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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 6 - Témoignages du 7 avril 2014 (séance de l'après-midi)


OTTAWA, le lundi 7 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 14 heures, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et pour examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, bienvenue à la huitième réunion de la deuxième session de la 41e législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Notre comité a reçu du Sénat le mandat d'étudier diverses questions ayant trait aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.

Je m'appelle Mobina Jaffer et, en tant que présidente du comité, j'ai le plaisir d'accueillir nos témoins aujourd'hui. Il s'agit d'une réunion très spéciale puisqu'ils ont pris le temps de se joindre à nous. Ils ne verront peut-être pas beaucoup de sénateurs aujourd'hui, mais je peux les assurer qu'il y aura une transcription de la réunion. Je suis certaine que beaucoup de mes collègues, même ceux qui ne sont pas membres de ce comité voudront prendre connaissance de ce qu'ils ont à nous dire.

Au nom du comité, j'aimerais remercier en particulier le sénateur Ngo, de l'Ontario, pour avoir attiré notre attention sur les questions liées au Vietnam et pour avoir insisté pour que nous vous rencontrions. Sans ces efforts, cette réunion n'aurait pas eu lieu et je le remercie de nous avoir donné l'occasion d'entendre ces témoins.

Le 5 mars, le comité directeur a décidé que nous voulions rencontrer des militants et des défenseurs des droits de la personne du Vietnam. Ces témoins sont de passage à Ottawa après avoir assisté à l'Examen périodique universel du Vietnam pendant la session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, qui s'est déroulée à Genève du 7 janvier au 7 février 2014. Ils font une tournée en Amérique du Nord et en Europe dans le cadre d'une campagne visant à obtenir des appuis pour la promotion des droits de la personne au Vietnam.

Pour le bénéfice de nos auditeurs, j'aimerais signaler que le Vietnam est un État communiste à parti unique. Ses lois constitutionnelles prévoient la liberté de parole, mais en réalité, le gouvernement restreint ce droit par l'application de lois de vaste portée en matière de sécurité nationale et de diffamation. Compte tenu des restrictions imposées aux activités des médias conventionnels au Vietnam, le blogue est une importante source d'information pour les Vietnamiens, en plus de leur fournir une tribune pour le militantisme et la protestation. Toutefois, les blogueurs ne peuvent pas tout dire. Ils courent le risque d'être arrêtés et condamnés pour des motifs politiques, et font l'objet d'intimidation sous diverses formes, y compris la surveillance et le blocage des services Internet. Certains blogueurs ayant écrit sur des sujets comme la corruption, la réforme démocratique, les droits de la personne et les conflits territoriaux avec la Chine ont été condamnés à des peines d'emprisonnement sévères.

Aujourd'hui, j'aimerais souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent des droits de la personne à Tuan Nguyen, militant, Network of Vietnamese Bloggers; à Ann Pham, membre du conseil d'administration, VOICE Canada; à Doan Trang Pham, blogueuse, vietnamrightnow.com; à Hoi Trinh, directeur exécutif, VOICE; et à Long Trinh, avocat spécialisé en droits de la personne, Vietnam Path Movement.

Après vos commentaires liminaires, nous vous poserons des questions.

Hoi Trinh, directeur exécutif, VOICE : Merci madame la présidente, et mesdames et messieurs membres du comité. Avant de vous faire ma déclaration liminaire et de présenter les autres membres de la délégation, j'aimerais remercier non seulement vous-même et les membres du comité, mais aussi le bureau du sénateur Ngo, qui a communiqué avec l'ambassade du Canada aux Philippines et également en France afin d'obtenir des visas pour les militants du Vietnam. Sans leur aide, les militants ne seraient pas ici aujourd'hui.

J'aimerais aussi remercier tout spécialement Mme Annie Lessard du ministère des Affaires étrangères, qui s'est occupée des visas. Sans son aide et l'intervention du ministère, nous n'aurions pas pu les obtenir.

J'aimerais me présenter. Je m'appelle Hoi Trinh et je suis un avocat australien d'origine vietnamienne. Je suis né et j'ai grandi au Vietnam et plus tard en Australie. Je suis retourné au Vietnam en 2007-2008. Toutefois, à cause de mon travail, on ne m'a pas permis de retourner dans ma patrie depuis 2008. Vous voudrez peut-être savoir ce que je fais. Je suis le directeur exécutif de VOICE, qui est un organisme à but non lucratif inscrit aux États-Unis et dans les Philippines. Nous faisons deux choses : nous aidons les réfugiés vietnamiens qui s'enfuient à la recherche de liberté vers les pays de l'Asie du Sud-Est, et nous aidons à créer une société civile au Vietnam.

Toutes les présentations ou les enjeux reviennent vraiment à des histoires personnelles. Aujourd'hui, il s'agit de notre histoire personnelle du Vietnam. Notamment, il s'agit d'une histoire des droits de la personne au Vietnam. J'aimerais vous raconter l'histoire d'une personne. Il s'agit d'un enseignant, Dinh Dang Dinh, qui a été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement en 2012 pour motifs de propagande contre l'État, ce qui est un acte criminel en vertu de l'article 88 du droit pénal. J'ai sa photo avec moi. La photo a été prise et a été affichée dans les médias du gouvernement vietnamien. Son procès a duré 45 minutes. Il a été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement. Son crime était d'avoir écrit sur la démocratie et la liberté — les sujets dont nous discutons maintenant. Si nous faisions au Vietnam ce que nous sommes en train de faire ici aujourd'hui, nous serions accusés de propager de la propagande contre l'État.

