Délibérations du comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 18 - Témoignages du 8 juin 2015
OTTAWA, le lundi 8 juin 2015
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 16 h 1, pour surveiller l'évolution de diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne (sujet : la responsabilité sociale des entreprises —RSE — et des travailleurs du textile).
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à la 34e séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne de la deuxième session de la 41e législature.
[Français]
Le Sénat a confié à notre comité le mandat d'examiner les questions liées aux droits de la personne au Canada et à l'étranger. Je m'appelle Mobina Jaffer, je suis présidente de ce comité, et je souhaite à tous la bienvenue.
[Traduction]
Avant que nous commencions, j'aimerais que mes collègues se présentent, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l'Ontario.
La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l'Ontario.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La présidente : L'industrie du vêtement est une importante source d'emplois dans les pays en développement. La grande souplesse et la décentralisation qui caractérisent cette industrie, combinées au recours généralisé à la sous-traitance, compliquent l'application de normes adéquates en matière de santé et de sécurité.
[Français]
Dans bien des pays exportateurs de vêtements, comme le Bangladesh, l'Inde et le Vietnam, des milliers de salariés sont exposés à des conditions de travail dangereuses et à d'autres risques pour leur santé et leur sécurité.
[Traduction]
Le 24 avril 2013, l'immeuble Rana Plaza, immeuble de huit étages abritant cinq usines de vêtements, situé dans la banlieue de la capitale du Bangladesh, s'est effondré : environ 1 127 travailleurs ont été tués et plus de 2 500 personnes, blessées. Cette catastrophe mortelle s'inscrit dans une série qui a touché l'industrie du vêtement au Bangladesh. En effet, il y avait eu en novembre 2012 un incendie dans lequel plus d'une centaine de personnes avaient perdu la vie. Comme le savent mes collègues sénateurs, je me suis rendue au Bangladesh peu après l'incendie et j'ai entendu les récits véritablement atroces de personnes enfermées dans l'immeuble en flammes.
[Français]
Le secteur privé a des obligations en matière de droits de la personne, notamment dans les milieux de travail. Des employés dans de nombreuses collectivités dans le monde ont réussi à obtenir le droit de travailler dans des conditions saines et sécuritaires, de recevoir un salaire suffisant et d'avoir un horaire de travail raisonnable.
[Traduction]
Lorsque la santé et la sécurité des travailleurs ne sont pas assurées, lorsque les salaires ne suffisent pas à garantir un niveau de vie raisonnable et lorsque les travailleurs font l'objet d'intimidation quand ils essaient de se syndiquer, on touche à un certain nombre de droits reconnus par des conventions internationales sur les droits de la personne, dont le Bangladesh est signataire.
Malheureusement, même si le Bangladesh a ratifié un certain nombre de conventions internationales sur les droits de la personne, comme la Convention sur l'inspection du travail de l'OIT, en 1972, l'effondrement du Rana Plaza et d'autres accidents similaires démontrent qu'il y a amplement place à l'amélioration en ce qui concerne l'application de ces conventions. Cette application doit être plus efficace.
La raison principale pour laquelle nous nous penchons sur la question est afin d'examiner le rôle joué par les sociétés canadiennes dans des pays comme le Bangladesh ainsi que leur responsabilité sociale.
Pour ouvrir la séance d'aujourd'hui, j'aimerais souhaiter la bienvenue à la représentante d'Exportation et développement Canada, Signi Schneider, vice-présidente, Responsabilité sociale et environnementale des entreprises. À ce que je comprends, madame Schneider, vous avez des remarques, après lesquelles le comité aura très envie de pouvoir vous poser des questions sur ce que vous savez du sujet.
[Français]
Signi Schneider, vice-présidente, Responsabilité sociale et environnementale des entreprises, Exportation et développement Canada : Madame la présidente, merci de me donner l'occasion de vous parler aujourd'hui.
Que fait EDC? C'est l'organisme officiel de crédit à l'exportation du Canada. En tant que société d'État, nous fournissons des solutions de financement et d'assurance aux exportateurs et investisseurs canadiens et du financement aux acheteurs étrangers de biens et de services canadiens. En 2014, EDC a servi plus de 7 400 exportateurs et investisseurs dans 200 pays. À titre d'institution financière prudente, EDC est rentable et ne reçoit aucun crédit gouvernemental.
[Traduction]
Ceux qui connaissent le mode de fonctionnement d'EDC savent que nous offrons aux exportateurs canadiens diverses solutions pour atténuer les risques qu'ils affrontent ou répondre à leurs besoins : le risque de ne pas être payés; le besoin de financement pour eux-mêmes ou leurs acheteurs; le besoin de garantie de rendement; et le risque de perdre leur investissement à l'étranger. Parmi la panoplie de produits que nous proposons, je citerai l'assurance-crédit, l'assurance comptes clients, notre programme de capital-actions et notre financement de projet.
Comme la présidente l'a mentionné, je suis vice-présidente de la Responsabilité sociale des entreprises à EDC et je vais mentionner certains de nos domaines d'action liés à votre étude.
Les groupes que je chapeaute sont tenus de mesurer les conséquences sur l'environnement et sur la société — l'effet sur la planète et les effets sociaux sur les gens. Nous évaluons le risque de corruption et de pots-de-vin dans les opérations que nous finançons ou que nous assurons, c'est-à-dire dans les contrats d'exportation financés ou assurés, dans l'investissement à l'étranger ou encore dans les relations avec la société civile.
Je sais que Duane McMullen, directeur général des services commerciaux, a comparu et mentionné plusieurs initiatives sur la responsabilité sociale des entreprises, initiatives qu'EDC appuie également en en faisant la promotion, dont les principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales.
Je vais vous donner des détails sur la façon dont nous examinons une opération donnée, dans l'axe des préoccupations du comité. Tout d'abord, nous avons une Politique de gestion des risques environnementaux et sociaux, qui exige que toute opération soit mesurée à l'aune de ces répercussions environnementales et sociales. Dans les cas où il existe un lien direct entre le financement ou l'assurance et les activités d'affaires sur le terrain, nous trions ces projets. Il pourrait s'agir de la construction d'une usine de fabrication ou de l'agrandissement d'une telle usine, d'une mise à niveau, de la construction d'une nouvelle mine, d'une fonderie, et cetera.
Quand EDC finance ou assure un projet, nous l'examinons au vu des Normes de rendement de la SFI. C'est stipulé par notre Politique de gestion des risques environnementaux et sociaux.
La SFI est la Société financière internationale de la Banque mondiale. Elle a élaboré pour ses clients un ensemble de huit normes de rendement, qui précisent la façon dont ils vont devoir développer leur projet pour obtenir un financement de la SFI — respecter, par exemple, les normes internationales pour une usine de fabrication, quel que soit le marché émergent choisi pour installer l'usine.
C'est une obligation découlant de la Politique de gestion des risques environnementaux et sociaux d'EDC, mais aussi des Principes de l'Équateur, dont nous sommes membres. Les Principes de l'Équateur est une association d'institutions financières, de banques, qui assurent un financement de projets, qui se sont entendues pour se faire concurrence sur le coût et la teneur des prêts, mais pas sur les exigences imposées aux clients en matière de rendement environnemental et social. Nous avons un minimum que nous voulons voir respecter systématiquement.
Je suis heureuse de signaler qu'EDC siège au comité directeur des Principes de l'Équateur et que nous sommes la première institution financière canadienne à le faire.
EDC a également rédigé une Déclaration sur les droits de la personne, en avril 2008, soit, en fait, avant l'initiative de John Ruggie, qui est, comme vous le savez, le représentant spécial des Nations Unies pour la question des droits de l'homme, des sociétés transnationales et autres entreprises. EDC avait en effet reçu plusieurs questions de la société civile sur la façon dont nous gérions le risque en matière des droits de la personne dans les projets que nous financions ou assurions, ce qui nous a amenés à rédiger cette déclaration.
Depuis, il y a eu beaucoup de mouvement dans ce domaine. John Ruggie est entré en poste aux Nations Unies et a élaboré les principes directeurs « Protéger, respecter et réparer ». Les États doivent protéger les droits de la personne; les sociétés sont tenues de respecter les droits de la personne; et les individus dont les droits ont été bafoués doivent pouvoir avoir accès à des réparations.
En tant que personne travaillant dans ce domaine depuis de nombreuses années, je suis également en mesure de dire que les conseillers en matière de droits de la personne, les associations de la société civile se penchant sur les problèmes de droits de la personne dans le milieu des affaires, et les experts-conseils et organisations étudiant la gestion des risques sociaux et environnementaux — deux groupes qui, par le passé, discutaient rarement l'un avec l'autre des affaires et des droits de la personne — collaborent maintenant bien plus étroitement. Il y a donc une intégration des processus d'examen environnemental et social et des processus de défense des droits de la personne, et cela fait partie des attentes des Nations Unies et d'autres organismes.
Sous mon niveau hiérarchique, il y a aussi un groupe qui examine les possibilités de corruption dans les transactions ainsi qu'un groupe qui s'occupe de notre engagement en matière de transparence. Pour ce qui est de cet engagement, contrairement aux banques du secteur privé, nous divulguons en fait toutes nos activités de financement. Si vous cherchez à savoir si EDC a fait affaire avec une entreprise particulière, vous pouvez aller sur notre site web, EDC.ca, et vous y verrez toutes nos activités de financement.
Vous y trouverez également un regroupement de notre exposition par secteur et sous-secteur. Je le mentionne parce que si vous jetez un coup d'œil sur ces divulgations, vous constaterez qu'au cours des dernières années, seulement environ 2 p. 100 des activités d'EDC visaient le secteur des vêtements et accessoires. Ce n'est pas un secteur important pour nous.
En outre, l'exposition que nous avons dans le secteur des vêtements et accessoires du côté de la fabrication relève de nos produits d'assurance comptes clients. Par exemple, lorsqu'un fabricant de vêtements canadiens vend à des distributeurs et à des détaillants partout dans le monde et qu'il craint de ne pas être payé, il peut souscrire à cette assurance. Il lui suffit de se rendre sur le site EDC.ca ou de rencontrer un de nos agents de développement d'entreprise pour obtenir une police d'assurance en fonction de ses clients. Ainsi, les fabricants reçoivent les sommes qui leur sont dues en cas de défaut de paiement.
Je le mentionne parce qu'au moment de la catastrophe du Rana Plaza, nous avons examiné notre exposition au Bangladesh et dans ce secteur d'activité, et nous avons constaté qu'elle était minime. Nous n'avons donc pas beaucoup d'expérience dans ce domaine.
En fait, lorsqu'EDC vend une police d'assurance pour les comptes débiteurs à un client, ce dernier doit signer une déclaration liée aux préoccupations environnementales des produits qu'il exporte. En outre, tous les acheteurs étrangers qui sont ajoutés à ces polices font l'objet non seulement d'une vérification de leur solvabilité, mais également de leur bilan en matière de santé et de sécurité, d'environnement et de questions juridiques.
Cependant, si vous jetez un coup d'œil à notre site de divulgation, vous constaterez, comme je l'ai précisé, que nous avons accordé peu de financement dans ce secteur, tout comme dans le secteur de la construction d'usines de fabrication. Cela étant dit, j'aimerais vous expliquer comment fonctionnerait ce processus parce que j'estime qu'il est important de le comprendre.
