Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 6 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 8 avril 2014
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 17 h 58, pour son étude sur la réglementation de l'aquaculture, les défis actuels et les perspectives d'avenir de l'industrie au Canada.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J'ai le plaisir de vous accueillir à cette séance du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Je m'appelle Fabian Manning, sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador, et je préside le comité. Je vous prie de nous excuser pour ce léger retard. Le Sénat siège toujours, alors nous avons dû obtenir sa permission pour nous réunir ce soir. Plusieurs membres du comité ne sont toujours pas arrivés, mais ils pourraient se joindre à nous plus tard.
Avant de céder la parole à nos témoins de ce soir, j'invite les membres du comité à se présenter.
Le sénateur Wells : Je suis le sénateur David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Beyak : La sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Merci. Le comité poursuit son étude sur la réglementation de l'aquaculture, les défis actuels et les perspectives d'avenir de l'industrie au Canada.
Nous sommes heureux d'accueillir nos témoins ici ce soir. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Je vous prie de vous présenter et de poursuivre avec votre déclaration.
Eric Hobson, président, SOS Marine Conservation Foundation : Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité sénatorial, de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. Je m'appelle Eric Hobson. J'habite à Calgary et j'ai un chalet sur l'île de Vancouver. Je suis président de la SOS Marine Conservation Foundation, ingénieur professionnel et membre de l'Institut des administrateurs de sociétés. Je suis également le cofondateur de Northridge Petroleum Marketing, qui a été vendu à TransCanada Corporation et à MetroNet Communications, qui ont plus tard fusionné pour former AT&T Canada. Je suis actionnaire fondateur de plus de 50 entreprises.
Ma réussite en affaires m'a permis de fonder la SOS Marine Conservation Foundation, qui contribue à la protection du saumon sauvage en Colombie-Britannique. J'ai fait don d'une bonne partie de ma richesse personnelle et j'ai consacré des heures et des heures de mon temps à cette cause. Je le fais pour mon amour de l'océan, que j'ai nourri pendant les nombreux étés de mon enfance que j'ai passés à pêcher près de l'île de Vancouver avec mon père et mon grand-père, et je veux retourner y pêcher avec mes petits-enfants.
La SOS Marine Conservation Foundation est un organisme caritatif qui s'articule autour du Solutions Advisory Committee — une vaste coalition de dirigeants d'entreprise, d'entrepreneurs, d'ingénieurs, de professionnels des domaines de la finance et du droit, ainsi que de philanthropes. La fondation travaille en collaboration avec les chercheurs, les Premières Nations, les éleveurs de saumon et les groupes environnementaux, en vue d'appliquer une approche axée sur les solutions et les entreprises pour surmonter les défis liés à la conservation des ressources marines. Je crois que le greffier vous a remis un document d'information sur la fondation et les membres du Solutions Advisory Committee.
Depuis sa création, la fondation a proposé une stratégie en trois points : à court terme, améliorer la gestion de la pisciculture à enclos ouverts, en mettant l'accent sur la santé et l'atténuation des répercussions sur les espèces de saumon sauvage les plus importantes et menacées. À moyen terme, créer un régime de réglementation plus transparent et responsable pour l'aquaculture des poissons à nageoires. Et à long terme, être le catalyseur d'une industrie de l'aquaculture en parc clos propre au Canada, mais de renommée mondiale.
Sachant que la ministre a levé le moratoire sur l'expansion de l'aquaculture de poissons à nageoires en Colombie- Britannique, et qu'il y a eu des développements en ce qui concerne la réglementation, je vais mettre l'accent aujourd'hui sur la création d'un régime réglementaire plus transparent et responsable.
Mais juste avant, je tiens à souligner l'important investissement du gouvernement du Canada dans l'étude de faisabilité sur les installations terrestres d'aquaculture en parc clos.
Comme vous le savez, à l'issue de cette étude exhaustive, le juge Cohen a recommandé d'examiner sérieusement les risques potentiels pour le saumon sockeye du Fraser qu'entraîne l'industrie de l'aquaculture. Il a demandé qu'un moratoire soit appliqué à l'expansion de l'industrie dans les îles Discovery d'ici à ce que les risques potentiels soient clairement définis. De plus, quand on lui a demandé pourquoi son moratoire s'appliquait uniquement aux îles Discovery, il a indiqué que son mandat se limitait au saumon sockeye du Fraser.
Il va sans dire que le gouvernement fédéral a le mandat beaucoup plus large de protéger toutes les espèces de saumon sauvage du Pacifique, et la seule mesure responsable serait d'étendre ces recommandations à l'ensemble des parcs piscicoles et aux routes de migration du saumon, en amont ou en aval.
Nous avons remis au greffier un document intitulé « Bulletin de la Commission Cohen ». Les progrès réalisés à l'égard des recommandations formulées dans le rapport sont loin d'être suffisants, ce qui nous a poussés à présenter une pétition en matière d'environnement au Bureau du vérificateur général du Canada.
Je ne suis pas un chercheur, mais je sais que la Commission Cohen a mis au jour de grandes inquiétudes à l'égard du virus de l'anémie infectieuse du saumon (AIS). Il n'y a pas de vaccin connu contre ce virus. Pour que vous puissiez avoir une bonne idée de ce que cela pourrait signifier pour les collectivités côtières de la Colombie-Britannique, je vous encourage à étudier la crise de l'AIS qui a secoué le Chili en 2007. Depuis la Commission Cohen, les données probantes s'accumulent concernant la prévalence de plusieurs autres virus associés à l'aquaculture. J'encourage le comité à recueillir le témoignage direct de la coalition de scientifiques qui prennent part à la série de discussions « Speaking for the Salmon » de l'Université Simon Fraser, afin d'avoir le son de cloche de chercheurs indépendants à ce sujet.
Le 25 février, M. Gillis a indiqué au comité que le ministère allait faire une analyse préliminaire des risques entourant les interactions entre le saumon de culture et le saumon sauvage au large de la Colombie-Britannique. À la lumière des compressions qu'a subies le ministère des Pêches et des Océans et des changements qu'il a connus récemment, nous ne sommes pas convaincus qu'il a la capacité nécessaire pour faire l'analyse dont parlait M. Bevan. Nous doutons également que les chercheurs du gouvernement puissent y participer librement, compte tenu des contraintes qu'on leur impose actuellement.