Il a été condamné à six ans d'emprisonnement. Le procès à huis clos a duré 45 minutes, et il n'a pas eu de véritable représentation juridique. L'ANASE, l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, dont le Vietnam est membre, n'a pas pu l'aider, et la communauté internationale n'a pas pu faire pression pour le faire libérer.

Cependant, il a été libéré le 21 mars 2014, il y a moins de trois semaines. Il avait été condamné à six ans d'emprisonnement, mais il a été libéré après deux ans. Vous vous demandez peut-être pourquoi? C'est parce qu'on a découvert qu'il avait une maladie mortelle, et on ne lui a pas permis de se faire soigner en prison. Lorsque sa famille a demandé en vain qu'on le soigne, elle a été harcelée.

Ce qui est triste, c'est qu'au cours de ces deux années, M. Dinh n'était pas le seul prisonnier politique au Vietnam. Il y en a environ 300 et la liste s'allonge.

Le gouvernement vietnamien continue depuis 2012 à opprimer, à harceler et à persécuter les dissidents en invoquant les dispositions pénales en vigueur. Chacun de nos délégués vous en donnera des exemples. Mais pour continuer notre histoire, M. Dinh a été libéré le 21 mars 2014, et vous pouvez voir son état deux ans avant qu'il soit emprisonné et deux ans après sa libération. Malheureusement, il est mort il y a quatre jours. Sa maladie était mortelle et il laisse dans le deuil trois jeunes filles et une femme. Une de ses filles a dû quitter l'école pour aider la famille.

Ses funérailles ont eu lieu hier. Donc, la réunion d'aujourd'hui est vraiment en son honneur et en l'honneur des centaines de prisonniers politiques du Vietnam. Pour autant, tout n'est pas sombre et tout n'est pas sans espoir. Signe de changement, des centaines de gens ont assisté à ses funérailles. La société civile commence à se lever et à parler. Les trois militants qui m'accompagnent aujourd'hui ont osé voyager à l'étranger et vous raconter la vérité et la réalité au Vietnam.

J'aimerais maintenant vous présenter la deuxième déléguée, Mme Doan Trang Pham. Blogueuse, elle représente vietnamrightnow.com et est également journaliste. Elle pourra vous parler davantage des raisons pour lesquelles les histoires comme celle de l'enseignant Dinh ne sont pas très bien connues au Vietnam, ni dans l'Ouest, et des façons de faire connaître son histoire et les autres à la population et au monde entier.

Doan Trang Pham, blogueuse, vietnamrightnow.com : Bonjour, mesdames et messieurs. Je m'appelle Trang. Je suis journaliste et blogueuse du Vietnam.

J'aimerais commencer par des faits et des chiffres concernant la situation actuelle des médias au Vietnam. En décembre 2013, il y avait 838 agences de presse, produisant plus de 1 000 publications. Il y a aussi 265 nouveaux sites, 67 sociétés de radiodiffusion, et je peux vous dire que le nombre d'agences médiatiques est en hausse. Le fait caché, c'est que toutes ces agences sont, sous des formes diverses, étroitement contrôlées par le gouvernement vietnamien. Permettez-moi maintenant d'expliquer plus en détail comment le gouvernement, dominé par le Parti communiste au pouvoir, contrôle les médias.

Comme je l'ai dit, le gouvernement a de nombreuses façons de contrôler les médias, mais en général, il y a six grandes mesures qu'il privilégie pour le faire. Premièrement, il exploite un réseau de bureaux de propagande déployés à l'échelle tant nationale que provinciale. Ces bureaux tiennent des réunions hebdomadaires pour contrôler les médias. Ils qualifient leur travail du très bel euphémisme de « discussions destinées à guider les médias ». En réalité, ces réunions hebdomadaires visent à imposer aux médias la ligne du parti au pouvoir ou à forger l'opinion publique.

Deuxièmement, le gouvernement exige que tous les rédacteurs en chef soient membres du parti au pouvoir. Ainsi, ils devraient travailler au nom du Parti communiste et dans son intérêt plutôt que dans l'intérêt du peuple.

Troisièmement, le gouvernement ou le Parti communiste se sert également de cartes de presse pour rejeter toutes sortes de journalistes indépendants, surtout des blogueurs comme M. Dinh et d'autres citoyens. Il essaie, d'une part, de rejeter les journalistes indépendants, et d'autre part, de semer la division entre les médias traditionnels et les médias non officiels.

Quatrièmement, en rejetant les journalistes indépendants, il écarte toute obligation de protéger les journalistes et d'assurer ou de favoriser la liberté de l'information en général. Le gouvernement donne le feu vert aux policiers et aux matraqueurs pour poursuivre les blogueurs, et même les journalistes traditionnels à qui on a refusé une carte de presse.

