurs des irritants que nous avons abordés dans notre plainte et la contestation elle-même sont précisément les points qu'on tente de clarifier et de régler dans le projet de loi S-205. C'est pour cette raison que nous souhaitons vivement que le projet de loi soit adopté.

Selon nous, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, la FCFA, et plusieurs autres partenaires, le Règlement sur les langues officielles, qui définit ce que constitue une demande importante aux fins de l'offre de services dans la langue officielle minoritaire en vertu de la Loi sur les langues officielles, ne tient pas compte de tranches importantes de la population qui parlent la langue de la minorité et qui seraient susceptibles ou qui souhaiteraient en faire l'utilisation dans les bureaux fédéraux.

Si on se réfère aux orientations et aux clientèles ciblées dans notre stratégie Agrandir l'espace francophone au Manitoba, il est évident que le calcul préconisé par le règlement exclut arbitrairement des individus qui parlent la langue de la minorité et qui pourraient recevoir des services des bureaux fédéraux en fonction de critères élargis de ce que constitue une demande importante.

Dans un premier temps, le calcul administratif actuel ne reflète pas la réalité des familles exogames dont les membres sont bilingues et qui déclarent à la fois l'anglais et le français comme langue maternelle, mais où la langue du foyer est la langue de la majorité. On peut penser particulièrement aux enfants issus de telle famille. Malgré l'utilisation plus fréquente de la langue de la majorité à la maison, les individus de ces foyers peuvent très bien travailler et fréquenter une école dans la langue de la minorité et faire l'utilisation des services dans cette langue-là où ils sont offerts.

Au Manitoba, entre 1971 et 2006, la proportion d'enfants issus de familles exogames français-anglais, parmi l'ensemble des familles dont au moins un parent est de langue maternelle française, a doublé, passant de 33 p. 100 à 66 p. 100. Nous savons aussi que 50 p. 100 des personnes de langue maternelle française parlent anglais plus souvent à la maison.

Il va donc de soi que les enfants issus de familles exogames, qui apprennent le français et l'anglais, ont une forte chance de parler plus souvent l'anglais à la maison et, par conséquent, de ne pas être comptabilisés aux fins du règlement. En 2006, 47 100 personnes ont déclaré avoir le français comme langue maternelle, tandis que 43 000 personnes étaient comptabilisées selon la méthode utilisée par Statistique Canada. Ce sont les chiffres pour le Manitoba.

Deuxièmement, le règlement ne comptabilise pas les individus qui apprennent ou qui ont appris la langue de la minorité comme deuxième langue officielle, peu importe si ces individus utilisent cette deuxième langue dans tous les aspects de leur vie. La langue maternelle restera la langue de la majorité. À titre d'exemple, tous les individus qui ont appris la deuxième langue officielle dans des écoles d'immersion ne font pas partie du public ciblé par le règlement. On pourrait aussi penser aux membres des familles exogames bilingues, mais qui sont de langue maternelle anglaise.

Au Manitoba, le calcul administratif actuel reconnaît une population francophone de 41 365 personnes, alors qu'il y a plus de 104 630 personnes qui ont la capacité de communiquer en français.

Finalement, le règlement ignore l'effet de l'immigration sur le poids démographique de la population francophone. Le Canada accepte plus de 250 000 immigrants chaque année, mais seulement près de 5 p. 100 de cette population a une connaissance du français. Au contraire, près de 60 p. 100 a une connaissance de l'anglais. Malgré l'un des objectifs de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui est de favoriser le développement des collectivités de langues officielles minoritaires, la réalité démographique de l'immigration réduit le poids relatif des communautés de langue officielle minoritaires, et ce, lorsque leur nombre absolu est en croissance. Sans modifications au règlement, de moins en moins de communautés auront les effectifs nécessaires pour répondre aux critères de la demande importante.

Les résultats des recensements nationaux de 2006 et 2011 illustrent très bien les incongruités du calcul administratif. Si on compare, ces deux recensements démontrent qu'il y a eu une augmentation nette de 560 personnes ayant le français comme langue maternelle au Manitoba, ainsi qu'une augmentation nette de 3 065 personnes qui parlent au moins régulièrement le français à la maison. Or, ces mêmes recensements démontrent que la taille de la population de la minorité francophone a connu une diminution nette de 1 755 personnes. Ce n'est que cette dernière statistique qui ne reflète pas l'état actuel de la communauté francophone au Manitoba qui sera prise en compte aux fins de l'offre de services dans la langue officielle minoritaire en vertu de la Loi sur les langues officielles.

Le projet de loi S-205 tente de remédier aux lacunes et aux irritants qui se retrouvent dans le règlement. Vous avez sans doute remarqué que les choses ont beaucoup changé et évolué depuis sa dernière révision, il y a une vingtaine d'années. C'est pour cette raison que nous appuyons la disposition du projet de loi qui propose une revue décennale de la réglementation liée à la Loi sur les langues officielles.

Le projet de loi propose également une obligation de consulter les communautés au sujet des nouveaux règlements avant que ces nouveaux règlements soient enchâssés dans la loi. Nous appuyons aussi cette disposition importante et nous savons que notre organisme national, la FCFA, et ses membres se feront un plaisir de partager leurs idées sur un règlement moderne qui célèbre le fait que, nonobstant la langue maternelle, de plus en plus de Canadiens et Canadiennes valorisent et utilisent le français partout au pays.

Merci beaucoup pour cette occasion de vous présenter notre point de vue. Un grand merci à notre sénatrice du Manitoba, l'honorable Maria Chaput, d'avoir préparé et déposé ce projet de loi très important pour nos communautés de langue officielle.

Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie, monsieur Boucher. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Wells posera la première question, et il sera suivi du sénateur McIntyre.

[Traduction]

Le sénateur Wells : J'aimerais remercier les témoins de leurs exposés. Je crois que nous pouvons tous convenir qu'un libellé ambigu est le danger que peut présenter toute nouvelle loi.

Madame Kenny, vous avez mentionné la nécessité de définir la « vitalité communautaire ». C'est un terme assez ambigu. Un autre paramètre du projet de loi, la « demande importante », entre guillemets, est également ambigu. Comment définiriez-vous ce terme et, à votre avis, quelle situation entraînerait la mise en œuvre de cette disposition dans la communauté?

[Français]

Mme Kenny : Pour ce qui est de la vitalité institutionnelle, nous avons certainement déjà plusieurs idées et nous sommes prêts à collaborer, comme je l'ai dit dans mon allocution, à définir avec les parlementaires et les sénateurs la vitalité institutionnelle.

Pour nous, cela se mesure, en partie, mais je ne voudrais pas qu'on se limite à cela, en déterminant s'il y a une école, un centre communautaire dans notre région. Je pense aux régions de Humboldt, en Saskatchewan, ou de Brooks, en Alberta, où il y a maintenant une école et une communauté qui se développent. Si je peux faire une analogie, c'est comme si vous aviez une belle plante en santé, qui reçoit plein de soleil, et, parce qu'elle est belle, vous lui donnez encore plus d'engrais, alors que pour la petite plante, à côté, qui est en train de mourir, vous ne lui en donnez pas. Vous ne nous donnez pas la possibilité de continuer à nous épanouir en français si vous n'offrez pas le service.

La vitalité institutionnelle, c'est également cela. Cependant, je demeure convaincue que cela se fait en consultant les communautés, parce que les communautés ne sont pas déraisonnables. S'il n'y a personne dans une région, on ne va pas exiger qu'il y ait un service en français. Dans un monde utopique, je voudrais recevoir des services en français partout, mais je suis tout de même réaliste, car j'habite en Saskatchewan. Cependant, dans les bureaux désignés, je veux avoir le service. Ce n'est pas parce que, demain matin, le mandarin sera plus répandu à Vancouver qu'on arrêtera d'offrir les services en anglais pour autant. Et si c'était le cas, à un moment donné, je voudrais être là pour défendre les droits des anglophones afin que l'anglais demeure une langue officielle et que les gens puissent encore avoir accès aux services en anglais. Je serais aux côtés des anglophones pour me battre avec eux.

Pour ce qui est de la question concernant la demande importante, quant à moi, une demande est suffisante. Est-ce que c'est ce qu'on demande aujourd'hui? Non. Je vais vous donner un exemple très concret. Mme Glover, qui est de langue maternelle anglaise, lorsqu'elle prend l'avion, demande le service en français, parce qu'elle est bilingue et qu'elle parle aussi bien français que moi. Dans notre définition de francophone, Mme Glover a choisi de vivre une partie de sa vie en français. C'est la même chose pour le ministre Moore. Pourtant, quand on fait le calcul à l'aide du règlement actuel, on ne les compte pas. Leia Laing, une de mes amies, auteure, compositrice et interprète, travaille en français. Elle élève ses enfants en français. Elle enseigne le français, mais sa langue maternelle est l'anglais. Léa, quand elle va chercher son passeport au Bureau des passeports, elle le demande en français. Mais on ne la compte pas Leia.

J'ai rencontré des gens de Canadian Parents for French il y a quelques semaines. Ils nous disaient que leurs jeunes n'ont pas souvent l'occasion, en dehors de l'école, de s'exprimer en français, mais ils le feraient si les services étaient offerts.

Aujourd'hui, avec la technologie, et d'ailleurs, Service Canada l'a fait dans le cadre d'un projet pilote, en offrant un service en français dans tous les bureaux. Dans les bureaux désignés, il va offrir le service au complet en français, et dans les bureaux qui ne sont pas désignés, il mettra une ligne téléphonique en français pour que les gens puissent obtenir des réponses en français. Le francophone pourra téléphoner et parler à quelqu'un ailleurs en français. Je ne vois pas pourquoi, aujourd'hui, on ne pourrait pas faire cela dans tous nos bureaux.

Quand on a décidé de rendre nos bureaux fédéraux accessibles aux gens à mobilité réduite, on ne s'est pas posé la question à savoir combien cela coûterait, ni combien de personnes cela aiderait dans la région. On s'est dit que c'était simplement logique.

