Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 14 - Témoignages du 11 décembre 2014
OTTAWA, le jeudi 11 décembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, auquel a été renvoyé le projet de loi S-201, Loi sur la non-discrimination génétique, se réunit aujourd'hui, à 8 heures, pour examiner ce projet de loi.
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette 26e réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la deuxième session de la 41e législature.
[Français]
Le Sénat a confié à notre comité la mission d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'étranger. Je m'appelle Mobina Jaffer, et je suis présidente du comité.
[Traduction]
J'inviterais les autres membres à se présenter.
Le sénateur Cowan : James Cowan, Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Oh : Victor Oh, Ontario.
Le sénateur Black : Doug Black, Alberta.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, Toronto.
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, Toronto.
La sénatrice Nancy Ruth : Nancy Ruth, Ontario.
La présidente : Nous sommes ici pour poursuivre nos audiences sur le projet de loi S-201, Loi sur la non-discrimination génétique, qui est un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par le sénateur Cowan, leader de l'opposition au Sénat. Le projet de loi S-201 s'intitule « Loi sur la non-discrimination génétique ». Il est motivé par l'évolution rapide du domaine de la génétique, qui fait en sorte que nous pouvons maintenant, grâce à un simple prélèvement sanguin, ou même un prélèvement dans la bouche, savoir si une personne a une prédisposition génétique à certaines maladies. Je crois savoir que la société BlackBerry a mis au point une application qui permettra aux médecins de savoir si une personne a une prédisposition génétique. Dans la plupart des cas, lorsqu'une personne possède un certain gène, cela ne signifie pas qu'elle développera une maladie en particulier. Cette personne peut toutefois prendre des mesures qui diminuent le risque qu'elle développe une maladie, étant donné qu'elle sait qu'elle possède un gène en particulier ou qu'elle a une prédisposition génétique.
À l'heure actuelle, au Canada, il n'existe aucune loi — provinciale ou fédérale — qui porte sur la discrimination génétique, qui fait qu'une personne est traitée différemment par son employeur, par exemple, ou par une compagnie d'assurances. En effet, de nombreux Canadiens choisissent de ne pas subir de test génétique par crainte d'être victimes de discrimination génétique. C'est là l'objet du projet de loi du sénateur Cowen.
Le projet de loi S-201 comporte trois parties. Premièrement, il crée une nouvelle loi sur la non-discrimination génétique en vue d'interdire à quiconque d'obliger une personne à subir un test génétique ou à divulguer les résultats d'un test génétique, pour conclure un contrat ou une entente. Deuxièmement, il modifie le Code canadien du travail en vue d'interdire aux employeurs d'obliger des employés à subir un test génétique ou à divulguer les résultats d'un test génétique. Troisièmement, il modifie la Loi canadienne sur les droits de la personne en vue d'ajouter les caractéristiques génétiques à la liste des motifs de distinction illicite.
Nous accueillons aujourd'hui plusieurs témoins.
[Français]
Je vous remercie de votre présence, monsieur Thibault, et je vous souhaite la bienvenue à notre comité.
[Traduction]
Monsieur Engelmann, je suis heureuse de voir que vous êtes revenu. Nous étions inquiets. Je vous souhaite la bienvenue au comité.
[Français]
Nous commençons par vous, monsieur Thibault.
Pierre Thibault, doyen adjoint et secrétaire, section de droit civil, Université d'Ottawa, à titre personnel : En tant que parrain du projet de loi, comme l'a mentionné le sénateur Cowan, le projet de loi S-201 vise à interdire la discrimination génétique dans deux domaines : l'assurance et l'emploi.
Compte tenu du temps qui m'est imparti, je vais aborder la partie du projet de loi qui porte sur les assurances.
En premier lieu, j'estime — et c'est important de le dire — que l'objectif du projet de loi est louable et mérite considération. Cependant, il faut mesurer l'impact de cette mesure législative en regard de la Constitution du Canada. En effet, comme vous le savez, la Loi constitutionnelle de 1867 trace le partage des compétences législatives entre les deux ordres de gouvernement, le Parlement fédéral et les assemblées législatives provinciales. On parle essentiellement des articles 91 à 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.
La qualification constitutionnelle d'une mesure législative est de jurisprudence constante, et la Cour suprême du Canada l'a rappelé encore récemment dans le renvoi sur les valeurs mobilières et l'arrêt Banque canadienne de l'Ouest.
Comme l'explique le juge Binnie dans l'arrêt Banque canadienne de l'Ouest, et je cite :
Si le caractère véritable de la législation contestée peut se rattacher à une matière relevant de la compétence de la législature qui l'a adoptée, les tribunaux la déclareront intra vires. Cependant, lorsqu'il est plus juste d'affirmer que cette mesure porte sur une matière qui échappe à la compétence de cette législature, la contestation de cette atteinte au partage des pouvoirs entraînera l'invalidité de la loi.
Comme vous le savez, le domaine de l'assurance relève de la compétence législative des provinces. Dès 1881, le Comité judiciaire du Conseil privé, dans le célèbre arrêt Parsons, a confirmé la compétence de principe des provinces en matière d'assurance, tout en affirmant que la compétence du Parlement fédéral sur le commerce ne permet pas de réglementer les contrats d'une industrie ou d'un commerce en particulier.
La question à se poser est donc de savoir si le caractère véritable du projet de loi S-201 porte sur le domaine de l'assurance. Le premier élément à examiner est l'objet du projet de loi. Le second est de déterminer quels sont ses effets juridiques concrets. Une fois cette étape franchie, il faut rattacher l'objet du projet de loi à l'une des compétences des articles 91 à 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les articles 3 et 4 du projet de loi S-201 ont pour objet d'interdire les tests génétiques comme condition exigée par contrat ou pour la prestation d'un service. L'article 6 prévoit une exclusion spécifique pour les contrats d'assurance dont la valeur est supérieure à un million de dollars ou qui prévoient le versement d'une prestation de plus de 75 000 $ par année.
Il semble donc que l'objet du projet de loi S-201 est d'interdire un contrat d'assurance dont une clause exigerait un test génétique. L'effet juridique concret est donc de modifier le domaine de l'assurance en y introduisant des contraintes. Le caractère véritable du projet de loi S-201 est ainsi la réglementation du domaine de l'assurance, domaine qui relève de l'article 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, la propriété et les droits civils, donc de la compétence des provinces.
À mon avis, rien n'empêche le Parlement du Canada de modifier le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne, bien au contraire, en y introduisant des dispositions qui visent à prohiber la discrimination génétique, mais sans empiéter indûment sur la compétence des provinces en matière d'assurance.
Le projet de loi S-201 devrait s'en tenir à cela pour être valide, à mon avis, sur le plan constitutionnel.
Je m'arrête ici, et je répondrai à vos questions au moment approprié.
La présidente : Je vous remercie pour votre présentation.
[Traduction]
La parole est maintenant à M. Engelmann.
Peter Engelmann, Sack Goldblatt Mitchell, LLP, Association canadienne des avocats du mouvement syndical : Je vous remercie. Je ne sais si je parle assez fort; j'espère que oui.
Bonjour, honorables sénateurs, et merci de me donner l'occasion de m'adresser à vous ce matin à propos de ce sujet très important.
Je suis un associé au sein du cabinet d'avocats Sack Goldblatt Mitchell, LLP. Nous sommes des avocats spécialisés principalement dans le domaine des droits de la personne, du travail et de l'emploi. Nous travaillons aussi dans d'autres domaines. Je suis ici également pour m'exprimer au nom de l'Association canadienne des avocats du mouvement syndical, l'ACAMS. Il s'agit d'une association nationale d'avocats qui représentent des syndicats dans le but d'améliorer le bien-être physique, émotionnel, culturel et matériel des travailleurs canadiens et de leur famille et de promouvoir leurs intérêts juridiques.
Cela fait plus de 25 ans maintenant que je pratique le droit dans le domaine des droits de la personne. Il y a environ 25 ans, j'ai occupé un poste d'avocat à la Commission canadienne des droits de la personne. J'ai aussi travaillé au ministère de la Justice. Ensuite, au début des années 1990, j'ai ouvert mon propre cabinet, et, il y a à peu près 10 ans, je me suis joint au cabinet Sack Goldblatt Mitchell.
Cela fait donc longtemps que je représente des travailleurs syndiqués et non syndiqués dans des domaines qui relèvent du gouvernement fédéral ou des provinces. Je me suis occupé de toutes sortes de cas de discrimination dans les milieux de travail.
Mes propos vont porter aujourd'hui sur le projet de loi en tant que tel, précisément les articles 1 à 7. Tout d'abord, je voudrais vous expliquer le contexte sociojuridique dans lequel s'inscrivent selon moi le projet de loi et ce que cette mesure vise à protéger.
Ce projet de loi est présenté par un membre de l'opposition au Sénat, mais il ne s'agit pas à mon avis d'une question partisane. Mis à part le secteur des assurances, dont on a parlé, peu de gens s'opposent à ce projet de loi. Le gouvernement actuel, dans son discours du Trône du 16 octobre 2013, s'est engagé à interdire aux employeurs et aux compagnies d'assurances de faire de la discrimination contre les Canadiens en se fondant sur des tests génétiques.
J'ai jeté un coup d'œil aux témoignages des personnes qui ont comparu devant vous, et il me semble qu'elles soient toutes du même avis, car, puisque les tests génétiques sont de plus en plus utilisés pour poser des diagnostics et prévenir et traiter des maladies, il va certes dans l'intérêt des personnes et de la société de tirer profit de ces percées scientifiques et médicales. Il semble que les découvertes scientifiques et médicales reposeront en majeure partie sur l'information provenant de tests génétiques. Par conséquent, tout dépend de la volonté des Canadiens de se soumettre à de tels tests. Il va de soi que les gens se soumettront à des tests génétiques s'ils croient que l'information ne sera pas divulguée ou mal utilisée. Il est sans aucun doute dans l'intérêt public de veiller à ne pas décourager les gens de se soumettre à des tests génétiques.
L'ACAMS est d'avis que les lois actuelles ne protègent pas suffisamment les citoyens canadiens qui souhaitent subir des tests génétiques. En effet, cette protection insuffisante et les préoccupations au sujet de la divulgation dissuadent de nombreux Canadiens de se soumettre à des tests génétiques. L'ACAMS juge que les articles 1 à 7 du projet de loi, qui établissent des interdictions et des sanctions, qui, selon nous, sont au cœur du projet de loi, sont nécessaires et contribueront largement à éliminer les facteurs qui découragent les Canadiens qui souhaitent subir des tests génétiques.
