Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 13 - Témoignages du 15 juin 2015
OTTAWA, le lundi 15 juin 2015
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour poursuivre son étude du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public).
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte. Je m'appelle Claudette Tardif, je viens de l'Alberta, et je suis la présidente du comité. Je demanderais aux sénateurs de se présenter en commençant à ma gauche.
La sénatrice Poirier : Sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur McIntyre : Sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Seidman : Sénatrice Judith Seidman, de Montréal, Québec.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Sénatrice Suzanne Fortin-Duplessis, de Québec. Soyez les bienvenus.
Le sénateur Maltais : Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.
La sénatrice Chaput : Sénatrice Maria Chaput, du Manitoba.
Le sénateur Maltais : Madame la présidente, avant qu'on entende les témoins, j'aurais une motion à présenter, et je pense qu'on pourra le faire au tout début. C'est que si le Sénat siège la semaine prochaine, lundi, je présente la motion que le comité ne siège pas en même temps que le Sénat.
La présidente : Sénateur Maltais, selon le plan de travail, nous avions décidé que, le 22 juin, nous ferions l'étude article par article du projet de loi S-205. Cela avait été approuvé par le comité directeur et ensuite présenté à l'ensemble du comité, qui en a été avisé. Alors, si nous ne siégeons pas — et c'est toujours possible de faire comme aujourd'hui et d'obtenir la permission du Sénat que le comité se réunisse même si le Sénat siège —, cela veut dire que le projet de loi S-205 ne sera pas étudié article par article.
Le sénateur Maltais : Madame la présidente, lorsque nous avons fait le plan de travail, il y avait des événements dont nous n'étions pas au courant, et c'est pour cette raison que je présente cette motion aujourd'hui pour que nous en discutions.
La sénatrice Chaput : Madame la présidente, j'ai approuvé le plan de travail selon lequel une réunion du Comité des langues officielles était prévue pour lundi prochain. J'ai toujours dit, et je le maintiens encore, que le Comité des langues officielles, le Comité sénatorial des langues officielles ne se réunit pas assez souvent. Nous avons un créneau une fois par semaine, et dans le cas d'une longue fin de semaine, nous ne siégeons pas les lundis. Alors, j'ai toujours eu beaucoup de difficulté à ce que nous annulions l'une de nos rencontres régulières, qu'il s'agisse du projet de loi S-205 ou d'un autre sujet dont nous traiterions lundi prochain. Voilà mon premier argument, et le plus important, c'est que nous proposons d'annuler une réunion du Comité des langues officielles que nous avions prévu de tenir même si le Sénat siégeait. Voilà mon argument, madame la présidente.
Le sénateur Maltais : Cependant, nous serions le seul comité à siéger, car les autres comités ne siègent pas du tout.
La sénatrice Chaput : Oui, mais ils se rencontrent peut-être deux fois par semaine.
Le sénateur Maltais : J'en fais la motion, madame la présidente. C'est aux membres de décider.
La sénatrice Chaput : Pouvons-nous passer au vote, madame la présidente, parce que j'aimerais voter contre cette motion.
La présidente : D'accord. Lorsque le greffier appellera votre nom, veuillez dire oui ou non à la motion qui a été présentée par le sénateur Maltais, qui vise à annuler la réunion du 22 juin.
Daniel Charbonneau, greffier du comité : L'honorable sénatrice Tardif?
La présidente : Non.
M. Charbonneau : L'honorable sénatrice Chaput?
La sénatrice Chaput : Non.
M. Charbonneau : L'honorable sénatrice Fortin-Duplessis?
La sénatrice Fortin-Duplessis : Oui.
M. Charbonneau : L'honorable sénateur Maltais?
Le sénateur Maltais : Oui.
M. Charbonneau : L'honorable sénateur McIntyre?
Le sénateur McIntyre : Oui.
M. Charbonneau : L'honorable sénatrice Poirier?
La sénatrice Poirier : Oui.
[Traduction]
M. Charbonneau : L'honorable sénatrice Seidman?
La sénatrice Seidman : Oui.
[Français]
M. Charbonneau : Oui, cinq voix; non, deux voix.
La présidente : Alors, le comité ne siègera pas. La motion est adoptée, le comité ne siègera pas le 22 juin, et il n'y aura donc pas d'étude article par article du projet de loi S-205.
La sénatrice Chaput : La majorité a parlé.
La présidente : Alors, cela étant dit, nous avons des témoins qui sont ici aujourd'hui pour nous parler du projet de loi S-205, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (communications et services destinés au public), qui est parrainé par la sénatrice Chaput. Nous avons invité deux groupes de témoins aujourd'hui dans le cadre de l'étude de ce projet de loi. Nos premiers témoins proviennent de la Société canadienne des postes. Postes Canada est une société d'État qui offre des services postaux dans l'ensemble du pays, et elle est jugée comme étant d'une importance vitale pour le développement des communautés de langues officielles en situation minoritaire. La société d'État est tenue d'appliquer la Loi sur les langues officielles dans son intégrité.
Je suis très heureuse de vous présenter nos témoins, Mme Bonnie Boretsky, vice-présidente, avocate-conseil générale et secrétaire de la Société canadienne des postes, et Mme Amanda Maltby, directrice générale de la Conformité. Je vous souhaite la bienvenue. J'inviterais Mme Boretsky et Mme Maltby à commencer leurs présentations, et ensuite les sénateurs poseront des questions.
[Traduction]
Bonnie Boretsky, vice-présidente, avocate-conseil générale et secrétaire de la Société, Société canadienne des postes : Merci. Madame la présidente, mesdames et messieurs, bonjour.
[Français]
Je m'appelle Bonnie Boretsky, et je suis avocate-conseil générale, secrétaire générale et championne des langues officielles à Postes Canada. Je suis accompagnée aujourd'hui de ma collègue, Amanda Maltby, qui est directrice générale et responsable de la conformité à Postes Canada. Amanda supervise, entre autres, la gestion du programme des langues officielles.
[Traduction]
Nous sommes heureuses de comparaître aujourd'hui sur le projet de loi S-205.
Postes Canada gère un programme des langues officielles solide et complet, dont je parlerai plus tard, mais je vais d'abord vous fournir le contexte essentiel.
Nous sommes dans l'ère numérique. Tout comme Internet change la donne pour les médias d'information et de divertissement et les détaillants, il entraîne de profonds changements au sein de Postes Canada. Notre main-d'œuvre et notre réseau reposaient sur la poste-lettres, qui génère environ la moitié de nos revenus annuels, mais le volume de la poste-lettres est en déclin depuis presque 10 ans. En 2014, les Canadiens ont mis à la poste 1,4 milliard de lettres en moins qu'ils ne l'ont fait en 2006. Ce déclin est non seulement énorme, il s'accélère. Pendant le premier trimestre de 2015, le volume de la poste-lettres intérieur a chuté de 8,4 p. 100, comparativement à la même période en 2014.
[Français]
Cette baisse de volume a une incidence énorme sur nos finances. Il s'agit d'une des raisons importantes pour lesquelles Postes Canada a dû prendre des décisions très difficiles. En 2013, le Conference Board du Canada a prévu que, si elle n'apporte pas de changements fondamentaux au système postal, Postes Canada sera aux prises avec des pertes d'exploitation annuelles de près d'un milliard de dollars d'ici 2020. En fait, avant la réalisation de profits en 2014, la société avait connu trois années de pertes. Nous prévoyons également une perte financière en 2015.
[Traduction]
Postes Canada ne peut se permettre des pertes financières continues. Nous ne recevons aucun argent du contribuable pour financer nos activités. Le gouvernement du Canada nous a imposé l'autosuffisance financière.
C'est ainsi qu'en 2013, Postes Canada a dévoilé sa stratégie de transformation du service des postes. Le Plan d'action en cinq points pluriannuel prévoit la conversion de cinq millions d'adresses de livraison à domicile à des boîtes communautaires sur cinq ans.
Il en va de l'avenir des postes au Canada. Nous devons mener à bien les cinq initiatives afin d'éviter de devenir un fardeau pour les contribuables. Nous commençons à voir le fruit de nos efforts, mais nous avons encore du chemin à faire avant d'atteindre l'autosuffisance financière.
[Français]
Postes Canada prend les langues officielles au sérieux. Nous nous engageons à communiquer efficacement dans les deux langues officielles et à offrir des services de qualité égale. Pour ce qui est de notre soutien aux langues officielles et aux services que nous offrons aux Canadiens dans les deux langues officielles, je vais commencer par le réseau de la vente au détail. Nous percevons le fait de servir nos clients dans la langue officielle de leur choix comme le prolongement naturel d'une entreprise axée sur le service à la clientèle.
[Traduction]
Postes Canada gère le plus grand réseau de détaillants au Canada. Nous comptons presque 6 300 bureaux de poste, ce qui dépasse le nombre de restaurants McDonald's et Tim Horton's au Canada. Presque 80 p. 100 des Canadiens vivent à 2,5 kilomètres d'un bureau de poste. De nombreux bureaux de poste sont situés dans des collectivités rurales, isolées, petites ou du Nord, et il se peut même que le bureau de poste se retrouve dans la maison d'un particulier.
Environ 40 p. 100 des bureaux de poste au Canada sont des franchises situées dans une pharmacie ou dans un autre commerce. C'est un modèle commercial que nous utilisons depuis longtemps. Les franchises offrent les mêmes produits et services que les bureaux de poste gérés par la société, mais leurs coûts de fonctionnement sont moindres. Les franchises sont situées dans des endroits pratiques pour les clients qui souhaitent faire leurs courses et offrent en général plus de stationnement et de plus longues heures d'ouverture.
Postes Canada a ouvert 73 nouvelles franchises en 2014, conformément au Plan d'action en cinq points. Nous avons également rationalisé notre réseau de bureaux de poste traditionnels gérés par la société, en modifiant les heures d'ouverture pour mieux correspondre aux habitudes des clients.
[Français]
Il y a 748 bureaux de poste bilingues. Cela comprend l'ajout de 36 nouveaux bureaux bilingues en réponse au recensement de 2011. Dans notre réseau de vente au détail, plus de 1 250 postes sont désignés bilingues. Les conventions des concessionnaires exigent que les services soient disponibles et offerts activement dans les deux langues officielles dans les bureaux de poste bilingues, lorsque le comptoir postal est ouvert.
[Traduction]
Nous déployons tous les efforts possibles afin de maintenir une bonne capacité bilingue dans nos bureaux de poste. Ainsi, nous vérifions le rendement de façon trimestrielle et nous diffusons les résultats. Nous offrons au besoin de la formation et des services d'évaluation des compétences.
[Français]
Amanda Maltby, directrice générale, Conformité, Société canadienne des postes : L'objectif de communiquer efficacement dans les deux langues officielles s'applique à la communication par téléphone, en personne, par courriel, dans les publications et sur le site web postescanada.ca. Dans les bureaux de poste bilingues, nous nous sommes engagés à servir les clients dans la langue officielle de leur choix. Nous affichons le symbole des langues officielles et nous faisons tous les efforts possibles pour accueillir activement les clients dans les deux langues officielles.