Il est tout simplement insensé, surtout à la lumière des recommandations du juge Cohen, que l'analyse des risques pour le saumon sauvage ne précède pas l'expansion précipitée de l'industrie, pour laquelle les permis d'aquaculture d'un an seront prolongés de plusieurs années, comme la ministre Shea vous l'a annoncé le 25 février.
Cela va à l'encontre de l'approche prudente recommandée par le juge Cohen, et cette décision ne s'appuie pas sur des données scientifiques.
Je demanderais également au comité de s'attarder, dans le cadre de la présente étude, à la question de la transparence. Prenez les exemples suivants : nous avons remis au greffier un tableau comparatif de la transparence des rapports sous compétence du gouvernement provincial de la Colombie-Britannique et sous compétence du MPO. La transparence en a pris un coup depuis que le MPO a repris les rênes. Par exemple, il n'y a eu aucun rapport public sur les maladies depuis.
En octobre 2013, la ministre Shea a discrètement levé le moratoire sur l'expansion de l'aquaculture du saumon, et l'information n'a été rendue publique que trois mois après que l'industrie ait été mise au courant de la nouvelle politique.
En janvier 2014, des demandes d'expansion ont été soumises pour cinq sites existants. En mars 2014, des demandes de 10 ans pour deux nouvelles piscicultures marines de poissons à nageoires ont été déposées en Colombie-Britannique, toutes deux assujetties à une période de consultation de 30 jours.
Même si elles ne se trouvent pas dans les îles Discovery, les piscicultures proposées sont dans la trajectoire de migration du saumon sockeye du Fraser. À ce jour, seules quelques données, nettement insuffisantes pour déterminer si les sites d'aquaculture sont appropriés, ont été rendues publiques par le gouvernement de la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral et l'industrie.
Avec les récents changements à la législation fédérale, il n'y aura plus d'évaluation environnementale ni d'examen public formel précédant la délivrance de permis pour de nouvelles installations d'aquaculture.
J'appuie les propos qu'a tenus M. Bevan le 25 février devant le comité, soit que « l'amélioration des recherches scientifiques et de la gestion nous aidera dans le volet de l'acceptabilité sociale... ». L'approche actuelle ne favorise ni l'une ni l'autre.
Nous recommandons de prendre les mesures minimales suivantes avant d'envisager l'expansion de l'aquaculture à enclos ouverts. D'abord, procéder à une évaluation exhaustive de toutes les données scientifiques publiées et examinées par des pairs concernant les interactions entre le saumon de culture et le saumon sauvage. Ces données scientifiques doivent être tirées des recherches publiées et examinées par des pairs qui ont été menées par les chercheurs du MPO, mais aussi par des auteurs canadiens et internationaux indépendants du ministère. Les études montrent que plus des deux tiers des 211 articles publiés sur l'aquaculture et les interactions entre le poisson de culture et le poisson sauvage proviennent de sources indépendantes du MPO. L'évaluation doit également être menée de concert par le milieu universitaire et le gouvernement, et ne pas être dirigée uniquement par les gestionnaires du MPO.
Le MPO doit se conformer à la recommandation no 25 du rapport Cohen, soit celle de revoir les critères d'emplacement des élevages de saumon en fonction des dernières données scientifiques, y compris les résultats de l'Initiative stratégique sur la santé du saumon de Génome Colombie-Britannique, qui est en cours actuellement et dirigée par Brian Riddell, de la Fondation du saumon du Pacifique, Kristi Miller, du MPO. Les nouveaux critères doivent être établis en fonction d'un site précis et s'appuyer sur l'analyse des effets cumulatifs.
On ne devrait même pas envisager l'expansion de l'aquaculture à enclos ouverts avant d'avoir terminé l'évaluation des risques fondée sur des données scientifiques et la révision des critères d'emplacement. Cela permettra par ailleurs de terminer l'étude de faisabilité sur l'aquaculture terrestre comme une solution viable et plus durable.
L'aquaculture offre d'importantes possibilités de croissance économique, et la position unique du Canada lui permet d'en bénéficier, mais il ne doit pas le faire aux dépens du saumon sauvage et de l'environnement marin. Si la décision s'appuie strictement sur des considérations économiques, sachez que le rapport de 2012 de BC Stats démontre que l'aquaculture fournit 1 700 emplois. En comparaison, le reste du secteur des pêches fournit plus de 12 000 emplois, et c'est sans compter l'industrie de l'écotourisme. C'est beaucoup d'emplois à compromettre.
Je veux aussi commenter très brièvement la réglementation sur l'aquaculture actuellement mise en place en vertu de la Loi sur les pêches. La réglementation proposée récemment a été sérieusement critiquée. J'aimerais attirer votre attention sur le mémoire présenté par l'Association canadienne du droit de l'environnement le 17 mars 2014, qui concluait que « le projet de réglementation est injustifié, inacceptable et contraire à l'intérêt public ».
Cette approche contredit carrément les recommandations deux et trois du juge Cohen, qui se lisent comme suit :
2. En ce qui concerne la pêche des poissons sauvages, le ministère des Pêches et des Océans ne doit pas perdre de vue l'objectif prépondérant de la réglementation, c'est-à-dire la conservation des poissons sauvages.
3. Le gouvernement du Canada doit supprimer la promotion de l'industrie salmonicole et de son produit, le saumon d'élevage, du mandat du ministère des Pêches et des Océans.
À notre avis, les Canadiens s'attendent à ce que la science soit le fondement principal de la réglementation sur l'aquaculture, et la loi devrait exiger que les responsables des politiques prennent leurs décisions en fonction de données scientifiques.
Je conclus sur ces mots du PDG de Cermaq, Jon Hindar, tirés d'un article intitulé « Salmon industry needs strong regulator » : « Nous ne pouvons pas nous réglementer nous-mêmes. Chaque fois qu'on nous donne un peu de liberté, les choses tournent mal. »
Je cède donc la parole à Catherine, qui vous donnera plus de détails sur l'état de notre analyse de l'aquaculture terrestre en parcs clos.