Cinquièmement, à l'aide de moyens techniques, il empêche les gens d'avoir accès aux informations diffusées par les médias alternatifs, par exemple, en installant des pare-feu ou en employant d'autres sortes d'obstructions techniques. La dernière chose qu'il fait, mais non la moindre, c'est qu'il mobilise des cybertroupes ou des cyberguerriers pour harceler les citoyens, et plus particulièrement les blogueurs connus et les dissidents politiques comme M. Dinh, dont les obsèques ont eu lieu hier mais qui, en même temps, doit sans doute faire l'objet de centaines de commentaires négatifs de la part de ces troupes.

En ce qui a trait aux conséquences des restrictions que l'État impose aux libertés médiatiques, comme vous le voyez, les blogueurs qui ne sont pas reconnus par l'État et les journalistes sans carte de presse doivent surmonter maints obstacles. Au cours des dernières années, des centaines de blogueurs et de journalistes sans carte de presse ont été victimes d'agression physique, de harcèlement, et de surveillance par les forces policières, les matraqueurs, et les soi-disant masses outrées ou les partisans du gouvernement.

Des dizaines de blogueurs et de journalistes ont été emprisonnés au cours des cinq dernières années en vertu d'une loi ayant pour but de limiter les libertés médiatiques, notamment en vertu des articles 88 et 258 du Code pénal, qui prévoient d'assez longues peines d'emprisonnement pour les blogueurs et les dissidents politiques, mais qui ciblent surtout les blogueurs.

Comment la société civile et les médias alternatifs réagissent-ils aux politiques restrictives du gouvernement en matière de liberté de la presse? La bonne nouvelle, c'est que, au cours des cinq dernières années, certaines agences de médias alternatifs ont été établies et ont émergé comme Bauxite Vietnam, créé en 2009, Nhat Ky Yeu Nuoc, ou le Journal d'un patriote, une page Facebook, et Dan Lam Bao, ou Journalisme citoyen, établis en 2010, le Forum de la société civile, en 2013, et vietnamrightnow.com, le 24 mars dernier. Vietnamrightnow.com est le premier site d'actualité alternatif en anglais, dont la mission est de signaler au monde entier les violations des droits de la personne.

Tous ces médias de la société civile font de leur mieux pour défendre les droits de la personne et la démocratie, malgré tous les obstacles dont j'ai parlé. La bonne nouvelle, c'est que de nombreux citoyens se servent de ces pages Facebook pour sensibiliser le public ou diffuser leurs opinions dans la communauté, en dépit de la répression politique et des divers types de harcèlement auxquels ils sont confrontés.

Le nombre de citoyens journalistes augmente et c'est la lumière au bout du tunnel. Merci.

M. H. Trinh : Merci pour cet exposé. Nous voudrions maintenant céder la parole à Tuan Nguyen. Il représente le Réseau des blogueurs vietnamiens, ou Network of Vietnamese Bloggers, et nous donnera un bref historique et une explication des changements actuellement en cours dans la société civile.

Tuan Nguyen, militant, Network of Vietnamese Bloggers : Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis Tuan Nguyen, membre du Network of Vietnamese Bloggers qui fait la promotion de la liberté d'expression, notamment celle qui s'exerce sur Internet. Je suis content de pouvoir vous parler aujourd'hui de la situation de la société civile et des droits de la personne au Vietnam. Mon exposé compte trois volets.

D'abord, j'aimerais vous dire pourquoi et quand les organisations de la société civile ou OSC ont vu le jour. Dans un pays communiste comme le Vietnam, la société civile est perçue comme l'ennemi du gouvernement. Il en découle deux choses. D'abord, le terme « société civile » est délicat à employer, pour le public. Deuxièmement, la plupart des OSC sont organisées par le gouvernement. Internet a changé la donne quand, pour la première fois, les Vietnamiens s'en sont servis pour encourager la participation aux manifestations de Hanoi et de Saigon, en 2011. Ces manifestations ont donné naissance à la première organisation de société civile. Une vingtaine d'OSC indépendantes défendent à ce jour les droits de la personne, soit la liberté d'expression, la liberté de religion, la liberté de réunion et la liberté sur Internet.

Deuxièmement, je vais vous parler des problèmes que vivent les OSC indépendantes. Elles vivent beaucoup plus de problèmes que celles qui sont organisées par le gouvernement. D'abord, elles ne peuvent être officiellement inscrites. Voilà pourquoi mon groupe, par exemple, n'a pas de compte bancaire, ce qui rend difficile une demande de subvention auprès des ONG, de l'ambassade ou du gouvernement du Canada. Les OSC indépendantes sont assujetties au harcèlement policier et leur travail est rejeté par les autorités. Ensuite, beaucoup de choses manquent aux OSC, comme la formation, le développement des capacités, ainsi que l'appui et le financement internationaux.

Troisièmement, parlons de ce que le gouvernement canadien peut faire pour encourager le développement des OSC indépendantes au Vietnam. Je pense qu'il pourrait faciliter l'accès aux subventions de l'ambassade et du gouvernement, particulièrement pour les groupes non inscrits. Il pourrait organiser des cours sur la société civile et les droits de la personne pour les OSC indépendantes et les autres défenseurs des droits de la personne. Il pourrait aussi organiser des conférences publiques sur la société civile et les droits de la personne, avec la participation des OSC indépendantes.

Merci beaucoup d'être ici et de contribuer à la promotion des droits de la personne et de la société civile au Vietnam.