Si nous devions financer la construction d'une nouvelle usine de fabrication qui se trouve déjà dans la région du Bangladesh pour le secteur de la fabrication de vêtements, nous estimerions qu'il s'agit d'un risque élevé en raison de tous les risques entourant les conditions de travail saines et sécuritaires, la non-discrimination, l'égalité des chances et le traitement équitable des employés et, bien sûr, le recours potentiel au travail des enfants ou au travail forcé.
Pour atténuer ces risques, nous dirions aux clients « Si vous voulez que nous financions la construction de votre usine de fabrication, vous allez devoir respecter les normes de rendement de la Société financière internationale. » Ils devraient plus particulièrement se conformer aux normes de rendement de la SFI 2 qui portent sur le travail et les conditions de travail.
Cette norme regroupe un certain nombre de conventions internationales des États-Unis et de l'Organisation internationale du travail et décrit en termes pratiques comment les entreprises peuvent gérer les risques liés à un secteur particulier. Citons par exemple la liberté d'association, la protection du droit de s'organiser et l'âge minimal pour le travail forcé et le travail des enfants.
La norme de rendement 2 s'appliquerait aussi aux travailleurs qui seraient embauchés par une entreprise canadienne lors de la construction de son usine, disons au Cambodge, ainsi qu'aux travailleurs qui contribueraient aux chantiers de construction, mais qui seraient employés par un tiers. La norme s'appliquerait également à tous les travailleurs embauchés par les fournisseurs primaires. La norme ne s'applique pas qu'aux travailleurs directement embauchés par l'entreprise canadienne.
Comment cela fonctionne-t-il? L'entreprise canadienne nous dit : « Nous avons une excellente possibilité d'accroître nos ventes en Europe et nous estimons que le meilleur endroit pour construire une usine de fabrication est en Asie du Sud-Est. Pourriez-vous financer notre projet ou une partie des coûts? »
Nous lui répondrions : « Pouvez-vous nous donner un exemplaire de votre évaluation de l'impact environnemental et social? » Cette évaluation doit être réalisée par une tierce partie indépendante et posséder un niveau élevé de crédibilité.
Ensuite, nous examinerions les normes en matière de rendement tel qu'établies par la Banque mondiale, qui peut comprendre des détails aussi précis que la distance entre les lits des travailleurs que vous hébergeriez dans un camp de travail pendant la construction du bâtiment. Ces détails peuvent être très pointus.
Nous examinerions les normes de rendement de la SFI en plus du contenu de l'évaluation de l'impact environnemental et social . Nous ferions une analyse des lacunes du plan de construction de l'usine. Nous négocierions un plan d'action avec l'entreprise canadienne qui construit l'usine, et les conditions de ce plan d'action seraient intégrées dans les documents de prêt à titre de jalons convenus.
En outre, puisque l'entreprise a besoin d'argent pour la construction de l'usine et qu'elle va nous rembourser, nous mettrions en place un programme de surveillance de sorte que nos évaluateurs de risque environnemental et social puissent se rendre sur le chantier de construction de l'usine ou qu'un consultant de tierce partie nous envoie des rapports réguliers tout au long des travaux de construction.
En outre, la dernière version des normes de rendement de la SFI — dont se sert la Banque mondiale et dont toutes les banques de financement de projet se servent comme la Société Générale et Citibank, et toutes les agences officielles de crédit des nations de l'OCDE et dont nous nous servons nous-mêmes, bien entendu — affiche maintenant les résultats de John Ruggie ainsi que le travail fait aux Nations unies, les normes de rendement comportent maintenant de nouvelles exigences en cas de risque élevé. Même si le sens de ces exigences fait toujours l'objet de négociations, lorsqu'il y a risque élevé, il faut davantage faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits de la personne.
En résumé, EDC a beaucoup de visibilité partout dans le monde, mais beaucoup moins dans ce secteur. Nous n'avons pas vraiment eu la chance de travailler avec les entreprises et de parler de leurs usines de fabrication pour les aider à respecter des normes élevées. Mais c'est ce que nous devrions faire et utiliser les normes de rendement de la SFI qui tiennent compte des préoccupations qui seront soulevées à l'avenir.
[Français]
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Traduction]
La présidente : Si vous le voulez bien, j'aimerais poser une question. Faites-vous des enquêtes spéciales ou des déclarations particulières sur le travail des femmes et des enfants, à savoir si on force les femmes et les enfants à travailler? Vérifiez-vous que des enfants sous un certain âge ne travaillent pas dans des usines et plus particulièrement dans celles du secteur du vêtement à l'échelle mondiale? Existe-t-il des instruments juridiques, des politiques ou des normes dont vous vous servez pour régler ce type de problème?
Par exemple, en ce qui a trait aux droits des enfants au Canada et à l'extérieur, notre comité a examiné la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Nous examinons ce genre de document pour essayer de voir comment il s'applique au Canada ou ailleurs dans le monde.
Vous servez-vous de conventions comme celle des Nations Unies sur les droits de la personne lorsque vous préparez vos déclarations? Comment déterminez-vous de quelle façon vous élaborez vos déclarations?
Mme Schneider : C'est ce qui est merveilleux avec les normes de rendement de la SFI. Lorsque la SFI les a révisées — la version la plus récente remonte à 2012 — elle a fait beaucoup de consultations publiques. La SFI se sert des conventions internationales et se demande comment elles s'appliqueraient aux banques qui veulent financer un projet ou une entreprise. C'est très utile.
Par exemple, en ce qui a trait aux femmes et aux enfants, les normes de rendement comprennent des sections sur les problèmes liés aux populations vulnérables. Pour ce qui est des secteurs autres que la fabrication de vêtements — je n'ai pas beaucoup d'expérience dans ce secteur —, les entreprises font du travail très intéressant afin de respecter les attentes énumérées dans les normes de rendement. Par exemple, il n'est pas inhabituel qu'un groupe doive s'installer ailleurs. Disons qu'une collectivité doit être réinstallée parce que le territoire servira à l'élaboration d'un projet industriel. Ce n'est pas rare que des anthropologues vivent au sein d'une collectivité pendant un certain temps et qu'ils demandent à certaines personnes de tracer des cartes de la collectivité. Ils font cela notamment parce qu'il n'est pas rare que la perception du maire sur le fonctionnement d'une collectivité diffère de celle des populations les plus vulnérables de cette collectivité. On veut ainsi que toutes les voix soient entendues.
En ce sens, il y a eu beaucoup de travail sur les consultations publiques. Les normes internationales qui font partie des normes de rendement de la SFI dans des domaines liés à des secteurs précis proviennent souvent de conventions internationales, et la SFI indique souvent « normes provenant de la norme OIT100 ou OIT110, voici les attentes que nous avons à votre égard à titre d'établissement financier ». Mais nous n'adoptons pas d'emblée la convention internationale en tant que telle. Nous nous penchons plutôt sur les normes de rendement de la convention et c'est ainsi que nous l'interprétons.
La présidente : Avez-vous vu des innovations en matière de responsabilité sociale d'entreprise dans d'autres secteurs qui pourraient s'appliquer à celui des vêtements?
Mme Schneider : C'est une bonne question. Il se produit des choses très intéressantes du point de vue de l'évaluation des risques. Bien sûr, il en va de même dans le secteur des valeurs sociales. Par exemple, on met sur pied des entreprises de services généraux de la base tant pour atteindre des objectifs sociaux que des objectifs de rentabilité.
Pour ce qui est de l'évaluation des risques, certaines des pratiques exemplaires émergentes font en sorte que, si vous êtes préoccupé par les niveaux d'émissions générées par une usine de fabrication ou s'il y a des craintes quant à la contamination de l'eau, les collectivités locales vont nommer des personnes afin qu'elles soient formées pour effectuer les tests d'eau ou bien pour faire des tests sur les émissions de l'usine; ainsi la surveillance est presque totalement faite par la collectivité quand il s'agit d'examiner les effets environnementaux d'un projet ou d'activités industrielles.
Des régimes d'embauche intéressants sont aussi mis en place. Un grand nombre d'entreprises vont au-delà d'un appel de candidatures pour recevoir les meilleurs curriculum vitae et elles ne se disent plus « nous devons embaucher le meilleur. » Elles se demandent plutôt « quels groupes vulnérables de cette collectivité pourraient jouer un rôle précis dans le développement de ce projet? » Bien sûr, il y a des risques associés à certaines de ces initiatives, mais quelques-unes des meilleures entreprises à qui j'ai parlé prennent les principes qui sous-tendent ces initiatives à cœur et trouvent des façons créatives pour que cela fonctionne dans leur cas.
La présidente : Comment traite-t-on les entreprises non conformes à Exportation et développement Canada?
Mme Schneider : C'est une question qu'on nous pose fréquemment. Comme je l'ai cité, nous avons mis en place un plan d'action. EDC offre de nombreux produits de financement et d'assurance qui ne sont pas visés par les normes de rendement de la SFI. Nous essayons tout de même de respecter ces principes lorsque nous faisons des prêts aux entreprises, des prêts bilatéraux ou lorsque nous participons à des activités de syndication de prêts ou vendons des produits d'assurance notamment, mais certaines des composantes du plan d'action figurent dans notre document de prêts. Les gens se disent : « Excellent, c'est tout simplement un défaut de paiement. Vous devez exiger le remboursement du prêt. » Mais notre approche a toujours été de dire : « Rectifions la situation. Servons-nous de notre effet de levier pour améliorer la situation plutôt que pour abandonner le projet. » C'est ce que nous essayons généralement de faire à moins de ne pas avoir la collaboration de l'entreprise que nous avons financée.
Pour faire preuve de diligence raisonnable, une des choses importantes que nous faisons au moment d'examiner les transactions c'est de vérifier la volonté de l'entreprise de véritablement travailler avec nous, surtout lorsqu'il s'agit de marchés émergents. Prenons l'Inde comme exemple. Les conditions que nous imposons aux entreprises lorsqu'elles entament un projet de construction vont bien au-delà des lois nationales, ce qui entraîne des réactions importantes de la part des entreprises parce que nous finançons également des compagnies étrangères qui intègrent les entreprises canadiennes dans leurs chaînes d'approvisionnement. Généralement, nous faisons beaucoup de travail au préalable pour nous assurer que les entreprises vont donner suite aux conditions que nous leur imposons. Tout ce dont nous nous attendons en matière de diligence raisonnable et de consultants indépendants est assez coûteux. Si nous estimons que nous n'avons pas la collaboration des entreprises, en général, nous n'allons pas de l'avant. Il est extrêmement difficile de mettre sur pied un projet réussi et nous voulons que l'entreprise souhaite la réussite du projet autant que nous.
La sénatrice Ataullahjan : Merci pour votre exposé. J'ai eu l'occasion de visiter l'immeuble Rana Plaza après son effondrement et même si j'ai l'habitude de voir des choses difficiles, j'ai été tout de même horrifiée, d'autant plus que des parents continuaient de se rendre à l'immeuble parce que le corps de leurs enfants n'avait pas encore été trouvé. D'après ce que j'ai entendu, il y aurait 135 victimes de l'immeuble Rana Plaza dont on n'aurait pas encore trouvé l'ADN. C'est un triste récit qui continue de générer de l'intérêt.
Au lendemain de l'effondrement, nous avons entendu parler d'impartition éthique et de sous-traitance illégale. Que peuvent faire les entreprises canadiennes si elles soupçonnent qu'on fait travailler des gens dans des usines qui ne respectent pas les normes ni les codes du bâtiment? Ces entreprises signent des contrats avec des parties qui les donnent en sous-traitance et, à moins d'avoir quelqu'un sur place, il n'y a aucune façon de savoir si le travail est réalisé dans une usine sécuritaire.
