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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 3 - Témoignages du 3 mars 2014


OTTAWA, le lundi 3 mars 2014

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : les jeunes issus des minorités visibles et le système de justice pénale); étudier la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l'article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant; et étudier l'ébauche d'un budget.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers sénateurs, bienvenue à la cinquième séance de la deuxième session de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

[Français]

Le Sénat a confié au comité la tâche d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'échelle internationale.

Je m'appelle Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique et présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je suis heureuse de vous accueillir ici aujourd'hui, mais avant, permettez-moi de vous présenter les membres de notre comité.

[Traduction]

Nous allons commencer par la vice-présidente du comité. Je vais lui demander de se présenter.

La sénatrice Ataullahjan : Je suis la sénatrice Salma Ataullahjan et je représente Toronto, en Ontario.

Le sénateur Meredith : Sénateur Don Meredith, de l'Ontario.

Le sénateur Ngo : Sénateur Thanh Hai Ngo, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Sénatrice Betty Unger, représentant Edmonton, en Alberta.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto.

La présidente : La plupart des membres du comité représentent l'Ontario.

Lors de la réunion du 2 décembre 2013, le comité a accepté d'assister à une séance d'information sur les mesures prises pour empêcher les jeunes issus des minorités visibles d'entrer dans le système de justice pénale et de commettre d'autres crimes dans l'espoir de diminuer la surreprésentation actuelle de certains groupes dans le système de justice pénale.

Pour amorcer notre audience d'aujourd'hui, je souhaite la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Il s'agit de M. Bobby Matheson, directeur général à la Direction générale de la prévention du crime à Sécurité publique Canada. Du ministère de la Justice, nous accueillons également M. Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques, Mme Elizabeth Hendy, directrice principale, Direction de la mise en œuvre des politiques, de même que Mme Hana Hruska, directrice, Programmes et affaires corporatives, Section de la justice applicable aux jeunes et des initiatives stratégiques.

Je crois savoir que M. Matheson commencera par faire une déclaration préliminaire, puis que M. Piragoff prendra ensuite la parole. Est-ce exact?

Bobby Matheson, directeur général, Direction générale de la prévention du crime, Sécurité publique Canada : Oui, c'est exact.

Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous parler ici aujourd'hui. Je crois comprendre que vous souhaitez en apprendre plus au sujet des programmes et des fonds fédéraux visant à empêcher les jeunes des minorités visibles d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale. Je serai heureux de vous entretenir du travail effectué par le ministère de la Sécurité publique, surtout dans le domaine de la prévention du crime, grâce au travail effectué par le Centre national de prévention du crime.

Pour commencer, j'aimerais vous transmettre certaines données dont nous disposons au sujet des jeunes des minorités visibles et de la criminalité. Pour obtenir des données sur la délinquance autodéclarée, on demande à des échantillons de jeunes s'ils ont commis des infractions au cours de la dernière année. Ces sondages sont réalisés depuis de nombreuses années dans divers pays; le Canada a d'ailleurs participé au sondage international en 2006. Le sondage de 2006, qui ciblait les jeunes adolescents d'âge scolaire à Toronto, a permis de constater que le taux de comportements délinquants déclarés était plus bas chez les jeunes nés à l'étranger que chez leurs pairs nés au Canada, soit 15 p. 100 et 23 p. 100 respectivement. Même si le sondage était fondé sur un échantillon de jeunes immigrants, il est juste de dire que cette catégorie chevauchait de près celle des jeunes des minorités visibles.

Il y a aussi ce qu'on appelle les statistiques sur les crimes déclarés par la police, qui font état des infractions qui sont portées à l'attention de la police. Bien que de nombreux services de police recueillent des renseignements sur la race et l'ethnie à des fins d'enquête, ces renseignements ne font pas partie des statistiques disponibles à l'échelle nationale. Par conséquent, nous ne disposons pas de données générales sur les crimes déclarés par la police chez les minorités visibles à l'échelle nationale.

[Français]

Le troisième type de données provient des enquêtes sur la victimisation qui ont lieu tous les cinq ans. L'enquête de 2009 contenait uniquement une analyse limitée des minorités visibles, mais observait néanmoins que les taux de victimisation avec violence étaient plus faibles pour les personnes qui s'identifiaient comme faisant partie d'une minorité visible, 76 par tranche de 1000 personnes, que pour les minorités non visibles, 124 par tranche de 1000 personnes.

Selon l'enquête de 2004, les minorités visibles connaissaient des taux de victimisation comparables aux minorités non visibles en ce qui concerne les crimes violents, et ce, pour les deux sexes. Le rapport constatait également que le fait d'être à la fois issu d'une minorité visible et né au Canada réduisait d'environ 40 p. 100 la probabilité d'être victime d'un crime violent.

Les trois sources de données dont j'ai discuté ne donnent qu'un aperçu des expériences vécues par les jeunes de minorités visibles au Canada en rapport avec le système de justice pénale.

[Traduction]

Ces données peuvent sembler indiquer que les jeunes des minorités visibles ne courent pas un risque particulièrement élevé de délinquance, comparativement à leurs homologues non issus de minorités. Cependant, nous devons faire preuve de prudence au moment de généraliser, car il reste des lacunes importantes dans notre connaissance de la relation entre les jeunes issus des minorités visibles et la criminalité.

Pour ce qui est de la sécurité publique, le ministère est chargé de prodiguer des conseils et de mettre en œuvre des initiatives qui traitent d'une vaste gamme d'enjeux, notamment la sécurité nationale, la cybersécurité, la gestion des urgences et les interventions en matière de criminalité. À ce dernier égard, notre direction générale est responsable du continuum d'initiatives qui incluent des mesures de prévention proactives pour éloigner les jeunes à risque de la criminalité, des stratégies policières et frontalières efficaces ainsi que des programmes correctionnels et de réinsertion sociale fondés sur des données probantes.

J'ai maintenant le plaisir de vous parler de la Stratégie nationale pour la prévention du crime de Sécurité publique Canada, qui est gérée par le Centre national de prévention du crime, et des types de projets communautaires que nous finançons, notamment auprès des jeunes des minorités visibles.

Dans le cadre de cette stratégie, Sécurité publique cherche à acquérir et à diffuser des connaissances sur les interventions efficaces en prévention du crime afin d'aider les décisionnaires de tous les ordres de gouvernement et des collectivités à prendre des décisions éclairées quant aux mesures de prévention les plus appropriées. Pour ce faire, nous offrons un financement ponctuel à des organismes aux fins de la mise en œuvre de projets de prévention du crime fondés sur des données probantes auprès des populations à risque, et nous menons des études d'évaluation rigoureuses de projets choisis.

Les gens sont considérés comme courant un risque de délinquance lorsqu'ils présentent certains facteurs de risque. Parmi les facteurs individuels, on compte par exemple la délinquance antérieure, l'agressivité et l'abus de substances. Les facteurs liés aux pairs comprennent notamment le fait de fréquenter des pairs délinquants ou d'être lié de près à ces derniers. Parmi les facteurs liés à l'école, mentionnons une performance scolaire médiocre et la suspension ou l'expulsion de l'école. Il y a aussi les facteurs familiaux, qui comprennent la violence intrafamiliale, de même que les facteurs au niveau de la collectivité, comme un taux de criminalité et d'insécurité élevé dans le quartier.

Les projets de prévention soutenus par le Centre national de prévention du crime ont pour objectif de réduire l'impact de ces facteurs de risque parmi les participants. De nombreux projets ont démontré leur efficacité à réduire la criminalité parmi les jeunes et leur implication dans le système de justice pénale; un certain nombre de ces projets s'adressent à des jeunes issus des minorités visibles.

À l'heure actuelle, le Centre national de prévention du crime finance 17 projets s'adressant aux jeunes des minorités visibles. Pendant toute leur durée, ces projets représentent des investissements de plus 36 millions de dollars. On s'attend à ce que plus de 3 000 enfants et des jeunes des minorités visibles y participent.

Voici des exemples :

[Français]

Le projet Wraparound Surrey, mis en œuvre à Surrey, en Colombie-Britannique.

Ce projet se fonde sur le modèle Wraparound Milwaukee, un système unique de soins pour les enfants ayant d'importants besoins affectifs, comportementaux et liés à la santé mentale, ainsi que pour leurs familles. Le modèle met l'accent sur les interventions individualisées et axées sur les forces, par la prestation d'un éventail exhaustif de services aux jeunes délinquants et à leurs familles.

Comme la ville de Surrey compte une population ethnique diversifiée, le modèle Wraparound a été adapté de sorte qu'il soit approprié sur le plan culturel et que l'appartenance ethnique soit prise en considération dans l'évaluation des facteurs de risque et de protection, de même que dans l'établissement de plans d'intervention.

Ce projet a favorisé la mise en place d'un partenariat efficace entre l'école et la GRC en ce qui concerne les jeunes qui sont membres de gangs ou qui sont susceptibles de le devenir.

L'évaluation a démontré une diminution significative — 67 p. 100 — des contacts des jeunes participants avec la police, comparativement au groupe témoin.

Les partenaires ont affirmé que le projet Wraparound Surrey leur avait fourni plus d'outils et de ressources pour faire face aux problèmes de gangs de jeunes et de violence chez les jeunes dans leur quartier.

À Edmonton, le Centre for Newcomers a élaboré et lancé le projet Stepping Out en avril 2010. Ce projet vise à empêcher les adolescents et les jeunes adultes immigrants de 17 à 27 ans d'adhérer à des gangs, et d'aider ceux qui sont déjà membres de gangs à les quitter et à cesser leurs activités criminelles.

Un symposium organisé par le centre, qui a connu un franc succès et auquel ont participé 160 représentants provenant de 63 organismes, a débouché sur l'adoption d'un plan d'action communautaire pour soutenir les jeunes immigrants membres de gangs et à risque de le devenir.

[Traduction]

À Toronto, le projet Intervention Toronto, qui s'adresse aux jeunes à risque d'adhérer à des gangs, met en œuvre un programme communautaire intégré, ciblé et fondé sur des données probantes, qui réduit et prévient la prolifération des gangs dans les quartiers vulnérables de Toronto. L'approche inclut un processus d'approche et de référence qui est lié à d'autres ressources communautaires susceptibles d'avoir des contacts avec les jeunes membres de gangs ou à risque de le devenir; un processus de recrutement qui sera utilisé pour une évaluation approfondie des besoins des jeunes dirigés vers le programme; des plans individuels de gestion des cas; des possibilités de formation intensive en groupe; des soutiens pratiques pour les familles des jeunes participants; et des activités générales d'information, d'engagement et d'évaluation dans la collectivité afin d'accroître la sensibilisation aux gangs et à la prévention des activités de gangs.

Ce projet a atteint plusieurs résultats positifs, notamment une diminution statistiquement significative de la victimisation; une diminution à court terme de la délinquance non violente plus importante chez les participants que chez les jeunes du groupe témoin, ainsi qu'une légère diminution des arrestations autodéclarées entre le prétest et le post-test. Le nombre d'arrestations a aussi connu une importante diminution statistiquement significative entre le prétest et le suivi de six mois.

Enfin, à Montréal, nous avons financé un projet faisant appel au modèle Strengthening Family Program auprès d'une collectivité anglophone noire. Ce projet comprend des séances de formation pour les enfants, où les participants apprennent à maîtriser leur colère et leur stress, à gérer leurs émotions, à résoudre des conflits, à résister à la pression des pairs et à reconnaître les effets des drogues et de l'alcool. Le modèle inclut aussi des séances de formation pour les parents, qui clarifient les attentes que devraient avoir les parents envers le comportement de leurs enfants et apprennent aux parents des techniques disciplinaires uniformes et appropriées, de même que des techniques de communication efficaces. Enfin, dans le cadre des séances familiales combinées, les familles apprennent à résoudre des conflits et mettent en pratique des habiletés de communication.

Ce projet a démontré des résultats positifs, notamment des améliorations statistiquement significatives pour toutes les mesures du fonctionnement familial et du rôle parental, de l'organisation et de la communication au sein de la famille, de la maîtrise de soi des parents, de la participation des parents et du rôle parental positif.

J'espère que ce tour d'horizon vous a donné une idée du type de projets soutenus par Sécurité publique Canada pour empêcher les jeunes, y compris les jeunes issus des minorités visibles, d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale en premier lieu. Les résultats observés jusqu'à présent sont impressionnants et fournissent aux collectivités locales et aux décisionnaires de tous les niveaux des renseignements pratiques dont ils peuvent se servir pour appliquer des mesures préventives appropriées dans leur champ de compétences respectif.

Je répondrai maintenant à vos questions avec plaisir.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Matheson. Nous poserons des questions à la fin.

Pourrais-je vous demander de préciser une chose que vous avez dite? En ce qui concerne les statistiques sur les crimes déclarés par la police et les infractions qui sont portées à son attention, dans le cadre de l'enquête, il se peut qu'on recueille des renseignements relatifs à la race et à l'ethnie à des fins d'enquête, mais ces statistiques ne sont pas disponibles à l'échelle nationale. Pourquoi?

M. Matheson : À l'heure actuelle, il n'existe pas de mécanisme permettant de divulguer ces renseignements, et dans certains cas, il s'agit d'une question de protection des renseignements personnels, si j'ai bien compris.

La présidente : Est-ce que d'autres données sont recueillies pour d'autres groupes ou sur d'autres enjeux à l'échelle nationale?

M. Matheson : Pas à ma connaissance.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Matheson, pour poursuivre dans la même veine, ces renseignements ne figurent pas dans les dossiers des services de police, mais vous disposez de ces renseignements pour les adultes. Est-ce exact?

M. Matheson : Oui, mais pas par sous-groupe.

Le sénateur Eggleton : Pas même pour les adultes? J'ai lu dans la note d'information de nos analystes que nous savons qu'en fait, les Noirs sont surreprésentés dans la population carcérale. Ainsi, les délinquants de race noire forment 9,5 p. 100 de cette population, alors que les Noirs ne représentent que 2,9 p. 100 de la population canadienne. N'existe-t-il pas de statistiques sur les jeunes Noirs ou les jeunes faisant partie d'un autre groupe ethnique?

M. Matheson : Pour ce qui est des interventions policières, nous n'avons pas de telles statistiques à l'échelle nationale.

Le sénateur Eggleton : Qu'en est-il du système pénal? La statistique que je viens juste de vous lire est liée au système pénal.

Le sénateur Meredith : Nous nous fondons ici sur le rapport du Bureau de l'enquêteur correctionnel. Il est donc question du système correctionnel. La question de mon collègue est la suivante : comment recueille-t-on les données?

M. Matheson : Elles sont recueillies au sein du système correctionnel.

Le sénateur Eggleton : Donc, nous obtenons des données du système correctionnel, et non pas seulement des services policiers?

M. Matheson : C'est exact.

La présidente : Nous avons aussi des données sur les Autochtones. Nous disposons de certaines statistiques liées aux services correctionnels pour les Autochtones, à l'échelle fédérale.

M. Matheson : Vous parlez des interactions avec la police?

La présidente : Oui.

M. Matheson : Je crois bien que je vais devoir faire des vérifications et vous revenir là-dessus.

La présidente : Pourriez-vous s'il vous plaît nous tenir au courant? Merci.

Donald Piragoff, sous-ministre adjoint principal, Secteur des politiques, Justice Canada : Bon après-midi. Je vous remercie de me donner l'occasion d'être ici avec vous aujourd'hui.

[Français]

Comme madame la présidente l'a déjà dit, je suis accompagné aujourd'hui de Elizabeth Hendy et de Hana Hruska.

[Traduction]

Nous nous réjouissons à la perspective de discuter du soutien financier accordé aux programmes de déjudiciarisation et de réadaptation s'adressant aux jeunes issus des minorités visibles. Nous nous concentrerons tout particulièrement sur la façon dont le Programme de financement des services de justice pour les jeunes et le Fonds du système de justice pour les jeunes du ministère de la Justice répondent aux besoins de ce groupe démographique. Dans une large mesure, les programmes de financement du ministère de la Justice sont axés sur les jeunes qui ont déjà des démêlés avec la justice, plutôt que sur la prévention de la criminalité.

J'aimerais commencer par vous donner un aperçu du système de justice pénale pour les jeunes. Il s'agit d'une responsabilité conjointe des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Le gouvernement fédéral est responsable du droit pénal, y compris le Code criminel et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, tandis que les provinces et les territoires sont responsables de l'application de ces deux lois. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui régit le système de justice pénale pour les jeunes au Canada, s'applique aux jeunes qui ont au moins 12 ans, mais pas plus de 18 ans, et qui sont accusés d'avoir commis une infraction criminelle.

La loi est entrée en vigueur en 2003. Elle a apporté des réformes qui visaient entre autres à réduire le recours aux tribunaux et à l'incarcération dans les cas les moins graves, à appuyer la réinsertion sociale efficace des jeunes après leur remise en liberté et à mieux tenir compte des intérêts des victimes. Elle a été modifiée récemment, en 2012, afin de renforcer la façon dont le système de justice pénale pour les jeunes traite les jeunes contrevenants récidivistes et violents. Les changements apportés récemment avaient pour objectif de respecter les droits des accusés, tout en veillant à ce que ces droits ne passent pas avant d'autres intérêts, comme la sécurité des collectivités.

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents vise à réduire la surutilisation des tribunaux et l'incarcération de tous les jeunes en veillant à employer des mesures de rechange autres que les accusations et les peines d'emprisonnement lorsque cela est approprié. La loi prévoit que les peines imposées aux jeunes doivent être moins restrictives, offrir les meilleures chances de réadaptation et susciter le sens et la prise de conscience de ses responsabilités, notamment la reconnaissance des dommages causés à la victime dans la collectivité. La loi indique précisément que toutes les mesures de rechange raisonnables, autres que le placement sous garde, doivent être envisagées pour tous les jeunes.

En outre, la déclaration de principes figurant dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents indique que les mesures prises à l'égard des adolescents doivent viser à prendre en compte divers facteurs, comme les différences ethniques, culturelles, linguistiques et entre les sexes.

[Français]

Les provinces et les territoires sont responsables de l'administration de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, y compris de la prestation de programmes et de services de justice pour les jeunes.

