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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 4 - Témoignages du 24 mars 2014


OTTAWA, le lundi 24 mars 2014

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, bienvenue à la sixième réunion de la deuxième session de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

[Français]

Le Sénat a confié au comité la tâche d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'échelle internationale. Je m'appelle Mobina Jaffer, je suis sénatrice de la Colombie-Britannique et présidente du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

[Traduction]

Bienvenue à tous. Nous sommes heureux aujourd'hui. Nous accueillons trois bons groupes de témoins venus discuter d'un sujet très important. Avant que nous commencions, je vais laisser les autres membres du comité se présenter, et c'est la vice-présidente, la sénatrice Ataullahjan qui commencera.

La sénatrice Ataullahjan : Je suis la sénatrice Salma Ataullahjan, et je représente Toronto, en Ontario.

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l'Ontario.

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l'Alberta.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto.

[Français]

La présidente : À sa réunion du 2 décembre 2013, le comité a convenu d'obtenir une note d'information concernant les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, les pays et la sécurité et sur les mesures prises par le Canada à ce sujet depuis qu'il a annoncé son plan d'action en octobre 2010.

[Traduction]

Je veux commencer par souhaiter la bienvenue à nos premiers témoins, qui représentent Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada. Avant de vous laisser présenter vos exposés, j'aimerais dire à Mme Buck et à Mme Wiseman que j'ai le bonheur de rencontrer des femmes de partout dans le monde. Je veux vous dire que votre travail sur la résolution 1325 est utile. Je vous en félicite.

Je veux également remercier les représentants du ministère de la Défense nationale : la sous-ministre adjointe, politiques, Mme Sinclair; et le commandant adjoint du Centre de formation pour le soutien de la paix, le major Sylvester. Je suis très heureuse de votre présence également. Mme Sinclair et moi avons beaucoup travaillé en Israël — 13 tables rondes en Israël et en Palestine —, et je sais que vous êtes au courant du travail accompli au sujet de la résolution 1325.

Lorsque vous retournerez dans vos ministères respectifs, j'aimerais que vous disiez aux gens qui y travaillent que nous les remercions de faire une différence dans la vie des gens, en particulier les membres des forces armées. Lorsque je voyageais avec les forces armées au Soudan, je disais toujours qu'après une dure journée, la plupart des gens retournent à leur caserne ou à leur hôtel. Nos hommes et nos femmes retournent construire des orphelinats. C'est pourquoi nous sommes fiers du travail que vous accomplissez au nom du Canada pour sauver des vies partout dans le monde.

Allez-y, s'il vous plaît.

Kerry Buck, directrice politique et sous-ministre adjointe, Sécurité internationale, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Bonjour, je vous remercie de l'occasion qui nous est offerte de fournir aux membres du comité une mise à jour sur les récentes activités du MAECD visant la promotion du rôle des femmes dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales et dans la mise en œuvre du Plan d'action national du Canada — le Plan d'action du Canada pour la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité —, que j'appellerai le PAC.

Comme vous le savez, nous avons fusionné les fonctions des affaires étrangères, du commerce et du développement, qui sont maintenant intégrées au nouveau ministère des Affaires étrangères. Je suis ravie aujourd'hui de m'exprimer au nom du ministère, avec le soutien de ma collègue au développement, Gloria Wiseman, qui est directrice du Développement humain et de l'égalité entre les sexes. Elle pourra répondre en détail à vos questions sur le développement.

Vous savez également que le gouvernement a déposé devant le Parlement les deux premiers rapports annuels du plan d'action, pour les exercices financiers 2011-2012 et 2012-2013, et les deux rapports sont affichés sur le site web du MAECD. Il s'agit d'une étape très stimulante pour nous. Elle représente un engagement public à l'ouverture, à la transparence et à la responsabilité et c'est pour nous une occasion importante de présenter notre travail et de souligner le rôle moteur que joue le Canada.

Je veux signaler au passage que les membres du groupe collaborent sur les enjeux des droits des femmes depuis le dernier millénaire, depuis plus de deux décennies, et que nous collaborons aussi avec des membres du comité. Lorsque je dis que nous sommes ravis de pouvoir en discuter, c'est la réalité, et c'est également vrai sur le plan personnel.

Je vais parler tout d'abord de la défense des intérêts. Les activités du MAECD visant la promotion du rôle des femmes dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales et dans la prévention de la violence sexuelle sont entreprises dans le cadre du rôle de premier plan que joue le gouvernement à l'échelle internationale dans l'avancement des droits de la personne et du bien-être des femmes et des filles. Nous sommes des chefs de file concernant les enjeux liés aux femmes, à la paix et à la sécurité; la prévention de la violence sexuelle liée aux conflits; la lutte contre l'impunité; ainsi que la prévention du mariage des enfants, du mariage précoce et du mariage forcé ainsi que la promotion de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants. Madame la présidente, le rôle prépondérant du Canada est reconnu et je vous remercie de l'avoir mentionné au début de la séance.

Je vais vous donner des exemples du rôle de premier plan que joue le Canada, mais également des changements importants survenus à l'échelle internationale qui peuvent aider le comité à orienter ses travaux. En avril dernier, le ministre Baird et ses collègues du G8 ont adopté, à Londres, la Déclaration sur la prévention des violences sexuelles dans les conflits, qui a été signée par les chefs du G8 au sommet de Lough Erne. Le Canada a aussi coparrainé la résolution 2106 du Conseil de sécurité à l'ONU, en juin. Cette résolution ajoute des définitions opérationnelles plus détaillées aux résolutions antérieures sur la prévention de la violence sexuelle, et réitère que les États membres et entités des Nations Unies doivent s'impliquer davantage pour lutter contre l'impunité à l'égard de ces crimes. Dans le cadre de la séance du Conseil des droits de l'homme à Genève, également en juin, le Canada a dirigé l'élaboration de la résolution sur l'élimination de la violence contre les femmes, qui contient des termes clairs sur la prévention de la violence sexuelle dans les conflits. En septembre, dans le cadre de l'Assemblée générale de l'ONU, le ministre Baird a présenté avec d'autres collègues la Déclaration d'engagement en vue de mettre fin à la violence sexuelle en période de conflits, qui, à ce jour, a été signée par 137 États membres de l'ONU.

[Français]

J'aborderai maintenant la question des pays sources de préoccupations récentes. Nous avons également abordé le bien-être des femmes et des filles dans certaines situations préoccupantes. Par exemple, en décembre dernier, le Canada a coparrainé à Genève une table ronde sur le rôle des Syriennes dans la résolution de la crise. Cette activité a réuni des femmes et des hommes représentant la société civile syrienne, dont M. Lakhadar Brahimi et d'autres parties intéressées, pour faire ressortir le rôle positif que peuvent remplir les femmes syriennes dans le processus de paix syrien. Le Canada s'est engagé à verser 353,5 millions de dollars en aide humanitaire pour répondre aux besoins des gens touchés par la crise en Syrie, dont des femmes et des enfants.

En réaction à la situation préoccupante en République centrafricaine en décembre dernier, l'ambassadeur du Canada à l'ONU, à Genève, a convoqué une réunion de haut niveau faisant intervenir les États et d'importantes agences humanitaires internationales afin d'attirer l'attention sur le sort des civils dans la RCA, y compris des femmes et des enfants, et de prévoir des interventions appropriées. La promotion et la protection des droits des femmes et des filles en Afghanistan, par exemple, demeurent une priorité pour le Canada. Des exemples de notre programmation à cette fin comprennent notre soutien de 9,5 millions de dollars de 2011 à 2014 à la Commission indépendante des droits de la personne en Afghanistan, faisant du Canada son plus important donateur.

En Afghanistan, également, il y a un projet très intéressant qui a produit des résultats phénoménaux. Nous avons contribué à la création du tout premier et remarquable centre d'appel pour le soutien familial.

Nous avons beaucoup parlé de la nécessité pour le gouvernement afghan de mettre en œuvre la Loi sur l'élimination de la violence contre les femmes et de garantir qu'il n'y ait aucun compromis aux droits durement acquis par les femmes afghanes. Le ministre Baird et la ministre d'État Yelich ont fait des déclarations à cet effet en février dernier.

La puissante plaidoirie du Canada auprès des Nations Unies a permis de renforcer le libellé ayant trait à la protection des droits des femmes dans les résolutions sur l'Afghanistan.

[Traduction]

Mesdames et messieurs les membres du comité, je vais dire quelques mots sur les programmes. Je veux également parler de certains pays pour mettre en évidence, comme je l'ai dit, non seulement le rôle de premier plan que nous jouons, mais également ce qui résulte du travail que nous et d'autres acteurs sur la scène internationale effectuons sur les enjeux concernant les femmes, la paix et la sécurité.

Le gouvernement travaille à promouvoir le rôle des femmes et à prévenir la violence sexuelle dans les situations de conflit et d'après-conflit, dans le cadre de programmes en partenariat avec des pays et organisations non gouvernementales qui ont la capacité et l'expérience qu'il faut pour faire la différence dans ce domaine.

Par exemple, en Colombie, le Canada a appuyé la formation de 300 procureurs de l'État, professionnels spécialisés et conseillers au procureur général pour la mise en œuvre de la nouvelle politique du pays en matière de poursuite. Des conseils techniques sont également fournis au Bureau de l'ombudsman sur la façon de traiter les femmes victimes africaines et autochtones en tenant compte de leurs coutumes et du rôle des femmes au sein de ces sociétés marginalisée en Colombie.

Dans le cadre de ses interventions en matière de développement, le Canada a versé 165 millions de dollars au cours de l'exercice 2012-2013 afin de s'attaquer aux problèmes liés aux femmes, à la paix et à la sécurité, incluant les activités liées aux droits de la personne et à l'aide humanitaire.

Je vous donne un dernier exemple avant de conclure. Dans les régions frontalières de la Birmanie, l'appui du Canada permet aux femmes d'exercer un rôle de premier plan dans les communautés et de promouvoir une plus grande inclusion des femmes en matière de droits des femmes. Par conséquent, la représentation des femmes dans des postes importants est passée de 22 p. 100 en 2009 à 41 p. 100 en 2013 dans les organisations ethniques de la société civile.

Mesdames et messieurs les membres du comité, ce sont des exemples de cas où nos programmes, nos efforts diplomatiques et notre leadership ont fait une différence sur le terrain. Il y a d'autres exemples. J'aimerais terminer mon exposé en vous donnant un aperçu de nos plans pour la tenue de l'examen à mi-parcours du plan d'action actuel.

Le plan d'action, que nous avons terminé en 2010, reconnaît la nature dynamique des situations de conflit et la nécessité de répondre aux besoins changeants et de tirer des leçons. Le changement durable est un travail à long terme.

L'examen s'appuie sur l'expérience et les leçons des trois dernières années, y compris les deux rapports déjà publiés, et il recommandera tout changement nécessaire permettant de veiller à ce que les mesures et les indicateurs demeurent pertinents pour notre travail dans les situations de fragilité et de conflit. L'examen inclura des consultations avec les intervenants canadiens, et les résultats de l'examen seront inclus dans le prochain rapport du plan d'action pour l'exercice financier 2013-2014.

Je vous remercie. C'est avec plaisir que mes collègues et moi répondrons à vos questions. Auparavant, ma collègue du ministère de la Défense nationale, Mme Sinclair, vous présentera son exposé.

La présidente : Avant de céder la parole à Mme Sinclair, je veux souligner que la sénatrice Andreychuk vient de se joindre à nous. Elle est membre du comité depuis longtemps, et je suis ravie de voir que Mme Bennett, qui est porte- parole en matière de condition féminine, est parmi nous aujourd'hui. Bienvenue. Nous sommes ravis de votre présence.

Nous allons maintenant entendre d'exposé de Mme Sinclair, qui représente le ministère de la Défense nationale.

Jill Sinclair, sous-ministre adjointe, Politiques, Défense nationale : Madame la présidente, je vous remercie beaucoup de vos mots sur les Forces armées canadiennes et à notre sujet.

[Français]

Madame la présidente, je vous remercie de me donner l'occasion de faire le point avec vous sur les progrès réalisés par le ministère de la Défense nationale dans l'application du Plan d'action du Canada pour la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité.

Le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes sont résolus à poursuivre leur travail afin de mettre en œuvre ces résolutions de manière efficace.

[Traduction]

Pour ce faire, nous collaborons étroitement avec nos partenaires des Affaires étrangères, comme l'a dit Kerry, et d'autres ministères afin de nous assurer que nous respectons et appuyons les priorités et les objectifs du Canada tels qu'ils sont énoncés dans le Plan d'action national.

Mes propos porteront essentiellement sur trois aspects qui, à mon sens, illustrent les progrès du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes dans l'intégration des questions d'égalité entre les sexes ainsi que dans la promotion du rôle des femmes dans la paix et la sécurité internationales. Les trois aspects sont l'instruction donnée aux militaires canadiens et étrangers; la promotion du programme sur les femmes, la paix et la sécurité à l'OTAN; et l'intégration des femmes dans les Forces armées canadiennes.

En ce qui concerne l'instruction, la première étape pour mettre en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité et protéger les droits des femmes et des filles dans les conflits armés consiste à faire comprendre à quel point les femmes sont vulnérables et exposées à la violence dans les situations conflictuelles.

De ce point de vue, la formation est essentielle. C'est pourquoi le ministère de la Défense nationale a intégré les questions concernant les femmes, la paix et la sécurité, et j'ajouterais les résolutions subséquentes également, car comme nous le savons, la résolution 1325 n'est qu'un élément d'un ensemble de résolutions qui portent sur ces questions; il y en a six en tout. Nous intégrons ces questions dans l'instruction préalable au déploiement. Par exemple, dans le cours d'observateur militaire offert par le Centre de formation pour le soutien de la paix, l'exposé Femmes et conflits permet au personnel militaire de connaître les conséquences des conflits sur les femmes. Le cours vise à enseigner au personnel affecté à des missions les normes internationales sur l'intégration des questions d'égalité entre les sexes, qui découlent des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, dont la résolution 1325. Je dois dire que la résolution 1325 fait expressément partie du programme. Je suis ravie d'être accompagnée du commandant adjoint du centre, le major Sylvester, qui pourra répondre de façon détaillée aux questions.

Ces questions sont également traitées dans l'instruction préalable au déploiement qui porte sur les droits de la personne, le code de conduite et l'éthique, la sensibilisation à la culture et le droit des conflits armés.

Grâce à l'intégration des questions concernant les femmes, la paix et la sécurité dans l'instruction préalable au déploiement, les membres des Forces armées canadiennes qui participent à des opérations ailleurs dans le monde disposent des outils et des connaissances nécessaires pour exercer leurs responsabilités associées à la prévention de la violence faite aux femmes et aux filles.

En fait, cette formation multidimensionnelle aide les membres des Forces armées canadiennes à traiter avec doigté les questions délicates qui touchent la culture et l'égalité des sexes, qu'ils se trouvent en Afghanistan, en Haïti, en République démocratique du Congo, au Soudan du Sud, ou ailleurs.

La Défense nationale participe aussi à la sensibilisation aux questions concernant les femmes, la paix et la sécurité en les intégrant à la formation que nous offrons dans le cadre du Programme d'instruction et de coopération militaires du ministère.

À titre d'exemple, nous offrons un cours d'état-major sur les opérations tactiques. Il s'agit d'un programme de trois semaines qui comprend, notamment, une formation sur le rôle des femmes dans les forces militaires et la prévention de la violence faite aux femmes et aux filles.

De 2006 à 2013, tous les pays d'Afrique membres, y compris le Kenya, la Tanzanie, le Sénégal, le Botswana, le Nigeria et le Ghana, ont envoyé au moins un participant à ce cours. Nous offrons également des cours semblables qui nous ont permis d'inclure des pays des Caraïbes et d'autres pays africains.

Les efforts que nous consacrons à la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité ne se limitent pas à l'instruction. Notre ministère fait également la promotion du rôle que jouent les femmes dans la paix et la sécurité internationales au sein d'organisations internationales telles que l'OTAN.

Le MDN participe activement aux efforts de L'OTAN visant à intégrer pleinement l'égalité entre les sexes. Nous sommes représentés au Comité OTAN sur la dimension de genre, qui s'intéresse à la mise en œuvre efficace de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies et des résolutions connexes.

Nous soumettons également des rapports annuels sur les activités sexospécifiques de notre ministère dans le cadre des rapports que l'OTAN établit au nom de ses membres

Au sommet de l'OTAN, tenu à Chicago en 2012, les alliés se sont de nouveau prononcés en faveur de cette cause en approuvant un rapport périodique stratégique sur l'intégration des résolutions de l'ONU dans les opérations dirigées par l'OTAN, qui a fait un énorme travail à cet égard.

Ce rapport a donné lieu à un plan de mise en œuvre, accepté par le Canada, par les ministres de la Défense, en octobre dernier, qui a pour but d'appliquer dans leur intégralité les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité.

Madame la présidente, messieurs et mesdames les sénateurs, les femmes ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel dans les Forces armées canadiennes et à notre ministère.

Comme nous l'avons mentionné dans les deux premiers rapports annuels consacrés au Plan d'action du Canada, que j'appelle également PAC pour être brève, le nombre de femmes au sein des Forces armées canadiennes et les fonctions qu'elles peuvent y occuper font du Canada un chef de file mondial. Les femmes sont admissibles à tous les groupes professionnels militaires, y compris les spécialités de combat et le service dans les sous-marins.

En fait, le Canada est l'un des rares alliés de l'OTAN qui ont entièrement intégré les femmes dans les forces armées, et ce, depuis de nombreuses années. Nous sommes des chefs de file.

Aujourd'hui, le personnel féminin des Forces armées canadiennes remplit des rôles variés dans des opérations internationales partout dans le monde, et nous sommes fiers des progrès que nous avons réalisés en ce qui concerne l'intégration des femmes dans les forces armées et du modèle qu'elles sont en servant à l'étranger pour le Canada.

Bien sûr, nous reconnaissons qu'il reste du travail à accomplir pour achever la mise en œuvre de toutes les résolutions sur ces différents volets importants; toutefois, nous croyons que le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes font du très bon travail. Nous nous sommes engagés à faire de notre mieux et à poursuivre nos efforts afin de promouvoir cet important programme.

Je vous remercie encore de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole devant le comité, et je me ferai maintenant un plaisir de répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie beaucoup toutes les deux de vos exposés. Je sais que les membres du comité sont ravis de vous entendre.

Je vais poser toutes mes questions, et je vous demande d'y répondre.

Madame Buck, j'ai une question à vous poser. La dernière fois que le comité a discuté du rapport, on nous a assuré que le plan d'action national serait déposé bientôt, mais il n'en a pas été ainsi. Ce qui me préoccupe, c'est que deux plans ont été présentés cette année, un en janvier, et l'autre en mars. Pourquoi en avez-vous présenté deux de suite? Qu'est-ce qui explique le retard? Cela me préoccupe. Quelles mesures ont été prises pour terminer l'examen à mi- parcours qui est fourni dans le cadre du PAC?

J'ai lu les deux rapports sur le plan d'action national que le ministre a déposés au Parlement et il est vrai qu'il se passe beaucoup de bonnes choses, mais en ce moment, ce sont les pourparlers de paix en Syrie qui préoccupent tout le monde — ou l'absence de pourparlers pour l'instant. J'aimerais beaucoup que vous disiez au comité quelles mesures vous prenez pour faire en sorte que la résolution 1325 — le Canada a toujours grandement contribué à assurer la participation des femmes. Nous savons qu'en Syrie, elles ont joué un rôle marginal. Quelles mesures notre gouvernement prend-il pour garantir que des femmes provenant de gouvernements, ce que nous avons rendu possible dans le passé, et de partis de l'opposition aient leur propre tribune. Quel appui financier le Canada offre-t-il à cet égard?

