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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 16 - Témoignages du 7 mai 2015


OTTAWA, le jeudi 7 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 8 h 1, afin d'étudier, pour en faire rapport, la façon dont les mandats et les méthodes de l'UNHCR et de l'UNICEF ont évolué pour répondre aux besoins des enfants déplacés dans les situations de conflits contemporains, en prêtant une attention particulière à la crise qui secoue actuellement la Syrie.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue à la 13e réunion que tient le Comité sénatorial permanent des droits de la personne au cours de la deuxième session de la 41e législature.

[Français]

Le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'étranger.

Je m'appelle Mobina Jaffer, je suis la présidente de ce comité, et j'ai l'honneur de vous souhaiter la bienvenue à cette réunion.

[Traduction]

Avant de poursuivre, j'aimerais demander à mes collègues de se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de Toronto.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Hubley : Elizabeth Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard.

La présidente : Le 6 mai 2014, le Sénat a adopté l'ordre de renvoi suivant :

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à étudier, pour en faire rapport, la façon dont les mandats et les méthodes de l'UNHCR et de l'UNICEF ont évolué pour répondre aux besoins des enfants déplacés dans les situations de conflits contemporains, en prêtant une attention particulière à la crise qui secoue actuellement la Syrie.

[Français]

Le conflit syrien a donné lieu à l'une des crises humanitaires et de réfugiés les plus effroyables de l'histoire moderne. Ce qui est particulièrement alarmant, ce sont les conséquences de cette situation sur les enfants. On évalue à 3 millions le nombre d'enfants déplacés à l'intérieur des frontières syriennes, et à 1,2 million le nombre d'enfants réfugiés à l'étranger.

Des millions d'enfants ne vont plus à l'école, sont séparés de leur famille et ont besoin de protection et de soins médicaux, tant physiques que psychologiques. Les enfants déplacés sont aussi particulièrement menacés par la pauvreté, la maltraitance, la négligence, la violence, l'exploitation, le trafic, les mariages forcés et l'enrôlement contre leur gré dans des groupes armés.

[Traduction]

Le Canada est un important bailleur de fonds du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et du Fonds des Nations Unies pour l'enfance. Ces deux organismes travaillent sur le terrain et viennent au secours de millions de Syriens touchés par ce conflit.

Ces organismes ont dû recourir à leurs ressources limitées afin de répondre aux besoins humanitaires en évolution découlant d'un conflit contemporain prolongé. Par conséquent, leurs mandats et leurs méthodes ont dû évoluer également. Nous étudions l'évolution de ces mandats.

Nous accueillons aujourd'hui les derniers témoins que nous entendrons dans le cadre de cette étude. Nous entendrons tout d'abord Dre Yasmin Ali Haque, directrice adjointe, Bureau des programmes d'urgence, Administration centrale de l'UNICEF, qui s'adressera à nous par vidéoconférence. Le comité connaît bien Dre Haque, qui nous a présenté un témoignage au début de notre étude. Madame, nous sommes extrêmement heureux que vous ayez trouvé le temps de vous adresser de nouveau à nous aujourd'hui, et nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire.

Je crois comprendre que vous avez un exposé à nous présenter.

Dre Yasmin Ali Haque, directrice adjointe, Bureau des programmes d'urgence, Administration centrale de l'UNICEF : Tout à fait. Bonjour, madame la présidente. C'est pour moi un privilège de participer de nouveau à une réunion du comité. Je vous transmets à tous les salutations du Bureau des programmes d'urgence de l'UNICEF à New York.

Bien entendu, je dois d'abord remercier le gouvernement et la population du Canada du soutien très généreux qu'ils ont offert aux enfants qui se trouvent dans des situations de crise humanitaire un peu partout dans le monde. De façon plus particulière, je crois que nous avons réellement pu considérer le Canada comme un solide allié au moment de venir en aide aux enfants victimes d'un conflit qui en est à sa cinquième année et qui ne semble pas vouloir se résorber.

En fait, depuis que je me suis présentée la dernière fois devant le comité, en mai 2014, la crise s'est tragiquement aggravée. Le nombre de personnes touchées par le conflit en Syrie continue d'augmenter; depuis le début de la crise en 2011, il a été multiplié par 12.

À l'heure actuelle, quelque 12,2 millions de personnes se trouvant en Syrie ou ayant fui le pays ont besoin d'une aide humanitaire. Nous sommes en présence de la plus grave crise causée par un déplacement dans le monde entier. La moitié des Syriens ont été contraints de quitter leur domicile. Pour la plupart d'entre eux, il s'agit d'un deuxième ou d'un énième déplacement, et les enfants continuent évidemment d'être touchés de manière disproportionnée par la crise. Environ 5,6 millions d'enfants en Syrie et plus de 2 millions d'enfants syriens déplacés dans les pays avoisinants ont vu leur enfance perturbée. Ils ne jouissent plus de cette stabilité qu'on recherche pendant l'enfance.

Le conflit syrien continue de se caractériser par des violations à répétition du droit humanitaire international et des droits de la personne et par l'impunité de l'ensemble des parties au conflit. Le recours aux sièges en tant qu'arme de guerre, les attaques aveugles perpétrées dans des zones densément peuplées et les frappes visant les infrastructures civiles ont eu des effets dévastateurs sur les enfants.

De surcroît, comme vous l'avez mentionné, madame la présidente, toutes les parties commettent des violations graves et à grande échelle dans un climat d'impunité et de crainte totales. Parmi ces violations, mentionnons le meurtre et la mutilation d'enfants, le recrutement d'enfants qui seront utilisés dans le cadre de combats, les actes de violence sexuelle et les attaques contre des écoles et des hôpitaux. Nos partenaires et nous avons recensé quelque 2 000 violations graves à l'endroit d'enfants en 2014 seulement. Ces cas ont été attestés, et ils comprennent le meurtre et la mutilation de plus de 1 100 enfants.

L'accès sécuritaire et sans entrave à la population se trouvant à l'intérieur du territoire syrien demeure extrêmement difficile pour les organismes d'aide humanitaire. Cela s'explique par divers facteurs, notamment l'insécurité généralisée, le caractère étendu du conflit, l'instabilité des lignes de front, les obstacles d'ordre bureaucratique et les conditions restrictives imposées par toutes les parties au conflit. À ce moment-ci, je dois faire part de l'admiration que nous éprouvons pour nos collègues qui travaillent dans les pays touchés par le conflit, surtout ceux qui se trouvent en Syrie, car ils doivent affronter des difficultés et prendre des risques chaque fois qu'ils tentent d'accéder aux collectivités assiégées.

Selon nos estimations, environ 4,8 millions de personnes, y compris 2 millions d'enfants, vivent dans ces zones difficiles d'accès de la Syrie, et quelque 440 000 personnes sont coincées dans les régions assiégées. Les événements survenus récemment à Yarmouk, à Idlib et à Deir ez-Zor, dont vous avez certainement entendu parler, témoignent eux aussi de cette tendance. L'accès de centaines de milliers de civils à une aide humanitaire est limité, voire nul.

Comme on peut aisément l'imaginer, le conflit interminable a eu des effets dévastateurs sur les infrastructures et les services essentiels. En Syrie, environ 11,6 millions de personnes ont besoin d'accéder de toute urgence à des services continus et réguliers d'hygiène et d'approvisionnement en eau. Ces services ont été touchés par les pénuries d'énergie et les sanctions qui ont été prises, de même que par la sécheresse. Une proportion d'à peine 43 p. 100 des hôpitaux fonctionne. Quant aux écoles, 24 p. 100 d'entre elles ont subi des dommages, ont été détruites ou font maintenant office de refuges. Par conséquent, le nombre d'enfants qui ne fréquentent pas l'école ou la fréquentent de façon irrégulière s'élève à 2 millions environ.

En raison de la nature prolongée de la crise, une proportion considérable de Syriens réfugiés dans les pays avoisinants ont épuisé leurs économies et sont fortement tributaires du soutien offert par les collectivités, le gouvernement et la communauté internationale.

J'aimerais une fois de plus prendre un instant pour rendre hommage aux gens qui offrent du soutien aux personnes déplacées qui viennent s'installer dans leur collectivité. Cela dit, même si elles sont incroyablement résilientes, de nombreuses familles ont recours à des mécanismes d'adaptation négatifs qui ont des répercussions directes sur les enfants. On observe notamment que le travail des enfants, le mariage d'enfants et le décrochage scolaire sont des phénomènes de plus en plus fréquents, comme vous l'avez mentionné, madame la présidente. En ce qui a trait au mariage d'enfants, les indicateurs témoignaient d'une grande amélioration en Syrie, dans la mesure où, avant le conflit, une fille sur cinq âgée de moins de 18 ans était mariée. À présent, les données indiquent qu'à peu près trois filles sur cinq sont mariées. De toute évidence, il s'agit d'un fait établi qui va dans le sens contraire des progrès qui avaient été réalisés.

La capacité des collectivités et des gouvernements d'accueil concernés d'offrir un soutien durable aux réfugiés syriens est mise à rude épreuve. En outre, la présence de réfugiés exerce des pressions sur l'économie des collectivités où ils ont trouvé refuge.

Madame la présidente, j'ai une foule d'autres renseignements à vous transmettre, mais je me contenterai, en terminant, de vous donner un bref aperçu de ce que nous avons été en mesure de faire, notamment grâce à l'apport du gouvernement du Canada. En 2014, nous avons réussi à vacciner à peu près 25 millions d'enfants contre la polio en Syrie et dans l'ensemble de la région touchée; nous avons procuré un accès à une eau potable salubre à 16,5 millions de personnes en Syrie et à 2,1 millions de réfugiés; nous avons offert du matériel scolaire à 3 millions d'enfants en Syrie; et, dans le cadre de l'initiative « Non à une génération perdue », nous avons offert à 1,1 million d'enfants en Syrie et dans la sous-région un soutien psychosocial qui faisait cruellement défaut. Là encore, nous devons remercier le gouvernement du Canada du précieux soutien qu'il nous a offert à ce chapitre.

La fourniture de produits essentiels aux personnes se trouvant dans des zones difficiles d'accès a été un élément crucial de notre travail. Nous sommes parvenus à atteindre 720 000 personnes par-delà les lignes de conflit, et près de 750 000 personnes grâce à des convois transfrontaliers en provenance de la Turquie et de la Jordanie sous l'égide des résolutions 2139 et 2165 du Conseil de sécurité.

En 2015, nous nous sommes engagés à poursuivre nos activités, surtout celles visant à renforcer la résilience et combler les besoins à long terme des personnes touchées par la crise, et ce, par le truchement d'initiatives interinstitutions, du Plan d'intervention stratégique pour la Syrie et du Plan régional pour renforcer la résilience des réfugiés.

Au moment où la situation en Syrie continue de se détériorer, il est évidemment essentiel de verser des fonds supplémentaires pour combler les besoins sans cesse croissants, mais aussi pour que nous puissions assurer le fonctionnement des services essentiels dont la population a besoin. Au bout du compte, en l'absence d'une solution politique au conflit en Syrie, les enfants et leur famille continueront de vivre dans une souffrance atroce. Nous nous attendons à ce que les gouvernements et toutes les personnes influentes enjoignent à toutes les parties au conflit d'engager des pourparlers de paix inclusifs et dignes de ce nom dans le cadre desquels on tiendra compte des droits des millions d'enfants touchés et de ceux des membres de leur famille.

Madame la présidente, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de vous présenter une brève mise à jour. Je suis disposée à répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

La présidente : Merci beaucoup. Si vous le permettez, je vais poser la première question.

Le comité a souvent entendu parler du fait que les personnes déplacées à l'intérieur ou à l'extérieur de la Syrie reçoivent des services en fonction de la catégorie ou du groupe auxquels elles appartiennent. Par exemple, les Palestiniens reçoivent de l'aide de l'UNRWA — l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient. Quant aux personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, elles ont accès à d'autres services. Comment pouvons-nous fournir des services aux gens? Que pouvons-nous faire pour changer cette situation?

Je vais préciser ma pensée. J'estime qu'une personne qui demande de l'aide ne devrait pas être catégorisée et recevoir des services en fonction de la catégorie à laquelle elle appartient. J'aimerais savoir si l'UNICEF se penche sur ce problème, surtout en ce qui concerne les enfants.

Dre Haque : Merci, madame la présidente. Il s'agit là d'un élément crucial. Il arrive qu'on ait affaire à une multitude de catégories de personnes, par exemple des réfugiés en provenance d'un pays ou des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays. Pour l'UNICEF, tous les enfants comptent. Par exemple, nos bureaux libanais ont pour mission de combler les besoins de tous les enfants qui se trouvent à l'intérieur du Liban, qu'il s'agisse de réfugiés, d'enfants déplacés à l'intérieur de leur pays ou d'enfants d'une collectivité d'accueil.