Avez-vous des bureaux à l'étranger pour aider les entreprises canadiennes et les informer, surtout dans les nouveaux pays exportateurs d'importance comme le Bangladesh et le Vietnam?
Mme Schneider : On peut agir sur quelques points. Vous voulez savoir si EDC a des bureaux à l'étranger. Nous avons quelques bureaux internationaux, mais nous avons surtout créé un partenariat important avec le Service des délégués commerciaux et, bien sûr, nous collaborons avec tout le personnel des ambassades dans ces pays quand il s'agit notamment d'en apprendre davantage sur le contexte régional.
Maintenant qu'en est-il des entreprises canadiennes qui ont recours à la sous-traitance ou qui signent des accords de coentreprises et qui veulent s'assurer que les sociétés avec lesquelles elles collaborent ne font pas que leur dire ce qu'elles veulent entendre, soyons clairs, il est très difficile pour les entreprises de travailler dans certains pays et je dirais à ces sociétés : « Vous devez avoir énormément confiance dans vos propres processus et vos propres systèmes de vérification et de conformité parce que vous voudrez obtenir un niveau de certitude plus élevé quand vous faites des affaires dans d'autres pays. »
Pour ce qui est des choses qui pourraient peut-être s'appliquer également au secteur du vêtement, prenons l'exemple des Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme. Les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme ont été créés lorsque des entreprises pétrolières et gazières se sont dit : « Nous sommes responsables de la sécurité de nos installations à l'intérieur des paramètres, mais un certain nombre d'entre nous, étant donné que nous devons aller là où se trouvent les ressources, là où se trouvent le pétrole et le gaz, travaillons dans des pays ou des régions très préoccupantes où un conflit vient tout juste de se terminer ou fait encore rage dans une certaine mesure. En général, nous devons travailler avec les militaires dans ces pays. Nous n'avons pas le choix. Nous pouvons nous occuper de la sécurité à l'intérieur de notre périmètre, mais à l'extérieur de ce périmètre, nous devons nous attendre à ce qu'ils soient présents. Ils nous ont fait savoir que les gardes de sécurité que nous avons embauchés ne peuvent pas se mêler de leurs activités. Or, du même coup, souvent nous les embauchons parce qu'il y a eu une intensification de l'activité dans la région en raison de l'existence même de l'usine pétrolière et gazière. »
Les sociétés pétrolières et gazières avaient vraiment l'impression que leurs mains étaient liées. Elles étaient forcées de travailler avec les militaires étrangers dont ils ne pouvaient pas contrôler les violations des droits de la personne. La Colombie en est un excellent exemple. Le gouvernement colombien a dit : « Écoutez, si vous voulez travailler en Colombie, vous devez savoir que nos militaires sont actifs. » Bien sûr, les militaires colombiens s'étaient déjà rendus coupables de violations des droits de la personne.
Les sociétés s'inquiétaient de la manière de gérer cette interaction. C'est ainsi qu'ont été créés les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme. Ces principes comportent deux volets. Le premier concerne le recrutement de forces de sécurité privées et leur façon d'interagir avec les forces de sécurité publiques. L'autre volet s'applique dans des pays comme la Colombie où les entreprises doivent faire preuve de diligence avant d'aller dans ces pays; il s'applique aussi au genre d'articles qui doivent être intégrés dans les ententes entre une société canadienne et les militaires étrangers, par exemple.
Dans de telles circonstances, l'entreprise canadienne, américaine ou britannique estime n'avoir d'autre option que d'interagir avec les militaires étrangers, mais elle est très préoccupée par les activités de ces militaires. Ainsi, les Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme prévoient que des ententes seront négociées entre les deux parties sur l'utilisation responsable de la force et qui engage l'entreprise à assurer une formation plus poussée sur les droits de la personne aux militaires. Cela s'applique dans des cas où une entreprise estime n'avoir aucune influence sur l'autre partie. Il y a eu des initiatives qui ont réussi à enlever cette dynamique du pouvoir afin qu'il puisse y avoir une conversation plus collaborative au sujet des attentes.
L'autre chose que je mentionnerai c'est la corruption et les pots-de-vin. La loi britannique interdisant les pots-de-vin (la Bribery Act), adoptée il y a deux ans, exige que les entreprises assument la responsabilité des mesures prises pour son compte par des tiers. Ce n'est pas inhabituel dans le cas d'agents qui travaillent pour le compte d'entreprises, mais la loi britannique interdisant les pots-de-vin va encore plus loin. Si une entreprise qui travaille pour vous verse un pot-de-vin à quelqu'un, alors vous êtes tenu responsable en vertu de la Bribery Act. Pour se défendre contre une telle accusation, l'entreprise peut faire valoir qu'elle a un bon régime de conformité qui comporte l'examen approfondi des tierces parties, de la formation et des dispositions pertinentes dans ces ententes. Mais il y a deux exemples où la distorsion entre l'entité qui veut bien faire et l'entité qui n'est pas sujette aux mêmes attentes est apparente.
Bien sûr, dans le secteur manufacturier, il y a le recours aux audits sociaux. Une tierce partie visite des usines et applique un ensemble de critères pour établir une cote. Elle présente son rapport à l'institution financière si nous l'avons demandé ou à la société canadienne si c'est elle qui l'a demandé. Après la tragédie du Rana Plaza, il y a eu des débats sur la validité de ces audits faits par des tierces parties, en tout cas du point de vue d'une institution financière. Ces audits sont un très bon moyen d'aller au cœur des problèmes de rendement. Ils sont présentés d'une manière que comprennent les institutions financières, et nous les utilisons assez souvent avec de bons résultats.
La sénatrice Ataullahjan : Cela a pris presque deux ans. Vous avez mentionné les pots-de-vin et le trafic d'influence. La BBC a diffusé un reportage dans lequel on disait qu'il avait fallu deux ans avant que le gouvernement porte des accusations. Au sujet de la volonté du gouvernement de poursuivre les coupables, on a dit que certains politiciens avaient peut-être exercé des pressions. Que peut-on faire dans un tel cas? Vous faites un audit dans un pays étranger. Vos mains sont liées. La police est restée sans rien faire. Tout le monde savait que le Rana Plaza était un piège mortel. Certains travailleurs ne voulaient pas retourner dans cet immeuble, mais on leur a ordonné d'y aller pendant que les gestionnaires restaient à l'extérieur. Tout le monde savait que le propriétaire ajoutait trois étages. C'était une situation difficile. Que pouvez-vous faire dans un tel cas? Vraiment, vos mains sont liées.
Mme Schneider : Le mandat d'EDC consiste en partie à attirer des entreprises canadiennes dans des marchés émergents, car nous devons diversifier nos marchés. Le conseil que je donnerais aux entreprises serait toujours : « Examinez votre profil de risque et votre capacité à gérer votre propre risque; et tâchez de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'écart entre les deux. Certains pays et certains secteurs comportent des risques inhérents. Vous devez être en mesure de gérer ce risque. L'évaluation du risque devrait comporter deux volets : dans quel pays est-ce que je vais établir un partenariat où investir; et quelle est ma capacité de gérer ce genre de risque? » Il y a des entreprises qui réussissent très bien dans des pays difficiles. Dans bien des cas, ces entreprises sont celles qui sont à la fine pointe des politiques progressives, qui ont un excellent rendement environnemental et social et qui ont souvent recours à des tiers ou à des initiatives internationales qui font des audits ou peuvent donner certaines assurances et qui ressentent vivement le besoin d'informer le public au sujet de leurs activités, qui prêchent par l'exemple, qui mettent les rapports d'audits effectués par des tiers sur leurs sites.
Dans bien des cas, je m'inquiète moins des grandes sociétés internationales qui ont beaucoup d'expérience. Souvent, elles ont des systèmes et des pratiques de conformité, et leurs dirigeants donnent le ton en matière de comportement éthique. Je m'intéresse davantage aux entreprises canadiennes qui souhaitent élargir leur marché d'exploitation au-delà des États-Unis. Je discute avec elles des risques auxquels elles vont faire face afin d'être sûre qu'elles sachent bien à quoi s'attendre et qu'elles s'y préparent adéquatement.
Souvent, des entreprises canadiennes ou d'ailleurs qui vont dans un autre pays pour la première fois ont un plan d'entrée, mais pas de plan de sortie. Même du point de vue éthique, je demande aux dirigeants des entreprises canadiennes : « Quels signaux vous inciteraient à abandonner un pays? Quels signaux vous amèneraient à conclure que les risques de ce nouvel investissement ou partenariat sont trop élevés? » Ensuite, je leur demande d'inclure cela dans leur évaluation des risques avant de prendre une décision.
La sénatrice Ataullahjan : Nous sommes allés au Rana Plaza et un autre fabricant de vêtements sur la même rue. C'étaient les premiers intervenants. C'est l'une des entreprises les plus progressistes que j'ai vues. À chaque étage, il y avait un gestionnaire, si quelqu'un se sentait mal, il y avait une petite infirmerie à chaque étage. Nous sommes arrivés sans prévenir. Nous nous sommes présentés à la porte et avons demandé de visiter. Cela m'a impressionnée. Pour être claire, je ne dis pas que toutes les usines au Bangladesh sont comme ça. J'en ai vu une qui était très en avance.
La sénatrice Eaton : Ces normes de rendement sont merveilleuses, et vous demandez aux gens d'évaluer les risques, les effets environnementaux, les pots-de-vin et la corruption. Si une entreprise n'a pas besoin d'EDC, vous ne pouvez pas faire grand-chose. C'est exact?
Mme Schneider : C'est exact.
La sénatrice Eaton : D'après vous, est-ce qu'il y a une différence entre aller au Vietnam, au Bangladesh ou en Chine? Est-ce qu'il y a certains pays qui font plus attention aux effets sociaux et environnementaux, alors que dans d'autres, il y a plus de pots-de-vin et de corruption? Est-ce qu'il y a des différences culturelles? Bien sûr, les pays ont parfois différents niveaux de sensibilisation en ce qui concerne le travail des enfants ou de la durée de la journée de travail. Est-ce que vous appliquez la même norme à tous les pays? Pourquoi ne pas d'abord répondre à la question : est-ce qu'il y a différents signaux d'alarme pour différents pays?
Mme Schneider : Assurément, il y a des signaux d'alarme différents dans différents pays. Il y a de nombreux classements des pays selon leurs lois environnementales et leur capacité de mettre en place des règlements en vertu de ces lois. On voit des différences.
J'ai entendu différentes histoires dans l'entreprise canadienne. J'utiliserai le scénario des normes de rendement de l'IFC, qui indique qu'il faut respecter ce qui est le plus élevé entre les normes de rendement et les lois nationales. Si la loi nationale représente une norme plus élevée dans un domaine, voilà ce qu'il faut respecter.
J'ai vu que parfois, les lois ne sont pas mûrement réfléchies ou bien appliquées, et dans certains cas, les entreprises peuvent assez bien combler cette différence, parce qu'on leur donne une latitude dans le cadre réglementaire.
La sénatrice Eaton : Si dans un pays, les normes de travail indiquent qu'une personne peut travailler 10 heures par jour, mais pour ce qui est de notre norme de huit heures par jour, est-ce à ce pays qu'il revient de choisir, ou est-ce que vous dites à l'entreprise qu'elle doit respecter la journée de huit heures et puis passer en temps supplémentaire? Que faites-vous?