Le président : Merci, monsieur Hobson. Madame Emrick, la parole est à vous.
Catherine Emrick, associée principale, Innovation en aquaculture, Tides Canada : Merci, monsieur le président.
La mission de Tides Canada est de s'attaquer aux problèmes environnementaux, sociaux et économiques du Canada. Nous savons que les solutions sensées à ces problèmes complexes sont souvent plus durables quand elles intègrent tous ces éléments. L'aquaculture en milieu terrestre offre un bon exemple de cela pour le Canada; elle a le potentiel de produire un environnement plus sain, des collectivités plus fortes et une économie prospère.
En 2010, Tides Canada a créé le Salmon Aquaculture Innovation Fund afin d'évaluer la faisabilité de l'aquaculture en milieu terrestre sur les plans technique, biologique et économique, comme moyen pour mieux protéger le saumon sauvage et l'environnement marin.
Conjointement avec Technologies du développement durable du Canada et la Première Nation Namgis, Tides Canada est un des principaux bailleurs de fonds du projet Kuterra, fournissant un financement de plus de 3 millions de dollars en appui à la construction et à la mise en service des installations, ainsi qu'au grossissement de trois cohortes de saumon de l'Atlantique dans ces installations.
Nous finançons également la recherche sur l'optimisation de la qualité de l'eau et les technologies de gestion des déchets à la Taste of BC Aquafarms, au Freshwater Institute et à la faculté de recherche InSEAS de l'Université de la Colombie-Britannique. Aussi, grâce à un partenariat avec le Freshwater Institute, financé par le département de l'Agriculture des États-Unis, nous offrons du soutien technique et de l'aide à l'élevage piscicole et à la gestion de projet, dans le but de soutenir les projets d'aquaculture en milieu terrestre en Colombie-Britannique.
Le comité a visité les installations de Taste of BC et il a entendu parler du projet Kuterra lors de sa récente visite en Colombie-Britannique, et je lui ai remis un document dans lequel Steven Summerfelt et Laura Christianson présentent les initiatives en cours à l'échelle mondiale afin d'étendre l'utilisation de systèmes d'aquaculture terrestre à recirculation, pour qu'ils ne servent plus uniquement à l'éclosion et à la production de fumée, mais aussi à la production de poisson de consommation. Mes commentaires d'aujourd'hui vont donc se concentrer sur ce que nous avons appris jusqu'à maintenant dans le cadre de nos projets de recherche.
L'avantage net d'un système en milieu terrestre est qu'il évite les interactions entre le milieu d'élevage et l'environnement marin, ce qui réduit considérablement les risques pour le poisson d'élevage et le poisson sauvage, et facilite le contrôle et la capture d'alluvions riches en éléments nutritifs, plutôt que de surcharger l'écosystème de déchets.
Dans le but d'assurer la transparence de notre analyse, Tides Canada exige une transparence totale des projets Kuterra et Taste of BC, pour lesquels doivent être divulgués un large éventail de paramètres de rendement établis par un comité consultatif technique multilatéral. Les mises au point régulières sont la pierre angulaire d'une série d'ateliers sur l'innovation en aquaculture, dont s'occupe notamment Tides Canada. Ces ateliers favorisent l'échange de renseignements entre une vaste gamme d'intervenants.
Venons-en à ce que nous avons appris à ce jour concernant les systèmes terrestres d'aquaculture à recirculation. D'après les essais sur les bassins de grossissement du Freshwater Institute, nous savons que le saumon de l'Atlantique atteint sa pleine taille commerciale plus rapidement dans ces systèmes que dans les installations à enclos ouverts, que l'indice de consommation est supérieur, et ce, sans antibiotiques, pesticides ni substances chimiques nocives, et le rendement en filet, la qualité et le goût sont excellents.
La prochaine étape consistait à « amplifier » ces essais sur le grossissement. En partenariat avec la SOS Marine Conservation Foundation, la Première Nation Namgis a obtenu du financement et terminé la conception, la construction et la mise en service d'un module de taille commerciale, et a entrepris l'élevage du saumon de l'Atlantique dans ses installations en mars 2013.
À la lumière de la construction, de la mise en service et de l'exploitation préliminaire du projet, nous connaissons mieux les exigences liées aux installations. Notre modèle réduit considérablement les besoins énergétiques liés au déroulement des opérations, au pompage, au chauffage et au refroidissement. Nous connaissons les coûts d'investissements finaux du projet, qui se sont avérés beaucoup plus élevés que ce qui avait été prévu au départ, comme vous le savez. Nous savons également où réduire les coûts pour les prochains modules. Nous savons qu'un approvisionnement régulier et fiable d'œufs et de saumoneaux est essentiel pour tirer profit du capital investi dans la capacité du système. Nous avons aussi appris qu'il est essentiel de pouvoir compter sur un chef d'exploitation expérimenté et sur une expertise en matière de commercialisation et de gestion financière. Mais la chose la plus importante, c'est que le poisson est savoureux et qu'il y a une grande demande sur le marché, et que les acheteurs sont prêts à payer plus cher pour de tels produits.
Au cours des 12 à 18 prochains mois, nous devrions en apprendre davantage grâce à l'exploitation continue de ces projets. Nous allons vérifier le rendement du poisson, la planification de la production et l'analyse de l'utilisation de la capacité des bassins, tous des éléments clés de la faisabilité économique. Nous allons aussi suivre les principaux coûts d'exploitation, y compris les frais alimentaires et énergétiques et les coûts de la main-d'œuvre. Nous prévoyons peaufiner le modèle des modules de taille commerciale en fonction de ce que nous avons appris à propos de la construction, et aussi des données d'exploitation qui nous aideront à mieux comprendre les compromis à faire au niveau des coûts d'investissement et d'exploitation.
En ce qui concerne les possibilités pour le Canada, cette technologie pourrait réduire les conflits tant sur la côte Ouest que sur la côte Est, en offrant des possibilités de croissance, et encore plus important, de diversification de l'aquaculture en misant sur la production d'espèces de grande valeur dans des systèmes terrestres. À mesure que les coûts d'investissement de la technologie diminuent, il est également possible de faire la transition vers cette technologie pour avoir un grand volume d'espèces de valeur moins élevée.
