Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 5 - Témoignages du 31 mars 2014
OTTAWA, le lundi 31 mars 2013
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 17 h 1, pour étudier les mécanismes internationaux visant à accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières, notamment les efforts du Canada pour favoriser l'adhésion et la conformité universelles à la convention de La Haye sur l'enlèvement et renforcer la coopération avec les États non signataires, afin de défendre les intérêts des enfants.
La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette septième réunion de la deuxième session de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Notre comité a reçu du Sénat le mandat d'examiner les questions de droits de la personne au Canada et à l'étranger. Je m'appelle Salma Ataullahjan et, en qualité de vice-présidente du comité, j'ai le plaisir de vous souhaiter la bienvenue.
Avant de continuer, j'invite mes collègues à se présenter.
La sénatrice Seidman : Je suis la sénatrice Judith Seidman, de Montréal, Québec.
Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l'Ontario.
La sénatrice Unger : Betty Unger, de l'Alberta.
La vice-présidente : Honorables sénateurs, le comité est convenu, lors de sa réunion du 2 décembre 2013, d'étudier les mécanismes internationaux visant à résoudre les différends familiaux transfrontaliers. Notre objectif est d'améliorer la coopération pour régler les différends familiaux transfrontaliers, notamment les efforts du Canada pour favoriser l'adhésion et la conformité universelles à la Convention de La Haye sur l'enlèvement et renforcer la coopération avec les États non signataires, afin de défendre les intérêts des enfants.
Bien qu'il ne soit pas nouveau, le problème de l'enlèvement transnational d'enfants par un parent a pris de l'ampleur au cours des dernières décennies du fait de l'augmentation générale des voyages internationaux, des relations internationales et des taux de divorce et de séparation. Dans ces situations, l'enfant est retiré de son environnement familial, généralement désigné résidence habituelle, par l'un des parents pour être transporté dans une autre juridiction, auquel cas il peut parfois n'avoir plus aucun contact avec l'autre parent. Les affaires d'enlèvement international par un parent sont particulièrement pénibles pour toutes les parties. Selon les circonstances, l'enlèvement peut avoir de graves conséquences sociales, psychologiques, et même physiques, à la fois pour l'enfant et pour le parent délaissé. En outre, les différences de régime juridique entre les États, ainsi que les grandes distances en jeu, font que retrouver et renvoyer à sa résidence habituelle un enfant enlevé internationalement pose souvent un problème difficile de droit international.
Pour commencer nos audiences aujourd'hui, j'accueille tout d'abord, de Justice Canada, Laurie Wright, sous- ministre adjointe, Secteur du droit public; Marie Riendeau, avocate, Secteur du droit privé international; Sandra Zed Finless, avocate, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, Services juridiques.
Nous accueillerons ensuite, comme deuxième groupe de témoins, du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, William Crosbie, sous-ministre adjoint, Secteur des services consulaires, juridiques et de la sécurité, Agent principal de la sécurité et conseiller juridique; Béatrice Maillé, directrice générale, Direction générale, Politique consulaire; et Leslie Scanlon, directrice générale, Direction générale, Opérations consulaires.
Merci à tous et toutes d'être venus aujourd'hui. Je crois comprendre que vous avez quelques déclarations liminaires, après quoi nous ouvrirons une période de questions.
Laurie Wright, sous-ministre adjointe, Secteur du droit public, Justice Canada : Merci, madame la vice-présidente, honorables membres du comité. Je m'appelle Laurie Wright et je suis sous-ministre adjointe, Secteur du droit public, à Justice Canada. Je tiens d'emblée à remercier les honorables sénateurs de nous donner l'occasion de contribuer à cette étude importante des mécanismes internationaux visant à améliorer la coopération pour régler les différends familiaux transfrontaliers.
[Français]
Répondre aux besoins des enfants et de leurs parents, dans le contexte de conflits familiaux, constitue un aspect important des activités du ministère de la Justice du Canada, tant à l'échelle nationale qu'à l'échelle internationale.
Lorsqu'une famille vit une séparation ou un divorce, elle doit faire face à des questions émotionnelles, financières et juridiques majeures. Dans un monde idéal, les parents sont en mesure de prendre des dispositions pour continuer à s'occuper de leurs enfants dans un esprit de collaboration. Cependant, les conflits qui ont provoqué l'éclatement de la famille ou de nouvelles questions, comme la possibilité qu'un parent déménage dans un autre pays, peuvent rendre cette collaboration très difficile.
Pour un grand nombre de familles canadiennes qui ont des liens dans d'autres pays, le sujet de l'étude du comité est donc de la plus haute importance. Il est plus particulièrement crucial pour le bien-être de nos enfants qui sont notre ressource la plus précieuse.
[Traduction]
Dans ces observations préliminaires, j'aborderai brièvement plusieurs sujets. Premièrement, la participation du Canada aux travaux de la Conférence de La Haye de droit international privé, qui est une organisation mondiale dont l'objectif consiste à élaborer des traités internationaux portant sur des questions transfrontalières dans plusieurs domaines du droit privé, notamment le droit de la famille.
Deuxièmement, les responsabilités du ministre de la Justice en qualité d'autorité centrale fédérale dans le cadre de la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ou Convention sur l'enlèvement d'enfants. Depuis 1968, le ministre de la Justice est chargé de la participation du Canada à la Conférence de La Haye sur le droit international privé. Comme le droit de la famille est au Canada une compétence fédérale et provinciale partagée, le ministère de la Justice du Canada accomplit son travail à la Conférence de La Haye en étroite collaboration avec les provinces et territoires.
[Français]
Le Canada est partie à la Convention sur l'enlèvement international d'enfants depuis 1983. Les fonctionnaires du ministère de la Justice du Canada travaillent avec leurs homologues provinciaux et territoriaux sur les répercussions de la mise en œuvre possible au Canada de deux autres conventions de La Haye dans le domaine du droit de la famille : la Convention sur la protection des enfants et la Convention sur le recouvrement international des aliments destinés aux enfants et à d'autres membres de la famille.
[Traduction]
Ces trois conventions de La Haye portent sur les sujets suivants : l'enlèvement d'enfants par des parents; les questions transfrontalières concernant la responsabilité parentale, la garde, le droit de visite et la protection de l'enfant; et les questions transfrontalières concernant les aliments destinés aux enfants.
Je crois comprendre que vous avez reçu un aperçu de la Convention sur l'enlèvement d'enfants et un aperçu de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale. Au sein de la Conférence de La Haye, le Canada a joué un rôle de chef de file dans l'élaboration de ces trois conventions.
Depuis leur adoption à l'échelle internationale, les fonctionnaires du ministère de la Justice, de concert avec leurs homologues provinciaux et territoriaux, appuient les travaux de la Conférence de La Haye en fournissant leur expertise aux travaux qui se poursuivent à l'égard de ces conventions. À titre d'exemple, dans le cadre des réunions internationales régulières visant à examiner le fonctionnement des conventions, communément appelées « réunions de la Commission spéciale », les fonctionnaires du ministère de la Justice ont présenté ou fait valoir des propositions visant à améliorer leur mise en œuvre et leur fonctionnement, et nos spécialistes ont participé à la mise au point d'outils tels que des guides de bonnes pratiques et des manuels pratiques.
[Français]
En 2006, le Canada a proposé l'utilisation d'un formulaire sur le profil des États pour la Convention sur l'enlèvement international d'enfants en vue d'établir un guichet unique permettant d'obtenir les renseignements sur les lois pertinentes et les procédures de chaque pays. Un fonctionnaire du ministère de la Justice a alors présidé le groupe de travail international qui a mis au point le formulaire utilisé à l'échelle mondiale depuis 2011.
La Convention sur l'enlèvement international d'enfants vise à protéger l'enfant contre les effets nuisibles d'un déplacement ou d'un non-retour illicite, plus communément appelé l'enlèvement d'enfant par un parent. La convention s'applique aux enfants de moins de 16 ans. À ce jour, soit le 31 mars 2014, il y a 91 États parties à la convention.
[Traduction]
La convention prévoit la procédure civile liée à la présentation d'une demande destinée à assurer le retour immédiat de l'enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement à son pays de résidence habituelle. Le tribunal de l'État où l'enfant a été déplacé ou dans lequel il est retenu se prononce sur la demande. Lorsque les conditions énoncées dans la convention sont respectées, sous réserve d'un nombre limité d'exceptions, le tribunal doit ordonner le retour de l'enfant dans son État de résidence habituelle où toute question concernant la garde ou les droits de visite, y compris la réinstallation possible du parent et de l'enfant dans l'autre pays, peut être décidée après un examen approfondi de l'intérêt supérieur de l'enfant.
La convention permet également la présentation de demandes visant à faciliter l'exercice transfrontalier des droits de visite.
[Français]
La convention établit un réseau de coopération entre les États parties par l'entremise des autorités centrales désignées qui appuient les parents engagés dans cette procédure civile. Au Canada, des lois provinciales et territoriales donnent effet à la convention. Les procureurs généraux et les ministères de la Justice provinciaux et territoriaux sont les autorités centrales désignées et sont dotés de responsabilités de gestion de cas, à la fois pour les demandes concernant les enfants déplacés d'une province ou d'un territoire et les demandes concernant les enfants qui y sont amenés.
[Traduction]
En ce qui concerne la convention, le ministre de la Justice est l'autorité centrale fédérale. Même si l'autorité centrale fédérale n'a pas de responsabilité précise en ce qui a trait à la gestion des cas, elle joue néanmoins un rôle essentiel dans trois domaines : elle reçoit les demandes des autorités centrales étrangères dans les cas où l'endroit exact où se trouve un enfant au Canada n'est pas connu; elle fournit des renseignements généraux et de l'aide au public et aux autres autorités centrales concernant le fonctionnement de la convention au Canada; elle coordonne les discussions nationales sur les questions de fonctionnement de la convention qui intéressent le Canada.
L'aperçu de la Convention sur l'enlèvement d'enfants remis aux membres du comité contient des renseignements plus détaillés sur les responsabilités des autorités centrales au Canada.
Mesdames et messieurs les sénateurs, quelque 30 ans après son entrée en vigueur, la Convention sur l'enlèvement d'enfants demeure un instrument efficace pour les enfants et leurs familles. Cela ne signifie pas que les résultats sont toujours à la hauteur des attentes. Malheureusement, dans certains cas, ils ne le sont pas. Même si la convention demeure un outil efficace, son fonctionnement soulève des défis.
[Français]
Pour le ministère de la Justice du Canada, il est crucial de continuer à trouver des façons constructives d'améliorer la cohérence de l'interprétation et du fonctionnement de la convention, notamment en favorisant les bonnes pratiques en guise de principal moyen d'améliorer le respect de la convention au niveau international.
Les fonctionnaires du ministère de la Justice saisissent toutes les occasions qui se présentent pour contribuer à ces efforts à tous les niveaux : national, bilatéral, régional et mondial. Nous serons heureux de vous fournir des exemples précis.
[Traduction]
Une autre importante réalité d'ordre pratique est que, dans la majorité des cas de nos jours, le parent qui enlève l'enfant est le principal dispensateur de soins à l'enfant. Ce n'était pas le cas au moment où la convention a été adoptée ou dans les années qui ont suivi son entrée en vigueur. Bien que la Convention s'applique aussi à juste titre à de tels cas, il faut reconnaître les défis d'ordre pratique et juridique que soulèvent ces affaires pour les tribunaux qui doivent se prononcer sur celles-ci et, plus important encore, pour les enfants et leurs parents.
De telles situations et d'autres mettent en lumière le besoin accru d'examiner la façon dont la Convention sur la protection des enfants pourrait aider les familles canadiennes, non seulement en renforçant le fonctionnement de la Convention sur l'enlèvement d'enfants, mais également en offrant un outil supplémentaire pour traiter les questions transfrontalières concernant la responsabilité parentale, la garde, le droit de visite et la protection de l'enfant. Les représentants du ministère de la Justice continuent d'explorer cette option avec leurs homologues provinciaux et territoriaux.
[Français]
Mesdames et messieurs les sénateurs, ceci termine ma présentation. Je cède la parole à mon collègue du ministère des Affaires étrangères. Nous serons heureux de répondre à vos questions et de fournir des renseignements supplémentaires aux fins de l'étude du comité.
[Traduction]
William Crosbie, sous-ministre adjoint, Secteur des services consulaires, juridiques et de la sécurité, agent principal de la sécurité et conseiller juridique, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Bonjour, madame la vice- présidente, honorables membres du comité. Je suis le sous-ministre adjoint responsable des services consulaires du Canada. Je suis accompagné de Béatrice Maillé, directrice générale, Politique consulaire et chef de l'Unité consulaire pour les enfants vulnérables, et de Leslie Scanlon, directrice générale, Opérations consulaires.
Honorables sénateurs, je tiens à remercier le comité de cette occasion de vous renseigner sur la façon dont le Canada fait figure de chef de file dans les questions relatives aux enfants, ainsi que sur la façon dont notre gouvernement s'efforce de prévenir les enlèvements internationaux d'enfants et contribue au règlement des dossiers touchant des enfants canadiens.
[Français]
Le Canada compte des millions de citoyens qui y vivent, mais aussi environ 2,8 millions de citoyens qui résident à l'étranger, et bon nombre d'entre eux ont des familles. Malheureusement, il arrive que les relations s'écroulent dans ces familles. Les responsables consulaires du Canada aident les Canadiens à l'étranger pendant des périodes difficiles de leur vie, comme lorsque des parents sont délaissés en raison de différends impliquant des enfants.
[Traduction]
Je discuterai aujourd'hui de l'Unité consulaire pour les enfants vulnérables, qui relève de la Direction générale des affaires consulaires; je donnerai un aperçu des tendances statistiques des services consulaires dans les dossiers de déplacements illicites; j'exposerai la façon dont nous gérons ces types de dossiers du point de vue des services consulaires; j'indiquerai la façon dont nous faisons la promotion de la Convention de La Haye de 1980; et je parlerai du renforcement de la coopération avec les États non signataires de la Convention de La Haye de 1980 grâce au processus de Malte.
En novembre 2013, l'honorable Lynne Yelich, ministre d'État chargée des Affaires étrangères, a annoncé la création de l'Unité consulaire pour les enfants vulnérables, qui relève de la Direction générale des affaires consulaires. Cette unité centralise les ressources spécialisées en politiques et en gestion des cas afin de mieux répondre aux demandes d'aide consulaire dans les situations impliquant des différends familiaux transfrontaliers, car ces dossiers sont à la fois complexes et difficiles à résoudre.