La réalisation de cette mission repose essentiellement sur une évaluation des besoins permettant de déterminer si les mesures qui sont prises permettent de répondre aux besoins, surtout dans les cas où le financement dont on dispose exige qu'on établisse l'ordre de priorité des mesures à prendre. Cela dit, la coordination joue également un rôle très important. Comme vous le savez, les Nations Unies disposent d'une division responsable des questions liées au travail. Le HCR est l'organisme responsable de la coordination des interventions relatives aux réfugiés. L'UNICEF assume des responsabilités dans divers secteurs, notamment l'eau, l'hygiène, la nutrition et l'éducation. Quant à l'UNRWA, sa mission est très pointue, et c'est la raison pour laquelle la coordination interinstitutions revêt une très grande importance. Les choses n'ont pas été faciles, vu que chaque organisme possède son propre mandat de fonctionnement. Je pense que la crise syrienne a véritablement mis à l'épreuve l'ensemble du système d'aide humanitaire.

Nous disposons à présent d'un mécanisme de coordination régional qui s'adapte à mesure que la situation évolue. Un coordonnateur régional de l'aide humanitaire des Nations Unies établi à Amman est chargé d'examiner l'ensemble de la situation touchant les besoins de la population — qu'il s'agisse de personnes réfugiées à l'intérieur de leur pays ou de réfugiés venus d'ailleurs — et d'évaluer la mesure dans laquelle les organismes parviennent à coordonner leurs interventions. À l'intérieur de la Syrie, un mécanisme axé sur la situation intérieure a été mis en place. Et puis, comme vous pouvez l'imaginer, compte tenu des mouvements aux frontières et aux lignes de front et des diverses modalités qui se combinent, il est très important que nous demeurions tous sur la même longueur d'onde.

Je vous assure qu'il s'agit de l'un des problèmes dont tous les organismes sont très conscients et que nous avons adapté nos mécanismes pour nous assurer de ne pas nous retrouver dans une situation où divers services « à la carte » seraient offerts aux personnes qui en ont besoin en fonction de la catégorie à laquelle elles appartiennent. Il est important de combler les besoins de tous les enfants.

La présidente : Une telle situation de services « à la carte », comme vous l'avez si bien décrite, surtout en ce qui concerne les enfants, est une chose qui préoccupe le comité.

La sénatrice Ataullahjan : Docteure Haque, je vous remercie d'être ici. J'aimerais que vous me donniez un aperçu des plus importantes modifications qui ont été apportées à la mission de l'UNICEF depuis sa création en 1946 en vue de fournir une aide aux enfants déplacés en raison de conflits.

Dre Haque : Merci, madame la sénatrice. En 1946, on a créé l'UNICEF afin de répondre aux énormes besoins des enfants touchés par la Seconde Guerre mondiale. Une foule de nos activités étaient véritablement liées à cela — il s'agissait essentiellement de fournir du matériel et de la nourriture en vue de parer aux besoins immédiats des enfants.

Au fil du temps, l'organisme en est venu à assumer les responsabilités liées à la Convention relative aux droits de l'enfant. Ainsi, l'UNICEF s'occupe de questions relatives non pas uniquement aux besoins des enfants touchés par les crises, mais aussi aux droits de survivre, de s'épanouir et de devenir les meilleurs citoyens possible. L'UNICEF ne s'occupe pas uniquement des nouveau-nés et des jeunes enfants — il s'en tient à la définition selon laquelle un enfant est une personne âgée de moins de 18 ans. Tout au long de leur cycle de vie, les enfants ont des besoins qui varient en fonction des droits qu'ils peuvent exercer.

En outre, nous sommes passés d'une vision où les enfants étaient considérés comme des bénéficiaires de services à une autre où les enfants sont vus comme des titulaires de droits, comme l'une des parties prenantes qui veulent faire respecter leurs droits. Notre tâche est devenue progressivement celle d'établir partout dans le monde les droits de tous les enfants. À cet égard, j'estime qu'il s'agit là pour nous de déterminer ce que nous pouvons faire pour faire progresser graduellement les choses et nous efforcer de faire respecter les droits universels de tous les enfants. Nous devons parallèlement reconnaître qu'il nous incombe d'examiner la situation de ces enfants, d'établir des cibles précises à leur sujet et de nous fixer pour nous-mêmes des objectifs.

Vous vous rappellerez l'époque où les campagnes de vaccination universelle sont devenues un élément fondamental de la mission de l'UNICEF. Nous avions observé que, au chapitre de la mortalité infantile, les pires ravages étaient causés par des maladies pouvant être prévenues par la vaccination. Dans les années 1970 et 1980, nous considérions la vaccination universelle des enfants comme l'un des principaux éléments moteurs des programmes de l'UNICEF, et nous constatons aujourd'hui que le taux de mortalité infantile diminue considérablement partout dans le monde. Nous nous sommes attaqués aux maladies pouvant être prévenues par la vaccination en mettant à la disposition des collectivités les connaissances et les technologies dont elles avaient besoin pour prévenir des troubles mortels comme la diarrhée, la pneumonie et l'asthme, de même que la malaria, qui demeure une importante préoccupation, surtout dans certaines régions de l'Afrique.

Nous avons évolué dans la mesure où nous avons pris au sérieux les questions relatives à la survie des enfants. À mesure que nous réalisions des progrès à cet égard, nous n'avons pas abandonné notre mission en matière d'éducation. En effet, c'est en investissant dans le domaine de l'éducation que nous permettrons à des enfants de prendre la place qui leur revient au sein de leur collectivité, de la société et de l'ensemble de leur pays.

À cet égard, nous avons aussi mis de plus en plus l'accent sur le développement des jeunes enfants, car nous avons pris conscience du fait que la solution ne résidait pas uniquement dans la scolarisation. Pour l'essentiel, le travail commence dès que l'enfant se trouve dans le ventre de sa mère. C'est à ce moment-là qu'on doit commencer à veiller à son épanouissement. Cela renvoie à cette vision selon laquelle on doit accorder une attention particulière aux 1 000 premiers jours des enfants, du moment où ils sont conçus jusqu'à la période cruciale suivant leur naissance, où l'on doit leur fournir des services pour les aider à échapper aux problèmes de mortalité auxquels sont exposés les nourrissons et les enfants de moins de cinq ans.

Quelles mesures pouvons-nous prendre, par la même occasion, pour permettre aux enfants de s'exprimer? Que devons-nous faire pour leur permettre de jouer un rôle actif dans ce qui leur arrive? Les mesures que nous prenons pour faire participer les enfants ont aussi graduellement influé sur la manière dont nous exécutons nos programmes, notamment dans les écoles. Cela nous a amenés à modifier la façon dont nous menons nos activités dans le cadre desquelles les enfants mettent sur pied des comités, entre autres des comités parlementaires fictifs, de même que la manière dont nous nous y prenons pour permettre aux enfants de se faire entendre.

De nos jours, c'est grâce à la technologie que nous parvenons à offrir aux enfants la possibilité de s'exprimer.

L'élément important tient aux mesures que nous prenons pour instaurer un système de rétroaction. Par exemple, nous avons mis au point diverses technologies, par exemple l'application U-Report, laquelle nous permet de communiquer avec des jeunes enregistrés en tant que « U-reporters » qui se trouvent dans une zone touchée par une crise et de leur demander si leurs besoins sont comblés. Ils peuvent également formuler des suggestions à notre intention. Cette technologie permet d'obtenir de ces jeunes une rétroaction, mais surtout d'y donner suite et de nous assurer que nos programmes s'adaptent en fonction des circonstances. Il s'agit là d'une autre mesure que nous employons pour tenter d'évoluer.

Là encore, les graves violations dont sont victimes les enfants représentent un volet important de nos activités. Je crois que l'UNICEF et les Nations Unies ont véritablement pris position à ce chapitre et déclaré : « Notre mission consiste non pas à mener des enquêtes, mais à documenter et à prendre en considération les cas de violations à l'égard des enfants. » Nous vérifions les rapports qui nous sont transmis et nous soumettons aux gouvernements et aux parties au conflit de solides éléments probants concernant les répercussions qu'ont sur les enfants les violations qu'elles commettent. Nous entreprenons des discussions et des pourparlers en vue de l'élaboration de plans relatifs aux mesures à prendre pour mettre fin à ces violations et libérer les enfants recrutés de force par des groupes armés.

Diverses facettes de notre travail ont évolué au fil des ans. J'ai commencé à travailler pour l'UNICEF dans les années 1990. Au sein du Bureau des programmes d'urgence, nous en sommes rendus à un point où nous nous demandons à combien d'autres crises touchant des enfants nous serons confrontés. À l'heure actuelle, des crises sévissent en Syrie, au Yémen, en Irak et à de nombreux autres endroits. Au Soudan du Sud, où j'ai travaillé pendant trois ans, le conflit ne montre aucun signe d'apaisement. De surcroît, il y a eu des typhons aux Philippines et à Vanuatu, et un séisme au Népal.

La façon dont nous intervenons dans le cadre de crises a beaucoup évolué. Un élément capital de l'évolution de notre organisation tient aux leçons que nous tirons de chaque crise et aux mesures que nous prenons pour aller à la rencontre des enfants, particulièrement dans les contextes complexes où les risques sont élevés.

En outre, nous avons tiré des leçons...

La présidente : Docteure Haque, nous avons beaucoup de questions à poser et peu de temps pour le faire. Je sais que vous avez énormément de choses à mentionner, mais je dois passer au prochain intervenant.

Le sénateur Eggleton : Vous avez évoqué les campagnes de vaccination. D'après une statistique qui nous a été communiquée il y a trois ans environ, le taux de vaccination des enfants syriens avait chuté de moitié. La situation s'est-elle améliorée à ce chapitre, ou le taux de vaccination est-il encore bien en deçà de ce qu'il devrait être?

Dre Haque : Il est encore bien en deçà de ce qu'il devrait être, sénateur. Le problème tient au type de vaccination. Comme l'indiquent les données que nous vous avons transmises, on a enregistré une amélioration en ce qui a trait à la vaccination contre la polio. Nous avons véritablement été en mesure de travailler auprès des collectivités — même au sein des zones assiégées — de façon à faire grimper à plus de 90 p. 100 le taux de vaccination contre la polio. Le vaccin se présente dans une fiole et s'administre par voie orale.

Des problèmes commencent à se poser lorsque les vaccins doivent être administrés par voie intraveineuse et que les campagnes exigent une plus solide gestion conjointe de la chaîne. Par exemple, les taux de vaccination contre la rougeole sont bien inférieurs aux taux souhaités, surtout au sein des populations assiégées. Cela s'explique par le fait que les gens sont réticents à autoriser le passage aux frontières des seringues et des fournitures médicales puisque les parties au conflit pourraient s'en emparer.

C'est à ce chapitre que nous poursuivons nos activités de sensibilisation, entre autres notre vigoureuse campagne en vue de faire augmenter le taux de vaccination contre la rougeole. Comme nous le savons, la rougeole peut causer des ravages épouvantables au sein des populations assiégées qui ne disposent pas d'un accès adéquat aux services et sont aux prises avec des problèmes de surpeuplement.

Ainsi, oui, nous avons réalisé des progrès en ce qui concerne la vaccination contre la polio, mais pas en ce qui a trait à l'immunisation courante.

Le sénateur Eggleton : Par conséquent, le problème tient non pas à l'approvisionnement en médicaments, mais à l'accès aux enfants.

Dre Haque : Tout à fait. Ce qui pose un problème, c'est l'accès aux enfants qui ont besoin des fournitures. Nous avons accès aux enfants qui ont besoin d'être vaccinés contre la polio, mais pas à ceux qui doivent être immunisés contre la rougeole.

Le sénateur Eggleton : J'aimerais vous poser une question à propos de l'éducation, car je crois qu'on craint d'avoir affaire à une génération perdue. Il est de plus en plus probable que cette crainte se matérialise à mesure que le conflit se perpétue. Je crois comprendre que, en Jordanie, où l'on trouve des camps, la majorité — 56 p. 100 — des enfants ne fréquente pas l'école. Au Liban, où l'on ne trouve pas de camps, ce taux s'élève à 80 p. 100.

Que peut-on faire de plus? Quelles mesures supplémentaires votre organisme ou des pays comme le Canada peuvent- ils prendre pour contribuer à l'éducation de ces enfants?

