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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 6 - Témoignages du 7 avril 2014 (séance du soir)


OTTAWA, le lundi 7 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 32, pour étudier les mécanismes internationaux visant à accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières, notamment les efforts du Canada pour favoriser l'adhésion et la conformité universelles à la convention de La Haye sur l'enlèvement et renforcer la coopération avec les États non signataires, afin de défendre les intérêts des enfants.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, bienvenue à la neuvième réunion de la deuxième session de la quarante et unième législature du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Le Sénat a confié au comité la tâche d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'échelle internationale. Je m'appelle Mobina Jaffer et je suis la présidente du comité.

Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui, monsieur Chamberland. Je vais laisser les autres membres du comité se présenter, et c'est la vice-présidente, la sénatrice Ataullahjan, qui commencera.

La sénatrice Ataullahjan : Je suis la sénatrice Salma Ataullahjan, et je représente l'Ontario.

La sénatrice Unger : Je suis la sénatrice Betty Unger, d'Edmonton. Je représente l'Alberta.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto.

La présidente : Chers collègues, lors de notre réunion de décembre 2013, le comité a convenu d'étudier les mécanismes internationaux visant à régler les disputes familiales transfrontalières. L'étude a pour objectif d'accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières, notamment les efforts du Canada pour favoriser l'adhésion et la conformité universelles à la convention de La Haye sur l'enlèvement et renforcer la coopération avec les États non signataires, afin de défendre les intérêts des enfants.

Bien qu'il ne soit pas nouveau, le problème de l'enlèvement international d'enfants par le père ou la mère a pris de nouvelles proportions, ces dernières décennies, avec l'augmentation généralisée des déplacements dans le monde, des relations internationales ainsi que des divorces et des séparations judiciaires. En pareils cas, l'enfant est arraché à son environnement familial, sa résidence habituelle, emmené dans un autre État par le parent ravisseur, et peut perdre tout contact avec l'autre parent.

Les affaires d'enlèvement parental international peuvent être particulièrement éprouvantes pour les personnes touchées. Selon les cas, le rapt peut avoir de graves conséquences sociales, psychologiques et même physiques sur l'enfant et sur le parent qui en est privé.

De plus, les différences entre les systèmes judiciaires d'un État à l'autre ainsi que la distance physique constituent souvent des obstacles qui font de la localisation et du retour d'un enfant enlevé puis emmené à l'étranger un problème juridique international difficile à résoudre.

Je suis tout à fait ravie d'accueillir aujourd'hui l'honorable Jacques Chamberland, membre du Réseau international de juges de La Haye, pour nous aider à mieux comprendre cette question.

Comme je vous l'ai dit en privé, monsieur Chamberland, nous sommes absolument ravis que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer. Nous avons hâte d'entendre vos propos.

[Français]

L'honorable Jacques Chamberland, membre, Réseau international de juges de La Haye, à titre personnel : Je vous remercie pour cette belle invitation à venir discuter avec vous d'un sujet qui évidemment me tient à cœur : la Convention de 1980 sur l'enlèvement international d'enfants et, si vous voulez, d'autres conventions de La Haye. J'espère que cet échange saura vous éclairer. C'est un honneur et un privilège d'être ici et c'est avec empressement que j'ai accepté votre invitation.

Je dirai quelques mots de la convention. Vous en avez entendu parler la semaine dernière. Je parlerai du réseau international des juges auquel vous avez fait allusion tantôt et je terminerai en vous disant quelques mots du processus engagé à Malte il y a maintenant une dizaine d'années. Après cela, il me fera plaisir de répondre à toutes vos questions.

Si cela ne vous cause pas de problèmes, je répondrai aux questions dans la langue dans laquelle elles me seront posées pour que ce soit plus simple.

La présidente : Il n'y a pas de problème

M. Chamberland : La convention est le résultat d'une initiative canadienne. C'est un Canadien qui a proposé d'étudier la question de l'enlèvement parental d'enfants et de tenter de lui apporter une solution. La solution est venue avec l'adoption de la convention, le 25 octobre 1980. Il est intéressant de noter que la convention de l'ONU sur la protection des droits de l'enfant a été adoptée en 1989, neuf ans plus tard, et que, à son article 11, la convention de l'ONU reconnaît l'importance de « lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d'enfants à l'étranger » et, à cette fin, de favoriser, et je cite la convention, « la conclusion d'accords bilatéraux ou multilatéraux ou l'adhésion aux accords existants ».

Il n'y a aucun doute dans mon esprit qu'on avait en tête à ce moment-là la convention de 1980 dont on reconnaissait l'importance, et on engageait les États à adhérer à cette convention. À ce jour, il y a 91 États signataires de la convention, parties à la convention. Par rapport aux problèmes de droit international privé dont la conférence de La Haye traite, c'est un immense succès. Je pense qu'il y a une convention qui porte sur quelque chose de très technique qui regroupe plus d'États, mais autrement, c'est la convention sur l'enlèvement d'enfants qui attire le plus l'intérêt.

L'objectif premier de la convention, c'est important de garder cela à l'esprit, c'est de dissuader les parents qui seraient tentés de déplacer illégalement des enfants de recourir à ce moyen.

Quand les parents ont des problèmes de famille, des problèmes concernant la garde de l'enfant, le message, c'est que vous devez faire régler ces problèmes par les tribunaux de l'État de la résidence habituelle de l'enfant.

Alors qu'est-ce qu'on a choisi comme moyen pour dissuader les parents de déplacer unilatéralement des enfants? On a prévu un mécanisme qui voit à ce que le retour immédiat de l'enfant soit ordonné. L'idée à l'origine de la convention c'est que l'enfant est déplacé dans un État, les autorités de cet État sont saisies de la demande de retour et elles ordonnent le retour immédiat de l'enfant.

En d'autres mots, le geste posé par le parent ravisseur, en principe, n'aura pas de conséquences. C'est ça l'objectif. Et l'idée, c'est que les parents vont comprendre qu'il ne sert à rien de déplacer un enfant unilatéralement, l'enfant sera retourné.

Évidemment, la convention n'est pas aveugle. Elle comprend qu'il peut y avoir des situations dans lesquelles c'était inévitable. Elle prévoit donc six exceptions. Je n'entrerai pas dans le détail de ces exceptions parce que je crois que cela dépasserait mon mandat aujourd'hui. Je vous rappelle simplement qu'il y en a une à laquelle les parents recourent le plus souvent. C'est celle prévue à l'article 13 selon laquelle le tribunal n'ordonnera pas le retour de l'enfant si le retour risque d'exposer l'enfant à un danger physique ou psychique grave ou, de toute autre manière, de le placer dans une situation intolérable.

[Traduction]

Passons maintenant au Réseau international de juges de La Haye. La création du réseau a tout d'abord été proposée en 1998 par le juge Matthew Thorpe, juge à la Cour d'appel d'Angleterre, lors d'un colloque réunissant des juges en Allemagne. Le juge Thorpe estimait que la création d'un tel réseau faciliterait les communications internationales et la coopération entre les juges et qu'il contribuerait à assurer l'application efficace de la convention de 1980. Son idée, présentée pendant le colloque, a fait l'objet d'une recommandation officielle lors de la commission spéciale de mars 2001 sur l'enlèvement d'enfants qui avait lieu à La Haye.

En passant, ceux et celles qui ne le savent pas, toutes les conventions de La Haye font l'objet d'un examen aux quatre, cinq ou six ans, selon la situation. On en examine l'application et l'interprétation. Il s'agit donc d'un exercice continu; tous les cinq ans, nous retournons à La Haye et nous discutons des problèmes survenus au cours des cinq dernières années et des solutions que nous pouvons proposer pour les régler.

La cohorte initiale de ce que nous appelions à l'époque des « juges de liaison » comptait deux juges du Canada. C'était en 2001. J'étais l'un d'eux, de la province de Québec, qui est de tradition civiliste. L'autre était la juge Robyn Diamond, du Manitoba, pour le reste du de tradition de la common law. En quelque sorte, nous formons une équipe, l'un pour le droit civil et l'autre pour la common law.

Je dois avouer qu'à l'époque, nous nous étions autodésignés. Par contre, en septembre 2006, le Conseil canadien de la magistrature nous a officiellement désignés tous les deux comme juges de liaison pour le Canada et il a mis sur pied le Comité spécial sur l'enlèvement international d'enfants par le père ou la mère. Un an plus tard, le comité était rebaptisé Comité spécial pour la protection internationale des enfants.

En 2008, on abandonnait l'étiquette « juge de liaison » en faveur de « juge du réseau », puis le réseau est devenu le Réseau international de juges de La Haye. En date d'aujourd'hui, on compte 80 juges provenant de 54 États, répartis sur tous les continents, qui sont membres du Réseau international de juges de La Haye.

Un juge du Réseau — et je suis convaincu que vous aurez des questions à me poser — est ni plus ni moins qu'un point de contact entre ses collègues au niveau national et d'autres membres du réseau à l'échelle internationale. Sa première fonction principale de communication est de nature générale. Lorsque je dis « de nature générale », j'entends par là qu'elle ne se rapporte pas à une affaire précise. Autrement dit, nous sommes un canal de communication, du Bureau permanent vers la magistrature canadienne et dans le sens inverse également. Par exemple, si une décision intéressante est rendue par un tribunal au Canada, nous essayerons de faire en sorte qu'elle soit communiquée à La Haye. Cela fonctionne donc dans les deux sens.

La deuxième fonction principale de communication consiste en des communications directes de nature non judiciaire sur des affaires précises. L'objectif est de pallier tout manque d'information du juge saisi d'une demande de retour, soit ici au Canada, soit à l'étranger. Encore une fois, cela fonctionne dans les deux sens. L'objectif est de faciliter la résolution de problèmes pratiques entourant le retour d'un enfant.

Finalement, quelques mots au sujet de la Conférence judiciaire de Malte sur les questions transfrontières de droit de la famille, aussi appelée Processus de Malte, dont vous a parlé la semaine dernière William Crosbie, du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Le processus résulte d'une initiative mixte du Bureau permanent de la Conférence de droit international privé de La Haye et du gouvernement de Malte.

Comme j'ai lu la transcription des délibérations de la semaine dernière, je sais que William Crosbie a parlé de renforcer la coopération entre les États membres de la convention de La Haye et les États non membres. Il a parfaitement raison; l'idée est de susciter un dialogue. C'est un exercice qui vise à établir des ponts avec les États qui ne sont pas membres de la convention de La Haye. Trois conférences ont eu lieu jusqu'à maintenant : 2004, 2006 et 2009. J'ai assisté à celles de 2006 et de 2009, mais je n'étais pas à celle de 2004.

Suite à une proposition canadienne présentée lors de la troisième Conférence de Malte, les juges et les experts présents ont adopté une recommandation portant sur la création d'une structure plus efficace pour la médiation des disputes familiales transfrontalières. Lorsque j'ai présenté l'idée, je faisais référence à l'établissement d'un processus structuré de médiation. L'idée était qu'il était très difficile d'obtenir, par exemple, l'adhésion des pays musulmans à la convention de 1980, et ce, pour toutes sortes de raisons que je ne veux pas aborder.

Nous voulions que notre troisième conférence débouche sur quelque chose de pratique. Si nous pouvions seulement établir un processus structuré de médiation, nous estimions que nous aurions alors accompli quelque chose. C'est parfois étonnant; les parents sont séparés de leurs enfants et n'en entendent plus parler pendant des années, même pas une photographie ou quoi que ce soit. C'est presque rien. Nous nous sommes donc dit que si nous disposions de cette forme de processus structuré de médiation, nous pourrions peut-être négocier au moins l'échange de photographies. Je ne parle pas de restituer l'enfant — nous en étions encore loin —, mais au moins, échanger des photographies.

Donc, à sa réunion de mars-avril 2009, le Conseil sur les affaires générales et la politique de la Conférence de La Haye a accepté la recommandation et un groupe de travail a été mis sur pied dans les semaines qui ont suivi. Comme vous le savez, il est coprésidé par le Canada — William Crosbie, qui a comparu devant vous la semaine dernière — et le Pakistan, représenté par le juge en chef Jillani.

Il s'agit d'une tâche énorme. Je pense qu'il y a quelque 22 États représentés au sein du groupe de travail. C'est très difficile. J'ai été un participant silencieux lors de la première conférence téléphonique, et je peux vous assurer que ce n'est pas rien — une conférence téléphonique réunissant 20 personnes de 20 États d'un peu partout dans le monde. Je ne me souviens pas au juste quelle heure il était, mais pour certaines personnes, il était très tard le soir, et pour d'autres, très tôt le matin. Lillian Thomsen, des Affaires étrangères, a très bien géré la conférence à l'époque. Le groupe de travail fait des progrès, mais nous n'avons toujours pas de structure en place. Nous espérons tous y parvenir tôt ou tard.

Voilà pour mes remarques préliminaires. J'ai pris plus de temps que je pensais. Je suppose que c'est habituel pour vos témoins. Veuillez m'en excuser. Je suis prêt à répondre à vos questions et à discuter avec vous.

La présidente : Merci beaucoup de votre exposé. Pour ce qui est de l'intérêt, vous pouvez constater que nous aurions pu vous écouter pendant encore longtemps.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup, monsieur Chamberland, de votre exposé, et plus particulièrement de votre excellent travail depuis tant d'années à la convention de La Haye sur l'enlèvement. Ce sont des états de service remarquables dans un contexte international, en particulier en ce qui concerne vos derniers propos au sujet de la participation des pays en cause et du Processus de Malte, ce qui change la dynamique.

L'une des premières choses que vous avez dites est que la dissuasion est la meilleure solution. Comment vraiment sensibiliser les gens à la dissuasion? Je n'en connais pas beaucoup qui prévoient le rapt d'un enfant et qui le disent à l'avance. D'ailleurs, ils ne le savent peut-être même pas lorsqu'ils rencontrent une personne qui pourrait parler de dissuasion. Pourriez-vous élaborer un peu plus? Pensez-vous qu'un mécanisme comme le contrôle des passeports à la sortie du pays, surtout lorsqu'il est question d'enfants, doit être envisagé?

M. Chamberland : Premièrement, merci de vos mots gentils au sujet du travail que j'ai accompli. Si vous me le permettez, je prendrai quelques secondes pour transmettre vos mots gentils à ma collègue, Robyn Diamond, du Manitoba. Au fil des ans, nous avons formé une excellente équipe pour le Canada. Je ne parlerai pas des séries éliminatoires de la LNH, mais je suppose que nous aurions atteint la finale ces dernières années, et cela est en grande partie attribuable au travail de ma collègue, la juge Diamond.

Je suppose que c'est très difficile lorsque vous devez décider de ce qui est de la dissuasion et de ce qui ne l'est pas. Que serait-il arrivé s'il n'y avait pas eu la convention? Je me dis que plus de gens auraient enlevé de manière illicite des enfants de leur résidence habituelle, mais, en réalité, c'est très difficile à vérifier. Vous avez tout à fait raison. Je suppose qu'il en est de même lorsque nous parlons de sentence. En ce qui me concerne, il y a différentes écoles de pensée. On me dit que les gens qui planifient l'enlèvement d'un enfant posent des questions. Évidemment, ils n'en parleront pas à leur conjoint, mais ils vont poser des questions à des amis. Apparemment, il est connu que la convention de La Haye est un obstacle pour les personnes qui veulent enlever un enfant, en contravention des droits de garde de l'autre parent.