La Colombie-Britannique a un net avantage pour ce qui est des faibles coûts d'hydroélectricité, de l'abondance des terres et des ressources en eau dans les collectivités rurales et côtières et de l'infrastructure permettant de soutenir le développement du secteur de l'aquaculture terrestre. De plus, elle est à proximité du marché américain, du corridor I-5. Il n'y a pas que la production piscicole qui offre des possibilités, mais également les secteurs de la conception, de l'ingénierie et de la fabrication.
Pour l'avenir, nous avons besoin d'une stratégie de développement globale comprenant des mesures incitatives à l'innovation pour réduire les coûts d'investissement et maximiser la valorisation du flux de déchets; des études de marché pour déterminer quelles espèces il faut produire avant tout; des programmes d'élevage pour s'assurer que, en ce qui concerne les espèces prioritaires, les œufs et les saumoneaux sont en santé et qu'ils sont offerts aux producteurs canadiens; un programme régional d'image de marque — la VQA pour des produits de la mer durables, si l'on veut; et un régime de réglementation national de l'aquaculture qui rassure les Canadiens sur la question de la protection de notre environnement, qui uniformise les règles du jeu quant aux nouvelles technologies qui améliorent la performance environnementale en reflétant le principe du « pollueur payeur », un élément qui faisait partie du dernier discours du Trône, et qui fait en sorte que les décisions sont prises en temps opportun et qui procure une certitude aux promoteurs de projet.
Il nous faut renseigner les investisseurs et les prêteurs sur l'aquaculture terrestre, soit sur les possibilités qu'offrent les exploitations familiales et le secteur de l'agroentreprise, et créer des fonds d'investissement pour contribuer à la diversification des possibilités d'investissement. Nous devons investir dans des programmes de formation pour la production commerciale et la transition des employés du secteur de l'aquaculture en parcs en filet. Nous devons continuer à développer nos capacités en matière de recherche appliquée dans les établissements canadiens, comme les installations de recherche InSEAS de l'Université de la Colombie-Britannique et le centre international d'étude de l'esturgeon de l'Université de l'île de Vancouver. Enfin, il nous faut trouver des incitatifs à la transition de la production en parcs à filet vers des systèmes terrestres.
Je vous remercie de faire cette étude importante et de me donner l'occasion de comparaître devant votre comité.
Le président : Je vous remercie beaucoup de votre déclaration préliminaire. Vous nous avez donné beaucoup de renseignements et je suis certain que nos sénateurs ont des questions à vous poser.
Sénatrice Hubley, en tant que vice-présidente de notre comité, voulez-vous commencer?
La sénatrice Hubley : Je m'appelle Elizabeth Hubley, et je viens de l'Île-du-Prince-Édouard. Je vous souhaite la bienvenue et je veux vous dire que nous avons fait un voyage magnifique en Colombie-Britannique et qu'il était très intéressant d'examiner l'industrie aquacole.
J'ai bien compris ce que vous avez dit en dernier sur la transition de l'aquaculture en parcs en filet vers l'aquaculture terrestre.
Ce que nous avons découvert entre autres, c'est que certaines régions du Canada offrent des possibilités économiques aux petites collectivités, ce qui nous a paru intéressant.
Nous pensons que dans certains endroits, les parcs en filet ne posent pas de problèmes, mais que dans d'autres, l'aquaculture terrestre convient mieux.
Dans le cadre de votre travail et de vos recherches, avez-vous examiné les deux méthodes de pêche, ou bien est-il assez clair pour vous que le système terrestre devrait être utilisé partout?
Mme Emrick : Je vous remercie de la question, sénatrice Hubley.
Je pense que lorsqu'il s'agit de déterminer à quels endroits l'aquaculture en parcs en filet convient le mieux, cela repose vraiment sur l'évaluation scientifique et l'examen des critères d'emplacement. De plus, il est important que nous envisagions une planification intégrée qui tient compte des diverses façons de faire l'élevage des poissons et des mollusques et crustacés et, en se basant sur des données scientifiques et sur les emplacements et les besoins des collectivités et les intérêts des Premières Nations, que nous examinions les options et les choses de façon coordonnée. Cela nécessite un mode de gestion axé sur les secteurs, qui n'existe pas à l'heure actuelle. Il ne s'agit pas de choisir un type d'aquaculture, mais d'examiner les différentes options.
La sénatrice Hubley : En ce qui concerne le système intégré dont vous avez parlé, comment les choses se coordonneront-elles, à votre avis?
Mme Emrick : Malheureusement, il n'y a pas de démarche intégrée de gestion de l'aquaculture. Je crois que le ministère des Pêches et des Océans a annoncé un plan de gestion intégrée de l'aquaculture, mais il n'y a vraiment pas de démarche intégrée.
La sénatrice Hubley : Merci beaucoup.
Le sénateur Wells : Je vous souhaite moi aussi la bienvenue, et je vous remercie de votre exposé.
Monsieur Hobson, j'ai une question au sujet des activités liées à l'aquaculture. On recommande d'utiliser des parcs clos, ce qui, je crois, coûte sans conteste plus cher que d'utiliser des parcs en filet, car ce que les aquaculteurs veulent, c'est de ne pas avoir besoin de reproduire ce qui se passe en milieu océanique s'ils peuvent mettre les poissons dans l'océan. Avec la réduction dans le modèle de gestion, s'il faut dépenser plus et peut-être produire moins en utilisant des parcs clos ou un système terrestre, quelle est selon vous l'option réaliste pour l'industrie aquacole dans toute transition vers des systèmes en parcs clos?
M. Hobson : Tout d'abord, évidemment, nous avons conçu le projet pilote afin d'analyser toutes ces hypothèses, et les activités d'aquaculture terrestre en parcs clos sont très différentes de celles de l'aquaculture en parcs en filet. Les coûts d'investissement sont plus élevés, mais la densité à laquelle on peut faire fonctionner les installations, en d'autres termes, la production d'une unité, est beaucoup plus élevée que lorsqu'on utilise des parcs en filet. Cela peut même aller jusqu'à huit fois plus par volume d'eau, de sorte qu'on n'utilise pas d'agent thérapeutique et de produit chimique dans le système de production à terre.