J'ai remarqué que cela fait plus de 20 ans que des gens au Canada réclament ce type de mesure législative. Comme le sénateur Cowan l'a souligné, nous sommes la seule démocratie occidentale qui ne possède aucune loi visant à empêcher la discrimination génétique.
Puisque je n'ai pas beaucoup de temps, je vais vous mentionner quelques documents que j'ai examinés pour situer le contexte. En 1992, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a rédigé un rapport intitulé Le dépistage génétique et la vie privée, dans lequel il recommandait précisément qu'on interdise aux employeurs de recueillir de l'information génétique à propos de demandeurs d'emploi ou d'employés. Il indiquait également que la Loi sur la protection des renseignements personnels n'offrait pas une protection suffisante ou efficace.
En 1993, le commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario publiait un rapport similaire, intitulé La protection de la vie privée en milieu de travail : Le besoin d'un filet de sécurité, dans lequel il recommandait lui aussi d'établir certaines interdictions générales concernant l'utilisation de l'information génétique par les employeurs.
En 2012, l'Association des droits civils de la Colombie-Britannique a publié elle aussi un rapport semblable, dans lequel elle mentionnait que la législation visant les droits de la personne et la protection de la vie privée offrait une certaine protection, mais qu'elle n'était pas suffisante.
Plus récemment, Mme Ann Cavoukian, qui a occupé le poste de commissaire à la protection de la vie privée de l'Ontario pendant environ 17 ans, a recommandé l'élaboration d'une nouvelle loi visant à interdire l'utilisation de l'information génétique par les employeurs.
Pourquoi est-ce un problème? Je ne suis au courant d'aucun cas où des employeurs exigent à des employés de se soumettre à des tests génétiques ou obligent des employés à divulguer les résultats de tests génétiques, mais il y a des facteurs qui incitent des employeurs à demander ce genre d'information. Ces facteurs incitatifs ainsi que les protections insuffisantes qu'offrent actuellement les lois visant les droits de la personne et la protection de la vie privée, que je vais essayer de décrire brièvement, justifient l'élaboration d'une loi visant précisément à interdire aux employeurs de demander ce type d'information. Par exemple, ils peuvent utiliser cette information pour éviter d'embaucher des personnes susceptibles selon eux de s'absenter fréquemment, de prendre des congés pour cause de maladie ou de stress, de démissionner ou de prendre une retraite anticipée pour des raisons de santé, de présenter des demandes d'indemnisation à la suite d'un accident de travail, de demander des mesures d'adaptation du milieu de travail ou d'avoir recours de façon excessive au régime de soins de santé.
En outre, une fois qu'un employé a été embauché, les mêmes facteurs qui incitent l'employeur à obtenir l'information génétique demeurent. Un employé peut faire l'objet d'une surveillance accrue au travail en raison de la divulgation de l'information génétique ou parce qu'un superviseur obtient les résultats de tests génétiques. Des employés peuvent ne pas réussir à obtenir une promotion en raison de ces résultats ou ils peuvent être poussés à prendre une retraite anticipée. Les rapports dont je vous ai parlé des commissaires à la protection de la vie privée fédéral et provincial font état de ces facteurs incitatifs.
Pour ce qui est de la protection de la vie privée, les données génétiques, comme vous le savez, peuvent révéler les aspects les plus intimes de l'état de santé d'une personne. C'est une réalité qui est reconnue à l'échelle internationale. L'article 4 de la Déclaration internationale sur les données génétiques humaines de l'UNESCO précise que la spécificité des données génétiques humaines tient au fait a) qu'elles peuvent indiquer des prédispositions génétiques concernant les individus; b) qu'elles peuvent avoir une incidence significative sur la famille; c) qu'elles peuvent contenir des informations dont l'importance n'est pas nécessairement connue au moment où les échantillons sont collectés; et d) qu'elles peuvent revêtir une importance culturelle pour des personnes ou des groupes.
Je sais que mon temps est limité. Faites-moi signe lorsque je devrai m'arrêter. Il ne me reste que quelques minutes seulement.
Dans le rapport de 1992 du commissaire à la protection de la vie privée du Canada, il est question des tests génétiques en milieu de travail. Dans le rapport, il est recommandé d'interdire le recours à des tests génétiques en milieu de travail, qu'ils soient volontaires ou obligatoires. À la page 36 du rapport, on mentionne que les personnes qui recherchent un emploi, qui veulent garder leur emploi ou obtenir une promotion n'ont pas tellement le loisir de dire non à un employeur qui leur demande de passer un test volontaire. Cette observation traduit le déséquilibre des forces qui existe entre un employé éventuel et un employeur. Les gens ne devraient pas avoir à choisir entre subir des tests génétiques diagnostics ou prédictifs ou subir potentiellement des répercussions au travail qui les amènent à déposer une plainte ou un grief. Pour la plupart des gens, il ne s'agit pas d'un véritable choix, et ce n'est certainement pas un choix qui encouragera les gens à se soumettre à des tests génétiques, dont l'importance est reconnue.
À l'heure actuelle, les régimes de protection de la vie privée et des droits de la personne n'empêchent pas la discrimination ni les atteintes à la vie privée. Ils offrent plutôt des solutions potentielles après que ces situations se soient produites, mais seulement si la personne concernée dépose une plainte et qu'elle a les moyens d'exercer des poursuites avec succès.
Mme Karen Jensen, qui a témoigné au nom de l'Association canadienne des avocats d'employeurs, a insisté sur le fait que cette mesure législative est inutile étant donné la législation actuelle sur les droits de la personne, qui permet d'assimiler la discrimination génétique à la discrimination en raison d'un handicap ou de la perception d'un handicap. Même si l'ACAMS convient que la discrimination génétique peut être assimilée à la discrimination en raison de la perception d'un handicap, elle est d'avis que cette explication est trop restreinte. Cette observation s'applique seulement à la partie du projet de loi qui présente des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'ACAMS met l'accent sur les articles 1 à 7 du projet de loi, qui prévoient des interdictions et des sanctions. C'est là la priorité.
L'ACAMS croit fermement que les régimes de protection des droits de la personne et de la vie privée sont inadéquats dans ce cas-ci pour trois raisons. Premièrement, ils reposent sur les plaintes. Il appartient aux personnes de poursuivre les employeurs pour leurs actions fautives. Cela implique que les gens doivent très bien connaître les droits de la personne et les droits à la protection de la vie privée. D'après mon expérience, la connaissance des gens ordinaires à cet égard est limitée, et ils doivent presque toujours consulter un avocat pour savoir si l'employeur a mal agi. Puisqu'il y a un tel déséquilibre des forces, la plupart des gens acquiescent souvent aux demandes.
Deuxièmement, ce processus qui repose sur les plaintes exige des personnes qu'elles consacrent énormément de temps, d'argent et d'efforts à plaider leur cause. Dans le domaine des droits de la personne, une cause peut souvent s'étirer sur deux ans, parfois davantage. Même si le processus se veut accessible, il est à bien des égards inefficace et complexe, ce qui le rend inaccessible pour les gens ordinaires. Pour plaider avec succès une affaire mettant en cause les droits de la personne, les gens doivent souvent avoir recours à des services d'aide juridique, ce qui nécessite de débourser des sommes considérables. Le gouvernement et les organisations réglementées par le gouvernement fédéral sont des employeurs importants qui ont beaucoup de moyens et qui bénéficient toujours des services d'un avocat. Les employés ne peuvent pas compter sur les services d'un avocat pour plaider leur cause, mais s'ils engagent un avocat, ils ne peuvent pas récupérer les frais juridiques.
Troisièmement, ce processus qui repose sur les plaintes est réactif plutôt que d'être axé sur la prévention, et les solutions offertes ne permettent pas d'obtenir une indemnisation complète, et encore moins de couvrir les dépenses juridiques.
Je vais aller directement à la fin de mon exposé parce que j'ai dépassé mon temps.
Pour résumer, je vais vous donner les raisons pour lesquelles nous croyons que ce projet de loi est nécessaire, qu'il faut une mesure législative distincte. Premièrement, il poursuit un objectif souhaitable sur le plan social; deuxièmement, il y a la nature des intérêts en jeu; troisièmement, il y a les facteurs qui incitent les employeurs à recueillir l'information; quatrièmement, le processus réactif actuel qui repose sur les plaintes est inadéquat; et cinquièmement, l'existence de lois similaires qui prévoient des interdictions et des sanctions. Le Code canadien du travail prévoit des sanctions et la législation en matière de santé et sécurité au travail prévoit des poursuites. Les interdictions et les poursuites sont donc tout à fait normales.
Toutes ces raisons traduisent bien la nécessité de mettre en place une telle loi. Pour conclure, je dirai qu'étant donné l'objectif commun d'améliorer les soins de santé pour tout le monde, que ce soit grâce au diagnostic ou à la prévention, la responsabilité de prévenir le mauvais usage de l'information génétique doit être transférée de l'individu à la société. C'est ce que permet de faire selon nous le projet de loi S-201.
Le président : Je vous remercie pour votre exposé. Nous allons maintenant passer aux questions. La parole est au parrain du projet de loi, le sénateur Cowan.
Le sénateur Cowan : Je vous remercie d'être venus ce matin malgré la neige. Vos points de vue sont très intéressants.
Monsieur Thibault, j'ai quelques questions à vous poser au sujet de la constitutionnalité. J'aimerais citer Peter Hogg, que vous connaissez, j'en suis sûr, car il est un imminent constitutionnaliste. Dans son livre intitulé Constitutional Law of Canada, il écrit, à la page 55, sur le pouvoir du gouvernement fédéral d'édicter des lois visant à prévenir la discrimination. Je vais vous lire ce qu'il a écrit et vous demander de commenter ce passage :
Le pouvoir d'édicter des lois visant à interdire diverses pratiques discriminatoires, sous peine de sanction, est conféré au Parlement canadien et aux assemblées législatives provinciales selon laquelle de ces entités doit légiférer en matière d'emploi, de lieux d'hébergement, de restaurants et d'autres secteurs d'activité où la discrimination est interdite. La plupart des champs de compétence relèvent des provinces en vertu de la disposition sur la propriété et les droits civils dans la province (paragr. 92(13)).
J'aimerais obtenir vos commentaires sur cette partie :
Cependant, il ne fait aucun doute que le Parlement fédéral pourrait, s'il le voulait, exercer son pouvoir législatif en matière criminelle (art. 91(27)) pour déclarer illégales des pratiques discriminatoires en général.