Ce n'est évidemment pas parfait, mais que pouvait-on faire d'autre à l'époque? Je ne le sais pas. Il faut se rappeler qu'à la fin des années 1970, le problème était le suivant : les enfants étaient enlevés, et il n'y avait aucune façon de les ramener et d'obtenir une audience relative à la garde dans le pays de la résidence habituelle. Les services consulaires constituaient le seul recours, et vous pouviez, à l'occasion, résoudre une affaire. La seule autre façon était de demander à un ami, à un oncle, à un frère : « M'accompagnerais-tu? Nous nous rendons là-bas. Je sais que mes enfants s'y trouvent, et nous allons les enlever à nouveau. »

À l'époque, c'était la solution au problème. Je suppose que le représentant canadien qui a mis le problème à l'ordre du jour à La Haye a dit que c'était illogique; c'est l'anarchie, nous devons trouver une solution. C'est ainsi que la convention a été conçue.

Lorsque vous parlez du contrôle des passeports, je dois avouer que ce n'est pas mon secteur de compétence. Je ne le sais pas. Tout ce que je sais des passeports, c'est que le mien doit être renouvelé très bientôt, et je dois m'en occuper.

Le sénateur Eggleton : Au sujet de la convention de La Haye sur l'enlèvement, permettez-moi de vous demander au sujet du fait que les juges sont censés agir rapidement pour restituer l'enfant à sa résidence habituelle, à agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Deux expressions qui sont utilisées ensemble. Cependant, sont-elles nécessairement réalisables ensemble, la vitesse de restitution et la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant? J'entends dire que certains pays ne semblent pas traiter de la même façon leurs ressortissants et les étrangers. Cela pourrait être un problème. Bien entendu, nous savons que dans le cas de pays islamiques, lorsque vous faites intervenir la loi de la charia, l'attitude est différente envers les femmes.

Toutefois, je constate avec intérêt que le Maroc a signé la convention de La Haye. C'est peut-être une percée. Il est peut-être possible d'obtenir que d'autres le fassent.

Que pensez-vous de ces deux objectifs? Sont-ils de plus en plus difficiles à réaliser ensemble?

M. Chamberland : La convention sera efficace dans la mesure où les demandes de retour sont traitées rapidement. Parlant d'autorités judiciaires, si nous ne parvenions pas à traiter les demandes de restitution rapidement, avec célérité, je pense qu'on serait en droit de remettre en question l'efficacité de la convention. C'est incontournable. Il faut le faire avec célérité.

Comme je l'ai mentionné dans mes remarques préliminaires, la convention prévoit six exceptions. Bien entendu, le parent qui a enlevé l'enfant a le droit d'invoquer ces exceptions; cela vaut aussi pour l'enfant d'ailleurs. Il a le droit d'invoquer ces exceptions et il faut les examiner attentivement. C'est ici que l'intérêt supérieur de l'enfant intervient. Évidemment, c'est aussi ici que surviennent les retards, mais il y a des façons de le faire avec célérité.

Si vous examinez les données et comparez certains pays entre eux, je vais prendre l'exemple du Royaume-Uni. Je prends cet exemple parce qu'un des témoins l'a mentionné la semaine dernière, et je sais pertinemment bien que le Royaume-Uni est très efficace. Le délai prévu dans la convention est de six semaines. C'est un objectif : six semaines, 40, 50 jours. Au Royaume-Uni, c'est à peu près le temps qu'il faut.

Comment font-ils? Jusqu'à maintenant, voici l'un des moyens qu'ils ont employés lorsque les faits sont contestés, lorsqu'il y a, par exemple, des allégations de violence familiale. C'est un classique de nos jours. Au lieu de commencer un débat « il a dit, elle a dit », puis de rendre une décision, tout cela prend du temps. Vous entendez des témoins, qui viennent parfois de l'État de résidence habituelle, et ce n'est pas facile de les faire venir au Royaume-Uni. Ils disent : d'accord, supposons que les allégations sont exactes, sont vraies. Que peut-on faire pour s'assurer que l'enfant retourne en toute sécurité et que, disons la mère, la victime de violence familiale, retourne en toute sécurité?

Au lieu de perdre du temps à débattre de la question ou à décider si les allégations sont fondées, ils examinent les mesures de précaution qui pourraient être prises pour s'assurer que le retour n'expose pas l'enfant et la mère, bien souvent la principale personne qui s'occupe de l'enfant, à un risque grave. C'est ainsi qu'ils l'ont fait. Pourront-ils continuer à obtenir d'aussi bons résultats dans les années qui viennent? Je ne le sais pas.

Au Canada, nous n'avons pas mal fait, mais nos résultats ne sont pas aussi bons que ceux du Royaume-Uni pour ce qui est des retards, parce que ce n'est pas notre culture. Notre culture est d'examiner les faits plus en profondeur. Les juges ont été formés à rendre des décisions fondées sur les faits. Nous essayons de découvrir la vérité. Une façon serait peut-être d'explorer ce qu'ils font au Royaume-Uni.

Le Maroc représente une situation très intéressante, car, sauf erreur, il était un État membre de la Conférence de La Haye au moment de l'adoption de la convention. Il n'est donc pas nécessaire que les autres pays s'engagent à ratifier la convention. Ils font automatiquement partie du groupe.

La sénatrice Andreychuk : Je tiens à faire écho aux propos de mon collègue et à vous remercier d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Vous êtes respecté dans tout le système pour votre dévouement et je vous remercie d'être venu aujourd'hui nous transmettre cette information.

Au sujet du retour rapide, la question à l'origine de la convention de La Haye, même au Canada personne ne connaissait la convention de La Haye, peu importe si vous étiez un policier, un agent d'immigration ou un avocat. Est-ce qu'elle est bien connue maintenant? Si quelqu'un enlève votre enfant, vous allez au service de police et dites : « Mon enfant a été enlevé. » On vous demande alors : « Qui a enlevé l'enfant et où l'a-t-on emmené? » Si vous répondiez : « Eh bien, ils l'ont emmené en Arabie saoudite », la plupart des gens ne savaient pas quoi faire. Les autorités ne savaient pas quoi faire. Est-ce mieux maintenant?

M. Chamberland : En un mot, oui, mais j'ajouterai : je ne sais pas pour ce qui est de la communauté dans son ensemble. Il y a beaucoup de dépliants maintenant, que l'on n'avait pas au début des années 1880, c'est certain.

Je vais vous parler de mon expérience d'avocat, avant que je devienne juge, puis de sous-ministre de la Justice au Québec, et maintenant de juge. Je peux vous dire que je ne savais absolument rien de la convention lorsque j'étais avocat. Je ne pratiquais pas dans le domaine du droit de la famille, la convention était nouvelle, elle n'était pas connue. Lorsque je suis devenu sous-ministre de la Justice, des gens du ministère assistaient aux réunions à La Haye, de sorte que j'ai entendu parler de la convention. L'autorité centrale relève du ministère de la Justice à Québec. Quelqu'un me présentait donc un rapport chaque année, puis le présentait au ministre.

Depuis que je suis devenu juge en 1993, je connais mieux la convention. Je suis certain qu'il y en a d'autres qui l'ont fait, mais j'ai parlé régulièrement à des avocats qui pratiquent le droit de la famille, tout comme la fonctionnaire qui est l'autorité centrale pour le Québec. Elle est très proactive et il en est de plus en plus question dans les journaux.

En tant que société, nous en savons beaucoup plus maintenant au sujet de la convention sur l'enlèvement d'enfants que dans les années 1980. Évidemment, il y a place à l'amélioration.

La sénatrice Andreychuk : Si j'en parle, c'est que notre comité a étudié les conventions internationales sur les droits de la personne. Au début des années 2000, on ne se servait pas beaucoup des conventions internationales dans les tribunaux canadiens. Je suis fière de dire, tout comme les membres de notre comité, que notre étude a sensibilisé quelques universitaires et avocats au droit international.

Si les responsables dans les provinces interviennent directement au sujet de la convention de La Haye, si le gouvernement fédéral détermine qu'il s'agit de plus en plus d'un problème lié aux passeports, et cetera, on disposera peut-être d'un ensemble de connaissances de nature préventive.

M. Chamberland : Je ne sais pas ce que le gouvernement canadien pourrait faire, mais je sais que jusqu'au début des années 1990, les juges hésitaient beaucoup à se tourner vers le droit international comparé. Nous tenions compte de notre droit et nous décidions en fonction de la loi. Puis, il y a eu la juge L'Heureux-Dubé dans l'affaire Baker, ce qui a ouvert les yeux du système judiciaire relativement à ces instruments internationaux, et on y fait de plus en plus référence dans nos décisions.

Il s'agit d'un processus d'apprentissage pour tout le monde. Toute autre initiative qui pourrait être entreprise ne relève pas de mon domaine de compétence.

La sénatrice Andreychuk : Plusieurs décisions ont été rendues, dont une de la Grande-Bretagne qui était plutôt inhabituelle.

M. Chamberland : De quelle décision s'agit-il?

La sénatrice Andreychuk : L'affaire du juge où la résidence habituelle était l'Espagne et la cause a été réinstruite en Angleterre. L'Espagne était le territoire en cause; toutefois, son cœur était en Angleterre et elle a par conséquent accordé la garde...

M. Chamberland : Parlez-vous de la décision de la baronne Hale et de la juge Wilson? Il s'agissait de motifs conjoints.

La sénatrice Andreychuk : Oui, c'est possible. Cela m'inquiétait. Il y a eu quelques décisions rendues en Europe qui ne semblaient pas respecter rigoureusement la convention de La Haye. En a-t-il été question dans vos comités, car on parle de pays qui sont nos partenaires de coalition et qui ont signé pour en élargir l'application?

Nous parlons des musulmans et du Processus de Malte, mais des progrès ont été réalisés. Je constate, lorsque je me rends dans ces pays, qu'ils ont des objections prêtes à ce sujet; par contre, j'ai été surprise de constater qu'il y avait des hésitations en Europe.

M. Chamberland : Il y a eu une cause il y a trois ans, Neulinger, devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme. La décision a causé des remous dans notre petite société.

Il y a une décision plus récente rendue par la même Grande Chambre, l'affaire X c. Latvia, qui ramène le point d'intérêt et l'application de la convention là où ils devraient être.

Je ne suis pas certain quant à la décision au Royaume-Uni, mais je pense que c'est lady Hale et la juge Wilson qui ont indiqué qu'en décidant de l'endroit où se trouvait la résidence habituelle de l'enfant, vous ne devez pas perdre de vue l'état d'esprit de l'enfant. C'est probablement la seule référence que je peux voir quant au cœur d'une personne par opposition à sa région.

Nous revenons dans le sens de la dernière décision de la Grande Chambre, mais il y a eu un grand remous pendant quelques années. Il s'agissait de l'ampleur de l'enquête menée par le juge saisi de la demande de retour. Évidemment, on a suggéré un examen approfondi, ce qui est contraire au caractère sommaire de la procédure en vertu de la convention de La Haye. Pendant plusieurs années, on ne savait trop, mais c'est maintenant réglé.

La sénatrice Andreychuk : Cela me rassure quelque peu.

Tenez-vous compte des conventions internationales sur l'enfant dans vos travaux à La Haye. Sont-elles uniformes désormais?

M. Chamberland : Elles l'ont toujours été.

La sénatrice Andreychuk : Pour ce qui est de l'application, vous servez-vous de la convention internationale lorsqu'il s'agit d'un pays qui fait partie du Processus de Malte, par opposition à un signataire de la convention de La Haye?

M. Chamberland : Comme vous le savez, tous les pays qui sont membres des Nations Unies, à l'exception de deux, sont signataires de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (1989). Les décisions rendues dans de nombreuses affaires indiquent que la convention de 1980 respecte les principes énoncés dans celle de 1989.

La sénatrice Unger : Merci, monsieur Chamberland, de votre exposé.

Plusieurs témoins qui ont comparu devant notre comité ont signalé que les États n'interprètent pas tous de la même façon la convention de La Haye sur l'enlèvement. Cela a-t-il été votre expérience? Que fait-on à l'heure actuelle pour accroître l'uniformité? Quelles autres mesures pourrait-on prendre? La situation semble chaotique pour les personnes en cause, et c'est probablement involontaire.

M. Chamberland : C'est une bonne question en ce sens que le problème, lorsqu'il s'agit d'un instrument international comme la convention de 1980, est qu'il n'existe pas de Cour suprême internationale pour indiquer la voie à suivre. Vous devez composer avec cette situation. Je ne peux pas nier qu'il y a un manque d'uniformité à certains égards. Pendant de nombreuses années, il a fallu trouver la façon de déterminer l'État de résidence habituelle d'un enfant. Il y avait plusieurs méthodes. Aujourd'hui, c'est réglé, plus ou moins. Il y aura toujours des exceptions, mais essentiellement, c'est réglé.

Comme je l'ai mentionné, une commission spéciale, j'ai d'ailleurs présidé la dernière, se réunit tous les quatre à six ans. Ces réunions internationales visent entre autres à examiner les décisions incohérentes et à nous permettre de discuter entre nous de la bonne marche à suivre. La commission essaie de convaincre les autorités des autres États. Voilà pour une première façon.

En outre, le Bureau permanent, avec l'aide d'experts qui sont parfois des juges ou des autorités centrales, produit des guides de bonnes pratiques sur différents sujets. Il y en avait un sur le travail des autorités centrales, un sur la médiation et un sur les mesures de protection et l'application de la loi. Nous travaillons à l'heure actuelle sur un guide difficile, auquel il a été fait allusion la semaine dernière : un guide de bonnes pratiques sur la façon d'interpréter et d'appliquer l'alinéa 13b) de la convention de La Haye sur l'enlèvement, à savoir exposer l'enfant à un risque grave ou une situation intolérable. L'application de cette disposition manque passablement d'uniformité. Nous espérons donc pouvoir produire un guide. Nous ne pouvons pas l'imposer à qui que ce soit. Nous espérons que les juges s'en inspireront, ou du moins qu'ils connaîtront son existence de sorte que s'ils sont saisis d'une question très sensible, ils le consulteront. Nous essayerons de proposer des façons uniformes d'interpréter et d'applique l'alinéa 13b).

Votre question est excellente, car elle représente la nature du problème. Il s'agit d'un instrument international, mais sans Cour suprême internationale.

La sénatrice Unger : J'écoute, et tout me semble éparpillé. Il y a une expression qui revient souvent : c'est comme rassembler des chats. Il est absolument impossible d'obliger les gens à envisager ou préparer un plan précis qu'il faut suivre. Comme vous l'avez dit. Il n'y a pas de Cour suprême.

M. Chamberland : Vous ne pouvez pas dire à la Cour suprême des États-Unis ce qu'elle doit faire. Vous ne pouvez pas dire à la Cour suprême du Canada ce qu'elle doit faire. Vous pouvez seulement tenter de l'influencer; et nous nous en tirons passablement bien. Il n'y a que l'alinéa 13b) qui nous a donné du fil à retordre, et c'est tout à fait justifié, car il s'agit d'une question difficile. Lorsque vous soulevez des questions de violence familiale, parlez de séparer des frères et des sœurs, et cetera, il n'y a pas de solutions faciles. Peu importe qui vous êtes, il n'y a pas de solution facile. Vous êtes vraiment au cœur de la question de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Jusqu'à maintenant, nous nous sommes réunis à deux reprises et nous progressons. La troisième réunion aura lieu à l'automne. C'est ainsi que les choses se passent.

Quelles autres mesures pourrait-on prendre? Il y a les colloques internationaux où nous essayons de promouvoir une interprétation de la convention, mais les cultures sont différentes, même parmi les pays signataires de la convention de La Haye. Je ne parle pas des pays islamiques, parce qu'ils ne sont pas parties à la convention. Même dans les pays du monde occidental, les points de vue et les cultures diffèrent. Vous devez faire preuve de diplomatie. Vous ne pouvez pas tout simplement dire : Nous avons raison, vous avez tort; vous ne pouvez pas faire cela. Vous devez essayer de convaincre les gens.

La sénatrice Ataullahjan : J'aimerais faire écho aux sentiments du sénateur Eggleton concernant votre travail. Merci de votre exposé et d'être venu.

Comme la sonnerie retentit, je vais vous poser une petite question et j'aimerais que vous y répondiez en tant qu'avocat. Quelles sont les limitations pour le Canada dans de telles affaires?