Ce sont mes premières questions, et j'en aurai une à poser à Mme Sinclair par la suite. Allez-y, madame Buck.

Mme Buck : Pourquoi le dépôt du rapport sur le PAC a-t-il tardé? Effectivement, Marie Gervais-Vidricaire a comparu devant votre comité et elle a dit que le rapport allait être déposé sous peu, mais il y a eu un retard. La publication du premier rapport a eu lieu plus tard que prévu, et nous nous en excusons. Nous apprenons au fur et à mesure. C'est une partie importante de la préparation des rapports.

Il nous a fallu moins de temps pour publier le deuxième rapport, et nous essayons de faire encore mieux pour le rapport de 2013-2014. Vous avez maintenant les deux rapports. Ils ont été rendus publics. Dans un sens, c'est l'occasion de poser des questions au sujet des deux rapports et de suivre certains des progrès importants qui ont été réalisés.

Nous en sommes aux premières étapes de l'examen à mi-parcours. Nous n'en avons pas défini toutes les étapes. Il inclura des consultations auprès d'intervenants canadiens. Nous nous attendons à ce que l'examen à mi-parcours se termine ce printemps et nous avons l'intention d'intégrer les résultats de l'examen dans le troisième rapport annuel sur le plan d'action pour 2013-2014.

En ce qui concerne la Syrie, nous adoptons des mesures spéciales pour assurer la participation des femmes dans les pourparlers de paix sur la Syrie. Avant de parler de la question de la Syrie, je veux seulement dire que la participation des femmes dans les processus de paix est l'une de nos priorités dans le cadre de notre travail sur les femmes, la paix et la sécurité, de sorte que la Syrie est un volet de notre entreprise plus globale qui consiste à nous assurer que les femmes participent aux transitions politiques après les conflits.

En décembre, à Genève, nous avons coparrainé une table ronde précisément sur le rôle des Syriennes dans le règlement de la crise. L'événement réunissait des femmes de la société civile syrienne, M. Brahimi, comme je l'ai dit, ONU Femmes et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme. On a mis en évidence le rôle positif que les Syriennes peuvent jouer dans le processus de paix en Syrie.

Nous continuons de collaborer avec ces acteurs, de surveiller de près l'évolution du processus de paix et de soutenir les efforts visant à s'assurer que les femmes puissent s'exprimer dans le cadre des pourparlers de Genève II sur la Syrie.

Bien entendu, les efforts que nous déployons dans la situation de la Syrie ne s'arrêtent pas là. Votre question porte sur la participation des femmes dans le processus de paix, et je m'en tiendrai à cela pour le moment, mais je veux ajouter que nous collaborons aussi énormément avec nos partenaires concernant les problèmes liés à la violence sexuelle dans les conflits pour faire en sorte que les crimes sexuels et les crimes fondés sur le sexe sont divulgués, que les éléments de preuve sont conservés et qu'on puisse mener des enquêtes et intenter des poursuites; le financement de la documentation sur les violations du droit international humanitaire et des droits de la personne en Syrie; et l'appui aux partisans de la démocratie, à l'opposition syrienne non violente, et cetera.

En général, jusqu'à maintenant, nous avons consacré plus de 350 millions de dollars à l'aide humanitaire afin de répondre aux besoins des gens touchés par le conflit en Syrie, ce qui inclut une majorité de femmes et d'enfants dans les pays de la région. Cela comprend également un volet visant à réduire la violence sexuelle et fondée sur le sexe.

La présidente : Je m'adresse à vous deux. L'un de mes sujets de préoccupation est le suivant, en fait, cela s'applique aussi au MAECD : en vertu de la mesure 10, sur la participation active et utile des femmes décrite dans les rapports d'étape, l'indicateur 10-3 porte sur le nombre de femmes déployées dans des opérations de maintien de la paix. Par exemple, 10,8 p. 100 des agents de la GRC qui ont participé à ces opérations en 2011-2012 étaient des femmes, et, en 2012-2013, leur proportion est passée à 12 p. 100.

Est-ce que des objectifs ont été établis auxquels ces statistiques pourraient être comparées? Si oui, dans quelle mesure l'armée, la GRC et les ministères et organismes civils les atteignent-ils? Je suis bien consciente que vous ne pouvez parler que pour l'armée. Quels objectifs vous êtes-vous fixés? Est-ce que vous les atteignez? Quels sont vos prochains objectifs?

Mme Sinclair : Merci beaucoup. Pour répondre d'abord précisément à votre question, je dirai que, dans l'année qui vient de s'écouler, 13 p. 100 du personnel déployé des Forces armées canadiennes étaient des femmes.

En ce qui concerne les objectifs, je dois avouer que nous n'en fixons pas. Pour la meilleure des raisons. En effet, les forces armées sont tout à fait intégrées, et le déploiement du personnel se fonde sur le mérite, les compétences et l'expérience. Bien franchement, le sexe n'a rien à y voir.

La présidente : Je comprends, mais je peux vous dire que quand j'ai été envoyée au Darfour, on a notamment réclamé des militaires de sexe féminin. Nous avons accédé à cette demande, en raison, précisément, de la contribution spéciale des femmes.

Donc, avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d'accord, parce que, de temps à autre, c'est de femmes dont on a besoin. C'est la raison d'être de la résolution 1325. Je vous incite vivement à réfléchir à ce que vous venez de dire, pour l'avenir.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de votre exposé. Ma question concerne l'Afghanistan, maintenant que le Canada n'y mène plus d'opérations. Connaissons-nous les répercussions subies par les Afghanes? Plus précisément, je sais que le Canada a parlé de tenir compte de la différence entre les sexes. Je sais que lorsque nous avions là-bas du personnel affecté à la formation, des femmes participaient à celle des Afghanes, soit dans la police, soit dans l'armée. L'année dernière, nous avons discuté de l'insistance de notre gouvernement sur le renforcement des capacités.

A-t-on donné aux Afghanes les moyens pour faciliter leur participation à la prise des décisions? C'est une question à deux volets.

Mme Buck : Je vais me lancer la première, mais je pense que Jill aura quelque chose à ajouter. J'ai aussi des réponses, si vous voulez les entendre, madame la présidente, à votre question sur le déploiement, les objectifs et les pourcentages dans la police.

Vous avez demandé si les Afghanes participent davantage aux décisions. Absolument! Les parlementaires afghanes que j'ai rencontrées durant mes nombreux voyages en Afghanistan, les agentes de police afghanes aussi, et la chef de la commission indépendante des droits de la personne de l'Afghanistan, toutes sont des femmes fortes, vraiment puissantes, qui se font remarquer et entendre. Elles ont toujours possédé cette puissance, mais elles ne disposaient pas de l'espace voulu pour jouer ce rôle politique avant notre intervention. Il serait déplacé que le Canada prétende que cela découle seulement de lui ou de la communauté internationale. Cela vient des Afghanes. Nous les avons sûrement aidées à se tailler une place pour exercer cette puissance.

L'un des exemples que j'ai donnés portait sur le centre d'appel afghan, par exemple. Je pourrais avoir des statistiques utiles.

Voici un autre exemple sur l'Afghanistan. Nous avions un fonds de soutien qui a permis à plus de 30 000 Afghanes, femmes et filles, d'avoir accès à l'information, à la formation sur la défense de leurs droits, à l'éducation, à la formation professionnelle pour intégrer le marché du travail.

Nous pourrions citer de nombreux exemples sur, notamment, le déminage en Afghanistan. Dans la société afghane traditionnelle, nous n'aurions jamais vu de femmes y participer. Nous avions mis sur pied un projet spécial pour encourager les Afghanes à faire partie des équipes de déminage, ce qui procure des revenus stables aux femmes des milieux défavorisés. Le projet visait en partie à les faire bénéficier d'un service de garde de jour et à leur donner accès à de la formation dans d'autres domaines pour leur permettre aussi de changer de profession.

En Afghanistan, nous avons appliqué de nombreux programmes pour aider à amener les Afghanes dans cet espace politique où elles peuvent prendre des décisions. Absolument!

Mme Sinclair : Dans le même ordre d'idées, le Canada, dans le cadre de l'ensemble de ses efforts internationaux, la mission de la Force internationale d'assistance à la sécurité, ou FIAS, et la mission de formation de l'OTAN en Afghanistan, a sûrement consacré beaucoup d'efforts, avec ses partenaires de l'OTAN, à la formation et aux questions touchant la sensibilisation aux différences entre les hommes et les femmes et à l'équité entre les sexes, et le rôle des filles et des femmes dans les conflits.

Comme vous le savez, nous avons formé plusieurs milliers d'agents des forces nationales afghanes de sécurité. Je pense que la sensibilisation aux différences entre les sexes et l'attention particulière que nous avons manifestée à l'égard du rôle des filles et des femmes faisaient absolument partie de notre travail, à ce moment-là. Nous travaillions « en appui rapproché », comme disait Kerry, pour inspirer, après nous, des initiatives afghanes. Un plan national d'action pour les Afghanes constitue donc pour nos formateurs un point de comparaison extrêmement important. Je pense qu'un certain nombre d'initiatives visant à donner la parole aux dirigeantes afghanes ont été confiées aux forces nationales afghanes de sécurité.

Il est très difficile de travailler pour les femmes en Afghanistan, visiblement, mais le Canada fait partie de la mission de formation de l'OTAN et il a contribué à mettre de l'avant ces questions.

La sénatrice Ataullahjan : Depuis 2009, la loi sur la suppression de la violence contre les femmes fait partie de la constitution afghane. Pourtant, en 2012, nous avons vu que le gouvernement Karzai a cédé à la pression et qu'il a promulgué un code de conduite qui prescrivait aux femmes de porter le hijab, de respecter la polygamie, d'éviter de se déplacer seules et qui interdisait aux hommes et aux femmes de se mêler dans les lieux publics.

Cette année encore, nous avons vu qu'on demandait aux femmes de se taire si la violence qu'elles subissaient provenait d'un membre de la famille. Dans cette société, une grande partie de cette violence provient des hommes.

Le tollé mondial a fait modifier la loi, mais est-ce que cela signifie pour nous de devoir être constamment vigilants à l'égard de l'Afghanistan?

Vous avez parlé du rôle du Canada. En ma qualité de membre de l'Union interparlementaire, je peux personnellement en témoigner. Une jeune Afghane qui venait d'être élue à la Djirga, c'est-à-dire au Parlement, est venue nous voir trois ou quatre fois, avant de pouvoir me parler.

Elle voulait se porter candidate pour un poste à l'Union interparlementaire, mais elle ignorait comment s'y prendre. Pour apprendre, elle est venue au Canada, qu'elle a choisi parmi les 163 pays présents, en raison de son influence considérable et du discours qu'il tient sur les droits de la personne. Elle a été élue, et, la semaine dernière, à Genève, elle est devenue présidente du troisième comité permanent.

C'est une belle réussite pour le Canada. Seulement, j'ai l'impression que nous ne pouvons pas nous permettre un seul moment de distraction. C'est qu'il y a des élections, le 5 avril. D'après ce que j'entends, Ashraf Ghani sera probablement élu, et c'est ce dont les femmes parlent.

Chez les Afghanes qui participent à ces conférences internationales, je perçois de la frustration, parce qu'elles sont plus futées que beaucoup de leurs collègues masculins, et beaucoup d'entre elles sont instruites. Cette frustration est nourrie par la façon dont les hommes prennent leurs décisions et votent ensuite.

Je parle d'être vigilants et de prendre conscience des Afghanes, parce que le Canada s'est énormément engagé, et nous devons nous assurer que, à cause de cet engagement, les femmes ne perdront pas leurs acquis.

Mme Buck : Malgré la réduction de la présence des troupes sous l'égide de la FIAS, l'engagement du Canada à l'égard de l'Afghanistan reste inébranlable. Pour ce pays, nous nous sommes engagés à un financement permanent, à un financement permanent considérable pour le développement, à un financement du secteur de la sécurité, en insistant très clairement sur les droits des femmes et des filles, l'éducation, la santé des mères, les droits de la personne. Voilà où nous sommes, et je suis d'accord avec vous, notre vigilance ne doit pas se relâcher.

La présidente : Madame Buck, vouliez-vous communiquer des chiffres sur la GRC?

Mme Buck : Je voulais simplement mentionner une augmentation très marquée du pourcentage de déploiements de civils de sexe féminin. Pour vous donner quelques exemples, au Groupe de travail sur la stabilisation et la reconstruction, le GTSR, au MAECD, nos déploiements d'experts civils féminins se chiffrent environ à 33 p. 100.

Dans les déploiements de la GRC, au fil des ans, nous avons constaté une augmentation incroyable, et nous pouvons en être fiers. En voici un aperçu historique.

En 1989, les femmes constituaient environ 5 p. 100 des déploiements dans l'ex-Yougoslavie. En 1992, dans la deuxième série de déploiements dans la même région, la proportion est passée à plus de 10 p. 100. Dans la période située entre les deux rapports, elle a varié entre 12 et 13 p. 100, et je sais que, dans le présent exercice budgétaire, le taux est plus élevé. Je ne citerai pas de chiffre, parce qu'il est toujours fluctuant et que l'exercice n'est pas terminé, mais c'est bien supérieur à 15 p. 100.

Ce sont de bons pourcentages. Nous n'avons pas égalé celui de l'ONU, qui est à 20 p. 100. Il y a d'excellentes explications à cela, mais nous pouvons toujours nous améliorer. On le constate par l'augmentation des effectifs et des pourcentages déployés.

La présidente : Quand vous aurez les chiffres, madame Buck, veuillez les communiquer à notre greffier. Nous vous en serons très reconnaissants.

Puisqu'il est question de l'Afghanistan, je profite de l'occasion pour reconnaître le travail de deux Canadiennes, qui ont travaillé très fort pour les Afghanes et qui ont donné leur vie pour elles : la Dre Roshan Thomas et Mme Zeenab Kassam, qui était institutrice.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup pour votre exposé et pour votre bon travail. Permettez-moi de vous questionner sur trois sujets : la formation, l'analyse comparative entre les sexes et l'établissement de normes de référence.

D'après ces deux rapports, je comprends que la GRC fait de l'excellent travail dans la formation du personnel déployé à l'étranger sur les questions touchant les femmes, la paix et la sécurité, mais, pour votre ministère, le MAECD — il faudrait un meilleur sigle —, qui comprend maintenant l'ACDI, bien sûr, ce qui explique le changement de nom, pourquoi insistez-vous moins sur la formation? En fait, d'après ce que je lis, je ne trouve rien au sujet de la Défense nationale. Parlons-en donc aussi.

De plus, cette asymétrie dans la formation pose la question de qui donne la formation. Est-ce une formation commune? Est-elle interactive? Est-ce qu'on en mesure l'efficacité?

Mme Buck : Merci beaucoup. Nous donnons deux types de formation au MAECD. Et non, nous n'avons pas de meilleur sigle pour le moment.

Le sénateur Eggleton : Tant pis!

Mme Buck : Nous donnons deux types de formation, dont la formation avant déploiement, pour les affectations. Bien honnêtement, le rapport que nous avons déposé n'en donne pas une juste idée. Nous devrons corriger cette lacune. Pour les agents politiques canadiens envoyés à l'étranger s'occuper de questions touchant les femmes, la paix et la sécurité et beaucoup d'autres, les droits de la personne font partie de la formation donnée avant affectation depuis plus de deux décennies. Une très forte proportion est consacrée aux droits de la femme et à l'analyse comparative entre les sexes d'après tous les rapports produits. L'immense majorité des personnes envoyées en affectation l'ont reçue. Par exemple, rien que l'année dernière, nous avons formé plus de 200 personnes aux droits de la personne, plus de 120 autres sur les mariages précoces et forcés.

À l'intérieur de cette formation, nous avons élaboré des modules particuliers, pour les déploiements temporaires dans les situations de conflit, dans les États fragiles au lendemain d'un conflit, où nous exécutons nos programmes de stabilisation et de reconstruction avec le GTSR. Dans ce cas, nous ne formons pas la totalité de notre personnel avant son déploiement. Je précise que, au cours de l'année, nous avons créé un nouveau module sur les femmes, la paix et la sécurité. L'immense majorité de nos agents a reçu cette formation. Certains de nos déploiements de civils comprennent des fonctionnaires d'autres ministères, et ces déploiements sont parfois très techniques, très spécialisés, tandis que d'autres se font très rapidement. Faute de temps, nous n'atteignons pas alors le taux de 100 p. 100. Par exemple, après une catastrophe naturelle, les déploiements suivent moins de 12 heures après. Parfois, le personnel est déjà formé, mais pas toujours. Nous pouvons envoyer sur le terrain des ingénieurs qui feront du travail spécialisé, sans leur donner cette formation particulière, mais tous ceux qui travaillent à des projets touchant les femmes, la paix et la sécurité l'auront reçue.

Nos résultats sont un peu meilleurs que les 42 p. 100 cités dans le rapport. Comme j'ai dit, l'immense majorité des personnes envoyées à l'étranger pour travailler à des rapports sur la sécurité politique, aux questions touchant les femmes, la paix et la sécurité, toutes auront reçu cette formation.

Nous abattons aussi beaucoup de travail, sur lequel vous ne nous avez pas questionnés, sur la formation du personnel étranger sur les questions touchant les femmes, la paix et la sécurité. C'est un travail que j'estime très intéressant aussi, mais je m'aperçois que j'empiète sur le temps de ma collègue.

Mme Sinclair : J'invite le major Sylvester à intervenir sur cette question. Je m'arrête à deux types de formation. Le premier est la formation que nous donnons dans le cadre de notre Programme d'instruction et de coopération militaires à 61 pays membres. L'année dernière, 850 membres de notre personnel ont été formés dans le cadre de ce programme. Comme j'ai dit, dans ma déclaration préliminaire, les femmes, la paix et la sécurité, la résolution 1325, la problématique hommes-femmes, les enfants, la violence sexuelle, toutes ces questions sont abordées dans la formation que nous donnons dans le cadre de ce programme. Nous la donnons à des pays de toute l'Afrique, des Caraïbes, d'Amérique latine et de toute l'Europe. La matière est énorme. Je peux vous assurer que la résolution 1325 fait explicitement partie du programme.

En ce qui concerne la formation avant déploiement des forces armées, je cède la parole au major Sylvester.

Major Glenn Sylvester, commandant adjoint, Centre de formation pour le soutien de la paix, Défense nationale : Au Centre de formation pour le soutien de la paix, nous offrons deux cours de formation avant déploiement aux personnes envoyées à l'étranger. Nous offrons le cours qui, au Canada, est appelé cours d'opérateur de soutien de la paix qui, essentiellement, est le cours d'observateur militaire de l'ONU. Nous offrons aussi une formation générale avant déploiement aux personnes envoyées en missions régionales, pour la plupart des missions de maintien de la paix. Au cours du dernier exercice budgétaire, nous avons formé 238 membres. Ils ne sont pas tous déployés à l'étranger. Certains sont en disponibilité. Ces deux cours comprennent deux périodes de 40 minutes touchant les droits de la personne et, plus particulièrement, l'une de ces périodes est consacrée à la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU.