Dre Haque : Il s'agit bel et bien d'une préoccupation. Parmi les problèmes auxquels les enfants font face, il s'agit de l'un de ceux qui nous inquiètent le plus. Comme vous l'avez mentionné à juste titre, nous courons le risque de voir ces enfants constituer une génération perdue.

Nous travaillons sans relâche pour tenter d'empêcher cela. Ce n'est pas toujours facile, surtout dans les zones où, par exemple, les enfants en question sont des réfugiés. À quel type de programme scolaire ces enfants participent-ils? S'agit-il d'un programme syrien, lequel se révélerait plus profitable pour eux dans l'éventualité où ils pourraient retourner chez eux, ou bien d'un programme libanais? Des questions simples comme celles-là exigent une foule de pourparlers et de discussions avec les collectivités et les autorités des pays d'accueil.

Des sommes substantielles ont été investies, surtout au Liban, en vue de combler les besoins en matière d'éducation de tous les enfants, et cela est prometteur. Ces investissements visent non seulement l'éducation des enfants réfugiés, mais aussi celle des enfants des collectivités d'accueil, ce qui est très important, vu qu'eux aussi affichent un taux de fréquentation scolaire inférieur aux attentes.

Ici, nous avons travaillé en étroite collaboration avec Gordon Brown, envoyé spécial des Nations Unies pour l'éducation mondiale.

Nous collaborons avec le gouvernement du Liban, toujours dans le cadre de l'initiative « Non à une génération perdue ». Nous soutenons vigoureusement l'élaboration et la mise en œuvre d'un système d'éducation destiné aux enfants qui font face au problème en question. Nous sommes conscients du fait qu'une population de réfugiés sera déplacée pendant une période moyenne d'à peu près 17 ans. Par conséquent, des centaines et des milliers d'enfants seront déplacés pendant toute leur enfance. Ainsi, nous offrons des programmes d'éducation non seulement primaires, mais également secondaires, de même que des programmes dans le cadre desquels les jeunes pourront acquérir des compétences de façon à mettre leur éducation à profit. Dans certaines régions du Liban, le nombre de réfugiés est supérieur au nombre de membres de la collectivité. Que doit-on faire pour apaiser les tensions et maintenir la paix et l'harmonie?

Que peut-on faire de plus? Nous devons continuer de faire campagne en faveur de la paix et de déployer des efforts pour que les enfants puissent retourner chez eux.

La sénatrice Eaton : Docteure, vous avez parlé un peu plus tôt d'une approche sectorielle et d'une approche thématique. Pourriez-vous préciser la différence entre les deux? Est-ce que les deux sont nécessaires? Y en a-t-il une qui serait préférable à l'autre?

Dre Haque : Les deux sont nécessaires. Pour distinguer les deux, je vous dirai qu'une approche thématique se constitue à la faveur d'une crise grave dans le cadre de laquelle une multitude de partenaires sont appelés à intervenir et où nous devons procéder de façon coordonnée de manière à ce que nous puissions savoir qui prend telle ou telle mesure à tel ou tel endroit afin de combler les besoins des enfants et des collectivités.

La sénatrice Eaton : Est-ce que cela s'applique aux crises comme celle qui sévit au Népal? Pourriez-vous nous donner des exemples?

Dre Haque : Très bien. Je vais vous donner l'exemple du Sri Lanka à l'époque du tsunami. Le Sri Lanka est un pays doté de solides régimes gouvernementaux. Le tsunami a eu pour effet de perturber, dans une certaine mesure, ces régimes. À ce moment-là, nous avons adopté une approche thématique.

Quant à l'approche sectorielle, elle fait partie de tout programme de développement. Dans le cadre de cette approche, nous considérons que les secteurs sont coordonnés. Toutefois, en raison du nombre considérable de partenaires qui sont intervenus et de l'ampleur des besoins à coordonner nous devions adapter le mécanisme, et nous avons adopté une approche thématique.

Une fois que la crise s'est estompée, que les gens ont été relocalisés et que l'attention des médias s'est dissipée, nous sommes revenus à une approche sectorielle. Cette approche a toujours fait partie intégrante des programmes de développement. Dans les pays où cette approche n'est pas aussi solidement ancrée, lorsque nous adoptons une approche thématique, nous le faisons dans l'intention de nous diriger vers une approche sectorielle de manière à ce que nous puissions non seulement réagir à une crise, mais également bâtir pour l'avenir.

À nos yeux, de nos jours, il s'agit là de l'une des stratégies fondamentales de l'approche thématique. Comment passer d'une approche thématique à une approche sectorielle dans les cas où une coordination est requise? Comment transférer la responsabilité — même accrue — au gouvernement et aux partenaires présents sur le terrain, qu'il s'agisse d'une situation de crise ou non?

Depuis toujours, l'UNICEF joue un rôle très actif dans le secteur de l'éducation, dans le secteur de l'eau, de l'assainissement et de l'hygiène, dans le secteur de la santé et dans le secteur de la protection des enfants. Comme nous sommes présents sur le terrain avant qu'une crise éclate, nous sommes en mesure de fournir de l'aide en raison du soutien dont nous disposons à l'échelle mondiale. Par la suite, nous pouvons revenir à une approche sectorielle. Dans l'idéal, c'est de cette façon que les choses devraient fonctionner.

La présidente : J'aimerais obtenir un éclaircissement. Je croyais que l'approche sectorielle était utilisée dans le cadre des interventions coordonnées par le HCR et visant les réfugiés.

Dre Haque : Pas seulement dans ces cas-là, madame la présidente. On utilise la coordination sectorielle dans tous les pays où nous menons des activités de développement, car cela exige toujours une coordination par secteurs. L'approche thématique ne s'applique pas toujours dans les situations concernant les réfugiés, vu que les interventions visant les réfugiés sont considérées comme inhabituelles dans le cas de personnes déplacées à l'extérieur de leur pays de nationalité et que le HCR a un mandat précis.

Comme il n'est ni efficient ni efficace d'adopter au sein d'un même endroit une approche sectorielle pour les réfugiés et une approche thématique pour les personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, nous discutons actuellement des mesures de rationalisation que nous pourrions prendre. En outre, cette façon de faire pèse sur les mécanismes de coordination. Il s'agit là de questions qu'examinent en ce moment les organismes d'aide humanitaire, surtout ceux présents en Syrie et dans les pays avoisinants, plus particulièrement en Irak, où l'on trouve un très grand nombre de personnes déplacées ou réfugiées. On doit alléger le fardeau de la coordination, et faire en sorte qu'il soit assumé de façon équitable par les deux groupes.

Une foule de discussions ont lieu à ce sujet.

La sénatrice Andreychuk : J'ai une question d'ordre très pratique à vous poser. Comment vous y prenez-vous pour recueillir des données dans les zones de conflit? On entend évoquer toutes sortes de chiffres concernant le nombre d'enfants qui courent de véritables risques, qui migrent et qui n'ont pas accès à certains services, et on évoque toutes sortes de pourcentages. J'aimerais que vous nous expliquiez comment vous vous y prenez pour recueillir des statistiques sur lesquelles nous pouvons nous fier. Des ONG nous fournissent à propos des endroits où les enfants se trouvent dans une situation critique des renseignements qui ne cadrent pas toujours avec les informations disponibles à propos des besoins courants. Pourriez-vous nous fournir des explications quant aux vérifications que vous effectuez à propos des endroits où se trouvent les enfants et de la nature de leurs besoins?

Dre Haque : Cela représente effectivement un défi de taille, madame la sénatrice. Comme je l'ai mentionné, à cet égard, nous avons évolué et nous avons tiré des leçons de notre expérience en Syrie. En outre, nous appliquons ce que nous avons appris là-bas dans d'autres pays, par exemple la Somalie et le Soudan du Sud. Nous comptons beaucoup sur les collectivités, et nous disposons d'un réseau de facilitateurs qui sont présents dans les collectivités auxquelles nous n'avons pas directement accès.

On effectue beaucoup de triangulation. Nous utilisons les renseignements que nous transmettent nos partenaires sur le terrain, des renseignements fondés sur des prévisions liées aux données démographiques dont nous disposons et des rapports concernant les services fournis. Ces renseignements font l'objet d'un certain nombre de vérifications. Dans certains pays, par exemple la Syrie, des mécanismes de surveillance indépendants sont en place. Les employés de l'UNICEF eux-mêmes n'ont pas accès à certaines régions parce qu'ils ne sont pas autorisés à s'y rendre ou en raison de l'insécurité qui y règne. Nous disposons d'un réseau de personnes qui recueillent régulièrement de l'information sur le terrain et qui nous la transmettent.

Là encore, tout dépend du moment où nous faisons rapport sur ces renseignements. Ces rapports sont destinés non seulement à l'UNICEF, mais aussi à nos partenaires qui participent à une approche sectorielle ou une approche thématique, selon le cas. Il est important de vérifier ces renseignements. Les responsables des mécanismes de surveillance indépendants doivent suivre une formation. Il arrive que nous les fassions sortir d'une zone assiégée. Ils suivent une formation dispensée par nos collègues sur le terrain. Nous effectuons par d'autres moyens des vérifications ponctuelles des informations qu'ils nous fournissent. Par conséquent, il s'agit des données les plus sûres dont nous puissions disposer dans les circonstances.

Les employés de nos bureaux sont extrêmement conscients de l'existence de ce problème, et ils prennent tout le temps dont ils ont besoin avant de faire rapport sur les données. L'autre élément, bien entendu, tient à ce que, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, nous devons, par l'entremise du secrétaire général, soumettre au Conseil de sécurité des rapports sur bon nombre de sujets.

Nous estimons disposer actuellement en Syrie de près de 2 000 informateurs chargés de nous présenter des rapports en ce qui a trait à la situation des enfants et aux services qui leur sont offerts.

La sénatrice Andreychuk : Vous avez dit que le dénouement de la crise en Syrie reposait en grande partie sur une solution politique, et je pense que la plupart des gens sont d'accord avec vous là-dessus. Le problème tient à ce que les années passent, mais qu'on ne trouve pas cette solution politique. On s'entend généralement pour dire que la solution ne doit pas être imposée aux groupes en conflit — si je peux me permettre de les désigner ainsi —, y compris le gouvernement.

Avez-vous envisagé ou utilisé divers moyens de négociation pour faire en sorte que l'aide parvienne aux enfants?

Je n'oublie pas ce qui est arrivé en Éthiopie. Durant le conflit, les enfants n'ont pas obtenu les fournitures dont ils avaient besoin. Il a fallu trouver des façons novatrices de transporter la marchandise pour s'assurer que les enfants la reçoivent et qu'elle ne soit pas détournée et utilisée à d'autres fins.

Chaque crise exige une solution différente. De quelle façon négociez-vous avec les belligérants, le cas échéant?

Dre Haque : C'est là que le mandat de l'UNICEF entre en jeu. Surtout dans le cadre de conflits, nous avons le mandat de négocier et de discuter avec toutes les factions afin de pouvoir joindre les enfants, peu importe où ils se trouvent. Cela signifie que nos employés courent des risques lorsqu'ils mènent de telles négociations et de telles discussions. Nous nous appuyons beaucoup sur les collectivités et les autorités gouvernementales locales encore en place. C'est un aspect important de la question, surtout lorsqu'on tient compte du fait que nous avons réussi à accroître l'immunisation contre la poliomyélite à plus de 90 p. 100, et ce, même dans les zones assiégées. C'est là où nous nous sommes assurés d'interagir le plus efficacement possible avec les autorités gouvernementales locales.

Bien sûr, cela signifie que nous nous retrouvons parfois dans des situations délicates. Je parle par expérience, car j'ai travaillé au Sri Lanka, où nous devions négocier avec les Tigres tamouls et le gouvernement. Nous étions constamment rabroués des deux côtés, surtout en ce qui concerne les enfants soldats. Mais cela ne nous a pas arrêtés.

Nos équipes en Syrie sont sur la corde raide. En effet, si nous voulons aller dans une zone précise où les enfants n'obtiennent pas de services — et surtout si nous devons y apporter des fournitures, en traversant une frontière ou une ligne de front —, il faut négocier avec un certain nombre de factions, pas seulement deux. Le principal défi dans le contexte syrien, c'est le nombre de factions. Ce n'est pas un conflit simple qui oppose deux parties.

Aussi, puisque, de nos jours, les nouvelles voyagent très rapidement, nous obtenons l'information en temps réel. La technologie cellulaire fait en sorte que, en fait, rien ne reste secret très longtemps, et nous réussissons à amplifier la voix qui se fait entendre et à exiger un accès. On y arrive parfois, pas toujours. C'est dans ce contexte que nous misons beaucoup sur les gouvernements internationaux afin qu'ils ramènent toujours à l'avant-plan la question des enfants — les problèmes auxquels les enfants sont confrontés — et celle de la façon dont nous pouvons maintenir l'attention sur les enfants et leurs droits.

