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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 11 - Témoignages du 23 mars 2015


OTTAWA, le lundi 23 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Je m'appelle Claudette Tardif, je suis sénatrice de l'Alberta et présidente de ce comité. Avant de commencer nos travaux, je demanderais aux sénateurs de se présenter en commençant à ma gauche.

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, sénatrice du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, sénatrice du Québec.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, sénatrice de la ville de Québec.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, sénateur du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Charette-Poulin : Marie Poulin, sénatrice de l'Ontario.

La sénatrice Chaput : Maria Chaput, sénatrice du Manitoba.

La présidente : Au cours de cette 41e législature, les membres du comité examinent les politiques linguistiques et l'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique. Le but de cette étude est d'examiner les politiques existantes, les défis et les bonnes pratiques qui favorisent l'apprentissage d'une deuxième langue dans les pays où il y a deux ou plusieurs langues officielles. Le comité, dans le cadre de son étude, examine à la fois la perspective canadienne et la perspective internationale.

Aujourd'hui, nous recevons deux groupes de témoins. En premier lieu, nous sommes très honorés d'accueillir Son Excellence Beat Nobs, ambassadeur de la Suisse au Canada, et M. Urs Obrist, agent responsable des affaires scientifiques, de la recherche et de la formation à l'ambassade de la Suisse au Canada.

J'ai eu le plaisir, le 27 novembre dernier, en compagnie de notre greffier et de notre analyste, d'accueillir l'ambassadeur Nobs et M. Obrist lors d'une rencontre au cours de laquelle ils ont fait une présentation au sujet de la formation linguistique en Suisse et de l'enseignement des langues étrangères. À la fin de leur présentation, M. l'ambassadeur nous a offert généreusement de venir témoigner devant notre comité dans le cadre de cette étude.

Messieurs, les membres du comité sont ravis de vous recevoir aujourd'hui pour vous entendre au sujet de la situation linguistique en Suisse. J'inviterais Son Excellence à procéder avec sa présentation. Ensuite, les sénateurs poseront des questions.

Son Excellence Beat Nobs, ambassadeur de la Suisse au Canada, ambassade de la Suisse au Canada : Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très honoré d'être accueilli au sein de ce comité aujourd'hui pour partager avec vous la situation de l'enseignement linguistique en Suisse. Je le fais volontiers, et je remercie mon collègue, M. Obrist, l'expert des détails, de m'accompagner. Vous me verrez me tourner vers lui lorsque les choses commenceront à être compliquées.

Laissez-moi commencer par vous décrire un peu la situation constitutionnelle en Suisse en ce qui concerne les langues. Pour comprendre l'enseignement, il faut connaître la situation telle qu'elle existe sur le terrain.

La Suisse est composée de régions où l'on parle quatre langues. Même si, juridiquement, c'est exact, en réalité, c'est faux. Je vous explique pourquoi je dis cela. La majorité des Suisses, à peu près les deux tiers, sont nommés des germanophones qui vivent une situation africaine. Je vous explique ce que je veux dire par cela.

Environ un quart d'entre eux sont des francophones qui vivent dans l'ouest du pays. Puis, il y a des italophones, à peu près 5 p. 100, qui vivent au sud. Au sud-est, il y a une population qui parle la quatrième langue officielle, le romanche.

En Suisse, c'est le principe territorial qui règne, c'est-à-dire que si vous êtes un germanophone du canton de Lucerne, en Suisse centrale, et que vous déménagez à Genève, vous êtes obligé de n'utiliser pour tout contact avec les autorités que le français. Si vous êtes Genevois et que vous déménagez pour des raisons professionnelles à Zurich, vous êtes obligé de n'utiliser que l'allemand.

La langue n'est pas une question de personne, mais de territoire. C'est ce qui nous a permis de garder la paix en Suisse depuis toujours. Il faut aussi ajouter, en ce qui concerne la question de la paix linguistique que, contrairement à d'autres pays, comme le Canada, dans une certaine mesure, mais certainement comme la Belgique, les différences entre les différents groupes sociaux en Suisse ne se limitent pas à la langue. Il y a, traditionnellement, dans cet État fédéral, des cantons francophones protestants, des cantons francophones catholiques, des villes et des cantons agricoles germanophones et francophones. Les attraits de l'un et de l'autre ne se cristallisent pas seulement autour de la question de la langue. Il est important de le comprendre.

Le deuxième aspect, et c'est la raison pour laquelle j'ai mentionné la situation africaine, c'est qu'en Suisse, les gens ne parlent pas l'allemand, ils parlent le suisse-allemand, qui est une langue à part. Toutefois, ils écrivent en allemand. C'est comme au Kenya, où j'ai travaillé, où il y a des tribus bantoues qui parlent leur langue, le kikuyu, mais qui utilisent toutes, si ce n'est l'anglais, le swahili pour ce qui est de la langue écrite.

Ainsi, pour nous, pour ceux qui viennent de la partie orientale de la Suisse, la première langue à apprendre est toujours l'allemand, parce qu'il faut le connaître pour écrire. Cependant, dire que le suisse-allemand ne s'écrit pas, ce que je viens de dire, est faux. Les jeunes qui sont instruits, dont l'un de mes fils, qui prépare son doctorat en immunologie, n'écrivent qu'en suisse-allemand. Même s'il n'existe pas de codification parmi les jeunes, cela commence. Si cela existait aujourd'hui, par exemple, pour les Suisses alémaniques, personne n'écrirait en allemand. Cependant, moi, avec mes garçons, j'ai commencé à écrire en suisse-allemand. Il n'y a pas de codification juste ou fausse. Il n'y a pas d'académie, de prêtres avec de longues robes qui se penchent sur cette question. C'est une langue qui vit.

Toutefois, la tendance est claire. Maintenant, cela complique la situation. Dans la prochaine étape de ma présentation, j'arrive à cette question. Pour nos confrères francophones et italophones, ce qu'ils apprennent à l'école, c'est l'allemand. Ensuite, ils parcourent la frontière linguistique, mais cela ne leur sert pas à grand-chose. Il y a un problème interne chez nous qui complique les choses.

En ce qui concerne l'enseignement des langues, comme vous pouvez bien vous l'imaginer, en Suisse, il s'agit d'un dossier très important. Lorsqu'on évolue dans une situation multiculturelle, il faut — pour des raisons de cohésion nationale et de culture — veiller à ce que les uns comprennent les autres. La Suisse a toujours essayé de faire cela. En Suisse, l'éducation — et ici, au Canada, vous le comprenez très bien —, est un sujet d'autorité cantonale, ou provinciale. Le gouvernement fédéral n'a pas grand-chose à dire, avec certaines exceptions qui sont régies par la loi, mais la méthode d'enseignement relève presque entièrement du champ de compétences des cantons.

[Traduction]

Cela nous amène à la question épineuse de l'enseignement des langues.

[Français]

La Suisse a adopté les cantons entre eux; en principe un système qui s'appelle le modèle trois-cinq. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela signifie que l'enseignement dans la première langue étrangère commence à la troisième année. À la cinquième année, l'enseignement de la deuxième langue commence, parce que la Suisse se trouve au centre de l'Europe.

La Suisse dépend fortement de ses exportations. Nous n'avons pas, comme au Canada, de richesses naturelles, sauf notre matière grise et un peu de beauté naturelle qui peut se vendre dans le cadre du tourisme. Il faut donc avoir une population très éduquée aux croisements du continent. En principe, jusqu'à il y a quelques années, le principe était clair : les cantons francophones apprennent l'allemand; les cantons germanophones apprennent le français; et les cantons mixtes — certainement le Tessin, au sud — ont le droit de choisir. Cependant, peut-être pour des raisons de pragmatisme, beaucoup de cantons germanophones voient moins la nécessité de commencer avec le français, parce que quand ils commencent leur carrière aux banques de Zurich, ils sont en contact avec Hong Kong, Toronto ou Montréal — où tout le monde est bilingue —, et la langue utilisée est l'anglais. Il n'y a pas de réunions internationales de banquiers qui parlent français. Comme les gens sont pragmatistes, calvinistes — il ne faut pas oublier qu'en ce qui concerne les Suisses, ici, on parle de luthériens; ils sont des calvinistes, comme les Néerlandais et les Écossais—, vous voyez, ce sont des gens pour qui l'argent est important. Ils disent donc qu'il faut commencer avec l'anglais, parce que c'est plus utile.

Pour nos confrères francophones — et vous êtes tous des francophones, ce qui est une remarque intéressante —, l'importance de la langue française en tant que telle, non seulement à titre d'outil pour la communication, est plus élevée. Pour cette raison, les cantons francophones ont fortement poussé pour que les cantons germanophones commencent aussi avec le français. Maintenant, on se trouve dans une phase dans laquelle il n'est pas aisé de déterminer dans quelle direction les cantons vont se diriger. Il y en a certains qui, par exemple, viennent de rejeter l'abolition de la deuxième langue, parce qu'il y avait aussi cela, mais il y a une grande majorité des gens... Comme vous le savez bien, les Suisses décident toujours ces choses par référendum; ce n'est pas le Parlement qui décide, c'est nous, le peuple. Et les Suisses, en général, se sont rendu compte qu'il faut garder les deux langues, mais lesquelles? Cette question fait maintenant l'objet de discussions. Je vais, dans un instant, me tourner vers M. Obrist afin qu'il puisse vous donner les détails concernant cette discussion.

Il faut mentionner une autre chose, comme je viens de le dire auparavant : le rôle du suisse-allemand. Le suisse- allemand n'est pas un dialecte comme le français québécois, qui a, en principe, la même grammaire et certaines expressions et prononciations différentes; c'est une langue grammaticalement proche, mais différente de l'allemand. La mélodie est différente, le sentiment de ceux qui le parlent est différent. Je parle allemand, mais c'est une langue étrangère. Je le parle très bien, mais ce n'est pas mon cœur qui parle. Plusieurs de nos confrères francophones, finalement, se sont rendu compte de cela et commencent à apprendre le suisse-allemand. C'est un développement important, parce que cela permet aux Suisses alémaniques de comprendre l'idée de la cohésion nationale au-delà des aspects pécuniaires qui, soyons honnêtes, parleraient pour l'enseignement de l'anglais en premier lieu. Dans cette situation, pour l'instant, comme au Canada, c'est une affaire qui nous tient occupés. Je me tourne donc vers mon collègue Urs pour qu'il vous apporte des détails sur le concept des trois-cinq, notamment.

