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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 9 - Témoignages du 1er décembre 2014


OTTAWA, le lundi 1er décembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte. Je suis la sénatrice Claudette Tardif, de l'Alberta, et je suis la présidente de ce comité. Je demanderais aux sénateurs de bien vouloir se présenter, en commençant à ma gauche.

La sénatrice Poirier : Bonsoir. Sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le sénateur Rivard : Bonsoir. Sénateur Michel Rivard, de Québec.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, de Québec.

La sénatrice Charette-Poulin : Bonsoir. Mon nom est Marie Charette-Poulin. Je représente le Nord de l'Ontario au Sénat.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.

[Français]

La présidente : Aujourd'hui, le comité poursuit son étude sur la question des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde.

Nos témoins sont membres de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Nous sommes très heureux de les accueillir, et j'aimerais vous les présenter. Mme Dianne Woloschuk, présidente, et M. Ronald Boudreau, directeur aux services francophones. Bienvenue au comité.

Je donne la parole à Mme Woloschuk, qui sera suivie de M. Boudreau. Après vos présentations, les sénateurs vous poseront des questions.

Dianne Woloschuk, présidente, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants : C'est avec plaisir que la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants répond à l'invitation qui lui a été lancée de prendre part à cette consultation sur l'apprentissage de la langue seconde.

D'emblée, nous tenons à préciser que nous apprécions les efforts que vous faites pour mieux comprendre les enjeux qui animent le dossier des langues officielles en général, l'apprentissage de la langue seconde étant une composante fondamentale des valeurs d'un pays qui accorde une grande place au bilinguisme.

Je suis Dianne Woloschuk, présidente de la FCE, et je suis heureuse d'en être la porte-parole devant vous, aujourd'hui, pour deux raisons.

Tout d'abord, la FCE regroupe environ 200 000 enseignantes et enseignants représentés par ses organisations membres. De ce nombre, plus de 10 000 œuvrent dans des écoles de langue française en milieu minoritaire et environ 8 000 dans des écoles de langue anglaise au Québec.

On estime qu'environ 40 000 membres du personnel enseignant œuvrent dans le domaine de la langue seconde, soit en immersion ou en français de base, soit vers l'anglais ou vers le français. Cette particularité de compter parmi nos membres des personnes en provenance des deux minorités linguistiques canadiennes fait en sorte que la FCE est persuadée d'avoir une perspective équilibrée sur la question des stratégies propres à appuyer l'enseignement des langues officielles comme langues secondes.

La deuxième raison pour laquelle je suis fière de vous entretenir de ce sujet est que je suis moi-même une enseignante dont la carrière comprend des expériences en français de base et en immersion. Je suis Fransaskoise, et mes expériences en enseignement sont empreintes du désir de faire apprendre ma langue maternelle française à la majorité anglophone de mon milieu d'origine, la Saskatchewan.

Notre présentation se déroulera en deux temps : d'une part, nous vous soumettrons respectueusement les principes directeurs de notre organisation en guise de recommandations de nature générale en ce qui a trait à l'apprentissage de la langue seconde.

D'autre part, nous souhaitons prendre appui sur une initiative que nous venons tout juste de lancer en français langue maternelle pour présenter l'idée de se donner un cadre de référence commun canadien sur la question de la pédagogie la plus en mesure de répondre aux besoins de l'apprentissage de la langue seconde au Canada.

Je vais maintenant passer la parole à mon collègue, M. Ronald Boudreau, qui est directeur des Services aux francophones à la FCE.

Ronald Boudreau, directeur, Services aux francophones, Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants : Bonsoir, et merci de l'invitation.

De longue date, la FCE défend les droits de ses membres et exerce des pressions en faveur d'un système d'éducation publique juste et équitable partout au Canada et ailleurs dans le monde. Nos principes directeurs résument brièvement et fidèlement nos croyances et les aspirations que nous avons pour ce groupe particulier qui représente, comme la présidente le disait, un important pourcentage de nos membres.

Je n'entrerai pas en détail dans la lecture des principes directeurs, puisque vous les retrouverez à la fin du document sous la forme de recommandations, mais ils s'y trouvent pour vos références futures.

Nous sommes particulièrement inquiets de la baisse relative de 4 p. 100 du nombre d'élèves qui ont suivi des programmes de français de base de 2009 à 2013. Nous pensons que le fait que ces programmes ne soient pas obligatoires — cela rappelle notre premier principe directeur — dans la plupart des administrations provinciales et territoriales explique l'abolition, dans certains milieux, de ces programmes, alors qu'on peut se demander quels efforts ont été déployés pour les maintenir.

Nous reconnaissons que chaque minorité linguistique fait face à des défis considérables pour assurer son épanouissement. Il faut cependant reconnaître que la francophonie en contexte minoritaire vit une situation particulièrement difficile. Le contexte actuel de pluralité linguistique — je sais que c'est l'un des soucis de votre comité — nous oblige à repenser nos façons de définir le bilinguisme. L'accueil de cette diversité culturelle et linguistique ne signifie pas qu'il faille transformer notre identité canadienne, mais plutôt qu'il faut la préciser.

Le bilinguisme officiel du Canada est un trait identitaire très puissant qui, malheureusement, semble moins valorisé depuis un certain temps par les autorités gouvernementales.

Nous croyons fermement que l'apprentissage du français comme langue seconde par la majorité, et par des personnes immigrantes, lorsqu'il tient compte d'une compréhension de la culture ambiante — je fais référence, ici, à notre quatrième principe — favorise l'épanouissement de la communauté francophone. C'est sous cet angle que nous voulons vous faire notre présentation.

À titre d'exemple, on constate qu'une personne anglophone, ou une personne nouvellement arrivée au Canada, ayant appris le français et la réalité francophone canadienne qui l'accompagne, sont d'excellents partenaires pour les couples exogames qui, comme on le sait, engendrent trop souvent l'assimilation.

D'autres anecdotes nous font réaliser à quel point un anglophone ou une personne immigrante ayant appris le français et les rudiments de la culture — on insiste sur cet aspect — peuvent avoir une influence très positive sur le bilinguisme dans leur milieu de travail. Ce ne sont que des exemples qui renforcent notre conviction que l'apprentissage de la langue seconde doit s'accompagner d'une bonne dose d'appropriation culturelle.