On peut contrôler tous les éléments qui sont liés à l'élevage du poisson : la température, l'oxygène et la quantité de CO2. Je pense qu'une personne a décrit cela comme la création d'un Club Med pour poissons, et si les poissons ne subissent pas de stress, ils mangent bien et leur taux de croissance est rapide, ce que nous avons constaté lors des essais et à l'Institut des eaux douces, et nous l'avons également constaté dans notre première cohorte, qui sera mise sur le marché en Colombie-Britannique la semaine prochaine.
Le modèle de gestion est assez différent, et le marché est assez différent parce que le marché qui sera satisfait du produit élevé à terre initialement, c'est un marché en croissance. Les acheteurs n'achètent pas le produit élevé en parcs en filet en raison de toutes les répercussions qu'il a sur l'environnement et le milieu marin, de sorte que c'est un marché en croissance qui peut être satisfait initialement, et en fait, il est très grand.
En ce qui a trait à la commercialisation, le projet Kuterra, le projet de parc terrestre à Port McNeill, a choisi Albion Fisheries comme représentant, si l'on veut, pour la vente du saumon. Albion Fisheries est le plus important distributeur de produits de la mer de l'Ouest canadien et en exporte beaucoup dans le marché du corridor I-5 aux États-Unis, comme l'a dit Mme Emrick, et il en exporte beaucoup en Asie. Durant la prévente des produits que nous commencerons à avoir la semaine prochaine, on a constaté que les acheteurs sont prêts à payer un prix considérable pour le saumon élevé à terre en raison de la demande latente dont je viens de parler.
Ainsi, les coûts d'investissement, c'est une chose. Je pense que les coûts d'exploitation seront semblables à ceux qui sont liés à l'élevage de saumons en parcs en filet. Leur période de grossissement représente au moins un tiers, voire la moitié, de celle des saumons élevés en parcs en filet en raison des conditions idéales. Ainsi, les données liées aux coûts d'exploitation, à la quantité de nourriture nécessaire, et à l'indice de consommation sont bien meilleures parce que les poissons sont élevés dans un milieu où la température est optimale et où il n'y a pas de facteur de stress. Si un modèle de gestion inclut tout cela, je pense qu'une méthode se compare avantageusement à l'autre.
Le sénateur Wells : Je sais que dans le cadre du projet Kuterra, vous examinez les aspects techniques et les qualités organoleptiques du produit et vos processus de production. Le modèle de gestion est-il également un élément du projet Kuterra?
M. Hobson : Oui. Concernant le financement de Tides Canada, une partie des coûts d'investissement du projet Kuterra était liée à la divulgation publique. Toute l'information est divulguée, y compris celle portant sur le modèle économique.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci et bienvenue à tous. Ce qui me préoccupe, ce sont les maladies. Qu'en est-il des maladies chez le poisson d'élevage par rapport au poisson frais? Lequel est le plus à risque? Lequel a le plus de maladies?
M. Hobson : Je n'en suis pas certain. Parlez-vous des risques que le poisson soit malade ou qu'il meure d'une maladie?
La sénatrice Lovelace Nicholas : Oui.
M. Hobson : L'étude dont j'ai parlé, la Genome British Columbia Strategic Salmon Health Initiative, porte exactement là-dessus. Il s'agit de prendre des milliers d'échantillons de poissons d'élevage et de poissons sauvages le long de la côte de la Colombie-Britannique, et de comparer environ 45 agents pathogènes, la charge de pathogènes des deux types de poisson. Je crois que l'étude inclut les poissons d'écloserie également, et il y a donc une troisième catégorie. Je crois comprendre que les premières données de l'analyse seront dévoilées cet automne. Il sera possible alors de répondre à la question. Je ne suis pas en mesure d'y répondre pour l'instant parce que l'analyse est en cours.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.
La sénatrice Stewart Olsen : Encore une fois, merci de votre présence, et je suis désolée que nous vous ayons fait patienter.
J'ai quelques questions à vous poser. Vous avez des préoccupations au sujet de l'emplacement de l'élevage du saumon et des parcs en filet. Comment décririez-vous un emplacement idéal?
M. Hobson : Je vais essayer de répondre à votre question. L'emplacement idéal pour un parc en filet, c'est une zone en eau profonde. À titre d'exemple, je pense que la dernière fois que Marine Harvest vous a parlé à Nanaimo, son représentant vous a dit que la profondeur peut atteindre 200 mètres. La teneur en oxygène est élevée. De plus, il faut qu'il y ait de bons courants et une forte activité des marées.
La sénatrice Stewart Olsen : Je me suis peut-être mal exprimée. Je parlais de l'emplacement idéal qui n'aurait pas d'effet dommageable sur le saumon sauvage. Je comprends bien le reste.
M. Hobson : Ce n'est peut-être pas aussi simple, mais j'aimerais voir un emplacement où l'on examine le saumon sauvage, et cela peut se faire en temps réel, ou l'on peut demander aux Premières Nations, aux pêcheurs commerciaux ou aux gens du secteur.
Il faut examiner les saumons, tant durant leur migration vers la mer que durant leur retour à la rivière. Concernant le taux de mortalité, la migration vers la mer est probablement la partie la plus importante, parce que lorsqu'ils migrent au printemps, ce sont des saumoneaux. Les saumoneaux sont très petits. Les saumoneaux roses et les saumoneaux kétas n'ont pas encore d'écailles, ce qui les rend très vulnérables aux parasites, comme au pou de mer. Le saumon coho et le saumon quinnat sont plus robustes.
Il faut donc savoir ce qui se passe au cours de la migration vers la mer, et en général, les poissons qui migrent vers la mer nagent en surface. Ils se déplacent par millions, et ils se protègent le mieux possible; ils ne veulent pas s'exposer aux prédateurs, et restent donc plus longtemps dans les baies et les estuaires.
La recherche que nous avons financée en partie porte sur ce qui se passe au cours de la migration vers la mer, lorsque les saumoneaux passent aux endroits où il y a des piscicultures. Nous l'avons effectuée dans l'archipel de Broughton, les îles Discovery et la région de Clayoquot Sound, soit les trois endroits où l'on retrouve le plus de parcs en filet en Colombie-Britannique.