M. Chamberland : Qu'entendez-vous par « limitations »?

La sénatrice Ataullahjan : Je veux dire les difficultés. Il y a tellement de pays qui sont signataires de la convention, que pouvons-nous faire pour nous assurer qu'ils s'y conforment? La semaine dernière, des témoins nous ont dit qu'il y a un suivi de la façon dont les pays réagissent.

M. Chamberland : Non, il n'y a pas de suivi international. Le département d'État des États-Unis en fait un. Il s'agit d'un point de vue, et c'est celui des États-Unis vis-à-vis de la conformité, mais il n'y a pas d'organe international qui examine la conformité.

Que pourrait-on faire de plus? Nous assistons à des conférences. Nous participons aux commissions spéciales. Nous avons notre façon de faire les choses. Nous pensons que nous nous en tirons très bien, mais nous écoutons également ce que disent les autres. Je suppose que chaque délégation se présente à La Haye avec la même approche. Chacune pense qu'elle fait certaines choses très bien et d'autres moins bien. Nous écoutons tout ce que les autres ont à dire. Les délégations retournent ensuite chacune dans son pays et essaient de convaincre leurs propres autorités d'adopter leur façon de faire les choses.

Il s'agit d'un processus lent. Nous ne devons pas l'examiner uniquement selon notre point de vue. Je serai encore là pendant quelques années. Après quoi, quelqu'un me remplacera, puis un autre. C'est au fil du temps que nous devons examiner l'évolution du processus et nous devons faire preuve de patience.

La présidente : Il nous reste quelques minutes, et si vous me le permettez, j'aimerais poser une question au sujet de l'article 13 et de l'intérêt supérieur de l'enfant. En raison des pratiques culturelles, il sera très intéressant de voir comment vous le définissez. Je suis convaincue qu'il n'a pas du tout été facile de définir ce qui constituait un risque pour un enfant.

M. Chamberland : Je suppose que nous avons tous nos propres idées quant à ce qui constitue l'intérêt supérieur de l'enfant, mais les critères sont connus depuis très longtemps, pas seulement au sein de la communauté internationale, mais également au niveau national. Je suis certain qu'il n'y a pas une seule province ou un seul territoire au Canada qui ne fait pas référence à l'intérêt supérieur de l'enfant. Je suppose qu'ensuite on procède beaucoup au cas par cas. C'est la seule façon.

En ce qui concerne le processus, il est facile de faire des suggestions. C'est ainsi que nous procédons. Par contre, lorsqu'on est dans le vif du sujet, l'intérêt supérieur de l'enfant en l'occurrence, vous ne pouvez pas imposer votre point de vue. Vous faites pour le mieux.

La présidente : Monsieur Chamberland, je sais que tous les collègues aimeraient qu'il y ait un deuxième tour et vous poser plus de questions. Je pense que vous en avez soulevé plus pour nous. D'après moi, l'étude sera intéressante.

Je tiens à vous remercier sincèrement de nous avoir accordé tout ce temps aujourd'hui. Nous espérons avoir l'occasion de travailler de nouveau avec vous.

M. Chamberland : Je suppose que vous avez le mot de la fin, mais je vais faire preuve d'une grande impolitesse, si vous me le permettez, et je vais répéter que ce fut pour moi un honneur et un privilège d'être parmi vous et que j'ai profité de chaque instant.

La présidente : Merci beaucoup.

(La séance est suspendue.)

___________

(La séance reprend.)

La présidente : J'aimerais souhaiter la bienvenue au deuxième groupe de témoins. Nous traitons d'un très important aspect de la convention de La Haye, lorsqu'un parent peut unilatéralement enlever un enfant. Nous sommes heureux d'accueillir Pina Arcamone, directrice générale d'Enfant-Retour Québec, qui se joint à nous par vidéoconférence; M. Stephen Watkins, directeur exécutif et membre fondateur de l'iCHAPEAU Association; Lianna McDonald, directrice exécutive du Centre canadien de protection de l'enfance, également par vidéoconférence, et Christy Dzikowicz, directrice, Services en cas de disparition d'enfant, également par vidéoconférence.

Nous avons hâte d'entendre vos propos. Il s'agit d'une étude entreprise pour la première fois au Parlement du Canada. Nous espérons que vous nous parlerez des défis que présente cette question et ce que nous pouvons faire pour que ce soit dans l'intérêt supérieur de nos enfants. Nous commençons par M. Watkins.

Stephen Watkins, directeur exécutif et membre fondateur, iCHAPEAU Association : Merci, madame la présidente et honorables membres du comité, d'inclure l'iCHAPEAU Association, une association nouvellement formée, dans votre étude et d'accepter notre témoignage au nom des parents directement touchés.

Je crois qu'il est important que les membres du comité entendent les personnes directement touchées par votre étude et j'espère que vous permettrez aussi à d'autres parents canadiens touchés de vous communiquer leurs points de vue dans le cadre de votre étude. Nous avons beaucoup de renseignements à vous communiquer et nous espérons avoir l'occasion d'exprimer toutes nos idées.

Je suis le directeur exécutif et un membre fondateur de l'association de parents canadiens qui a pour nom iCHAPEAU Association. Je suis non seulement un des membres fondateurs, mais je suis également un parent de deux jeunes Canadiens dont j'ai obtenu la garde exclusive des tribunaux de l'Ontario. Ils ont été enlevés illégalement par leur mère qui n'en a pas la garde et emmenés du Canada aux États-Unis, puis en Allemagne, avec l'aide d'un membre canadien de la famille. Mes fils ont été portés disparus et sciemment cachés pendant deux ans et demi avant qu'on les retrouve finalement en Pologne. En vertu de l'alinéa 13b) de la convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, le système de justice polonais n'a pas autorisé leur retour au Canada, leur pays de résidence habituelle.

Permettez-moi de vous présenter deux faits intéressants liés à l'enlèvement d'enfants canadiens, selon des données de 2009 que l'iCHAPEAU Association a mis en évidence. Un parent ou un membre de la famille est l'auteur de 83 p. 100 des enlèvements d'enfants. Les enlèvements d'enfants par un parent ne sont pas sexospécifiques, et il a été établi qu'il s'agissait d'une forme de mauvais traitements de l'enfant. Saviez-vous que le gouvernement canadien ne fait pas un suivi des cas de non-conformité d'un autre pays au chapitre des traités internationaux et des ententes conclues avec le Canada en ce qui concerne les enlèvements internationaux d'enfants? D'autres pays, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, font un suivi annuel des cas de non-conformité qui les concernent et signalent les pays qui ne respectent pas la convention et ne retournent pas les enfants enlevés dans leur pays.

Des parents s'emploient maintenant à proposer de nouvelles idées en raison des nombreuses frustrations vis-à-vis de nos procédures et systèmes actuels, ici au Canada. Ils travaillent également avec des pays étrangers qui ont déjà des antécédents de non-respect des conventions et traités internationaux, en plus des pays qui n'ont pas ratifié la convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.

Les parents canadiens privés de leurs enfants en raison des enlèvements internationaux travaillent ensemble par le truchement de notre organisation, iCHAPEAU Association, qui signifie International Child Harbouring and Abduction Prevention Enforcement Act Under Law, le nom d'un nouveau projet de loi canadien que nous aimerions voir adopté et proposé ici au Canada pour aider à mettre un terme aux enlèvements d'enfants par un parent et pour aider au retour de nos enfants dans leur résidence habituelle.

iCHAPEAU Association a vu le jour devant le palais de justice de Newmarket le 20 novembre 2012, c'est-à-dire le jour de la Journée mondiale de l'enfance reconnu partout dans le monde par les Nations Unies et également celui où le Canada a adopté la Déclaration des droits de l'enfant en 1959 et la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant en 1989. C'était également la date où la Cour de justice de l'Ontario devait rendre sa sentence à l'endroit de mon ancien beau-père pour le rôle qu'il a joué dans l'enlèvement de mes deux fils, lorsque lui et mon ex-femme ont été reconnus coupables le 23 août 2012 aux termes du paragraphe 282(1) du Code criminel du Canada.

Il m'est impossible de vous décrire toute la frustration que nous avons dû endurer, à tous les niveaux, avant, pendant et après. Mes deux jeunes fils ont été victimes d'un enlèvement international, qui se poursuit encore aujourd'hui. Ils sont otages dans un pays étranger et ils sont des pupilles de l'État de la Pologne. Le système judiciaire polonais a limité les droits parentaux de la mère ravisseuse et a désigné un tuteur pour mes fils en Pologne.

Avant l'enlèvement international de mes fils, j'avais communiqué avec Child Find Ontario. L'organisme m'aidait en me donnant des renseignements pour assurer la sécurité de mes enfants dont j'avais la garde, assortie de droits de visite de la mère qui n'en avait pas la garde. Child Find Ontario, qui relève maintenant du Centre canadien de protection de l'enfance, m'a fourni des renseignements précieux, que j'ai mis à exécution avec l'aide de mon avocat en droit de la famille, mais rien ne pouvait empêcher que mes enfants soient enlevés. À l'époque, et encore aujourd'hui, puisqu'il n'y a aucun contrôle de sortie, il n'existait aucune mesure préventive efficace que les tribunaux canadiens pouvaient prendre pour s'assurer que les enfants canadiens ne sont pas emmenés à l'étranger.

Lorsque des parents communiquent avec l'iCHAPEAU Association, nous leur suggérons toujours de s'inscrire auprès d'une ONG canadienne reconnue comme MissingKids, par l'entremise du Centre canadien de protection de l'enfance, la Société canadienne des enfants disparus, Enfant-Retour au Québec, Child Find Saskatchewan et Child Find Alberta.

Dans mon cas, j'avais la garde exclusive de mes fils Alexander et Christopher Watkins depuis décembre 2007 en raison de préoccupations concernant la protection des enfants soulevées par les enseignants de l'école qu'ils fréquentaient à Toronto. Cette garde avait été ordonnée par les tribunaux de l'Ontario et la Catholic Children's Aid Society. À l'époque, mon fils aîné avait été diagnostiqué d'un trouble du spectre d'autisme fonctionnel élevé par le service à la famille qui m'aidait pendant l'appréhension suite à une ordonnance des tribunaux de l'Ontario. À de nombreuses reprises, les tribunaux ont ordonné que les passeports canadiens de mes fils soient remis avant de multiples dates de comparution, notamment une requête pour outrage au tribunal déposée par la Catholic Children's Aid Society, la mère qui n'avait pas la garde refusant toujours d'obtempérer. On a également tenté de faire annuler les passeports de mes fils auprès de Passeport Canada, mais en vain et en dépit du fait qu'il y avait un changement de tutelle et que les tribunaux de l'Ontario m'avaient accordé la garde.

Au bout d'un an, en janvier 2009, les tribunaux de l'Ontario m'ont accordé la garde exclusive de mes fils assortie d'un droit de visite très libéral pour la mère. Six semaines après la décision de la Cour de l'Ontario, le 8 mars, mes fils ont été enlevés, emmenés du Canada aux États-Unis, puis en Allemagne, lors d'un droit de visite de fin de semaine ordonné par le tribunal. La mère qui n'avait pas la garde a utilisé un passeport canadien annulé et les deux passeports de mes fils qu'elle avait refusé de remettre aux tribunaux de l'Ontario qui en avaient ordonné la remise à de multiples dates de comparution.

Les tribunaux de l'Ontario n'ont pas fait appliquer leurs propres ordonnances et n'ont pris aucune mesure, même si l'enlèvement international d'enfants était très probable, question que mon conseiller juridique avait soulevée auprès du juge de la Cour de l'Ontario lors du procès pour la garde en décembre 2008. Le gouvernement de l'Ontario avait confirmé que le permis de conduire de la mère ravisseuse et son passeport canadien avaient été annulés et l'ombudsman de Passeport Canada l'avait également confirmé 42 jours avant l'enlèvement de mes fils en raison des mesures d'exécution provinciales pour défaut de versement des pensions alimentaires pour enfants. Le département de la Sécurité intérieure des États-Unis a confirmé aux autorités canadiennes que les trois avaient pris l'avion à Rochester à destination de Francfort, en Allemagne, et avaient utilisé trois passeports canadiens.

Au titre de la convention de La Haye, j'ai présenté une demande auprès de l'autorité centrale de l'Ontario dans les 10 jours de l'enlèvement de mes fils pour leur retour, et j'avais fourni l'adresse d'une résidence à Varsovie, en Pologne, où l'on pourrait retrouver mes fils. Les tribunaux polonais ont également pris une ordonnance pour que les services policiers retracent mes fils dans leur pays. Mes fils, Alexander et Christopher Watkins, ont été cachés pendant un an et demi par la mère ravisseuse avant qu'une école polonaise intente une poursuite contre mon ex-femme en raison de préoccupations concernant la protection des enfants. Le tout s'est fait à mon insu et à l'insu des autorités canadiennes.

En l'occurrence, les mêmes tribunaux polonais qui avaient auparavant pris une ordonnance pour que les services policiers retracent mes fils n'ont pas communiqué avec moi et les autorités canadiennes pendant 11 mois. Il a fallu près de deux ans et demi pour savoir où se trouvaient mes fils. Le Canada avait également émis une notice rouge mondiale d'Interpol à l'endroit de mon ex-femme, mais le système de justice polonais a refusé de la reconnaître.

Je pense que dans le rapport explicatif rédigé par E. Perez-Vera au sujet de la Conférence de La Haye de droit international privé, il est indiqué que la convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants n'a jamais été censée traiter de situations où un parent ravisseur cachait sciemment des enfants pour tirer avantage de la convention. Si tel était le cas, chaque affaire se terminerait alors en une ordonnance de non-retour.

Dans mon mémoire, je dis que je crois que non seulement le système de justice polonais n'a pas suivi la convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, étant que ma cause a été traitée comme un litige sur la garde en Pologne, mais aussi la convention de La Haye relative à la signification et à la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, étant donné qu'ils ont omis de communiquer en temps opportun. L'ITAKA, l'organisme national reconnu pour les enfants portés disparus que j'avais invité à assister à l'appel relatif à la convention de La Haye, m'a également confirmé les manquements du tribunal polonais. C'était la première fois que l'organisme assistait à une audience du Tribunal de La Haye dans son pays. La méconnaissance par le gouvernement polonais de l'objectif de la convention de La Haye, à savoir le retour des enfants dans leur pays habituel, peut également être confirmée par les déclarations du premier ministre de la Pologne ici même au Canada aux bulletins de nouvelles nationaux lorsque des journalistes lui ont posé des questions au sujet de l'affaire de mes fils. Il a répondu : « Ce différend familial... un conflit entre parents... ».

Les tribunaux polonais ont pris leur décision — l'ordonnance de non-retour en raison d'allégations d'abus présentées par la mère ravisseuse — sans preuve à l'appui, mais ils ont en même temps limité les droits parentaux de la mère ravisseuse en raison de préoccupations concernant la protection des enfants. En outre, le système de justice polonais a appliqué une disposition de droit interne de la Pologne qui empêche les tribunaux supérieurs d'être saisis d'affaires relatives à la garde ou à la convention de La Haye. Je pense que cela contrevient à l'article 27 de la Convention de Vienne des Nations Unies sur le droit des traités de 1969 qui stipule ce qui suit :

Droit interne et respect des traités — Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité. Cette règle s'applique sans préjudice de l'article 46.

Étant donné que les tribunaux polonais n'ont pas reconnu les droits de la personne de mes enfants, tout particulièrement ceux de mon fils aîné à qui on avait diagnostiqué un état précis, ils ont contrevenu aux droits de la personne de mes fils conférés par la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant et la Déclaration des droits de l'enfant des Nations Unies. Mes fils sont toujours des pupilles de la Pologne. Personne au gouvernement du Canada n'a exercé de pressions sur la Pologne pour le retour de mes enfants dans leur pays habituel, le Canada, même si les cours pénales canadiennes ont enquêté et statué qu'il ne s'agissait pas de violence familiale et reconnu que tant la mère ravisseuse que son père étaient coupables de crimes en vertu du Code criminel du Canada.