Nous proposons un cadre commun pour favoriser l'apprentissage. À la FCE, nous suivons de près les initiatives qui visent à améliorer les conditions d'enseignement en langue seconde, comme dans tout autre domaine. Nous voyons le Diplôme d'études en langue française — communément appelé le « DELF » — et le Cadre européen commun de référence (CECR) comme des initiatives fort louables, mais l'engouement présent semble surtout motivé par un besoin urgent et désespéré d'appuyer le personnel enseignant de langue seconde.

Il ne fait aucun doute que le DELF et le CECR ont une grande valeur, et nous apprécions l'appui de la France et du Conseil de l'Europe dans ce domaine. Nous croyons, cependant, que le bilinguisme officiel du Canada justifie amplement qu'on investisse dans l'élaboration d'un cadre de référence où la francophonie canadienne aurait prépondérance. Nous sommes inquiets de voir poindre une génération d'apprenantes et d'apprenants qui sont évalués systématiquement dans un français qui a bien peu à voir avec la réalité de leur milieu ou même avec la réalité francophone canadienne.

Nous venons tous juste de lancer à la FCE une pédagogie adaptée au contexte francophone minoritaire canadien. La Pédagogie à l'école de langue française, PELF, est l'initiative de l'ensemble des ministères de l'Éducation des provinces et des territoires canadiens qui se sont concertés pour faire de cette pédagogie une priorité. Les cadres supérieurs francophones de chacune des provinces et de chacun des territoires se sont ensuite naturellement tournés vers la FCE, puisqu'ils avaient l'intention de développer une pédagogie qui répondrait aux besoins pressants du personnel enseignant face à ces défis particuliers.

À partir du moment où la FCE s'est retrouvée avec ce mandat, quatre années de collaboration avec les chercheurs et chercheuses les plus réputés dans le domaine de l'éducation en contexte minoritaire et avec des dizaines de membres du personnel enseignant de nos écoles ont permis de définir cette pédagogie. Grâce à un partenariat avec les Productions Rivard, de Saint-Boniface, à Winnipeg, nous avons même été en mesure de concrétiser cette pédagogie au moyen de capsules vidéo qui montrent au personnel enseignant des situations réelles de salle de classe et des situations de type « comment faire » et « comment être ».

Bien entendu, je vous invite à consulter pelf.ca pour découvrir cette pédagogie et vous en faire une meilleure idée. Cependant, dans le contexte de ces audiences, je vous invite surtout à penser à ce que nous pourrions faire si une telle initiative de l'ensemble des ministères de l'Éducation était lancée pour appuyer l'enseignement de la langue seconde au Canada. Nous pensons que la PELF est une preuve flagrante que nous n'avons pas à nous tourner vers un cadre de référence européen lorsque nous avons, chez nous, au Canada, les ressources, la recherche et les moyens pour répondre aux véritables besoins du personnel enseignant.

La FCE est l'une de ces organisations qui ont d'emblée emboîté le pas du gouvernement canadien en ce qui a trait au bilinguisme et à la modernisation de sa structure. Notre fédération se définit comme bilingue dans ses opérations et ses publications. Elle dessert des organisations dont la composition reflète la dualité linguistique canadienne. Nous sommes fiers de contribuer de façon significative au développement de notre pays et des valeurs qui en font sa force et sa particularité, tant sur la scène canadienne qu'internationale.

Le personnel enseignant des programmes de langue seconde fait face à des défis importants qui rendent sa tâche de plus en plus ardue. En tant que fédération nationale, nous croyons à l'importance des conditions d'enseignement qui favorisent l'apprentissage de tous les élèves, et la situation de la langue seconde nous inquiète particulièrement. À ce titre, nous remercions le Comité sénatorial permanent des langues officielles de nous avoir donné l'occasion de partager ces préoccupations, et nous vous soumettons les recommandations qui suivent :

Que l'étude de la langue seconde constitue une partie obligatoire du curriculum et qu'elle soit intégrée au cadre législatif des provinces et des territoires afin de respecter un droit fondamental des élèves canadiens;

Vous retrouverez nos principes directeurs en lien, évidemment, avec ces recommandations.

Que tous les élèves canadiens puissent viser de hauts niveaux de compétence dans leur langue seconde, mais qu'ils possèdent au moins une compétence de base dans l'autre langue officielle et qu'ils puissent acquérir une compréhension de la culture qui l'accompagne;

Que le gouvernement du Canada mette en place des mesures visant à redonner au bilinguisme la place qui lui revient comme valeur nationale et à promouvoir le bilinguisme canadien dans un contexte plurilingue;

Et, finalement, que les mécanismes soient mis en place, à l'instar de la PELF que nous avons développée pour le contexte francophone, afin de doter le personnel enseignant de langue seconde d'une pédagogie et d'outils propres à l'enseignement du français ou de l'anglais langue seconde et qui se fondent sur les particularités et le contexte canadiens.

La présidente : Merci beaucoup à nos deux témoins. Nous passons à l'étape des questions, et la première question sera posée par la vice-présidente du comité, la sénatrice Fortin-Duplessis.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Soyez les bienvenus. Que ce soit par l'entremise de programmes de base, de programmes intensifs, de bains linguistiques ou d'immersion, différentes approches existent en matière d'enseignement de langue seconde. Certains parents font baigner leurs enfants dans un milieu bilingue, et ce, dès la naissance, en leur parlant deux ou plusieurs langues à la maison. D'autres préfèrent attendre l'entrée à l'école pour le faire, alors que d'autres attendent plus tard ou préfèrent laisser le choix à l'enfant.

Selon vous, quel est l'âge idéal pour commencer l'apprentissage d'une langue seconde?

Mme Woloschuk : Je dirais le plus tôt possible. Franchement, quand les élèves commencent à étudier une autre langue, ils l'apprennent, car c'est si naturel; ils ne se rendent même pas compte qu'ils apprennent.

Où j'ai grandi, mes parents étaient tous les deux francophones, on parlait français à la maison, j'habitais un tout petit village francophone au sud de la Saskatchewan. Lorsque j'ai commencé l'école, je parlais les deux langues et je ne me souviens pas d'avoir appris l'une ou l'autre. Pour les élèves qui veulent apprendre — par exemple, chez moi, ce sont les élèves anglophones qui veulent apprendre le français —, dès qu'ils commencent l'école, il y a des maternelles et des prématernelles offertes en français. C'est là que j'ai placé mes enfants. Le plus tôt possible, quant à moi, c'est beaucoup plus facile.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous dites qu'il y a des prématernelles ou des maternelles où les enfants peuvent apprendre. Est-ce qu'il y a suffisamment de places pour tous les parents qui veulent y envoyer leurs enfants?