À ce sujet, nous apprécions beaucoup les efforts et le soutien que nous obtenons du gouvernement du Canada, surtout en ce qui concerne la question des enfants touchés par les conflits armés. Nous considérons votre gouvernement comme un important allié des enfants dans ce dossier.

Le sénateur Eggleton : Vous avez remercié le Canada plusieurs fois, et nous l'apprécions, mais, comme vous le soulignez, la situation se détériore. Le Canada et d'autres pays qui en sont capables doivent en faire plus. Nous devons faire tout ce que nous pouvons, mais j'espère en même temps que votre agence, le HCR et toutes les autres ONG et toutes les personnes avec qui vous travaillez, réussirez à mieux coordonner vos efforts, à l'échelle des secteurs, des thèmes et des divisions. La situation actuelle est très complexe, ce qui la rend extrêmement difficile.

J'espère que vous pourrez bientôt déterminer certaines choses, comme le programme à utiliser, parce que les jeunes personnes, si elles perdent tout espoir, ont tendance à se radicaliser. Nous devons tout faire pour ne pas perdre une génération.

Au bout du compte, la question est la suivante : puisque la situation se détériore, qu'est-ce que les pays comme le Canada peuvent faire de plus pour aider?

Dre Haque : Il y a plusieurs choses. Nous en avons déjà parlé avant, mais j'aimerais bien savoir ce que, selon vous, l'UNICEF devrait faire de plus.

Je prends bien note de ce que vous avez dit sur la coordination. En tant que communauté humanitaire, nous devons régler ces problèmes.

Nous espérons continuer à recevoir le financement généreux du gouvernement du Canada. Nous espérons que le Canada continuera à favoriser, à exiger et à promouvoir la discussion, surtout en ce qui concerne les façons de joindre les enfants dans les zones assiégées. Et, enfin, nous espérons que les jeunes seront entendus et qu'on mettra l'accent sur eux et sur les circonstances difficiles dans lesquelles ils se trouvent. Leurs besoins doivent être un élément central de toute discussion. Voilà les principaux soutiens que nous espérons continuer de recevoir du gouvernement du Canada.

La présidente : Je tiens à vous remercier à nouveau de votre disponibilité. Je suis sûre que nous travaillerons de nouveau ensemble à l'avenir. Nous apprécions le temps que vous nous avez consacré.

Le prochain groupe de témoins ce matin est composé de représentants du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement du Canada, qui se sont intéressés de près à cette question. Nous les avons reçus au début de notre étude sur la question. Nous souhaitons la bienvenue à Marc Gwozdecky, directeur général, Moyen- Orient et Maghreb et Leslie E. Norton, directrice générale, Assistance humanitaire internationale. Je crois savoir que vous avez quelques remarques, puis nous vous poserons des questions.

[Français]

Mark Gwozdecky, directeur général, Moyen-Orient et Maghreb, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, mes collègues et moi tenons à vous remercier de nous donner l'occasion de vous fournir des détails sur les politiques du Canada à l'égard du conflit syrien et sur ses répercussions. Je vous donnerai un bref aperçu du contexte politique et de l'état actuel du conflit, et ma collègue, Leslie Norton, fera le point en détail sur notre réponse à la crise humanitaire qui se déroule dans la région.

Le conflit en Syrie est embourbé dans une impasse politique, même si la situation militaire sur le terrain continue d'évoluer. Pour décrire très simplement le conflit militaire, il s'agit d'une dynamique à trois faces impliquant le régime Assad, qui domine au centre et au nord-ouest du pays, l'opposition modérée, qui détient du territoire et de l'influence en grande partie dans le sud, et les extrémistes djihadistes, qui contrôlent une grande partie du nord et de l'est qui est peu peuplée mais riche en pétrole.

Les Kurdes conservent le contrôle d'une part importante du territoire dans l'extrême nord-est et dans les zones qui longent la frontière turque, mais ils ne tentent pas vraiment de combattre au-delà de leur territoire traditionnel.

[Traduction]

L'objectif de la campagne militaire était d'abord, pour le gouvernement et les djihadistes, de tenter d'éliminer 1'opposition modérée, objectif qui a largement été atteint dans le nord. Puis, les djihadistes et l'opposition modérée ont plus systématiquement attaqué les forces du régime, ce qui a mené à une importante perte de territoire et d'influence pour le régime.

On sent maintenant que la longévité du régime Assad pourrait être grandement menacée. Ce sont de bonnes nouvelles dans un sens, mais si le régime devait chuter à court terme, on ne sait pas par qui ou par quoi il serait remplacé. La poursuite des combats, auxquels participent divers groupes et forces, y compris l'EIIL et le Front Al- Nosra, semble aussi inévitable.

Malgré les récents revers du régime, la situation est probablement loin d'être terminée. Assad intensifiera certainement ses efforts pour protéger les bastions du régime à Damas et le long de la côte vers Lattaquié. En outre, Assad conserve le soutien de ses principaux partisans internationaux, la Russie et l'Iran, appuyé au sol par les troupes du Hezbollah, et rien n'indique pour le moment qu'ils le lâcheront. Cela pourrait arriver, mais on n'en est pas encore là.

Le Canada continue de croire qu'une solution politique est la seule option viable pour résoudre ce conflit. Les perspectives restent incertaines. Cependant, les Nations Unies et la Russie sont à la tête, chacun de leur côté, de démarches visant à maintenir les pourparlers de paix en vie, mais ils récoltent un succès limité. Nous continuerons de contribuer à faire avancer ces démarches.

[Français]

Ce qui inquiète surtout le gouvernement est la victimisation des populations civiles innocentes prises entre les factions belligérantes du conflit. Nous avons tous vu l'horrible traitement que réservent aux communautés religieuses et ethniques la plupart des factions, qu'il s'agisse de la sauvagerie presque inimaginable de l'État islamique ou du bombardement aveugle à la bombe-baril des populations civiles par le régime.

À cette désolation s'ajoute le déplacement auquel sont contraints des millions de Syriens, à la fois en Syrie et dans les pays voisins surchargés, qu'il faudra des années d'intervention concentrée pour renverser.

[Traduction]

Sur le plan pratique, il faut surtout souligner qu'il est vital que la communauté internationale soutienne les interventions humanitaires, tout en cherchant une solution politique. Les interventions humanitaires, bien sûr, sont conçues pour faire face aux répercussions de cet horrible conflit. Mme Norton présentera en détail le travail du Canada dans ce dossier, et je tiens à souligner que le Canada fait tout ce qu'il peut pour encourager d'autres donateurs à concrétiser rapidement et en temps opportun leurs engagements à 1'égard des divers appels humanitaires.

Au bout du compte, tout ce que les Syriens déplacés à l'intérieur de leur pays et à l'étranger par ce conflit demandent, c'est la possibilité de retourner dans leurs foyers dans la paix. Tel est 1'objectif des démarches politiques et humanitaires du Canada dans ce conflit.

[Français]

Leslie E. Norton, directrice générale, Assistance humanitaire internationale, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Bonjour, et merci de m'avoir invitée aujourd'hui à vous mettre au courant des travaux du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et du Fonds des Nations Unies pour l'enfance. Ces deux organisations constituent des partenaires essentiels du Canada afin de répondre aux besoins des personnes touchées par des crises humanitaires.

La situation humanitaire en Syrie et dans la région environnante continue de se détériorer. Selon les Nations Unies, plus de 16 millions de personnes en Syrie et dans les pays voisins ont besoin d'aide humanitaire, ce qui en fait le plus grand nombre de personnes déplacées dans le cadre d'un seul conflit dans le monde.

Le Canada demeure résolu à sauver des vies et à répondre aux besoins les plus essentiels des personnes touchées par la crise syrienne. Jusqu'ici, le Canada a consacré plus de 800 millions de dollars en aide humanitaire, en aide au développement et en aide à la sécurité dans le cadre de cette crise. Ce soutien inclut un financement de 503,5 millions de dollars destiné à l'aide humanitaire, y compris un versement de 100 millions de dollars annoncé le 2 mai 2015 par le premier ministre Stephen Harper. Depuis ce jour, le Canada est le sixième pays en importance qui apporte des secours humanitaires au peuple syrien.

[Traduction]

Compte tenu de l'ampleur de cette crise et du fardeau découlant de l'arrivée de réfugiés sur les gouvernements hôtes, un élément important de l'intervention du Canada a été de fournir du soutien aux pays qui hébergent des réfugiés. Le Canada a fourni plus de 300 millions de dollars en financement humanitaire pour répondre aux besoins humanitaires urgents et plus de 245 millions de dollars en financement de développement pour améliorer l'accès au service et renforcer la résilience des collectivités et des institutions gouvernementales, améliorant ainsi leurs capacités de répondre aux besoins des populations touchées.

Le financement d'aide humanitaire du Canada est fourni à des partenaires d'expérience afin de répondre aux besoins en matière d'alimentation, d'abri, de protection, de santé et d'éducation d'urgence des populations touchées. Dans le cadre de notre intervention, les Nations Unies et d'autres organisations humanitaires d'expérience continuent d'être des partenaires importants pour fournir l'aide à ceux qui en ont le plus besoin, particulièrement les enfants.

Le HCR a déclaré que, durant 2014, les enfants, qui représentent plus de la moitié des réfugiés liés à la crise syrienne, restent à risque d'être victimes de graves violations de leurs droits, comme la main-d'œuvre infantile, le recrutement dans les groupes armés, les mariages précoces et forcés et la violence sexuelle et la violence fondée sur le sexe.

Dans les camps de réfugiés en particulier, les gens peuvent courir des risques accrus liés à la protection, comme la violence sexuelle et la violence fondée sur le sexe, la protection des enfants et la traite de personnes. Ces éléments font partie des considérations qui ont poussé le HCR à adopter sa Politique sur les alternatives aux camps. Il s'agit d'un changement important de l'approche de l'agence puisque la politique préconise que le HCR évite d'établir des camps de réfugiés lorsque c'est possible.

Afin de mieux étayer ses activités, le HCR a commandé une évaluation indépendante en temps réel de ses interventions à l'égard de l'afflux de réfugiés au Liban et en Jordanie. Le rapport sera officiellement publié la semaine prochaine.

Selon nous, ces faits nouveaux sont des mesures positives prises par le HCR et le Canada examinera ce que cela signifie, en pratique, dans le contexte des réfugiés, y compris ceux de la crise en Syrie.

L'UNICEF, quant à lui, continue de fournir une aide humanitaire aux enfants en Syrie et, avec l'appui du Canada et d'autres donateurs, il a obtenu d'importants résultats en 2014, entre autres : il a vacciné plus de 25 millions d'enfants contre la poliomyélite, y compris 2,9 millions d'enfants en Syrie, ce qui a permis d'endiguer la maladie; l'UNICEF et ses partenaires ont fourni des produits chimiques pour le traitement de l'eau potable, afin de nettoyer l'eau de canalisations qui ont bénéficié à 16,5 millions de personnes en Syrie, et ils ont donné de l'eau potable à 2,1 millions de personnes dans des collectivités hôtes et des camps des pays voisins; près d'un million d'enfants ont reçu un soutien psychosocial dans des clubs scolaires et des espaces mobiles et fixes protégés pour les jeunes et les adolescents; et 965 000 enfants ont reçu des vêtements d'hiver, des couvertures et d'autres fournitures pour l'hiver.

[Français]

Pour veiller à ce qu'une génération d'enfants syriens ait accès à un environnement protégé et à des possibilités d'apprentissage, le Canada demeure un fervent défenseur de l'initiative No Lost Generation. En 2014, le Canada a versé 50 millions de dollars pour appuyer cette initiative. Pendant la première année de l'initiative, les partenaires de mise en œuvre ont fourni un soutien à l'éducation à plus de 985 000 enfants, un soutien psychosocial à 660 000 enfants, et des possibilités de formation professionnelle à 60 000 adolescents.

Les partenaires du Canada en matière d'aide humanitaire demeurent résolus à fournir une aide vitale aux personnes les plus vulnérables, dont les enfants. Il est essentiel d'assurer la sécurité des travailleurs humanitaires pour leur permettre de continuer à aider les populations touchées. Cependant, même s'ils respectent les principes d'humanité, d'impartialité, de neutralité et d'indépendance, les travailleurs humanitaires sont exposés à des risques à leur sécurité dans les situations complexes comme celle de la Syrie, où au moins 73 travailleurs de l'aide internationale et syrienne ont perdu la vie et où plus de 200 autres ont été enlevés.