Le premier ministre du Canada...

La présidente : Monsieur Watkins, je suis désolée de vous interrompre, mais les membres ont beaucoup de questions à vous poser et nous avons deux autres témoins à entendre. Puis-je vous demander de conclure, s'il vous plaît?

M. Watkins : Je sais que le premier ministre du Canada s'est également fait poser la même question dans le cadre de reportages diffusés dans les bulletins de nouvelles nationaux avant que les cours pénales canadiennes soient saisies de l'affaire et il a dit : « Le gouvernement canadien a fourni des services consulaires... et prêté assistance pour faire appliquer en définitive les ordonnances des tribunaux canadiens dans cette affaire. Les tribunaux en sont saisis. » Pas une seule des ordonnances des tribunaux canadiens n'a été fournie pour faire appliquer le jugement définitif. Pendant que les cours pénales canadiennes donnaient un verdict de culpabilité, personne au gouvernement du Canada n'est intervenu pour protéger les droits de la personne de mes fils.

La présidente : Merci.

M. Watkins : J'espère que nous aurons l'occasion de revenir et de vous présenter plus de renseignements. Je m'excuse d'avoir pris plus de temps que prévu.

La présidente : Vous avez le document. Si vous le remettez, nous vous assurons que nous le lirons. Nous ne voulons pas vous empêcher de parler. Nous avons très bien saisi ce que vous disiez. Nous lirons assurément le document que vous avez devant vous. Je vous en donne ma parole. Nous voulons tout simplement entendre d'autres témoignages et mes collègues auront des questions à vous poser. Merci.

Nous passons maintenant à notre prochain témoin, Pina Arcamone, directrice générale, Enfant-Retour Québec.

Pina Arcamone, directrice générale, Enfant-Retour Québec : Bonsoir. Je tiens à remercier le comité de m'avoir invitée à témoigner aujourd'hui. C'est vraiment un honneur pour moi, en tant que directrice générale de l'organisme Enfant-Retour Québec, de prendre la parole sur la question des disputes familiales transfrontalières dont votre comité est saisi.

Fondé en 1985, Enfant-Retour Québec offre des services de première ligne aux familles qui vivent le pire cauchemar de tout parent. Lorsqu'un enfant est porté disparu, notre organisme offre son soutien, son orientation et recommande des services aux familles pendant et après le retour de l'enfant. Nous assurons la liaison avec nos partenaires de l'application de la loi, le programme des enfants disparus, les organismes de protection de l'enfance, le milieu juridique et d'autres organismes pertinents d'un bout à l'autre du Canada, de l'Amérique du Nord et de l'Europe. Nous contribuons à la réunification. Nous offrons un soutien par les pairs et nous défendons les intérêts de la famille et de l'enfant disparu.

L'intérêt supérieur des enfants est au cœur de notre mission et de nos interventions. Chaque année, au Québec seulement, les organismes d'application de la loi enregistrent en moyenne une centaine d'affaires mettant en cause des enfants enlevés par un membre de la famille. Enlevés de leur famille, de leur foyer et de leurs amis, ces enfants sont subitement déracinés et plongés dans une vie d'incertitude et d'isolement. Cette perte instantanée de communauté peut mener à une dépression durable, à la perte d'un sentiment de sécurité ou de stabilité, à une capacité compromise de confiance en soi et dans les autres, et à la crainte de l'abandon.

L'incidence sur l'enfant enlevé est également traumatique étant donné que ce dernier est aux prises avec une foule de sentiments : par-dessus tout, un sentiment de trahison profonde et une perte de confiance. Les enfants enlevés ne sont pas non plus les seules personnes qui subissent un préjudice du fait de l'enlèvement : les frères, les sœurs, les grands-parents, les autres membres de la famille élargie de même que les compagnons et les compagnes de classe sont tous très touchés.

Même si la majorité des enfants enlevés ne le sont pas par un étranger, mais par un parent ou un membre de la famille, la question d'enlèvement familial continue d'être chargée d'idées fausses dans la société d'aujourd'hui. Les affaires comme celles dont M. Watkins a parlé sont souvent perçues comme n'étant qu'un divorce ou des questions de garde d'enfants, une question privée dont le public et les services d'exécution de la loi ne devraient pas se préoccuper.

La triste vérité est que l'enlèvement familial peut être aussi dangereux au plan physique et même mortel pour les enfants qui en sont victimes que n'importe quelle autre forme d'enlèvement d'enfants. Plus souvent qu'autrement, les pires dommages ne se voient pas à l'œil nu. Ils se produisent au plus profond de l'enfant, laissant des traces qui peuvent durer toute une vie.

[Français]

Les dossiers que traite Enfant-Retour Québec sont très variés, voire même complexes. Il est difficile d'en dresser une typologie exhaustive, mais on peut considérer que la plupart des dossiers correspondent à une ou à plusieurs études décrites ci-après.

1. L'enlèvement parental international avec charge criminelle dans lequel un parent emmène illégalement hors du pays son enfant sans la permission de l'autre parent avec l'intention de ne pas revenir.

2. Le non-retour avec charge criminelle dans lequel un parent quitte le Canada avec l'enfant pour une durée prédéterminée, souvent lors de vacances ou d'une visite à la famille et en ayant la permission et souvent une lettre d'autorisation de l'autre parent, alors qu'en réalité, au moment du départ, ce parent a déjà l'intention de ne pas revenir au Canada.

3. Le non-retour sans charge criminelle, dans lequel un parent quitte le Canada avec l'enfant pour une période prédéterminée, le plus souvent des vacances ou une visite en famille en ayant la permission de l'autre parent, alors qu'il n'a pas été prouvé, au moment du départ, qu'il avait déjà l'intention d'empêcher le retour de l'enfant. On considère alors son intention de retenir l'enfant dans un autre pays sans l'accord de l'autre parent et dans la juridiction de l'autre pays, et il n'y a donc pas d'acte criminel sur le sol canadien.

4. La demande de retour en vertu de la convention de La Haye. Il y a l'enlèvement interprovincial où un parent quitte la province de résidence habituelle de l'enfant sans la permission de l'autre parent ou de la cour, et ce type d'enlèvement peut justifier des charges criminelles en vertu des articles 282 ou 283. Cependant, dans la pratique des services de police, ceux-ci vont plus souvent référer le parent chercheur à la voie civile. Le parent se voit donc obligé de faire reconnaître son ordonnance de garde par l'autre province, et dans le cas où l'autre parent voyage de province en province, il peut avoir à faire cette démarche plusieurs fois.

5. Les enlèvements au Québec, même au sein de la même province ou de la même ville : un parent peut cacher l'enfant pour priver l'autre parent de tout contact. Dans ce cas, le parent chercheur peut demander l'aide de la police. Dans de nombreux cas, en l'absence d'indication de danger immédiat pour l'enfant, encore une fois, la police va référer le parent à la voie civile.

Avec votre permission, j'aimerais aussi partager avec vous quelques données statistiques qu'Enfant-Retour Québec a compilées depuis ses origines, donc depuis 1985 jusqu'au 30 août 2012. Nous avons traité en tout 341 dossiers d'enlèvements parentaux, qui ont été directement enregistrés chez Enfant-Retour Québec, et cela implique en tout 478 enfants. De ces 341 enlèvements, 142 ont été commis par des mères et 199 par des pères.

En ce qui concerne le sexe des enfants, la proportion des filles et des garçons est très semblable. De plus, il n'existe pas de lien significatif entre le sexe du parent responsable et celui de l'enfant enlevé.

Le groupe d'âge le plus à risque est celui d'un à cinq ans, un âge où l'enfant peut difficilement comprendre la situation ou exprimer son opposition au déplacement. Par la suite, ce nombre diminue à mesure que les enfants avancent en âge, jusqu'à l'adolescence où les cas se font plutôt plus rares. À partir de 14 ans, 69 p. 100 des enfants impliqués sont des filles et celles-ci sont enlevées à 72 p. 100 par leur père. Le début de l'adolescence est un âge où l'enfant commence à se démarquer des valeurs parentales et certains pères veulent alors s'assurer que leurs filles acquièrent des valeurs qu'ils pensent être mieux représentées dans leur pays d'origine plutôt que dans la société québécoise ou canadienne.

Voici quelques pistes pour améliorer la gestion des enlèvements parentaux au pays. On prône une meilleure formation, une formation continue auprès des corps de police, des procureurs de la Couronne, des juges et des avocats, bien que beaucoup de chemin ait été parcouru depuis l'entrée en vigueur des articles 282 et 283 du Code criminel. Cela dit, nous avons encore régulièrement des parents qui se font dire : « C'est du domaine civil » lorsqu'ils se rendent à leur poste de quartier. Notamment, dans les cas suivants : l'enlèvement parental interprovincial, le non-retour à l'échelle internationale et surtout dans le non-respect des droits d'accès aux niveaux provincial, interprovincial et international.

Ces situations ne justifient pas toujours des charges criminelles, mais il serait utile de demander plus d'information afin d'évaluer s'il est possible de créer un dossier à soumettre au procureur plutôt que de considérer qu'il s'agit d'une cause civile par défaut. Dans plusieurs cas, des parents chercheurs ont du mal à trouver des avocats ayant de l'expérience dans les dossiers de garde internationale d'enlèvement parental, ce qui a retardé des démarches importantes pour récupérer l'enfant. Les juges qui statuent sur des droits de garde quant aux risques d'enlèvement parental concernant un pays non signataire à la convention de La Haye manquent souvent d'information quant aux risques réels et aux moyens qui existent pour contourner une interdiction de quitter le pays.

Il faut s'assurer premièrement que les juges sont au fait de l'absence de douanes à la sortie du Canada, mais aussi que dans plusieurs pays non signataires, un parent peut obtenir un passeport étranger pour l'enfant sans aviser l'autre parent et quitter le pays sans aucune difficulté malgré une interdiction. La remise des passeports canadiens et autres documents de citoyenneté aux avocats lors de l'exercice de la garde peut être un bon outil de prévention lorsqu'on s'assure que le consulat du pays étranger ne produira pas de nouveaux documents de voyage.

Une autre piste de solution serait de rendre l'aide financière plus accessible. Cela comprend des frais juridiques, et des frais de transport aérien pour les parents victimes. Les frais juridiques et de transport sont souvent un fardeau parfois insurmontable pour un parent chercheur. Sans parler de gratuité, un geste commercial de la part de compagnies aériennes bienveillantes et des tarifs réduits pour les frais d'avocat pourraient jouer un rôle phare dans la réussite de certains dossiers.

Tout autre système, indemnisation ou retour d'impôt qui pourrait contribuer à soulager ces parents serait très utile. Il est à noter que dans plusieurs dossiers, nous avons dû aider les familles en les orientant vers les banques alimentaires et bourses aux vêtements, car après avoir récupéré leurs enfants, ils n'ont plus que des dettes, ont perdu leur travail et parfois leur logement.

Ce type de difficultés rend d'autant plus difficile la tâche déjà ardue de prendre soin de l'enfant victime lors de la réunification.

[Traduction]

La présidente : Madame Arcamone, les membres du Comité des droits de la personne ont beaucoup de questions à vous poser. Puis-je vous demander de conclure?

Mme Arcamone : En conclusion, nous devons insister énormément sur la prévention — je crois que c'est prioritaire si nous voulons que nos enfants soient en sécurité —, des campagnes de sensibilisation à l'intention des parents qui ne soupçonnent même pas que leur enfant peut être la victime d'un enlèvement par un parent, et probablement une meilleure supervision de nos sorties lorsque des parents quittent le pays. Nous pouvons superviser les sorties afin d'empêcher les enfants d'être exposés au risque d'un enlèvement par un parent avant qu'ils quittent effectivement le pays.

La présidente : Merci beaucoup de votre exposé.

Nous passons maintenant au Centre canadien de protection de l'enfance. Je crois comprendre que Mme McDonald interviendra en premier.

Lianna McDonald, directrice exécutive, Centre canadien de protection de l'enfance : Je tiens à vous remercier de l'occasion que vous nous donnez de comparaître devant vous aujourd'hui pour éclairer le travail important de votre comité. Le Centre canadien de protection de l'enfance est un organisme de bienfaisance enregistré dont la mission est d'accroître la sécurité personnelle des enfants et de réduire le nombre d'enfants portés disparus et exploités. Ma collègue Christy Dzikowicz, directrice, Services en cas de disparition d'enfant, m'accompagne.

Dans mon témoignage, j'aborderai rapidement les répercussions de l'enlèvement d'enfants par un parent et je vous présenterai ensuite quelques-unes des principales recommandations que nous soumettons à votre examen. Nous espérons vous faire part de l'expérience de notre organisme auprès des familles d'enfants disparus, expérience acquise depuis 29 ans.

Le travail de notre organisme consiste à appuyer les familles dont des enfants sont portés disparus et à assurer la liaison avec les services policiers et d'autres intervenants pour retrouver en toute sécurité ces enfants et les restituer à leurs tuteurs légaux. Notre équipe de chargés de cas qualifiés offre ses services gratuitement 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

La prévention et le traitement des cas d'enlèvement international d'enfants n'est ni simple, ni facile. En plus d'avoir une incidence sur la famille nucléaire, les enlèvements d'enfants par un parent représentent d'importants coûts financiers et sociaux pour la société canadienne dans son ensemble. Lorsqu'un enfant est illicitement enlevé, il n'est pas tout simplement soustrait à ses parents, il est déplacé de son foyer, de ses amis, de sa communauté établie. Lorsqu'un enfant est enlevé, le parent qui en est privé est confronté à la lourde tâche, pour retrouver son enfant, de se débrouiller dans les systèmes complexes mis en place, qui bien souvent se chevauchent et portent à confusion.

Souvent, le premier contact se fait avec les services policiers, pour apprendre rapidement qu'ils ne sont qu'un élément de l'équation. Il existe une foule d'autres processus qu'il faut engager et la plupart des gens ne saisiront pas pleinement ces complexités. Dans la plupart des cas, il faudra consulter l'autorité centrale et un avocat dans tous les pays en cause.

Le parent qui vit un stress important sera la personne qui a le plus à perdre, mais qui pourtant est souvent la moins bien informée. Pour la plupart, ils n'auront jamais vécu une telle chose et ils sont souvent mal équipés pour reconnaître à quel moment des erreurs tactiques sont commises.

Outre les répercussions sur le parent et l'enfant, il y a des enjeux auxquels il faut s'attaquer. En vertu de la convention sur les enlèvements, le temps presse pour le parent victime. Le parent doit rapidement faire intervenir les services policiers, obtenir de la cour les ordonnances nécessaires et collaborer avec l'autorité centrale pour remplir les formulaires nécessaires afin d'engager les procédures fondées sur la convention de La Haye.

Le temps est un facteur important. Si la requête n'est pas présentée dans l'année qui suit, les tribunaux peuvent refuser le retour de l'enfant pour le motif que ce dernier est établi dans un nouveau milieu.

Malheureusement, de nombreuses raisons expliquent pourquoi un retour rapide de l'enfant est difficile. Il y a le problème de déterminer où se trouve l'enfant, des changements en ce qui concerne le service policier et les défis reliés au premier contact, et les policiers peuvent même être réticents à intervenir en l'absence d'une ordonnance d'un tribunal sur la question de la garde.

