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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 10 - Témoignages du 9 juin 2014


OTTAWA, le lundi 9 juin 2014

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 17 heures, afin d'étudier, pour en faire rapport, la façon dont les mandats et les méthodes de l'UNHCR et de l'UNICEF ont évolué pour répondre aux besoins des enfants déplacés dans les situations de conflits contemporains, en prêtant une attention particulière à la crise qui secoue actuellement la Syrie; d'étudier les mécanismes internationaux visant à accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières, notamment les efforts du Canada pour favoriser l'adhésion et la conformité universelles à la Convention de La Haye sur l'enlèvement et renforcer la coopération avec les États non signataires, afin de défendre les intérêts des enfants; d'étudier une ébauche de budget; et d'étudier à huis clos une ébauche de rapport sur l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et, entre autres, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

La sénatrice Mobina S. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

[Français]

Le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.

Je m'appelle Mobina Jaffer, je suis présidente de ce comité et j'ai l'honneur de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion.

[Traduction]

Avant de poursuivre, j'inviterai les membres du comité à se présenter.

La sénatrice Unger : Je suis la sénatrice Betty Unger, d'Edmonton, en Alberta.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Hubley : Sénatrice Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.

La présidente : Le 6 mai 2014, le Sénat a adopté l'ordre de renvoi suivant :

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à étudier, pour en faire rapport, la façon dont les mandats et les méthodes de l'UNHCR et de l'UNICEF ont évolué pour répondre aux besoins des enfants déplacés dans les situations de conflits contemporains, en prêtant une attention particulière à la crise qui secoue actuellement la Syrie.

[Français]

Le conflit syrien a donné lieu à l'une des crises humanitaires et de réfugiés les plus effroyables de l'histoire moderne. Ce qui est particulièrement alarmant, ce sont les conséquences de cette situation sur les enfants. On évalue à 3 millions le nombre d'enfants déplacés à l'intérieur des frontières syriennes et à 1,2 million le nombre d'enfants réfugiés à l'étranger.

Des millions d'enfants ne vont plus à l'école, sont séparés de leurs familles et ont besoin de protection et de soins médicaux, tant physiques que psychologiques. Les enfants déplacés sont aussi particulièrement menacés par la pauvreté, la maltraitance, la négligence, la violence, l'exploitation, le trafic, les mariages forcés, sans parler de leur participation dans des groupes armés contre leur gré.

[Traduction]

Le Canada apporte une contribution financière importante au Haut-Commissariat des États-Unis pour les réfugiés, ainsi qu'au Fonds des Nations Unies pour l'enfance. Ces deux organisations œuvrent sur le terrain afin de venir en aide à des millions de Syriens qui ont été touchés par le conflit. Ces organisations ont dû recourir à leurs ressources limitées afin de répondre aux besoins humanitaires en évolution découlant d'un conflit contemporain prolongé. Par conséquent, leurs mandats et méthodes ont dû évoluer également.

Le comité ne s'intéresse pas exclusivement à la situation en Syrie; en effet, depuis la guerre mondiale, les mandats de l'UNHCR et de l'UNICEF ont changé. Vous pouvez nous aider en nous expliquant en quoi les mandats ont changé selon vous, si le processus a été adéquat, si vous estimez que les mandats auraient dû changer, et comment ils devraient évoluer. Voilà le véritable sujet à l'étude. La Syrie est une étude de cas nous permettant d'examiner l'évolution de ces mandats.

Tout d'abord, j'aimerais souhaiter la bienvenue à Cristy McLennan, conseillère principale, Interventions humanitaires et d'urgence d'Aide à l'enfance Canada, qui se joint à nous par vidéoconférence; à Andrew J. Tabler, agrégé supérieur de recherche, The Washington Institute for Near East Policy, qui comparaît par vidéoconférence; ainsi qu'à Jessie Thomson, directrice, Aide humanitaire, de Care Canada.

Je remercie nos trois témoins d'avoir accepté, malgré le bref préavis, de présenter des exposés au comité et de répondre à nos questions. Nous apprécions énormément votre participation à la séance d'aujourd'hui. Commençons par l'exposé de Mme Thomson, de Care Canada.

Jessie Thompson, directrice, Aide humanitaire, CARE Canada : Bonjour, honorables membres du comité. Merci infiniment de m'avoir invitée aujourd'hui à entretenir le comité de la situation des enfants syriens déplacés, et plus particulièrement du rôle de l'UNHCR et de l'UNICEF en réponse aux besoins propres à ces enfants.

[Français]

Je vais faire mes commentaires en anglais, mais on peut me poser des questions en anglais ou en français.

[Traduction]

CARE est une organisation non gouvernementale qui œuvre dans les domaines de l'aide humanitaire, du redressement et du développement dans plus de 80 pays de par le monde. Nous nous consacrons principalement à l'autonomisation des femmes et des filles, car en aidant ces dernières à répondre à leurs propres besoins, des collectivités entières peuvent s'en voir transformer.

J'aborderai aujourd'hui trois enjeux clés qui méritent votre attention immédiate.

Premièrement, je vous donnerai un aperçu de l'important partenariat qu'a établi CARE avec l'UNHCR et l'UNICEF afin de répondre aux besoins des personnes déplacées. CARE est un partenaire clé de l'UNHCR et de l'UNICEF, et met en œuvre des programmes en partenariat avec ces organismes de l'ONU en Jordanie, au Kenya, au Tchad, au Djibouti et au Soudan du Sud, parmi tant d'autres. CARE Canada agit également à titre de rapporteur officiel, cette année, pour les consultations ONG-UNHCR qui se tiendront à Genève la semaine prochaine. Ainsi, CARE Canada représentera quelque 500 délégués provenant de 250 ONG qui participeront aux consultations, en en faisant rapport au comité exécutif de l'UNHCR ainsi qu'aux États membres en octobre. Les consultations de cette année porteront sur le leadership et la participation des femmes, puisqu'il nous reste encore énormément de chemin à faire pour que les ONG partenaires de l'UNHCR ainsi que l'UNHCR elle-même réussissent à mieux mobiliser et autonomiser les femmes et les filles, à la fois dans des situations d'urgence et dans le cas des déplacements à plus long terme.

L'UNHCR et l'UNICEF travaillent avec des ONG partenaires, comme CARE, depuis leur création. L'UNHCR travaille aujourd'hui avec plus de 750 ONG des quatre coins du monde, et verse un tiers de la totalité de son budget de protection et d'aide par l'entremise de ses partenaires, tels que CARE. Cette enveloppe s'élevait à 709 millions de dollars américains en 2012 seulement.

Près de la moitié des personnes déplacées de force sur la planète sont des enfants, soit plus de 12 millions de garçons et de filles. De nombreux enfants réfugiés sont en déplacement pendant toute leur enfance, et l'incertitude plane sur leur avenir. Qu'ils soient réfugiés, déplacés à l'intérieur même du territoire ou encore apatrides, les enfants courent un risque plus élevé d'être victimes d'abus, de négligence, de violence, d'exploitation, de traite et de recrutement forcé par des groupes armés. Ils peuvent vivre des incidents troublants ou en être témoins, ou encore être séparés de leurs familles.

Parallèlement, leurs réseaux familial et de soutien sont souvent affaiblis ou perturbés, et leur scolarité interrompue. Ces expériences ont des répercussions sérieuses sur les enfants, de la petite enfance jusqu'à l'adolescence. En situation de crise et de déplacement, la protection des filles est menacée pour des raisons sexospécifiques.

Le cadre de protection des enfants du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés marque une étape importante dans l'évolution de ses politiques et méthodes, puisque ce document reconnaît que la protection des enfants est au cœur du travail du haut-commissariat, et fait également état du corpus croissant de pratiques et de savoir-faire dans le domaine précis de la protection des enfants. CARE se réjouit de voir que l'UNHCR se concentre sur les besoins propres aux enfants déplacés, en remarquant les risques souvent graves et bien particuliers qui menacent les enfants en contexte de déplacement.

Deuxièmement, j'aborderai la question des besoins propres aux enfants syriens déplacés. Comme vous le savez, il y a actuellement quelque 9,3 millions de personnes en Syrie qui ont un besoin urgent d'aide humanitaire, ce à quoi s'ajoute quelque 2,6 millions de réfugiés qui se trouvent maintenant dans les pays voisins. On estime à plus de 130 000 les civils qui auraient été tués, et des millions de personnes sont privées des services de base, n'ont pas de moyens de subsistance et vivent dans l'insécurité.

La crise syrienne est la crise humanitaire la plus importante et la plus dévastatrice des dernières années, le nombre de réfugiés surpassant celui des Rwandais au plus fort du génocide. Face à ces chiffres ahurissants, il est de notre devoir collectif de répondre aux besoins humanitaires urgents des personnes touchées.

Depuis le début du conflit, plus de 1,2 million d'enfants syriens ont fui la Syrie pour des raisons de sécurité, et plus de 4 millions d'enfants sont toujours déplacés à l'intérieur même du pays. D'ici la fin de l'année, on estime que le nombre d'enfants syriens réfugiés s'élèvera à 2 millions. Ce chiffre équivaut à près de 40 000 autobus scolaires bondés.

Selon une récente évaluation de CARE en Jordanie, 43 p. 100 des enfants syriens réfugiés ne vont pas à l'école. À Mafraq, dans le nord de la Jordanie, environ 90 p. 100 des adolescents et adolescentes ne sont pas scolarisés. De nombreux enfants ne fréquentent plus l'école depuis trois ans, ayant quitté l'école en Syrie avant de se réfugier dans un pays voisin.

À la lumière de ces chiffres alarmants, CARE est profondément préoccupé par le risque de perdre toute une génération.

Les familles que nous avons interviewées ont précisé qu'elles n'envoyaient pas leurs enfants à l'école car elles ne pouvaient pas assumer les coûts qui y sont associés, tels que les frais de transport et d'achat de matériel scolaire; elles s'inquiétaient en outre de la piètre qualité de l'éducation en Jordanie, du surpeuplement des écoles et du harcèlement, particulièrement dans le cas des jeunes filles. Les familles sont de plus en plus nombreuses à ne pas scolariser leurs filles, car elles estiment qu'elles courent des risques pendant les déplacements et qu'elles doivent contribuer aux tâches ménagères à la maison.