Urs Obrist, agent responsable des affaires scientifiques, de la recherche et de la formation, Ambassade de la Suisse au Canada : C'est un plaisir pour moi d'être ici et de vous parler du système didactique des enseignements en Suisse, et justement, pour ajouter des détails au sujet du modèle trois-cinq qui a été présenté en discussion.

En Suisse, il y a 26 cantons, dont 14 qui introduisent l'anglais comme première langue étrangère. Les 12 autres cantons introduisent une des langues nationales. C'est un élément — comme l'a mentionné M. l'ambassadeur — politique, parce qu'on dit que le français fait partie de la culture de la Suisse et que l'anglais est plutôt une langue économique. Il y a donc cette tension entre ces deux aspects. Il y a justement trois semaines, le 8 mars dernier, il y a eu un vote qui est un exemple pour plusieurs mouvements en Suisse à ce chapitre. Il y a un petit canton qui s'appelle Nidwald où le peuple a eu la chance de voter pour garder l'introduction du français comme première langue étrangère au niveau de la troisième classe. Or, 62 p. 100 de la population de ce petit canton a accepté ce vote, et c'était un symbole pour ce canton de maintenir le français comme première langue étrangère enseignée.

Cela dit, la discussion continue en ce moment et nous sommes au milieu de cette discussion, parce que les premiers cantons qui ont introduit l'anglais à la fin du XXe siècle arrivent justement au point de laisser sortir la première génération d'étudiants qui ont passé tous les cours de ce système moderne, soit le trois-cinq avec l'introduction de l'anglais précoce au niveau de la troisième classe. De plus, on commence à faire des études pour aller entendre et mieux comprendre quelles sont les conséquences d'introduire une langue qui n'est pas nationale, et quels sont les effets pour la Suisse et l'enseignement des langues en Suisse. Je vais laisser cette question à ce point-ci afin de passer la parole à la sénatrice Tardif pour les questions. Vous avez déjà reçu une carte de la Suisse qui explique la question des trois-cinq d'une manière colorée. Il reste toutefois amplement de questions auxquelles je serai heureux de répondre.

La présidente : J'aimerais tout d'abord vous remercier de votre excellente présentation. Il y a déjà une liste de sénateurs qui veulent poser des questions. La première sera posée par la vice-présidente du comité, la sénatrice Fortin- Duplessis. Elle sera suivie de la sénatrice Charette-Poulin.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur l'ambassadeur, j'apprécie beaucoup votre présence ici, ainsi que celle de M. Obrist. Vous avez mentionné que l'enseignement de la langue relève des autorités cantonales. On a appris que plusieurs mesures avaient été prises en Suisse, au cours des dernières années, en faveur de l'apprentissage des langues étrangères au niveau de l'école primaire. J'aimerais savoir quelles sont les mesures qui ont été prises. Deuxièmement, j'aimerais aussi savoir si la Confédération offre du financement additionnel pour mettre en œuvre ces mesures.

M. Nobs : Nous venons d'expliquer le système trois-cinq. C'est-à-dire que les cantons se sont mis d'accord pour appliquer ce système en commençant à la troisième année pour la première langue et à la cinquième année pour la deuxième langue. Maintenant, oui, il y a eu du soutien de la part de la Confédération. C'est un soutien moral.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Et non financier.

M. Nobs : Ce sont des mots et non du financement. Le financement est de juridiction cantonale, et c'est le cas sauf pour deux langues, soit l'italien et le romanche, parce que celles-ci bénéficient d'une protection spéciale, la protection des minorités traditionnelles. Le reste relève de la compétence des cantons. Par conséquent, ceux-ci sont aussi responsables du financement.

Il en va de même pour la formation des professeurs. La formation des professeurs, au niveau cantonal, est entre les mains des cantons. On n'a pas, comme dans les autres pays, par exemple, des examens nationaux où, un jour du mois d'avril, tous les élèves d'un certain âge, au sein d'un pays, se réunissent et commencent à 8 heures pile à répondre aux mêmes questions en mathématiques. Tout est vraiment fédéralisé.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Avez-vous remarqué si certains cantons réussissent mieux que d'autres? Vous vouliez ajouter quelque chose?

M. Obrist : Oui, j'aimerais ajouter aux propos de l'ambassadeur. Un cadre a été établi en 2004. La Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) est responsable pour l'institution publique. C'est la CDIP qui a aidé à mettre en place une stratégie nationale pour le développement de l'enseignement des langues en Suisse. On a trouvé une sorte de compromis. Comme on l'a déjà entendu, il existe de nombreux intérêts différents. Dans le contexte d'une harmonisation des procédures ou des formations à l'école, qui est aussi gérée par les cantons, on en était arrivé à l'idée qu'il fallait une sorte de parapluie, dans le sens où l'État fédéral contribuerait à cette harmonisation. Cette démarche a commencé tout doucement, mais il y a tout de même quelques soutiens financiers du gouvernement national, en vertu de la loi et de l'ordonnance sur les langues, où on encourage les échanges scolaires en Suisse. On a mis en place une enveloppe d'un million et 50 000 francs par année pour promouvoir les échanges linguistiques nationaux. Cette aide a été rendue possible grâce au soutien à la Fondation ch.

Les prestations de base prennent la forme, par exemple, de conseils, d'accompagnement de projets, d'évaluation, de publication de matériel didactique, de formations et de communications. On parle aussi de programmes scolaires, d'écoles obligatoires et de postes obligatoires. On retrouve aussi des projets liés à la formation professionnelle de base. On commence justement à financer davantage ces dossiers aux niveaux primaire et secondaire, donc aux niveaux obligatoires. Quant aux niveaux postsecondaire et universitaire, des programmes d'échanges sont déjà en place avec des universités de l'Europe et le programme Erasmus. Dans ce secteur, plusieurs millions sont aussi investis.

Dans le cadre de l'école obligatoire, on commence de plus en plus à investir. On se rend compte que les gens ne bougent pas, d'un canton à l'autre, dans le but d'échanger pour le plaisir, car cela entraîne des coûts et des frais. L'Office fédéral de la culture s'intéresse aussi à appuyer ces échanges.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Dans le cadre de ma dernière question, je vous demandais si certains cantons performent mieux que d'autres, à votre connaissance.

M. Nobs : Un rapport sera publié cette année dans lequel on tirera peut-être certaines conclusions. De façon anecdotique, on peut citer notre expérience à nous tous. Nos frères italophones, très souvent, sont les meilleurs quand il s'agit d'utiliser les trois langues, parce qu'ils en sont forcés. Ils doivent le faire. Ils ne peuvent pas se cacher. Pour eux, c'est une question de survie. Ils atteignent un niveau très élevé dans toutes les langues et se débrouillent admirablement bien.

M. Obrist : La situation, comme elle se présente, se déroule par étapes. Les cantons introduisent leurs changements de formation linguistique à différents moments. Le canton de Zurich est le premier à avoir appuyé cela. Après 12 ans, les autres cantons arrivent aussi à ce point. On manque d'études comparatives, mais on peut voir ce qui se passe avec les écoliers qui suivent cette nouvelle formation. Des données, dans le cadre de l'Europe unie, nous indiquent qu'à la sixième ou huitième classe, il faut arriver au niveau A1.2. Il nous faudra attendre les résultats pour faire une comparaison entre les cantons. De toute façon, les cantons sont différents au point de vue linguistique. Dans le canton des Grisons, on parle trois langues. Le canton d'Appenzell est bien différent. Il est un peu difficile de faire une comparaison succincte.

La sénatrice Charette-Poulin : Je vous remercie sincèrement. Vos présentations et vos réponses aux questions de ma collègue nous démontrent à quel point l'enseignement des langues est vraiment une priorité en Suisse pour favoriser, comme vous l'avez dit, la cohésion et la culture, et afin que les uns comprennent les autres.

Est-ce que vous avez fait des recherches sur le développement de la matière grise chez les populations, comme chez vous, dont la majorité parle trois langues ou au moins deux?

M. Nobs : Il est difficile d'énumérer combien de langues parlent les gens. En Suisse, par rapport aux autres pays, je dirais qu'un grand nombre de gens parlent plus d'une langue.

La sénatrice Charette-Poulin : Existe-t-il des recherches auxquelles vous auriez accès ou auxquelles le pays aurait participé pour démontrer le développement de la matière grise d'une personne qui parle une langue par rapport à une personne qui parle plus d'une langue?

M. Nobs : Je ne connais pas d'étude suisse, mais des tests ont été faits à travers le monde, et il paraît que si un enfant commence à apprendre une deuxième langue, cela change la connexion des synapses dans le cerveau et facilite les prochaines étapes.

Le premier pas est le plus dur et, après, cela devient plus facile. Toutefois, je ne pense pas qu'il y ait d'études. Est-ce qu'il y a des études? Oui, il y a des études. M. Obrist a tous les documents.

M. Obrist : Si je puis ajouter quelque chose, il y avait en 2011, dans l'International Journal of Multilingualism, une étude sur les effets, dont le titre était « Introducing a second foreign language in Swiss primary schools : the effect of L2 listening and reading skills on L3 acquisition ».

En sommaire, l'étude a démontré que même si les étudiants font leurs études d'abord en anglais, qui n'est pas une langue nationale, cela les aidera dans le cadre de l'acquisition du français, et ensuite au cours de leurs études.

Là, il faut discuter de la didactique qui a beaucoup changé dans les années passées, dans le sens qu'on cherche aujourd'hui plutôt à introduire des techniques : comment apprendre les langues, et comment les appliquer dans des situations quotidiennes.

On a constaté que si on fait cela avec l'anglais, cela se passe très bien. Les techniques et connaissances apprises à partir de la troisième classe peuvent être appliquées à l'apprentissage d'autres langues plus tard.

Il est clair que l'anglais, pour les germanophones, est un peu plus facile à apprendre que le français, parce qu'il y a plusieurs relations entre les deux langues. Même si on inclut ce facteur, les résultats démontrent que cela aide pour l'apprentissage des langues plus tard.

La sénatrice Charette-Poulin : Je croyais que le développement du cerveau se faisait à tel point avec l'apprentissage d'autres langues qu'on pouvait apprendre plus facilement les mathématiques, et que cela expliquait que le milieu financier soit si bien servi par nos grands banquiers en Suisse.

M. Obrist : Un article paru il y a quelques jours expliquait comment l'apprentissage d'une seconde langue change le caractère d'une personne. Je ne connais pas les détails spécifiques, mais il est clair que si on apprend une langue, on apprend une différente culture.

La sénatrice Charette-Poulin : Est-ce que le pays a relevé des avantages économiques associés à la connaissance de plus d'une langue?