[Traduction]
Compte tenu de l'évolution de la population du Canada, nous nous fions aux résultats du recensement pour ce qui est de la désignation « bilingue » des bureaux de poste. Nous faisons aussi appel à nos divers services, y compris les relations du travail, les ressources humaines, les ventes au détail et l'observation de la réglementation.
À la suite de ce processus exhaustif, Postes Canada vient de désigner 36 nouveaux bureaux bilingues et a l'intention de supprimer les services bilingues de 49 bureaux sur un total possible de 68, conformément à notre engagement visant à servir les clients dans la langue officielle de leur choix. Nous consultons actuellement les groupes nationaux de défense des langues minoritaires au sujet de notre plan.
Notre engagement envers les langues officielles s'étend à notre lieu de travail et donc à quelque 69 000 employés. Au sein de la société, presque 2 800 postes sont désignés bilingues, dont 2 400 postes réguliers à temps plein. Que le poste soit bilingue ou non, les employés ont le droit de travailler dans la langue officielle de leur choix dans plusieurs régions du pays. Les efforts et les résultats obtenus au sein de la société sont reconnus.
[Français]
La fiche de rendement de 2013-2014 du commissaire aux langues officielles a attribué à Postes Canada la cote globale de « B », ou bonne. Nous prenons des mesures là où le commissaire a recommandé des améliorations au moyen d'un nouveau plan d'action sur trois ans. Nous avons déjà constaté un déclin constant des plaintes. En fait, en 2013-2014, le nombre de plaintes a diminué d'un tiers. Cette diminution se poursuit en 2015.
[Traduction]
Postes Canada fait également la promotion du bilinguisme et du français en concluant des ententes stratégiques avec des organisations. À titre d'exemple, nous venons d'accorder récemment un soutien à la Fondation canadienne pour le dialogue des cultures afin de promouvoir l'édition de 2015 des Rendez-vous de la Francophonie, ainsi qu'à la Société de Maillardville de la Colombie-Britannique et au Quebec Community Groups Network, dans le cadre des prix Goldbloom.
Nous reconnaissons l'importance de la vitalité des collectivités de langue minoritaire, les préoccupations entourant le risque d'assimilation et les objectifs du projet de loi. Si le projet de loi est adopté, nous le respecterons. Toutefois, le texte aurait une incidence considérable sur Postes Canada à un moment charnière, car nous devons assurer l'avenir de la poste ici au pays. La loi nous imposerait des défis sur le plan opérationnel en rajoutant un nombre non négligeable de désignations bilingues aux bureaux de poste de notre réseau, alors que nous avons déjà de la difficulté à recruter des employés bilingues qualifiés pour certains bureaux existants. Plusieurs petites collectivités de langue minoritaire ne peuvent déjà pas trouver de candidats bilingues, et les postes restent vacants pendant des mois dans bien des cas.
[Français]
Mme Boretsky : En conclusion, au nom de Postes Canada, je tiens à remercier le comité de cette occasion qui nous est offerte de vous faire part de notre point de vue. Les temps sont difficiles pour Postes Canada. Je puis néanmoins vous assurer que nos sérieux défis commerciaux ne nuiront pas à notre engagement en matière de respect des langues officielles.
[Traduction]
Notre programme des langues officielles est bien établi, mais il évolue de façon permanente. Lorsque le comité déposera son rapport, nous le lirons avec intérêt. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
[Français]
La présidente : Merci beaucoup, madame Boretsky et madame Maltby. La première question sera posée par la sénatrice Fortin-Duplessis. Elle sera suivie de la sénatrice Chaput.
La sénatrice Fortin-Duplessis : À toutes les deux, encore une fois, soyez les bienvenues. Nous avons appris des médias la fermeture de plusieurs bureaux de poste. Ces bureaux de poste ont-ils été remplacés partout par des comptoirs postaux? Pour ma part, j'utilise un comptoir postal dans une pharmacie lorsque, par exemple, je dois faire un envoi spécial.
Mme Boretsky : Nous sommes toujours conscients des besoins de nos clients dans nos bureaux de poste et dans tout notre réseau de vente au détail. Normalement, lorsque nous fermons des bureaux et que nous retirons des services, c'est parce que l'endroit n'est pas aussi fréquenté que d'autres endroits situés près du site que l'on ferme. Ce n'est pas toujours le cas lorsqu'on ouvre d'autres bureaux. C'est plutôt que la région ou les environs sont bien desservis par le réseau.
Nous avons aussi ouvert plusieurs franchises de comptoirs postaux, et cela peut avoir un impact sur les autres points de vente dans les environs.
La sénatrice Fortin-Duplessis : J'ai plusieurs questions un peu disparates, qui ne s'enchaînent pas toutes les unes aux autres.
Vous avez mentionné aussi que, en 2015, vous prévoyez des pertes. À quel montant vous attendez-vous à ce que ces pertes se chiffrent? Seront-elles, par exemple, beaucoup plus importantes que celles de 2014?
Mme Boretsky : Non, elles ne le seront pas. Le chiffre d'affaires de Postes Canada est de 7 à 8 milliards de dollars de revenus par année. Lorsque nous rapportons des profits ou des pertes de quelques dizaines ou centaines de millions de dollars, le pourcentage est tout de même très faible par rapport au chiffre global. Nous ne prévoyons pas de pertes importantes.
Nous sommes en train de convertir les adresses qui bénéficient de la livraison à domicile en boîtes postales communautaires, et nous faisons tous les efforts pour réduire les pertes. Toutefois, une perte est prévue. Elle n'est pas énorme, mais il y en aura une.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Quel est le résultat des consultations que vous avez tenues avec les communautés?
Mme Boretsky : Vous parlez des consultations par rapport au Plan d'action en cinq points?
La sénatrice Fortin-Duplessis : Oui.
Mme Boretsky : Différentes consultations ont été faites. Avant l'annonce, nous avons effectué une trentaine ou une quarantaine de rencontres à travers le pays avec des gens qui ont été invités à s'exprimer. Ces gens représentaient des clients importants, des petites et moyennes entreprises et des individus. Toutes sortes de groupes ont été représentés, et ils nous ont fait part, de façon détaillée, de leur usage du service des postes. Nous avons beaucoup appris de ces Canadiens et des commerçants canadiens qui sont venus partager avec nous leurs points de vue sur leur usage du service des postes. Nous ne leur présentions pas vraiment des options. Nous parlions des possibilités, et je n'ai pas plus de détails.
Il est souvent mentionné que, selon ce qu'imaginent plusieurs personnes, la meilleure chose aurait été de diminuer la fréquence de distribution à deux ou trois jours par semaine, environ, au lieu de retirer la livraison à domicile au tiers des Canadiens qui en bénéficie toujours et de les convertir à une boîte postale communautaire. Ce n'est qu'une possibilité parmi tant d'autres.
La sénatrice Chaput : J'aimerais commencer par vous dire, mesdames, que je suis tout à fait consciente que vous devez prendre des décisions très difficiles : soit vous fermez le bureau de poste, soit vous déménagez les services, soit vous aménagez des comptoirs postaux ou des boîtes vertes. Je me rends compte à quel point il est important que vous puissiez fonctionner sans devoir éponger un déficit.
Cependant, la fermeture ou le réaménagement d'un bureau, l'aménagement de comptoirs postaux, le transfert des services, les changements d'adresse, et cetera, ont des impacts négatifs très importants sur les communautés de langues officielles en situation minoritaire. Pour plus de clarté, je vais vous donner deux exemples qui concernent le Manitoba.
Dans les années 2005, à Sainte-Anne-des-Chênes, au Manitoba, là où j'habite, nous étions desservis par un bureau de poste. Puis, un jour, Postes Canada a décidé de fermer ce bureau de poste et d'aménager un comptoir postal. Une entente a été conclue avec l'un de nos commerçants pour l'aménagement d'un comptoir postal. Je dispose désormais de boîtes vertes. Je vais chercher mon courrier, ce qui n'est pas un problème comme tel. Nous savons qu'il est impossible de continuer à recevoir des services postaux à domicile, car ce n'est plus raisonnable. Toutefois, lorsque vous avez décidé d'aménager un seul comptoir à Sainte-Anne-des-Chênes, au Manitoba, les autres services ont été déménagés au bureau de poste de Steinbach, qui n'est pas une communauté majoritairement francophone. C'est une communauté qui n'y est pas habituée et qui ne pense pas à offrir des services en français. Or, lorsque les adresses ont été converties — parce que mon adresse a dû être changée pour que mon courrier se rende à ma case postale 10 —, elles ont toutes été converties en anglais. Tous les francophones de Sainte-Anne-des-Chênes et des environs se sont retrouvés avec des adresses en anglais qu'ils n'avaient pas demandées. C'est insultant, parce que, lorsque notre adresse est en anglais, il y a des gens qui croient que nous sommes anglophones et non francophones. C'est peut-être un détail, mais cela nous tient à cœur. Puis, nous avons tenté de convertir à nouveau nos adresses en français. Bon nombre de citoyens ont refusé de se prêter à cet exercice. Mon époux et moi-même l'avons fait. C'est un impact dont vous n'avez pas tenu compte.
Ensuite, lorsque ces décisions sont prises dans une communauté francophone comme la mienne, où il y a des écoles françaises, une paroisse francophone, un comité culturel et une institution financière francophone... Lorsque vous retirez nos services principaux en français pour les déménager à Steinbach, une communauté qui n'est pas du tout francophone, vous contribuez à l'assimilation, parce que vous enlevez une partie de notre vie en français. Ce n'est pas juste. Voilà ce qui s'est passé au Manitoba.
J'ai entendu, récemment, qu'à Saint-Norbert, au Manitoba, il est question de fermer le bureau de poste ou d'en retirer la désignation bilingue, alors que Saint-Norbert est aussi une communauté à forte proportion francophone, qui a une école française, une école d'immersion, et cetera. J'ai entendu dire que vous comptez lui enlever sa désignation bilingue.
J'aimerais poser une première question qui concerne la consultation. Je sais pertinemment qu'à Sainte-Anne-des-Chênes, vous n'avez pas consulté la population. Quelqu'un a discuté avec le conseil de la ville de Sainte-Anne-des-Chênes, mais c'était déjà un fait accompli. Nous n'avons pas eu la chance de réagir. Dans le cas de Saint-Norbert, je ne sais pas si vous allez consulter la communauté. Je ne sais pas si la consultation est sincère, parce que la décision a déjà été prise. Je ne sais pas si vous êtes en mesure d'écouter les arguments de cette communauté. J'aimerais savoir quels critères vous utilisez pour prendre de telles décisions d'un point de vue économique. Avez-vous un filtre pour mesurer l'impact négatif sur nos communautés de langue officielle en situation minoritaire? Voilà ce qui me préoccupe, madame.
Mme Boretsky : Permettez-moi de poser une question à ma collègue.
[Traduction]
Mme Maltby : L'un remonte à 2005.
Mme Boretsky : Nous voulons parler de St. Lambert.