Mme Schneider : Notre approche est plus nuancée. La norme de rendement demande quelles sont les heures de travail appropriées dans ce secteur, et pourquoi c'est le cas. Par exemple, dans les camps miniers auxquels on accède par voie aérienne, on travaille normalement plus de huit heures par jour, parce qu'on travaille pendant 10 jours avant d'avoir congé pendant 10 autres jours.
En ce qui concerne les longues heures de travail, ce qu'il faut vraiment se demander, c'est si ces longues heures auront un effet sur la santé ou la sécurité des employés. Dans les activités industrielles à haut risque, cela peut être moins de huit heures de travail par jour parce que le travailleur doit être tellement attentif dans certaines situations, ou il y a des heures de travail à haute intensité et d'autres à faible intensité.
Alors les normes de rendement sont plus nuancées que cela.
Je veux en revenir à vos questions concernant les différences entre les pays. Il arrive que des entreprises aient de la difficulté à mettre en œuvre des projets qui respectent les normes de rendement de l'IFC — il y a un exemple qui est intéressant : en Inde, le gouvernement avait des règlements concernant le rétablissement des personnes et des familles.
La sénatrice Eaton : Mais l'usine a été construite, et il fallait réinstaller les gens.
Mme Schneider : C'était en Inde, alors presque à chaque fois que l'on construit quelque chose, il faudra rétablir les gens, parce que c'est comme cela qu'est le pays.
Dans ce cas, le gouvernement avait mis en place des politiques assez importantes sur le rétablissement, mais ces politiques comprenaient une approche différente des normes de rendement de l'IFC en matière de compensation et de la façon de décider qui serait compensé. C'est parfois très difficile pour une entreprise canadienne ou étrangère d'utiliser ces normes internationales. Dans certaines circonstances, le gouvernement en place ne s'y intéresse peut-être pas particulièrement et cela lui convient que l'entreprise comble la différence et, dans certains cas, le gouvernement peut avoir l'impression qu'on empiète sur sa souveraineté, on le voit parfois, et cela fait partie de l'évaluation des risques.
Quelle était votre deuxième question?
La sénatrice Eaton : Vous alliez me parler des différences entre les pays. Si je vais dans un pays, est-ce que vous me signalez les énormes problèmes de pots de vin et de corruption, par exemple. Nous savons que dans certains pays, si l'on veut que les livraisons se fassent ou arrivent à temps, il faut payer tout le monde qui participe à cette chaîne. Dans d'autres pays, c'est peut-être plus difficile en matière de politique sociale, c'est-à-dire la longueur de la journée de travail et les conditions de travail.
Alors j'imagine qu'il est difficile d'avoir des règles strictes, n'est-ce pas? Dans certains pays, j'aurai de la difficulté à faire des affaires si je ne graisse pas quelques pattes. Ou est-ce que je déciderai d'être celle qui ne graisse pas de pattes? Vous savez ce que je veux dire.
Mme Schneider : Les entreprises qui décident dès le départ qu'elles n'offriront pas de pots-de-vin connaissent un taux de succès surprenant dans d'autres pays, parce qu'il y a des façons de s'organiser autour de cette façon de faire. Je vais vous donner un exemple du domaine de la santé et sécurité. Dans un des projets que nous examinions, la difficulté était qu'à chaque fois que l'entreprise donnait à ses travailleurs des bottes à embouts d'acier, les travailleurs les vendaient le soir même. On peut assez facilement comprendre qu'il faut reprendre les bottes, qu'elles doivent être laissées au camp lorsque les gens partent.
Les circonstances varient d'un pays à l'autre, même d'un projet à l'autre, selon la région, le niveau d'activité industrielle qu'il y a et si la collectivité locale est à l'aise avec ce qui se passe, si elle a déjà négocié avec une entreprise du secteur privé par rapport à la relation qui s'établira. Cela varie beaucoup.
Il y a de bons indices sur les risques en matière de corruption et de pots-de-vin que l'on peut utiliser, comme l'Indice de perception de la corruption de Transparency International. La Banque mondiale possède des indicateurs de coûts de gouvernance qui comprennent le contrôle de la corruption et la primauté du droit. Bien sûr, ces deux choses sont importantes même simplement pour préparer votre projet.
Plus souvent que des différences entre pays, on voit des différences entre secteurs; par exemple, il est plus difficile de mettre sur pied certains projets d'extraction des ressources à cause du vaste nombre d'échanges que vous devez avoir avec le gouvernement pour les permis, la gestion de l'environnement, et cetera. L'expérience peut être différente pour une entreprise qui construit une usine manufacturière, surtout s'il s'agit de rénovation ou d'ajout à une usine déjà existante.
Alors je dirais qu'il y a plus de différences entre les secteurs qu'entre les pays.
La sénatrice Eaton : Est-ce que vous négociez avec le pays, ou est-ce que vous vous tenez derrière l'entreprise une fois que vous avez terminé votre travail de reconnaissance et d'évaluation du rendement?
Mme Schneider : Nous agissons de façon très indirecte. Normalement, une entreprise canadienne vient nous voir pour nous dire : « Bonnes nouvelles. Nous venons d'obtenir un gros contrat. C'est important pour nous. » Puis elle ajoutera : « Nous avons besoin d'acheter trois nouvelles machines pour honorer ce contrat, et nous avons besoin d'embaucher du nouveau personnel. » Alors nous pouvons leur offrir du financement dans ces circonstances. Nous pouvons aussi offrir du financement à l'acheteur une fois le contrat d'exportation obtenu.
L'entreprise peut venir nous voir et dire qu'elle a obtenu une concession pour une usine de pétrole et de gaz. Nous pouvons la financer. Elle se rend dans les autres pays. Nous la suivons.
De ce point de vue, une grande partie de notre travail concerne la diligence raisonnable. Nous essayons de discuter avec les entreprises dès qu'elles pensent aller dans un autre pays — si elles nous le disent, puisqu'il s'agit de renseignements commerciaux confidentiels — pour simplement les informer de ce qu'ont vécu d'autres entreprises lorsqu'elles sont allées dans ce pays. Ou : « Connaissez-vous les initiatives les plus récentes concernant cet aspect de votre secteur? Nous pouvons vous dire, après avoir parlé avec la société civile et la population, qu'il s'agit maintenant de la norme et de ce qui est attendu, alors ne croyez pas que vos anciennes activités conviendront, parce que les gens se diront que vous devez faire telle ou telle chose et aller plus loin que les exigences de la loi nationale. »
La sénatrice Hubley : Je suis désolée d'être en retard. Merci d'être ici.
EDC a un document d'information pour les parlementaires intitulé Un partenaire de confiance pour le Canada en matière de commerce extérieur. Dans ce document, dans le chapitre sur EDC et la responsabilité sociale des entreprises, on lit qu'EDC fait régulièrement des consultations auprès d'ONG et de partenaires internationaux.
Je me demandais si vous pouviez nous dire à quelle fréquence se font ces consultations, avec vos ONG et vos partenaires internationaux. Se font-elles régulièrement? Et s'agit-il de réactions à des problèmes particuliers?
Mme Schneider : Chaque année, nous publions un rapport sur la responsabilité sociale des entreprises. Dans celui-ci, nous indiquons les interactions que nous avons eues avec les membres de la société civile ou autre. Dans le rapport de l'an dernier, nous avons inclus une des lettres d'une ONG qui est l'un de nos critiques les plus sévères, je dirais, et avec qui nous discutons beaucoup.
Nous participons également à un certain nombre de forums internationaux. Nous sommes membres du groupe des praticiens environnementaux. En fait, cette année, EDC préside ce groupe. Il rassemble tous les praticiens environnementaux de toutes les agences de financement d'exportation qui comparent leur façon de faire les évaluations environnementales afin d'améliorer les compétences de tout le monde.
Nous sommes également membres des Principes de l'Équateur, comme je l'ai dit. Il y a deux autres forums.
Presque tous ces groupes ou réunions internationales supposent une interaction avec la société civile à un moment donné, puisqu'ils examineront le document commun que tout le monde utilise. Pour les agences de crédit à l'exportation et l'OCDE, nous avons les approches communes, qui décrivent l'approche commune que les agences de crédit à l'exportation devraient utiliser dans les domaines environnementaux et sociaux.
À plusieurs réunions, la société civile ou d'autres groupes viennent nous dire les changements qu'ils aimeraient pour les approches communes. C'est la même chose pour les principes de l'Équateur.
Au sujet des normes de rendement de la SFI, des consultations exhaustives sont menées. Il faudrait que je vérifie les chiffres et je compte le faire, mais je crois que l'an dernier, nous avons reçu 26 lettres d'organisations de la société civile. J'ai deux chiffres en tête, 26 et 45, et je vais opter pour le plus conservateur des deux. Nous recevons donc un nombre important de lettres auxquelles nous répondons. Souvent, on nous y pose des questions sur nos processus. Une bonne part de notre travail se retrouve sur notre site web, mais on nous demande par exemple d'expliquer pourquoi on a financé telle entreprise et les processus qui ont mené à cette décision.
Notre loi prévoit des règles très strictes en matière de confidentialité commerciale, mais nous essayons de faire preuve de beaucoup de transparence quant aux processus que nous suivons lorsque nous faisons des transactions individuelles.
La sénatrice Hubley : Ce document parle aussi de l'initiative d'investissement communautaire mondiale de quatre ans mise sur pied par EDC et CARE Canada. Le document a été publié en 2011, et je suppose que cette initiative est maintenant terminée?
Mme Schneider : Elle a été renouvelée. Pour ceux qui ne la connaissent pas bien, EDC a conclu un partenariat innovateur et créatif avec CARE Canada. Nous prêtons quatre employés, chacun pour des périodes de quatre mois, à CARE, pour ses projets ailleurs dans le monde. C'est avantageux pour nos employés qui s'intéressent au développement international, mais aussi pour CARE, qui tire profit de personnes qui ont un très bon sens des affaires. Souvent, elles travaillent à des projets de CARE pour des micro-entreprises, pour l'expansion des petites entreprises ou la gestion des risques de l'entreprise, par exemple dans le cadre d'évaluations du risque à grande échelle pour certains projets. C'est une grande réussite.
J'en profite pour faire une annonce : dans deux semaines, le rapport de l'an dernier sera publié et on y traite toujours de CARE, ainsi que d'autres organisations. De plus, cette année, nous avons été nommés par Corporate Knights, qui examine les sociétés canadiennes qui affichent des renseignements sur leurs sites web de manière transparente, dans le cadre d'une initiative de divulgation à laquelle nous participons. Corporate Knights passe en revue des sociétés qui ont moins de 2 000 employés ou des recettes de moins de 2 milliards de dollars. Il s'agit de l'indice Future 40, soit la liste des sociétés qui rendent public, de manière proactive, ce genre de données. Nous étions au premier rang, et c'est une grande réussite.
La sénatrice Marshall : Merci d'être des nôtres aujourd'hui. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les normes auxquelles vous avez fait allusion? Sont-elles les mêmes pour tous les pays? Je présume qu'elles varient selon le type de projet et j'essaie de comprendre dans quelle mesure elles restent les mêmes. Est-ce noir et blanc ou y a-t-il des zones grises pour les adapter d'un pays à l'autre?
Mme Schneider : Il y a une assez grande marge de manœuvre. Tout n'est pas noir et blanc. On ne dit pas il faut faire comme ceci ou comme cela. Pour certaines choses, comme les normes d'émissions, c'est bien défini. Il y a des descripteurs très clairs pour certaines choses. Permettez-moi de faire des comparaisons.