M. Nobs : Oui. Comme je l'ai dit, économiquement, c'est clair. La Suisse a toujours basé son succès économique sur la formation des gens, dont la formation linguistique ne fait qu'une partie. Il y a d'autres éléments, mais ce multiculturalisme, ce multilinguisme était un préalable très important parce que, comme je l'ai dit, la Suisse n'a pas d'industrie extractive. Il n'y a rien, sauf l'eau, alors il fallait s'entraîner et il fallait, en tant que pays qui parlait une langue, le suisse-allemand — qui n'est compris qu'au Liechtenstein —, développer des capacités linguistiques. Historiquement, c'était très important pour nous, pour notre réussite.

La sénatrice Charette-Poulin : Merci beaucoup.

Le sénateur McIntyre : Messieurs, soyez assurés que nous apprécions votre présence ce soir.

Nous savons tous que les parents sont au cœur des choix linguistiques de leurs enfants. Parlez-nous un peu du rôle des parents en Suisse. Selon vous, fait-on suffisamment la promotion de la question linguistique, auprès des parents suisses et auprès de parents issus de l'immigration, pour valoriser l'enseignement de la langue seconde et l'enseignement des langues nationales?

M. Nobs : Comme je viens de le dire, les parents suisses, comme tous les parents, veulent le meilleur pour leurs enfants. Dans la situation suisse, les parents savent que l'enfant a besoin d'une formation avancée et que cette formation avancée contiendrait automatiquement la connaissance des langues. Pour passer les examens d'entrée à l'université ou pour l'enseignement des métiers, il y a toujours des examens linguistiques. La valeur sociale de l'apprentissage d'une ou de plusieurs langues étrangères existe clairement.

Pour les familles immigrées, c'est même plus aigu que pour les familles suisses d'origine, parce que, par exemple, des Espagnols, des Portugais, des Turcs viennent en Suisse et ils sont confrontés à des langues étrangères de leur point de vue. Comme tous les parents, ils voudraient naturellement que leurs enfants progressent, avancent aussi loin que possible dans la société. Alors, ils intègrent les valeurs de la société suisse et ils participent à cette réalité.

Je vous donne un exemple. J'avais un collaborateur suisse, de souche espagnole, qui était le fils d'un couple espagnol qui a immigré à Lausanne, dans la partie francophone. Plus tard dans sa vie, il a été transféré et il a fait ses études à l'Institut fédéral de technologie de Lausanne. Il a ensuite trouvé un emploi à Berne en tant qu'officiel fédéral. Il a pris résidence exprès à Berne parce que, là, on parlait allemand. Ainsi, à la maison, ils ont parlé le français et l'espagnol. À l'école, les enfants parlaient l'allemand et, le samedi, ils envoyaient les enfants dans un cours de chinois pour les préparer pour l'avenir. Selon lui, la connaissance du chinois est un préalable pour l'avancement de ses enfants. C'est là un exemple pour vous expliquer un peu la valeur profonde des langues pour nous.

Le sénateur McIntyre : J'aimerais examiner avec vous les différentes approches d'enseignement de la langue seconde. Comme nous le savons tous, différentes approches existent dans l'enseignement de la langue seconde à travers le monde, que ce soit par l'entremise des programmes de base, des bains linguistiques, des programmes intensifs ou de l'immersion.

Quels modèles ont été mis en place en Suisse? Est-ce que l'un ou l'autre de ces modèles s'est avéré plus efficace pour l'apprentissage d'une langue seconde? Si oui, lequel?

M. Obrist : Comme je l'ai dit, on est dans un processus de transformation. Il y a beaucoup de modèles assez différents. Il est difficile de déterminer qu'un modèle fonctionne pour tous et que c'est le meilleur.

Le sénateur McIntyre : C'est un ensemble de tous ces modèles?

M. Obrist : Oui. Ce qu'on a vu, c'est qu'il faut offrir un enseignement qui utilise des instruments actuels. Les étudiants aiment travailler avec les ordinateurs. Beaucoup de programmes de langue sont offerts sous forme de logiciels. Donc, il y a une connexion directe pour les jeunes. Ils peuvent travailler directement sur l'ordinateur. Ce n'est pas un cadre d'enseignement avec un professeur devant le tableau noir où tous les élèves prennent des notes. Donc, cela a beaucoup changé.

Il faut offrir un enseignement qui se rapproche des situations normales de la vie. Les demandes des curriculums permettent aux étudiants d'acquérir des compétences de vie, comme se débrouiller pour demander leur chemin ou parler avec une personne inconnue pour trouver des réponses de base. En ce qui concerne l'école obligatoire, jusqu'à la neuvième année, notre objectif est vraiment de les aider à atteindre un niveau qui leur permet de s'organiser. On met l'emphase sur la compréhension écrite et la communication orale, alors que les compétences écrites seront considérées aux niveaux HarmoS 10 et 11. Il s'agit plutôt d'encourager les jeunes à parler et à interagir avec les autres. L'enseignement en classe porte sur les intérêts. On leur enseigne la chimie en français, pour qu'ils apprennent le français en même temps que la chimie.

M. Nobs : J'aimerais ajouter une chose. Je crois qu'il est prouvé que le chemin royal, en sciences linguistiques, c'est l'immersion. La preuve, au Canada, c'est que ce sont les jeunes immigrants qui parlent plusieurs langues.

L'enseignement est un rapprochement d'autant plus qu'on peut créer l'ambiance d'une langue. Cela aide. Moi, j'ai enseigné l'anglais pendant longtemps et j'ai remarqué que, plus on était près de la réalité, plus les élèves réussissaient.

L'immersion n'est pas toujours facile, mais j'y crois. En Suisse, on a malheureusement trop peu utilisé cette technique, à cause de la situation suisse-allemande. On n'avait pas affaire à de pauvres petits Genevois qui ne comprennent rien. Ce n'était pas la raison pour laquelle ils voulaient venir, car ils voulaient apprendre l'allemand. Voilà pourquoi on ne l'a pas fait. On a commencé ces derniers temps. Cela coûte de l'argent. On a besoin d'une certaine logistique. Je crois vraiment que la réussite dépend de l'immersion. J'ai écouté M. Mulcair à la télé hier; il est parfaitement bilingue. Ceci ne peut se réaliser que si on est vraiment exposé à la langue.

Le sénateur Maltais : Monsieur l'ambassadeur, monsieur Obrist, c'est un honneur et un privilège de vous recevoir. Vous avez parlé d'immigration. Nous, en Amérique, nous sommes tous des immigrants — sauf les peuples autochtones qui étaient ici avant nous —, donc les langues et la culture sont arrivées il y a 500 ans. Nous n'avons pas une histoire millénaire comme la vôtre.

Une chose m'intrigue : la Suisse a un Parlement confédéral; quelle langue y parle-t-on?

M. Nobs : C'est comme aux Nations Unies, chacun parle sa langue. Pardon, ce n'est pas absolument juste : les romanches n'ont pas le droit, parce que cela coûterait trop cher. On est des calvinistes. Les questions de frais jouent toujours un rôle. Cependant, les autres ont le droit. Le romanche est une langue nationale, mais pas une langue officielle. Le qualificatif d'« officielle » est réservé aux contacts entre la population et les autorités fédérales. C'est une langue officielle au canton des Grisons.

Le sénateur Maltais : C'est intéressant. J'ai une autre question concernant les universités. Je vous donne un exemple très simple : prenons un jeune qui vient de Bâle, par exemple, et qui fait ses études à Genève. Dans quelle langue étudiera-t-il?

M. Nobs : Cela dépend. S'il est au niveau du bac, cela se fera en allemand ou en français. Par la suite, en sciences ou en économie, la réponse est claire, l'enseignement ne se fait qu'en anglais.

M. Obrist : Si je peux ajouter quelque chose, c'est tout à fait cela, mais en ce qui concerne la maîtrise, certains programmes ne sont gérés qu'en anglais, quoique ça ne s'applique pas à tous. Cela dépend des universités. Ce sont elles qui décident quel sujet elles vont enseigner en anglais. Cependant, en ce qui concerne le baccalauréat, c'est plutôt la loi territoriale qui s'applique.

M. Nobs : Cependant, en sciences, on ne peut plus choisir. Ce n'est que l'anglais. La Federal Institute of Technology est l'université la mieux cotée en Europe continentale, à Zurich, et l'enseignement ne s'y donne qu'en anglais, pour la simple et bonne raison que plus de 50 p. 100 des professeurs sont des Chinois, des Américains, des Allemands, des Néerlandais. L'université n'est pas considérée comme nationale, mais plutôt internationale, comme Harvard. Pour eux, la question des langues n'existe pas.

Le sénateur Maltais : On sait que le peuple suisse est très fier. C'est reconnu sur la scène internationale. Les Suisses marchent la tête haute, parce qu'ils sont fiers de ce qu'ils ont accompli au cours des siècles. Quel est le facteur qui rassemble tous les Suisses multilingues du point de vue culturel?

M. Nobs : La démocratie directe.

Le sénateur Maltais : Par référendum continuel.

M. Nobs : Oui. Et le fédéralisme, comme au Canada. Le centralisme. C'est la démocratie directe. La Suisse n'est pas membre de l'Union européenne à cause de certains aspects économiques, c'est clair, parce que nous réussissons bien sans eux, mais autrement, nous sommes fiers de décider pour nous-mêmes. C'est une réponse de citoyen et non d'ambassadeur.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie pour votre présence à notre comité. Votre présentation est très intéressante et est appréciée. L'un des défis au Canada, en ce qui concerne l'enseignement d'une langue seconde, c'est de trouver des enseignants compétents en ce domaine. Est-ce également un problème en Suisse?

M. Obrist : Je ne crois pas qu'il s'agisse d'un grand problème pour nous. Cela vient par période, mais, en général, cela se passe assez bien. Justement, dans le contexte de notre réforme, puisqu'on introduit l'anglais de façon précoce, il nous faut aussi former des professeurs d'école primaire. Cela occasionne des frais et du travail, c'est clair. On fait de grands efforts. Par exemple, on organise des échanges non seulement entre étudiants, mais également entre professeurs, afin qu'ils passent quelques mois en Suisse romande ou en Suisse des cantons allemands. Donc, on fait les efforts nécessaires, et on s'y connaît bien dans ce domaine. En général, je crois que notre méthode fonctionne assez bien.

La sénatrice Poirier : Si j'ai bien compris, vous avez dit qu'un élève qui est aux études apprend une langue en troisième année et une autre langue en cinquième année. En réalité, les élèvent parlent trois langues; ils ont la langue maternelle et ils ajoutent une deuxième langue et une troisième langue.

