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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 14 - Témoignages du 10 décembre 2014


OTTAWA, le mercredi 10 décembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d'autres lois en conséquence, ainsi que le projet de loi S-201, Loi sur la non-discrimination génétique, se réunit aujourd'hui, à 13 h 3, pour étudier les projets de loi.

La sénatrice Salma Ataullahjan (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Chers collègues, bonjour. Cet après-midi, nous étudions article par article le projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d'autres lois en conséquence. Je suis la sénatrice Ataullahjan, vice-présidente du comité, et je demande à mes collègues de bien vouloir se présenter.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, sénatrice de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Ngo : Je suis le sénateur Ngo, de l'Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Je suis la sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Nancy Ruth : Nancy Ruth, de Toronto.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de Toronto.

La vice-présidente : Plaît-il au comité de procéder à l'étude article par article du projet de loi S-7?

Le sénateur Eggleton : Mais avant, je veux questionner les fonctionnaires. Ma question découle d'un mémoire que nous avons reçu cette nuit d'Unicef Canada, qui soulève un problème que je voudrais faire clarifier par les fonctionnaires au fait de la criminalisation, ceux du ministère de la Justice, je suppose, s'ils sont ici.

La vice-présidente : Des fonctionnaires de la Justice sont présents et ils peuvent répondre à la question.

La sénatrice Jaffer : Pourquoi ne sommes-nous pas à huis clos? Nous ne sommes pas à huis clos.

Adam Thompson, greffier du comité : Madame la sénatrice, les règles exigent que l'étude article par article soit publique.

Le sénateur Eggleton : Dans le mémoire qu'il nous a communiqué, l'Unicef affirme craindre l'aggravation des sanctions pénales des enfants, du fait des modifications proposées au Code criminel et à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il écrit :

Les enfants font intentionnellement l'objet de la protection dans le projet de loi S-7, et rien ne peut justifier qu'on aggrave les sanctions pénales qui leur sont imposées dans le contexte de la protection contre le mariage forcé. Si un enfant est impliqué dans une situation possible de mariage forcé, à titre de victime ou de facilitateur, il faut intervenir autrement, soit en recourant à un programme spécial de prévention ou de consultation auprès de l'enfant et de la famille sous l'égide des autorités de protection de l'enfance ou d'un organisme communautaire disposant des compétences appropriées.

Et il recommande que :

les enfants et les jeunes ne soient pas assujettis aux mesures énoncées dans les nouveaux articles 293.1 et 293.2 du Code criminel, ni dans les amendements proposés au paragraphe 14(2) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Pouvez-vous formuler des observations à ce sujet, s'il vous plaît?

Gillian Blackell, avocate-conseil, Section de la famille, des enfants et des adolescents, Justice Canada : Merci, sénateur.

En principe, les dispositions du code s'appliquent généralement à tous, en territoire canadien. Cependant, comme vous le savez, la responsabilité criminelle commence en général seulement à l'âge de 12 ans. Entre 12 et de 18 ans, la procédure et le régime de la détermination de la peine sont régis par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Ils sont donc déjà soumis à un régime séparé qui tient compte de leur âge, de leur développement moins avancé et du caractère moins blâmable de leurs actions.

Les deux dispositions qui criminalisent la participation à un mariage forcé ou précoce exigent une participation active et l'intention spécifique. Normalement, le procureur de la Couronne n'exerce que son pouvoir discrétionnaire pour poursuivre les principaux responsables d'un acte particulier.

Des mesures distinctes d'accusation s'appliquent aux jeunes délinquants. Normalement, comme vous l'avez dit, ces dispositions visent à protéger les personnes vulnérables. Il est donc peu probable, en général, qu'elles servent contre des personnes vulnérables. Ce n'est pas l'intention du législateur.

Le sénateur Eggleton : C'est peu probable et ce n'est pas voulu, mais il reste tout à fait possible d'engager des poursuites criminelles contre un jeune de 13 ou 14 ans qui tombe sous le coup de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. On pourrait toujours engager des poursuites contre un jeune qu'on oblige à se marier, comme le laisse entendre l'expression « mariage forcé », qui peut participer à un tel mariage, mais qui est mal protégé par ces dispositions, s'il est accusé.

Joanne Klineberg, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, Justice Canada : Dans le Code criminel, de nombreuses infractions visent à protéger les personnes, mais elles sont rédigées de façon à s'appliquer aussi à la victime. Un bon exemple serait l'inceste, le fait d'avoir des relations sexuelles avec l'un de ses parents, son enfant, son frère ou sa sœur et ainsi de suite. L'inceste peut exister entre un parent et son enfant. La Couronne exercera sa discrétion pour ne pas poursuivre l'enfant.

Je ne crois pas qu'on puisse raisonnablement craindre que la Couronne n'accuse la victime d'un mariage forcé ou d'un mariage de personnes qui n'ont pas l'âge légal. L'infraction existe pour qu'on puisse porter des chefs d'accusation contre les personnes qui en obligent une autre à se marier ou les personnes qui célèbrent un mariage, ou y assistent, dans lequel l'un des mariés a moins de 16 ans. Je ne crois pas qu'on exerce de pouvoirs discrétionnaires pour poursuivre la personne qui est très visiblement perçue comme la victime de ces infractions.

Cela ne veut pas dire que ces individus ne peuvent pas avoir de frères ou de sœurs de moins de 18 ans qui essaient d'influencer la personne qui n'a pas l'âge légal ou la future mariée malgré elle. Voilà exactement pourquoi on a libellé ainsi l'infraction. Si on rendait tout à fait impossibles les poursuites contre les frères ou sœurs de moins de 18 ans qui, avec leurs parents, ont amené, malgré elle, une sœur à son mariage, on aurait un mécanisme qui ne réussit pas à protéger la victime.

Les infractions sont là. La victime ne sera pas accusée. Comme dans le cas de toutes les autres infractions, nous devons simplement faire confiance à la police et aux procureurs pour distinguer la victime des auteurs de l'infraction.

Le sénateur Eggleton : Merci.

La vice-présidente : Plaît-il au comité de procéder à l'étude article par article du projet de loi S-7?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Le titre est-il réservé?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'étude de l'article 1, qui contient le titre abrégé, est-elle reportée?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : L'article 2 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 3 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 4 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La sénatrice Jaffer : J'avais des amendements pour les notions d'« âge » et de « provocation ». Mes collègues les ont. Je voudrais, sur l'âge minimum, à la page 2, projet d'article 2.2...

La sénatrice Andreychuk : J'invoque le Règlement. Ne venons-nous pas d'adopter l'article 4?

La vice-présidente : En effet.

La sénatrice Jaffer : C'était avec dissidence, mais nous n'avons pas acquiescé. C'était avec dissidence.

La sénatrice Andreychuk : Mais dès qu'on dit « avec dissidence », on a voté. Voilà pourquoi je tiens à ce que nous clarifiions la situation, puis nous devrons déterminer s'il faut recommencer.

La sénatrice Nancy Ruth : Laissez-la s'expliquer.

La vice-présidente : J'ai demandé si nous...

La sénatrice Nancy Ruth : Je comprends ce que vous avez demandé, mais, sauf votre respect, vous êtes allée trop vite.

La sénatrice Jaffer : Je voudrais, avec votre permission à tous, faire figurer dans le compte rendu que je veux remplacer l'âge de 16 ans par celui de 18 ans.

La sénatrice Andreychuk : Il faut suivre les règles. Sommes-nous en train de dire que nous recommençons...?

La sénatrice Jaffer : Est-ce possible?

La sénatrice Andreychuk : ... et ne pas mettre l'article 4 aux voix? Soit on n'a pas mis l'article aux voix, soit nous annulons le vote. C'est ce que nous devons clarifier.

La sénatrice Nancy Ruth : Nous pouvons recommencer.

La sénatrice Andreychuk : Non. C'est impossible.

La vice-présidente : Non. C'est impossible.

La sénatrice Andreychuk : Ensuite, si c'est le cas, peut-être pourriez-vous ensuite proposer votre amendement pour l'article 4, pour que nous respections le Règlement du Sénat.

La sénatrice Jaffer : Je proposais...

La vice-présidente : Je pense que la solution serait de recommencer.

La sénatrice Andreychuk : Recommencer? Pourquoi?

Une voix : L'article 4.

La sénatrice Andreychuk : Non. Je pense que c'est important. L'opposition a soulevé, en comité, la nécessité pour la présidence, de suivre les règles. Je pense que c'est ce qui fait la force du Sénat. Nous le faisons, non pas par esprit de contrariété, mais pour pouvoir rendre compte publiquement de nos actions.

La sénatrice Jaffer : Comme nous recommençons, je voudrais modifier le projet d'article 2.2 pour y remplacer l'âge de 16 ans par celui de 18 ans.

La vice-présidente : L'amendement...

La sénatrice Andreychuk : Pourriez-vous exposer vos motifs?

La sénatrice Jaffer : Oui, certainement.

Comme je l'ai dit, à la deuxième lecture et conformément à la réponse que m'ont faite les fonctionnaires, la Suède, la Suisse, l'Allemagne et le Pakistan ont fixé à 18 ans l'âge légal national du mariage. Pourquoi, ici, est-il de 16 ans? C'est démontré que c'est très jeune. Pour la protection des femmes, je crois que l'âge de 18 ans convient.

La sénatrice Andreychuk : Je ne suis pas d'accord avec cet amendement, et je tiens à dire pourquoi.

Si je me souviens bien, on a choisi l'âge de 16 ans d'après le témoignage — et les fonctionnaires de la Justice sont ici pour le confirmer — selon lequel la célébration des mariages relève des provinces, et cetera. Nous n'avons pas le même genre de régime qu'en Suède, et cetera — les pays que vous avez mentionnés — et il y a énormément d'autres pays qui ont choisi leur propre âge. Il revient au Canada, je pense, de choisir l'âge et de le justifier. On a choisi 16 ans en consultation avec les provinces. Ce serait donc une intrusion inutile. Vous pouvez ne pas être d'accord avec moi. Nous l'avons fait, je m'en souviens, un certain nombre de fois, dans nos discussions sur la Loi sur les jeunes contrevenants — sur l'âge qui convenait. L'âge variait selon les provinces. Il fallait un consensus et c'est ce que nous avons fait.

Je me souviens d'un projet de loi sur l'enrôlement des jeunes dans les forces armées. Certains ont catégoriquement affirmé que ça pouvait se faire avant 18 ans, et que c'était dans l'intérêt des jeunes de le faire.

Je pense que, relativement à cet article, je n'aurais aucun scrupule à le laisser tel quel et, sauf votre respect, je ne l'appuierai pas.

La sénatrice Nancy Ruth : Si j'ai bien compris, l'âge du mariage fixé par les provinces varie entre 18 et 19 ans, mais il existe une disposition autorisant les mariages à un âge plus jeune, je pense que c'est 16 ans, dans certaines circonstances et dans certaines conditions. Je ne serais pas contre le fait de le relever à 18 ans, tout en continuant de tolérer certaines conditions spéciales sous réserve de l'approbation du ministre, pour l'âge de 16 ans. Mais, ici, au Canada, la norme est de 18 ou 19 ans, pas plus jeune. Le reste est séparé.

Le sénateur Eggleton : Je peux seulement répéter les observations de la sénatrice Nancy Ruth. L'âge légal du mariage dans les provinces est de 18 ou 19 ans. Pourquoi le gouvernement canadien ne serait-il pas plus au diapason des provinces et des territoires qui constituent le pays. J'appuierai donc l'amendement.

La vice-présidente : L'amendement est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Tous ceux qui sont pour? Contre?

L'amendement est rejeté.

L'article 4 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 5 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La sénatrice Jaffer : C'est le même amendement. Tous mes amendements portent sur l'âge. Je m'incline pour le moment.

La vice-présidente : L'article 5 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 6 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 7 est-il adopté?

La sénatrice Jaffer : Madame la présidente, je propose de supprimer cet article, parce que je crois qu'il modifie complètement la définition de « provocation ». Cette notion est bien traitée dans le Code criminel et je pense que la disposition est inutile dans ce projet de loi. Ce n'est pas le bon endroit pour traiter de la question de provocation. C'est pourquoi je demande la suppression de l'article.

La vice-présidente : Pour s'opposer à la totalité d'un article d'un projet de loi, sachez que la marche à suivre, en comité, n'est pas de proposer une motion pour le supprimer mais, plutôt, de voter contre son adoption. À ce sujet, je vous renvoie à la citation 698(6) de Beauchesne :

Il est interdit au président du comité de recevoir un amendement s'il ne vise qu'à supprimer un article, puisqu'il suffit dans ce cas de voter contre l'article en question.

De même, dans O'Brien et Bosc...

La sénatrice Jaffer : D'accord. Je me rends. Avec dissidence.

Le sénateur Eggleton : J'ai moi aussi quelque chose à dire sur la question.

La présence du mot « provocation » dans ce contexte, vu, particulièrement, qu'elle est due au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, découle de la question des meurtres dits d'honneur. Le projet de loi n'en parle pas explicitement, mais le ministre en a parlé dans sa déclaration, laquelle a eu des échos. Pourtant, comme le ministre a dû l'admettre, quand on l'a interrogé, aucun accusé d'un crime d'honneur n'a réussi, ici, à se disculper en invoquant la provocation. Le ciel nous en préserve. C'est une chose terrible.

Pour ce qui concerne cependant la provocation, votre modification s'applique aussi à d'autres circonstances, ce qui, dans beaucoup de situations différentes, pourrait desservir les femmes. Des femmes sont provoquées, tout comme, parfois, les hommes, et les tribunaux doivent juger des cas d'espèce. Pour cela, je m'en remets aux tribunaux, plutôt qu'à une modification terminologique dans la loi qui, à mon avis, dessert notre justice. Rien ne permet de penser que, à un certain moment, le meurtre d'honneur pourra être mieux perçu par un juge. Personne n'a jamais réussi ce coup. Je pense donc qu'il convient de supprimer l'article et de laisser telles quelles les dispositions du Code criminel sur la provocation.

La sénatrice Eaton : Pouvez-vous clarifier ce que vous dites? Vous êtes tous deux juristes. N'est-ce pas ici que, tant qu'on ne fait rien d'illégal, on ne peut pas se faire accuser de provocation?

Le sénateur Eggleton : Eh bien oui, je pense qu'il y a ce contexte secondaire, mais le système actuel fonctionne bien. Il tient compte des cas individuels quand on invoque la provocation dans un procès et il peut, en conséquence, réduire la peine, remplacer la condamnation pour meurtre par une condamnation pour homicide involontaire.

La sénatrice Eaton : D'accord, mais expliquez-moi, sénateur Eggleton. Si mon mari me bat, c'est illégal; c'est une agression physique. Si je l'attaque et qu'il me tue, il pourrait invoquer la provocation, parce que je l'ai attaqué. J'aurai commis un acte illégal, n'est-ce pas?

La sénatrice Jaffer : C'est vrai.

Le sénateur Eggleton : Seulement si la peine est d'au moins cinq ans.

La sénatrice Jaffer : Un acte criminel.

Le sénateur Eggleton : Un acte criminel passible d'au moins cinq ans.

La sénatrice Jaffer : Pas autrement. C'est ce qui change.

Le sénateur Eggleton : C'est ici, cette disposition.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le sénateur Eggleton : Il y a d'autres cas où cette disposition supprimerait cela.

La sénatrice Jaffer : Le problème est que nous savons que M. Spratt, un savant avocat d'Ottawa, a dit que nous limitions vraiment la définition de provocation. En fait, nous la changeons. Comme la sénatrice Eaton l'a à juste titre demandé, nous disons que la victime doit avoir commis une infraction passible d'une peine de cinq ans. Cela modifie totalement la définition de provocation.

Le sénateur Eggleton a parlé des meurtres d'honneur. Je suis vraiment troublée par le fait que, dans ses interventions publiques, le ministre de l'Immigration a souvent cité l'affaire Shafia. Comme nous le savons tous, c'était une affaire terrible. Aucun de nous n'accepte ce qui s'est produit dans ces circonstances, mais, dans ce cas, l'accusé n'a même pas tenté de se disculper en invoquant la provocation, parce qu'il aurait fallu admettre d'avoir été sur les lieux et d'avoir tué la personne. Mais, dans ce cas, on invoque la provocation. Dans l'affaire Shafia, on ne l'a même pas fait. Je crains donc que le ministre ait lui-même une notion très confuse de la provocation. Sachez tous que, d'après moi, on fait erreur en modifiant la définition de provocation dans le Code criminel.

La vice-présidente : Merci, sénatrice Jaffer.