Pour la première fois, le gouvernement a augmenté le nombre d'agents spécialisés qui viennent en aide aux parents délaissés, et il a amélioré notre capacité en matière de politiques en affectant des analystes exclusivement aux questions portant sur des enfants à l'étranger. L'unité travaille avec d'autres ministères gouvernementaux et des homologues provinciaux et territoriaux pour régler conjointement des questions concernant des enlèvements d'enfants.
Grâce à cette unité, nous sommes parvenus à sensibiliser davantage des organisations et des particuliers canadiens qui sont en mesure de fournir de l'aide et des conseils à titre d'experts aux victimes dans divers dossiers. Cette nouvelle unité permet aussi d'améliorer la capacité du MAECD à assurer la liaison et la coopération de façon plus soutenue avec d'autres partenaires internationaux ayant des vues similaires, dont les États-Unis, l'Allemagne, le Mexique, le Royaume-Uni et l'Australie, pour faire avancer les initiatives communes de protection des enfants en lien avec l'aide consulaire. Par la création de cette unité, le Canada fait office de leader pour trouver de nouveaux moyens de prévenir les enlèvements internationaux d'enfants et apporter de l'aide dans ces situations, ainsi que dans le cadre d'autres problèmes émergents, comme les mariages forcés.
Que nous disent les statistiques, et quelles sont les tendances? De façon générale, nous observons une augmentation du nombre de demandes d'aide, de même qu'une augmentation de près de 40 p. 100, de 2009 à 2013, du nombre de déplacements illicites à partir du Canada et de différends concernant la garde. Les pays ayant des vues similaires aux nôtres ont aussi constaté des augmentations semblables.
La plupart des cas où l'on a demandé de l'aide concerne des pays tels que les États-Unis et le Mexique, ou encore l'Union européenne, où la Convention de La Haye de 1980 est appliquée. Les pays non signataires de la Convention où l'on recense un nombre important de demandes canadiennes relatives à des déplacements et des non-retours illicites incluent le Liban, l'Inde, le Maroc, l'Algérie, le Pakistan et la Chine.
Au Japon, la Convention de La Haye de 1980 entrera en vigueur demain, le 1er avril, en partie grâce aux efforts du Canada et de plusieurs autres pays qui ont collaboré pour convaincre les autorités japonaises que la Convention de La Haye est conforme aux pratiques culturelles du Japon ainsi qu'à notre régime juridique.
[Français]
Les statistiques que je viens de fournir donnent une indication du nombre de demandes d'aide consulaire que le ministère a reçues. Je dois préciser qu'elles ne représentent pas la totalité des cas de déplacements et de non-retours illicites puisque bon nombre sont gérés ici et à l'étranger par les services de police et d'autres autorités, ou encore directement par les autorités centrales provinciales et territoriales.
Les provinces jouent un rôle primordial en ce qui concerne les enlèvements. Le gouvernement fédéral aide les autorités provinciales et les parents à gérer les questions liées aux enlèvements illicites internationaux.
[Traduction]
Mes collègues du ministère de la Justice ont parlé des détails de la Convention de La Haye de 1980 en tant qu'instrument juridique et ils ont expliqué comment fonctionne le système des autorités centrales. De mon côté, je vais expliquer quels services consulaires nous offrons aux parents.
En fait, notre ministère participe de trois façons : à l'étape de la prévention; dans les cas impliquant un pays non signataire de la Convention; et, dans les cas impliquant un pays signataire, lorsqu'une aide spéciale est requise.
La priorité des agents consulaires et des autres autorités concernées est de protéger au mieux les intérêts des enfants. Les déplacements internationaux et les non-retours illicites d'enfants sont fondamentalement des différends juridiques de nature privée. Les conventions internationales et les services gouvernementaux sont en mesure de fournir le cadre nécessaire pour régler ce type de différends, mais ce sont les parents qui doivent faire les démarches en s'appuyant sur les systèmes juridiques disponibles dans les pays touchés. Le gouvernement du Canada participe à ces dossiers en raison de leur portée internationale, que ce soit en fournissant de l'aide consulaire ou aux termes de la Convention de La Haye de 1980.
Les agents consulaires peuvent être appelés à fournir de l'aide aux parents cherchant à prévenir le déplacement illicite d'un enfant à partir du Canada, notamment lorsque le pays de destination n'est pas un partenaire de la Convention de La Haye de 1980.
En l'absence de contrôles de sortie officiels aux frontières canadiennes et compte tenu de la nature privée de ces différends juridiques, les agents consulaires fournissent généralement une liste des options offertes aux parents, de façon à leur permettre de prendre des décisions éclairées, comme en faisant appel à des professionnels du droit de la famille ou en faisant ajouter le nom de l'enfant à la liste des signalements de Passeport Canada.
Le gouvernement a aussi produit le Guide à l'intention des parents délaissés, qui aide ces derniers à comprendre les processus et les enjeux liés à la recherche de leurs enfants dans d'autres pays et à leur retour. Il propose en outre des suggestions pour réduire le risque d'enlèvement international.
[Français]
Les parents peuvent aussi recevoir de l'aide par téléphone ou par courriel de la part des agents de gestion des cas. Dans les cas de déplacements illicites touchant un pays signataire de la Convention de La Haye, on encourage les parents à déterminer, en consultation avec leur avocat, si la Convention de La Haye de 1980 peut leur être utile. On invite aussi les parents à travailler avec des avocats, au Canada comme à l'étranger, ainsi qu'avec les services de police locaux et d'autres organismes non gouvernementaux qui peuvent les aider.
[Traduction]
Cette publication et d'autres renseignements sont offerts sur le site voyage.gc.ca, et le ministère en parle dans le cadre de ses activités de sensibilisation courantes auprès des Canadiens pour les renseigner sur diverses questions liées aux affaires consulaires.
Notre gouvernement est fortement engagé dans la promotion à l'étranger de la Convention de La Haye de 1980, au moyen d'activités internationales de sensibilisation et d'engagements bilatéraux. Nos ministères partenaires, les représentants canadiens du Réseau international de juges de La Haye et nos autres partenaires offrent régulièrement leur point de vue aux nouveaux signataires et aux États où la mise en œuvre de la convention est limitée, et ils partagent leur expérience avec eux et leur fournissent des occasions pour renforcer leurs capacités. Par nos activités de sensibilisation continues, nous soulevons des questions liées aux déplacements illicites dans les tribunes bilatérales et multilatérales chaque fois que l'occasion se présente.
Madame la présidente, honorables sénateurs, la Convention de La Haye de 1980 est considérée comme l'un des meilleurs traités internationaux sur le droit de la famille à avoir été conclus dans le cadre de la Conférence de La Haye de droit international privé. Cela dit, les cas de déplacement et de non-retour illicites touchant des États non signataires de la Convention apportent leur lot de difficultés.
Le Canada joue un rôle de premier plan pour ce qui est d'accroître la coopération et le dialogue grâce à son importante participation au processus de Malte et en assumant le rôle de coprésident du Groupe de travail sur la médiation. Le processus de Malte est une initiative découlant de la Conférence de La Haye, et il s'agit du seul engagement international auquel prennent part des responsables gouvernementaux et judiciaires représentant à la fois des États signataires et non signataires de la Convention de La Haye de 1980.
Le processus de Malte a débouché sur trois réunions clés depuis une dizaine d'années. Les participants sont convenus d'adopter certaines déclarations décrivant des actions précises qui doivent être poussées plus loin pour améliorer la coopération entre les États relativement aux enlèvements d'enfants et aux différends familiaux. Ces déclarations comprennent les actions suivantes : examens internes des Conventions de La Haye de 1980 et de 1986 par les États non signataires, afin de leur permettre de se familiariser avec leurs dispositions; reconnaissance mutuelle des ordonnances et des décisions judiciaires, et encouragement à maintenir des communications judiciaires directes dans des cas précis — lorsque les juges de juridictions différentes et de cultures différentes peuvent se parler, on constate qu'ils peuvent souvent trouver un accord; mise en place de points de contact dans les gouvernements et élaboration de services internationaux de médiation familiale; et processus facilité pour l'obtention d'un visa et le règlement des problèmes de déplacement et d'accès pour les parents délaissés.
En avril 2009, à l'initiative du Canada, le Conseil sur les affaires générales et la politique, de la Conférence de La Haye sur le droit international privé, a autorisé l'établissement d'un groupe de travail chargé de promouvoir la création de structures de médiation destinées à contribuer à la résolution à l'étranger des différends familiaux concernant les droits de garde et de visite des enfants, lorsque la Convention de La Haye de 1980 ne s'applique pas. Le groupe de travail est coprésidé par le Canada et le Pakistan et compte 14 membres. Les États signataires membres sont les États- Unis, le Royaume-Uni, l'Australie, le Maroc, l'Afrique du Sud, l'Allemagne et la France. Les États non signataires sont l'Égypte, la Jordanie, le Sénégal, la Malaisie et l'Inde.
En conclusion, honorables sénateurs, mesdames et messieurs, la question des différends familiaux transfrontaliers est l'une des priorités des services consulaires. Cette question va du continuum de sensibilisation des familles encore intactes à la prestation d'aide, dans les limites du mandat des services consulaires, après un déplacement illicite d'enfants, en passant par les suggestions de marche à suivre pour les parents inquiets.
J'espère que la création de l'Unité consulaire pour les enfants vulnérables par le gouvernement permettra de régler un plus grand nombre de ces dossiers. Merci de votre attention.
La vice-présidente : Je vous remercie de votre exposé.
La sénatrice Seidman : J'aimerais vous poser quelques questions d'ordre général sur les statistiques. Par exemple, combien y a-t-il en moyenne d'enfants enlevés et emmenés en dehors du Canada par un parent chaque année, et combien de ces cas sont signalés à la police ou à d'autres autorités?
M. Crosbie : Je demande à ma collègue, Mme Maillé, de vous répondre.
La sénatrice Seidman : Merci. Ce sont les enfants enlevés et emmenés à l'étranger.
Béatrice Maillé, directrice générale, Direction générale, Politiques consulaires, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : En ce qui concerne nos statistiques, comme nous l'avons dit, nous n'avons pas d'image complète de la situation, mais, d'un point de vue consulaire, le nombre de cas portés à notre attention a augmenté sensiblement, comme l'a dit M. Crosbie, entre 2009 et 2013, puisqu'il est passé de 50 à 69.
Je parle ici des cas d'enfants emmenés en dehors du Canada. Il pourrait y avoir d'autres cas concernant, par exemple, des familles engagées dans un différend sur la garde. Ces cas sont aussi signalés et, par exemple, leur nombre est passé de 104 en 2009 à 187 en 2013. Donc, selon la situation particulière de la famille ou de l'individu, le cas peut être classé de manière différente.
La sénatrice Seidman : Qu'en est-il des enfants enlevés et amenés au Canada? Avez-vous des chiffres à ce sujet?
Mme Maillé : Les statistiques qui proviennent des affaires consulaires sont tirées de cas que nous gérons congormément à une perspective consulaire, mais peut-être mes collègues du ministère de la Justice voudront-ils faire un commentaire à ce sujet.
Sandra Zed Finless, avocate, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, Services juridiques, Justice Canada : Merci de cette question. Ma collègue vous a parlé du nombre de cas consulaires, c'est-à-dire des cas qui sont signalés aux services consulaires.
En ce qui concerne les cas de la Convention de La Haye relativement à la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le gouvernement du Canada ne tient pas de statistiques nationales exhaustives sur le nombre de cas à l'entrée ou à la sortie du Canada. Toutefois, en préparation des réunions de la commission internationale spéciale, des agents de Justice Canada rassemblent les statistiques recueillies par nos autorités centrales provinciales et territoriales sur l'application de la Convention dans leurs territoires respectifs. Cette information est ensuite envoyée au Bureau permanent de la Conférence de La Haye en vue de ses propres études.
L'étude internationale la plus récente sur les demandes au titre de la Convention sur l'enlèvement d'enfants remonte à 2008; elle avait été préparée pour une étude de 2011 de la commission spéciale. Le comité aurait peut-être intérêt à se pencher sur cette étude, dont nous pouvons vous envoyer un exemplaire. Vous y trouverez un rapport national sur le Canada présentant une analyse des statistiques canadiennes sur les cas de la Convention de La Haye pour l'année 2008, ainsi qu'une comparaison avec les tendances mondiales.
Ce que montre cette étude qui, je le répète, est la dernière étude internationale exhaustive consacrée aux cas de la Convention de La Haye, c'est qu'il y a eu une baisse globale du nombre de cas dont les autorités centrales canadiennes ont été saisies par rapport à 2003.
L'autre constatation intéressante est que le Canada parvient plus rapidement que les autres pays à obtenir le retour d'enfants enlevés, et que le taux global d'enfants revenus sur les demandes entrantes qui ont été envoyées aux autorités centrales canadiennes était supérieur à la moyenne mondiale.
En 2008, je pense qu'il y a eu 113 demandes adressées aux autorités centrales canadiennes, lesquelles comprenaient des demandes de sortie et d'entrée au titre de la Convention de La Haye.
Afin de donner au comité une idée très générale du nombre de cas d'enlèvement d'enfants dont sont saisies les autorités centrales canadiennes, les autorités centrales provinciales et territoriales ont communiqué des informations très générales sur le nombre de cas dans les années ayant suivi cette étude mondiale. Cette information montre que les cas d'enlèvement d'enfants relevant de la convention fluctuent d'une année à l'autre, mais que la tendance générale correspond à de légères hausses annuelles.
La sénatrice Seidman : Vous dites que le Canada parvient à obtenir le retour plus rapidement, et que le taux de retour est plus élevé. Pouvez-vous nous donner des chiffres à ce sujet, s'il vous plaît?
Mme Zed Finless : Je devrais m'engager à déposer l'étude devant le comité, car on y trouve les détails très précis des chiffres.
Je peux vous donner quelques chiffres précis maintenant. Je tiens à préciser que cette étude a été consacrée aux demandes relatives à la Convention de La Haye pour l'année 2008. Le taux global de retour, dans les demandes de retour, était de 59 p. 100, contre un taux global de retour de 46 p. 100 au niveau mondial. En outre, le temps qu'il a fallu aux tribunaux pour conclure la procédure dans une demande de retour a également été meilleur que la moyenne mondiale.
En 2008, 59 p. 100 des demandes reçues par le Canada ont abouti à un retour, contre 46 p100 au niveau mondial.
La sénatrice Seidman : Je vous serais reconnaissante de bien vouloir envoyer l'étude au greffier du comité, et j'apprécie ce témoignage qui nous donne un certain contexte sur la question de la prévalence des cas. Merci.