Vous avez dit aussi que dans les niveaux primaires, il s'agissait davantage de leur apprendre à parler les langues, et que lorsqu'ils arrivent au collège, on leur apprend à les écrire. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Nobs : Pas tout à fait. Naturellement, M. Obrist a fait référence aux années où nous avons appris le français. C'était un peu comme le système japonais. Aujourd'hui le système a changé. On veut enseigner aux jeunes élèves la capacité d'utiliser la langue, et la capacité d'utiliser la langue verbalement vient d'abord. Mais, en principe, tout est inclus et, plus nous avons du temps à notre disposition, plus profondément nous pouvons l'enseigner.

La sénatrice Poirier : Vous dites que la majorité des élèves qui sortent de la douzième année ont appris trois langues. Est-ce qu'ils peuvent utiliser n'importe laquelle de ces trois langues une fois sur le marché du travail ou est-ce qu'ils doivent poursuivre leur apprentissage à l'université pour perfectionner ces langues?

M. Obrist : Les directeurs des établissements suisses d'éducation suivent le Cadre européen commun de référence pour les langues. Après la sixième année scolaire (HarmoS huitième), on va s'arrêter encore dans la lettre A1.2, mais le but à long terme est d'arriver au niveau A2.1. Au niveau de la neuvième année (HarmoS onzième), on devrait arriver pour les deux langues étrangères au niveau A2.2. Il s'agit d'un niveau élevé. De plus, on a la langue maternelle qui est la troisième langue de toute manière.

L'idée, c'est de faire en sorte que les étudiants, lorsqu'ils arrivent au niveau postsecondaire, après 12 ans de formation, puissent exercer une profession dans une zone linguistique qui n'est pas la zone linguistique maternelle.

La sénatrice Chaput : Messieurs, c'est une discussion tellement fascinante que je pourrais la prolonger pendant des heures avec vous. Ma question fait suite à celle qui a été posée par ma collègue, la sénatrice Poirier, et elle concerne les professeurs.

Ce sont les cantons qui sont responsables de l'embauche des professeurs. En ce qui concerne le bassin de professeurs, est-ce qu'il est établi au niveau national ou est-ce que les cantons font eux-mêmes leur propre recrutement? Ils le font eux-mêmes?

M. Nobs : Oui, ils font leur propre recrutement et leur propre formation. Aujourd'hui, il est possible d'engager des professeurs d'un autre canton, mais vous comprenez que la Confédération suisse, c'est une confédération. Alors, on n'a pas pu prendre pour garantie que le professeur du canton à côté était aussi bien éduqué que les nôtres. On n'a pas pu les engager. C'était un peu l'esprit provincial.

Aujourd'hui, cela a changé, certainement aussi parce qu'il y avait un manque. Il fallait engager des étrangers. C'était possible, parce que la Suisse a conclu des accords bilatéraux avec l'Union européenne qui nous donnent accès librement au marché du travail et vice versa. Dans les cantons de l'est du pays, il était facile d'engager, par exemple, des professeurs allemands.

Cependant, d'un point de vue culturel, souvent, c'est un problème, parce que le comportement d'un jeune Suisse et le comportement d'un jeune Allemand, ce n'est pas la même chose. Ceux qui étaient enseignants en Allemagne sont entrés dans les salles de classe en croyant qu'il y avait des petits Allemands. On avait des problèmes. Mais, maintenant, je pense que la formation correspond à peu près au marché. Il n'y a plus de manque comme cela s'est déjà vu.

La sénatrice Chaput : Sur le plan national, est-ce qu'il y a certaines normes en termes de qualité de l'éducation?

M. Nobs : Il y a des normes, parce que le marché les demande, mais il n'y a pas de normes imposées par l'État fédéral.

La sénatrice Chaput : Elles sont donc établies en fonction du marché de la demande?

M. Nobs : Oui, ce sont des niveaux qui se développent entre eux.

M. Obrist : En ce qui concerne les professeurs, on ne trouve pas dans chaque canton une école pour former les professeurs.

La sénatrice Chaput : Non, je comprends.

M. Nobs : Mais dans les grands cantons, il y en a.

M. Obrist : Il y a des accords avec les universités qui forment les professeurs quant au niveau de formation qu'on veut atteindre comme professeur de niveau primaire ou secondaire. Cela existe.

La sénatrice Chaput : Quant aux coûts de ces professeurs qui doivent suivre une formation, est-ce que c'est toujours les cantons qui en sont responsables?

M. Obrist : Il y a des accords entre les cantons et les centres de formation.

La sénatrice Chaput : D'accord, merci. Madame la présidente, est-ce que je peux poser une autre question?

La présidente : Notre greffier nous dit que notre temps est écoulé, parce que notre prochain témoin attend en vidéoconférence.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Je vous remercie beaucoup pour votre exposé. Vous avez largement parlé des responsabilités et des pouvoirs des cantons. Je m'intéresse aux responsabilités et aux pouvoirs du gouvernement fédéral. Quels sont-ils en ce qui a trait à la langue en Suisse?

M. Nobs : Je veux être absolument clair. Chaque canton contrôle l'éducation, et il s'agit là d'un droit fondamental. Au cours des dernières années, le gouvernement fédéral a lancé certaines initiatives visant l'harmonisation afin d'assurer la cohésion nationale, mais aucune initiative ne porte sur les programmes scolaires ou une mesure à adopter dans le domaine de l'enseignement dans les cantons. Il s'agit d'un droit qui est jalousement défendu, et le gouvernement fédéral doit agir avec une très grande précaution lorsqu'il touche à ce droit.

Récemment, notre ministre de l'Éducation, qui est un francophone, est intervenu publiquement dans le débat, qu'il a pris à cœur, sur la question de savoir si la première langue enseignée devrait être l'autre principale langue nationale ou peut-être l'anglais. Les cantons n'ont pas du tout aimé cela. C'est pourquoi M. Obrist a mentionné cette situation.

Le gouvernement fédéral verse aux cantons seulement un peu plus d'un million de francs suisses par année, ce qui est très peu, alors il doit faire très attention.

M. Obrist : C'est un aspect de la perception des cantons. En même temps, parce qu'il existe des stratégies nationales en matière d'éducation qui exigent une harmonisation, cela fait en sorte que les cantons doivent collaborer. Lorsqu'il y a un désaccord ou un problème, le gouvernement fédéral intervient en disant : « Nous avons conclu une entente d'harmonisation qui comporte des normes nationales en matière d'éducation. La façon dont vous vous y prenez pour atteindre ces normes ne nous importe pas vraiment, mais nous faisons des vérifications pour nous assurer que ces normes sont respectées. »

M. Nobs : Le gouvernement fédéral préfère demander plutôt qu'obliger.

La sénatrice Seidman : D'accord.

Avez-vous des statistiques sur le nombre de personnes en Suisse qui parlent une deuxième et une troisième langue? Je sais que vous êtes en train de changer certaines choses et que vos statistiques portent maintenant seulement sur certains éléments, mais, dans le passé, avez-vous tenu des statistiques sur le pourcentage de la population qui est bilingue et trilingue, selon les catégories d'âge?

M. Obrist : Le Bureau fédéral des statistiques a commencé à établir un portrait plus précis à ce sujet. Nous serions ravis de vous fournir les chiffres que nous avons. Ils sont un peu fragmentés, mais nous pourrions vous les faire parvenir.

Je vous recommande aussi fortement de communiquer avec le Centre scientifique de compétence sur le plurilinguisme. Nous serions heureux de vous mettre en contact avec ce centre. Il est situé à Fribourg, qui se trouve à proximité de la frontière linguistique en Suisse. Il est certain qu'il pourrait vous fournir des données. Nous pouvons aussi vous mettre en contact avec la déléguée au plurilinguisme de la Suisse, Mme Mariolini, qui viendra au Canada plus tard cette année. Nous pouvons assurément vous fournir des données statistiques.

La présidente : Nous vous serions très reconnaissants de transmettre cette information au comité par l'entremise du greffier.

[Français]

La sénatrice Chaput : Selon votre expérience, quels seraient les trois éléments principaux pour favoriser l'apprentissage optimal d'une langue seconde?

M. Nobs : Immersion, immersion et immersion. J'ai fait l'expérience avec mes trois fils. Nous avons vécu en Nouvelle-Zélande et ils sont devenus des kiwis linguistiques. C'était la façon la plus simple. Toutefois, les choses ne sont pas toujours aussi faciles. On ne peut pas envoyer tous les élèves dans ces régions, mais c'est un bon entraînement.

À mon avis, il faut considérer trois choses. Premièrement, il y a les valeurs de la société. Il faut comprendre que le multilinguisme est un atout. Deuxièmement, il y a l'enseignement des professeurs. Troisièmement, comme toujours, il y a les moyens financiers. Dans une société moderne, sans les moyens financiers, on ne peut rien atteindre.

M. Obrist : Si je puis ajouter à ces propos, je mentionnerais aussi les échanges. Les échanges sont une autre forme d'immersion et ils ajoutent réellement à l'expérience. Les efforts vont en ce sens et, même en Suisse, on cherche à promouvoir cet aspect.

La présidente : Malheureusement, notre temps est écoulé. Monsieur l'ambassadeur, monsieur Obrist, je vous remercie de votre précieuse collaboration à notre étude et de votre grande disponibilité. Soyez assurés que vos commentaires et vos réflexions seront retenus dans le cadre de la progression de notre étude.

Le comité souhaite avoir l'occasion de se rendre dans votre pays pour y faire une visite officielle afin de mieux saisir le contexte dans lequel évoluent les pratiques d'apprentissage des langues officielles. Vous nous avez mis au courant de plusieurs nouvelles initiatives et aussi d'une certaine évaluation des initiatives que vous avez mises de l'avant. Nous serions privilégiés, si la mission d'étude se réalise, de nous rendre dans votre pays.

Honorables sénateurs, la prochaine partie de notre réunion vise à entendre le point de vue de la jeunesse et des parents sur l'apprentissage d'une deuxième langue. Nous avons le plaisir d'accueillir, par vidéoconférence, de la ville de Québec, M. Marc Charland, directeur général de la Fédération des comités de parents du Québec. De la Fédération de la jeunesse canadienne-française, nous accueillons M. Alec Boudreau, président, et Mme Josée Vaillancourt, directrice générale. Bienvenue à vous tous.

J'invite M. Charland à faire sa présentation. Nous entendrons ensuite M. Boudreau. Après les présentations, les sénateurs poseront des questions. La parole est à vous, monsieur Charland.