Je suis une citoyenne francophone, et je vous avoue que je trouve cela un peu difficile, car je comparais devant votre comité depuis cinq ans. Cela fait cinq rapports annuels du commissaire aux langues officielles que je vois défiler devant moi, et même plus, parce que, dans le cours ma carrière, j'ai travaillé dans le domaine des langues officielles précédemment. Je trouve cela difficile. On nous parle de progrès. Il y a certains progrès, mais ils sont sporadiques, éparpillés, et rien n'est fait systématiquement sur le plan de la Loi sur les langues officielles.

Je me rappelle que, en 2009, je venais d'être élue à la présidence quand on a fait le mémoire que vous avez en main. Je faisais ma ronde de rencontres politiques avec les sénateurs de ce comité-ci. Lorsque j'ai rencontré la sénatrice Chaput, qui m'a parlé de son projet de loi, je lui ai donné mon document, car c'était exactement ce qu'il présentait. On a une loi depuis 45 ans, et on a encore de la difficulté à l'appliquer aujourd'hui de façon intégrale.

Il y a des ministères qui sont des exemples incroyables d'efficacité pour remplir leurs obligations en vertu de la loi, puis il y en a d'autres où, encore, on reçoit des services en anglais dans des bureaux désignés.

Donc, pour nous, c'est la mesure. Vous me demandez ce qu'est une mesure importante? Pour moi, c'est un citoyen. On ne sera pas, tout de même, déraisonnable. Il y a une communauté. On doit simplement déterminer qui sont les francophones. Prenons l'exemple d'un homme qui arrive de la Côte d'Ivoire et dont la langue maternelle est l'agni; ses enfants vont à l'école française. Lorsqu'il s'adresse à son entourage, aux membres de sa communauté, il le fait d'abord en français. Cette personne doit donc être considérée comme un francophone de langue maternelle autre que le français. C'est un francophone qui évolue dans la société comme francophone, tout comme Mme Glover et M. Moore.

[Traduction]

Le sénateur Wells : C'est la réponse la plus complète que j'ai entendue en comité.

Mme Kenny : Désolée. Le sujet me passionne.

Le sénateur Wells : C'est très bien.

À votre avis, y a-t-il un élément déclencheur particulier dans le cas d'un terme comme « demande importante »? Qu'est-ce qu'une « demande importante » dans une communauté, une ville ou une région où les services pourraient être fournis? Dans le cadre d'une mesure législative, on doit attribuer des paramètres à ce type d'élément. Je crois qu'ils existent. L'ambiguïté mène aux contestations devant les tribunaux et à toutes ces choses que nous tentons d'éviter lorsque nous présentons des documents au Sénat pour qu'ils soient étudiés.

Pourriez-vous définir plus en détail, en lui attribuant des paramètres précis, le terme « demande importante »? C'est l'essentiel de ma question, car je comprends votre réponse, mais je ne sais pas si nous pouvons considérer que cette expression est un terme législatif.

[Français]

Mme Kenny : Je répondrai à votre question en parlant d'un défi où en soulevant une autre question. Le défi, à l'heure actuelle, c'est que la population du Canada se renfloue largement par l'immigration. Quant à l'immigration, une cible de 5 p. 100 a été fixée par le ministère. La cible était de 4,4 p. 100, mais le ministre Alexander parle de 5 p. 100 pour refléter la population actuelle. Sans lentille francophone, on arrive à 2 p. 100.

Mon collègue, plus tôt, disait que, en chiffres absolus, on voit une augmentation de francophones. Toutefois, lorsqu'on considère que 98 p. 100 des nouveaux arrivants sont anglophones, notre proportion diminue.

Le fait d'ancrer ma survie et mon épanouissement simplement sur un chiffre, c'est me réduire à une non-citoyenne. En tant que francophone, je devrais avoir un minimum de services, peu importe où je vais. Je ne parle pas de ma banque, mais des institutions pour lesquelles je paie des impôts. Je paie autant d'impôts que les autres et pas un sou de moins. À mon avis, peu importe le nombre que nous sommes, il y a moyen d'offrir un minimum de services dans tous les bureaux, notamment ceux où il y a une vitalité institutionnelle, une communauté qui est présente et où on constate un certain nombre.

Je ne vous donnerai pas de chiffres. Si vous m'en demandez un, je vous dirai que, s'il y a un francophone, il faut offrir le service. Jamais on ne songerait à ne pas offrir un service à un anglophone au Canada.

On me demande combien nous sommes dans ma famille. Jamais on ne demanderait à une personne à mobilité réduite de ne pas se présenter dans un bureau, parce qu'il n'y a pas d'accès.

Suis-je une citoyenne de seconde classe? Non, je suis une citoyenne à part entière. Je ne vous donnerai pas de chiffres, car je n'en ai pas. Le chiffre est le suivant : moi, je suis aussi importante que n'importe quel anglophone et n'importe quel nouvel arrivant. Mes besoins sont les mêmes. Si le gouvernement veut réellement contribuer à l'épanouissement des communautés, il fera en sorte que les services soient offerts, qu'il y ait un minimum de services dans tous les bureaux et qu'il y en ait davantage dans d'autres.

Ma réponse est très longue, mais la question me tient à cœur et je suis passionnée.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Je vous remercie de votre réponse. Je ne m'attendais pas à un chiffre, mais je voulais soulever la question pour provoquer une discussion et un débat. Je vous remercie d'être passionnée à cet égard.

[Français]

Le sénateur McIntyre : Merci pour vos présentations. Je vais commencer avec une observation. Il est vrai que, au Nouveau-Brunswick, même si le bilinguisme fait partie de notre paysage depuis 45 ans, il reste encore des aménagements importants à apporter à la Loi sur les langues officielles pour en arriver, comme vous le savez, madame Kenny, à l'égalité des deux communautés linguistiques.

Il est clair que si le gouvernement au pouvoir, peu importe ses couleurs politiques, n'était pas suivi d'organismes ou de groupes de pression comme le vôtre pour que le dossier continue d'évoluer, on se contenterait bien souvent du statu quo. C'est mon opinion.

J'ai devant moi une copie de votre mémoire intitulé La mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles : une nouvelle approche, une nouvelle vision. Je remarque que, à la page 14, on y retrouve, au paragraphe 3.1, un règlement universel sur les langues officielles. En parcourant ce paragraphe, je comprends que votre organisme prône l'adoption de règlements universels sur les langues officielles, qui couvriraient l'application des parties IV, V, VI et VII de la Loi sur les langues officielles. Est-ce exact?

Mme Kenny : Ce qu'on demandait, c'était un changement au règlement. La FCFA n'a pas le pouvoir de modifier une loi. Toutefois, si cela avait été possible, c'est une modification à la loi qu'on aurait demandée. Comme vous le dites, peu importe les gouvernements, les règlements sont faits au gré de ceux-ci. Un gouvernement peut modifier un règlement comme il le veut. Si ce gouvernement est favorable, le prochain ne le sera peut-être pas. Nous avons une loi sur les langues officielles depuis 45 ans. Les gouvernements se sont succédé. Or, encore aujourd'hui, on a de la difficulté à appliquer la loi.

Si on avait pu le faire, c'est un projet de loi qu'on aurait proposé. Nous n'en avons toutefois pas le pouvoir. Par conséquent, ce que nous demandons, à tout le moins, c'est la modification du règlement.

Nous avons maintenant ce projet de loi. Si vous nous posez la question, nous vous répondrons ce qui suit. La loi doit faire en sorte que, demain matin, un prochain gouvernement ne viendra pas défaire ce qui a été fait aujourd'hui. C'est un legs que l'on se doit de laisser au Canada tout entier.

La modernisation de la loi, c'est-à-dire cette révision décennale, est très importante. On l'a vu d'ailleurs au Nouveau-Brunswick — et je crois que c'était le sénateur Mockler qui était là. On a vu l'importance de cette révision qui vient d'avoir lieu au Nouveau-Brunswick, l'an dernier, et la façon dont elle a permis justement d'améliorer et de faire en sorte que la loi demeure pertinente.

Le sénateur McIntyre : Ma prochaine question s'adresse au groupe qui est devant nous. Le projet de loi S-205 vise, en partie, à apporter des modifications à la Loi sur les langues officielles à quatre niveaux : la réglementation, l'offre de services, les droits du voyageur et la consultation. Selon vous, lequel de ces niveaux est d'ordre prioritaire, ou bien sont-ils tous d'ordre prioritaire?

M. Boucher : Ils le sont tous. Nous voyons le projet de loi comme une entité. La consultation est importante et elle le sera d'autant plus si on propose des changements. Dans ce contexte, il suffit de voir comment on peut améliorer les choses.

À notre avis, tous les éléments de ce projet de loi s'enchaînent. C'est un tout. Ce n'est pas une question de choisir ici et là. Tous les éléments du projet de loi sont réalisables. C'est une question de volonté.

M. Théberge : J'abonde dans le même sens. Comme Mme Kenny l'a dit, aucune personne n'est plus citoyenne qu'une autre. En ce sens, si notre gouvernement nous disait qu'il ne s'occuperait que de l'éducation à compter de demain, nous aurions un problème.

Je dirais donc la même chose. Les niveaux proposés sont aussi importants les uns les autres.

Mme Kenny : Il en va de même pour nous.

Le sénateur Maltais : Je vous demanderai d'être indulgents, car j'ai plusieurs questions. Dans un premier temps, j'aimerais dire que c'est un honneur pour moi de vous voir, ici, aujourd'hui. Je veux aussi souligner tout le travail que font les sénateurs du centre du Canada — il y en a trois ici —et tout le respect que nous avons. À titre de francophone québécois, j'ai beaucoup de respect pour eux. Ils travaillent très fort pour garder la langue française bien vivante, ceci afin que nous n'ayons pas deux sortes de citoyens dans ce grand pays.

La preuve que vous n'êtes pas des citoyens de deuxième classe — et nous l'avons vécu au Québec —, c'est que le président de la France, aujourd'hui, est arrivé en Alberta. C'est la première fois depuis 1763; cela fait longtemps, il ne vient pas souvent. C'est tout de même une première.