M. H. Trinh : Nous cédons maintenant la parole à Long Trinh, qui pourrait vous parler davantage des efforts que nous déployons dans le cadre de l'Examen périodique universel sur le Vietnam, ou EPU, qui s'est tenu en février dernier, et des projets que nous prévoyons à l'issue de cet examen.

Long Trinh, avocat spécialisé en droits de la personne, Vietnam Path Movement : Mesdames et messieurs, honorables sénateurs, je suis avocat spécialisé en droits de la personne et je représente le Vietnam Path Movement.

Je tiens d'abord à remercier le gouvernement canadien pour l'immense appui qu'il accorde à la promotion et à la protection des droits de la personne au Vietnam. J'aimerais aujourd'hui vous parler de la participation de la société civile vietnamienne au processus de l'EPU, ainsi que nos projets pour l'après-EPU. Je voudrais aussi vous dire comment le Canada peut encourager l'amélioration de la situation des droits de la personne au Vietnam.

En juin 2013, nous avons entamé notre participation au deuxième cycle de l'EPU du Vietnam en présentant un mémoire conjoint avec Freedom House et trois OSC vietnamiennes indépendantes, soit VOICE, la Vietnamese Redemption Church et Dan Lam Bao, une agence médiatique dissidente. En janvier dernier, nous avons organisé la première campagne de représentation en vue de l'EPU avec sept OSC indépendantes parmi les plus importantes, par l'intermédiaire des États-Unis, de Bruxelles, de Genève et de l'Australie. Nous avons rencontré des élus, des diplomates, des fonctionnaires, notamment des États-Unis, et des représentants d'ONG internationales en plus de participer aux audiences de l'EPU sur le Vietnam qui se sont tenues à Genève le 5 février dernier.

Nous avons ensuite décidé d'employer le processus de l'EPU comme cadre pour les activités de défense des droits de la personne au Vietnam, en préparant un plan de représentation post-EPU pour les OSC du Vietnam et d'ailleurs. Dans le cadre de ce plan, nous organiserons des conférences, des séminaires et des séances de formation sur le processus de l'EPU en obtenant la participation de représentants gouvernementaux, d'ambassades étrangères, d'ONG et de défenseurs des droits de la personne.

Ces activités devraient lancer un dialogue sur les droits de la personne au Vietnam, particulièrement entre le gouvernement et les OSC indépendantes.

Comment le Canada peut-il contribuer à la mise en œuvre de ses propres recommandations au Vietnam, d'ici quatre ans? À l'audience de l'EPU du 5 février dernier, le gouvernement du Canada a formulé cinq recommandations à l'intention du gouvernement vietnamien. La première portait sur la protection des femmes contre toute forme de violence, la deuxième, sur l'égalité en droit, la présomption d'innocence et le droit à un procès juste et équitable, ainsi que la protection contre les arrestations ou la détention arbitraire. La troisième visait la garantie de liberté de religion ou de croyances par la réduction des obstacles administratifs et des exigences d'inscription pour les groupes religieux inscrits ou non inscrits. La quatrième portait sur la modification des articles 78, 79, 88 et 258 du Code pénal vietnamien, qui justifient l'incarcération de défenseurs des droits de la personne. Enfin, la cinquième portait sur un soutien technique possible dans le cadre du Groupe de travail sur l'habilitation et la protection de la société civile de la Communauté des démocraties.

Le gouvernement vietnamien répondra aux recommandations du gouvernement canadien à la 26e session du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, en juin prochain.

Nous apprécierions énormément l'aide du gouvernement canadien dans trois domaines. D'abord, il faudrait appuyer les OSC indépendantes vietnamiennes en organisant ou en participant à des conférences et des séminaires sur l'EPU, au Vietnam. Il serait utile que l'ambassade canadienne au Vietnam organise un atelier sur les recommandations faites par le Canada dans le cadre de l'EPU et qu'elle invite des OSC non inscrites comme la nôtre.

Ensuite, il faut davantage faire pression sur le gouvernement vietnamien pour qu'il accepte les recommandations canadiennes découlant de l'EPU. D'après l'allocution d'un diplomate vietnamien, le gouvernement envisage de rejeter 40 des recommandations, y compris celles se rapportant aux articles 79, 88 et 258 du Code pénal, ayant fait l'objet des recommandations canadiennes.

Troisièmement, il faut réexaminer le programme d'aide du Canada au Vietnam, pour qu'il intègre un appui aux OSC vietnamiennes, qu'elles soient inscrites ou non.

M. H. Trinh : Et le dernier mais non le moindre de nos exposés, celui de Ann Pham. Elle vous donnera des détails sur les efforts que déploie la communauté vietnamienne au Canada pour aider VOICE ainsi que des défenseurs des droits de la personne au Vietnam.

Ann Pham, membre du conseil d'administration, VOICE Canada : Bonjour aux membres du comité. Je suis Ann Pham et je représente le conseil d'administration de VOICE Canada. Les membres de notre conseil proviennent de tout le Canada, de Calgary à Ottawa en passant par Edmonton et Toronto. Je suis née et j'ai grandi à Calgary et je suis bénévole depuis un an et demi chez VOICE, qui est basé aux Philippines. Je suis arrivée à Ottawa hier soir.