Les familles qui ont besoin de l'aide juridique ou d'un soutien juridique sont parfois confrontées à des attentes prolongées. Il y a une confusion quant aux rôles et responsabilités parmi les divers intervenants, et des obstacles linguistiques qui peuvent nuire à la communication. Parmi les autres problèmes, mentionnons un manque d'uniformité entre les pays signataires de la convention de La Haye au chapitre de l'interprétation et de l'application des exceptions prévues à l'article 13 quant au retour de l'enfant. Même dans un pays signataire, ce qui constitue un risque grave dans un scénario ne sera pas perçu comme tel dans un autre pays. En outre, bien qu'il soit important de tenir compte du point de vue de l'enfant, il existe bien des facteurs, notamment l'influence du parent avec lequel l'enfant habite, et il faudrait en tenir compte.

De nouvelles procédures concernant la garde constituent un autre problème. Bien que l'objectif déclaré de la convention de La Haye sur les enlèvements est que l'enfant soit retourné au pays qui est le mieux placé pour aborder les questions de garde et d'accès, dans de nombreux cas, nous voyons d'autres pays fonder leurs décisions sur la garde.

En conclusion, notre organisme aimerait soumettre trois recommandations à votre examen. La première est d'accorder la priorité à l'information des professionnels qualifiés qui jouent un rôle direct dans la question — autorités centrales, services policiers, avocats en droit de la famille, juges, Services frontaliers du Canada — quant à la portée du problème, aux bonnes pratiques, aux défis et aux options. Nous devons renseigner les parents inquiets qui craignent que leurs enfants soient enlevés. Ils doivent comprendre leurs droits, les mesures de prévention à prendre, ce qu'il faut rechercher et les services qui leur sont effectivement offerts.

Deuxièmement, nous devons reconnaître et solutionner les défis et les difficultés auxquels les parents délaissés sont confrontés. Par exemple, nous devons fournir des guides accessibles et compréhensibles qui expliquent étape par étape les mesures à prendre ou à envisager, y compris les droits des parents délaissés et les ressources disponibles. Nous devrions examiner la possibilité de mettre en œuvre des ressources financières et autres pour aider les parents dans le processus de recherche et de réunification.

Finalement, nous devons renforcer la coopération et l'interprétation à l'échelle internationale de la convention de La Haye entre les États membres afin de coordonner des réseaux de communication efficaces, d'établir des systèmes visant à résoudre les différends et à offrir la médiation des programmes nationalistes, d'établir des systèmes internationaux de rapports afin de créer une reddition de comptes, d'établir l'uniformité et l'interprétation dans le respect des lignes directrices et, finalement, de créer des réseaux pour établir la communication entre les États signataires et non signataires.

Je cède maintenant la parole à Mme Dzikowicz qui vous présentera un cas d'espèce afin de souligner la position de notre organisme.

Christy Dzikowicz, directrice, Services en cas de disparition d'enfant, Centre canadien de protection de l'enfance : J'aimerais aborder les répercussions dévastatrices et durables sur les enfants et les familles de l'enlèvement par un parent. Dans un exemple, notre organisme a travaillé étroitement avec un père qui a recherché sa fille pendant 18 ans. Au cours de cette période, il a voyagé pour suivre lui-même des pistes; il a engagé des avocats et des détectives privés et il s'est absenté du travail. Il vous dirait que les pertes financières considérables n'étaient que le début.

Décrivant lui-même la réalité, voici ce qu'il a dit :

Vous voulez mourir, mais vous continuez à vivre tout en endurant des souffrances inimaginables. Attendre une journée de plus est trop long lorsque votre fille est disparue. Se faire dire par des organismes ou des policiers « nous y jetterons un coup d'œil la semaine prochaine » semble toujours être une attente déraisonnable.

Nous devons tous nous rappeler que vivre dans une situation de crise perpétuelle est la réalité pour la plupart des parents qui cherchent leurs enfants. C'est ce qu'ils ressentent lorsque nous leur demandons de naviguer les processus complexes nécessaires pour essayer de retrouver leurs êtres chers. Dans cet exemple, la fille a finalement été retrouvée, mais le dommage est presque inexplicable. Voici ce qu'il a dit :

Le dommage causé par ce crime est permanent. Les souvenirs d'enfance qu'il aurait dû y avoir ne le seront jamais. Le lien entre une fille et son frère, une fille et son père, ne peuvent pas être rétablis et ramenés dans le temps. Dans notre cas, la restitution n'existe pas. Nous ne pouvons pas importer des souvenirs de rituels familiaux, les longues discussions, les périodes des Fêtes et les premières de toutes sortes.

En définitive, l'enlèvement d'un enfant de son foyer et de sa communauté peut provoquer une perturbation dans son enfance qui peut avoir des répercussions pendant de nombreuses années après la réunification. Ce n'est qu'un exemple, mais il est un reflet de ce que nous voyons trop souvent dans le cas des familles que nous aidons.

Merci de nous avoir invitées.

La présidente : Merci beaucoup de vos trois exposés. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de commencer par Mme Arcamone. Vous avez présenté des statistiques et je n'étais pas certain du contexte. Vous avez mentionné 478, puis vous avez fait une répartition entre mères et pères. Que représente ce nombre?

Mme Arcamone : Ce sont les statistiques que nous avons compilées à Enfant-Retour Québec au cours des 27 dernières années. En tout, nous sommes intervenus dans 341 affaires d'enfants disparus. Il s'agit de cas d'enfants enlevés par un membre de la famille, mais ils touchent en réalité 478 enfants parce que dans de nombreux cas, l'enlèvement concerne deux, trois et parfois quatre enfants. Ce sont les statistiques que nous avons compilées au sein de notre organisme afin de mieux comprendre le phénomène de l'enlèvement par un parent et afin d'examiner des mesures possibles pour empêcher que ces situations ne surviennent pour commencer.

Le sénateur Eggleton : Vous avez dit que 142 cas concernaient les mères et que 199 concernaient les pères. Qu'en est-il des autres? Y a-t-il d'autres personnes mêlées à ces enlèvements?

Mme Arcamone : Nous avons eu quelques cas de grands-parents qui enlevaient les enfants. C'est toujours un membre de la famille.

Le sénateur Eggleton : Pour ce qui est du retour de ces enfants dans leur résidence habituelle, quel est votre taux de réussite? Soit que le retour se faisait de façon volontaire, soit qu'il l'était sur ordonnance d'un juge. J'essaie d'avoir une idée du taux de réussite du retour d'enfants et aussi du temps qu'il faut, en moyenne, pour le retour de l'enfant. Il y a quelques instants, on a parlé d'un cas où il a fallu 18 ans. Je suis certain que ce n'est pas la moyenne, du moins je l'espère.

Mme Arcamone : Nous avons eu des cas où il a fallu plus de temps.

Le sénateur Eggleton : Vraiment.

Mme Arcamone : Plus de 90 p. 100 des cas ont été réglés. Pour ce qui est des 10 p. 100 restants, nous avons probablement une bonne idée de l'endroit où se trouvent les enfants, et la plupart des enfants qui n'ont pas encore été réunis avec leur famille se trouvent dans des pays non membres de la convention de La Haye. Nous avons retrouvé les enfants. Jusqu'à aujourd'hui, nous avons un cas d'enfant disparu où nous n'avons vraiment aucune idée de l'endroit où se trouvent le père et le fils. J'ai avec moi un rapport très exhaustif que nous avons compilé et que je suis disposée à remettre à votre comité.

Le sénateur Eggleton : Je serais ravi de l'avoir; j'aimerais le consulter.

Mme Arcamone : Encore une fois, ce sont toutes des statistiques internes. Je tiens tout simplement à vous rappeler qu'il s'agit de statistiques internes provenant de notre province.

Le sénateur Eggleton : Du Québec.

Mme Arcamone : Notre organisme, oui.

Le sénateur Eggleton : Je n'ai pas encore consulté de renseignements statistiques au sujet du Canada. Nous avons eu la semaine dernière M. Ernie Allen, de l'organisation internationale. Il nous a remis des statistiques, mais je n'en vois quand même pas beaucoup. Pour avoir une idée de l'ampleur du problème dans tout le pays, combien d'enfants sont enlevés, ou combien le sont par année? Combien d'enlèvements viennent d'ailleurs? C'est une réponse que j'aimerais aussi avoir et quels sont les taux de réussite de réunification de ces enfants avec leur parent dans la résidence habituelle. Est-ce que quelqu'un a ce genre d'information pour le Canada tout entier?

Mme McDonald : J'aimerais simplement vous faire remarquer, monsieur le sénateur, que cette question est très pertinente et importante. Pendant des années, la GRC a recueilli des statistiques tirées des rapports du Centre d'information de la police canadienne, et elle a réparti par catégorie le nombre de cas d'enfants disparus qui étaient résolus. Pendant plusieurs années, la GRC a fait un suivi des cas qui seraient signalés. Encore une fois, il s'agit uniquement de rapports de police concernant les enlèvements par un parent; nous pouvons donc recueillir cette information ou faire la demande et la présenter.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de vous poser une question au sujet de la prévention, car il en a été passablement question ce soir.

La sénatrice Andreychuk : Sénateur, pourrais-je poser une question supplémentaire relativement aux faits?

Le sénateur Eggleton : Bien sûr.

La sénatrice Andreychuk : L'enlèvement d'enfants pourrait se faire d'une province à une autre, d'une ville à une autre ou d'un pays à un autre; ainsi, lorsque vous dites que le CIPC l'a, qu'a-t-il au juste? S'agit-il des personnes qui ont signalé la disparition d'un enfant, car je sais que vous faites un excellent travail concernant les enfants disparus, et non pas les enlèvements. J'essaie d'avoir des données sur les enlèvements d'enfants, en tant que catégorie, sans tenir compte des enfants disparus. Ensuite, existe-t-il une collecte de données par province et au sein de la province parce que nous connaissons tous le problème du CIPC d'un bout à l'autre du Canada. Ce n'est que tout récemment qu'il a commencé à communiquer les renseignements concernant les enquêtes criminelles. Nous savons que nous n'avons aucun contrôle de sortie de sorte que nous ne savons pas combien d'enfants quittent effectivement le pays. Vraisemblablement, lorsque des enfants arrivent au pays, nous ne savons pas s'ils sont légalement avec le parent ou s'ils ont été enlevés de sorte que c'est un aspect très difficile. Que disiez-vous penser pouvoir fournir?

Mme McDonald : Pendant plusieurs années, notre programme des enfants disparus a publié des rapports qui, je suppose, seraient des rapports provenant du CIPC. Je ne peux pas vous dire avec certitude s'il s'agit ou non d'accusations criminelles réelles ni comment les policiers consignent ces données, mais historiquement c'est l'organisme national qui s'est efforcé de recueillir des rapports et des données.

Vous avez parfaitement raison au sujet de la différence entre un enlèvement et un rapport d'enfant disparu. Dans le système de catégorisation utilisé, il y aurait une ventilation des enfants disparus et on examinerait s'il s'agit de fugues ou de départs volontaires. On examinerait aussi les cas d'enlèvement par un étranger ou une personne qui ne fait pas partie de la famille, puis on examinerait les données sur les enlèvements par un parent dans ces statistiques.

La sénatrice Andreychuk : Nous pourrions envoyer une lettre à la GRC — à son quartier général — afin de déterminer quelles sont les statistiques recueillies et ce qu'on pourrait nous remettre.

La présidente : La GRC comparaîtra. Nous lui poserons alors la question.

La sénatrice Andreychuk : Pouvons-nous lui dire tout d'abord ce que nous recherchons?

La présidente : Absolument.

Le sénateur Eggleton : Merci, chère collègue, d'avoir posé cette question supplémentaire.

La présidente : La sénatrice Unger a une question supplémentaire.

Le sénateur Eggleton : Très bien. Nous sommes sur une lancée.

La sénatrice Unger : Ma question a trait au témoignage de Mme Arcamone. Vous avez dit que 90 p. 100 des cas ont été réglés. Je me demande ce que cela veut dire. Est-ce que l'enfant, dans certains cas, ou l'adulte, dans d'autres, est réuni avec sa famille? Pouvez-vous nous dire ce que cela signifie?

Mme Arcamone : La plupart de ces cas sont réglés avec succès dans les premiers jours ou les premières semaines de la disparition. Ces enfants ont été réunis avec les parents qui les recherchaient, mais pour plusieurs enfants nous n'avons aucune idée de l'endroit où ils se trouvent et les parents sont confrontés à une multitude de défis pour essayer de retrouver leurs enfants et de comparaître devant des tribunaux dans divers pays. Même si ces enfants ont été réunis avec leur parent, en ce qui concerne le parent délaissé, lorsqu'il est réuni avec ses enfants, la crainte que l'enfant soit enlevé de nouveau est une crainte réelle, tangible, et une source d'angoisse pour ce parent. C'est dans de telles situations que nous estimons que la prévention doit intervenir afin d'essayer d'empêcher un deuxième ou un troisième enlèvement par certains de ces parents.

Le sénateur Eggleton : Nous avons eu des questions supplémentaires, et j'en suis reconnaissant. Je pense qu'elles tombent dans le mille.

Ma deuxième question porte sur la prévention. Le mot a été beaucoup mentionné ce soir. Quelqu'un a mentionné qu'il y avait deux catégories de prévention — sensibilisation et supervision des sorties, supervision des sorties signifiant contrôle des passeports et des choses du genre. Avez-vous d'autres idées à ce sujet? À notre dernière réunion, nous avons accueilli des représentants des Affaires étrangères et je n'ai pas eu l'impression qu'ils pensaient qu'il y avait grand-chose à faire. Peut-être que cela m'a échappé.

L'autre est la sensibilisation. Je me demande comment on pourrait s'y prendre sur le plan pratique. Lorsqu'il y a une séparation ou une entente de divorce entre des parents et qu'une décision est rendue quant à la garde par le biais d'une entente, ou, comme dans le cas de M. Watkins, par une ordonnance d'un tribunal, mentionne-t-on à ce moment-là quelque chose comme : « Nous tenons à vous rappeler que vous ne pouvez pas emmener l'enfant à l'extérieur du pays, et ce, conformément aux dispositions de la convention de La Haye »? Cela pourrait faire partie du processus d'éducation. Toute précision sur la prévention nous serait utile.

Mme Dzikowicz : Nous croyons qu'il serait très utile de sensibiliser tout un éventail de professionnels en matière de prévention. Il faudrait notamment renseigner les avocats spécialisés en droit de la famille qui s'occupent de différends relatifs à la garde de façon à ce qu'ils puissent renseigner leurs clients quant à cette éventualité.

Je pense que le cas de Stephen est rare dans un sens, mais non dans d'autres. Il est rare en ce sens qu'il était toujours très au courant des risques, mais malheureusement, nous n'avons quand même pas pu empêcher l'enlèvement. Dans la plupart des cas des familles dont nous nous occupons, la situation les prend de court. Le parent ne s'attendait jamais à ce qu'une telle chose se produise. Les parents sont peut-être en instance de divorce et ils ont consenti à une vacance, sans jamais penser que l'enfant ne reviendrait pas. Je pense donc que nous devons intensifier nos efforts de sensibilisation auprès des gens, et cela par l'intermédiaire d'un éventail d'intervenants. Nous avons des systèmes qui traitent de la violence familiale grâce auxquels nous pourrions informer les clients qu'il y a un risque accru ou une probabilité dans le cas de cette population à risque élevé.

Nous pourrions renseigner les Services frontaliers du Canada dans un but de prévention et les sensibiliser aux risques ou aux comportements et nous pourrions faire de même pour les services d'application de la loi, aussi dans un objectif de prévention. Il y a des parents qui menacent d'enlever leur enfant si l'autre parent ne se conforme pas. Nous devons nous assurer de prendre au sérieux ces menaces et nous assurer que les intervenants sont conscients des risques que cela représente.

M. Watkins : C'est d'ailleurs l'un des aspects sur lesquels nous nous concentrons en tant que parents aux prises avec ce problème. Ce sont les appels que nous recevons. Les gens nous appellent à iCHAPEAU pour nous demander : « Que puis-je faire pour empêcher l'enlèvement de mon enfant? »

Je conviens qu'il faut faire de l'éducation ici, au Canada, à tous les niveaux car tout cela s'enchaîne.