La présidente : Plusieurs sont restés!

Le sénateur Maltais : Je dois vous dire que je suis en politique depuis 35 ans; quand je suis arrivé en politique, on étudiait le projet de loi 63. Il y a longtemps de cela, il y a eu la loi 22, la loi 101, la loi 178, la loi 86, qui ont toutes été contestées par la Cour suprême. Nous avons dû garder la dernière en soulevant les deux Chartes : québécoise et canadienne, pour obtenir une loi et une paix linguistique. Ce n'est pas facile. Le travail que vous faites, je sais que ce n'est pas facile. Je sais aussi que ce n'est pas demain, non plus, que cela sera réglé à 100 p. 100.

Toutefois, il y a des choses qui sont inacceptables. J'ai posé une question au commissaire aux langues officielles pas plus tard que la semaine passée au sujet de l'affichage. On est un pays bilingue; si l'affichage n'est pas bilingue partout au Canada, il y a quelqu'un quelque part qui ne fait pas son travail. Je ne sais pas qui, mais il faudra le trouver. Est-ce le commissaire aux langues officielles, le ministre de Patrimoine canadien, le premier ministre? Il faudra le trouver, parce qu'une loi, il faut qu'elle s'applique. Les législateurs n'adoptent pas des lois pour les mettre au placard. Ils adoptent des lois pour qu'elles soient appliquées. Si vous allez en Suisse, il y a quatre langues officielles et, sur les panneaux d'affichage, il y a les quatre langues, et ce n'est pas compliqué. Ici, il y en a deux, et de Victoria jusqu'à Saint-Jean, de Terre-Neuve, tout devrait être dans les deux langues officielles. En passant, à l'aéroport de Saint-Jean, l'affichage est bilingue. Il n'y a pas beaucoup de francophones à Terre-Neuve-et-Labrador, mais c'est bilingue. Bravo!

Deuxièmement, il faut que soit réglé le fait qu'on n'a pas besoin d'une nouvelle loi pour le faire; il faut commencer par faire appliquer celle qui est en vigueur. Tout le monde ensemble, autour de la table, on devrait trouver le coupable pour lui dire qu'il n'a pas fait son travail et qu'il devrait, demain matin, se mettre à l'ouvrage. Il s'agit de services; on parle d'aéroports, de gares ferroviaires, de traversiers. Ce sont tous des moyens de transport auxquels les gens vont remettre leur vie, alors il faut tout de même qu'ils comprennent ce qu'ils devront faire dans un avion, par quelle porte ils vont entrer et sortir, de même que pour les trains et, une chose encore plus importante, savoir où sont les ceintures de sauvetage sur les traversiers. C'est d'un illogisme inacceptable, et je suis 100 p. 100 d'accord avec vous à ce sujet.

J'en viens à ma question, parce que je pourrais vous entretenir pendant de nombreuses minutes, mais la présidente ne veut pas et elle a raison; je suis un « placoteux ». Il y a une question à laquelle le commissaire aux langues officielles n'a pas répondu. J'ai bien compris votre explication, madame Kenny, mais cela demeure ambigu dans ma tête; que signifie l'expression « le nombre suffisant » pour vous? Quelle est la signification d'un nombre suffisant pour avoir un service?

Mme Kenny : En fait, la vitalité d'une communauté ne se mesure pas par un nombre. Si on se fie à un nombre, on va simplement diminuer. Comme je le disais, en chiffres absolus, il y a eu une croissance. Par contre, ce qu'on apprend, c'est que dans le cadre de l'exercice qui a eu lieu, il y aurait une diminution de l'offre de services en français dans certains bureaux. Il y a des bureaux actuellement désignés bilingues, mais malgré le fait qu'il y ait eu une croissance dans des communautés — comme au Manitoba, en proportion, on est moins de 5 p. 100 —, on entend dire qu'il y aurait une dizaine de bureaux qui ne seraient plus désignés bilingues.

Le sénateur Maltais : Je vous arrête, parce que je ne voudrais pas que le mot « suffisant » ne s'applique qu'à vous. Qu'est-ce pour vous qu'un nombre suffisant? Est-ce zéro ou 1 000 personnes? La Cour suprême n'a pas été capable de définir cela encore. Dans le cadre de la loi 178, on a dû refaire la loi 86, puis les tribunaux ne l'ont pas défini; nos savants confrères n'ont pas été en mesure de définir le mot « suffisant ». C'est sur cela que se base la Cour suprême en évoquant l'expression « un nombre suffisant ». Mais personne n'a pu me dire si c'était plus d'un ni moins de deux.

Mme Kenny : Un. Je vais vous poser la question suivante : combien de personnes à mobilité réduite faut-il pour s'assurer qu'une personne en fauteuil roulant ait accès à un bureau? Est-ce qu'on a pris la peine de le mesurer? Non. Avec raison, d'ailleurs. Je n'aurais pas voulu que ce soit autrement. Mais pourquoi, dans mon cas, il faut une mesure pour me dire si oui ou non j'ai droit à un service en français?

Le sénateur Maltais : Le nombre suffisant, pour vous, cela demeure un ou plusieurs individus; c'est bien cela?

Mme Kenny : Absolument.

Si je peux me permettre de répondre à votre première question concernant la personne responsable, une seule personne a le pouvoir de dire aux ministres quoi faire. Contrairement à ce que les gens pensent, ce n'est pas Mme Glover; elle n'a pas le pouvoir, même si elle est ministre responsable des Langues officielles, d'aller dire à un ministre qu'il doit s'acquitter de ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles. La seule personne qui a ce pouvoir et cette autorité, c'est le premier ministre. Les premiers ministres se sont succédé pendant 45 ans, et il n'y en a pas encore un qui ait donné une directive à l'ensemble des ministères leur disant d'appliquer la loi dans son intégralité. Après 45 ans...

La sénatrice Charette-Poulin : J'aimerais remercier nos témoins pour leur présentation et leur implication. C'est très impressionnant. Vous prenez le temps de nous rappeler le fait que le bilinguisme au Canada est un principe et un statut au pays. Comme vous l'avez dit, madame Kenny, c'est un principe dont tous les premiers ministres se sont fièrement vantés. Quand ils vont à l'étranger, tous les premiers ministres parlent du fait que le Canada est un pays bilingue qui reconnaît le fondement même du pays.

J'ai écouté attentivement vos présentations et j'ai été frappée par une chose. Le règlement n'a pas été révisé depuis 20 ans, et vous avez parlé très clairement des changements sociaux qui ont eu lieu au cours des 20 dernières années et qui ne sont justement pas reflétés dans les services; la sénatrice Chaput a travaillé très fort pour refléter des changements techniques dans le cadre d'une loi actuelle, mais j'ai l'impression que vous êtes en train de nous demander pourquoi nous sommes obligés de mendier des services en français. Est-ce que je me trompe?

Mme Kenny : Non. Je regardais la semaine dernière l'émission La Facture sur la chaîne Radio-Canada; il était question d'une dame en fauteuil roulant qui parlait de cette loi qui doit faire en sorte que 10 p. 100 des chambres d'hôtel soient accessibles aux gens à mobilité réduite. Cette dame disait que ce n'est pas le cas, et que c'est humiliant d'être obligé de demander de l'aide aux gens. Moi, j'étais assise, je regardais cela et je ne pouvais pas m'empêcher de faire un parallèle avec ce que je vis comme francophone. Lorsque j'arrive à l'aéroport de Regina et qu'on me répond que, non, il n'y a pas de services en français, mais que quelques minutes plus tard, j'entends demander : « Does anybody speak Polish? I have a Polish traveller », alors qu'à moi, en français, on ne s'est pas « bâdré » — comme on dit en Acadie — de savoir s'il quelqu'un était capable de m'offrir le service en français. Ou encore, on me dit de me tasser : « Get back in line. I don't speak French. » C'est insultant, et on vit cela régulièrement.

Je ne veux pas passer sous silence les ministères et les institutions qui font des efforts exceptionnels, mais je ne comprends pas encore pourquoi on n'est pas capable d'appliquer cela. C'est un changement de culture, et, oui, on se sent comme des mendiants. Moi je rêve qu'un jour mon organisme n'ait plus sa pertinence. Ce jour viendra quand on respectera les droits des francophones et des anglophones qui vivent au Québec et lorsqu'ils pourront vivre ensemble.

Vous l'avez dit tout à l'heure. En Suisse, il y a quatre langues officielles et on réussit. Je ne pense pas qu'il y a des groupes comme nous qui sont obligés de se battre tous les jours pour faire respecter leurs droits.

La sénatrice Charette-Poulin : J'ai une question complémentaire. Compte tenu des changements proposés par le projet de loi S-205 de la sénatrice Chaput, pourriez-vous nous donner chacun un exemple de l'importance de l'épanouissement continu des communautés en situation minoritaire partout au pays, francophones et anglophones? Pourriez-vous me donner un exemple concret?

Mme Kenny : L'exercice qu'on fait à l'heure actuelle, c'est de redésigner les bureaux. Une communauté qui a eu une croissance en nombre et qui a perdu en proportion par rapport à la majorité, on lui dira : « Non seulement on ne va pas t'aider à t'épanouir, on va fermer tes bureaux, on ne t'offrira plus le service en français dans les bureaux. »

Comment contribuer à l'épanouissement d'une communauté quand, en plus de vivre en situation minoritaire, il n'y a plus de services offerts par le gouvernement fédéral dans notre langue? Comment cela peut-il contribuer à la vitalité?

M. Théberge : Des exemples, il y en a tellement. Tout d'abord, nos artistes, les créateurs, sont aussi des membres de la société. Donc, eux aussi veulent recevoir des services en français.

S'il faut donner un exemple, je donnerais peut-être celui d'un centre culturel qui, parce que la communauté a diminué, le financement qu'il recevait pour la programmation a été réduit. En fait, ce centre culturel francophone est souvent le noyau de la communauté, c'est l'organisme, c'est le parvis de l'église d'il y a 100 ans. C'est là où la communauté se rassemble et c'est là où elle vit.