[Traduction]

Tout d'abord, j'aimerais parler plus précisément du Programme de financement des services de justice pour les jeunes. Grâce à ce programme et au Programme de placement et de surveillance dans le cadre d'un programme intensif de réadaptation — il s'agit de deux programmes distincts —, le gouvernement fédéral offre un soutien financier aux provinces et aux territoires pour l'exécution de programmes et la prestation de services destinés aux jeunes qui ont des démêlés avec la justice.

Le Programme de financement des services de justice pour les jeunes existe depuis 1984; au fil des ans, il a porté divers noms. Le soutien accordé par le gouvernement fédéral aide chaque province et territoire à offrir une vaste gamme de services et de programmes de justice pour les jeunes. Les accords de financement permettent d'allouer 141,7 millions de dollars par année aux services de justice pour les jeunes qui appuient directement les objectifs stratégiques de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Les services, les programmes et les activités comprennent des programmes de déjudiciarisation et de mesures et de sanctions extrajudiciaires, des services de réadaptation et de réinsertion, des programmes de mise en liberté provisoire, des programmes de soutien intensif et de supervision ainsi que d'autres sanctions communautaires. Le financement est surtout essentiel pour appuyer les programmes visant à traiter en toute sécurité avec les groupes de contrevenants à haut risque.

Dans les centres de détention pour les jeunes administrés par les provinces, le personnel de garde travaille d'arrache-pied pour trouver des services de justice pour les jeunes qui correspondent aux besoins particuliers de chacun. Le personnel reçoit la formation nécessaire pour être en mesure de créer un environnement où règnent l'impartialité et la tolérance et d'ainsi répondre aux besoins des jeunes, ce qui permet d'améliorer leur expérience au sein du système de justice. Le personnel de garde veille à ce que les services correspondent aux situations et aux besoins particuliers.

Comme je l'ai mentionné, le Programme de financement des services de justice pour les jeunes verse à l'ensemble des provinces et des territoires une contribution financière annuelle totalisant 141,7 millions de dollars afin de les aider à offrir divers programmes et services destinés aux jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Ces programmes et services ont pour objectif de protéger la population, premièrement, en encourageant l'adoption de mesures de responsabilisation proportionnées et opportunes pour les comportements illégaux; deuxièmement, en soutenant la réadaptation et la réintégration efficaces des jeunes dans leur collectivité; et troisièmement, en ciblant le processus officiel du tribunal pour les infractions les plus graves.

J'aimerais parler brièvement du Programme de placement et de surveillance dans le cadre d'un programme intensif de réadaptation. Outre les accords de financement relatifs aux services de justice pour les jeunes, les provinces et les territoires ont mis en œuvre des accords supplémentaires en vue d'aider les autorités à offrir des services de traitement et d'évaluation spécialisés pour les jeunes qui ont des problèmes de santé mentale et sont condamnés pour crime grave avec violence. Ces accords supplémentaires font partie du Programme de placement et de surveillance dans le cadre d'un programme intensif de réadaptation. Une somme d'environ 11 millions de dollars est mise à la disposition des provinces et des territoires dans le cadre de ce programme.

Dans le cadre de ce programme, les coûts admissibles associés au traitement des jeunes souffrant de problèmes graves, ayant de grands besoins et représentant un risque élevé peuvent comprendre, entre autres, des rapports et des évaluations, des programmes offerts en milieu carcéral de même que des services de réadaptation et de réinsertion. Le financement est alloué en priorité aux programmes thérapeutiques intensifs particuliers offerts aux jeunes afin de réduire les risques de récidive.

J'aimerais maintenant parler du Fonds du système de justice pour les jeunes, le troisième programme de financement en importance. Le ministère de la Justice administre le Fonds du système de justice pour les jeunes, un programme de subventions et de contributions discrétionnaires d'une valeur de 4,5 millions de dollars, qui est destiné à appuyer des projets visant à offrir un système de justice plus efficace pour les jeunes, à répondre à de nouveaux enjeux en matière de justice pour les jeunes et à assurer une plus grande participation des citoyens et des collectivités dans le système de justice pour les jeunes.

Le Fonds du système de justice pour les jeunes comporte trois volets, ou trois fonds distincts de moindre valeur. Il s'agit du Fonds principal, du volet Traitement de la toxicomanie et du volet Armes à feu, gangs et drogues. Le Fonds principal finance une vaste gamme de projets auprès des jeunes qui ont des démêlés avec le système de justice, tandis que le volet Traitement de la toxicomanie soutient des programmes de traitement de la toxicomanie pour les jeunes ayant des démêlés avec le système de justice. Quant au volet Armes à feu, gangs et drogues, il vise à prendre des mesures à l'égard des jeunes impliqués dans des activités liées aux armes à feu, aux gangs et aux drogues ou susceptibles de l'être, et il fait aussi la promotion d'activités communautaires éducatives, culturelles, sportives et professionnelles pour permettre à ces jeunes de faire des choix judicieux, de résister à la tentation de devenir membres d'un gang ou de les inviter à en sortir.

Le Fonds du système de justice pour les jeunes est généralement destiné aux jeunes qui sont perdus dans les méandres du système de justice pénale pour les jeunes, c'est-à-dire ceux qui sont en détention ou en probation et ceux qui ont de grands besoins. Il est plus particulièrement question ici des jeunes qui sont membres d'un gang. Ces projets peuvent durer jusqu'à trois ans.

Le fonds appuie également des projets de moindre envergure, comme des évaluations communautaires, des ateliers et des séances de planification. Par exemple, il y a quatre ans, le fonds a financé des évaluations et des ateliers communautaires à l'échelle du pays en vue d'élaborer des plans d'action visant à lutter contre les gangs. Bon nombre de ces activités se sont déroulées dans des collectivités où les groupes minoritaires sont bien présents, comme les 13 quartiers prioritaires de Toronto.

Compte tenu de la souplesse accrue qu'il offre, le Fonds du système de justice pour les jeunes constitue un outil supplémentaire utile pour s'attaquer à la criminalité chez les jeunes. Aucun montant n'a été prédéterminé pour chaque région, ce qui signifie que les fonds peuvent être utilisés pour cibler efficacement les régions prioritaires et certains groupes de jeunes.

Le fonds a appuyé divers projets pilotes destinés à aider les jeunes issus des minorités visibles qui ont des démêlés avec la justice. Par exemple, ici, à Ottawa, le fonds appuie une initiative de l'organisme Rideauwood Addiction and Family Services, qui vise à traiter la toxicomanie chez les jeunes Canadiens d'origine somalienne. Le personnel de l'organisme a déterminé que le programme régulier était moins efficace pour ces jeunes, pour des raisons culturelles. Il a donc élaboré un programme en collaboration avec des intervenants en toxicomanie de la communauté somalienne, qui agissent comme modèles et offrent des interventions tenant compte des différences culturelles aux jeunes Somaliens.

Un autre exemple est la 9 Heavens Healing Academy, qui a envoyé des jeunes, en majorité des Afro-Canadiens, du secteur Jane-Finch de Toronto à la baie Géorgienne, afin qu'ils participent à des camps de fin de semaine en vue d'améliorer leurs aptitudes à la vie quotidienne, de recevoir des services de counselling en matière de toxicomanie et de suivre une formation professionnelle.

À Winnipeg, le fonds appuie le programme New Directions, qui vise à mettre en œuvre un programme d'éducation et de dynamique de la vie pour les jeunes réfugiés qui viennent d'arriver au pays et qui ont des démêlés avec la justice, font partie de gangs ou risquent d'en faire partie. Le programme permet d'évaluer les niveaux de compétences des jeunes, notamment en ce qui concerne les aptitudes de vie, l'éducation et le travail, d'élaborer des programmes d'apprentissage et de mentorat et d'offrir des mesures de soutien aux jeunes en les aidant à rédiger un curriculum vitæ. Il les aide également à trouver un emploi ou à reprendre leurs études.

[Français]

Il ne s'agit là que de quelques exemples. Vous trouverez sur le site web de Justice Canada des renseignements additionnels, y compris les descriptions de projets, les résumés des résultats d'évaluation des projets et, dans certain cas, des vidéos sur les projets.

J'espère que cela vous donne un bon aperçu de certaines des initiatives du ministère de la Justice qui visent à régler la surreprésentation des jeunes des minorités visibles ayant des démêlés avec la justice pénale. Nous répondrons maintenant avec plaisir à vos questions.

[Traduction]

La sénatrice Hubley : Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vos exposés.

Je dois dire que le nombre de programmes offerts pour aider les jeunes qui ont des démêlés avec la justice est digne d'éloges. Pouvez-vous nous dire quel système de soutien a été mis en place pour les jeunes qui font face à des accusations afin de leur donner les renseignements nécessaires pour qu'ils puissent prendre les décisions qui leur conviennent le mieux dans le cadre de leur cheminement dans le système de justice? Est-ce qu'il existe des programmes de ce type, et le cas échéant, pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Piragoff : Puisqu'il est question ici d'accusations criminelles, même si les jeunes sont assujettis à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, ils ont droit à l'aide juridique s'ils y sont admissibles ou ils peuvent être représentés par leur propre avocat. Les conseils seraient principalement fournis par des avocats ou dans le cadre des programmes d'aide juridique.

La sénatrice Hubley : J'ai été quelque peu surprise d'apprendre qu'un jeune de 12 ans pourrait se retrouver dans ce système, et je crois que vous avez parlé des jeunes âgés de 12 à 18 ans. Si une personne aussi jeune ne peut pas compter sur le soutien de ses parents, est-ce que les conseils de personnes travaillant à l'aide juridique ou d'un avocat seront suffisants pour l'aider à comprendre exactement le fonctionnement du système dans lequel elle risque de se retrouver et les répercussions?

M. Piragoff : La loi prévoit qu'un parent doit participer au processus et être avisé de la situation, donc, ce n'est pas tout à fait comme le système pour les adultes, où l'accusé doit se débrouiller par lui-même. Il est nécessaire de faire intervenir les parents.

La sénatrice Hubley : Est-ce qu'il s'agit d'une priorité? Est-ce qu'on veille à ce que les jeunes puissent compter sur un tel soutien?

M. Piragoff : C'est l'une des exigences de la loi.

La sénatrice Hubley : D'accord, merci.

La présidente : Avant de passer à une autre question, le sénateur veut poser une question complémentaire.

Le sénateur Meredith : Pour ce qui est des jeunes qui ne sont pas représentés adéquatement, nous constatons que le fait d'obtenir de l'aide juridique ou de pouvoir compter sur les services d'un avocat a une incidence directe pour une personne qui se fait arrêter. Étant donné que j'ai fait partie du système, j'ai pu constater, surtout chez les jeunes issus des minorités visibles — car j'ai travaillé dans le domaine pendant 12 ans —, qu'un très grand nombre d'entre eux n'ont pas accès aux services d'un avocat sur-le-champ. Essentiellement, ces jeunes n'ont pas accès aux services juridiques et ne peuvent pas compter sur leurs parents pour assurer un suivi, et donc, ils sont plus susceptibles de se retrouver dans le système de justice que ceux qui bénéficient de services juridiques. Pourriez-vous nous en dire plus sur les mesures qui sont prises pour veiller à ce que ces jeunes gens puissent recevoir des services juridiques adéquats, étant donné qu'il existe un rapport direct entre l'absence de tels services et les taux d'incarcération plus élevés?

M. Piragoff : Comme je l'ai mentionné, nous partageons cette responsabilité avec les provinces et les territoires. Même si nous finançons des programmes qui visent à allouer des fonds aux provinces, ce sont elles qui administrent les fonds, intentent les poursuites, font enquête sur les infractions et administrent les programmes d'aide juridique. Nous ne sommes donc pas en mesure de formuler des commentaires à ce sujet.

Le sénateur Meredith : Le gouvernement accorde du financement aux provinces, donc, pour ce qui est de l'efficacité du financement et des résultats qu'il permet d'atteindre en ce qui concerne certains jeunes qui se retrouvent dans le système, je me demande si on effectue un certain suivi auprès de la province afin qu'elle rende des comptes au gouvernement fédéral, l'informe de la façon dont les fonds ont été alloués et lui signale les écarts de financement qui pourraient être comblés.

M. Piragoff : Dans le cadre du Programme de financement des services de justice pour les jeunes, dont j'ai parlé plus tôt, nous négocions des buts et des objectifs avec les provinces. C'est l'une des conditions associées à l'octroi de fonds. Il ne s'agit pas d'un véritable programme de transfert, dans le cadre duquel nous transférons simplement l'argent. Certains buts doivent être atteints. La principale négociatrice du gouvernement du Canada, Elizabeth Hendy, est assise à ma gauche. Je vais la laisser répondre à votre question et vous expliquer comment nous établissons des buts et des objectifs en collaboration avec les provinces et les moyens que nous prenons pour en assurer le suivi.

Elizabeth Hendy, directrice principale, Direction de la mise en œuvre des politiques, Justice Canada : J'aimerais tout d'abord revenir sur le premier aspect que vous avez mentionné. La loi prévoit notamment qu'il faut veiller à ce que les jeunes bénéficient de services juridiques adéquats, étant donné leur jeune âge. Cet aspect est pris en compte et il en est question dans le préambule de la loi. S'il en est ainsi, c'est que nous voulons avoir la certitude que tous les jeunes seront représentés, ce qui est très différent du système pour les adultes.

Comme mon sous-ministre adjoint l'a mentionné, nous avons des exigences particulières et nous demandons aux provinces de les respecter. L'accord est taillé sur mesure et offre une assez grande marge de manœuvre : ainsi, les exigences peuvent être adaptées en fonction des caractéristiques propres aux jeunes de la province de manière à répondre aux besoins des jeunes contrevenants. Par exemple, si les minorités visibles sont plus présentes en Ontario que dans une autre province, les programmes pourront être adaptés en fonction de ces groupes. Les provinces doivent faire rapport à la fin de chaque année et expliquer comment elles ont utilisé les fonds alloués par le gouvernement fédéral.

La sénatrice Hubley : Merci. J'aimerais tout simplement faire une précision à ce sujet. Il ne semble pas y avoir de programme destiné aux jeunes qui font face à des accusations et ayant pour objectif de leur offrir de l'aide, de leur indiquer à quoi ils doivent s'attendre du point de vue juridique dans le cadre de ce système et de leur fournir des renseignements sur les options qui s'offrent à eux. Je pense encore aux plus jeunes qui se retrouvent dans le système et je me dis qu'ils pourraient très facilement se laisser entraîner dans ce système qu'ils ne connaissent pas bien ou avec lequel ils ne sont pas à l'aise. Je me demande s'il existe un programme qui pourrait leur venir en aide à ce moment-là.

Mme Hendy : Du point de vue correctionnel, le Programme de financement des services de justice pour les jeunes offrirait de l'aide. Il existe des programmes ciblés selon l'âge des jeunes. Ainsi, un jeune de 12 ans ne se retrouverait pas dans le même secteur d'un établissement qu'un jeune de 17 ans ou de 18 ans. L'âge du jeune et ses besoins — notamment la capacité intellectuelle du jeune de comprendre les raisons pour lesquelles il se retrouve à cet endroit — sont bel et bien pris en compte.

La sénatrice Hubley : Vous nous avez parlé de plusieurs programmes. Monsieur Matheson, je crois que dans le cadre de votre exposé, vous nous avez entre autres parlé des projets Wraparound Surrey et Stepping Out. S'agit-il de projets continus? Pouvons-nous être certains que des programmes de ce type seront offerts aux jeunes? Est-ce qu'il est prévu que ces projets prennent fin, notamment parce qu'on cessera un jour de leur allouer des fonds, et le cas échéant, qu'allons-nous faire lorsqu'ils prendront fin?

M. Matheson : Nous offrons un financement pour une période maximale de cinq ans. Les promoteurs de projet en sont informés dès le départ. Lorsque nous allouons des fonds à ces projets, notre principal objectif est de voir comment ces modèles fonctionnent. J'ai mentionné que nous menons des études d'évaluation rigoureuses. Nous partageons les connaissances recueillies dans le cadre de ces projets avec les gouvernements provinciaux, les administrations municipales et les associations communautaires afin qu'ils sachent quels types d'interventions fonctionnent auprès de ces personnes.

Quant à la viabilité des programmes, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la sécurité publique et de la justice ont fait de la prévention du crime une priorité. En novembre, ils ont approuvé un plan d'action dont l'un des volets porte sur la façon de mettre plus globalement en œuvre les pratiques fondées sur des données probantes. La viabilité est l'un des éléments que nous étudierons au cours des prochaines années.

Le sénateur Meredith : Je vous remercie de vos présentations. Nous étudions aujourd'hui un sujet fort important, lié à la surreprésentation des minorités visibles dans le système carcéral. C'est un sujet qui touche aux causes premières de certains des problèmes énoncés.

Nous parlons du financement de la prévention du crime — vous avez parlé de 36 millions de dollars, monsieur Matheson. Je me préoccupe toujours de l'efficacité de ces programmes, car les chiffres ne cessent d'augmenter. Le rapport du Bureau de l'enquêteur correctionnel indique qu'il y a une augmentation de 40 p. 100, et que celle-ci touche d'abord les jeunes.

Comment pouvons-nous empêcher plus efficacement les jeunes d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale, d'être incarcérés et de devenir des criminels à l'âge adulte?

Nous voyons les résultats des 12 dernières années, car pendant la montée de la violence armée en 2002-2003 et l'année des armes à feu, en 2005, au cours de laquelle des gens ont été abattus dans la communauté urbaine de Toronto, des jeunes ont régulièrement été accusés de crimes odieux et mis à l'écart de la société.

Je me suis toujours soucié des mesures prises pour éduquer ces jeunes pendant leur incarcération, pour qu'ils deviennent de meilleurs citoyens à leur libération et non des récidivistes? Auriez-vous tous les deux l'obligeance de nous donner plus de détails non seulement en ce qui concerne les jeunes, mais aussi en ce qui concerne la prévention de la criminalité?

M. Matheson : Pour ce qui est de la prévention du crime, nous analysons les facteurs de risque et les facteurs de protection. J'en ai brièvement parlé pendant ma présentation. Lorsqu'une personne participe à l'un des projets, nous évaluons son attitude, ses connaissances et les contacts qu'elle a eus avec la police avant de commencer l'intervention. Puis, nous suivons son cheminement tout au long de l'intervention afin de voir quels sont les résultats à la fin du projet.

Nous arrivons à déterminer ce qui fonctionne pour différents groupes dans différentes communautés. Nous évaluons un certain nombre de modèles que nous appliquons dans différentes collectivités du Nord, dans de grandes municipalités et dans de petites localités. Chaque fois, nous analysons les résultats obtenus dans le cadre du milieu en question.