Pour ce qui est de nos observateurs militaires des Nations Unies, ils suivent un cours que nous pouvons seulement donner avec l'accréditation de l'ONU. Ses responsables viennent tous les cinq ans pour examiner notre cours, y assister et passer en revue notre matériel de formation. J'ai pris le temps de regarder la documentation que l'ONU nous a remise pour cette partie du cours, et on y mentionne seulement trois fois la résolution 1325 du Conseil de sécurité : une fois comme référence, une autre fois dans une note aux instructeurs et une dernière fois dans des notes aux apprenants. Notre matériel de formation — et je serais heureux de vous en remettre une copie — comprend une leçon de 40 minutes sur la résolution 1325. Nous la donnons depuis un bon bout de temps.

Le sénateur Eggleton : Je suppose que ce qui me préoccupe, c'est que la participation semble inégale. Madame Buck, vous avez dit que le chiffre de 42 p. 100 ne reflète pas convenablement la situation. La GRC parle d'ailleurs d'une participation de 100 p. 100. Je vous ai tout de même demandé si vous communiquez l'information. Échangez-vous les renseignements sur les pratiques exemplaires? Y a-t-il certaines similitudes? Y a-t-il une certaine mesure de l'efficacité de la formation?

Mme Buck : Excusez-moi, sénateur. J'ai oublié d'en parler.

Nous ne faisons pas de séances de formation communes. Par contre, depuis un an, nous comparons les modules de formation et utilisons en partie ceux de nos partenaires pour garantir une meilleure harmonisation. De plus, avant les missions de paix, nous suivons une formation militaire-civile très intense, et, pour être franche, je pense qu'il s'agit d'une des meilleures approches intégrées de formation préalable au déploiement parmi celles de tous nos partenaires. Elle est excellente et porte notamment sur des questions concernant les femmes, la paix et la sécurité, mais c'est une formation conjointe. C'est celle que nous avons suivie pour l'Afghanistan. Beaucoup de leçons importantes ont été apprises grâce à cette formation militaire-civile. Avons-nous un cours de formation pangouvernemental préalable au déploiement? Non. La formation est adaptée aux divers ministères.

Le sénateur Eggleton : Je ne pense pas que vous n'en ayez besoin d'un dans la mesure où vous mettez en commun les pratiques exemplaires et autres choses du genre.

Si nous avons le temps, j'aimerais parler de l'analyse comparative entre les sexes. Vous avez mentionné le Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction, le GTSR. L'analyse comparative fait également l'objet de statistiques irrégulières et discutables. Selon le rapport de 2012-2013, 46 projets similaires n'en comportaient aucune, 53 avaient des analyses limitées, 21 en comprenaient certaines et 9 comportaient des analyses spécifiques. Pour quelle raison n'en fait- on pas une pour chacun de ces projets?

Mme Buck : Merci, sénateur. Nous le faisons maintenant. Certains des projets ayant fait l'objet de décaissements en 2012-2013 avaient été mis en œuvre au cours des années précédentes, avant l'établissement du plan d'action, et on ne réalisait pas nécessairement d'analyse comparative entre les sexes dans le cadre de leurs activités et de leur conception. À l'époque, les cadres de mesure du rendement ne nécessitaient pas d'indicateurs ventilés par sexe. C'était sans aucun doute une lacune dans nos programmes, mais depuis la mise en œuvre du plan d'action, nous offrons une formation spéciale sur l'utilisation de l'analyse comparative entre les sexes dans tous nos projets.

Le sénateur Eggleton : C'est une bonne chose. Permettez-moi de poser une dernière question concernant les normes de référence et les délais. Il en a apparemment été question il y a quelques années dans un rapport du secrétaire général sur la résolution 1325. Il contient non seulement des indicateurs, mais aussi des normes de références appuyées de délais qui doivent servir à déterminer si l'on maintient le cap sur les objectifs concernant les femmes, la paix et la sécurité. Le secrétaire général a apparemment insisté pour que les plans d'action nationaux comprennent des normes de référence concrètes pour mesurer les progrès des initiatives en matière de paix et de sécurité. Y en aura-t-il dans le Plan d'action du Canada?

Mme Buck : Dans ma déclaration liminaire, j'ai mis l'accent sur notre degré de satisfaction par rapport aux progrès que nous avons réalisés. Nous en sommes maintenant à la troisième année de notre plan d'action. Nous avons produit des rapports avec des indicateurs de progrès concrets, mais, non, nous n'avions pas établi de normes de référence lorsque le plan d'action a été mis en œuvre. C'est une chose que l'ONU a élaborée par la suite, et une des questions sur lesquelles nous nous penchons dans le cadre de notre examen de mi-parcours.

Pour être franche, chacun de nos projets comprend des normes de référence et des indicateurs de progrès, mais, en général, quand il est question des femmes, de la paix et de la sécurité, certains éléments s'y prêtent et d'autres un peu moins, comme la défense des droits. C'est une chose à laquelle nous devons réfléchir attentivement, et c'est d'ailleurs ce que nous faisons dans le cadre de l'examen de mi-parcours.

Le sénateur Eggleton : Vous vous penchez donc là-dessus.

Mme Buck : Oui.

La sénatrice Seidman : Je m'apprêtais à vous poser des questions sur la formation, mais vous y avez répondu de long en large. Si vous le permettez, j'aimerais poser une question plus générale concernant l'évaluation de l'efficacité de cette résolution du point de vue des Nations Unies et de son système. Pensez-vous que l'on s'est suffisamment engagé à cet égard aux plus hauts échelons? A-t-on mis en place dans le système onusien des ressources et des mécanismes adéquats pour garantir que la résolution est mise en œuvre de manière efficace?

Mme Buck : J'ai commencé à travailler sur la question de la violence faite aux femmes en tant que représentante du Canada à l'ONU en 1991. Une partie de ce que je dis à ce sujet est mon point de vue personnel. À l'époque, il fallait être courageux pour en parler; et seuls certains cercles très restreints des droits de la personne le faisaient au sein de l'appareil onusien. Le fait que le Conseil de sécurité se soit prononcé là-dessus avec la résolution 1325 était absolument sans précédent. Les cellules les plus résistantes de l'ONU dans le domaine de la sécurité ont été galvanisées lorsqu'elles ont compris l'importance de la question, l'importance que lui a accordée le conseil et le fait que le système devait mieux fonctionner.

La question de la violence faite aux femmes a émané des cellules — je dois surveiller mon langage — plus flexibles de l'ONU pour être portée à l'attention de la majorité; et sa visibilité est montée en flèche. Le nombre de fois que le Conseil de sécurité s'est penché sur la question est un message important pour le reste de l'organisation. Les Nations Unies ont maintenant une représentante spéciale pour la violence sexuelle, et des personnes très vigoureuses et influentes qui travaillent là-dessus. Est-ce que cela s'est avéré efficace? Je suis le dossier de très près depuis 1991, et je dirais que oui, c'est très efficace.

Le système onusien est énorme avec tous ses États membres, ce qui veut dire qu'il y a encore du travail à faire, mais c'est normal. Je vois qu'on planche maintenant sur la question. La majorité des rapports importants de l'ONU contiendront certains éléments concernant les femmes, la paix et la sécurité, même si ce n'est pas le sujet principal. Donc, la réponse est oui.

La sénatrice Seidman : Tout le monde y accorde une place importante. C'est ce qui compte ici.

Mme Buck : Oui.

La présidente : J'aimerais revenir à la question que j'ai posée à Mme Sinclair ainsi qu'à Mme Buck, indirectement, au sujet d'une plus grande participation des femmes. Le Rapport d'étape de 2011-2012 indique pourquoi le gouvernement du Canada a renvoyé le rapport, et nous parlons de l'égalité réelle entre les hommes et les femmes. À la page 74 du Rapport d'étape de 2012-2013, sous « Mesure 22 », on parle d'engager les États membres et les organismes de l'ONU à élargir la portée de leur approche à l'égard de l'égalité réelle des hommes et des femmes.

Vos rapports sur l'égalité réelle à toutes les étapes des conflits, de la prévention et du maintien de la paix indiquent que vous mettez l'accent là-dessus. Pour cette raison, j'ai de la difficulté à comprendre vos explications concernant le manque d'objectifs en matière de développement et l'égalité entre les hommes et les femmes. Comment le Canada peut- il mettre en œuvre le programme sur les femmes, la paix et la sécurité si nous n'essayons pas d'inclure les femmes dans notre propre pays? Nous devons nous aussi prendre des mesures en ce sens. J'ai donc une préoccupation par rapport à la réponse que vous avez donnée, madame Sinclair.

Mme Sinclair : Je suis heureuse d'avoir l'occasion d'y revenir, car j'ai peut-être été un peu trop directe.

Dans le cadre d'une mission de paix, si un pays nous signalait clairement, dans un cas comme celui que vous avez présenté, qu'il avait besoin du soutien de femmes qualifiées, il ne fait aucun doute que nous en tiendrions compte. Nous avons énormément de femmes compétentes sur qui nous pouvons compter.

À propos des objectifs en général, il ne s'agissait pas de laisser entendre qu'aucune femme ne serait déployée lorsque c'est nécessaire. Il était juste question du fait que les femmes des Forces armées canadiennes ne sont ni privilégiées, ni désavantagées, car elles ont les mêmes compétences et opportunités. Cela dit, certaines opérations nécessitent des connaissances particulières, et si les femmes les possèdent, elles se feront évidemment remarquer. Je suis persuadée que c'est ce qui est arrivé pendant la formation offerte au Centre de formation pour le soutien de la paix.

La présidente : C'est un fait établi. Nous avons franchi cette étape. Il est évident que nos hommes et nos femmes des forces armées, qui sont les plus qualifiés au monde, seraient déployés. Nous n'en ferions pas autant s'il n'avait pas les compétences nécessaires. Nous aurions pu en parler un autre jour si c'était le cas. Ce qui me préoccupe, c'est que lorsque nous avons instauré le programme sur les femmes, la paix et la sécurité en 2000, l'objectif était d'inclure davantage de femmes pour changer les choses. Votre réponse me préoccupe donc beaucoup. Nous entendons depuis toujours que ce sont les meilleurs qui sont déployés à l'étranger, mais ce n'est pas le but du programme, qui vise plutôt à garantir l'entière participation des femmes du Canada et d'ailleurs. Je vous laisse en juger.

Votre réponse m'a décontenancée, car c'est ce que nous avons dit en 2000 et la raison pour laquelle cette résolution a été adoptée.

Mme Sinclair : Si je peux me permettre, madame la présidente, nous avons très bien compris l'objectif, l'esprit et la lettre des résolutions et de celles qui ont suivies : les femmes participent à nos missions de maintien de la paix et suivent nos programmes de formation. Les questions concernant les femmes, la paix et la sécurité sont intégrées à l'ensemble de la formation. Dans le cadre de notre collaboration avec les forces armées étrangères, nous avons sans aucun doute pris les devants au sein de l'OTAN. La conseillère adjointe en matière d'égalité entre les sexes du commandant suprême allié Transformation est d'ailleurs une femme des Forces armées canadiennes. Nous déployons délibérément des efforts en ce sens. J'espère que c'est un peu plus clair et que cela laisse entendre que nous avons progressé. Nous continuons de tenir les rênes du programme.

La présidente : Je suis impatiente de vous entendre de nouveau l'année prochaine et d'apprendre que nous avons progressé encore davantage pour atteindre l'objectif de 20 p. 100 établi par l'ONU.

La sénatrice Andreychuk : Mon intervention sera brève. Je suis ravie de voir que nous réalisons des progrès. Nous avons parcouru un bon bout de chemin en trois ans pour cerner la question. Je suis au courant du travail qui est accompli à l'OTAN. Chaque fois que j'examine une facette de l'armée, je constate que l'on accorde de l'attention à cette question, qu'il s'agisse du Canada, probablement de l'Europe de l'Ouest et, de plus en plus, de l'Europe de l'Est, à mesure que les pays concernés se joignent à l'OTAN. Ce sont les pays les plus concernés, ceux qui se sont stabilisés à la suite de conflits, qui ont le moins progressé. Vous nous avez donné des exemples de certains mouvements auxquels vous donnez suite. Cela dit, il semble que ce n'est pas au Canada que le programme s'avérera une réussite, mais plutôt dans les pays où un conflit a eu lieu.

Un aspect de la question dont personne ne semble parler est que nous devons travailler avec les Parlements pour que la résolution 1325 veuille dire quelque chose. Les différences culturelles y sont souvent mises en évidence, tout comme la résistance à ce sujet. Lorsqu'il y a un conflit et que l'ensemble de la communauté internationale est sur place, la résolution et les questions concernant les femmes sont une source de tension. Peu de temps après, les choses reprennent leur cours normal. Considérez-vous une interprétation plus large de la résolution 1325, comme on l'a envisagé?

Mme Buck : Oui, je cherchais un exemple, et je vais peut-être devoir m'adresser à mes collègues. Nous n'avons pas besoin de la résolution pour y arriver, mais c'est utile. Comme je l'ai dit, notre programme accorde beaucoup d'attention à la participation des femmes dans les processus de paix et la transition politique d'après-conflit. Il y a entre autres l'exemple de la Lybie, et c'est ici que je vais manquer de détails, mais je pourrai peut-être vous les fournir plus tard. C'est un exemple d'endroit où nous travaillons avec les femmes parlementaires ou celles qui jouent un rôle en politique pour qu'elles participent à la transition. C'est également ce que nous avons fait en Afghanistan. Nous accordons beaucoup d'importance au rôle essentiel des femmes dans cette phase d'après-conflit.

Pour revenir à ce que vous avez dit plus tôt sur le fait que nous nous en sortons mieux à l'OTAN, mais pas aussi bien là où il y a des conflits, nos programmes sur les femmes, la paix et la sécurité mettent l'accent sur les régions concernées. Je vais vous donner un exemple général qui pourrait vous intéresser : l'Institut de formation aux opérations de paix et le Centre pour le contrôle démocratique des forces armées de Genève. Nous avons préparé un certain nombre de cours en ligne sur l'égalité entre les sexes et les opérations de maintien de la paix, la prévention de la violence faite aux femmes, et deux cours qui portent précisément sur la mise en œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Notre financement rend possible l'inscription gratuite de 155 335 étudiants de 77 pays de l'Afrique, de l'Amérique latine et des Antilles, ce qui représente 71 p. 100 des personnes qui participent actuellement à des missions de paix. Nous faisons donc les choses comme il faut. Nous devons nous assurer de cibler ceux qui participent à des missions de paix dans des zones de conflit ou qui devraient y participer pour qu'ils tiennent compte des questions concernant les femmes, la paix, la sécurité et la violence sexuelle, et pour accroître la participation des femmes à cet égard.

La présidente : J'aimerais profiter de l'occasion pour vous remercier de votre travail et de votre exposé. Comme vous le savez, les membres du comité désirent régulièrement vous rencontrer et travailler avec vous. Nous attendons avec impatience votre prochain rapport, et c'est avec plaisir que nous travaillerons de nouveau avec vous.

Pour la deuxième partie, nous accueillons Liz Bernstein, de la Nobel Women's Initiative; Marilou McPhedran, membre du conseil d'administration de La Voix des femmes canadiennes pour la paix; et Jessica Tomlin, directrice générale, MATCH International, du Réseau Les femmes, la paix et la sécurité — Canada. Vous avez toutes les trois déjà comparu devant notre comité. Nous vous sommes toujours reconnaissants de votre soutien, et, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous allons commencer par Marilou McPhedran.

Marilou McPhedran, membre du conseil d'administration, La Voix des femmes canadiennes pour la paix : Merci beaucoup, madame la présidente.

Honorables sénateurs et chers collègues de la société civile et députés, si vous le permettez, j'aimerais saluer mes étudiants en droits de la personne qui regardent en direct cette séance à partir de l'Université de Winnipeg plutôt que de m'écouter donner mon cours d'aujourd'hui. Je vous remercie également de me donner l'occasion à cette étape-ci de vous faire part au nom de La Voix des femmes canadiennes pour la paix de brèves observations ainsi que de préoccupations et de propositions concernant le Plan d'action du Canada de 2010 et ses deux rapports d'étape annuels publiés récemment par le gouvernement au sujet de sa mise en œuvre.

Depuis sa création en 1960, les membres de La Voix des femmes canadiennes pour la paix ont plaidé au Canada et à l'étranger en faveur de l'abolition de la guerre, de la démilitarisation et de l'inclusion des femmes à tous les échelons dans la prise de décisions concernant la paix et la sécurité.

Mes observations d'aujourd'hui portent sur les droits et la sécurité des femmes en tant qu'éléments essentiels des lois, des politiques et des décisions dans notre démocratie constitutionnelle et dans un contexte mondial.

L'adoption en 2000 par le Conseil de sécurité de la résolution 1325 confirme davantage le raisonnement de La Voix des femmes qui compte sur leur inclusion pour prévenir les conflits violents, les protéger lorsqu'ils surviennent et les faire participer dans le processus décisionnel. Nos membres sont heureuses de faire partie d'une des organisations fondatrices du Réseau Les femmes, la paix et la sécurité — Canada en plus d'être actives au sein de nombreuses autres associations de promotion de la paix, y compris par l'entremise d'une accréditation du Conseil économique et social des Nations Unies.

La semaine dernière, je suis revenue de la 58e séance de la Commission de la condition de la femme de l'ONU. C'était la 24e fois que La Voix des femmes y participait. Cette année, nous avons organisé un dialogue intergénérationnel et international sur l'éducation à la paix. La salle était pleine à craquer. Nous avons mis en vedette des leaders de Terre-Neuve, du Manitoba et de la Colombie-Britannique, qui ont parlé des camps de la paix qu'elles construisent pour les filles, avec l'appui de La Voix des femmes. À l'échelle internationale, ils sont nombreux à être très intéressés à adapter le modèle. Quand j'ai comparu devant votre comité au mois de mai dernier, je vous ai parlé d'un de ces projets d'éducation à la paix qui a entraîné la création d'un nouveau badge des Guides du Manitoba concernant les femmes, la paix et la sécurité.

En guise de conclusion, je vais vous faire part de quatre recommandations de La Voix des femmes, mais laissez-moi souligner dès maintenant que nous sommes convaincues que la formation et les pratiques militaires pour intervenir de manière non violente dans les conflits sont essentielles et prioritaires, et qu'il faut recourir au leadership des femmes à tous les échelons.

Permettez-moi de situer mes observations dans le contexte des conclusions concertées auxquelles on est parvenu il y a seulement quelques jours à la 58e séance de la CCF :

La Commission prend note du contexte universel de l'égalité des sexes et reconnaît que près de 15 ans après le lancement des Objectifs du Millénaire pour le développement, aucun pays n'a atteint l'égalité pour les femmes et les filles, et des degrés d'inégalité considérables persistent... La Commission réaffirme le rôle vital des femmes en tant qu'agent de développement et reconnaît que l'égalité des sexes et l'autonomie des femmes doivent devenir réalité pour terminer le travail...

Au cas où une personne qui m'écoute ferait l'erreur de mettre les femmes en vase clos et d'ignorer leurs droits, y compris leur droit au développement, dans la promotion de la paix et de la sécurité, je peux vous assurer que les femmes du monde entier peuvent s'épanouir à la convergence des droits de la personne et de la sécurité humaine grâce au soutien du cadre normatif que constituent la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la CEDAW; l'ensemble des résolutions du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, en commençant par la 1325; et d'autres droits prévus par les lois internationales, que le gouvernement est tenu de respecter.