[Français]
Mme Boretsky : Nous voulons vérifier s'il s'agit de l'une des 49 villes dont nous retirerons la désignation bilingue.
La sénatrice Chaput : Si c'est le cas, j'aimerais savoir sur quels critères vous vous basez pour la retirer. Cette désignation ne devrait pas être enlevée. C'est nous retirer un service qui nous revient.
Mme Maltby : Est-ce que c'est au Manitoba?
La sénatrice Chaput : Oui, je parle du Manitoba.
Mme Maltby : Je ne trouve pas...
La sénatrice Chaput : C'est un article qui a paru dans les journaux, dans La Presse, qui indiquait que Postes Canada enlèverait la désignation bilingue du bureau de poste de Saint-Norbert, au Manitoba.
Mme Boretsky : Vous avez dit Saint-Norbert?
La sénatrice Chaput : Saint-Norbert.
Mme Boretsky : Saint-Norbert. Désolée, j'avais mal compris.
La sénatrice Chaput : Madame la présidente, puis-je poser une autre question?
Mme Boretsky : Si vous me le permettez, je vais répondre en anglais. J'ai parfois de la difficulté à trouver les bons mots, et je veux m'assurer d'être claire.
La sénatrice Chaput : C'est parfait, je fais la même chose en français. À vous la parole, madame.
[Traduction]
Mme Boretsky : Comme Amanda l'a indiqué dans sa déclaration, nous avons dressé, à partir des résultats du Recensement de 2011 et des lignes directrices du Conseil du Trésor, la liste de bureaux de poste qui a ensuite été présentée au Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor a examiné la liste et, en tenant compte de tous ces critères, nous a donné l'autorisation de retirer la désignation à 68 bureaux de poste. Mais comme Amanda l'a dit dans sa déclaration, nous allons seulement supprimer la désignation de 49 bureaux.
Pour répondre à votre question, il faut d'abord parler du recensement et de l'application des critères du Conseil du Trésor. Pour passer de 68 à 49, nous avons utilisé nos propres critères qui sont essentiellement fondés sur les activités de Postes Canada. L'un des critères est, bien évidemment et comme nous l'avons souligné, la génération de revenus, et pour ce faire, il faut que le client soit satisfait. Comme je l'ai indiqué plus tôt, il va de soi que la satisfaction du client nous importe grandement. Le fait de pouvoir nous adresser à nos clients dans la langue officielle de leur choix est l'un des atouts qui nous aidera à assurer la satisfaction du client. C'est donc un critère supplémentaire.
Comme Amanda vous l'a dit, nous travaillons également avec des divers intervenants au sein de la société qui tiennent compte de nombreux critères, à savoir l'achalandage, la composition de la clientèle ainsi qu'une longue liste d'autres critères que je ne connais pas par cœur. Un facteur incontournable, c'est l'avis des résidants. Les décisions ne sont pas seulement prises par les gens du siège. Nous avons des experts qui travaillent dans le secteur du détail local, qui connaissent la clientèle de chaque commerce, le réseau auquel appartient le commerce et les solutions de rechange pour les clients si jamais nous supprimons la désignation bilingue.
C'est ainsi que nous sommes passés de 69 à 48. Nous tenons compte des besoins de nos clients, notamment en ce qui concerne la langue minoritaire. C'est certainement l'un des critères qui pèsent le plus dans notre réflexion.
De toute évidence, le filtre n'a pas exclu Saint-Norbert de la liste, comme vous le constatez.
Mme Maltby : Permettez-moi quelques observations.
Le réseau des détaillants tient compte de la population francophone, ainsi que de la proximité des autres bureaux de poste. Si j'ai bien compris, Saint-Norbert fait partie de Winnipeg, et il y a donc un certain nombre de bureaux de poste à proximité. C'est un facteur qui entre en ligne de compte. L'emplacement de la population francophone est un facteur.
L'achalandage l'est aussi. Lorsque les clients viennent aux comptoirs postaux, nous tenons compte non seulement des ventes et des facteurs économiques, mais également de l'achalandage et de la langue parlée par nos employés. Nous tenons compte des exigences du Conseil du Trésor ainsi que des résultats du recensement. Il y a par ailleurs certaines mesures qui s'y ajoutent.
Mme Boretsky : Vous avez posé une question quant à la sincérité et la bonne volonté des consultations que nous effectuons. Comme vous le savez, nous avons envoyé, et c'est probablement la raison pour laquelle les médias en ont parlé, des lettres aux associations communautaires de langue minoritaire, et nous avons déjà commencé des consultations très sincères. Il nous faut les données économiques pour compléter le tableau, mais c'est un facteur de taille. Il s'agit d'un plan, comme nous l'avons indiqué dans notre déclaration, visant à retirer la désignation bilingue de 49 bureaux sur un total possible de 68. Les décisions définitives n'ont pas encore été prises; ce sont donc des consultations sincères.
[Français]
La sénatrice Chaput : Je suis heureuse d'apprendre que vous avez envoyé des lettres afin de consulter les communautés francophones, et je suis consciente que les critères à respecter proviennent du recensement et du Conseil du Trésor.
Cependant, si je vous disais que Postes Canada, dans la façon dont elle prend ses décisions en ce moment, ne respecte pas ses obligations à l'égard des communautés de langue officielle en situation minoritaire et ne prend pas en considération les besoins particuliers de ces communautés — parce que dans tout ce que vous venez de me dire, il n'y a aucune perspective en termes de qualité égale de services aux communautés — comment réagiriez-vous? Je crois que vous pensez sincèrement le faire, n'est-ce pas?
Mme Boretsky : Absolument. Je répondrais en disant que je ne suis pas d'accord.
Le sénateur Maltais : Bienvenue, mesdames. Je viens de Québec. Cela fait 29 ans que j'y demeure. J'ai acheté la première maison dans un nouveau développement. Lorsque j'y suis arrivé, on m'a installé une boîte aux lettres. Il y a 400 maisons dans mon quadrilatère, et il y a plusieurs boîtes aux lettres. J'ai un très bon service; je n'ai pas un mot à dire. J'y reviendrai.
Il y a 30 ans, l'autre côté de la rue, il y avait des facteurs. Lorsqu'ils ont posé des boîtes aux lettres de mon côté, n'aurait-il pas été mieux d'en installer de l'autre côté de la rue? N'êtes-vous pas un peu en retard?
Mme Boretsky : Certains le pensent.
Le sénateur Maltais : Je prends une marche pour aller chercher mon courrier. Vous n'avez pas de plaintes de ce côté. Mais de l'autre côté de la rue, ils ont un facteur.
Mme Boretsky : Absolument.
Le sénateur Maltais : Tant qu'à en mettre d'un côté, pourquoi ne pas en avoir mis de l'autre côté de la rue?
Ma prochaine question concerne les fameuses circulaires. Êtes-vous pauvres au point de devoir remplir notre casier de publicité? Je les remets dans ma boîte aux lettres. J'ai demandé trois fois au facteur de cesser de m'en donner; il me dit qu'il me faut une étiquette de Postes Canada. Personne ne nous le dit. Envoyez-m'en une. Je ne veux pas de publicités. Nous sommes ici quatre jours par semaine, et nous retrouvons trois sacs de publicités en rentrant chez nous. Peut-on nous laisser tranquilles? Tout le monde remplit la petite boîte aux lettres avec des publicités. Pour vous donner un exemple, j'en avais 31 jeudi dernier. Cela fait beaucoup.
[Traduction]
Mme Boretsky : Le courrier poubelle de l'un peut être l'outil de marketing et de publicité de l'autre. C'est très important aux yeux de nos clients qui nous payent afin de vous livrer cette publicité. Cette activité commerciale représente 1,2 milliard de dollars pour Postes Canada. La réponse à votre question, c'est que oui, c'est très important pour Postes Canada. Notre chiffre d'affaires se situe entre 7 et 8 milliards de dollars, et cette activité en constitue une part considérable.
La personne avec laquelle vous avez parlé a raison. Vous recevrez néanmoins de la réclame, car certaines publicités en sont exemptées, les envois liés aux élections, entre autres, mais le volume en sera grandement réduit, si c'est ce que vous préférez.
[Français]
Le sénateur Maltais : Où vais-je me procurer cette petite étiquette? Vous allez fermer le bureau de poste de la sénatrice Chaput, je ne pourrai pas aller au Manitoba.
Mme Boretsky : Je vais vous revenir à ce sujet.
Le sénateur Maltais : Vous allez faire autant d'argent en vendant ces étiquettes que vous en faites avec les circulaires.
Mme Boretsky : Nous ne les vendons pas; nous les donnons.
Le sénateur Maltais : Je ne sais pas où m'en procurer. Si j'en mets une, le facteur me dit que ce n'est pas bon.
Mme Boretsky : Je vais vous revenir là-dessus.
Le sénateur Maltais : Sur la Basse-Côte-Nord, il y a de petits villages complètement anglophones. Est-ce que le service est offert en anglais dans ces villages? Je vais vous en nommer : Blanc-Sablon, Old Fort, Kegaska, Harrington Harbour, Saint-Augustin. Les anglophones de ces villages, qui le sont à 90 p. 100, reçoivent-ils des services en anglais?
Mme Boretsky : Je n'ai aucune connaissance personnelle des langues des services offerts dans ces endroits.
Le sénateur Maltais : Nous représentons nos régions.
Mme Boretsky : Absolument, c'est une bonne question.
Je vous dirais que nous n'avons aucune connaissance de plaintes de la part des clients de cette région, donc je dois tenir pour acquis que le service est à leur satisfaction.
Le sénateur Maltais : Combien de plaintes recevez-vous sur le bilinguisme par année?
Mme Boretsky : Une trentaine au cours des dernières années. L'année passée, nous en avons reçu moins, et cette année, nous n'en aurons même pas une vingtaine.
La présidente : Madame Boretsky, si vous avez des renseignements par rapport aux petites communautés anglophones, veuillez les transmettre à notre greffier.
[Traduction]
Mme Boretsky : D'accord.
Mme Maltby : Si vous me permettez d'intervenir, je vous dirais que je ne suis pas sûre de l'emplacement exact de ces bureaux de poste, mais les régions désignées bilingues au Québec comprennent Gaspé et l'ouest du Québec, ainsi que l'agglomération montréalaise et certaines parties des Cantons de l'Est que je viens de mentionner. Si les bureaux de poste sont désignés bilingues, on peut se faire servir en anglais.
[Français]
Le sénateur Maltais : À titre d'information, entre Gaspé et Blanc-Sablon, il y a 800 kilomètres. C'est dans le golfe du Saint-Laurent, et je ne pense pas qu'il n'y ait pas de bureau de poste dans la région du golfe. En Gaspésie, il y a des communautés anglophones : New Carlisle, Jamestown, et ainsi de suite. Sur la Basse-Côte-Nord, il y a une dizaine de petites municipalités, mais nous n'avons jamais reçu de plaintes.
[Traduction]
Le sénateur McIntyre : Merci pour vos déclarations. J'ai deux questions : la première porte sur le recrutement du personnel bilingue au pays, et la deuxième sur le commissaire aux langues officielles.