Êtes-vous d'accord avec M. Hogg?
M. Thibault : C'est un point intéressant. Nous savons que le pouvoir fédéral en matière criminelle s'applique partout au Canada, que nous pouvons imposer cela et définir un crime.
[Français]
Le Parlement fédéral peut modifier le Code criminel pour permettre ou prévoir certains actes, certains crimes, mais de là à dire que l'exigence d'un test de dépistage génétique serait un crime, il y a un pas important à franchir. Je ne suis pas prêt à franchir ce pas aujourd'hui.
Le Canada est un État fédéral, et je pense qu'il faut respecter les compétences des provinces en matière de propriété et de droit civil; Peter Hogg y réfère. Il faut également respecter les compétences fédérales en matière de commerce, comme je l'ai mentionné, et en droit criminel. Cependant, on ne peut pas se servir d'une compétence pour envahir le champ d'un autre ordre de gouvernement.
[Traduction]
Le sénateur Cowan : Je vous renvoie à l'article 347 du Code criminel, qui porte sur les taux d'intérêt criminels. Bien entendu, les transactions commerciales sont normalement du ressort des provinces, mais il y a un exemple de situation où le Parlement fédéral intervient et a recours au droit criminel pour imposer des pénalités concernant les taux d'intérêt criminels. Le seul fait qu'il s'agisse d'un contrat, qui est normalement du ressort de la province, n'empêche évidemment pas le Parlement fédéral d'intervenir, et nous en avons un exemple.
[Français]
M. Thibault : Oui, pour les taux d'intérêt, essentiellement, il s'agit d'une compétence fédérale; c'est dans la Loi constitutionnelle de 1867. La compétence du gouvernement fédéral sur les banques est prévue dans la Loi constitutionnelle de 1867, mais la propriété et les droits civils le sont aussi, et cela signifie quelque chose. Le comité judiciaire du Conseil Privé a mentionné dès 1881 que l'assurance et le droit civil sont de compétence provinciale. S'il y a un conflit entre les deux, on verra — vous savez que la prépondérance fédérale peut s'appliquer —, mais il faut qu'il y ait un conflit réel entre deux lois pour appliquer la théorie de la prépondérance des lois fédérales, ce qui n'est pas le cas ici.
[Traduction]
Le sénateur Cowan : Je veux dire que l'article 347 porte sur les transactions commerciales, qui sont des transactions régies par les provinces, et que ce n'est pas là en raison de la compétence fédérale sur les banques.
M. Thibault : Non, je comprends.
Le sénateur Cowan : Je veux dire une dernière chose : à cet égard, aucune autorité provinciale n'est intervenue sur le plan législatif, et nous ne cherchons pas à adopter une mesure législative qui entre en conflit ou qui pourrait entrer en conflit avec des compétences provinciales. Le contenu du projet de loi est diffusé depuis avril 2013, et tous les gouvernements provinciaux le connaissent. Hier, Mme Heim-Myers nous a dit qu'elle se déplace partout au pays dans le cadre de son travail, et que comme moi, elle n'a entendu aucun gouvernement se plaindre qu'il s'agit d'une intrusion fédérale dans ses champs de compétence. Cela n'influence-t-il pas votre opinion?
M. Thibault : Je ne m'oppose pas au projet de loi ni à son objectif. Ce que je désapprouve, c'est la partie qui pose problème d'un point de vue constitutionnel. Il se peut fort bien que vous soyez déçu si le projet de loi, une fois adopté, est contesté devant les tribunaux. Cela ne sera pas utile s'il y a un conflit devant les tribunaux concernant cette partie du projet de loi qui, à mon avis, concerne les pouvoirs des provinces.
Que pourrions-nous faire? Nous pourrions demander aux gouvernements provinciaux de réagir et d'adopter des dispositions à cet égard, et le Parlement fédéral pourrait légiférer sur le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne, et le faire dans le cadre de sa compétence. C'est le Code criminel qui s'applique partout au Canada, mais ce n'est pas le cas pour d'autres questions, qui relèvent des provinces.
Le Devoir de ce matin nous présente un article écrit par un professeur de l'Université d'Ottawa. Il porte sur l'oléoduc Énergie Est et le transport interprovincial du gaz. L'auteur affirme que le Canada n'est pas un État unitaire. C'est un État fédéral et il faut respecter les pouvoirs des provinces.
Le sénateur Cowan : Monsieur, je crois que dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que vous compreniez qu'il est important de protéger le code génétique de l'ADN et que c'est essentiel et privé, et vous en convenez. Ne croyez-vous pas qu'il est d'intérêt social général de nous assurer que nous avons des mesures qui garantissent la même protection pour tous les Canadiens, plutôt que d'avoir des mesures de protection qui varient d'une province à l'autre? Ne convenez-vous pas que sur le plan social, un tel régime constitue un avantage majeur?
[Français]
M. Thibault : En principe, oui, sauf qu'il faut respecter les compétences des deux ordres de gouvernement. Dans un monde idéal, la réponse à votre question serait oui. Je ne voudrais pas que les Canadiens d'un océan à l'autre fassent l'objet de discrimination sur la base de tests génétiques.
Vous pouvez légiférer avec le Code canadien du travail, la Loi canadienne des droits de la personne, ce serait déjà un pas en avant important, mais je ne pense pas que le Parlement fédéral puisse régir les contrats d'assurance qui relèvent de la compétence des provinces.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : J'ai une autre question à ce sujet. Monsieur Thibault, vous avez dit certaines parties du projet sont inquiétantes. Lesquelles le sont et lesquelles ne le sont pas?
M. Thibault : La partie qui porte sur les assurances.
Le sénateur Eggleton : Donc, toute la partie qui porte sur les assurances?
M. Thibault : Oui.
Le sénateur Eggleton : Du côté de l'emploi, c'est une compétence fédérale.
M. Thibault : La modification du Code canadien du travail et de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne pose aucun problème. C'est du ressort du Parlement.
La sénatrice Ataullahjan : Le projet de loi propose l'ajout des caractéristiques génétiques à la Loi canadienne sur les droits de la personne sans définir le terme. L'absence d'une définition pourrait-elle engendrer des problèmes dans une cause?
M. Engelmann : Je ne pense pas. À mon avis, les dispositions visant à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne ne font qu'apporter des précisions.
Comme je l'ai dit, je ne m'oppose pas nécessairement aux observations qu'a faites l'avocate d'employeurs lors d'une de vos séances, qui a dit que l'on peut intenter des poursuites pour une atteinte aux droits de la personne fondée sur une invalidité perçue. Je crois par contre qu'en ajoutant les caractéristiques génétiques et le libellé proposé ici, on rend les choses plus claires et il devrait y avoir moins de confusion.
Bien des éléments ne sont pas officiellement définis. Évidemment, il vous appartient de déterminer jusqu'où vous voulez aller concernant la définition, mais le libellé proposé rendra les choses plus claires qu'elles le sont présentement.
[Français]
M. Thibault : Si vous me le permettez, sénatrice, j'ajouterais que, à partir du moment où on définit une expression, on la restreint. Comme on ne connaît pas l'avenir, je pense qu'on doit laisser le soin aux tribunaux d'interpréter de façon large les droits et libertés prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je pense que l'expression telle qu'elle est énoncée est correcte.
[Traduction]
La sénatrice Andreychuk : À cet égard, si nous avons une définition large et que nous ajoutons quelque chose de plus précis, cela fera-t-il en sorte que l'article en question ne portera que sur des types similaires d'invalidité et en exclura d'autres? Nous avons eu cette discussion au sujet du Code criminel. Si l'on parle de discrimination, on dit que la discrimination, c'est la discrimination. Une fois qu'on commence à faire une catégorisation, on invite les tribunaux à parler seulement des types similaires. Je crois que ce serait la même chose ici.
M. Engelmann : Madame la sénatrice, je crois que votre observation ressemble à celle de mon ami. Choisir une définition trop restrictive comporte des risques.
La sénatrice Andreychuk : Avons-nous tendance à abandonner les observations de caractère général? Je n'ai pas examiné les causes récemment. Parce que le domaine des droits de la personne évolue sans cesse, cela repose sur nos attentes et les normes que nous visons. Du côté des droits de la personne, avons-nous de plus en plus de définitions précises, ou avons-nous tendance à essayer de faire en sorte qu'elles demeurent générales?
M. Engelmann : Elles étaient plus générales auparavant. Je peux vous donner un exemple. Les choses ont évolué pour ce qui est des lois concernant la protection contre la discrimination fondée sur la situation familiale. C'était lié auparavant au fait d'avoir des enfants ou non, en plus parfois de l'état matrimonial, à savoir si la personne était célibataire ou divorcée. Il est maintenant clairement reconnu que les dispositions protègent les personnes qui ont de grandes responsabilités en matière de garde d'enfants. Il faut dire également que notre population vieillit de plus en plus et qu'il y a une protection pour les gens qui prennent soin de leurs parents, ce qu'on appelle les soins aux aînés. Je ne crois pas que vous devez choisir une définition encore plus restrictive. Les définitions changent au fil du temps. Par exemple, la définition de genre ou de sexe inclut maintenant la notion d'identité sexuelle en raison des questions qui évoluent sur ce plan. Encore une fois, au départ, on ne définit normalement pas quelque chose de façon étroite. On commence habituellement par une définition large, qu'on restreint par la suite si le Parlement le juge nécessaire.
La sénatrice Eaton : Connaissez-vous la Genetic Information Nondiscrimination Act que les États-Unis ont adoptée?
M. Engelmann : Seulement de façon superficielle.
La sénatrice Eaton : Alors je vais vous poser une question superficielle.
M. Engelmann : Je sais que les États-Unis, Israël et bon nombre de pays occidentaux ont adopté des mesures législatives sur la question.
La sénatrice Eaton : Je suis justement en train de lire quelque chose à ce sujet. Les mesures de la France semblent très rigoureuses, mais aux États-Unis, par exemple, elles s'appliquent dans le contexte de l'assurance-maladie, mais pas de l'assurance-vie, de l'assurance-invalidité et de l'assurance de soins de longue durée. Ce qui est intéressant, c'est qu'on dit ensuite que pour l'assurance-maladie, des tests génétiques peuvent tout de même être demandés pour le calcul des primes. Nous parlons de prestations d'assurance-maladie de groupe. J'imagine qu'étant donné que vous ne l'avez pas examinée, vous ne pouvez pas faire d'observations à cet égard.