Comme Mme Kenny le disait, si on commence à couper parce qu'il y a une diminution du nombre de personnes, en termes statistiques, c'est la communauté en entier qui souffre, et on finit par se pousser nous-mêmes vers une assimilation, vers des difficultés qui sont beaucoup plus grandes.

M. Boucher : Essentiellement, j'aimerais répondre de façon un peu plus linéaire dans le sens que, lorsqu'on parle de services dans ce contexte, c'est une question de vitalité, d'identité, et du rattachement aux institutions.

Je peux vous dire que, ce qui m'a frappé davantage dans ce projet de loi, c'est toute la notion d'identité. On ne reconnaît pas l'identité des gens qui pourraient se prévaloir de services dans ce contexte et qui font partie de la vitalité communautaire. Tout le monde doit répondre à des questions difficiles dans les recensements. Le président de mon organisme est Sénégalais, le français n'est pas sa langue maternelle et il n'est pas comptabilisé. Moi, je suis dans un mariage exogame.

Lorsque le recensement me demande quelle langue je parle le plus à la maison, je dois répondre que c'est l'anglais. Mais, encore une fois, moi qui œuvre dans la communauté depuis une trentaine d'années, c'est comme cela qu'on m'identifie. On peut parler de chiffres, on peut parler de toutes sortes de choses, mais à un moment donné, il est question de reconnaître des individus et une collectivité pour qui ils sont.

Ce n'est pas tout simplement un calcul, mais le calcul va nous amener, évidemment, à reconnaître cela. Alors, moi, je le vois davantage dans ce contexte-là.

La sénatrice Charette-Poulin : Une dernière question, rapidement. Étant donné que le gouvernement fédéral est tout de même un chef de file en matière de bilinguisme au Canada, si le projet de loi S-205 enrichissait le contexte actuel du bilinguisme au Canada, est-ce qu'il ne serait pas une source de vitalité pour que les entreprises privées dans nos communautés puissent offrir des services dans les deux langues? Qu'est-ce que vous en pensez, monsieur Boucher?

M. Boucher : Absolument. Les gens sont reconnus pour qui ils sont. Ils ont l'opportunité d'aller chercher un service dans une autre langue. Ils ont l'occasion, en ce moment, de le faire dans le secteur privé. Cependant, avec cet ajout, si le gouvernement fédéral joue un rôle de leadership et le définit comme tel, il ne devrait pas y avoir d'arguments après. En ce moment, il y a un argument. L'entrepreneur privé dira : « Je n'ai pas besoin de faire cela, le fédéral ne le fait pas. » Votre gouvernement ne le fait pas alors qu'on est un pays bilingue.

La sénatrice Charette-Poulin : Monsieur Théberge, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Théberge : En fait, si je reviens à ce que je disais tout à l'heure, selon Simon Brault, la culture, c'est la définition du « nous » collectif. Grâce aux modifications proposées dans le projet de loi S-205, en étant plus inclusif avec nos communautés, que nous nous retrouvions avec des Sénégalais, des Belges ou des Français qui font partie de notre communauté, à ce moment-là, nous acceptons aussi que la définition de notre culture soit quelque chose de vivant qui s'adapte avec les mouvements de nos communautés.

Ainsi, dans ce sens-là, les entreprises privées vont éventuellement, elles aussi, avoir à s'adapter à cette communauté-là.

Mme Kenny : Je voulais abonder dans le même sens que mes collègues.

La sénatrice Chaput : Je vais ajouter quelque chose à la question de la sénatrice Charette-Poulin. Brièvement, quel est le profil de vos membres en général? Monsieur Théberge, vous en avez parlé brièvement. Quel est le profil de toutes ces personnes capables de parler français?

M. Théberge : Nous sommes une fédération, donc nous rassemblons des organismes. On parle de 22 organismes membres qui représentent soit des artistes ou des industries culturelles de différentes industries et de différents secteurs artistiques, ou encore des organismes à caractère culturel communautaires. Donc, des organismes provinciaux et territoriaux.

La sénatrice Chaput : Pour ce qui est de parler le français, est-ce qu'il y a des obligations de pouvoir communiquer en français?

M. Théberge : Absolument. Nos membres sont tous des organismes francophones hors Québec. Quand je parlais, tout à l'heure, de 3 125 artistes professionnels, je parle ici de 3 125 artistes professionnels francophones hors Québec.

La sénatrice Chaput : Parmi ces artistes, la langue première est-elle toujours le français?

M. Théberge : Il faudrait approfondir la question, mais, effectivement, ces personnes sont engagées et s'identifient comme étant membres de cette communauté. Ce sont des gens qui s'expriment en français. Maintenant, à savoir si c'est leur langue maternelle ou pas, je ne peux pas vraiment répondre à la question en ce moment.

M. Boucher : Essentiellement, le critère que nous utilisons en ce qui a trait à nos membres, c'est le fait de pouvoir s'exprimer en français, évidemment. Qu'ils proviennent de l'extérieur du pays ou d'une école d'immersion, peu importe, cela n'a pas d'importance. Pour nous, le fait de vouloir s'exprimer en français est le critère selon lequel une personne fait automatiquement partie de nos communautés.

La sénatrice Chaput : Avez-vous une idée du pourcentage?

M. Boucher : Le pourcentage exact, non, mais quand on examine le nombre de francophones qui sont au Manitoba depuis 275 ans, il en reste encore, c'est clair. Des nouveaux arrivants, on en reçoit quelque 200 à 300 par année. Alors, le profil change énormément. Ça peut varier dans certaines écoles, mais l'expérience que j'ai eue avec mes enfants, c'est que, depuis une dizaine d'années, environ du tiers à la moitié sont de nouveaux arrivants.

Auparavant, ce n'était pas le cas. Pour ce qui est des personnes en immersion, c'est un système différent du nôtre, mais de plus en plus de gens s'y impliquent. Notre conseil d'administration compte présentement de nouveaux arrivants anglophones qui ont appris le français. Notre profil est assez varié en ce qui concerne les gens qui veulent utiliser le français, s'exprimer en français, travailler en français ou faire partie de cette communauté francophone.

La sénatrice Chaput : D'après vous, ce serait des francophones qui seraient intéressés à utiliser les services en français, mais qui ne seraient pas comptabilisés selon la présente définition?

M. Boucher : C'est exact.

Mme Kenny : On parle de 22 organismes. Nous sommes une fédération également, mais il y a un organisme par province — qui est l'organisme porte-parole, comme la SFM, par exemple — et par territoire, ainsi que des organismes à vocation sectorielle, comme dans les domaines de la culture et de la santé.

Ces gens représentent les citoyens d'expression française à l'échelle du pays. Si on utilise notre calcul et notre définition de francophone, on parle de 2,6 millions de francophones à l'extérieur du Québec, de langue maternelle française ou autre. Ce sont des gens qui ont choisi de vivre une partie de leur vie en français, peu importe leur langue maternelle ou leur origine.

La sénatrice Chaput : Madame Kenny, vous avez parlé brièvement, tout à l'heure, des services offerts par les ministères fédéraux à travers le Canada. Vous avez beaucoup d'expérience et beaucoup de connaissances, puisque vous avez occupé tellement de fonctions que je ne pourrais même pas les nommer.

Maintenant, avez-vous déjà songé à une réorganisation des services au sein de ces ministères fédéraux canadiens qui sont présentement désignés bilingues, partiellement ou complètement?

Mme Kenny : Une réorganisation?

La sénatrice Chaput : Une réorganisation des services pour qu'ils soient peut-être plus efficaces?

Mme Kenny : Les services en français?

La sénatrice Chaput : Oui.

Mme Kenny : Dans ma vie précédente, je ne vous cacherai pas que j'étais gestionnaire d'un programme national de langues officielles au sein d'une société d'État fédérale, en Saskatchewan. Vous pouvez peut-être deviner qu'il s'agissait de Financement agricole Canada. Donc, je me suis retrouvée de l'autre côté de la clôture.

À l'époque, nous avions un président-directeur général, John Ryan, qui était unilingue anglophone et qui est devenu un champion des langues officielles, à tel point qu'il a gagné le prix de la commissaire aux langues officielles.

Il avait constaté qu'il fallait opérer un changement de culture et que, pour démarquer Financement agricole Canada, qui est un prêteur agricole du marché, on devait accorder la priorité au service, d'abord. Pour lui, un service de qualité, c'était un service offert dans sa langue. Il n'y avait pas de compromis à faire.

Donc, sans autre budget qu'une partie de mon salaire et celui de mon adjointe, un changement s'est opéré sur le plan culturel. Une volonté s'est opérée pour faire en sorte que nous offririons des services dans tous les bureaux désignés bilingues et que, dans les bureaux non désignés bilingues, où nous recevions des demandes de la part d'agriculteurs qui voulaient faire affaire avec nous, nous allions envoyer un employé qui parlait français.

J'étais là à l'époque de la dernière révision du règlement à Financement agricole Canada. À cette époque, le Secrétariat du Conseil du Trésor avait décidé que deux ou trois de nos bureaux n'allaient plus être désignés bilingues. John Ryan a précisé qu'il y avait des clients anglophones et francophones dans ces bureaux-là, y compris un au Québec, et que le service allait faire la différence pour nous. Il a décidé de maintenir la désignation bilingue malgré la recommandation du commissaire.

Il n'y a pas de coûts financiers liés à cela. Il faut une volonté. On pourrait décider, demain matin, de désigner bilingues les bureaux d'un bout à l'autre du pays et de trouver les moyens d'offrir un minimum de services — on a parlé tantôt d'un projet pilote de Service Canada qui avait permis d'offrir à tout le monde un minimum de services —, et dans les bureaux désignés bilingues où il y aurait une vitalité institutionnelle, où il y aurait une communauté et un besoin, le service complet. Je l'ai vécu sans budget, et M. Ryan a reçu un prix de la part de la commissaire de l'époque, Dyane Adam.

La présidente : Quel lien voyez-vous entre le projet de loi qui propose une modernisation de la partie IV de la Loi sur les langues officielles et la partie VII qui parle de l'épanouissement des communautés?