CARE Canada s'inquiète plus particulièrement des risques spécifiques souvent bien distincts qui pèsent sur les garçons et les filles. CARE s'inquiète du fait que les familles rapportent une augmentation du mariage précoce des filles, utilisé comme mécanisme de survie dans l'espoir de mieux protéger les filles en l'absence d'une présence masculine dans la famille, ou encore pour réduire le fardeau financier sur le ménage.

Dans l'évaluation urbaine que nous venons tout juste de publier, on constate que 9 p. 100 des filles des familles interviewées, âgées de 14 à 17 ans, étaient mariées, et 7 p. 100 des filles du même âge étaient enceintes au moment du rapport. En outre, les femmes et les filles réfugiées ont indiqué qu'en raison des pressions financières, du chômage et du manque de moyens de subsistance pour les chefs de famille, elles subissent davantage de violence intime à la maison.

En l'absence d'aide humanitaire suffisante et en raison du sérieux manque de moyen de subsistance pour les membres adultes des familles, l'évaluation urbaine de CARE en Jordanie montre également que le travail des enfants est de plus en plus utilisé en tant que stratégie d'adaptation négative. Ce phénomène découle, en grande partie, du fait qu'il est encore illégal de travailler et qu'on considère que les enfants sont mieux à même de travailler sans se faire arrêter ou harceler par la police. Bref, de nombreuses familles ne scolarisent pas leurs enfants afin de répondre à leurs besoins fondamentaux.

Notre enquête met également en lumière une autre préoccupation relativement aux enfants réfugiés syriens en Jordanie, à savoir le manque d'espace sécuritaire pour les garçons et les filles, plus particulièrement en zones urbaines, où les familles réfugiées vivent souvent à plusieurs ménages dans un même appartement. Environ 80 p. 100 des réfugiés en Jordanie vivent à l'extérieur des camps, c'est pourquoi le problème est urgent; 80 p. 100 des réfugiés que nous avons interviewés ont indiqué qu'il n'y avait pas d'espace sécuritaire pour les garçons et les filles dans leur quartier, nulle part où jouer, et selon 84 p. 100 d'entre eux, les adolescents et adolescentes n'ont aucun endroit où se rencontrer à l'extérieur de la maison.

Il est donc urgent d'augmenter le nombre d'espaces sécuritaire où les enfants jordaniens et syriens peuvent se rencontrer, partager leurs expériences et accroître le soutien de la collectivité à leur égard grâce à des activités qui leur permettraient de mieux gérer la crise.

Troisièmement, je vous parlerai des mesures prises par CARE en réponse à la crise syrienne. Les gestes posés par CARE, avec l'appui de l'UNHCR et du gouvernement du Canada, nous ont permis d'intervenir auprès de plus de 290 000 bénéficiaires en Jordanie, au Liban, en Égypte, en Syrie et au Yémen. Notre objectif est de venir en aide aux communautés hôtes ainsi qu'aux communautés de réfugiés qui vivent en zones urbaines, en offrant de l'aide financière, des services de gestion de cas et d'aiguillage, de l'eau, des services sanitaires, des abris, de l'aide alimentaire et du soutien psychosocial. À ce jour, CARE a reçu 7,6 millions de dollars canadiens du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement en appui à nos opérations auprès des réfugiés en Jordanie et au Liban. Il ne faudrait pas sous-estimer la générosité et l'engagement du gouvernement du Canada, qui appuie ses partenaires pour répondre à cette crise avec de l'aide humanitaire indépendante, impartiale, neutre, et qui sauve des vies.

CARE n'a pas pour simple objectif de répondre aux besoins vitaux et urgents des personnes déplacées, mais également, comme je l'ai indiqué, de trouver des moyens de promouvoir l'autosuffisance et la possibilité de subvenir à ses propres besoins afin de protéger et de rétablir la résilience des collectivités. CARE cherche à adapter l'aide apportée aux besoins particuliers et distincts des hommes, femmes, garçons et filles déplacés ainsi que de leurs communautés hôtes, en reconnaissant que ces besoins sont tout aussi importants, mais requièrent différentes approches.

Pour conclure, l'UNHCR et l'UNICEF jouent un rôle essentiel afin de répondre aux besoins des enfants déplacés, particulièrement dans le cadre de conflits complexes et souvent de longue durée qui surviennent de par le monde. Les partenariats qu'ils établissent avec des acteurs non gouvernementaux tels que CARE CANADA sont fondamentaux et leur permettent de répondre aux besoins des personnes déplacées, en veillant à ce que l'approche adoptée soit axée sur la communauté, présente un bon rapport coût-efficacité et soit efficiente. CARE Canada est fermement résolu à poursuivre son travail de soutien en Syrie en partenariat avec ces agences clés de l'ONU. Cependant, il faudra un engagement financier à long terme de la part des donateurs clés, qui doivent reconnaître qu'il s'agit d'une situation d'urgence de longue durée, situation qui ne se résoudra pas de sitôt et ne sera réglée que par une solution politique.

Il faut de toute urgence porter une attention particulière aux besoins en matière de protection, d'aide, d'éducation et de soutien psychosocial propre aux enfants syriens, surtout si nous voulons éviter qu'une génération entière soit perdue à cause de cette horrible guerre. Les garçons et les filles de la Syrie méritent d'avoir un avenir, un avenir en toute sécurité, mais également rempli d'espoir.

La présidente : Merci beaucoup. Nous allons maintenant accorder la parole à Mme McLennan de l'Aide à l'enfance.

Cristy McLennan, conseillère principale, Interventions humanitaires et d'urgence, Aide à l'enfance Canada : Honorable présidente du comité, membres du comité, greffier du comité et autres collègues distingués, je suis ravie de témoigner devant vous aujourd'hui.

Je tiens tout d'abord à vous remercier de me donner l'occasion de m'adresser à vous. L'Aide à l'enfance est toujours prête à prendre la parole pour sensibiliser les gens à la situation déplorable dans laquelle se trouvent les enfants et les familles touchés par la crise en Syrie, ainsi qu'à expliquer les gestes que nous posons de concert avec d'autres organisations humanitaires, y compris nos partenaires des Nations Unies. Merci de nous avoir invités aujourd'hui.

Comme on l'a indiqué précédemment, dans toutes les situations d'urgence, qu'il s'agisse de catastrophe naturelle ou de conflit, les enfants sont toujours les plus vulnérables. En 1919, Eglantyne Jebb a fondé l'Aide à l'enfance au Royaume-Uni. Pendant la Première Guerre mondiale, Mme Jebb a remarqué que même si les enfants ne sont jamais coupables en temps de guerre, ils sont souvent les plus touchés. Si nous ne protégeons pas les enfants en temps de conflit, nous les privons de leurs droits de la personne individuels. Cette constatation a poussé Jebb à élaborer et à défendre une charte des droits des enfants, charte qui fut adoptée par la Société des Nations en 1924 et servie de fondement au texte que nous connaissons maintenant comme la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant.

Aujourd'hui, l'Aide à l'enfance œuvre dans plus de 120 pays pour améliorer de façon immédiate et durable la vie des enfants afin qu'ils puissent réaliser leur plein potentiel. Le terme « potentiel » revêt énormément d'importance, puisque dans de nombreux contextes où règne l'insécurité, la guerre et les conflits déterminent l'avenir des enfants.

La guerre en Syrie en est à sa quatrième année, et les répercussions sur les enfants sont dévastatrices. On vous a déjà présenté quelques chiffres. En juillet 2012, nous avons lancé un appel mondial urgent en réponse à la crise mondiale des réfugiés qui sévit dans la région. Notre objectif est d'amasser 50 millions de dollars américains pour financer des interventions humanitaires en Syrie, en Jordanie, au Liban, en Irak et en Égypte afin d'intervenir auprès de 1,7 million de personnes. À ce jour, nous sommes intervenus auprès de 1,4 million de personnes, y compris environ 1 million d'enfants. Nous leur donnons accès à des aliments nutritifs et à de l'eau potable, à des abris et des articles non alimentaires, à l'éducation, à des services de protection et à une vaste gamme d'interventions, que nous effectuons à la fois directement et par l'entremise de nos partenaires de l'ONU et de nos partenaires locaux.

Malgré le dévouement d'un certain nombre d'acteurs, on doit en faire davantage, et il faut absolument augmenter l'accès humanitaire à l'intérieur de la Syrie. Pour vous donner une idée des réalités que vivent les enfants dans ce conflit, je vous parlerai maintenant des répercussions sur le système de santé en Syrie. L'effondrement du système de santé montre clairement que le besoin d'accès accru est urgent. À l'heure actuelle, ce ne sont pas que les balles, mais également le manque de soins médicaux de base qui causent la mort des enfants. Avant ce conflit, la Syrie était un pays au revenu moyen doté d'un système de soins de santé fonctionnel offrant une norme de soins uniforme, y compris des taux de vaccination élevés chez les enfants et une couverture universelle permettant à tous d'avoir accès à des accouchements en établissement assistés par des professionnels qualifiés. Mais le portrait de la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants en Syrie a maintenant changé du tout au tout. Environ 64 p. 100 des hôpitaux publics et 38 p. 100 des centres de santé primaires ont été endommagés ou démolis, ou encore ont dû fermer leurs portes en raison du climat d'insécurité, et ces chiffres ne reflètent que les répercussions déclarées.

En plus de s'effondrer en raison du conflit, le système de santé est souvent même ciblé. Des médecins ont signalé qu'ils avaient été victimes d'attaques pour avoir traité des blessés, y compris des civils. L'Aide à l'enfance et ses partenaires tentent de répondre à certains de ces besoins urgents. Nous réhabilitons des centres de santé primaires et offrons de l'équipement, des médicaments et de la formation au personnel afin que les collectivités aient accès à des services, notamment des traitements en cas de maladies, des moyens de contraception et des endroits où accoucher en toute sécurité. Nous avons également appuyé nos partenaires dans le cadre d'une campagne de vaccination de 274 000 enfants contre la polio, maladie qui avait été éradiquée pendant près de 20 ans, mais qui a refait surface depuis le conflit. Nous avons également fourni de l'eau potable à plus de 43 000 personnes et distribué plus de 13 000 trousses d'hygiène en Syrie.