À la suite des récentes attaques contre des travailleurs de l'UNICEF en Somalie, le ministre Paradis a déclaré que la perte d'un seul travailleur humanitaire est inacceptable. C'est pourquoi le gouvernement du Canada continuera d'appuyer des mesures qui accroissent la sécurité des travailleurs humanitaires, afin qu'ils puissent aider ceux qui en ont le plus besoin. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci.

J'ai une question pour vous deux, puis, s'il reste du temps, j'en aurai d'autres à vous poser. La signature récente du protocole d'entente entre le Canada et la Jordanie sur la coopération pour le développement aura-t-elle un impact sur l'intervention dans le cadre de la crise syrienne dans ce pays, surtout du point de vue des enfants?

Compte tenu de ce que Mme Norton nous a dit au sujet des enfants, nous aimerions bien que les fonds soient destinés aux enfants perdus ou à d'autres types d'aide ou d'autres mesures précises.

M. Gwozdecky : Madame la sénatrice, l'expert sur ce dossier n'est pas ici aujourd'hui, mais, ce que nous pouvons dire au sujet du protocole d'entente, c'est que c'est un cadre qui régit l'augmentation très importante de notre soutien au gouvernement de la Jordanie, qui vise en grande partie à aider la Jordanie à gérer la crise des réfugiés et à permettre aux collectivités hôtes à devenir plus résilientes. Le protocole d'entente n'aborde pas expressément la question des enfants, mais fournit plutôt un cadre qui régit de façon générale l'augmentation de nos investissements et de notre soutien à l'intention de ce gouvernement.

La présidente : Merci pour la réponse. Pouvez-vous demander à l'expert de fournir une brève réponse et de l'envoyer au greffier?

M. Gwozdecky : Bien sûr.

La présidente : Merci.

La sénatrice Ataullahjan : Merci d'être là ce matin. La semaine dernière, un témoin, M. Martin Barber, nous a dit que nous devions absolument envisager la situation des réfugiés de façon plus globale; par exemple, en tenant compte des conséquences des réfugiés laissés derrière et de l'impact sur les gens dans les pays hôtes.

Le Canada a-t-il travaillé avec le HCR et d'autres organisations afin d'adopter un point de vue plus général sur les déplacements de réfugiés?

Mme Norton : De façon générale, l'approche des Nations Unies et de la communauté internationale dans le dossier des réfugiés est une approche globale. Cela signifie que nous avons tous dû utiliser tous nos outils dans le cadre de l'intervention.

Pour le Canada, cela signifie explicitement que j'ai travaillé en très étroite collaboration avec mon collègue qui s'occupe des programmes d'aide au développement à long terme dans la région, et avec mon collègue, Mark Gwozdecky, qui s'occupe des politiques. Nous utilisons tous les outils à notre disposition, de pair avec le Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction de façon à réaliser les programmes de renforcement de la sécurité. Et j'ai bien parlé des trois éléments. Nous réunissons tous ces éléments et nous adoptons vraiment une approche globale.

Par conséquent, pendant que les responsables de l'aide humanitaire offriront un soutien aux réfugiés dans les pays hôtes, nous allons aussi nous assurer — par le truchement de nos programmes respectifs — de répondre aux besoins des collectivités hôtes rendues vulnérables par l'arrivée des réfugiés. Dans certains contextes, cela peut passer par le renforcement de certaines institutions et, dans d'autres, par un soutien pour la prestation des services de base. En fait, cela signifie aussi s'assurer que les représentants du HCR et de l'UNICEF dans les pays qui accueillent les réfugiés ont les fonds nécessaires pour répondre aux besoins des réfugiés.

Le sénateur Eggleton : Madame Norton, vous nous avez fourni beaucoup de statistiques sur l'aide fournie par le Canada. Quelle est la fréquence de cette aide? Les fonds sont-ils versés aux particuliers? S'agit-il d'une aide ponctuelle, occasionnelle ou continue?

Il y a 985 000 enfants qui bénéficient d'un soutien en matière d'éducation et 660 000 qui bénéficient d'un soutien psychologique. Parle-t-on ici d'une aide continue, occasionnelle ou ponctuelle? Le savons-nous?

Mme Norton : C'est une bonne question qu'il aurait fallu poser au témoin représentant l'UNICEF. Il s'agit des chiffres pour l'ensemble de 2014. Par conséquent, en ce qui concerne le nombre d'enfants qui ont reçu du counseling psychosocial, ils peuvent avoir reçu, selon le cas et selon leurs besoins, un, deux ou trois séances ou traitements.

Pour ce qui est des vêtements d'hiver — ce dont j'ai aussi parlé —, les couvertures sont fournies une seule fois pour la saison. Puis, il y a aussi l'éducation, qui est une aide plus fréquente.

Cela dépend du secteur ou du besoin comblé. Une fois qu'on sait de quoi on parle, on peut se faire une meilleure idée de la fréquence à laquelle l'aide est fournie.

Le sénateur Eggleton : Oui, nous avons entendu dire que la plupart des enfants ne bénéficient pas toujours d'une éducation. La statistique que j'ai mentionnée plus tôt, c'est 56 p. 100 dans les camps en Jordanie, et 80 p. 100 des jeunes, qui ne sont pas dans des camps au Liban.

Le Canada pourrait-il en faire plus pour fournir à ces populations un soutien plus continu en matière d'éducation?

Mme Norton : La situation est complexe, et j'imagine que ma collègue de l'UNICEF vous l'a souligné. Déjà, cette année, le Canada a fourni 150 millions de dollars pour répondre aux besoins liés à la crise syrienne. Une bonne partie de ces fonds sont consacrés à l'éducation et à l'initiative Non à une génération perdue. Dans le domaine de l'éducation et des urgences, le Canada est l'un des principaux donateurs. Nous sommes actuellement au sixième rang des pays donateurs.

Il faut travailler en étroite collaboration avec les autres États membres et les autres donateurs pour aussi assurer leur participation et les pousser à financer l'éducation en situation d'urgence. C'est l'une des choses sur lesquelles Gordon Brown travaille très dur. Il a travaillé en étroite collaboration avec le ministre Paradis, qui accorde beaucoup d'importance à ce dossier.

Le sénateur Eggleton : Vous avez aussi dit que le HCR a mis en œuvre une Politique sur les alternatives aux camps, et qu'il s'agit d'un important tournant dans l'approche de l'agence puisque cette politique préconise que le HCR évite d'établir des camps de réfugiés lorsque c'est possible.

Quelles sont les alternatives? Prenons la situation au Liban, où les réfugiés se mélangent à la population. Cette situation crée beaucoup de tension. De plus, il semble que, par exemple, les besoins en matière d'éducation ne sont pas bien comblés dans ce pays, où, comme on vient de le dire, il n'y a pas de camp, comparativement aux endroits où il y en a. Alors quelle est la solution de rechange? Quelle serait une solution de rechange raisonnable ici?

Mme Norton : Vous allez recevoir, dans le prochain groupe, l'expert en la matière, Furio De Angelis. Cependant, ce que nous savons, c'est que lorsque les gens résident dans les collectivités hôtes plutôt que dans des camps, une bonne partie de leurs besoins sont mieux comblés. Par exemple, leurs besoins en matière de protection sont mieux comblés parce qu'ils résident très près des collectivités.

Il y a des défis dans les deux cas. Dans ce contexte, si on veut mieux protéger les gens et leur fournir un meilleur soutien, c'est peut-être une meilleure solution. Quel que soit le contexte, il y a des défis. On pourrait dire, d'un côté, que les gens dans des camps sont plus faciles à joindre. L'un des principaux défis au Moyen-Orient, c'est de retrouver les gens qui ne sont pas dans les camps. En zone urbaine, par exemple, c'est beaucoup plus difficile, mais nous préférons nous en remettre aux experts, qui sont les représentants du HCR. Si, selon eux, c'est une solution de rechange, nous devrions l'appuyer.

Le sénateur Eggleton : Vous en avez parlé dans votre déclaration et c'est la raison pour laquelle je vous ai posé la question.

Monsieur Gwozdecky, vous avez dit dans votre conclusion que, essentiellement, les Syriens déplacés dans leur pays et à l'étranger veulent simplement retourner chez eux en paix. Nous le savons tous, mais on ne dirait pas que ce sera possible dans un avenir rapproché.

Qu'est-ce que le Canada pourrait faire d'autre pour les réfugiés, que ce soit en leur permettant de s'installer de façon permanente ou temporaire au Canada? Si je ne m'abuse, durant le conflit dans l'ancienne Yougoslavie, nous avons permis à un certain nombre de personnes de venir ici et nous avons un genre de structure un peu semblable à un camp de réfugiés. Après le conflit, elles sont ensuite retournées là-bas.

Quelles sont les choses qui ont été prises en considération à ce sujet compte tenu des circonstances difficiles dans lesquelles se trouvent ces personnes?

Mme Norton : Sénateur, je vais répondre à cette question. Nous estimons que, dans ce contexte — comme dans bien d'autres —, ce que les réfugiés veulent vraiment, c'est simplement de retourner chez eux.

Le sénateur Eggleton : Oui.

Mme Norton : Je crois que c'est bien établi. Pour ce qui est de savoir si on s'est posé cette question au Canada, je m'en remettrai à nos collègues d'Immigration; c'est eux qui pourront répondre à cette question précise. Quant à savoir si cela a été envisagé au niveau international, je m'en remettrai à nos collègues du HCR. Cependant, vous savez probablement que, le 7 janvier, le ministre Alexander a annoncé que le Canada allait accueillir 10 000 réfugiés syriens au cours des prochaines années. En fait, c'est au cours des trois prochaines années.

Le sénateur Eggleton : Combien y en a-t-il déjà?

Mme Norton : Vous devrez le demander à nos collègues de l'Immigration.

Le sénateur Eggleton : Très peu.

La sénatrice Eaton : J'aimerais revenir sur la question que j'ai posée à la Dre Haque; votre point de vue sera peut- être différent. On fournit souvent l'aide selon une approche sectorielle ou thématique. Avons-nous besoin des deux? Elle parlait d'une transition. De quelle façon pensez-vous que cela pourrait fonctionner? En Syrie, a-t-on adopté une approche thématique, sectorielle ou mixte?

Mme Norton : C'est une très bonne question. Comme elle l'a mentionné, dans toutes les situations d'urgence complexes, on met en place une approche thématique, et je parle ici d'une architecture humanitaire réformée. Je crois qu'elle a aussi mentionné que tout dépend de la solidité du gouvernement en place.

Le contexte est très difficile, parce que, dans les pays avoisinants, vous avez mené l'intervention. C'est une crise de réfugiés, alors le responsable de l'intervention est le HCR, mais, en Syrie, certaines personnes ont été déplacées au sein même du pays, et il y a tout un lot d'autres problématiques humanitaires.

La sénatrice Eaton : Je crois que votre collègue a souligné le fait que la Syrie est divisée en trois factions, Assad, les modérés et les djihadistes. Ne l'avez-vous pas dit au début de vos remarques? C'est très simpliste.

Les secteurs chevauchent-ils ces limites, ou y a-t-il des groupes thématiques dans chaque secteur? Comment les choses fonctionnent-elles en Syrie?

Mme Norton : Pour ce qui est de la Syrie en particulier, je ne pourrais pas vous dire s'il y a des regroupements thématiques dans ces régions exactement. Ce que je peux vous dire, c'est que, pour atteindre le Nord de la Syrie, les Nations Unies travaillent à partir de la Turquie pour réaliser ce qu'ils appellent des activités transfrontalières. Il y aura des groupes thématiques qui travaillent dans le Sud de la Turquie. Dans ce cas, on parle d'approches thématiques, et c'est pour le territoire syrien.

La sénatrice Eaton : Les thèmes, ce sont des choses comme la santé, l'éducation et la protection?

Mme Norton : C'est exact.

La sénatrice Eaton : Et au sud et dans le milieu?

Mme Norton : D'après ce que j'en comprends, on utilise aussi l'approche thématique dans le cadre de l'intervention. Si j'ai bien compris, les groupes thématiques sont mis sur pied... Ce qu'ils font souvent dans ce genre de contexte, c'est qu'ils mettent en place des groupes thématiques dans la capitale, et c'est principalement là que les discussions ont lieu. Cependant, ensuite, dans de nombreuses situations, on crée aussi des groupes satellites dans d'autres villages ou d'autres villes. C'est un peu comme si on mettait sur pied des sous-groupes thématiques; alors les groupes de travail se réunissent. Il peut y avoir un certain nombre de sous-groupes de travail au sein des groupes thématiques.