Je m'adresse maintenant à M. Crosbie, au sujet de l'Unité consulaire pour les enfants vulnérables. Vous avez parlé de sensibilisation de la population, et il est clair que prévention et sensibilisation sont importantes. L'unité dont vous avez parlé est manifestement une unité spéciale de très grande valeur. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par sensibilisation de la population, et comment cela peut inclure la prévention?
M. Crosbie : Nous recevons évidemment beaucoup d'appels de parents qui craignent que leur enfant puisse être enlevé, et nous essayons alors de les conseiller, de leur indiquer quoi faire pour empêcher que cela arrive, ce qui est la meilleure solution au problème.
L'une des choses que nous avons faites en matière de sensibilisation a été d'aller parler à diverses collectivités des grandes villes canadiennes. En outre, comme je l'ai dit, nous avons un bulletin, ainsi qu'un site web, par lesquels nous essayons de rehausser le profil des services que nous offrons afin que les gens puissent prendre des mesures eux-mêmes.
Mme Maillé : Nous sommes très heureux d'avoir cette nouvelle capacité offerte par l'Unité consulaire pour les enfants vulnérables. Elle nous permet d'avoir des agents de gestion des cas qui concentrent leurs activités sur une région donnée, ce qui leur permet de conseiller les parents d'un point de vue régional, mais aussi d'avoir une unité séparée sur les politiques. En ayant l'unité séparée sur les politiques, nous pouvons essayer de nous attaquer à certaines des causes profondes du problème et aux défis posés nationalement et internationalement.
Comme l'a dit M. Crosbie, en ce qui concerne l'aspect national, l'unité nous permet d'être préparés et de donner à nos gestionnaires de cas d'Ottawa mais aussi à l'étranger, dans nos missions, à nos agents consulaires, les outils concernant la meilleure manière de conseiller les parents sur la prévention d'une situation potentielle. Nous élaborons aussi des politiques, des listes de contrôle, des outils d'information et des documents de communication.
Cela nous permet aussi d'agir avec les collectivités ici même, au Canada, pour les sensibiliser à la nature des défis que nous percevons d'un point de vue consulaire. Cela nous permet aussi d'agir internationalement en collaboration avec nos collègues de Justice Canada, pas seulement dans les pays qui ont déjà signé la convention, pour rehausser leurs capacités dans certains cas, mais aussi dans les pays qui ont encore à le faire, par le truchement du groupe de travail du processus de Malte, pour aussi démystifier les options potentielles, et certainement le groupe de travail sur la médiation, en permettant des alternatives et des options potentielles, mais aussi plus généralement dans le processus de Malte pour expliquer ce que sont la Convention et certains des outils.
Nos collègues de la Justice voudront peut-être ajouter quelques mots sur le travail que nous faisons en partenariat.
Mme Zed Finless : En matière de prévention, le ministère de la Justice en fait aussi. De fait, il y a un budget fédéral dans le cadre de ce qu'on appelle l'Initiative de soutien des familles, qui permet de financer des services de justice familiale dispensés directement par les provinces et territoires pour aider ces familles à faire face à leurs problèmes juridiques résultant d'une séparation ou d'un divorce.
Certains de ces services sont des choses telles que des programmes d'éducation des parents et des services de médiation. Ils aident à minimiser les conflits familiaux, de façon à permettre aux gens de continuer à agir ensemble malgré leur séparation. Idéalement, cela devrait réduire le risque d'enlèvement.
Justice Canada a aussi produit un certain nombre d'outils qui aident les parents se séparant ou divorçant à s'entendre sur ce qui concerne les enfants. Par exemple, il y a une publication intitulée Faire des plans, qui rappelle aux parents qui voudraient partir à l'étranger avec leurs enfants qu'ils ont besoin d'obtenir le consentement de l'autre parent ou de demander l'autorisation à un juge. On y explique que, si l'un des parents devait prendre ou conserver un enfant sans la permission de l'autre parent ou l'autorisation d'une ordonnance judiciaire, cela pourrait être considéré comme un acte criminel. Il y a aussi dans ce guide une section indiquant aux parents quoi faire si un enfant est enlevé ou s'ils craignent que leur enfant puisse être enlevé.
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup de vos exposés et de votre excellent travail dans ce domaine.
Le ministère de la Justice nous a fourni un document qui est un aperçu de la Convention concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, de 1996. Diable, que ce titre est long! Quoi qu'il en soit, je crois comprendre que ce document fixe des règles communes pour les États parties sur des questions touchant la garde et la protection des enfants. C'est une convention complémentaire qui renforce la Convention sur l'enlèvement des enfants, mais vous avez dit que le Canada ne l'a pas ratifiée, et que l'analyse de ses avantages est en cours.
Comment cela se fait-il? Ce texte a été adopté il y a 18 ans. Comment se fait-il qu'il faille si longtemps pour l'analyser? Quel est le problème?
Marie Riendeau, avocate, Section du droit privé international, Justice Canada : Vous posez une question très importante, car la Convention... Nous l'appelons la Convention sur la protection des enfants, titre qui est beaucoup plus facile à mémoriser que le titre officiel.
Les questions couvertes par cette convention relèvent essentiellement de la compétence des provinces. Il y a des questions de garde et d'accès qui relève des autorités fédérales en cas de divorce. Donc, pour analyser la mise en œuvre possible de ce texte au Canada, nous sommes obligés, au palier fédéral, de collaborer très étroitement avec nos homologues provinciaux.
Ce travail est en cours mais, au niveau provincial, il y a certaines priorités plus importantes, et on a besoin de temps pour un certain nombre d'initiatives différentes touchant le développement du travail international et intérieur dans le domaine du droit de la famille. Il se fait beaucoup de choses dans les provinces et, même si nous collaborons étroitement avec nos partenaires et faisons des progrès, l'analyse prend du temps à cause du très vaste éventail de questions couvertes par la Convention.
Le sénateur Eggleton : Peut-être bien, mais ça fait 18 ans! Franchement, ce n'est pas une très bonne réponse.
Y a-t-il des dispositions auxquelles s'opposent les provinces? Y a-t-il des problèmes qui sont difficiles à résoudre, ou est-ce simplement qu'elles n'y consacrent pas le temps voulu?
Mme Riendeau : Il n'y a pas d'aspect particulier de la Convention qui pose des problèmes particuliers en soi. Ce n'est pas un aspect ou un autre.
La réalité est que, quand nous travaillons avec les provinces — et nous travaillons avec les provinces à ce sujet —, elles s'occupent de beaucoup d'autres domaines de réforme, et celui-ci en fait partie, et il n'y a pas de problème particulier avec cette convention.
Le sénateur Eggleton : D'accord, mais 18 ans, c'est tout simplement inacceptable. Je pense que nous devrions intervenir, madame la présidente.
Dans votre exposé, monsieur Crosbie, vous avez parlé des pays non signataires qui ont un nombre important de départs canadiens illicites et de demandes de retour, notamment le Liban, l'Inde, le Maroc, l'Algérie, le Pakistan et la Chine. Certains de ces pays font partie du processus de Malte.
Si ces pays sont ceux qui ont un nombre important de Canadiens, que faisons-nous pour résoudre leur statut de non- signataires de La Haye? J'ai eu l'impression, d'après ce que vous avez dit ensuite à ce sujet, que nous laissons plus ou moins les parents délaissés, comme vous les appelez, se débrouiller tout seuls. Autrement dit, nous ne leur fournissons pas les mêmes services, le même leadership et la même assistance pour leur permettre de récupérer leurs enfants que s'il s'agissait d'un pays de La Haye? Quelle est la différence?
M. Crosbie : Si un pays est membre de La Haye, il y a un processus dont ont convenu les deux gouvernements concernés pour faciliter la résolution de ces cas lorsque les parents s'adressent aux autorités centrales. C'est un processus qui est très bien reconnu par les autorités judiciaires et gouvernementales, et les gouvernements jouent ce rôle de soutien en fournissant un cadre d'action dans un domaine de droit privé international.
Quand il s'agit de pays qui ne sont pas membres de La Haye, il n'y a pas de convention internationale acceptée par les gouvernements pour aider les parents à résoudre ces différences. Il n'y a pas de processus permettant aux juges des deux pays de se parler pour tenter de résoudre ces différences, et il n'y a pas d'autorité centrale, de point de contact central auquel un parent pourrait s'adresser.
Le principal problème des pays non signataires, si vous en examinez la liste, est qu'ils ont dans certains cas des régimes sociaux, culturels, judiciaires et politiques très différents des nôtres. Exemple, le Japon.
Pendant longtemps, les Japonais ont maintenu que les obligations au titre de la Convention ne concordaient pas avec leur attitude à l'égard de ces questions de droit familial et de garde d'enfants. Après beaucoup de travail de nos collègues de la Justice, ainsi que de nous-mêmes en collaboration étroite avec d'autres pays, nous avons réussi à convaincre les Japonais que la Convention ne leur impose strictement aucune valeur culturelle occidentale pour ce qui est de la résolution des questions de garde d'enfants. Donc, dès demain, la Convention entrera pleinement en vigueur au Japon.
En ce qui concerne les pays dont le régime judiciaire est influencé par la charia, des pays musulmans dans l'ensemble, il y a une profonde incompréhension de la manière dont la Convention peut être conforme à leur attitude en matière de garde d'enfants. Cela dit, tout le travail que nous avons fait avec beaucoup de ces pays démontre que le principe fondamental que partagent tous les régimes juridiques en matière de garde d'enfants est d'agir dans le meilleur intérêt de l'enfant. L'organisation de coopération islamique, la convention sur les enfants, tous les instruments entérinent que le principe fondamental devant absolument être respecté est d'agir dans le meilleur intérêt de l'enfant.
Ce que nous essayons de faire avec ces pays qui ne sont pas membres de La Haye, c'est de les aider à comprendre comment la convention peut en réalité agir conformément à leurs propres régimes juridiques, à leurs normes, cultures et pratiques. Je dois dire cependant que, dans beaucoup de ces pays, la population est pauvre et qu'il n'y a pas de régime de droit familial bien développé pour résoudre les différends familiaux, ce qui signifie qu'il faudra du temps pour les convaincre d'adhérer à la convention. Avec nos collègues de la Justice et d'autres gouvernements, nous essayons de les aider à comprendre comment ils pourraient adhérer à la convention d'une manière qui serait un complément à leur propre système et les aiderait à développer leurs propres institutions de droit familial.
Le sénateur Eggleton : Je suppose que c'est précisément de cela qu'il s'agit avec le processus de Malte.
M. Crosbie : Oui.
Le sénateur Eggleton : J'avais l'impression que le processus de Malte permettait au moins de mettre en place un certain processus informel de dialogue entre juges, par exemple, pour permettre de chercher des solutions à certains de ces problèmes dans les pays qui n'ont pas adhéré à la Convention de La Haye, ou peut-être comme système de remplacement, étant bien entendu que beaucoup de ces pays sont des pays islamiques appliquant différents types de systèmes basés sur la charia.
M. Crosbie : Le processus de Malte a débouché sur trois grandes réunions parrainées par le gouvernement maltais, en 2004, 2006 et 2009. J'y ai assisté, avec certains juges canadiens et des représentants de Justice Canada. Au cours des années, le sentiment s'est établi qu'il s'agissait de réunions importantes pour améliorer la compréhension, mais aucune solution concrète ne pouvait sortir de ces vastes réunions pour aider les parents à faire face à des situations particulières.
M. le juge Jacques Chamberland, qui faisait partie de la Cour d'appel du Québec, est celui qui avait proposé de mettre en place un système qui ne serait pas exactement le système de La Haye, parce que ces pays ne semblent pas prêts à signer la convention, mais qui donnerait aux parents des outils concrets pour résoudre ces affaires; où les parents accepteraient une médiation, et l'on veillerait à ce qu'un service de médiation soit disponible, les gouvernements des deux pays concernés s'entendant sur un système répondant à nos normes; et on mettrait sur pied à l'intérieur de ces gouvernements un point de contact central auquel les parents pourraient s'adresser pour obtenir de l'aide. Ce serait une sorte de version réduite des Conventions de La Haye, avec très simplement un point de contact central et un service de médiation.
Notre but est de convaincre ces gouvernements de mettre sur pied de tels services de médiation avec un point de contact central. Nous aimerions qu'ils adhèrent aux conventions de La Haye, et nous pensons que cela pourrait être un pas dans cette voie. C'est l'objectif du groupe de travail : concevoir des solutions concrètes qui sont utiles.
Le sénateur Eggleton : C'est un avantage que vous avez. Vous coprésidez le groupe de travail, ce qui vous donne la possibilité d'exercer une influence.
M. Crosbie : Je l'ai coprésidé avec le juge en chef du Pakistan, le juge Jillani. Lui-même a eu à régler un certain nombre de ces dossiers d'enlèvement transfrontalier d'enfants.
Je pense qu'il est important d'inclure les juges, mais il faut aussi avoir la participation de représentants des gouvernements concernés afin qu'ils puissent collaborer pour bâtir ces institutions.
Le sénateur Eggleton : J'espère que vous aurez bientôt du succès et que ça ne prendra pas 18 ans.
M. Crosbie : Je l'espère aussi.
Le sénateur Eggleton : Dix-huit pays font partie de la Convention de La Haye sur les enlèvements mais le Canada ne les accepte pas. Pourquoi? Que fait-on pour résoudre ce problème? Que faites-vous avec ces pays en ce qui concerne ces questions? Ils sont membres de la Convention de La Haye. Je ne savais pas que certains pays pouvaient se joindre à la Convention de La Haye et que d'autres pays puissent dire qu'ils ne les acceptent pas. Pouvez-vous m'expliquer ça?
Mme Riendeau : Je peux peut-être vous donner un peu de contexte pour vous expliquer pourquoi il y a une différence entre les États qui sont parties à la convention qui s'applique à tous, et les États qui ont besoin d'être acceptés.
Il y a dans la convention des dispositions précises indiquant que les États qui étaient membres de la Conférence de La Haye au moment où la convention a été adoptée, c'est-à-dire en 1980, peuvent signer et ratifier la convention, et que celle-ci s'appliquera automatiquement entre tous les États parties.
La convention envisage un deuxième groupe d'États, ceux qui n'étaient pas membres en 1980, et leur permet d'adhérer néanmoins à la convention selon la méthode de l'accession, mais en précisant clairement que l'accession n'aura d'effet qu'entre ce que nous appelons l'État accédant — cet État non membre qui devient partie à la convention est appelé un État accédant — et ceux des États qui déclarent explicitement accepter leur accession.