Marc Charland, directeur général, Fédération des comités de parents du Québec : Merci de cette invitation.

[Traduction]

Je remercie les membres du comité de s'intéresser à ce sujet.

[Français]

J'aimerais dire quelques mots, d'abord, pour nous présenter. La Fédération des comités de parents a pour mission la défense et la promotion des droits et des intérêts des parents et des élèves de l'école publique québécoise. Elle tire sa légitimité de la désignation d'un représentant des parents pour chacune des écoles publiques, lors de l'assemblée générale des parents d'une école, à siéger au comité des parents de la commission scolaire.

La fédération réunit des comités de parents francophones et anglophones.

[Traduction]

La participation des parents à la vie scolaire demeure importante au Québec. Nous estimons que plus de 18 000 parents donnent de leur temps et mettent à profit leur expertise en vue d'améliorer la vie scolaire de leurs enfants au profit de leur collectivité et de la société québécoise.

Depuis près de 40 ans, la fédération se préoccupe de l'avenir de nos jeunes.

[Français]

Lorsqu'il est question de l'apprentissage des langues, les parents du Québec, comme tous les parents, souhaitent le meilleur pour leurs enfants. Pour ce qui est de l'apprentissage d'une deuxième langue, ils sont conscients de son importance afin que leur jeune puisse réaliser ses rêves plus tard, qu'il s'agisse de rêves personnels, professionnels, de voyage ou liés à l'amélioration de sa culture personnelle, ici ou ailleurs.

Puisque des études montrent que l'apprentissage d'une l'autre langue favorise le développement cognitif pour tous les types d'apprenants, les parents y sont donc ouverts. Ils sont conscients aussi que les études démontrent que pour communiquer aisément dans une deuxième langue, on doit prévoir plus de 1 200 heures d'enseignement. Le bilinguisme s'obtient, quant à lui, après plus de 4 000 heures d'enseignement ou de contacts. Les parents sont donc conscients qu'un tel niveau d'exposition ne peut se réaliser seulement à l'école.

Par ailleurs, dans un récent avis, le Conseil supérieur de l'éducation du Québec présentait la complexité de l'équilibre linguistique à conserver dans le développement de nouveaux cours d'anglais langue seconde au primaire, afin de conserver la vitalité du français, d'une part, et d'assurer un enseignement efficace de l'anglais, d'autre part.

Ces conditions qu'ils ont relevées peuvent inclure notamment l'utilisation d'une pédagogie appropriée, à laquelle doit être consacré suffisamment de temps, et la présence de spécialistes qualifiés et compétents.

J'aimerais prendre quelques instants pour brosser un tableau de la situation au Québec en ce qui a trait aux systèmes francophone et anglophone liés à l'apprentissage d'une deuxième langue. Chez les francophones, on compte environ 2 000 écoles qui sont gérées par 60 commissions scolaires. Selon le régime pédagogique actuellement en place, l'anglais représente environ 80 heures d'enseignement par année au primaire et peut représenter jusqu'à 200 heures d'enseignement par année au premier cycle du secondaire, soit les secondaires I et II, ce qui correspond à la septième et à la huitième année à l'extérieur du Québec.

Les objectifs de cet enseignement en anglais sont de permettre la mobilisation de la compréhension de textes, l'interaction orale, le réinvestissement de la compréhension de textes, qu'ils soient lus ou entendus, et même la rédaction de certains textes. Idéalement, à la fin des études secondaires, les élèves devraient pouvoir communiquer en anglais de façon à combler leurs besoins et continuer à explorer leurs champs d'intérêt dans une société en constante évolution. C'est ce que le ministère de l'Éducation prévoit.

Au cours des dernières années, les parents ont revendiqué des améliorations quant à l'enseignement de l'anglais. À l'heure actuelle, on voit donc fleurir des programmes d'anglais intensifs au troisième cycle du primaire, en cinquième ou en sixième année, de même que des projets particuliers au secondaire qui favorisent la capacité des francophones à apprendre cette deuxième langue.

Néanmoins, un enfant qui, à l'heure actuelle, ne ferait que suivre le parcours régulier serait en deçà des 1 200 heures qui lui seraient nécessaires pour pouvoir communiquer couramment. Chez les anglophones, la situation est la suivante.

[Traduction]

Le réseau d'écoles publiques anglophones du Québec accueille environ 115 000 élèves rattachés à neuf différentes commissions scolaires. Comme vous le savez, l'accès à l'enseignement en anglais est réservé aux enfants dont le père ou la mère a fait ses études en anglais au Canada.

[Français]

Quelques écoles anglophones desservent une population majoritaire qui parle le français à la maison, ce qui pose d'autres défis. Permettez-moi brièvement de vous présenter des programmes de l'école primaire et secondaire qui sont offerts soit à l'English Montreal School Board ou à l'Eastern Township School Board. Je vous invite à consulter le site noussommesbilingues.ca de l'English Montreal School Board pour obtenir davantage de renseignements. Au niveau élémentaire, il existe plusieurs programmes.

[Traduction]

Il y a premièrement les écoles où la majeure partie de l'enseignement se déroule en anglais, mais où une partie importante de l'enseignement s'effectue en français.

Deuxièmement, il y a les écoles d'immersion française, qu'on appelle parfois les écoles bilingues. L'enseignement se déroule à parts égales en anglais et en français. Dans la plupart des écoles qui suivent le programme bilingue, il y a une alternance tous les jours ou toutes les semaines.

Troisièmement, il y a les écoles d'immersion complète. Dans ces écoles, 80 p. 100 de l'enseignement s'effectue en français et 20 p. 100 en anglais. Toutefois, jusqu'à la troisième année, la langue d'enseignement est uniquement le français. Au-delà de ce niveau, l'enseignement se déroule en anglais et en français.

[Français]

Au niveau secondaire, plusieurs programmes de français sont également proposés aux jeunes anglophones. Qu'il s'agisse de français langue maternelle, de français langue d'enseignement ou de français langue seconde, ces programmes permettent d'offrir une durée d'enseignement qui varie de 38 à 73 p. 100 du temps, ce qui représente une proportion très importante.

Le principe fondamental de ce processus est de qualifier des élèves qui maîtrisent le français aussi bien que l'anglais, ce qui rend les commissions scolaires très fières des résultats obtenus. Les écoles publiques anglophones du Québec sont les pionnières de l'élaboration de programmes linguistiques d'immersion et elles ont remporté d'énormes succès dans ce domaine.

Par ailleurs, les écoles publiques francophones ont fait l'expérience, avec succès, de programmes d'anglais enrichi, mais il reste quelques défis à relever, et c'est sur cette question que je veux terminer. La formation initiale des maîtres représente toujours un défi. Enseigner une langue seconde demande des compétences particulières, non seulement la maîtrise de la langue, mais aussi la maîtrise des aspects didactiques et de l'environnement culturel dans lequel le tout se déroule.

On sait que les universités font face à de nombreuses demandes en formation initiale et que le temps demeure limité. On reconnaît qu'il existe une pénurie d'enseignants de langue seconde à l'heure actuelle au Québec. Il faut donc trouver des moyens d'encourager ces vocations. Les jeunes enseignants se retrouvent confrontés à de multiples défis, y compris la formation continue.

Quel est le rôle des enseignants d'expérience? Peuvent-ils jouer un rôle de mentorat? Je pense qu'il s'agit d'un aspect à considérer. Finalement, il s'agit de réfléchir aux façons d'aller au-delà de la classe. Les activités parascolaires ou les programmes d'échange qui se déroulent pendant ou en dehors de la période scolaire peuvent s'avérer extrêmement judicieux à cet égard.

Néanmoins, lorsqu'il s'agit d'encourager les milieux défavorisés ou excentrés et d'offrir une plus grande égalité des chances, nous pensons que l'État peut avoir un rôle à jouer. Je termine ma présentation en vous remerciant et je demeure disponible pour répondre aux questions des membres du comité.

La présidente : Merci, monsieur Charland. Nous passons maintenant à M. Boudreau.

Alec Boudreau, président, Fédération de la jeunesse canadienne-française : Merci, madame la présidente, et merci aux membres du comité. D'abord, permettez-moi de commencer en affirmant qu'en tant qu'organisme porte-parole de la jeunesse d'expression française du pays depuis 1974, nous prônons le principe de l'action par et pour les jeunes. La Fédération de la jeunesse canadienne-française se fait un devoir de s'assurer que ce soit des jeunes qui témoignent dans le cadre d'événements comme celui d'aujourd'hui.

Au nom de la FJCF, je vous remercie infiniment de nous avoir invités à comparaître devant vous cet après-midi pour discuter des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique.

Le mandat premier de la FJCF est de porter les intérêts de la jeunesse canadienne d'expression française qui vivent en situation minoritaire. Selon les plus récentes données de Statistique Canada, cette clientèle, âgée de 14 à 25 ans, compte à peu près 450 000 jeunes ayant le français pour langue première ou seconde au Canada, à l'extérieur du Québec.

Notre fédération a également le rôle de créer une variété d'activités permettant à ces jeunes de vivre des expériences en français à l'échelle nationale et locale, par l'intermédiaire de nos 11 organismes jeunesse membres dans neuf provinces et deux territoires.

Dans le discours du Trône prononcé à l'ouverture de la 37e législature, le gouvernement fédéral affirmait que « la dualité linguistique du Canada est au cœur de notre identité canadienne et constitue un élément clé de notre société dynamique. La protection et la promotion de nos deux langues officielles sont une priorité du gouvernement, d'un océan à l'autre. »

Permettez-moi de vous parler brièvement de mon expérience personnelle en ce qui concerne l'apprentissage d'une deuxième langue officielle. Comme plusieurs jeunes d'expression française en situation minoritaire, je suis issu d'un couple exogame. Ma mère est anglophone et mon père est un francophone qui a perdu sa langue à un très jeune âge. Je n'ai donc pas eu l'occasion de vivre en français, malgré mes racines acadiennes. Pour de multiples raisons, mes parents ont jugé préférable de m'inscrire à une école anglophone en immersion, malgré mon statut d'ayant droit. Jusqu'à la sixième année, j'ai donc étudié en immersion.

Ce n'est qu'à l'âge de 12 ans que j'ai fait le choix personnel d'étudier en français afin de mieux comprendre mes racines. C'est en participant à des rassemblements de jeunes francophones en Louisiane, en France, à Ottawa, à Edmonton et dans plusieurs villes et villages des Maritimes, à l'extérieur du contexte scolaire, que j'ai vraiment compris l'importance de ma langue et de ma culture. C'est alors que j'ai eu la motivation d'accroître mes compétences en français et que j'ai développé une fierté et une appartenance à ma culture. Si j'avais fréquenté une école francophone, je n'aurais pas nécessairement compris l'importance de ma langue sans avoir participé à ces expériences culturelles.