L'article 7...

Le sénateur Eggleton : Puis-je demander un vote à main levée?

La vice-présidente : J'allais demander si l'article était adopté.

M. Thompson : Vote par appel nominal. La question est : « L'article 7 est-il adopté? »

Sénatrice Ataullahjan?

La sénatrice Ataullahjan : Oui.

M. Thompson : Sénatrice Andreychuk?

La sénatrice Andreychuk : Oui.

M. Thompson : Sénatrice Eaton?

La sénatrice Eaton : Oui.

M. Thompson : Sénateur Eggleton?

Le sénateur Eggleton : Non.

M. Thompson : Sénatrice Hubley?

La sénatrice Hubley : Non.

M. Thompson : Sénatrice Jaffer?

La sénatrice Jaffer : Non.

M. Thompson : Sénatrice Nancy Ruth?

La sénatrice Nancy Ruth : Non.

M. Thompson : Sénateur Ngo?

Le sénateur Ngo : Oui.

Le greffier : Sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Oui.

M. Thompson : Pour : 5; contre : 4; aucune abstention.

La vice-présidente : L'article 7 est adopté.

L'article 8 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 9 est-il adopté?

La sénatrice Jaffer : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 10 est-il adopté?

La sénatrice Jaffer : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 11 est-il adopté?

La sénatrice Jaffer : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 12 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 13 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 14 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 15 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 16 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La vice-présidente : L'article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : J'ai une observation à faire.

Je pense que les témoins qui ont comparu devant le comité y ont prêté une attention énorme. Peu importe la position que beaucoup d'organisations ont adoptée sur d'autres aspects du projet de loi, je pense que presque toutes ont dit que le titre, Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares, ne convenait pas à une loi.

Nous ne devrions pas adopter ce titre. Il éclabousse les organisations des communautés ethniques de notre pays. Pourquoi accoler « culturelles » à « barbares »? Pour un certain nombre d'organisations que nous avons entendues, on veut peut-être ainsi évoquer les violences commises contre des femmes et des enfants. Néanmoins, cela touche beaucoup plus de communautés dans notre pays en laissant entendre que certaines d'entre elles pourraient avoir des pratiques culturelles barbares. Je ne crois pas que ce soit généralement vrai pour les communautés. Ce l'est pour certains individus, certaines familles. Il est injuste de poser ce genre d'étiquette sur ce projet de loi.

En général, les organisations ont dit éprouver beaucoup de difficultés à concevoir comment ce titre est censé protéger les femmes et les filles. Certains organismes qui fournissent des services à ces gens ont dit, en relevant particulièrement son titre, qu'ils ne croyaient absolument pas que ce projet de loi soit exemplaire.

Nous avons reçu de la Barbara Schlifer Commemorative Clinic un mémoire dans lequel ses responsables affirment qu'ils aident 4 000 femmes chaque année en leur fournissant des services juridiques et des services de counselling et d'interprétation. Ils déclarent :

Présenté par le gouvernement du Canada le 5 novembre 2014, le projet de loi S-7, s'il est adopté, se traduira par une criminalisation accrue et une hausse des expulsions de membres de certaines communautés raciales du Canada et portera de nouveau préjudice aux femmes et aux enfants ayant survécu à des actes violents. En tant qu'organisation travaillant depuis près de 30 ans uniquement avec des femmes ayant survécu à des actes violents, nous craignons d'une façon particulière que les changements proposés ne créent d'autres barrières institutionnelles pour les communautés déjà marginalisées qui les empêcheront de déclarer les agressions dont elles seront victimes et d'obtenir de l'aide.

En disant « avec dissidence », j'ai manifesté mon opposition au titre, sans parler du reste du projet de loi. Dans ce cas particulier, je pense que le comité devrait décider de supprimer ce titre abrégé qui ne sert à rien d'utile.

Le titre principal dit lui-même ce dont il s'agit : « Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ». Voilà une description appropriée et exacte du projet de loi. N'adoptons pas le titre abrégé. Je demande un vote par appel nominal.

La sénatrice Nancy Ruth : J'ai été particulièrement impressionnée par les observations d'Avvy Yao-Yao Go, qui a comparu l'autre jour. Selon elle, ce titre abrégé changeait le schéma de perception de tout le projet de loi. Cela m'a beaucoup frappée, mais je l'ai aussi été depuis les quelques dernières années, peut-être quatre ans, par la terminologie peut-être incendiaire qu'emploie le gouvernement. Elle s'impose de temps à autre, ici et là, et je pense que c'est une grosse erreur que de l'employer. Je pense qu'elle altère la langue. Les médias la relaient, et je suis absolument contre.

Si le Canada était innocent des pratiques barbares comme l'isolement cellulaire de plus de six mois qu'on applique dans les prisons et son emploi régulier pour punir plutôt que protéger, mon opinion serait différente, mais, comme il s'y commet de nombreux actes de barbarie, nous devrions voir la poutre dans notre œil.

Le sénateur Eggleton : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Je tiens à faire remarquer au comité que, à l'exception de deux témoins, tous, même Megan Walker, qui est venue ici appuyer le projet de loi, ont dit que c'était une erreur d'adopter le titre abrégé « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares ». Des témoins nous ont aussi prédit que les enfants ne dénonceraient pas leurs parents s'ils sont perçus comme étant des barbares.

Chers collègues, je crois que c'est une très grosse erreur que de conserver ce titre. J'ai toujours été fière d'être canadienne parce que j'avais l'impression que nous ne faisions pas de discrimination, mais quand nous commençons à qualifier certains de nos concitoyens de barbares culturels, nous créons une société où il y a « eux » et « nous ». C'est une mauvaise décision et je vous incite vivement à bien y réfléchir avant d'appuyer ce titre.

Le sénateur Tannas : Incontestablement, l'adjectif « barbare » nous a tous mis mal à l'aise, et je pense que, à de nombreux titres, c'est un sujet difficile qui doit nous mettre mal à l'aise. Je suis impressionné par le dialogue qu'il a suscité. Le débat a atteint un niveau que, sans lui, il n'aurait pas atteint dans le public et d'autres groupes.

Je dirai qu'un témoin qui, en fait, a été la victime d'un mariage forcé, était d'accord avec le qualificatif. Son témoignage m'a convaincu. De plus, le ministre, à juste titre, a parlé non seulement de la culture des immigrants mais aussi d'autres cultures, de notre pays, dans lesquelles on semble penser que cette pratique est acceptable. Tous doivent entendre le message selon lequel cette pratique est inacceptable dans un Canada civilisé. J'appuierai le titre.

La sénatrice Hubbley : Je voudrais appuyer les observations de mes collègues qui sont convaincus que les mots « culturel » et « barbare » ne devraient jamais se suivre. Ils projettent, particulièrement dans nos lois canadiennes, une image de nos peuples canadiens. L'un de ces mots, essentiellement, est très incendiaire, et nous devrions l'utiliser avec beaucoup de prudence, parce que, en fait, nous employons des terminologies. Pour moi, le mot « violence » est aussi désagréable que « barbare », mais je pense que la violence est ce qu'elle est. Nos lois doivent refléter cette réalité.

C'est très bien de laisser entendre que nous possédons tous une culture, mais associons-nous ce mot à nos cultures? L'associons-nous automatiquement à une culture ou à des cultures précises?

Cela ne touche pas seulement les immigrants potentiels. Cela touche les habitants des pays en question, mais, surtout, nos voisins et nos amis. Je crois donc que l'expression ne convient pas à nos lois canadiennes.

La sénatrice Jaffer : Si le mot « barbares » était employé seul, mon malaise subsisterait, mais je comprendrais que nous essayons de livrer un message. Mais lorsqu'on l'accole à « culturelles », c'est limpide : on sait qui on vise, quelles communautés on vise et, comme je l'ai déjà dit, qu'on divise ainsi les communautés. Nous envoyons un message très puissant d'une société divisée entre « eux » et « nous » lorsque nous parlons de pratiques culturelles barbares. Je crois vraiment que le Sénat du Canada ne devrait pas accepter un tel titre.

La sénatrice Eaton : Incontestablement, l'expression « pratiques culturelles barbares » a soulevé beaucoup de controverse, mais je pense qu'il sera plus facile pour les nouveaux arrivants au pays ou pour la communauté même de Bountiful, qui fait partie de notre pays, de comprendre que certaines pratiques dont sont surtout victimes des femmes — mariages précoces, forcés, mutilations génitales, dont il n'est pas question dans le projet de loi, mais qui sont déjà visées par une autre loi, et polygamie — sont simplement inacceptables. J'aimerais croire que la plupart de nos immigrants potentiels qui veulent profiter de la liberté et des possibilités offertes pour se développer et vivre comme ils le veulent reconnaîtront que ces pratiques sont incompatibles avec nos valeurs.

La sénatrice Andreychuk : Je tiens à appuyer les propos du sénateur Tannas, mais en y ajoutant les pratiques barbares que vise le projet de loi — et j'appuie le projet de loi, alors nous parlons vraiment du titre maintenant. J'accepte le projet de loi. Je pense qu'il est nécessaire.

Comme vous le savez, j'ai soulevé la question parce qu'il est de notoriété publique, peut-être du fait de l'opposition, de membres qui ne sont pas ici et peut-être qui ne sont même pas dans cette Chambre, qu'il existerait des interprétations différentes de l'expression. Le ministre a très clairement dit que c'était la pratique barbare d'une sous-culture qui n'était probablement pas acceptée par le reste de la culture. C'est ce dont je me souviens notamment.

Je me souviens aussi que nous ne parlons pas uniquement des pratiques barbares de l'étranger qui se retrouvent ici. Nous en avons dans notre pays et il faut tout tenter pour y mettre fin.

Je reconnais que le gouvernement doit adopter des lois. Notre rôle est de les critiquer et j'ai accepté l'interprétation du ministre, son intention et l'intention du gouvernement quant à l'interprétation de cette expression. Sauf votre respect, elles ne correspondent pas aux opinions que j'ai entendues ici contre le titre.

Je veux bien l'accepter à cette étape. Le débat a été important. Le projet de loi a été déposé au Sénat, et nous pourrons encore nous pencher sur la question. La population se prononcera aussi. Comme l'a mentionné le sénateur Tannas, c'est une bonne chose que nous ayons souligné ce que sont des pratiques à mon sens inappropriées, et nous devons fermement les dénoncer.

La vice-présidente : L'article 1 est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Je demande un vote par appel nominal.

M. Thompson : Honorable sénatrice Ataullahjan?

La sénatrice Ataullahjan : Oui.

M. Thompson : Honorable sénatrice Andreychuk?

La sénatrice Andreychuk : Oui.

M. Thompson : Honorable sénatrice Eaton?

La sénatrice Eaton : Oui.

M. Thompson : Honorable sénateur Eggleton, C.P.?

Le sénateur Eggleton : Non.

M. Thompson : Honorable sénatrice Hubley?

La sénatrice Hubley : Non.

M. Thompson : Honorable sénatrice Jaffer?

La sénatrice Jaffer : Non.

M. Thompson : Honorable sénatrice Nancy Ruth?

La sénatrice Nancy Ruth : Non.

M. Thompson : Honorable sénateur Ngo?

Le sénateur Ngo : Oui.

M. Thompson : Honorable sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Oui.

M. Thompson : Pour : 5; contre : 4; abstention, aucune.

La vice-présidente : L'article 1 est adopté.

Le titre est-il adopté?

Des voix : D'accord.

La vice-présidente : Le projet de loi est-il adopté?

Le sénateur Eggleton : Avec dissidence.

La sénatrice Jaffer : Nous voulons un vote par appel nominal.

Le sénateur Eggleton : Un vote par appel nominal? Oui, allons-y pour un vote par appel nominal.

M. Thompson : Honorable sénatrice Ataullahjan?

La sénatrice Ataullahjan : Oui.

M. Thompson : Honorable sénatrice Andreychuk?

La sénatrice Andreychuk : Oui.

M. Thompson : Honorable sénatrice Eaton?

La sénatrice Eaton : Oui.

M. Thompson : Honorable sénateur Eggleton, C.P.?

Le sénateur Eggleton : Non.

M. Thompson : Honorable sénatrice Hubley?

La sénatrice Hubley : Non.

M. Thompson : Honorable sénatrice Jaffer?

La sénatrice Jaffer : Non.

M. Thompson : Honorable sénatrice Nancy Ruth?

La sénatrice Nancy Ruth : Non.

M. Thompson : Honorable sénateur Ngo?

Le sénateur Ngo : Oui.

M. Thompson : Honorable sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Oui.

M. Thompson : Pour, 6; contre, 3; abstention, aucune.

La vice-présidente : Le projet de loi est adopté.

Le comité souhaite-il annexer des observations au rapport?

Le sénateur Eggleton : Oui.

La vice-présidente : Devrions-nous passer à huis clos?

Le sénateur Eggleton : Je serais heureux d'avoir un débat public.

La sénatrice Jaffer : Nous sommes heureux d'avoir un débat public.

Le sénateur Eggleton : Allons-y pour un débat public.

La sénatrice Andreychuk : Je pense qu'il serait profondément injuste que l'on débatte des observations préparées par le comité de direction, dont je n'ai pas vu la version définitive, en public. Si nous joignons des observations au rapport, je pense que nous devrions avoir la courtoisie de discuter de l'ébauche à huis clos, comme nous le faisons toujours. Nous pourrons ensuite revenir à un débat public pour l'adoption. Je pense que nous devrions pouvoir les commenter à huis clos comme l'a fait le comité de direction.

Le sénateur Eggleton : Je ne pense pas qu'il soit nécessaire tout à coup de jeter tout le monde dehors pour discuter dans le secret. Ne sommes-nous pas une organisation transparente?

J'aimerais mentionner que j'aurais aimé vous faire parvenir le tout à l'avance, mais les suggestions m'ont été présentées... je n'en parlerai pas maintenant. Je ne parle que de la procédure, du huis clos ou non. Je parle de cela.

UNICEF Canada nous a fait parvenir des suggestions sur la façon de gérer le tout, et je pense qu'il vaudrait la peine que nous les examinions.

Je viens de les recevoir ce matin, mais si vous voulez qu'on reporte la discussion à un autre jour, je n'y vois pas d'inconvénients, et je pourrai vous les faire parvenir à l'avance.

La sénatrice Eaton : Non. Nous voulons en discuter à huis clos.

Le sénateur Eggleton : Vous voulez discuter de cela à huis clos? Vous ne voulez pas en discuter en public?

La sénatrice Eaton : Je pense que nous pouvons nous occuper des observations. Comme la sénatrice Andreychuk l'a mentionné, nous pouvons les lire à haute voix.

Le sénateur Eggleton : Je vais les lire à haute voix. Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton : Mais en ce moment...

Le sénateur Eggleton : C'est très gentil de votre part. Je suis heureux de le faire en séance publique. Un instant. Nous n'avons pas voté sur ce point. Je suis contre l'idée de passer à huis clos. Je préfère que la séance demeure publique.

La vice-présidente : Avons-nous une motion pour passer à huis clos?

La sénatrice Eaton : Je propose que nous procédions comme la sénatrice Andreychuk l'a suggéré : nous discutons des observations à huis clos, et nous procédons à l'adoption en séance publique.

Le sénateur Eggleton : Nous revenons ensuite en séance publique pour en discuter?

La sénatrice Eaton : Oui.

La sénatrice Andreychuk : D'accord, mais je pense que nous avons un précédent au Sénat, et il serait intéressant d'en discuter si vous voulez ce niveau de transparence. Je vais le noter au compte rendu, et je vais assurément soulever ce point lorsque d'autres comités voudront avoir le droit de tenir ce genre de discussions franches avant de mentionner leurs points de vue dans une réunion publique. C'est une question de courtoisie.

Le sénateur Eggleton : Je pense que c'est une bonne idée dans l'ensemble. Il est à peu près temps que nous soyons plus transparents. N'êtes-vous pas de cet avis?

La vice-présidente : Sommes-nous d'accord pour passer à huis clos?

Des voix : Oui.

La vice-présidente : Nous devons suspendre la séance pour donner aux gens le temps de quitter. Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

—————————————

(La séance publique reprend.)

La vice-présidente : Le comité est-il d'accord pour passer le projet de loi?

La sénatrice Andreychuk : Nous ne passons pas un projet de loi, nous l'adoptons. Je le répète chaque fois, mais je vais le mentionner pour le compte rendu.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Honorables sénateurs, comme vous le savez, l'étude article par article s'est prolongée, et au lieu de terminer à 16 heures, nous allons terminer à 16 h 15.