Pour ce qui est de la question des réfugiés d'un point de vue plus général, ceux qui ont quitté la Syrie pour se réfugier dans les pays voisins rencontrent des difficultés d'un tout autre ordre. On pourrait dire qu'en passant de la Syrie au pays voisin, la situation de ces réfugiés, à plusieurs égards, passe d'aiguë à chronique. Ils ne sont plus en zone de guerre où la menace de violence est imminente et l'insécurité règne, mais ils font face au quotidien à des problèmes tels que le manque de soutien familial et communautaire, le fait de ne pas parler la langue ou encore le manque d'accès à des services de base ou à un lieu où vivre en sécurité. Il s'agit donc d'un problème à beaucoup plus long terme.

Aux prises avec l'un des exodes des réfugiés les plus importants de l'histoire récente, les groupes humanitaires et les communautés hôtes ont du mal à répondre aux besoins de la population croissante de réfugiés. On exerce énormément de pression sur les ressources, et les chiffres sont astronomiques. À titre d'exemple, plus de 1,5 million de réfugiés se trouvent maintenant au Liban. Les réfugiés composent plus d'un quart de la population. L'équivalent ici au Canada serait d'accueillir 9 millions de réfugiés en quelques années.

Dans le secteur de la santé, mais dans les sept secteurs d'intervention de l'Aide à l'enfance également, nous travaillons en étroite collaboration avec plusieurs agences de l'ONU : l'UNHCR, l'UNICEF, le Programme alimentaire mondial et d'autres. L'initiative Non à une génération perdue, qui a été lancée par l'UNHCR, l'Aide à l'enfance et d'autres partenaires, en est un exemple. À moins d'offrir, dès maintenant, de l'aide intégrée aux enfants afin de les protéger de la violence et des abus, de les instruire, de stimuler leur cerveau et leur résilience, et de les aider à panser les plaies du conflit et à renforcer la cohésion sociale, comme l'a dit ma collègue, les espoirs d'une génération entière pourraient être perdus à tout jamais, ce qui aurait des conséquences à long terme profondes sur la Syrie, la région et même au-delà.

Grâce à cette initiative, nous voulons amasser 1 milliard de dollars pour donner aux enfants syriens la possibilité de reprendre leur éducation et de reconstruire leur vie. L'initiative a pour but d'aider 6 millions d'enfants d'un peu partout dans la région en améliorant l'apprentissage et les compétences, en offrant un environnement où les enfants se sentiront protégés et en élargissant leurs possibilités. Il s'agit d'un partenariat entre tous les organismes que j'ai mentionnés, lesquels apportent toutes leurs expériences et leurs compétences dans les secteurs de l'éducation et de la protection.

Les donateurs ont généreusement répondu à l'appel, et le Canada a été l'un des premiers à financer cette initiative, en fournissant 50 millions de dollars. Il faut applaudir le leadership du Canada dans ce dossier, particulièrement parce qu'il a appuyé deux secteurs de l'intervention humanitaire qui sont souvent sous-financés. Mais les besoins excèdent les ressources, et des niveaux de financement plus élevés seront nécessaires pour remédier à cette situation et pour que l'aide parvienne aux personnes qui en ont besoin.

Pour conclure, j'aimerais vous parler de la nécessité d'accorder un meilleur accès aux organisations humanitaires en Syrie. On a déjà indiqué qu'à l'intérieur même de la Syrie, plus de la moitié des 6,5 millions de personnes déplacées sont des enfants, et que bien plus de 4 millions d'enfants ont désespérément besoin d'aliments, d'un abri, de médicaments et de soutien psychosocial. La récente adoption d'une résolution par le conseil de sécurité de l'ONU, fin février, envoie un message clair qui montre que la communauté internationale s'accorde sur l'importante d'assurer un accès aux organisations d'aide humanitaire. Cependant, nous attendons toujours que la situation actuelle évolue ou que l'accès soit accru. Nous réclamons la mise en œuvre immédiate de cette résolution pour que les organisations humanitaires puissent offrir de l'aide vitale et nécessaire.

Les organisations doivent pouvoir circuler librement et en toute sécurité pour se rendre aux endroits où le besoin d'aide se fait le plus sentir, et nous avons besoin de l'appui de nos partenaires et des gouvernements qui peuvent user de leur influence afin d'encourager les parties à se mettre d'accord pour ne pas empêcher que l'aide vitale parvienne aux enfants qui en ont besoin, peu importe l'endroit où ils se trouvent.

Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré.

La présidente : Merci infiniment, madame McLennan. Monsieur Tabler, la parole est à vous.

Andrew J. Tabler, agrégé supérieur de recherche, The Washington Institute for Near East Policy, à titre personnel : Bonsoir, madame la présidente Jaffer et membres du comité. Je suis ravi de témoigner devant le Comité sénatorial canadien des droits de la personne sur la crise en Syrie qui ne fait que s'aggraver.

J'étudie ce pays depuis plus de 20 ans, ce qui m'a donné l'occasion d'offrir mon point de vue ainsi que des conseils en matière d'élaboration de politiques à bon nombre de fonctionnaires canadiens à Damas, à Ottawa et à Washington, au sujet de la Syrie et du Moyen-Orient en général. Je reviens tout juste d'un voyage au Royaume hachémite de Jordanie, où j'ai reçu de l'information de la part du bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à Amman et j'ai visité le camp de réfugiés d'Azraq qui vient d'ouvrir en Jordanie.

Je n'ai pas été étonné d'apprendre que votre comité mettra l'accent sur le sort tragique des enfants, mais ce n'est qu'en visitant en personne un des sites gérés par l'UNHCR qu'il est possible de véritablement comprendre à quel point le pourcentage d'enfants parmi les populations syriennes déplacées et réfugiées est élevé.

Certains déplorent le fait que ces enfants représentent une génération perdue de Syriens au chapitre du développement humain, ce qui aura de graves répercussions sur la sécurité régionale et mondiale des décennies durant. Peu importe ce que leur réserve l'avenir, la réponse de la communauté internationale face à la guerre en Syrie est maintenant plus vitale que jamais. Je sais que le comité étudie la réaction des organismes de l'ONU à la crise et s'intéresse tout particulièrement à l'UNHCR et à l'UNICEF. Ma brève intervention, inspirée par mon récent voyage en Jordanie et dans d'autres pays frontaliers de la Syrie, vise à conférer un certain contexte à vos discussions et délibérations.

Cela dit, je vous exhorte à garder les points suivants à l'esprit pour tenir une discussion et une description plus détaillées sur la place des enfants dans la crise syrienne.

En premier lieu, la crise syrienne n'est pas à la veille d'être réglée. Plus de 160 000 Syriens ont été tués, près de 700 000 ont été blessés et selon les sources, jusqu'à la moitié de la population syrienne aurait été déplacée. Je me rends compte que ces chiffres semblent élevés et que les statistiques sur la Syrie n'ont jamais été fiables, même avant la crise, mais le conflit meurtrier persiste. À la base, une minorité acquise au régime Assad continue de tenter d'asservir la majorité sunnite. Malgré le déploiement de tout l'arsenal meurtrier du régime, la résistance perdure. Le régime Assad n'a pas les armes conventionnelles nécessaires pour récupérer et régir tout le territoire syrien, un fait que ne fait que conforter la polarisation dans la région située entre la République islamique d'Iran, qui appuie le régime Assad, et les pays arabes qui soutiennent les rebelles sunnite en particulier.

Comme si la situation régionale n'était pas suffisamment mauvaise, il n'existe pas de consensus international pour répondre à la crise. Les États-Unis et les pays occidentaux, qui soutiennent l'opposition, et la Russie et la Chine, qui appuient le régime, continuent de maintenir leurs positions opposées sur les mesures à prendre au chapitre de l'aide humanitaire et d'une solution politique, celle qui, de l'avis général, constitue la solution et l'aboutissement souhaitable en Syrie, mais qui pour l'heure reste insaisissable.

Quand des positions communes existent, notamment sur les armes chimiques, étant donné que le régime Assad refuse de mettre pleinement en œuvre l'accord et la résolution 2118 du Conseil de sécurité, l'Occident et la Russie ne s'entendent pas sur la façon de faire respecter l'accord. C'est donc un point à surveiller dans les jours à venir étant donné que la date butoir a été fixée au 30 juin.

Ensuite, les morts et les déplacements de Syriens ont augmenté de façon spectaculaire au lieu de diminuer pendant les récents pourparlers de paix. Alors qu'on discutait à Genève plus tôt cette année, le régime Assad a redoublé les bombardements, entraînant un nombre sans précédent de morts, dont de nombreux enfants. Bien entendu, cela a fait grimper en flèche le nombre de Syriens déplacés, qui doivent se rendre dans les zones contrôlées par le régime ou dans les pays voisins pour recevoir de la nourriture.

En outre, la réponse gouvernementale a été particulièrement lente à venir et a été loin d'être suffisante pour résoudre à la crise syrienne. L'ex-ambassadeur des États-Unis en Syrie, Robert Ford, a déclaré récemment que la politique de Washington reste insatisfaisante, tant sur le plan de l'aide humanitaire et des mesures d'atténuation face aux menaces à la sécurité en Syrie, particulièrement celles des extrémistes luttant au nom du régime et de l'opposition.

De plus, le financement des secours apportés dans la crise syrienne, qu'il soit dans le pays même ou dans un pays voisin, ne répond pas aux besoins. Dans le cas de la Jordanie notamment, seulement le quart des fonds demandés par les Nations Unies en Jordanie pour répondre à la crise avaient été reçus à la fin du mois d'avril, ce qui est particulièrement inquiétant étant donné que la crise semble vouloir s'aggraver au cours de l'année qui vient.

Par contre, la réponse de l'UNHCR en Jordanie mérite des éloges. J'ai eu l'occasion de me rendre dans le camp de réfugiés d'Azraq récemment ouvert, lequel est sans doute un des camps de réfugiés les mieux conçus de tous ceux où je me suis rendu près de la frontière syrienne, même s'il est situé en plein désert. Cela aidera à composer avec le flot de réfugiés auquel on s'attend si le régime Assad tente de récupérer des territoires situés dans le Sud, même si un nombre croissant de ceux qui se réfugient en Jordanie viennent d'autres régions de la Syrie et ne viennent pas du Sud ou des régions voisines de la Jordanie.

À ce jour, environ 600 000 réfugiés se sont inscrits auprès de l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés dans le Royaume hachémite, mais on croit qu'un million de Syriens, voire plus, vivent hors de cette structure formelle, sans recevoir de l'aide humanitaire. Ces Syriens qu'on connaît sans les connaître sont ceux qui nous inquiètent le plus en raison des enfants que ces familles comptent peut-être en Jordanie, des menaces que ces communautés pourraient poser sur le plan de la sécurité et du fait qu'elles échappent au filet de la Jordanie et de la communauté internationale.