Ces règles étaient en vigueur à l'époque. Les conventions plus récentes de La Haye n'ont pas ce type d'approche, mais, en 1980, c'était une entente qui existait entre les États, et elle était destinée à permettre aux États de s'assurer que les États qui ne participaient pas à la négociation de l'instrument auraient en fait respecté les obligations au titre de la convention lorsqu'ils y adhéreraient.
Voilà l'historique, si vous voulez, de la différence entre les deux catégories d'États.
Pour revenir à votre question sur les 18 États accédants que le Canada n'a pas encore acceptés, je dois aussi vous donner un peu de contexte. Les décisions sur les accessions sont prises par le ministère des Affaires étrangères. Comme c'est une question de droit des traités, c'est lui qui a compétence. Toutefois, comme le ministre de la Justice a compétence à l'égard de la Convention de La Haye sur les enlèvements, c'est lui qui, par le truchement de ses fonctionnaires, adresse des recommandations au ministère des Affaires étrangères au sujet d'une éventuelle acceptation.
Quel est donc le processus lorsqu'un nouvel État accède à la Convention? Comme je l'ai expliqué, accepter une nouvelle accession ou un nouvel État est une décision importante, car cela donne effet à la convention entre le Canada et ce nouvel État. Les représentants de la Justice recueillent des renseignements avant de formuler une recommandation, dans le but de s'assurer que les exigences fondamentales énoncées dans la convention sont satisfaites, c'est-à-dire, dans le cas des États où une loi de mise en œuvre doit être adoptée pour que la convention entre en vigueur, qu'une telle loi a effectivement été adoptée et que cette loi est entrée en vigueur.
Le deuxième critère que nous examinons est que ce nouvel État ait une autorité centrale qui fonctionne, une autorité centrale clairement désignée avec des personnes-contacts capables de s'occuper concrètement des demandes à l'entrée et à la sortie.
L'autre chose que nous faisons consiste à vérifier si la législation de mise en œuvre ou les processus administratifs mis en place dans ce nouvel État semblent conformes aux obligations énoncées dans la convention. Si nous avons un doute, nous poussons les recherches.
Du point de vue de la Justice, notre politique générale est de recommander l'acceptation lorsque ces conditions fondamentales sont satisfaites. Nous examinons et recueillons des informations en nous basant sur les informations fournies sur le site web de la Conférence de La Haye au sujet du nouvel État et de la manière dont il applique la convention. Nous nous tournons également vers nos autorités centrales provinciales et les autorités centrales étrangères pour connaître leur avis. Nous contactons aussi les représentants de l'État accédant pour obtenir des éclaircissements s'il y a lieu. Si l'information n'est pas facilement disponible, nous passons parfois par le ministère des Affaires étrangères pour essayer de l'obtenir par la voie diplomatique.
Selon le cas, il peut falloir plusieurs mois ou plusieurs années pour qu'une décision soit prise. Les cas les plus difficiles sont ceux pour lesquels nous n'avons pas d'information. Il y a des processus à la Conférence de La Haye qui permettent aux États de fournir des renseignements sur la mise en œuvre de la Convention, mais certains d'entre eux ne les fournissent pas. En outre, il arrive parfois que nous ayons du mal à obtenir une réponse à nos questions.
Jusqu'à présent, le Canada a accepté 40 de ces États accédants. Il en reste 18 à des niveaux variables du processus, mais nous poursuivons activement la collecte de renseignements. Notre politique est de ne pas prendre de décision sur une accession, de laisser la question ouverte et de continuer à recueillir des renseignements et à discuter avec le nouvel État, en nous assurant que nous arriverons au point où nous saurons qu'une autorité centrale en bon état de marche a été mise en place et que la législation voulue est entrée en vigueur.
Le sénateur Eggleton : J'apprécie cette description. Certains de ces pays sont en attente depuis 10 ans ou plus et, quand j'examine la liste, je peux le comprendre dans certains cas. Certains sont peut-être plus problématiques que d'autres pour ce qui est des assurances que vous souhaitez.
La deuxième partie de ma question était la suivante : en attendant, que faites-vous si les enfants sont enlevés dans ces pays? Comment pouvons-nous les faire revenir? Nous avons parlé il y a quelques minutes du processus de Malte et de la manière dont il traite les pays islamiques, mais qu'en est-il de ces pays? Ils ne tombent pas tous dans cette catégorie et, en fait, ils sont quand même dans la Convention.
Mme Riendeau : Je vais donner la parole à mes collègues des Affaires étrangères. Comme ces pays sont parties à la convention, mais que la convention ne s'applique pas entre eux et le Canada, le mécanisme prévu par la convention ne s'applique pas.
Le sénateur Eggleton : Je comprends, mais qu'est-ce qui s'applique, alors? Que faites-vous pour faire revenir les enfants?
Mme Riendeau : Les parents s'efforceraient d'obtenir le retour de l'enfant en s'adressant aux tribunaux...
Le sénateur Eggleton : Les tribunaux de quel pays?
Mme Riendeau : De ces pays. Ou ils s'adresseraient à nos collègues.
Le sénateur Eggleton : Quelle assistance leur donnerions-nous?
Leslie Scanlon, directrice générale, Direction générale, Opérations consulaires, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Malheureusement, comme vous l'avez dit, il n'y a pas de mécanisme multilatéral pouvant aider dans ce genre de situation et c'est donc essentiellement le domaine du droit privé. Cela ne veut pas dire que le gouvernement du Canada ne s'intéresse pas au bien-être de l'enfant. Autrement dit, nous irons parler au parent qui a été laissé ici pour nous assurer qu'il fait ce qu'il peut en termes de droit privé, et nous essaierons de l'aider en le conseillant sur les lois du pays où se trouve l'enfant. Nous attachons beaucoup d'importance au bien-être de l'enfant. Il y a un parent canadien et nous interviendrons auprès des autorités locales du pays où se trouve l'enfant pour nous assurer qu'il n'y a aucune préoccupation à avoir au sujet de son bien-être.
Nous continuerons de conseiller le parent sur la publication que nous avons mentionnée un peu plus tôt, Enlèvement international d'enfants, qui précise ce qu'on doit faire si son enfant est enlevé vers un pays étranger. Nous prendrons contact avec les agents consulaires du pays où se trouve l'enfant pour essayer d'obtenir que le parent qui l'a enlevé rencontre les agents consulaires du gouvernement canadien dans les locaux du pays où se trouve l'enfant, pour l'informer qu'il pourrait y avoir des conséquences pénales s'il ne rend pas l'enfant au pays où celui-ci a la possibilité légale de vivre.
Si le parent décide volontairement de rendre l'enfant, Affaires étrangères agira très rapidement pour faciliter le voyage, la délivrance de documents d'urgence...
Le sénateur Eggleton : C'est le genre de choses que je voulais savoir. Vous ne leur dites pas : « Désolé, nous ne pouvons pas vous aider parce que vous n'êtes pas membres de la convention. » Vous essayez de les aider comme vous venez de l'indiquer.
Mme Scanlon : Comme vous pouvez l'imaginer, aux Opérations consulaires, nous nous occupons de familles qui traversent les pires moments de leur vie. C'est une responsabilité énorme pour nos agents et nous essayons d'aider toutes les familles.
La sénatrice Andreychuk : Nous avons tous les mêmes préoccupations. Je me souviens de l'époque où nous n'avions pas beaucoup de services consulaires ni de Convention de La Haye, ce qui vous donne une idée de mon âge. Je pense que ces mesures vont dans le bon sens, car nous parlons ici de familles en crise. Si les familles n'étaient pas en crise — à cause de la rupture d'un mariage ou d'autre chose —, si elles s'occupaient encore des besoins de l'enfant, vous n'auriez pas intervenir. Et nous ne serions pas ici aujourd'hui.
Mais il y a des cas où l'animosité entre les deux parties est trop forte et où l'un des parents enlève l'enfant. C'est possible aujourd'hui parce que nous voyageons beaucoup. Il y a aussi beaucoup de barrières interculturelles, et c'est de là que vient le problème, je pense. Je suis heureuse d'apprendre que nos services consulaires sont concentrés sur la prestation d'une aide aux familles, et il y a au moins la Convention de La Haye. Il y a 15 ans, si j'avais parlé de Convention de La Haye, je pense qu'aucun avocat n'aurait su de quoi il s'agissait. Aujourd'hui, ils le savent grâce à notre engagement international.
Voici maintenant ce qui m'intéresse : comment pouvons-nous atteindre suffisamment de familles au Canada pour qu'elles comprennent avant le mariage, et même, si je peux me permettre, avant la naissance de l'enfant, que ce nouveau concept existe? Si les deux restent au Canada, nous avons beaucoup de lois, ils connaissent les lois, ils connaissent notre système judiciaire, et ils font confiance au système judiciaire. Mais ce n'est pas la réalité d'aujourd'hui. Que devrions-nous faire d'autre en première ligne, ou allez-vous me dire qu'il s'agit là d'une responsabilité provinciale?
M. Crosbie : Il s'agit d'une responsabilité partagée. Nos collègues de la Justice ont leurs propres méthodes, leurs propres contacts et leur propre manière d'exercer une influence sur ce qui se passe dans les provinces. Les autorités provinciales ont les agences de bien-être social, les services d'aide à la famille. En l'absence de contrôle à la sortie, la réalité est qu'il n'y a pas grand-chose que le gouvernement fédéral puisse faire tant qu'un problème n'est pas apparu.
Nous essayons d'informer les gens par le truchement de notre site voyage.gc.ca. Souvent, il s'agit de gens qui voyagent parce que la famille est brisée et, qu'ils soient séparés ou non, ils vont toujours partir en vacances et voyager. Dans ce contexte, nous recevons beaucoup de questions de parents qui sont préoccupés par le risque d'enlèvement.
Informer les familles est notre responsabilité à tous, je pense.
La sénatrice Andreychuk : Si vous enlevez un enfant de notre juridiction — le Canada —, que peut faire le parent qui n'a pas l'enfant avec lui, et que peut-il savoir de l'autre parent parti avec l'enfant? Les parents ont des droits, ils peuvent avoir l'enfant pendant deux semaines de vacances. Le parent emmène l'enfant à l'étranger ou aux États-Unis. Nous savons qu'il y a des lettres qui sont produites, mais elles ne sont pas vraiment exécutoires. Y a-t-il quelque chose? Vous dites que nous n'avons pas de contrôle à la sortie.
Mme Maillé : Merci de la question. L'une des choses auxquelles la ministre Yelich nous a demandé de prêter une attention spéciale avec la nouvelle Unité consulaire pour les enfants vulnérables est d'essayer de mieux coordonner la prévention. Nous nous réjouissons d'avoir pu lancer récemment un groupe de travail interministériel qui se penche réellement sur les différents outils que nous avons actuellement dans notre boîte à outils en termes de prévention et sur ce que nous finirons pas recommander à notre ministre et à d'autres en partenariat afin de pouvoir améliorer notre boîte à outils.
Nous avons déjà agi au moyen de notre brochure Voyager avec des enfants, disponible sur notre site web, qui indique aux parents certaines des choses à prendre en considération s'ils veulent voyager avec des enfants, notamment la lettre de consentement dont vous avez parlé. Comme j'ai des enfants et que je voyage avec eux, je sais bien que ça ne résout pas tous les problèmes, mais nous espérons que cela donne à la famille l'occasion de discuter de tout ce qu'il faut faire. « Nous allons voyager avec les enfants, ou je vais voyager seul ou seule avec les enfants ». Cela suscite une discussion et un dialogue qui peuvent aider à prévenir certains cas.
Il y a aussi des situations d'enlèvement pur et simple, quand un parent quitte le pays avec l'enfant et ne veut pas qu'on sache où il se trouve. Mais il y a aussi des situations où il y a approbation ou consentement que le parent voyage avec l'enfant, mais où il ne veut plus ensuite revenir au Canada. Dans ce cas, nous possédons peut-être certaines informations sur le lieu où se trouve l'enfant, si l'autre parent n'a pas déménagé, mais nous pouvons aussi dans certains cas perdre sa trace ainsi que celle du parent délaissé.
Ces cas sont tous très difficiles et nous pouvons parler plus des détails des opérations, mais nous essayons certainement, que ce soit par une discussion avec les parents avant le voyage ou une fois qu'ils viennent nous consulter au sujet d'une crainte potentielle, de leur donner certains outils sur les choses dont ils devraient se préoccuper.
Par exemple, Passeports Canada tient une liste de signalement qui permet à certains parents de lui indiquer qu'il ne doit pas délivrer de passeport à un enfant sans les avoir consultés auparavant, ou parce qu'il y a une ordonnance potentielle de garde. Nous recommandons certainement que les parents portent ça à son attention. Nous les encourageons aussi à tenir une autre ambassade informée si, par exemple, l'autre parent a une double nationalité, ce qui fait qu'il peut informer l'ambassade de ce pays afin qu'elle ne délivre pas de documents sans avoir la documentation requise, par exemple.
Ce sont là des recommandations ou des conseils différents, mais nous espérons être en mesure, plus tard cette année, par le truchement du groupe de travail interministériel, de formuler quelques recommandations supplémentaires plus précises dans ce contexte.
Mme Zed Finless : Simplement pour étoffer un peu cela, je pense qu'il est important de rappeler qu'il s'agit là essentiellement de questions d'ordre privé. Ce sont des différends privés ou des relations privées entre les gens. Par conséquent, par le truchement des mécanismes établis, nous pouvons par exemple, par le truchement de l'Association du Barreau canadien, profiter de toutes les occasions possibles pour éduquer les parents par l'intermédiaire des associations du Barreau, car ils auront généralement des contacts avec un avocat à un moment ou un autre pendant leur différend. Le ministère de la Justice, par exemple, assure une liaison active avec l'Association du Barreau canadien et dispense régulièrement de la formation à l'association du barreau.
Nous identifions aussi des opportunités, lorsque c'est possible, comme lorsque l'Institut national de la magistrature nous demande de lancer des initiatives de formation à l'intention des juges. Ce sont eux qui définissent les relations entre les parents et déterminent quand ils peuvent voyager et quand ils peuvent emmener un enfant en dehors du pays, et à quelles conditions. Les juges sont alors plus sensibles aux choses qu'ils ont la possibilité de faire dans le cadre des ordonnances de garde ou des arrangements qu'ils vont établir pour les parents dans leur jugement.