Nous avons commencé en 2008. Il faut beaucoup de temps pour recueillir ce genre d'information. Suivre l'évolution de données à l'échelle individuelle demande des efforts soutenus. Mais cette démarche connaît un franc succès auprès des associations communautaires qui reçoivent du financement; elles comprennent l'importance de ces données et commencent à s'en servir pour obtenir le soutien de la communauté afin de continuer le travail là où les modèles fonctionnent.

M. Piragoff : En ce qui concerne les programmes et les projets dont nous disposons pour lutter contre le récidivisme, j'inviterais madame Hruska à parler de nos projets d'intervention auprès des jeunes pour prévenir la récidive.

Hana Hruska, directrice, Programmes et affaires corporatives, Section de la Justice applicable aux jeunes et des initiatives stratégiques, Justice du Canada : Comme l'a indiqué monsieur Piragoff, le Fonds du système de justice pour les jeunes finance des projets qui s'adressent à des jeunes ayant déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale. Il s'agit donc d'une population légèrement différente et plus restreinte que celle visée par les programmes de M. Matheson.

Nos projets prévoient aussi des évaluations. Nous suivons le cheminement du jeune dans le cadre du projet, en tenant compte non seulement du nombre de fois où il a eu affaire au système de justice pénale, mais aussi d'autres facteurs qui sont très étroitement reliés. Par exemple, le jeune va-t-il à l'école? Fait-il partie de la population active? Quelles relations entretient-il avec sa famille? Fréquente-t-il des pairs ayant des attitudes prosociales?

Normalement, ces projets font l'objet d'une évaluation, et règle générale, celle-ci montre que les programmes ont un effet sur les jeunes. Nous déployons également beaucoup d'énergie pour communiquer les conclusions de ces programmes à d'autres intervenants, comme les provinces, les territoires et les groupes communautaires, car ces derniers gèrent un grand nombre de projets. Par exemple, nous avons des webémissions pour partager l'information recueillie dans le cadre des projets et faire en sorte qu'on puisse reproduire ce genre d'interventions ailleurs au pays.

Le sénateur Meredith : Vos statistiques montrent-elles si c'est efficace? On vous remet des rapports. Montrent-ils une diminution du nombre de jeunes qui, dans certaines communautés, joignent un gang, consomment de la drogue ou autre chose du genre? Obtient-on des changements positifs?

Mme Hruska : Il y a des changements positifs pendant la période où le jeune participe au projet. Il est plus difficile de suivre son cheminement lorsqu'il sort du système de justice pénale.

Le sénateur Meredith : Dans ce cas, pourquoi n'y a-t-il pas un mécanisme en place indiquant que la personne a été en contact avec une forme de système de soutien? Pourquoi ne recommande-t-on pas que nous suivions le cheminement de ces gens afin de nous assurer qu'ils ne récidivent pas et n'ont pas d'autres démêlés avec le système?

M. Piragoff : La Loi sur le système de justice pour les jeunes tient les jeunes responsables. Ce n'est pas une loi sur le bien-être social. En fait, c'est un mécanisme pour les tenir responsables de tous les crimes qu'ils ont pu commettre. Comme dans le système pour adultes, il faut purger sa peine. Lorsque c'est fait, que le jeune a purgé toute sa peine, même si c'est au sein de la collectivité, c'est fini. Ce sont alors d'autres organismes qui prennent la relève, par exemple, le bien-être social. Le système de justice pénal n'exerce plus de contrôle sur la personne une fois la période de probation ou de libération conditionnelle terminée.

Le sénateur Meredith : Ainsi, il n'y a aucune forme de suivi officiel?

M. Piragoff : Pas à partir du moment où ils quittent entièrement le système.

Le sénateur Eggleton : Voyons tout d'abord quelles sont les données recueillies. J'ai indiqué plutôt que les détenus noirs comptent pour 9,5 p. 100 de la population carcérale, mais qu'ils ne représentent que 2,9 p. 100 de population générale. Il y a donc quelques statistiques.

Toutefois, je constate que ces données ne sont pas réparties selon les races au Canada, et qu'il est difficile d'analyser la surreprésentation des minorités visibles dans le système de justice pénale. Nous semblons avoir des données, mais en fait, nous n'en avons pas. Je crois que M. Matheson a mentionné qu'on ne peut pas obtenir les données de la police. Pourtant il semble possible d'en obtenir du système correctionnel.

J'aimerais savoir à quoi m'en tenir? Quelle est la fiabilité des données dont nous disposons? Quels renseignements supplémentaires permettraient de savoir plus exactement quelle part de la population issue de minorités visibles a des démêlés avec la justice?

La présidente : Si je puis me permettre une question supplémentaire. Je n'arrive pas à voir s'il y a des données permettant de préciser les statistiques sur les jeunes. Savons-nous s'il y a surreprésentation des jeunes noirs dans le système carcéral? Nous n'avons pas ces données. Nous n'avons même pas celles pour les minorités visibles. Quelles données avons-nous?

M. Matheson : Je n'ai pas en main les données concernant la prévention du crime. Il faudrait que je vérifie ce qui est disponible. Si j'ai bien compris, à l'échelle nationale, nous n'avons pas beaucoup de renseignements.

Mme Hendy : Il faudrait vérifier auprès des employés de Statistique Canada pour savoir quelles données ils obtiennent des provinces. D'après le contenu des rapports que m'envoient les provinces, celles-ci ne font pas une répartition aussi détaillée des données.

Le sénateur Eggleton : Il faudra réfléchir plus avant à tout cela.

Permettez-moi de poser des questions à M. Matheson au sujet des 17 projets qui ont bien fonctionné avec des jeunes issus de minorités visibles. À l'évidence, il y a quelqu'un qui détermine qui fait partie d'une minorité visible dans le cadre de ces programmes subventionnés à hauteur de 36,8 millions de dollars. Le sénateur Meredith a posé des questions sur l'efficacité des programmes. J'aimerais savoir dans quelle mesure ils suffisent à répondre aux besoins. La demande pour ce genre de financement est-elle beaucoup plus grande que les fonds disponibles? Si oui, de combien? Le financement représente-t-il une goutte d'eau dans l'océan, permet-il vraiment de remédier en grande partie au problème ou se situe-t-il quelque part entre les deux?

M. Matheson : Chaque année, nous disposons de 40,9 millions de dollars pour financer des projets. Les projets sont fondés sur des propositions provenant de municipalités, d'associations de policiers et d'organismes sans but lucratif de partout au Canada. Lorsque c'est le cas, les initiateurs du projet indiquent que les minorités visibles sont le groupe cible au sein de leur collectivité. Dans certains cas — à Halifax, par exemple —, on a constaté qu'il y avait des problèmes dans une collectivité noire. Voilà comment nous en sommes venus à avoir des projets destinés aux minorités visibles.

Nous faisons régulièrement des appels de propositions, au fur et à mesure que les fonds deviennent disponibles. Mais ce n'est pas toujours le cas puisqu'un projet peut durer jusqu'à cinq ans. Il y a toujours de nouvelles propositions qui s'ajoutent, mais nous disposons d'un processus d'examen fort rigoureux. En outre, les exigences relatives à la gestion de ces projets sont très strictes, car nous accordons une grande importance à l'évaluation afin de déterminer quelles mesures fonctionnent bien pour les jeunes.

Je dirais que nous nous en tirons bien avec le financement dont nous disposons. Nous investissons un important montant d'argent. Notre objectif ultime est d'utiliser l'information tirée de ces projets pour travailler avec les collectivités et les provinces en sachant quel genre d'intervention porte fruit et quels avantages cela présente sur le plan des coûts pour le système de justice pénale, surtout à l'échelle provinciale, en plus de veiller à ce que les autres paliers d'administration financent et mettent en place ce genre d'initiative.

Le sénateur Eggleton : Je tente toujours d'obtenir une réponse. Vous mentionnez ici 17 projets. Combien en avez-vous refusé? Combien y a-t-il eu de propositions de projet? Vous dites que le processus de sélection est rigoureux, mais il y a un grand nombre de projets que vous ne pouvez pas financer.

M. Matheson : Il y en a certains, mais je ne me souviens pas exactement du chiffre.

Le sénateur Eggleton : J'ai une autre question. Vous évaluez les programmes; vous avez donné de bons exemples de ceux-ci dans différentes collectivités du pays. Je suppose que vous déterminez ensuite leur efficacité. Qu'arrive-t-il lorsqu'ils sont efficaces? En faites-vous part à d'autres administrations? Si un projet Wraparound fonctionne à Surrey, il fonctionnera peut-être dans d'autres collectivités. Si un projet donne de bons résultats dans une localité, inciterez-vous une autre localité à l'essayer en finançant le projet, ou bien le faites-vous une seule fois?

M. Matheson : Nous reproduisons parfois un modèle dans un autre milieu ou une autre collectivité où nous croyons que l'intervention pourra nous en apprendre davantage. Lorsque nous obtenons des résultats — et nous commençons tout juste à en obtenir, depuis un an ou deux —, nous communiquons l'information aux collectivités grâce au Web. Nous avons aussi des réseaux d'associations au pays nous permettant de diffuser les données. Nos bureaux régionaux comptent également des spécialistes en prévention du crime qui peuvent aider les collectivités à mettre en œuvre des projets.

La présidente : Je suis fort préoccupée par la stratégie que vous avez adoptée en matière de financement des programmes. Vous vous en êtes tenus aux programmes pour les jeunes. Vous avez parlé du Fonds du système de justice pour les jeunes qui semble privilégier les projets destinés aux jeunes visant à les détourner des choix qui augmenteront leur risque d'avoir des démêlés avec la justice. Tout le monde ici sait qu'il y a un problème systémique. Point besoin d'être un jeune noir pour savoir que ceux-ci se font arrêter plus souvent que n'importe quel autre jeune au Canada. Tout le monde sait qu'il y a un problème systémique. Cela m'inquiète vraiment. Que faites-vous pour contrer le problème de discrimination systémique des minorités visibles dans le système de justice pénale et le système correctionnel?

M. Matheson : Certaines interventions, comme celle du projet Wraparound, font appel à d'autres services qui tentent d'aider les jeunes à aller à l'école, afin qu'ils aient une meilleure chance de trouver un emploi.

La présidente : Je ne parle pas des jeunes. Qu'en est-il des systèmes qui sont systématiquement discriminatoires au Canada? Qu'en est-il du policier qui arrête un jeune noir à Toronto simplement parce qu'il conduit une voiture luxueuse? Que faites-vous pour régler les problèmes qui minent le système? Les témoins du Service correctionnel et de la Sécurité publique n'ont parlé que de ce qui arrive aux jeunes. Pourquoi ne pas se concentrer sur les problèmes de discrimination systémique? Vous n'avez pas du tout abordé ce point.

M. Piragoff : Madame la sénatrice, nous avons financé sept projets portant sur le pouvoir discrétionnaire des policiers. La Loi sur le système de justice pour les jeunes prévoit soustraire les jeunes au système dès le départ. Au fond, on les fait participer à des programmes plutôt que de les envoyer dans le système de justice pénale pour les adolescents, où ils doivent composer avec une accusation au pénal et comparaître éventuellement devant un tribunal pour adolescents.

Il y a déjà eu des programmes renseignant les policiers sur les dispositions de la Loi sur le système de justice pour les jeunes qui permettent de soustraire les jeunes au processus judiciaire et sur les circonstances où il est approprié de le faire. En pareil cas, les policiers exercent leur pouvoir discrétionnaire pour ne pas envoyer certains jeunes dans le système de justice pénale ou pour porter une accusation en raison de différents facteurs.

Certains programmes financés par le Fonds du système de justice pour les jeunes touchent à ces aspects. Le plus souvent, étant donné le mandat du programme administré par le ministère de la Justice, les jeunes ont déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale. Comme je l'ai dit au début, nous nous occupons des jeunes qui sont déjà dans le système. Nous ne nous occupons pas de la prévention du crime.

La présidente : Je suis désolée. Je ne m'exprime peut-être pas clairement. Monsieur Piragoff, la justice s'occupe de nombreuses questions. Vous sensibilisez des juges et des procureurs à des questions auxquelles sont confrontés les Canadiens. Il ne fait aucun doute que le système discrimine les jeunes issus de minorités visibles. Que faites-vous pour sensibiliser les gens à ce problème

M. Piragoff : Comme je l'ai dit plus tôt, madame la sénatrice, l'administration de la justice — notamment celle des services de police — est de compétence provinciale, exception faite de la GRC. Par conséquent, il incombe au procureur général de chaque province de donner des orientations stratégiques aux services policiers.

La présidente : Répondez-moi. Faites-vous quelque chose à cet égard? Nous n'avons presque plus de temps.

M. Piragoff : Madame la sénatrice, j'ai mentionné que nous avions des programmes qui apprennent aux policiers à utiliser les dispositions de la loi pour soustraire les jeunes au système pénal.

La présidente : Je ne parlais pas de cela.

Le temps est écoulé. Pourriez-vous nous fournir cette information par écrit s'il vous plaît? Je veux savoir quels sont les programmes que vous offrez pour lutter contre la discrimination systémique au sein du système. Que fait-on, quelle formation donne-t-on aux agents de la GRC lorsqu'ils entrent en contact avec un jeune issu d'une minorité visible pour la première fois? Que faites-vous pour lutter contre les problèmes de discrimination systémique? Auriez-vous l'obligeance de remettre cette information au greffier par écrit?

Il y a quatre personnes qui ont des questions. Je vous demande de simplement poser vos questions. Si les réponses sont longues, nous demanderons aux témoins d'y répondre par écrit. Si elles sont courtes, nous vous écouterons immédiatement. Nous allons commencer avec la sénatrice Seidman.

La sénatrice Seidman : J'essaie de comprendre les questions liées aux compétences dans les programmes offerts par les ministères de la Sécurité publique et de la Justice dont vous avez parlé. À l'évidence, nous avons affaire à des administrations fédérale, provinciales et municipales. Dans quelle mesure travaillez-vous avec les provinces? Travaillez-vous avec des villes? Comment distribuez-vous les fonds entre elles? Comment répartissez-vous le travail? Je vous serais reconnaissante de me donner une idée de l'incidence qu'ont les questions de compétences à cet égard.

La présidente : Je vais donner à chacun l'occasion de poser ses questions. Si vous pouvez grouper vos réponses, je vous invite à le faire.

La sénatrice Seidman : Ma question comportait un dernier élément. Le secteur privé a-t-il un rôle à jouer? Dans le cadre de vos activités, incitez-vous le secteur privé à participer d'une manière ou d'une autre? J'entends sous forme de partenariat avec les administrations fédérale, provinciales ou municipales. Je vous remercie.

La sénatrice Ataullahjan : Selon le conseil de prévention du crime de la région de Waterloo, les facteurs de risque qui incitent le plus souvent un jeune à se joindre à un gang sont un faible sentiment d'appartenance à la collectivité et une supervision parentale inadéquate. Ce dernier facteur est, à mon avis, fort important. Les parents doivent assumer une part de responsabilité dans la vie de leur enfant et ils doivent savoir dans quel genre d'activités celui-ci est engagé. Il y a aussi des problèmes à l'école, la consommation de drogue et d'alcool, ainsi que des possibilités limitées en matière d'éducation et d'emplois. Pouvez-vous nous parler du volet sur les drogues du Fonds du système de justice pour les jeunes et de l'importance de celui-ci?

La sénatrice Unger : Je m'intéresse au projet Stepping Out. Vous dites qu'à la suite d'un symposium très réussi et très populaire, ce projet a mis au point un plan d'action communautaire pour aider les jeunes immigrants jugés à risque de se joindre à un gang. J'étais simplement curieuse de savoir ce qui a finalement résulté de ce projet. Vous dites que celui-ci a été un succès. Je connais le centre pour les nouveaux arrivants, mais je m'intéresse à cette initiative.

En ce qui concerne la répartition des fonds, lorsque les provinces s'en chargent, la police obtient-elle généralement la majeure partie des fonds ou ceux-ci sont-ils répartis également? Lorsqu'un jeune fait quelque chose, on appelle la police. Je me demande donc si celle-ci obtient une plus grosse part du financement que les autres.

Le sénateur Ngo : Pourriez-vous nous indiquer quels projets ou programmes concrets reçoivent des fonds du Programme de financement des services de justice pour les jeunes et qui en est responsable?

Vous dites avoir financé des programmes. Vous avez aussi financé d'autres projets. Pourriez-vous nous dire à quelle hauteur? Dans l'ensemble, selon le ministère de la Justice, il s'agit de 140 millions de dollars. Où cet argent a-t-il été investi? À qui avez-vous affecté les fonds, qui en a la responsabilité? Est-ce correct?

M. Piragoff : Oui.

Le sénateur Meredith : Ma question s'adresse à M. Piragoff. Vous parlez d'un financement de 11 millions de dollars pour la santé mentale. Nous savons que bien des jeunes sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. Un montant de 11 millions de dollars, est-ce suffisant pour tout le pays? Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur la façon dont ces fonds sont alloués et s'il faut bonifier le montant?

Monsieur Matheson, nous dépensons davantage en aval, sur l'incarcération, que sur l'intervention et la prévention. Pourquoi ne dépensons-nous pas plus en amont? Le ministère a mis en œuvre des initiatives qui ont porté fruit et qui pourraient être appliquées dans l'ensemble du Canada, on n'a qu'à penser à Surrey, en Colombie-Britannique, à Edmonton, à Preston-Nord, en Nouvelle-Écosse, ou à Toronto. Nous devons diffuser les pratiques exemplaires. Il serait utile que vous remettiez un rapport au comité avant que celui-ci ne rédige son propre rapport. Je vous en saurais gré.

La présidente : Je vous remercie, sénateur Meredith.

Comme vous le voyez, il y a de nombreuses questions.

Le sénateur Meredith : Pouvons-nous prolonger la séance?

La présidente : Non, nous ne le pouvons pas. Il y a de nombreuses questions. Répondez à celles que vous pouvez au cours des prochaines minutes. Pour le reste, vous pourrez nous répondre par écrit.

Enfin, vous avez dit n'avoir aucun pouvoir sur les services de police parce qu'il s'agit d'une compétence provinciale. À ce que je sache, la jeunesse est aussi de compétence provinciale, pourtant vous financez des initiatives destinées à ce groupe. Je vous prierais de répondre à cette question dans votre réponse écrite.