Afin d'illustrer l'alignement du plus récent protocole d'accord de l'ONU sur les droits des femmes, rappelons-nous des principaux engagements pris en 2010 dans le cadre du Plan d'action du Canada. Comme les dirigeants de la société civile l'ont déjà signalé au comité, le Plan d'action du Canada était plutôt décevant et faible compte tenu de l'absence d'engagements précis en matière de ressources pour réaliser les aspirations. Nous nous réjouissons de la publication cette année de ce rapport tant attendu, mais nous demandons que davantage de renseignements soient communiqués en temps voulu et de manière ouverte par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, le ministère de la Défense et d'autres ministères et organismes qui travaillent dans le domaine, comme la GRC.

Les représentants du Canada sont toujours accueillants, ouverts et généreux avec les étudiants que j'amène à Ottawa et à l'ONU, à New York, et nous en sommes sincèrement reconnaissants. Cependant, en tant qu'auteur et coordonnateur du chapitre sur le Canada et du rapport de surveillance de la société civile de 2013 sur la résolution 1325 des Nations Unies qui a été publié récemment par le Global Network of Women Peacebuilders, je veux que vous sachiez que ce n'était pas une bonne journée pour être avec mes étudiants lorsque le rapport a été présenté par la mission du Canada auprès de l'ONU à New York et que nous avons constaté que la note du Canada aurait pu être beaucoup plus élevée que celles des autres pays si seulement les ministères avaient transmis l'information demandée pour le chapitre sur le Canada, car les sites web sont complètement désuets. Ce n'est avantageux pour personne lorsque les indicateurs régionaux semblent indiquer que la performance du Canada est inférieure en ce qui a trait aux femmes, à la paix et à la sécurité.

Laissez-moi conclure en vous recommandant quatre mesures concrètes pour accroître l'efficacité de la mise en œuvre des belles paroles du Plan d'action du Canada. La première est que le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, qui a récemment fait l'objet d'une fusion et été renommé, adopte une nouvelle politique claire et ferme sur l'égalité entre les sexes avec un mécanisme intégré et doté de ressources adéquates pour produire des rapports et mesurer les progrès intraministériels en vue d'atteindre les cibles de mise en œuvre relatives à toutes les facettes de son travail, dans le cadre normatif, conformément aux obligations du Canada en matière de droits de la personne et de sécurité imposées par la CEDAW, sa nouvelle recommandation générale no 30 et l'ensemble des résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité.

La deuxième recommandation est que le gouvernement Harper nomme un champion de haut rang pour les questions concernant les femmes, la paix et la sécurité — et nous sommes tout à fait d'accord à ce sujet avec notre organisation sœur, le Réseau Les femmes, la paix et la sécurité — avec un budget pour la liaison avec les organisations de la société civile des femmes qui ont démontré leur savoir-faire dans ce domaine et leur inclusion.

Troisièmement, nous recommandons fortement à votre comité d'examiner les répercussions injustes des restrictions financières du Canada concernant l'accès des femmes à l'ensemble des services de santé génésique en cas de crises humanitaires et de conflits. Ces mesures vont à l'encontre de l'esprit de la plus récente résolution du Conseil de sécurité. En effet, la résolution 2122 précise ce qui suit :

Considérant qu'il importe que les États Membres et les entités des Nations Unies cherchent à s'assurer que l'aide et le financement humanitaires couvrent tout l'éventail des services médicaux, juridiques et psychosociaux, ainsi que l'aide à la subsistance, dont les femmes ont besoin dans les situations de conflit armé ou d'après conflit, et notant la nécessité de ménager un accès sans discrimination à l'ensemble des services de santé sexuelle et procréative, y compris en cas de grossesse résultant d'un viol...

Pour finir, La Voix des femmes canadiennes pour la paix fait de la sensibilisation axée sur des données probantes, mais il faut faciliter l'accès aux données à jour du gouvernement ici et dans les pays où le Canada appuie les efforts de consolidation de la paix. Nous recommandons que le Canada recueille régulièrement et diffuse des statistiques concernant l'ensemble minimal d'indicateurs sexospécifiques et l'ensemble de base d'indicateurs de la violence à l'égard des femmes qui ont été adoptés en 2013 par la Commission de statistique des Nations Unies.

Je vous remercie de cette occasion de vous faire part au nom de La Voix des femmes canadiennes pour la paix de recommandations réalistes concernant des mesures immédiates de mise en œuvre du Plan d'action du Canada.

La présidente : Merci. Pouvons-nous passer à Mme Bernstein?

Liz Bernstein, directrice exécutive, Nobel Women's Initiative : Merci. Madame la présidente, honorables sénateurs et chers collègues, je suis reconnaissante d'avoir l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui.

La Nobel Women's Initiative a été créée en 2006 par six courageuses lauréates du prix Nobel de la paix dans le but d'accroître le pouvoir et la visibilité des femmes qui travaillent partout dans le monde pour la paix en s'appuyant sur la justice et l'égalité. Au cours des huit dernières années, nous avons soutenu les organisations communautaires et les démarches des femmes en attirant l'attention et en faisant la promotion de leur travail — qui est important sur le terrain pour consolider la paix dans leurs collectivités —, en les mettant en contact avec des responsables, en faisant entendre leurs messages à la communauté internationale et aux médias, et en les rassemblant pour créer de nouveaux réseaux. Nous soutenons des femmes qui viennent d'une multitude de pays touchés par les conflits, y compris le Soudan, la Birmanie, la République démocratique du Congo, le Libéria, le Guatemala, le Honduras, le Mexique et l'Iran, pour n'en nommer que quelques-uns.

Il y a trois semaines, nous avons accompagné une délégation de femmes canadiennes et américaines en République démocratique du Congo. Nous y avons rencontré des militantes locales, des survivantes de violences sexuelles, des représentants du gouvernement de même que des représentants de l'ONU et d'autres organisations internationales. Comme vous l'avez probablement déjà entendu, la violence sexuelle en République démocratique du Congo est une crise incommensurable. Selon une étude récente, 48 femmes y sont violées toutes les heures. Il est difficile de savoir si cette statistique est bel et bien réelle, mais lors de notre voyage, la presque totalité des femmes du Congo que nous avons rencontrées étaient touchées d'une façon ou d'une autre par la violence sexuelle.

J'aimerais vous parler des femmes extraordinaires que nous avons rencontrées. D'octobre 2012 à mai 2013, Mireille, une fille de 16 ans, est demeurée captive des miliciens. Elle a été violée à répétition, parfois par 10 hommes à la fois. Elle est tombée enceinte et a maintenant un fils de huit mois. Elle nous a dit qu'elle se demandait ce qu'elle allait lui dire. Chaque fois qu'elle le regarde, elle voit le visage de ses attaquants. Elle nous a raconté son histoire dans l'espoir que nous la transmettions à d'autres intervenants dans la communauté internationale, comme nous le faisons ici aujourd'hui; elle souhaite que nous unissions nos efforts pour mettre fin à ces atrocités. Elle veut la même chose que tant d'autres femmes, qui nous ont dit : « On a soif de la paix. »

La guerre en République démocratique du Congo devrait être terminée. L'accord de paix a été signé en 2009; or, les Congolaises n'ont toujours pas trouvé la paix. Ce que nous avons appris, en République démocratique du Congo et dans de nombreux autres pays, c'est que la violence sexuelle ne s'efface pas avec la signature des accords de paix. Dans de nombreux cas, l'état physique ou psychologique des femmes ne leur permet pas de s'occuper de leur enfant né du viol; souvent, elles le rejettent ou le maltraitent même. Les systèmes juridiques fragiles n'accordent souvent pas la priorité aux poursuites liées au viol; certains encouragent même les violeurs à marier leur victime pour éviter d'être punis, et le cycle de la violence se poursuit.

Heureusement pour Mireille, elle a reçu le soutien d'autres femmes qui l'ont guidée vers l'organisation SOFEPADI, Solidarité Féminine pour la Paix et le Développement Intégral. La SOFEPADI a été créée en 2003 par 24 femmes du Congo déterminées à lutter contre l'impunité des violences sexuelles dans les provinces de l'Ituri et du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo. Alors qu'elles nous montraient fièrement leur clinique à Bunia ce matin-là, elles nous ont dit que leur organisation était la seule dans une région de la taille de l'Espagne à aider les victimes de viol de façon holistique, en leur offrant des services médicaux, un accompagnement juridique et des services psychologiques. L'organisation ne reçoit aucun soutien du gouvernement ni de la communauté internationale, mais elle est un exemple de ce à quoi aspirent nos gouvernements et nos organisations internationales. La SOFEPADI offre aux femmes des services et un soutien très efficaces, adaptés à leurs besoins particuliers, à très faible coût. C'est une organisation durable puisque l'idée est née dans la région, les solutions sont locales et les femmes qui y entrent en tant que victimes deviennent les prochains fournisseurs de soins et agents du changement.

Cet après-midi-là, nous avons eu le privilège de rencontrer 30 femmes des organisations appuyées par le Fonds pour les femmes congolaises, qui a été créé par la SOFEPADI et qui offre des subventions de 1 000 à 5 000 $ aux petites organisations de femmes dans les villages éloignés des villes, qui ne reçoivent pas l'aide des donateurs internationaux. Cela a été l'un des moments les plus inspirants de notre voyage : les unes après les autres, les femmes nous ont dit ce qu'elles, leur organisation et leur village faisaient pour aider les femmes, mettre fin à la violence et établir des collectivités paisibles, avec de très petits budgets. La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies vise exactement à appuyer et à favoriser ce genre d'efforts.

Comme vous le savez, l'adoption de la résolution 1325 a été un moment historique et un jalon important pour les femmes qui travaillent pour la paix, la justice et l'égalité. Elle vise à établir des mécanismes et des politiques qui permettraient aux femmes de prendre part aux tables de négociations de paix pour négocier leur avenir dans un contexte d'après-conflit, de souligner les conséquences de la guerre sur les femmes et d'éliminer la violence faite aux femmes dans les situations de conflits, ce qui comprend la violence sexuelle.

Malheureusement, les gouvernements du monde entier n'ont pas réussi à remplir leur promesse de placer les femmes au cœur des processus de paix. Les femmes représentent moins de 8 p. 100 des participants et moins de 3 p. 100 des signataires, et aucune femme n'a été nommée au poste de chef ou de médiateur principal dans les pourparlers de paix parrainés par les Nations Unies.

Depuis maintenant 14 ans, les femmes travaillent fort pour veiller à ce que les gouvernements du monde entier mettent en œuvre la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU, mais elles sont confrontées à des obstacles considérables, à la discrimination et même à la menace lorsqu'elles s'organisent pour la paix dans leurs collectivités.

J'aimerais vous donner deux exemples. Comme nous l'avons entendu, on a exclu les femmes syriennes des pourparlers de paix tenus à Genève en janvier 2014, connus sous le nom de pourparlers « Genève II ». Malgré les événements dont nous avons entendu parler, les Syriennes ont lutté pendant des mois pour être incluses dans les pourparlers. Le jour des négociations, elles se tenaient à l'extérieur de l'immeuble et étaient prêtes à y participer, mais les portes sont demeurées fermées.

La Birmanie, ou le Myanmar, est un autre bon exemple. Les femmes ont été la cible d'attaques dans le cadre des offensives du régime militaire birman contre les groupes ethniques. Les organisations de femmes communautaires n'ont ménagé aucun effort pour documenter les milliers de cas de viols commis par les militaires et ont milité pendant des années pour la tenue d'une enquête internationale sur le viol à titre d'arme de guerre en Birmanie. De plus, elles ont organisé des séances de formation communautaires sur la résolution 1325. Or, à l'approche d'un nouveau cessez-le-feu à l'échelle nationale, elles semblent être systématiquement exclues une fois de plus. D'après une étude de 2012 portant sur 83 accords de paix, nous savons que les accords inclusifs sont 60 p. 100 moins susceptibles d'échouer que les autres.

Dans le cadre des nombreux voyages que nous avons eu la chance de faire, nous avons été témoins du travail inspirant des organisations de femmes comme celles dont j'ai parlé en République démocratique du Congo, en Syrie et en Birmanie, et des artisans de la paix qui reconstituent les collectivités après la violence et l'insécurité.

Les défis sont grands, mais le Canada et la communauté internationale peuvent faire beaucoup pour aider ces femmes à rétablir la paix dans leurs collectivités. Nous devons surtout travailler ensemble pour mettre fin au viol et à la violence sexuelle en situation de conflit. Comme je l'ai dit, le viol est utilisé comme stratégie de guerre pour détruire les collectivités, et le tissu social de la société.

Il y a deux ans, les lauréates de la Nobel Women's Initiative de même que des dizaines d'experts et d'organisations communautaires se sont réunis pour lancer la Campagne internationale pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre en situation de conflit. La campagne demande la prise de mesures urgentes à l'échelle locale, nationale, régionale et internationale pour prévenir et arrêter le viol et la violence fondée sur le genre en situation de guerre et de conflit; une augmentation considérable du nombre de ressources affectées à la prévention et à la protection pour la guérison psychosociale et physique des survivantes, des familles et des collectivités, ce qui comprend des efforts concertés pour mettre fin à la stigmatisation des survivantes; et la justice pour les victimes, notamment la poursuite des agresseurs à l'échelle nationale, régionale et internationale, et des réparations considérables pour les survivantes.

Les gouvernements ont pris connaissance de nos efforts concertés. Nous nous réjouissons de voir que la question gagne du terrain dans l'actualité internationale, et que le premier sommet mondial pour mettre fin à la violence sexuelle en situation de conflit se tiendra au Royaume-Uni en juin. Il est temps pour tous nos gouvernements de faire preuve de leadership, de respecter leurs engagements et de veiller à ce que la RCSNU 1325 et toutes les autres résolutions connexes soient pleinement mises en œuvre.

Le Canada a un rôle important à jouer dans cet effort. Je me joins aujourd'hui à mes collègues — nous sommes également de fières membres du réseau Les femmes, la paix et la sécurité Ð Canada — pour demander au gouvernement canadien de prendre des mesures audacieuses dans le but d'appuyer les efforts du monde entier pour mettre fin à la violence en situation de conflit.

La campagne demande notamment au gouvernement du Canada de participer de façon significative, à l'échelle ministérielle, au sommet mondial pour mettre fin à la violence sexuelle en situation de conflit qui se tiendra à Londres en juin, et de collaborer avec la société civile — nous sommes prêts à travailler avec vous — pour établir des engagements concrets à long terme. Comme vous le savez, pour avoir du leadership, il faut des ressources. La campagne demande donc au Canada de créer un fonds mondial à l'appui des organisations de femmes et des défenseurs des droits des femmes, qui se concentrent sur la violence sexuelle.

Nous demandons également au gouvernement du Canada de financer l'ensemble des services en matière de santé sexuelle et génésique, qui sont reconnus dans la résolution 2122 du Conseil de sécurité, comme l'a fait valoir ma collègue Marilou.

La campagne demande également au gouvernement du Canada de signer le traité sur le commerce des armes le plus tôt possible, et de mettre en œuvre pleinement ses engagements pris dans le Plan d'action du Canada pour la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, et à ce que les organisations de femmes du Canada soient incluses à titre d'alliées dans l'ensemble du processus.

Pour ce faire, la campagne demande la nomination d'un champion de niveau supérieur pour la lutte contre la violence sexuelle en situation de conflit, qui pourra assurer la liaison entre les ministères du gouvernement et la société civile, et nous aider à surveiller la mise en œuvre du PAC.

En conclusion, j'aimerais vous remercier de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui. Nous serons heureuses de poursuivre la discussion avec vous.

La présidente : Merci beaucoup, madame Bernstein. Nous passons maintenant à Jessica Tomlin, du réseau Les femmes, la paix et la sécurité Ð Canada.

Jessica Tomlin, directrice générale, MATCH International, réseau Les femmes, la paix et la sécurité Ð Canada : Merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour à tous. Je vous remercie de me permettre de témoigner devant vous. Je m'appelle Jess Tomlin, et je suis directrice générale du Fonds pour les femmes du MATCH International, qui est également un fier membre du réseau Les femmes, la paix et la sécurité - Canada.

Le réseau est entièrement formé de bénévoles, et comprend des organismes et des particuliers canadiens de partout au pays qui font principalement deux choses : d'abord, ils favorisent et surveillent les efforts du gouvernement du Canada en vue de la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité; ensuite, ils offrent une tribune pour les échanges et la prise de mesures dans la société civile canadienne, surtout en ce qui a trait aux enjeux relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité.

Les membres du groupe représentent des organisations ou travaillent de façon individuelle dans les zones de conflit comme le Congo, la Colombie et le Moyen-Orient; nous travaillons directement avec nos partenaires qui luttent pour instaurer la paix et nous promouvons les droits des femmes dans ces processus. Les groupes que je représente aujourd'hui comptent toujours sur le leadership du Canada dans ces dossiers.

J'aimerais prendre un moment pour vous parler du Fonds pour les femmes du MATCH International. MATCH International est un organisme de développement féministe établi depuis 40 ans, mais qui est récemment devenu un organisme subventionnaire qui aide les organisations de défense des droits de la femme dans l'hémisphère sud. Nous veillons à aider les femmes, surtout en situation de conflit, et tout comme l'organisme Nobel Women's Initiative, nous avons de grands intérêts et une présence accrue dans les régions où les femmes sont touchées de façon disproportionnée par le viol et les conflits violents. De façon précise, nous travaillons au dossier des disparitions forcées des femmes en Colombie en raison du conflit. Nous appuyons les organisations de défense des droits des femmes du Congo, et nous travaillons surtout à mobiliser les jeunes femmes du mouvement national de défense des droits des femmes pour miser sur les technologies et les médias sociaux pour parler du viol et des conflits violents.

Nous travaillons en Ouganda pour une participation significative des femmes aux négociations de paix dans le cadre de la conversation sur le conflit des Grands Lacs.

Lorsqu'il parle de la question des femmes, de la paix et de la sécurité, le réseau Les femmes, la paix et la sécurité Ð Canada fait référence au vaste ensemble de questions abordées par le Conseil de sécurité des Nations Unies sur ce thème. Depuis l'année 2000, sept résolutions ont été adoptées pour favoriser la participation entière et équitable des femmes à titre d'agents actifs dans la prévention et la résolution des conflits, le maintien de la paix, la consolidation de la paix et la reconstruction d'après-conflit.

J'aimerais prendre quelques minutes pour vous parler du PAC. Bien qu'il soit encore tôt et que le PAC vienne juste d'être lancé, nous avons formulé quelques observations préliminaires.

Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a publié son plan d'action national pour les femmes, la paix et la sécurité en octobre 2010. Comme nous l'avons dit, nous sommes heureuses de voir qu'après un long retard, le gouvernement a enfin publié son deuxième rapport annuel au début du mois.

Bien que nous n'ayons pas terminé l'analyse de ces rapports, nous trouvons qu'il est difficile d'en dégager les thèmes généraux ou de cibler les lacunes, étant donné leur volume et leur exhaustivité. Je vais toutefois tenter d'émettre certaines observations préliminaires, au nom du réseau.