Mme Woloschuk : Pour tous les parents, pour ce qui est de la prématernelle, je ne suis pas certaine. Mais pour les programmes d'immersion qui commencent à la maternelle, il y a des places pour eux dans nos écoles.

M. Boudreau : Si je peux me permettre, si on tient compte du fait qu'il y a tout de même une pénurie de places en services de garde en français, cela me donne l'impression que le problème doit exister aussi. Si, par exemple, un parent anglophone voulait obtenir des services de garde qui permettraient à l'enfant d'apprendre la langue seconde, j'ai l'impression qu'il pourrait être difficile d'en trouver dans certains milieux.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Selon vous, quels sont les éléments pédagogiques à prendre en compte pour favoriser l'apprentissage optimal d'une langue seconde?

M. Boudreau : Notre présentation est née surtout d'une inquiétude où, lors de rencontres avec le personnel enseignant de langue seconde, nous nous rendons compte que, présentement, il y a un retour vers un contexte européen pour l'enseignement du français langue seconde. J'ose dire un retour, parce qu'il y a déjà eu une période où l'orientation des programmes de langue seconde était très européenne. Cela nous inquiète, parce que nos recherches démontrent qu'on apprend mieux lorsque le contexte dans lequel on apprend ressemble à celui dans lequel on vit.

C'est la raison pour laquelle nous avons voulu mettre l'accent sur le fait que, dans le moment, à la FCE, avec l'appui moral et financier des ministères de l'Éducation des provinces et des territoires, nous avons développé une pédagogie propre aux écoles de langue française. À notre avis, il n'y a pas de raison pour laquelle une telle initiative ne pourrait pas être envisageable pour l'enseignement de la langue seconde.

Nous avons des chercheurs qualifiés et des enseignants très compétents en langue seconde qui pourraient contribuer, comme ils l'ont fait pour l'enseignement de la langue maternelle, à élaborer un cadre canadien pour l'enseignement de la langue seconde qui, à notre avis, favoriserait nettement l'apprentissage.

Mme Woloschuk : J'aimerais ajouter quelque chose. J'ai commencé à enseigner en 1977, et c'était au moment où, en Saskatchewan et partout au pays, je crois, on mettait en vigueur des programmes d'apprentissage et d'enseignement du français langue seconde. La première année que j'ai enseigné, c'était dans un petit village de campagne en Saskatchewan, et le seul programme disponible pour les élèves, c'était Voix et images de France. C'est un programme qu'on était allé chercher au moment où la politique sur le bilinguisme officiel avait été légiférée, parce qu'il n'avait pas de ressources pour permettre l'enseignement aux élèves. On enseignait Voix et Images de France partout dans l'Ouest du Canada.

Toutefois, on s'est aperçu rapidement que ce n'était pas un programme qui reflétait la réalité d'ici. Le programme fonctionnait très bien en France dans le contexte pour lequel il avait été conçu. Cependant, pour nos élèves, au Canada, on a constaté qu'un programme canadien créé en fonction du contexte culturel canadien, qui appuie les objectifs de bilinguisme du Canada, serait préférable. On a alors vu le développement de programmes au Canada, y compris celui du français international, et plusieurs autres ont suivi.

J'ai enseigné le français de base et le français d'immersion depuis ce temps. Il existait, dans les années 1980 et 1990, des programmes de français de base vraiment très efficaces, qui motivaient les élèves. Maintenant, nous avons l'impression qu'il y a un manque de ressources pour l'enseignement du français de base. Il serait important que l'on développe de nouveau des programmes d'études en langue seconde pour nos élèves, qui vont réellement susciter leur engagement et les amener à valoriser l'apprentissage d'une langue seconde.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Boudreau, le Québec fait-il partie de votre organisme pour l'enseignement de la langue seconde?

M. Boudreau : Vous parlez de l'organisation des enseignants anglophones du Québec?

Mme Woloschuk : L'Association professionnelle des enseignants et enseignantes du Québec fait partie de notre regroupement.

M. Boudreau : Elle fait partie de notre fédération.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Elle fait partie de votre organisme?

M. Boudreau : Oui. En même temps, nous avons des liens très étroits avec la Fédération des syndicats de l'enseignement. À titre d'exemple, nous serons en réunion avec eux en fin de semaine.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Êtes-vous satisfaits de l'approche adoptée par les différents paliers de gouvernement? Pensez-vous qu'ils pourraient en faire plus? Sinon, en plus des recommandations que vous nous avez faites, quels changements apporteriez-vous?

Mme Woloschuk : Premièrement, il faut que l'enseignement du français langue seconde soit une priorité. Cette question est importante. Il en va de même pour l'enseignement en immersion.

J'ai passé des années à regarder les élèves apprendre. Franchement, il est inspirant de voir ces élèves gagner en confiance en s'exprimant de mieux en mieux en français, alors qu'ils vivent la réalité bilingue du Canada. On a besoin de ressources financières, d'appui et d'une revalorisation de l'enseignement du français hors Québec où les francophones sont en milieux minoritaires. Beaucoup d'anglophones veulent apprendre le français, mais nous avons besoin de ressources et de faire en sorte que l'enseignement soit revalorisé.

M. Boudreau : Mme Woloschuk est déjà venue avec moi à des rencontres de l'Association canadienne des professeurs de langues secondes, dont j'ai fait partie au cours des deux dernières années. Je dois avouer que les histoires que j'ai entendues de la part du personnel enseignant, à mon sens, étaient presque terrifiantes. On dénonçait des conditions d'enseignement déplorables.

Je fais écho à ce que la présidente mentionne au sujet des conditions d'enseignement et de la valorisation de la profession. Il est clair que ce n'est pas perçu, présentement, comme une grande priorité. Quand un enseignant n'a même pas de salle de classe pour enseigner et que tout son matériel se retrouve sur un petit chariot qu'il ou elle doit pousser d'une classe à l'autre pour enseigner, comment s'imaginer qu'une telle situation permettra à un jeune de maîtriser la langue? C'est presque inconcevable. On a vraiment besoin d'une revitalisation de l'importance accordée à l'enseignement de la langue seconde.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Le premier palier est celui des commissions scolaires, n'est-ce pas? Si, dans une école, le pauvre enseignant est obligé de se balader avec un petit chariot, le premier palier est celui des commissions scolaires. Je ne sais pas si on retrouve des commissions scolaires dans les autres provinces, mais au Québec, il y en a.