La sénatrice Andreychuk : La double nationalité semble être l'une des difficultés. Certains pays prennent leur devoir envers leurs citoyens aussi sérieusement que nous, ce qui place souvent l'enfant en péril en privilégiant le maintien de l'enfant dans la culture locale dans laquelle il se trouve par opposition à la canadienne. Est-ce que c'est exact ce que j'ai lu? Y a-t-il du stress entre les pays des personnes à double nationalité? Je songe à ce cas de l'Angleterre que nos recherchistes ont eu la gentillesse de me communiquer. Le juge d'Angleterre avait déclaré que, même si l'enfant habite peut-être habituellement en Espagne, son cœur se trouve en Angleterre. C'était un jugement intéressant d'un tribunal qui ne reconnaissait pas l'ordonnance espagnole, en réalité. C'était ça, en fin de compte.
M. Crosbie : Les juges des tribunaux prennent leurs décisions en fonction des faits pertinents. En ce qui concerne la Convention de La Haye, bien sûr, elle entérine le fait que le critère primordial est l'intérêt de l'enfant. Cela peut être appliqué ou interprété de manière différente par un tribunal. Je pense que vous avez raison à ce sujet dans les systèmes culturels différents. Par exemple, dans les pays musulmans, l'un des arguments qu'on présente parfois est que l'enfant ne peut pas être éduqué comme musulman dans un pays comme le Canada. C'est de l'ignorance, parce qu'on ne comprend pas notre société. On ne comprend pas qu'on peut être élevé comme un musulman fidèle ou comme membre de n'importe quelle religion en étant Canadien. Cette incompréhension culturelle est l'une des choses que nous essayons de corriger au moyen du groupe de travail, pour faire comprendre qu'on peut vivre de manières différentes au Canada en respectant totalement la religion. Cela n'est possible qu'en aidant les juges et les représentants gouvernementaux à comprendre.
Mme Riendeau : Nous avons fait allusion à cela dans la déclaration liminaire. Je ne ferai aucun commentaire sur ce cas particulier, mais cette décision avait été prise dans le contexte de la Convention de La Haye sur les enlèvements.
Du point de vue de la Justice, l'un des principaux défis concernant la convention est d'en assurer une interprétation et une application plus uniformes au niveau mondial. Nous devons profiter de toutes les occasions possibles pour atteindre cet objectif, ce que nous faisons en partageant les pratiques exemplaires dans le travail bilatéral et multilatéral que nous faisons sur la convention. Élaborer des outils pour aider à établir une interprétation et une application plus uniformes est certainement l'un des éléments clés à nos yeux pour rendre la convention plus efficace mondialement. Il nous faut assurer ce contact avec les autres États par le truchement des réunions des commissions spéciales et des groupes de travail, et par l'élaboration de guides de bonnes pratiques.
Il y a actuellement un groupe de travail très important qui a été mis sur pied par la Conférence de La Haye dans le but d'élaborer un guide de bonnes pratiques sur l'une des dispositions centrales de la convention. Je ne veux pas être trop technique, mais il s'agit de l'exception relative au « risque grave » de danger, en vertu de laquelle, selon l'article pertinent de la convention, un tribunal peut dire : « Je n'ordonne pas le retour de l'enfant, car cela pourrait l'exposer à un risque grave de danger. » C'est une disposition cruciale, car elle permet au tribunal de ne pas ordonner le retour de l'enfant. Le Canada a recommandé la création d'un groupe de travail pour formuler ce guide. Nous avons un juge canadien qui y participe, ainsi qu'un représentant de Justice Canada. Voilà le genre d'initiatives sur lesquelles nous devons nous concentrer, je pense, pour assurer une application plus uniforme et plus cohérente de la convention.
La sénatrice Hubley : J'aimerais poser une question sur le rôle de la police. Je suppose que c'est le premier organisme à intervenir en cas d'enlèvement, puisque le parent qui se trouve confronté à une telle situation va probablement s'adresser d'abord à la police pour voir ce qu'elle peut faire.
Il y a environ 16 ans, lorsque le Sous-comité de la Chambre des communes sur les droits de la personne et le développement international a publié son rapport sur les enlèvements internationaux d'enfants, la plupart des services de police n'avaient pas de politiques opérationnelles exhaustives sur les enfants disparus. Signaler un enlèvement parental au Centre d'information de la police canadienne et enregistrer l'information dans le registre des enfants disparus était alors volontaire. En outre, des témoins avaient déclaré au comité qu'il fallait parfois des semaines à la police pour qu'elle agisse, et encore!
Pensez-vous que cette situation s'est améliorée et qu'il y a eu plus d'éducation et de formation de nos services de police pour qu'ils sachent identifier un cas d'enlèvement, qu'ils sachent comment y réagir et qu'ils sachent quoi faire pour le faire entrer dans votre domaine?
Mme Zed Finless : Oui, je pense que la situation s'est améliorée. C'est le ministère de la Sécurité publique qui est le mieux placé pour répondre aux questions sur la formation de la police.
Je peux cependant vous donner quelques exemples précis des efforts déployés par Justice Canada pour contribuer à la formation de la police au sujet des enquêtes concernant les enfants disparus dans le contexte d'un enlèvement parental. Depuis le rapport du comité permanent de la Chambre, il y a eu certaines initiatives concernant l'amélioration des initiatives de formation de la police auxquelles Justice Canada, au moins, a participé. Ainsi, en octobre 1998, les ministres fédéral-provinciaux-territoriaux responsables de la justice ont adopté de nouvelles lignes directrices sur les accusations dans les affaires d'enlèvement parental d'enfants. Ces lignes directrices étaient destinées à améliorer le traitement des cas d'enlèvement parental d'enfants. Elles remplaçaient celles qui existaient alors et, même si elles ne sont que consultatives, elles fournissent aux procureurs de la Couronne et aux organismes d'application des lois des indications sur les circonstances dans lesquelles il pourrait être justifié de porter une accusation d'enlèvement parental d'enfants.
En outre, Justice Canada a reçu des fonds pour produire des vidéos de formation à l'intention des services de police au sujet de l'enlèvement parental d'enfants. De plus, un atelier a été organisé sur l'enlèvement parental d'enfants, durant lequel on s'est penché sur la question de l'intersection du droit familial avec le droit pénal. Durant cet atelier, un représentant des Services nationaux pour enfants disparus a participé, ainsi que des représentants des ministères provinciaux de la Justice et des autorités centrales. Ils ont eu l'occasion de discuter du chevauchement entre les aspects criminels de l'enlèvement et les aspects civils de l'enlèvement. Plus récemment, Justice Canada a également contribué à certaines activités de formation de la police touchant l'interprétation de certaines dispositions du Code criminel en utilisant les lignes directrices d'accusation.
Évidemment, il y a aussi un atelier du collège de la police canadienne qui a récemment produit une étude sur l'enlèvement parental d'enfants, étude à laquelle nous avons contribué par de la documentation. Les activités de la police se sont certainement améliorées grâce à certaines de nos initiatives.
La sénatrice Unger : Vos témoignages m'ont beaucoup appris. C'est presque trop d'information tant il y a d'organisations et de personnes. Ça commence avec la police locale et il y a ensuite les avocats, les juges, les agences provinciales, la GRC, les ambassades, le ministère de la Justice, Interpol et le MAECD. Comment un parent peut-il s'y retrouver dans ce dédale extrêmement long? En moyenne, combien de temps faut-il pour retrouver un enfant?
M. Crosbie : Il faut distinguer les cas concernant les pays et gouvernements signataires de la Convention de La Haye, parce qu'il y a un processus pour les parents, que Sandra peut expliquer. Pour les cas consulaires, c'est-à-dire qui ne sont pas des cas de la Convention de La Haye, nous avons des agents de gestion des cas, comme on l'a expliqué. Il y a une personne qui s'occupe du dossier et qui prend tous les contacts voulus, par exemple avec notre mission locale.
Mme Scanlon : L'agent de gestion du cas maintient la relation avec la famille ou avec le parent délaissé. Il envoie de l'information par écrit pour faire suite à la conversation qu'il a pu avoir oralement. Il fait des suggestions au parent délaissé, qu'il communique ensuite par écrit. Il y a une relation très active entre Affaires étrangères et le parent délaissé, et c'est comme ça que nous gérons toutes ces parties différentes.
Mme Zed Finless : Je conviens qu'il y a beaucoup d'acteurs dans le processus. Cela ne fait que renforcer la collaboration intense qui est nécessaire en la matière. Nous sommes très fiers d'avoir pu collaborer étroitement avec les diverses parties concernées qui sont capables d'aider les parents.
La Convention sur l'enlèvement d'enfants fait ressortir la nécessité d'agir rapidement et sans tarder. En fait, il y a dans la Convention une disposition indiquant que les autorités judiciaires et administratives, quand elles sont saisies d'un cas résultant d'une demande formulée au titre de la Convention de La Haye, sont censées agir rapidement. On parle dans l'une des dispositions d'un échéancier de six semaines, après quoi une demande peut être présentée pour obtenir les raisons du retard.
Il y a des réalités concrètes et diverses questions qui peuvent entraîner des retards. Dans les cas de la Convention de La Haye, ça pourrait être le fait que l'autre État ne répond pas assez rapidement ou n'utilise pas le même mécanisme que pourrait utiliser le Canada pour retrouver l'enfant. Ça pourrait être quelque chose d'aussi simple que le fait de ne pas avoir mis à jour les informations de contact sur le site web international où les coordonnées de toutes les autorités centrales sont censées être enregistrées.
Nous déployons beaucoup d'efforts pour nous assurer que la Convention de La Haye opère à la vitesse à laquelle elle est censée opérer. Nous savons que tout retard dans le traitement de ces dossiers causera d'autres problèmes à l'enfant et au retour de l'enfant si le juge d'un autre pays décide que tel est le remède applicable en l'espèce. Nous œuvrons en collaboration pour nous assurer que les aspects criminels de l'enlèvement sont bien coordonnés avec les aspects de droit civil de l'enlèvement et que les cas individuels sont traités en fonction de leurs circonstances individuelles pour ce qui est des réactions appropriées que le parent pourrait vouloir poursuivre dans un contexte factuel donné.
La sénatrice Unger : Une question supplémentaire. J'ai entendu dire plusieurs fois qu'il s'agit de questions d'ordre privé. Si j'ai un enfant qui disparaît, le problème va probablement se retrouver devant mon avocat assez rapidement. Allez-vous coordonner avec l'avocat qui va alors communiquer avec moi, ou comment se fait le retour d'information?
Mme Scanlon : En règle générale, nous traitons avec le client, pas avec l'avocat. C'est le client qui est la personne primordiale, mais nous lui donnons beaucoup d'indications sur ce que nous pouvons faire. Le client doit gérer ce dossier, comme vous le savez, comme question de droit privé, avec l'appui de collègues ailleurs, selon la situation, que ce soit La Haye ou non, et selon le contexte de l'enlèvement.
Le sénateur Ngo : Je viens de recevoir beaucoup d'informations et j'ai une question simple à poser : que peut faire un parent si l'enfant se trouve dans un pays qui ne reconnaît pas le droit de garde, pour quelque raison que ce soit — religion, habitudes, traditions, et cetera.?
Mme Scanlon : La triste vérité est qu'il n'y a pas grand-chose qu'un parent puisse faire si l'enfant a été emmené dans un pays qui ne reconnaît pas La Haye, et que l'autre parent a une double nationalité. Une fois que l'enfant se trouve dans cet autre pays, il n'y a pas grand-chose que puisse faire le gouvernement du Canada.
Nous prendrons contact avec l'autre parent, avec l'appui du parent délaissé, afin d'avoir une conversation pour lui dire qu'il aurait peut-être intérêt à maintenir une relation avec le Canada parce qu'il pourrait vouloir y revenir plus tard. Nous allons essayer d'être très convaincants au sujet des conséquences éventuellement pénales du maintien de l'enfant en dehors du Canada.
Nous recommanderons au parent délaissé de parler aux autorités locales et à l'ambassade du pays où se trouve l'enfant. Il pourra partager les documents de garde et toutes ces choses-là, mais c'est une question d'ordre privé.
En ce qui concerne le gouvernement du Canada, je peux dire que notre priorité sera toujours le bien-être de l'enfant. Nous essaierons de nous assurer de pouvoir rendre visite à l'enfant. Nous n'avons jamais eu à traiter avec un État qui n'avait pas à cœur le bien-être de l'enfant et, même si c'est tout ce que nous pouvons accomplir, nous interviendrons avec force pour nous assurer que, s'il y a des problèmes, ils sont portés à l'attention des autorités locales.
La sénatrice Andreychuk : Vous dites que vous n'avez encore jamais vu de pays n'ayant pas à cœur le meilleur intérêt de l'enfant. Si c'est vrai, et je n'ai rien qui prouve le contraire, cela veut dire que nous définissons l'intérêt de l'enfant différemment de tous ces pays.
Mme Scanlon : Quand je parle du bien-être de l'enfant, je veux dire éviter qu'il souffre d'abus. Il ne s'agit pas de savoir si nous estimons qu'il serait mieux élevé dans un pays étranger qu'au Canada. Je parle spécifiquement de son bien-être, c'est-à-dire de sa santé, de son éducation, de son accès à des soins médicaux et du fait qu'il est bien nourri. Ce sont les questions sur lesquelles nous pouvons avoir un certain effet, même s'il n'y a rien d'autre que nous puissions faire d'un point de vue juridique.
Le sénateur Ngo : S'il y a d'autres facteurs religieux, que faites-vous? Comme vous venez de le dire, si l'enfant est enlevé dans un autre pays pour une raison religieuse, que peut faire le parent à ce sujet?
M. Crosbie : Encore une fois, il s'agirait de pays qui ne sont pas membres de La Haye et, dans ce cas, il faudrait travailler avec les parents et travailler avec le parent qui a enlevé l'enfant. Il s'agirait aussi, si possible, de s'assurer que les autorités judiciaires de ce pays comprennent et que le parent puisse présenter l'argument que l'enfant pourrait être élevé dans la foi musulmane au Canada. Il s'agirait de surmonter cette incompréhension. Quel que soit le contexte religieux, il peut être respecté dans la manière dont l'enfant est élevé au Canada.
La vice-présidente : Je vais laisser le dernier mot à la Justice.
Mme Riendeau : En ce qui concerne la question que vous avez posée sur ce qu'un parent peut faire si l'enfant se trouve dans l'autre pays, si l'on met de côté la Convention sur les enlèvements, parce que le mécanisme est expliqué dans les documents que vous avez reçus — si cette convention s'applique et est en vigueur entre les deux pays, le mécanisme serait d'essayer d'obtenir le retour rapide de l'enfant. Si elle n'est pas en vigueur, si le parent a obtenu une ordonnance d'un tribunal canadien lui donnant des droits ou la garde, il pourrait essayer de faire reconnaître cette ordonnance par le tribunal de l'autre pays, ou il pourrait aller s'adresser au tribunal de l'autre pays pour tenter d'obtenir une ordonnance de garde, permettant au parent de retourner au Canada. La difficulté à ce sujet est qu'il n'y a pas d'assurance que l'ordonnance canadienne sera reconnue par l'autre État.