Si cela peut vous être utile, nous pourrions vous fournir des renseignements précis sur la structure.

La sénatrice Eaton : Le pouvez-vous? Notre recherchiste a besoin de cette information pour notre rapport.

La présidente : J'ai deux questions à poser. Premièrement, si je comprends bien, on utilise une approche thématique en Syrie, puis une approche sectorielle à l'extérieur. C'est bien le cas? Deuxièmement, quel est le mécanisme de coordination utilisé dans le cadre de l'intervention visant les réfugiés?

Mme Norton : Le mécanisme de coordination, puisqu'il s'agit d'une intervention liée aux réfugiés, relève du HCR. Les représentants du HCR pourront vous fournir tous les renseignements à ce sujet lorsqu'ils comparaîtront après nous. Dans le cas des réfugiés, on parle d'une intervention standard. Cependant, la situation est plus complexe parce que, juste à côté, il y a la crise syrienne, qui, comme vous le savez bien, n'est pas une crise touchant des réfugiés.

Il y a un coordonnateur régional de l'aide humanitaire à Amman, il y en a aussi un dans chacun des pays qui accueillent des réfugiés, puis un autre en Syrie. Les équipes travaillent en collaboration de façon à s'assurer d'adopter une approche globale dans le cadre de la crise syrienne. Je crois qu'ils se sont vraiment réunis pour la première fois l'année dernière pour lancer une campagne. Avant, les approches étaient complètement différentes, puis ils se sont réunis afin de lancer une seule campagne pour toute la crise.

La présidente : Je comprends que le HCR est responsable de la coordination, mais n'y a-t-il pas aussi un coordonnateur de l'aide humanitaire? Et tous ces intervenants travaillent-ils en collaboration ou chacun de leur côté? Comment cela fonctionne-t-il?

Mme Norton : Oui, il y a un coordonnateur régional de l'aide humanitaire et il travaille en très étroite collaboration avec le HCR.

La sénatrice Eaton : Un certain nombre de témoins nous ont dit que la préaffectation des fonds et les courts cycles de financement limitaient l'efficacité de l'aide. D'un autre côté, de quelle façon pouvons-nous prendre des arrangements de financement plus souples tout en nous assurant que les bénéficiaires sont redevables à l'égard des pays donateurs? Pouvez-vous nous fournir une ventilation des fins précises auxquelles sont réservées certaines parts du financement canadien à l'UNICEF et au HCR?

Mme Norton : Nous pouvons vous envoyer cette information, madame la sénatrice.

La sénatrice Eaton : Merci beaucoup.

La sénatrice Andreychuk : Je veux revenir sur la question de la Politique sur les alternatives aux camps. Nous mettons en place des camps de réfugiés et nous participons à leur gestion. En fait, ce sont les Nations Unies qui les mettent sur pied. Ils étaient toujours considérés comme temporaires : les camps ont été mis sur pied, et les services, fournis. Cependant, puisque les conflits perdurent, ces camps deviennent de plus en plus permanents. C'est à ce moment-là que nous avons découvert certains inconvénients des camps. Nous connaissions certains des avantages des camps; nous savions qu'ils favorisaient l'accès à l'alimentation, à l'éducation et aux loisirs pour les enfants, mais on a ensuite constaté que certains belligérants s'y trouvaient, et on a alors commencé à remarquer certains des désavantages des camps.

Je crois que nous avons passé quelques décennies à apprendre vraiment ce qui se passe dans les camps, à en connaître les avantages et les inconvénients. Maintenant, nous tentons de trouver des alternatives aux camps, ce qui est peut-être le cas en Syrie.

De quelle façon le Canada surveillera-t-il ces deux concepts? D'un côté, je crois que les alternatives aux camps ont leur place. Je vois une bonne réaction de membres de la communauté internationale, y compris des Nations Unies, qui comprennent qu'il faut gérer les problèmes dans le pays hôte. Par exemple, les différences entre la Jordanie et le Liban. Nous n'allons pas laisser ces enfants à leur sort. Nous essayons de nous assurer qu'ils obtiennent un certain niveau de services que le HCR fournit aux réfugiés afin qu'il n'y ait pas de tension entre eux.

Je trouve remarquable que la communauté internationale s'efforce de trouver la meilleure solution et d'utiliser ces deux approches, mais j'aimerais bien savoir quel genre de suivi on fera de ces deux concepts pour déterminer à quel moment et de quelle façon il faut les utiliser. En guise de préface, la Syrie était presque un pays de classe moyenne, au sens où il y avait certaines normes en matière d'éducation; les gens avaient des attentes très, très élevées. Lorsque le conflit a éclaté, plein de personnes sont parties, que ce soit temporairement ou de façon permanente, alors il s'agissait de leurs attentes, de leurs besoins. De plus, le conflit syrien est beaucoup plus particulier que le conflit somalien — que j'ai connu — ou que le conflit au Soudan. Chaque conflit amène son lot de difficultés et d'attentes.

Il n'existe pas une solution universelle. Ce serait bien de savoir de quelle façon le Canada fera le suivi des réussites. Nous allons très certainement demander aux représentants du HCR comment ils prévoient assurer une surveillance.

M. Gwozdecky : Madame la sénatrice, c'est une très bonne question. J'aimerais parler en premier, puis je demanderais à Leslie de vous parler de la surveillance.

Ce qui rend cette région assez différente de bon nombre d'autres régions, c'est le fait qu'il y a une grande homogénéité au sein des populations, de part et d'autre des frontières. Les personnes dont on parle, particulièrement dans le Nord de la Jordanie, le Sud de la Syrie et certaines parties du Liban, ce sont les mêmes populations, et elles ont d'importants liens tribaux et familiaux. Dans une certaine mesure, on peut tirer parti de cette situation, et nous avons vu dans les premiers temps que beaucoup de personnes du Sud de la Syrie traversaient en Jordanie et allaient vivre dans leur famille, chez des parents lointains ou des amis.

Dans une certaine mesure, il s'agit d'un résultat plus souhaitable, et je le dis en réponse à la question du sénateur Eggleton concernant une bonne solution de rechange aux camps. Il est préférable d'aller vivre chez des membres de la famille, des parents éloignés ou des amis, comme on l'a vu pour les premières vagues de réfugiés, mais il y a une limite. À un moment donné, ces liens ne sont plus là, ou ils ont tous été utilisés, et les personnes n'ont plus de systèmes de soutien pour intégrer les collectivités. C'est là qu'il faut fournir un réel soutien.

Je dirais qu'il est aussi important de ne pas oublier qu'il y a des camps officiels — des camps avec un « C » majuscule — exploités et soutenus par le HCR. Ce sont les camps qu'on voit habituellement à la télévision et qui semblent être de nature temporaire. Puis, il y a des camps partout au Liban et en Jordanie, de nature palestinienne. Ce sont des camps, mais, en fait, il s'agit de banlieues des grands centres sans caractéristiques distinctives, sans délimitations. Ce sont des secteurs de villes où se retrouvent principalement des Palestiniens. Puis, il y a une troisième catégorie, soit les collectivités hôtes. Ces collectivités ont été forcées à absorber des réfugiés, et ces derniers s'installent partout où ils peuvent. Dans ces cas, les réfugiés sont dispersés dans les collectivités.

Les solutions doivent tenir compte de ces trois catégories, et je crois que Mme Norton peut vous en parler.

Mme Norton : Merci beaucoup de la question. Toutes les politiques qui sont adoptées par le HCR sont, en fait, adoptées par son conseil d'administration, le comité exécutif, dont nous sommes membres depuis longtemps. Il serait peut-être opportun de revenir à avant l'adoption de toutes les politiques. L'analyse sur laquelle on a appuyé les politiques est très importante : ce dont on a tenu compte, dans ce cas, c'est le point de vue des réfugiés et des collectivités hôtes, le contexte politique, la situation en matière de protection et la quantité de personnes déplacées.

Passons à la question de la surveillance. J'ai mentionné que le HCR allait réaliser une évaluation indépendante officielle en temps réel de son intervention touchant l'influx de réfugiés. C'est l'une des façons dont le HCR se penche sur la question. Nous travaillons par l'intermédiaire de nos missions sur le terrain, et nous leur demandons d'assurer un suivi. Nous avons aussi des missions de surveillance à partir de l'administration centrale.

Nous allons aussi demander au HCR son rapport sur l'application de cette politique durant les prochaines réunions du comité permanent et du comité exécutif. Au besoin, si nous estimons qu'il s'agit vraiment d'une innovation, nous demanderons là aussi une évaluation.

Le HCR possède une très bonne fonction d'évaluation, et, historiquement, le Canada a travaillé très dur avec l'agence pour en garantir la robustesse. Il y a aussi une autre façon pour nous de nous assurer que l'on mette l'accent sur l'application de cette politique pour déterminer si elle est effectivement efficace dans le contexte.

La sénatrice Andreychuk : Personnellement, ma préoccupation, c'est qu'il y a des enfants réfugiés non seulement en raison de la crise syrienne, mais aussi en raison de catastrophes naturelles et de situations politiques. Nous examinons les besoins des enfants et nous voulons assurer une certaine équité d'échelle en ce qui concerne la contribution du Canada. Je surveille d'autres situations de réfugiés, tout comme je surveille la crise syrienne. Je suggérerais qu'on procède à une évaluation pour déterminer si nous sommes justes à l'égard des enfants à l'échelle internationale.

La présidente : Une fois encore, merci beaucoup d'être ici et de soutenir notre travail. Nous avons hâte de travailler avec vous.

Nous accueillons maintenant notre dernier témoin pour l'étude. Je crois que nous avons commencé par vous; nous sommes donc très heureux que M. Furio De Angelis, du Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, soit ici pour aider à soutenir notre travail. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à dire. Comme vous pouvez le constater, nous avons déjà de nombreuses questions à vous poser.

[Français]

Furio De Angelis, représentant au Canada, Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés : Honorables membres du comité, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'inviter encore une fois à comparaître devant le comité au nom du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

Depuis le dernier exposé que j'ai fait devant le comité, la situation en Syrie et dans la région s'est détériorée. La guerre s'intensifie et l'aide humanitaire ne fait que se prolonger.

[Traduction]

Plus de 3,9 millions de réfugiés sont maintenant inscrits dans des pays limitrophes, et ils sont de plus en plus pauvres et vulnérables. Les pays d'accueil ont atteint leur point de rupture. Les conditions de vie se détériorent dans toutes les régions, et le soutien international ne suffit pas à assurer les besoins humanitaires les plus fondamentaux. La tension entre les communautés s'accroît puisque de nombreuses familles ont de plus en plus de mal à s'en sortir à mesure que le conflit s'éternise.

En Syrie, plus de 12 millions de personnes ont besoin d'aide pour rester en vie, et près de 8 millions de personnes ont été forcées de quitter leur maison, de partager des chambres bondées avec d'autres familles ou de camper dans des immeubles abandonnés. On estime qu'environ 4,8 millions de Syriens à l'intérieur du pays se trouvent à des endroits difficiles d'accès, y compris 212 000 personnes piégées dans des régions assiégées.

Outre les Syriens, les retombées qu'a eues la crise en Irak ont forcé le déplacement de 2,2 millions d'Irakiens à l'intérieur du pays, et de plus de 220 000 Irakiens vers des pays limitrophes. Puisque les pays d'accueil non seulement font face à des risques pour la sécurité croissants liés à l'expansion du conflit dans la région, mais ne reçoivent pas l'aide dont ils ont besoin pour composer avec l'arrivée des réfugiés, il est extrêmement difficile pour les Syriens et les autres personnes déplacées de trouver un endroit sécuritaire. Vu la situation de plus en plus désespérée dans laquelle se retrouvent les réfugiés et les pays d'accueil, cela ne surprend personne, selon moi, que de plus en plus de réfugiés soient forcés de se déplacer plus loin.

Depuis janvier, quelque 61 500 personnes ont traversé la Méditerranée par bateau afin d'obtenir une protection en Europe. Il s'agit du double comparativement à la même période l'année passée, et, comme vous l'apprenez aux actualités, ce chiffre s'accroît quotidiennement.

Déjà, plus de 1 800 réfugiés se sont noyés en 2015, et ce chiffre augmente de jour en jour. Les réfugiés en provenance de la Syrie représentent 33 p. 100 de ces arrivées. Pour ce qui est des autres réfugiés, 10 p. 100 proviennent d'Afghanistan, 10 p. 100, de l'Érythrée, et 8 p. 100, de la Somalie, ce qui confirme en grande partie le fait que ces déplacements sont essentiellement effectués par des réfugiés.