Premièrement, nous tenons à féliciter le gouvernement et le ministre Baird pour les énoncés à l'appui de la lutte contre la violence envers les femmes en situation de conflit. Nous apprécions la liste des initiatives ministérielles et des projets et activités financés, et nous remarquons que le Canada a financé d'importants travaux sur les femmes, la paix et la sécurité partout dans le monde, ce qui comprend un appui envers le travail important de la Ligue des femmes de Birmanie et une conférence sur la résolution 1325 au Soudan du Sud.

Deuxièmement, nous sommes heureuses de voir que le deuxième rapport souligne ceci — et j'insiste — : « L'autonomisation des femmes au regard des processus décisionnels, y compris en ce qui a trait à la résolution de conflits, constitue le cœur de la politique étrangère du Canada. » C'est une déclaration forte, et nous espérons qu'elle sera au cœur des prochaines initiatives.

Troisièmement, malgré tous les renseignements que contient le rapport, il est malheureusement difficile de savoir quelle place occupent ces questions dans l'élaboration des politiques et des programmes canadiens. L'information est présentée de façon anecdotique, souvent sans un contexte général sur la façon dont ces initiatives particulières orientent les initiatives plus vastes en matière de diplomatie, de défense ou de développement. Comme le PAC n'établit pas d'objectifs, il est également difficile d'évaluer les progrès par rapport à ce qui était prévu. Enfin, la majeure partie du rapport se concentre sur les activités réalisées plutôt que sur l'analyse des changements ou les résultats à atteindre.

Quatrièmement, la façon dont les renseignements sont présentés dans le rapport rend difficile le suivi des investissements financiers consacrés aux initiatives sur les femmes, la paix et la sécurité, et de les comparer à l'ensemble des investissements. Nous avons toutefois constaté — et je crois qu'il est important de le souligner — sous l'indicateur 3-1 que seulement 7 p. 100 ou 9 des projets du programme de stabilisation et de reconstruction visaient de façon spécifique les questions d'égalité entre les sexes. De plus, et cela est décevant, près de quatre projets sur cinq de ce même groupe ne visaient aucune analyse des genres, ou visaient une analyse restreinte.

Enfin, au point où nous sommes et après avoir étudié les deux rapports, nous croyons qu'il aurait été intéressant de voir une discussion, ou plutôt une réflexion honnête, sur les imprévus et sur les améliorations que le gouvernement pourrait apporter. De plus, le plan d'action national n'établit pas clairement comment il contribue à accroître les ressources pour ces questions importantes ou si le Canada obtient de meilleurs résultats dans ce domaine. C'est un récit révélateur qui mise sur notre efficacité à promouvoir le rôle et les droits des femmes en situation de conflit. Est-ce qu'on raconte la bonne histoire? Est-ce qu'on réfléchit de manière efficace sur les progrès réalisés ou est-ce qu'on ne fait que rapporter des renseignements simples de façon anecdotique? En fin de compte, je crois que nous voulons tous que ces renseignements soient utiles.

Notre présence ici aujourd'hui est utile pour entreprendre cette discussion, et si vous le permettez, je vais prendre un moment pour vous faire part de certaines de nos recommandations sur le PAC.

Ma première recommandation générale porte sur le leadership. De façon générale, nous demandons au gouvernement du Canada d'assumer clairement son rôle de leader, ce qui veut dire un engagement à long terme et l'affectation de ressources aux questions relatives aux femmes, à la paix et à la sécurité. De façon particulière, cela comprend le soutien aux survivantes et l'élimination de la violence sexuelle en situation de conflit.

Pour être un leader, il faut investir massivement dans les ressources. La ministre Leitch a récemment fait valoir à la Commission de la condition de la femme que le Canada avait consacré 2,85 milliards de dollars à l'initiative de Muskoka sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants. Un engagement semblable envers la lutte contre la violence faite aux femmes au pays et à l'étranger permettrait au Canada de revendiquer le titre de leader dans le domaine des femmes, de la paix et de la sécurité, et dans le domaine de la lutte contre la violence envers les femmes en général. Pour être un leader, il faut veiller à établir un cadre politique robuste qui oriente nos relations internationales et qui fait du droit des femmes et des filles son principe directeur. Est-ce que le nouveau ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, récemment fusionné, adoptera une politique robuste en matière d'égalité entre les sexes qui exigera une analyse comparative entre les sexes cohérente pour toutes les initiatives et accordera la priorité aux résultats explicites en matière d'égalité entre les sexes dans tous les domaines — le commerce, le développement et la défense — et dans tous les volets des travaux du ministère, y compris la paix et la sécurité?

En conclusion, j'aimerais rapidement faire quelques recommandations supplémentaires. Je ne peux insister suffisamment sur l'importance des organisations de femmes communautaires et des défenseurs des droits de la personne locaux, et sur le rôle qu'ils jouent en situation de conflit. Mon organisation soutient ce type d'organisations. Nous savons que leur budget annuel moyen est de moins de 20 000 $. Nous savons qu'une organisation sur cinq ne sait même pas comment elle paiera son loyer du mois suivant. Nous savons que les organisations sont dirigées par des bénévoles et qu'elles n'ont aucune réserve; or, elles persévèrent dans des circonstances des plus complexes et troublantes.

Nous aimerions voir un engagement sincère et légitime envers l'appui des mouvements locaux des organisations de défense des droits des femmes qui tiennent le terrain et innovent en Syrie, au Congo et partout dans le monde. Nous avons des recommandations à vous proposer, si vous en avez besoin.

J'aimerais aussi souligner que les prochains rapports sur le PAC permettront de mieux comprendre la façon dont le gouvernement a contribué au changement et comment les objectifs relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité guident et influencent les orientations en matière de politiques et de programmes; de plus, ils souligneront que le gouvernement doit consulter et faire participer la société civile canadienne — je crois que tous les témoins ont fait valoir ce point aujourd'hui —, ce qui comprend les organisations de femmes, les ONG d'aide au développement et les organisations de paix au cours des prochaines étapes du PAC. Nous voulons travailler avec vous.

Enfin, nous croyons fermement que les progrès du Canada relatifs aux questions qui touchent les femmes, la paix et la sécurité seront uniquement possibles dans le contexte d'une politique étrangère qui offre un soutien général à l'égalité entre les sexes et à l'autonomisation des femmes. La création d'un nouveau ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement offre une excellente occasion de veiller à appuyer les droits des femmes dans l'ensemble du ministère. Toutefois, pour tirer profit de cette occasion, le ministère devra investir des ressources, renforcer ses engagements politiques et placer les droits des femmes et des filles au centre — et non en marge — des politiques et mesures.

En conclusion, nous tenons à vous remercier de nous avoir donné l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui, et nous nous réjouirons d'approfondir la discussion sur ces sujets aujourd'hui et dans l'avenir.

La présidente : Merci beaucoup à vous trois. Nous reconnaissons votre travail continu sur la question des femmes, de la paix et de la sécurité. Vous faites partie intégrante de ce programme; nous vous remercions beaucoup.

Lorsque nous vous avons entendues l'année dernière, vous vous préoccupiez notamment des consultations entre vos groupes et le gouvernement avant la préparation du plan d'action national. Je comprends que de 2006 à 2010, le gouvernement disait être en consultation; il a donc mis beaucoup de temps à déposer le premier plan. Pouvez-vous nous dire à quoi ressemblent les consultations entre vous et le gouvernement ces jours-ci?

Mme Tomlin : Je peux vous répondre de façon générale. Selon les dossiers du réseau Les femmes, la paix et la sécurité Ð Canada, il y a eu une réunion avec le comité interministériel depuis l'adoption du PAC.

La présidente : Avez-vous autre chose à ajouter?

Mme McPhedran : Depuis l'adoption du PAC, je ne crois pas que La Voix des femmes canadiennes pour la paix ait été consultée ou invitée à participer aux réunions, qui étaient beaucoup plus fréquentes avant 2006.

La présidente : Vous êtes allée à New York; je suis certaine que vous avez établi des liens avec de nombreux autres groupes de femmes. Quelle est l'expérience des groupes de femmes des autres pays quant aux consultations avec leur gouvernement?

Mme McPhedran : Je crois que les expériences varient. Toutefois, dans les pays qui font partie de la même catégorie que le Canada, le taux de participation et de financement est beaucoup plus élevé, par exemple en Suède, aux Pays-Bas, en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Nous sommes en situation de désavantage réel dans de nombreux cas, et nous devons le reconnaître. Nous ne recevons pas l'information; nous n'avons pas participé aux discussions.

En fait, j'aimerais vous donner quelques renseignements anecdotiques. Je fais ce travail depuis 20 ans maintenant, et je crois être la plus ancienne à cette table. C'est très différent d'être Canadienne dans le contexte international actuel, puisque nous n'avons souvent pas les renseignements nécessaires pour contribuer de manière importante à l'établissement des stratégies d'avant-garde dont on a grandement besoin.

Mme Bernstein : Je suis d'accord. Notre expérience est similaire à celle décrite par Mme McPhedran.

La sénatrice Ataullahjan : Nous vous remercions de vos exposés. Nous savons que l'avancement des droits des femmes et des filles doit également comprendre la participation des hommes et des garçons. Le gouvernement a en toute conscience décidé d'analyser les différentes répercussions des conflits sur les femmes, les filles, les hommes et les garçons dans le but de protéger efficacement les groupes vulnérables.

Dans quelle mesure concentre-t-on nos efforts sur les hommes et les garçons dans le cadre de la question sur les femmes, la paix et la sécurité? Dans quelle mesure est-il important de nous concentrer sur la population masculine en ce qui a trait à la résolution 1325?

Mme McPhedran : Nous croyons que c'est très important. Nous croyons également qu'il est essentiel de recueillir des données probantes, de ventiler les données et de les analyser afin de dégager les différences entre les sexes. Dans de nombreux cas, il s'agit d'un domaine auquel nous devons accorder beaucoup plus d'attention et de ressources, comme le soulignent les rapports d'étape publiés au cours des deux derniers mois.

Sur le plan de la société civile, je peux vous dire que pour la première fois en 24 ans, La Voix des femmes canadiennes pour la paix comptait deux hommes dans sa délégation auprès de la Commission de la condition de la femme. Cette année, nous avions également un homme au sein de notre équipe. Ils travaillent avec nous non seulement parce qu'ils sont des hommes, mais aussi parce qu'ils travaillent activement au sein de leur collectivité pour faire avancer les questions relatives aux femmes, à la paix et à la sécurité. Ils constatent, tant sur le plan individuel qu'au sein de leurs organisations respectives, la très grande importance de l'harmonisation. Notre objectif commun est toutefois l'égalité des femmes — les droits des femmes et des filles.

Dans sa section portant sur la principale leçon apprise, l'un des rapports publiés récemment montrait clairement une tendance au changement. Le rapport du gouvernement exprime clairement l'avantage de désigner la mise en œuvre des résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité à titre d'important moyen de contribuer à la pleine réalisation des droits de la personne, de la paix et de la sécurité de même qu'à l'efficacité des interventions de la communauté internationale en situation de conflit ou de fragilité aiguë, pour consolider la paix et faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes.

Dans le même ordre d'idée, dans sa section portant sur les leçons apprises, le rapport réitère son engagement envers une analyse approfondie et la collecte de données accrue, qui nous permettent de comprendre les diverses conséquences, les réussites et les échecs selon le sexe.

Mme Bernstein : J'aimerais ajouter quelque chose, rapidement. À titre de participants à la campagne internationale pour mettre fin aux viols et à la violence fondée sur le genre, nous savons que la collaboration est essentielle. Deux membres du comité consultatif, le Réseau pour la justice de genre de Sonke en Afrique du Sud et l'institut Promundo au Brésil, font partie d'une alliance internationale qui travaille avec des organisations de partout dans le monde pour faire comprendre l'importance, comme l'a fait valoir Marilou, de faire participer les hommes au travail pour l'égalité entre les sexes et pour l'égalité des femmes; c'est fantastique. Nous avons pu rencontrer leurs partenaires, notamment le Congo Men's Network. Ils travaillent de façon positive avec les hommes, surtout sur la question de la paternité et d'autres sujets du genre; les analyses font souvent état des violences perpétrées par l'armée, mais de nombreux hommes ont eux-mêmes été maltraités dans l'armée. C'est donc intéressant de trouver de nouvelles façons de travailler avec eux et d'apprendre de leurs expériences. Il me semble qu'ils viennent tout juste d'entreprendre certains de ces travaux.

Encore ici, il faut faire attention de ne pas consacrer trop rapidement le financement aux réseaux d'hommes plutôt qu'aux organisations de défense des droits des femmes. Je crois que nous devons continuer d'appuyer le travail de ces organisations sur le terrain.

Mme Tomlin : Pour revenir sur le point de Liz, les organisations communautaires de défense des droits des femmes que nous appuyons ont recours à toutes sortes de moyens novateurs et créatifs pour travailler avec les hommes de leur village, de leur collectivité et de leur province. C'est le genre de leadership que nous appuyons. Il faut déterminer ce qui est sécuritaire, ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas, et ce qui est approprié ou non sur le plan culturel. Nous voulons appuyer ce leadership et laisser le soin aux organisations de prendre les décisions.

Le sénateur Eggleton : J'ai une question à poser, mais j'aimerais d'abord faire un commentaire. Je vous remercie de vos efforts et de vos exposés d'aujourd'hui. J'en retire plusieurs suggestions, auxquelles je suis très réceptif, comme l'idée d'accroître le leadership du Canada, et de nommer un champion d'échelon supérieur à cette fin; l'offre de services de reproduction complets; et nos préoccupations communes quant à la réputation entachée du Canada à l'échelle internationale à cet égard et pour de nombreuses autres questions. Je ne veux pas trop m'attarder à ce sujet, parce qu'on pourrait m'accuser de verser dans la politique.

De plus, en ce qui a trait à la prolifération des armes, nous devons signer le Traité sur le commerce des armes.

Madame Tomlin, vous avez parlé des organisations communautaires, et je présume qu'il s'agit des organisations de femmes dans les pays en situation de conflit. Vous avez dit qu'elles fonctionnaient avec des budgets restreints; elles ont très peu d'argent pour survivre et pour faire leur travail. Est-ce que le gouvernement canadien finance actuellement ces organisations?

Mme Tomlin : Non, pas vraiment; pas de façon significative. Notre grand défi, c'est que le programme pour le développement a beaucoup changé au cours des dernières années dans le but de rendre des comptes publics et de démontrer son incidence et ses résultats. Le programme ne s'harmonise pas au fonctionnement de ces organisations. Elles n'ont parfois même pas de locaux. Elles ne sont pas dotées des outils de surveillance et d'évaluation requis. Nous savons que 90 p. 100 des organisations de défense des droits des femmes qui travaillent dans l'hémisphère sud n'ont pas accès aux fonds des ressources multilatérales ou bilatérales, surtout parce qu'elles n'ont pas les procédures comptables appropriées. Or, ces organisations sont établies depuis 30 ans, et seront encore là dans 30 ans; elles sont le catalyseur d'un changement réel en profondeur.

Le sénateur Eggleton : Y a-t-il d'autres pays dont les programmes d'action nationaux ressemblent à notre PAC? Est- ce qu'ils fournissent une aide, du financement direct ou d'autres formes de soutien aux mêmes organisations?

Mme Tomlin : Oui, et Marilou voudra peut-être intervenir, mais il y a divers mouvements en branle.

Premièrement, il faut dire que les fonds réservés aux femmes jouent un rôle très important. Il existe divers grands fonds mondiaux pour les femmes, et MATCH en est la version canadienne, mais il en existe d'autres qui représentent des sommes importantes. Ils créent des bourses et lèvent des fonds dans des pays riches afin de remettre cet argent entre les mains d'organisations de défense de droits des femmes. Il ne s'agit pas nécessairement de gros montants, il peut parfois s'agir de 10 000 $ ou de 20 000 $ en contributions annuelles ou un peu plus pour les grandes institutions ou des institutions régionales.

Le Royaume-Uni est un chef de file en la matière et veille vraiment à ce qu'il y ait des mécanismes qui lui permettent de financer les organisations qui défendent les droits des femmes sur le terrain. Les Pays-Bas sont un autre leader en la matière. Liz ou Marilou, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Bernstein : J'aimerais ajouter l'exemple des Pays-Bas. Il y a six ans, les Pays-Bas ont commencé à financer le Fonds des OMD pour atteindre le troisième objectif du Millénaire pour le développement d'atteindre l'égalité de 50 millions d'euros sur trois ans pour les organisations qui défendent les droits des femmes en particulier. Lorsque cet objectif a été atteint, ils ont lancé un autre fonds de 70 millions d'euros appelé le Fonds du leadership et des débouchés pour les femmes. C'est un investissement fantastique dans les organisations de défense des femmes et de leurs droits, mais devant le défi, ils n'arrivaient pas nécessairement à financer tous les petits groupes dont nous avons parlé. Ils ont pris diverses mesures comme de contribuer à des fonds pour les femmes pour que l'argent soit redistribué sous forme de subventions à des plus petits groupes pouvant les gérer. L'homologue de Jessica aux États-Unis, par exemple, qui dirige le Global Fund for Women, a reçu des fonds du gouvernement néerlandais.

Mme McPhedran : J'aimerais ajouter une chose à ce modèle. C'est essentiellement un partenariat public-privé, dans lequel les fonds gouvernementaux sont liés à des fonds de fondations privées (c'est le cas de Cordaid, aux Pays-Bas, le plus grand regroupement d'organismes de financement confessionnels), si bien que les sources de financement convergent non seulement pour offrir de l'assistance technique, un élément souvent très important, mais pour aider les organismes locaux à faire leur travail sur le terrain, en première ligne. L'analyse des coûts et des résultats de ce travail montre que les avantages surpassent de loin les coûts. D'une certaine façon, nous faisons fausse route lorsque nous exigeons une reddition de comptes correspondant aux modèles qui nous semblent essentiels dans notre pays. Nous ne devrions pas chercher à exporter ce modèle.

La sénatrice Andreychuk : J'aimerais avoir une précision. Vous avez dit que certains groupes de femmes n'étaient pas financés. Je sais pourtant que le Canada finance les groupes de femmes, donc pouvez-vous nous dire de quels groupes il s'agit et dans quelle catégorie entreraient leurs projets? Je doute que nous ayons le temps d'entendre votre réponse, mais si vous pouviez me dire de quels groupes vous parliez et transmettre l'information au greffier, ce serait apprécié. Je suis en contact avec beaucoup de groupes qui sont financés et luttent pour les femmes et contre la violence, donc je suis un peu perplexe, je ne sais pas trop de quoi nous parlons ici. Il se pourrait que le DFID en finance certains et que les Pays-Bas en financent d'autres, dans le contexte des OMD ou pour la défense des femmes en général, mais il y a d'autres projets qui portent sur la santé maternelle et qui combattent la violence en zone de conflit, donc je ne sais pas trop de quelles organisations vous parlez parce qu'évidemment, le Canada ne peut pas les financer toutes, et le DFID non plus. Pouvons-nous savoir de quels groupes vous parlez, après quoi je pense que nous pourrions demander au gouvernement de nous expliquer les mesures qu'il prend. Je suis confuse et j'aimerais qu'on m'éclaire. S'il y a de meilleures façons de faire, ce pourrait être la façon de les découvrir.

La présidente : Serait-ce possible, madame Tomlin? Pouvez-vous nous aider à obtenir l'information?

Mme Tomlin : Certainement.