La migration vers la rivière n'est pas aussi importante, si l'on veut, car à ce moment-là, les poissons sont gros. Ils retournent dans les rivières. Ils ont généralement quelques poux. Vous avez probablement vu des saumons sauvages; ils ont des poux. Toutefois, lorsqu'ils arrivent dans les rivières, les poux meurent en eau douce. Les saumons se débarrassent des poux de façon naturelle avant la migration vers la mer au printemps.
Je voudrais donc qu'on examine les saumoneaux pour avoir une idée du nombre de poissons qui passe à cet endroit.
Il y a ensuite d'autres effets — les répercussions sur les espèces benthiques et tous les autres aspects qu'il faut étudier. Cependant, en ce qui concerne le saumon sauvage, je pense que la migration du saumoneau vers la mer est la partie la plus importante.
La sénatrice Stewart Olsen : Vous avez dit que vous aviez étudié ce qui se produit lorsque le saumoneau passe par les endroits où il y a des parcs en filet. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez constaté?
M. Hobson : Un grand nombre d'études ont été effectuées là-dessus.
La sénatrice Stewart Olsen : Donnez-moi seulement un aperçu.
M. Hobson : Lorsqu'ils passent dans cette zone, un plus grand nombre d'entre eux meurt, car seulement un pou ou deux par poisson peut faire en sorte qu'ils meurent ou qu'ils soient malades et qu'ils deviennent des proies. Au fil du temps, de moins en moins de saumoneaux réussissent habituellement à passer dans certaines des zones comptant un grand nombre de parcs en filet.
Notre site web contient un certain nombre d'études indépendantes, évaluées par les pairs et publiées sur le sujet.
La sénatrice Stewart Olsen : Je sais que vous n'êtes pas des spécialistes en marketing, mais y a-t-il une demande constante de saumons sauvages et de saumons d'élevage? Supposons que nous avons de plus grands parcs clos ou des enclos plus ouverts et qu'on a produit beaucoup de saumons, comment décrivez-vous le marché?
M. Hobson : C'est un très grand marché. En Colombie-Britannique, il est assez grand à l'échelle nationale, mais le gros marché se trouve dans le corridor I-5, soit de la frontière à San Diego. Je ne pense pas que la province serait capable de produire la quantité de saumons qu'on y consomme chaque année.
La sénatrice Stewart Olsen : On nous a dit que c'est une façon très peu coûteuse de produire des protéines. D'autres recherches sur l'élevage en parcs clos et en parcs en filet ont été effectuées, et il me semble qu'il y a encore un marché pour le saumon sauvage.
M. Hobson : Absolument.
La sénatrice Poirier : Pouvez-vous me dire quelle est la proportion de saumons d'élevage par rapport aux saumons sauvages sur le marché?
M. Hobson : Le savez-vous, Catherine? Je connais les données, en gros, du saumon d'élevage : jusqu'à 80 000 tonnes métriques par année en Colombie-Britannique, dont environ 85 p. 100 est vendu surtout dans le marché américain — 65 000 tonnes, ou quelque chose comme cela.
Cependant, je ne connais pas les données sur le saumon sauvage.
Mme Emrick : Je veux intervenir brièvement. D'après mes discussions avec des représentants d'Albion Fisheries, le distributeur pour le projet Kuterra, je pense qu'ils pensaient vraiment que le marché du saumon sauvage était assez différent du marché du saumon d'élevage. Nous ne sommes pas certains de pouvoir déterminer les préférences d'un marché — il est certain que le saumon sauvage est le saumon que l'on favorise. Nous ne savons pas ce que les marchés préfèrent entre le saumon d'élevage frais et le saumon sauvage congelé, qui est un produit hors saison. C'est un aspect que nous voudrions étudier dans le cadre d'une étude de marché.
La sénatrice Poirier : Les prix des deux types de poissons sont-ils semblables, ou l'un d'eux coûte-t-il plus cher que l'autre?
M. Hobson : Tout dépend de la quantité produite. Le poisson sauvage a une valeur ajoutée par rapport au poisson d'élevage. Le poisson sauvage est donc un produit de qualité supérieure. Nous espérons que le poisson élevé en parcs clos se trouvera quelque part entre le poisson sauvage et le poisson élevé en parcs en filet.
Le sénateur Enverga : Selon votre document d'information, vous protégez le milieu marin de la Colombie- Britannique des effets négatifs de la salmoniculture en parc en filet. S'agit-il de l'objectif principal de votre étude?
M. Hobson : C'est exact.
Le sénateur Enverga : Vous dites que le pou du poisson et la transmission de pathogènes présentent des risques majeurs pour l'environnement.
M. Hobson : Oui.
Le sénateur Enverga : Quelle est l'étendue des dommages de ces parasites sur le stock de saumon sauvage? Quel est le lien?
M. Hobson : Je ne peux pas vous donner de chiffres, mais la Commission Cohen, dans le cadre de l'étude sur le saumon rouge du fleuve Fraser, à tenter de définir ce qui a une incidence sur le saumon sauvage dans ce fleuve. Ce que je vous ai cité vient de cette étude et les recommandations dont j'ai parlé sont celles émises par le juge Cohen. Il a constaté que les élevages en cage en filet, notamment, avaient une incidence sur cette population.
Mme Emrick : C'est une très bonne question, et c'est la raison pour laquelle il faut procéder immédiatement à une évaluation du risque, comme le juge Cohen l'a proposé et recommandé. Il faut analyser toutes les données scientifiques et bien comprendre le risque.
Selon le juge Cohen, les dommages potentiels que peuvent causer les fermes salmonicoles aux saumons sauvages du fleuve Fraser sont sérieux ou irréversibles. C'est la raison pour laquelle il recommande que l'on procède à une évaluation scientifique.
Le sénateur Enverga : Vous dites qu'il faut mener encore beaucoup d'études?
Mme Emrick : Il existe beaucoup de données de recherche, mais elles n'ont pas été compilées, analysées et intégrées. Ces données devraient servir à définir les critères de localisation.
Le sénateur Enverga : Vous dites, dans vos notes, que vous appuyez l'adoption de mesures décisives. Pourquoi? Est- ce pour l'étude elle-même?