À mesure que les réfugiés deviennent de plus en plus désespérés, des milliers d'enfants tentent aussi de s'éloigner du conflit, ce qui les rend vulnérables aux passeurs et aux trafiquants. Parmi les 25 000 enfants qui sont arrivés par bateau en Europe du Sud l'année dernière, plus de la moitié n'étaient pas accompagnés. Des centaines d'autres se sont noyés en tentant de traverser la Méditerranée.

Durant les trois premiers mois de 2015, 900 enfants sont arrivés dans des bateaux de passeurs, et 610 de ces enfants n'étaient pas accompagnés. La protection des enfants réfugiés est au cœur des priorités du HCR, et nous devons collaborer étroitement avec tous les intervenants à cet égard.

Nous devons en faire plus pour assurer la sécurité des enfants réfugiés en leur donnant accès à une éducation de qualité, à des soins psychosociaux et à un soutien ciblé pour ceux qui ont des besoins particuliers et en nous assurant qu'ils ont été enregistrés à leur naissance. Toutefois, il est tout aussi important de soutenir leur famille et communauté afin qu'elles puissent mieux les protéger. Dans ce contexte, il ne fait aucun doute que nous avons fait du progrès, puisque les travailleurs humanitaires tentent de garder en vie des millions de personnes déplacées. Ce progrès est toutefois malheureusement atténué par le vrai problème qui continue de frapper la Syrie et les pays de la région. Le vrai problème, c'est la prolongation du conflit armé et les graves violations des droits de la personne.

Monsieur le président, honorables membres du comité, mesdames et messieurs, il n'est pas dans mes intentions aujourd'hui de présenter au comité un examen complet des progrès que nous avons accomplis depuis notre dernière séance. Permettez-moi de souligner deux exemples qui méritent notre attention avant de vous faire part du point de vue du HCR au sujet de deux enjeux clés que nous considérons comme ayant une importance et une pertinence particulières dans le cadre de l'étude.

Les avancées et les programmes se retrouvent dans le mémoire que nous avons préparé pour la Bibliothèque du Parlement à des fins d'information et que vous devriez tous avoir en votre possession.

On dit souvent qu'une crise sans précédent exige des réactions sans précédent. Par sa grande complexité et son ampleur, la crise syrienne a incité et forcé les intervenants du secteur humanitaire à repenser la façon dont l'aide est prodiguée, simplement parce que les façons de faire habituelles ne suffisent pas à répondre aux besoins.

Puisque plus de 80 p. 100 des réfugiés dans la région vivent à l'extérieur des camps, ce qui exige différentes formes d'intervention et de prestation d'aide, au Liban et en Jordanie, le HCR et ses partenaires ont mis sur pied des sites web permettant aux réfugiés de communiquer directement avec les organisations, de poser des questions et d'obtenir des renseignements relatifs au processus d'inscription. De plus, nous utilisons de plus en plus l'inscription biométrique et la lecture de l'iris afin de porter une aide ciblée plus efficace aux gens les plus vulnérables.

Les bons alimentaires et les dons en espèces remis aux familles très vulnérables non seulement leur permettent d'avoir la dignité de pouvoir choisir, mais nous commençons à constater que les dons en espèces aident à améliorer la qualité générale de l'aide et la qualité de vie.

Grâce à son partenariat avec la Cairo Amman Bank, la Jordanie est le premier pays au monde qui utilise la lecture de l'iris pour permettre aux réfugiés d'avoir accès à leurs liquidités sans qu'ils aient besoin d'une carte bancaire ou d'un NIP. La technologie apporte un certain nombre d'avantages puisque les réfugiés utilisent leur iris pour s'identifier. Le système profite aussi de coûts indirects très bas, ce qui signifie que pour chaque dollar donné au programme d'aide en espèces, plus de 98 cents se retrouvent dans les poches des réfugiés.

Actuellement, environ 23 000 familles syriennes vivant dans les régions urbaines de la Jordanie reçoivent mensuellement de l'aide en espèces, mais des milliers de familles dans le besoin se trouvent sur une liste d'attente et ne peuvent pas recevoir d'aide si d'autres fonds ne sont pas alloués.

Pour revenir à notre principale préoccupation, la situation des enfants, l'enjeu des enfants réfugiés est important pour le HCR. À mesure que la situation des réfugiés perdure et devient de plus en plus désespérée, l'un des risques qui nous préoccupent le plus continue d'être la menace croissante qui pèse sur la génération perdue des enfants syriens. En Syrie, plus de 2,4 millions d'enfants ne fréquentent pas l'école. Parmi les réfugiés, près de la moitié des enfants ne reçoivent pas d'éducation en exil. Au Liban, il y a davantage de réfugiés d'âge scolaire que de places dans l'ensemble des écoles publiques du pays, et seulement 20 p. 100 des enfants syriens sont inscrits à l'école. Des statistiques semblables peuvent être observées parmi les réfugiés qui vivent à l'extérieur des camps en Turquie et en Jordanie.

Même si les organisations humanitaires ont accompli certains progrès en ce qui a trait au renforcement des systèmes nationaux et communautaires afin de permettre aux enfants réfugiés de profiter d'un accès accru à l'éducation et à la protection, l'augmentation de la pauvreté risque de miner ces avancées, puisqu'elle peut forcer les parents à retirer leur enfant du système scolaire. Le risque d'apatridie constitue une autre préoccupation à l'égard des enfants. Je répète que l'enregistrement à la naissance est un droit pour tous les enfants en vertu du droit international; parmi les 100 000 réfugiés syriens nés en exil, nombreux sont ceux qui font face au risque d'être apatrides.

Même si les gouvernements jordanien et libanais permettent aux réfugiés syriens d'enregistrer les enfants nés dans leur pays, pour maintes raisons, de nombreuses naissances ne sont pas enregistrées, y compris à cause de la complexité du processus d'enregistrement à la naissance et de l'impossibilité de fournir des documents d'identité valables. Nous croyons que si la situation n'est pas bien gérée, cette crise latente pourrait avoir d'énormes conséquences pour l'avenir, non seulement en Syrie, mais dans toute la région.

J'aimerais vous présenter un deuxième défi lié au financement et pour lequel il faut prendre des mesures d'urgence. Le HCR s'occupe de davantage de Syriens que de gens de toute autre nationalité; pourtant, à la fin de l'année passée, seulement 54 p. 100 du financement nécessaire pour aider les réfugiés à l'extérieur de la Syrie avaient été recueillis. À l'intérieur de la Syrie, les organisations humanitaires ont reçu encore moins de financement.

J'aimerais exprimer ma reconnaissance envers le Canada pour le soutien financier qu'il a fourni au HCR relativement à la crise syrienne. La contribution totale du Canada au cours des deux dernières années pour la situation en Syrie atteint 31 millions de dollars canadiens et a principalement été allouée à nos activités en Syrie, au Liban, en Jordanie, en Turquie et en Égypte. Les contributions les plus récentes reçues en 2015 pour la situation syrienne à l'échelle mondiale ont été de 17 millions de dollars canadiens. Le fait que, sur les 80,7 millions de dollars qu'a octroyés le Canada en 2014 au HCR — une contribution record —, 22 p. 100 ont servi à répondre aux besoins humanitaires liés à la situation en Syrie représente un autre indicateur important.

Les Nations Unies ont évalué que répondre aux besoins humanitaires liés à la crise syrienne cette année coûterait 8,4 milliards de dollars. Cette somme comprend les dépenses liées à deux éléments principaux : 2,9 milliards de dollars pour les plus de 12 millions de personnes déplacées à l'intérieur de la Syrie et 5,5 milliards de dollars pour le programme des réfugiés, le plan régional pour les réfugiés et la résilience. Ces fonds permettront d'offrir un soutien direct à près de 6 millions de personnes, y compris un nombre prévu de 4,27 millions de réfugiés à la fin de 2015, et à plus de un million de personnes vulnérables dans les collectivités d'accueil.

Derrière ces chiffres immenses se cachent des êtres humains — des femmes, des hommes et des enfants — qui ont des besoins immédiats et pressants. Des engagements importants ont été pris dans le cadre de la conférence au Koweït le 31 mars 2015, ce que nous apprécions, mais il en faut beaucoup plus étant donné l'échelle de la crise. Même si nous apprécions le soutien continu du Canada à l'égard des activités du HCR en Syrie, l'importance des besoins humanitaires m'oblige à continuer de demander que plus de fonds soient alloués à cette immense tragédie humanitaire.

Le plan régional pour les réfugiés et la résilience constitue un élément différent des autres, puisqu'il reconnaît le besoin immédiat et à long terme de réagir à la crise en combinant des éléments humanitaires et des éléments liés à la résilience. La demande de financement a été élaborée en étroite collaboration avec plus de 200 partenaires et gouvernements d'accueil. Elle vise à garantir que nous puissions répondre aux besoins fondamentaux des réfugiés et les empêcher de tomber dans une pauvreté abjecte en nombres de plus en plus importants.

Nous demandons un soutien humanitaire continu pour des activités fondamentales de protection et de sauvetage, afin de prévenir certains des terribles risques auxquels font face les réfugiés, comme le travail des enfants, le recrutement des enfants, l'exploitation et la violence sexuelles ou les mariages précoces. La demande vise aussi à fournir un abri, de l'eau et des services d'assainissement, des soins de santé de base et une éducation à un plus grand nombre d'enfants. Nous espérons être en mesure de compter sur le soutien de dons généreux pour les activités de toutes les organisations dans le cadre du plan régional pour les réfugiés et la résilience.

En dernier lieu, en ce qui a trait au financement, j'aimerais réitérer la demande à long terme du haut-commissaire, M. António Guterres, en ce qui a trait à l'urgence d'apparier, d'une façon coordonnée, le mécanisme de financement de la communauté internationale des donateurs et les besoins humanitaires et besoins en matière de développement à long terme.

Le budget d'aide humanitaire seul est loin d'être suffisant pour permettre de répondre ne serait-ce qu'aux besoins fondamentaux, et les intervenants du secteur du développement doivent prendre les devants et soutenir les efforts et les solutions à long terme en vue de régler une situation qui perdure pour les réfugiés.

La présidente : Le document du HCR que vous avez mentionné n'était malheureusement disponible qu'en une seule langue; toutefois, nous le faisons actuellement traduire, et nous le distribuerons.

Il y a eu de nombreuses questions au sujet de l'approche thématique et de l'approche sectorielle, et je crois comprendre que le Bureau de la coordination des affaires humanitaires coordonne l'approche thématique tandis que votre bureau, le HCR, utilise l'approche sectorielle.

Il y a des personnes qui écoutent votre exposé; par conséquent, pouvez-vous définir ce qu'est l'approche thématique comparativement à l'approche sectorielle, et expliquer de quelle façon ces deux approches diffèrent en matière d'affaires humanitaires? De plus, deux approches sont-elles nécessaires?

M. De Angelis : C'est exact. C'est l'orientation que prennent toutes les communautés internationales actuellement afin d'être mieux coordonnées, puisque l'échelle des besoins et des activités est telle que les intervenants internationaux et les organisations doivent coordonner davantage leurs activités.

Le mandat du HCR, qui lui a été attribué par l'Assemblée générale des Nations Unies, est de rendre des comptes à la communauté internationale à l'égard des responsabilités liées à la protection des réfugiés. Il constitue le point de départ.

Dans le passé, cela a été fait pour réagir à une crise de réfugiés; puis, dans les années 1990, comme vous le savez, avec le changement général de l'ordre mondial en ce qui a trait à la situation des conflits et au fait que les conflits devenaient de plus en plus complexes, puisqu'ils sont devenus nationaux et internes, ce qui a causé une augmentation du nombre de personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, il est devenu urgent de nous occuper des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays, ce qui ne correspondait pas auparavant au mandat traditionnel du HCR.

Par conséquent, pour ce qui est des déplacements internes, il y a eu une situation pour laquelle les organismes des Nations Unies ont adopté une approche thématique, et les réformes ont commencé au début des années 2000. En 2005, le Comité permanent interorganisations, l'IASC, a organisé une réaction fondée sur des approches thématiques. Cela signifie que plusieurs organisations s'attachent à des thèmes particuliers, et, comme l'a dit l'UNICEF, l'organisation qui dirige l'approche thématique de l'eau, de l'assainissement et de l'éducation — le HCR dirige l'approche thématique de la protection, des abris et des produits non alimentaires —, différentes organisations s'occupent de différents thèmes en fonction de différentes approches.