Je suis fière d'être Canadienne et je suis fière de mes origines vietnamiennes. Je veux vous dire comment vous pouvez appuyer l'épanouissement des droits de la personne au Vietnam. Je vais d'abord vous présenter VOICE et sa collaboration avec la Fédération vietnamienne du Canada. Comme Hoi l'a déjà dit, VOICE était au départ un bureau d'aide juridique destiné aux réfugiés vietnamiens. Il œuvre depuis 1997 à partir des Philippines.

Depuis une décennie, VOICE travaille avec la Fédération vietnamienne du Canada à la recherche d'une solution humanitaire durable pour les derniers réfugiés de la mer des Philippines. Nous avons réussi à réinstaller 300 réfugiés au Canada.

Nous collaborons actuellement à la réinstallation de réfugiés de la mer vietnamiens apatrides en Thaïlande.

Outre son travail auprès des réfugiés, VOICE a aussi pour mission de promouvoir l'avènement d'une réelle société civile au Vietnam, en fournissant de la formation et du soutien aux défenseurs des droits de la personne qui veulent pouvoir exercer leurs droits à l'information et leur liberté d'expression dans leur pays.

Pour appuyer l'œuvre de VOICE, VOICE Canada a créé en 2013 une organisation sœur. Notre principal objectif est de collaborer au projet de réinstallation des réfugiés et à la mise en œuvre de l'initiative de développement de la société civile.

Comme citoyenne canadienne, j'ai toujours été fière que nous nous exprimions fermement en faveur de la protection des droits de la personne et de la promotion des valeurs démocratiques. Je crois que le Canada peut jouer un rôle important pour promouvoir les droits de la personne au Vietnam.

On peut y arriver en donnant les moyens nécessaires aux Vietnamiens et en appuyant les OSC indépendantes, par une étroite collaboration avec la communauté vietnamienne du Canada. Il faut parler davantage des problèmes liés aux droits de la personne au Vietnam, faire en sorte que les militants vietnamiens puissent venir au Canada parler de leur expérience dans le cadre des conversations sur les droits de la personne, permettre à nos bureaux de Manille d'offrir un soutien logistique, et enfin, partager nos compétences grâce à des programmes de formation offerts par l'ambassade canadienne au Vietnam.

Nous aimerions aussi inviter le ministère des Affaires étrangères et des représentants des ambassades canadiennes en Asie du Sud-Est à participer à nos séances de formation et à parler aux membres des OSC vietnamiennes indépendantes. Nous venons de terminer une séance de formation sur l'EPU pour les membres des OSC vietnamiennes et avons eu le privilège de rencontrer l'ambassadeur britannique en Thaïlande. À nos prochaines séances de formation, nous espérons rencontrer des représentants du Canada avec qui nous espérons travailler étroitement à la promotion des droits de la personne au Vietnam.

Merci de m'avoir écoutée.

M. H. Trinh : Voilà qui termine nos exposés. Nous voudrions vous donner la possibilité de nous poser des questions sur nos déclarations, et pas seulement sur les difficultés que nous vivons personnellement au Vietnam, mais aussi sur les façons dont le Canada peut contribuer à l'épanouissement de la société civile vietnamienne. Merci.

La présidente : Merci beaucoup pour ces exposés. Nous avons beaucoup appris et nous allons maintenant passer aux questions, en donnant d'abord la parole au sénateur Ngo.

Le sénateur Ngo : J'ai des questions que j'adresse à vous tous. En février 2014, pendant l'EPU à Genève, des représentants vietnamiens ont dit que la nouvelle réforme constitutionnelle donne davantage de priorité aux droits de la personne. Diriez-vous que les récentes réformes du droit vietnamien favorisent la justice sociale?

M. H. Trinh : L'un ou l'autre d'entre nous pourra vous répondre. Je vais commencer puis laisser la parole à Long, qui est avocat.

Le sénateur Ngo : C'est la première de mes trois questions.

M. H. Trinh : Je dirais qu'au Vietnam, il faut bien distinguer entre ce que dit la loi et comment on l'applique. Tout le monde le reconnaît. La nouvelle constitution est pleine de contradictions puisque l'une de ses dispositions porte sur la liberté d'expression, qu'elle garantit, de même que sur la liberté de réunion, et cetera. Mais par ailleurs, l'article 4 de la constitution affirme que le Parti communiste du Vietnam est le seul guide du pays. Par conséquent, si vous avez le pouvoir absolu dans un pays, tout en ayant une disposition de la constitution qui garantit des droits, il y a une contradiction que peut constater toute personne raisonnable. L'un exclut l'autre. Ou bien on a le pouvoir absolu, ou bien on a la liberté d'expression.

Voilà ma réponse. Dire ce qui se trouve dans la loi ne suffira pas pour améliorer la justice sociale au Vietnam.

M. L. Trinh : La Constitution vietnamienne affirme que le Parti communiste vietnamien est le seul parti politique au Vietnam. Il n'y a donc pas de séparation des pouvoirs au Vietnam. Le pouvoir judiciaire n'a pas d'indépendance et voilà pourquoi les citoyens n'ont pas accès à la justice : il n'y a pas d'indépendance de la magistrature. Tous ces juges doivent être membres du Parti communiste et ils n'ont pas l'indépendance nécessaire pour protéger la justice.