Je vous souhaite la bienvenue à la vingt-cinquième réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne qui a lieu pendant la deuxième session de la quarante et unième législature.

[Français]

Le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.

[Traduction]

Je m'appelle Mobina Jaffer et je suis la présidente du comité. Je vais demander aux autres membres du comité de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, qui représente l'Ontario.

La sénatrice Frum : Linda Frum, de l'Ontario.

La sénatrice Andreychuk : Je suis la sénatrice Andreychuk, de la Saskatchewan.

Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de Toronto.

Le sénateur Cowan : Jim Cowan, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto.

La présidente : Nous reprenons aujourd'hui nos audiences sur le projet de loi S-201, un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par le sénateur Jim Cowan, leader de l'opposition au Sénat.

Le projet de loi S-201 s'intitule « Loi sur la non-discrimination génétique » et fait suite à la croissance rapide de la génétique en science médicale. On arrive en effet de plus en plus, à partir d'un échantillon de sang ou de salive, à détecter si une personne est génétiquement prédisposée à développer certaines maladies.

Même si une personne est porteuse d'un gène, cela ne veut pas dire la plupart du temps qu'elle développera la maladie, mais elle peut prendre des mesures pour diminuer les risques en sachant qu'elle est porteuse d'un gène ou qu'elle a une prédisposition pour une maladie.

À l'heure actuelle, toutefois, il n'y a aucune loi au Canada, que ce soit au fédéral ou au provincial, pour contrer la discrimination génétique pouvant venir, par exemple, d'un employeur ou d'une compagnie d'assurances. En fait, de nombreux Canadiens décident de ne pas subir un test génétique, parce qu'ils craignent la discrimination. Le projet de loi du sénateur Cowan vise à remédier à cette situation.

Honorables sénateurs, nous sommes en retard, alors nous allons prolonger la séance pour avoir le temps d'entendre ce qu'ont à dire tous nos témoins. J'aimerais souhaiter la bienvenue tout d'abord aux représentants de la Coalition canadienne pour l'équité génétique : Bev Heim-Myers, présidente de la Coalition canadienne pour l'équité génétique et présidente-directrice générale de la Société Huntington du Canada; Joyce Gordon, présidente de la Société Parkinson Canada et présidente des Organismes caritatifs neurologiques du Canada; Mary Sunderland, directrice de la recherche et de l'éducation, Foundation for Fighting Blindness; et Richard Marceau, avocat principal et conseiller principal en relations gouvernementales, Centre consultatif des relations juives et israéliennes, et ancien député.

Je crois savoir que vous avez des exposés. Pourrais-je vous demander une faveur? Nous allons lire vos mémoires, alors si vous pouviez les résumer, les sénateurs auront alors le temps de vous poser des questions. Je laisse le tout à votre discrétion. Vous disposez chacun de cinq minutes pour faire votre exposé. Nous allons commencer par Mme Bev Heim-Myers.

Bev Heim-Myers, présidente de la Coalition canadienne pour l'équité génétique et présidente-directrice générale de la Société Huntington du Canada, Coalition canadienne pour l'équité génétique : Je tiens à vous remercier de nous avoir invités, et aussi d'écouter les groupes qui ont subi de la discrimination génétique et de poursuivre le dialogue. Aujourd'hui, mes commentaires vont porter principalement sur la réponse ailleurs dans le monde aux tests génétiques et à l'utilisation de l'information — une barrière à la détection et au traitement précoces des maladies —, de même que sur la discrimination en milieu de travail, les préoccupations du secteur des assurances et les tests offerts directement aux consommateurs.

Le sujet n'est pas nouveau au Canada. Lorsque l'initiative sur le génome humain a débuté, de nombreux pays, dont le Canada, ont commencé à discuter de la portée du projet. En Belgique, les législateurs et les décideurs ont consulté les chercheurs scientifiques et ont convenu que les renseignements génétiques devaient être protégés. La Belgique, l'Autriche, le Danemark, la Finlande, la Norvège et les Pays-Bas ont tous adopté des lois interdisant formellement l'utilisation des résultats des tests génétiques à des fins d'assurance.

Pendant ce temps, le Canada a acquiescé aux demandes du secteur des assurances et opté pour l'attentisme. C'était il y a 25 ans, et le secteur demande encore au gouvernement d'attendre. Pendant ce temps, de nombreux pays sont passés à l'action, notamment le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, faisant ainsi du Canada le seul pays du G7 à ne pas protéger les renseignements génétiques.

Au cours des dernières années, divers projets de loi d'initiative parlementaire ont été déposés pour doter le pays d'une loi similaire à celle d'autres pays où on interdit la discrimination génétique. Aucun n'a été adopté, même si tous les partis se sont prononcés en faveur de l'équité génétique à un moment ou l'autre. La science a une longueur d'avance sur la loi, et il est temps pour le Canada d'agir.

Selon une recherche sur l'opinion publique menée par le gouvernement fédéral, 91 p. 100 des Canadiens sont d'avis que les compagnies d'assurances ne devraient pas avoir accès aux résultats de leurs tests génétiques pour souscrire une assurance. Quand j'en parle à des gens, ils sont scandalisés d'apprendre qu'on doit divulguer les résultats de ses tests génétiques aux compagnies d'assurances.

La discrimination génétique est une réalité au Canada. En effet, même s'il est clairement établi qu'on ne peut pas faire de discrimination fondée sur le handicap, nous avons des lois désuètes qui permettent aux compagnies d'assurances de faire de la discrimination fondée sur un handicap perçu ou la possibilité d'un handicap futur. Les lois actuelles ne traitent pas du concept de handicap futur ou n'interdisent pas la discrimination à cet égard.

Dans un monde où l'initiative sur le génome humain a ouvert la porte à une médecine personnalisée, en rendant possibles la prévention précoce, la détection et le traitement de nombreuses maladies, y compris le cancer du sein, la discrimination génétique effectuée par les compagnies d'assurances et les employeurs est un obstacle au bien-être futur de tous les Canadiens. Dans le cas de la maladie de Huntington, ceux qui ont des membres de leur famille qui sont atteints ne peuvent pas souscrire une assurance-vie à moins d'avoir la preuve qu'ils ne sont pas porteurs de la mutation génétique. Dans un cas, un homme s'est soumis au long processus de dépistage, et même s'il n'était pas porteur de la maladie, il s'est vu refuser une assurance-vie au motif qu'il « pourrait développer la maladie ». C'est faux et c'est une preuve que les assureurs sont mal informés.

Moins de 25 p. 100 des Canadiens à risque de développer la maladie décident de passer le test. Pourquoi? Essentiellement, c'est parce que les gens craignent la discrimination génétique. Les recherches indiquent en effet que 86 p. 100 des gens à risque craignent qu'eux et les membres de leur famille soient victimes de discrimination génétique.

C'est malheureux d'en arriver là. Les jeunes familles devraient avoir le droit de prendre des décisions éclairées, notamment lorsque vient le temps de fonder une famille. Nous savons qu'une personne peut retarder l'apparition des symptômes de la maladie de Huntington si elle mène une vie bien remplie, notamment en étant stimulée intellectuellement, en faisant de l'exercice, et en ayant un réseau social bien développé. Nous procéderons de plus à des essais cliniques en 2015 pour trouver les origines de la maladie et pour en arrêter et éliminer les symptômes.

Pourquoi laissons-nous la discrimination génétique priver les Canadiens d'une vie bien informée et d'une participation à des recherches qui peuvent sauver des vies? Prenons l'exemple d'un jeune homme en santé à la fin de la vingtaine. Sa femme et lui veulent avoir des enfants au cours des prochaines années. Il a fait une demande d'assurance-vie. Il est en santé, ne fume pas et n'a pas de troubles médicaux. Ses parents et ses frères et sœurs sont aussi en santé et n'ont pas de maladies héréditaires connues. La compagnie d'assurances a rejeté sa demande parce qu'un de ses grands-parents souffre de la SLA, la maladie de Lou Gehrig. Ses parents sont tous les deux en santé et n'ont pas de symptôme de la maladie. La compagnie d'assurances lui a dit, de plus, qu'elle serait prête à réévaluer sa demande s'il se soumettait à des tests génétiques pour prouver qu'il n'a pas la maladie. C'est une situation qui vient tout juste de se produire.

Et il y a encore moins de recherches ayant été effectuées sur la discrimination génétique en milieu de travail au Canada. Bien des gens n'en parlent pas. Selon une étude intitulée Beyond the patient, réalisée par la Dre Yvonne Bombard, un grand nombre de personnes ayant des proches souffrant de la maladie de Huntington craignent qu'eux et leur famille subissent de la discrimination génétique auprès des employeurs. Dre Bombard parle notamment de son premier patient, qui était porteur de la mutation génétique mais n'avait aucun symptôme. Après que son employeur a été informé des résultats de son test génétique, ses responsabilités ont été transférées à quelqu'un d'autre et il n'avait aucun recours.

Le cas de deux frères dans la vingtaine à risque de souffrir du SQTL, une mutation génétique qui peut provoquer une crise cardiaque mortelle, illustre bien la situation. Le premier a été testé, est porteur de la mutation, sera traité et, en conséquence, ne mourra pas d'une crise cardiaque foudroyante. Il ne pourra pas non plus souscrire une assurance-vie. Le deuxième se cherche un emploi et a refusé de subir un test génétique de peur qu'un employeur en découvre les résultats. Il pourra souscrire une assurance-vie.

Qui gagne dans un scénario où le frère qui n'a pas passé de test souscrit à une assurance et meurt d'une crise cardiaque foudroyante à l'âge de 40 ans, en laissant derrière une femme et de jeunes enfants? Est-ce normal qu'un employeur ne puisse pas poser de question sur la situation familiale d'une personne mais puisse avoir accès à des renseignements génétiques personnels?

Les assureurs défendent leur droit d'avoir accès aux renseignements génétiques pour que leur modèle d'affaires demeure viable. Comme vous le savez, une recherche commandée par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a conclu que le bannissement de l'utilisation des tests génétiques n'aurait pas une grande incidence sur le secteur. Les assureurs croient en outre que le consommateur canadien est différent et préfère une assurance entière plutôt qu'une assurance temporaire.

Le consommateur canadien n'est pas différent des consommateurs dans les pays qui protègent les renseignements génétiques et qui ont un secteur de l'assurance florissant. Comme tous les acheteurs, nous examinons les produits qui nous sont offerts.

Une autre crainte du secteur des assurances est de voir les personnes en possession de ces renseignements souscrire à de gros montants d'assurance-vie. Selon une étude réalisée par R. J. Thomas, le concept de la surassurance comme investissement intéressant, même si cela peut sembler plausible, n'est probablement pas, dans les scénarios les plus réalistes, un investissement intéressant, quand on utilise des probabilités et des primes réalistes.

Au Royaume-Uni, on a souvent affirmé que si les assureurs n'avaient pas accès aux résultats des tests génétiques, cela allait entraîner des hausses considérables des primes ou en mener certains à la faillite. Cela ne s'est pas produit.

Tout comme au Canada, il n'y avait pas eu, pour appuyer ces dires, de simulations actuarielles du marché dans lesquelles les résultats étaient connus du client mais pas de l'assureur. En résumé, les répercussions invoquées par les assureurs au début des années 2000 se sont révélées très exagérées. Nous en voulons pour preuve le secteur des assurances au Royaume-Uni qui, même s'il n'a pas accès aux résultats des tests génétiques depuis de nombreuses années, est florissant.

Nous encourageons aussi les entreprises qui offrent des tests directement aux consommateurs, comme 23andMe, à venir au Canada pour profiter de la curiosité des Canadiens, sans égard aux effets prévisibles de la discrimination génétique. En mettant en place les bonnes mesures de protection et de sécurité, le séquençage d'un génome pour 199 $ pourrait se révéler, avec le temps, une bonne chose. À l'heure actuelle, toutefois, le gouvernement permet que nous soyons induits en erreur.

Les renseignements génétiques sont personnels, sensibles et complexes, et ils requièrent un haut degré de protection. Ils doivent servir à prévenir les maladies et à sauver des vies, mais ne doivent pas se retourner contre les gens à qui ils appartiennent. Le fait de ne pas protéger les renseignements génétiques et d'autoriser les compagnies d'assurances et les employeurs à utiliser les renseignements les plus personnels et les plus complexes, et très peu prévisibles, qu'une personne puisse avoir aura des effets nuisibles persistants sur la santé et le bien-être de tous les Canadiens.

Il est temps de faire de l'équité génétique une réalité au Canada en appuyant le projet de loi S-201 parce que personne n'a un génome parfait.

La présidente : Je vous remercie beaucoup de votre exposé.

Joyce Gordon, présidente de la Société Parkinson Canada et présidente des Organismes caritatifs neurologiques du Canda, Coalition canadienne pour l'équité génétique : Je vous remercie de nous permettre de témoigner aujourd'hui à propos du projet de loi S-201, qui vise à interdire et à prévenir la discrimination génétique.

En tant que membre de la Coalition canadienne pour l'équité génétique et des Organismes caritatifs neurologiques du Canada, une coalition qui regroupe 23 organismes membres, et de présidente-directrice générale de la Société Parkinson Canada, je félicite le gouvernement du Canada d'avoir inscrit l'équité génétique au nombre de ses priorités dans le discours du Trône de 2013, et le remercie aussi de nous permettre de témoigner aujourd'hui de nos expériences dans le cadre de l'examen du projet de loi.

Au Canada, la population et les professionnels sont de plus en plus conscients et inquiets des problèmes liés aux renseignements et à la discrimination génétiques. Comme Bev l'a mentionné, les renseignements génétiques sont personnels, complexes et souvent mal compris.

On pourrait penser que les renseignements qui proviennent du séquençage génétique ne sont pas plus personnels que les antécédents familiaux de maladie que les compagnies d'assurances exigent déjà, mais plus on obtient d'information, plus on bénéficie d'un outil puissant pour évaluer l'état de santé de quelqu'un. De plus, une personne qui opte pour le séquençage de son génome dévoile de l'information non seulement sur elle, mais aussi sur ses parents, ses enfants, ses frères et sœurs et d'autres proches parents, et beaucoup de gens s'inquiètent non seulement des répercussions pour eux, mais aussi pour les êtres qui leur sont chers.

Voici un exemple de ce que nous disent des gens dont un membre de la famille souffre de la maladie de Parkinson.

Mon père, ma tante et un de mes cousins au deuxième degré ont tous été diagnostiqués avec la maladie Parkinson, et mes sœurs et moi voulions passer un test pour savoir si nous étions porteuses du gène. Toutefois, craignant que nos enfants soient victimes de discrimination si un lien génétique était établi et de ne pas pouvoir être couvertes par une assurance, nous avons décidé de ne pas passer de test en raison des effets négatifs que cela pourrait avoir.

Comme vous le savez sans doute, dans la grande majorité des cas, la maladie de Parkinson se déclare de façon sporadique, sans cause identifiable, et cela veut dire sans que d'autres membres de la famille en soient atteints. Toutefois, nous savons aussi qu'environ 14 p. 100 des gens qui sont touchés par la maladie ont un parent de premier degré qui souffre aussi de la maladie. De plus 5 à 10 p. 100 des personnes souffrant de la maladie sont atteintes d'une forme génétique de celle-ci. La maladie de Parkinson est incurable, comme la plupart des maladies neurologiques.

Les Canadiens dont un ou des membres de la famille sont atteints de la maladie de Parkinson risquent donc de se voir refuser un emploi ou une assurance en raison d'une incapacité perçue et future. Certaines personnes refusent de passer des tests génétiques qu'il serait important pour eux de passer parce qu'elles craignent que leur compagnie d'assurances obtienne les résultats et augmente leur prime ou refuse carrément de les assurer.

L'établissement d'un lien génétique n'est qu'un élément de l'équation. Avoir une prédisposition héréditaire à une maladie est loin d'être la même chose que d'avoir la maladie et de transformer cette information et ces connaissances génétiques en une formule pour évaluer et prévoir la vulnérabilité à une maladie.

Et la question est complexe. Il existe de nombreux facteurs complexes qui peuvent influer sur le déclenchement d'une maladie que les analyses ne peuvent pas prendre en considération. Une même maladie peut être causée par différents gènes, et dans 95 p. 100 des cas, ce qui est beaucoup, elle est le résultat d'une interaction entre divers gènes. À titre d'exemple, 28 régions chromosomiques distinctes sont liées à la maladie de Parkinson. La question est donc complexe et les causes sont multifactorielles.