La présidente : Merci. Le programme des femmes, de la paix et de la sécurité vise à permettre aux femmes de participer à l'établissement, au maintien et à la consolidation de la paix ainsi qu'à la reconstruction. La grande situation qui retient l'attention en ce moment est celle en Syrie. Je suis déçue du rôle joué par notre gouvernement pour faire participer les femmes au processus de négociation ou de maintien de la paix à Genève pour la Syrie. Pourrais-je savoir ce que vous en pensez?

Mme McPhedran : Je pense qu'il y a un enjeu central dans la situation qui découle du conflit en Syrie et du processus de Genève I et II. Le secrétaire général des Nations Unies, le Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que les membres de l'Assemblée générale des Nations Unies et ceux du Conseil des droits de l'homme doivent tous porter attention au fait que l'un des médiateurs nommés par l'ONU, l'envoyé spécial Brahimi, contrevient aux règles. Le Conseil de sécurité a adopté maintes résolutions, sept jusqu'ici entre 2000 et 2013, qui dictent toutes sans exception, depuis la résolution 1325, que les femmes doivent être incluses dans les accords de paix, dans les négociations de la paix pour la reconstruction après un conflit (et vous pouvez couper le salami très fin ici, il y a beaucoup d'aspects à tout cela), et ce qui s'observe ici va à l'encontre du droit international établi par les résolutions du Conseil de sécurité et la politique interne de l'ONU. Pourquoi les pays n'exigent-ils pas que le secrétaire général fasse quelque chose pour corriger le problème?

La présidente : D'après ce que je comprends, lorsqu'il a rencontré les femmes, il a parlé, mais n'a même pas attendu qu'elles présentent leur point de vue. Il est parti, et là s'est terminée sa contribution.

Madame Tomlin, madame Bernstein, avez-vous quelque chose à ajouter à cela?

Mme Bernstein : Non, je suis totalement d'accord avec Marilou et je serais prête à appuyer toute mesure potentielle du gouvernement du Canada pour exprimer notre indignation au secrétaire général, à nos homologues de l'ONU et aux autres gouvernements, afin de faire pression sur l'ONU pour qu'elle fasse respecter ses résolutions dans la situation grave de la Syrie.

La présidente : Je vous remercie toutes les trois infiniment de vos exposés. Nous vous sommes très reconnaissants de votre appui constant aux travaux du comité. Nous sommes bien conscients que sans votre aide, nous ne pourrions pas défendre aussi bien ce dossier, donc nous apprécions beaucoup votre aide en ce sens. Nous nous réjouissons déjà à l'idée de retravailler avec vous à l'avenir.

Nous allons maintenant faire place à notre prochain groupe de témoins. C'est avec beaucoup de plaisir que je souhaite la bienvenue à trois véritables spécialistes des enjeux des femmes, de la paix et de la sécurité : Nahla Valji, conseillère en politiques et responsable du secteur Paix et sécurité des Femmes de l'ONU, qui se trouve à New York; Sanam Naraghi-Anderlini, co-fondatrice de l'International Civil Society Action Network; ainsi que Jacqueline O'Neil, directrice de l'Institute for Inclusive Security.

S'il y a trois grandes spécialistes de la question, c'est bien vous. Nous avons très hâte de vous entendre.

Nahla Valji, conseillère en politiques et responsable, secteur Paix et sécurité, Femmes de l'ONU : Madame Jaffer, je vous remercie infiniment de m'avoir invitée ici aujourd'hui. C'est un grand privilège pour moi, à titre de Canadienne, de pouvoir m'entretenir avec vous tous, et c'est également un privilège de le faire sur un enjeu pour lequel le Canada a véritablement joué un rôle de leader mondial dans l'histoire.

Pour ceux et celles qui travaillent pour l'ONU à New York, le Canada assume la responsabilité de rassembler le groupe des Amis de la résolution 1325, une tribune extrêmement importante pour les États membres, la société civile et les Nations Unies, qui leur permet de se réunir pour rappeler constamment le message de la résolution, discuter de la façon dont nous pouvons renforcer ce programme ensemble et échanger de l'information entre acteurs concernés.

Je vais concentrer mon bref exposé d'aujourd'hui sur trois éléments. J'aimerais commencer par vous présenter l'état de la situation sur le programme des femmes, de la paix et de la sécurité, vous parler ensuite quelque peu du travail des Femmes de l'ONU en la matière et conclure avec quelques observations sur le rôle que le Canada pourrait jouer à mon avis pour continuer d'assumer son rôle de leadership, particulièrement en vue de l'année importante que constitue 2015 pour ce programme.

Comme un témoin du dernier groupe l'a mentionné, nous nous appuyons actuellement sur sept résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité, dont beaucoup ont été adoptées successivement au cours des cinq dernières années. L'année dernière, nous avons réalisé des gains normatifs remarquables. En effet, le Traité sur le commerce des armes contient une disposition contraignante sur la reconnaissance des liens avec la violence fondée sur le sexe. De plus, la CEDAW contient désormais une nouvelle recommandation générale qui protège les droits des femmes dans la prévention des conflits et en situation de conflit.

Il y a ensuite eu deux résolutions successives du Conseil de sécurité : la résolution 2106 et surtout, la 2122. Je pense que la résolution 2122 est arrivée particulièrement à point et qu'elle était nécessaire pour recadrer résolument les travaux du conseil et remettre à l'avant-plan les enjeux liés au leadership des femmes et à leur participation. Bien que la résolution 1325 revête une importance capitale, puisque c'était la première fois que le conseil reconnaissait l'importance de la participation et du leadership des femmes en matière de paix et de sécurité, la résolution 2122 prend pour la première fois les intentions formulées dans la résolution 1325 et leur donne du mordant. Elle accroît la responsabilité de divers acteurs, y compris du Conseil de sécurité, qu'elle oblige à intégrer le programme des femmes, de la paix et de la sécurité à tous les aspects de son travail, de manière à ce qu'il exige que tous les documents d'information et les rapports qui lui sont présentés contiennent des renseignements sur la situation des femmes dans ces contextes et ce qui est fait pour faciliter leur participation.

La résolution 2122 exhorte les acteurs à accélérer l'établissement de cibles et d'indicateurs ou d'objectifs ambitieux en vue de 2015, ce qui sous-entend de se doter de plans d'action nationaux et régionaux. Elle jette également les assises de l'examen prévu pour l'an prochain, soit l'examen de haut niveau du 15e anniversaire de la résolution 1325 par le conseil.

À cet égard, à la demande du secrétaire général de l'ONU, la tâche de mener une étude exhaustive sur l'application de la résolution 1325 dans le monde a été confiée aux Femmes de l'ONU, une occasion en or, à mon avis, de déterminer, d'évaluer et d'analyser les difficultés et les lacunes des 15 dernières années et de nous pencher sur les façons dont nous pouvons en stimuler l'application au cours des prochaines années.

Notre cadre normatif a énormément évolué au cours des dernières années, et nous martelons constamment, je crois, le même message et la même rhétorique auprès des divers acteurs sur la scène internationale.

Il y a encore des ratés au chapitre de son application. Malgré nos efforts pour marteler constamment le même message et les cadres stratégiques qui sont mis en place, nous continuons d'observer de réelles lacunes en ce domaine, et la faible participation officielle des femmes aux processus de paix n'en est qu'un exemple.

Les statistiques sur la participation des femmes stagnent sous la barre des 10 p. 100. Quelques gains variables et ponctuels ont été réalisés au cours de la dernière année. Par exemple, en Colombie, où il n'y avait absolument aucune femme à la table de négociation, le gouvernement a nommé deux médiatrices sur cinq médiateurs en tout de son côté, ce qui nous confère un taux de représentation de 40 p. 100. Plus récemment, aux Philippines, l'équipe de médiateurs délégués par le gouvernement pour négocier avec les rebelles du MNLF comportait un taux de représentation de 75 p. 100.

Nous enregistrons donc des gains, mais ils demeurent variables et ponctuels. Dans l'exemple de la Syrie, ces gains restent variables. Aucun mécanisme n'a été mis en place à ce jour pour garantir des taux importants de représentation des femmes au sein des délégations officielles prenant part aux pourparlers, de même qu'un processus participatif qui inclurait des représentants de la société civile, dont une proportion élevée se composerait de femmes, de même que des spécialistes des différences entre les sexes dans les activités de médiation, afin que les accords de paix aient pour effet de favoriser l'égalité entre les sexes et de donner du pouvoir aux femmes.

Je sais que les autres témoins de ce groupe vont vous parler un peu plus des processus de paix participatifs, mais je tiens à souligner que l'exercice de la prochaine année et l'étude internationale qui s'en vient pourraient vraiment nous aider à renforcer notre argumentation sur ces enjeux et à faire valoir qu'il ne s'agit pas simplement de la représentation des femmes, toute importante cette question soit-elle. C'est une absolue nécessité. Nous savons que, lorsque les femmes ne sont pas représentées dans les pourparlers de paix (les mécanismes juridiques transitoires, les élections suivant le conflit), on se heurte inévitablement à l'exclusion des femmes dans tous les processus qui suivent pour la reconstruction après le conflit. On ne peut pas construire des sociétés démocratiques et inclusives si l'on exclut les femmes des discussions sur leurs fondements mêmes. D'abord et avant tout, je crois qu'il faut commencer à s'intéresser aux mécanismes participatifs ainsi qu'aux études et aux données dont nous disposons sur la participation et la contribution des femmes à la durabilité à long terme des accords de paix.

Comme je l'ai mentionné, c'est là où nous en sommes dans le processus normatif et la mise en œuvre. J'aimerais maintenant vous présenter un peu le travail que les Femmes de l'ONU réalisent à cet égard.

Comme vous le savez, les Femmes de l'ONU sont la dernière entité créée dans le système de l'ONU. Notre organisme a été créé par résolution de l'assemblée générale en 2010 et a vu le jour en 2011, ce qui en fait une entité très nouvelle. Cependant, les femmes, la paix et la sécurité sont l'un des cinq piliers auxquels nous nous organisons. Nous assurons le leadership dans le système de l'ONU pour assurer le respect des engagements de l'ONU à cet égard, et nous nous efforçons d'offrir toute la recherche, l'expertise technique et l'appui voulus aux différents pays pour les aider à respecter leurs engagements dans le cadre du programme des femmes, de la paix et de la sécurité. Bien sûr, nous aidons également les organisations de la société civile en zones de conflit. Pour faire écho aux témoins du groupe qui m'a précédée, il est crucial de mettre l'accent sur les femmes de la société civile en zones de conflit. Nous nous penchons souvent sur la situation de pays dont les institutions nationales et les structures censées offrir des services aux citoyens ont été détruites pendant le conflit, et ce sont souvent des organisations de femmes de la société civile qui y assurent les services. Ces organisations sont bien ancrées dans leurs communautés, ce qui leur permet de mobiliser les femmes et d'acquérir leur appui pour favoriser la participation des femmes aux processus de paix et de sécurité.

Pour ce qui est de notre travail tangible, il y a sans doute bien des éléments pour lesquels nous pourrions parler de bonnes pratiques, mais j'aimerais attirer votre attention sur un élément essentiel. Il est crucial de prêter attention à la participation des femmes parce que nous observons véritablement la transformation qui s'opère lorsqu'elles participent à la paix, à la sécurité et au rétablissement après un conflit. Les recherches menées par les Femmes de l'ONU montrent par exemple que lorsqu'on investit les dividendes économiques d'après-conflit dans les femmes, les effets sur le rétablissement des familles et des communautés se font ressentir directement de manière exponentielle. Nous savons qu'il existe un lien entre l'autonomisation économique, le rétablissement et la stabilité des communautés. Nous avons des recherches qui montrent que lorsqu'on emploie des mesures spéciales temporaires ou qu'on impose des quotas dans les élections organisées après le conflit, les femmes sont réélues en plus grande proportion que les hommes lors de l'élection suivante. Nous croyons que cela s'explique simplement par le fait que la modélisation de la participation des femmes dans des contextes où ce n'était pas la norme fait changer la perception du rôle que jouent les femmes dans la société, ce qui peut avoir une incidence phénoménale, tant sur la fonction publique que sur la perception des femmes et de leur rôle dans la société. Les quotas et les mesures spéciales temporaires sont des outils très importants à utiliser. Comme je l'ai déjà mentionné, il y a bien sûr aussi les processus de paix participatifs. Lorsque les mécanismes participatifs mis en place prévoient une représentation de la société civile et des femmes, on observe, selon les recherches les plus récentes, que le potentiel de durabilité des mécanismes en question augmente exponentiellement.

Comme nous savons sur quoi nous devons nous concentrer, quel rôle le Canada peut-il jouer pour continuer de faire avancer ce programme et d'assumer le leadership qui le caractérise depuis longtemps? Je crois que pour se préparer à l'examen de haut niveau prévu en 2015, il serait à son avantage d'appuyer l'étude internationale sur l'application de la résolution 1325, c'est-à-dire d'utiliser le rôle qu'il joue à la tête des Amis de la résolution 1325 pour mobiliser les États membres autour de cet enjeu, pour les inviter à s'approprier ce programme et leur donner des conseils sur la tenue de consultations régionales et de consultations des femmes pour que nous puissions véritablement étudier l'incidence de ce programme depuis 15 ans. Plutôt que de nous concentrer encore sur les processus, les échéances et les chiffres, regardons quels en sont les effets sur le terrain. Quelles sont les données dont nous disposons et comment pouvons- nous les utiliser pour renforcer notre programme et notre propre argumentation à partir de maintenant?

Par ailleurs, le Canada pourrait utiliser sa politique étrangère, en particulier, pour influencer les mécanismes en place lorsque nous participons aux conférences des donateurs et aux processus de paix, afin qu'on y martèle toujours le même message et qu'on incite les pays à favoriser la participation des femmes. Aux conférences des donateurs, par exemple, nous pouvons veiller à ce que des représentantes de la société civile soient présentes à la table pour déterminer comment l'argent sera dépensé pour assurer le rétablissement après un conflit. On pourrait aussi veiller à ce que les processus de paix comprennent un financement permanent réservé pour la participation des femmes et de la société civile, pour que les femmes puissent influencer les processus, pour qu'elles soient présentes là où c'est nécessaire et qu'elles aient les moyens et la liberté de communiquer leur message et d'atteindre les résultats escomptés. Pour terminer, nous veillons à ce que les organisations de défense de la société civile et des femmes dans les pays qui sortent d'un conflit soient suffisamment financées pour avoir accès aux ressources et au soutien requis en période de transition pour assurer la pleine participation des femmes à toutes les mesures prises pour prévenir les conflits, les résoudre et assurer le rétablissement économique de la société après le conflit.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de cet exposé.

Nous avons des questions à vous poser, mais nous allons commencer par terminer d'entendre les exposés.

Sanam Naraghi Anderlini, cofondatrice, International Civil Society Action Network : Je vous remercie infiniment de m'avoir invitée, madame Jaffer. C'est un honneur pour moi d'être avec vous ce soir. Je me sens comme une Canadienne honoraire, si vous voulez bien me permettre d'en être une.

J'aimerais commencer par vous parler un peu du leadership du Canada dans ce programme. Le Canada occupe une place très spéciale dans le cœur de tous ceux et celles qui luttaient déjà pour cette cause bien avant qu'elle n'ait un nom et un numéro. Le Canada faisait partie du Conseil de sécurité en 1999, et il a été l'un des premiers pays non seulement à appuyer cette idée et ces idéaux, mais à prendre une position stratégique en ce sens. Je me rappelle avoir rencontré alors la mission canadienne à New York pour demander à ses membres s'ils voulaient bien organiser la première réunion du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité. L'ambassadeur d'alors avait répondu que ce ne serait pas tactiquement avisé parce que le Canada s'était déjà fait le champion des enfants en conflit armé. Il y avait donc un danger qu'on associe encore les femmes aux enfants et qu'on voie cet enjeu comme un seul et un même enjeu social secondaire plutôt que comme une question de sécurité très centrale. Il était donc important de séparer les deux enjeux. Bien sûr, à l'époque, les Canadiens comprenaient que la sécurité humaine était au cœur des défis liés à la sécurité nationale et internationale de notre temps, et nous l'avons constaté à répétition dans les nombreux conflits qui nous ont occupés depuis.

Le Canada était également la grande puissance à œuvrer en coulisse. Comme Nahla l'a mentionné, la mission à New York a pris les commandes de la formation du groupe des Amis de la résolution 1325, dont le nombre de membres ne cesse de croître et qui continue de se réunir encore aujourd'hui. Encore une fois, ceux et celles d'entre nous qui luttent activement pour la cause depuis longtemps sont persuadés que le rôle que le Canada a joué sur la scène internationale et le leadership déterminant qu'il a assumé sont de la plus grande importance. Il ne porte pas l'histoire militaire de ses voisins du sud, là même où nous nous trouvons, ni l'histoire coloniale de beaucoup de pays européens. Il est donc perçu différemment et a joué un rôle différent au début de cette croisade. En toute honnêteté, je dois dire que nous avons été très attristés de voir le Canada se retirer de l'avant-scène pour laisser ce leadership à d'autres. Les effets s'en font sentir de manière évidente de bien des façons. J'aimerais vous expliquer brièvement comment avant de vous parler un peu plus du travail de la société civile et des organismes comme le mien et de ce que nous espérons du Canada à l'avenir.

Premièrement, comme Nahla l'a mentionné, l'application de la résolution pose tout un défi. Bien qu'elle ait acquis de la visibilité dans bien des secteurs depuis une quinzaine d'années, nous sommes nombreux à craindre que si son rayonnement s'est élargi, le programme a perdu en profondeur, si l'on veut. À Washington, par exemple, au département de la Défense, on raconte que les États-Unis s'enorgueillissent du fait qu'ils ouvrent des postes de combat aux femmes. En tant que militante pour la participation des femmes, je ne verrais pas le rôle des combattantes pour améliorer la guerre comme l'un des objectifs du programme des femmes, de la paix et de la sécurité.

De même, nous observons une tendance à chercher à tout prix à attirer les femmes au niveau décisionnel, sans vraiment se préoccuper de ce que ces femmes représentent. Pour bon nombre d'entre nous, ce n'est pas qu'une question de promotion au sein des bureaucraties, des armées et des parlements sur la base de nos caractéristiques biologiques. C'est vraiment la perception des femmes qui compte, je veux dire l'analyse des enjeux les plus complexes du point de vue de leurs incidences sur les hommes et les femmes et de la façon dont les hommes et les femmes les abordent; quelles sont leurs façons de voir ces enjeux? Bien sûr, notre travail est très lié au concept du conflit et de la crise.

Fondamentalement, si l'on se penche sur l'intention exprimée fortement par la résolution 1325, c'est-à-dire la participation des femmes (et je vais également vous parler de protection et de maintien de la paix un peu plus tard), ce qui a l'effet le plus transformateur, c'est le message de la participation des femmes, et particulièrement de la société civile, en tant qu'actrices et voix en faveur de la paix aux tables de négociations où se décide l'avenir des pays.

Pourquoi parlons-nous de ces femmes? Selon mon expérience, et je crois que mes collègues ont observé la même chose que moi, il s'agit de femmes qui, dans les situations les plus dangereuses, ont eu le courage de se tenir debout, de réclamer la paix et la normalité dans leur société et d'agir en conséquence. Très souvent, des gens semblent juger cet objectif idéaliste. Franchement, à mon humble avis, les femmes ne sont pas idéalistes, ce sont de très grandes pragmatiques dans ce qu'elles font. Elles savent que si l'on ne se bat pas pour les droits et la justice, si l'on ne s'engage pas sur la voie de la réconciliation ou de la médiation (ou dans des négociations de cessez-le-feu, comme en Syrie en ce moment), si l'on ne tient pas compte de tous les aspects, la paix elle-même ne sera jamais possible ou ne pourra pas durer. C'est un point de vue pragmatique.