Si les policiers ne sont pas informés de la façon de composer avec les enlèvements internationaux ou les enlèvements, s'ils ne sont pas convaincus et s'ils ne font pas enquête, alors rien ne se produit. Ils reçoivent ensuite les directives des procureurs de la Couronne. Si ces derniers ne disent pas : « Prenez une ordonnance », les policiers ne feront pas leur travail. Plus souvent qu'autrement, les parents diront que leur enfant a été enlevé. Ils communiquent avec la police mais cette dernière n'en tient pas compte. Il y a beaucoup de cas comme celui-là; il faut donc faire de l'éducation à tous les niveaux.

Une proposition que nous ferions se trouve déjà dans une loi américaine. J'espère que vous aurez l'occasion de lire tout mon mémoire car...

La présidente : Chers collègues, nous avons le mémoire de M. Watkins, mais comme il est seulement en anglais, nous ne vous l'avons pas remis. Nous prendrons les mesures appropriées, puis nous vous le ferons parvenir.

M. Watkins : Une proposition que nous ferions est une loi aux États-Unis, et c'est une liste de vérification à l'intention des juges. Cela semble bizarre, mais la loi amène le juge qui examine un dossier à faire une liste de vérification des risques élevés. Le CIPC publie une liste des facteurs à risque élevé, mais nous ne l'utilisons pas dans notre système. Ainsi, si vous aviez une liste de vérification à l'intention des juges et s'il y a, par exemple, une menace d'enlèvement, c'est une première coche. La liste comporte 17 points. Si 16 d'entre eux sont cochés, le risque est élevé. Lorsque le risque est élevé, que faisons-nous?

Cette loi aux États-Unis indique au juge qu'il doit prendre les mesures suivantes. Si le juge le fait, il est donc informé et les procureurs de la Couronne le sont aussi. Quand ces derniers sont informés, les policiers le sont à leur tour.

C'est une drôle façon de procéder, mais de nombreux parents disent que les policiers n'ont pas agi parce que le procureur de la Couronne leur a dit de ne pas s'en occuper. Nous devons donc faire cette éducation dans les deux sens en même temps, mais pour ce faire, il faut présenter une loi. Je propose que le Centre d'information de la police canadienne ait une liste des risques. Ayons-y recours. Mettez le papier de côté et faites-en une loi qui fonctionne.

Un autre élément est que je présenterais un autre programme qui vient des États-Unis, le Prevent Departure Program. Le Canada et les États-Unis partageaient très peu de bases de données, mais celle du NCIC l'était.

Comment obtenons-nous que le nom d'un enfant soit inscrit dans cette base de données de la police, qui est partagée par les deux pays? Les États-Unis ont le Prevent Departure Program et dès que la liste de vérification du juge indique qu'il y a un risque élevé, le nom d'un enfant peut être inscrit dans une base de données des personnes interdites de vol. Cette base de données est également consultée par les sociétés aériennes et le nom de l'enfant s'affiche aux passages frontaliers. Si un parent enlève l'enfant et se rend dans un autre État, il ne peut pas prendre l'avion.

Supposons que nous avons le Prevent Departure Program ici au Canada. Mes fils ont été enlevés, puis emmenés aux États-Unis où ils ont pris l'avion. Si nous avions eu le programme ici et si nous avions relié les deux programmes ensemble — il ne s'agit pas de renseignements sensibles, c'est tout simplement une liste de noms d'enfants visés par une ordonnance du tribunal —, alors les enfants qui arrivent aux États-Unis ne peuvent pas prendre l'avion et les enfants américains qui viennent au Canada ne peuvent pas non plus prendre l'avion.

Ce que nous proposons par l'entremise de l'iCHAPEAU Association, ce sont des idées qui donneront des résultats, des idées qui sont mises en œuvre et certaines de ces idées sont mises en œuvre en raison d'autres parents privés de leurs enfants.

La sénatrice Andreychuk : Il me semble que les trois groupes nous disent qu'il nous faut plus de renseignements et que la prévention est la solution, mais la convention de La Haye se fonde sur le fait que l'on sait qu'il existe une convention. C'est beaucoup plus guérir que prévenir. La prévention est une situation très difficile. Il me semble que si nous voulons recourir principalement à la prévention, l'information devrait être reliée davantage au fait de marier une personne d'un autre pays. Essentiellement, c'est de cela qu'il s'agit. Si vous entretenez des relations avec une personne d'un autre pays. Vous courez le risque additionnel que cela puisse se produire. Évidemment, la plupart des gens qui entretiennent de telles relations ne veulent pas entendre parler d'aspects négatifs à ce moment-là. Ils sont follement en amour et veulent se marier, et ils ne pensent pas à cela.

Il me semble qu'il faut informer tous les professionnels qui doivent composer avec des personnes en situation de rupture, mais déjà là, c'est un peu trop tard. J'aimerais commencer par les deux groupes en vidéoconférence, puis revenir à M. Watkins. Où commence la prévention?

Mme McDonald : Le point que vous soulevez, madame la sénatrice, est très précis. En ce qui concerne notre organisme, nous commençons, par l'intermédiaire de notre site web missingkids.ca, à fournir une multitude de renseignements sur les facteurs de risque, les aspects préoccupants à surveiller.

Quant à ce que vous dites, je pense que le problème réel est que dans bien des cas, les gens ne veulent pas penser que la personne avec qui ils ont des enfants va un jour les enlever. Ce n'est pas facile, mais c'est un aspect auquel il faut songer très tôt à des fins de prévention, et il faut que les gens commencent à y songer.

Pour ce qui est des renseignements que nous fournissons, nous soulevons différentes questions à examiner à l'intention des personnes qui commencent à vivre des ruptures familiales ou des problèmes dans leur réseau familial. L'un des points que nous aborderions, c'est lorsqu'un parent vient d'un autre pays, qu'il a laissé un réseau complet d'autres membres de la famille et qu'il est peut-être désenchanté du rêve canadien ou que la relation amoureuse bat de l'aile. Nous essayons de poser quelques-unes de ces questions et de donner quelques renseignements utiles sur ce qu'il faut faire. Mais encore une fois, si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, ce sont les défis inhérents à ce que nous pourrions faire très tôt pour éviter que cette situation ne survienne.

Mme Arcamone : Notre organisme a publié quelques brochures, en français et en anglais. L'une d'elle est intitulée Quand le kidnappeur est un parent. Nous essayons de sensibiliser différents groupes communautaires. On nous invite souvent à prendre la parole dans des refuges pour femmes et d'autres organismes de protection de l'enfance. Nous essayons donc de faire la prévention à ce niveau, en travaillant avec les groupes qui peuvent être plus à risque et nous parlons de ce phénomène, de ce qui peut être fait. S'ils ont des parents à risque, nous prenons le temps de discuter avec eux, car chaque cas est très complexe. Nous disons au parent quels sont ses droits au Canada et quels seraient ses droits dans un pays étranger.

M. Watkins : J'aimerais vous parler d'une autre loi, de la Floride cette fois-ci, HB 1012. Je sais qu'en Ontario, lorsque des parents amorcent une procédure de divorce, vous devez absolument suivre un cours qui dure des heures et des heures. La loi de la Floride dont je vous parle recommande essentiellement de consacrer 15 minutes du cours aux raisons pour lesquelles vous n'enlevez pas vos enfants et aux répercussions de l'enlèvement sur vos enfants.

Dès le départ, si nos tribunaux obligent les gens à suivre un cours, pourquoi ne pas y intégrer un volet de 15 minutes pour traiter de l'enlèvement d'enfants et des répercussions de l'enlèvement d'enfants? C'est précisément ce que la Floride a fait dans le cadre de l'un de ses programmes qui connaît du succès et nous vous recommanderions de faire la même chose ici.

La sénatrice Hubley : Je pense que vous avez tous dit qu'il est important d'avoir une meilleure formation et une plus grande sensibilisation de la part des travailleurs de première ligne. Vous avez mentionné les procureurs de la Couronne, les juges, les avocats, l'Agence des services frontaliers du Canada et la police. Tout d'abord, d'après vous, de qui relève la réalisation d'un tel programme?

Deuxièmement, est-ce que votre organisme a déjà participé à un programme quelconque de formation pour l'un des groupes mentionnés?

M. Watkins : Notre organisme vient d'être créé. De notre point de vue, nous nous demandons comment le faire? Nous ne sommes pas des avocats. Nous ne sommes pas le gouvernement. Nous sommes à la recherche d'idées fructueuses un peu partout dans le monde, de lois qui fonctionnent et qui sont mises en œuvre. Encore une fois, croyez-le ou non, certains de ces textes législatifs ont été rédigés par d'autres parents privés de leurs enfants. Comme je l'ai mentionné auparavant, nous informons un juge et nous présentons une liste de vérification à l'intention des juges. Nous espérons que tout cela se rendra jusqu'à la police.

Nous trouvons des idées. Si nous n'en trouvons pas, nous en présentons qui ne sont pas des approches symboliques.

Mme Arcamone : Au Québec, chaque année, les partenaires du programme des enfants portés disparus se réunissent et discutent du problème plus large des enlèvements d'enfants par un parent. L'une des activités que nous menons tout au long de l'année, ce sont des rencontres entre les parents et les différents corps policiers municipaux au Québec. Nous donnons de la formation relativement à l'enlèvement d'enfants par un parent. Nous parlons de ce que les enfants peuvent vivre, et nous invitons d'autres partenaires à se joindre à nous, les divers organismes de protection de l'enfance qui peuvent recevoir les parents lorsqu'ils sont sur le point de revoir les enfants, ainsi que des travailleurs sociaux, et cetera. Nous estimons que cette démarche est efficace, mais il faut donner de la formation, et ce, de façon permanente. Malheureusement, les ressources sont limitées.

Mme McDonald : Si nous étions honnêtes avec nous-mêmes, nous dirions que nous ne sommes même pas près d'être là où nous devrions être. Votre comité crée une excellente occasion de vraiment faire preuve de leadership et de trouver tous les intervenants directement touchés — non seulement cela, mais qui possèdent un savoir-faire différent chacun dans sa sphère de compétence pour parler de quelques-uns des défis et des problèmes et finalement avoir un point de vue pluridisciplinaire : comment pouvons-nous travailler ensemble pour informer les gens en différents points de l'équation?

Nous traitons tous avec le public ou avec des parents préoccupés à différentes étapes. Quant à moi, il y a encore beaucoup à faire. Nous devons faire preuve de plus de leadership à ce sujet et nous devons mieux coordonner nos efforts.

La présidente : Monsieur Watkins, madame Arcamone, madame McDonald et madame Dzikowicz, je tiens à vous remercier de vos exposés. Comme vous pouvez le constater, nous venons tout juste d'amorcer ce processus et vous avez donné une dimension humaine à ce que nous avions entendu plus tôt. Nous espérons travailler avec vous à l'avenir. Merci beaucoup.

Je souhaite maintenant la bienvenue, à titre personnel, à Max Blitt, associé, International Academy of Matrimonial Lawyers, et à Carol Bruch, professeure émérite et professeure de recherche, Faculté de droit, Université de la Californie.

Pourrais-je vous demander de vous en tenir à des exposés de 10 à 12 minutes? Nous avons beaucoup de questions à vous poser.

Max Blitt, associé, International Academy of Matrimonial Lawyers, à titre personnel : Merci, et bonsoir à vous, madame la présidente et honorables membres du comité. Je m'appelle Max Blitt. Je suis un avocat de pratique privée auprès du cabinet Spier Harben à Calgary, en Alberta.

Je m'occupe d'enlèvements d'enfants depuis la fin des années 1970, avant la mise en œuvre de la convention de La Haye sur l'enlèvement international d'enfants. Lorsque j'ai commencé dans ce domaine, et lorsque la convention de La Haye a été mise en œuvre au Canada et dans chacune des provinces, nous avions peut-être un ou deux cas par année. Ces dernières années, nous en avons presque une douzaine par année. J'attribuerais cette situation à plusieurs facteurs, dont la mondialisation, où nous avons des personnes et des familles qui parcourent le monde à la recherche d'emplois. Calgary, plus particulièrement, avec son industrie pétrolière et gazière, attire beaucoup de travailleurs internationaux. Si vous ajoutez à cela que nous avons beaucoup de mariages multinationaux, interculturels et interreligieux et un taux de divorce d'au moins 40 p. 100, vous avez la recette parfaite pour un enlèvement lorsque le mariage se désintègre.

Que peut-on faire pour réagir efficacement au nombre croissant d'enlèvements d'enfants? Lorsque je parle d'enlèvements d'enfants, je fais référence aux enlèvements par un parent.

Je m'implique davantage au niveau de l'éducation et de la prévention. C'est bien beau d'avoir la convention de La Haye, mais c'est un peu comme d'essayer de contenir les vaches une fois qu'elles ont quitté l'enclos. C'est un peu tard. Nous disposons d'un traité qui nous aidera à retrouver les enfants, mais dans la mesure du possible, nous devrions nous concentrer sur la prévention des enlèvements d'enfants. Nous pouvons y parvenir en informant les gens — lorsque je parle de gens, je veux dire les membres du public — et il y a d'excellents outils mis à notre disposition sur le site web du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du gouvernement du Canada.

Nous devons également informer ceux qui œuvrent dans le système juridique. Le nombre d'enlèvements d'enfants dont les tribunaux sont saisis n'est pas aussi élevé que les autres types de cas liés au droit de la famille. Il n'est donc pas évident pour les avocats de savoir dans quel type de cas il serait préférable de recourir à la convention de La Haye. Nous devons donc informer les avocats; nous devons informer les juges; nous devons informer les autres membres du système, ce qui comprendrait les services policiers, quant à ce qui est important pour éviter au départ un enlèvement, et ce qu'il faut faire lorsqu'il y a eu un enlèvement.

La législation est un autre aspect qui, d'après moi, mérite notre attention. Les États-Unis ont une loi uniforme qui traite de la prévention de l'enlèvement d'enfants. Le Canada ressemble davantage à une mosaïque de lois, quoique le Manitoba a une loi d'exécution des droits de garde des enfants, que j'ai essayé de promouvoir en vue d'une réforme dans ma province, l'Alberta. Comme vous le savez, une loi ne s'adopte pas aussi rapidement que nous le voudrions.

Il s'agit d'un aspect sur lequel nous devons nous pencher. Donnez aux juges les outils pour effectivement prévenir les enlèvements ou pour récupérer les enfants après un enlèvement.

Je crois qu'il s'agit aussi d'un travail important pour les organismes sans but lucratif. Je pense que vous avez déjà entendu les représentants de la Missing Children Society of Canada, avec qui j'entretiens des liens étroits. Ils nous aident à récupérer les enfants enlevés. Je travaille avec eux depuis le début des années 1980.

Qu'en est-il de la convention de La Haye? Premièrement, je vais être très clair et dire qu'elle n'a rien à voir avec l'intérêt supérieur de l'enfant. On suppose que si les enfants retournent dans leur résidence habituelle, c'est la compétence pertinente pour déterminer la garde et l'intérêt supérieur de l'enfant. Donc, la convention de La Haye sert en réalité à définir la compétence qui déterminera la garde.

J'ajouterais que plus il y a eu de cas liés à la convention de La Haye en Alberta — et je sais que l'Ontario et la Colombie-Britannique ont un nombre important de cas liés à la convention de La Haye —, plus le système judiciaire s'est familiarisé avec la convention. Je crois que vous avez déjà entendu le juge Chamberland, de la Cour d'appel du Québec, qui est l'un de nos juges de liaison internationaux. J'ai travaillé avec lui par le passé.