Pour ce qui est des mandats dont vous êtes saisis, un des plus gros obstacles que les Nations Unies ont dû surmonter, c'est le fait que le système international existant, non seulement dans le cas de l'ONU mais d'autres organisations aussi, est toujours obligé de passer par le régime Assad. Dans ces cas en particulier, l'aide humanitaire fournie par l'ONU qui passe par les autorités à Damas est utilisée pour récompenser certains Syriens de l'opposition qui viennent dans des endroits contrôlés par le régime pour se rendre. Cela crée plusieurs obstacles et nous empêche d'aider tous les Syriens qui ont besoin d'aide.

Cependant, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, l'UNICEF et les organisations avec lesquelles ils travaillent déploient des efforts louables pour aider ces populations. Sachez, par exemple, que de nombreux Syriens ont dû fuir dans des régions avoisinantes ou dans d'autres régions à l'intérieur de la Syrie, où l'aide humanitaire a été distribuée gratuitement et de manière très bien organisée.

Le problème qui nous attend — et qui découle à mon avis de la réunion des 11 pays amis de la Syrie qui a eu lieu récemment à Londres —, c'est qu'il va falloir augmenter l'aide transfrontalière pour combattre la crise syrienne aujourd'hui, et dans les mois et les années à venir.

C'est avec plaisir que je vous parlerai de ces points en plus de détails. Merci beaucoup.

La présidente : Nous allons maintenant passer à la vice-présidente du comité.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de vos exposés. Ma question s'adresse à Aide à l'enfance et CARE Canada. La majorité des réfugiés vivent en dehors des camps de réfugiés dans des zones urbaines ou des installations informelles. Comment les organisations aident-elles les enfants déplacés qui ont besoin d'aide?

Mme Thomson : C'est une excellente question. Je suis heureuse que vous me l'ayez posée, car les médias présentent surtout des images des camps de réfugiés, alors que ce n'est qu'une très petite proportion des réfugiés qui y vivent. La vaste majorité des réfugiés vivent dans des zones urbaines; il est donc encore plus difficile de les trouver parce qu'ils cherchent délibérément à s'intégrer, à ne pas se faire remarquer et à ne pas ressortir du lot, si vous me comprenez.

Il faut faire preuve d'innovation pour trouver les réfugiés et leur tendre la main. Nous utilisons plusieurs nouvelles technologies, comme des messages SMS et des téléphones. Selon notre récente évaluation en Jordanie, environ 90 p. 100 de ces réfugiés inscrits auprès de CARE avaient des téléphones cellulaires. Quarante pour cent d'entre eux se servaient d'une application appelée WhatsApp afin de communiquer avec la Syrie. La grande majorité d'entre eux avaient des comptes Facebook et se servaient de Facebook et Skype pour communiquer.

Nos anciennes méthodes, qui consistaient à disposer une boîte pour recevoir des plaintes et un babillard en dehors du bureau avec des informations sur l'aide humanitaire, ne conviennent plus si on veut bien cibler cette population. Il faut s'adapter et faire preuve d'innovation afin de répondre à ses besoins. C'est vraiment important.

Nous constatons que les réfugiés sont très innovateurs et qu'ils communiquent avec nous. Lors de notre récente enquête en Jordanie, les réfugiés avaient communiqué avec trois différents organismes au cours du mois où nous avons fait l'entrevue d'évaluation; ils cherchent activement de l'aide. Nous savons que ceux qui sont confinés chez eux — les handicapés, les aînés, les ménages dirigés par une femme seule — ne peuvent venir à nous, alors nous faisons beaucoup de travail de sensibilisation afin de trouver ces ménages, en faisant appel à des bénévoles de la communauté syrienne ou de la communauté hôte jordanienne afin de rejoindre les plus vulnérables. C'est un défi de taille qui exige un effort quotidien dans le cadre de nos activités.

Mme McLennan : Merci de la question. Comme Aide à l'enfance, CARE et d'autres organisations ont un mandat double, dans le sens qu'ils s'occupent de réagir aux urgences, mais mettre aussi en œuvre des programmes de développement à plus long terme, nous avons souvent été présents dans des pays pendant une longue période et nous avons travaillé dans des régions qui ne sont pas nécessairement touchées par une urgence ou un afflux de réfugiés. En étant présents dans ces pays et en observant les tendances sur l'arrivée des réfugiés, nous pouvons réagir plus rapidement.

En outre, comme ma collègue de CARE l'a dit, nous utilisons des équipes de mobilisation de la communauté, souvent avec l'aide d'employés et de bénévoles locaux, pour faire les évaluations des besoins, visiter des collectivités et voir quelle est la situation sur le terrain. Nous nous intéressons aux réfugiés qui arrivent, mais aussi aux communautés hôtes pour voir quelles sont les pressions sur les ressources et les autres fardeaux avec lesquels elles doivent composer. Nous dépendons assurément beaucoup de nos partenaires, et ce sont les partenaires de l'ONU et d'autres organismes qui recueillent des renseignements et qui les communiquent de façon coordonnée. Il est essentiel que toutes nos organisations s'échangent ces renseignements.

La sénatrice Ataulahjan : Vous avez parlé de l'initiative NON à une génération perdue de l'UNICEF. Pourquoi est- elle importante, et quel genre d'effet croyez-vous qu'elle aura sur les enfants syriens?

Mme McLennan : Ce que je peux dire jusqu'à maintenant, c'est que grâce à cette initiative, environ 327 000 enfants ont reçu de l'éducation de rattrapage et de l'appui psychosocial dans des clubs scolaires au cours de la dernière année en Syrie. Lors de tests effectués auprès de quelque 2 000 participants aux clubs scolaires, on a constaté des améliorations dans de nombreux domaines. Il y a une augmentation de 22 p. 100 pour la langue arabe, 17 p. 100 pour l'anglais et d'autres augmentations en mathématiques et sciences. Près de 500 000 réfugiés et enfants vulnérables syriens ont reçu de l'aide pour avoir accès à l'éducation, surtout dans le cadre de cette initiative.

Cette initiative est importante parce qu'elle tient compte des liens étroits observés entre l'éducation et la protection des enfants. Si un enfant fréquente l'école et a accès à l'éducation, assez souvent, cela signifie également qu'il est dans un environnement sûr; c'est du moins ce que nous espérons. Les enfants ont le droit d'être dans un environnement sûr lorsqu'ils sont à l'école.

De plus, si les enfants ne vont pas à l'école, ils perdent une impression de normalité et peuvent aussi perdre espoir. Ainsi, non seulement deviennent-ils des membres de la société qui ne savent ni lire, ni écrire ni compter, mais ils risquent également de développer une apathie et de ne plus savoir comment s'extirper d'une situation à laquelle, comme mon autre collègue l'a souligné, on ne voit pas de fin pour l'instant.

C'est une initiative importante, qui montre la collaboration étroite entre plusieurs organismes pour régler ces problèmes.

La sénatrice Ataullahjan : Ma question s'adresse à M. Tabler. Dans votre article paru le 30 avril dans The Atlantic, vous avez encouragé l'administration américaine à agir militairement afin d'appuyer l'opposition en Syrie, déclarant que :

La façon la plus efficace et la moins coûteuse de contenir l'avancée d'Assad, de même que l'influence des djihadistes, c'est par un plus grand appui militaire à l'opposition modérée...

Pourquoi est-ce le cas, et pourquoi est-ce que les États-Unis hésitent à aller dans cette direction?

M. Tabler : Il y a un certain nombre de raisons. Premièrement, l'hésitation de l'administration Obama a trait aux risques qu'il y a à fournir des armes à l'opposition, étant donné le nombre d'extrémistes. Elle a aussi trait aux réalités du champ de bataille. Comme il y a beaucoup de forces qui coordonnent leurs actions, cela pourrait permettre à des armes plus évoluées, comme des armes antiaériennes, de tomber entre les mains d'extrémistes. Ce sont des risques réels de ce conflit.

Le problème particulier de la Syrie, comme vous avez probablement pu le voir dans la presse, c'est que le président Assad utilise ce que j'ai qualifié de « solution forcée » en Syrie, laquelle entre en conflit avec celle de la communauté internationale et a mené récemment à la démission de Lakhdar Brahimi, le représentant de l'ONU. Non seulement il utilise les bombes-barils, dont j'ai parlé plus tôt, mais aussi des tactiques de siège et de famine et d'autres tactiques contre-insurrectionnelles afin de faire reculer l'opposition. Cela fonctionne pour lui, mais il n'a pas les forces nécessaires pour le faire lui-même, et le régime est incapable de déployer ces forces. Elles ne sont pas assez fiables. C'est très difficile de trouver des gens, en particulier des soldats, qui tireront sur leur propre population, alors il a dû faire venir des membres du Hezbollah et des milices chiites de partout dans la région pour appuyer ses forces. Ce faisant, il a repris un peu plus de 50 p 100 du territoire syrien et jusqu'à 80 p. 100 de la population syrienne.

Pour que le président Assad avance dans toutes les régions de la Syrie et les arrache non seulement à l'opposition, mais aussi aux extrémistes, l'Iran ou ceux qui l'appuient devraient en offrir encore plus au régime, ce que je ne crois pas qu'ils vont faire, car ils n'ont pas indiqué qu'ils en avaient l'intention. Leurs intérêts stratégiques principaux sont en Occident.

Il faut se demander comment s'occuper des extrémistes dans les autres régions de la Syrie que le régime ne peut pas prendre ou maintenir militairement. Il peut tirer des bombes et des obus sur ces régions, mais il ne peut pas y aller pour éliminer les extrémistes et il ne peut pas les gouverner.

De nombreuses théories ont été présentées. On propose notamment d'utiliser des drones pour frapper certains groupes extrémistes dans ces régions, et cela fait partie des possibilités, mais on ne peut pas tout bombarder tout le temps. Il faut avoir sa propre force sur le terrain, une force qui est contre les extrémistes et qui partage, je crois, l'intérêt de l'Occident à contenir cette menace extrémiste. Voilà pourquoi l'idée d'appuyer les rebelles modérés a refait surface récemment, non seulement dans mon article, mais également dans les pages du New York Times et d'autres parutions, où certaines personnes, même d'anciens membres du personnel de la sécurité nationale à Washington, ont depuis ouvertement préconisé une telle intervention. Je pense que cela vaut la peine de regarder l'entrevue de Lakhdar Brahimi parue dans Der Spiegel il y a quelques jours et de la lire attentivement. Le problème en Syrie, c'est qu'il n'y a pas de solution fondée sur l'État. C'est un État en faillite, et comment allons-nous nous occuper de cet État dans l'avenir, que ce soit en aidant les enfants et les civils ou en s'occupant des origines mêmes de la crise?