Au cours des dernières semaines, nous avons recueilli les témoignages de représentants des compagnies aériennes ainsi que de VIA Rail. Pendant nos échanges, nous avons soulevé la difficulté de recruter des employés bilingues dans certaines régions du pays. Selon les représentants des compagnies aériennes, le recrutement d'employés bilingues dans certaines régions du pays s'avère difficile. Le président de VIA Rail nous a indiqué, par contre, qu'il est possible de trouver des gens bilingues partout au pays.
Pouvez-vous répondre à ma première question d'abord?
Mme Maltby : Je vais commencer par l'aspect positif. Je vous dirais que nous avons connu un succès considérable dans les plus grands centres du Canada, ce qui vient rejoindre ce que le représentant de VIA Rail vous a indiqué sur le recrutement de candidats qualifiés bilingues, car j'ai pu lire son témoignage. La difficulté pour Postes Canada, au contraire de certains autres témoins que vous avez entendus, c'est que nous assurons une présence dans des endroits isolés, et nous y connaissons des défis de taille quant au recrutement de candidats qualifiés bilingues. Parfois, et il me semble que je l'ai dit dans ma déclaration, des mois s'écoulent avant que nous ne trouvions les gens qui conviennent et qui ont le profil exigé en ce qui concerne les langues officielles. Les plus petits centres nous posent problème.
Il faut également se souvenir que nous ne sommes pas les seuls qui recrutent. D'autres entreprises sont à la recherche de candidats qualifiés bilingues. C'est un des défis.
J'ajouterais que dans certains centres, notamment au Nouveau-Brunswick, nous recherchons bien sûr des candidats bilingues, ce qui est très important, mais nous voulons également des gens qui ont l'habitude de travailler dans un milieu comme le nôtre. C'est une question complexe. Nous avons eu du mal à trouver des candidats ayant le profil de compétences complexe de certains postes de gestion. Nous avons besoin de gens qui ont déjà travaillé dans un milieu opérationnel, par exemple.
Le sénateur McIntyre : C'est étrange que vous ayez des problèmes à recruter des gens bilingues au Nouveau-Brunswick. Le Nouveau-Brunswick est une province bilingue.
Mme Maltby : C'était justement l'objet d'une des plaintes que nous avons reçues.
Le sénateur McIntyre : Dans quelle partie du Nouveau-Brunswick avez-vous connu ce problème?
Mme Maltby : Nous avons eu des problèmes récemment dans la région de Miramichi.
Le sénateur McIntyre : Il y a pourtant de nombreux francophones dans la région de Miramichi.
Mme Maltby : Nous formons des gens qui, au final, ne répondent pas aux critères en matière de bilinguisme. Il y a également des gens qui ne sont pas prêts à suivre la formation et à apprendre la langue.
Le problème est complexe. Comme je l'ai dit, c'est l'un des dossiers sur lequel nous travaillons avec la commission depuis quelques années.
Le sénateur McIntyre : Je vois qu'en 2012-2013, Postes Canada était l'institution pour laquelle le Bureau du commissaire aux langues officielles a reçu le deuxième nombre le plus élevé de plaintes à l'égard des services offerts au public. Je fais référence à la partie IV de la Loi sur les langues officielles. De plus, la plupart des plaintes concernant Postes Canada reçues par le Bureau du commissaire aux langues officielles en 2013-2014 visaient les services offerts au public.
Quel genre de relation entretenez-vous avec le commissaire aux langues officielles?
Mme Boretsky : Oui, nous avons effectivement fait l'objet de beaucoup de plaintes, et même du plus grand nombre de plaintes. En 2013-2014, il y a eu probablement de 35 à 40 plaintes.
Mme Maltby : C'est exact.
Mme Boretsky : Nous offrons des services à 32 ou 33 millions de Canadiens. Nous avons des contacts avec eux tous les jours. Bon nombre d'entre eux viennent à nos bureaux de poste. C'est effectivement le deuxième nombre le plus élevé de plaintes, mais il faut savoir que nos activités sont très étendues. Nous ne sommes pas fiers d'avoir fait l'objet d'autant de plaintes pendant ces années, mais le nombre de plaintes a chuté depuis. L'exercice financier du bureau ne correspond pas au nôtre. Pendant notre exercice 2014, le nombre de plaintes a baissé. Ce déclin se poursuit pendant l'exercice en cours. Nous savons qu'une seule plainte, c'est déjà trop, mais nous sommes d'avis que le nombre de plaintes n'est pas si élevé que cela compte tenu de nos nombreux contacts avec les Canadiens.
Voilà ma réponse à votre première question. En ce qui concerne la deuxième, vous vouliez en savoir plus sur notre relation avec le commissaire. Au niveau le plus élevé, les relations sont bonnes. Je vais céder la parole à Amanda à ce sujet, car elle s'y connaît fort bien.
Mme Maltby : Je vais vous parler un tout petit peu des plaintes, mais j'aimerais d'abord vous dire que nous jouissons d'une relation très productive avec le bureau du commissaire.
Comme vous le savez, le processus de traitement des plaintes prévoit que nous tentions d'abord de régler le problème de façon informelle et nous avons connu énormément de succès à ce chapitre avec le personnel du commissaire. Nous collaborons avec lui pour trouver des solutions, ce qui m'amène à un domaine sur lequel nous avons beaucoup travaillé au fil des deux dernières années, à savoir l'offre active. C'est le « hello/bonjour ». Il est arrivé que nous ayons des difficultés de temps en temps à faire cette offre active dans certains de nos bureaux. Nous avons concerté nos efforts sur certains fronts. Tout d'abord, regarder les autres, c'est-à-dire ceux qui réussissent. Que font-ils? Quelles sont les mesures prévues qui ont été efficaces auprès de leur personnel? Nous avons donc appris à partir de l'expérience des autres. Nous avons notamment regardé du côté de l'industrie des transports.
Les efforts vont de la formation jusqu'aux cartes mémoire. Nous avons introduit tout un nouveau niveau de formation l'année dernière qui a connu beaucoup de succès et qui nous a mérité les compliments du bureau du commissaire et du Conseil du Trésor.
C'est drôle. En préparant ma déclaration pour votre comité, j'ai fait des recherches pour voir combien de plaintes nous avons reçues dans le passé. Nous nous sommes grandement améliorés. À un moment donné, nous recevions des centaines de plaintes et cette année, nous n'en avons reçu que neuf.
Le sénateur McIntyre : Il y a donc eu de l'amélioration.
Mme Maltby : Absolument.
Le sénateur McIntyre : Et vous travaillez toujours là-dessus?
Mme Maltby : Absolument.
La sénatrice Seidman : Madame Boretsky et madame Maltby, vous avez toutes les deux fait référence à des consultations dans les collectivités du pays. Quels types de consultations avez-vous menées au Québec auprès des communautés minoritaires anglophones?
Mme Maltby : Vous parlez des consultations les plus récentes concernant la désignation bilingue des bureaux de poste.
Nous n'avons pas encore consulté les groupes anglophones du Québec. Officiellement, en ce qui concerne ces bureaux de poste et nos intentions, nous venons d'envoyer les lettres et nous n'en sommes qu'au début du processus.
Deux associations francophones ont communiqué avec nous jusqu'à présent. Nous avons eu des échanges et avons indiqué notre volonté de non seulement leur parler à l'échelon national, mais également de les rencontrer à l'échelle locale afin de déterminer les répercussions dans certaines provinces où des bureaux de poste perdraient leur désignation bilingue.
Quant aux groupes anglophones, nous n'avons pas encore procédé à cette détermination au Québec. Nous allons retirer certaines désignations.
La sénatrice Seidman : Vous allez retirer certains services aux communautés anglophones du Québec? C'est bien cela que vous dites?
Mme Maltby : Je vous donnerai le chiffre. Nous allons retirer la désignation bilingue de 12 bureaux au Québec.
La sénatrice Seidman : Où se situent ces 12 bureaux?
Mme Maltby : Dans divers endroits. Nous pouvons vous fournir la liste.
La sénatrice Seidman : C'est bien.
Qu'entendez-vous par retirer la désignation? Ces bureaux de poste ne seront plus bilingues?
Mme Boretsky : Ces bureaux de poste n'auront plus la désignation bilingue. La désignation bilingue ayant déjà été accordée, il est probable que les employés dans ces bureaux continueront à offrir les services. On n'arrêtera pas d'offrir les services, mais le bureau de poste n'aura plus la désignation officielle de bureau bilingue, ce qui, lorsqu'on recrutera du personnel dans l'avenir, aurait une incidence sur les nouvelles recrues.
Mme Maltby : Madame la sénatrice, nous ajoutons 36 bureaux de poste bilingues, dont 25 dans la province du Québec.
La sénatrice Seidman : D'accord.
Mme Maltby : C'est une question d'équilibre. Nous en rajoutons 36.
La sénatrice Seidman : Donc vous allez à la fois ajouter et retirer la désignation?
Mme Boretsky : Oui, selon les résultats du recensement et l'emplacement des bureaux.
Mme Maltby : Tout à fait.
La sénatrice Seidman : Les défis que vous rencontrez au Québec vis-à-vis des communautés anglophones sont-ils différents par rapport aux communautés francophones situées ailleurs au pays?
Mme Boretsky : Amanda me corrigera si j'ai tort, mais j'ai l'impression que les plaintes que nous recevons du Québec, surtout de Montréal, sont formulées par nos employés à l'égard de la langue dans laquelle leurs superviseurs s'adressent à eux pendant la formation ou les réunions, comparativement au reste du Canada où on se plaint des services offerts au public. Je ne crois pas que nous ayons des clients anglophones qui se plaignent, ce sont plutôt les employés à l'origine des plaintes à Montréal.
La sénatrice Seidman : Vos employés connaissent des difficultés au sein de l'organisation?
Mme Boretsky : Oui. Le nombre de plaintes n'est pas élevé. La majorité des plaintes déposées auprès du commissaire aux langues officielles concernent les services, et non les conditions de travail, mais je dirais que les plaintes formulées par les employés viennent surtout du Québec.
Mme Maltby : En ce qui concerne les plaintes plus récentes, nous voyons une évolution et c'est en partie attribuable à l'ère numérique. Nous recevons des plaintes quant à la qualité du français et nous tentons de régler le problème. Nous recevons plus de plaintes sur nos activités numériques que nos autres services. Nous avons constaté cette évolution au cours des neuf derniers mois, donc cela ne fait même pas un an, et nous analysons la source des plaintes et leur nature.
La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.
La sénatrice Poirier : Merci d'être venues. J'ai quelques questions pour vous.
Si je vous ai bien comprises, vous avez indiqué dans votre déclaration que le projet de loi S-205 pourrait vous causer des difficultés au chapitre des finances et des ressources humaines. Ai-je raison de dire qu'il existe 746 bureaux de poste bilingues au Canada?
Mme Boretsky : En fait, presque : c'est 748.
La sénatrice Poirier : Lorsque vous décidez de retirer la désignation bilingue d'un bureau, la disponibilité des ressources humaines est-elle un facteur dans votre décision?