M. Engelmann : J'imagine que cela a peut-être à voir au fait qu'évidemment, il existe différents régimes de soins de santé. Il y a différents régimes de soins de santé aux États-Unis, et les soins de santé sont étroitement liés à l'emploi et c'est un avantage en matière d'emploi très important pour bon nombre de travailleurs américains. Cette protection résulte peut-être de cela. Elle a trait aux soins de santé et à l'assurance médicale.
La sénatrice Eaton : Si un syndicat canadien est affilié à un syndicat américain, la même protection s'applique-t-elle? Cela fait partie de leur régime de soins de santé?
M. Engelmann : Non. Qu'ils soient membres ou non d'un syndicat international, tous les travailleurs canadiens sont assujettis aux lois canadiennes.
La sénatrice Eaton : D'abord et avant tout?
M. Engelmann : Oui, absolument.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Engelmann, vous avez parlé assez longuement du fait qu'il est difficile pour les gens ordinaires, dans les circonstances actuelles, de contester un acte de discrimination de ce genre. De plus, nous avons entendu des témoins hier, et je me demande si vous avez déjà vécu la situation dont ils ont parlé. Les compagnies d'assurances en arrivent à demander qu'une personne subisse un test génétique. À l'heure actuelle elles ont un code qui leur interdit de le faire, mais on me dit, d'autre part, que lorsqu'elles examinent les antécédents familiaux, elles peuvent alors, si elles relèvent quelque chose, dire qu'elles veulent que la personne prouve que cela ne la touchera pas du point de vue génétique ou qu'elle ne finira pas par être dans la même situation. Avez-vous déjà été confronté à de nombreux cas semblables?
M. Engelmann : J'ai déjà été confronté à des cas où des travailleurs ont de la difficulté à obtenir une assurance-invalidité, et nous le voyons tout le temps. J'ai été confronté à des cas où, — et il en est de même pour certains de mes collègues également — les gens n'avaient pas lu les petits caractères de leur contrat d'assurance et se sont vu refuser l'accès à l'assurance. Le droit des assurances n'est pas mon domaine de pratique, monsieur, mais je suis extrêmement inquiet. Nous parlons d'antécédents familiaux et de la façon dont tous les renseignements doivent être divulgués lorsque nous demandons une assurance, peu importe laquelle, et nous avons continuellement la responsabilité de signaler des choses au fur et à mesure si nous obtenons une assurance-voyage, par exemple. Ce qui me préoccupe avant tout ici, c'est la question de l'emploi, étant donné que c'est mon domaine de spécialité. Il est certain que si nous voulons encourager les Canadiens à faire ce test important, et s'il y a une possibilité que ces renseignements soient divulgués en raison des contrats d'assurance — nous avons tous besoin d'assurances pour toutes sortes de raisons en vieillissant. Je me demande seulement s'ils y auront accès. Si nous voulons vraiment encourager cela, nous fier à la loi actuelle n'est tout simplement pas la solution. Les Canadiens n'auront pas à faire ces tests.
Le sénateur Cowan : Je me demande si M. Engelmann a des observations concernant la question des compétences dont M. Thibault et moi parlions. Les avocats aiment faire cela.
M. Engelmann : Nous vivons dans une société fédéraliste, et des conflits de compétence entre le gouvernement fédéral et les provinces ont rendu riches bon nombre d'avocats. Je ne peux pas dire que c'est mon cas. Il y a eu d'étranges causes en droit de la personne et en droit du travail auxquelles j'ai travaillé et pour lesquelles la question de savoir si une personne est un employeur régi par des lois provinciales ou fédérales s'est posée. Je trouve que c'est difficile.
Mon ami a raison. En règle générale, les assurances constituent un domaine provincial. Le projet de loi ne porte pas que sur les assurances; il porte aussi sur l'emploi, et je crois que le volet sur l'emploi ne comporte aucun problème sur le plan constitutionnel, et M. Thibault l'a dit.
C'est l'un des cas où il y a des normes et des questions qui transcendent les domaines de compétences fédérales et provinciales. Il n'y a peut-être pas de conflit, comme vous l'avez dit, monsieur, si le projet de loi existe depuis presque un an et demi à deux ans et que les provinces ne s'y opposent pas. En tant que citoyen, j'ose croire qu'elles l'appuieront, si le Parlement a le courage d'adopter un projet de loi pour encourager les gens à faire des tests génétiques, non seulement avec une protection sur le plan de l'emploi, mais aussi avec une protection contre les compagnies d'assurances qui peuvent profiter de la situation, et que les provinces appuieront le projet de loi et adopteront des mesures similaires.
Cette question se pose constamment dans notre société fédéraliste. C'est le cas pour les soins de santé et la Loi canadienne sur la santé. On essaie d'établir des normes nationales. Je sais que ces questions se posent également en éducation. Il s'agit de protéger les Canadiens. Cela deviendra un problème et pourrait le devenir si une compagnie d'assurances devait contester ces mesures et avancer que le Parlement va au-delà de ses pouvoirs.
Cela dit, les contestations constitutionnelles mènent souvent à des situations intéressantes, et si les provinces sont d'avis que le projet de loi est important, elles pourront l'appuyer et défendre le pouvoir fédéral d'adopter une telle mesure, ou elles peuvent adopter une mesure similaire.
Comme vous l'avez dit, sénateur Cowen, le Code criminel contient des dispositions qui portent sur l'emploi. Je sais qu'il y en a d'autres. Vous en avez mentionné une, et nous en avons examiné une autre qui porte sur les questions de santé et sécurité au travail, qui relèvent habituellement des provinces, mais l'article 217.1 du Code criminel contient des dispositions à cet égard.
Je ne suis pas un avocat en droit criminel. En ce qui concerne le droit constitutionnel, mon travail porte surtout sur les articles 2 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Je ne peux pas dire que je suis un spécialiste des questions interprovinciales-fédérales.
Le sénateur Cowan : Puis-je pose une autre question?
La présidente : S'agit-il d'une autre question?
Le sénateur Cowan : Oui, c'est une autre question. Quelqu'un veut ajouter quelque chose?
[Français]
La présidente : Monsieur Thibault, pouvez-vous répondre à la question?
M. Thibault : Évidemment, si les provinces décident d'élaborer leur propre loi sur la question, cela pourra faciliter les choses, c'est bien certain. Si on revient à la Loi canadienne sur les droits de la personne et au Code canadien du travail, je ne vois aucun problème à ajouter les dispositions que l'on propose. Si les provinces veulent mettre en œuvre leur propre législation, ce sera le meilleur des mondes.
[Traduction]
Le sénateur Cowan : Ma question porte sur un autre sujet.
Le sénateur Eggleton : Les États-Unis ont adopté la Genetic Information Nondiscrimination Act, ou GINA. Et par la suite, bon nombre d'États américains ont adopté leurs propres versions. Ce que j'entends dire surtout au sujet de la loi des États-Unis, c'est qu'elle a encouragé les États à emboîter le pas. Cela a activé les choses et a amené les États à participer au mouvement très rapidement, car la plupart d'entre eux ont adopté des mesures similaires en raison du type de partage des pouvoirs qu'il y a là-bas. Les choses ne pourraient-elles pas fonctionner de la même façon chez nous?
[Français]
M. Thibault : Si on veut prendre toutes les précautions nécessaires, il faudrait adopter le projet de loi S-201 avec la partie sur le Code canadien du travail et la Loi canadienne sur les droits de la personne, et demander aux assemblées législatives provinciales d'adopter les mesures proposées au sein de leur assemblée législative et dans leur domaine de compétence.
Comme je l'ai dit tantôt, ce serait le meilleur des deux mondes. Le Parlement légifère dans ses domaines, les provinces légifèrent en matière d'assurance, et il y aura ainsi une protection contre l'exigence des tests génétiques par les compagnies d'assurance.
[Traduction]
Le sénateur Cowan : J'ai une autre question pour M. Engelmann. Nous avons entendu le témoignage de la représentante de l'Association canadienne des avocats d'employeurs un peu plus tôt, et vous y avez fait allusion, et je pense que vous étiez d'accord avec l'idée qu'il ne s'agit pas d'une pratique très répandue. Le gouvernement fédéral devrait-il agir maintenant ou attendre que la pratique devienne répandue?
M. Engelmann : S'il s'agit d'un projet de société, et je pense que tout le monde s'entend sur ce point, et que les tests génétiques ont mené à des percées en science et en médecine, et s'il s'agit encore une fois d'un projet de société, il faut alors tout mettre en œuvre pour encourager les gens à participer à ces tests. Si vous n'interdisez pas la discrimination et la divulgation des renseignements génétiques, vous n'aidez pas les gens. Vous n'encouragez pas les gens à subir des tests importants. Je pense donc que le gouvernement doit agir maintenant afin d'être proactif et non réactif.
La présidente : J'ai une question pour vous, monsieur Engelmann. Lors de son exposé le 29 septembre dernier, Karen Jensen de l'Association canadienne des avocats d'employeurs a cité quelques mesures de protection que contiennent actuellement les lois canadiennes pour prévenir la discrimination génétique en milieu de travail, notamment la partie III du Code canadien du travail et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Y a-t-il eu des cas de discrimination génétique dont vous ou votre cabinet avez entendu parler à l'égard de personnes souffrant de la maladie de Huntington ou de Parkinson, ou de toute autre maladie génétique? Quelle est votre expérience ou celle de votre cabinet à cet égard?
M. Engelmann : Nous nous sommes occupés de nombreux cas de discrimination fondée sur la déficience. Il est intéressant de voir l'évolution de la jurisprudence depuis les 1960 et 1970, lorsque les lois sur les droits de la personne ont été adoptées au pays, et de prendre conscience qu'étonnamment ce n'est pas la majorité des plaintes, mais une pluralité écrasante des plaintes de discrimination qui sont fondées sur la déficience. Un grand nombre d'entre elles sont fondées sur la déficience perçue, c'est-à-dire que les personnes ont une quelconque déficience ou maladie qui est asymptomatique, mais pour laquelle elles subissent de la discrimination, que ce soit un diabétique insulinodépendant dont la condition est stable ou un épileptique dont la maladie est parfaitement contrôlée, ou quelqu'un ayant le VIH mais étant asymptomatique. Les gens subissent quand même de la discrimination. C'est très courant. Ce que je critique et veux faire valoir, et j'ai beaucoup de respect pour Karen, parce que je défends des causes avec elle ou contre elle, c'est qu'il est très naïf de croire que les mesures de protection actuelles, dans le cadre desquelles les gens doivent se défendre seuls, en y consacrant temps et argent, vont encourager les gens à passer des tests génétiques. C'est irréaliste.