M. Boudreau : Il y en a partout. Toutefois, à notre sens, la solution est liée à la revalorisation du bilinguisme au Canada; un retour à l'importance de faire en sorte que les élèves finissants de nos écoles soient bilingues, dans une langue ou dans l'autre. Je crois que les conseils scolaires suivront cette tendance à la valorisation de l'enseignement des langues secondes. Cependant, si on leur demande d'amorcer le mouvement, j'ai moins d'espoir.

La sénatrice Charette-Poulin : Madame Woloschuk et monsieur Boudreau, je vous félicite. Madame Woloschuk, vous êtes la présidente de l'association sans doute la plus importante au pays. Quand on connaît l'influence qu'ont les enseignants sur nos futurs leaders, nos futurs employés et nos futurs entrepreneurs, c'est l'avenir même de l'essence du pays qui est en jeu.

Monsieur Boudreau, j'ai apprécié votre commentaire lorsque vous avez dit qu'il est important, maintenant, de prendre le temps d'augmenter la valorisation du rôle et des responsabilités de l'enseignant. Je crois que tout le monde, ici, dans cette salle, pourrait dire qu'il ou elle se souvient d'un professeur au primaire, au secondaire ou au niveau postsecondaire qui a changé sa vie à un moment donné.

Félicitations! Vous jouez vraiment un rôle clef. Merci d'être ici.

Vous avez aussi parlé de la valorisation du bilinguisme comme l'une des grandes fiertés de notre pays. Dans votre troisième recommandation, vous dites ce qui suit :

Que le gouvernement du Canada mette en place des mesures visant à redonner au bilinguisme la place qui lui revient comme valeur nationale et à promouvoir le bilinguisme canadien dans un contexte plurilingue.

J'ai pensé automatiquement à la campagne de ParticipACTION, qui avait eu beaucoup d'influence.

Je vais vous citer ce qu'un représentant de Statistique Canada nous a dit lors de sa comparution devant le comité, et j'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Ses propos touchent justement la valorisation du bilinguisme, et je cite :

L'apprentissage et la capacité de parler les deux langues officielles constituent l'une des facettes importantes de la notion de dualité linguistique canadienne. En 2011, 17,5 p. 100 de la population du pays, soit 5,8 millions de personnes, déclaraient pouvoir soutenir une conversation en français et en anglais. Il s'agit d'une baisse, comparativement à 2001, alors que cette proportion atteignait un sommet de 17,7 p. 100. De même, chez les jeunes âgés de 15 à 19 ans, 22,6 p. 100 pouvaient parler les deux langues en 2011, en baisse comparativement au taux de 24 p. 100 observé en 2001.

Nous savons à quel point nous baignons, en Amérique du Nord, dans un univers anglophone, un univers enrichi par les réseaux sociaux. Quelles seraient vos recommandations pour que cette tendance, si elle se poursuivait, soit renversée et que, dans 10 ans, soit en 2024, on puisse dire que 28 p. 100 des jeunes parlent les deux langues officielles? Quelles seraient vos recommandations?

Mme Woloschuk : D'abord, le message est important. Il faudrait que, dans le discours des gouvernements, à tous les paliers, on mette l'accent sur l'importance du bilinguisme, sur la capacité de parler les deux langues officielles, et que cela fasse partie du projet canadien.

Deuxièmement, il serait très important que des ressources financières soient consacrées au développement de programmes et à la recherche traitant de ces questions.

Comme je l'ai dit, j'ai enseigné longtemps, mais, au cours des années 1980, et même 1990, il y avait des ressources disponibles au niveau fédéral pour appuyer les programmes de langue. On dirait que cela n'existe plus. Il est important d'avoir des ressources pour appuyer ces programmes.

M. Boudreau : Si je peux me permettre d'ajouter un élément, cela me fait énormément plaisir lorsque vous faites référence aux médias sociaux, car je suis convaincu qu'ils sont, pour une large part, au cœur de la transformation des jeunes à l'heure actuelle. Dans le même sens, je déplore, par exemple, l'abandon de plusieurs programmes d'appui du gouvernement fédéral qui visaient à rendre le français beaucoup plus présent sur la Toile. Ces programmes ont été abandonnés. Nous avons réalisé une enquête, il y a deux ans, sur l'utilisation des technologies par les jeunes de 15 ans, par exemple — d'ailleurs, nous avions fait, à cette époque, une présentation au Comité des langues officielles —, pour réaliser à quel point il s'agit d'un agent assimilateur. Étant donné qu'on n'investit plus afin d'améliorer la présence en français sur le Web, on retrouve un tas de sites qui avaient été conçus dans les années où il y avait un appui et qui ont été abandonnés par la suite. Ils deviennent pour les jeunes des références désuètes, ce qui fait en sorte que les jeunes sont portés à aller vers l'anglais lorsqu'il s'agit du Web. Je ne sais pas si je vous apprends quelque chose, mais ils y passent beaucoup de temps.

La sénatrice Charette-Poulin : J'aurais une petite question complémentaire. Je suis complètement d'accord avec vos analyses respectives. Est-ce que les professeurs utilisent les réseaux sociaux pour être ou rester en communication, ou pour favoriser tel ou tel sujet avec leurs élèves?

M. Boudreau : Pas suffisamment, si j'ose dire, entre autres en raison du manque de ressources. Il y a eu des investissements en technologie dans les dernières années. Il manque un plan, une vision nationale sur l'utilisation des technologies en éducation. C'est évident, chacun y va de son bon vouloir, de son bon désir. La sénatrice Fortin-Duplessis a mentionné plus tôt cette réalité. En ce qui concerne l'idée de se concerter autour de stratégies nationales qui appuient la langue seconde, je suis convaincu que la question des technologies doit être au cœur de ce renouveau. Il faut se donner les moyens, au Canada, d'avoir les outils nécessaires pour le faire, et pour bien le faire.