Les attentes relativement aux documents des entreprises sont bien claires. Ainsi, dans la dernière version des normes de rendement, on s'attend à ce que soit affichée l'évaluation environnementale et sociale, comprenant une évaluation des émissions de GES et la façon dont on a envisagé des solutions pour réduire les émissions de GES. C'est maintenant une exigence.
Pour ce qui est des logements des travailleurs, par exemple, qu'est-ce qui est approprié? Dans certaines circonstances, les exigences ne peuvent être satisfaites et on pourrait alors dire que les normes de rendement de la SFI ne sont pas respectées, alors que les lacunes sont attribuables à des circonstances atténuantes. Les normes sont établies de manière que les sociétés puissent répondre aux normes de rendement d'une manière qui leur convient, tout en demeurant assez élevées.
Je dis souvent que c'est comme un plan de rendement fixé avec votre supérieur en début d'année. Votre patron vous dit que pendant l'année, il vous faudra atteindre huit objectifs. On s'attend à ce que vous y arriviez, mais ce qui compte, c'est le résultat visé, et votre façon de faire dépend de votre créativité.
La sénatrice Marshall : Comment EDC peut-il savoir? Est-ce que vous vous fiez à ce que vous dit votre client? Il s'agit de projets différents, dans des pays différents. Est-ce que vous écoutez ce que vous dit votre client ou y a-t-il une vérification? Comment savez-vous si le client dit vrai?
Mme Schneider : Prenons l'exemple d'une mine. C'est un énorme trou qui pourrait avoir des incidences importantes pour l'environnement et pour la société. Lorsque nous nous lançons dans le financement ou la garantie d'un projet, nous le classons dans la catégorie A ou B, ou C. Une tour de télécommunications serait dans la catégorie C. Elle n'a pas une très grande empreinte écologique, mais peut avoir un effet sur la migration des oiseaux. Il peut y avoir des problèmes de construction pendant son érection.
L'agrandissement d'une mine souterraine se trouverait dans la catégorie A ou B. Une nouvelle mine serait dans la catégorie A. Pour un projet de la catégorie A qui peut avoir des incidences importantes, on exige une analyse des incidences environnementales préparée par un expert indépendant. La société doit aussi retenir les services d'un autre expert indépendant qui examinera le travail du premier.
La sénatrice Marshall : Qui choisit ces groupes qui font la vérification de l'information donnée? Est-ce le client ou avez-vous une liste d'experts réputés?
Mme Schneider : Les créanciers s'entendent habituellement sur le mandat. Le mandat de l'expert précise habituellement qu'une partie seulement de l'analyse environnementale sera en jeu.
Le nombre d'experts en environnement qui font ce genre de travail est assez limité dans le monde entier et il y a une saine concurrence entre eux pour ce qui est de leur crédibilité.
La sénatrice Marshall : Pour les normes dont vous parlez, y en a-t-il dans tous les pays et pour tous les types de projets, notamment pour l'embauche? Est-ce qu'il y a des normes d'embauche pour tout le monde, pour chaque projet que vous financez ou auquel vous consacrez des ressources?
Mme Schneider : C'est l'avantage des normes de rendement. Comme elles viennent du volet financier de la Banque mondiale, au lieu d'examiner la robustesse de la réglementation d'un pays pour 46 éléments qui nous intéressent, on fixe de nouvelles normes. Et c'est le cas pour tous les marchés émergents. Il faut respecter ces normes.
La sénatrice Marshall : Tout le monde doit les respecter, peu importe le pays ou le secteur industriel.
Quelle est l'importance d'EDC comme intervenant? Il y a toutes sortes de gouvernements et d'organisations dans le monde qui financent des projets dans tous ces pays.
Quelle est votre importance dans ce milieu? Si vous avez ces belles normes, ces beaux processus et procédures, si vous êtes un intervenant important, alors vous aurez une réelle incidence. Quelle est votre importance? Y a-t-il des statistiques qui disent que vous êtes un intervenant important dans un certain nombre de pays ou de secteurs, ou alors que vous êtes peu important?
Mme Schneider : Je ne dirais pas que nous sommes un joueur de petit calibre.
Quand je parle de projets, il s'agit de nouvelles activités industrielles qui sont en quête de financement dans le monde entier. Il est clair qu'elles sont d'importants acteurs dans ce milieu, mais de façon générale, les banques ne cherchent pas à financer quelque chose de leur propre chef. Il faut presque toujours avoir un syndicat de prêteurs, de banques qui s'unissent. Nous en faisons souvent partie, quand il y a de bonnes raisons, du point de vue canadien, d'en être.
Je dirais que nous avons une très bonne réputation en ce qui concerne ces normes de rendement, et aussi notre participation en tant que prêteur ayant des exigences environnementales et sociales rigoureuses. À preuve, nous siégeons au Comité directeur de l'Association des Principes Équateur, à côté de toutes ces banques du secteur privé dont traitent les revues d'affaires. À mon avis, nous nous défendons très bien.
L'année dernière, EDC a facilité des activités qui se chiffraient à quelque 99 milliards de dollars, mais c'était surtout du côté de l'assurance-crédit. Nos chiffres de financement ne représentant pas la partie la plus importante. Le financement de projet, c'est un peu comme un instrument de financement spécialisé. Souvent, on joue un rôle important dans le domaine de l'extraction parce qu'il y a tellement d'entreprises d'extraction au Canada.
Le sénateur Marshall : Avez-vous trouvé le montant de la valeur des projets?
Mme Schneider : Il faudra que je vous le communique ultérieurement.
Le sénateur Marshall : Dans combien de pays est-ce que vous fournissez un financement intégral ou partiel à des compagnies?
Mme Schneider : Les compagnies canadiennes auxquelles nous avons fourni un soutien ont des activités dans quelque 200 pays. Nous fournissons beaucoup de prêts aux entreprises, pour leurs activités générales. Nous en fournissons à des entreprises qui ont des activités à de multiples endroits dans le monde.
Disons qu'une entreprise canadienne a des activités dans six pays. Nous fournissons souvent des prêts aux entreprises à cette fin.
Nous offrons un financement pour un projet qui se réalise dans un pays et nous n'avons qu'une dizaine de ces projets par année. Ils représentent énormément de travail à cause de ces normes. Ce n'est pas une raison pour nous de ne pas nous y intéresser.
Le sénateur Marshall : Une dizaine de projets par année, donc.
Mme Schneider : Oui. Il faut qu'une entreprise ait généralement atteint une certaine maturité financière avant de se mettre en quête de ce type de financement.
Le sénateur Marshall : Où se passe l'activité? Je peux comprendre que 10 projets pourraient être 10 grands projets. À quoi sont destinés les autres investissements.
Mme Schneider : Je vais obtenir pour vous les chiffres exacts, mais pour vous donner une idée, nous avons facilité l'année dernière des activités qui ont représenté un peu moins de 100 milliards de dollars. Environ 60 milliards de ce montant étaient dans le domaine de l'assurance-crédit, dans lequel les compagnies nous demandaient de les assurer contre un défaut de paiement de leur acheteur.
Ensuite, il y a eu, disons, 10 à 15 milliards de dollars de cautionnement de contrats et d'assurance. C'est quand une entreprise doit présenter certaines garanties financières liées à des jalons qu'elles doivent atteindre par contrat, ce qui bloque leurs fonds de roulement.
Le reste, je pense, c'est le financement. Disons une quinzaine de milliards de dollars en prêts aux entreprises, tant canadiennes qu'étrangères, qui intègrent des entreprises canadiennes dans leur chaîne d'approvisionnement.
Je dirais qu'il y a environ 10 milliards de dollars de financement de projet, mais je vous obtiendrai les chiffres exacts. C'est à peu près le tableau. Cela vous donne une bonne idée.
Le sénateur Marshall : Vous prêtez tout cet argent. Quel montant vous est remboursé?
Mme Schneider : Nous somme un organisme rentable qui paie des dividendes à notre actionnaire, à savoir le gouvernement du Canada. Nous avons versé l'année dernière un dividende de 1,2 milliard de dollars.
La sénatrice Marshall : Qu'est-ce que vous récupérez? Si vous prêtez 90 p. 100, est-ce que vous récupérez 90 p. 100 ou 85 p. 100?
Mme Schneider : Je ne pourrais pas vous dire cela au pied levé. L'une des raisons d'être des organismes de crédit à l'exportation, c'est qu'ils appuient les banques du secteur privé qui s'engagent dans les secteurs plus risqués. Souvent — par exemple, après la crise du crédit de 2008 — on assiste à une espèce de retranchement où les banques appréhendent le risque et, pour cette raison, on remarque l'effet équivalent sur l'économie canadienne. Nous prenons souvent plus de risques que les banques du secteur privé.
La sénatrice Marshall : Quel pays est le plus grand bénéficiaire de votre aide financière?
Mme Schneider : Il faudrait que je me renseigne. Tous ces prêts se font à des conditions commerciales. Il faut obtenir le consensus du secteur privé ou de l'OCDE relativement aux conditions et modalités.
La sénatrice Marshall : Vous disiez tout à l'heure que l'industrie des vêtements n'est pas un acteur de premier plan. Quelle industrie le serait? Est-ce que ce serait celle de l'électricité?
Mme Schneider : L'aérospatiale et l'extraction.
La sénatrice Marshall : L'aérospatiale?
Mme Schneider : Oui.
La sénatrice Marshall : C'est intéressant. Vous parlez des experts-conseils et du fait qu'on s'assure que ces compagnies se conforment aux normes. De façon générale, trouvez-vous qu'elles s'y conforment?
Mme Schneider : Oui. En général, quand nous finançons ces projets, nous travaillons souvent avec des entreprises qui peuvent aussi nous montrer comment faire.
La sénatrice Marshall : Quand il y a non-conformité, est-ce que vous retirez votre financement?
Mme Schneider : Quand on constate la faute, la dernière chose que l'on veut faire, c'est retirer le financement parce qu'on veut plutôt que les entreprises trouvent le moyen de respecter les normes.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie.
Le sénateur Ngo : Merci, madame Schneider. J'aimerais revenir sur les questions que posait la sénatrice Eaton. Elle a dit que certains pays avaient des normes plutôt faibles, de piètres bilans au chapitre des droits de la personne, qu'ils essayaient d'interdire les syndicats ou n'en n'avaient pas, qu'ils recouraient aux menaces, et cetera.
Jugez-vous approprié qu'EDC facilite les échanges commerciaux avec ces pays?
Mme Schneider : La question se pose toujours de savoir si le fait de faire affaire avec un pays revient à légitimer ses activités. Je laisse les questions liées à la politique étrangère au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement.
Je peux néanmoins dire que j'ai vu réaliser d'excellents projets dans des pays difficiles, qui m'ont étonné par leur capacité de bien agir dans des circonstances difficiles. Il y a beaucoup de créativité, comme on le disait. Certaines personnes ont acquis des dizaines d'années d'expérience avant de s'engager dans un investissement dans un pays difficile et elles appliquent au mieux ces connaissances. Il est certain qu'il reste un risque.
Le sénateur Ngo : Je ne parle pas de risques, mais du fait qu'EDC facilite les rapports commerciaux avec des pays dont on connaît les mauvais bilans à tous les égards, et du fait que les gens dans ces pays travaillent pour de faibles salaires, dans de piètres conditions, et cetera. Nous continuons de faire affaire avec ces pays.
Je ne sais pas si vous soulevez des questions auprès du gouvernement d'un pays ou d'un autre. Que faites-vous? Est-ce que vous continuez tout simplement, ou est-ce que vous soulevez des questions pour qu'ils changent ou rehaussent leurs normes?