Mme Boretsky : Pour faire bref, oui.
La sénatrice Poirier : Lorsque vous éprouvez des difficultés à recruter des employés bilingues pour un bureau, placez-vous des annonces et cherchez-vous à l'extérieur de la région immédiate? Avez-vous des campagnes de recrutement à l'échelle du Canada ou d'une province?
Mme Boretsky : Nos ressources humaines disposent de divers outils pour recruter les employés. Oui, effectivement, nous aurions des campagnes pour recruter à l'extérieur de la ville, et il y aurait des consultations auprès des associations communautaires locales pour nous aider.
J'ajouterais que bon nombre des postes à doter font l'objet d'une convention collective, et cette convention prévoit également des étapes ou un processus de dotation pour certains postes.
Les deux grands syndicats sont l'Association canadienne des maîtres de poste et adjoints dans les régions rurales, et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes dans les centres urbains, et il existe des règles particulières en ce qui concerne la dotation. Cela nous emmène à la question de l'ancienneté et de la personne qui a quasi droit au poste. Cette personne pourrait se manifester afin d'obtenir une mutation ou passer du statut de temps partiel à temps plein dans ce bureau. Il faut tenir compte de tous ces facteurs avant de recruter à l'extérieur de la société.
La sénatrice Poirier : Avez-vous des programmes de formation afin d'aider les gens à devenir bilingues?
Mme Boretsky : Tout à fait.
La sénatrice Poirier : Vos employés peuvent suivre cette formation?
Mme Boretsky : Bien sûr.
[Français]
Ma deuxième question est la suivante : dans le cas d'un bureau qui n'est pas bilingue, lorsqu'un client ne parle pas la langue dans laquelle le service y est offert, avez-vous un système en place qui permettrait à cette personne de contacter immédiatement un agent à qui elle pourra parler dans sa langue pour se faire expliquer les services et vérifier ce dont elle a besoin, et qui pourra répondre à ses questions?
Mme Boretsky : Absolument. J'allais justement le décrire, mais vous venez de le faire pour nous. C'est exactement le système que nous avons. Il y a également un ordinateur grâce auquel une personne peut accéder à notre site web, où on trouve des réponses à certaines questions. Or, notre site web est entièrement et parfaitement bilingue.
Quant au service offert au téléphone, il y a des personnes-ressources qui peuvent répondre aux questions pour aider les gens qui ne comprennent pas la langue offerte dans certains bureaux. On pourvoit à tous les besoins de nos clients dans la langue de leur choix.
La sénatrice Poirier : Est-ce que ces personnes-ressources se trouvent dans un autre bureau de poste ou dans un centre d'appel?
Mme Boretsky : Cela dépend de la question et de ce dont la personne a besoin. Il peut s'agit du Service à la clientèle ou d'un bureau voisin.
La sénatrice Poirier : Est-ce que le service est offert immédiatement? Les clients peuvent-ils obtenir une réponse dans l'immédiat?
Mme Boretsky : Absolument.
La présidente : Selon les données du Conseil du Trésor, six bureaux à Moncton seront désignés unilingues. Est-ce unilingue français ou anglais? Dans quelle langue est-ce unilingue?
Mme Boretsky : En anglais.
La présidente : En anglais. À Moncton?
Mme Boretsky : Oui.
La présidente : C'est surprenant. Pouvez-vous nous expliquer cette décision?
[Traduction]
Mme Maltby : Nous nous fions aux résultats du recensement du Canada.
[Français]
La présidente : Le dernier recensement indiquait qu'il y avait une diminution du nombre de francophones à Moncton et, sur cette base, vous allez rendre unilingues six bureaux désignés bilingues à Moncton. Dans le cadre de vos consultations avec les gens de Moncton et de la région, avez-vous rencontré des gens de l'université francophone de Moncton?
Le fait qu'il y ait de nombreuses écoles francophones, et le fait qu'il y ait tout de même une vitalité de la communauté francophone à Moncton sont-ils des facteurs que vous avez considérés?
Mme Boretsky : Comme nous l'avons déjà indiqué, je ne sais pas qui a tenu une consultation avec des universités ou avec d'autres organismes qui font la preuve d'une vitalité du français, de la langue minoritaire, à Moncton. Cependant, ce que nous avons examiné, à l'époque, lorsque nous avons pris la décision, c'était des facteurs comme les habitudes de notre clientèle, les demandes faites par la clientèle à chaque bureau, à chaque comptoir, et la fréquence de ces demandes. Donc, comme je l'ai dit, nous entreprenons des consultations en ce moment avec les organismes et les associations de langues minoritaires dans tous ces endroits. Nous aurons peut-être la possibilité de recueillir leurs opinions et d'être ainsi mis au courant d'aspects que nous n'avions pas pris en considération, qui nous permettront de changer notre position.
La présidente : Vous seriez ouverte à changer de décision.
Mme Boretsky : Il y a un plan, et nous avons déjà entamé les consultations. Celles-ci feront peut-être ressortir des aspects différents de ce que nous avons examiné dans le cadre de notre étude. Nous pourrions changer d'idée, absolument, si c'est possible.
[Traduction]
Mme Maltby : Je suis en train de consulter la liste. Je sais que lorsque nous avons reçu le nombre total du Conseil du Trésor, et c'est bien cela l'objet de votre question, il y en avait 12 que nous pouvions ramener à 6. Je ne crois pas que nous l'ayons fait à Moncton. Comme nous l'avons indiqué plus tôt, nous pouvions retirer la désignation à 68 bureaux, et nous allons seulement le faire pour 49. Je ne crois pas que ces bureaux figurent sur la liste. Je l'ai devant moi.
La présidente : Pouvez-vous nous envoyer ce renseignement, s'il vous plaît?
Mme Maltby : On aurait pu le trouver sur la liste du Conseil du Trésor.
La présidente : Oui, je l'ai bien compris, mais il n'y a pas de minimum. Il est toujours possible de réduire le chiffre fourni par le Conseil du Trésor, n'est-ce pas?
Mme Boretsky : Vous voulez dire réduire davantage le nombre de bureaux? Oui, nous pouvons offrir davantage de services qu'il n'est prévu.
La présidente : Oui.
Mme Boretsky : Oui, c'est bien ce que nous vous disons. Nous aurions pu retirer la désignation à 68 bureaux, mais nous ne le faisons que pour 49. La décision a déjà été prise. Nous consultons les collectivités dans lesquelles se trouvent les 49 bureaux visés.
Nous allons confirmer si oui ou non des bureaux sont visés à Moncton.
[Français]
La sénatrice Poirier : J'ai peut-être eu la réponse que je cherchais, mais j'aimerais clarifier quelques points. On parle de Moncton; est-ce qu'on parle de la grande région, de Dieppe, ou seulement de Moncton? Combien de bureaux bilingues existent dans la région de Moncton et de Dieppe?
[Traduction]
Mme Maltby : Le nombre est fonction des résultats du recensement dans les districts concernés.
La sénatrice Poirier : Je comprends. J'aimerais savoir combien de bureaux sont désignés bilingues actuellement.
Mme Boretsky : Je vais vous revenir là-dessus. Je n'ai pas ce renseignement sous la main.
[Français]
La présidente : Avant de passer au deuxième tour, j'aimerais vous poser la question suivante : est-ce que la prime de bilinguisme a influencé votre décision de fermer certains bureaux désignés bilingues?
Mme Boretsky : Non. Pour vous donner la réponse courte, absolument pas.
La présidente : Alors, dans votre effort d'économiser de l'argent, le fait que dans les bureaux bilingues, les employés reçoivent une prime de bilinguisme n'a pas joué.
Mme Boretsky : Le défi de doter les postes est beaucoup plus important que le montant payé aux employés bilingues.
La sénatrice Chaput : On parlait justement de la désignation bilingue de vos bureaux. Les bureaux fédéraux des autres ministères qui ont une désignation se retrouvent sur le site Burolis. On y retrouve les bureaux désignés bilingues et ceux qui ne le sont pas. Pourquoi la désignation linguistique de vos bureaux n'apparaît-elle pas sur Burolis? On n'est pas en mesure d'y trouver l'information, il faut aller creuser plus loin et, souvent, faire appel à la Loi sur l'accès à l'information. Pourriez-vous vous pencher sur cette question?
Mme Boretsky : Absolument. Je croyais que nous étions affichés sur Burolis.
La sénatrice Chaput : Vous y êtes, mais la désignation bilingue n'apparaît pas sur Burolis. Pourriez-vous le vérifier?
Mme Maltby : Oui, absolument.
La sénatrice Chaput : Ma deuxième question sera brève. Il s'agit simplement d'un commentaire. Quelquefois, il faut, pour recruter, penser hors du cadre habituel. Vous l'avez sûrement lu, un témoin, la semaine dernière, nous a indiqué que son organisme n'avait pas de difficulté à recruter du personnel bilingue. J'ai de la difficulté à croire que vous ne pouvez pas recruter du personnel bilingue au Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue au Canada. J'aimerais que vous vous penchiez de plus près sur vos pratiques de recrutement.
Vous avez parlé d'un ajout de 36 bureaux bilingues en 2011. Est-ce bien le cas?
Mme Boretsky : Oui.
La sénatrice Chaput : Est-ce une augmentation nette?
Mme Boretsky : Non.
La sénatrice Chaput : Des bureaux ont-ils aussi perdu leur désignation? Le cas échéant, combien il y en a-t-il?
Mme Boretsky : Comme nous l'avons dit, nous en avons ajouté 36. Nous en enlevons 48 sur un total possible de 68. Le chiffre net, je crois, est de 13 en moins.
La sénatrice Chaput : Sur ces bureaux en moins, combien en compte-t-on au Québec pour les anglophones et combien hors Québec pour les francophones?
[Traduction]
Mme Maltby : Nous en ajoutons 25 au Québec, et nous proposons dans le plan de retirer la désignation à 12 bureaux dans la même province.
[Français]
La sénatrice Chaput : Et pour les francophones hors Québec?
[Traduction]
Mme Maltby : Vous voulez donc la ventilation pour les bureaux à l'extérieur du Québec?
La sénatrice Chaput : Non, seulement le montant net.
[Français]
Mme Maltby : Je ne comprends pas ce que vous entendez par « net ».
[Traduction]
La présidente : Combien de bureaux ont la désignation bilingue et combien la perdront à l'extérieur du Québec.
Mme Boretsky : Nous avions dit combien qui seraient rajoutés au Québec?
Mme Maltby : Vingt-cinq.
Mme Boretsky : Nous en avons ajouté 25 au Québec, ce qui fait seulement 11 ailleurs au Canada. Au total, nous en ajoutons 36.
La sénatrice Chaput : Vous avez ajouté.
Mme Boretsky : Nous avons ajouté. Ensuite, il faut soustraire...
Mme Maltby : Quarante-neuf.
Mme Boretsky : Dont combien au Québec?
Mme Maltby : Douze.
Mme Boretsky : Donc 12 au Québec et le reste ailleurs au Canada.