Comme Bev l'a mentionné, nous avons des lois désuètes au Canada qui permettent aux compagnies d'assurances de faire de la discrimination en fonction d'une possible incapacité future. Les compagnies d'assurances peuvent prendre en considération les renseignements génétiques pour établir l'admissibilité, la prime à payer et gérer leurs risques. Une décision peut donc être basée sur des renseignements génétiques souvent flous, mal compris et inexacts. Cela veut donc dire qu'une personne peut se voir refuser une assurance ou un emploi parce qu'elle pourrait un jour souffrir d'une incapacité.

En effet, les lois actuelles autorisent les assureurs à demander à ceux qui veulent souscrire une assurance qu'ils divulguent des renseignements sur leur état de santé, y compris les données génétiques et leurs antécédents familiaux, qu'ils consentent à ce que le tout soit vérifié. Les consommateurs sont donc forcés de le faire au risque de se voir refuser une assurance s'ils ne le font pas.

L'équité génétique est indispensable pour les Canadiens qui souffrent de la maladie de Parkinson, en particulier depuis que le gouvernement du Canada s'est engagé sur la voie de la médecine personnalisée, la recherche au sein de Génome Canada, et depuis que Santé Canada a autorisé 23andMe à offrir des tests d'analyse de l'ADN à partir de la salive pour obtenir de l'information sur les antécédents familiaux et ancestraux. Il reste à voir si les entreprises qui offrent ces services et les intervenants au sein de notre réseau de la santé disposent de suffisamment de ressources pour bien comprendre les résultats et l'incidence de cette information. Les tests génétiques doivent toujours être offerts dans un cadre consultatif et être le fruit d'une décision éclairée de la personne.

Le Canada s'engage dans des initiatives génétiques, et ce, même s'il est le seul pays du G7 à ne pas avoir adopté de mesures législatives qui protègent expressément les Canadiens contre la discrimination génétique.

Au Canada, il est interdit de faire de la discrimination fondée sur la race, le sexe ou le handicap, mais on peut faire de la discrimination à partir de l'ADN. L'absence de loi sur l'équité génétique constitue donc un obstacle pour les Canadiens qui veulent participer à la recherche sur la santé, notamment aux initiatives de médecine personnalisée. La génétique est un aspect fondamental de la recherche sur la maladie de Parkinson si on veut trouver une cure et de meilleurs traitements pour combattre la maladie, mais beaucoup hésitent à participer à la recherche génétique parce qu'ils craignent de faire l'objet de discrimination de la part des employeurs et des compagnies d'assurances.

La génomique personnelle promet de devenir une réalité quotidienne. Il faut donc régler les questions liées à la protection des renseignements personnels, à l'éthique, à la santé et aux enjeux économiques qui entourent les renseignements génétiques et mettre des mesures de protection en place.

Il est indispensable donc de légiférer et c'est ce que la communauté neurologique demande au gouvernement du Canada de faire pour protéger les Canadiens de la discrimination génétique et assurer l'équité génétique.

Merci.

Mary Sunderland, directrice de la recherche et de l'éducation, Foundation Fighting Blindness, Coalition canadienne pour l'équité génétique : Bonjour. Je vous remercie de donner à la Foundation Fighting Blindness la possibilité de vous faire part de son expérience. Je m'appelle Mary Sunderland et je suis la directrice de la recherche et de l'éducation à la Foundation Fighting Blindness, le plus important organisme de bienfaisance à soutenir la recherche sur les maladies oculaires.

Je suis ici aujourd'hui pour vous livrer deux messages : premièrement, les diagnostics génétiques sont d'une très grande importance, et deuxièmement, la discrimination génétique est une réalité pour ceux qui sont souffrent d'une maladie dégénérative de la rétine.

En tant que porte-parole des gens ayant une déficience visuelle, je peux vous dire que le projet de loi S-201 me tient vraiment à cœur. Je suis ici de plus en tant que mère. J'ai deux fils, et mon plus jeune, qui s'appelle George et a un an, est né avec des cataractes congénitales. Même si on peut dire que George a eu la malchance de naître avec cette maladie rare — seulement de 20 000 à 40 000 bébés naissent avec ce problème annuellement —, il a été chanceux, parce que son père, qui porte une attention incroyable aux détails, a remarqué une étrange opacité dans son œil. George a été chanceux parce que son père s'en est aperçu à temps pour qu'il soit opéré, lui évitant ainsi de perdre la vue dans un œil. Pour les enfants qui naissent avec des cataractes congénitales, un traitement et un diagnostic précoces sont essentiels. Pour eux, cela peut faire la différence entre voir et ne pas voir.

Les cataractes congénitales non traitées sont la principale cause de cécité traitable chez les enfants. En effet, tous les enfants n'ont pas la même chance que George. Les cataractes sont très difficiles à détecter, ce qui veut dire que le diagnostic arrive souvent trop tard pour qu'on puisse opérer. Qui plus est, les cataractes congénitales sont un symptôme associé à plus d'une centaine de maladies rares.

Pas plus tard que l'été dernier, des chercheurs ont publié une étude d'avant-garde prouvant qu'on peut établir, par des tests d'ADN poussés, les causes génétiques des cataractes, qui sont parfois le symptôme d'une autre maladie rare. Le diagnostic précoce est un élément indispensable pour pouvoir effectuer un traitement précoce. Ce nouveau test diagnostic est exactement le type d'intervention novatrice que la Foundation Fighting Blindness vise à encourager.

Le hic, c'est que le fait de subir un test génétique nous expose à des risques graves et réels au Canada. Donc, sachant ce que je sais maintenant, est-ce que j'aurais soumis George à ce test? La réponse est non, tant qu'il n'y aura pas de mesure législative pour le protéger de la discrimination qui existe à l'heure actuelle.

Je sais que la discrimination existe parce que ma collègue, Erin George, s'est vu refuser une protection d'invalidité de longue durée parce qu'elle souffre d'une maladie appelée dégénérescence pigmentaire. Il s'agit d'une maladie dégénérative des yeux qui prive graduellement la personne de la vue.

Erin ne s'attendait pas à ce qu'elle puisse être couverte pour une maladie qu'elle avait déjà. Ce qui l'a vraiment surprise, cependant, c'est qu'on refuse de l'assurer pour toute incapacité future de longue durée. Comme la dégénérescence pigmentaire n'a commencé à se manifester chez Erin qu'à l'âge adulte, elle est bien placée pour savoir qu'une maladie imprévue peut survenir à tout moment. C'est précisément pour cette raison qu'elle voulait obtenir la meilleure protection d'invalidité de longue durée avant la naissance de son premier enfant. On lui a toutefois refusé cette couverture.

Erin a donc d'autres raisons de s'inquiéter. Elle aurait beaucoup aimé être ici aujourd'hui. Elle voulait vous faire part de la discrimination dont elle est l'objet, mais comme elle est la mère de deux jeunes enfants, dont un nouveau-né, elle m'a déléguée pour le faire à sa place. Le projet de loi S-201 est une nécessité.

Ce projet de loi est aussi important pour moi parce que je veux que les gens qui souffrent de maladies dégénératives de la rétine puissent recevoir de meilleurs traitements. La Foundation Fighting Blindness s'apprête à appuyer le premier test de thérapie génique pour le traitement de la choroïdérémie, une autre forme de cécité infantile. Pour être choisis pour le test, les participants doivent inscrire leur diagnostic génétique au registre des patients de la fondation.

Quel est l'un des risques les plus inquiétants pour les patients à cet égard? La discrimination génétique. À la fondation, mon rôle consiste notamment à informer les participants potentiels que la discrimination génétique est réelle et légale au Canada.

Le projet de loi S-201 a le pouvoir de changer les choses. Nous avons besoin de ce projet de loi pour que les Canadiens aient accès aux diagnostics génétiques qui permettront d'intervenir en temps opportun. Nous avons besoin du projet de loi S-201 pour que les Canadiens puissent participer à des essais cliniques sans craindre la discrimination génétique. Nous avons besoin du projet de loi S-201 pour qu'Erin puisse obtenir l'assurance dont elle a besoin. Nous avons besoin du projet de loi S-201 pour empêcher la discrimination génétique au Canada.

Je vous remercie de m'avoir écoutée. Je vous remercie aussi de m'avoir accordé le privilège de prendre la parole au nom de la Foundation Fighting Blindness.

La présidente : Merci beaucoup, madame Sunderland.

Monsieur Marceau.

[Français]

Richard Marceau, avocat-conseil et conseiller principal, Relations gouvernementales, Centre consultatif des relations juives et israéliennes, Coalition canadienne pour l'équité génétique : Je suis très reconnaissant au comité de me donner l'occasion de plaider en faveur du projet de loi S-201 du sénateur Cowan au nom du Centre consultatif des relations juives et israéliennes du Canada, qui est le porte-parole des fédérations juives du Canada.

[Traduction]

Contrairement aux 15 autres membres de la Coalition canadienne pour l'équité génétique, nous ne défendons pas ceux qui sont touchés par une maladie ou un trouble particulier. Nous sommes ici pour vous parler des conséquences de la discrimination génétique à l'égard des centaines de milliers de Juifs d'un océan à l'autre au Canada.

Je suis heureux de souligner que la nécessité de prévenir la discrimination fondée sur les tests génétiques fait l'objet d'un large consensus qui transcende les divisions entre les partis politiques.

Comme vous le savez, dans le dernier discours du Trône, le gouvernement conservateur s'est engagé à :

[Empêcher] les employeurs et les compagnies d'assurances de faire de la discrimination sur la base d'analyses génétiques.

Un projet de loi d'initiative parlementaire du NPD a été présenté à la Chambre des communes pour modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne, afin d'interdire la discrimination génétique, et nous sommes ici, bien sûr, pour parler du projet de loi S-201 parrainé par le sénateur Cowan.

Comme Bev l'a souligné dans son exposé, l'approche du Canada, qui consiste à attendre les résultats, a entraîné des lacunes graves sur le plan législatif; ces lacunes n'existent plus chez aucun de nos partenaires du G7 ou dans des pays comme Israël, qui ont adopté des mesures de protection complètes qui remontent à l'an 2000.

[Français]

Dans les sociétés démocratiques libérales à l'économie de marché, les 14 années qui ont suivi signalent clairement que les protections législatives ne détruiront pas l'industrie de l'assurance, pas plus qu'elles ne provoqueront la faillite des employeurs. L'expérience montre que ces craintes sont non fondées. Des mesures législatives comme celles proposées par le sénateur Cowan soutiendraient la recherche de pointe, des diagnostics et des traitements qui pourraient permettre à tous les Canadiens de vivre en meilleure santé et plus longtemps. La discrimination génétique n'est pas seulement un enjeu qui affecte des individus susceptibles de développer certaines maladies ou certains troubles de la santé. D'autres communautés ethniques sont tout aussi vulnérables.

[Traduction]

Par exemple, les Juifs canadiens présentent, de manière disproportionnée, des marqueurs génétiques qui signalent un risque accru de développer certains types de cancer. Les tests qui permettent d'obtenir ces renseignements sans menace de discrimination sont essentiels pour améliorer les résultats en matière de santé et sauver des vies.

Des siècles d'endogamie juive ont créé un groupe relativement homogène, surtout chez les Juifs dont les origines se trouvent en Europe de l'Est et qu'on connaît sous le nom de Juifs ashkénazes. C'est la raison pour laquelle on a mené de nombreux tests génétiques et des recherches ciblant des soi-disant maladies génétiques juives qui touchent les enfants, par exemple la maladie de Tay-Sachs.

Les tests génétiques représentent déjà une pratique normalisée dans la plus grande partie de la communauté juive, et on fait des tests de dépistage chez les couples pour déceler la présence d'une série de maladies génétiques avant que les partenaires se marient ou qu'ils aient des enfants.

La cartographie du génome humain a ouvert de nouveaux domaines de recherche médicale génétique. De nouvelles découvertes prometteuses sont effectuées à un taux exponentiel. Ces découvertes majeures ont le potentiel d'entraîner des effets sur les résultats en matière de santé pour les Juifs canadiens.

Il y a, par exemple, les marqueurs génétiques BRCA1 et BRCA2 pour les cancers du sein et de l'ovaire. Les femmes juives ashkénazes courent 10 fois plus de risque de présenter ces variantes pouvant causer le cancer que le reste de la population, ce qui peut faire augmenter jusqu'à 80 p. 100 leur risque de développer ces cancers. Même si la communauté juive est touchée de la façon la plus disproportionnée, nous ne sommes pas le seul groupe qui présente un risque élevé comparativement au reste de la population.

[Français]

La généticienne Mary-Claire King, qui a découvert le BRCA 1, préconise le dépistage génétique de ces variantes génétiques cancérigènes chez toutes les femmes américaines de plus de 30 ans. Selon la Société canadienne du cancer, le dépistage et l'intervention prophylactiques peuvent réduire le risque que ces femmes développent un cancer du sein de près de 90 p. 100. Étant donné la prévalence des indicateurs BRCA chez les femmes juives ashkénazes, ceci représente pour notre communauté une priorité qui pourrait sauver des vies. Malheureusement, il existe des obstacles pratiques au dépistage universel en raison du possible déni d'emploi ou de couverture de la part des compagnies d'assurance qui est fondé sur la discrimination génétique.

[Traduction]

La communauté juive demeure la cible la plus fréquente des manifestations de haine et de discrimination au Canada. Selon Statistique Canada, le taux de crimes fondés sur la haine et sur les préjugés dont notre communauté a été victime est de 15 à 25 fois plus élevé que dans le reste de la population.

La science a sauvé d'innombrables vies, mais elle a également servi d'arme dangereuse pour faire progresser la haine et la discrimination. Même s'il est évident que rien de la sorte ne se profile à l'horizon au Canada, il existe une préoccupation réelle selon laquelle ceux qui ne peuvent pas discriminer de façon légale contre les Juifs ou d'autres minorités en se fondant sur la race, la religion ou l'ethnicité pourraient le faire en se fondant sur la génétique.

[Français]

La science a désormais dépassé la législation au Canada. Il est temps que le Canada rattrape son retard et fasse en sorte que la discrimination génétique soit illégale au Canada. Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente : Merci. Nous allons maintenant passer aux questions, et nous entendrons d'abord le parrain du projet de loi, le sénateur Cowan.

Le sénateur Cowan : J'ai une question pour Mme Heim-Myers. Dans le cadre de vos travaux, vous voyagez partout au pays. Je sais que vous avez rencontré les représentants des autorités provinciales d'un océan à l'autre et que vous avez discuté des lacunes que vous avez cernées et de la nécessité d'intervenir. Avez-vous découvert ou entendu des commentaires qui s'opposent au projet de loi au niveau provincial?

Mme Heim-Myers : Non, absolument pas. La question qui revient tout le temps, c'est « Que fait-on au niveau fédéral? ». Dans une réunion, on reconnaît toujours que l'industrie de l'assurance est réglementée au niveau provincial, et c'est accepté. Toutefois, les provinces attendent généralement de voir ce que fera le gouvernement fédéral, et elles lui emboîteront le pas. C'est une attente positive; elles ne sont pas inquiètes. Elles ne considèrent pas qu'on joue dans leurs platebandes. Elles ont hâte de passer à l'action.

Lorsque je parle aux provinces, il serait utile de pouvoir m'appuyer sur une approche descendante à partir du gouvernement fédéral, comme aux États-Unis, où la GINA, la Genetic Information Nondiscrimination Act, a réglé certains des problèmes liés à la discrimination, mais pas tous. De nombreux États ont mis en œuvre des mesures de protection rigoureuses pour les renseignements génétiques, mais elles étaient le résultat d'un effet d'enchaînement. C'est un bon exemple d'une initiative introduite au niveau fédéral qui s'est ensuite propagée dans chaque État. Aucune préoccupation n'a été soulevée.

Le sénateur Cowan : Je pense que la sénatrice Nancy Ruth, lors de l'une de nos réunions précédentes, a dit qu'il s'agissait de savoir qui ferait de l'argent et qui paierait et qu'il fallait déterminer si on créait des gagnants et des perdants ou s'il y a une façon d'en faire une situation gagnante pour toutes les parties. Quel est votre avis à cet égard?

Mme Heim-Myers : Je crois que la situation gagnante pour toutes les parties, c'est de protéger les renseignements génétiques.

J'aimerais revenir à l'exemple du syndrome du QT long dans une famille — et c'est une histoire vraie — dans laquelle un des frères a été testé et on a découvert qu'il présentait la mutation génétique. Il sera donc traité aux bêta-bloquants et il vivra longtemps. Il sait à quoi s'attendre. Il vivra longtemps, mais il ne pourra pas avoir d'assurance-vie. Le frère qui refuse de se soumettre à des tests parce qu'il craint d'être victime de discrimination dans les domaines de l'emploi et de l'assurance pourrait mourir soudainement d'une crise cardiaque à l'âge de 40 ans, en laissant sa famille dans le besoin. Qui gagne dans ce scénario? Personne.