Je dirais que la convention donne de très bons résultats lorsqu'il s'agit du Canada, des États-Unis, de l'Angleterre, de l'Australie, des pays qui semblent avoir les ressources et la formation judiciaire pour vraiment faire fonctionner la convention de La Haye. Ce n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de pays comme le Mexique, la Turquie et quelques autres pays européens. La raison de cette situation est que certains de ces autres pays n'ont pas les ressources pour mettre en place les mécanismes nécessaires au recours à la convention de La Haye. De plus, l'attitude de certains pays est telle qu'elle favorise habituellement un ressortissant qui revient dans son pays après avoir enlevé son ou ses enfants; de ce fait, ces pays ont une mauvaise compréhension de la convention de La Haye et de la façon dont elle devrait opérer.

Comment pouvons-nous améliorer le fonctionnement de la convention de La Haye? Une façon est que des avocats et des membres de la magistrature se rendent dans les autres pays qui viennent tout juste d'accéder à la convention et leur donnent une formation et de l'aide, puis de permettre à ces pays de bien faire fonctionner la convention de La Haye à mesure que leurs tribunaux sont saisis de cas qui y sont liés.

J'ai eu la chance de travailler avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international dans le cadre d'un groupe d'étude qui s'est rendu au Japon en 2009 et en 2010, et de travailler aussi avec les États-Unis, l'Angleterre et quelques autres pays. Je suis heureux de dire que le Japon a officiellement approuvé le 1er avril de cette année la convention de La Haye. Évidemment, il reste à voir comment il l'appliquera.

Il ne fait aucun doute que nous pouvons former les avocats et les membres de la magistrature dès le début de la mise en œuvre de la convention de La Haye dans ces pays.

J'ai également eu l'occasion de récupérer des enfants dans des pays qui ne sont pas signataires de la convention de La Haye, notamment la Chine, le Bangladesh, le Liban et l'Égypte. Il est possible de récupérer des enfants dans ces pays, mais il faut l'aide de juges de notre pays, de personnes des services consulaires dans le pays où les enfants ont été emmenés et qui ne sont pas signataires de la convention de La Haye.

J'ai quelques suggestions en vue d'une réforme future. L'une d'elles serait la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. D'après de récents cas auxquels j'ai participé devant la Cour d'appel de l'Alberta, et un récent cas devant la Cour suprême du Royaume-Uni, anciennement la Chambre des Lords, je crois que ces pays disent que nous devons tenir compte des objections des enfants qui ont atteint un certain âge et un certain degré de maturité.

Pour cela, il faut des ressources comme des psychologues et des travailleurs sociaux qui parlent au nom des enfants en raison des exigences des tribunaux relativement à ces preuves. Dans une affaire récente où je représentais un enfant arabe musulman de Jérusalem-Est, j'ai pu constater personnellement que nos tribunaux ont dit que c'est ce qu'il fallait faire.

Quant au cas britannique que j'ai mentionné, la Cour suprême du Royaume-Uni en a été saisie et le cas concernait l'Espagne et l'Angleterre.

Je recommanderais aussi la mise en œuvre de la convention de La Haye de 1996, qui fournirait aux tribunaux les outils pour prendre des mesures d'urgence lorsque des enfants sont enlevés dans un pays signataire de la convention de La Haye.

Finalement, nous savons qu'il y a le Processus de Malte et la médiation. Je ne me rappelle plus dans combien de cas je l'ai fait, mais j'ai suggéré la médiation. Il faut davantage insister sur la médiation parce que les affaires d'enlèvement entraînent inévitablement une relocalisation. Disons que le parent ravisseur s'en va en Angleterre. Il est visé par une ordonnance pour retourner au Canada. Ensuite, il présente une demande pour retourner en Angleterre.

Nous avons un cas où les enfants traversent l'Atlantique aller-retour. Si nous pouvons faire la médiation avant que cela ne se produise, nous réduisons l'incidence psychologique et le préjudice sur les enfants.

Je voulais être bref afin de permettre des questions. Je terminerai donc mon exposé sur ce et je suis prêt à répondre aux questions.

La présidente : Merci beaucoup.

Madame Bruch, vous avez la parole.

Carol Bruch, professeure émérite et professeure de recherche, faculté de droit, Université de la Californie, Davis, à titre personnel : C'est un honneur pour moi de pouvoir vous adresser la parole aujourd'hui. Merci de l'invitation.

Mon objectif aujourd'hui est de vous dire la vérité telle que je la vois et de ne pas vous faire perdre votre temps. Malheureusement, je n'ai pas pu écouter les interventions des autres témoins avant moi, mais j'ose dire qu'une grande partie de mes propos seront nouveaux.

Depuis 30 ans, cette convention est l'objet principal de mes recherches et publications. J'ai assisté aux travaux de chaque commission spéciale pour discuter de la convention, d'abord au nom de la Société internationale du droit de la famille, puis de l'Association de droit international.

Seuls les observateurs d'ONG internationales autorisées peuvent être présents dans la salle. Jusqu'à tout récemment, on les autorisait à participer pleinement aux discussions des membres. Évidemment, ils ne pouvaient pas voter. Si nous avons le temps, j'aimerais que quelqu'un me demande quelle est la situation en ce moment. Des efforts sont déployés pour les exclure totalement.

Aujourd'hui, je dois utiliser le temps limité qui m'est imparti pour mettre en évidence, malheureusement, les sérieux ratés de la convention sur l'enlèvement d'enfants. Heureusement, vous mettez l'accent sur le bien-être des enfants et je pense que ma franchise vous plaira.

Pour moi, l'aspect le plus important est que les rédacteurs de la convention ont créé un régime brillant qui, selon les plus récentes recherches, est précisément ce dont les enfants ont besoin pour se protéger lorsqu'un parent les enlève et les emmène dans un pays autre que leur résidence habituelle. Le problème est que ce régime a été faussé au point que la convention est devenue un moteur de préjudices pour de trop nombreux enfants. Cela veut dire que l'adhésion universelle et la conformité à la convention telle qu'elle est actuellement interprétée par le Secrétariat de la Conférence de La Haye, le Bureau permanent et l'Union internationale des magistrats qu'elle a engendrée pourraient avoir un effet dévastateur. Ce serait l'équivalent d'une baïonnette alors que c'est un scalpel qu'il faut.

Les enfants qui sont victimes de violence familiale ne sont rien de moins que le canarie dans la mine de charbon. En vous en parlant, j'espère rendre mes préoccupations concrètes.

Comme vous le savez, la convention prévoit le retour des enfants illicitement enlevés ou retenus à leur résidence habituelle où un procès portant sur la garde des enfants peut se dérouler si les parties cherchent à obtenir une nouvelle ordonnance de garde. Le problème auquel les rédacteurs ont été confrontés était celui des pères qui enlevaient les enfants à leur mère, mais — et ce point est important puisqu'il a été oublié et ignoré — un tel retour n'est pas autorisé si la personne qui le demande n'a que des droits d'accès, des droits de visite, et non pas la garde. Dans ce cas, la convention aide le parent qui n'a pas la garde à obtenir des droits de visite au nouvel endroit où se trouve l'enfant. Si ce parent veut obtenir la garde, il doit se présenter devant les tribunaux du nouveau domicile de l'enfant, et non pas la demander dans le cadre d'une procédure de retour, ne pas obtenir le retour des enfants dans l'ancienne résidence.

Bref, les rédacteurs ont fait en sorte que les enfants resteraient avec le parent qui leur fournit les soins quotidiens, à moins d'un changement de garde ordonné par un tribunal saisi de l'affaire sur le fond de la garde. Aucune autre perturbation du lieu de résidence de l'enfant ne résulterait d'une ordonnance de retour. À la place, l'enfant et le parent ravisseur qui en a la garde doivent rester là où ils sont tout au long du litige qui oppose les parents, ce qui minimise le nombre de perturbations pour le ménage.

Ce point n'a pas attiré beaucoup d'attention à l'époque, car, en 1980, ce sont principalement les pères qui n'avaient pas la garde qui enlevaient leurs enfants. C'est le groupe auquel les rédacteurs pensaient. Les retours devaient se faire rapidement afin que les enfants se retrouvent avec leur mère, la personne qui prodiguait la plupart de leurs soins.

Mais le monde a changé. Nous savons qu'en moyenne les pères participent plus aux soins de leurs enfants aujourd'hui qu'ils ne le faisaient en 1980, et nous savons que parfois ils, et non les mères, sont les principaux responsables des soins des enfants.

Cependant, la psychologie populaire a tort lorsqu'elle prétend que le bien-être d'un enfant exige beaucoup de temps et un contact continu avec les deux parents. Malheureusement, cette assertion qui vient des défenseurs des droits des pères et qui n'a aucun fondement scientifique est maintenant enchâssée dans la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

De nombreux excellents chercheurs expliquent à la place les différentes façons pour un enfant de pouvoir tirer parti ou de subir un préjudice du contact continu avec les parents qui n'ont pas la garde, parents qui vont d'excellents parents à ceux qui ne devraient même pas avoir un contact indirect avec les enfants. Passer plus de temps avec ses enfants ne crée pas nécessairement de meilleurs liens et, comme un chercheur l'a dit, « le seul stress pendant l'enfance qui soit plus grand qu'avoir deux parents mariés qui se disputent tout le temps est celui d'avoir deux parents divorcés qui se disputent tout le temps. »

Je mettrai à la disposition du comité un mémoire, une opinion d'expert publiée qui a été préparée à la demande de la Cour d'appel britannique par deux professionnels en santé mentale, Sturge et Glaser, et approuvée par la suite par la grande majorité des professionnels dont le point de vue était demandé par un comité du bureau du grand chancelier.

Tant en 1980 que maintenant, la plupart des mères pourvoient aux soins quotidiens de la majorité des enfants. Puisque le temps nous est compté, je parlerai des ravisseurs comme étant les mères et des parents qui ont des droits de visite comme étant les pères.

Commençons par la bonne nouvelle : la convention réussit à décourager les enlèvements par les pères qui n'ont pas la garde vers les pays signataires de la convention. Cependant, ils demeurent les plus susceptibles d'enlever des enfants vers des pays non signataires de la convention, où ils ont souvent les droits de garde du fait de leur sexe. Évidemment, cela devrait inquiéter votre comité puisqu'il examine la relation à adopter, en vertu de la convention, ou en dehors de cette dernière.

La moins bonne nouvelle est que maintenant au moins 70 p. 100 des demandes de retour sont présentées par les pères qui cherchent à obtenir le retour de leurs enfants qui ont été enlevés par leur mère. Que s'est-il passé? Je suis désolée de vous signaler que ce n'est pas principalement parce que ces hommes sont les responsables des soins et que ces mères sont les parents qui ont des droits de visite.

Dans les premières années, les femmes qui retournaient vers leur famille et leur pays d'origine lorsque leur relation échouait ou lorsqu'elles cherchaient à se réfugier afin d'échapper à la violence familiale n'ont jamais été visées par une procédure de retour. Peu importe que les enfants aient été enlevés illicitement, il était absolument évident qu'il n'y aurait pas un retour des enfants en vertu de la convention. Seulement une procédure sur le fond du droit de garde au nouveau lieu de résidence qui transférait la garde au père pouvait retirer les enfants aux soins de leur mère.

Maintenant, dans de nombreux cas comme ceux-ci, des pères présentent des demandes de retour. Ils disent qu'ils ont les droits de garde et, par conséquent, que les enfants doivent revenir, mais sur quel droit juridique se fondent-ils? Ils ont souvent des ordonnances de garde partagée qui ne donnent à aucun des parents une responsabilité égale ou principale des soins aux enfants. À la place, le temps accordé par ces ordonnances ressemble davantage aux ordonnances de visite de 1980 — au mieux de généreuses ordonnances de visite. Il y a pire. Les pères qui ont un contact minime avec leurs enfants peuvent obtenir leur retour tout simplement en raison du droit de la famille...

La présidente : Madame Bruch, puis-je vous demander de conclure? Nous avons beaucoup de questions à vous poser.

Mme Bruch : Ce sera très difficile pour moi. Je suis désolée.

La présidente : Nous avons votre mémoire écrit et les membres l'obtiendront.

Mme Bruch : Très bien. J'essayais de l'abréger.

Beaucoup de recherches font maintenant état des répercussions dévastatrices sur les jeunes enfants. La plupart des enfants pris dans ces affaires de garde et dans les affaires de garde en général ont moins de six ans. Nous parlons de jeunes enfants et du fait qu'il y a des conséquences dévastatrices pour eux s'ils sont retirés de la personne principalement responsable de leurs soins. De plus en plus, les recherches sur le cerveau révèlent que c'est en partie en raison de la séquence temporelle du cerveau qui se développe. Il est extrêmement important de maintenir le ménage qui a la garde — à tout le moins pendant que nous faisons cette forme d'événement temporaire —, à moins qu'il y ait des raisons de retirer les enfants. Si vous retournez à la convention originelle, telle qu'elle a été rédigée, les procédures de garde se dérouleront dans le nouveau lieu de résidence.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Eggleton : Madame, je m'intéresse aux commentaires que vous avez faits à propos des changements survenus depuis la rédaction de la convention. Peut-être que M. Blitt peut aussi aider à répondre dans un contexte canadien. N'est-il pas plus courant de nos jours d'avoir une garde partagée? Si nous sommes devant une garde partagée, qui est alors considéré comme le parent ayant la garde?

Mme Bruch : À l'époque où la convention a été rédigée, la garde partagée était tout à fait nouvelle. À ce moment-là, elle signifiait « parts égales de temps ». La convention comporte une disposition selon laquelle chacun des parents qui a la garde partagée a le droit de demander le retour. Ce qui a changé, c'est que nous avons maintenant la garde légale conjointe. Nous appelons tout une garde partagée, peu importe la répartition du temps, et c'est devenu un problème lorsque les tribunaux, au lieu de tenir compte de l'intention de la convention, choisissent le parent qui a parfois un temps minimal, mais qui a une ordonnance de garde conjointe et ordonnent que les enfants soient retirés du ménage du parent qui a la garde et soient retournés à l'autre parent.

Je ne suis pas entrée dans les problèmes graves lorsqu'il s'ajoute des cas d'abus, mais, malheureusement, cela survient assez souvent. Est-ce la même chose au Canada?

Le sénateur Eggleton : Je demande à M. Blitt de nous expliquer le contexte canadien à cet égard.

M. Blitt : Je comprends le point que Mme Bruch soulève étant donné que c'est habituellement la mère qui est la principale responsable des soins. La Cour suprême des États-Unis a récemment statué que même si le parent délaissé, habituellement le père, a une interdiction empêchant l'enfant de quitter le pays, il s'agit de droits de garde. Il me semble que ce que l'on essaie de faire ici, du moins au Canada, c'est de garder les parents — du moins lorsqu'il y a une entente de garde partagée — dans une région géographique similaire.

Nos juges n'aiment pas déraciner les enfants et les retirer à la personne principalement responsable des soins ou au parent qui a la garde, habituellement la mère, et de renvoyer l'enfant. Le tribunal impose des engagements visant à maintenir le statu quo quant à l'endroit où se trouvaient les enfants au moment de l'enlèvement et, si la mère est visée par une ordonnance de retour dans l'autre pays, que les enfants continuent de rester sous ses soins. C'est ainsi que nos juges essaient de réduire au maximum les répercussions sur le retrait d'un enfant du parent qui en a la garde ou de la personne principalement responsable de ses soins.

Je suis d'accord avec vous, j'ai pris connaissance des recherches sur le cerveau. Les conséquences peuvent être dévastatrices pour des jeunes enfants.

Le sénateur Eggleton : Merci.

La sénatrice Andreychuk : Il me semble que nous avons ces problèmes, peu importe que nous traversions ou non des frontières, que lorsqu'il y a une rupture entre les conjoints, les enfants deviennent souvent l'élément de la poursuite des arguments ou des différends. J'ai été pendant de nombreuses années juge dans un tribunal de la famille et c'est absolument néfaste pour les enfants lorsque les parents continuent de se disputer, et ils se disputent « dans l'intérêt supérieur des enfants ».