La présidente : Vous nous avez aussi rappelé ce matin, et cela m'a vraiment frappée, que les procédures dans le cadre de la Commission des droits de la personne coûtent très cher. Comme vous l'avez mentionné, le coût n'est pas couvert. Il est bon que vous nous ayez rappelé que la procédure n'est pas équitable — non pas qu'elle n'est pas équitable, mais que c'est difficile et très coûteux.
M. Engelmann : La procédure a beaucoup changé. J'ai été avocat de la Commission canadienne des droits de la personne de 1989 à 1991, et j'ai ensuite défendu de nombreuses causes relatives aux droits de la personne lorsque j'étais en pratique privée. À l'époque, lorsque la commission renvoyait une cause au tribunal, elle y déléguait aussi un avocat. Ce n'est plus le cas depuis de nombreuses années, à moins qu'il s'agisse d'une plainte de discrimination systémique. Donc, s'il s'agit d'une plainte individuelle, les gens sont laissés à eux-mêmes, et ils doivent se défendre contre VIA Rail ou Air Canada ou le gouvernement fédéral, lorsque l'organisme est de compétence fédérale. La personne intente donc des poursuites pour défendre un droit quasi constitutionnel contre un employeur bien nanti qui a deux ou trois avocats dans la salle d'audience. Cela n'a rien d'une bonne loi pour défendre les droits de la personne.
Comme vous le savez, la Cour suprême a statué dans l'arrêt Mossop que le libellé de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne permet pas aux plaignants de récupérer leurs frais d'avocat. Vous embauchez un avocat pour défendre vos droits. Si vous êtes chanceux, le tribunal vous donnera raison. Si c'est le cas, avec un peu de chance, vous obtiendrez une compensation suffisante pour couvrir vos frais juridiques. Vous pouvez aussi demander à quelqu'un comme moi de le faire pro bono ou pour presque rien. Ce n'est pas une bonne façon de protéger ces droits.
Je ne dis pas que la loi ne contient pas de mesures de protection à l'heure actuelle, mais je pense que c'est une bonne idée d'en ajouter. Je pense sincèrement que les interdictions prévues aux articles 3 à 6 sont nécessaires si le but du comité, et votre but en tant que législateur, est d'encourager plus de gens à passer des tests génétiques pour que la société puisse profiter de tous les bienfaits qui en découlent.
La présidente : Nous avons reçu des témoins hier qui nous ont parlé des avantages d'encourager les gens à passer des tests génétiques, et des dangers qui nous guettent si nous ne passons pas ces tests.
Vous avez parlé de discrimination systémique. Est-ce que la commission prêterait main-forte aux personnes ou leur fournirait un avocat dans ces circonstances? Allez-y de façon hypothétique.
M. Engelmann : Je n'ai aucun doute qu'elle le ferait. Toutefois, je répète que cela se ferait de manière réactive, après coup.
J'ai l'âge de me souvenir de causes qui ont eu lieu à la fin des années 1980 ou au début des années 1990, dans lesquelles des gens qui souffraient d'une maladie chronique, le diabète insulinodépendant par exemple, se voyaient interdire essentiellement de travailler, à quelque niveau que ce soit, pour les entreprises de chemin de fer, même si leur condition était parfaitement contrôlée. Les gens ont donc cessé de dévoiler qu'ils souffraient de diabète. Ils voyaient le médecin de l'entreprise et ne se faisaient pas traiter pour leur diabète, parce qu'ils craignaient de perdre leur emploi. Les gens vont aller jusqu'à cacher leur condition pour garder leur emploi. C'est simplement une analogie ou un parallèle à garder en tête lorsqu'on se demande si, en tant que Canadien et en tant que personne, je serais prêt à subir un test génétique en craignant de ne pas pouvoir bénéficier de l'assurance-invalidité, ou l'assurance-vie, qui me coûte extrêmement cher et à laquelle je souscris déjà pour protéger ma famille. Personnellement, je serais très réticent à subir ces tests.
La présidente : Hier, ce qui m'a vraiment frappée, c'est le fait que les gens ne craignent pas de passer des tests génétiques pour eux, mais pour leurs enfants. Les gens refusent de passer des tests génétiques parce qu'ils craignent les répercussions que cela aura pour leurs enfants. Ce n'est pas seulement la personne même qui est en cause, ce sont aussi leurs enfants et les autres membres de leur famille. C'est beaucoup plus large qu'on pense.
M. Engelmann : Oui, parce que leurs enfants peuvent aussi subir la même discrimination avant même d'arriver sur le marché du travail. On ne sait pas où tout cela s'arrêtera. Nous savons que les gens peuvent passer une grande variété de tests à l'heure actuelle. Nous savons qu'Internet, et cetera, met tout cela à la portée des gens. La protection des renseignements personnels a pris une telle importance aujourd'hui. Je ne pense pas qu'il y ait de renseignements sur la santé qui soient plus sensibles que les résultats des tests génétiques.
La présidente : J'ai appris ce matin par Mme Heim-Myers que les BlackBerry ont une application qui permet aux médecins de trouver une prédisposition génétique. C'est inquiétant.
J'ai une autre question concernant la déficience, si je peux me permettre. La Loi canadienne sur les droits de la personne interdit la discrimination fondée sur la déficience. Croyez-vous que la discrimination génétique peut entrer dans cette catégorie?
M. Engelmann : Oui. Comme je l'ai mentionné, je suis d'accord avec Mme Jensen sur ce point. Cela pourrait être considéré comme une déficience ou une déficience perçue.
Si je devais classer le tout par ordre de priorité, je dirais d'abord les articles 1 à 7 du projet de loi, puis les mesures de protection dans le Code canadien du travail, car elles sont très importantes pour les travailleurs, en particulier ceux qui ne sont pas syndiqués dans la sphère fédérale et dont les droits sont plus limités. Ensuite, en troisième lieu, les modifications accessoires à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Sont-elles toujours utiles? Oui, parce que cela apporte des précisions et accroît l'importance de la question. Ce serait ma liste de priorités, si j'en avais une.
La présidente : D'après votre expérience, est-ce que la Commission canadienne des droits de la personne s'est déjà penchée sur des cas de discrimination génétique, des cas de cette nature?
M. Engelmann : Pas à ce que je sache.
[Français]
La présidente : Monsieur Thibault, vous voulez répondre?
M. Thibault : Je suis d'accord avec les parties 2 et 3, mais pas avec la première partie.
J'ajouterais que nous sommes tous des personnes qui ont la bonne intention d'améliorer le sort de nos concitoyens et d'améliorer l'état du droit au Canada. On a soulevé l'argument d'un problème social important. Je ne pense pas que le fait qu'il y ait un problème social important donne compétence, à l'un ou l'autre ordre de gouvernement, d'agir à l'extérieur de ses domaines de compétence.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : J'aurais simplement une dernière question, de nature constitutionnelle. Je suis perplexe, parce que dans le discours du Trône d'octobre 2013, le gouvernement Harper a mentionné qu'il « empêchera les employeurs et les compagnies d'assurances de faire de la discrimination sur la base d'analyses génétiques ». On aurait pu s'attendre à ce qu'il ait procédé à une vérification du cadre constitutionnel à cet égard. Avez-vous été consulté? Avez-vous une idée de ce qui a pu amener le gouvernement à procéder à une déclaration aussi ferme à ce sujet?
M. Thibault : J'ai travaillé pour un sénateur, le sénateur Beaudoin, pendant 16 ans. J'ai lu plusieurs discours du Trône. Périodiquement, le gouvernement dit qu'il prendra telle ou telle mesure en éducation, par exemple. L'éducation est de compétence provinciale. Il dit qu'il prendra telle mesure dans le domaine de la santé. La santé relève au premier chef des provinces. Je ne suis pas surpris de voir ou d'entendre cela.
Le sénateur Eggleton : Vous a-t-on consulté?
M. Thibault : Non.
[Français]
La présidente : Monsieur Thibault, merci pour votre présentation, nous l'avons beaucoup appréciée.
[Traduction]
Monsieur Engelmann, merci aussi de votre présentation. Vos deux présentations nous seront très utiles, et nous serons heureux de travailler avec vous à nouveau.
Nous allons passer à notre deuxième groupe de témoins. Nous accueillons M. Langtry, président par intérim, Commission canadienne des droits de la personne. M. Langtry est un habitué au comité, et nous lui souhaitons la bienvenue. Nous accueillions aussi Fiona Keith, directrice par intérim et avocate-conseil, ainsi que Marcella Daye, conseillère principale en matière de politique.
Monsieur Langtry, j'ai vu que vous écoutiez des échanges un peu plus tôt, et nous espérons que vous pourrez répondre à ces questions, notamment pour ce qui est de savoir si la commission a déjà eu à s'occuper d'un dossier de discrimination systémique. Nous serions très heureux de savoir ce qu'il en est.
David Langtry, président par intérim, Commission canadienne des droits de la personne : Merci beaucoup, madame la présidente et honorables membres du comité. Je vous remercie d'inviter la Commission canadienne des droits de la personne à contribuer à l'étude du projet de loi S-201.
Nous sommes ici aujourd'hui pour communiquer trois messages importants. Premièrement, il faut interdire la discrimination fondée sur des caractéristiques génétiques, de manière à protéger les Canadiens contre le risque de voir leurs renseignements génétiques être utilisés à leur désavantage.
Deuxièmement, en ajoutant les « caractéristiques génétiques » à la liste de motifs de distinction illicites, on permettrait à la population canadienne de porter plainte à la commission sans avoir à invoquer d'autres motifs, comme c'est le cas à l'heure actuelle.
Troisièmement, si cette protection était inscrite noir sur blanc dans la loi, il deviendrait clair que chaque personne a le droit d'être traitée équitablement, quelles que soient ses caractéristiques génétiques.
Permettez-moi de vous résumer notre mandat et nos activités. Comme vous le savez sans doute, le Parlement a voulu que la Loi canadienne sur les droits de la personne favorise l'égalité et protège la population canadienne contre la discrimination fondée sur des motifs comme l'âge, le sexe, la déficience, la race, et cetera, il y en a 11 en tout. La commission applique la loi. Nous recevons des plaintes de discrimination concernant l'emploi et les services offerts par les organisations sous réglementation fédérale. Il s'agit du secteur public fédéral et des entreprises privées dans les domaines du transport, des télécommunications et des services bancaires.