Mme Kenny : Le lien est très important. Si on ne m'offre pas le service, comment voulez-vous que je m'épanouisse? Comment voulez-vous que je continue à évoluer?

Je pense à mon collègue qui parlait d'une plainte qui a été déposée. Le règlement, tel qu'il est conçu actuellement, va à l'encontre de la Loi sur les langues officielles. On ne peut pas s'épanouir si on continue à diminuer nos services.

Je faisais tout à l'heure une analogie avec une plante. On va consacrer moins d'argent à la petite communauté, parce que c'est un centre communautaire où il y a moins de gens, et celle où il y en a davantage, on va lui offrir plus d'argent. Comment peut-on parler de services équitables et égaux? Comment cette petite plante qui a moins d'engrais, moins d'eau et moins de soleil parce qu'elle est plus petite va-t-elle s'épanouir comme la plus grande plante qui, elle, aura tous les moyens et toutes les ressources? C'est un non-sens.

La présidente : Vous avez mentionné le concept d'égalité réelle dans vos commentaires préliminaires. Comment voyez-vous l'application de ce principe — qui a été évoqué dans la jurisprudence — dans le projet de loi?

Mme Kenny : Dans le projet de loi?

La présidente : Le projet de loi proposé par la sénatrice Chaput.

Mme Kenny : Je vais vous donner la définition de l'égalité réelle. Mes collègues voudront peut-être ajouter quelque chose.

L'égalité réelle ne veut pas dire que vous allez m'offrir la même chose de la même façon. Prenons un exemple fictif. Dans une communauté, disons, chez moi, à Regina, en Saskatchewan, Service Canada décide d'offrir une formation et détermine que, dès que 50 francophones s'y inscrivent, il offre la formation X. Il n'y aura peut-être pas 50 inscriptions de francophones à Regina, on baissera peut-être alors le seuil à 20 inscriptions pour s'adapter. Il s'agit là de prendre des moyens pour offrir le même genre de service tout en tenant compte des spécificités de la communauté.

M. Théberge : J'ajouterais simplement un autre exemple. Lorsqu'on parle de communication, l'égalité réelle, ce n'est pas de faire une chose pour répondre à tous, mais d'adapter les méthodes de livraison. Dans l'ère d'aujourd'hui, où Radio-Canada est touchée de certaines manières, nous savons tous que, dans certaines communautés, Radio-Canada est le seul livreur de services, donc ils doivent effectivement être utilisés.

Dans d'autres communautés, comme à Chéticamp, en Nouvelle-Écosse, où la radio communautaire a non seulement une cote d'écoute d'environ 96 p. 100 de la communauté, mais aussi un taux de confiance de 98 p. 100 de la communauté, peut-être faut-il y utiliser plutôt la radio communautaire de Radio-Canada. Il y a certaines régions où, effectivement, il faut repenser à nos méthodes de livraison pour arriver à cette égalité.

La radio communautaire est un très bon exemple dans plusieurs communautés francophones. Dans d'autres, ce sont les journaux communautaires qui sont très actifs et qui ont une emprise sur la communauté. Rappelons-le, le contenu de ces médias provient souvent de la communauté et ils ont déjà créé un lien. Il ne faut pas réinventer la roue, ici, mais utiliser ce qui existe déjà.

La présidente : Merci pour ses précisions. Ne voyant pas d'autres sénateurs qui désirent poser des questions, j'aimerais, au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, remercier très sincèrement nos participants d'aujourd'hui.

Je vous remercie de votre engagement. Merci de votre passion. Merci d'avoir partagé vos propos avec nous. Il est certain que cela nous aidera dans le cadre de notre étude du projet de loi.

Nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes afin de laisser nos prochains témoins s'installer.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Honorables sénateurs, nous continuons notre étude du projet de loi S-205. Nos prochains témoins sont M. James Shea, vice-président, ainsi que M. Stephen D. Thompson, directeur de la politique stratégique, de la recherche et des affaires publiques de Quebec Community Groups Network.

J'invite les témoins à donner leur présentation et, par la suite, les sénateurs poseront leurs questions.

[Traduction]

James Shea, vice-président, Quebec Community Group Network : Bonjour, madame la sénatrice Tardif, bonjour, madame la sénatrice Fortin-Duplessis, et bonjour, honorables sénateurs du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Nous sommes heureux d'être de retour devant le comité pour vous communiquer nos observations et nos commentaires sur le projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles.

Je suis vice-président du Quebec Community Group Network. Aujourd'hui, je suis accompagné de Stephen Thompson, spécialiste et directeur de la politique stratégique, de la recherche et des affaires publiques.

Nous aimerions féliciter la sénatrice Chaput de continuer de consulter le QCGN en tant qu'organisme représentant les minorités de langue anglaise du Canada, que nous appelons collectivement les communautés anglophones du Québec. Comme vous le savez, notre communauté représente la moitié des Canadiens qui vivent dans une communauté de langue officielle en situation minoritaire. Nous avons un intérêt particulier à l'égard des lois ou des règlements fédéraux qui ont des répercussions sur la Loi sur les langues officielles.

La doctrine de la dualité linguistique et le libellé de la Constitution établissent clairement l'égalité du français et de l'anglais, nos deux langues officielles. Même si le droit de communiquer avec le gouvernement du Canada et d'en recevoir les services dans notre langue officielle est restreint, le gouvernement a le devoir de repousser constamment ces limites.

La vision du projet de loi S-205 est certainement de faire progresser les langues officielles. Ce projet de loi ambitieux vise à garantir l'égalité de la qualité des communications et des services offerts par les institutions fédérales dans les deux langues officielles et à modifier de façon importante la façon dont la demande est définie pour répondre aux obligations de la partie IV. Il intégrerait également dans la loi des éléments actuellement visés par le règlement, ce qui procurerait une certaine stabilité. On mènerait plus de consultations auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire, et les deux langues officielles seraient davantage présentes et accessibles aux voyageurs.

Le QCGN a appuyé les différentes versions du projet de loi S-205, qui à notre avis représente une évolution naturelle et nécessaire de la Loi sur les langues officielles. Les membres du QCGN sont très impressionnés par le paragraphe 5(2) du projet de loi, car il augmenterait de façon importante le calcul de la demande publique au Québec.

La demande de la population dans des régions métropolitaines telles le Saguenay, la ville de Québec et Trois-Rivières passerait de moins de 2 p. 100 de la communauté majoritaire à 20, 36 et 28 p. 100 respectivement.

La demande de la population de la région d'Ottawa-Gatineau passerait de 17,3 p. 100 à 64 p. 100. Notre compréhension du paragraphe 5(2) ne sera pas complète avant que le comité entende le Secrétariat du Conseil du Trésor qui, par coïncidence, mène l'exercice de révision post-décennal de l'application du Règlement sur les langues officielles.

L'une des raisons d'être de la Loi sur les langues officielles est d'« appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et de faire progresser l'égalité du statut de l'utilisation de l'anglais et du français. » Toutes les parties doivent être examinées et considérées comme étant interdépendantes.

Toutefois, nous nous demandons si l'expansion de la demande de la population en vertu de la partie IV de la loi diluera les ressources ciblées pour remplir les obligations de la partie VII. Le projet de loi S-205 ajoute le nombre de personnes en mesure de communiquer dans la minorité, c'est-à-dire les Canadiens bilingues, au calcul de la demande de la population. Toutefois, les approches actuelles liées aux engagements du gouvernement du Canada en vertu de l'article 41 de la loi visent seulement les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire.

La définition de ces communautés — la façon dont on détermine leur composition — dépend des règlements. L'intégration des notions de la partie VII dans la partie IV de la loi pose-t-elle des risques? Pouvons-nous avoir le beurre et l'argent du beurre?

Nous remarquons également l'évolution de la façon dont les services fédéraux sont offerts aux Canadiens. Les services offerts directement au comptoir sont de moins en moins communs à mesure que les Canadiens choisissent d'avoir accès aux services par téléphone ou en ligne. Il est beaucoup plus facile de fournir des services de qualité égale dans les deux langues officielles de cette façon, mais cela dilue le contact et le contexte régional et l'interaction avec le gouvernement fédéral devient une expérience beaucoup plus individuelle. Les mécanismes de consultation que le projet de loi S-205 intégrera à la partie IV seront touchés par cette approche individuelle de la prestation des services.

Enfin, nous sommes préoccupés par le risque politique que pourrait poser la mise en œuvre du projet de loi S-205 au Québec. Encore une fois, nous nous en remettons aux experts du Secrétariat du Conseil du Trésor. Toutefois, nous ne croyons pas que le projet de loi aurait des répercussions importantes au Québec. Mais c'est différent en ce qui concerne la perception. Sera-t-on tenté de territorialiser les répercussions du projet de loi?

Mesdames et messieurs les sénateurs, le QCGN est heureux d'appuyer un projet de loi qui améliore nos droits linguistiques constitutionnels conférés par l'article 20, et il accueille à bras ouverts les occasions d'améliorer la Loi sur les langues officielles du Canada.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Shea.

La sénatrice Charette-Poulin : Merci, monsieur Shea, et merci, monsieur Thompson, de comparaître devant le comité. Monsieur Shea, il est intéressant de noter à quel point votre exposé nous rappelle que l'histoire du bilinguisme officiel a sa propre version dans chaque région du pays, et que la mise en œuvre des modifications apportées à la Loi sur les langues officielles s'effectuera probablement de façon très différente dans chacune de ces régions.

Vous avez cité des chiffres pour illustrer les avantages du projet de loi pour la communauté anglophone du Québec. Pourriez-vous me donner un exemple de la façon dont la prestation des services serait améliorée?

M. Shea : Je vais demander à M. Thompson de répondre à cette question. Je n'essaie pas d'éviter la question, mais j'ai adopté une approche différente en ce qui concerne les langues, car mes antécédents sont manifestement dans le domaine de l'éducation, et mon point de vue est davantage lié à ce domaine qu'à la prestation des services. Je m'en remets donc à vous, monsieur.