La sénatrice Hubley : Merci à chacun d'entre vous pour vos exposés d'aujourd'hui.

Vous nous avez démontré que les garçons et les filles vivent les conflits différemment. Étant donné cette réalité, comment est-ce que les organisations d'aide humanitaire répondent aux besoins différents des garçons et des filles déplacés par le conflit syrien?

J'ai aussi une question sur le nombre d'enfants qui sont handicapés afin de voir si on s'occupe de cette situation? Combien d'enfants handicapés et déplacés sont traités en Syrie et dans les pays qui reçoivent les réfugiés? Je m'arrêterai là.

Mme Thomson : Ce sont de très bonnes questions, des questions très importantes.

Nous visons à répondre aux besoins différents des garçons et des filles en leur demandant premièrement quels sont leurs besoins dans des groupes distincts. Cela signifie que nous parlons aux garçons des préoccupations des garçons et parlons aux filles de leurs propres préoccupations.

Très souvent, nous faisons l'erreur, surtout avec les enfants, de leur parler tous ensemble et de ne pas leur demander séparément quels sont leurs besoins. Bien sûr, les filles ne parleront pas de leurs préoccupations en matière de violence sexuelle devant les garçons. Nous savons d'expérience qu'on doit leur offrir des occasions de parler séparément; ainsi, des femmes ou d'autres filles parlent aux filles, et des hommes parlent aux garçons afin qu'ils aient l'occasion de s'exprimer librement.

Puis nous adaptons notre réponse à ces besoins spécifiques. L'une des choses que CARE fait, qui est très terre-à- terre et fondamentale, c'est de fournir des articles d'hygiène aux femmes et aux filles dans ses trousses d'hygiène, reconnaissant que si l'on ne fournit pas d'articles d'hygiène intime, souvent les filles ne pourront pas en obtenir. Cela signifie que les filles ne vont pas à l'école une semaine par mois si elles y sont inscrites et éprouvent beaucoup de problèmes d'inconfort et de dignité parce qu'elles ne disposent pas d'articles d'hygiène.

Nous venons de faire une évaluation intéressante selon le sexe au Soudan du Sud auprès des femmes et des filles déplacées par ce conflit. Nous leur parlions des articles d'hygiène, et l'une d'elles a dit : « C'est évidemment un homme qui a décidé de fournir des articles d'hygiène sans sous-vêtements. »

Alors nous parlons constamment avec les filles et les femmes de leurs besoins spécifiques, nous adaptons nos programmes et nous entendons les personnes qui en bénéficient nous parler de choses bêtes comme celle-là, qui seraient peut-être exclues d'une trousse d'articles non alimentaires ou d'articles d'hygiène, mais qui deviennent évidentes une fois que l'on demande aux femmes, aux filles ou aux garçons ce dont ils ont besoin ou ce qu'ils veulent.

Peut-être que Cristy peut parler de la question des handicaps.

Mme McLennan : Merci. Sur la différence entre les garçons et les filles, je répéterai que dans tous nos programmes, et je pense particulièrement aux espaces accueillants pour les enfants ou les jeunes, nous aménageons des endroits séparés pour les garçons et les filles, que ce soit pour jouer, apprendre ou parler avec les partenaires qui dirigent ces centres. Il s'agit peut-être de conseillers ou d'éducateurs.

Une fois que ces programmes sont en place depuis un certain temps, ils peuvent sembler prévoir des activités assez différentes pour les garçons et les filles, et c'est parce qu'ils sont fondés sur les consultations au sujet de leurs désirs et de leurs besoins. Ont-ils besoin de compétences particulières, de compétences professionnelles s'ils sont plus vieux, par exemple? Est-ce qu'ils veulent que l'éducation porte sur quelque chose de particulier? Sans égard aux stéréotypes, nous constatons qu'il y a différents genres de formation professionnelle qui intéressent les filles plutôt que les garçons. Au bout du compte, il est essentiel de tenir compte de leurs désirs et leurs besoins, parce que c'est un espace protégé qui les empêche de s'engager dans des activités dangereuses, que ce soit le travail des enfants, les forces armées ou d'autres choses comme cela. Ces espaces doivent être un endroit où on prend soin d'eux et qu'ils trouvent également intéressants.

Votre question sur l'aide et les traitements offerts aux enfants handicapés est très pertinente. À l'instar d'autres ONG et partenaires, nous tentons d'assurer l'accessibilité de nos programmes pour que les espaces accueillants pour les enfants et les points de distribution soient accessibles aux personnes handicapées de tous âges; il en va de même pour les centres d'éducation. Vous ne serez pas étonnés d'apprendre que nombre de ces ressources sont déjà exploitées au maximum; il nous faut donc redoubler de vigilance afin d'offrir un environnement adéquat aux enfants handicapés. C'est tout un défi, mais nous nous efforçons de le relever.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous de vos témoignages.

Il est clair que les ONG et les gouvernements sont nombreux à offrir les services qui s'avèrent nécessaires en raison de la crise qui sévit à l'heure actuelle en Syrie, mais également, de façon plus générale, à répondre aux besoins des enfants déplacés par divers conflits de par le monde.

Je vous demanderais de nous aider à comprendre la nature de la relation générale que vous entretenez avec l'UNICEF et l'UNHCR, principalement en ce qui a trait à la surveillance et la coordination, mais n'hésitez pas à aborder d'autres aspects. Ensuite, en ce qui concerne plus précisément la crise actuelle en Syrie, j'aimerais que vous nous parliez de la manière dont ces organismes supervisent vos efforts, des liens que vous entretenez, de l'aide qu'ils vous apportent et des éventuelles difficultés ou lacunes.

Mme Thomson pourrait peut-être répondre d'abord, suivie de M. Tabler et de Mme McLennan.

Mme Thomson : Nous entretenons une relation très dynamique avec l'UNHCR et l'UNICEF, et travaillons étroitement avec ces organismes. Ils sont souvent pour nous des donateurs, puisqu'ils financent nos activités; ce sont des partenaires, puisque nous travaillons à leurs côtés avec nos propres ressources; ce sont également des coordonnateurs, particulièrement dans le cas de l'UNHCR, qui est responsable de la coordination et de l'intervention auprès des réfugiés.

De notre point de vue, ces organismes assument plusieurs rôles, mais nous dépendons entièrement d'eux pour ce qui est de relever les lacunes, de déterminer l'orientation stratégique de l'intervention, de prioriser les besoins et de coordonner les opérations. Nous faisons partie de groupes de travail que l'UNHCR dirige dans des pays comme la Jordanie, assurant notamment la coprésidence du groupe de travail Cash, en Jordanie, et travaillant main dans la main avec l'UNHCR afin d'aider à établir l'orientation et les politiques en réponse à la crise des réfugiés.

Pour ce qui est des difficultés et des besoins non satisfaits, nous avons toujours eu pour habitude de traiter les situations d'urgence créées par la présence de réfugiés seulement comme des situations d'urgence humanitaires. L'UNHCR, à titre d'organisme d'aide humanitaire, reçoit un financement annuel, lequel ne doit souvent servir qu'à des besoins de survie. Mais nous savons que, dans la plupart des cas, la situation se prolonge. La vaste majorité des réfugiés passe en moyenne 17 ans en déplacement, en exil. Depuis 1992, CARE travaille aux côtés de l'UNHCR à Dadaab, au Kenya, sans entrevoir de solution pour ces réfugiés. Trois générations de réfugiées cohabitent maintenant dans ces camps, et certaines des personnes qui y sont nées n'ont jamais franchi les murs du camp.

En tant qu'organisation assumant un double mandat, à savoir le développement et l'aide humanitaire, nous sommes toujours à l'affût d'approches axées davantage sur le développement en ce qui concerne les réfugiés, principalement une fois la phase initiale de la crise terminée, et nous constatons que ce qui se passe en Syrie correspond à une situation d'urgence prolongée. Des réfugiés avec lesquels j'ai discuté lors de mon dernier séjour en Jordanie m'ont dit : « Au départ, nous pensions repartir au bout de quelques semaines. Mais nous n'y croyons plus. Nous avons perdu tout espoir de rentrer chez nous. » Dans un tel contexte, les besoins ne sont plus les mêmes, et nous devons maintenant nous préoccuper des moyens de subsistance, de la formation professionnelle, de l'éducation et des possibilités d'autosuffisance, car l'aide humanitaire ne suffira pas à répondre aux besoins de tous, et nous savons que l'autosuffisance et les moyens de subsistance permettent de recouvrer une certaine dignité en permettant aux personnes réfugiées de revenir à un train de vie un peu plus normal et de prendre un nouveau départ.

Voilà une lacune clé qui mérite notre attention. Il s'agit bien évidemment d'une question très délicate sur le plan politique. Le gouvernement de la Jordanie a tout à fait raison d'être préoccupé par le nombre considérable de réfugiés que le pays accueille; compte tenu du taux de chômage élevé chez les Jordaniens, c'est un sujet délicat. Il faut faire preuve de doigté pour maintenir un dialogue tout en nuance avec le gouvernement de la Jordanie, dans le respect du fardeau qu'il a à porter.

Mme McLennan : Je vais y aller de ma réponse. J'avais également l'intention de répondre aux deux questions, mais je crois que je me suis trompée dans l'ordre. Veuillez m'en excuser.

Aide à l'enfance travaille en étroite collaboration avec l'UNICEF et l'UNHCR, et plus particulièrement avec l'UNICEF, partenaire privilégié dans ses efforts de création d'espaces accueillants pour les enfants, de protection des enfants et d'éducation. Nous conjuguons bien souvent nos ressources et travaillons en collaboration, ou encore nous agissons à titre de partenaires d'exécution et recevons du financement de la part des organismes afin d'effectuer le travail.

Nous sommes également partenaires d'exécution de l'UNHCR, en Égypte plus précisément, où nous travaillons avec cet organisme dans le cadre de programmes de protection de l'enfance et de migration des réfugiés, en plus d'effectuer l'évaluation de la vulnérabilité des bénéficiaires.