Qui veut commencer?

Mme Hendy : Je répondrai aux questions 1, 4 et 5.

Le Programme de financement des services de justice pour les jeunes est un programme de paiements de transfert entre le ministère fédéral de la Justice et les provinces et territoires responsables des services correctionnels pour les jeunes. Il s'agit d'un programme de paiement de transfert fédéral-provincial direct, comportant des objectifs stratégiques fédéraux auxquels les provinces doivent adhérer. Je peux fournir sous pli séparé le montant remis à chaque province et territoire.

Pour ce qui est de la répartition des 141 millions de dollars entre les provinces et les territoires, l'argent va directement aux ministères provinciaux. Si les territoires et les provinces souhaitent faire appel à des organismes de prestation de service du secteur privé, non provinciaux, ils peuvent le faire en accordant des contrats de sous-traitance. Il revient alors aux responsables de l'administration de la justice de chaque province d'établir comment utiliser ce financement.

Quant à la question de savoir qui est responsable, je pourrais vous remettre un graphique pour que vous voyiez exactement comment l'argent est affecté.

Je tiens simplement à préciser que le Programme de placement et de surveillance dans le cadre d'un programme intensif de réadaptation s'adresse aux jeunes contrevenants qui ont des problèmes de santé mentale et qui ont commis des crimes violents graves. Il ne s'adresse pas à l'ensemble des jeunes ayant des problèmes de santé mentale. Ce programme est destiné aux jeunes qui sont au sein du système de justice pénale pour les adolescents et qui ont des problèmes de santé mentale. Il s'agit d'un financement adapté à chaque jeune au sein du système. Par exemple, si un jeune en Alberta a reçu une peine de placement et de surveillance dans le cadre d'un programme intensif de réadaptation, il aura droit à un montant pouvant atteindre 100 000 $ par année pour suivre un plan de traitement adapté. Ainsi, par l'entremise de la province, nous travaillons avec le jeune en question pour qu'à son retour dans la collectivité, son comportement soit moins violent. On espère que le niveau de violence diminuera et qu'il y aura moins de risque de récidive. C'est un programme sur mesure, qui répond aux besoins individuels de chaque jeune.

Je peux obtenir des informations plus détaillées au sujet de ce programme, si vous le désirez.

Mme Hruska : Je répondrai à la question concernant le volet sur le traitement de la toxicomanie du Fonds du système de justice pour les jeunes. Cet argent est affecté spécifiquement à des projets offrant des traitements pour toxicomanie aux jeunes qui ont des problèmes d'abus d'alcool ou de drogues et qui ont déjà eu des démêlés avec la justice. Il s'agit donc de jeunes qui sont en détention ou en probation. Les traitements sont souvent offerts par des services de désintoxication communautaires. Voilà, pour l'essentiel, à quoi servent ces fonds.

J'aimerais aussi en dire un peu plus sur la question de la santé mentale. Les projets du Fonds du système de justice pour les jeunes comportent généralement un volet sur la santé mentale, car ce genre de problèmes est très courant dans le système de justice pénale pour les adolescents. Ces projets visent des jeunes qui n'ont pas nécessairement commis des crimes aussi graves que ceux qu'il faut avoir commis pour recevoir une peine de placement et de surveillance dans le cadre d'un programme intensif de réadaptation. Toutefois, ils offrent de l'aide en matière de santé mentale.

M. Matheson : Pour ce qui est de la prévention du crime, nous travaillons de concert avec les provinces et les territoires. Comme je l'ai indiqué, les ministres en ont fait une priorité. Un comité de sous-ministres et de sous-ministres adjoints fédéraux et provinciaux examine le travail en matière de prévention du crime, et un groupe de travail assure le suivi du plan d'action.

Nous entretenons des relations avec la Fédération canadienne des municipalités. Cette dernière pilote d'ailleurs un projet à l'heure actuelle. À l'échelle nationale et régionale, nous faisons appel à des organismes sans but lucratif qui sont intéressés par certains de ces modèles. Nous demandons aux associations et aux projets que nous finançons de parler de ce qui fonctionne lorsqu'ils obtiennent de bons résultats.

Nous cherchons maintenant des moyens d'obtenir une plus grande participation du secteur privé. Je crois que la clé pour obtenir sa participation sera d'avoir des données montrant que les investissements dans la collectivité portent fruit.

Pour revenir à votre question, nous espérons que le fait de montrer plus efficacement les avantages financiers de la prévention du crime simplifiera grandement l'analyse de rentabilisation aux niveaux provincial et municipal, ce qui permettra de normaliser les mesures de prévention du crime et de les étendre aux collectivités concernées.

J'obtiendrai des renseignements plus détaillés sur le programme Stepping Out. Le financement n'est pas alloué par province, et la majorité des propositions ne proviennent pas des associations de policiers. La plupart sont faites par des organismes sans but lucratif ou par des municipalités. Bien souvent, ils travaillent en partenariat avec la police, mais nous avons observé que les associations communautaires commencent de plus en plus à prendre un rôle de leadership. Le travail en partenariat avec la police s'est avéré efficace.

La présidente : Je vous remercie. Vous pouvez constater que nous sommes intéressés par ce que vous aviez à nous présenter. Nous vous remercions de vous être rendus disponibles malgré un court préavis. Nous vous en sommes fort reconnaissants. Ce n'est pas la première fois que vous comparaissez devant un comité, que ce soit celui-ci, ou un autre comité sénatorial. Nous apprécions votre présence, et nous nous réjouissons à l'idée de travailler avec vous dans l'avenir.

Nous allons poursuivre avec la prochaine présentatrice. Madame Pomerant, vous avez la parole.

Lisa Pomerant, Conseil canadien des avocats de la défense : Je vous remercie. Nous sommes ravies d'être ici aujourd'hui pour représenter le Conseil canadien des avocats de la défense. L'organisme a été créé en 1992 afin d'offrir une perspective nationale sur les questions de justice criminelle en vue d'assurer la préservation des principes constitutionnels qui nous protègent tous, et de s'assurer que le droit criminel se développe de façon pratique et en se fondant sur des principes.

Le Conseil canadien des avocats de la défense représente le point de vue des avocats de la défense au Canada. Le conseil est fort reconnaissant d'avoir la possibilité de s'adresser au Sénat aujourd'hui et de possiblement contribuer aux délibérations ou à l'étude des questions.

Je m'appelle Lisa Pomerant. Je suis avocate de la défense. Je pratique le droit depuis 25 ans. Tout au long de ma carrière, ma pratique a toujours été principalement axée sur les jeunes, que ce soit en Colombie-Britannique, en Alberta ou en Ontario. La majorité des jeunes que j'ai représentés au fil des ans, et que je continue de représenter aujourd'hui sont marginalisés, car ils sont issus de minorités visibles.

À ma gauche se trouve mon estimée collègue, Mme Emma Rhodes. Elle est une criminaliste spécialisée dans les questions touchant les jeunes. Elle est professeure auxiliaire à l'Université de Toronto, où elle donne le cours sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Elle est aussi chargée de cours à l'Osgoode Hall Law School, où elle enseigne la plaidoirie. Elle est la représentante de la Criminal Lawyers' Association à l'un des tribunaux les plus occupés de Toronto. Elle fait du bénévolat chaque semaine auprès des jeunes à haut risque.

Il est possible que le seul intérêt de notre présence ici, aujourd'hui, soit de vous dire ce qui se passe dans les tranchées, ce que vivent ces jeunes, ce à quoi ils sont confrontés et ce qu'apportent les mesures actuelles. Nous sommes ici pour vous parler de ce qui se passe sur le terrain, de l'application concrète des initiatives, et pour faire valoir que les jeunes continueront d'avoir des problèmes et des démêlés avec la justice tant que les problèmes systémiques ne seront pas réglés.

Emma Rhodes, Conseil canadien des avocats de la défense : Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui. C'est un honneur d'être ici.

Je peux vous parler de ce que je sais et de ce que j'observe. Je peux vous dire que les minorités visibles sont surreprésentées dans le système de justice pénale. Autrement dit, le système de justice pénale a un impact disproportionné sur les personnes issues de minorités visibles. Ces gens vivent dans des quartiers racialisés. Ils vivent dans la pauvreté. Ils n'ont pas accès à l'éducation. Ils ne sont pas jugés employables. Ils sont aux prises avec des problèmes de santé mentale, comme la dépression. Ils sont plus susceptibles d'avoir affaire à la police.

À Toronto, les policiers pratiquent une forme de ratissage, où ils arrêtent des gens croisés dans la rue pour questionner et prendre des notes à leur sujet. Les statistiques découlant de cette pratique à Toronto nous apprennent que les Noirs et les personnes qui ont un teint basané sont plus susceptibles d'être ciblés lors d'un ratissage que les Blancs. C'est dans les quartiers racialisés que le taux de ratissage est le plus élevé. Les jeunes rapportent qu'ils sont souvent fouillés lors de ces opérations, et qu'ils ont l'impression d'être traités comme des criminels pendant ce processus.

Mon client typique est un jeune homme noir, qui ne réussit pas bien à l'école. Il vient d'un foyer monoparental. Sa mère occupe plusieurs emplois pour tenter de joindre les deux bouts. Comme elle occupe plusieurs emplois, elle n'est pas à la maison. Le jeune homme a de la difficulté à se rendre en classe, et une fois sur place, il n'arrive pas à se concentrer. Il se bat dans la cour d'école, et se fait arrêter pour voies de fait. Après sa mise en liberté sous caution, on lui impose un couvre-feu. Toutefois, comme il s'est battu à l'école, il est expulsé de celle-ci, car la libération sous caution ne lui permet pas d'avoir de contact avec la personne avec laquelle il s'est battu. Il doit donc commencer à fréquenter une nouvelle école au milieu de l'année scolaire.

Il ne peut se rendre à l'école, car il n'a pas les moyens d'acheter les billets d'autobus pour s'y rendre, et la nouvelle école n'est pas à distance de marche. Sa mère travaille le soir et ne peut pas le surveiller. Par conséquent, comme la plupart des adolescents, il fait fi du couvre-feu, sort et se fait arrêter par la police parce qu'il est un jeune noir qui marche seul le soir dans un quartier racialisé.

La police vérifie son nom dans l'ordinateur. Il est accusé d'avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution, car il n'a pas respecté son couvre-feu. Il est mis en état d'arrestation et, à l'âge de 15 ans, il se fait fouiller à nu parce qu'il sera détenu toute la nuit pour enquête sur le cautionnement.

Il est libéré, mais enfreint de nouveau son couvre-feu. Il est de nouveau mis en état d'arrestation et fait de nouveau l'objet d'une fouille à nu. Cette fois, il est en possession de marijuana. Étant donné que sa mère travaille, elle ne peut pas le surveiller. Il demeure donc incarcéré. Le groupe de pair avec lequel il entre en contact pendant son incarcération n'est pas du type prosocial.

Comme il ne peut aller à l'école parce qu'il n'a pas les moyens de prendre l'autobus, il rate une année. Il ne pourra pas obtenir d'emplois, car une vérification du casier judiciaire pour travailler auprès de personnes vulnérables montrera qu'il a été accusé de voies de fait. Avec un peu de chance, je réussirai à le faire comparaître devant un tribunal de santé mentale, où j'obtiendrai pour lui une évaluation que sa mère n'aurait pas les moyens de payer. Il se peut qu'on diagnostique un trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention, ce qui explique pourquoi il n'arrive pas à contrôler ses impulsions, ainsi qu'une dépression, ce qui explique sa colère et sa consommation de marijuana. Malheureusement, il a maintenant pris une année de retard à l'école. Il vit toujours dans la pauvreté. Il ne fait désormais plus confiance à la police, et il est considéré comme un criminel pour avoir pris part à une bataille dans la cour d'école qui, dans notre temps, n'aurait pas fait l'objet d'une intervention policière.

Pour ces enfants, le tribunal, c'est la partie facile. Ce sont les problèmes de logement, de toxicomanie, de santé mentale et d'accès à l'éducation qui sont difficiles. Je peux vous dire que dans la majorité des cas, une fois que j'obtiens de l'aide pour mes clients, ils cessent d'être mes clients, car ils ne récidivent pas.

Mme Pomerant : Les deux principaux facteurs de risque d'emprisonnement futur — et je suis convaincue que le professeur Bala sera d'accord avec moi — sont le manque d'éducation et une incarcération antérieure. Le scénario qui vient d'être présenté correspond à la situation de notre client typique. Il ne s'agit pas d'un délinquant ayant commis une infraction grave.

Comme l'a indiqué madame Rhodes, le jeune homme ne va plus à l'école. Pour lui, les études ont perdu leur attrait. Fait intéressant, l'« accusation grave », l'accusation de voies de fait initiale, sera reléguée aux oubliettes, pour ainsi dire. Il y aura un processus de déjudiciarisation, et on lui imposera une sanction extrajudiciaire. La situation aurait probablement pu être résolue en suivant les méandres du système scolaire, mais il a perdu une année.

De plus, les statistiques nous apprennent qu'à l'échelon national, 30 p. 100 des accusations portées contre les jeunes sont des « accusations de nature administrative », c'est aussi le cas en Ontario, où elles comptent pour environ 27 ou 30 p. 100. À partir du moment où un jeune se retrouve dans le système de justice pénale en raison d'une accusation initiale, on assiste à une multiplication des accusations pour défaut de se conformer et défaut de comparution, parce que le jeune n'a pas les moyens de prendre l'autobus pour se présenter devant le tribunal. C'est ainsi que des enfants se retrouvent dans le système de justice pénale. Ils s'y retrouvent fort probablement pour avoir lancé une balle de neige ou s'être battus à l'école; ils sont placés en détention pour « défaut de se conformer ».

L'autre facteur important, c'est qu'environ 40 p. 100 des jeunes ayant des démêlés avec la justice sont des enfants en transit. Nous entendons par là que ce sont aussi des enfants qui ont été pris en charge par des organismes de protection de la jeunesse. Ils ont probablement été pris en charge avant d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale. S'ils ont été pris en charge, c'est sans doute parce qu'ils ont été appréhendés. Ils sont à risque. Ils n'ont pas à manger. Ils n'ont pas de logement. Ils errent dans les rues et, ô surprise, ils se retrouvent dans le système de justice pénale. Si l'on pouvait régler les problèmes systémiques — le logement, l'emploi, l'éducation et le soutien psychologique —, je pense que cela contribuerait fortement à éviter que les jeunes aient des démêlés avec le système de justice pénale.

Nous applaudissons les mesures qui ont été prises jusqu'ici, mais il faut en faire plus. Il faut davantage de ressources pour aider ces jeunes.

Modifier les dispositions de la mise en liberté sous caution dans la loi afin qu'il y ait une présomption contre la détention des enfants est une excellente chose. Toutefois, l'un des sénateurs a posé une question concernant la représentation. Les programmes d'aide juridique sont en difficulté. Que le problème se situe au fédéral ou au provincial, les jeunes ont besoin d'être représentés. Même si une disposition de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoit qu'il faut nommer un avocat, il n'y a pas nécessairement d'ordonnance. Les programmes d'aide juridique commencent à éprouver des difficultés financières, et ce sont les jeunes issus de minorités visibles qui en feront les frais alors qu'ils ont plus que personne besoin de représentation.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer à la vidéoconférence. Commençons par le professeur Nicholas Bala, de la faculté de droit de l'Université Queen's.

Je vous remercie d'être des nôtres. Nous sommes impatients de vous écouter, professeur Bala.

Nicholas Bala, professeur, faculté de droit, Université Queen's, à titre personnel : Je vous remercie. C'est un plaisir d'être parmi vous.

En guise d'introduction, je fais de la recherche et j'écris sur des questions concernant la justice et les jeunes, et plus généralement, le droit de la famille et la protection de l'enfance depuis environ 30 ans. J'ai travaillé à titre de bénévole auprès de jeunes contrevenants, ici, à Kingston, et j'ai siégé à des comités provinciaux cherchant à assurer la coordination des services.

Je crois qu'il est louable que le commissaire du Service correctionnel ait effectué l'étude qu'il a faite. Celle-ci est troublante, mais, à mon avis, également fort utile pour faire la lumière sur différentes questions touchant les délinquants adultes.

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et le système de justice pénale pour les adolescents soulèvent des questions distinctes, mais qui se recoupent. Soulignons que la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents, qui est vigueur depuis 2003, a grandement réduit le recours aux tribunaux et à la détention pour la majorité des jeunes contrevenants, sans qu'il y ait accroissement du taux de criminalité. Par conséquent, en ayant moins recours aux tribunaux et à la détention et davantage aux ressources communautaires on n'accroît pas la criminalité chez les jeunes. Au contraire, on a observé une légère diminution.

Cela dit, devant les tribunaux et dans les centres de détention jeunesse, il y a clairement une représentation disproportionnée de jeunes issus de minorités visibles et des Premières Nations. Comme vos questions l'ont déjà montré, il n'y a pas de données nationales ou provinciales sur la représentation des minorités visibles dans le système de justice pénale pour les adolescents. Toutefois, il existe un certain nombre d'études, surtout en Ontario et en Alberta, qui montrent clairement qu'il y a surreprésentation.

La situation est en partie attribuable à des conditions sociales mentionnées plus tôt, soit la pauvreté, la monoparentalité ou le fait d'habiter un quartier où le taux de criminalité est élevé. Un grand nombre de ces facteurs correspondent à la situation des minorités visibles et des Premières Nations. Pourtant, même en tenant compte de tous ces facteurs sociaux, la présence de ces groupes dans le système de justice pénale pour les adolescents est clairement disproportionnée. Comme on l'a dit, des recherches faites à Kingston, à Toronto et ailleurs montrent que les jeunes issus de minorités visibles sont bien plus susceptibles d'être arrêtés par la police que les jeunes qui ne le sont pas. S'ils comparaissent devant un tribunal, ils sont plus susceptibles d'être détenus et de recevoir une peine d'emprisonnement, même en tenant compte des peines et des infractions antérieures.

Il y a eu d'importantes études au Canada, surtout en Ontario, dans le rapport du juge Roy McMurtry et de M. Alvin Curling sur les causes de la violence chez les jeunes, qui se penche sur le contexte social dans lequel s'inscrit la délinquance juvénile et sur les moyens d'y remédier en ayant recours à la prévention pour les moins de 12 ans et à des interventions appropriées pour les jeunes de 12 ans et plus.