Vous avez dit que vous n'aviez pas de bilans au sujet du Bangladesh, de l'Inde ou du Vietnam. Ils ont pourtant de piètres bilans en matière de droits de la personne. Ils n'ont pas de syndicats. Que faites-vous avec ces pays?
Mme Schneider : Généralement, les circonstances qui amènent de mauvaises conditions en matière de droits de la personne engendrent également de mauvaises conditions pour les affaires.
Il y a plusieurs années, nous avons créé un indice des pays en fonction de leurs risques en matière de droits de la personne. C'était du jamais vu. C'était avant la montée en flèche des consultants qui travaillent à la résolution des problèmes liés aux affaires et aux droits de la personne.
Nous avons utilisé trois indicateurs différents parce que c'était le meilleur outil dont nous disposions à l'époque. Nous avons eu recours à l'indicateur de la gouvernance de la Banque mondiale pour ce qui est de la règle de droit. Nous avons utilisé un indicateur venant du groupe de liberté de la presse des États-Unis, afin de déterminer le niveau de transparence des activités menées au pays. Ensuite, nous avons combiné l'outil d'Amnistie internationale et un indice académique créés pour examiner les violations des droits de la personne dans le pays.
Nous avons éliminé le pointage des pays de ces indices externes et avons déterminé un classement. Pour les pays du bas de la liste, nous avons créé un marqueur spécial; ainsi, lorsqu'un client d'EDC ou un client potentiel venait nous dire : « Nous aimerions exporter dans ce pays. Pouvez-vous assurer ou financer notre contrat d'exportation? » ou « Nous pensons à procéder à un investissement », il existait une série supplémentaire de questions assurant la diligence raisonnable si les circonstances le justifiaient.
Si une entreprise canadienne a remporté un contrat d'exportation pour vendre des chaussettes au Bangladesh, nous n'aurions pas à lui faire part de nombreuses préoccupations en matière de droits de la personne. Si c'est une entreprise canadienne qui vend un logiciel très précis pouvant avoir différentes utilisations — s'il peut être utilisé, par exemple, pour veiller à ce que les enfants qui ont accès à Internet à l'école ne tombent pas sur des sites inappropriés, mais pourrait aussi théoriquement être utilisé par des agences étatiques afin de veiller à ce que certaines histoires essentielles pour le gouvernement ne se retrouvent pas entre les mains du public — voilà les scénarios où nous pourrions poser des questions supplémentaires aux clients quant à l'évaluation des risques effectuée avant de se rendre dans ces pays.
Le sénateur Ngo : Imposez-vous des conditions à ces gouvernements afin qu'ils améliorent leurs résultats? Mettez-vous la barre un peu plus haut? Dites-vous : « S'il n'y a pas de changement ou d'amélioration, nous n'allons pas investir »? Que faites-vous?
Mme Schneider : Comme nous l'avons dit, nous suivons les entreprises canadiennes dans les pays où elles se rendent. Par exemple, une grande partie de nos activités concerne l'assurance-crédit, où l'acheteur du pays étranger ne sait pas que l'entreprise canadienne a contracté une assurance-crédit contre lui. Nous n'interagissons pas avec les gouvernements étrangers puisque nous n'avons pas ce type de relations avec eux, à moins, par exemple, qu'ils achètent le service et que nous financions le projet, auquel cas le gouvernement peut devenir partie au contrat; nous aurons alors des conversations à ce sujet.
Généralement, s'il existe des effets quant à la façon dont nous menons notre travail, étant donné que nous sommes une institution financière, nous décevons parfois les entreprises canadiennes parce que nous ne finançons pas ou n'assurons pas toutes les activités qu'elles aimeraient voir financées ou assurées. Parfois, nous disons que le pays est tout simplement trop risqué pour de multiples raisons et que nous ne sommes pas à l'aise de financer ou d'assurer le contrat d'exportation qui a été remporté.
Le président : Merci beaucoup. Comme vous pouvez le voir, nous avons encore beaucoup de questions. J'espère que nous pourrons vous accueillir à nouveau à l'avenir. Je tiens à vous remercier d'avoir représenté Exportation et développement Canada ici aujourd'hui, et nous nous réjouissons à la perspective de travailler avec vous à l'avenir.
Sénateurs, nous passerons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. De la Fédération canadienne du vêtement, nous recevons Bob Kirke, directeur exécutif; de plus, de Radical Design Limited, nous recevons Barry Laxer, président.
Nous nous excusons d'avoir pris un peu de retard avec les témoins précédents, mais nous allons tout de même prendre une heure complète. Comme vous le voyez, cette question nous intéresse beaucoup. À l'intention des téléspectateurs, j'ajouterai que nous procédons en quelque sorte à une étude préliminaire de la question de la responsabilité sociale des entreprises. Lorsque nous reviendrons à la prochaine session, nous nous attarderons plus longuement à la question. Je sais que vous avez tous les deux des exposés. Je vous demanderais de les faire.
Bob Kirke, directeur exécutif, Fédération canadienne du vêtement : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. La réunion a été prévue à la toute dernière minute, de sorte que je n'ai pas eu le temps de rédiger des observations approfondies. Je serais ravi de répondre à vos questions un peu plus tard.
Je veux vous parler de notre point de vue au sujet des questions qui vous intéressent. Je fais partie des quelques personnes qui étaient au Parlement à de nombreuses reprises en 2002 et 2003, lorsque le Canada a changé les règles concernant les pays moins développés. Essentiellement, dans le cadre de ce processus, le Canada a éliminé les quotas et les droits concernant les vêtements importés de pays comme le Bangladesh. Bon nombre d'entreprises sont déménagées au Bangladesh à la suite de ces changements mais, encore une fois, j'ai l'honneur ou le déshonneur d'avoir été ici en 2002 pour vous parler de tout ceci, et il se peut que j'aie, à un moment donné, mentionné que la mise en œuvre de la concession tarifaire pourrait poser problème.
Premièrement, le secteur du vêtement au Canada s'est installé dans d'autres pays, en partie à cause des changements apportés à la politique tarifaire. Nous importions déjà de nombreux pays, principalement la Chine. L'initiative des pays les moins développés, lancée en 2002, a accéléré la croissance de pays comme le Bangladesh et, plus récemment, le Cambodge. Encore une fois, nous avons beaucoup entendu parler de ces enjeux et, bien sûr, plus récemment, du Rana Plaza, il y a quelques années. Encore une fois, si on examine les politiques tarifaires, particulièrement en Europe et au Canada et dans d'autres pays développés, on constate que les pays du monde développés ont contribué à une espèce de débandade en quelque sorte, vers le Bangladesh, où certaines des normes n'ont pas été respectées. Une grande partie du secteur a donc commencé à tirer des leçons. De nombreux joueurs connaissaient ces leçons avant le Rana Plaza mais, bien sûr, la question a ensuite attiré une attention considérable.
Notre association, la Fédération canadienne du vêtement, a participé à la mise en place de ce qui est devenu l'Alliance for Bangladesh Worker Safety. Il existe un groupe distinct, composé principalement de sociétés européennes, en vertu de l'accord sur la sécurité incendie et des bâtiments au Bangladesh. Il y en a deux, et j'ai constaté, à la suite d'un témoignage d'il y a quelques semaines, que cela cause une certaine confusion. Je serais heureux de vous en parler.
Je pense qu'au bout du compte, il importe de souligner qu'au Bangladesh, des progrès sont réalisés sur le terrain, grâce à ces deux organisations et à l'Organisation internationale du travail, qui commence l'élaboration d'un programme appelé Better Work dans ce pays. Je serais heureux de vous en parler. Pour ce qui est des autres domaines, j'ai comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international pour parler de l'excellent travail que fait Better Work en Jordanie et dans d'autres pays.
En résumé, je serais plus que ravi de répondre à toutes vos questions. Je pourrai m'attarder aux détails du tarif des pays les moins développés, mais pour l'instant, je cède la parole à l'autre témoin.
La présidente : Merci.
Monsieur Laxer, de Radical Design Limited, nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à dire.
M. Barry Laxer, président, Radical Design Ltd : Je m'appelle Barry Laxer. Je suis exploitant et propriétaire d'une entreprise de fabrication de vêtements au Bangladesh depuis environ 2003. Auparavant, j'étais fabricant de vêtements canadiens à Montréal et Toronto. La première fois où j'ai entendu parler de responsabilité sociale, c'est lorsque nous avions notre usine à Toronto à la fin des années 1990; nos clients américains ont alors commencé à envoyer des équipes d'auditeurs pour vérifier les livres de paie, et voir s'il y avait des problèmes de temps de travail non rémunéré — des choses simples que nous ne prenions vraiment pas au sérieux. Et pour être honnête, lorsque nous étions au Canada, je ne prenais pas la responsabilité sociale très au sérieux. À l'époque, nous pensions que c'était amusant que l'on nous demande si nous avions du travail forcé ou si nous employons des gens de moins de 14 ans. Nous avons réalisé que c'étaient des questions normales dans d'autres régions du monde.
Vers 2002, en raison de la pression des prix, nous avons transféré notre production à l'extérieur du Canada. Nous avons choisi le Bangladesh principalement parce que c'est l'endroit où allaient la plupart de nos exportations aux États-Unis; c'était aussi en raison du libre-échange entre le Canada et le Bangladesh et de notre capacité d'utiliser le tissu du Bangladesh tout en continuant d'exporter nos vêtements en vertu de l'ALENA et de ces niveaux de préférence tarifaire, ou NPT. Nous avons donc commencé à le faire et avons constaté qu'il coûtait moins cher d'utiliser le tissu du Bangladesh que de le fabriquer ici. Nous avons cherché dans d'autres pays, mais c'était au Bangladesh que ça coûtait le moins cher, et nous avions plusieurs contacts là-bas, de sorte que nous nous y sommes rendus principalement pour acheter des vêtements.
Pour ce qui est de la responsabilité sociale au Bangladesh, j'ai immédiatement commencé à constater que dans de nombreuses usines, des hommes et des femmes travaillaient 20 heures par jour et touchaient un salaire mensuel d'environ 23 $. Bon nombre d'entre eux n'avaient pas l'air plus vieux que des enfants, mais je ne m'y connais pas beaucoup. Forcer les travailleurs, leur faire subir des abus verbaux et les battre étaient des formes courantes de discipline dans les usines.
Étant donné que nous avions été propriétaires de nos usines et de nos installations au Canada et que nous étions expérimentés dans le domaine de la fabrication de vêtements et de textiles, nous avons décidé que nous ne pouvions vraiment pas, pour de nombreuses raisons, produire dans les usines locales de même que pour des raisons plus réelles, comme la qualité et la livraison. Nous avons décidé de lancer notre propre manufacture de vêtements à Dhaka. À l'époque, nous avons engagé un auditeur de la conformité de la Worldwide Responsible Accredited production, ou WRAP, pour mener des consultations auprès de nous sur la conformité. Étant donné que nous montions une usine, nous voulions bien le faire. Nos clients étaient toujours des marques majeures, et nous avons commencé à en apprendre beaucoup plus sur les menus détails des lois nationales s'appliquant aux usines de vêtements ainsi que la façon dont doivent être combinées ces règles et les normes internationales de santé et de sécurité et de conditions de travail. À l'époque, le Bangladesh disposait de lois concrètes sur la main-d'œuvre et les salaires, et les règles concernant la santé et la sécurité et les conditions de travail étaient beaucoup plus floues.