Mme Woloschuk : Il y a une chose que j'aimerais mentionner sur ce point. Nous sommes en partenariat avec HabiloMédias, un organisme qui fait un travail excellent sur cette question. Dans les écoles, les enseignants et les enseignantes commencent à explorer ce terrain en tant qu'outil d'apprentissage. En même temps, il y a certaines hésitations : premièrement, à cause des capacités; et deuxièmement, on veut s'assurer que cela ne pose pas un problème d'inégalité car, si presque tous les élèves ont un téléphone cellulaire, par exemple, cela ne veut pas dire que tous les élèves, sans exception, en ont un. Il faut donc s'assurer que tous les élèves puissent participer. Si on planifie une activité pour la salle de classe lors de laquelle les élèves devront se servir de leur téléphone cellulaire pour faire un sondage sur une question, on ne veut pas que des élèves soient laissés de côté. C'est important.

Cependant, je suis d'accord que la culture des médias que les élèves explorent — et ils le font constamment —, c'est une culture anglophone. Ce n'est même pas une culture canadienne, c'est vraiment une culture américaine. Cela a une influence profonde sur les élèves.

La sénatrice Charette-Poulin : Je trouve très intéressant de vous entendre dire qu'il faut un projet canadien; il faut une vision canadienne. Cela me rappelle, au début des années 1930, lors des débuts de la radio, le moment où un premier ministre conservateur a pensé à l'importance d'une radio publique canadienne pour équilibrer l'accès à la culture pour les Canadiens et les Canadiennes.

Il faudra un jour qu'il y ait ce projet canadien pour rééquilibrer l'accès à l'information en langue anglaise et l'accès à l'information en langue française.

Le sénateur Rivard : Bienvenue à vous deux. À l'extérieur du Québec, le bilinguisme demeure peu élevé chez les immigrants et les jeunes anglophones. Dans le cas de cette dernière clientèle, les jeunes anglophones, le maintien des acquis en matière d'apprentissage d'une langue seconde, bien qu'il atteigne un sommet au cours de la fréquentation scolaire, tend à diminuer avec l'âge; alors que dans le cas des jeunes francophones hors Québec, c'est plutôt le phénomène inverse qui se produit : le taux maximal de bilinguisme est atteint dans la vingtaine. Comment expliquez-vous ces différences, et quel est l'état de l'apprentissage de la langue seconde chez les immigrants?

Mme Woloschuk : Pour ce qui est des milieux hors Québec, je peux parler de mon milieu; j'ai grandi dans un petit village francophone. Nous étions 39 élèves en 9e année, dont 32 ou 33 venaient de familles francophones. Je suis probablement la seule, parmi une dizaine au maximum, qui a continué à parler français après avoir quitté l'école. La Saskatchewan est un milieu anglophone. Si on veut vraiment vivre en français, il faut déployer un effort considérable pour le faire. Mon mari et moi sommes une famille exogame. Il ne parle pas français, moi je suis bilingue, et nos enfants ont tous suivi des programmes d'immersion. Ils parlent français tous les trois. Ils ne sont pas nécessairement à l'aise avec le français, mais ils connaissent la langue et peuvent s'exprimer en français. Où en seront-ils dans 10 ou 20 ans? Franchement, je ne sais pas, mais ils seront obligés de profiter des occasions qui s'offrent à eux dans leur milieu pour se servir de leur langue, car, autrement, ils la perdront. Cela m'est presque arrivé; vous avez peut-être observé que, parfois, j'éprouve des difficultés à m'exprimer moi aussi, car j'ai presque perdu mon français. C'est seulement à force de faire des efforts que j'ai pu continuer à parler français. Ce n'est pas une question facile.

M. Boudreau : Il est clair que, dans les milieux francophones à l'extérieur du Québec, on peut parler, comme on le mentionnait plus tôt, d'esprit américain. Ce n'est même pas canadien-anglais, c'est vraiment américain. Il est clair que la dynamique n'est pas la même pour un francophone qui veut conserver son français à l'extérieur du Québec. C'est un défi. Il faut avoir un milieu qui le permette, qui l'encourage, et c'est la raison pour laquelle nous avons fait un lien entre la langue maternelle et la langue seconde.

On se rend compte que, dans le cas d'un conjoint de langue anglaise ou d'une personne nouvellement arrivée au Canada qui a appris le français, si cette personne comprend la réalité des francophones dans son milieu, que ce soit la Saskatchewan ou tout autre milieu minoritaire, cette personne qui a appris le français et qui a compris ce que vit son conjoint francophone sera beaucoup plus portée à appuyer la démarche de ce dernier quant au maintien du français au foyer. C'est davantage le cas que dans bien des régions où on n'a pas appris le français du tout. À ce moment-là, l'anglophone se sentira peut-être inquiet que ses enfants aillent à l'école française, par exemple. Il va se demander comment les appuyer dans leur apprentissage, comment participer à la vie scolaire. Cela demande énormément de courage de la part du conjoint francophone pour tenir son bout et dire : « Mes enfants iront à l'école française, malgré ce que tu en penses. »

Donc, il est certain que, lorsqu'un conjoint anglophone ou originaire d'une famille immigrante a appris le français dans un contexte qui lui fait apprécier le défi de conserver sa langue dans un milieu, à ce moment-là, cette personne devient un appui, plutôt qu'une personne qui ne comprend pas la situation et qui veut tout simplement appliquer la règle de la majorité.

Mme Woloschuk : J'aimerais ajouter que, en ce qui concerne les immigrants, bien que je n'aie pas de chiffres avec moi pour étayer cette réponse, je sais qu'ils démontrent un intérêt considérable pour que leurs enfants aient la meilleure éducation possible. Ils perçoivent les programmes d'immersion comme étant des programmes à valeur ajoutée, des programmes enrichis. Les élèves apprennent le même contenu que les élèves du programme anglophone, mais ils l'apprennent en français. Il s'agit donc vraiment d'un double apprentissage. Ce programme leur donne des occasions qu'ils n'auraient peut-être pas eues autrement, comme des occasions d'échanges culturels ou de voyages, des chances de s'entretenir avec des groupes.

Le sénateur Rivard : À l'exception du Québec, dans les autres provinces canadiennes, trouvez-vous que les enseignants du français langue seconde sont en quantité suffisante et qu'ils sont assez bien formés?

Mme Woloschuk : Je pense qu'ils sont bien formés. En quantité suffisante, je ne le sais pas. Je sais que les conseils scolaires, dans l'Ouest du Canada, du moins, sont souvent obligés de recruter en Ontario ou au Québec, par exemple, pour trouver des enseignants pour les écoles fransaskoises et les écoles d'immersion. Souvent, les enseignants en immersion enseigneront aussi peut-être le français de base. Ce sont les enseignants qu'ils auraient besoin de recruter. Pour enseigner le français de base, il y aurait suffisamment d'enseignants qualifiés.