Toutefois, être le dirigeant d'une approche thématique signifie qu'il faut travailler avec les autres organisations; donc, dans les situations de déplacement interne, tous les organismes de l'ONU travaillent ensemble sous la conduite du dirigeant de l'approche, selon les différents besoins opérationnels, et sous la coordination générale du coordonnateur des affaires humanitaires.

En ce qui a trait à la situation des réfugiés, le mandat traditionnel du HCR demeure en place, ce qui fait en sorte qu'il est, au sein du système, l'organisme responsable de l'aide aux réfugiés; toutefois, ces activités deviennent de plus en plus intégrées. Il y a différentes modalités opérationnelles. Un système modèle de coordination de l'aide aux réfugiés a été mis en œuvre afin de coordonner le travail du coordonnateur des affaires humanitaires et du représentant du HCR relativement à l'aide aux réfugiés afin que le coordonnateur des affaires humanitaires puisse établir un pont entre les activités d'aide aux réfugiés et les activités liées au déplacement interne et créer un lien opérationnel qui peut ensuite permettre d'offrir de l'aide de façon efficace.

Cela est de plus en plus nécessaire à cause de la complexité des conflits et du fait que les activités d'aide ont maintenant une très large portée, si nous ne pensons qu'aux collectivités d'accueil. Les collectivités d'accueil qui pourraient ne pas être déplacées constituent un acteur important dans l'aide aux réfugiés et leur protection.

La première réaction dans le cas d'une situation d'urgence concernant des réfugiés provient des collectivités d'accueil, qui sont capables de recevoir les réfugiés dans les tout premiers jours de l'urgence.

La sénatrice Ataullahjan : Je voulais que vous mettiez quelques éléments au clair. Nous avons entendu des témoins; certains ont dit que le mandat du HCR a changé, alors que d'autres ont dit qu'il n'y avait eu aucun changement important au cours des années. Y a-t-il eu un changement dans le mandat ou les activités du HCR?

M. De Angelis : Le mandat n'a pas changé, puisque le mandat correspond toujours à la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies qui a fondé, en décembre 1950, le HCR, une organisation qui a le mandat d'offrir une protection internationale aux réfugiés, d'aider les gouvernements à leur offrir une protection et de trouver des solutions durables dans le cas d'une situation de réfugiés.

Le monde change. Particulièrement à la suite des années 1990, nous savons tous que le monde change, et les crises internationales ont évolué, ce qui a fait en sorte que le HCR, ainsi que les autres organismes de l'ONU, ont adapté leurs modalités opérationnelles à de nouvelles réalités.

Avant les années 1990, disons avant la fin de la guerre froide, le HCR était une organisation qui réagissait aux crises de réfugiés, et elle ne travaillait que du côté de l'accueil des réfugiés; nous recevions les réfugiés et travaillions de façon à nous adapter au flux de réfugiés qui fuyaient la crise.

Avec la nature changeante des conflits, puisque plus de conflits internes ont éclaté durant les années 1990, nous avons vu le HCR et d'autres organisations œuvrer à l'intérieur des régions de crise et de conflit, aider les collectivités d'accueil et mener ces activités en coordination avec d'autres organisations.

C'est le monde et les modalités opérationnelles qui ont changé tout autour des intervenants du secteur humanitaire, et ces acteurs ont adapté leurs modalités opérationnelles aux nouvelles réalités. Le mandat juridique demeure le même.

La sénatrice Eaton : J'allais poursuivre sur ce que la sénatrice Ataullahjan et vous-mêmes disiez. Le HCR est-il responsable des réfugiés, ou est-ce plutôt le pays où ils se réfugient? Au bout du compte, qui est responsable de ce très important déplacement?

M. De Angelis : Eh bien, en vertu du droit international, au bout du compte, ce sont les pays d'accueil et les gouvernements qui en sont responsables puisqu'il s'agit d'États souverains et que peu importe ce qui arrive sur leur territoire, ils sont responsables d'accueillir les réfugiés.

L'Organisation des Nations Unies, en tant que système, est une organisation intergouvernementale. Comme vous le savez, les organisations des Nations Unies ont un mandat attribué par l'Assemblée générale, qui est l'assemblée générale de tous les pays. L'Assemblée générale établit des mandats internationaux pour les organisations afin de faciliter le travail des pays conformément au droit international et de s'assurer que les normes internationales pour le HCR — les normes internationales relatives à la protection des réfugiés à l'échelle internationale — sont appliquées dans les pays.

La sénatrice Eaton : Par conséquent, au bout du compte, le Liban et la Jordanie sont responsables des réfugiés qui se trouvent sur leur territoire?

M. De Angelis : Selon le droit international, bien sûr, ils le sont.

La sénatrice Eaton : Et en pratique?

M. De Angelis : Selon le droit international, ils le sont, puisqu'ils sont des États souverains.

La sénatrice Eaton : Oui.

M. De Angelis : Toutefois, le système des Nations Unies mène ses activités avec leur accord et leur aide afin de s'assurer que les normes internationales sont respectées. De plus, la communauté internationale est en mesure de fournir de l'aide; donc, les organisations des Nations Unies facilitent la prestation de l'aide internationale à cet égard et agissent directement avec le gouvernement et par l'entremise des programmes d'aide humanitaire des gouvernements.

La sénatrice Eaton : C'est peut-être une question délicate, mais, en pratique, depuis que vous et moi avons grandi, les Nations Unies semblent avoir perdu beaucoup de leur pouvoir politique dans le monde. À la suite de la guerre, dans les années 1950 et 1960, quand les Nations Unies disaient quelque chose, le monde s'arrêtait et écoutait. Maintenant, l'opinion des Nations Unies semble être presque un bruit de fond. L'organisme ne semble pas avoir l'influence politique qu'il avait.

Ressentez-vous cela au sein de l'organisation? Cela gêne-t-il votre travail?

M. De Angelis : Le HCR est une organisation internationale et représente la division humanitaire des Nations Unies. Quand nous parlons du système des Nations Unies et des organismes des Nations Unies, que sont les Nations Unies? Il s'agit d'une organisation intergouvernementale. Le Canada et tous les autres pays du monde constituent les Nations Unies.

Les Nations Unies constituent un outil dont disposent les gouvernements et peuvent agir de façon très efficace quand les gouvernements le veulent.

Il y a une division politique au sein des Nations Unies qui représente les intérêts politiques de la communauté internationale. Puis, il y a les organisations d'aide humanitaire internationales qui réagissent aux crises humanitaires en tentant de canaliser toute l'aide humanitaire internationale et d'accroître la sensibilisation aux crises humanitaires et l'attention portée à celles-ci afin que l'on réagisse.

Une fois encore, tous les organismes et les systèmes de l'ONU sont des outils dont disposent les gouvernements, et il incombe aux gouvernements de les rendre efficaces à l'aide de leur gouvernance et de financement, bien sûr. Le HCR, comme cela a été dit, est gouverné par un comité exécutif dont le Canada est vice-président, et il deviendra président après avoir été vice-président. Il s'agit d'un comité d'États qui gouverne les organismes, approuve le budget et donne des directives relativement aux activités principales.

La présidente : Quand M. François Audet a témoigné devant le comité, il a dit ce qui suit :

[...] Je crois que le HCR ne devrait s'intéresser qu'à la protection des réfugiés, comme le stipule d'ailleurs son mandat, et non à l'assistance directe. On pourrait alors laisser à d'autres organisations, à des ONG et à l'UNICEF, le soin de faire de l'assistance humanitaire, et restreindre le HCR à son mandat de protection.

Pourriez-vous commenter ces propos, s'il vous plaît?

M. De Angelis : Les commentaires seront très longs. Il s'agit d'un thème très large, et c'est un débat important à cet égard.

Je veux simplement répéter que la nature complexe des conflits et des activités humanitaires actuels exige vraiment la participation de toutes les organisations et le rassemblement coordonné des différents mandats afin que nous puissions réagir de façon efficace. Sinon, nous allons échouer.

Comme je l'ai dit, le financement provenant de la communauté internationale constituerait une nécessité absolue à cet égard.

Le sénateur Eggleton : J'ai retenu, de votre déclaration préliminaire, la phrase suivante : « une crise sans précédent exige une réaction sans précédent », ou quelque chose du genre, ce ne sont peut-être pas les mots exacts. Vous avez dit à quelques reprises qu'un financement accru fait à coup sûr partie de cette réaction.

Quelles sont les autres parties de cette réaction? Que ferait le HCR qui pourrait être vu comme étant une réaction sans précédent ou innovatrice?

M. De Angelis : Nous tentons d'accroître la sensibilisation chez les gens du monde entier. Concentrons-nous un moment sur ce qui arrive tous les jours actuellement dans la Méditerranée. Je me suis réveillé le matin; j'ai écouté les actualités internationales et les actualités sur ma chaîne italienne, et c'est un désastre. Tous les jours, des milliers de personnes s'y aventurent, et des centaines d'entre elles pourraient s'être noyées dans la mer. Les statistiques que je vous ai données ce matin sont déjà dépassées.

Combien de Titanic ont déjà été perdus en mer? Et quel a été l'impact sur les émotions des gens à l'échelle nationale, si vous comparez cela à un accident du genre, par exemple? D'accord, l'époque historique n'est pas la même, mais je veux tout de même poser la question suivante : sommes-nous prêts à réagir en tant que personnes, en tant que collectivités, en tant que pays, en tant que classe politique et en tant qu'êtres dotés d'une conscience? Sommes-nous prêts à avoir une réaction appropriée et à ressentir une indignation adéquate?

C'est important. Nous tentons d'accroître la sensibilisation à cet égard.

Cela créerait le contexte, disons, qui permettrait un financement adéquat. Les systèmes sont en place, mais le financement est limité. Nous constatons que le financement de l'appel en faveur d'une aide humanitaire pour la crise syrienne se tarit graduellement. Dans les premières années, 2011 et 2012, le financement était plus généreux, et il a atteint les 70 p. 100, si je me souviens bien. L'année dernière, nous avons descendu à 50 p. 100. Plus la guerre et le conflit perdurent, plus il est difficile d'attirer l'attention nécessaire et de recueillir des fonds.

C'est pourquoi je parle de l'importance du soutien des collectivités d'accueil. Les collectivités d'accueil ont été les premiers répondants, les prestataires de services durant la crise syrienne. Maintenant, les collectivités d'accueil sont épuisées. Les conditions de vie se détériorent. C'est pourquoi il est important de maintenir le financement à des taux adéquats.

La sénatrice Hubley : Le financement est sans aucun doute un sujet que nous devons aborder. En 2014, vous avez mentionné avoir reçu à peine 24 p. 100 du financement requis relativement à la crise syrienne. Il est possible que je n'aie pas le bon pourcentage, mais vous pouvez me corriger. Cela signifierait qu'il y aura des choix difficiles à faire. Des choix difficiles doivent être faits à cause du manque de ressources.

Pouvez-vous me dire ce qui est arrivé? Avez-vous eu à faire des choix difficiles? Quels secteurs sont les plus touchés quand le financement n'est pas à la hauteur des besoins?

M. De Angelis : Quand le financement n'est pas suffisant, il y a une baisse générale de l'aide qui peut être fournie. Pour nous, il est très important d'obtenir au tout début de la crise de réfugiés des données précises relatives aux problématiques particulières et à l'inscription. Le HCR est responsable de l'inscription, qui est le point d'entrée pour tous les types de services.

Nous accordons beaucoup d'importance au fait d'avoir des données d'inscription exactes qui nous permettent de connaître les besoins particuliers que nous devons gérer. Si les fonds sont insuffisants, nous devons favoriser les catégories de besoins particuliers qui auraient la priorité dans le cas d'une réduction générale des services.

Pour ce qui est de votre question, oui, des décisions difficiles sont prises en ce qui a trait à une possible baisse générale de l'aide; toutefois, en même temps, nous utilisons notre technologie et nos systèmes d'inscription améliorés afin de cerner les secteurs où les services doivent vraiment être maintenus, malgré le manque de financement. Il s'agit d'établir des priorités en matière de répartition de ressources.

La présidente : Une fois encore, merci d'être ici. Quand vous parliez de la crise... je viens de revenir de la Turquie, et j'ai vu deux millions de réfugiés être placés dans des camps, principalement grâce aux efforts du gouvernement turc; c'est donc une crise très importante, et beaucoup de travail vous attend. À coup sûr, nous comprenons les défis auxquels vous faites face. Merci d'avoir encore une fois pris de votre temps.

M. De Angelis : Merci de m'avoir invité.

(La séance est levée.)


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