C'est en réalité une réorientation du pouvoir, et c'est là où l'on se heurte aux plus grands obstacles, si l'on veut. En ce moment, on continue d'exercer la diplomatie comme à l'habitude. J'aimerais qu'on inscrive ce concept dans le contexte de la diplomatie internationale ou de la diplomatie traditionnelle et de son histoire. Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie qu'on consacre beaucoup d'attention à la diplomatie par la puissance, qu'on cherche à négocier avec les États puissants plutôt que de se demander qui sont les véritables acteurs au sein de ces États.

Cela signifie qu'on privilégie ceux qui portent des armes, d'une certaine façon. Il y a une vingtaine d'années, on ne négociait pas avec les groupes rebelles; on disait qu'il s'agissait d'acteurs non étatiques et qu'il n'y avait pas lieu de négocier avec eux. Aujourd'hui, on leur paie l'avion pour les faire venir, on leur offre toutes sortes d'allocations, ainsi que de la formation pour les mettre sur un pied d'égalité avec les représentants des gouvernements contre qui ils se battent. Mais ce faisant, on privilégie les acteurs non étatiques armés au détriment des acteurs non étatiques non armés. On se demande toujours qui sont les acteurs non étatiques non armés, c'est-à-dire les membres de la société civile, des groupes souvent dominés par les femmes.

Dans nos propres cultures organisationnelles, si je regarde un peu le modèle de l'ONU et d'autres institutions multilatérales, il y a toujours un scepticisme à l'égard de la composition de la société civile et de ses acteurs. Je vais vous parler un peu de ce que nous avons étudié dans le cadre de notre travail.

Il y a d'autres facteurs également. L'un des problèmes persistants, c'est la perception que notre objectif dans les processus de paix est la « paix négative », c'est-à-dire la simple fin de la violence, comme si ce devait être un objectif en soi. La fin de la violence est un élément important, mais si elle produit un état de paix négative, où l'on se contente de rassembler les acteurs armés de l'élite politique afin qu'ils se divisent la tarte, qu'ils conviennent du partage des pouvoirs, comme on le dit souvent, l'objectif de créer une situation plus positive et de s'attaquer aux causes profondes du conflit ne sera jamais vraiment atteint. Je pense que c'est l'une des raisons pour lesquelles 50 p. 100 des quelques processus de paix menés au cours des 30 dernières années ont vraiment échoué. Il faut y remédier.

Il y a aussi un autre aspect qui représente un défi pour les gouvernements, le système de l'ONU et les organisations internationales. Nous sommes tous en train de devenir de très bons défenseurs, mais qui agit vraiment? Ce programme est né de femmes qui ont décidé de se lever debout, qui ont pris position, en Irlande du Nord, en Israël, en Palestine, en Afrique du Sud ou ailleurs, et avec le temps, d'autres les ont imitées dans bien d'autres pays comme le Sri Lanka, le Pakistan et l'Afghanistan. Autrement dit, il y a des femmes qui ont décidé d'être le changement qu'elles souhaitaient, pour reprendre les mots de Gandhi.

Malheureusement, nous avons atteint un stade où il y a des normes, mais où chacun s'attend à ce que quelqu'un d'autre normalise la situation et intervienne. Il y a beaucoup de groupes de défense, mais qui agit vraiment, qui assume la responsabilité de prendre des mesures et de faire ce qu'il peut avec ses ressources? Il y a un manque, ici, et c'est l'une des grandes difficultés auxquelles nous nous heurtons.

Je dois aussi déplorer que le savoir à lui seul ne signifie pas l'action. Le simple fait que nous sachions que des femmes se font violer en RDC ou que les réfugiés affluent au Moyen-Orient ne se traduit pas nécessairement par des mesures concrètes. Je dirais même que l'inaction est dangereuse en soi, parce qu'on devient vite dépassé. Il faut y réfléchir. Nous avons certes besoin d'information, mais il vient un temps où il faut agir, ce qui peut sous-entendre de prendre des risques et de faire les choses différemment.

J'en arrive à ce que nous essayons de faire à partir de la société civile et à ce que nous attendons du Canada. Sur le plan conceptuel, l'un de nos objectifs est de changer la conception générale de la paix pour qu'au lieu d'y voir un lieu de partage des pouvoirs, on parle du partage des responsabilités, de la responsabilité de chacun des acteurs envers les citoyens et les collectivités qui en dépendent.

C'est là où la société civile revêt toute son importance. Les recherches montrent que quand la société civile participe aux processus de paix, les risques d'échec s'en trouvent réduits de 64 p. 100. C'est une donnée quantitative importante qu'il importe de qualifier, si bien qu'il faudra l'analyser davantage, mais nous pouvons déjà vous dire d'expérience que c'est ce que nous avons observé dans notre travail et nos recherches, surtout du point de vue du travail des femmes.

Que cela signifie-t-il concrètement? Il faut remettre en question certains de nos blocages. Dans le cadre de nos travaux réalisés en 2010, mon équipe et moi nous sommes constamment heurtés à la même question : qui est la société civile? De qui s'agit-il exactement et qui représente-t-elle? C'est une question qui se pose dans le cas de la Syrie. Elle s'est posée dans celui de la Libye et elle se posera sans nul doute encore dans le contexte d'autres pays à l'avenir.

Il existe une idée préconçue selon laquelle ces acteurs ne seraient pas légitimes. Qui représentent-ils? En toute honnêteté, si l'on regarde un peu qui siège aux tables de négociation de la paix un peu partout dans le monde, il est très difficile d'affirmer que ces acteurs sont vraiment représentatifs de leur société ou qu'ils sont légitimes de ce point de vue, qu'ils représentent des citoyens ou de grands pans de la population. Pourtant, on accepte de leur parler.

Il faut cesser de se demander de qui il s'agit pour plutôt se demander ce qu'elle fait. Si nous savons qu'il y a des groupes de la société civile qui sont actifs sur le terrain, regardons en quoi ils contribuent à la paix. Quelles sont leurs valeurs de base? Quel genre de citoyens en font partie? Quelles sont leurs activités? Ont-ils des compétences en reconstruction ou en secours humanitaires, en cessez-le-feu et en médiation? Est-ce que leur travail transcende les lignes de conflit?

Dans l'exemple de la Syrie, nous avons examiné le travail de la société civile parallèlement à la sécurité intrusive et nous avons constaté que les deux experts internationaux qui ont étudié ces questions de même que les acteurs de la société civile syrienne privilégient la même liste de critères généraux pour sélectionner des participants de la société civile. Elle n'est pas parfaite, on ne veut pas choisir des membres de la société civile au détriment d'autres, mais du point de vue de la communauté internationale, on peut sûrement créer un espace où ces gens pourraient discuter des enjeux et des leçons tirées du passé, pour se tourner vers l'avenir de façon stratégique. On peut sûrement établir un pont entre ce qu'on appellerait généralement la deuxième voie et les processus réservés à la première voie. Nous pourrions vous transmettre l'analyse et les articles que nous avons en notre possession à ce propos.

Il y a encore un autre aspect, dont Nahla a un peu parlé, c'est-à-dire l'importance de nous doter d'un fonds de la paix indépendant pour la société civile. Il faut reconnaître le travail des femmes pour la paix — et je dois dire qu'en ce moment, particulièrement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, la défense des droits des femmes revêt un caractère politique également —, il faut reconnaître aussi que la société civile peut être à couteaux tirés avec son propre gouvernement. Ainsi, si les mécanismes de financement ne passent que par des organisations multilatérales et que ces organisations sont tenues d'informer leurs gouvernements ou leurs missions des groupes de la société civile qui reçoivent du financement, les groupes les plus indépendants, actifs et transformateurs seront souvent les derniers à recevoir de l'aide.

De plus, le temps qu'il faut pour présenter une demande de financement et toutes les complications qui s'ensuivent ralentissent vraiment beaucoup d'organisations au point qu'elles ne peuvent plus être concurrentielles. Les organisations internationales prennent donc leur place, mais les fonds ne se rendent pas aux personnes à qui ils sont destinés. Nous vous recommanderions, pour 2015 peut-être, de créer un fonds indépendant des femmes de la société civile pour la paix, un fonds pour la paix selon la résolution 1325, qui serait administré avec indépendance et pourrait verser de petites sommes d'argent rapidement, selon des paramètres très clairs, en fonction du type de travail, afin de mobiliser les femmes dans des interventions stratégiques et tactiques en vue de la paix et de la sécurité. Ce ne serait donc pas un simple fonds général pour les femmes.

Le troisième élément revient encore une fois à l'un des aspects du travail de notre réseau, à savoir l'importance de lier les ressources aux expériences régionales. Par exemple, nous avons créé un programme d'échange pour les acteurs de la société civile du Moyen-Orient et de l'Asie, afin qu'ils puissent apprendre les uns des autres. C'est extrêmement efficace. Nous n'avons pas de bureaux dans ces pays, mais nous travaillons avec des partenaires, qui sont des militants locaux. Nous leur accordons de petites bourses, peut-être 6 000 $ ou 10 000 $, pour rendre l'échange possible. Les personnes qui y participent constatent toutes les possibilités qui existent de s'engager à l'échelle locale. Même un pays comme le Sri Lanka, dont les rapports avec la collectivité internationale ne sont pas toujours faciles en raison de facteurs liés à la sécurité et aux droits des femmes, peut trouver des occasions d'échanger sur le fruit des expériences de ses citoyens avec des groupes du Pakistan, de l'Afghanistan, de l'Iran et ailleurs.

C'est une manière importante de faire avancer les choses, de montrer qu'il ne s'agit seulement pas de tenir compte des femmes et de leurs droits dans le contexte de la paix et de la sécurité dans le monde, mais de revoir la conception que nous en avons. Ce sont des valeurs universelles et non des principes occidentaux fondés sur des valeurs ou une histoire coloniale, comme certains chefs d'État l'estiment parfois.

La présidente : Est-ce que je peux vous arrêter ici? Beaucoup de gens ont des questions à poser.

Mme Naraghi-Anderlini : D'accord.

La présidente : Madame O'Neill, s'il vous plaît.

Jacqueline O'Neill, directrice, Institute for Inclusive Security : Je vais reprendre quelques thèmes abordés par Sanam et quelques observations de Nahla. J'aimerais aborder plus en profondeur la question du plan d'action national du Canada et quelques façons d'en renforcer l'application. Bien sûr, à l'instar de Nahla, je dois vous dire que c'est un très grand honneur pour moi, en tant que Canadienne, de m'exprimer devant ce comité pour examiner le plan d'action national de mon propre pays et d'utiliser le mot « nous » pour parler de ces projets.

Comme je suis la dernière présentatrice, j'aimerais nous rappeler la raison même de cette conversation : nous sommes ici pour nous demander pourquoi la résolution 1325 et les plans d'action nationaux sont importants. On l'oublie souvent en cours de route. S'il importe de reconnaître la puissance des femmes partout comme agents de changement et de les intégrer pleinement à notre travail, ce n'est pas parce que c'est à l'avantage des femmes et des filles, mais parce que c'est une nécessité stratégique. Le plan d'action national du Canada est un outil de politique étrangère qui, lorsqu'il est bien appliqué, renforce fondamentalement tous nos efforts pour forger la paix et la sécurité dans le monde. Ultimement, l'objectif est de tirer pleinement profit de nos investissements en argent et en vies canadiennes en Afghanistan, par exemple; de faire en sorte que les pourparlers de paix en Syrie mènent à un accord durable; de trouver une solution négociée entre Israéliens et Palestiniens, qui sera acceptée par les peuples des deux groupes; et enfin, de définir et d'exercer le leadership canadien, comme Sanam nous en a déjà parlé.

Je suis directrice de l'Institute for Inclusive Security. Lorsque notre organisation a été mise sur pied il y a une quinzaine d'années, elle s'appelait Women Waging Peace, un nom beaucoup plus percutant et facile à retenir. Nous l'avons toutefois changé afin d'insister sur le fait qu'il s'agissait fondamentalement de problèmes de sécurité, et non pas uniquement de questions touchant les femmes et les filles. Je tenais à le préciser parce qu'on néglige souvent de considérer les choses dans ce contexte plus vaste. Nous sommes un organisme sans but lucratif dont le siège social est à Washington. Nous avons pour objectif une plus grande intégration des femmes dans les processus de paix et de sécurité partout dans le monde. Les plans d'action nationaux figurent parmi les moyens les plus efficaces dont nous disposons à cet effet. Ces plans peuvent contribuer à inciter les gouvernements, les institutions multilatérales et la société civile à coordonner leurs efforts pour concevoir des solutions applicables et produire des résultats durables.

Il y a près de deux ans, nous avons créé en collaboration notamment avec ONU Femmes et ICAN, une initiative intitulée Resolution to Act, qui vise l'élaboration d'un plus grand nombre de plans d'action nationaux plus efficaces. Nous l'avons fait parce que nous croyons que chaque pays a quelque chose à apprendre et des connaissances à partager relativement aux plans d'action nationaux. Lorsque le Canada s'est donné un premier plan d'action national en 2010, quelque 18 autres pays en avaient déjà un. Il y en a maintenant autour de 43. C'est dire que bien des pays pourraient tirer des enseignements de l'expérience du Canada, et que le Canada lui-même peut beaucoup en apprendre des autres.

Il y a deux choses que je voudrais faire aujourd'hui. J'aimerais d'abord vous parler de ces enseignements tirés à l'échelle planétaire quant à la mise en œuvre des plans d'action nationaux et signaler quelques tendances importantes qui se dégagent. Je voudrais ensuite formuler certaines recommandations en vue d'assurer une mise en œuvre plus efficace du plan d'action national du Canada.

Comme des collègues des groupes de témoins précédents ont déjà souligné plusieurs pratiques exemplaires en la matière, je ne vais pas toutes les répéter, mais j'aimerais tout de même en mentionner trois. Premièrement, on met de plus en plus l'accent sur les résultats, plutôt qu'uniquement sur les actions. Comme Nahla le soulignait, nous devons orienter nos efforts de manière à nous donner des arguments plus probants. Depuis une douzaine d'années, on a investi beaucoup de temps et d'argent dans la création des plans d'action nationaux. On peut se demander à juste titre si ces plans font vraiment une différence. À ce sujet, je répète qu'ils font une différence non seulement dans la vie des femmes et des filles qui participent aux activités, mais aussi du point de vue de la sécurité générale.

Les plans d'action doivent être conçus de façon à permettre d'évaluer l'apport additionnel découlant de la participation des femmes, et non seulement de déterminer si elles sont présentes, comme le soulignait Sanam. De nombreux pays progressent bien dans la mise en œuvre de leur plan d'action national, mais leurs indicateurs ne visent que les éléments les plus faciles à mesurer, à savoir ceux qui touchent les processus et les intrants. Si nous n'arrivons pas tous ensemble à faire valoir que des plans d'action nationaux efficaces permettent une sécurité accrue, nous ne pourrons pas poursuivre sur la lancée planétaire actuelle, et la qualité des politiques étrangères de tous les pays en souffrira. La bonne nouvelle c'est que cela est tout à fait réalisable. Nous arrivons de mieux en mieux à évaluer les impacts, notamment via la mise en commun des pratiques exemplaires, et nous pouvons accélérer considérablement cette tendance vers l'amélioration.

Deuxièmement, nous constatons un véritable effort de rationalisation et de simplification des indicateurs. La majorité des pays qui revoient leur plan d'action national en produisent une version révisée qui assure le suivi d'éléments moins nombreux et définit plus clairement les objectifs à atteindre et les ressources à déployer. Vous avez discuté précédemment de la question des objectifs, et certains des plans d'action les plus efficaces sont ceux qui établissent de tels objectifs pour ensuite les suivre de plus près qu'avec les versions précédentes. À titre d'exemple, la Bosnie vient tout juste d'établir avec notre aide un plan d'action national révisé qui porte de 120 à une cinquantaine seulement le nombre d'indicateurs utilisés.

Troisièmement, il faut que l'on cherche sans cesse à lier explicitement les plans d'action aux autres politiques nationales en matière de sécurité. Si vous isolez le plan d'action national du reste des politiques, des priorités et des stratégies gouvernementales, vous pouvez être assurés qu'il se révélera rapidement sans utilité. Les plans d'action efficaces sont ceux qui sont intégrés aux stratégies nationales de sécurité, à la doctrine militaire et à tout le reste, tout en étant conçus et mis en œuvre, comme ce fut le cas au Canada, dans le cadre d'une approche pangouvernementale.

Le plan d'action national du Canada comporte de nombreux éléments positifs. Le rapport d'étape de 2012-2013 a mis en lumière l'excellent travail qui a propulsé le Canada à l'avant-garde relativement à différents enjeux. À titre d'exemple, l'analyse comparative entre les sexes est désormais directement intégrée à de nombreux cadres de référence de déploiement. Avant la fusion du MAECI et de l'ACDI, le ministère avait adopté l'outil normalisé d'évaluation de l'égalité entre les sexes de l'ACDI et s'emploie à faire le nécessaire pour que l'on procède à cette évaluation dès le début du processus. La GRC déploie également des efforts en ce sens en élaborant un concept opérationnel qui prend en compte l'égalité entre les sexes. À l'échelle internationale, le Canada dirige toujours le groupe Amis de la 1325 aux Nations-Unies en plus d'être actif à Genève. Nous exerçons des pressions sur le G8 et sur l'OTAN en offrant notamment du financement pour que les femmes touchées par les conflits puissent s'adresser directement à ces instances.

Quelles devraient être les prochaines étapes? J'ai trois suggestions à formuler. Premièrement, nous devons veiller à ce que l'attention portée récemment sur la violence à caractère sexuel n'agisse pas au détriment des objectifs de participation. Dans l'hémisphère Nord ou au sein des pays que l'on qualifie d'industrialisés, on a tendance à parler exclusivement de la violence à caractère sexuel en situation de conflit. Cette violence est troublante, outrageante et répugnante; c'est aussi un phénomène beaucoup plus facile à saisir que celui de la nécessité d'une participation directe des femmes aux négociations pour la paix. La violence à caractère sexuel est un symptôme ou une conséquence du nombre insuffisant de femmes dans le processus décisionnel, plutôt qu'une cause profonde du problème. Plus il y aura de femmes qui prendront part aux pourparlers pour la paix, plus il y aura de chances que l'on soulève le problème du viol comme arme de guerre, que l'on insiste pour que les coupables n'obtiennent pas une amnistie générale, que l'on veille à ce que la composition des forces policières et militaires soit révisée pour intégrer davantage de femmes, et que l'on réclame que les victimes aient accès à des traitements et obtiennent justice.

Comme le Royaume-Uni compte mobiliser la communauté internationale à ce sujet lors de l'importante conférence qui se tiendra en juin, la violence à caractère sexuel va retenir l'attention encore davantage, ce qui est une bonne chose. Le Canada peut toutefois jouer un rôle essentiel en s'employant sans relâche à faire valoir que si la violence à caractère sexuel est un problème qui nous interpelle, nous devons aussi agir pour accroître la participation des femmes.

Selon moi, on risque d'associer la résolution 1325 et l'ensemble du processus uniquement à la problématique de la violence à caractère sexuel, alors que les enjeux sont beaucoup plus vastes.