Le sénateur Rivard : Est-ce difficile d'attirer des professeurs du Québec pour aller travailler en Saskatchewan, en Alberta ou ailleurs au Canada? Est-ce qu'il y a des conditions spéciales que vous pouvez leur offrir, comme les primes d'éloignement, par exemple, offertes à certains travailleurs? Quant au recrutement, que ce soit en Saskatchewan, en Alberta ou en Colombie-Britannique, peut-on attirer ces enseignants avec le défi, pour eux, de sortir du milieu québécois pour aller enseigner le français langue seconde?

M. Boudreau : Vous soulevez un problème qui intéresse particulièrement la FCE. On a justement tenu une rencontre à ce sujet la semaine dernière. On entreprend une recherche sur la pénurie d'emplois du personnel enseignant. On est préoccupé par la question de la langue seconde.

Je sais que la Saskatchewan a aboli des programmes d'enseignement de langue seconde faute de personnel pour l'enseigner. Étant donné que le programme n'est pas obligatoire, il devient plus facile de l'abandonner que de faire des efforts de recrutement, et c'est ce qui est inquiétant.

Maintenant, ajoutez à cela les conditions de travail du personnel enseignant langue seconde. J'ai passé une vingtaine d'années dans la région d'Halifax, et il n'était pas rare de voir des enseignants abandonner après quelques mois en raison des conditions de travail inacceptables qu'on leur offrait.

Quand il faut enseigner le français dans trois écoles différentes et que le professeur doit manger son sandwich dans l'auto pour se rendre à une autre école pendant la pause-repas du midi, on ne peut pas en vouloir à un jeune Québécois de préférer retourner chez lui, dans le sous-sol de ses parents.

Mme Woloschuk : J'aimerais ajouter que, parfois, on va chercher différentes sortes de programmes. Par exemple, il y a des conseils scolaires qui ont commencé à mettre en œuvre des programmes de français appelés « Le français intensif ». Habituellement, l'immersion commence à la maternelle, où l'enseignement se déroule presque à 100 p. 100 en français, et il diminue par la suite d'une année à l'autre.

« Le français intensif » est un programme qui peut commencer en cinquième ou sixième année, et des élèves qui n'ont jamais entendu parler un mot de français se retrouvent dans une salle de classe où l'enseignant leur parle français; ils apprennent tout en français. Il s'agit d'une immersion instantanée. Cependant, cette méthode d'enseignement du français n'a pas été mise à l'essai assez longtemps pour que l'on puisse déterminer si, vraiment, ces élèves sont plus à l'aise avec le français que les élèves en immersion.

S'il y a un manque d'enseignants, ce serait une façon de remédier à la situation en offrant un programme raccourci.

Le sénateur Rivard : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Merci aux témoins. Je suis probablement le seul non francophone ici aujourd'hui. Je viens de Singapour. Il y a quatre langues officielles là-bas. Jeunes, nous apprenons l'anglais, le chinois — le mandarin — le malais et le tamoul. J'ai été chanceux; j'en ai appris trois.

Mme Woloschuk : Tant mieux pour vous.

Le sénateur Oh : Aujourd'hui, le président du Parlement malaisien nous rendait visite, alors j'ai pu pratiquer mon malais un peu.

D'après une étude récente, apprendre une langue seconde peut avoir divers avantages. Pourriez-vous nous parler des avantages du bilinguisme pour le développement du cerveau?

Mme Woloschuk : En fait, au forum de notre président en juillet dernier, l'un des orateurs était un médecin de Winnipeg qui gère un programme qui s'appelle Enfants en santé Manitoba. Il était notre conférencier principal et a fait un long exposé sur l'importance du développement du cerveau pour les enfants et leur apprentissage. L'apprentissage des langues, de la musique ou de tout système symbolique crée des connexions entre les neurones du cerveau qui, autrement, ne seraient pas reliés. C'est particulièrement important pour les jeunes enfants d'être dans un environnement sain qui favorise leur capacité d'apprentissage, leur croissance et leur développement.

Au cours des dernières années, la FCEE s'est penchée sur les effets de la pauvreté infantile sur l'apprentissage des enfants. On constate que certains enfants, lorsqu'ils commencent l'école, selon l'environnement où ils ont grandi, ont un déficit de langage d'un an et demi à deux ans. Il est essentiel pour le développement du cerveau que les enfants soient exposés à différents genres d'apprentissage — la musique, les arts, les langues, toutes ces choses — mais les langues sont très importantes.

D'une certaine façon, il est intéressant de voir que l'Amérique du Nord est un peu une île anglophone, bien qu'il y ait beaucoup d'Espagnols aux États-Unis. Cela nous frappe lorsque l'on regarde les systèmes scolaires d'autres parties du monde. Nombre d'entre eux mettent fortement l'accent sur l'acquisition des langues afin que les élèves soient multilingues. Voilà une autre raison pour laquelle la FCEE croit si fermement qu'il est important de mettre l'accent sur le développement des langues. Nos deux langues font partie de l'identité de notre pays. C'est tellement important. Alors le développement du cerveau, absolument.

Le sénateur Oh : J'espère que mon cerveau est toujours en développement, car j'étudierai le français cet hiver.

Mme Woloschuk : Tant mieux pour vous.

La présidente : Je crois qu'il est plus facile d'apprendre une troisième ou une quatrième langue une fois que l'on est bilingue. Vous êtes déjà trilingue, alors j'ai hâte de parler avec vous en français, sénateur Oh.

Le sénateur Oh : Merci.

[Français]

La sénatrice Poirier : Les jeunes qui veulent profiter d'un programme d'immersion française doivent-ils avoir un ou des parents francophones?

Mme Woloschuk : Non.

La sénatrice Poirier : Est-ce que la majorité de ces jeunes viennent d'une famille où l'un des parents est francophone?

Mme Woloschuk : Là, encore, je n'ai pas de statistiques à cet égard. Nos élèves en immersion viennent de la grande diversité de la société canadienne. Certains ont un ou des parents francophones. La grande majorité n'a pas de parents francophones.

La sénatrice Poirier : Le Nouveau-Brunswick est une province officiellement bilingue. Ma situation ressemble à la vôtre : je suis née dans une famille francophone, mais, là où j'ai été élevée, il n'y avait pas d'école francophone. Ma fille a épousé un anglophone et mes trois petits-enfants ont appris les deux langues durant leur enfance. Ils fréquentent une école francophone. Je peux voir comment cela poser un défi, parfois.