Pour revenir à la Convention sur la protection des enfants, elle couvre aussi des questions de garde et d'accès. Si les deux pays étaient parties à cette Convention, une ordonnance canadienne, si elle était rendue au moment où l'enfant était habituellement résident du Canada, rendrait la reconnaissance de cette ordonnance canadienne dans l'autre État d'autant plus facile — ça faciliterait considérablement ce processus.
Donc, en l'absence du cadre international qu'une convention peut fournir, il faut admettre qu'il est très difficile pour un parent de faire reconnaître une ordonnance canadienne ou d'obtenir la garde dans un pays étranger.
La vice-présidente : Je vous remercie de vos témoignages. Comme vous avez pu le constater, cette question suscite beaucoup d'intérêt au sein de ce comité et, si nous avions plus de temps, nous aurions beaucoup plus de questions à vous poser.
Je souhaite maintenant la bienvenue au deuxième groupe de témoins : Amanda Pick, directrice exécutive de Missing Children Society of Canada; Dick Chamney, président de Service Social International-Canada; Sylvie Lapointe, directrice des services de Service Social International-Canada; et Ernie Allen, président et chef de la direction du International Centre for Missing and Exploited Children.
Nous allons commencer avec Mme Pick, de Missing Children Society of Canada. Je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire, après quoi vous pourrez répondre aux questions des membres du comité.
Je dois vous dire que nous sommes un peu pressés par le temps, car nous devons quitter cette salle à 19 h 50 pour laisser la place à un autre comité. Par conséquent, j'invite les sénateurs à être brefs dans leurs questions, et les témoins, dans leurs réponses. Merci.
Amanda Pick, directrice exécutive, Missing Children Society of Canada : Permettez-moi d'abord de vous remercier de m'avoir invitée à participer à cette conversation et à ce dialogue.
Mon organisation, la Missing Children Society of Canada, est au service des enfants et des familles de la nation depuis 28 ans. Ce que nous faisons est tout à fait particulier : nous fournissons un service de soutien actif des enquêtes. Historiquement, cela a été notre première fonction. Notre équipe a toujours été composée d'anciens agents d'organismes d'exécution des lois qui possèdent de nombreuses années de compétence et d'expertise dans les affaires d'enfants disparus ou enlevés. Ils travaillent en partenariat avec l'équipe d'exécution des lois à l'échelle nationale, laquelle est responsable du dossier, et sont en mesure de fournir un effort focalisé.
Évidemment, dès qu'un cas apparaît, la famille a la possibilité de bénéficier d'un effort focalisé. Malheureusement, avec le temps, cette possibilité n'est plus nécessairement là, et c'est alors que nous pouvons continuer à fournir cette attention focalisée.
Nous avons aussi un programme de soutien et de parrainage familial, dans le cadre duquel nous mettons les familles en contact avec des ressources capables de les aider durant leur cheminement, dans les régions précises où elles habitent. Nous avons créé ces dernières années et lançons tout juste à l'échelle nationale notre programme de recherche, qui est un modèle inédit dans notre pays et prend littéralement la technologie et met en contact les Canadiens individuels, des grandes entreprises, les médias et les services de police dans un réseau de réponse rapide qui aidera selon nous à agir pour prévenir des cas d'enlèvement d'enfants dans notre pays.
D'après notre expérience, et après avoir écouté la première partie des témoignages d'aujourd'hui, nos familles font face à beaucoup de défis avec certaines des choses que vous avez mises en relief. Dès le début d'une affaire d'enlèvement, comme vous pouvez l'imaginer, la famille essaye de déterminer à qui elle peut s'adresser. Son premier point de contact sera un service d'exécution des lois. Bien souvent, les équipes d'exécution des lois de tout le pays essayent de savoir quoi faire immédiatement. Avec l'idée d'un enlèvement parental, au lieu qu'il s'agisse d'un cas de conflit familial, elles considèrent qu'il s'agit d'une affaire criminelle et prennent des mesures pour réagir immédiatement, mais ce n'est pas toujours l'expérience qu'ont les familles et il peut donc y avoir un certain délai à cet égard.
Une fois que la famille et l'équipe d'exécution des lois comprennent qu'il s'agit maintenant d'une affaire d'enlèvement parental international, naviguer dans toutes les ressources et tous les services dont on a parlé aujourd'hui peut être un défi écrasant pour beaucoup de familles, mais pas pour toutes. Notre expérience, en partenariat avec Justice, Affaires étrangères et la police à l'échelle nationale, est qu'il y a une réponse collective. Toutefois, cette réponse semble toujours écrasante pour les familles, ainsi que l'identification de toutes les démarches à faire pour avoir accès aux ressources. Ensuite, une fois que l'enfant a été localisé, la question est de savoir comment faire respecter la Convention de La Haye. Puis, si elle est respectée, il faut assurer l'exécution de l'ordonnance et s'assurer que l'enfant est effectivement renvoyé à la maison avec la famille, ce qui peut poser d'autres problèmes à la famille, notamment de coût, de voyage et d'obtention de toutes les bonnes ressources internationalement pour ramener l'enfant à la maison.
Donc, de notre point de vue, il y a une équipe sur le terrain qui travaille avec les familles dès le moment où l'enfant est enlevé, pour essayer de retrouver l'enfant avant même que la Convention de La Haye puisse entrer en jeu. Une fois qu'on a localisé l'enfant, nous devons fournir aux familles un processus harmonieux. Je suis encouragée d'avoir entendu dire que nous prenons des mesures à ce sujet, mais, je le répète, tout ce processus représente un très gros défi pour les familles concernées.
Nous agissons directement avec les équipes de police pour nous assurer que les familles reçoivent un soutien adéquat, mais cela aussi semble être un défi. Notre expérience nous a montré que toutes les équipes de police n'ont pas nécessairement à traiter ce genre de dossiers de manière régulière, et il est donc encourageant d'apprendre qu'il y a des programmes de formation pour les membres de ces équipes d'exécution des lois, à l'échelle nationale, ce qui leur permettra de savoir quoi faire immédiatement dès qu'elles sont saisies d'une affaire de cette nature. Notre principal souci est d'assurer l'expérience la plus harmonieuse possible aux familles afin qu'elles puissent s'en sortir dans ce dédale incroyablement difficile.
Dick Chamney, président du conseil, Service Social International — Canada : Je remercie le comité de nous donner l'occasion de parler du travail d'ISS Canada, et je suis heureux d'avoir pu assister à la première partie de la séance. Le greffier m'a demandé si j'avais une déclaration liminaire. Je lui ai dit que j'avais simplement quelques notes manuscrites et que je parlerai surtout de ce qui fait écho chez nous, au lieu d'essayer de faire un exposé plus formel.
Quelques mots sur moi-même, d'abord. Je m'appelle Dick Chamney et je suis président du conseil de Service Social International Ð Canada depuis 2007. J'en suis à ma dernière année au conseil. Je fais aussi partie du conseil de gouvernance international d'ISS. Notre organisation mère se trouve à Genève. J'arrive également à la dernière année de mon mandat de quatre ans à ce niveau international. Cette organisation m'a appris beaucoup de choses que je ne savais pas avant 2001 ou 2002.
Sylvie Lapointe est notre directrice des services. Nous avons notre siège social à Ottawa. Elle travaille depuis 13 ans chez nous. Elle a une maîtrise en français et en anglais, et c'est probablement l'une des toutes premières travailleuses sociales internationales de la planète. Elle rougit quand je dis ça.
Elle a été très active avec notre organisation internationale pour former les nouveaux correspondants que nous intégrons au réseau et pour diffuser les normes de travail social que nous tentons d'appliquer. Elle travaille avec le comité consultatif professionnel, qui se compose des chefs de cabinet de toutes les organisations au monde qui donnent des conseils et des informations au conseil d'administration sur les questions relevant de sa compétence. C'est donc une personne très occupée, et je dois dire que nous travaillons très bien ensemble depuis pas mal de temps, à condition que je fasse ce qu'elle me dit de faire.
Je suis heureux de travailler avec Sylvie et que nous soyons tous les deux ici. Elle aura peut-être des réponses que je n'ai pas. C'est elle l'experte dans ce domaine.
Certaines des choses qui m'ont frappé avant de venir ici sont des choses qui avaient été mentionnées dans l'invitation à comparaître et l'approbation du comité de traiter de ces questions d'enlèvements internationaux d'enfants et de certaines des choses que nous pourrions vouloir faire face à ce problème croissant.
J'ai été frappé par l'expression « mécanismes internationaux de coopération ». Cela me plaît. La résolution des différends familiaux transfrontaliers, cela fait partie de notre travail. Nous nous occupons de dossiers internationaux depuis 1924. Après la Première Guerre mondiale, ISS a été créée en réponse à la diaspora des gens, notamment d'Europe, qui ont été chassés de leur patrie par la guerre et qui ont souvent été séparés non seulement de leur pays mais aussi de membres de leur famille. C'est le facteur qui a entraîné la création d'International Social Service, et nous célébrons aujourd'hui notre 90e année d'existence. Pour ISS Canada, c'est la 35e. Notre organisation a été constituée en société en 1979 et nous sommes en mode de célébration.
La question de La Haye est particulièrement intéressante. International Social Service, notre organisation mère, a passé une entente de coopération avec la Conférence de La Haye pour l'application et la promotion de ses diverses conventions concernant les enfants. L'entente a été signée en 2012. Nous avons une relation de travail avec La Haye, et nous aurons peut-être de ce fait certaines choses à contribuer à cette initiative-ci.
L'intérêt des enfants est primordial. Les moteurs de l'action d'ISS, notre organisation internationale, sont les Conventions de La Haye et la Convention sur les droits de l'enfant ainsi que les autres conventions des droits de la personne qui ont été adoptées au cours du dernier demi-siècle. Ce sont des documents importants et des points de référence pour notre travail à l'échelle mondiale. Ceci est donc important de ce point de vue aussi.
On se demande parfois si le bien-être des enfants relève de la compétence du gouvernement fédéral ou des provinces, mais en fait, au Canada, le bien-être de l'enfance et les services familiaux sont des responsabilités provinciales, bien qu'elles reçoivent l'appui financier et autre du gouvernement fédéral.
ISS Canada œuvre essentiellement avec les autorités provinciales, avec les ministères et les agences des provinces qui s'occupent du bien-être de l'enfance. Plus de 90 p. 100 de nos dossiers relèvent de ce domaine. Nous travaillons avec chaque province et territoire du pays. Nous nous occupons de dossiers qui nous sont renvoyés par ces instances.
Les plus gros sont ceux de l'Ontario, de l'Alberta, de la Colombie-Britannique et du Québec, et nous avons des ententes de service avec ces ministères et fournisseurs de services pour nous occuper des cas où intervient un élément international dans le dossier dont est saisi ISS au Canada. Ça peut être quelque chose d'aussi simple que vérifier un dossier dans un autre pays, ou d'aussi crucial qu'intervenir dans un cas d'abus, de négligence ou même d'abandon d'un enfant, ici ou ailleurs.
Cette année, nous nous occupons de plus de 400 cas au Canada qui nous ont pour la plupart été transférés par des agences ou d'autres sources canadiennes. Les procureurs généraux nous parlent de temps à autre, mais il y en a aussi certains qui viennent d'autres pays et qui font partie de notre réseau, ce qui nous permet de les mettre en contact avec les instances voulues au Canada.
Nous sommes actifs dans environ 150 pays. Nous avons des bureaux correspondants ou des filiales ou succursales dans environ 130 pays. Dans bien des cas, ce sont des pays qui n'ont pas signé les conventions de La Haye, et nous avons certains outils de travail sur le terrain dans des pays qui ne sont pas parties à la Convention.
L'une des réponses les plus fréquentes que nous recevons quand nous parlons de La Haye à des agents officiels est : « Tel ou tel pays n'est pas signataire de La Haye et il n'y a donc pas grand-chose que nous puissions faire ». Le fait est que nous sommes l'un des signataires de La Haye et qu'il y a toutes sortes de choses que nous pouvons et devons faire au titre de la Convention, que l'autre pays en soit signataire ou non.
Quelqu'un disait ce matin que les enlèvements parentaux sont ses problèmes les plus fréquents, et c'est vrai pour nous aussi. Cependant, il ne s'est pas toujours agi d'un parent prenant un enfant pour l'emmener ailleurs dans le monde. Certains parents sont très habiles pour organiser le départ d'un enfant et de la famille en dehors du pays et pour changer ensuite les règles du droit familial lorsqu'ils arrivent dans l'autre pays.
La Convention de La Haye ne porte pas que sur les enlèvements d'enfants, mais aussi sur le déplacement ou le non- retour illicite d'un enfant. Nous avons probablement autant de cas de cette nature que dans les autres catégories. Une fois que l'enfant est dans un autre pays, il est vulnérable aux lois et à la culture de ce pays, et à quiconque en est responsable du point de vue culturel. Nous faisons certains progrès dans ces domaines.
L'une des choses qui me frappent est que nous avons au Pakistan et en Inde — et nous avons même travaillé en Syrie — des correspondants qui connaissent la culture, qui connaissent les lois, et qui savent comment travailler dans le cadre de cette culture. Ils font leur travail sans porter de jugement. Ils font de l'excellent travail en collaborant avec nous. Un correspondant du Pakistan vient juste de nous envoyer un rapport concernant la résolution d'un dossier en faveur d'un parent qui essayait de recouvrer la garde d'un enfant. Il faut toujours beaucoup de temps pour atteindre ce résultat.
J'ai noté ce matin que le sous-ministre a déclaré qu'une des choses que nous essayons de faire est de les aider, les pays non signataires, à comprendre les avantages qu'ils peuvent tirer des Conventions de La Haye. Nous penchons plus vers la nécessité de mieux les comprendre, eux et leur culture, et la manière dont les choses fonctionnent chez eux, quand c'est là qu'il faut agir, et nous sommes très chanceux d'avoir des gestionnaires de cas accrédités dans beaucoup de ces pays.