Ces expériences m'ont beaucoup apporté et j'ai été particulièrement chanceux de pouvoir les vivre. Pourtant, pour tous les élèves, qu'ils soient en immersion ou de langue maternelle française, il existe trop peu d'occasions de vivre et de pratiquer la langue française à l'extérieur des murs de l'école. C'est en participant à des événements comme les Jeux de la francophonie canadienne, Accros de la Chanson, le Petit Canada ou encore le Parlement jeunesse francophone du Nord et de l'Ouest, que nous sommes en mesure de côtoyer des jeunes qui vivent les mêmes réalités que nous et qui nous permettent de vivre notre francophonie. Ces événements deviennent d'importants repères culturels et sont, depuis plusieurs années, de réelles occasions d'apprentissage.

La FJCF et ses membres offrent ces occasions de découverte, d'échange et d'apprentissage aux jeunes d'un peu partout à travers le pays. Pour ma part, j'ai appris à connaître ma francophonie à travers la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick et non par l'intermédiaire de mes parents ou en salle de classe, malgré leurs efforts. Bref, pour apprendre une langue, il faut la vivre.

L'approche au pays, notamment avec les programmes du Conseil des ministres de l'Éducation, ou CMEC, est basée sur le Cadre européen commun de référence pour les langues, ou CECRL, qui est le résultat d'une longue étude européenne entreprise en 1991. Le CECRL recommande un apprentissage fondé à la fois sur une approche communicative et sur le recours aux activités inscrites le plus possible dans la réalité et dans la vie de tous les jours.

En lien avec ce cadre, le CMEC a développé, entre autres, deux initiatives qui contribuent directement à l'apprentissage d'une langue seconde, soit les programmes Explore et Odyssée. Le programme Explore permet une immersion, pendant cinq semaines, pour l'apprentissage d'une langue seconde dans une autre région du pays. Ce programme, en vigueur depuis plus de 40 ans, est la plus ancienne initiative d'acquisition d'une langue seconde au pays.

Le programme Odyssée, pour sa part, assure le déplacement de moniteurs de langue dans une région du pays. Ces derniers ont comme tâche de faire découvrir la vitalité et la richesse culturelle de leur langue aux élèves qui l'étudient comme langue seconde. Les francophones se rendent dans des milieux anglophones, ou à minorité francophone, afin de partager leur langue, et vice versa pour les anglophones.

De plus, dans le cadre de sa Stratégie emploi jeunesse, le gouvernement fédéral a investi dans le programme Jeunesse Canada au travail. Ce programme comprend deux volets qui contribuent concrètement à l'apprentissage d'une deuxième langue : le volet Jeunesse Canada au travail dans les deux langues officielles, et le volet Langues et Travail — Languages at Work. Le volet dans les deux langues officielles crée des emplois d'été avec une composante ou encore un critère de travail dans la deuxième langue officielle du participant. Le volet Langues et Travail — Languages at Work, agit comme un complément au programme Explore.

En conclusion, nous croyons que le gouvernement fédéral doit poursuivre ses investissements dans les programmes d'apprentissage que nous avons mentionnés. Ces programmes sont essentiels pour permettre aux participants de parfaire leur cheminement linguistique dans le but d'acquérir et de perfectionner l'utilisation d'une langue seconde. Bien que l'enseignement en salle de classe soit non négligeable, nous croyons fortement que le perfectionnement d'une langue seconde se fait au moyen d'expériences et que l'appartenance à la culture se rattache à une expérience sur le terrain. L'investissement dans des événements rassembleurs, des activités culturelles, des programmes d'emploi, et cetera, est donc essentiel et permet de mettre en pratique la langue qu'on apprend à l'école. L'élaboration de partenariats avec des organismes pouvant offrir ce type d'expérience est une pratique que nous favorisons, à la FJCF.

À l'aube du 150e anniversaire de la Confédération, nous croyons qu'il serait important pour le gouvernement fédéral de rappeler aux citoyens et aux citoyennes l'importance de la dualité linguistique, qui était la pierre angulaire de la création de notre pays. La dualité linguistique est l'une de nos plus grandes richesses.

La présidente : Je vous remercie. Il est inspirant d'entendre un jeune si passionné.

M. Boudreau : Merci à vous.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci à vous trois d'être présents. Merci à M. Charland, qui témoigne par vidéoconférence.

Ma première question s'adresse à M. Boudreau. Je vous remercie de nous avoir fait part de votre expérience sur la façon, entre autres, dont s'est déroulé votre apprentissage du français.

Qu'en est-il de la promotion auprès des jeunes? Est-ce que quelqu'un s'occupe de la promotion? Comme jeunes francophones, vous vous côtoyez, vous avez des confrères de classe. Avez-vous remarqué si on fait la promotion auprès des jeunes, soit en matière d'apprentissage du français quand il s'agit d'un anglophone, ou d'apprentissage de la langue française en général? Avez-vous remarqué si les jeunes se sentent interpellés par l'importance d'apprendre l'autre langue officielle?

M. Boudreau : Je peux parler de mon expérience. Merci beaucoup, madame la sénatrice, pour votre question. Au cours de mes premières années à l'école française, j'étais l'élève qui parlait le plus l'anglais dans les couloirs et en salle de classe. Ce qui a vraiment changé ma façon de percevoir la francophonie a été une expérience que j'ai vécue en Louisiane où j'ai pu rencontrer des jeunes de mon âge qui essayaient très fort de préserver leur culture francophone, malgré toutes les injustices commises envers le peuple cajun. J'ai alors compris le cadeau qui m'était offert que de pouvoir suivre un enseignement en français et participer à la francophonie avec beaucoup moins de barrières que ces jeunes. C'est cette expérience qui m'a marqué.

Lorsque je parle avec d'autres jeunes qui se sentent vraiment interpellés par la francophonie, il n'arrive pas souvent que le déclic pour la francophonie vienne d'une expérience scolaire. En Nouvelle-Écosse, au Conseil jeunesse provincial, il y a un événement annuel intitulé Prends ta place! où des jeunes francophones, de partout dans la province, se rassemblent afin de parler d'identité. C'est là où plusieurs jeunes vivent leur moment déclic.

Je ne sais pas si j'ai le temps de partager avec vous cette petite anecdote, mais je vais tenter d'être bref. Un ami m'a raconté son moment déclic. C'était lors de cet événement, il y a quelques années, où une jeune fille de 14 ou 15 ans a raconté une histoire personnelle où elle entendait, pour la première fois de sa vie, son père parler en français au téléphone.

À l'âge de 15 ans, elle n'avait jamais entendu son père prononcer un mot en français. Comme elle lui faisait part de son étonnement, il lui a répondu qu'il ne croyait pas son français assez bon pour s'entretenir avec elle. Cela a été un moment difficile pour tout le monde dans la salle, surtout pour les jeunes qui vivent en situation minoritaire. Je crois qu'on a tous vécu un moment similaire. J'ai parlé de ma propre expérience, de mon père qui a perdu sa langue. On ne s'est jamais entretenus en français, mon père et moi. Je l'ai fait avec mes grands-parents, mais pas avec lui. Pour moi et pour la promotion de la langue, cela revient à ces expériences. C'est là où on apprend le plus et où on voit le mieux la beauté de la langue et la valeur de sa protection et de sa promotion.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Charland, je vous avoue que je suis impressionnée par les efforts que déploient les parents pour aider leurs enfants à devenir bilingues. On a reçu, dernièrement, M. Jim Murphy, de Terre- Neuve, qui nous a dit que l'enseignement en ligne était vraiment très important pour ceux qui ne peuvent pas en bénéficier en salle de classe et que c'était une méthode de choix pour l'avenir. Qu'en pensez-vous?

M. Charland : L'éducation en ligne ou à distance, c'est aussi important pour nos régions, qu'on soit à Terre-Neuve ou au Québec. Je crois qu'il y a des régions qui ont besoin de cette capacité puisque, effectivement, réussir à engager un enseignant de langue anglaise dans certaines régions peut causer un problème au Québec. Donc, si on peut utiliser d'autres moyens complémentaires, mais pas exclusivement en ligne, je pense qu'il s'agit d'une voie intéressante.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vous remercie.

La sénatrice Charette-Poulin : Je remercie M. Charland qui a déjà répondu à ma première question.

Ma seconde question est liée à une recommandation que vous avez faite, monsieur Boudreau. Vous avez dit que le gouvernement fédéral a la responsabilité de rappeler au pays l'importance de la dualité linguistique. Vous avez parlé justement de l'importance de moments déclics pour vos membres. Si vous aviez à recommander au gouvernement fédéral trois moyens de rappeler l'importance de la dualité linguistique en créant des moments déclics potentiels, quelles seraient vos recommandations?

M. Boudreau : L'immersion culturelle, l'intégration culturelle et les échanges culturels. C'est le fait de rappeler aux jeunes ce qu'est la francophonie en dehors de nos communautés. C'est le fait de vivre une expérience entre jeunes de l'Alberta et de Terre-Neuve, par exemple, pour découvrir les similarités et l'universalité de leur vécu. Cela donne des moments déclics et permet de faire ressortir l'importance de la langue.

Le sénateur McIntyre : Bienvenue aux représentants des deux fédérations. Monsieur Charland, je comprends que le but de votre fédération est de favoriser la participation des parents au sein du réseau scolaire québécois. Je comprends également que vous rencontrez et que vous réunissez les comités qui représentent les parents des élèves des écoles primaire et secondaire sur l'ensemble du territoire québécois. Est-ce que, parfois, vous rencontrez les parents eux- mêmes?

M. Charland : Sénateur, il est vrai que l'un de nos objectifs est d'améliorer le travail de nos parents membres dans les écoles ou dans les commissions scolaires, mais nous avons aussi l'objectif de porter la voix des parents, qu'il s'agisse de leurs besoins, de leurs attentes, ou de leurs opinions envers le gouvernement et envers nos partenaires du monde de l'éducation.

À ce titre, en fin de semaine, 125 parents de partout au Québec étaient avec moi pour parler de différents sujets. Donc, nous rencontrons les parents sur le terrain également. Lorsqu'il a été question de prendre position, dans notre cas, sur le développement d'un programme d'anglais intensif au troisième cycle du primaire, nous avons sondé les parents sur le terrain — non seulement nos délégués de commissions scolaires, mais les parents, les vrais parents, entre guillemets. Je le dis avec un grand sourire, parce que je suis moi-même un vrai parent, même si j'ai le titre de directeur général de la fédération.