J'estime que le rôle de coordination assumé par l'ONU dans les situations de crise humanitaire est vital et important au plus haut point. Malheureusement, la coordination se fait toujours beaucoup plus difficilement dans les zones de conflits qu'en cas, par exemple, de catastrophes naturelles, et je dirais que dans le cas de cette crise, qui ne se limite pas à un pays, mais s'étend à une région entière, c'est encore plus difficile, mais diverses mesures sont prises afin d'améliorer la coordination. À titre d'exemple, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, ou OCHA, et l'UNHCR viennent de signer un document pour préciser leurs rôle et mandat dans le cadre de cette crise. Nous comptons énormément sur nos partenaires de l'ONU pour aider à coordonner l'information et l'élaboration d'interventions sectorielles, soit l'intervention humanitaire selon les divers secteurs, comme l'éducation, l'alimentation, la santé et la nutrition.

Pour répondre à votre dernière question portant plus précisément sur ce qui se passe à l'intérieur même de la Syrie, nous y rencontrons des difficultés, et l'ONU opère de toute évidence dans des zones qui sont contrôlées par le gouvernement, là où les besoins se font criants comme un peu partout au pays, mais parfois, ce ne sont pas les régions où les besoins sont les plus pressants. Nous encourageons fortement les donateurs et d'autres décideurs politiques à financer une réponse humanitaire globale pour la Syrie. Nous les invitons à ne pas financer exclusivement le plan de réponse et d'aide en Syrie, ou SHARP, mais à s'intéresser également aux opérations dirigées par les ONG en territoire syrien.

M. Tabler : Je dirai pour conclure rapidement qu'à la lumière de la crise en Syrie et de son évolution, les ONG joueront selon moi un rôle de plus en plus crucial quand vient le temps d'apporter de l'aide à des États affaiblis tel que la Syrie. Voilà ce à quoi je m'attends : je crois que, peu importe ce qui se passe, peu importe qui contrôle tel ou tel territoire, nous considérerons que la Syrie est l'un des pires États en déroute du monde. Tout dépend du déroulement et de la durée du conflit. Il serait très difficile de tout rapiécer.

C'est pourquoi, comme certains de mes collègues l'ont précédemment souligné, il sera nécessaire d'apporter de l'aide ailleurs qu'à Damas et Idlib, territoires contrôlés par le régime et traditionnellement desservis par l'ONU. Il faudra notamment travailler dans des zones de la Syrie contrôlées par l'opposition, et je tiens à féliciter les ONG pour tout le travail qu'elles ont réussi à accomplir à ce jour, mais il reste encore beaucoup à faire.

Je crois que nous devons aux Syriens de trouver de nouvelles façons d'intervenir. Malheureusement, le régime a toujours indiqué aux ONG et aux autres organisations qui opèrent en Syrie : « Si vous faites directement de la distribution dans les zones contrôlées par l'opposition en passant par d'autres canaux que ceux du régime, nous allons couper court à vos autres opérations en Syrie. » Je sais que les organismes de l'ONU ont eux aussi réellement peur que cela leur arrive. Ces derniers m'ont avoué franchement, tout au long du processus, qu'ils craignaient qu'on mette un terme à leurs activités globales s'ils tentaient de venir en aide aux personnes dans le plus grand besoin.

L'aide humanitaire, financée par l'Occident, est plutôt distribuée par l'entremise de canaux du régime et sert à récompenser les Syriens qui se soumettent aux règles d'Assad. Cette stratégie fait partie des techniques de « siège et famine » employées par le régime pour reprendre le contrôle de territoires qu'il venait de perdre. Reste à voir s'il saura le conserver.

L'un des désavantages de l'approche adoptée par le régime Assad à ce jour, c'est qu'il a eu recours à des tactiques de la terre brulée. Nombre des régions qu'il reprend sont dévastées. Les niveaux de destruction en Syrie sont tout simplement ahurissants. Selon la CESAO, un organisme de l'ONU sis à Beyrouth, environ un tiers du parc immobilier syrien aurait été détruit. Ainsi, même si le conflit prenait fin demain, ce qui ne se produira point, et même si le conflit prenait fin d'ici trois ans, ce qui risque de ne pas se produire, la plupart des Syriens qui habitaient dans ce tiers du parc immobilier ne pourraient rentrer à la maison. S'ajoute à cela toutes le autres complications connexes dont vous discutez depuis quelques jours, notamment l'enregistrement des naissances, la prise en charge des besoins fondamentaux de chaque personne et la prévention de la radicalisation, tâche qui s'avère fort difficile dans les circonstances et qui continuera de l'être dans un avenir prévisible.

La sénatrice Seidman : Merci. Puis-je poser une question complémentaire? Vous avez tous parlé du besoin d'adaptation et d'ajustement constant à mesure que la situation évolue, passant des efforts humanitaires aux efforts davantage axés sur le développement.

Madame Thomson, vous avez abordé cette question. Par contre, vous avez omis de parler des canaux de communication, plus particulièrement avec l'UNICEF et l'UNHCR.

Existe-t-il un mécanisme d'évaluation, de réévaluation et d'ajustement constants? Tenez-vous des réunions périodiques? Existe-t-il un processus de communication intégré qui vous permet éventuellement d'adapter et d'ajuster vos programmes?

Mme Thomson : Oui, absolument. Nous tenons des rencontres sectorielles à intervalle régulier. Vous entendrez peut- être dire que la réponse à la crise des réfugiés n'est pas « en grappe », c'est-à-dire que traditionnellement, l'approche en grappe d'OCHA ne s'applique pas. En fait, on a recours au même type de mécanisme de base, organisé par groupe de travail plutôt que par grappe, par secteur, afin de discuter des besoins qui ne sont pas satisfaits, des ajustements nécessaires et des changements à apporter, qu'il s'agisse de l'approvisionnement en eau, des abris, de l'éducation ou de la protection. En outre, une équipe de pays chargée de l'action humanitaire se rencontre pour discuter des besoins sur un plan plus stratégique ou mondial.

Le processus de planification de l'UNHCR fonctionne selon un cycle annuel, et il en va de même pour ses partenaires d'exécution. L'organisme procède à une évaluation des besoins de concert avec les collectivités et demande à ses partenaires de participer aux évaluations afin de déterminer ce qui doit être modifié ou adapté.

En plus du travail sur le terrain, nous collaborons également avec l'UNHCR à Genève. La consultation annuelle de l'UNHCR auprès des ONG se tiendra la semaine prochaine à Genève. La consultation n'a jamais été aussi vaste. Près de 500 participants et 250 organisations des quatre coins de la planète y prendront part. Nous aurons l'occasion d'aborder des questions régionales, ainsi que des questions thématiques avec la haute direction de l'UNHCR, notamment avec le haut-commissaire pour les réfugiés.

La sénatrice Seidman : Merci. Vos explications sont très utiles.

Mme McLennan aurait peut-être quelque chose à ajouter.

Mme McLennan : Je soulignerai simplement le fait que, dans le cas de l'UNICEF, l'organisme qui intervient en situation d'urgence, mais également dans les contextes de développement, nos voies de communication sont solides, et nous travaillons continuellement en partenariat avec l'UNICEF dans d'autres contextes que des situations d'urgence. Nous avons déjà commencé à élaborer des programmes à plus long terme dans certaines des communautés d'accueil des réfugiés, moins axés sur la réponse humanitaire, mais visant plutôt à rétablir les moyens de subsistance ou encore à renforcer les capacités, travail que nous effectuons avec certains de ces partenaires.

Dans l'immédiat, la communication se fait sans contredit au sein de l'équipe de pays chargée de l'action humanitaire, ainsi que dans le cadre des rencontres sectorielles dont a fait état ma collègue.

La sénatrice Andreychuk : Merci. Ma question s'adresse à M. Tabler.

Vous avec dit que, selon vous, le fait d'armer les moins — je ne me souviens plus du terme exact que vous avez employé, mais ceux qui sont modérés — pourrait faire partie de la solution. Plus tard dans votre exposé sur la question, vous avez indiqué que le régime Assad n'allait pas permettre de mouvement dans les zones qu'il ne contrôle plus. Si un groupe modéré prend le contrôle d'une région, les groupes moins modérés qui s'y trouvent lui donneront du fil à retordre; il s'agit de groupes agressifs qui luttent à la fois contre les groupes modérés et le régime Assad, ce qui a pour effet de rendre les civils encore plus vulnérables. Je ne comprends pas bien pourquoi vous dites que cette solution pourrait fonctionner alors que tous s'entendent pour dire qu'une solution politique sera nécessaire en raison de la nature disparate de la situation. Vous semblez dire que la Syrie est un État en déroute et continuera de l'être. On a dit la même chose au sujet de la Somalie. On en a conclu qu'une solution politique convenue par les acteurs était la seule issue. On peut marginaliser, désarmer et même éliminer certains des groupes, mais en bout de ligne, il faut de la volonté politique pour rebâtir un pays ou des parties d'un pays. Je vous pose une question politique, à savoir pourquoi vous prenez cette position à l'heure actuelle.

Deuxièmement, cette solution n'aurait-t-elle pas pour effet de rendre les communautés, et particulièrement des enfants, plus vulnérables?

Pendant que vous y réfléchissez, j'aurais une question à poser aux deux autres témoins : ce qui me dérange du système onusien en place, c'est qu'il est toujours question d'aide d'urgence, soit d'une réaction à une situation inconnue. De tels conflits politiques éclatent un peu partout dans le monde. Nous les surveillons d'un point de vue politique.

J'aimerais savoir à quel point vos organismes — et, par la bande, les Nations Unies, avec lesquelles vous collaborez — surveillent ces situations et élaborent des plans d'intervention en cas d'urgence.

De plus, quand on nous demande d'intervenir dans un contexte comme celui de la Jordanie, du Liban et d'autres pays, ainsi que, jusqu'à un certain point, à l'intérieur du pays, vous engagez-vous à court terme? Comme vous le dites si bien, la situation se prolonge inévitablement, pendant 17 ans en moyenne.

Commencez-vous par un plan à court terme pour passer la main à un autre organisme par la suite? Comment déterminez-vous les ressources dont vous avez besoin? Je pose la question, car en situation d'urgence à court terme, on ne se préoccupera pas de scolarisation, mais plutôt de santé, de sécurité et de réintégration. À quel moment vous dites- vous : « Cette situation va perdurer, il nous faut reproduire une collectivité »?