Le sénateur Ngo : Si c'est le cas, le Vietnam pourra-t-il, à titre de nouveau membre du Conseil des droits de l'homme, faire respecter les normes les plus élevées en la matière?

M. Nguyen : Merci de la question. Tout dépend de ce que pourront faire les groupes de la société civile comme le nôtre au Vietnam même. Si nous faisons davantage, en nous fiant aux recommandations que le gouvernement vietnamien a acceptées, c'est très bien, mais si nous ne faisons rien, la sitiation ne changera pas.

Le sénateur Ngo : Voici mon autre question : à titre de nouveau membre du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, le Vietnam pourra-t-il à votre avis faire respecter les normes les plus élevées en la matière? Je comprends que vous disiez que les lois et leur application ne vont pas de pair. Vous dites que les articles 79, 88 et 258 du Code pénal ne sont pas appliqués. Mais pensez-vous que le nouveau membre du Conseil des droits de l'homme respectera la norme en la matière?

M. H. Trinh : Puis-je ajouter que le Vietnam était déjà membre, lorsque la séance de l'EPU sur le Vietnam a eu lieu à Genève le 5 février, il y a deux mois? Le Vietnam était déjà membre du conseil. Or, il continue d'affirmer qu'il respecte tous les instruments internationaux dont il est signataire. Cela a été répété à la séance de l'EPU.

En outre, ces deux derniers mois, il a continué à condamner des blogueurs et des journalistes indépendants qui le critiquaient. Ma réponse est donc : non. J'ajouterais que comme M. Nguyen, je ne crois pas que le Vietnam fera respecter des normes internationales élevées, mais il faudrait faire pression sur ce pays membre du Conseil des droits de l'homme, pour que s'améliore son bilan. Il est essentiel pour cela que la société civile vietnamienne soit renforcée, reçoive des appuis de l'étranger et puisse contribuer à améliorer la situation.

La présidente : Vous aviez une troisième question?

Le sénateur Ngo : J'en ai trois, oui. Étiez-vous à Genève pour l'EPU de 2014?

M. Trinh : Nous y étions tous.

Le sénateur Ngo : Quelle est la leçon la plus importante que vous avez tirée du témoignage du Vietnam à l'EPU?

Mme T. Pham : Ce que nous avons retenu du témoignage?

Le sénateur Ngo : Oui, du témoignage de la délégation vietnamienne à la séance de l'EPU.

Mme T. Pham : Le Vietnam a participé au premier cycle de l'examen périodique universel en mai 2009. J'étais alors journaliste. Je peux vous garantir qu'aucun journaliste au Vietnam n'était au courant de ce mécanisme relatif aux droits de la personne. Depuis, les choses ont changé et le 5 février, avec la tenue du deuxième cycle de l'EPU, plus de gens sont au courant de ce mécanisme et c'est une bonne chose. J'ai déjà été très pessimiste. Ce que je retiens de cette séance, c'est qu'il faut voir les choses d'un œil plus optimiste. Je suis contente de voir qu'on a traité de cette deuxième séance dans des pages Facebook et des blogues. C'est une bonne chose. Pour des militants vietnamiens comme nous, la leçon qu'il faut en tirer, c'est qu'il faut chercher des appuis non seulement auprès d'organisations internationales, voire des Nations Unies, mais aussi des médias internationaux. C'est ce que j'ai retenu de l'ensemble du processus de l'EPU, et non seulement des témoignages.

M. H. Trinh : Et qu'avez-vous retenu?

M. L. Trinh : Comme avocat spécialisé en droits de la personne, l'une des choses les plus importantes que j'ai apprises durant notre voyage pour l'EPU, c'est la façon dont ce mécanisme fonctionne concrètement. J'ai constaté qu'il faut beaucoup de temps avant qu'un mécanisme international sur les droits de la personne porte fruit et que le processus de l'EPU est non seulement un processus juridique, mais aussi un processus politique. Nous pouvons nous servir de l'EPU comme cadre pour des activités en matière de droits de la personne, pour mobiliser les défenseurs de ces droits au Vietnam même et pour mobiliser un soutien international pour améliorer la situation.

Comme c'est un mécanisme du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, la participation des défenseurs est moins risquée. Ce mécanisme compte de nombreux intervenants, dont le gouvernement et la société civile. Nous avons la chance de participer et de nous faire entendre, comme est entendu le gouvernement vietnamien.

M. H. Trinh : Ann, vous qui êtes canadienne, avez-vous quelque chose à ajouter? Vous y étiez.

Mme A. Pham : J'y étais. Je suis désolée, sénateur, vous nous demandiez ce que nous retenions du témoignage du Vietnam?

Le sénateur Ngo : Du processus de l'EPU.

Mme A. Pham : C'était ma première visite aux Nations Unies. Il était très révélateur de vivre personnellement ce dont on nous parlait à l'école. Dans nos rencontres avec des représentants des Nations Unies, nous avons appris comment nous pouvions en pratique aider les militants vietnamiens. Pendant l'EPU, j'ai constaté que le Vietnam était très bien préparé. Je dis ironiquement que j'ai été estomaquée de voir le Vietnam dire des faussetés à la communauté internationale.