Stephen D. Thompson, directeur de la politique stratégique, de la recherche et des affaires publiques, Quebec Community Groups Network : La majorité de notre population, c'est-à-dire plus de 90 p. 100, habite dans les régions métropolitaines de recensement, ou les RMR, et nous collaborons très étroitement avec Service Canada, qui fait un excellent travail en ce qui concerne les consultations auprès du QCGN et la communauté pour la prestation de services aux Canadiens par l'entremise du QCGN. Nous continuons de travailler avec le Secrétariat du Conseil du Trésor dans l'exercice actuel.

Nous pensons que les effets du projet de loi seraient relativement neutres pour la plupart des Québécois anglophones. Les deux seules communautés qui profiteraient d'une augmentation des services offerts seraient celles du Saguenay et de Trois-Rivières.

La sénatrice Charette-Poulin : Ce sont également des régions importantes.

M. Thompson : Oui.

La sénatrice Charette-Poulin : Mais vous appuyez le projet de loi.

M. Thompson : Bien sûr.

La sénatrice Charette-Poulin : Parce que nous avons discuté de son principe fondamental avec les témoins du groupe précédent.

Selon votre expérience — et nous avons parlé en privé, monsieur Shea, de votre expérience avec l'organisme Parents for French —, comment le projet de loi appuierait-il les autres organismes?

M. Shea : Je présume que je vois les choses selon la perspective qu'une plus grande partie des membres de notre communauté se dirigent vers le bilinguisme, car ils choisissent — au lieu d'y être obligés — de demander un service dans une langue ou une autre. C'est notre droit, et je trouve qu'un plus grand nombre de personnes choisissent de faire cette distinction.

Un anglophone qui apprend à utiliser le français souhaite parfois pouvoir demander le service en français, afin d'améliorer sa capacité de communiquer dans cette langue et de la comprendre. Ce n'est pas nécessaire, mais on souhaite avoir cette occasion.

Manifestement, le contexte des institutions fédérales est un bon endroit pour profiter de ce genre d'occasion, puisque ces institutions doivent répondre à cette demande. On pourrait faire valoir que si une personne pose une question en français et que l'employé au comptoir donne l'impression de souhaiter parler en anglais, eh bien, la réalité, c'est que si une personne s'exprime en français dans une situation, l'autre personne devrait répondre en français, même si le français n'est pas aussi impeccable que le souhaiterait la personne qui reçoit le service.

Le sénateur Wells : Vers la fin de votre exposé, monsieur Shea, vous avez indiqué — et la question peut être posée à la personne la mieux placée pour répondre — que vous êtes préoccupé par le risque politique qui accompagne la mise en œuvre du projet de loi S-205 au Québec. Je me réfère au résumé législatif du projet de loi S-205 et, essentiellement, il vise à préciser les obligations du gouvernement fédéral relativement à la partie IV, qui concerne les communications avec la population et les services qui lui sont offerts, ainsi qu'à la partie VI, qui concerne des domaines comme les consultations et les règlements proposés.

À votre avis, quel risque cela pourrait-il poser, surtout pour le Québec, mais également pour d'autres régions du Canada?

M. Thompson : Le changement fondamental dans le règlement ou dans la loi, que la loi propose au lieu du règlement — et nous comprenons cela un peu différemment que les témoins précédents —, c'est qu'en ce moment, une demande importante est calculée selon la première langue officielle parlée. En effet, dans l'article 4 du Règlement de la Loi sur les langues officielles, on ne retrouve pas un calcul fondé sur la langue maternelle, mais un calcul fondé sur la première langue officielle parlée.

Recensement Canada effectue ce comptage depuis plusieurs années. Si vous consultez le recensement actuel et un profil de collectivité, vous pouvez extraire son profil linguistique. Vous obtiendrez un chiffre et un pourcentage de cette collectivité, et selon le règlement en vigueur, il faut 5 000 et 5 p. 100.

C'est la procédure actuelle. Le projet de loi propose plutôt de compter les gens qui peuvent parler la langue officielle.

Les taux de bilinguisme les plus élevés au pays se trouvent au Québec. C'est la cohorte anglophone bilingue la plus nombreuse, et cela ne devrait pas être surprenant au Québec, car c'est une langue minoritaire au Canada, qu'il y ait un taux de bilinguisme très élevé chez les francophones du Canada.

Nous comprenons pourquoi les autres communautés seraient intéressées, et il pourrait être possible, sur le plan politique, de compter le nombre de Canadiens qui parlent français et qui font partie d'une communauté francophone à l'extérieur du Québec.

Serait-il possible de compter les Québécois francophones comme anglophones pour la prestation de services en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles? C'est le risque politique. Vous avez entendu les nombres que nous avons cités aujourd'hui, et qui augmentent la proportion de la population de Gatineau, par exemple, de 17 à 60 p. 100. Imaginez que les habitants du Saguenay apprennent, du jour au lendemain, que 30 p. 100 de la population est anglophone. Cela pourrait créer une certaine confusion.

La façon dont cette mesure serait mise en œuvre et la façon dont elle serait concrétisée pourraient poser un certain risque sur le plan politique.

Le sénateur Wells : Merci. J'aimerais poser une autre question, si vous me le permettez, madame la présidente.

La présidente : Est-ce sur le même sujet?

La sénatrice Poirier : Je peux poser ma question ensuite.

La présidente : Dans ce cas, allez-y, sénateur Wells.

Le sénateur Wells : Merci beaucoup. Les membres du QCGN ont-ils un avis sur la façon dont les modifications à la Loi sur les langues officielles pourraient être plus efficaces? Encore une fois, plus loin dans votre exposé, vous n'avez pas parlé du projet de loi S-205 en termes précis, mais en général, de la façon dont les changements à la Loi sur les langues officielles pouvaient être effectués.

M. Thompson : Le projet de loi S-205 est un projet de loi d'initiative parlementaire, et les projets de loi d'initiative parlementaire ont déjà eu des répercussions sur la Loi sur les langues officielles. L'an dernier ou l'année précédente, nous avons vu le... Je n'arrive pas à m'en souvenir. Nous avons appuyé le projet de loi d'initiative parlementaire à la Chambre et nous avons témoigné à son sujet pour les hauts fonctionnaires du Parlement. Nous l'avons appuyé. C'était un projet de loi d'initiative parlementaire, mais il avait l'appui de tous les partis et il s'est rendu jusqu'à la Chambre et ensuite, évidemment, il est devenu une loi.

Nous pensons que les langues officielles représentent l'un des éléments centraux du Canada dont on veut toujours garantir la réussite. Je ne crois pas que l'échec d'un projet de loi sur les langues officielles profitera à qui que ce soit. On ne veut pas créer des attentes pour ensuite décevoir les gens.

Nous pensons donc que toutes les modifications à la Loi sur les langues officielles, peu importe leur origine, devraient toujours être présentées de façon à obtenir le plus grand appui possible, afin de garantir leur réussite ou de leur donner toutes les chances de réussir.

L'autre observation que nous aimerions formuler au sujet du projet de loi S-205, c'est que les modifications à la partie IV de la loi — du moins au Québec, comme nous l'avons constaté grâce aux données que nous avons présentées aujourd'hui, et nous pensons que c'est la même chose dans le reste du pays — semblent exiger l'utilisation d'un plus grand nombre de ressources gouvernementales pour fournir ces ressources. Il serait peut-être préférable que les projets de loi qui exigent ce type d'engagement soient présentés par la Chambre. Ce sont nos observations sur le projet de loi.

La sénatrice Poirier : Ma question fait suite à certains des commentaires que vous avez formulés en réponse à la question du sénateur Wells sur les risques potentiels.

Je présume que ma question est plutôt un commentaire, mais étant donné que je viens du Nouveau-Brunswick, une province officiellement bilingue, nous avons été confrontés à un risque similaire à celui que vous venez de décrire, c'est-à-dire qu'il y a quelques années, le gouvernement de l'époque a décidé que toutes les municipalités du Nouveau-Brunswick, qu'elles soient francophones ou anglophones, devaient soudainement veiller à ce que toutes leurs activités soient traduites et offertes aux deux communautés si un certain pourcentage de leur population faisait partie du groupe minoritaire — il y avait un pourcentage minimal.

Pas tellement loin de chez moi, il y a une localité dont le maire, tous les conseillers ainsi qu'une bonne partie de la population étaient anglophones. Personne n'avait jamais demandé que tout soit traduit. Cette localité s'est retrouvée juste au-delà de la ligne de démarcation de telle sorte qu'elle a dû assumer un fardeau important, car elle ne disposait pas des ressources humaines et financières nécessaires pour faire traduire ses arrêtés municipaux et tous les autres documents requis. Je me rappelle que le gouvernement provincial a alors dû intervenir pour aider financièrement la municipalité afin qu'elle puisse embaucher le personnel nécessaire à cette fin.

La situation était frustrante pour certaines localités — pas toutes — qui ont dû composer avec cette obligation en sachant qu'il n'y avait jamais eu de besoin ou de demande au sein de la communauté, celle-ci étant majoritairement anglophone.

Monsieur Shea, vous avez indiqué tout à l'heure que vous estimiez que ce projet de loi est un pas dans la bonne direction tout en exprimant des craintes quant à la capacité pour le Québec de mettre en œuvre ces dispositions, sans doute encore une fois en raison de considérations financières. Je voulais simplement souligner que des mesures semblables peuvent parfois entraîner certaines difficultés. Ces mesures peuvent être valables ou non, mais il faut considérer le portrait d'ensemble en n'ignorant pas qu'il y aura des écueils et des risques. C'est simplement une observation que je voulais faire.

La présidente : Des commentaires?

M. Shea : Il faut reconnaître que nous vivons dans une province qui a légiféré de façon assez pointue en matière linguistique et que nous devons vivre avec cette loi, y adhérer et la respecter. Nous devons parfois choisir quel chapeau porter selon l'instance à laquelle nous nous adressons pour discuter des enjeux et des droits linguistiques.