La commission évalue toutes les plaintes qu'elle reçoit. Dans certains cas, nous renvoyons des plaintes au Tribunal canadien des droits de la personne pour qu'il rende une décision. Le tribunal agit indépendamment de la commission.
La recherche génétique est extrêmement prometteuse. Elle a généré de nouvelles méthodes diagnostiques et thérapeutiques. Certaines personnes pensent qu'elle révolutionnera les soins de santé. De nombreuses personnes admettent qu'elle a ses avantages, mais il demeure de très grandes zones grises.
Les renseignements sur notre bagage génétique sont des plus personnels. Des gens nous ont dit éviter les analyses génétiques parce qu'ils ont peur — ils ont peur que les analyses qui sont censées les aider soient un jour utilisées pour leur nuire. Ces personnes ont peur de subir de la discrimination — que ce soit par des employeurs ou par des compagnies d'assurances — en raison de ce que leurs gènes peuvent révéler. Mais qui peut les blâmer?
Il y a un flou juridique quant à nos droits dans ce domaine. La discrimination génétique est un domaine du droit tout nouveau pour lequel les tribunaux n'ont pas établi de critères. Il n'y a pratiquement pas de jurisprudence canadienne dans ce domaine. Aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la commission peut accepter les plaintes de discrimination en raison de caractéristiques génétiques, à la condition qu'elles soient liées à un autre motif comme la déficience. Cette façon de faire est manifestement trop contraignante.
Étant donné que la recherche fait des progrès à un rythme accéléré, les analyses génétiques dévoileront de plus en plus de détails sur nous. Elles pourraient un jour mesurer d'autres tendances naturelles comme les traits de caractère. Supposons qu'un employeur se mette à exiger des profils génétiques comme critères d'embauche. Les personnes qui n'auraient pas le bon profil génétique subiraient-elles de la discrimination alors qu'elles auraient pourtant les diplômes et l'expérience nécessaires? Voulons-nous voir la société canadienne s'engager dans cette voie?
Le Parlement sait depuis longtemps que les lois doivent évoluer pour s'adapter aux changements sociaux et technologiques. Si on ajoutait les « caractéristiques génétiques » à la liste des motifs de distinction interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne, on favoriserait cette adaptation. La commission pourrait alors accepter des plaintes pour discrimination génétique sans avoir à les relier à des motifs existants.
Mais le plus important est le fait que les protections prévues par la loi seraient clairement définies. Il serait clair que toute personne a légalement le droit à un traitement équitable, peu importe son identité et ce que son bagage génétique peut révéler. De plus, les employeurs seraient mieux à même de comprendre leurs obligations et à faire le nécessaire pour prévenir la discrimination.
La commission appuie donc le projet de loi S-201, tout comme nous appuyons l'engagement pris dans le discours du Trône, soit que le gouvernement « empêchera les employeurs et les compagnies d'assurances de faire de la discrimination sur la base d'analyses génétiques ».
J'ai bon espoir que l'ajout de cette protection ferait avancer la recherche génétique et favoriserait la santé des gens. Au lieu de dissuader les gens de se soumettre à des analyses pour détecter des caractéristiques héréditaires susceptibles d'hypothéquer leur santé, cette protection les encouragerait probablement à le faire, ce qui ferait progresser des connaissances scientifiques tellement prometteuses.
C'est la fin de mon exposé. Je vous remercie de votre attention et serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci, monsieur Langtry, de votre exposé. J'ai une question à vous poser. Un peu plus tôt ce matin, nous avons parlé du motif de la déficience et de la discrimination génétique ou de la discrimination systémique. Avez-vous déjà eu des cas de cette nature?
M. Langtry : Étant donné que cela n'est pas précisément défini, notre recherche par mot clé n'en trouvera aucun. Je peux dire que nous avons très certainement reçu des plaintes et de nombreuses plaintes portant sur la déficience perçue — réelle ou perçue — liée à la génétique. Nous n'avons qu'un seul cas qui me vienne à l'esprit qui n'a pas de lien avec le motif de la déficience. Il concerne la race, l'origine ethnique ou nationale, l'état matrimonial et le sexe. Il s'agit d'une femme qui a porté plainte contre un gouvernement des Premières Nations.
La cause est actuellement en médiation, mais la bande a exigé que la femme se soumette à un test d'ADN pour établir son admissibilité comme membre, et donc son admissibilité aux avantages qui en découlent. Il ne s'agit pas d'un emploi, mais de l'admissibilité à un service. C'est un exemple que je peux vous donner. Si on devait lier cela à une déficience, cela ne serait pas possible puisque ce n'est pas le cas.
La présidente : Monsieur Langtry, vous êtes accompagné de Mme Fiona Keith, qui est directrice par intérim et avocate-conseil, et de Mme Marcella Daye, qui est conseillère principale en matière de politiques; elles vous aideront à répondre aux questions.
Nous donnerons d'abord la parole au parrain du projet de loi, le sénateur Cowan.
Le sénateur Cowan : Si vous le permettez, j'ai seulement une question; elle porte sur vos observations. Vous suivez manifestement les événements dans votre domaine sur la scène internationale. Si nous décidions de légiférer dans ce domaine, serions-nous en terrain inconnu ou rattraperions-nous le reste du monde? Je ne parle pas de chacun des pays, mais en général.
M. Langtry : Beaucoup de pays ont des règlements ou des lignes directrices en matière de tests génétiques et de discrimination génétique. Comme je ne suis pas un expert en la matière, on m'a informé que le Canada est le seul des pays du G7 qui n'a pas de règlements ou de lignes directrices à cet égard. Un certain nombre de pays européens et l'Australie ont des règlements; nous ne serions donc pas en terrain inconnu.
La sénatrice Eaton : Monsieur Langtry, la Charte canadienne des droits et libertés, que vous connaissez sans doute par cœur, énonce que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection indépendamment de la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion et le sexe. Il y a aussi quelque chose que l'on appelle le motif analogue. La discrimination génétique est-elle ou pourrait-elle être considérée comme un motif analogue?
M. Langtry : Je laisserais Mme Keith répondre à cette question, mais je dirais d'entrée de jeu que les tribunaux tiennent souvent compte des motifs analogues dans leur interprétation. Évidemment, en droit relatif à la Charte et en droit constitutionnel, l'interprétation est essentiellement très large. Il en va ainsi pour la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui est perçue et considérée comme quasi constitutionnelle. Par conséquent, elle appelle une interprétation large, libérale et téléologique. Toutefois, je demanderais à Mme Keith de répondre aussi.
Fiona Keith, directrice par intérim et avocate-conseil, Commission canadienne des droits de la personne : Pour ajouter à ce que M. Langtry a dit, vous avez raison : l'approche de la Charte est fondée sur les motifs analogues, ce qui permet aux juges d'ajouter des motifs de protection à l'article 15 de la Charte.
En ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, le choix du législateur est tout autre. La loi énonce une liste de motifs à laquelle d'autres motifs sont ajoutés de temps à autre à l'aide d'une modification législative. Il s'agit toutefois d'une liste restreinte où les motifs sont énoncés. Les tribunaux ne peuvent donc l'augmenter, même si une cour ou un tribunal pourrait interpréter un motif existant, comme la déficience physique, pour interpréter la protection dans un sens plus large que ce qui a été prévu au moment de l'adoption du projet de loi.
La sénatrice Eaton : La Cour suprême a conclu que la liste de motifs de discrimination interdits — la discrimination fondée sur l'origine ethnique, la couleur, la religion et le sexe — n'est pas exhaustive et elle a déterminé que des motifs analogues pourraient également être considérés comme inclus.
Mme Keith : Vous avez raison. L'approche législative adoptée dans le cas de la Charte, qui fait partie de la Constitution, est distincte de l'approche de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui est une loi. En droit législatif, un tribunal ou une cour ne peut ajouter des motifs. La liste des motifs est restreinte et les motifs sont énoncés, contrairement à l'article 15 de la Charte.
La sénatrice Eaton : Dans une affaire donnée, pourrait-on la revoir? Si un tribunal était saisi d'une affaire, pourrait-il revoir la loi et y ajouter la discrimination génétique comme nouveau motif?
Mme Keith : Non. Il serait possible d'encourager ou d'inviter un tribunal ou une cour à interpréter un motif existant — comme la déficience physique — pour ajouter une certaine protection, mais cela ne pourrait être une protection aussi complète que celle qui serait accordée si le motif de discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques était énoncé dans la liste.
La présidente : M. Engelmann a parlé de discrimination systémique. Pouvez-vous nous dire quels sont les critères? Dans quelles circonstances offrira-t-on des conseils juridiques aux gens? Quels sont les critères de la discrimination systémique?
M. Langtry : De toute évidence, nous participons aux audiences du tribunal dans tout dossier que nous considérons comme lié à des allégations de discrimination systémique plutôt qu'à une plainte individuelle. Nous avons cependant plusieurs critères. Depuis que la Cour suprême a déterminé que les frais juridiques ne sont pas recouvrables dans le cadre d'un processus de règlement de la Commission canadienne des droits de la personne, nous avons cherché à établir dans quelles circonstances nous offrons de l'aide juridique ou demandons à nos avocats d'assister aux audiences.
Aux termes de la loi, nous sommes tenus de représenter l'intérêt public. Par conséquent, nous ne représentons ni le plaignant, ni le défendeur; nous représentons l'intérêt public. Donc, nous examinons chacun des dossiers que nous avons renvoyés au tribunal pour déterminer si nous participerons ou non. Divers facteurs sont pris en compte, notamment le fait de déterminer s'il s'agit en réalité d'une plainte individuelle, auquel cas la loi est plutôt claire et la question consiste simplement à vérifier les faits allégués par le plaignant ou le défendeur. Le plaignant est-il représenté par un avocat ou assure-t-il lui-même sa défense? Quelles sont la nature et la gravité de l'allégation et du tort potentiel? Il y a également la question de savoir si c'est lié à une politique du défendeur qui pourrait toucher un grand nombre de personnes plutôt qu'une seule.
Actuellement, un avocat assure la représentation dans près de la moitié des plaintes; cela est donc pris en compte. Je peux vous dire que c'est une question de politique, en quelque sorte, en raison de la modification récente à la loi qui nous gouverne, où l'on a abrogé l'article qui nous interdisait d'accepter les plaintes contre les gouvernements des Premières Nations ou contre le gouvernement en vertu de la Loi sur les Indiens. Nous avons participé aux audiences du tribunal dans toutes les causes qui ont fait l'objet d'un renvoi au tribunal depuis l'abrogation de l'article 67.