J'entends sans cesse parler de la nécessité d'une bonne collaboration, notamment avec les autorités provinciales et fédérales. Je pense qu'il y a aussi un autre besoin de collaboration, mais entre les ressources gouvernementales et non gouvernementales dans le monde. Nous sommes affiliés à un certain nombre d'ONG qui font du travail compatible, et nous travaillons beaucoup plus en partenariat que dans le passé. Certains de nos correspondants sont aujourd'hui la Croix-Rouge internationale et les services de la Croix-Rouge dans différents pays, et ça marche très bien.
Pour ce qui est de l'intervention policière — Amanda en a parlé —, la police nous communique des cas. Certains services de police semblent très bien informés et bien comprendre le rôle consistant à porter des accusations dans des affaires d'enlèvement. D'autres n'y comprennent rien. D'une entité à une autre, même au palier municipal, il y a de très grosses différences dans la manière dont on comprend le rôle que peut jouer la police.
Je vais en rester là. J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, et des questions aussi à poser, que mon épouse m'a envoyées, si ça ne vous dérange pas.
Sylvie, voulez-vous ajouter quelque chose?
Sylvie Lapointe, directrice des services, Service Social International Ð Canada : Non, ça va.
La vice-présidente : Je donne donc la parole à M. Allen.
Ernie Allen, président et chef de la direction, International Centre for Missing and Exploited Children : Merci beaucoup, madame la présidente, de nous donner la possibilité de témoigner. Je regrette de ne pas pouvoir être parmi vous.
Je sais qu'un des mandats de votre comité est d'examiner le travail de la Convention de La Haye et les questions concernant les États non signataires. Notre organisation, le International Centre for Missing and Exploited Children, a financé une enquête statistique mondiale en 2011 sur le fonctionnement de la Convention de La Haye, enquête qui a été pilotée par un membre de notre conseil d'administration, le professeur Nigel Lowe, de la Cardiff Law School, au Royaume-Uni. Les résultats sont troublants, et je pense qu'ils devraient troubler votre comité et le monde entier.
Premièrement, il y a eu une augmentation du nombre de demandes au titre de la convention. Une augmentation de 44 p. 100.
Deuxièmement, il y a eu moins de retours d'enfants. Le taux global de retour était de 46 p. 100, contre 51 p. 100 cinq ans plus tôt, et le processus de La Haye prend plus de temps. Comme vous l'ont dit les témoins précédents, la norme est aujourd'hui de 42 jours ou six semaines, alors que le délai moyen qu'il faut à un tribunal pour ordonner le retour d'un enfant est quatre fois plus élevé, soit 166 jours en 2008, contre 125 jours cinq ans plus tôt et 107 jours dix ans avant.
Permettez-moi de dire que le Canada s'en sort très bien dans l'analyse. La sénatrice Unger avait demandé au panel précédent combien de temps prenait le traitement de ces dossiers. Au Canada, le délai moyen pour amener un cas devant un tribunal était de 54 jours. Ce n'est pas aussi bien que les 14 jours du Royaume-Uni ou les 35 jours de l'Australie, mais c'est mieux que les 72 jours de l'Allemagne et les 207 jours des États-Unis.
Une fois qu'un cas est reçu, les tribunaux canadiens prennent 69 jours pour agir, ce qu'il faut comparer à 48 jours au Royaume-Uni, 89 jours en Allemagne et 106 jours aux États-Unis. Beaucoup de gens ont dit que la rapidité est l'élément clé du processus de La Haye. Le but de la convention est d'assurer le retour rapide des enfants enlevés dans leur pays de résidence habituelle, où les tribunaux pourront prendre des décisions sur leur garde. Plus le dossier traîne, moins on a de chances de le résoudre avec succès. De fait, on est même incité à provoquer des retards, car on aura alors plus de chances qu'un tribunal estime que l'enfant s'est adapté, qu`il est bien installé dans son nouveau pays et qu'il n'est pas dans son intérêt de le renvoyer dans son pays de résidence habituelle.
En outre, il n'y a probablement aucun défi plus difficile à relever dans le processus de La Haye que simplement donner l'accès à l'autre parent. Les demandes d'accès prennent en moyenne 338 jours, contre 188 pour les demandes de retour. Ce n'est tout simplement pas acceptable.
Il y a un nouveau défi auquel nous sommes confrontés dans le monde au sujet de la Convention de La Haye, et c'est la tendance croissante des tribunaux, dans les affaires de retour, à rejuger la question de la garde, ce qui est une transgression directe du but fondamental de la Convention de La Haye. Cette question a été soulevée dans certaines affaires récentes portées devant la Cour européenne des droits de l'homme et, dans l'une d'entre elles, la cour a jugé que les normes fondamentales des droits humains exigent (a) que les tribunaux tiennent compte des meilleurs intérêts à la fois de l'enfant et de sa famille, et (b) qu'un enfant ne doit pas être renvoyé à sa résidence habituelle, même si c'est ce qui est prévu par la Convention de La Haye, si ce n'est pas dans son meilleur intérêt.
Évidemment, il s'agit là d'un dur coup porté au cœur même de la Convention de La Haye, et il importe que les pouvoirs publics en prennent conscience, à l'échelle internationale.
Mes remarques sur les pays non signataires de La Haye sont semblables à celles que vous avez déjà entendues. Beaucoup de ces pays ont des traditions profondément ancrées qui débouchent sur une conception plus rigide du meilleur intérêt de l'enfant. Cela me rend sceptique quant à la probabilité qu'un nombre important de pays ratifieront la Convention à l'avenir, notamment dans le monde islamique. Nous sommes très encouragés que le Maroc l'ait ratifiée en 2010, et la Turquie, un peu plus tôt. Nous espérons que d'autres suivront. Durant l'année écoulée, trois nouveaux pays sont devenus signataires de La Haye — la Corée du Sud, le Kazakhstan et le Japon —, ce qui porte le total à 91, soit encore moins de la moitié des nations de la planète.
Dans le monde islamique, le plus grand défi vient simplement du fait que les tribunaux n'envisagent pas les questions de garde d'enfants ou de droit familial de la même manière que les tribunaux occidentaux. Il y a des approches différentes de l'égalité entre les hommes et les femmes, et des différences sur la non-discrimination. De ce fait, bien que les ententes bilatérales soient loin d'être des panacées, je crois qu'elles ont de la valeur, notamment en ce qui concerne l'assurance d'un accès pour le parent délaissé. En outre, elles assurent au minimum qu'il y a des communications entre les deux pays, et un processus d'examen accéléré des questions de droit.
Ici encore, le Canada a été un chef de file dans son utilisation des ententes consulaires bilatérales, la prémisse étant qu'il est dans l'intérêt de l'enfant d'avoir des contacts réguliers avec les deux parents, pour assurer le droit d'accès du parent délaissé et pour créer des commissions consultatives afin de promouvoir des règlements à l'amiable.
Que devraient faire votre comité et le Parlement canadien? Cinq choses.
Premièrement, je crois qu'il faut réaffirmer la Convention de La Haye et continuer d'œuvrer pour son application uniforme, cohérente et globale, ainsi que pour la réciprocité, c'est-à-dire continuer à travailler pour accroître le nombre de signataires.
Deuxièmement, nous devons faire tout notre possible pour accélérer la vitesse à laquelle les dossiers de La Haye sont traités et résolus.
Troisièmement, nous devons nous attaquer au fait qu'on ne parvient pas à mettre à exécution certaines ordonnances de retour et d'accès. Dans certains pays, même quand on obtient une ordonnance judiciaire, l'enfant ne retourne pas à la maison.
Quatrièmement, nous devons nous attaquer au manque d'uniformité dans l'interprétation des exceptions prévues par l'article 13 de la Convention.
Cinquièmement, en ce qui concerne les pays non signataires, je pense que nous devrions faire plus pour trouver un terrain d'entente, pour dialoguer et pour bâtir sur le processus de Malte de la Conférence de La Haye, qui réunit des juges du monde occidental et des juges islamiques, afin d'examiner comment nous pourrions mieux communiquer les uns avec les autres et résoudre ces affaires.
Je crois que le Canada a été un chef de file mondial dans le processus de La Haye et qu'il peut exercer une influence sur beaucoup d'autres pays pour les amener à franchir cette étape importante.
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup de votre présence et de tout ce que vous faites sur ces questions. Je pense que M. Allen a répondu à la question que j'allais poser sur ce que le gouvernement devrait faire.
Quelles sont les choses que nous faisons bien, et quelles sont celles que nous pourrions faire mieux? Vous nous avez donné une liste de cinq choses, monsieur Allen, mais j'aimerais demander aux témoins présents dans la salle ce qu'ils pensent que le gouvernement fait bien et ce qu'il pourrait faire mieux. En outre, si vous croyez qu'il y a un problème de coordination fédérale-provinciale, j'aimerais le savoir.
M. Chamney : Je vais essayer de vous répondre. Au sujet de ce que nous faisons bien, j'ai été particulièrement heureux d'entendre les ministres MacKay et Yelich annoncé la création de l'Unité consulaire pour les enfants vulnérables. Cela a suscité un regain d'intérêt, et nous avons d'ailleurs eu certaines discussions préliminaires avec cette unité sur la manière dont nous pourrions collaborer. M. Allen a été très clair sur la question du traitement rapide des dossiers. Nous avons actuellement un cas au Pakistan où une fenêtre d'opportunité va bientôt s'ouvrir. Elle ne restera pas ouverte longtemps et, si nous ne pouvons pas réagir sur-le-champ, nous devrons retourner au point de départ.
C'est crucial. La participation des ONG, et une relation plus parallèle et horizontale entre les ONG et le gouvernement, sont des choses que les deux parties devraient viser. ISS Canada serait particulièrement intéressée à participer à ce genre de discussions et de planification.
Pour ce qui est de la coordination provinciale-fédérale, nous avons parfois reçu l'appui du gouvernement du Canada à cause du travail international que nous faisons et, quand nous sommes en dehors du Canada, nous agissons comme Canadiens, pas comme Albertains ou Québécois. Cela dit, c'est une question qui a souvent été évoquée entre le gouvernement fédéral et les provinces, en disant : « Non, cela relève de leur compétence et c'est eux qui devraient s'en occuper. C'est eux qui s'occupent du bien-être de l'enfance, pas nous. » Cela cause des problèmes pour les gens qui essayent d'agir. À qui devrais-je parler, et pourquoi ne pouvons-nous pas tout simplement nous asseoir ensemble pour voir ce que nous pourrions faire?
Il y a donc des questions de compétence constitutionnelle qui surgissent inutilement, à mon avis. Si l'on se concentre avant tout sur le meilleur intérêt de l'enfant, on devrait pouvoir laisser de côté ce genre de chicane.
Mon épouse m'a donné une question qui me semble importante : « Comment le tribunal d'un autre pays, d'un pays islamique, peut-il rendre une décision sur l'avenir d'un enfant canadien de trois ans sans que nous ayons notre mot à dire? » Par le truchement de nos ambassades, de nos consulats et de nos commissariats, au minimum, nous devrions être présents pour défendre l'intérêt de l'enfant lorsque son avenir se joue devant le tribunal d'un autre pays. Or, nous ne le faisons pas constamment. Nous le faisions autrefois, et j'espère que nous pourrons recommencer. J'espère que c'est utile.
Mme Pick : Bien dit. Je souligne moi aussi l'importance d'amener toutes les parties prenantes à la table afin que la famille comprenne comment naviguer dans le système. Je vais vous donner l'exemple d'une famille avec laquelle j'ai travaillé. Le père était canadien, l'enfant était canadienne, la mère était roumaine. L'enfant a été enlevée en Roumanie. L'ordonnance de La Haye était très claire. La Convention de La Haye a été invoquée et il y a eu une ordonnance de retour de l'enfant à la maison. Le processus de mise en œuvre de l'ordonnance, pour que l'enfant soit renvoyée au Canada, a été très long. Nous le savons grâce à nos contacts avec le père et aux informations qu'il a reçues de sources en Roumanie.
Nous avons de la chance. Mon équipe s'occupe de ce genre de cas depuis 15 ou 20 ans, ce qui nous a permis de créer un réseau mondial de contacts qui peuvent nous aider.
Pour vous donner une idée des aspects financiers de cette problématique, cette famille a dû dépenser 300 000 $ pour obtenir finalement le retour de l'enfant. Une fois que celle-ci est revenue à la maison, il y a eu encore d'autres problèmes à régler. Par exemple, l'enfant avait besoin de soins médicaux, mais n'avait pas d'assurance-santé ni d'identification, ce qui a causé toutes sortes de problèmes à la famille.
Pour nous, cette idée que le père, dans ce cas particulier, est soutenu durant tout ce processus est une chose qui n'est pas directement reliée à votre mandat, mais c'est quand même une expérience courante pour les familles canadiennes qui se trouvent dans cette situation, et c'est une chose qu'il serait également important pour vous d'étudier.
Le sénateur Eggleton : Vous dites que même les pays qui ont signé la Convention de La Haye sont lents à agir lorsqu'il s'agit de l'appliquer. La Convention de La Haye relève de la compétence de la Conférence de La Haye, qui dispose d'un secrétariat permanent. À votre avis, est-ce que celui-ci fait quoi que ce soit pour essayer de mettre ces pays dans le bon chemin et d'appliquer la Convention de La Haye dans des délais raisonnables? Qui veut répondre?
M. Chamney : C'est certainement l'objectif. Je laisse M. Allen vous donner des précisions.
M. Allen : L'une des choses résultant de la Conférence de La Haye a été l'élaboration de guides pratiques pour tous les membres, leur indiquant ce qu'ils sont censés faire et comment ils sont censés le faire. Le problème est que la Conférence de La Haye n'a pas le pouvoir d'obliger un pays à agir plus rapidement ou plus efficacement. C'est toujours volontaire.
Je pense que l'épouse de M. Chamney a vraiment posé une très bonne question à laquelle nous devrions réfléchir très sérieusement. Les pays doivent être prêts à exercer leur pouvoir, diplomatique ou autre, à l'égard de ceux qui sont récalcitrants dans ces affaires. Je suis enthousiaste de voir que cette audience se tient devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, car il ne s'agit pas d'un problème strictement juridique. Il s'agit de questions de dynamisme et, si nous obtenons de meilleures données et une sorte de feuille de pointage sur les différents pays, on pourra exercer des pressions internationales pour en amener certains à mieux faire à l'égard de cette Convention.
M. Chamney : La réponse à votre question réside peut-être dans un accord de coopération que notre organisme international vient juste de signer avec la Conférence de La Haye. En voici la première phrase : « Depuis plusieurs décennies, la Conférence de La Haye de droit international privé et International Social Service » — notre organisation — « ont forgé une relation de travail étroite dans le domaine de la protection internationale de la famille et de l'enfance... » Ensuite, on précise ce que ça signifie. Nous avons une entente de coopération. Qu'est-ce qu'elle oblige les deux parties à faire? Je pense que cela peut vous aider à faire avancer votre projet.