Il faut qu'il soit bien clair que nous parlons ici des services fédéraux auxquels nous avons droit. Lorsque nous avons recours à des services publics, il arrive que nous ne sachions pas exactement à quel gouvernement nous avons affaire. Il est parfois bon de se poser la question.

Le sénateur McIntyre : Messieurs, je vous remercie pour vos exposés. Votre organisation sans but lucratif fondée en 1994 réunit 41 groupes communautaires anglophones de toutes les régions du Québec.

Jouissez-vous d'un soutien unanime de ces groupes pour appuyer le projet de loi S-205, ou est-ce seulement partiel?

M. Shea : Comme je suis également président d'une association régionale, c'est dans cette perspective-là que je vais vous répondre. J'imagine que cela peut varier d'une région à l'autre, mais je peux vous assurer que les membres de mon association y sont vraiment favorables.

Je préside aussi le comité responsable des adhésions et nous ne ménageons pas les efforts pour accueillir de nouveaux membres. Nous notons d'ailleurs une croissance à ce chapitre, car le QCGN est perçu à juste titre comme l'instrument le plus à même de canaliser les énergies des associations régionales.

Je ne sais plus si vous avez parlé d'un soutien unanime. Il est difficile d'obtenir l'unanimité des associations régionales, car chacune d'elles a son caractère distinct dans la réalité des choses. Mais je peux vous assurer que le réseau des communautés anglophones soutient sans réserve notre prise de position.

Le sénateur McIntyre : Vous avez donc l'appui de la majorité?

M. Shea : Oui.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Thompson, vous avez quelque chose à ajouter?

M. Thompson : Notre vice-président a tout à fait raison. Comme ce projet de loi est le fruit des plus récents efforts de la sénatrice Chaput, je peux vous garantir qu'il y a vraiment consensus au sein de nos membres. En effet, lorsque les premiers projets de loi en ce sens ont été présentés, nous les avons consultés directement afin d'établir notre position de départ. Nos membres sont tenus au fait de nos activités chaque semaine et reçoivent des nouvelles du réseau tous les trimestres. Nos assemblées générales ont permis d'adopter des résolutions concernant les principes que nous défendons. C'est ainsi que notre vice-président peut affirmer qu'il y a consensus en faveur de notre position.

La sénatrice Chaput : Le projet de loi S-205 vise à modifier la partie IV de la loi qui porte sur les communications et les services au public dans les établissements fédéraux. Combien y a-t-il de bureaux fédéraux au Québec?

M. Thompson : Je l'ignore.

La sénatrice Chaput : Combien de ces bureaux fédéraux offrent déjà des services en anglais? En avez-vous une idée?

M. Thompson : Je pourrais vérifier. Il est très facile de faire des recherches dans la base de données Burolis. Je l'ai consultée pour préparer ma comparution d'aujourd'hui, et nous l'avons aussi utilisée pour notre travail auprès du Conseil du Trésor. Nous sommes très satisfaits du nombre de points de service offrant des services bilingues.

La sénatrice Chaput : J'ai les chiffres en question dans mon bureau, mais je ne les ai pas avec moi. Quoi qu'il en soit, d'après ce que nous avons pu trouver sur Burolis, la plupart des bureaux fédéraux au Québec offrent déjà des services dans les deux langues officielles. Il y en a très peu qui ne le font pas. Vous n'avez pas les chiffres; je ne les ai pas non plus, mais c'est ce que j'ai pu lire.

Je pense que vous pouvez convenir avec moi que vous ne perdrez jamais votre langue, car l'anglais est omniprésent. En raison de nombreux facteurs qui ne relèvent de leur contrôle, les francophones hors Québec pourraient toutefois perdre la leur s'ils n'ont pas accès aux services leur permettant de vivre en français dans leur province. Vous êtes d'accord?

M. Thompson : Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites concernant la minorité francophone. En revanche, si ce n'est effectivement pas de sitôt que nous risquons de perdre notre langue, il y a des communautés anglophones au Québec qui disparaissent, qui cessent tout simplement d'exister. C'est donc un risque bien réel.

La sénatrice Chaput : Ce serait alors attribuable à la vitalité de la communauté?

M. Thompson : Comme le soulignait tout à l'heure le sénateur Wells, le concept de vitalité d'une communauté n'est pas défini dans la loi, mais bien dans la pratique. La vitalité est fonction du contrôle qu'exerce la communauté sur une quantité significative d'infrastructures locales, et de sa capacité à se renouveler et à gérer ses propres affaires.

La sénatrice Chaput : Nous nous connaissons tous les deux depuis bon nombre d'années. Je suis toujours très honnête avec vous, et vous l'êtes également. J'ai du mal à comprendre ce risque de répercussions politiques dont vous avez parlé quand on sait que la plupart des bureaux fédéraux au Québec offrent déjà des services dans les deux langues officielles. Il est dommage que je n'aie pas ces chiffres en main, mais c'est tout de même une chose dont je suis certaine. Alors, même en sachant que de nombreux Québécois sont bilingues, quelles seraient donc ces répercussions politiques?

M. Thompson : Sénatrice, nous avons indiqué très clairement dans notre mémoire que nous ne pensons pas que ce projet de loi aura beaucoup d'impact au Québec. Les perceptions sont toutefois une chose différente. Sans vouloir vous servir un avertissement ou quoi que ce soit de la sorte, nous vous invitons à vous demander quels seront les grands titres quand le gouvernement fédéral appliquera sa méthode de calcul pour l'offre de ces services qui, j'en conviens tout à fait avec vous, sont déjà accessibles. Les affichettes Français/English sont déjà là. Quelles seront les manchettes au Québec lorsque le calcul pour ces affichettes bleues et blanches délaissera les seuils actuels de 5 000 et 5 p. 100 pour appliquer le critère de la compréhension de la langue, et que la ville de Saguenay passera du jour au lendemain d'une proportion de 1,4 p. 100 à un taux de 20 p. 100? Un tel changement est assorti d'un risque politique qui n'a pas grand-chose à voir avec la réalité comme vous le savez pertinemment, madame la sénatrice, vu votre riche expérience politique.

La sénatrice Chaput : Je comprends. Merci

[Français]

Le sénateur Maltais : Monsieur Shea, monsieur Thompson, je vous remercie beaucoup de votre présence parmi nous. J'ai particulièrement apprécié la teneur de vos discussions et de votre mémoire, ainsi que votre fine connaissance des débats linguistiques au Québec.

J'imagine que vous savez fort bien que, aussitôt le projet de loi S-205 adopté, il sera inévitablement contesté devant les tribunaux au Québec. La province de Québec a pleine juridiction en matière de politique linguistique, ainsi, le gouvernement fédéral ne peut imposer sa loi.

Dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, que ce soit à la base de Bagotville, au Centre de la main-d'œuvre ou chez Service Canada, les services sont offerts dans les deux langues, mais de là à les imposer, il y a une marge. Cela aurait l'effet d'une bombe atomique.

Je représente le district sénatorial de Shawinigan qui comprend la ville de Trois-Rivières. À Trois-Rivières, nous avons une école de la marine royale. Nous avons également un régiment à Shawinigan, qui compte 800 cadets. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la majorité des membres du poste de commandement proviennent de Montréal. Ce sont des anglophones qui ont accepté de venir vivre dans des régions majoritairement francophones. Je les côtoie régulièrement et je n'ai jamais entendu de plaintes de leur part.

Je donne tout à fait raison à la sénatrice Chaput de vouloir protéger la dualité linguistique dans sa région, mais ayant été de tous les combats depuis le projet de loi 63, je vous assure qu'il aura l'effet d'une bombe au Québec. Vous l'avez mentionné, vous en êtes conscients.

Le gouvernement du Québec a décidé de légiférer sur sa langue officielle en acceptant de protéger la minorité anglophone. Je vais donner un exemple bien concret, parce que vous êtes Montréalais. Les défenseurs de la langue anglaise proviennent trop souvent de Montréal. Je vais vous dire pourquoi. On a l'impression qu'il n'y a pas de problème de langue anglaise si on ne vient pas de Montréal.

Sur la Basse-Côte-Nord, que vous connaissez sans doute, on retrouve une dizaine de villages totalement anglophones où ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement provincial n'offrent de services en français; personne ne s'est jamais plaint de cela.

Au Labrador, les communautés autochtones ont l'anglais comme deuxième langue; tous les services leur sont offerts en anglais, ils ne sont privés d'aucun service.

Si les minorités francophones hors Québec bénéficiaient de la protection de la loi 86, je crois qu'elles seraient très heureuses. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

M. Shea : Je ne suis pas de Montréal.

M. Thompson : Je ne sais pas trop par où débuter.

M. Shea : Permettez-moi de commencer. J'aimerais d'abord rétablir un peu les faits. On n'a pas raison de croire au Québec que tous les gens brillants viennent de Montréal. Ainsi, je suis moi-même du Pontiac, une région soumise à des influences similaires du fait de sa proximité avec la rivière des Outaouais et l'Ontario. Le risque de voir une communauté disparaître n'est donc pas vraiment très élevé dans une région comme l'Outaouais.

Si je puis exprimer un point de vue personnel, j'ai l'impression que les familles et les communautés s'entremêlent de plus en plus. Les choses ne sont pas aussi clairement définies que l'on aurait voulu qu'elles le soient il y a 30 ou 40 ans. Ainsi, nous, qui étions des anglophones en colère, sommes maintenant des anglophones qui veulent apprendre le français et s'intégrer à la communauté québécoise.

Mais si on estime que des services doivent encore être offerts au Canada dans les deux langues officielles, que ce soit en français au Manitoba ou en anglais à Trois-Rivières, je pense que nous devons au sein de nos organisations respectives défendre les intérêts de nos homologues de part et d'autre de l'équation. Nous voudrions ainsi que les Franco-Manitobains puissent nous appuyer dans quelques-unes de nos revendications pour le maintien des services en anglais au Québec.

Nous établissons des alliances entre les communautés linguistiques en situation minoritaire. Certains parmi nous ne sont pas à l'aise avec l'idée que nous formons une minorité au Québec. Nous préférons nous voir comme un sous-ensemble de la majorité, mais nous avons appris à composer avec cette perception.