La sénatrice Chaput : Ce qui fait 37 et 12.
La présidente : Il y aurait donc une perte nette de 26 bureaux désignés bilingues à l'extérieur du Québec.
Mme Boretsky : Cela n'a aucun sens, car la perte nette de bureaux se chiffre à 13 pour tout le pays.
La présidente : Mais la sénatrice Chaput voulait savoir ce qu'il en était pour toutes les régions sauf le Québec. Nous vous prions de nous fournir ce renseignement précis.
[Français]
Le sénateur Maltais : Mon intervention est plutôt à titre d'information. Tout à l'heure, je vous ai parlé des petits villages sur la Basse-Côte-Nord qui sont anglophones. Je voulais savoir s'ils étaient desservis en anglais. Or, notre recherchiste m'a confirmé que, effectivement, ils reçoivent les services dans leur langue. Cette information vous évitera des recherches.
Mme Boretsky : On ne revient donc pas sur la question de la Côte-Nord.
La sénatrice Chaput : Vous comprenez donc pourquoi les communautés de langue officielle en situation minoritaire ont besoin du projet de loi S-205. C'est justement pour protéger les acquis et assurer l'égalité des services dans les deux langues officielles.
La présidente : Madame Boretsky, madame Maltby, je vous remercie de votre participation et des réponses que vous avez données à nos questions.
Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-205. Notre prochain témoin est Mme Jocelyne Lalonde, directrice générale de l'Association des collèges et universités de la francophonie canadienne. Sa présentation touchera aussi notre ordre de renvoi sur l'application de la Loi sur les langues officielles. Je tiens à vous souligner que c'est la quatrième fois que Mme Lalonde comparaît devant notre comité.
Vous êtes très généreuse de votre temps, madame Lalonde. Merci d'être avec nous ce soir. Je vous invite à commencer votre présentation. Par la suite, les sénateurs vous poseront des questions.
Jocelyne Lalonde, directrice générale, Association des collèges et universités de la francophonie canadienne : Merci beaucoup de me recevoir une quatrième fois. Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Au nom du conseil de l'Association des collègues et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), et en mon nom personnel, je tiens à vous remercier de votre invitation à partager avec vous nos commentaires sur deux de vos études courantes portant respectivement sur l'application de la Loi sur les langues officielles et sur le projet de loi S-205.
Si vous me le permettez, j'aimerais tout d'abord vous présenter brièvement l'ACUFC, une nouvelle association qui vient de voir le jour le 1er avril 2015, et vous faire part de sa contribution au rayonnement de la francophonie canadienne et de la dualité linguistique. Je ferai ensuite le lien entre cette contribution et les deux sujets à l'étude par le comité.
L'ACUFC regroupe 20 établissements d'enseignement postsecondaire francophones ou bilingues, collèges et universités, répartis d'est en ouest. Cette nouvelle association s'appuie sur de solides fondations mises en place par les deux organismes qui l'ont précédée, soit le Consortium national de formation en santé (CNFS) et l'Association des universités de la francophonie canadienne.
L'ACUFC vise à accroître l'accessibilité, la synergie et la complétude de la formation et de la recherche postsecondaires en français en milieu minoritaire francophone. Les programmes offerts par ces établissements à près de 40 000 étudiants contribuent largement à la vitalité de la francophonie canadienne et à l'épanouissement des communautés francophones et de la société canadienne dans son ensemble.
Dans le contexte de vos deux études en cours, je vais tenter ici d'illustrer comment l'ACUFC, tout en étant la voix forte et collective de l'enseignement postsecondaire en français au Canada, joue un rôle essentiel dans la vitalité des communautés francophones.
D'entrée de jeu, je m'en voudrais de ne pas insister sur le caractère unique de nos membres. Les collèges et universités membres de l'ACUFC sont sans exception le moteur économique, social et culturel de leurs communautés. Implantés dans des régions où l'anglais prédomine, ils offrent aux jeunes talents d'ici et d'ailleurs une opportunité de poursuivre des études de qualité en français, tout en leur donnant la possibilité de perfectionner leur anglais dans leur communauté d'accueil. D'abord centres intellectuels névralgiques de l'enseignement postsecondaire en français hors Québec, nos établissements membres jouent ainsi un rôle de premier plan en matière de promotion de la dualité linguistique au Canada.
C'est ce double rôle, cette dichotomie qui nous distingue des collèges et universités francophones du Québec et qui permet à nos étudiants de vivre une expérience unique au sein de nos communautés. Notre mission auprès des communautés francophones minoritaires est nettement rehaussée par notre capacité à offrir une formation de qualité en français, non seulement aux francophones de souche, mais aussi aux jeunes anglophones francophiles ou bilingues.
Dans son allocution récente au Congrès des sciences humaines, le gouverneur général a reconnu que l'excellence de notre système d'éducation représente un avantage pour le Canada, mais il a aussi signalé que « notre bien-être futur dépendra de notre capacité à renouveler cet avantage au XXIe siècle ». La francophonie canadienne saura saisir ce message et se pencher sur les défis de l'éducation en français, car son rayonnement et sa pérennité en dépendent.
Comme l'ont mentionné certains témoins qui m'ont précédée, l'éducation doit être vue comme un continuum qui s'étend de la petite enfance à la vie adulte, et l'enseignement postsecondaire doit en demeurer un maillon fort.
À ce titre, je ne saurais passer sous silence la contribution de la Table nationale sur l'éducation qui regroupe les principaux intervenants des secteurs de l'éducation et du développement communautaire. La table poursuit présentement sa réflexion sur le continuum d'éducation et de formation et facilite, entre autres, le dialogue sur les enjeux de l'enseignement postsecondaire en français.
Vous ne serez pas surpris d'apprendre que ces enjeux sont nombreux. L'accès des jeunes des communautés francophones à l'enseignement postsecondaire en français demeure notre plus grand défi. N'est-il pas préoccupant qu'un grand nombre d'entre eux choisissent de poursuivre leurs études postsecondaires en anglais? La proximité des établissements postsecondaires, du domicile ou de l'école secondaire de l'élève est un facteur déterminant dans le choix d'étudier en français. Les coûts liés à l'éloignement sont aussi un facteur d'influence. Enfin, il faut que l'étudiant puisse avoir accès à des programmes et à des cours de qualité qui correspondent à ses intérêts. Ce sont ces facteurs dont l'ACUFC doit tenir compte pour accroître l'accès à ses établissements membres.
Dans ce même ordre d'idées, l'immersion francophone au postsecondaire représente un potentiel immense pour les communautés francophones. Alors que près de 380 000 jeunes Canadiens et Canadiennes sont inscrits dans des programmes d'immersion aux niveaux primaire et secondaire, les membres de l'ACUFC ne comptent que 5 500 diplômés de ces programmes.
Comme le disait récemment le commissaire Graham Fraser lors de son témoignage devant votre comité, le Canada doit offrir un véritable continuum des possibilités d'apprentissage de nos langues officielles, de la petite enfance jusqu'aux études postsecondaires. L'augmentation d'effectifs bilingues a une influence bénéfique sur les communautés où il est de plus en plus difficile de recruter des professionnels bilingues nécessaires au développement et au fonctionnement efficace des structures fondamentales de ces communautés.
Permettez-moi maintenant de vous parler brièvement des deux grands pôles d'activité de l'ACUFC : la formation en santé grâce au CNFS, et la formation en justice sous l'égide du Réseau national de formation en justice.
De 2003 à 2014, le CNFS a soutenu pas moins de 100 programmes en santé qui ont permis de former plus de 5 000 professionnels aptes à offrir des services de santé en français en milieu minoritaire francophone. Il a ainsi eu un impact direct sur le mieux-être et le développement durable de ces communautés. Comme vous le savez sans doute, les activités du CNFS sont financées par Santé Canada dans le cadre de la Feuille de route sur les langues officielles du Canada, 2013-2018.
Quant au Réseau national de formation en justice, qui a vu naissance l'année dernière, il vise essentiellement à augmenter la capacité du système de justice au Canada et ainsi de faciliter l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Les membres du réseau ont confié l'administration et la coordination des activités à l'ACUFC.
Ces activités, tant dans le domaine de la santé qu'en matière d'accès à la justice, sont indissociables de l'application de la Loi sur les langues officielles et de la feuille de route qui donnent aux ministères fédéraux la latitude financière voulue pour appliquer la loi. Malgré l'incertitude qui pèse lourd à la veille du renouvellement de chaque feuille de route, il faut reconnaître que cette politique a permis des percées dans de nombreux secteurs.
Ces mêmes activités du CNFS et du réseau contribuent également à la vitalité et à la pérennité des communautés francophones minoritaires. Vous me permettrez ici d'établir un parallèle avec la partie VII de la Loi sur les langues officielles, qui prescrit que cette même loi et sa réglementation doivent contribuer à l'épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. L'on ne doit jamais perdre de vue cet aspect de la loi.
Ceci m'amène, en terminant, à commenter brièvement le projet de loi S-205. Je ne provoquerai pas de surprise en vous disant que l'ACUFC appuie ce projet de loi qui vise à moderniser la partie IV de la Loi sur les langues officielles. Nous sommes en faveur de l'adoption d'une définition plus souple et plus large de la population de la minorité francophone.
Les membres de l'ACUFC ont su s'adapter à la nouvelle réalité démolinguistique de la francophonie canadienne et sont aujourd'hui le miroir de sa diversité. Nos effectifs comprennent des francophones de souche, mais aussi des jeunes issus de familles exogames ou de familles d'immigrants, des diplômés en immersion et des étudiants internationaux qui ont le français comme langue maternelle ou seconde. Pour calculer avec justesse la taille de la minorité de langue officielle, il faut inclure ces jeunes francophones, francophiles et bilingues. Tenir compte uniquement de la langue maternelle parlée est révolu, et ceci nous amène vers la perte de services en français.
Nous croyons aussi utile d'aller au-delà du quantitatif en tenant compte de la vitalité des communautés, y compris la vitalité d'institutions telles que les établissements postsecondaires. Le critère de la vitalité institutionnelle est plus pertinent que jamais et favorisera une plus grande cohérence entre les parties IV et VII de la Loi sur les langues officielles. Il devrait donc être reflété dans la réglementation qui est liée à cette loi.
Je vous remercie de votre attention, et je serai heureuse de répondre à vos questions.
La présidente : Un grand merci, madame Lalonde, pour cette présentation très intéressante. La première question sera posée par la sénatrice Fortin-Duplessis.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, madame la présidente. Madame Lalonde, c'est un plaisir de vous recevoir encore une fois. Vous avez un bon jugement, et votre présentation est toujours bien préparée.
J'aimerais savoir s'il y a tout de même la possibilité pour un étudiant — par exemple, un étudiant du Manitoba — de venir étudier à l'Université Laval, à Québec. S'il a le moyen de le faire, est-ce que c'est facile pour lui de s'inscrire dans une autre université?