Vos questions ont souligné fort à propos que nous n'avons pas le genre de données et de recherches nécessaires pour comprendre la nature du problème ou trouver des réponses adéquates. Nous avons clairement besoin de meilleures données et d'un suivi à long terme. On a signalé que la plupart des programmes financés font l'objet d'une évaluation, mais celle-ci est à court terme. La plupart du temps, il n'y a pas de suivi à long terme sur les conséquences ou la valeur d'une intervention. Il existe bien quelques études — davantage aux États-Unis qu'au Canada — montrant que certains programmes rapportent à long terme, mais tant que nous ne pourrons pas le démontrer aux bailleurs de fonds, nous n'aurons pas le genre de service dont nous avons besoin.

Certes, vous avez parlé de services de formation. Bien qu'il s'agisse d'abord de questions de compétences provinciales, le fédéral a un important rôle à jouer dans la formation de la police, surtout la GRC, des procureurs, plus particulièrement les procureurs fédéraux responsables des poursuites en matière de drogue, et des juges quant aux questions liées à l'appartenance à une minorité visible ou à une population autochtone et au syndrome d'alcoolisation fœtale. Il y a un début de sensibilisation à cet égard, mais il faut en faire plus.

Nous avons également besoin d'un plus grand nombre de programmes bien ciblés. Certains seront plutôt fondés sur l'ethnicité ou la race et d'autres adopteront une approche communautaire, mais axée sur des groupes à plus haut risque.

Sur le plan législatif, il faut se rappeler que contrairement au droit criminel, auquel on a apporté d'importantes modifications qui ont entraîné une hausse du taux d'incarcération, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents a, heureusement, échappé jusqu'ici à ce genre de modification. Certaines modifications apportées en 2012 ont soulevé des préoccupations, mais d'autres se sont équilibrées. Pour ma part, je ne voudrais pas voir de modifications législatives entraînant un plus grand recours à la détention. Bien au contraire. À mon avis, nous ne devons pas prendre à la légère la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Jusqu'ici, nous avons obtenu un certain succès. Je crois qu'il faut nous en inspirer, en misant sur des interventions appropriées et sur un plus grand soutien des interventions communautaires.

Je vous remercie, et je suis impatient de répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie, professeur Bala.

C'est maintenant au tour de M. Siu Ming Kwok, professeur agrégé du Collège universitaire King's de l'Université Western. Je vous remercie également d'avoir accepté de vous joindre à nous à très court préavis.

Siu Ming Kwok, professeur agrégé, Collège universitaire King's, Université Western, à titre personnel : Je vous remercie de m'accueillir.

Je souhaite parler de mes recherches concernant les jeunes. Je vais parler de deux aspects : les causes de leur comportement criminel et les interventions.

Pour ce qui est des causes, j'insiste sur quatre facteurs. Premièrement, les perspectives d'avenir. Si un jeune croit qu'il n'a pas d'avenir au Canada en raison de la couleur de sa peau, il n'a pas de sentiment d'appartenance à la société. J'ai des exemples tirés de mes recherches.

Par exemple, on considère généralement que les jeunes noirs et les jeunes asiatiques sont plus susceptibles de faire partie d'un gang. Par conséquent, s'ils ont des démêlés avec la justice, on tend à les classer comme étant membres de gang, même si bien souvent, ce n'est pas le cas.

Le deuxième exemple concerne les jeunes immigrants de première et deuxième génération. Même si certains d'entre eux sont de deuxième génération, les recherches montrent que bon nombre d'entre eux n'ont pas l'impression d'avoir une place dans la société, car ils font face à une discrimination systémique à l'école et au travail, même s'ils sont nés au Canada et parlent anglais sans accent.

La deuxième partie de l'acculturation a un lien avec le stress. À vrai dire, dans la majorité des cas, les jeunes qui adoptent des comportements criminels parce qu'ils n'ont pas de repères culturels solides vivent entre deux mondes. Ils n'appartiennent pas à la société canadienne, mais ils n'ont pas non plus de construction identitaire solide dans leur culture d'origine.

Le troisième facteur concerne la possibilité de se livrer à des activités criminelles en raison de la présence de pairs indésirables dans le voisinage, qui sont peut-être des amis. Les jeunes acquièrent des savoir-faire et des intentions criminelles à force de côtoyer un milieu criminel.

Le dernier facteur a trait à l'absence de systèmes de soutien adéquats pour les jeunes, à la fois officiels et non officiels. Le système non officiel, c'est la famille et les amis, et le système officiel, ce sont des choses comme le logement et la collectivité. Ils n'ont pas accès à ce genre de services de soutien.

Pour ce qui est des interventions, je tiens à dire que la recherche offre des pratiques prometteuses comme principes directeurs pour les jeunes. On distingue notamment quatre points.

Le premier porte sur la discrimination. La littérature montre que l'on doit lutter contre la discrimination systémique dont les jeunes sont victimes. Toutes les institutions et les organisations devraient mener une vérification en matière de diversité afin de déterminer si elles ne devraient pas prendre des mesures d'adaptation à l'endroit de ce segment de la population.

Je dois cependant signaler que l'expression « jeunes issus des minorités visibles » est à utiliser avec prudence et que les interventions devraient plutôt cibler un segment bien précis de ceux qu'on désigne ainsi, car on ne peut pas tous les mettre dans le même panier. Les jeunes asiatiques n'ont pas les mêmes besoins que les jeunes noirs. Pour certains, notamment ceux d'origine asiatique, les études montrent qu'ils ont tendance à internaliser leurs problèmes, alors que dans certaines autres cultures, c'est exactement le contraire : les jeunes vont avoir plus tendance à externaliser. On ne peut donc pas proposer de solution universelle pour toutes les minorités ethniques.

L'autre chose intéressante qui ressort des études est l'origine ethnique des aidants professionnels. En fait, l'origine ethnique n'est pas un facteur déterminant. Autrement dit, si vous vous souciez des jeunes issus des minorités visibles, leurs proches vont venir vers vous. On remonte jusqu'aux employés des agences et à la question de savoir s'ils ont la formation requise — en ce qui concerne la diversité autant que la culture — pour fournir ces services aux jeunes et à leur famille.

Je tiens d'ailleurs à insister sur le facteur familial. On constate que, quel que soit leur degré d'implication dans le milieu interlope, les jeunes sont très attachés à leur famille. Il est donc important que toutes les stratégies d'intervention tiennent compte de la famille et des proches.

C'est ce qui m'amène à mon dernier point : le système de soutien, qui doit être élargi et amélioré, autant du point de vue formel qu'informel. Je pense notamment à la famille, aux amis et au réseau scolaire. La plupart n'ont pas de système de soutien digne de ce nom. Or, sans ça, ils sont plus susceptibles de récidiver, parce que, faute d'avoir les compétences requises, ils vont se retrouver au chômage.

La présidente : Merci beaucoup. Merci à vous quatre, en fait, pour vos déclarations liminaires. Nous allons maintenant passer aux questions.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de vous être déplacés.

Nous avons parlé des conditions sociales et des minorités visibles. Quand on parle de conditions sociales, parle-t-on du niveau de revenu, du niveau de scolarité et de la vie familiale? Quel rôle chacun de ces facteurs joue-t-il par rapport aux jeunes qui s'adonnent à des activités criminelles? Les études et les recherches montrent en outre qu'il y a un lien entre toxicomanie et comportements criminels. Qu'en pensez-vous? Que font les provinces pour la réinsertion sociale des jeunes? Quel rôle jouent-elles, si tant est qu'elles en aient un à jouer?

M. Bala : Je veux bien commencer, et les autres pourront ajouter leur grain de sel, puisqu'il s'agit d'une question somme toute générale.

Pour répondre directement au troisième élément, grosso modo, le système de justice pour les jeunes relève des provinces; l'aspect « administration de la justice », évidemment, mais aussi les aspects « prestation des services » et « prévention ». Un peu comme la santé et l'éducation. C'est donc différent du système correctionnel pour adultes, qui relève du fédéral. Pour les jeunes, la responsabilité revient aux provinces.

Cela étant dit, je crois que le gouvernement fédéral a un rôle très important à jouer en ce qui concerne le leadership, la sensibilisation et la mise en commun des connaissances. Je m'étonne d'ailleurs qu'on ait réduit les fonds destinés à la prévention de la criminalité. Il aurait au contraire fallu les augmenter, pour financer davantage de projets témoins et de recherches.

En ce qui concerne les relations entre les conditions sociales, la consommation de drogue et d'alcool et la criminalité, il ne fait aucun doute que tous ces facteurs sont interreliés et qu'il y a parfois même un lien de cause à effet. Tout dépend si on envisage le problème du point de vue sociétal, systémique ou individuel. Si on prend un jeune et qu'on tente de savoir pourquoi il a commis un ou plusieurs crimes, pourquoi il a récidivé et pourquoi il semble résister aux interventions, vous allez vous retrouver avec un paquet de facteurs complexes tous intimement liés. Certains jeunes ont un problème de drogue ou d'alcool sans pour autant sombrer dans la criminalité, mais on sait que ceux qui le font sont plus susceptibles d'avoir un problème de toxicomanie. Et quand elle n'est pas traitée adéquatement, la toxicomanie contribue à faire augmenter les risques de criminalité ou de récidive. C'est la même chose pour les jeunes qui ont été élevés dans un foyer monoparental ou dans un quartier mal famé et pour les jeunes qui ont des difficultés d'apprentissage, un syndrome d'alcoolisme fœtal ou des problèmes neurologiques : tous ces facteurs influent sur les comportements criminels.

Plus généralement, et je crois que M. Kwok en a parlé, chaque jeune doit faire l'objet d'une évaluation individuelle de ses problèmes — contexte, famille, école, entourage — afin de déterminer la meilleure façon d'intervenir. Chaque jeune a ses besoins et ses problèmes, et chacun a besoin d'une stratégie d'intervention différente.

Je crois que ce que disait M. Kwok concernant la famille, les proches — et particulièrement les parents seuls —, l'école, l'éducation et la réinsertion sociale, est extrêmement important. Nous avons besoin d'interventions intégrées et complexes pour lutter contre la criminalité chez les jeunes.

Il ne s'agit pas seulement de lutter contre la criminalité chez les jeunes, il faut aussi songer aux effets économiques. Si nous pouvons intervenir auprès des jeunes, les aider à trouver du travail et à devenir des citoyens productifs qui vont payer leurs impôts, la société s'en portera beaucoup mieux que s'ils se retrouvent continuellement devant les tribunaux et vivent à ses crochets.

M. Kwok : J'aimerais ajouter quelque chose. Oui, il y a une corrélation entre toxicomanie et criminalité, mais il faut quand même être prudent, parce que, selon nous, ce n'est qu'un symptôme. Nous nous intéressons davantage aux problèmes sous-jacents, à savoir les problèmes familiaux. Il est tout à fait possible d'aborder les problèmes de toxicomanie non pas dans une perspective de criminalité, mais de santé.

Il peut très bien s'agir après tout d'un symptôme révélateur d'un problème sous-jacent, comme un problème familial, de logement ou d'emploi. Il faut donc être prudent.

Pour ce qui est des solutions, eh bien, disons que c'est très complexe. Il faut adopter une approche intégrée. On ne peut pas cibler un seul symptôme, comme la toxicomanie. Il faut y aller de manière plus globale, intervenir à plusieurs niveaux auprès de la famille et l'entourage afin de pousser le jeune à réintégrer la société.

Le sénateur Meredith : Merci encore à vous tous pour vos déclarations liminaires.

Madame Rhodes, je tiens à vous remercier de ce que vous faites pour les jeunes. J'ai embrassé la cause des jeunes il y a déjà une douzaine d'années, et je suis très actif dans la région de Toronto concernant la lutte contre la violence chez les jeunes et la sensibilisation à ce phénomène. Maintenant, en tant que sénateur, j'aimerais amener la discussion à un autre niveau et envisager le problème d'un point de vue pancanadien, que ce soit à Surrey, en Colombie-Britannique, à North Preston, en Nouvelle-Écosse, ici à Ottawa ou encore à Montréal. C'est important que nous comprenions les problèmes que nos jeunes doivent surmonter.

Premièrement, je tiens à vous remercier tous les quatre d'avoir reconnu qu'il y a actuellement des problèmes systémiques. Les témoins qui vous ont précédés voyaient les choses différemment, et c'est quelque peu troublant, parce que, selon moi, s'il y a un problème, il faut en prendre conscience avant de pouvoir le régler et actuellement, il y a bel et bien des problèmes systémiques.

Avez-vous produit des énoncés de politique, des propositions de changements ou des recommandations concernant les jeunes et la défense de leurs droits?

Madame Pomerant, vous faites ce métier depuis 25 ans, et je suis sûr que vous devez être fatiguée de parler pour dire aux gens qu'il faut que ça change. J'aimerais aussi avoir votre point de vue.

Madame Rhodes, pourriez-vous commencer par nous dire ce que vous avez fait pour conscientiser la population aux problèmes que connaissent ces personnes, faute de ressources, qu'il s'agisse du logement, de la santé, de l'éducation, de l'économie ou de l'emploi? Selon le rapport de l'enquêteur correctionnel, la proportion de minorités visibles et de Noirs dans le système de justice pénale est plus élevée ici qu'ailleurs. Je serais curieux que vous me disiez si, à votre avis, il y a un problème systémique.

Mme Rhodes : Oh oui, il y a un problème systémique. Ce qu'il y a de frustrant dans le métier d'avocate, c'est que je dois essentiellement y aller un client à la fois. Je rencontre un client, et quand il est parti, j'en rencontre un autre. Je peux quand même vous parler des initiatives qui marchent bien et du rôle que j'y ai moi-même joué.

Parmi les tribunaux spécialisés qui se trouvent au 311, rue Jarvis, à Toronto, il y en a un qui se spécialise dans les jeunes ayant des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie; il y en a aussi un qui se spécialise dans les jeunes Autochtones. Dans tous les cas, des travailleurs sociaux peuvent se réunir pour discuter des problèmes auxquels ces jeunes sont confrontés. Et l'instauration de tribunaux spécialisés qui vont s'occuper uniquement d'eux s'est révélée très efficace, parce qu'il est alors possible de les inscrire à des programmes de santé mentale ou de lutte contre les dépendances, deux problèmes qui vont souvent de pair. Bien des jeunes déterminent eux-mêmes quels médicaments ils doivent prendre. Or, en combinant les traitements aux tribunaux spécialisés, on peut obtenir de bien meilleurs résultats. Dans la plupart des cas, à partir du moment où le tribunal est capable — et c'est là que j'entre en scène — de faire tomber les accusations ou de les modifier, les soutiens sont déjà là, et le jeune a le soutien dont il a besoin.

Une fois qu'on met le pied dans le système de justice pénale, on n'est rien d'autre qu'un verdict : coupable ou non, et tout s'efface, y compris les problèmes criminels. Il faudrait davantage de tribunaux spécialisés pour mieux répondre aux besoins des jeunes.

Mme Pomerant : Je crois que nous pouvons changer les choses un jeune à la fois. Nous pouvons par exemple appuyer les organismes que vous financez, comme la fondation Second Chance, à Toronto, qui intervient directement auprès des jeunes à risque. Nous avons assisté à la remise des diplômes de bon nombre d'entre eux. C'est inspirant de voir tout ce qu'on peut faire, quand le soutien est là.

Nous n'avons pas vraiment le temps de rédiger des articles, mais nous continuons de nous faire entendre et de réclamer plus de ressources pour ces jeunes, parce que ce n'est pas en les privant d'un emploi, de soutien, de conseils et de structures qu'on va les empêcher de commettre des crimes. Au contraire, nous allons les mener droit à la déchéance et au désespoir et les pousser droit dans les bras des gangs.

C'est ce que nous faisons au quotidien. Et nous avons besoin de plus de ressources pour aider ces jeunes.

Mme Rhodes : Mme Pomerant en a parlé brièvement : tous les mercredis, je fais du bénévolat dans le sous-sol de l'église de Regent Park avec un organisme appelé Passeport pour ma réussite, qui reçoit du financement du gouvernement fédéral. Je vous en remercie, soit dit en passant. Il s'agit d'un excellent programme qui cible plus particulièrement les jeunes des communautés racialisées.

Quand je n'aide pas ces jeunes à faire leurs devoirs de mathématiques, je passe beaucoup de temps à les aider à rédiger leur curriculum vitae. Encore la semaine dernière, j'en aidais un à faire une demande de bourse d'études. C'est de ça que les jeunes ont besoin : d'espoir et d'un moyen de s'en sortir.

C'est l'un des programmes les plus gratifiants auxquels j'ai pris part.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup.

Monsieur Bala, plus tôt aujourd'hui, le directeur général de la Prévention du crime, à Sécurité publique Canada, nous a parlé de l'importance des recherches fondées sur les faits éprouvés. Vous-même, vous avez dit que, pour montrer que les programmes en la matière fonctionnent bien, il faut que les recherches soient fondées sur des faits éprouvés.

Si je prends l'exemple du domaine de la santé — parce que c'est celui que je connais le mieux —, je sais que des investissements ont été faits dans les études à long terme visant à évaluer les programmes d'intervention spécialisés, et tout se fait en partenariat : secteur public, secteur privé, milieu universitaire; tout le monde a un immense rôle à jouer. Vu l'importance des recherches fondées sur des faits éprouvés, pourriez-vous nous dire comment nous pourrions transposer ces programmes dans le domaine de la justice pour les jeunes?

M. Bala : Je crois que le modèle de la santé, l'étude au moyen de groupes témoins, serait impossible à transposer tel quel dans le système de justice pour les jeunes, mais nous pouvons certainement faire des projets pilotes dans un quartier et ajouter un groupe témoin. Je crois que c'est absolument essentiel et qu'il faut penser à long terme.

Nous avons déjà commencé. Par exemple, le projet Partir d'un bon pas, qui est actif dans plusieurs régions de l'Ontario, suit divers jeunes pendant 10 ans et préconise l'intervention précoce. Et ça marche.

Cela étant dit, il faut aller beaucoup plus loin. Je crois que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer et — avec tout le respect que je dois aux témoins qui nous ont précédés — je crois que ce n'est pas assez de suivre les jeunes pendant la durée de tel ou tel programme. Il faut que le suivi se poursuive après, afin d'évaluer les effets à long terme. Malheureusement, certains programmes ne semblent donner des résultats que sur une brève période, et il n'y a aucun suivi à long terme.