Comme l'indiquait Stephen, il peut être très difficile d'établir les paramètres définissant une communauté, car celle-ci ne correspond pas nécessairement à une région géographique donnée. C'est un ensemble de personnes qui souhaitent communiquer entre elles pour des raisons bien précises. À notre époque, il pourrait même s'agir d'une communauté reliée par voie électronique. Mais je m'éloigne du sujet.

Je pense que nous devons toujours demeurer aux aguets afin d'être prêts à appuyer le maintien des services dans la langue de la minorité, que cela nous touche directement ou non.

Je n'ai pas répondu à votre question, mais votre longue intervention prenait de toute manière davantage la forme d'une déclaration. Je me suis dit que cela me donnait le droit d'y aller moi-même de ma petite déclaration. Je devrais peut-être siéger comme sénateur.

M. Thompson : D'abord et avant tout, il est peut-être bon de rappeler que la Loi sur les langues officielles s'applique aux institutions fédérales et aux entreprises sous réglementation fédérale. Le gouvernement fédéral a parfaitement le droit d'administrer ses propres institutions, de déterminer la langue qu'on y utilisera, comme le prévoit la Constitution, et de préciser ainsi les droits linguistiques constitutionnels dont jouissent les Canadiens et, par le fait même, les Québécois.

J'ajouterais par ailleurs que les sénateurs membres de ce comité ont pu en apprendre beaucoup sur notre situation grâce à leur visite des communautés anglophones du Québec. On a ainsi pu dissiper bon nombre des mythes qui circulent à propos de notre communauté.

Nous encourageons toujours les gens que nous rencontrons pour la première fois à lire le rapport du Sénat sur cette visite. Ce rapport demeure pour nous un outil très efficace pour déboulonner les mythes à notre sujet. Ainsi, la perception d'une minorité choyée vivant à Montréal et jouissant de ses propres institutions, de tous les services nécessaires et de toutes les protections offertes par le gouvernement du Québec, n'est pas conforme à notre réalité.

Nous livrons actuellement un combat important pour conserver la garde et le contrôle des institutions de santé et de services sociaux que nous avons nous-mêmes mises en place et qui risquent maintenant de nous être enlevées par décret gouvernemental. Alors, la minorité anglophone du Québec vit ses propres difficultés, comme toutes les autres communautés minoritaires.

En outre, nous ne croyons pas utile de comparer les avantages dont jouit une minorité aux avantages ou aux désavantages d'une autre minorité. À notre point de vue, nous sommes tous dans le même bateau. Toutes les fois que nous comparaissons à Ottawa ou que nous participons à un dialogue national, j'ose espérer — c'est du moins notre intention — que nous défendons avec autant de ferveur les droits des minorités francophones du reste du Canada que nous le faisons pour ces hommes, ces femmes et ces enfants de la Basse-Côte-Nord au Québec qui ne bénéficieront pas cet hiver d'un service de traversier en raison des restrictions gouvernementales. Ces gens-là n'auront plus accès à des légumes frais, ne pourront plus se rendre à l'hôpital ni revenir à la maison pour Noël ou pour les congés scolaires. Ils sont totalement isolés.

Cela fait partie des réalités du Québec anglophone.

[Français]

Le sénateur Maltais : Madame la présidente, je ne peux pas laisser passer cette affirmation, qui est totalement fausse. Monsieur Thompson, avec tout le respect que je vous dois, je connais le Québec par cœur, autant les municipalités anglophones que francophones. Cependant, lorsque vous avancez des choses comme celles que vous venez de dire en dernier, vous devez être sûrs. Dans le moment, je ne peux vous croire, malheureusement. Merci, madame la présidente.

La présidente : D'abord, j'aimerais vous remercier d'avoir fait mention d'un rapport que le Comité sénatorial permanent des langues officielles a préparé sous la présidence de la sénatrice Chaput.

[Traduction]

Ce très important rapport intitulé L'épanouissement des communautés anglophones du Québec : du mythe à la réalité a été rédigé il y a quelques années déjà.

Vous avez soulevé un élément important en soulignant que les membres de la communauté anglophone sont plus nombreux à demander des services en français lorsqu'ils font un choix entre les deux langues. C'est une considération importante qui va dans le sens de votre appui à ce projet de loi du fait que de plus en plus de Québécois anglophones choisissent maintenant de parler et d'étudier en français, et de devenir bilingues.

M. Thompson : J'aimerais apporter une précision, sénatrice. C'est peut-être ce que l'on peut constater, mais pas dans le contexte des institutions fédérales où chacun a le droit constitutionnel de demander des services dans sa propre langue. Il ne faut pas oublier que 350 000 Québécois anglophones ne parlent pas le français.

La présidente : Non, je comprends. Je pensais toutefois que c'était un élément important à souligner.

La sénatrice Chaput : J'ai une question, mais j'aurais d'abord quelques réflexions à partager avec vous deux ainsi qu'avec mes collègues du comité.

Je sais que des questions semblables peuvent devenir des enjeux politiques. Je n'aime pas cela, je ne suis pas d'accord et je ne l'accepte pas, mais c'est quand même un fait. Je ne peux pas accepter qu'une question de droits puisse se transformer en enjeu politique. Je ne pourrai jamais l'accepter, car mes droits linguistiques m'appartiennent en propre et je n'aime pas qu'ils soient récupérés à des fins politiques.

Au Canada, nous avons deux langues officielles et deux minorités linguistiques. Comme vous l'avez dit, les familles et les communautés se confondent de plus en plus, et c'est une question qui nous concerne tous.

Monsieur Thompson et monsieur Shea, comment pouvons-nous faire en sorte qu'il y ait au Canada deux minorités linguistiques fortes? Comment pouvons-nous faire du Canada un pays fort de ses deux langues officielles où tous travaillent de concert en évitant de se tirer dans le pied? Si l'on aide une minorité linguistique, l'autre est désavantagée. Comment pouvons-nous changer cette réalité?

Je peux dire à nos deux témoins qu'ils comparaissent ce soir devant un comité dont les membres s'efforcent de travailler ensemble. Et cela fonctionne très bien, malgré que l'on ne s'entende pas toujours sur les moyens à prendre. Mais notre objectif est habituellement le même. Alors, comment pouvons-nous y parvenir?

Que feriez-vous à la place d'une Franco-Manitobaine comme moi?

M. Thompson : Il faut travailler dans l'esprit du projet de loi S-205. Celui-ci témoigne de l'épanouissement et de l'évolution de nos droits linguistiques constitutionnels en vertu de l'article 20. Il met de l'avant une vision suivant laquelle il n'y a pas de Canadiens francophones et de Canadiens anglophones, mais seulement des Canadiens et deux langues officielles.

À mon avis, c'est l'esprit qui devrait guider la partie IV de la loi.

Le problème vient de la notion de « demande importante ». Comme le disait tout à l'heure le sénateur Wells, qu'entend-on exactement par « demande importante »? Pourquoi avoir inclus ce concept dans la loi? On l'a inclus parce que c'est la façon dont on fait les choses au Canada. C'était une solution souple et pondérée à une certaine situation, mais nous devons maintenant composer avec cette réalité. Quoi qu'il en soit, nous devrions tous adhérer à la vision d'un peuple et deux langues.

La loi devrait être considérée dans son ensemble, mais la partie VII est précisément conçue pour garantir la présence de communautés minoritaires de langue officielle à la grandeur du pays. Cet objectif se distingue des visées générales de la loi. Je pense que le projet de loi S-205 intervient dans le bon sens en essayant d'étendre au reste de la loi les mesures de protection prévues à la partie VII.

La sénatrice Chaput : Merci, monsieur Thompson. Quelque chose à ajouter?

M. Shea : Je ne sais pas si cela va répondre à votre question, mais j'aurais deux observations. On ne devrait jamais avoir à présenter d'excuses parce qu'on ne parle qu'une seule langue.

La sénatrice Chaput : Vous avez raison.

M. Shea : Si une personne est unilingue anglophone ou francophone, elle ne devrait pas avoir à se dire désolée de ne pas parler l'autre langue. À mon avis, chacun devrait respecter le fait que certains ne parlent qu'une seule langue. L'unilinguisme est un autre élément de la réalité canadienne.

Je ne peux m'empêcher de vous parler d'éducation, car c'est mon domaine. J'ai pu constater que la majorité francophone du Québec a toutes les occasions voulues pour apprendre l'anglais et le parler.

Je suis heureux de vous dire que je sors à peine d'une campagne électorale pour une commission scolaire. Mais pour ce qui est des francophones qui ont le privilège en raison de leurs antécédents parentaux d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, en contournant ainsi d'autres dispositions législatives qui les empêchent de le faire, je trouve plutôt rassurant de noter cette volonté d'apprendre l'autre langue officielle. Les gens se débrouillent pour y arriver. C'était simplement mon point de vue sur l'éducation, mon domaine de compétence.

Pour revenir à la prestation des services, nous devrions tout mettre en œuvre pour maintenir, et j'ai oublié le libellé du projet de loi, cette notion de qualité égale. Il n'est pas facile de juger de la qualité de quelque chose. Nous pouvons avoir des opinions très différentes à ce sujet, ce qui fait qu'il sera difficile de déterminer si les interactions sont de même qualité.

Nous devrions toujours essayer de faire mieux. Je reviens à ce que je disais tout à l'heure au sujet de l'autre minorité linguistique. Je pense que nous devrions tous nous soutenir mutuellement, car c'est ce que doivent faire les minorités. Pour sa part, la majorité devrait appuyer les minorités.

Je dirais que c'est une responsabilité qui vous incombe en tant que gouvernement fédéral.

[Français]

Le vice-président : Le Québec est sans doute l'endroit au Canada où l'on compte le plus grand nombre de personnes bilingues, tant du côté anglophone que francophone. Si l'on peut s'exprimer dans les deux langues, c'est grâce à la liberté que nous procure notre grand pays. Je suis toujours fier de m'exprimer dans ma langue première. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


Haut de page