De toute évidence, c'est une question de ressources. Nous devons établir les priorités par rapport aux causes auxquelles nous consacrons du temps. Vous êtes peut-être au courant du dossier sur le bien-être des enfants, celui de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, dont le tribunal est saisi. Il y a eu 68 jours d'audiences; nous y avons participé activement en tant que représentants de l'intérêt public. Plusieurs de nos avocats y ont participé. Il s'agit donc d'une participation relativement importante à un dossier lié à la discrimination systémique, et c'est également le cas pour un dossier lié à l'équité salariale.
La présidente : Comme vous le savez, nous vous invitons souvent à comparaître, et certains témoins nous parlent du long temps de traitement d'une plainte dans le cadre des processus relatifs aux droits de la personne. Vous savez également que des Canadiens regardent la réunion d'aujourd'hui. Je vous serais reconnaissante de décrire brièvement le processus d'examen d'une plainte individuelle. Cela nous serait utile à ce point-ci.
M. Langtry : Avec plaisir. D'entrée de jeu, j'aimerais dire que nous surveillons continuellement la durée du traitement des dossiers. Actuellement, le temps de traitement moyen d'un dossier à la Commission canadienne des droits de la personne est d'environ neuf mois et demi.
Au cours de la dernière année seulement, dans le cadre de notre initiative d'amélioration de l'accessibilité, nous avons mis en œuvre... Manifestement, l'accès à la justice est l'une des priorités importantes de la commission. Nous avons un outil en ligne qui permet aux gens de déterminer si leur cause relève de la compétence du fédéral ou d'une province, si elle est liée à l'un des motifs, et cetera. Les gens peuvent communiquer avec nous par téléphone et nous avons un service d'accueil. Ils peuvent également remplir un formulaire de plainte écrite et l'envoyer à la commission.
Lorsque nous recevons une plainte, nous nous assurons qu'elle est conforme et qu'elle contient tous les éléments requis, puis nous ouvrons le dossier. La médiation est offerte à toutes les étapes aux parties défenderesses et beaucoup de nos dossiers sont réglés dans le processus de médiation. Nous pouvons aussi ordonner la tenue de séances de conciliation; toutefois, à la réception de l'avis, le défendeur peut présenter des objections préliminaires. Il faut alors déterminer si la plainte devrait être traitée dans le cadre d'une procédure de règlement des griefs ou d'un règlement alternatif des différends ou encore si cela ne relève pas de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou la compétence de la commission, si les allégations remontent à plus d'un an, et cetera.
Après l'examen initial, le dossier est envoyé au service des enquêtes, où des enquêteurs interrogent les témoins, notamment, et préparent un rapport assorti de recommandations. Le rapport est envoyé aux parties, qui peuvent fournir une réponse, puis le dossier est envoyé aux commissaires pour qu'ils tranchent la question. L'affaire est soit rejetée, soit renvoyée aux tribunaux. Moins de 20 p. 100 des plaintes que nous recevons sont renvoyées aux tribunaux.
Le sénateur Eggleton : Étant donné la discussion que nous avons eue avec le groupe de témoins précédent, je ne suis pas certain que vous voudrez que je soulève ce point, mais quoi qu'il en soit, en vertu de la loi actuelle, que feriez-vous si on vous présentait une plainte de discrimination liée à un refus d'assurer la personne?
M. Langtry : En vertu de la loi actuelle, l'industrie des assurances ne relève pas de notre compétence. Notre mandat touche les entreprises du secteur privé sous réglementation fédérale, donc les sociétés des secteurs du transport, des télécommunications et des banques, mais pas les compagnies d'assurances. Toutes les provinces et tous les territoires ont une commission des droits de la personne ou un tribunal des droits de la personne ou les deux. Nous recevons souvent des plaintes qui relèvent des provinces; dans ce cas, nous aiguillons les gens vers la commission des droits de la personne provinciale ou territoriale.
Le sénateur Eggleton : Qu'en est-il d'une situation où la personne se voit refuser une assurance-maladie quelconque, mais que cette personne travaille pour une entreprise sous réglementation fédérale, une société de transport, par exemple?
M. Langtry : Simplement pour que ce soit clair, parlez-vous d'un employeur sous réglementation fédérale qui n'aurait pas fourni une couverture d'assurance? On peut alors présumer que la plainte serait recevable s'il s'agit d'un avantage lié à l'emploi. Par contre, si on parle d'un employé d'une entreprise sous réglementation fédérale qui se voit refuser une assurance par une compagnie d'assurances, cela ne relèverait pas de notre compétence.
La sénatrice Hubley : À ce sujet, je me demande si vous avez discuté du projet de loi S-201 avec vos homologues des provinces et des territoires. Est-ce un débat qui se poursuit? Un témoin nous a indiqué qu'il pourrait y avoir un enjeu constitutionnel par rapport aux compagnies d'assurances. Est-ce quelque chose que la Commission canadienne des droits de la personne étudie?
M. Langtry : C'est un enjeu d'intérêt certain pour toutes les commissions des droits de la personne. Nous avons une association qui s'appelle l'Association canadienne des commissions et conseils des droits de la personne, ou ACCCDP, dont font partie toutes les commissions provinciales et territoriales. Nous avons une téléconférence mensuelle et nous nous réunissons deux fois par année. Nous avons certes discuté de cet enjeu, pas précisément par rapport au projet de loi S-201, mais bon nombre de représentants provinciaux s'intéressent à la question et militent pour l'adoption d'une mesure législative semblable dans leur propre province. Je sais qu'un projet de loi d'initiative parlementaire a été présenté en Ontario. On prétend qu'il sera présenté de nouveau. Nous avons invité certaines personnes qui ont témoigné devant le comité et qui ont parlé à l'ensemble des membres de l'ACCCDP. Cela suscite beaucoup d'intérêt chez les membres de l'ACCCDP de partout au pays.
La présidente : Savez-vous si les commissions provinciales invoquent le motif lié à la déficience pour le traitement des plaintes de discrimination génétique?
M. Langtry : Je ne sais pas si Mme Keith ou Mme Daye auraient cette information. Je n'ai pas discuté de cette question précise avec mes homologues, mais je crois comprendre que ce serait le cas si quelqu'un présentait une plainte. La plupart des codes des droits de la personne des provinces et des territoires sont semblables à la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais se rapportent aux compétences qui leur sont propres. Dans beaucoup de cas, les motifs sont les mêmes. La discrimination génétique ne figure dans aucun des codes. Comme nous, les commissions devront étudier la définition, qu'il s'agisse de la déficience ou de tout autre motif, pour déterminer si la plainte est recevable.
La présidente : Comme nous le savons tous, les motifs de discrimination évoluent en fonction de l'évolution de la société, de nos valeurs et de notre point de vue sur les choses. Menez-vous des consultations auprès de vos homologues provinciaux et les invitez-vous à être proactifs? Par exemple, avez-vous tenu des consultations sur la discrimination génétique, en particulier après le discours du Trône, lorsqu'il a été établi que c'était un motif de discrimination?
M. Langtry : Mme Daye a abordé la question du point de vue des politiques avec les représentants des autres commissions; elle pourrait vous en parler de ce point de vue. En ce qui concerne les motifs, nous étudions les similitudes entre les provinces par l'intermédiaire de notre association. À juste titre, nous sommes préoccupés par le fait que les protections puissent être complètement différentes d'un océan à l'autre, étant donné que cela relève de la réglementation provinciale. Certains motifs peuvent exister dans une province, mais pas dans une autre. Donc, cela fait l'objet de discussions et nous étudions la situation. Un exemple me vient à l'esprit : dans le contexte canadien, tous les codes provinciaux et territoriaux comportent une disposition sur la condition sociale, ou un libellé à cet égard. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne comporte aucun motif lié à la condition sociale; c'est le seul ordre de gouvernement qui en est dépourvu. Nous en avons parlé et nous avons étudié la question. Certaines commissions ont notamment parlé — par l'intermédiaire de commissions de réforme du droit ou autrement — de l'élaboration d'un code des droits de la personne type commun à tous les ordres de gouvernement du pays pour assurer la conformité ou l'uniformité. J'invite Mme Daye à parler de la discrimination génétique en soi.
Marcella Daye, conseillère principale en matière de politiques, Commission canadienne des droits de la personne : Nous n'avons pas eu ce que j'appellerais des discussions officielles à ce sujet, mais nous avons obtenu une participation continue des intervenants au cours des cinq ou six dernières années, probablement. Nous avons participé à une conférence organisée par Génome Canada, en 2009 ou 2010, je crois, où les questions liées aux assurances et à la discrimination ont été étudiées. Nous avons participé aux tables rondes organisées par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada dans le cadre de sa préparation des documents de recherche et des exposés de position portant sur cette question. Nous avons eu des réunions avec les représentants de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes et de l'Institut canadien des actuaires, de même qu'avec ceux de la Coalition canadienne pour l'équité génétique. En outre, nous maintenons des liens constants et nous essayons de comprendre leurs préoccupations afin de tenir compte des intérêts des intervenants dans notre examen de la question.
J'ai trouvé encourageant de constater que nous avions à tout le moins consulté les bonnes personnes, car elles ont aussi comparu devant votre comité. Donc, je pense qu'il est important d'entendre le point de vue du plus grand nombre d'intervenants possible et celui de nos homologues de l'ACCCDP. Nous avons également reçu des informations de la communauté internationale, ce qui nous permet de comprendre un peu mieux les conventions de l'UNESCO et de l'Union européenne, même s'il n'y a pas eu beaucoup de discussions officielles.
La présidente : Étant donné que nous sommes le seul pays du G7 qui n'a pas de loi sur la discrimination génétique, afin de mieux comprendre le processus, surtout sur le plan stratégique, menez-vous des activités proactives pour affirmer qu'il pourrait s'agir d'un motif de discrimination et qu'on devrait l'examiner? Collaborez-vous avec le gouvernement? Lorsque vous parlez des intervenants, s'agit-il seulement du secteur privé? S'agit-il du gouvernement fédéral, des provinces... Les encouragez-vous à examiner la question? Je n'essaie pas de m'ingérer dans une affaire privée, mais en ce qui concerne la population, que fait la commission pour aborder cette question?
Mme Daye : À ce moment-là, nous étions dans le processus de comprendre clairement l'enjeu, afin d'élaborer un énoncé de position. Nous l'avons élaboré en 2010, je crois, et nous venons de le réviser en 2014, afin de comprendre ce que nous présenterions dans le cadre de la discussion.