Si nous protégions les renseignements génétiques et que les deux frères se soumettaient à des tests, ils pourraient tous les deux être traités aux bêta-bloquants et mener une longue vie. La protection des renseignements génétiques crée donc une situation gagnante pour toutes les parties.

De plus, en ce qui concerne notre système de soins de santé, on découvre chaque jour de nouveaux traitements pour de nombreuses maladies grâce au projet sur le génome humain. Nous devons tous en profiter, et nous devons progresser sans crainte dans ce domaine. Il faut que les gens puissent participer aux essais cliniques, afin que tout le monde puisse profiter des merveilleuses recherches en cours. Nous n'avons pas besoin de l'obstacle de la discrimination génétique. Il s'agit donc d'une situation où tout le monde gagne.

Le sénateur Cowan : J'ai une question générale pour tous les témoins. On a également laissé entendre qu'il n'était pas nécessaire d'adopter une loi et que la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi canadienne sur les droits de la personne et la LPRPDE, individuellement ou collectivement, offraient une protection suffisante. Quel est votre avis à cet égard?

Mme Heim-Myers : La loi actuelle n'est pas claire, et les gens ne savent donc pas qu'ils sont protégés. D'ailleurs, la loi ne mentionne pas précisément les renseignements génétiques. En ce moment, les personnes doivent prouver qu'elles n'ont pas été victimes de discrimination et prouver qu'elles sont visées par la LPRPDE ou par les mesures liées aux droits de la personne. Ce n'est pas clair du tout.

Nous savons, grâce aux exemples d'autres personnes qui ont été victimes de discrimination de différentes façons, que ces personnes ont l'impression qu'on a violé leurs droits. Lorsqu'une personne a l'impression qu'on a violé ses droits, elle ne le dira pas. Elle ne s'adressera pas au système juridique pour obtenir réparation. Nous devons faire quelque chose pour faire cesser la discrimination, et c'est l'objectif du projet de loi.

M. Marceau : Il y a des preuves anecdotiques selon lesquelles la discrimination se produit dans le cadre de la loi en vigueur. Nous croyons — et je crois que je parle pour tous les membres de la Coalition canadienne pour l'équité génétique — qu'il est nécessaire d'ajouter des mesures de protection.

Le projet de loi dont nous sommes saisis nous en donne les moyens, malgré les questions liées aux compétences qui ont été mentionnées par Bev plus tôt. Nous sommes ouverts aux suggestions qui visent à améliorer le projet de loi, mais d'après ce que nous pouvons voir, c'est un bon projet de loi. Nous avons hâte que le gouvernement mette en œuvre l'engagement qu'il a pris dans le dernier discours du Trône et qui consiste à appuyer la lutte contre la discrimination génétique.

Selon moi, le soutien offert par tous les partis — manifestement, votre projet de loi, l'engagement pris dans le cadre du discours du Trône, ainsi que le projet de loi de Libby Davies à la Chambre des communes — démontre qu'il y a une volonté politique en ce sens. Les trois partis politiques ont convenu que la discrimination génétique est un problème au Canada. Il y a un consensus à cet égard. Il faut donc retrousser nos manches, trouver une façon de lutter contre ce problème et se mettre à l'œuvre.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de vos exposés et d'être ici. Je suis désolée que vous ayez eu à attendre.

Lorsque le sénateur Cowan a parlé au Sénat, il a dit qu'il y a 10 ans, on disposait de 100 tests; en avril dernier, il y en avait 2 000 et maintenant, il y a 13 800 tests pour 4 000 maladies et 2 600 gènes.

Certains pays ont-ils pris des mesures pour éliminer la discrimination génétique, et dans quelle mesure les tests génétiques sont-ils répandus dans d'autres pays? Je sais qu'au Royaume-Uni, ils sont très répandus.

Mme Heim-Myers : Nous sommes le seul pays du G7 qui ne s'est pas attaqué à ce problème. J'ai mentionné la Belgique dans mon exposé. D'autres pays se sont attaqués au problème, et ils ont adopté des lois précises pour protéger les renseignements génétiques.

Je crois qu'il existe maintenant près de 23 000 tests génétiques. Vous pouvez chercher ces données sur le Web un jour, et deux jours plus tard, il y aura 500 tests de plus. C'est une cible extrêmement mobile, et c'est à l'avantage de tous les Canadiens si nous pouvons en profiter.

Toutefois, oui, de nombreux pays ont pris des mesures pour éliminer la discrimination génétique. Au Royaume-Uni, où on a mis en œuvre des dispositions liées à l'équité génétique, cela n'a pas entraîné d'effets négatifs sur les sociétés d'assurances. Elles ont survécu, et les craintes que cela se produise ne se sont pas réalisées. Nous avons de nombreux exemples de pays dans lesquels cette initiative n'a pas nui à l'industrie de l'assurance ou aux employeurs, mais où elle a certainement profité aux particuliers.

Mme Gordon : Je crois que la science progresse plus rapidement que la loi. Comme vous venez de l'entendre, le nombre de séquences génétiques identifiées augmente de façon exponentielle, mais nous n'avons pas de loi ou même de code d'éthique pour appuyer ce que nous devons faire dans ce contexte en évolution constante.

Mme Sunderland : J'aimerais revenir sur les questions qui ont été posées sur la façon dont on pourrait en faire une situation gagnante pour toutes les parties et sur la mesure dans laquelle les tests génétiques sont répandus.

Lors de mon intervention, j'ai fait référence au nouveau test qui a été publié à la fin août et par lequel on peut traiter les cataractes congénitales. On a laissé entendre que ce test devrait représenter une nouvelle norme en matière de soins, ce qui n'aurait jamais été possible il y a longtemps en raison du coût élevé de ce test. Toutefois, on a fait valoir que si ce test devenait une nouvelle norme en matière de soins, il pourrait permettre de réaliser de grandes économies, surtout en ce qui concerne les maladies rares. En effet, on dépense beaucoup d'argent pour l'analyse de ces maladies, et on dépense d'énormes sommes pour tenter d'obtenir un diagnostic exact et les traitements ne fonctionnent pas si le diagnostic est erroné. Cela ouvre donc la voie à un diagnostic rapide et efficace, et on peut ensuite dépenser de l'argent pour offrir des traitements qui aideront le patient.

M. Marceau : Je sais que la question d'Israël a été soulevée dans ce comité. Quand, en 2000, l'État d'Israël a adopté une loi visant les tests génétiques, le projet de loi contenait une disposition visant précisément la discrimination génétique dans deux domaines principaux, c'est-à-dire l'emploi et les assurances.

En ce qui concerne l'emploi, cette disposition interdit aux employeurs d'exiger que leurs employés ou les candidats à un poste leur fournissent des renseignements génétiques ou des résultats de tests génétiques.

En ce qui concerne les assurances, les assureurs ne peuvent pas poser de questions sur des tests génétiques antérieurs ou sur leurs résultats. Ils ne peuvent pas utiliser des renseignements génétiques pour refuser une couverture d'assurance. Tout cela signifie que les particuliers ont un droit protégé de refuser de fournir des renseignements génétiques à un assureur sans pénalité.

Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de vos exposés.

Lors d'une audience précédente sur ce sujet, les représentants de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes ont comparu, et ils ont souligné qu'il y avait un code dans l'industrie qu'ils mettaient en œuvre volontairement. Ce code contient huit parties, et ils ont dit que leurs membres le respecteraient. Le code prévoit, tout d'abord, qu'aucun Canadien ne sera soumis à la condition de subir un test génétique pour obtenir une assurance. Il énonce ensuite plusieurs autres dispositions complémentaires. Toutefois, il prévoit que si un test est effectué, les résultats devraient être partagés. Quel est votre avis sur ce code volontaire mis en œuvre dans l'industrie?

Mme Heim-Myers : Il n'existe pas. J'ai donné l'exemple du jeune homme qui venait d'une famille touchée par la SLA, c'est-à-dire l'un de ses grands-parents. Il a fait une demande d'assurance-vie et elle a été refusée parce que la maladie était présente dans sa famille au niveau de ses grands-parents. Les parents ne sont pas touchés en ce moment, et ils avaient 20 ans de plus que le grand-parent lorsque ce dernier est décédé de la maladie.

La réponse qu'a reçue cette personne — et je l'entends tout le temps —, c'est que la société d'assurance lui a dit que s'il peut prouver qu'il n'a pas la mutation génétique, elle réexaminera son dossier.

On dit qu'il y a un moratoire volontaire sur le fait de demander aux gens de passer des tests génétiques, mais on n'envisagera même pas d'assurer une personne jusqu'à ce qu'elle prouve qu'elle n'a pas la mutation.

Dans un cas que j'ai mentionné plus tôt, c'est-à-dire la personne qui n'a pas la mutation génétique de la maladie de Huntington, on lui refusera quand même l'assurance, car elle pourrait développer cette maladie, ce qui n'est pas vrai. Cela n'arrive pas. Il faut avoir la mutation avant de développer la maladie.

On dit qu'il y a un moratoire volontaire. On ne demande peut-être pas aux gens de passer un test génétique, mais on leur dit qu'on n'examinera pas leur demande à moins qu'ils puissent prouver, par un test génétique, qu'ils n'ont pas la mutation.

La sénatrice Frum : Monsieur Marceau, j'ai aimé votre commentaire selon lequel il s'agit d'une question non partisane qui a l'appui de tous les partis. Comme plusieurs d'entre vous l'ont mentionné, le problème, c'est la question des différentes compétences et le fait que si le projet de loi est contesté par les sociétés d'assurances — et je crois que ce sera le cas —, il sera jugé inconstitutionnel, car il n'y a aucune compétence fédérale visant les règlements liés à l'assurance.

Madame Heim-Myers, vous avez fait référence aux travaux que vous avez effectués et vous parlez aux provinces. Une approche provinciale de la loi et des règlements m'intéresse davantage qu'une approche fédérale. Cela ne doit-il pas être renvoyé au niveau provincial?

Mme Heim-Myers : Je crois que nous avons besoin des deux approches. Je crois qu'il faut le faire au niveau fédéral et au niveau provincial. Je pense que nous devons montrer l'exemple au niveau fédéral, mais en ce qui concerne les règlements, l'industrie de l'assurance est réglementée au niveau provincial.

En ce qui concerne les renseignements génétiques, lorsque le gouvernement fédéral n'offre pas une protection adéquate et qu'il ne donne pas l'exemple, on risque de se retrouver avec une approche fragmentée à l'échelle du Canada. En effet, nous ne voulons pas qu'une province soit protégée et que l'autre ne le soit pas, car cela créera de la confusion et des inégalités chez les personnes qui font une demande d'assurance. Il s'ensuit que si le gouvernement fédéral protège les renseignements génétiques, les provinces seront plus motivées à le faire aussi. Si je me fonde sur les conversations que j'ai eues avec les représentants provinciaux, je ne vois pas de problème à engager les provinces à cet égard.

M. Marceau : Je vous remercie de la question et, oui, l'industrie de l'assurance est en effet une compétence provinciale.

Je crois que nous cherchons un message qui pourrait être diffusé à l'échelle du pays. Comme je l'ai dit dans ma réponse précédente, la façon dont le message est diffusé n'est pas aussi importante que le fait qu'il soit diffusé. D'après ce que je comprends de mes conversations avec des employés du gouvernement, c'est ce que le gouvernement essaie de comprendre. Dans le discours du Trône, on affirme qu'on souhaite lutter contre cela, mais comment pouvons-nous nous assurer que cette lutte est menée de façon appropriée et que le projet de loi n'est pas contesté devant les tribunaux?

Nous affirmons que le projet de loi est un pas en avant. Le gouvernement peut peut-être l'amender et l'améliorer, et veiller à ce qu'il soit équitable, mais c'est le message qui est important. Le message envoyé à l'industrie des assurances et aux provinces, c'est que ce problème est réel.

Je reviens au premier commentaire que vous avez formulé dans votre question, c'est-à-dire qu'il existe une volonté politique d'y arriver. Comme Bev l'a dit, la volonté existe au niveau provincial, mais il faut finir par passer à l'action. Nous attendons que le gouvernement fédéral enclenche les processus nécessaires pour que ces protections soient mises en œuvre aussitôt que possible. Le projet de loi du sénateur Cowan est une bonne façon de provoquer cette conversation et de faire avancer les choses.

La sénatrice Hubley : Je vous remercie d'être ici et je vous remercie de vos exposés.

Vous avez constaté une augmentation dans la quantité des renseignements médicaux exigés par les sociétés. Comme vous l'avez dit, elles n'insistent pas sur les tests génétiques, mais elles laissent entendre que ce sont des renseignements importants qu'elles aimeraient obtenir. Avez-vous constaté une augmentation importante à cet égard chez les sociétés ces derniers temps?

Mme Heim-Myers : C'est difficile à mesurer, car les gens ne le signalent pas. J'ai constaté une augmentation des renseignements anecdotiques, c'est-à-dire que des gens sont venus me voir pour me dire que lorsqu'ils obtiennent une promotion dans une entreprise, on exige qu'ils produisent ces renseignements pour qu'ils soient examinés. Mais il ne s'agit pas d'une recherche fondée sur les preuves. Les gens n'ont pas tendance à le signaler lorsque ces renseignements sont utilisés contre eux dans le milieu du travail.

C'est anecdotique. Je suis désolée, mais je n'ai pas les recherches. Je l'ai mentionné plus tôt. Il n'y a pas beaucoup de recherches, car les gens sentent que leurs droits ont été violés, ils se sentent embarrassés et ils ont l'impression d'avoir perdu le contrôle. Il y a de nombreux exemples dans lesquels les gens sont dans différentes situations, mais ils ne signalent rien. Il y a donc un précédent.

La sénatrice Hubley : Merci beaucoup.

Le sénateur Eggleton : Le commentaire de M. Marceau selon lequel c'est un message m'intéresse, car j'ai entendu les gens dire cela au sujet du dernier projet de loi, c'est-à-dire le projet de loi S-7. Même si les provinces, qui participeraient grandement à cette initiative... Eh bien, c'était quand même un bon message. Et je sais que la majorité des membres du comité ont dit — je ne pouvais pas résister à le dire, car je tiens à ce que vous vous en souveniez au moment de l'étude article par article du projet de loi.

J'aimerais vous poser une question au sujet des États-Unis et de l'initiative de la GINA. Elle existe depuis 2008; la loi a été adoptée en 2008. Comme vous l'avez souligné, plusieurs États ont adopté diverses mesures contre la discrimination dans le milieu de l'emploi ou des assurances.

C'est toujours bon d'apprendre des autres. On a mentionné l'expérience du Royaume-Uni et celle d'Israël, mais parlons davantage de l'expérience des États-Unis. Selon vous, quels sont les avantages et les inconvénients du projet de loi?

Mme Heim-Myers : L'avantage de la GINA, c'est que les gens auraient accès aux soins de santé et à l'assurance-invalidité. Toutefois, on a laissé tomber la question de l'assurance-vie. Donc en ce qui concerne l'industrie de l'assurance, l'adoption de la GINA ne se faisait pas sans éliminer la partie sur l'assurance-vie.

Cet exemple — pour le reste des États —, c'est que des mesures de protection des renseignements génétiques plus strictes ont été mises en œuvre, surtout en Californie; il s'agit d'une protection très complète. Avec l'adoption de la GINA en 2008, il aurait été merveilleux — et c'était le but — de rassembler l'assurance-maladie, l'assurance-vie et l'assurance invalidité, mais cela ne s'est pas concrétisé. La bonne nouvelle, c'est qu'il y a une couverture, mais elle ne vise pas l'assurance-vie. Toutefois, certains États, notamment la Californie, ont décidé de mettre en œuvre des lois beaucoup plus sévères pour protéger les renseignements génétiques.

C'était donc un très bon exemple. C'était un message dans lequel on confirmait que les renseignements génétiques sont des informations complexes et personnelles qui devraient demeurer la propriété de la personne et qui ne devraient pas être utilisées contre elle, mais seulement avec son approbation. C'était excellent, et c'était un bon message.

Le sénateur Eggleton : L'industrie de l'assurance au Canada semble craindre une augmentation des primes et des coûts. Aux États-Unis, a-t-on manifesté des signes de panique à cet égard dans l'industrie?