La présidente et moi-même connaissons très bien les Kényans, et nous savons que dans le Nord du pays, les services offerts sont parfois beaucoup plus attrayants qu'un retour à la maison, et on ne sait plus s'il vaut mieux relocaliser les personnes, les laisser continuer de vivre dans les camps ou tenter de les faire rentrer chez elles, à leur juste place; mais elles vivent dans des camps depuis si longtemps qu'elles ne se souviennent plus à quoi ressemblait la vie là-bas.

Cette étude avait pour but de voir si nous examinons de façon réaliste les conflits contemporains, qui semblent être des conflits intérieurs. Sommes-nous prêts, dans l'intérêt des enfants, qui sont les plus vulnérables, à réagir aux changements qui pourraient se produire? Peut-être que M. Tabler souhaite nous donner son avis.

M. Tabler : Nous essayons d'éviter que ne se reproduise en Syrie une situation comme celle en Somalie jusqu'à maintenant. Un règlement semble hors de portée. Pour vous parler franchement, le problème, c'est que le régime Assad, qui a récemment assisté aux négociations à Genève, a refusé de discuter de la transition politique envisagée. L'opposition, quant à elle, voulait en discuter.

Finalement, tout dépend de la forme que prendra la transition politique. À l'heure actuelle, on dirait que le régime essaie d'imposer une solution aux Syriens et dans les zones sous sa gouverne. Pour arriver à ses fins, le régime largue des bombes-barils et d'autres types d'engins explosifs à partir d'hélicoptères. Ces attaques ont exercé une forte pression et tué beaucoup plus d'enfants que les activités rebelles menées en Syrie.

L'armement des rebelles est une question de sécurité qui fait l'objet d'un débat houleux dans l'Ouest et en Europe. La question est de savoir quoi faire de ces grands pans de la Syrie que l'État ne maîtrise plus en permanence ou presque. Que faire de la montée vertigineuse de l'extrémisme dans ces régions? Ceux qui ont milité pour l'armement des rebelles dans ces régions l'ont fait à la fois pour des raisons militaires et politiques pour faire face aux extrémistes. Quoi qu'il arrive à l'avenir, il est difficile de dire si nos actions vont sauver des enfants ou coûter la vie d'un plus grand nombre d'entre eux. Malheureusement, il est très difficile de prédire l'effet de nos actions.

Il y a bien une chose qui est claire : les mesures prises jusqu'à maintenant n'ont pas empêché la déliquescence de la Syrie. Le nombre de morts augmente. Le nombre de personnes déplacées augmente. Le nombre d'orphelins augmente, tout comme le nombre de déplacés temporaires et permanents. La situation évolue, et l'un de mes collègues a présenté des chiffres précis. À mon avis, bien des Syriens ne pensent pas pouvoir rentrer chez eux. La situation empire. L'un des problèmes, c'est qu'il faut déterminer quand on s'attaque aux origines de la crise et pas seulement aux symptômes. Cela fait l'objet de débat en ce moment.

Il n'y a pas de solution magique. J'aurais bien aimé qu'il y en ait. Au début de la crise, il aurait été plus facile d'intervenir, mais quand on hésite, on tergiverse et on reste sur la touche, la situation peut parfois empirer. En l'occurrence, tout porte à croire que c'est ce qui s'est passé. Il reste à voir quel sera le dénouement de la crise.

Mme Thomson : Vous posez une bonne question sur la pertinence de nos activités et le besoin de trouver des solutions nouvelles pour ces urgences qui perdurent.

J'aurais quatre points principaux à communiquer. D'abord, à mon avis, l'UNHCR n'a pas pour vocation de devenir une super organisation qui s'occuperait de tout, des secours au développement. C'est un travail colossal qui doit être accompli, mais il faut que les organismes des Nations Unies et leurs partenaires travaillent ensemble. Il est impressionnant de noter que dès le début de la crise en Syrie, l'UNHCR a déclaré : « Les travailleurs humanitaires ne suffiront pas à la tâche. Les organismes de développement, le PNUD et les institutions financières internationales doivent se mobiliser dès maintenant — pas dans 5 ou 10 ans, mais aujourd'hui — parce que nous savons que la crise va durer longtemps et que les acteurs de développement doivent être à l'œuvre dès le début. » C'est une position novatrice. On dirait du gros bon sens, mais c'est extrêmement novateur. C'est la première fois qu'on assiste à un pareil effort. De mon point de vue, c'est passionnant.

Deuxièmement, on accorde plus d'importance aux communautés d'accueil. Encore une fois, nous affirmons à cors et à cris, depuis 1992, qu'il faut appuyer les communautés d'accueil ainsi que les réfugiés à Dadaab, au Kenya, et des régions avoisinantes, mais ces cris ont rarement été entendus. Dans le contexte de la crise en Syrie, il a été reconnu que si nous n'appuyons pas les communautés d'accueil, et en particulier les plus vulnérables qui côtoient les réfugiés, nous ratons notre objectif et ne répondons pas aux besoins des gens touchés par la crise.

Troisièmement, il faut commencer à envisager la planification et le financement pluriannuels. Les modalités de financement limitent notre capacité d'intervention. Pour des urgences, nous recevons surtout du financement sur un mois, six mois ou un an. Nous recevons toutefois du financement annuel pour Dadaab depuis 1992. Nous connaissons les besoins et nous pouvons les anticiper. Bien entendu, la situation évolue, et il faut s'adapter, mais du financement pluriannuel serait très utile, particulièrement pour des urgences. Ce serait plus efficace, car on n'aurait pas à assumer les coûts initiaux pour former à nouveau des employés, puisqu'on n'aurait pas à mettre fin à leur contrat chaque année. On pourrait réutiliser les ressources de façon plus stratégique. Je pense qu'il y aurait moyen de trouver des approches novatrices. L'UNHCR réclame du financement pluriannuel. Je leur ferais remarquer que s'il en reçoit, il devrait veiller à en donner aux ONG partenaires également.

Enfin, il faut absolument discuter de retour durable. Ce n'est pas simplement une question de sûreté et de sécurité. Il faut également pouvoir assurer des services de base comme l'éducation, la santé et la possibilité de gagner sa vie. Les Somaliens ne retournent pas dans leur pays parce que la sûreté et la sécurité n'y sont pas assurées, mais également parce qu'il y a si peu de possibilités pour eux. Il est donc important que les acteurs de développement interviennent tôt, dès la phase initiale de redressement, pour assurer la continuité entre les secours et le développement. Les acteurs des secteurs humanitaire et du développement doivent travailler main dans la main pour veiller à ce que cette continuité soit assurée.

Mme McLennan : J'aurais quelques observations supplémentaires; j'espère ne pas me répéter. Quand on intervient dans ces conflits politiques qui perdurent, nous envisageons une intervention à long terme. D'abord, il y a l'intervention d'urgence, suivie de la phase de redressement et du développement à long terme. Bien entendu, c'est rarement aussi simple. On travaille sur ces trois fronts à tout moment.

Au cours des 48 premières heures de planification, je crois que tous les organismes réfléchissent déjà à leur stratégie et leur intervention à long terme. D'habitude, on établit des stratégies sur trois ou cinq ans.

Comme l'a dit mon collègue, les cycles de financement ne cadrent pas avec ces stratégies. C'est difficile de savoir si sa stratégie sera financée dès le départ, ce qui pose de vrais problèmes. Il peut également être difficile d'assurer la continuité entre ce qu'on considère comme une intervention d'urgence traditionnelle, à savoir la distribution d'articles de première nécessité et la prestation de soins, et le développement des capacités à long terme. Parfois, le financement est interrompu entre ces deux étapes, comme si elles étaient séparées. En fait, on peut bien les intégrer et y travailler en même temps.

Vous avez posé une question sur la surveillance. La sûreté et la sécurité ne sont pas toujours garanties, surtout dans les situations de conflit, et il est possible que nous ayons travaillé sur le terrain avant le conflit ou avec des partenaires locaux. Nous comptons certainement sur nos partenaires, qui ont éventuellement une meilleure connaissance de certaines régions, qui y ont accès plus facilement ou qui y sont mieux acceptés. Il nous arrive de travailler avec ces partenaires à distance pour les aider à fournir l'aide dont la population a besoin.

La sénatrice Unger : Merci à chacun d'entre vous pour vos exposés. J'aimerais vous interroger sur les mandats d'UNHCR et d'UNICEF. Croyez-vous que d'autres organismes, qu'ils soient à l'intérieur ou à l'extérieur des Nations Unies, auraient pu mieux remplir certains volets de leur mandat au cours des 10 à 15 dernières années?

À titre d'ONG, vous avez dû vous adapter et planifier; donc vos rôles ont changé. Je me demande si les leurs ont changé également. Si c'est le cas, ces changements influent-ils sur votre planification à l'avenir?

Mme Thompson : Je serais heureuse d'intervenir là-dessus. Des changements importants ont eu lieu dans le système des Nations Unies, y compris l'examen des interventions humanitaires de 2005, qui a eu un effet important sur le mandat d'UNHCR. Cet examen a donné lieu à la fameuse approche par grappe qui visait à mieux répondre aux besoins des personnes déplacées. À la lumière des situations au Darfour, on estimait qu'en l'absence d'un organisme dédié à la protection et l'assistance des personnes déplacées, ces dernières ne recevraient pas la protection et l'assistance qu'elles méritaient et dont elles avaient besoin.

En 2005, des réformes ont été apportées pour combler cette lacune. Essentiellement, plutôt que de créer un nouvel organisme, la responsabilité des divers aspects relatifs aux personnes déplacées a été répartie entre divers organismes. L'UNHCR a assumé la responsabilité de protéger et d'abriter les personnes déplacées dans un conflit armé et de gérer et coordonner les camps, ce qui signifie que le nombre de personnes dont l'organisme est responsable est passé de 10 à 25 millions sur une période d'un an. C'est la raison pour laquelle le budget d'UNHCR a connu une augmentation énorme et que ses activités ont beaucoup changé. D'un point de vue juridique, les personnes déplacées n'ont pas été incorporées au mandat d'UNHCR, mais sur le plan opérationnel, l'organisme essaie de servir trois fois plus de bénéficiaires qu'il y a 10 ans, ce qui a eu un effet considérable sur l'organisme. Je crois qu'il a brillamment relevé ce défi, mais, en décembre de cette année, un grand nombre d'acteurs se sont réunis à Genève pour le dialogue du haut- commissaire sur les défis de protection pour faire le point, 10 ans plus tard, sur l'effet des réformes humanitaires sur notre intervention auprès des personnes déplacées. Des progrès importants ont été réalisés, mais il reste encore des lacunes considérables à combler. Je ne dis pas que l'UNHCR a échoué. En fait, je crois qu'il a obtenu des résultats exceptionnels, mais les besoins sont très importants. Malgré les progrès qui ont été faits, il faut améliorer notre intervention auprès des personnes déplacées. Je crois effectivement que ce sujet mérite notre attention.