L'autre chose dont il faut prendre conscience — et le sujet a déjà été abordé —, c'est le potentiel d'émulation. Certains programmes fonctionnent bien, mais ce n'est pas nécessairement à cause du programme lui-même, mais plutôt de la manière dont il est géré ou parce que les responsables ont réussi à attirer un porte-parole charismatique ou doué avec les jeunes. Ce n'est pas le programme lui-même qui est une réussite, ce sont ceux qui le représentent. Il faut chercher à reproduire ces programmes avant de les transplanter ailleurs.

Je crois qu'il y a beaucoup à faire sur le plan de la recherche, du suivi et de la diffusion des résultats. Le gouvernement fédéral a un rôle très important à jouer. Il a fait les premiers pas, mais il a encore beaucoup de pain sur la planche.

La sénatrice Hubley : J'aimerais poser la question suivante à Emma Rhodes. Vous nous avez brossé un portrait chronologique de la situation, et nous en sommes à l'étape des accusations. Vous avez parlé de refus d'obtempérer, d'incarcération pour la nuit, de fouille à nu, et cetera, puis de détention. De quoi parle-t-on, au juste? Et où? Dans un centre jeunesse?

Le système de justice pour les jeunes connaît-il les mêmes arrérages que le système pour adultes connaît quelques fois?

J'aimerais ajouter que vous faites un boulot du tonnerre. Y a-t-il d'autres gens comme vous, ailleurs au pays?

Mme Rhodes : En ce qui concerne la détention, il y a deux types d'établissements pour les jeunes. Il y a d'abord les centres de garde en milieu ouvert, qui ressemble à un gros foyer familial. Il n'y a pas de cellules, et les jeunes prennent part à la vie de quartier. Puis il y a les centres de garde en milieu fermé, qui sont l'équivalent d'une prison, mais pour les jeunes.

Dans la région torontoise, le centre de jeunes Roy McMurtry, de Brampton, accueille par exemple les jeunes de sexe masculin. C'est un problème, parce que, si leurs proches habitent à Toronto, comment font-ils pour venir leur rendre visite? S'ils n'ont pas accès à une voiture et qu'ils se retrouvent en détention, ils sont coupés de leurs parents. Il ne leur reste plus que le groupe d'antisociaux qui sont en détention avec eux. Disons que l'effet peut être assez néfaste.

En ce qui concerne les arrérages, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoit justement que, pour les jeunes, la sentence — ou je ne sais trop comment on dit dans leur cas à eux — doit être prononcée très peu de temps après l'infraction, parce que c'est ainsi que fonctionne le cerveau des jeunes. Pour un jeune, un an, c'est une éternité. Il faut que les conséquences se manifestent peu de temps après l'infraction. Les choses bougent donc plus rapidement, mais on parle quand même d'un délai de six, huit, voire neuf mois. Et dans l'esprit d'un jeune, c'est encore très long.

J'aimerais que ce soit plus court. Pour nous, six, sept ou huit mois, ce n'est pas très long, mais pour que le cerveau du jeune fasse la connexion entre le geste posé et la conséquence, ça peut s'avérer problématique. Après huit mois, il est passé à autre chose, et nous savons bien, à voir aller nos propres ados, que pour eux, huit mois et l'éternité, c'est la même chose.

Pour ce qui est du reste du pays, comme je pratique seulement à Toronto, mon expérience se limite à ma région.

La sénatrice Hubley : Avez-vous parfois affaire à des cas de détention provisoire? Arrive-t-il que les jeunes soient mis en détention provisoire?

Mme Rhodes : Oui.

La sénatrice Hubley : Sont-ils détenus dans les mêmes conditions que les adultes?

Mme Rhodes : Tout dépend de la catégorie dans laquelle les classe le Service correctionnel du Canada, qui choisit entre la détention en milieu ouvert ou fermé.

Le sénateur Eggleton : J'aimerais parler de ce que fait le gouvernement fédéral — et de ce qu'il devrait faire. Parmi les témoins précédents, les représentants de Justice Canada nous ont parlé du Fonds du système de justice pour les jeunes et du Programme de financement des services de justice pour les jeunes, alors que celui de Sécurité publique Canada nous a parlé de la Stratégie nationale pour la prévention du crime.

J'aimerais savoir si ces programmes sont efficaces, et dans quelle mesure? Répondent-ils à des besoins réels? Sont-ils financés adéquatement? Dans la négative, s'agit-il d'un cas où il faudrait en doubler, voire en tripler le financement? J'aimerais avoir une idée du manque à gagner qu'accusent ces programmes.

Aussi, en ce qui concerne les domaines non couverts par ces programmes, j'aimerais que vous me signaliez deux ou trois éléments qui, selon vous, devraient figurer parmi les priorités du gouvernement fédéral en matière de programmes, qu'il s'agisse de prévention ou de la place des jeunes dans le système.

Et plus particulièrement en ce qui concerne les minorités visibles... je sais que ces programmes sont destinés aux jeunes en général, qu'ils fassent partie des minorités visibles ou pas, mais comme la réunion d'aujourd'hui porte sur la surreprésentation des minorités visibles, j'aimerais que vous nous disiez ce que nous devrions faire de plus pour répondre aux besoins de ces derniers. Je sais que c'est une grosse question, mais j'aimerais savoir ce que le gouvernement fédéral, puisque c'est lui que nous représentons, peut faire de plus.

M. Bala : Votre question porte sur plusieurs aspects, et l'un d'eux nous ramène justement au rôle que le fédéral doit jouer. Selon moi, le fédéral doit essentiellement s'occuper de financer adéquatement les projets témoins pouvant être reproduits ailleurs au pays. Il doit les trouver, les financer, puis les évaluer à long terme. Je m'inquiète, parce qu'on est loin de consacrer assez d'argent à la prévention. Pourtant, il s'agit à mon avis d'un investissement à long terme pour la société.

Selon une étude ontarienne, menée dans le cadre du projet Partir d'un bon pas pour un avenir meilleur, et plusieurs autres provenant des États-Unis, les sociétés qui investissent très tôt dans des programmes efficaces pour enfants et adolescents à risque en sortent financièrement gagnantes à long terme. Pour ce qui est des programmes moins efficaces, c'est à ce moment-là que le suivi et la diffusion de l'information deviennent importants.

J'aimerais revenir sur un autre sujet, parce qu'il est très important. Je veux parler du nombre de jeunes pris en charge par l'État et vivant dans un foyer d'accueil administré par les provinces qui risquent de se retrouver un jour devant les tribunaux. Mme Rhodes y a fait indirectement allusion lorsqu'elle parlait des enfants et des jeunes qui vivent dans un foyer d'accueil et qui sont surreprésentés dans le système de justice pour les jeunes, notamment à cause du grand nombre d'accusations dont ils font l'objet. Il s'agit certainement d'un aspect qui mérite toute notre attention, car pour le moment, nous sommes loin d'en faire assez.

Quelqu'un a parlé du tribunal pour toxicomanes de Toronto, de celui pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale et de celui pour les Autochtones. Ils sont tous très importants. Il ne faudrait pas non plus oublier les jeunes qui appartiennent à plusieurs catégories.

Nous pouvons en faire beaucoup plus. Avec tout le respect que je vous dois, je recommanderais au gouvernement fédéral d'accroître le leadership dont il a fait preuve jusqu'ici dans certains de ces domaines.

Mme Pomerant : Le financement est insuffisant, puisque bien des secteurs ne reçoivent rien. Bon nombre de programmes ne sont pas — comment dire — adaptés à la réalité culturelle. Tant que nous n'aurons pas réglé les problèmes systémiques, rien ne changera.

À l'époque où je pratiquais en Alberta — et je dois dire que les taux d'incarcération ont beaucoup diminué —, quelque chose comme 90 p. 100 des 250 détenus étaient des Autochtones. Le centre pour jeunes délinquants d'Edmonton compte actuellement 80 jeunes, et 97 p. 100 d'entre eux, en date de ce matin, sont Autochtones. Aucun programme adapté à leur réalité culturelle ne leur était offert, et rien ne les attendait à leur sortie. J'ai cru comprendre que rien n'a changé depuis. J'ai parlé à mon ancien travailleur social, ce matin, et il me disait qu'il ne pouvait pas me parler longtemps parce qu'il devait aller porter de l'eau douce à la réserve et qu'il devait rencontrer deux fillettes qui sont tombées enceintes à 11 ans.

Il pourrait y avoir beaucoup plus d'argent pour la prévention, l'éducation, la consultation, les soutiens communautaires destinés aux mères seules et aux chefs de famille monoparentale, qui bien souvent sont des immigrants de première génération qui ne parlent ni anglais ni français et qui ne peuvent pas faire pression sur l'école du quartier pour qu'elle accepte leurs enfants. À mon humble avis, à partir du moment où un enfant quitte le réseau scolaire, on peut considérer qu'il est perdu. Il faut plus d'argent dans ce secteur-là. Qui, du fédéral ou des provinces, est responsable de quoi et comment les responsabilités sont-elles partagées? Les témoins qui nous ont précédés avaient quelques réponses, mais rien pour aider les jeunes. Or, ils en ont bien besoin.

M. Kwok : J'aimerais dire deux choses. En ce qui concerne le rôle du gouvernement fédéral, il y a deux choses qu'il peut faire. Premièrement : montrer l'exemple côté financement. On ne sait presque rien des comportements criminels des jeunes issus des minorités visibles. Il faut des recherches poussées si on veut comprendre ces jeunes et déterminer les programmes qui les serviraient le mieux. Il s'agit pour la plupart de programmes d'aide sociale. Mais ne pourrait-on pas mettre davantage l'accent sur la prévention, avant qu'ils ne se retrouvent devant les tribunaux? Nous devons en faire plus et créer un programme sur mesure pour eux.

Vient ensuite la question de la mise en œuvre. Il faut insister sur le fait que, lorsqu'un jeune commet un acte criminel dans son quartier, chaque cas est unique. Il n'y a pas de solution universelle. Il faut y aller au cas par cas. Le gouvernement fédéral devrait donc miser sur la collaboration et la concertation avec les gouvernements provinciaux et les administrations municipales pour lutter contre la criminalité et les gangs locaux. Chaque localité a ses forces et ses faiblesses, et chacune est différente de la précédente.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Meredith : Si on revient aux études sur l'aliénation et les jeunes issus des minorités visibles, comme les jeunes Noirs, et les différentes cultures qui façonnent le paysage canadien, pourriez-vous me dire ce qu'il faudrait que nous fassions pour que nos jeunes sentent qu'ils font partie intégrante de la société canadienne? Parmi les programmes dont parlaient les premiers témoins, y en aurait-il un, ou une stratégie d'intervention ou que sais-je, qui nous permettrait de redonner espoir aux jeunes? Comment faire en sorte que nos jeunes contribuent à la société au lieu de s'en détacher?

M. Kwok : Premièrement, il faut penser à long terme.

La présidente : Puis-je vous demander de patienter un petit instant, monsieur Kwok? La sénatrice Ataullahjan va poser sa question, et vous pourrez alors répondre aux deux.

La sénatrice Ataullahjan : Croyez-vous que la prévention est la seule façon de lutter contre la criminalité? Le gouvernement ne doit-il pas sanctionner durement les comportements criminels?

M. Kwok : Il y a deux questions. La première porte sur l'aliénation. À long terme, il faut lutter contre la discrimination systémique dont les jeunes sont victimes. Il faut leur redonner espoir et élargir leurs horizons. Je veux dire par là que les jeunes ont besoin de modèles, à l'école comme sur le marché du travail. Ils doivent pouvoir s'identifier à quelqu'un. Et il n'y a rien comme un modèle pour les inspirer. Comme je le disais plus tôt, nous allons recommander que tous les organismes, établissements scolaires et autres se soumettent à une vérification sur le plan de la diversité et qu'ils prennent ensuite des mesures pour répondre aux besoins de ces populations-là.

À commencer par leurs besoins pédagogiques, il va sans dire. Par exemple, dans certaines cultures, l'éducation occupe une place prédominante. Même si les enfants qui en sont issus sombrent dans la criminalité, leurs parents vont tout faire, vraiment tout, pour les ramener à l'école dite « normale ». Car pour eux, cela équivaut à réintégrer la société. Nous devons donc leur donner les moyens d'y parvenir.

Pour ce qui est de la deuxième question, sur le processus, c'est clair qu'il faut consacrer plus d'argent à la prévention. Selon de nombreuses recherches sur les comportements criminels, il est plus efficace d'intervenir auprès d'une personne avant qu'elle ne commette un crime qu'une fois qu'elle a mis le pied dans le système de justice pénale. Il faut financer davantage de recherches et de programmes afin d'empêcher ces gens de ne jamais entrer en contact avec le milieu interlope. Car une fois qu'ils y sont, c'est très difficile de les en faire sortir, et les programmes et études nécessaires pour leur venir en aide sont plus onéreux.

M. Bala : Pour ce qui est de la prévention, notamment auprès des enfants — je reviens toujours au programme ontarien Partir d'un bon pas —, nous avons constaté qu'il est socialement avantageux d'investir dès le niveau préscolaire et le primaire, car les enfants s'intègrent mieux au réseau scolaire, les jeunes filles sont moins susceptibles de tomber enceintes et les jeunes en général risquent moins de commettre un crime. Alors, oui, la prévention est vraiment importante.

Vous savez, il a beaucoup été question d'intervention aujourd'hui. À partir du moment où un jeune commet un crime, que fait-on? Je crois que c'est une question de responsabilités et de conséquences. Les policiers ont un rôle à jouer, comme les tribunaux, mais la sénatrice demandait si on ne devait pas sanctionner durement les jeunes criminels.

Nous avons lancé une vaste initiative nationale — j'ai presque envie de parler d'une « expérience » — qui a eu pour résultat de faire baisser considérablement le nombre de jeunes qui se sont retrouvés devant les tribunaux ou en détention et de faire augmenter les interventions communautaires. Cette initiative a coïncidé avec une réduction du taux de criminalité chez les jeunes, pour ne pas dire qu'elle en a été la cause directe.

On n'arrivera à rien en mettant plus de jeunes en détention. Les faits l'ont démontré, ici comme ailleurs dans le monde. Les interventions dont je parle ciblent directement les problèmes que vivent les jeunes. Quelqu'un disait tout à l'heure que, parmi les côtés négatifs de la détention, il y a le fait que les jeunes sont coupés de leur foyer, de leur école et de leur entourage pour être envoyés on ne sait où.

Et même s'ils se comportent bien durant leur détention, une question demeure : comment faire pour qu'ils réintègrent vraiment la société et deviennent des citoyens efficaces et productifs? Car une fois qu'on les coupe de la société, c'est nettement plus difficile de les y réintégrer.

Vous nous avez demandé de parler des programmes efficaces. Eh bien, les programmes les plus efficaces sont ceux qui ciblent la famille et l'entourage. Et c'est encore mieux s'ils comportent des volets « culture » et « loisirs ».

Je ne dis pas qu'il ne doit pas y avoir de conséquences. Dans certains cas, le service communautaire peut s'avérer indiqué; il peut aussi y avoir dédommagement des victimes, et il devrait certainement y avoir une probation. Mais ce qui est important, c'est de chercher à changer le comportement de ces jeunes. En se contentant de les enfermer, on tombe dans une certaine facilité. Et en plus de ne pas être la solution la plus efficace, c'est coûteux.

La présidente : Je tiens à vous remercier tous et toutes pour la discussion que nous avons eue aujourd'hui. Vous nous avez donné de quoi alimenter notre réflexion.

Monsieur Bala, nous allons méditer longuement sur votre dernière phrase. Chose certaine, elle saura guider nos réflexions.

Merci encore d'avoir pu vous libérer à aussi court préavis.

Nous accueillons maintenant Catherine Latimer, de la Société John Howard du Canada. Catherine est une habituée de notre comité, et de bien d'autres comités du Sénat. Soyez la bienvenue.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : C'est un grand plaisir pour moi d'être ici.

La Société John Howard du Canada est un organisme sans but lucratif dont la mission consiste à appuyer des interventions efficaces, justes et humaines pour s'attaquer aux causes et aux conséquences de la criminalité. La société est composée de 60 bureaux de première ligne un peu partout au pays qui offrent des programmes et des services en appui à une réintégration des délinquants en toute sécurité dans nos collectivités et à la prévention de la criminalité. Nous offrons nos services à tous ceux qui en ont besoin, peu importe leur race, leur religion, leur âge, leur orientation sexuelle, leurs antécédents criminels ou autres.

Les services que nous offrons varient selon les besoins des clients. Dans certains cas, comme aux Territoires du Nord-Ouest, nos clients sont surtout issus des Premières Nations; dans les centres urbains, ils proviennent de toutes sortes de milieux ethniques. Nous offrons des services de prévention aux jeunes et à ceux qui ont eu des démêlés avec la justice.

Je vous remercie de m'avoir aussi gentiment invitée à venir vous parler du système de justice pour les jeunes et des minorités visibles. Certains groupes sont surreprésentés au sein du système de justice pour les jeunes, personne ne dira le contraire. Je pense entre autres aux Premières Nations, aux Noirs, aux hommes, aux anciens pupilles de l'État, aux pauvres, aux personnes ayant des problèmes de santé mentale ou des déficits cognitifs, à celles qui ont subi un traumatisme crânien, aux victimes de violence et j'en passe. Le comité s'intéresse aujourd'hui à la surreprésentation des jeunes issus des minorités visibles au sein du système de justice pour les jeunes.

J'aurais cru que les témoins précédents vous auraient fourni tout un paquet de données, mais pour en avoir écouté quelques-uns, j'ai cru comprendre que ce n'était pas le cas. J'aimerais simplement attirer votre attention sur un article paru dans le Star du 1er mars 2013 : « Unequal justice : Aboriginal and black inmates disproportionately fill Ontario jails ». On y apprend qu'il y a cinq fois plus de garçons autochtones de 12 à 17 ans dans les centres ontariens pour jeunes; qu'il y a quatre fois plus de garçons noirs de 12 à 17 ans dans les centres ontariens pour jeunes; et qu'il y a 10 fois plus de filles autochtones dans les centres ontariens pour jeunes. Les filles noires, étonnamment, n'y sont pas surreprésentées.