Mme Lalonde : À ce moment-ci, l'étudiant peut aller étudier dans l'université de son choix, partout au Canada ou ailleurs. Ce que nous prônons, c'est qu'il puisse étudier le plus près de chez lui possible, c'est-à-dire dans sa communauté. S'il ne peut pas étudier dans sa communauté, nous aimerions qu'il puisse étudier dans les communautés minoritaires francophones, donc que nous puissions avoir accès à une éducation complète et à des programmes qui touchent tous les domaines pour pouvoir offrir à nos étudiants la possibilité de poursuivre leurs études en français.
Ce que nous avons l'intention de faire dans l'avenir — pour vous donner l'exemple du Manitoba, il y a l'Université Saint-Boniface qui offre plusieurs programmes, surtout de premier cycle et de deuxième cycle au niveau de la formation — c'est de pouvoir travailler avec cet élève et lui donner un cheminement au niveau de la francophonie, sur la façon dont il pourrait poursuivre ses études en français dans nos communautés francophones minoritaires. Même si la formation n'est pas disponible au Manitoba, elle est peut-être disponible ailleurs, et on pourrait dès le début lui montrer le cheminement possible au sein de nos communautés. Ce que nous voulons essentiellement éviter, c'est qu'il poursuive ses études postsecondaires en anglais.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous mentionnez qu'il pourrait s'agir de n'importe quel programme, et plus tôt, vous avez mentionné que vous privilégiez ceux qui étudient en santé et en justice. Cependant, si l'étudiant voulait devenir ingénieur, il n'y aurait pas de problème non plus, dans n'importe quel domaine.
Mme Lalonde : Au sein de l'Association des collèges et universités de la francophonie canadienne, il y a 20 membres, et pour être membre, l'université ou le collège doit offrir des programmes en français dans tous les domaines.
Ce que la Feuille de route sur les langues officielles nous permet, à ce moment-ci, c'est d'augmenter, de rehausser et de permettre un plus grand nombre de formations dans le domaine de la santé, et prochainement, dans le domaine de la justice, mais nous touchons à tous les secteurs de formation postsecondaire.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Sur le fascicule que vous nous avez remis, à chaque fois qu'il y est mentionné une université, s'agit-il exclusivement d'universités francophones?
Mme Lalonde : Ce sont des universités qui offrent certains programmes en français, ce ne sont pas toutes des universités francophones. Pour être membre, il faut que l'université ou le collège offre certains programmes en français.
Par exemple, l'Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, offre trois programmes en français, par l'intermédiaire du Bureau des affaires francophones et francophiles. Ces gens-là sont membres de l'ACUFC, parce que nos étudiants peuvent y suivre un programme en français. Par contre, l'Université de Moncton est complètement francophone.
C'est très diversifié, et les universités et les collèges sont aussi de tailles très différentes. Il y a l'Université d'Ottawa qui compte un nombre important d'étudiants, anglophones et francophones, soit près de 45 000. Il y a aussi l'Université de Hearst, dans le Nord de l'Ontario, qui est strictement francophone, mais qui compte environ 150 étudiants.
La sénatrice Chaput : Merci, madame Lalonde. Comme toujours, vous êtes bien préparée, et vous savez de quoi vous parlez.
À la lumière de ce que nous avons entendu au comité depuis quelque temps, il y a plusieurs institutions fédérales qui nous ont parlé de leurs difficultés de recruter du personnel bilingue pour la corporation, l'institution ou le ministère. Pour ma part, lorsque je regarde ce qui est offert dans l'ensemble du Canada par l'entremise de collèges et d'universités... À votre avis, madame Lalonde, il y a des gens qui sont bilingues partout au Canada, et qui parlent les deux langues officielles, n'est-ce pas?
Mme Lalonde : Absolument.
La sénatrice Chaput : Est-ce qu'on vous a déjà approchée pour que vous participiez au recrutement? Est-ce qu'on vous a déjà demandé des idées pour savoir comment recruter du personnel francophone à l'extérieur du Québec? Est-ce que la Société des postes a déjà communiqué avec vous, est-ce qu'Air Canada a déjà travaillé avec vous pour recruter du personnel bilingue? Via Rail, je n'en parle pas, parce qu'ils n'éprouvent pas de difficulté. Avez-vous été approchée?
Mme Lalonde : Non. Moi, je suis directrice depuis presque 12 ans, et je n'ai jamais eu une demande de la part d'aucun organisme pour l'aider à recruter du personnel bilingue. Par contre, lorsque nous parlons à nos communautés francophones, il est très clair que nous formons des chefs de file de grande qualité au niveau de la francophonie, des chefs de file qui sont bilingues, et nous avons un nombre de ressources humaines, je crois, assez important pour répondre à certains besoins. Je crois qu'il faudrait peut-être examiner la façon dont nous effectuons le recrutement des ressources humaines. Ceci ne veut pas dire que nous n'avons pas besoin de continuer à former des gens compétents.
La sénatrice Chaput : Si je vous posais la question, votre association serait-elle ouverte à la possibilité d'appuyer ces institutions fédérales pour les aider à trouver du personnel bilingue?
Mme Lalonde : Il y a une chose qui serait très facile. Je ne sais pas si nous vous avons passé ce document-ci.
La sénatrice Chaput : Oui.
Mme Lalonde : À l'intérieur du document, vous avez tous les programmes qui sont offerts aux niveaux collégial et universitaire à l'extérieur du Québec. À ce moment-là, si une entreprise cherche un certain nombre de personnes dans une profession donnée, nous pouvons lui transmettre le document et lui indiquer les universités ou les collèges où ces gens-là sont formés, et les personnes à qui elle peut s'adresser. Chaque année, il y a des diplômés qui sortent de ces collèges et universités qui pourraient très bien travailler dans des postes bilingues. En outre, elles sont très peu nombreuses les personnes qui font une formation postsecondaire et qui ne peuvent pas parler les deux langues officielles.
La sénatrice Poirier : Merci d'être ici avec nous, madame Lalonde. Ma question est la suivante : vous avez mentionné tout à l'heure qu'un de vos buts, c'est de vous assurer qu'une personne qui a étudié en français, que ce soit en immersion ou en français, puisse poursuivre ses études en français dans un collège ou une université. Cependant, vous avez aussi mentionné qu'il y a plusieurs étudiants qui s'inscrivent dans des collèges ou des universités anglophones après avoir obtenu leur diplôme de 12e année.
Est-ce qu'il y a déjà eu des études ou des recherches qui ont été réalisées pour déterminer la raison principale pour laquelle les jeunes choisissent de passer du côté anglais à un moment donné? Est-ce parce que les cours qu'ils voulaient suivre n'étaient pas offerts en français, ou parce qu'ils ne voulaient pas s'éloigner, puisque les cours n'étaient pas offerts dans la région ou la province où ils habitent? Quelle est la raison principale qui les motive à passer du français à l'anglais?
Mme Lalonde : Je pense qu'il n'y a pas une seule raison, il y a plusieurs raisons, et vous venez justement d'en nommer deux. Il y a le fait que, parfois, les étudiants ne veulent pas quitter leur milieu pour poursuivre leurs études; il faut dire que c'est plus dispendieux aussi.
Il y a aussi le fait que nous avons sensibilisé les jeunes et les parents au fait que le marché du travail valorise le bilinguisme. Ce n'est pas toujours quelque chose qui est perçu comme étant une valeur ajoutée par les parents. Ce qu'un parent veut, c'est le mieux pour son enfant. S'il croit que son enfant doit poursuivre ses études, s'il a fait son primaire et son secondaire en français, il peut y avoir une perception qu'il serait préférable qu'il fasse ses études postsecondaires en anglais, par crainte de ne pas avoir un niveau de bilinguisme assez élevé pour répondre aux besoins du marché du travail. Je pense qu'il y a un travail important de sensibilisation à faire à ce niveau-là.
De plus, souvent, comme parents, nous aimerions que nos enfants fréquentent le même établissement postsecondaire que nous. Au niveau de la francophonie, il n'y a pas si longtemps que nous avons commencé à développer l'éducation postsecondaire en français, donc nous devons mettre les bouchées doubles pour pouvoir démontrer l'importance et la qualité de nos programmes en français.
La sénatrice Poirier : Au cours des dernières années, est-ce qu'il y a eu de plus en plus de programmes offerts en ligne, ce qui éviterait que les gens aient à se déplacer d'une province à l'autre pour poursuivre leurs études postsecondaires, collégiales et universitaires?
Mme Lalonde : C'est une très bonne question, et la réponse est oui. Nous avons de plus en plus de formations à distance. Je vais vous donner un exemple lié à un dossier que je connais bien, la santé. En Nouvelle-Écosse, nous avions un grand besoin de travailleurs sociaux francophones. En ce qui concerne la santé mentale, on aime mieux parler de ses problèmes en français. Nous avons développé des cours en ligne à l'Université Laurentienne, en Ontario. L'Université Saint-Boniface offrait déjà des cours de base dans le programme. Les étudiants ont pu demeurer en Nouvelle-Écosse, et nous avons donné des cours de base à l'Université Saint-Anne en Nouvelle-Écosse. Par la suite, les étudiants pouvaient suivre des cours plus avancés grâce à la formation à distance à l'Université Laurentienne. Nous avons maintenant 40 travailleurs sociaux bilingues qui travaillent dans les communautés et qui ont obtenu une diplomation ou un bac de l'Université Laurentienne, et la seule fois qu'ils se sont déplacés, c'était pour recevoir leur diplôme. Ce sont de beaux exemples.
Le sénateur Rivard : Bienvenue madame. C'est la première fois que j'ai la chance de vous rencontrer. Je remplace à l'occasion certains collègues au comité. Est-ce que les postes des professeurs francophones dans les universités francophones hors Québec sont des postes syndiqués? J'ai une fille qui est professeure au Québec, et elle est syndiquée. Les membres de l'Université Simon Fraser sont-ils membres d'un syndicat doté d'une convention collective, avec des échelons et tout?
Mme Lalonde : Oui. Je n'ai pas toute l'information à ce niveau-là, mais il y a des syndicats qui existent. Au niveau collégial, tous les enseignants sont syndiqués. Il s'agit d'un syndicat provincial en Ontario. Je ne peux pas dire si toutes les universités et tous les collèges sont syndiqués, mais la grande majorité l'est.
Le sénateur Rivard : Pour en revenir aux difficultés qu'éprouvent certaines universités, qui offrent des cours de français, à recruter des professeurs au Québec qui pourraient être prêts à relever un défi pendant quelques années, lorsqu'il s'agit d'un poste syndiqué, il doit être presque impossible d'offrir de meilleures conditions, comme pour les travailleurs du Québec qui vont dans le Grand Nord et qui reçoivent une prime d'éloignement et où les coûts de déménagement peuvent être défrayés.
Le fait qu'il y ait, selon vous, des conventions collectives dans presque toutes les provinces, cela veut-il dire, en fin de compte, qu'il s'agit seulement d'un défi de carrière, puisqu'il n'y a pas d'incitatifs financiers à ce qu'un professeur laisse l'Université Laval ou l'Université de Montréal pour aller enseigner trois ans en Nouvelle-Écosse ou ailleurs?