Le sénateur McIntyre : La Fédération de la jeunesse canadienne-française regroupe les organismes de neuf provinces et de deux territoires. Quelle province n'est pas membre de votre fédération? Et pourquoi?

M. Boudreau : Ironiquement, lorsqu'on parle de francophonie, la province qui n'est pas membre, c'est le Québec. Il y a également le Nunavut.

En ce qui concerne le Québec, c'est en raison du fait que nous représentons les jeunes qui vivent en situation minoritaire. Cependant, cela ne veut pas dire qu'on ne travaille pas avec le Québec. Dans le cadre de nos événements nationaux, nous avons des partenaires de recrutement au Québec qui nous aident à trouver des jeunes qui pourraient participer à nos événements, comme les Jeux de la francophonie ou le Forum jeunesse pancanadien. Nous avons également amorcé un processus avec... Quel est son nom, Josée?

Josée Vaillancourt, directrice générale, Fédération de la jeunesse canadienne-française : La Table de concertation des forums jeunesse régionaux du Québec est l'un de nos partenaires.

M. Boudreau : Donc, nous avons ce lien. Le territoire qui n'est pas compris, c'est le Nunavut. Je pense que j'ai regardé une étude, et il y avait à peu près 60, peut-être une centaine de jeunes d'expression française qui étaient regroupés selon nos barèmes des 14-25 ans. Il n'y a pas d'association qui regroupe les jeunes en ce moment. Cela a déjà été le cas. Si jamais le Nunavut a un organisme jeunesse qui veut se joindre à nous, il sera certainement le bienvenu chez nous.

Le sénateur McIntyre : Chose certaine, votre fédération travaille très étroitement avec la fédération québécoise, et c'est très bien.

Je comprends que vous organisez des activités parascolaires qui valorisent le français et rassemblent les jeunes de différents horizons. Parlez-nous un peu des activités parascolaires qui sont organisées dans le but de valoriser la langue française.

M. Boudreau : Chez nos membres, dans chacune des provinces et dans les territoires, les activités prennent un caractère différent. C'est un peu en raison de notre façon de fonctionner par et pour les jeunes. Ce sont les jeunes qui choisissent ce qu'ils veulent voir. À l'échelle nationale, nous avons trois activités phares. La première a lieu tous les trois ans, et la dernière s'est tenue à Gatineau en 2014. La prochaine édition aura lieu à Moncton-Dieppe ou dans cette région en 2017. Il s'agit des Jeux de la francophonie canadienne. Cet événement regroupe environ 1 000 élèves du secondaire qui participent à des compétitions sportives, artistiques, de musique et de leadership. C'est un événement immense auquel j'ai eu l'occasion de participer à Gatineau. C'est fou le nombre de personnes qui y participent. Cela favorise des échanges et des expériences et, bien sûr, nos participants sont francophones et vivent une expérience en français.

Le Forum jeunesse pancanadien organise un autre événement qui vient juste d'avoir lieu à Winnipeg, il y a environ un mois. Cet événement regroupe environ 120 jeunes — un peu moins cette année — pour les amener à discuter des enjeux actuels propres aux jeunes.

Il y a deux ans, à Charlottetown, nous avons parlé de l'intimidation, et surtout de l'intimidation linguistique. On a senti le besoin de parler de cet enjeu. Cette année, on a parlé du rôle et de la place des jeunes dans la démocratie, sachant qu'il y aura une élection fédérale en 2015. C'est l'occasion de renseigner les jeunes au sujet d'un enjeu quelconque afin qu'ils puissent prendre position, tout en favorisant les échanges.

Le dernier événement est le Parlement jeunesse pancanadien qui a lieu au Sénat tous les deux ans. Les jeunes de partout au pays prennent place dans vos sièges afin de débattre d'une façon respectueuse et ouverte de projets de loi inventés, et ce, en français.

Par exemple, lors de la dernière édition, en 2013, nous avons débattu de l'accès à l'eau dans les communautés rurales. Nous avons également parlé de la discrimination positive et du statut des femmes au sein de la politique au Canada. Ce fut une très belle expérience. Nous espérons que la prochaine édition aura lieu en 2016.

Le sénateur McIntyre : Décidément, vous avez abordé plusieurs thèmes. Félicitations d'avoir abordé le thème de l'intimidation linguistique. Félicitations! Chapeau! Bravo!

La sénatrice Chaput : C'est un plaisir de vous recevoir en tant que témoins. Nous sommes vraiment choyés à ce comité, madame la présidente.

J'avais quelques questions pour M. Boudreau, mais mes collègues les ont posées avant moi et vous y avez répondu.

Toutefois, à l'âge de 12 ans, lorsque vous avez décidé d'étudier en français pour mieux comprendre vos racines, vous avez pris un engagement. Lorsqu'un jeune prend un tel engagement, on peut être certain de sa solidité.

Vous nous avez parlé de votre expérience en Louisiane, des conversations téléphoniques en français de votre père. Y a-t-il eu d'autres éléments déclencheurs autour de vous qui ont fait que vous avez pris cet engagement à l'âge de 12 ans?

M. Boudreau : À l'âge de 12 ans, certainement. Quant à l'expérience vécue en Louisiane, je dois préciser qu'elle a eu lieu plus tard, car j'avais 16 ans.

À 12 ans, je vivais de l'intimidation à mon école. Cela a été l'élément déclencheur du changement d'école, parce que je ne pouvais plus supporter cet état de choses. Or, lorsqu'est venu le temps de décider où j'irais, il n'y avait pas de questions. C'était une école francophone, et c'était un engagement et un sacrifice également. J'ai dû prendre un autobus qui faisait un trajet d'une heure et demie de la maison à l'école, pour un total de trois heures de transport par jour, et ce, tous les jours. Je me suis levé à 6 h 30 au cours de mon parcours à l'école francophone, mais c'était un sacrifice que j'étais content de faire, parce que c'était un meilleur environnement pour moi. C'était un environnement francophone où je pouvais mieux découvrir et comprendre mes racines.

La sénatrice Chaput : Vous nous dites que la participation à des activités par et pour les jeunes et les échanges sont des éléments très importants pour les jeunes?

M. Boudreau : Oui, absolument.

La sénatrice Chaput : Monsieur Charland, quel serait le meilleur moyen d'appuyer les parents membres de votre fédération dans leurs démarches, que ce soit à l'échelle fédérale ou provinciale?

M. Charland : Sénatrice, il s'agit d'abord de promouvoir la présence ou l'existence de différents programmes, parce que les parents ne les connaissent pas nécessairement. Qu'il s'agisse de programmes de visite ou d'échanges entre les régions du Canada, je crois qu'il y a déjà quelque chose à faire.

Je discutais au cours de la fin de semaine avec un parent anglophone de la région de Montréal qui me disait que les enfants francophones n'ont pas à aller bien loin pour voir des anglophones. Cependant, en les envoyant à Rimouski, par exemple, on leur fait découvrir une autre société que celle de l'île de Montréal.

Que les parents sachent qu'il existe de tels programmes, comme ceux de la Société éducative de visites et d'échanges au Canada (SEVEC), que l'Éducation internationale, ici au Québec, promeut, c'est déjà un gros morceau. C'est important. S'assurer que ces programmes continuent d'exister, c'est aussi important. Je crois que la SEVEC existait déjà lorsque j'avais 10, 12 ou 15 ans, et il y a déjà quelques années de cela. Cependant, on sent que les enseignants s'intéressent à ce genre de programmes et que les capacités d'existence sont de moins en moins grandes. Donc, le deuxième aspect après la promotion, c'est celui d'aider ces organisations à rendre ce type de services à nos enfants, autant francophones qu'anglophones, au Québec ou ailleurs au Canada.

La sénatrice Poirier : Bienvenue à vous tous et merci d'être ici. Ma question s'adresse à M. Boudreau. Vous nous disiez plus tôt, lors de votre présentation, que pour maîtriser une langue, il faut la vivre; ne pas seulement l'apprendre à l'école, mais la vivre.

Grâce à la fédération et à vos membres, vous encouragez les jeunes à participer à des activités. Pour ce qui est des activités dont vous avez parlé, comme les activités qui ont lieu en Nouvelle-Écosse, au Parlement, au Sénat, à Gatineau, les jeux, et cetera, est-ce que tous les membres sont invités à y participer et peuvent y participer? Si oui, est-ce qu'ils doivent défrayer tous les coûts pour se rendre à ces activités?

M. Boudreau : En raison de contraintes financières, il y a toujours un nombre maximal de participants à nos événements. Cela dit, souvent, nous recevons des demandes de participation ou des inscriptions qui dépassent notre capacité et, à ce moment-là, nous devons faire des choix difficiles pour déterminer qui sera des nôtres et qui ne le sera pas. Dans le cadre d'événements nationaux surtout, les coûts sont plus élevés et nous avons davantage de contraintes.

Quant aux frais de participation, nous avons la chance d'être subventionnés par Échanges Canada et d'autres ministères et programmes fédéraux. Souvent, nous demandons des frais nominaux à nos participants qui se chiffrent à environ 200 $ par événement.

Je peux parler plus précisément du Nouveau-Brunswick où j'ai vécu la majorité de mes expériences. Je sais que dans le cas des événements de la Fédération des jeunes francophones du Nouveau-Brunswick, on demande aux jeunes de payer des frais d'inscription qui sont souvent assumés par leur conseil étudiant. Au Nouveau-Brunswick, il y a une fédération également et les membres sont les conseils étudiants.

Il est donc rare que quelqu'un ne puisse participer pour des raisons financières. Pour déterminer qui participe, le choix revient à plusieurs acteurs dans nos événements, soit nos partenaires de recrutement qui sont nos onze membres dans les neuf provinces et deux territoires. Au Québec, c'est la Table de concertation des forums jeunesse régionaux qui prend la décision, et dans le cas de nos membres, chacun a sa propre façon de faire les choses.

La sénatrice Poirier : Vos membres sont âgés de 14 à 25 ans. Disons que je suis une jeune de 14 ans qui étudie la langue française, comme vous l'avez fait. Comment fais-je pour savoir qu'il existe des associations? En faites-vous la promotion dans toutes les écoles qui offrent des cours de français et d'immersion en français, afin que les jeunes puissent savoir que des programmes existent?