Je crois qu'il est important de bien comprendre les statistiques si on veut savoir de quoi on parle. Je viens de vous donner une idée de ce qui se passe en Ontario, mais je crois que la situation est complètement différente dans certaines autres provinces.

Nous souhaitons tous mettre le doigt sur une solution magique, mais hélas, les antécédents, la pauvreté et la marginalisation marquent bon nombre de ces jeunes pour la vie. Les taux élevés d'incarcération chez les jeunes sont symptomatiques de plus vastes problèmes sociaux et économiques, et nous ferions erreur en assumant que, pour tout régler, il suffit de réformer le système de justice pour les jeunes.

Si nous voulons changer la vie de ces jeunes, nous devons envisager trois types bien précis de changements, ou phénomènes. À commencer par les politiques sociales et économiques.

Les inégalités doivent être aplanies. Si un groupe donné s'embourbe dans la pauvreté sans jamais avoir l'espoir d'en sortir et de contribuer un jour concrètement à la société, c'est alors que les comportements sociaux négatifs, dont la violence et la criminalité, font surface. Quoi qu'il ait pu arriver pour que certains groupes, communautés ou familles du Canada aient pu se retrouver prisonniers de la pauvreté, nous devons paver la voie afin de leur donner l'espoir qu'ils peuvent — et qu'ils vont — s'en sortir.

Comme vous l'ont appris certains renseignements que vous avez déjà reçus, on sait aujourd'hui que les enfants des nouveaux arrivants sont en fait sous-représentés dans le système de justice pour les jeunes, et c'est seulement quand les jeunes voient qu'ils sont condamnés à rester en bas de l'échelle toute leur vie et ne voient aucune issue que le piège des générations les pousse vers la criminalité.

C'est ce qui m'amène au deuxième grand volet : la prévention de la criminalité. Tout le monde sait qu'au Canada, les jeunes issus de certaines communautés sont à risque. Je dois préciser qu'avant d'occuper les fonctions de directrice générale de la Société John Howard du Canada, j'étais directrice générale du Groupe de la politique en matière de justice applicable aux jeunes, au ministère de la Justice, alors c'est probablement pour ça que j'en sais plus que ce à quoi on pourrait tout d'abord s'attendre.

Lorsque la Loi sur le système de justice pour les jeunes est entrée en vigueur — et je précise qu'à l'origine, cette loi devait miser sur le milieu, et non sur le système de justice, pour régler les problèmes des jeunes —, nous nous demandions sérieusement si certaines communautés autochtones pourraient y arriver. Nous craignions de faire augmenter la proportion de jeunes délinquants Autochtones si nous ne fournissions pas une certaine forme de soutien aux communautés autochtones afin de les aider à aider elles-mêmes leurs jeunes.

Nous avons fait des prévisions. Nous avons calculé le nombre de jeunes autochtones qui étaient alors en détention. Nous avons communiqué avec toutes les provinces et leur avons demandé de compter le nombre de jeunes des Premières Nations qui étaient dans leur communauté un jour donné. D'où venaient-ils? Où étaient-ils le jour où ils ont commis l'infraction à cause de laquelle ils étaient en détention? Où envisageaient-ils de retourner à la fin de leur peine?

Nous avons obtenu des données intéressantes sur la proportion de jeunes des Premières Nations au sein du système de justice pour les jeunes et sur les endroits où les jeunes étaient les plus susceptibles de sombrer dans la criminalité. Ce ne sera sans doute pas une surprise pour certains, mais nous avons appris que c'était dans les grands centres de l'Ouest, et plus particulièrement à Winnipeg, que les jeunes étaient le plus susceptibles de se retrouver en détention.

Nous avons donc lancé un projet à Winnipeg dans le cadre duquel un aîné qui avait travaillé en milieu carcéral et un agent de police ont fait un excellent travail. Ils ont fait jouer tous leurs contacts dans le milieu. Au bout du compte, le nombre de jeunes des Premières Nations qui se sont retrouvés devant les tribunaux a diminué considérablement, tout ça parce que nous avons renforcé leurs capacités et misé sur les sources connues des problèmes. Je voulais vous en parler, parce qu'il s'agit d'un exemple positif.

J'ai trouvé particulièrement intéressant de pouvoir discuter avec certains de ces enfants et jeunes qui viennent d'une communauté à risque. Si ce n'est déjà fait, je vous invite à faire de même. Vous pourriez être surpris. J'ai entre autres été saisie de voir que, la première chose qu'ils demandaient, c'est qu'on les mette en sécurité. Ces jeunes se sentent en danger dans leur communauté. Et si nous assumons aussitôt que le danger vient de la communauté en tant que telle, les jeunes nous disent au contraire qu'ils se perçoivent eux-mêmes comme étant à risque de devenir violents. On ne peut pas rester les bras croisés quand on entend des choses comme ça.

Il est essentiel de déterminer les problèmes de chaque jeune, la communauté dont il est issu ainsi que les problèmes qui lui sont propres. Comment mettre en place les structures de soutien qui sont le plus susceptibles de répondre aux besoins de ces jeunes, de leur donner espoir et les convaincre qu'ils peuvent survivre, qu'ils peuvent surmonter les obstacles qui se dressent sur leur chemin et qu'ils peuvent se débarrasser des influences négatives qu'ils subissent dans leur communauté?

La prévention est capitale, mais elle ne doit pas se résumer au seul financement des programmes. Voici un article paru le 26 février 2014. Il s'intitule « After Decades of Spending, Minority Youth Still Overrepresented in System », et on y apprend que les États-Unis ont passé leurs programmes de prévention en revue. Cet article nous donne une bonne idée des ressources nécessaires pour produire des résultats intéressants. Ça aussi, c'est capital.

Il faut s'inspirer de ce qui fonctionne. Il faut essayer des choses, et il faut s'inspirer de ce qui fonctionne.

La troisième catégorie correspond aux points forts et aux faiblesses du système de justice pour les jeunes en tant que tel.

Il faut particulièrement se méfier des stéréotypes négatifs qui peuvent circuler dans le système. Je crois d'ailleurs que le sujet a déjà été abordé par d'autres avant moi. Parmi les gens qui vivent dans la pauvreté, il y en a beaucoup plus qui ne commettent aucun crime qu'il y en a qui en commettent un. C'est facile de tomber dans les stéréotypes, surtout raciaux, car il peut alors arriver ce que décrivaient les témoins précédents, c'est-à-dire que les personnes qui sont issues de ces communautés seront davantage ciblées et traquées par les services policiers.

Nous devons aussi nous assurer que les outils d'évaluation des besoins et des risques et autres programmes diagnostics sont impartiaux.

Il arrive souvent que les mécanismes destinés à évaluer les risques — et c'est tout à fait révélateur de la place qui leur est accordée dans le système de justice pour les jeunes — ne soient pas adaptés à la réalité culturelle de certains jeunes ou aux risques culturels s'y rapportant. Il faut donc faire bien attention à ces outils d'évaluation des risques et des besoins.

Je vous donne un exemple. Je sais qu'il n'est pas vraiment question des détenus adultes aujourd'hui, mais c'est surtout à eux que j'ai affaire. Voici un exemple typique de question qui est posée dans le but d'évaluer les risques et les besoins d'un détenu donné : Combien de temps passez-vous avec votre famille? Il va sans dire que les personnes incarcérées passent beaucoup moins de temps avec leur famille. Elles obtiennent donc un score très peu élevé. C'est la même chose pour les jeunes qui ne restent plus chez leurs parents parce qu'ils sont en pension ou quelque chose du genre. Ça aussi, il faut en tenir compte.

Il est important de traiter tous les jeunes comme des personnes à part entière et de trouver des peines ou des plans de réinsertion adaptés à leurs besoins et à leur milieu. Pour bien des jeunes issus des minorités visibles, les options à connotation culturelle ont particulièrement la cote. Je pense entre autres à des leçons de batterie ou de musique rap, aux huttes de sudation et autres solutions du genre. Certains autres vont plutôt favoriser les outils classiques de réinsertion et de réadaptation, comme le logement, l'emploi et l'éducation. D'autres encore vont préférer un mélange des deux.

Il est très important d'évaluer les besoins de chaque jeune qui a maille à partir avec le système de justice, de l'écouter et de chercher à trouver une solution qui lui convienne.

Nous n'avons pas encore parlé des thérapies traumatologiques, mais elles sont de plus en plus populaires. Elles peuvent d'ailleurs s'avérer intéressantes pour les jeunes qui vivent dans un milieu à risque particulièrement élevé. Bon nombre d'entre eux ont été exposés à beaucoup de violence — certains ont vu leurs amis se faire tirer dessus et mourir — et les traumatismes sont fréquents. Les interventions qui ciblent les traumatismes subis par les jeunes sont incroyablement efficaces.

Je crois que c'est une possibilité que nous devrions envisager dans l'avenir.

En conclusion, notre société doit composer avec la surreprésentation de certains groupes au sein du système de justice. Aujourd'hui, nous nous intéressons surtout à la surreprésentation des jeunes issus des minorités visibles, mais pour agir de manière juste et efficace, nous devons nous attaquer aussi aux problèmes sociaux et économiques sous-jacents qu'éprouvent ces jeunes et les communautés dont ils font partie, car le lien avec le taux de criminalité est direct. Le système de justice pour les jeunes devrait être utilisé avec parcimonie, et il devrait être totalement exempt de discrimination.

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents parle de pratiques culturelles pertinentes, de solutions de rechange, de détention et de réinsertion. Ces solutions devraient être envisagées pour les jeunes qui s'y intéressent. L'éventail des possibilités inexplorées est très impressionnant.

Merci.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup, c'était excellent.

Je crois moi aussi que nous devons nous attaquer aux causes sociales et économiques sous-jacentes, comme la pauvreté, les inégalités, le logement, l'emploi, l'éducation, et cetera. J'aimerais cependant commencer par parler des programmes actuellement en vigueur; j'ai posé les mêmes questions aux témoins précédents. Parmi le premier groupe de témoins, les représentants du ministère de la Justice ont parlé du Fonds du système de justice pour les jeunes et du Programme de financement des services de justice pour les jeunes. Le représentant de Sécurité publique Canada, lui, a plutôt parlé de la Stratégie nationale pour la prévention du crime.

Y a-t-il des aspects de ces programmes qui vous semblent particulièrement utiles, ou efficaces? Y a-t-il des aspects qui ne sont actuellement pas couverts, mais qui, selon vous, devraient l'être? Dites-nous si le financement des programmes que le gouvernement fédéral offre par l'entremise de ces deux ministères est adéquat. Et c'est sans oublier les problèmes sociaux et économiques sous-jacents.

Finalement, que pensez-vous du problème de données? Comment devrions-nous nous y prendre, selon vous, pour le régler?

Ces programmes sont principalement offerts aux jeunes à risque, d'accord, mais nous nous concentrons sur les minorités visibles. Quoi qu'il en soit, je pense qu'il faut mieux comprendre les données sur les jeunes pour mieux justifier leurs besoins en matière de programmes.

Mme Latimer : Je commencerai par les données. Il ne serait pas déraisonnable de demander au ministère de la Justice de recueillir les données dont vous avez besoin. D'expérience, je peux vous dire qu'il y a des coûts associés aux profils instantanés d'une journée, liés au temps que passent les responsables provinciaux à recueillir les données. Mais dès qu'elles sont recueillies, c'est le ministère de la Justice qui traite les données. Le nombre de jeunes sous garde a beaucoup diminué, je pense donc que vous pourriez obtenir des réponses assez rapidement.

Un certain nombre de programmes fonctionnent bien. Le défi consiste à faire en sorte qu'ils soient évalués. Le Fonds du système de justice pour les jeunes était censé s'intéresser aux programmes novateurs. Certains d'entre eux auraient dû fonctionner et d'autres pas. Beaucoup d'entre eux ont été financés et ont fini par dépasser nos attentes.

Il y en a un qui, selon moi, n'allait pas s'avérer utile, sauf pour ce qui est de nous aider à comprendre quoi éviter à l'avenir; le programme consistait à apprendre l'art dramatique aux jeunes susceptibles de se joindre à un gang. Le programme s'est avéré un succès. Je ne sais pas exactement pourquoi; peut-être leur a-t-il donné l'occasion de s'éloigner du rôle qu'ils ont acquis dans la société et de trouver d'autres façons d'agir.

Il est important d'essayer d'évaluer ces programmes et de communiquer les données sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

En tant qu'organisme communautaire, nous tentons de mettre en commun, avec toutes les Sociétés John Howard au Canada, les renseignements sur les programmes qui fonctionnent afin qu'ils puissent être repris ailleurs ou que l'on se penche de plus près sur les formules qui marchent dans divers domaines. Nous avons notamment eu du succès avec les programmes visant les jeunes à risque élevé; nous offrons de les loger et de les appuyer en vue de leur réinsertion sociale dans la collectivité. Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire.

Il suffit de parler aux ados en détention — ce qui, soit dit en passant, est important lorsqu'on met au point des programmes pour les aider — pour apprendre que si seulement il y avait eu un adulte dans leur vie capable de leur donner des conseils, ça aurait fait toute la différence. C'est pourquoi je m'intéresse tout particulièrement aux programmes de mentorat et de soutien par les pairs. Les jeunes personnes qui sont passées par des moments difficiles mais qui s'en sont sorties ont beaucoup à apprendre aux jeunes en difficulté; elles savent ce qu'ils éprouvent, et peuvent leur donner espoir.

Selon la Société John Howard, pour remettre sur le droit chemin les jeunes qui ont des démêlés avec la justice, il faut intervenir dans les domaines suivants : l'éducation, le logement, les problèmes de santé mentale et la toxicomanie. Essentiellement, toute personne a besoin d'aide à ces niveaux-là afin de pouvoir réintégrer la société. C'est la même chose pour les jeunes.

Le sénateur Eggleton : Et le programme de prévention du crime, a-t-il besoin de plus d'argent?

Mme Latimer : Il bénéficierait beaucoup d'une grande infusion de ressources.

Il y a un excellent conseiller — qui travaille, sauf erreur, pour le gouvernement de l'État du Washington — qui effectue une analyse coûts-bénéfices des programmes, dont les programmes de prévention du crime et les programmes d'intervention, qui lui permet d'affirmer les économies potentielles à réaliser sur le long terme pour chaque dollar des contribuables investi. Il est indéniable que les investissements effectués dans les programmes de prévention du crime entraînent une réduction des coûts des services de police, des services correctionnels et de l'administration de la justice à l'avenir.

Le sénateur Eggleton : Avons-nous une étude équivalente pour le Canada?

Mme Latimer : Non, mais il serait intéressant d'en faire une.

La seule initiative que j'ai vue qui s'en rapproche s'intéresse à l'itinérance. Il y a un lien entre la criminalité et l'itinérance. On a tenté d'établir un lien entre la création de logements sociaux et les économies réalisées grâce à la réduction du nombre de visites aux salles d'urgence et les économies au sein du système de justice. Le logement nous permet de réaliser des économies considérables.

Il faudrait vraiment s'intéresser à ces grands modèles d'établissement des coûts.

Le sénateur Meredith : Merci beaucoup pour votre témoignage, qui nous montre bien les deux côtés de la médaille. Vous semblez très bien informée.

Vous avez parlé de pratiques fondées sur les traumatismes. Dans ma région du Grand Toronto, j'ai été témoin de plusieurs incidents, et il semble que les communautés de minorités visibles ne reçoivent pas autant d'aide pour les homicides commis dans les quartiers de maisons en rangée, les églises, les centres d'achat. Il semble qu'on n'intervienne pas dans ces quartiers. Pourriez-vous nous parler de ce qu'il faudrait faire pour aider les jeunes qui éprouvent de telles situations traumatisantes?

Mme Latimer : Vous avez mentionné — c'était « l'Année des fusils » ou « l'Été des fusils »?

Le sénateur Meredith : En 2005, oui.

Mme Latimer : À l'époque, les trois ordres de gouvernement intervenaient en réponse à de telles tragédies. C'était très prometteur; on pouvait mobiliser le soutien nécessaire pour aider ces communautés et habiliter les dirigeants communautaires à exprimer leurs préoccupations. Maintenant, il nous faut une infusion de ressources pour y parvenir.

Pour ce qui est des pratiques fondées sur les traumatismes, je pense à un jeune du quartier de Jane et Finch que j'ai rencontré. Je pense qu'il s'appelait Devon Jones. J'ignore si vous le connaissez; il travaille pour le conseil scolaire d'une des communautés qui éprouve de gros problèmes de gangs. Il parlait du fait que les actes de violence commis avec une arme à feu à l'endroit d'un des élèves traumatisent tous les élèves.

Je ne vois pas comment ce pourrait être autrement. La dernière chose que l'on veut, c'est que ces jeunes soient blessés. Idéalement, ils pourraient composer avec ce traumatisme dans un milieu sûr, et l'on pourrait prendre des mesures pour qu'ils continuent de se sentir en sécurité et qu'ils guérissent.

Si les jeunes trouvent que la seule façon de se sentir en sécurité est d'avoir recours à un gang, c'est la mauvaise réponse. Il faut songer à ce qui motive les jeunes à se joindre à un gang. Je pense que c'est en grande partie le désir de mitiger le risque personnel qu'ils ressentent. On pourrait beaucoup accomplir en s'attaquant à ces problèmes sous-jacents qui, selon moi, sont particuliers aux jeunes dans de telles circonstances. Je ne dis pas que d'autres communautés n'ont pas de problèmes, mais je ne pense pas que ces mêmes circonstances se retrouvent ailleurs au Canada.

Le sénateur Meredith : Parlez-moi encore du travail que vous effectuez pour le Service correctionnel du Canada avec les délinquants qui approchent la fin de leur peine. Que faites-vous avec eux lorsqu'ils sont toujours à l'intérieur? Je suis curieux d'en connaître davantage sur les programmes offerts.

Vous avez parlé du manque de ressources et du fait que l'intervention est plus rentable que l'incarcération. Nous savons qu'elle est environ cinq fois plus rentable. Mes chiffres ne sont peut-être pas très précis, mais nous savons qu'il est plus coûteux d'incarcérer quelqu'un que de le soumettre à des interventions à l'extérieur.

Mme Latimer : Tout à fait.