Mme Heim Myers : Non, c'est plutôt le contraire. Dans le document auquel j'ai fait référence dans mes commentaires, on craignait, au Royaume-Uni, que les primes augmentent. En fait, elles n'ont pas augmenté, car les maladies monogéniques sont rares. D'ailleurs, la maladie de Huntington est une maladie monogénique. Elle est sur un chromosome et elle est facile à définir, mais c'est une maladie rare et il n'y a pas beaucoup de cas. La plupart des maladies sont des maladies multifactorielles, par exemple la maladie de Parkinson, et la discrimination génétique est fondée sur une invalidité future perçue. Cela ne se produit pas. Il n'y a pas eu d'effet sur les primes d'assurance. Au Royaume-Uni, sur le plan historique, cette crainte ne s'est pas concrétisée.

Le sénateur Eggleton : Y a-t-il des preuves de l'augmentation? J'imagine que cela ferait diminuer les coûts de soins de santé, car si on effectue un test génétique assez tôt, on peut prendre des mesures préventives. Récemment, le Dr Ronald Cohn a comparu devant le comité, et il travaille en médecine génétique à l'Hôpital pour enfants malades de l'Université de Toronto. Il a parlé de la différence dans les coûts de soins de santé si nous pouvions utiliser les tests génétiques pour déceler cette maladie assez tôt. Je présume que vous êtes d'accord?

Mme Heim Myers : Absolument. Il existe une maladie du foie qui, si elle est repérée assez tôt, ne se développera jamais chez une personne.

Dans l'exemple du Dr Cohn, si nous n'avons pas le test maintenant, nous savons que nous l'aurons bientôt. Je crois qu'au moment de sa comparution, il y avait 56 tests de dépistage des maladies génétiques connues chez les enfants, et deux semaines plus tard, ce nombre avait augmenté à 58. Il ne s'agit pas seulement de comprendre quelles sont les maladies pour lesquelles un enfant peut être testé maintenant, mais il faut également comprendre que cet enfant peut être traité dans deux semaines ou plus tard lorsque nous aurons un traitement pour cette maladie.

La sénatrice Eaton : J'aimerais ajouter quelque chose à la question de la sénatrice Frum.

Monsieur Marceau, vous disiez dans votre réponse à la sénatrice qu'il y a certaines maladies qui sont plus fréquentes dans la communauté juive, notamment certains cancers. Pourriez-vous dire la même chose au sujet d'autres communautés? Par exemple, la drépanocytose n'est-elle pas plus fréquente dans la communauté noire?

M. Marceau : Oui, certains marqueurs sont plus fréquents dans certaines communautés. Par exemple, les Sud-Asiatiques ont tendance à avoir un taux plus élevé de maladies cardiaques ou de diabète. Certains groupes sont plus à risque pour certaines maladies. Manifestement, j'ai illustré ce fait en utilisant la communauté juive, mais d'autres groupes présentent également certaines anomalies génétiques dans une proportion plus grande que d'autres.

La sénatrice Eaton : Je pense que nous savons cela depuis un certain temps. Les sociétés d'assurances ont-elles déjà discriminé contre certaines communautés en raison de maladies qui étaient plus communes dans cette communauté que dans les autres?

M. Marceau : Pas à ma connaissance.

La présidente : Je vous remercie tous. Comme vous pouvez le constater, la question soulève beaucoup d'intérêt. Mes collègues aimeraient poser encore beaucoup plus de questions. Je vous demande donc, au cas où il resterait du terrain à couvrir, de bien vouloir communiquer par écrit à notre greffier tous les renseignements qui permettront de brosser un tableau complet de la situation.

Encore une fois, je vous présente mes excuses pour l'attente que nous vous avons imposée. Vos témoignages ont été très édifiants. Merci.

Je suis heureuse d'accueillir deux membres de l'Association canadienne des conseillers en génétique, Clare Gibbons, conseillère en génétique à l'hôpital général de North York, et Julie Rutberg, conseillère en génétique et coordonnatrice de la recherche, à l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa. Accueillons aussi la représentante du Collège canadien des généticiens médicaux, la Dre Gail Graham, présidente et chef du département de génétique au CHEO et M. Yann Joly, du Centre de génomique et politiques, professeur agrégé de génétique humaine à l'Université McGill puis, enfin, Mme Kathy Hibbs, chef des Affaires juridiques et réglementaires chez 23andMe, Inc.

Commençons par Dre Gibbons. Je vous demande, s'il vous plaît, de limiter votre exposé à cinq minutes.

Clare Gibbons, conseillère en génétique, North York General Hospital, Association canadienne des conseillers en génétique : Merci beaucoup de m'accorder l'occasion de témoigner devant vous au nom de l'Association canadienne des conseillers en génétique. Je suis accompagnée de ma collègue Julie Rutberg. Nous sommes toutes les deux conseillères en génétique. Je tiens à vous donner un petit aperçu de ce en quoi consiste le conseil génétique.

Les conseillers en génétique sont des médecins qui informent les familles sur les problèmes, les risques et les tests génétiques. Nous nous efforçons d'aider les patients à comprendre les avantages et les inconvénients de ces tests pour qu'ils puissent prendre les meilleures décisions pour eux, compte tenu des circonstances.

Voilà pourquoi notre association a décidé de faire connaître sa position, dans un but de sensibilisation au problème de la discrimination génétique et pour réclamer une loi pour protéger les Canadiens, parce que nous estimons que ce problème très important touche quotidiennement nos patients. Nous avons sondé nos membres pour trouver des exemples de discrimination génétique et d'utilisation de renseignements génétiques contraire à l'équité. La plupart des réponses concernaient la discrimination par les assureurs. On nous a communiqué très peu d'exemples précis de discrimination à l'embauche.

Voici l'un des exemples les plus étonnants qu'on nous a communiqués. Il concerne l'hémochromatose, maladie causée par des mutations des deux exemplaires d'un gène particulier, qui prédispose à la surcharge en fer. Une surcharge assez élevée peut provoquer des symptômes débilitants et, dans certains cas, la mort. Cependant, seul un très petit nombre de personnes possédant les deux mutations manifeste une surcharge ferrique assez importante pour causer des symptômes. Les personnes qui connaissent leur situation génétique sont en mesure de modifier légèrement leur mode de vie pour réduire au minimum les risques de surcharge, par exemple, par la réduction des apports alimentaires de fer ou le choix prudent de leurs suppléments vitaminiques. Elles peuvent confier à leur médecin la surveillance régulière de leur fer, qu'on peut ramener à la normale par un simple traitement, la phlébotomie ou saignée.

On considère que l'hémochromatose est une maladie génétique des plus faciles à prévenir. J'ai été très étonnée par le nombre de Canadiens d'un peu partout au pays à qui on a refusé qu'ils souscrivent une police d'assurance-vie et, dans un cas, d'assurance médicale pour voyages, à cause d'un test génétique pour l'hémochromatose, d'autant plus qu'ils ne manifestaient aucun signe de surcharge ferrique. On pourrait croire que c'est une maladie rare, mais elle ne l'est pas tant que ça, puisque 1 personne sur 300 d'ascendance nord-européenne aurait la même constitution génétique que ces patients refusés par les assureurs. La plupart des porteurs de ces mutations ignorent leur situation. Le fait de la connaître les soustrairait au risque de manifester des symptômes, mais on a retourné contre eux ce renseignement.

Voilà un exemple seulement d'utilisation injuste et erronée des résultats de tests génétiques. Ces quelques cas nous amènent à nous méfier de l'emploi de nos renseignements génétiques et à informer tous les patients des conseillers en génétique qui s'apprêtent à subir des tests prédictifs sur les risques qu'ils courent de voir les renseignements génétiques ainsi obtenus servir contre eux. De plus, il n'existe aucune garantie sur les futures modalités d'emploi de ces renseignements. Même si nous pouvons affirmer maintenant que nous ne connaissons pas de nombreux cas de discrimination par les employeurs, nous ne possédons aucune preuve que, dans l'avenir, sans quelque forme de protection, cela n'arrivera pas.

Comme je l'ai dit, cela influe sur la participation à la recherche. Dans tous les formulaires de consentement, de nombreux comités institutionnels d'éthique de la recherche nous obligent à énumérer sous la rubrique « Risques » la divulgation de renseignements médicaux ou génétiques qui pourraient, d'une certaine manière, exposer les patients à la discrimination, même si de nombreux chercheurs prennent beaucoup de précautions pour la prévenir ou la réduire au minimum. Cette énumération obligatoire inquiète souvent les patients et aggrave leur malaise et leurs craintes d'une possible discrimination génétique.

Nous nous sommes bornés aux simples affections génétiques, mais, en raison de la complexification constante de l'interprétation des résultats des tests génétiques, et je suis sûre que la représentante de 23andMe en parlera, des entreprises pourront ajuster les risques globaux que courent les patients pour leur santé d'après certaines études génétiques. Certaines ont reçu une validation scientifique limitée, mais cette information reste recherchée, malgré la complexité beaucoup plus grande de la question et la valeur prédictive contestable de ces tests. Rien n'empêche la divulgation de ces résultats à un assureur décidé à les demander.

Il est difficile de croire, au vu des exemples cités, que des moratoires, des audits ou des codes que se seraient imposés les assureurs protégeront suffisamment les Canadiens. Cette crainte de la discrimination fait éviter des tests pour des maladies soignables comme l'hémochromatose ou certains cancers héréditaires; elle fait éviter de participer à la recherche; et elle fait hésiter de communiquer les renseignements et les risques de nature génétique à la parenté des patients qu'on maintient ainsi dans l'ignorance et à qui on interdit ainsi de faire ses propres choix sur les tests et les traitements génétiques.

Il existe des exemples aussi nombreux de l'utilisation peut-être injuste d'autres renseignements par les sociétés d'assurances; mais peu influent autant que cet exemple sur les décisions médicales des patients. Autrement dit, une bosse dans un sein n'empêchera pas de se faire examiner par le médecin par crainte de discrimination par les assureurs, mais la discrimination génétique fait qu'on évite le test sur la mutation BRCA1 pour savoir si on est exposé à un risque accru de cancer du sein.

L'Association canadienne des conseillers en génétique croit que les Canadiens ont besoin d'être protégés contre la discrimination génétique, et la meilleure protection passe par la loi.

Dre Gail Graham, présidente et chef du Département de génétique du CHEO, Collège canadien des généticiens médicaux : Merci de l'occasion que vous nous accordez de formuler des observations sur le projet de loi S-201. Je loue sans réserve le sénateur Cowan pour cette initiative importante.

Je préside depuis peu le Collège canadien des généticiens médicaux, l'organisation professionnelle qui représente les médecins qui commandent des tests génétiques pour leurs patients et les scientifiques des laboratoires qui rendent ces tests possibles. Même si mon calendrier ne m'a pas permis de sonder tous nos membres, je peux affirmer que j'ai discuté de ce projet de loi avec notre conseil d'administration, y compris notre vice-présidente, la Dre Judi Chernos, et la présidente de notre comité de l'éducation, de l'éthique et de la politique publique, la Dre Julie Richer. Nous sommes tous d'accord pour dire que c'est une question complexe et nous sommes extrêmement heureux que le projet de loi S-201 ait été proposé comme première étape importante de la protection des patients contre la discrimination génétique, tant pour l'embauche que pour l'assurance.

Quatre cas se présentent dans lesquels un patient peut subir un test génétique. Je les décrirai rapidement. Le premier survient quand le patient est obligé de subir un test génétique ou de divulguer les résultats d'un test antérieur comme condition d'embauche. Le projet de loi S-201 le protégera contre cette atteinte injustifiée à la vie privée, une protection qui se fait attendre depuis longtemps et qui est accordée, comme vous le savez déjà, dans de nombreux autres pays.

Le deuxième survient quand le patient présente des manifestations cliniques d'une maladie génétique et que nous l'adressons à notre réseau de santé pour la réalisation de tests diagnostiques.

Le troisième est celui du patient ayant des antécédents familiaux d'une maladie génétique, qui veut savoir, encore une fois, par notre réseau de santé, idéalement, si cette maladie le touchera. Le test prédictif permet la prise de décisions vitales. Un patient de 20 ans qui risque à 50 p. 100 de manifester une forme génétique de handicap visuel, par exemple, peut modifier son choix de carrière si le test génétique confirme qu'il perdra la vue. La femme qui risque à 50 p. 100 de manifester un trouble génétique neurodégénératif incurable peut choisir de ne pas avoir d'enfants si le test confirme qu'elle aura la maladie, soit parce qu'elle prévoit de ne pas être suffisamment en mesure d'élever ses enfants ou parce qu'elle ne veut pas transmettre la maladie. De même, une femme qui risque à 50 p. 100 d'avoir une prédisposition génétique au cancer peut vouloir être fixée sur son état au moyen d'un test génétique pour permettre la prise de mesures de surveillance médicale pour aider à diagnostiquer ce cancer le plus rapidement possible.

Chaque jour, les généticiens médicaux voient la menace de discrimination par les assureurs influer, dans les scénarios 2 et 3 dont je viens de parler, sur le choix de réaliser un test génétique diagnostique ou prédictif. De l'avis de tous, la mesure dans laquelle un projet de loi peut s'attaquer à la discrimination actuelle des assureurs dans ces situations dépend, jusqu'à un certain point, de la demande, par ces assureurs, des dossiers médicaux du patient et des antécédents familiaux, renseignements qui, dans les deux cas, peuvent faire repousser la demande d'assurance, même en l'absence de test génétique. Néanmoins, je suis absolument convaincue de la nécessité de ce projet de loi et, aussi, de celle de la protection importante qu'il pourrait accorder.

Pour comprendre le dernier des quatre cas dont je vous ai parlé, vous devez être conscients que la nouvelle technologie génétique révolutionne bel et bien la médecine. Dans les années 1990, il a fallu plus d'une décennie et des centaines de millions de dollars pour séquencer pour la première fois le génome humain et, aujourd'hui, pour en séquencer plusieurs, il faut moins d'une semaine et environ 1 500 $. Ces percées technologiques, qui sont dues en partie à l'investissement de fonds publics dans la recherche, nous ont permis d'analyser simultanément les importants codes que renferment les quelque 23 000 gènes de notre génome.

Cette technologie commence déjà à servir au diagnostic de maladies génétiques si rares qu'on ne les a signalées que chez une poignée de personnes sur la planète. Même ici au CHEO, nous l'avons utilisée à des fins de recherche pour diagnostiquer des maladies qui n'ont jamais été décrites — des maladies particulières, liées à un seul gène. La technique trouve aussi un rôle de premier plan dans le profilage des cancers non héréditaires, pour que les traitements ciblent les mutations génétiques à l'origine de la tumeur du patient. Cette technique incroyablement puissante constitue l'avenir de la médecine. Voilà pourquoi on a consacré des millions de dollars au premier séquençage du génome humain.

Le quatrième cas est donc le patient ayant subi un test par cette nouvelle technologie de la génomique, idéalement dans le contexte d'une rencontre médicale, chez qui on décèle une maladie génétique grave à la faveur d'une découverte fortuite et autrement imprévue.

Des découvertes fortuites, sur lesquelles la médecine peut agir, n'ont été signalées que dans seulement 1 à 2 p. 100 des membres de cohortes importantes qui ont subi ce type de test et, souvent, cette connaissance permet aux patients de réduire au minimum la morbidité ou de la prévenir, grâce à des mesures de surveillance ou de traitement. Ce scénario de découverte fortuite représente un très petit risque pour les assureurs, qui est sans rapport avec la charge qu'on impose à notre population si la crainte d'une discrimination par les assureurs empêche d'utiliser ces techniques puissantes pour prodiguer des soins.

Nous devons éviter que la crainte de la discrimination des assureurs ne paralyse pas les nouvelles applications prometteuses comme la génomique du cancer. C'est maintenant qu'il faut agir, puisque cette technologie s'apprête à faire partie intégrante du quotidien de la médecine. Si nous continuons d'attendre, il sera trop tard.

La partie la plus importante de ma tâche de généticienne médicale est de voir des patients qu'on soupçonne atteints d'une maladie génétique à antécédent familial. C'est le cas de la plupart de ces maladies, comme vous le savez déjà. Toutes les semaines je ne manque pas d'expliquer à un nouveau candidat à un test génétique les conséquences possibles de son choix sur son assurabilité. Jeudi dernier, j'ai vu une patiente de 50 ans qu'on m'a signalée à cause d'une découverte inhabituelle sur sa peau, qui soulevait la possibilité d'une maladie rare, la léiomyomatose familiale et cancer du rein. Elle a choisi de ne pas subir de test génétique qui pourrait confirmer un risque accru d'une forme agressive du cancer du rein, parce qu'elle change souvent d'employeur et, chaque fois, elle doit souscrire une nouvelle assurance.