M. H. Trinh : Si je peux ajouter mon grain de sel, je vais vous dire les deux leçons que j'en ai tirées. Tout d'abord, j'ai compris que le mécanisme international est assez limité. Au bout du compte, l'EPU est un processus politique. Je vous donne un exemple. Le Canada, l'Australie, les États-Unis et l'Union européenne ont eu chacun une minute cinq secondes, comme Cuba et la Corée du Nord, pour parler de droits de la personne. C'est très limité. Cuba, la Corée du Nord et la Chine ont bien entendu loué le Vietnam pour son bilan. D'autres pays, comme le Canada, l'Australie et les États-Unis l'ont critiqué. C'est donc assez limité.

Tout de suite après la séance de l'EPU, j'ai une conversation édifiante. L'EPU s'est terminée à 18 heures. À 18 h 30, nous sommes sortis, en compagnie des parents de prisonniers politiques vietnamiens. Nous avons accosté un membre de la délégation vietnamienne, un fonctionnaire de Hanoi. Nous lui avons demandé comment il arrivait à mentir de cette façon. Nous lui avons demandé comment il pouvait tout simplement dire que le Vietnam avait un bilan irréprochable. Vous savez ce qu'il a répondu? Il a dit qu'il avait les mains liées, que c'est ce qu'il devait dire, qu'il n'avait pas le choix.

De manière officieuse, les fonctionnaires de Hanoi sont candides, mais officiellement, ils doivent suivre la ligne du parti. Je crois que nous devons faire ce qui est juste à nos yeux, et qu'il faut poursuivre nos efforts pour libérer non seulement les détenus, mais aussi les Vietnamiens qui craignent de s'exprimer.

La sénatrice Andreychuk : Vous semblez tous être blogueurs. Pourriez-vous me parler un peu des journaux traditionnels? Sont-ils contrôlés par le gouvernement? Sont-ils exposés aux mêmes commentaires que vous, qui êtes blogueurs?

Mme T. Pham : Je dirais de ces commentaires qu'il s'agit de mesures extrajudiciaires dont profite le gouvernement vietnamien. J'ai déjà cru qu'il ne ciblait que les blogueurs et les journalistes sans carte de presse mais depuis l'an dernier, je me suis ravisée. J'ai appris que les cybertroupes ne tolèrent pas non plus les médias traditionnels. Quand une agence de presse traditionnelle ou officielle comme le progressiste Youth Daily ou mon organe de presse, le Ho Chi Minh City legal daily dit quelque chose qui critique légèrement le gouvernement, ou songe à des codes d'éthique qui visent à protéger le peuple et ses droits, à dire la vérité aux lecteurs et à protéger les victimes d'injustice, il peut s'attendre à un texte des cybertroupes. Très récemment, il y a eu une campagne massive par les cybertroupes vietnamiens contre tout journaliste progressiste.

Dans les circonstances, c'est très pénible pour les journalistes en général au Vietnam, que ce soit des journalistes grand public ou des blogueurs officieux, non inscrits et non reconnus. C'est difficile pour tous de faire preuve de courage et d'intégrité, de défendre le peuple. Il leur faut protéger d'abord et avant tout les intérêts du parti au pouvoir.

M. H. Trinh : Tous les médias vietnamiens sont la propriété de l'État. Il n'y a pas de média indépendant.

Mme T. Pham : Certaines entreprises vendent des journaux, sous forme de bulletins de nouvelles de sociétés, mais ils ne se concentrent que sur la vie des stars, les ragots. Je pense qu'on leur donne de l'espace gratuit. Cela plaît au gouvernement, qui veut qu'à l'étranger, on sache qu'il y a des médias privés au Vietnam. Vous pouvez avoir un organe de presse privé au Vietnam si vous vous concentrez sur la vie des stars et les ragots, sur ce genre de sornettes, et non pas sur les droits de la personne ou la démocratie.

La sénatrice Andreychuk : Au début des années 1990, il est clair qu'on ne respectait pas les droits de la personne, lorsque cela ne cadrait pas avec les normes du Parti communiste de l'époque, mais il me semblait qu'il y avait eu une embellie et que les choses s'amélioraient.

On a vu une évolution des discussions sur l'activité politique. Il ne s'agissait pas d'autoriser de nouveaux partis, mais de permettre une plus grande liberté d'expression, une participation au processus politique au sein des divisions communistes traditionnelles, si je peux dire. On a beaucoup parlé des droits des femmes mais aussi d'autres types de libertés.

Vous vous concentrez aujourd'hui sur le journalisme et la liberté de la presse. Que pensez-vous des autres droits de la personne au Vietnam? L'oppression est-elle plus, ou moins grande, qu'il y a 10 ans?

Mme T. Pham : Mon ami, M. Nguyen, va répondre à votre question mais comme il a un peu de mal à s'exprimer en anglais, Hoi sera son interprète.

La sénatrice Andreychuk : Il a une bonne interprétation.

M. Nguyen : Permettez-moi de répondre en vietnamien, avec l'interprétation en anglais de M. Hoi Trinh.

[Note de la rédaction : le témoin s'exprime en vietnamien.]