Nous nous sommes joints au programme WRAP vers 2003 ou 2004. Il nous a fallu environ un an pour être certifiés et nous avons également obtenu notre certificat par des clients qui avaient leurs propres secteurs de la conformité.
À l'époque, cette conformité signifiait que nous devions accepter de verser le salaire minimum national, peu importe son niveau. Nous avons accepté de ne pas demander aux travailleurs de travailler plus de huit heures par jour afin de leur permettre des journées de travail pouvant atteindre 10 heures. Nous leur versions le double du salaire pour les deux heures supplémentaires. Nous avons vérifié les normes de sécurité-incendie dans les immeubles à l'époque, si bien que le bâtiment de trois étages que nous occupions disposait de sorties d'urgence et de portes coupe-feu.
Il a fallu déterminer, d'un point de vue médical, que nos travailleurs avaient l'âge de travailler même si 90 p. 100 d'entre eux n'ont pas de certificat de naissance et ne savent pas quel âge ils ont. À ce jour, ils n'ont toujours pas le certificat de naissance. Un médecin détermine leur âge, ce qui devient leur nouveau certificat de naissance officiel. Nous leur avons donné des cartes d'identité. Nous avons publié la liste des droits des travailleurs, la liste des droits de la direction, tels qu'ils sont établis dans le Code du travail du Bangladesh. De plus, nous avons permis aux travailleurs de former un comité de travailleurs afin d'aborder les griefs avec la direction.
De plus, à l'époque, même si les travailleurs gagnaient le salaire minimum, en général, ils avaient l'air maigres et souvent malades. Nous avons décidé d'offrir des repas deux fois par jour pendant leur pause. Nous avons aussi embauché une infirmière et un médecin à temps plein qui pouvaient recevoir les travailleurs pendant leur pause et leur donner des médicaments au besoin. Tout cela aux frais de l'entreprise.
De plus, nous avons dressé une liste de comportements et d'actes pouvant entraîner un congédiement ou une cessation d'emploi ainsi qu'une liste de comportements pour lesquels un avis écrit sera fourni avant le congédiement. Nous avons aussi accepté de payer aux employés l'équivalent de 90 jours de salaire, plus le solde du mois dû, si nous ne respectons pas les exigences en matière de congédiement. Tout cela fait partie du code du travail.
Nous avons ouvert une plus grande usine en 2008. Nous sommes passés de fabricants de textiles et de vêtements à fabricants et teinturiers de textiles. Nous nous sommes tournés vers la fabrication de textiles destinés aux vêtements de sport de performance. Nous avons acheté des terres et construit des bâtiments. Cette usine était en exploitation jusqu'à il y a quelques mois. Nous l'avons fermée parce que nos deux principaux clients des États-Unis ont souhaité se retirer du Bangladesh. Ils nous ont donné un préavis d'un an à cet effet. Les clients ne voulaient plus être liés au Bangladesh après tous les reportages médiatiques négatifs dont le pays avait fait l'objet.
Je dois dire que mon expérience au Bangladesh n'a rien à voir avec la plupart des usines de vêtements dans ce pays. Étant donné que je suis Nord-Américain et que j'ai auparavant été fabricant en Amérique du Nord, je connais mes clients américains et je suis en contact direct avec eux. Je comprends leur prix, leurs modalités et leurs façons de faire des affaires. En gros, étant donné que j'étais fabricant depuis longtemps, je pense que je bénéficiais d'une certaine crédibilité auprès de mes clients parce qu'ils me connaissaient. J'ai donc été en mesure de garantir de meilleurs prix par rapport aux autres fabricants du Bangladesh.
Par conséquent, j'ai pu assumer les coûts relatifs à la fabrication vraiment responsable et conforme. Le partenariat et la confiance établis avec mes clients m'a permis de verser de meilleurs salaires aux travailleurs de l'usine et de leur offrir un meilleur milieu de travail. J'ai pu engranger des profits, que j'ai pu redistribuer dans l'usine.
Malheureusement, ce n'est pas le cas de la grande majorité des fabricants de vêtements au Bangladesh; une des causes d'un problème très compliqué. Le secteur de la fabrication de vêtements peut être très transparent s'il y a une volonté à cet effet. Quand on comprend le secteur, la plupart des vêtements sont très simples à comprendre. Un haut ou une paire de pantalons requiert une certaine quantité de matériel fabriquée à partir d'une fibre donnée, habituellement un produit de base. On peut physiquement mesurer. Le matériel est fabriqué en suivant un processus de fabrication normalisé. Il existe des normes d'exploitation, et un temps attribué à chaque activité. Il est facile de décortiquer les étapes de fabrication d'un vêtement et de savoir quelle machine peut fabriquer un tel vêtement et s'il y a un nombre suffisamment de machines adéquates dans une usine pour fabriquer ce que l'usine prétend être en mesure de faire.
Selon notre petite marge d'erreur, la plupart des acheteurs devraient disposer des outils nécessaires pour comprendre le coût réel de leurs produits, qu'ils soient fabriqués au Bangladesh, en Chine ou au Canada. Malheureusement, il y a des pays pauvres, comme le Bangladesh, où les travailleurs touchent des salaires dérisoires et les propriétaires ne peuvent leur offrir des conditions de travail décentes en raison des prix, car les acheteurs internationaux s'y rendent pour produire — comme par magie — ce qui n'est pas vraiment réaliste quand on décortique le vêtement. Après un moment, ces possibilités magiques deviennent la norme. Les prix magiques, qui sont illogiques, deviennent ce à quoi on s'attend et on tente sans cesse de repousser les limites pour réduire les prix.
Les entreprises qui exigent que leurs fournisseurs soient socialement respectueux, dans le vrai sens du terme, doivent établir des partenariats avec leurs fournisseurs afin de leur donner les moyens de l'être, ce qui entraîne des coûts. Malheureusement, souvent les entreprises ferment les yeux parce qu'elles veulent vendre des sous-vêtements à 1,99 $, des t-shirts à 4,99 $ et des jeans à 50,99 $. Les prix deviennent un point de référence, sans qu'on y réfléchisse vraiment ou qu'on se demande s'ils sont réalistes.
Pour que les travailleurs, peu importe le pays, gagnent assez pour bien manger et pour avoir un endroit décent et sécuritaire où dormir et des conditions de travail qui sont sécuritaires et rigoureuses, il faut y mettre le prix, et tant que les fournisseurs de vêtements ne seront pas prêts à examiner leurs produits et le prix auquel ils veulent les vendre — c'est-à-dire joindre le geste à la parole —, on n'a pas besoin de réfléchir longtemps pour se rendre compte qu'il y a quelque chose d'illogique dans la production de ce qui se retrouve sur nos tablettes.
La présidente : La dernière fois que je me suis rendue au Bangladesh, j'ai appris que le pays doit livrer concurrence pour conserver le secteur de la fabrication de vêtements afin que les entreprises ne se déplacent pas vers d'autres pays comme la Chine, par exemple. Cette concurrence existe bel et bien, n'est-ce pas?
M. Laxer : Il y a toujours de la concurrence, mais il faut y rattacher un prix. Si on se soucie tant de la santé et de la sécurité des travailleurs, il faudra que les consommateurs de notre partie du monde finissent par décider qu'ils souhaitent appuyer les travailleurs sinon, dans une certaine mesure, il sera impossible d'y arriver. Le Bangladesh a certainement assez de main-d'œuvre pour devenir un grand fabricant de vêtements ou de tout autre produit. Toutefois, les gens doivent toujours vivre dans des conditions raisonnables quand ils produisent les produits de consommation que nous voulons. Nous pouvons aussi choisir de remonter au XIXe siècle et décider que le monde entier est notre marché et que nous pouvons magasiner là où nous le souhaitons. Si nous optons pour la conformité et la responsabilité sociale, certains des produits que nous voulons ne seront peut-être pas aussi abordables que ce qu'on souhaiterait et seront plus chers que ce qu'on a l'habitude de payer. Le Bangladesh n'est peut-être pas le pays le moins cher au monde ou un autre pays a peut-être un code du travail moins rigoureux ou de moins bonnes conditions de vie et pourrait ainsi reprendre la production du Bangladesh, mais en tant que consommateurs, nous devons faire des choix.
La présidente : On entend souvent dire qu'il est impossible de concilier les profits pour les fabricants de vêtements et les droits des travailleurs dans les pays en développement.
M. Laxer : Ce n'était pas vrai dans mon cas.
La présidente : Je dis en général, je n'accuse personne.
M. Laxer : Il n'est pas impossible de concilier les deux. Selon mon expérience, il est possible d'exploiter une usine de fabrication de vêtements en toute sécurité, d'offrir des salaires raisonnables et de respecter les lois au Bangladesh tout en générant des profits. Je l'ai fait. J'en connais d'autres qui le font. Au Bangladesh, il n'y a pas que la main-d'œuvre et les conditions de travail qui empêchent certaines usines de générer des profits, mais les affaires sont les affaires. Parfois, il est impossible d'offrir le prix le plus bas et, si vous êtes acheteurs, vous devez parfois participer davantage aux processus de fabrication et de sous-traitance parce qu'il arrive souvent que les surplus soient grugés par les courtiers, les intermédiaires, les marchands et les agents manipulateurs qui contrôlent les usines ou qui contrôlent les magasins de détail ou les marques. On voit souvent une bonne partie des surplus qui devraient revenir aux usines être grugés par des tiers.
La présidente : Désolée d'apprendre que vous ayez dû fermer votre usine lorsque d'importants clients se sont retirés. Comme j'ai passé un certain temps là-bas à parler aux travailleurs, je comprends que cela signifie que beaucoup de familles n'ont plus les moyens de subvenir à leurs besoins. Je suis certaine que vous y avez réfléchi, mon but n'est pas de vous culpabiliser. Mais quelles sont les conséquences pour votre entreprise?
M. Laxer : L'entreprise est toujours en affaires. L'usine existe toujours. Nous avons beaucoup de demande pour notre production. Au cours des sept ou huit dernières années, nous n'avons pas produit de vêtements de coton au Bangladesh. Nous y avons produit des vêtements en polyester, ce qui est atypique pour ce pays. En général, la plupart des fabricants de vêtements du Bangladesh n'aiment pas importer leurs matières premières. Ils craignent d'acheter des produits provenant d'un autre pays au moyen d'une lettre de crédit, car on ne connaît pas la qualité du produit. De plus, lorsqu'ils exportent un produit dont le fil provient du Bangladesh, ils obtiennent une subvention à l'exportation; en conséquence, dans mon domaine, nous connaissons une très forte demande. C'est un choix personnel que j'ai fait.
La présidente : Avez-vous déménagé dans un autre pays?
M. Laxer : Je vis à Montréal.
La présidente : À Montréal. Le meilleur endroit du monde. Merci beaucoup.
La sénatrice Ataullahjan : Merci de votre présence. J'ai une question un peu longue à vous poser pour faire suite à ce qui s'est passé.
Peu de temps après l'effondrement du Rana Plaza, celui qui était alors président de la Bengladesh Garment Manufacturers and Exporters Association a indiqué qu'il lui manquait 25 p. 100 de travailleurs et que c'était en raison des manifestations. Il s'est montré très insensible. Il a dit : « Si cela ne leur plaît pas, ils peuvent aller travailler ailleurs. »
Avez-vous été en contact avec eux à quelque moment que ce soit?
M. Laxer : Avec la BKMEA?
La sénatrice Ataullahjan : Avec le président de la Bangladesh Garment Manufacturers and Exporters.