Un test génétique sanguin pourrait confirmer si elle est atteinte par cette maladie. Si le test était positif, elle aurait besoin d'un dépistage annuel du cancer du rein, pour le déceler le plus tôt possible, quand le traitement est susceptible d'avoir les meilleurs résultats. Sinon, le risque du cancer sera réduit au point où le dépistage ne sera plus nécessaire.

Son choix, fait en connaissance de cause, de ne pas subir de test génétique signifie qu'on ne peut pas offrir immédiatement de test génétique sanguin à ses trois enfants, trois jeunes adultes, chacun exposé à un risque de 50 p. 100 d'avoir la même maladie. Ils devront attendre de voir s'ils manifestent le même phénomène cutané ou le cancer lui-même.

Voilà un exemple réel de ce qui se produit quotidiennement au Canada, faute de nous être dotés d'une loi comme le projet de loi S-201. Les patients doivent pouvoir subir des tests génétiques dans le souci de leur propre santé et de celle de leurs enfants sans crainte de discrimination de la part des assureurs et ils doivent pouvoir le faire quand c'est médicalement nécessaire, sans que cela influe sur leur employabilité ou leur dossier d'assurance.

Si on fait abstraction de la découverte d'une cure pour ces maladies, c'est la mesure la plus importante que le gouvernement pourrait prendre pour mes patients et ceux de mes collègues de partout au Canada.

Yann Joly, directeur de la recherche et professeur agrégé, Université McGill, Centre de génomique et politiques : Bonjour. Je vous remercie de l'occasion que vous m'accordez de témoigner sur le projet de loi S-201 et d'attirer votre attention sur certains éléments importants des points de vue juridique, éthique et de la santé publique.

Je suis avocat, membre du Barreau du Québec. J'occupe le poste de directeur de la recherche au Centre de génomique et politiques, centre de recherche universitaire créé par la titulaire de la chaire canadienne de recherche en droit et médecine, la professeure Bartha Knoppers, de l'Université McGill, qui réunit plus de 30 chercheurs et étudiants offrant une expertise et faisant de la recherche pluridisciplinaire sur les politiques sociales, éthiques et juridiques sur lesquelles s'appuient la recherche sur la génomique et la recherche médicale en général.

Notre centre est l'un des premiers à s'être intéressé à la question de la discrimination génétique, la portant à l'attention de la Commission de réforme du droit du Canada en 1991, il y a 23 ans. Nous avons réalisé quelques-unes des rares études comparatives internationales. Quand nous avons eu vent des débats portant sur les lois dans d'autres pays, nous avons également effectués certaines des analyses.

Au Canada, il manque de preuves démontrant l'existence de pratiques discriminatoires fondées sur l'information génétiques, sauf en ce qui concerne la maladie de Huntington. Je le précise, car j'ai mené le seul examen systématique publié sur tous les événements génétiques signalés dans la littérature. La maladie de Huntington est donc le seul domaine où il existe des preuves de discrimination; certaines preuves ont également été colligées en ce qui concerne le cancer du sein héréditaire.

Malgré le manque de preuves empiriques de l'existence de discrimination génétique en général, nous savons que la question suscite des préoccupations au sein de la population, ainsi que parmi les groupes de patients, les associations professionnelles et les médias. Nous sommes sensibles à ces préoccupations, mais nous voudrions répéter que dans la plupart des cas, le problème de discrimination génétique a davantage à voir avec des craintes relatives au risque possible plutôt qu'avec des cas réels de discrimination génétique. Quand des domaines ou des maladies précises font effectivement l'objet de discrimination génétique, la protection serait peut-être mieux assurée par voie de mesures administratives plutôt que par l'entremise d'une loi fédérale à portée générale.

Nous avons trois principales recommandations à formuler si ce projet de loi est adopté. Tout d'abord, nous recommandons fortement d'interdire que l'imposition de tests génétiques fasse partie des conditions pour avoir accès à des biens et services comme les assurances. Cela relève du bon sens. L'imposition de tels tests va à l'encontre des principes fondamentaux de la société canadienne, notamment le respect de la dignité humaine et de l'autonomie individuelle. L'industrie de l'assurance est du même avis. Le projet de loi aurait donc pour effet de renforcer certaines politiques déjà existantes afin d'aller au-delà de l'autoréglementation de l'industrie, ce qui augmenterait le degré de responsabilisation et contribuerait à apaiser l'anxiété de la population à cet égard.

Nous considérons en outre que l'interdiction de la divulgation des résultats de tests génétiques devrait se limiter aux tests génétiques effectués dans le cadre de la recherche. Pourquoi le pensons-nous? Tout d'abord, les résultats de tests génétiques obtenus dans le contexte de recherches en santé — et je fais une distinction entre la recherche et les soins cliniques — ne satisfont souvent pas au seuil de validité analytique, de validité clinique et d'utilité clinique. Leur recours génère en outre des problèmes juridiques et éthiques imprévus. De plus, les résultats de la recherche génétique, de par leur nature même, sont difficiles à interpréter et sont souvent contredits par des études ultérieures. Nous avons remarqué que le dernier code de déontologie de l'industrie de l'assurance, celui de 2014 qui a été présenté au comité précédemment, va dans le même sens, indiquant que les résultats ne devraient pas être communiqués à l'assureur si le médecin n'y a pas eu accès également et s'il ne s'agit pas de résultats cliniques. L'objectif consiste une fois encore à renforcer une pratique à laquelle l'industrie de l'assurance adhère déjà.

Pourquoi considérons-nous qu'il faudrait s'en tenir à la recherche et ne pas élargir la mesure aux tests génétiques cliniques? C'est d'abord en raison du manque de preuves. De plus, à cause de ce manque de preuves, nous ne pensons pas que ce soit nécessairement la meilleure solution. Il y a en outre la grande difficulté que présente d'élaboration d'un instrument juridique. Nous avons parlé du fait que la loi accuse du retard par rapport à la science, et je suis convaincu que c'est le cas. C'est là l'une des difficultés inhérentes à l'élaboration d'un projet de loi comme celui-ci. Je peux vous dire, à titre d'exemple, que la définition de « test génétique » qu'il comprend n'englobera probablement pas ce que nous appelons les données épigénétiques et épigénomiques. Les données épigénétiques portent essentiellement sur la manière dont les gènes peuvent être activés et désactivés dans l'organisme, influençant ainsi les probabilités de développer une maladie et la réaction aux médicaments. À l'heure actuelle, il se fait beaucoup de recherche en génétique concernant l'épigénome. Le projet de loi dans sa forme actuelle ne protégerait probablement pas les gens de la discrimination fondée sur les données épigénétiques. Un instrument plus souple et plus aisément modifiable serait peut-être mieux à même de protéger les gens que ce genre de projet de loi.

Nous pensons également que les renseignements génétiques ne devraient pas être présentés aux citoyens canadiens sous un éclairage trop négatif, comme étant des données qui entraînent la stigmatisation, qui sont de nature plus délicate que d'autres genres de données et qui exigeraient une protection exceptionnelle.

Enfin, nous voudrions souligner que le projet de loi dans sa forme actuelle n'aurait que peu d'incidence sur les citoyens canadiens. Il ne protégera pas grand monde. Nous avons énuméré les limites constitutionnelles, qui sont très sérieuses. Il faut se souvenir que les domaines où les cas de discrimination génétique sont les plus susceptibles de se manifester relèvent des compétences provinciales, comme l'assurance privée et l'emploi à l'extérieur de la fonction publique.

Nous n'avons pas traité de la discrimination génétique dans le cas de l'adoption. La discrimination peut se manifester dans d'autres domaines, que le projet de loi ne couvrirait pas. La seule incidence positive que le projet de loi pourrait avoir, c'est qu'il pourrait produire un effet de synergie pouvant favoriser l'adoption de mesures législatives similaires et complémentaires par les décideurs provinciaux afin de mieux protéger les citoyens.

Je conviens qu'il y a un problème. Je ne suis simplement pas certain que le projet de loi, dans sa forme actuelle, constitue la meilleure solution pour le résoudre.

Kathy Hibbs, chef des affaires juridiques et réglementaires, 23andMe, Inc. : Bonjour. Je m'appelle Kathy Hibbs, chef des Affaires juridiques et réglementaire pour 23andMe, un grand fournisseur de services génétiques personnels. 23andMe s'efforce d'offrir aux gens la possibilité de comprendre les avantages et les renseignements du génome humain. Je veux remercier le comité de m'avoir invitée aujourd'hui pour traiter de l'importante question de la protection des renseignements génétiques. Comme nous fournissons aux gens des services visant à établir des liens avec leurs renseignements génétiques, nous sommes conscients du caractère délicat de ces données.

En septembre dernier, 23andMe a lancé une version améliorée de son service d'analyse génomique personnelle au Canada. Dans le cadre de ce service, nous utilisons une trousse de collecte de salive pour obtenir des échantillons d'ADN de personnes à qui nous fournissons plus de 100 rapports de nature génétique. Les rapports de santé font surtout état de marqueurs génétiques individuels, présentant des associations bien établies, cliniquement pertinentes et utiles dans l'élaboration de plans de soins de santé personnels sous la supervision de professionnels compétents. À partir de ces renseignements génétiques, les gens peuvent en savoir davantage à propos de leur ascendance et de leurs traits génétiques, par exemple l'intolérance au lactose et la calvitie commune héréditaire chez l'homme; du risque de transmettre une affection héréditaire à leurs descendants; de leur réaction possible à certains médicaments et des facteurs de risque génétique qui peuvent être gérés.

Cependant, la science de la génétique n'en est qu'à ses débuts. 23andMe, la plus grande plateforme en ligne du monde en matière de recherche génétique, contribue à accélérer la cadence des découvertes et à faire progresser notre compréhension de la santé humaine. Nos clients qui y consentent participent à la recherche et contribuent à plus de 230 études qui engendrent des résultats très utiles. Par exemple, nos travaux de recherche sur la maladie de Parkinson ont permis, durant les 18 premiers mois, de découvrir deux nouvelles associations génétiques. À ce jour, plus de 25 000 Canadiens ont fait appel à notre service, 20 000 l'ayant fait avant le lancement de notre service au Canada en septembre. Environ 80 p. 100 des clients canadiens de 23andMe ont participé à des travaux de recherche.

Nous estimons que les renseignements génétiques devraient être protégés. Il importe que les gens aient accès à leurs renseignements génétiques. Pour le faire et pour maîtriser le pouvoir de ces renseignements, ils doivent se sentir protégés.

Nos études nous ont montré que lorsqu'on leur présente des renseignements génétiques, bien des gens corrigent leur comportement afin de prévenir les maladies et améliorer leur santé générale. Outre des informations sur la santé, les gens peuvent en apprendre à propos de leurs liens familiaux, et nous considérons que pour pouvoir participer pleinement à la révolution génétique, ils doivent sentir que leurs renseignements sont protégés.

Nous appuyons depuis longtemps les efforts législatifs déployés pour prévenir la discrimination génétique et assurer la confidentialité des renseignements génétiques. Aux États-Unis, nous avons joué un rôle actif dans l'élaboration de la Genetic Information Nondiscrimination Act, ou GINA, qui a été promulguée en 2008 et qui s'apparente au projet de loi S-201. Avant l'adoption de la GINA, les gens soucieux d'en savoir davantage à propos de leur constitution génétique étaient préoccupés par la discrimination que pourraient exercer les employeurs et les compagnies d'assurance-maladie. En plus d'appuyer la loi fédérale américaine en matière de non-discrimination génétique, nous avons aussi souscrit à la California Genetic Information Nondiscrimination Act, promulguée en 2011. Comme Mme Heim-Myers l'a souligné aujourd'hui, elle offre une bien meilleure protection que celle que fournit le gouvernement fédéral.

23andMe appuie le projet de loi S-201 et adhère à ses principes sous-jacents visant à éviter la discrimination génétique dans les domaines de l'emploi et de l'assurance au Canada. Nous avons fait parvenir une lettre au comité pour exprimer notre soutien et nous espérons que ce projet de loi sera adopté.

Je répondrai avec plaisir aux questions que vous pourriez avoir.

La présidente : Nous accordons la parole au sénateur Cowan, parrain du projet de loi.

Le sénateur Cowan : Merci de votre exposé. J'ai quelques questions à poser à M. Joly.

Vous avez indiqué préférer un code volontaire à une intervention législative. Mais n'est-il pas vrai que dans des pays comme l'Allemagne et la Finlande, on a d'abord opté pour un code de déontologie volontaire, mais qu'après en avoir fait l'expérience, on a abandonné ces codes pour adopter des lois à la place. N'est-ce pas un fait?

M. Joly : Si je peux mettre les choses au clair, je ne suis pas en faveur d'un code volontaire, mais bien d'une solution souple. Il existe des solutions, comme un moratoire semblable à celui qui existait au Royaume-Uni, où le gouvernement et l'industrie de l'assurance ont convenu d'un code de pratique. Je considère que c'est le meilleur compromis, car c'est un modèle offrant une solution souple, quelque chose qui peut être modifié rapidement et revu au fil des ans pour être mis à jour. Ce serait le meilleur modèle.

Je partage l'avis des témoins précédents en ce qui concerne certains problèmes soulevés au sujet d'un code de pratique volontaire. C'est bien joli en théorie, mais est-ce que cela fonctionne vraiment? On peut observer ce qu'il en est pendant un certain temps, mais je ne suis pas certain que ce soit la meilleure solution.

Le sénateur Cowan : En décembre 2012, vous avez écrit ce qui suit dans le Globe and Mail :

Au Canada, la discrimination génétique est plus près du mythe que de la réalité.

Ce à quoi vous avez ajouté :

[...] les données démontrent de façon probante qu'elle n'existe de façon systémique que dans le contexte de la maladie de Huntington, une affection rare.

J'ignore si vous avez changé d'avis depuis 2012, et j'inviterais Mme Graham et Mme Gibbons à formuler des commentaires, car elles se trouvent aux premières lignes dans ce domaine.

Dre Graham : Un témoin précédent a indiqué que le problème existe, et il se présente quotidiennement dans ma clinique. C'est une discussion que j'ai deux, trois ou quatre fois par jour avec des patients. Si les preuves sont anecdotiques et que tant de gens affirment aujourd'hui que c'est un problème alors qu'il n'en est pas question dans les journaux, c'est précisément parce que les patients n'en parlent pas ouvertement en-dehors du contexte de leur relation thérapeutique avec leur médecin ou leur conseiller génétique.

M. Joly : Je conviens qu'un grand nombre de cas ne sont probablement pas rapportés. Loin de moi l'idée de prétendre le contraire. Cependant, compte tenu de la manière dont bien des gens signalent les cas, je peux dire qu'il faut faire une distinction. Par exemple, dans bien des cas, les assureurs demanderont de l'information, et les gens affirmeront qu'ils font l'objet de discrimination parce qu'on leur a demandé de l'information. Mais bien souvent, c'est sans conséquence. Les gens fournissent l'information et ont accès à l'assurance.

Dans d'autres cas, on passe à l'échelon suivant quand les gens disent avoir été victimes de discrimination et s'être vus refuser les assurances. Ces affaires font l'objet d'une enquête. Ici encore, une bonne partie des personnes concernées avaient une affection préexistante. Oui, elles ont une mutation génétique, mais elles ont aussi eu la maladie. C'est donc une autre question que l'on pose.

C'est très difficile, et c'est pourquoi il est si ardu de légiférer à cet égard. Qu'essayons-nous de prévenir? Tentons-nous de prévenir la discrimination fondée sur la prédisposition génétique ou sur la maladie génétique? Si c'est le cas, pourquoi la maladie génétique et pas la discrimination fondée sur l'information sur la santé? Pourquoi devrions-nous faire une distinction entre les deux. Voilà où je trouve qu'il est difficile de tracer la ligne, et mon étude ne portait que sur les cas signalés. Je conviens que certains cas supplémentaires ne sont pas signalés.

Mme Gibbons : Quand nous avons sondé nos membres, nous avons recueillis les propos de gens touchés par diverses affections génétiques, pas seulement par la maladie de Huntington, et nous nous attendions à ce que ce soit la principale maladie. Même le fait de traiter tous ceux qui ont la maladie de Huntington de la même manière est inéquitable, parce que cette maladie est causée par une expansion de la séquence de l'ADN dans le gène dont l'ampleur peut permettre de prévoir, dans une certaine mesure, l'âge auquel la maladie se manifestera.