Mme Emrick : Excusez-moi, pourriez-vous...
Le sénateur Enverga : Vous avez parlé de mesures décisives.
Mme Emrick : Décisives?
Le sénateur Enverga : Oui, des mesures décisives. Je me demande de quel genre de mesures décisives vous voulez parler. Peut-être faudrait-il encore étudier la situation dans son ensemble? Est-ce que c'est ce que vous dites?
Mme Emrick : À mon avis, les deux éléments sur lesquels il faut s'attarder pour le moment sont l'évaluation des données scientifiques et l'examen des critères de localisation. La SOS Marine Conservation Foundation a entrepris une série d'études de recherche et d'autres recherches ont été menées par divers scientifiques du MPO et d'autres scientifiques canadiens et internationaux. Toutes ces données doivent être réunies et analysées.
Le sénateur Enverga : Dans son témoignage devant le comité, le PDG de Kuterra Limited Partnership a dit qu'il n'y avait aucune conséquence négative sur le milieu marin local. Est-ce que vous avancez que les aquacultures terrestres en circuit fermé ont encore un impact sur l'environnement?
M. Hobson : Je crois que les conséquences sont moins importantes, mais il y en a. Bien entendu, il faut préparer un site avant d'y installer une aquaculture. Par exemple, pour le bassin d'infiltration, utilisé pour déverser le flux de matières dissoutes, il faut un étang local où le rejet peut migrer par le sol jusqu'à l'aquifère. Les déchets sont recueillis et, dans le cas de Kuterra, ils sont transportés vers l'usine de traitement des terres marines située à Telegraph Cove à environ 5 km et utilisés dans la fabrication d'engrais organique. Les fermes salmonicoles terrestres en circuit fermé ne rejettent rien dans l'océan.
Le sénateur Enverga : Auriez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Emrick : Ces élevages empêchent toute interaction entre les poissons d'élevage et les poissons sauvages et permettent également de contrôler et de gérer les déchets, ce qui est impossible avec des cages en filet.
Le sénateur Enverga : Les fermes salmonicoles terrestres ont-elles des problèmes avec le pou du poisson et ce genre de pathogènes?
M. Hobson : Absolument aucun. C'est de l'eau douce ou légèrement saumâtre que l'on tire des puits de production; ce n'est pas de l'eau de mer. Elle ne contient aucun pou.
Le président : Je tiens à rappeler aux membres du comité qu'après les témoignages, nous poursuivrons la séance à huis clos pendant quelques minutes avant de partir.
La sénatrice Raine : Un des problèmes que nous avons au comité, c'est que nous recevons des informations conflictuelles sur la science et les études scientifiques qui sont effectuées ou qui ne le sont pas. Je n'ai pas lu tout le rapport du juge Cohen, mais j'ai pris connaissance de ses recommandations. Je suis consciente que la commission a été longue et que les audiences ont été intenses.
J'aimerais entendre vos commentaires sur ce que je vais vous lire. C'est un scientifique qui s'exprime :
La conclusion du juge Cohen sur le dommage potentiel est une hypothèse spéculative qui ne s'appuie sur aucun renseignement provenant de professionnels de la santé. À mon avis, elle s'appuie sur des principes généraux auxquels nous obéissons quotidiennement sans trop nous en soucier. Nous comprenons tous essentiellement qu'une maladie peut se développer lorsque les hôtes se réunissent, par exemple, dans les garderies, les écoles et les aéroports, mais nous ne fermons pas ces établissements, car nous savons que les dommages potentiels sont minimes et gérables.
Avec cette mise en situation... Vous avez parlé du principe de la prudence. C'est une bonne chose, mais si nous prenons toutes nos décisions en fonction d'éliminer tous les risques, nous risquons de prendre de mauvaises décisions. Appliquez-vous le principe de la prudence pour proposer l'élimination des élevages en cage en filet parce qu'ils présentent certains risques, ou est-ce un risque acceptable, selon vous?
Mme Emrick : Je ne peux pas juger si le commentaire selon lequel l'analyse du juge Cohen est spéculative, car je ne suis pas une scientifique. Ce n'est pas mon milieu.
Je crois que l'origine du problème, c'est que toutes les données de recherche qui existent sur la question n'ont pas été regroupées, analysées de façon transparente et présentées aux collectivités et aux décideurs comme étant le résultat d'une analyse approfondie. Beaucoup de recherches ont été effectuées, mais les données recueillies n'ont pas été analysées par un groupe de scientifiques crédibles indépendants et du MPO, et je crois qu'il est temps que ce soit fait. Ces données doivent aider à définir les critères de localisation, car elles nous permettront d'avoir une meilleure idée des endroits où les élevages, qu'ils soient seuls ou regroupés, peuvent être établis. Nous n'avons pas ces données. Je crois que beaucoup de données sur les maladies ont été présentées dans le cadre de la Commission Cohen. Depuis, outre le MPO, aucun scientifique indépendant n'a reçu d'information à ce sujet. On ignore ce qui s'est passé au cours des dernières années dans les aquacultures. Le fait que ces renseignements ne soient pas connus est aussi problématique que le manque d'analyse des données.
La sénatrice Raine : Je croyais que les résultats étaient publiés sur les sites Web du MPO. Nous n'avons donc pas les mêmes informations. Il faudra vérifier, car je crois qu'il est important de le savoir. Selon vous, depuis que c'est le MPO qui est responsable du dossier, il y a un manque de transparence et l'information n'est pas communiquée aux scientifiques, ni au public, c'est bien ça?
Mme Emrick : Nous avons remis un tableau au greffier — j'espère que vous l'avez reçu — qui compare la communication de l'information faite par la Colombie-Britannique et le MPO. On peut voir qu'il y a une différence considérable en matière de transparence. Les chercheurs nous ont avisés qu'aucune information n'avait été publiée sur les maladies depuis la Commission Cohen et depuis que le MPO est responsable du dossier.
La sénatrice Raine : Laissez-moi vous lire ceci :
Pendant ce temps, une autre recherche scientifique aura lieu et une évaluation du risque lié à la maladie sera complétée. D'ici là, les détenteurs de permis devront fournir au ministère des données sur la santé des poissons, lesquelles seront publiées sur le site web du MPO.