La majorité des francophones du Nouveau-Brunswick, une fois leur éducation primaire et secondaire terminée, décident de poursuivre leurs études. La majorité francophone a la capacité de choisir de continuer à étudier en anglais ou en français. Les élèves qui ont profité d'un programme d'immersion française ont-ils la possibilité de choisir l'anglais ou le français pour la suite de leurs études, ou est-ce un défi pour eux de choisir un établissement postsecondaire? Pourraient-ils réussir dans une école secondaire francophone? Également, nos universités et nos collèges offrent-ils des cours pour permettre de continuer l'apprentissage de la langue française?

Mme Woloschuk : Ils ont la capacité, mais il y aura des défis. Il faudrait qu'ils perfectionnent leur français. C'est une espèce de francisation qu'on trouve dans les écoles francophones. Un élève a peut-être un ou des parents francophones, mais il a très peu parlé le français, ou peut-être que ses parents parlent très peu le français. À force de plonger ces élèves dans des programmes de francisation, éventuellement, ils arrivent à un point où ils sont capables de réussir sans soutien, et souvent, de façon très rapide. C'est un peu la même chose avec les élèves en immersion. Plusieurs élèves à qui j'ai enseigné ont suivi des cours pour devenir enseignants et enseignantes dans un programme d'immersion ou de français. C'est comme pour toute autre chose, pour certains, c'est plus facile, alors que pour d'autres, c'est plus difficile, mais s'ils ont le désir et la bonne volonté de réussir, ils vont y arriver.

La sénatrice Poirier : Y a-t-il des programmes efficaces en place ou est-ce encore un défi?

Mme Woloschuk : Je peux seulement parler des universités que je connais. Dans l'Ouest du Canada, à l'Université du Manitoba, il y a le collège Saint-Boniface; en Alberta, il y a la faculté Saint-Jean; l'Université de Regina offre un baccalauréat en français axé précisément sur l'enseignement. Ma sœur enseignait dans ce programme, alors j'ai une bonne idée de ce qui s'y passe. En ce qui concerne les élèves, il y a certains critères, soit un niveau de français qu'ils doivent atteindre, et il y a du soutien pour les aider à atteindre leurs objectifs.

La sénatrice Poirier : Au Nouveau-Brunswick, l'Université de Moncton offre plus ou moins tous les programmes dont nous avons besoin, mais je me demandais si les universités anglophones offraient ce genre de programme.

M. Boudreau : C'est le cheval de bataille du commissaire aux langues officielles, en ce moment, d'encourager, justement, les universités anglophones à faire plus de place à la langue seconde pour ces jeunes qui ont passé plusieurs années de leur vie à apprendre le français et qui voudraient peut-être continuer leur apprentissage au niveau postsecondaire dans un contexte d'immersion ou dans un contexte où on offre une place au français. On appuie certainement l'initiative du commissaire aux langues officielles.

En même temps, il faut que le jeune anglophone ou le jeune immigrant soit motivé à continuer. Presque tous les jeunes qui ont appris le français veulent le maintenir. L'un des moyens qui le permettront serait que les jeunes fassent leurs études postsecondaires en français ou qu'ils s'assurent de travailler en français ou d'avoir un conjoint francophone, et cetera. Cependant, il faut se donner des moyens. Les jeunes qui ont appris le français comme langue seconde vivent, dans une certaine mesure, la même réalité que les francophones qui essaient de maintenir leur français. Je suis bien content de votre question, parce que, effectivement, le postsecondaire fait partie de toute cette solution vers laquelle il faut se tourner.

La présidente : Vous avez fait une recommandation très intéressante; votre première recommandation vise à ce que l'étude de la langue seconde fasse partie obligatoirement du curriculum et qu'elle soit intégrée au cadre législatif des provinces et des territoires afin de respecter un droit fondamental des élèves canadiens. Combien de provinces et de territoires rendent l'enseignement de la deuxième langue officielle obligatoire?

M. Boudreau : Si je peux me permettre, dans la grande majorité des cas, les programmes sont obligatoires à l'élémentaire. Au secondaire, on retrouve à peu près toute la gamme. Il peut s'agir d'un cours parmi de nombreuses options où l'élève doit choisir, mais l'élève peut décider de faire de l'éducation physique et de ne pas faire le français. Ce n'est pas un cours soi-disant obligatoire; il fait peut-être partie d'un bloc obligatoire, mais il ne l'est pas.

Dans d'autres cas, on exige un cours en français pendant les trois dernières années. Pour l'élève, cela devient une obligation agaçante. Nous croyons que le cadre législatif devrait donner une place au français dans l'ensemble de la programmation scolaire de sorte que le jeune qui, à l'élémentaire, est habitué de suivre un cours de français dans sa journée puisse continuer à le suivre lorsqu'il est au secondaire. Il vaudrait mieux que ce ne soit pas présenté comme un genre d'obligation, parce qu'il faut trouver quelque chose pour remplir un trou quelque part.

Mme Woloschuk : J'ai passé toute ma vie dans le domaine de l'enseignement au niveau secondaire. Les matières comme la biologie, la chimie et les mathématiques sont très valorisées, alors que le bilinguisme ne l'est pas autant. C'est vraiment dommage. C'est pourtant directement lié aux carrières, aux exigences de certains programmes d'universités, des programmes qui sont très recherchés par les jeunes. Il y eut un temps où les programmes qui exigeaient une langue seconde étaient plus courants.

Je crois qu'il faut revaloriser la langue seconde dans toute notre société. Dans le moment — dans ma province, du moins, où les crédits comptent —, sur 300 élèves de 10e année, il y en aura une cinquantaine en immersion et peut-être une trentaine inscrits aux cours de français de base. Les autres élèves suivent des cours qui, d'après eux, les mèneront vers l'université ou dans les programmes d'études postsecondaires qu'ils veulent suivre.

M. Boudreau : Je viens aussi du Nouveau-Brunswick, et le cours d'anglais était obligatoire jusqu'à la fin du secondaire. La question ne se posait même pas. Alors pourquoi, tout à coup, une langue seconde serait-elle plus importante que l'autre? On peut se poser la question.