Y a-t-il quoi que ce soit qu'il faille modifier dans la convention de La Haye pour réexaminer « l'intérêt supérieur des enfants »? Par exemple, le parent dit ce qui constitue l'intérêt supérieur de l'enfant, puis l'autre parent le contredit. Habituellement, il s'agit de preuves concernant chaque parent plutôt que des preuves axées sur l'enfant, les besoins de l'enfant et le problème du développement du cerveau dont vous parlez. Cela a toujours représenté ma plus grande difficulté : non seulement ils venaient seuls, mais ils venaient habituellement accompagnés de membres de leur famille respective. J'avais un mouvement de recul lorsque je devais faire témoigner une autre personne, défendant sa fille ou son fils, parce que cela ne semblait pas très utile pour l'enfant, qui devrait être l'objet principal de la procédure.

Pensez-vous que les comités dont nous entendons parler vont commencer à examiner l'intérêt supérieur de l'enfant en fonction de cette nouvelle définition moderne des enfants emmenés d'un pays à un autre, sans mentionner d'un parent à l'autre, la probabilité que l'autre parent voit l'enfant diminuant toujours?

Mme Bruch : Une de mes préoccupations, auxquelles on a fait allusion dans les questions précédentes et compte tenu des remarques de M. Blitt, ce sont les efforts que les juges déploient maintenant pour exiger un retour des enfants, même si, comme je l'ai expliqué, cela n'avait jamais été envisagé. Ils essaient de rendre le retour sécuritaire en imposant des engagements, même si les études démontrent que la plupart des engagements ne sont pas respectés; cela ne fonctionne donc pas. Ils essaient de faire toutes sortes de choses qui, d'après eux, assureront la sécurité de l'enfant alors qu'on le renvoie dans une situation dangereuse.

Quant à moi, je pense qu'il y a maintenant des possibilités beaucoup plus que jamais. La vie a changé lorsque nous avons eu des télécopieurs. En effet, les petits enfants pouvaient faire des dessins et les envoyer à quelqu'un en Australie, même si c'était le milieu de la nuit là-bas. Nous avons maintenant des installations magnifiques — l'installation actuelle est formelle, mais tout, par Skype et bien d'autres choses — qui permettent de garder les enfants impliqués. Il y avait un livre — j'espère qu'il existe encore — qui présentait 106 façons d'être un parent pour un enfant, même à grande distance; tout, depuis la lecture au moment du coucher jusqu'à regarder ensemble une partie de balle ou un film, puis d'en parler par la suite. Il existe une multitude de façons maintenant qui permettent aux gens d'être des parents, même s'ils ne sont pas dans la même pièce ensemble bien souvent.

M. Blitt : Madame la sénatrice, j'aimerais donner suite à votre préoccupation relativement à l'intérêt supérieur de l'enfant. Ce que nous constatons souvent de nos jours, ce sont des préoccupations au sujet de la violence familiale et du grave risque de préjudices pour les enfants, psychologiques et autres. Nos juges ont rendu des décisions selon lesquelles s'il y a un risque grave de violence familiale à l'endroit de la mère, parce que la mère est habituellement celle qui enlève les enfants, on pourrait présumer qu'il s'agit d'un risque grave pour l'enfant et les juges pourraient choisir de ne pas ordonner le retour de l'enfant au titre de l'un des moyens de défense en vertu de la convention de La Haye.

Je crois vraiment que les 30 années d'existence de la convention de La Haye — et je suis d'accord avec Carol — en font un instrument international formidable. Je ne pense pas que nous ayons à modifier quoi que ce soit. Nous devons vraiment examiner les dispositions actuelles de la convention et tenir compte des préoccupations que les gens nous présentent. Il y a eu des cas au Canada où la violence familiale n'a pas donné lieu à un retour. Nos juges ont donc cette possibilité.

Mme Bruch : La chose qui manque probablement, mais que l'on peut lire dans la convention, c'est que pour une raison quelconque, à l'époque, la violence familiale ne faisait pas partie de la documentation, des discussions dans ce contexte. Il n'y a donc rien qui protège directement le parent qui a la garde, mais le libellé actuel peut régler ce problème parce que la convention stipule que le retour de l'enfant ne devrait pas l'exposer à une situation intolérable. Je pense que le retour de l'enfant dans une famille d'accueil ou dans un refuge pour femmes battues constitue un retour dans une situation intolérable. D'après ce que j'entends des cas au Canada, il semblerait que vos juges prennent les mesures appropriées compte tenu des dispositions de l'alinéa 13b).

M. Blitt : Je peux vous donner un exemple. J'ai eu un cas pour lequel, malheureusement, je ne pouvais pas aider notre cliente. Elle pensait avoir la permission de son mari de retourner en Écosse avec leurs quatre enfants. J'ai assisté aux procédures en Écosse aux termes de la convention de La Haye et je ne pense pas que l'on ait tenu compte du grave risque de préjudice comme on aurait dû le faire. Elle a été visée par une ordonnance de retour en plein hiver dans un refuge, sans vêtements adéquats et avec ses quatre enfants. Cette décision était horrible. Nous avons pu obtenir cinq mois plus tard une audience rapide de relocalisation de l'un de nos juges afin de les renvoyer, mais ils ont été complètement perturbés par cette situation.

La sénatrice Andreychuk : Nous n'avons pas de documents de sortie. Vous quittez le Canada en possession d'un passeport, mais les Canadiens n'ont pas de documents qui indiquent qui quitte le pays. Il existe des raisons très valables d'agir ainsi, mais serait-il utile d'avoir quelques dispositions en matière de sortie?

M. Blitt : Vous soulevez un excellent point. Je sais, pour être allé au Japon, que les autorités japonaises ont des contrôles de sortie; ils savent à quel moment vous arrivez au pays et à quel moment vous en sortez.

Quant au coût d'un tel programme, je ne peux qu'imaginer ce qu'il pourrait être, mais il ferait une différence énorme. Si bonne que soit la formation de nos agents des services frontaliers du Canada et des agents de la sécurité intérieure des États-Unis, des gens continueront de se faufiler dans les mailles. Ils n'ont pas à passer par l'immigration canadienne lorsqu'ils quittent le Canada en direction des États-Unis; ils doivent passer par l'immigration américaine. Je sais qu'il y a de plus en plus de coopération et il faut probablement qu'elle soit harmonieuse afin que les renseignements puissent être communiqués et qu'ils sachent si quelqu'un ne devrait pas voyager avec des enfants.

Mme Bruch : La question de savoir s'il devrait y avoir des règles ou des formulaires pour donner la permission aux enfants de quitter le pays était à l'ordre du jour de la dernière réunion de la commission spéciale. Elle a été carrément rejetée parce que de nombreux pays n'ont pas de contrôle de sortie et n'en veulent pas. Évidemment, vous êtes les maîtres de ce que vous faites au Canada. Pour ce qui est de modifier la convention, je pense que c'est très peu probable.

Permettez-moi de vous raconter une anecdote drôle au sujet d'un de mes assistants judiciaires à la Cour suprême des États-Unis il y a de nombreuses années. Il se rendait au Canada avec des amis pour un voyage de camping. Sa mère n'était pas du voyage et il n'avait pas de papiers. Il a donc été immédiatement interpelé à la frontière. Quelques appels téléphoniques ont été faits et tout s'est bien terminé.

Je pense que l'on fait attention à la frontière canado-américaine, à moins que vous passiez d'une façon quelconque par les lacs.

La présidente : Monsieur Blitt, vous pratiquez le droit au Canada depuis très longtemps et je suis convaincue que vous avez vu, plus que lorsque vous avez commencé dans la profession, plus de cas auxquels la convention de La Haye s'applique probablement. D'après vous, que devrait-on mettre en place dans les facultés de droit et pour la formation continue des avocats et des juges afin qu'ils soient sensibilisés aux défis que pose la convention de La Haye?

M. Blitt : Eh bien, un cours à la faculté de droit serait une excellente idée. Je sais que mon cabinet a donné beaucoup de formation par l'entremise de l'Association du Barreau canadien et, de fait, la semaine prochaine nous donnons un webinaire sur la convention de La Haye à l'intention de l'association. Je ferai l'exposé avec le professeur Nicholas Bala, et nous espérons pouvoir rejoindre le plus grand nombre d'avocats possible.

J'ai aussi prononcé des conférences à l'Institut national de la magistrature. Cela aussi, à mon avis, aide. C'est une question de diffuser l'information dans la profession juridique et la magistrature.

Mme Bruch : Un des points à la fin de mes remarques était que je pense qu'il serait très utile en vertu des lois canadiennes de donner plus de corps à l'article 20. Cet article stipule qu'un juge n'est pas tenu d'ordonner le retour d'un enfant lorsque ce faisant, il contreviendrait aux droits de la personne de l'enfant en vertu de la loi applicable là où la demande de retour est entendue. Nous ne parlons donc pas de droit international; nous parlons de la loi canadienne sur les droits de la personne. Il pourrait s'agir d'une protection énormément importante pour les cas qui me préoccupent, en particulier compte tenu des nouveaux arrangements avec les États signataires et non signataires.

Que devrait faire un juge canadien lorsque l'on demande le retour d'une jeune fille dans une communauté où les crimes d'honneur sont punissables de mort et qu'elle est confiée automatiquement aux soins de son père en raison de son âge? Que devrait-on faire dans le cas d'une fille qui n'a pas encore subi de mutilations génitales, mais qui est renvoyée dans un pays où cela pourrait se faire? Que devrait-il se passer si une fille est renvoyée dans un pays où sa mère ou elle-même ne sont pas autorisées à quitter le pays sans le consentement du père ou du mari?

Il existe des façons qui vous permettent d'aider à protéger ces parties, et je pense que ce serait très utile.

Le sénateur Eggleton : Permettez-moi d'enchaîner là-dessus, car je comprends votre point, madame. Je suppose que c'est également vrai dans l'autre sens. Nous avons parlé des pays signataires de la convention de La Haye, mais il y a beaucoup de pays qui ne le sont pas, et il y en a certains où la loi islamique s'applique — par exemple, la charia — et qui font partie d'un processus particulier, le Processus de malte. Le Canada y participe et je pense que des efforts sont déployés pour essayer de faire adopter de nombreux principes de la convention de La Haye dans les processus visant ces pays.

Monsieur Blitt, connaissez-vous beaucoup de cas d'enlèvements qui concernent des enfants emmenés vers des pays non signataires de la convention de La Haye où, de fait, les lois peuvent être appliquées différemment?

M. Blitt : Oui. Nous avons eu un cas l'an dernier qui concernait le Liban. Le père imposait des interdictions de voyage à sa fille encore bébé et à sa femme, et c'est la partie risquée. Mais il est revenu au Canada. Nous avons donc été en mesure, sous la menace d'outrage et d'incarcération, de le convaincre. La mère est sortie. Elle a convaincu un juge de la charia de la laisser sortir, mais la petite fille a dû rester, et il a finalement levé l'interdiction de voyager. Il a fallu environ sept à huit mois et nous avons collaboré avec un avocat au Liban qui connaissait la loi de la charia pour faire sortir la fillette, mais c'est très difficile.

Le Canada a signé un traité bilatéral avec l'Égypte. Il ne fonctionne pas particulièrement bien, mais je pense que plus nous aurons des relations bilatérales avec ces pays — en raison de leurs restrictions juridiques islamiques, ils ne signeront probablement pas la convention de La Haye —, plus nous pourrons être en mesure de le faire dans le cadre d'un traité bilatéral et davantage d'un accord du type de Malte.

Le sénateur Eggleton : Voilà une excellente suggestion.

Mme Bruch : Lorsque j'ai effectué des recherches il y a quelques années en Jordanie et en Israël, ce document a été publié. Je peux autoriser des citations.

L'un des points très intéressants était qu'en Israël, les demandes de retour sont entendues par les tribunaux civils et non les tribunaux religieux. J'ai appris que tant les juges religieux juifs qu'islamiques sont instruits exclusivement dans leur religion et n'ont aucune éducation laïque.

Ils ne reçoivent assurément pas de formation dans le droit auquel nous sommes habitués. On estimait donc qu'il s'agissait d'une protection d'avoir des juges civils pour traiter ces cas, sachant qu'il y avait des questions juridictionnelles ou liées au lieu de poursuite qu'ils pouvaient entendre. Malheureusement, je n'ai pas pu me rendre en Égypte. L'Égypte aurait été le troisième de mes arrêts. La maladie m'a obligée à revenir au pays.

Il y a une autre difficulté. J'ai constaté avec plaisir, lorsque j'ai passé un peu de temps hier à consulter les accessions que le Canada a acceptées. J'ai alors vu que le Canada n'acceptait pas automatiquement les accessions, pas plus que les États-Unis d'ailleurs, depuis que j'ai parlé et écrit à ce sujet. C'est tout simplement très difficile. Je comprends vraiment les difficultés auxquelles vous êtes confrontés.

Je sais que les pays européens ont prévu des ententes pour prévoir des possibilités de visite pour les parents qui vivent en Europe et se rendent en Afrique du Nord dans certains endroits. Je pense qu'il est très important de mentionner que les pays du croissant islamique ont des lois qui varient considérablement. La question alors est de savoir si les juges peuvent se dégager de ces influences, même lorsqu'il s'agit d'une cause civile.

Il s'agit d'un problème difficile et j'admire le leadership du Canada pour essayer de composer avec ces situations et d'améliorer les choses pour les enfants.

Le sénateur Eggleton : Vous avez mentionné les accessions. Il y en a quelque 18 auxquelles le Canada a consenti. Consultant la liste des pays, je peux le comprendre.

Il y avait aussi la convention de 1996 — elle portait un long titre mais vous savez probablement de quelle convention je parle — sur la juridiction, le droit applicable, la reconnaissance, l'application de la loi et la coopération à l'égard de la responsabilité parentale et des mesures de protection des enfants.

Mme Bruch : J'ai peut-être des réflexions à ce sujet.

Le sénateur Eggleton : Je tiens à signaler que cette convention de 1996, à laquelle le Canada a accepté d'être membre il y a 18 ans, n'a pas encore été ratifiée par notre pays. Pensez-vous que cet instrument en particulier pourrait aider, si l'un ou l'autre d'entre vous sait de quoi il s'agit?

M. Blitt : J'y ai jeté un autre coup d'œil. Il y a longtemps que je l'ai étudiée en détail. J'ai assisté à l'une des présentations du ministère de la Justice. Je pense que cette convention comporte quelques articles utiles parce qu'elle habilite les juges, lorsqu'un enfant a été enlevé, à prendre des mesures d'urgence pour protéger l'enfant dans le pays dans lequel l'enfant a été emmené. Il s'agira d'une situation exceptionnelle, en particulier si l'enfant est avec sa mère et que cette dernière est la principale responsable des soins, mais il pourrait quand même y avoir des risques.

J'ai vu des cas où il serait bien si les tribunaux pouvaient faire quelque chose pour protéger cet enfant dans la situation d'un enlèvement vers un pays signataire. Je vois l'avantage.

Mme Bruch : J'en ai un souvenir très vague, car je l'ai consultée très brièvement et il y a plusieurs années de cela. Il peut y avoir eu une compétence continue dans l'ancienne résidence habituelle qui persiste pour peut-être un an après l'enlèvement. Je trouve cela pernicieux. Compte tenu de ce que j'ai déjà dit au sujet de la structure originale de la convention sur l'enlèvement d'enfants qui, s'il s'agit du principal responsable des soins — et il arrive parfois que les mères soient des agresseurs, je ne parle que de façon générale — que vous ayez à composer avec cette disposition là où l'enfant vit maintenant. Ce sont des questions difficiles.

La présidente : Merci beaucoup à tous les deux de vos exposés et d'avoir répondu à nos questions. Vous nous avez beaucoup aidés à mieux comprendre cette question.

(La séance est levée.)


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