M. H. Trinh : Je dirais qu'en général, tant du point de vue des droits civils et politiques que des autres droits, il y a eu une amélioration au cours de la dernière décennie. Mais ce n'est pas parce que le gouvernement a fait preuve de bonne volonté puisque vous pouvez le constater, nous avons encore des centaines de prisonniers politiques. Les changements sont venus à la suite des pressions exercées par le peuple lui-même, de même que par la communauté internationale, en cette ère de mondialisation. Prenons l'exemple de l'avènement de Facebook au Vietnam. C'est maintenant un outil qui nous permet de communiquer avec le monde. Le Vietnam compte maintenant plus de 20 millions d'utilisateurs Facebook. De nos jours, une violation des droits de la personne peut être instantanément rapportée au Vietnam et à l'étranger, ce qui était impensable auparavant. Pour moi, c'est la principale raison des améliorations que nous voyons.

La sénatrice Andreychuk : Vous semblez toujours revenir au blogue et à Facebook. Partout dans le monde, je vois des pays qui veulent contrôler leur société. On invoque parfois des raisons de sécurité, mais il s'agit aussi parfois de maintenir le contrôle sur le pays. On s'en prend aux blogueurs, à Facebook et aux autres médias modernes, et on dit aussi que les gens au pouvoir sont plus âgés et ne se servent pas de Facebook, ne connaissent pas les blogues et les craignent. Il y a donc deux raisons. Quand on ne connaît pas bien un outil, on a des réticences et on veut le contrôler davantage.

Est-ce le cas au Vietnam, ou est-ce que le gouvernement commence à se servir des blogues et des médias modernes pour transmettre son message?

Mme T. Pham : Je suis journaliste politique et j'ai travaillé avec des fonctionnaires. Je dois vous dire qu'il est très difficile pour les Vietnamiens de savoir ce que font vraiment les hauts fonctionnaires. Nous ne savons pas s'ils se servent ou non de Facebook. Nous ne savons pas quel accès ils ont à l'information sur Internet. Quoi qu'il en soit, nous sommes convaincus que s'ils ne se servent pas eux-mêmes de Facebook, leurs secrétaires, leurs adjoints, leurs sbires et leurs amis le font. Ils ont aussi des cyberespions, une cyberpolice. Ils ont des forces spéciales qui les aident à contrôler ce qui se passe sur Internet, à surveiller ce que nous y faisons. À mon avis, le fossé des générations n'est pas une explication valable.

M. H. Trinh : J'aimerais répondre à votre question quant à savoir si c'est parce qu'ils ne sont pas familiers avec Facebook que les dirigeants en ont peur. Je ne crois pas que ce soit le cas. C'est plutôt une illustration du vieux dicton comme quoi le pouvoir absolu corrompt absolument. Au bout du compte, selon moi, au Vietnam, cela revient à une question de pouvoir absolu. Le Parti communiste veut conserver le pouvoir absolu et ne tolère aucune forme de dissension, que ce soit dans les médias traditionnels ou dans les médias sociaux, que cela vienne de l'intérieur ou de l'extérieur du pays. Ne tolérant pas la dissidence, le parti la criminalise et met les gens derrière les barreaux pour étouffer la liberté d'expression. C'est mon analyse de la situation.

La présidente : J'ai une question pour vous. Vous avez tous fait preuve d'une grande bravoure en témoignant ici aujourd'hui. Cela implique un certain risque, vu qu'il s'agit d'audience publique. Certains d'entre vous ont indiqué être interdits de retour au Vietnam. Je sais que VOICE travaille ici au Canada. Donnez-nous une idée de ce que vous envisagez de faire maintenant, afin que nous puissions suivre votre travail de façon continue. Je sais qu'il y aura un autre processus de l'EPU, mais ce n'est pas pour demain. Quelles sont les prochaines étapes, pour vous?

M. H. Trinh : Comme vient de le suggérer maître Long Trinh, VOICE souhaiterait, avec les autres organisations de la société civile au Vietnam, voir le Canada pousser à l'adoption de ses propres recommandations pour le Vietnam, que le Vietnam les accepte ou pas.

Il est fort probable que le Vietnam n'accepte pas les recommandations du Canada, vu qu'elles touchent au cœur du problème : liberté de parole, liberté de réunion et liberté d'expression. La deuxième recommandation propose que le Vietnam revoie toutes les dispositions criminalisant ce type d'activité. La cinquième recommandation propose que le Vietnam soutienne le développement d'une société civile et sollicite l'aide, l'expertise et le soutien technique d'autres pays. S'il y a bien une chose que le Canada doit faire, c'est d'aider les organisations de la société civile au Vietnam, comme VOICE, à mettre en œuvre sa propre recommandation, qu'elle soit acceptée par le Vietnam ou pas. Si le Vietnam accepte les recommandations, le Canada entend les diffuser largement et travailler en étroite collaboration avec les organisations de la société civile au Vietnam pour suivre la situation.

Si le Vietnam ne les accepte pas, le Canada devrait aussi prévoir de revoir son aide au développement, et de questionner les hauts fonctionnaires vietnamiens quant aux raisons pour lesquelles le Vietnam n'accepte pas les recommandations, malgré l'aide au développement considérable qu'il lui offre.

La présidente : Je souhaite vous remercier, une fois de plus, de vos témoignages aujourd'hui. Je peux vous assurer avec certitude que vous avez un solide porte-parole au Sénat, avec le sénateur Ngo et le comité des droits de la personne. Nous veillerons à faire entendre vos voix. Merci encore d'avoir accepté de comparaître. Nous serons heureux de vous entendre à nouveau à l'avenir. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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