La présidente : En Alberta, je sais qu'il n'y a aucune obligation, même pas au primaire, d'enseigner le français. Je crois qu'en Colombie-Britannique, il y a une exigence liée à d'apprentissage d'une langue seconde entre la cinquième et la huitième année, mais c'est laissé au choix. On pourrait choisir l'espagnol, le mandarin, l'allemand, ou n'importe quelle autre langue que l'une des langues officielles du Canada.

Les francophones ont une garantie, en vertu de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, d'avoir accès à une école française gérée par des francophones.

Quant aux anglophones qui désirent avoir accès, par exemple, à un programme d'immersion, parfois, les places sont limitées. Je songe à la Colombie-Britannique et à Calgary où, dans le passé, il y avait des files d'attente; les parents attendaient durant des heures pour inscrire leurs enfants, car il n'y avait pas de place.

Les anglophones qui veulent apprendre le français comme deuxième langue officielle devraient-ils jouir de ce droit?

Mme Woloschuk : Oui, absolument.

M. Boudreau : Cela devrait faire partie d'une stratégie de valorisation des langues officielles; faire en sorte de créer les mesures pour appuyer les provinces et, éventuellement, les conseils scolaires à mettre en place une programmation qui rend équitable, pour tous les élèves canadiens, la possibilité d'apprendre une langue seconde.

Mme Woloschuk : Vous avez mentionné, il y a quelques minutes, que, s'il y avait la possibilité en Alberta d'apprendre une autre langue, la priorité n'est pas accordée au français. Il me semble que la perception est liée à l'apprentissage d'une autre langue, et que c'est vraiment quelque chose d'individuel et de personnel. À la FCE, on croit que l'apprentissage du français hors Québec fait partie de l'identité nationale de notre pays. Ce n'est pas seulement une question de vouloir apprendre le français à titre d'intérêt personnel. Cela fait partie d'un projet plus grand qui est important pour nous tous en tant que pays.

La présidente : Que voyez-vous comme étant le rôle du gouvernement fédéral?

Mme Woloschuk : Valoriser l'enseignement du français. Valoriser, de façon importante, le bilinguisme au Canada. Consacrer des ressources qui peuvent appuyer les programmes de français langue seconde hors du Canada. Je dirais, aussi, la mise en œuvre de programmes qui appuieraient l'apprentissage du français pour les francophones en milieu minoritaire. Je sais que ce n'est pas la question que nous étudions aujourd'hui, mais elle fait partie de toute la gamme d'appuis qu'on aimerait voir se réaliser.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Y a-t-il des provinces ou des territoires qui performent mieux que d'autres? Vous avez la chance de voir tout ce qui se passe au Canada.

M. Boudreau : J'avancerais, et ce, sans me fonder sur des études, que l'Île-du-Prince-Édouard est une province où on valorise énormément le bilinguisme à cause du tourisme. Il y a une raison, comme je dis qu'il faut parfois avoir des raisons. Cependant, à l'Île-du-Prince-Édouard, il y en a une. Le gouvernement provincial valorise le bilinguisme, car le tourisme est important. Le tourisme bilingue est important. Un grand nombre de familles québécoises visitent l'Île-du-Prince-Édouard durant l'été, et ces gens s'attendent à recevoir des services en français. Cela a eu un impact sur les programmes d'immersion de langue seconde, de français langue maternelle à l'Île-du-Prince-Édouard, car il y a vraiment une raison pour laquelle on encourage la population à s'engager dans cette voie. J'avancerai donc que l'Île-du-Prince-Édouard performe bien, sans chiffres et sans études à l'appui.

De fait, quand je suis à Charlottetown, il n'est pas rare, dans un restaurant, de se faire servir en français par une jeune personne qui a appris le français. Cela m'est arrivé la semaine dernière. La personne qui a fait le service s'est mise à me parler en français dès que je l'ai abordée en français. C'est ce que nous souhaitons. Nous souhaitons être respectés dans notre langue.

La sénatrice Fortin-Duplessis : En ce qui concerne les territoires — car il y a beaucoup de francophones qui sont allés s'y établir —, ont-ils accès aux mêmes services que dans les autres provinces? On m'avait dit que le français y était enseigné. Est-ce que vous le savez?

Mme Woloschuk : Oui, il y a des écoles d'immersion à Iqaluit, au Nunavut. Il y a des écoles à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, et il y a une école à Whitehorse et à Hay River, au Yukon. Dans de toutes petites collectivités que je connais, en Saskatchewan, un groupe de parents se sont mis ensemble pour demander à leur conseil scolaire que leurs enfants puissent apprendre le français dans le cadre d'un programme d'immersion. Si le groupement est assez important, le conseil scolaire est obligé de créer un programme.

La présidente : Vous avez accordé beaucoup d'importance à la culture, à la connaissance de la culture canadienne-française et à la compréhension de cette culture également. Quel rôle les programmes d'échange peuvent-ils jouer pour les jeunes afin de les appuyer dans leur apprentissage?

M. Boudreau : J'ai un exemple personnel. Je ne serais pas bilingue si je n'avais pas vécu, à 16 ans, un voyage-échange dans l'Ouest. C'est clair. Je viens d'un coin très francophone du Nouveau-Brunswick, où on avait peu de contacts avec l'anglais. Le voyage-échange a fait en sorte que, tout à coup, je me suis ouvert à tout un autre monde. Je suis sûr que c'est ce qui fait que je me suis intéressé à l'anglais au point de devenir bilingue.

Je suis persuadé que cela a un impact semblable chez un jeune anglophone qui vit la même chose dans la relation inverse, en faisant un échange dans une collectivité francophone et en découvrant les éléments de ce volet de la vie au Canada que, autrement, il ne connaîtrait pas.

J'ai été enseignant d'immersion dans les programmes d'été, et j'ai encore des amis que j'ai rencontrés à cette époque où ils avaient l'occasion de côtoyer la francophonie. Encore une fois, on n'apprend pas une langue sans avoir une raison de la vivre. C'est fondamental. Il faut trouver toutes sortes d'occasions de le faire, que ce soit dans le cadre d'échanges, mais, certainement, dans le cadre d'une stratégie de valorisation du bilinguisme au Canada.

La présidente : Je tiens à vous remercier très sincèrement, au nom du comité, d'avoir partagé vos expériences personnelles et votre expertise avec les membres du comité. Je sais que votre mémoire et vos recommandations seront très utiles et pertinents pour les travaux du comité. Encore une fois, je vous présente tous mes remerciements.

(La séance est levée.)


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