Le simple fait de déclarer que tous les gens dont le test de la maladie de Huntington est positif sont exclus est inéquitable, et il faut se pencher sur la question. Si on examine les résultats des tests génétiques, il faut savoir ce qu'on cherche et étudier l'information équitablement. Dans certains cas d'hémochromatose, des gens qui n'avaient pas de maladie préexistante avaient fait l'objet de discrimination en raison des résultats de leurs tests. Le problème vient de l'échantillonnage.

Je sais quelle somme de travail Mme Bombard a abattu pour tenter de sonder le groupe de gens atteints de la maladie de Huntington afin de savoir ce qu'il en est de l'hémochromatose, de la maladie cardiaque. Il est difficile d'obtenir un échantillon de taille adéquate pour chacun d'entre eux, et la peur est plus fréquente que les cas réels, mais il s'agit aussi de crainte par rapport à ce qui pourrait se produire dans l'avenir. Nous ne pouvons promettre que les choses ne changeront pas dans l'avenir, mais nous n'avons aucune garantie, et la population canadienne voudrait qu'il existe une certaine protection afin de dissiper les craintes.

La sénatrice Frum : Monsieur Joly, pourriez-vous nous en dire davantage sur le modèle du Royaume-Uni? Les difficultés constitutionnelles relatives au projet de loi sont claires, mais le problème est également extrêmement clair. Comme nous tentons de trouver une solution fédérale adéquate à ce problème, pouvez-vous expliquer en quoi consiste le moratoire et comment il fonctionne?

M. Joly : Le moratoire est un accord exécutoire entre le gouvernement et l'industrie de l'assurance du Royaume-Uni. Il est révisé tous les cinq ans; il s'applique donc essentiellement pendant cinq ans, après quoi on en revoit les conditions.

Dès l'instauration de ce moratoire, le gouvernement a signifié très clairement à l'industrie de l'assurance que si des problèmes survenaient — et il surveille étroitement l'efficacité du moratoire —, il interviendrait et adopterait une loi. Il s'agit donc certainement d'un instrument qui a du mordant et qui peut être appliqué à l'industrie de l'assurance.

Ce qui est fort intéressant, c'est qu'il est bien plus détaillé en ce qui concerne ce qu'il fait, ce qu'il ne fait pas et ce qu'il vise à couvrir. Par exemple, il existe des limites dépendamment du type et de la couverture des assurances qu'on souhaite avoir, et du genre de maladie ciblée par ce moratoire. C'est une solution bien plus souple pour s'attaquer à ce problème, et je pense que c'est ce qu'il faut dans un domaine qui évolue aussi rapidement.

Comme Kathy l'a fait remarquer, la révolution génomique ne fait que commencer, et c'est très difficile. Nous parlons de preuves. Dans le cas de la médecine personnalisée et des affections complexes, il n'existe absolument aucune preuve permettant de savoir ce qu'on fait des renseignements génétiques et s'il y a la moindre forme de discrimination; nous en sommes donc aux débuts. C'est une bonne chose de savoir que nous pouvons adopter immédiatement une mesure que nous pourrons réexaminer et modifier ultérieurement si elle ne fonctionne pas adéquatement.

La sénatrice Frum : Vous avez parlé de faire la distinction. Il est difficile de prouver un cas de discrimination génétique en présence d'affections préexistantes. Il peut y avoir d'importants points de divergence, et il devient difficile de prouver qu'on s'est vu refuser une assurance pour un motif plutôt que pour un autre.

M. Joly : Tout à fait. Il n'y a aucune transparence en ce moment. Le secteur de l'assurance est très imprécis quant à ses calculs. Nous savons que les décisions sont fondées sur des tables actuarielles et des preuves, mais il est pratiquement impossible de dire comment un assureur arrive à un résultat donné.

Beaucoup de pays ont adopté bien des lois, c'est certain. Ces lois sont-elles efficaces? Nous ne le savons pas encore. Règlent-elles le problème? Nous l'ignorons. Un des problèmes, c'est que malgré la présence de lois, les assureurs peuvent toujours affirmer qu'ils refusent un dossier pour une raison ou pour une autre. Ils pourraient tout simplement attendre avant de répondre à une demande de contrat, jusqu'à ce que le demandeur en ait assez et s'adresse à un autre assureur. Les assureurs ont d'autres façons de contourner les dispositions du projet de loi.

Ce n'est pas tout le monde qui a accès aux services d'un avocat et qui est prêt à s'adresser aux tribunaux pour faire respecter ses droits. Il faut réfléchir à tous ces éléments lorsque nous essayons de trouver la meilleure solution à ce problème qui est bien réel, selon moi, et qui doit être réglé.

La sénatrice Eaton : Docteure Graham et monsieur Joly, en ce qui concerne l'utilisation des données génétiques, compte tenu de la flambée des coûts de santé, avons-nous des données ou commençons-nous à en recueillir sur... Si un patient connaît sa constitution génétique et les maladies qu'il est susceptible de contracter, il pourrait faire réaliser des économies au système en prenant des mesures préventives ou en recevant des soins préventifs. Y a-t-on songé?

M. Joly : Voilà où nous en sommes sur le plan de la recherche. Puisque nous traversons une étape de transition dans la plupart des recherches génétiques et en médecine personnalisée, il y a en ce moment beaucoup de financement et de projets de recherche. Nous proposons actuellement des modèles démontrant qu'il serait rentable de passer à la nouvelle médecine génomique.

Un des problèmes de cette médecine est que ce n'est pas parce qu'un patient peut connaître son risque de contracter une maladie qu'il va nécessairement saisir l'occasion. Certains pourraient le faire, et d'autres pas. Aussi, des patients qui auraient pu saisir cette occasion pourraient décider de ne pas le faire par crainte d'un éventuel risque de discrimination génétique. C'est vrai, et voilà qui nous ramène à la question du jour.

Dre Graham : Je ne suis pas en désaccord. Il est important de souligner que les technologies génomiques dont nous discutons font déjà économiser beaucoup au système de santé puisqu'elles permettent de diagnostiquer des maladies génétiques rares pour lesquelles il aurait auparavant fallu dépenser des centaines de milliers de dollars à essayer d'en déterminer l'origine à l'aide de méthodes plus conventionnelles.

La sénatrice Eaton : Quel genre d'effet psychologique cette médecine peut-elle avoir sur une personne? Si je vais consulter mon médecin de famille, qu'il dresse mon empreinte génétique et qu'il m'annonce que je risque de souffrir d'Alzheimer ou de quelque maladie que ce soit, cette information m'est-elle utile? À quel moment la connaissance peut-elle devenir accablante?

Mme Gibbons : Je vais mettre en valeur les conseillers en génétique. Notre rôle fondamental est d'aider le patient à comprendre les conséquences des résultats de son test génétique et d'en dégager les volets psychologiques. Le patient est-il prêt à connaître les résultats? En quoi lui seront-ils bénéfiques? C'est un élément clé.

Il est à craindre que certains patients tentent d'obtenir un dépistage anonyme pour éviter que leur compagnie d'assurances ne soit au courant. Ce faisant, ils contournent la procédure habituelle et n'ont pas accès aux services d'un conseiller en génétique, qui pourrait les aider à se préparer aux résultats, à les interpréter et à accepter un résultat positif.

La sénatrice Eaton : Devrions-nous tous subir un examen génétique?

Mme Gibbons : À l'heure actuelle, certains services génétiques permettent à un patient de subir un test génétique sans antécédents familiaux. En s'adressant à 23andme, il est possible d'obtenir des données sur les risques modifiés pour la santé. Ces données pourraient être utiles afin de savoir si un patient présente un risque accru de diabète, après quoi il pourrait prendre des mesures pour changer la donne. Mais ce qui me préoccupe, c'est que puisqu'il y a encore beaucoup à apprendre dans ce domaine et que les données scientifiques ne sont pas encore assez probantes, on ne voudrait pas que les gens subissent une discrimination en raison de ces renseignements. On pourrait envoyer un même échantillon de sang à deux sociétés différentes et obtenir des évaluations du risque différentes. On s'interroge sur la valeur de certains tests. Qu'est-ce qui empêche un assureur ou un employeur de demander ce genre de test à l'avance, même si sa valeur scientifique n'a pas encore été établie?

Mme Hibbs : Si je puis me permettre de répondre, 23andme ne fournit aucune évaluation du risque à partir des résultats. Le produit modifié qui a été lancé en septembre comprend un sous-ensemble de risques pour la santé beaucoup plus petit, et n'identifie que le gène associé au risque. Nous ne fournissons donc aucune évaluation du risque. Dans le cadre de notre service, nous offrons des conseils en génétique à nos clients. Ces derniers doivent choisir de s'en prévaloir, mais le service leur est offert.

Pour ce qui est des études sur les effets psychologiques des tests, je n'en connais aucune qui a été menée au Canada. Il y a toutefois plusieurs chercheurs américains, dont le professeur Robert Green, à l'Université Harvard, et la professeure Uta Francke, à l'Université Stanford, qui se sont penchés sur l'effet psychologique sur les patients de l'information génétique. Je me ferai un plaisir de faire parvenir ces articles aux membres du comité ou à d'autres personnes intéressées.

Mme Gibbons : J'ai en main un rapport de test de 23andme qui est accompagné d'une évaluation des risques pour la santé.

Mme Hibbs : C'était avant septembre; vous avez une ancienne version.

La sénatrice Hubley : J'aimerais en quelque sorte faire suite à la question de la sénatrice Eaton.

Docteures Rutberg et Gibbons, vous remettez des données scientifiques fort complexes à vos patients qu'un simple citoyen ne serait peut-être pas en mesure de comprendre. Si vous essayez de divulguer les informations les plus récentes, comment se passe la communication entre les scientifiques qui se penchent sur la question, au moment où vous obtenez l'information et lorsque vous la divulguez?

Julie Rutberg, conseillère en génétique et coordonnatrice de la recherche, Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa, Association canadienne des conseillers en génétique : Nous travaillons en équipe avec les professionnels de la santé. Nous servons d'intermédiaire entre les chercheurs de laboratoire et le patient, à qui nous essayons d'expliquer l'information. Nous sommes souvent en première ligne, devant des gens qui nous demandent s'ils devraient subir le test, et quels en sont les avantages et les inconvénients. Il peut y avoir des décisions difficiles à prendre.

Nous devons constamment nous tenir à jour, mais la crainte des patients est courante dans notre domaine. Nous disons souvent au patient qu'il y a certainement plus de peur que de véritables cas de discrimination connus. Cette crainte peut suffire à inciter une personne à la prudence ou même au refus de subir un test génétique. Je crois que la plupart des patients prennent une décision éclairée.

La sénatrice Hubley : Arrive-t-il régulièrement qu'un patient refuse de subir un test génétique, ou si ce phénomène a plutôt été constaté à la suite de consultations? La consultation vous a peut-être permis de mettre en lumière des problèmes pouvant se présenter à un patient donné, n'est-ce pas? À quelle fréquence une personne décide-t-elle de ne pas subir de test à la suite d'une consultation?

Dre Rutberg : Comme Dre Graham l'a dit, c'est très fréquent, surtout chez les jeunes qui entament tout juste leur carrière et qui n'ont peut-être aucune assurance-vie. Ils ne sont pas certains de vouloir l'information afin de gérer ultérieurement leurs propres risques pour la santé. Ils s'inquiètent du risque que les assureurs refusent leur dossier à l'avenir. Je dis aux gens de contracter une assurance lorsqu'ils sont jeunes et en bonne santé, puis de revenir me voir lorsque c'est fait pour que nous discutions des autres volets entourant l'obtention des données génétiques.

Dre Graham : C'est une réalité quotidienne. Ce matin, j'ai vu trois patients à ma clinique pendant une heure chacun, et j'ai eu cette discussion sur les assurances avec deux d'entre eux. La question ne s'appliquait pas au troisième. Un des deux patients a choisi de ne pas subir de test génétique par crainte que son fils de quatre ans ne puisse jamais contracter une assurance à l'âge adulte.

La présidente : Si ma mémoire est bonne, monsieur Joly, l'examen de la littérature que vous avez publié en 2013 portait sur la discrimination génétique et l'assurance-vie. Était-ce bien le sujet de votre article?

M. Joly : C'est exact.

La présidente : Vous avez réalisé un examen systémique de la preuve. Le sommaire en début d'article résumait votre conclusion :

D'importantes limites et incohérences méthodologiques entre les études examinées font en sorte qu'il est très difficile, à l'heure actuelle, de justifier une mesure politique en fonction de la preuve seulement.

C'est ce que vous avez écrit.

Je remarque que plusieurs pays faisant l'objet de votre revue de la littérature ont déjà adopté des lois interdisant aux assureurs d'accéder à l'information génétique. J'ai trouvé cela étrange, car j'aimerais croire qu'il est peu probable de trouver des preuves de discrimination génétique chez les assureurs des pays où ceux-ci n'ont pas accès aux données. Pourriez-vous commenter, s'il vous plaît?

M. Joly : C'est encore une fois une question de crainte des véritables cas de discrimination. Ce qui se passe, selon moi, c'est que bien des gens de certains pays — nous avons notamment parlé de la loi américaine GINA... Même si j'aimerais croire que c'est une excellente solution, le fait est que les dispositions ne s'appliquent pas à l'assurance-vie, et que très peu d'États américains ont ensuite adopté des lois pour s'attaquer à l'assurance-vie. Il y en a quelques-uns, mais c'est un minimum.

Les gens peuvent encore être victimes de discrimination, et nombreux sont ceux qui ne savent même pas qu'une protection existe ou qu'ils y ont accès. Par conséquent, le fait qu'il y ait une protection ou non n'a pas vraiment influencé le résultat des études dans les différents pays.

Si vous voulez savoir, c'est en Europe que les gens sont les plus inquiets de la discrimination génétique et de l'accès à l'assurance. C'est dans cette région du monde que la plupart des lois ont été adoptées. Mais les gens sont toujours inquiets.

La présidente : Qu'avez-vous constaté? Pourquoi sont-ils inquiets?

M. Joly : Parce que les gens veulent une protection encore plus efficace, vu qu'il y a encore bien des failles dans la protection en vigueur, ou n'ont pas l'impression que ces dispositions suffisent.

La présidente : Une des choses intéressantes que vous avez dites, c'est que dans les régions où une loi est en vigueur, si je vous ai bien compris, les compagnies d'assurances prendront une éternité avant de répondre plutôt que de refuser. C'est intéressant.

M. Joly : En effet. Une étude australienne s'est vraiment penchée sur certains de ces éléments, et a même étudié la façon dont le marché de l'assurance se sert des résultats génétiques et applique les politiques en vigueur. Elle a démontré la présence d'échappatoires semblables, où les assureurs tentent de contourner les politiques d'une manière ou d'une autre. Ce n'est pas arrivé à grande échelle, mais c'est bel et bien arrivé à quelques occasions. Il y a effectivement des façons de contourner les règles.

La présidente : J'aimerais poser une question aux autres témoins. Si le projet de loi n'est pas adopté et que le statu quo est maintenu, quelles seront les répercussions chez vos clients et chez les Canadiens en général?

Mme Hibbs : Je pense bel et bien que moins de Canadiens utiliseront notre service de crainte que l'information soit utilisée à mauvais escient.

Dre Gibbons : Du côté des conseillers en génétique, je pense que nous allons continuer à voir des gens refuser de subir un test génétique par crainte d'être victimes de discrimination génétique.

Dre Rutberg : Nous allons continuer à entendre des histoires de compagnies d'assurances qui ont mal interprété l'information et qui ont discriminé à tort des patients. Il est très frustrant pour nous de voir une personne sans formation médicale prendre une telle décision, qui pourrait avoir d'importantes conséquences financières sur une famille ou une personne.

La présidente : Avez-vous quelque chose à dire, docteure Graham?

Dre Graham : C'est ce qui m'inquiète aussi. Je suis d'accord avec les trois commentaires.

Mon autre préoccupation, c'est qu'un patient qui s'abstient de passer un test génétique par crainte de subir la discrimination d'un assureur ne pourra pas profiter des possibilités de surveillance médicale, qui pourraient réduire la morbidité de sa maladie génétique.

La présidente : Je tiens à remercier chacun d'entre vous. Je veux également m'excuser de vous avoir fait attendre. Je vous remercie de vos exposés.

Si, après la séance, vous pensez qu'il y a une chose dont nous n'avons pas parlé, puis-je encore une fois vous demander de nous fournir l'information par écrit? Nous étudions toujours le projet de loi, et espérons travailler avec vous ultérieurement. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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