Nous avons rencontré le sénateur Cowan pour mieux comprendre le projet de loi S-201, et cela nous a aidés à déterminer les éléments que nous allions présenter à cette réunion. Nous accepterons certainement de comparaître à nouveau devant les comités du Sénat et d'offrir notre avis.
C'est donc l'état actuel de nos consultations stratégiques. S'il y a des progrès, nous sommes certainement prêts à nous pencher de manière plus approfondie sur, par exemple, le modèle du Royaume-Uni que nous avons abordé aujourd'hui. Il s'agit d'un modèle très détaillé qui comprend plusieurs éléments, notamment la création de groupes chargés d'examiner les mutations acceptées dans l'industrie de l'assurance. Toutefois, nous n'avons pas encore abordé les détails des échelons inférieurs.
La présidente : Menez-vous des activités de sensibilisation sur la discrimination génétique auprès de la population?
Mme Daye : Nos ressources sont limitées, et les activités de sensibilisation que nous avons menées jusqu'ici auprès de la population consistent à maintenir une présence dans les médias sociaux et à communiquer nos énoncés de position aux autres intervenants auprès desquels nous nous sommes engagés. Cela résume nos activités auprès de la population. Un engagement plus vaste envers la population, par exemple, par l'entremise de la presse ou d'une campagne de sensibilisation, est toujours assujetti aux restrictions en matière de ressources et aux autres priorités de la commission. En fait, faire de la discrimination génétique un motif distinct pourrait favoriser les activités de sensibilisation auprès de la population et l'élaboration de politiques.
La présidente : Monsieur Langtry, vous avez parlé de l'examen des données et vous avez dit que les mots « discrimination génétique » n'étaient pas apparus. Comment repérez-vous les cas, afin d'être au courant? Vous avez dit que vous aviez cherché des cas et que ces mots n'avaient pas été utilisés, mais habituellement, y a-t-il une autre façon de faire des recherches, afin de savoir s'il y a eu des plaintes?
M. Langtry : Bien sûr. Nous utilisons des mots clés dans nos recherches. Cela nous permet de savoir si des cas sont liés à un domaine particulier, surtout par l'entremise du premier mot clé ou des 11 motifs actuels énumérés. Nous menons une recherche sur le sujet en utilisant le mot invalidité, et ensuite nous ajoutons d'autres mots clés pour préciser la recherche, par exemple les motifs, et cetera. Ensuite, nous menons également des recherches par intimé.
En ce moment, nous avons lancé un projet pour mieux définir ou cerner les cas dont nous disposons, afin que le processus ne soit pas aussi long et que nous n'ayons pas à retrouver des cas qui pourraient potentiellement être identifiés et devraient être ensuite examinés en profondeur.
Comme je l'ai dit, le cas dont j'ai parlé plus tôt m'est d'abord venu à l'esprit, car il fait actuellement l'objet d'un processus de médiation, mais nous n'utilisons pas le mot « génétique » pour trouver des cas en ce moment.
La présidente : Les membres de la commission considéreraient-ils que la discrimination génétique s'inscrit dans la catégorie de l'invalidité?
M. Langtry : Oui, une invalidité ou une invalidité perçue, si on alléguait que les résultats du test génétique ont révélé une invalidité potentielle. Un employeur peut examiner ces résultats et conclure qu'il y a une possibilité ou un risque plus élevé que cette personne devienne invalide, et elle ne sera pas embauchée. Cet exemple pourrait faire partie de la catégorie de l'invalidité perçue, et nous accepterons une plainte sur ce fondement si ce lien a été établi.
Dans la situation actuelle, comme l'a dit Mme Keith, étant donné qu'une liste de motifs a été établie et qu'ils sont les seuls motifs valables, il faudrait se fonder sur l'un d'entre eux pour invoquer la discrimination génétique, soit celui auquel j'ai fait référence, c'est-à-dire la race et l'origine ethnique ou nationale, soit l'invalidité et l'invalidité perçue.
La présidente : Nous faut-il donc un motif distinct pour la discrimination génétique si nous pouvons l'inclure dans la catégorie de l'invalidité?
M. Langtry : La réalité, c'est que souvent, on soutiendra qu'il est préférable d'avoir un motif explicite, afin qu'on n'ait pas besoin de présenter des arguments et peut-être d'intenter des poursuites pour déterminer si la question peut être liée à un motif existant, si le lien n'est pas établi dans ce cas. Plus tôt, j'ai utilisé l'exemple selon lequel il s'agit de savoir si on peut prévoir un comportement futur par un test génétique. Si un employeur refuse d'embaucher une personne en raison de ce comportement futur, cela ne serait pas nécessairement lié à une invalidité ou à un motif existant. Si notre loi est claire à cet égard, cela élimine tout doute. Encore une fois, si l'intention est d'encourager les tests génétiques en raison des avantages qu'ils peuvent procurer, s'il est clairement établi que les résultats ne peuvent pas être utilisés contre une personne ou contre ses enfants relativement à un emploi ou à la prestation d'un service, dans ce cas, je crois que ce serait préférable, mais nous continuerons d'interpréter nos lois et les motifs établis de façon générale lorsque nous recevrons une plainte plutôt que le contraire.
La présidente : Est-ce que l'un d'entre vous a entendu parler de cas de discrimination au niveau provincial, par exemple le refus de fournir des services d'assurance en raison d'une invalidité? Avez-vous eu des cas de ce type?
Mme Daye : Il y a une décision intitulée Boisbriand au Québec — vous la connaissez peut-être — dans laquelle une personne a été touchée dans le cadre de son emploi en raison d'une prédisposition à une invalidité. C'était le seul cas que nous avons pu trouver au niveau provincial dans ce domaine. Il faudrait souligner que vos témoins précédents ont indiqué que les histoires et les preuves qu'ils entendent concernent des personnes qui se trouvent vraiment aux premières lignes et qui sont réellement découragées, et il n'est donc pas étonnant qu'il y ait moins de cas à notre niveau, car il est très probable que ces personnes ne l'aient pas encore atteint.
La sénatrice Autallahjan : Vous venez de mentionner la décision Boisbriand. Cette décision affecte-t-elle votre travail actuel en ce qui concerne la discrimination génétique et le fait qu'elle soit inscrite dans la catégorie de l'invalidité perçue?
Mme Daye : Étant donné que ce n'était pas un cas visé par la Loi canadienne sur les droits de la personne, il ne s'appliquait pas à nous, mais il a fourni la jurisprudence nécessaire pour démontrer qu'une invalidité perçue pourrait être inscrite dans la catégorie des invalidités, et nous pourrions donc intégrer cette analyse à nos travaux.
Lorsqu'on a examiné la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cadre d'un examen élargi de notre loi — ce qui a produit le rapport La Forest —, il a également été recommandé que le motif lié au risque de développer une invalidité devrait être ajouté à notre loi, et il y a donc eu des cas au niveau provincial, mais des recommandations visant l'ajout de ce motif à notre loi ont aussi été formulées au niveau fédéral.
L'un des défis d'inscrire les motifs dans la catégorie des invalidités, comme le commissaire en chef l'a mentionné, c'est que dans chaque cas, il faut intenter des poursuites judiciaires pour faire valoir que dans ce cas précis, la discrimination génétique alléguée est visée par le motif de l'invalidité perçue, ce qui signifie de nombreuses procédures judiciaires dans chaque cas.
Cela signifierait aussi que dans un cas où on invoque la discrimination génétique fondée sur un motif distinct, il faudrait entamer des procédures judiciaires distinctes pour chacun de ces cas — par exemple, si on tentait d'établir un lien avec l'ascendance ou la situation familiale. Toutefois, un motif autonome éliminerait la nécessité d'avoir recours à toutes ces procédures préliminaires.
La présidente : J'aimerais vous remercier de vos exposés et je vous remercie d'être toujours prêts à comparaître.
Le sénateur Cowan : Madame la présidente, puis-je poser une question? Nous avons entendu tous les témoins. Pouvons-nous commencer l'étude article par article?
La présidente : Nous souhaitions laisser le sujet ouvert et l'examiner pendant les vacances. Lorsque nous reviendrons, je suis sûre que nous ferons l'étude article par article.
Le sénateur Cowan : Le comité est saisi de cette question depuis juin dernier. D'autres projets de loi sont arrivés plus tard et ont déjà été réglés. Je ne suis pas un membre régulier de votre comité, et je ne connais donc pas vos pratiques, mais c'est une question importante et je crois que nous devrions la régler.
La présidente : J'en prends note, sénateur Cowan.
Le sénateur Cowan : Merci.
La présidente : Nous en parlerons au comité de direction.
Honorables sénateurs, membres du personnel et toutes les personnes présentes, c'est la dernière réunion de l'année, et j'aimerais profiter de cette occasion pour vous souhaiter un joyeux Noël et une bonne année au nom des membres du comité de direction.
J'ai dois également vous lire une déclaration de Bill Crosbie, le sous-ministre adjoint, sur un autre sujet, c'est-à-dire la Convention de La Haye sur l'enlèvement. Il nous a écrit le message suivant :
Honorables sénateurs,
Lors de notre réunion du 6 novembre, nous avons entendu Bill Crosbie, sous-ministre adjoint du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement relativement à notre étude sur la Convention de La Haye sur l'enlèvement. À ce moment-là, le sénateur Tannas lui a posé la question suivante :
Si je décidais de laisser ma femme demain et d'amener les enfants avec moi, et si elle ne m'avait pas donné la permission et que personne n'était au courant, pourrais-je le faire sans enfreindre aucune loi au Canada?
M. Crosbie a communiqué avec le comité pour fournir les éclaircissements suivants à sa réponse :
Durant mon témoignage, j'ai indiqué qu'aucune loi ne serait enfreinte si un parent quittait son conjoint et partait avec les enfants sans que l'autre parent donne sa permission ou qu'il soit au courant s'il n'y avait pas d'ordonnance de garde. J'aimerais clarifier que cela est incorrect et que les infractions au Code criminel liées à l'enlèvement d'enfants couvrent en fait les enlèvements illicites par un parent lorsqu'une ordonnance de garde n'a pas été délivrée. Si vous souhaitez obtenir des renseignements plus détaillés sur ces infractions, les représentants de la justice seraient en meilleure position pour vous répondre.
Honorables sénateurs, je vous remercie de votre présence aujourd'hui, et je vous souhaite une bonne année.
(La séance est levée.)