Le sénateur Meredith : Parlez-moi des programmes qui aident les gens. À mon avis, il faut apprendre aux gens les aptitudes à la vie quotidienne et les éduquer lorsqu'ils sont à l'intérieur si on souhaite vraiment les réadapter. Ces personnes qui ont des démêlés avec la justice, les témoins qui ont comparu avant vous nous ont dit qu'elles ont une éducation insuffisante. Que fait-on à l'intérieur pour toucher la vie de ces gens?

Mme Latimer : Là aussi, j'estime qu'on n'en fait pas assez. Ce n'est probablement pas ce que vous voulez entendre.

En termes du nombre de délinquants, le nombre de jeunes diminue et le nombre d'adultes augmente. Cela ne signifie pas nécessairement que le nombre d'infractions a augmenté, mais plutôt que les peines purgées sont plus longues. Lorsqu'on prétend sévir à l'égard de la criminalité, on finit par réduire les ressources dont disposent les établissements carcéraux fédéraux pour offrir des services favorisant la réinsertion sociale. Idéalement, on veut que les détenus respectent leur plan correctionnel et puissent ainsi apprendre les compétences sociales et atteindre un niveau de bien-être psychologique et physique nécessaire afin de pouvoir contribuer à la société.

Ils devraient être graduellement mis en liberté tout en bénéficiant d'un soutien et d'une surveillance à mesure qu'ils font la transition difficile de la prison à la collectivité, souvent la même collectivité où leurs problèmes ont commencé.

À mon avis, les jeunes bénéficient d'une intervention différente. L'éducation est un facteur plus important pour eux, car souvent, leurs études ont été perturbées et ils sont toujours à un âge où ils peuvent rattraper leur retard.

Je constate que beaucoup des jeunes qui se retrouvent dans le système carcéral pour jeunes ont des problèmes sous-jacents, comme une déficience cognitive, un trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention, un trouble du spectre de l'alcoolisation fœtale ou encore des traumatismes crâniens ou des problèmes de santé mentale. Il y a beaucoup de questions à poser dans l'élaboration d'une bonne stratégie en réponse aux problèmes d'une personne en particulier. Il faut prendre la peine de cerner ses problèmes.

Pour les jeunes, les approches axées sur les forces ont tendance à mieux fonctionner. On a beau leur donner toute une liste de choses à faire et à ne pas faire, il faut vraiment se concentrer sur leurs forces et les développer. Il faut développer leur estime de soi afin de leur permettre de surmonter leurs problèmes et contribuer à leur avenir.

La sénatrice Ataullahjan : Quels sont les crimes que commettent le plus souvent les jeunes hommes et les jeunes femmes, et quel est le taux d'accusations portées comparativement au recours à d'autres interventions officielles? Quel rôle jouent les parents? Quelle est l'importance du rôle des parents?

Mme Latimer : Vous soulevez de très bonnes questions. Je pourrais sûrement vous trouver les chiffres que vous demandez. Peter Carrington, de l'Université de Waterloo, a fait de l'excellent travail statistique dans les services policiers de première ligne et le système de justice pour adolescents; il pourrait certainement vous parler du pouvoir discrétionnaire qu'exercent les agents de police de première ligne.

Pour ce qui est des crimes que commettent les jeunes, je pense que les témoins qui ont comparu plus tôt avaient tout à fait raison de souligner le nombre d'infractions liées à l'administration de la justice. Les jeunes qui se retrouvent sous garde ont de fortes chances de commettre de telles infractions. La perpétration d'une infraction grave avec violence donne lieu à un placement sous garde, tout comme la perpétration d'une infraction liée à l'administration de la justice, ou encore le manquement aux conditions de la mise en liberté sous caution ou de la probation.

Il va falloir que vous corroboriez indépendamment, mais certains font valoir que ces conditions sont conçues de manière à condamner certains jeunes à l'échec. Par exemple, il est arrivé qu'on mette un jeune des Premières Nations en liberté à condition qu'il ne vive pas dans une maison ou l'on consomme de l'alcool, sachant fort bien que ses parents sont des alcooliques. Ainsi, le fait de vivre au seul endroit où il peut vivre constitue un manquement aux conditions de la mise en liberté, l'amenant à être placé à nouveau sous garde. Il faut se pencher de près sur ce problème. En général, les jeunes sous garde ont commis des infractions liées à l'administration de la justice ou bien des infractions contre les biens.

La sénatrice Ataullahjan : Le rôle de la surveillance parentale : Nous parlons du rôle de la société et des gouvernements fédéral et provinciaux, mais quelle est la responsabilité de la famille?

Mme Latimer : La famille constitue un élément de protection important pour les jeunes qui ont des démêlés avec la justice. Par exemple, les mères pauvres qui élèvent leurs enfants seules travaillent très fort. Elles ont souvent deux ou trois emplois, ce qui veut dire qu'elles ne peuvent pas toujours être là pour leurs enfants lorsqu'ils rentrent de l'école. On se retrouve dans de telles situations problématiques lorsque les gens se démènent pour joindre les deux bouts et finissent par ne pas être là pour leurs enfants.

Dans certaines communautés dysfonctionnelles, le problème systémique est lié à la toxicomanie dans les familles, qui les empêche d'offrir l'aide et le soutien nécessaire aux enfants.

Les services d'aide à l'enfance ne s'acquittent pas de leur rôle parental exactement de la même manière. Bon nombre de jeunes personnes qui se retrouvent dans des familles d'accueil ou sous la garde des organismes de protection de la jeunesse après avoir été enlevées de leur famille reçoivent un appui parental ou familial insuffisant. En général, ces jeunes sont surreprésentés dans le système de justice car ils n'ont pas, pour diverses raisons, bénéficié d'un soutien familial idéal.

La présidente : Vous avez l'avantage d'avoir travaillé pour le système de justice avant d'occuper le poste que vous occupez actuellement.

J'ai été plutôt déçue par les témoins du ministère de la Justice et de Sécurité publique Canada, car ils se sont contentés de se vanter des programmes qu'ils offraient, sans parler de la grande complexité du problème. Ils s'occupent des jeunes après qu'ils aient eu des démêlés avec la justice, mais il y a également la question de la prévention; j'ai été très déçue qu'ils n'aient pas parlé de la discrimination systémique qui perdure. Je ne me souviens pas de l'abréviation qui revient souvent, mais nous savons tous qu'un jeune noir peut être arrêté tout simplement parce qu'il conduit une voiture de luxe. C'est arrivé aux enfants de personnes bien connues. Ça peut arriver n'importe où au pays, pas seulement dans certains quartiers. J'aimerais que vous nous parliez de ça.

Il y a clairement un parti pris au sein du système. C'est un problème de discrimination systémique. Les deux avocats qui ont témoigné plus tôt ont parlé de certains cas où, même quand les chefs d'accusation graves sont retirés, le jeune contre qui ces chefs avaient été portés finit par prendre un an de retard à l'école. Pouvez-vous nous parler du problème de la discrimination systémique?

Mme Latimer : Certainement. Les documents des Nations Unies sur les droits des enfants affirment qu'il ne devrait y avoir aucune discrimination au sein du système de justice pour adolescents. Personne ne souhaite que des stéréotypes ou des préjugés négatifs soient propagés ou que la discrimination systémique perdure au sein du système de justice. C'est pourquoi la statue de la justice a les yeux bandés. Il est censé être impartial et objectif et s'intéresser seulement aux faits.

Il n'est pas évident de trouver une solution au problème. Il faudrait savoir si on a recours ou non au profilage, une autre question assez délicate. La difficulté, c'est que beaucoup de jeunes qui sont traqués viennent de quartiers où la criminalité est monnaie courante. Quand la police déploie des efforts particulièrement musclés dans ces quartiers, elle pense qu'elle fait son travail. Mais il demeure qu'elle doit avoir des motifs raisonnables d'agir, et la couleur de la peau n'est pas un motif suffisant pour arrêter quelqu'un.

C'est extrêmement complexe. D'autres facteurs plus subtils ont un effet négatif sur les gens pauvres aux ressources limitées; l'avocate de la défense en a parlé. Je parle du nombre de jeunes personnes qui sont incapables de verser un cautionnement et qui restent en détention préventive parce que leur famille n'a pas les moyens de les sortir de là. C'est un grave problème. Ces jeunes sont plus susceptibles de plaider coupable et ont plus de chances d'être reconnus coupables.

Bien que nous ayons réussi à réduire le nombre de jeunes purgeant une peine de prison, beaucoup de gens dans le milieu qui se sont penchés sur les chiffres trouvent la réduction du nombre de jeunes en détention préventive insuffisante. Le problème persiste. Je suis prête à parier n'importe quoi que les jeunes en détention préventive sont en grande partie des noirs ou des jeunes issus des Premières Nations.

La présidente : Avant d'entamer une étude, nous recevons des notes d'information nous donnant un aperçu de la situation. Il y a un document que j'ai lu cette fin de semaine qui m'a dérangée; j'aimerais vous en citer quelques passages rapidement :

Les noirs sont plus susceptibles d'être amenés au poste, d'être gardés en garde à vue pour la nuit, d'être maintenus en détention avant le procès [...]

... et les conditions.

De nombreux cas ont permis de relever un préjugé racial au sein du système de justice.

Il est question de la surreprésentation disproportionnée de noirs en détention avant le procès.

[...] [elle] semblerait plutôt reposer — dans une grande mesure — sur le type d'information sur lequel la Couronne et le juge de paix se fondent quand ils examinent le cas au cours de la séance de libération sous caution. Outre les facteurs légalement pertinents, ces auteurs ont conclu que plus l'évaluation morale d'un accusé par la police est négative, plus il est probable que ce dernier soit gardé en détention.

Ce n'est pas moi qui parle. Je cite l'étude.

Étant donné que la police tend à fournir plus d'évaluations négatives de la personnalité pour les personnes de race noire que les personnes d'autres groupes raciaux/ethniques, ce facteur semblerait expliquer (au moins en partie) la proportion plus élevée de détenus de race noire [...].

Il y a d'innombrables études de ce genre. Mon souci, c'est que si on ne nomme pas le problème, on ne pourra pas s'y attaquer. Les deux premiers témoins qui représentaient notre système de justice et de sécurité publique ne pouvaient même pas en parler; si on ne le nomme pas, comment peut-on s'y attaquer?

Mme Latimer : Il ne fait aucun doute que les facteurs qui contribuent aux décisions que prennent les responsables dans le système — ils devraient être tenus responsables de ce qu'ils ont constaté et des décisions qu'ils prennent. Pour régler le problème, il faudrait commencer par recueillir de l'information sur les raisons pour lesquelles ils prennent les décisions qu'ils prennent, que l'on peut en quelque sorte cibler en fonction de la nature des résultats. Mais la situation est très complexe, et il n'est pas évident d'y remédier.

Le sénateur Meredith : Merci, madame Latimer. J'apprécie beaucoup votre perspective en la matière.

Le professeur Kwok nous a parlé de l'aliénation et du désespoir. Pour votre part, vous avez dit que le système est conçu de manière à condamner les jeunes à l'échec, ce qui contribue à leur stigmatisation.

Quelles sont, aux yeux de votre organisation, les trois principales recommandations que vous formuleriez pour répondre au problème dont a parlé la présidente, nommément les obstacles systémiques auxquels les minorités visibles, surtout les jeunes, sont confrontées?

Je suis désolé de vous mettre ainsi sur la sellette. Si vous êtes en mesure de répondre à la question, allez-y, ou sinon vous pourriez nous soumettre votre réponse par écrit. Nous avons rédigé tant de rapports, mais il semble que le problème persiste.

Le BEC a publié un rapport affirmant que les détenus de race noire ont une fois et demie plus de chances d'être gardés en isolement, sachant qu'ils ne vont pas commettre de nouvelle infraction, que leurs besoins sont moindres, et cetera. Ces chiffres sont alarmants. Il faut commencer à changer les choses.

Votre organisation a-t-elle formulé des recommandations, étant donné la perspective très équilibrée que vous avez grâce au fait que vous avez vu les choses des deux côtés? Vous avez travaillé au sein du système, et vous travaillez maintenant à l'extérieur du système pour aider les gens à retrouver un sentiment de normalité. Pour moi, les paroles ne suffisent pas. J'estime qu'il faut agir et faire bouger les choses, ou encore amener les ministères à prendre les bonnes décisions.

La question est complexe; j'estime néanmoins qu'il faut commencer quelque part. Avez-vous trois, cinq ou sept recommandations essentielles à nous communiquer? Sans vouloir trop vous demander, j'en prendrais autant que vous en avez.

Mme Latimer : Je suis persuadée qu'il faut le plus possible garder les enfants à l'écart du système de justice. Celui-ci entraîne de très mauvaises associations chez les jeunes. Entre autres choses, il nuit à leur estime de soi.

Ma première recommandation serait d'adopter des programmes de prévention du crime efficaces et taillés sur mesure ciblant les communautés à risque ou les jeunes à risque. Les gens n'aiment pas parler d'enfants à risque, mais ceux qui travaillent dans ces communautés savent qu'ils existent.

Le sénateur Meredith : Ils sont en situation de crise. Un pourcentage des jeunes est en situation de crise.

Mme Latimer : Effectivement. Ces enfants demandent désespérément de l'aide; ils en ont besoin. On peut les aider à se rapprocher de leurs objectifs en les mettant en contact avec des mentors et en les aidant à comprendre leurs forces et à trouver des moyens de les mettre en valeur afin qu'ils puissent trouver un emploi. C'est selon moi l'essentiel : aider chaque enfant individuellement. Il faut compter ses victoires un enfant à la fois; il faut bien commencer quelque part avant d'obtenir des résultats. Je commencerais dans certaines communautés données. Je m'intéresserais également aux pupilles de l'État.

Il est important de reconnaître que les enfants qui deviennent des problèmes récurrents pour le système de justice ne sont pas les durs, mais bien ceux qui se sentent seuls, marginalisés et aliénés. Ils sont nombreux dans le système de protection de l'enfance; j'estime qu'il faut mettre toutes sortes de mesures de soutien à leur disposition. La prévention est essentielle.

La deuxième chose que vous devriez faire est de travailler avec les travailleurs de première ligne du système de justice afin de changer certaines notions préconçues en les laissant exercer leur pouvoir discrétionnaire, en leur montrant d'autres types de programmes et en éloignant les enfants du système de justice, leur proposant plutôt des programmes qui leur permettront de développer leurs forces. Ce sera beaucoup plus utile à long terme que de les faire passer par le système de justice.

Après « l'Année des fusils » à Toronto, nous nous sommes réunis avec les gens des communautés affectées, comme les agents de police et même les jeunes eux-mêmes. C'est mon gestionnaire de programme qui a organisé le tout; il a déployé de grands efforts pour les intégrer tous. Les agents de police étaient assis d'un côté, et les jeunes de l'autre. Mon Dieu, le terrain d'entente était pratiquement inexistant.

Après une journée de discussions, les gens ont commencé à voir les choses d'un œil nouveau. Les agents de police ne comprenaient pas les jeunes, et les jeunes ne comprenaient pas les agents de police. L'hostilité et la méfiance étaient à couper au couteau. Il faut s'efforcer de travailler beaucoup plus avec les agents de police de première ligne. Leur travail, c'est de faire en sorte que les gens dans ces communautés, y compris les jeunes, se sentent en sécurité. Ils ne vont pas tous se retrouver dans un gang. La plupart d'entre eux ont peur, et je pense que la police doit faire des efforts pour le comprendre. Je pense donc qu'il est essentiel de faire intervenir la communauté et de travailler avec les agents de police sur le terrain.

Je pense qu'il y a vraiment moyen d'adopter des approches davantage adaptées sur le plan culturel pour aider les jeunes qui ont des démêlés avec la justice. J'aimerais vraiment qu'on trouve des moyens de faire en sorte qu'ils ne se retrouvent pas sous garde, dans la mesure du possible.

La sénatrice Seidman : Ma question se rapporte justement à ce que vous avez dit à propos de la prévention et de la façon dont les jeunes et les agents de police se sont comportés durant la séance d'une journée à laquelle ils ont assisté. Il se trouve que l'Association des chefs de police de l'Ontario a lancé sa campagne de prévention du crime de 2014. Elle a publié un livret d'information sur la prévention du crime dont se serviront les services de police dans l'ensemble de l'Ontario pour promouvoir les initiatives locales de prévention du crime. Ma question pour vous est la suivante : À votre avis, quel est le rôle de la police dans la prévention du crime?

Mme Latimer : C'est une question intéressante que vous posez. Lorsque nous avons commencé à travailler dans le secteur de la justice pour les jeunes, nous donnions des prix aux agents de police dont les activités reflétaient l'esprit de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Beaucoup d'agents de police font vraiment de l'excellent travail. Ils ne sont pas du tout opposés à l'idée de jouer une partie de hockey-balle avec les jeunes du quartier. Ils aiment ça, surtout les agents de police qui font des patrouilles à pied dans ces communautés.

C'est un des objectifs clés de la GRC également, et c'est quelque chose à encourager; je suis heureuse que les chefs de police encouragent eux aussi les activités de prévention du crime.

Il y a d'énormes différences dans les façons dont les communautés voient la police. Dans mon quartier, on nous disait toujours que si on se perdait, il fallait trouver un agent de police. On nous apprenait que ces hommes étaient là pour nous servir et nous protéger et qu'ils seraient toujours disposés à nous aider si on avait des problèmes. Ailleurs, ce n'est pas la même chose; il y a beaucoup d'hostilité et d'antagonisme.

Je trouve cela très encourageant. Les chefs de police ont le mérite d'encourager les jeunes agents de police à travailler avec les jeunes.

La présidente : Merci beaucoup pour votre témoignage. Voilà qui met fin aux témoignages pour aujourd'hui.

Il nous reste encore des questions à régler à huis clos, mais la question du budget doit être traitée ouvertement. Vous avez le budget devant vous. On reçoit toujours beaucoup de demandes pour notre rapport sur la cyberintimidation; on demande donc la permission d'encourir des frais de messagerie de 200 $ et des frais d'impression de 7 000 $. Comme vous le savez, nous passons seulement à l'impression lorsqu'on reçoit une demande, pas avant; en l'occurrence, le nombre de demandes est si élevé que le montant que nous demandons l'est également. Bien évidemment, nous ne dépenserons pas d'argent inutilement. Y a-t-il des questions au sujet du budget?

Le sénateur Eggleton : Je propose la motion.

Des voix : D'accord.

La présidente : Merci. Procédons maintenant à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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