M. Boudreau : Oui, cela varie d'une province à l'autre, mais dans la plupart des cas, le conseil étudiant de l'école est au courant des événements. Le conseil invite tous les élèves de son école à participer aux événements, et il est de son devoir d'en faire la promotion. De plus, certains de nos membres ont des jeunes qui agissent en tant que bénévoles pour faire du recrutement pour les événements. Ces jeunes sont déjà dédiés à notre cause, prennent déjà part à nos travaux, et sont prêts à faire des efforts pour inciter d'autres jeunes à vivre l'expérience.

De plus en plus d'événements sont publicisés au moyen des réseaux sociaux. On fait des vidéos, des promotions et on a une présence assez large sur les médias sociaux comme Facebook et Twitter. On a plus de 3 000 jeunes abonnés sur Facebook, et de 1 000 à 1 200 abonnés qui nous suivent sur Twitter. On peut atteindre un certain public de cette façon, mais la base du recrutement se fait dans nos écoles.

La sénatrice Poirier : Vous avez dit plus tôt qu'il y a beaucoup plus de personnes qui présentent une demande pour participer à des activités qu'il n'y a de places disponibles. Vous servez-vous d'un formulaire pour vous aider à choisir les participants, si c'est le cas, ou est-ce plutôt le hasard qui décide?

M. Boudreau : On a un formulaire afin de créer un équilibre. On ne veut pas empêcher les gens qui ont déjà participé de revenir, parce qu'ils contribuent à la qualité des événements. Ils peuvent transmettre des connaissances à ceux qui n'ont jamais participé. On veut également attirer des personnes qui n'ont pas déjà participé afin de leur offrir cette expérience. Pour participer aux événements, on demande souvent aux gens d'écrire un court texte d'une centaine de mots qui décrit les raisons pour lesquelles ils veulent participer à l'événement.

Mme Vaillancourt : Je pourrais préciser que chaque partenaire de recrutement a sa stratégie de recrutement au niveau local. Les partenaires de recrutement doivent aussi déterminer, après s'être consultés, qui pourra participer aux événements.

Si on pense aux Jeux de la francophonie canadienne, puisque ce sont des jeux, il y a des camps de sélection où tout le monde peut s'inscrire. Ensuite, l'équipe sera formée. On prône beaucoup l'inclusion de nos activités, c'est-à-dire qu'on fait la promotion très ouvertement et tous sont invités à participer. On a recours à nos partenaires de recrutement, qui sont nos experts sur le terrain, pour nous aider à prendre ces décisions qui sont parfois très déchirantes.

La sénatrice Poirier : Pouvez-vous me dire de quelle partie du Nouveau-Brunswick vous provenez?

M. Boudreau : Je sais que j'ai un accent étrange.

La sénatrice Poirier : Non, c'est un bel accent.

M. Boudreau : Je viens de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Poirier : Lorsque vous deviez prendre beaucoup de temps pour vous rendre à l'école, d'où veniez-vous? De Moncton?

M. Boudreau : Non, de Saint-Jean. C'est le Centre scolaire Samuel de Champlain à Saint-Jean. C'est à 45 minutes de chez nous en voiture.

La sénatrice Poirier : Félicitations!

Le sénateur Maltais : Monsieur Charland, je vais vous ramener à l'histoire un peu, parce que mon collègue ne comprend pas le fonctionnement des commissions scolaires au Québec.

Je suis parent et grand-parent maintenant, comme vous. J'ai aussi été vice-président de la Fédération des commissions scolaires du Québec. Je suis partisan de ramener le parent à l'école. Vous savez que cela a été une dure lutte avec tous les gouvernements pour réussir à faire accepter les comités de parents, les comités d'écoles et le commissaire parent siégeant au Conseil des commissaires. Les comités de parents ne sont donc pas une organisation bénévole, mais font partie de la structure légale des commissions scolaires au Québec. C'est complètement différent, car s'ils ne sont pas là, la commission scolaire est inopérante.

Monsieur Charland, vous avez apporté beaucoup de changements au programme scolaire en enseignement de la langue seconde, et je vous en félicite. Vos prédécesseurs et vous avez beaucoup travaillé avec le ministère de l'Éducation. Vous avez pallié une chose qui était une anomalie flagrante. Cependant, au Québec, on sent que tous les efforts que vous avez faits au primaire et au secondaire pour améliorer la qualité de la langue seconde se perdent lorsque les élèves accèdent au cégep, où il n'y a plus d'enseignement en anglais.

Les spécialistes nous disent que, en principe, les élèves devraient être bilingues. Ce n'est pas vrai, ils ne peuvent pas être bilingues. Ils peuvent avoir une très bonne connaissance de l'anglais, mais il faudrait continuer à leur transmettre cette connaissance dans les cégeps.

Je ne sais pas si vous êtes d'accord avec moi, mais voilà où est le problème au Québec.

M. Charland : J'ai envie, sénateur Maltais, de vous dire deux choses. Premièrement, le monde est toujours petit, et le fait de constater que j'ai quelqu'un devant moi de la Fédération des commissions scolaires me fait plaisir. Cependant, il faut bien comprendre que, à l'heure actuelle, le programme de l'école québécoise fait en sorte qu'en secondaire V, nos jeunes devraient pouvoir communiquer en anglais, ce qui ne veut pas dire qu'ils soient bilingues, parce que pour être bilingue, il leur faudrait trois fois plus d'heures au contact de cette langue. Nos enfants sont fonctionnels. Le but est qu'ils puissent être fonctionnels lorsqu'ils voyagent et qu'ils puissent lire et s'exprimer en anglais.

Quand ils arrivent au cégep, c'est différent. Je prends l'expérience personnelle d'une de mes filles. Vous savez qu'il existe les collèges Champlain et St. Lawrence, ici à Québec, entre autres, et qu'il y a de plus en plus de francophones qui proviennent des écoles francophones, des écoles secondaires francophones de la région, qui fréquentent aussi le Champlain College. Que ce soit ici, à Québec, en Estrie ou sur la Rive-Sud de Montréal, il y a un grand nombre de jeunes francophones qui prennent ce défi à bras-le-corps pour aller plus loin. C'est une possibilité.

Maintenant, dans les cégeps de langue française, on constate qu'il commence à y avoir des ententes entre les cégeps francophones et les cégeps anglophones pour partager l'enseignement de différentes disciplines. Je pense, entre autres, au cégep Vanier, à Montréal, et je ne suis pas certain du cégep francophone, je crois que c'est Bois-de-Boulogne, où il y a des échanges entre ces deux cégeps quant à des programmes d'anglais, qui sont de plus en plus populaires. Je ne dis pas que c'est la seule solution, mais il y a des pistes qui sont de plus en plus évidentes.

Le sénateur Maltais : Merci beaucoup pour vos explications.

Mes félicitations, monsieur Boudreau, pour votre parcours personnel et votre engagement auprès des jeunes francophones du Canada. Bravo! Il en faudrait d'autres Alec Boudreau au Canada.

J'aimerais vous dire que si le Québec n'a pas adhéré à votre fédération, c'est parce que c'est la seule province qui a le français comme langue officielle.

M. Boudreau : Cela revient beaucoup à notre structure en tant que fédération. Nous avons 11 membres par et pour les jeunes, et c'est cela qui est très important : qu'ils travaillent par et pour les jeunes, qu'ils soient autogérés. Bien sûr, on a des employés, mais ce sont les jeunes qui prennent les décisions. En milieu minoritaire, c'est tout simplement plus facile pour les gens de se regrouper et de créer des associations. S'il était clair qu'un partenaire du Québec pouvait vraiment représenter la totalité des jeunes Québécois, à ce moment-là, on pourrait tenir des discussions et voir ce qu'on pourrait faire.

Le sénateur Maltais : Vous avez eu quelques expériences en Louisiane en particulier; moi aussi, je suis allé souvent en Louisiane et j'ai constaté une chose : à un moment donné, les parents et les grands-parents avaient perdu la langue française en raison d'une loi obligatoire, et les jeunes revenaient à la langue française. Je vais vous nommer une petite collectivité en particulier, Eunice : elle a reconstruit un théâtre des années 1850 qui est tout à fait exceptionnel comme décor. C'est un village de 2 000 habitants. En été, il y a deux représentations par jour dans ce petit théâtre, qui sont données par des jeunes du milieu. C'est exceptionnel et c'est rafraîchissant de voir qu'eux aussi osent s'identifier à la langue française aujourd'hui dans ce coin des Amériques. On s'aperçoit, lorsqu'on se compare, que notre situation, ici au Canada, est moins grave que la leur. Il y a beaucoup de travail à faire, et c'est grâce à des gens comme vous qu'on va y arriver.

La présidente : Quel rôle les médias jouent-ils dans le maintien de la langue française pour vous et pour les jeunes avec qui vous travaillez?

M. Boudreau : Les médias, vous parlez des journaux?

La présidente : Les médias sociaux, disons.

M. Boudreau : Pouvez-vous répéter la question?

La présidente : Est-ce que les jeunes avec qui vous travaillez — par exemple, vous avez parlé de l'utilisation de Twitter — utilisent les médias sociaux en français, en anglais? Quant à Facebook, pour les jeunes, y a-t-il une place pour le français?

M. Boudreau : D'après moi, absolument. Ce qu'on crée grâce à nos activités et à nos initiatives, c'est une culture auprès des jeunes, mais c'est une culture qui est plus difficile à vivre chez eux. Donc, on se tourne vers les médias sociaux et cela facilite beaucoup notre travail. Lorsque j'inscris quelque chose sur Facebook en français, je vois que j'ai des amis au Québec, en Louisiane, au Manitoba, au Yukon qui aiment ce que j'ai affiché, qui le commentent, et nous avons une discussion ensemble. C'est intéressant, parce qu'on voit qu'il y a des francophones et des anglophones aussi, et qu'en ligne, on peut trouver un partage sain dans les deux langues. Souvent, des anglophones font leurs commentaires en français, parce qu'ils m'appuient dans mes initiatives, et de la même façon, il y a des francophones qui vont publier en anglais ou de façon bilingue afin de faciliter la compréhension d'un anglophone qui a commenté. C'est un environnement très sain et dans lequel je vis sur les médias sociaux. Le français est vivant et fort. J'entends dire que c'est l'une des langues les plus souvent employées en ligne dans le monde. Il y a une place pour le français et on l'utilise.

La présidente : Merci. Je tiens à remercier nos témoins qui sont venus aujourd'hui; monsieur Charland, un grand merci d'avoir partagé votre expertise et votre expérience avec nous. Josée et Alec, merci pour votre passion et votre enthousiasme, et continuez cet engagement. On vous appuie. Je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)


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