Le sénateur Eggleton : C'est une entente de coopération entre qui et qui?
M. Chamney : Entre ISS, notre organisation mère, et la Conférence de La Haye. J'en laisserai un exemplaire de l'entente au greffier.
Le sénateur Eggleton : Permettez-moi d'aborder autre chose. J'en ai parlé tout à l'heure aux représentants des ministères qui étaient ici. Il s'agit essentiellement de mesures de protection des enfants lorsqu'ils se trouvent dans cette situation dans un autre pays. Cela semble complémentaire à la Convention de La Haye, ce qui me semble avoir été l'objectif. Le Canada n'a pas encore ratifié, ce que je trouve incroyable au bout de 18 ans. Il semble y avoir une sorte d'obstacle entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux à ce sujet. Ça me semble aberrant. Que pensez-vous de cette entente? Quelle est son importance? Est-ce une chose sur laquelle nous devrions exercer des pressions ou devrions-nous laisser traîner encore pendant plusieurs années?
M. Chamney : Je pense que vous devriez faire des pressions. J'ai pensé que c'était l'une des meilleures questions posées lors de la session précédente : comment se fait-il que ça n'a pas encore été ratifié au bout de 18 ans. Ça semble toujours être un problème.
M. Allen : Je suis totalement d'accord avec vous, sénateur. Ce n'est pas seulement un ajout compatible et précieux à la Convention de La Haye sur l'enlèvement d'enfants, c'est aussi un texte qui permettra à certains pays d'intervenir dans ces affaires alors qu'ils ne le font pas au titre de la Convention de La Haye sur l'enlèvement d'enfants. Il n'y a qu'un petit nombre de pays qui ont signé la convention et nous devons donc lancer un effort mondial vigoureux pour accroître le nombre de pays signataires de la Convention sur la protection des enfants.
Le sénateur Eggleton : Madame Pick, je pense que vous pourriez rendre cela unanime.
Mme Pick : Absolument.
La sénatrice Andreychuk : Monsieur Allen, je voudrais revenir avec vous sur la question des cours européennes, question qui me semble la plus troublante. Je pense que nous comprenons l'écart qu'il peut y avoir sur les questions culturelles, l'élaboration de systèmes et l'incitation des régimes judiciaires d'une bonne partie du monde à progresser et à changer. Toutefois, l'Europe devrait être le groupe de pays appuyant le plus résolument la Convention de La Haye. Or, ils en font une interprétation créative, ce qui m'embête parce que les cas qui semblent tomber en dehors de la norme viennent de ces pays. Comme vous l'avez dit, cela remet en question l'essence même d'une Convention de La Haye. Je parle de rejuger la même affaire. Que pouvons-nous y faire?
M. Allen : Nous devrions essayer de promouvoir et de renforcer l'importance de la Convention de La Haye. Il y a une affaire plus récente qui a été jugée par la Cour européenne des droits de l'homme, X et autres c. Lettonie, et la cour a autorisé l'enfant à retourner dans son pays de résidence habituelle, l'Australie. C'est quand même une situation difficile, avec des questions qui la compliquent.
Il s'agit en partie de la place croissante qu'occupe la question de la violence familiale. Personne n'est plus favorable que moi au traitement judiciaire des allégations de violence familiale, mais, dans certains cas, c'est devenu une stratégie, et nous devons nous pencher sur ces cas de manière appropriée. L'objet fondamental de la Convention de La Haye est de régler des conflits de droit. On ne peut tout simplement pas continuellement rejuger la même affaire de pays à pays.
La sénatrice Andreychuk : Voulez-vous dire que c'est une question d'ordre judiciaire ou d'ordre politique?
M. Allen : Je pense que c'est les deux. Aujourd'hui, c'est d'abord une question judiciaire. L'une des choses que nous avons essayé de faire avec les leaders européens dans le sillage du premier arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, qui concernait une affaire suisse, a été de nous adresser aux principaux décideurs publics pour leur dire : Le moment est venu pour vos pays, du point de vue des politiques publiques, de réaffirmer votre engagement envers la Convention de La Haye sur les enlèvements. Évidemment, personne ne veut s'ingérer dans un pouvoir judiciaire exercé selon des processus appropriés, mais il y a ici une politique de fond qui a besoin d'être réitérée.
La sénatrice Andreychuk : En ce qui concerne les États non signataires de La Haye, est-ce que le problème fondamental est la culture ou l'absence de magistrature indépendante?
M. Allen : Je dirais que c'est les deux. Évidemment, dans le monde islamique, les gens ont tendance à supposer, quand nous parlons de ce genre d'enlèvement parental international, que c'est essentiellement une question de culture et de religion. Toutefois, il y a eu des problèmes depuis très longtemps avec le Japon, par exemple, et nous sommes heureux que le premier ministre Abe et le parlement japonais viennent juste de ratifier la convention. Aux États-Unis, aucun enfant n'a jamais été renvoyé dans le pays sur ordre d'un tribunal ou du gouvernement japonais, bien que certains enfants l'aient été par la négociation et la médiation. Même les pays signataires de La Haye ne s'acquittent pas tous d'office de leurs obligations au titre de la Convention de La Haye. Il s'agit là d'une question complexe et, avec l'augmentation des cas, la diminution des retours et l'allongement des délais, ce sera une question de plus en plus sérieuse pour le Parlement canadien et pour les pouvoirs publics dans le monde.
La sénatrice Andreychuk : J'ai travaillé à l'ancienne Commission des droits de l'homme et je suis maintenant le travail du Conseil des droits de l'homme. Quand nous faisons des examens de pays, devrions-nous recommander qu'ils examinent cette question des enlèvements d'enfants et que ce soit l'un des critères? Je suis le conseil quand il fait des examens de pays. Il y a souvent certains problèmes qui déclenchent ses commentaires. Celui-ci devrait-il en faire régulièrement partie?
M. Allen : Oui. L'un des graves problèmes que nous avons dans ce domaine est qu'il n'y a pas vraiment d'évaluation ou de surveillance continue de ce que font les pays. Voilà pourquoi nous avons financé cette recherche à La Haye, mais ce n'était qu'un cliché ponctuel. Elle ne nous a pas permis d'examiner l'évolution de la situation dans les différents pays sur une période assez longue.
La sénatrice Andreychuk : Madame Pick, sur la question des enfants disparus, dans les cas dont vous êtes saisie, est- ce que c'est le parent qui avait l'enfant et la garde qui prend contact avec vous? Est-ce comme ça que vous entrez en jeu?
Mme Pick : Oui. Les cas dont nous sommes saisis ont été enregistrés auprès des organismes d'exécution des lois, et ces derniers peuvent parfois nous orienter directement vers la famille concernée, ou alors nous allons travailler directement avec eux afin d'aider la famille à naviguer dans le système.
La sénatrice Andreychuk : S'agit-il de cas qui ont déjà fait l'objet d'une ordonnance de garde au Canada ou de cas de familles en rupture dont l'enfant a été enlevé?
Mme Pick : Nous nous occupons des deux genres de cas. Il peut y avoir une ordonnance de garde de l'enfant, lequel est enlevé par l'autre parent, ou alors les parents attendent une décision judiciaire et l'un d'entre eux décide d'enlever l'enfant avant que la décision soit rendue.
La sénatrice Unger : Monsieur Allen, l'une de vos recommandations concerne l'amélioration de la formation des magistrats. Comment cela pourrait-il se faire?
M. Allen : Ça prendrait du temps. L'un des problèmes que nous avons aux États-Unis est qu'il y a à peu près 10 000 juges des États qui pourraient éventuellement être saisis d'une affaire de La Haye sans nécessairement connaître les détails ou l'historique de la convention. Vous pouvez comparer cela au Royaume-Uni, où seulement 17 juges peuvent être appelés à connaître de ces affaires. Autrement dit, ce sont des spécialistes qui connaissent bien la question. Le processus avance rapidement et est très efficient. Des pays comme le nôtre ont des systèmes fédéraux et on ne peut pas désigner simplement une poignée de juges pour traiter de ces dossiers-là.
Il faut cependant prendre l'engagement d'améliorer la formation des magistrats. L'un des autres domaines dans lesquels le Royaume-Uni et le Canada ont innové est celui du concept de juge de liaison. Si un juge est saisi d'une affaire et ne sait pas quoi en faire ou n'en connaît pas l'historique, il peut s'adresser à un juge de liaison pour savoir ce qu'il devrait faire. Vous avez au Canada des juges qui sont des chefs de file mondiaux, comme le juge Chamberland, au Québec. Le juge Diamond a aussi participé à des réunions que nous avons tenues ici.
Le Canada est un chef de file, mais la formation des magistrats revêt une importance énorme dans le monde entier, car il y a beaucoup de juges qui disent : « Je suis juge, je ferai ce que fait un juge, et je me moque de ce que dit la convention. Je vais prendre connaissance des faits et faire ce qu'il se doit. » Je comprends cela mais cette convention fonctionnera mieux s'il y a plus d'uniformité et de cohérence, et si les juges savent bien de quoi il s'agit.
La sénatrice Hubley : Monsieur Allen, j'ai noté que vous avez un chapitre intitulé « Que peut-on faire de plus? » Vous avez sous ce chapitre une dizaine de recommandations, ce qui est très bien, mais n'en avez énoncé que cinq.
La toute dernière est celle-ci : « Nous devons donner plus de soutien aux familles des victimes. » Je ne saisis pas très bien cela et j'aimerais voir avec vous comment on peut l'interpréter dans le cas des enfants enlevés. De quel genre de soutien s'agit-il, et comment peut-on tenir compte du traumatisme qu'ils peuvent avoir subi durant toute cette situation? Comment est-ce pris en considération? Y a-t-il un système de suivi pour les enfants qui ont été enlevés? Y a-t- il un programme pour assurer leur intégration dans un programme scolaire s'ils sont en âge d'aller à l'école? Est-ce que ces besoins sont considérés comme une responsabilité des parents, ou y a-t-il d'autres agences qui peuvent intervenir et peut-être aider dans cette situation?
Voici ma dernière question : a-t-on déjà vu un tribunal désigner un avocat pour représenter les intérêts d'un enfant qui a été enlevé, à votre connaissance?
M. Allen : Je vais vous répondre brièvement. Je pense que l'ISS est une superbe ressource pour ce genre de questions.
Les services d'aide aux victimes sont désespérément insuffisants dans la plupart des pays. Mme Pick a indiqué tout à l'heure ce que peuvent coûter ces affaires au parent délaissé. Il y a dans la plupart des cas des batailles juridiques qui ont souvent tendance à être gagnées par celui des parents qui a les poches les plus profondes et le plus grand nombre de ressources, ou qui est le plus persistant. J'entends sans arrêt dire dans les affaires d'enlèvement parental : « L'enfant est avec un parent. Ce n'est pas si mal pour lui. » Or, la situation peut être très mauvaise pour lui. Ces enfants subissent un préjudice important — souvent, ce n'est pas un préjudice physique mais un préjudice psychologique.
Ce que vous dites au sujet des services d'aide à la réintégration et au retour... Dans bien des cas, les enfants sont enlevés quand ils sont très jeunes et ils sont terrifiés de devoir retourner vivre avec l'autre parent après une absence de deux ans, de quatre ans ou plus.
Donc, les victimes ont besoin de services d'ordre juridique, social et psychologique qui, dans la plupart des pays, n'existent pas. C'est donc un problème énorme dont nous devons être conscients.
La sénatrice Hubley : Considérant votre expérience, avez-vous déjà vu un tribunal désigner un avocat pour défendre les intérêts de l'enfant durant ce processus, ou est-ce que cela se fait uniquement par le truchement de vos services d'aide aux victimes?
M. Allen : Pour la plupart des pays, ma réponse est « probablement que non », mais il y a des exemples de ce qu'on appelle des avocats spéciaux désignés par le tribunal, ou des tuteurs à l'instance, dont le rôle...
L'un des problèmes est que la garde de l'enfant, dans la plupart des pays, est décidée dans un processus où les parents sont adversaires. L'un ou l'autre des parents est donc quasiment incité à faire des allégations au sujet de l'autre, qu'elles soient vraies ou fausses, pour essayer de gagner la bataille.
Souvent, dans ce processus, on ne tient pas compte de l'enfant ou on le laisse de côté. Donc, l'idée de désigner un avocat spécial ou un tuteur à l'instance pour représenter l'enfant et défendre ses intérêts constitue en fait une protection fondamentale de ses droits humains, et je pense que c'est une excellente idée qu'on devrait promouvoir beaucoup plus vigoureusement dans le monde entier.
M. Chamney : J'aimerais moi aussi répondre à cette question. Nous avons eu des cas où le suivi d'une évaluation sociale d'une situation — enfant et parent — était le fond de l'affaire. Faire le suivi pour voir comment vont la famille et l'enfant, pour voir si l'enfant a été rendu à son domicile habituel et s'il s'est bien réintégré, fait partie des efforts de nos organisations, et ce n'est pas imposé par un gros client comme un gouvernement.
L'affaire à laquelle je songe est celle de deux nouveau-nés chinois qui ont été rendus aux grands-parents en Chine parce que le père avait tiré sur la mère avec un revolver. Ces enfants n'avaient pas d'autre famille, et nous faisons donc plus de ce genre de placements auprès de la parenté.
En ce qui concerne le travail de suivi, le Canada ne peut pas aller en Chine pour le faire, mais ISS Hong Kong, notre organisation sœur, peut s'en charger et elle le fait. Elle fait parfois du travail vraiment incroyable. Dans l'affaire dont je parle, elle n'est pas seulement allée évaluer la situation des grands-parents pour voir s'ils pouvaient offrir un bon foyer à ces enfants, elle a aussi pu établir qu'il y avait déjà une relation et elle a pu faire un suivi après le placement pour voir comment allaient les enfants. C'est l'un des cas qui nous remplissent de joie, car le résultat a été très positif.
Nous avons eu la même chose en Jamaïque et dans d'autres pays où il y a eu un traumatisme familial, ce dont on doit tenir compte dans le plan d'intervention. Il se trouve que, dans le cas présent, cette agence peut faire ce travail alors que d'autres ne le font pas.
La vice-présidente : Comme il n'y a plus de questions, cela met fin à la réunion. Je remercie les témoins de leur contribution ainsi que les sénateurs de leur participation.
(La séance est levée.)