Mme Lalonde : Pas plus que des professeurs de l'Université d'Ottawa qui pourraient aller enseigner à l'Université Laval. Les besoins sont—-
Le sénateur Rivard : C'est la libre circulation.
Mme Lalonde : Exactement. Parfois, si un organisme a de la difficulté à trouver un enseignant, nous travaillons à l'intérieur de notre association pour voir si un enseignant en année sabbatique pourrait se rendre à telle université ou tel collège pour former les gens sur place, de sorte à pouvoir offrir le programme.
Le sénateur Rivard : Je suppose que le même phénomène se produit, par exemple, pour un anglophone du Manitoba qui aimerait relever le défi d'enseigner à l'Université McGill, à Montréal. À part du défi de vouloir changer de milieu, il n'y a pas d'autres incitatifs, que ce soit du côté francophone ou anglophone, à votre connaissance.
Mme Lalonde : À ma connaissance, non.
Le sénateur Maltais : Bienvenue, madame Lalonde. Bravo pour votre travail, c'est vraiment intéressant, et je vous écoutais attentivement. Vous présumez donc, et je crois que les sénatrices Tardif et Chaput l'ont dit souvent, que lorsqu'un jeune francophone hors Québec termine son secondaire, il est bilingue.
Mme Lalonde : Quand il termine son secondaire? Oui, pour la majorité, parce que les jeunes vivants en communauté francophone minoritaire côtoient la communauté anglophone chaque jour. Souvent, leurs amis sont anglophones et ils apprennent la langue dans la communauté.
Le sénateur Maltais : Parce que, vous allez convenir que c'est lorsqu'on est jeune qu'on apprend une seconde ou une troisième langue beaucoup plus aisément qu'à un certain âge.
Mme Lalonde : On est d'accord.
Le sénateur Maltais : Au Québec, on vit le phénomène à l'envers. Depuis quelques années, il y a de nouveaux programmes d'enseignement en anglais.
Je vais vous raconter l'histoire de mes enfants. Ils sont tous les trois des professionnels, et ils n'ont jamais appris l'anglais à l'école. Ils ont dû aller au Manitoba, en Alberta et dans le Nord de l'Ontario pour apprendre l'anglais, parce qu'ils ont choisi une profession comme le génie ou le domaine médical où il est nécessaire de parler anglais, parce que tous les livres sont en anglais. C'est un paradoxe au Québec. Les Français de France n'ont jamais pu écrire un livre en français sur la médecine. Vous allez à l'Université de Paris, les livres sont en anglais. C'est phénoménal. Au Québec, nous avons du retard, parce que nos jeunes ne sont pas suffisamment bilingues. Le bilinguisme, c'est une force, c'est une maîtrise, peu importe le domaine, et c'est une nécessité. Depuis une dizaine d'années, ils ont instauré des programmes d'anglais dès la première année. Je le vis avec mes petits-enfants, et c'est très surprenant. Ainsi, alors que vous déployez des efforts pour faire faire des études à vos jeunes en français, de notre côté, nous aimerions que nos jeunes soient parfaitement bilingues au secondaire, et je ne sais pas qui a la bonne recette.
J'ai un petit-fils qui a fait sa première, deuxième et troisième année, et il y a un progrès. Aujourd'hui, les jeunes sont universels et n'appartiennent pas à une langue; du moins, ceux qui font des études. Ils appartiennent au monde. Ils ne sont pas Ontariens, Canadiens; ce sont des gens du monde.
Mme Lalonde : Il n'y a plus de frontières.
Le sénateur Maltais : Je me demande si les jeunes francophones dans les milieux linguistiques minoritaires ne sont pas favorisés, dans le fond?
Mme Lalonde : Ils sont favorisés jusqu'à un certain point. Quant à l'accès à l'éducation postsecondaire, je ne pourrais pas vous qu'ils sont favorisés.
Le sénateur Maltais : Parlons du secondaire, de la première à la 12e année.
Mme Lalonde : Ils sont favorisés dans leur capacité de pouvoir développer leur aptitude de parler le français et l'anglais, parce qu'ils évoluent dans un milieu où ils peuvent utiliser ces langues de façon plus régulière. Par contre, le fait de vivre dans un milieu minoritaire amène parfois d'autres défis.
Le sénateur Maltais : C'est à partir du secondaire que le vrai défi commence pour vous?
Mme Lalonde : Je pense que le défi est constant dès la naissance de l'enfant. Au moment de la naissance d'un enfant francophone dans un milieu minoritaire francophone, le défi commence déjà, parce qu'il s'agit de pouvoir permettre à cet enfant, qui vit parfois dans une famille exogame, avec un père francophone et une mère anglophone, de devenir une personne bilingue. Il faut qu'il puisse poursuivre ses études en français et, parfois, ce n'est pas seulement l'école qui lui permettra d'avoir ces capacités. Il doit pouvoir recevoir un appui à la maison et avoir l'occasion de socialiser en français. C'est un défi constant pour lui de garder son français.
Le sénateur Maltais : Je suis amateur de hockey. Je suis toujours surpris que les jeunes joueurs de hockey en provenance des quatre coins du Canada arrivent à Montréal et sont capables de donner des entrevues en anglais et en français. Par contre, les nôtres, qui jouent dans la ligue junior du Québec, ont de la difficulté, lorsqu'ils arrivent à Toronto, à Winnipeg ou à Calgary, à donner des entrevues en anglais. C'est remarquable, et je crois qu'ils ont un avantage que nous n'avons pas au Québec.
Mme Lalonde : Ils peuvent avoir un avantage s'ils ne perdent pas la capacité de parler français.
Le sénateur Maltais : Voilà.
Mme Lalonde : Le taux d'assimilation est très élevé. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il s'agit d'un défi, dès la naissance, de garder sa langue tout au long de sa vie. Les personnes sont bilingues, c'est une valeur ajoutée, mais arriver à conserver ses capacités n'est pas toujours facile.
La sénatrice Chaput : J'ai surtout un commentaire à faire en écoutant la question du sénateur Maltais.
Ces jeunes récoltent aujourd'hui le résultat des luttes et des combats que leurs parents, grands-parents et arrière grands-parents ont tenu lors de leur existence. C'est le fruit de ces combats et de ces luttes. Voyez-vous, leurs droits sont un peu plus respectés. Je n'aime pas le mot « favorisé », parce que ce n'est pas facile pour eux de vivre dans un milieu anglophone.
Je recevais, ce matin, 38 étudiants d'une école française du Manitoba, l'école Saint-Joachim, de La Broquerie. Je leur demandais, lorsqu'ils sont dans leur collectivité et qu'ils entrent dans un commerce, quelle langue ils parlent. Un enfant m'a répondu qu'il parlait anglais. Je lui ai dit : « Tu es francophone? » Il m'a répondu : « Oui, mais la plupart du temps, les gens ne me comprennent pas. » Je lui ai demandé s'il essayait de parler français afin de constater si la personne le comprenait ou pas.
Voyez-vous, lorsqu'on s'habitue à ce genre de comportement, il est très facile de se dire que l'on ne parlera pas français au cas où l'autre ne comprendrait pas. Je voulais faire ce commentaire pour illustrer une réalité que nous vivons à l'extérieur du Québec tous les jours. Je les regardais et je me disais : ce sont des francophones qui étudient en français selon le désir de leurs parents, et ils doivent continuer à vivre en français et à lutter, parce que cela ne sera jamais un acquis.
La présidente : Aviez-vous quelque chose à ajouter, madame Lalonde, au commentaire de la sénatrice Chaput?
Mme Lalonde : C'est exactement cela. Les batailles se sont faites dans tous les domaines : l'éducation, les écoles primaires et secondaires. Ce n'est pas encore terminé, nous allons devant les tribunaux constamment pour faire valoir nos droits au niveau de la scolarité. Je pense que, lorsque nous regardons nos jeunes, nous sommes très fiers qu'ils puissent se présenter et parler le français et l'anglais couramment, mais c'est grâce à des batailles importantes.
Le sénateur Maltais : Très brièvement, je suis tout à fait d'accord avec les propos de la sénatrice Chaput, ce sont des batailles de plus de 100 ans. Je me souviens, jadis, ce que nous appelions au Québec « la survivance de la langue française », qui était un appui au combat que menaient les gens de l'Ouest, du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta. Ce n'était pas les quelques sous que nous ramassions dans l'école du rang qui nous rassemblaient à l'époque, c'était la langue. La distance était très grande, mais la langue nous rassemblait. Merci beaucoup, madame Lalonde.
La présidente : Il n'y a pas tellement longtemps que certains droits... nous ne parlons pas de 50 ou 60 ans dans nos provinces, mais de 20 ans, où nous avons obtenu le droit de gérer nos écoles francophones. Cela ne fait que depuis 1990, et il a fallu aller jusqu'à la Cour suprême du Canada. Il n'est pas facile de protéger les droits, et c'est toujours très vulnérable.
Vous avez indiqué, madame Lalonde, que vous appuyez le projet de loi S-205. Vous avez parlé d'un lien entre la partie IV et VII. Comment voyez-vous l'apport du projet de loi S-205 et le lien entre les deux parties, IV et VII, et comment le projet de loi pourrait-il peut-être renforcer ce lien?
Mme Lalonde : Je crois — peut-être que cela ne répondra pas exactement à votre question — qu'il faut aller au-delà du nombre. Il faut vraiment examiner comment la vitalité de nos communautés est construite, comment cette vitalité, par nos institutions, permet à une communauté de survivre, et ce n'est pas seulement une question de nombre. Permettez-moi de faire le parallèle avec la présentation préalable. Si nous examinons le nombre de services offerts en français qui ont été éliminés et que nous tenons compte seulement des statistiques de Statistique Canada, c'est là que nous voyons comment ce que nous pouvons perdre au niveau des services en français dans nos communautés. Si nous perdons des services en français, cela veut dire que nos citoyens et citoyennes devront parler davantage en anglais et qu'ils perdront leurs capacités langagières. C'est tout ce que je peux répondre à votre question.
La présidente : Merci beaucoup. Y a-t-il d'autres questions, honorables sénateurs? Ne voyant pas d'autres questions, je vous remercie, madame Lalonde, d'avoir partagé vos connaissances et votre expertise avec nous. Vos commentaires sont très précieux, et nous les apprécions énormément.
Honorables sénateurs, étant donné que c'est notre dernière rencontre, j'aimerais vous remercier sincèrement de votre contribution. Je remercie également notre recherchiste de la Bibliothèque du Parlement et notre greffier. Merci à vous tous.
Depuis la dernière session qui a débuté le 16 octobre 2013, nous avons entendu 137 témoins. Trois rapports ont été rédigés : un sur les obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada, Les communautés veulent se voir et s'entendre d'un océan à l'autre; un deuxième intitulé Saisir l'occasion et le rôle des communautés dans un système d'immigration en constante évolution; le troisième rapport sera déposé demain, et il porte sur l'apprentissage des langues secondes. Je ne peux pas en dévoiler le titre, car c'est encore un secret. Je crois que nous avons fait un excellent travail. Je vous remercie.
(La séance est levée.)