Je pense qu'il faut s'attarder également aux responsabilités accrues de l'organisme, à la fois du point de vue du financement et de sa capacité à s'acquitter de ces responsabilités importantes face à des besoins humanitaires grandissants.

La sénatrice Unger : Croyez-vous qu'il y a d'autres organismes qui pourraient combler les lacunes dont vous faites état?

Mme Thomson : Je considère que le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes déplacées dans leur propre pays doit avoir plus de pouvoir. À l'heure actuelle, il s'agit d'un représentant spécial qui n'a pas une voix très forte pour parler de la protection et des besoins des personnes déplacées dans leur propre pays. J'estime qu'il faudrait que ce poste soit confié à une personne qui s'y dévouerait entièrement, dotée d'un mandat fort et un rôle important. À l'heure actuelle, le poste n'est financé qu'à 50 p. 100 et le titulaire fait le plus gros du travail dans son temps libre. Il faut un titulaire solide pour sensibiliser les gens aux besoins des personnes déplacées dans leur propre pays et pour faire en sorte que leurs besoins ne sont pas oubliés. C'est très important. Je proposerais certainement un mandat fort pour le rapporteur spécial des droits des personnes déplacées dans leur propre pays, car ce mandat, depuis les dernières années, a subi des pertes de financement et de pouvoir au sein du système des Nations Unies.

La sénatrice Unger : Merci. Madame McLennan?

Mme McLennan : J'ajouterais simplement que même si les mandats de ces organismes n'ont peut-être pas changé, nous constatons que leurs méthodes de travail ont changé. Je dirais qu'il en va de même pour les ONG. Nous avons toujours la même vision. Nous voulons appuyer la prestation d'aide humanitaire impartiale et indépendante, mais compte tenu de la nature évolutive des conflits, nous avons également changé nos méthodes de travail.

Je suis également d'avis que les réformes de 2005 aux Nations Unies et un plus grand partenariat sur la complémentarité entre les Nations Unies, les ONG et la famille de la Croix-Rouge, qui jouent tous un rôle important dans ces situations, ont vraiment aidé à combler certaines des lacunes. Il s'agit non pas de savoir si les autres organismes sont mieux placés, mais plutôt de savoir qui fait quoi, de comprendre les compétences spécialisées de chacune d'entre elles et de voir comment on peut collaborer de manière cohérente et logique afin que lors de la prochaine urgence ou lors du prochain conflit, nous ne peinions pas à comprendre le système pendant les premiers jours et les premières semaines. Nous avons maintenant un système, et je crois que tous les partenaires font en sorte qu'il fonctionne le mieux possible.

La sénatrice Unger : Je suis désolée, monsieur Tabler. A-t-il des commentaires?

La présidente : Monsieur Tabler, avez-vous des observations?

M. Tabler : Non, je n'en ai pas. J'estime que mes deux collègues ont très bien répondu.

La présidente : Vous nous avez tous donné d'excellents renseignements. J'aimerais conclure en posant une question à chacun d'entre vous. Vous avez tous donné des explications cet après-midi. Mme Thompson a parlé un peu des personnes déplacées. Selon vous, les mandats du HCNUR et de l'UNICEF devraient-ils être élargis ou réduits?

Je vais vous dire ce que j'en pense. Le mandat initial de l'HCNUR touchait les urgences. Il s'occupe maintenant des camps et des personnes déplacées dans leur propre pays. Selon ce que je comprenais, l'UNICEF s'occupait des urgences, puis il a commencé à participer à l'aide au développement et à aider les gens à construire des écoles, entre autres.

Leurs mandats devraient-ils être élargis? Pendant que j'y pense, l'HCNUR devrait-il intervenir en cas de catastrophes naturelles? Nous allons commencer avec vous, monsieur Tabler.

M. Tabler : Je ne suis pas un expert des rouages des Nations Unies. Cependant, pendant presque toute ma vie professionnelle, j'ai traité de la question du Moyen-Orient et observé les organismes des Nations Unies tels que le HCNUR et l'UNICEF avoir du mal à composer avec les problèmes de taille dans cette région.

Je crois que la vraie question qu'il faudra se poser, c'est, comment allons-nous composer avec les États en déroute lorsque les systèmes internationaux n'arrivent plus à régler les problèmes émanant de ces régions dans le cadre de leurs mandats. Il faut en discuter activement avec les Nations Unies pour savoir ce qui se passe dans ces circonstances. J'estime qu'il faut tenir une discussion d'envergure sur la façon d'aborder les victimes, si ce n'est sur les causes du conflit en Syrie. C'est l'occasion d'avoir cette discussion. Cela dit, je crois que ce que ces organismes ont pu faire jusqu'à maintenant a été extrêmement admirable. Je les félicite vraiment de leurs efforts. Je crois que nous devrons tous faire preuve d'imagination pour trouver des moyens de composer avec les menaces émanant de la Syrie en ce qui concerne l'aide humanitaire et les menaces à la sécurité.

Mme McLennan : Merci pour la question. Je crois que pour une ONG comme Aide à l'enfance, je suis d'avis que nous devrions féliciter ces organismes d'élargir la portée de leur travail, car cela nous permet, à nous et à nos partenaires, d'avoir plus de possibilités de travailler en collaboration avec eux.

Avec l'UNICEF plus particulièrement, nous collaborons beaucoup et nous considérons avoir obtenu plusieurs résultats positifs sur les plans tant des urgences que du développement.

Pour ce qui est des catastrophes naturelles, il y a d'autres organismes qui se chargent d'intervenir, en particulier la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et l'Organisation internationale pour les migrations. Ma collègue a beaucoup parlé du fait que l'évolution du travail de cet organisme doit être soulignée, même si son mandat n'a pas changé. Ici encore, je pense que cela permet aux autres acteurs œuvrant aux mêmes endroits de collaborer davantage et travailler de façon plus solide.

La présidente : Merci beaucoup. Madame Thompson?

Mme Thompson : Comme Christy l'a indiqué plus tôt, il s'agit davantage de travailler efficacement avec les différents organismes, les ONG, la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge plutôt que d'élargir les mandats propres au HCNUR ou à l'UNICEF. J'estime que nous avons fait beaucoup de progrès depuis 2005 et que nous pouvons continuer de progresser.

Pour ce qui est des interventions lors de catastrophes naturelles, nous avons constaté que le système de grappe et le programme de transformation récent ont produit des résultats. Aux Philippines, les organismes ont réagi et collaboré de façon très efficace parce qu'ils avaient appris des leçons très importantes et qu'ils savaient clairement qui était responsable. L'HCNUR est chef de file et responsable dans les situations de conflit, tandis que d'autres organismes sont responsables dans des situations de catastrophe naturelle, et cela fonctionne très bien.

À mon avis, il faut mettre l'accent sur la façon dont nous travaillons ensemble afin d'améliorer et faire progresser les efforts plutôt que sur l'élargissement du mandat.

La présidente : Merci beaucoup à vous trois. Nous avons beaucoup apprécié vos exposés et avons beaucoup appris grâce à vous. Nous espérons travailler avec vous à l'avenir. Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

La présidente : Nous allons tenir une séance publique sur le budget.

Nous allons maintenant nous pencher sur le budget de l'étude de La Haye. Vous avez devant vous un budget de 10 000 $ pour la conception graphique. Êtes-vous tous d'accord pour l'étude sur La Haye?

Des voix : D'accord.

La présidente : Vous avez également en main le budget pour la seconde étude que nous menons sur la Syrie. Une fois que nous aurons tenu d'autres audiences ici à Ottawa, nous aimerions poursuivre nos travaux en Syrie. Comme nous l'a dit un témoin aujourd'hui, peu importe ce que nous lisons ou entendons, ce sera une fois sur le terrain que nous aurons une meilleure idée de ce qui se passe vraiment dans les camps. Le comité est d'avis qu'il importe de faire cette visite en Syrie. Nous prévoyons un budget de 167 128 $. Peut-on...

La sénatrice Andreychuk : Puis-je ajouter quelque chose? Je crois que vous devez également dire qu'Adam — qu'on connaît d'un autre comité — indique les coûts après avoir effectué une recherche sur Internet sur les billets en classe affaires, et dès que l'étude est amorcée, il tente de dénicher les coûts les plus raisonnables pour cela et pour tout le reste. Il faut inclure tous les coûts possibles, même si on ne prévoit pas tout dépenser. Je pense qu'il serait également utile que cela fasse partie de votre présentation.

La présidente : C'est ce que nous avons fait : nous avons indiqué que nous avions tout inclus pour le comité et que c'était pourquoi les frais de voyage étaient considérables. Cependant, une fois les dates confirmées, nous pourrons avoir des billets plus restrictifs, ce qui réduira de beaucoup le prix. Nous allons le répéter. Merci.

La sénatrice Andreychuk : On a également demandé combien de membres du comité allaient être du voyage. Dans notre comité, nous avons demandé à quiconque ne veut pas voyager ou ne peut pas voyager pour des raisons familiales, peu importe le moment, d'en aviser la présidence pour que nous puissions réduire le nombre de voyageurs à neuf, huit ou sept. Ce serait également utile.

La présidente : Nous le ferons aujourd'hui. Si vous ne pouvez pas voyager, veuillez m'en aviser. Nous allons également envoyer un communiqué, car un des membres est absent. Mais comme il peut voyager, je n'enverrai pas de communiqué, car je sais que le sénateur Eggleton peut voyager.

Si quelqu'un ne peut pas voyager, qu'il m'en avise pour que nous puissions ensuite présenter un nouveau budget.

Y a-t-il d'autres questions? Merci beaucoup.

Nous n'aurons pas de réunion la semaine prochaine, car le Sénat ne siège pas. C'était notre dernière réunion d'ici notre retour.

(La séance est levée.)


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