Deuxièmement, nous devons montrer de façon plus sentie, à l'externe comme à l'interne, qu'il s'agit d'une priorité stratégique pour le gouvernement du Canada, mais aussi d'un engagement, un engagement personnel de certains de nos plus hauts dirigeants politiques.

À l'extérieur du pays, un certain nombre de mesures positives ont été prises. Par exemple, le ministre Baird a insisté sur l'importance du leadership exercé par les femmes dans ses remarques devant le G8 à Camp David, lors de sommets de l'OTAN et sur d'autres tribunes, mais comme le soulignait Sanam, nous devons continuer de profiter des occasions semblables et même en créer de nouvelles.

Lors du prochain sommet de l'OTAN, les ministres canadiens pourraient par exemple traiter dans leurs remarques de l'inclusion des femmes, payer pour la participation des organisations féminines de la société civile, et appuyer l'établissement d'un poste permanent d'envoyé spécial de l'OTAN pour les femmes, la paix et la sécurité.

Comme Sanam le mentionnait, le Canada peut veiller à ce que l'intégration des femmes soit considérée dès l'amorce des négociations pour la paix et la sécurité, y compris les pourparlers qui se poursuivent avec la Syrie, plutôt que de n'être envisagée qu'après coup.

Au pays, le même message doit être communiqué à nos fonctionnaires. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères pourrait envoyer un message à cet effet à tous ses employés. À ma connaissance, il n'y a pas eu de tels messages concernant le plan d'action national. Son déploiement a fait l'objet d'une vaste campagne assortie des directives de l'administrateur général du GTSA, mais c'était il y a un bon moment déjà et, comme nous le savons tous, il n'y a rien pour les fonctionnaires canadiens comme d'entendre directement leur ministre, ou mieux encore, le premier ministre, leur dire que le plan d'action national est un outil stratégique essentiel.

C'est une chose que Sanam et moi-même avons préconisée conjointement aux États-Unis. Dans les mois qui ont suivi la diffusion du plan d'action national américain, lequel est arrivé deux ans après celui du Canada, la secrétaire Clinton a rendu public un plan opérationnel pour le département d'État, et des mesures similaires ont suivi pour USAID et le département de la Défense.

Un des messages envoyés par la secrétaire Clinton a été particulièrement efficace...

La présidente : Madame O'Neill, je me dois de vous interrompre. Je vous prie de m'en excuser, mais nous avons beaucoup de questions à vous poser.

La sénatrice Ataullahjan : En 2012-2013, le Groupe de travail des ONG sur les femmes, la paix et la sécurité, une coalition d'organisations non gouvernementales travaillant à partir du siège des Nations Unies à New York, en est arrivé à la conclusion que les enjeux liés aux femmes, à la paix et à la sécurité sont davantage considérés comme un élément accessoire qui est pris en compte lorsque les priorités ne sont pas remises en cause. Êtes-vous d'accord avec cette conclusion?

J'aimerais également savoir ce qui en est des questions liées à la santé des mères et des enfants dans le cadre de la résolution 1325.

Mme Naraghi-Anderlini : Je suis tout à fait d'accord avec leur conclusion concernant le caractère accessoire conféré à ces questions. J'estime qu'il faut établir un lien, comme Jacqueline l'indiquait, entre les mesures prises au bénéfice des femmes, de la paix et de la sécurité et les initiatives plus vastes de politique étrangère. J'irais même d'ailleurs plus loin.

Dans certains travaux que nous avons menés récemment concernant la montée de l'extrémisme dans tout le Moyen- Orient, en Afrique de l'Ouest, en Afrique de l'Est et dans certaines parties de l'Asie, nous avons cherché à comprendre le phénomène dans l'optique de la différence entre les sexes. Qu'est-ce qui se passe exactement? Qui sont ces jeunes hommes qui sont recrutés au sein des mouvements salafistes, talibans ou autres, qu'ils soient violents ou non violents? Quelles dimensions sociales influent sur leur comportement?

L'ampleur et la richesse de l'information que l'on peut ainsi accumuler peuvent vraiment nous aider à façonner notre politique étrangère, nos politiques de développement et différentes autres mesures, plutôt que de simplement établir un programme au Canada et d'essayer d'y intégrer cet enjeu qui vient s'y ajouter. Toutes ces questions devraient vraiment être amalgamées de façon plus significative, car les problèmes avec lesquels nous devons composer sont très complexes et bien ancrés dans bon nombre des contextes socioculturels où nous devons agir.

Pour ce qui est de la santé des mères et des enfants, la résolution 1325 ne traite pas directement de ces questions. Elle permet toutefois de situer chaque élément dans son contexte et d'exprimer et concrétiser l'existence des femmes en situation de conflit ou de crise, en faisant valoir par le fait même leurs besoins, notamment pour ce qui est du logement et des soins de santé. C'est la première fois que l'on cherche ainsi à voir qui sont les gens affectés par les conflits et en quoi ils sont touchés.

Selon moi, c'est vraiment là que cette mesure prend toute son utilité. Ce n'est pas tant un plan d'action pour les femmes. C'est un plan d'action pour la paix et la sécurité ou pour les situations de crise et de conflit qui nous permet d'examiner enfin la situation des gens ordinaires qui sont affectés, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, de personnes âgées, de jeunes ou d'enfants.

Au fur et à mesure que notre discours a évolué pour parler des femmes en général, nous avons notamment pu observer l'émergence d'un mouvement qui s'intéresse au sort des veuves. Nous en sommes ainsi venus à nous pencher sur la situation de ces jeunes femmes en Asie, au Népal et au Sri Lanka et des difficultés avec lesquelles elles doivent composer à titre de veuves et de mères seules, par exemple.

Cette nouvelle ouverture nous a aussi permis de nous intéresser aux hommes dans le contexte de la violence à caractère sexuel et à leurs besoins en matière de santé. C'est donc sous l'angle humanitaire que nous observons désormais des situations de conflit et de paix.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup pour vos exposés qui étaient fort intéressants et qui nous ont appris beaucoup de choses.

Mme Naraghi-Anderlini, vous avez parlé d'un fonds indépendant qui pourrait être utilisé pour appuyer les mouvements populaires de femmes et leurs organisations au sein de la société civile afin de leur permettre de s'exprimer d'une voix plus forte tout en traitant des enjeux liés à la paix et à la sécurité dans les zones de conflit.

Pourriez-vous m'en dire davantage sur le fonctionnement d'un tel fonds? Qui l'administrerait, qui contribuerait au financement et comment pourrions-nous nous assurer que l'argent se rend jusqu'aux organisations concernées, contrairement à ce qui s'est passé avec les efforts multilatéraux en ce sens jusqu'à maintenant?

Mme Naraghi-Anderlini : Parmi les éléments qui sont ressortis au cours des 15 dernières années, il y a l'émergence d'une communauté d'organisations internationales à la faveur de vastes réseaux s'intéressant aux zones de conflit à l'échelle planétaire.

À titre d'exemple, le Global Network of Women Peacebuilders est un programme partenaire de ma propre organisation. Le réseau regroupe plus de 70 membres. Ces réseaux nous sont extrêmement utiles. Si quelqu'un voulait par exemple savoir ce qu'il advient des femmes en Ukraine actuellement, je pense qu'il nous suffirait à toutes les trois d'un ou deux courriels pour savoir quels sont les activistes et les groupes qui commencent à émerger.

C'est donc en quelque sorte une communauté qui a vu le jour au niveau international et j'estime que ses membres pourraient administrer conjointement un tel fonds. Bien évidemment, il proviendra de différentes sources. Il viendra notamment de gouvernements qui appuient l'initiative et ne veulent pas saupoudrer le financement. Ils préfèrent octroyer d'importantes enveloppes et permettre que des subventions de 10 000 $ ou 20 000 $ soient versées. L'argent pourrait aussi venir du secteur privé, pour autant que les règles d'éthique soient respectées. Les dons de particuliers sont une autre possibilité. Il y a donc différents types d'organisations qui pourraient y contribuer.

Je serais heureuse de vous fournir de plus amples détails. Nous avons rédigé un document évolutif à ce sujet.

Le sénateur Eggleton : Si vous voulez bien le faire parvenir au greffier du comité; nous aimerions bien en prendre connaissance.

La présidente : J'aurais une observation à faire et j'aimerais savoir ce que toutes les trois vous en pensez.

Je dois vous dire à quel point je suis déçue du déroulement du processus de paix en Syrie et de la manière dont les femmes en sont exclues. Vous m'avez d'ailleurs peut-être entendue poser des questions à ce sujet aux témoins qui vous ont précédées. J'en suis arrivée à la conclusion que si l'on devait adopter une nouvelle résolution dans la foulée de la 1325, il faudrait faire en sorte que personne ne puisse agir comme médiateur sans avoir compris tous les éléments des résolutions précédentes et s'être engagé à les mettre en œuvre.

Comme vous avez pu entendre Mme Marilou McPhedran le dire tout à l'heure, le médiateur du processus de paix en Syrie n'a pas suivi les sept résolutions des Nations Unies. Je suis tout à fait consciente de tout le travail accompli en coulisse par ONU Femmes pour intégrer les femmes au processus de paix, mais je ne crois pas que cela soit suffisant. Les femmes devraient participer aux discussions. Comme nous le savons, si les femmes ne reçoivent pas la même formation que les hommes relativement aux techniques de négociation et aux différents enjeux de ces processus de paix, elles sont défavorisées d'emblée.

Mais j'ai assez parlé, et j'aimerais bien connaître votre point de vue à toutes les trois. Que pourrions-nous faire de différent la prochaine fois? Je sais que le gouvernement néerlandais a joué un rôle déterminant quant à la présence des femmes à Genève. Je sais par ailleurs que le Canada n'a pas été aussi actif à ce chapitre, mais j'ose espérer que nous pouvons en tirer une leçon. Que pourrait faire le Canada à l'avenir pour veiller à ce que les femmes jouent un rôle de premier plan dans le processus de paix, plutôt que d'être laissées en marge de ce processus?

Mme Valji : Sénatrice Jaffer, merci pour votre question et pour votre commentaire concernant le rôle qu'ONU Femmes essaie de jouer à cet égard. Comme vous l'avez indiqué, nous nous sommes efforcés de mobiliser les femmes au sein d'un groupe intégré à Genève, après avoir organisé leur participation pour la Jordanie et collaboré en ce sens avec ICAN et l'Institute for Inclusive Security. Mais vous avez tout à fait raison : ces femmes demeurent marginalisées. Elles sont encore exclues du processus. Mais je pense que le message commence à changer. Au moment où les pourparlers de Genève achoppent, on commence à entendre que c'est le seul groupe inclusif de Syriens qui continue à promouvoir l'idée de la paix.

Je crois qu'il y a deux questions à considérer. Il y a d'abord le fait que nous devons exercer des pressions pour que les femmes soient représentées lors des négociations formelles. Compte tenu de leur rôle au sein de la société civile et de leur expertise des enjeux sexospécifiques, nous devons intervenir en faveur de leur intégration dans ces pourparlers. L'envoyé spécial Brahimi s'est engagé à doter l'équipe d'un conseiller principal relativement à l'égalité des sexes. Nous devons assurer le suivi pour veiller à ce que ce conseiller ait l'expertise voulue.

Au sein de la communauté internationale, nous devons aussi nous demander si nous visons les bonnes cibles. Qui est à Genève pour participer aux pourparlers de paix? On demande aux organisations de femmes de la société civile qui elles représentent et comment on peut savoir si elles sont légitimes. Pourquoi ne posons-nous pas les mêmes questions aux deux parties invitées à prendre part aux discussions? Nous soutenons que le régime d'Assad n'est pas légitime, mais nous sommes tout de même disposés à négocier avec lui. Est-ce que les opposants sont soumis aux mêmes exigences que les groupes de femmes?

Au sein de la communauté internationale, on a évoqué la possibilité que l'Iran participe aux pourparlers. Malgré qu'il s'agisse de discussions particulièrement délicates, il n'est nullement question au niveau international de la participation des femmes et du rôle précis qu'on pourrait leur confier dans ces négociations. Il est essentiel que nous posions ces questions et revoyons notre orientation, et le Canada peut exercer son influence à ce chapitre. Nous devons également en venir à considérer la situation actuelle des femmes afin de pouvoir miser sur leurs accomplissements. Ce sont bien souvent des femmes qui doivent faire le nécessaire pour obtenir un cessez-le-feu de telle sorte que l'aide humanitaire puisse se rendre jusqu'à leurs familles et leurs collectivités. Ces réalisations ne se concrétisent pas à l'échelon national. Peut-être devrions-nous mettre davantage en lumière ce que les femmes accomplissent au sein de leurs collectivités. Comment miser sur leur travail pour renforcer la résilience des collectivités qui n'ont pas été touchées par le conflit afin qu'elles n'en subissent pas les contrecoups?

Ce sont autant des exemples des choses que pourrait faire le Canada pour attirer l'attention sur ces questions et les mettre vraiment en valeur pour ce qui est de la Syrie.

Mme O'Neill : Le dossier de la Syrie est en quelque sorte un reflet fidèle des problèmes structurels plus généraux liés au travail des envoyés spéciaux et des médiateurs principaux en ce sens que l'on se fonde essentiellement sur des incitatifs positifs. Vous avez droit à des louanges si vous faites un bon travail ou si vous intégrez les femmes aux négociations, mais il n'y a aucun compte à rendre ni aucune conséquence véritable pour les envoyés spéciaux et les médiateurs principaux qui ne se conforment pas à la résolution 1325 du Conseil de sécurité, qui participent aux réunions sans vraiment prêter une oreille attentive aux exposés des femmes de manière à ce qu'elles puissent être véritablement intégrées aux discussions. Il y a donc beaucoup d'incitatifs positifs pour ceux qui font de bonnes choses, mais très peu de comptes à rendre ou de conséquences à subir pour les autres.

Je sais que le Département des affaires politiques essaie d'apporter des correctifs en collaboration avec ONU Femmes en cherchant à sensibiliser les plus hautes instances aux conséquences de la non-participation des femmes aux négociations. Mais l'environnement demeure à toutes fins utiles exempt de conséquences. Je pense que cela nous ramène à ce que disait Nahla dès le départ. Nous ne présentons pas notre argumentation de manière à faire le lien avec les résultats de ces négociations. Si le Canada peut intervenir dès le début du processus pour faire valoir que ce n'est pas une question de droits des femmes ou d'équité, mais une affaire d'efficacité et de pérennité dans tout ce que nous essayons d'accomplir, je crois que cela donnera beaucoup de poids aux paroles d'un homme, et surtout d'un ministre des Affaires étrangères ou de la Défense, qui soulèvera la question auprès de ses homologues masculins comme s'il s'agissait d'un enjeu fondamental, plutôt que d'un élément accessoire qu'il serait bon d'ajouter.

Mme Naraghi-Anderlini : Imaginez si des représentantes de la société civile syrienne avaient participé au processus de Genève. Peut-être que les pourparlers se seraient poursuivis. C'est exactement ce que nous essayons de faire valoir. On aurait peut-être pu bénéficier de leur détermination à voir le processus se poursuivre et à trouver des façons de surmonter les écueils et de dénicher d'autres solutions à l'égard des problématiques délicates ou concernant la séquence des événements, car ce sont tous des enjeux que les groupes de femmes comprennent bien pour en avoir largement discuté. Mais tout ce qu'on peut dire, c'est qu'elles étaient à Genève elles aussi. Elles se sont simplement retrouvées à Genève en même temps qu'un bon nombre d'entre nous.

Il faut changer notre façon de voir les choses. Plutôt que de penser qu'il serait bien que les femmes participent aux discussions, comme si c'était la cerise sur le gâteau ou simplement un bonus, il faut considérer qu'elles peuvent jouer un rôle essentiel dans le processus. Ainsi, nous devons nous assurer que la mobilisation des femmes de la société civile fait, dès le tout début du processus, partie intégrante de la stratégie de médiation des envoyés spéciaux et des personnes désignées. Dès qu'un envoyé spécial est nommé, il entre en contact avec les différents intervenants. Cette prise de contact peut marginaliser ou habiliter ces intervenants, surtout dans le cas de la Syrie et de Libye. La communauté internationale a endossé l'opposition. Ces gens-là sont sortis du lot et nous leur avons donné les moyens de jouer un rôle actif. Nous étions présents à toutes les étapes lorsqu'il s'agissait de déterminer qui allait avoir son mot à dire et qui n'aurait pas voix au chapitre. La mobilisation de la société civile de façon systématique et structurée n'a pourtant été manifeste dans aucun de ces dossiers, exception faite du Yémen.

Dans le cas du Yémen, nous avions un envoyé qui s'est engagé sur place en faisant valoir les normes des Nations Unies de telle sorte que les femmes comptent pour 30 p. 100 des participants au processus national de dialogue. Était-ce parfait? Non. Y aura-t-il des problèmes? Oui. Il l'a fait au Yémen, l'un des pays les plus pauvres de la planète, et des femmes ont pu participer aux discussions. Dans le dossier de la Syrie, un pays qui peut compter sur un capital social incroyable et une des populations les plus instruites au monde, nous constatons pourtant encore que les femmes sont repoussées. Elles ne sont pas considérées dans la stratégie de médiation. Comme le disait Jacqueline, il n'y a aucune conséquence pour ceux qui ne se conforment pas à ces sept résolutions. De fait, les belles paroles suffisent. En autant qu'on dise qu'on est favorable, tout va bien. Deux années se sont écoulées depuis qu'on a convenu de la nécessité de nommer un conseiller en matière d'égalité entre les sexes. Rien n'a été fait. Il faut que les têtes dirigeantes aient davantage de comptes à rendre.

Cela m'amène à parler du rôle que peut jouer le Canada. Comme je l'indiquais précédemment, nous pouvons militer ou bien prendre des mesures concrètes. Notre travail avec les Néerlandais est un exemple de mesures concrètes. On est passé à l'action à un moment stratégique pour que la société civile syrienne puisse s'exprimer à New York afin de réclamer un rôle systématique auprès de l'envoyé spécial. La dynamique a été changée, ce qui nous a permis de faire des avancées aussi importantes quant au rôle d'ONU Femmes et aux interactions entre les activistes syriens et les diplomates et fonctionnaires de très haut niveau dans toute la planète.

Il nous faut maintenant pouvoir reproduire ces résultats et revoir nos façons de procéder pour ce faire. Je crois que le Canada peut jouer un rôle de premier plan pour faire évoluer un peu les choses en s'engageant auprès des Néerlandais et des autres pays qui préconisent vivement des mesures semblables.

La présidente : Je veux vous remercier toutes les trois. Mmes O'Neill et Naraghi-Anderlini n'en sont pas à leur première comparution devant notre comité, et nous espérons bien avoir l'occasion de pouvoir discuter à nouveau avec Mme Valji. C'est une chose que nous faisons assez régulièrement. D'un point de vue plus personnel, je dois vous dire que nous sommes très fiers de voir deux Canadiennes nous représenter à New York et à Washington.

Madame Naraghi-Anderlini, vous êtes une grande amie du Canada depuis de nombreuses années; vous travaillez d'ailleurs avec nous depuis 2000. Comme vous l'avez dit, vous êtes une Canadienne honoraire. Nous sommes fiers du travail que vous accomplissez et de la manière dont vous défendez les enjeux touchant les femmes, des questions qui revêtent une grande importance aux yeux des membres du comité. Merci beaucoup pour vos exposés.

(La séance est levée.)


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