Mme Emrick : Selon ce qu'on m'a dit, ces données ne sont pas publiées.
La sénatrice Raine : Je ne prétendrai pas être une spécialiste en la matière. Peut-être que vous l'êtes. Toutefois, il faudra se pencher sur la question, car ça m'inquiète. L'autre question que j'aimerais vous poser à tous les deux est la suivante : la population mondiale augmente et tout le monde s'entend pour dire que le poisson est très bon pour la santé. Nous savons ce qui se produit lorsqu'il y a surexploitation des stocks de poissons sauvages. Selon moi, l'aquaculture permet d'éviter cette surexploitation. Je crois que le poisson est le seul animal sauvage que nous mangeons. Nous mangeons du bœuf, du porc et du poulet, notamment. La plupart des gens ne chassent pas les animaux sauvages. C'est la même chose avec l'agriculture. Nous ne cultivons plus autant qu'avant lorsqu'il y avait beaucoup de champs à cultiver, mais nous cultivons encore. Nous cultivons les aliments dont nous avons besoin. Selon vous, l'aquaculture aide-t-elle à empêcher la surexploitation des stocks de poissons sauvages?
Mme Emrick : Je suis tout à fait d'accord avec vous concernant les bienfaits du poisson sur la santé. Je crois que la demande pour le poisson et les fruits de mer augmentera, non seulement en raison de l'augmentation de la classe moyenne en Inde et en Chine, notamment, mais aussi en raison de leurs bienfaits — les gouvernements encouragent leurs citoyens à manger plus de poissons, car c'est bon pour la santé. Le poisson est également la source de protéines ayant la plus petite empreinte écologique. Il ne fait donc aucun doute qu'il faille augmenter la production des aquacultures, mais il faut le faire de façon durable.
La sénatrice Raine : Je suis totalement d'accord avec vous que cela doit se faire de façon durable et je crois que c'est ce que le comité tente de déterminer. Je crois que le Canada dispose déjà des règles les plus rigoureuses au monde en matière d'aquaculture et il est clair qu'il faut procéder de façon durable en ce qui concerne notre interaction avec les poissons sauvages.
Croyez-vous que les élevages en cage en filet, s'ils sont établis au bon endroit et réglementés, peuvent être une option viable?
M. Hobson : Absolument.
La sénatrice Raine : Que faut-il considérer dans la localisation des aquacultures en circuit fermé?
M. Hobson : Une partie du projet pilote consiste à définir cette liste de critères. Il y en a plusieurs. D'abord, il faut s'attarder aux types de sources d'eau, comme l'eau douce ou l'eau saumâtre. Puis, il y a la proximité au marché de façon à pouvoir transporter le matériel brut et acheminer les produits finis en laissant la plus petite empreinte carbone possible. Il faut une source de saumoneaux d'élevage exempts de maladie. Donc, il faut une écloserie et des saumoneaux d'une certaine taille et en santé. Il y a toutes sortes de critères pour la localisation. Cela fait partie des résultats attendus dans le cadre du financement que nous a accordé Tides Canada.
La sénatrice Raine : Il est possible, alors, que les élevages en circuit fermé ne soient pas établis sur la côte, notamment en raison de la proximité au marché. Est-ce exact?
M. Hobson : Pas du tout. Prenons, par exemple, les frais de transport de Kuterra. Pour acheminer les produits de la société de Port McNeil, une région éloignée sur l'île de Vancouver, à l'usine de traitement d'Albion, à Vancouver, on parle d'un voyage d'environ 12 heures. Le camion doit prendre un traversier au coût d'environ 0,20 $ la livre. D'un point de vue économique, il ne s'agit pas d'un montant dissuasif pour les collectivités côtières.
La sénatrice Raine : Est-ce que Powell River serait plus loin?
M. Hobson : Powell River est presque directement de l'autre côté.
La sénatrice Raine : En vertu du système de transport le long de la côte, il vient un moment où il n'y a plus de traversiers.
M. Hobson : On peut utiliser un traversier, un camion ou une combinaison des deux, ou même un bateau. Il n'est pas nécessaire que l'élevage soit près d'un centre urbain.
La sénatrice Raine : Est-ce qu'un élevage serait viable dans une région urbaine?
M. Hobson : Je crois que oui. Tout dépend du prix de la terre, du site. Il s'agit d'une autre composante de l'équation économique. Chaque site est différent lorsque vient le temps d'évaluer s'il convient à l'établissement d'une aquaculture terrestre en circuit fermé.
Mme Emrick : Je dirais que les collectivités qui démontrent un certain intérêt pour la technologie sont celles qui disposent d'installations servant à la pêche commerciale — notamment celles qui disposent d'une usine de traitement —, car elles considèrent qu'elles pourraient faire fonctionner cette usine toute l'année.
À mon avis, il y a un certain conflit entre les élevages en cage en filet et la pêche commerciale. Les aquacultures terrestres et la pêche sauvage n'utilisent pas les mêmes ressources. Je crois qu'il est donc possible de bâtir une industrie autour de chacun de ces produits, car ils sont plus complémentaires que concurrentiels. Les collectivités qui disposent d'une usine de traitement ont manifesté un intérêt.
La sénatrice Beyak : Vous avez répondu à ma question. Je crois que nous voulons tous la même chose, soit que les gens aient accès aux poissons, à cette source de protéines pour nous alimenter, car il y a un manque de nourriture à l'échelle mondiale. Je crois que votre projet pilote est une autre excellente idée qui favorise l'utilisation de toutes les méthodes disponibles pour fournir cette ressource. C'est ce que vous venez de dire en réponse à une question de la sénatrice Raine, et je vous en remercie.
Le président : Je tiens à remercier nos témoins d'avoir accepté notre invitation. Je les remercie aussi pour leurs exposés et leurs réponses franches et ouvertes à nos questions. Si vous avez d'autres informations à nous fournir, des choses qui n'ont pas été abordées aujourd'hui, même si c'est dans un an, n'hésitez pas à communiquer avec notre greffier.
Nous allons maintenant suspendre la séance pour quelques minutes et nous poursuivrons ensuite à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)