M. Laxer : Il y a deux organismes.
La sénatrice Ataullahjan : Je parle de celle dont M. Islam était le président.
M. Laxer : Non. Dans mon secteur, celui des tricots, nous sommes administrés par la Bangladesh Knitware Manufacturers and Explorers Association, qui est présidée par quelqu'un d'autre.
La présidente : On assiste à une demande de vêtements moins chers partout dans le monde, ce que l'on appelle « le prêt-à-porter rapide ». Auparavant, les détaillants vendaient des vêtements qui duraient presque toute une saison. Maintenant, nous assistons à une nouvelle tendance qui veut que de nouveaux vêtements sortent constamment.
M. Laxer : Il faut que ce soit le cas.
La sénatrice Ataullahjan : On a décrit ce phénomène comme un « nivellement par le bas ». Les gens ne veulent que des vêtements très bon marché. C'est aussi ce que veulent les détaillants, mais ils doivent avoir recours à des inspecteurs externes pour se distancier du lieu de fabrication des vêtements.
M. Laxer : Oui, et c'est un problème de taille. Le prêt-à-porter rapide est nécessaire, car si les magasins ne sont pas en mesure de renouveler leur inventaire tous les 40 ou 60 jours, que vont-ils vendre? Cela ne leur rapporte pas grand-chose de garder la même gamme de produits tout le temps. C'est un peu ce qui les rend rentables et fait tourner l'économie.
Pour ce qui est des inspecteurs externes, c'est un problème de taille, car chacun a ses propres intérêts. À moins d'inspecter vous-même votre produit, cela ne veut pas forcément dire que quelqu'un, dans un autre pays, avec des critères complètement différents — que ce soit du point de vue professionnel et personnel —, inspecte votre produit de la façon que vous l'inspecteriez vous-mêmes.
La sénatrice Ataullahjan : On se dégage de sa responsabilité en ne posant pas les questions dont on pourrait ne pas aimer les réponses.
M. Laxer : En effet.
La sénatrice Ataullahjan : Vous avez rapidement abordé la question de la responsabilité sociale des consommateurs. Certains détaillants ont connu un contrecoup depuis l'effondrement du Rana Plaza. On tient les détaillants responsables. Que peut-on faire pour s'assurer que ces usines ont plus de responsabilité sociale? Le consommateur joue un rôle primordial. Comment le sensibiliser?
M. Laxer : Les sources de vêtements elles-mêmes doivent jouer un rôle plus important pour ce qui est de leurs sources d'approvisionnement. L'une des tragédies associées au Rana Plaza, outre bien évidemment le nombre de vies perdues, était que certaines des personnes dont les vêtements y avaient été fabriqués ignoraient que c'était le cas parce qu'elles faisaient appel à un intermédiaire. Il se peut même que vous fassiez un voyage à Dacca et que l'on vous montre une belle usine, mais lorsque il est question de production, cette usine peut être débordée ou peut ne pas souhaiter faire la production ou n'a peut-être jamais envisagé de le faire. On ne sait pas, car on compte sur d'autres gens qui sont vos yeux et vos oreilles sur le terrain, et ces gens n'ont pas forcément toujours les mêmes intérêts que vous.
Il se trouve que j'ai eu une expérience avec le Rana Plaza, car un de mes clients faisait aussi affaire avec lui. Ce client a fait l'objet d'une très mauvaise couverture médiatique en raison de cela. Étant donné que je faisais beaucoup de production avec ce client, il m'a dit : « Barry, ce n'est pas un produit pour toi. Ce doit être un produit à un dollar qui ne peut aller dans ton usine. » Ce client savait ce qu'il faisait et a couru un risque. Malheureusement pour lui, cela n'a pas fonctionné.
Récemment, comme je vous ai dit que j'ai fermé mon usine, on m'a demandé de faire un exposé devant l'un des très grands détaillants de vêtements au Canada. Je ne fais pas des affaires au Canada depuis longtemps, car j'ai toujours mené mes activités aux États-Unis. En raison de la nature des vêtements que nous fabriquons et de la volonté de bon nombre de gens de faire la production au Bangladesh, j'y suis allé avec un sac d'échantillons pour leur montrer ce que nous faisions. Ils ont trouvé que c'était extraordinaire et ont aimé le produit, mais se sont dits surpris du fait qu'il soit fabriqué au Bangladesh.
L'un des représentants de ce fournisseur m'a posé une question bizarre : comment pouvez-vous parvenir à fabriquer nos produits, respecter nos tarifs et être conformes aux normes? J'étais choqué d'entendre un client me demander comment je pouvais me permettre de faire affaire avec lui. Je parle d'un grand détaillant qui fait beaucoup de publicité sur sa conformité et qui insiste sur le fait qu'il est l'une des grandes organisations mondiales en matière de conformité. Mais il existe un fossé entre la personne qui s'occupe de la conformité et de la responsabilité sociale de l'entreprise et la personne dans la centrale d'achat qui sait que les usines qui sont généralement conformes ne peuvent respecter les prix des produits qu'elles doivent vendre dans leurs magasins; et cela s'est produit ici il y a un mois ou deux.
La sénatrice Ataullahjan : Récemment, le propriétaire du Rana Plaza a été accusé de meurtre. Au Bangladesh, s'il est déclaré coupable, il est passible de la peine de mort. Comment a-t-on réagi à ces accusations dans votre industrie? Pensez-vous que cela aura une incidence sur le type d'entreprises avec lesquelles on fait affaire et leur pays d'origine?
M. Laxer : Oui, et cela a déjà des répercussions. Depuis la tragédie du Rana Plaza, on a assisté, chez les acheteurs de vêtements, à une sensibilisation plus marquée à la santé et à la sécurité des installations dans lesquelles travaillent ceux qui confectionnent leurs vêtements. D'un point de vue structurel, l'accord est très axé sur la santé et la sécurité. Ils ont, en quelque sorte, remplacé le WRAP comme organisme de conformité principal et recherché au Bangladesh.
M. Kirke : Ce qui s'est passé ici, c'est qu'ils ont examiné les entreprises et les usines du Rana Plaza. C'est le cas d'une entreprise que je connais. Lorsqu'ils envoient quelqu'un au Bangladesh ou ailleurs, ils prennent toute une série de photos. Ils examinent toute l'usine et ils prennent des photos qu'ils archivent ensuite. Ils ne voulaient pas aller au Rana Plaza. Ils ont utilisé une autre usine ailleurs. Lorsque l'usine s'est effondrée...
La présidente : Pouvez-vous clarifier ce que vous entendez par « Ils ne voulaient pas aller au Rana Plaza? »
M. Kirke : Ils n'ont pas utilisé l'usine.
La présidente : Pour y prendre des photos.
M. Kirke : Ils avaient accès aux archives et ont tout regardé, car le Rana Plaza possédait plusieurs usines. Pour différentes raisons, ils ont choisi d'aller ailleurs; mais cela paraissait bien et ils ont pensé que c'était assez raisonnable. Bien entendu, on avait ajouté des étages supplémentaires au Rana Plaza, ce qui a été rendu possible par de la corruption — d'où les accusations qui ont récemment été portées contre le propriétaire.
Le résultat, c'est que deux éléments distincts, l'Accord sur la sécurité-incendie et la sécurité des bâtiments au Bangladesh et l'Alliance pour la sécurité des travailleurs au Bangadesh tiennent compte tous les deux de l'intégrité des bâtiments, quelque chose dont on ne tenait pas compte auparavant. On jetait un coup d'œil et on disait que cela avait l'air bien, et cetera. C'est une différence considérable. La sécurité-incendie a elle aussi été renforcée, car c'est ce qui présente le risque le plus élevé, au quotidien, dans les usines du Bangladesh.
S'il y a une leçon à tirer, c'est que les risques sont différents selon les pays. Au Vietnam et au Cambodge, ce n'est pas la même chose qu'au Bangladesh. Vous avez mentionné le prêt-à-porter rapide; et bien pour H&M, Zara et d'autres détaillants dont les activités sont rendues possibles par des changements tarifaires en Union européenne et au Canada, le résultat est que l'on s'approvisionne maintenant massivement auprès de ces pays, surtout au Bangladesh.
Nous avons remédié à un certain nombre de ces situations. Comme l'a dit l'autre témoin, on a beaucoup recours à la sous-traitance avec des usines secondaires et tertiaires. Il serait faux de dire que les choses ne se sont pas améliorées dans une certaine mesure, et il y a un certain nombre d'aspects positifs.
M. Laxer : Les choses se sont améliorées d'une certaine façon. Les agences de conformité examinent de façon réaliste la structure, et on assiste donc à de grandes améliorations dans la qualité des constructions, dans la formation en évacuation et en sécurité-incendie. Ce qui caractérise particulièrement le Rana Plaza, c'est qu'on y avait ajouté trois étages qui n'auraient pas dû être là. C'est une tradition au Bangladesh d'obtenir des permis de construction, de faire des plans et ensuite de chercher à économiser de l'argent en ne les respectant pas. Les bâtiments sont peut-être construits avec un peu trop de détails au Canada et aux États-Unis, où la structure des bâtiments industriels a tendance à être construite avec des poutres d'acier. Au Bangladesh, on procède à l'aide de colonnes armées de poutres d'acier. Selon la charge, il faut un certain nombre de poutres d'acier dans telle ou telle colonne pour supporter la charge prévue de l'étage supérieur, mais ensuite on triche. Plutôt que d'en mettre 14 à un pouce de distance, on va en mettre 7 à un demi-pouce de distance en espérant que cela fonctionne.
Parallèlement, par le passé, tout ce dont on avait besoin c'était d'un permis, et il était possible de l'acheter. Par exemple, si vous aviez un bâtiment ou une structure qui devait avoir quatre étages, on pouvait acheter un permis pour trois étages supplémentaires sans que quiconque examine les plans ou ne teste la capacité de la structure à résister à la charge. Maintenant, cela n'est plus possible de le faire, car il y a des vérifications indépendantes. Aussi, en raison de ce qui s'est passé et de l'attention que cela a attiré, les gouvernements sont plus au fait du type de bâtiment utilisé.
La sénatrice Ataullahjan : Je regrette que vous ayez eu à fermer vos usines, parce que je crois fermement qu'il faut appuyer les travailleuses de là-bas. Lorsque j'ai visité une de ces usines, j'ai vu de nombreuses jeunes femmes qui gagnaient leur pain. Je souhaiterais qu'on puisse améliorer leurs conditions de travail en continuant à leur offrir un poste.
M. Laxer : C'est tout à fait naturel, et toutes ces personnes ont besoin de travail. Le problème que je n'ai pas encore abordé en matière de conformité, c'est que ces personnes ont besoin de gagner leur vie. Les conditions de vie au Bangladesh sont très difficiles. Je pense que le gouvernement a récemment augmenté le salaire minimum dans le secteur du textile, le faisant passer à 5 500 ou 5 900 takas, l'équivalent d'à peu près 90 $CAN.
Mais on ne parle jamais vraiment d'un salaire qui permette de défrayer les coûts de la vie. Les salaires au Bangladesh ont probablement triplé ou quadruplé depuis 12 ans, mais le coût de la vie a probablement décuplé.
Quelque chose qui m'a toujours inquiété dans le domaine de la conformité sociale, c'est qu'on n'aborde jamais la question du coût réel de la vie dans un pays. Nous nous penchons sur la santé et la sécurité : l'exemple du Rana Plaza nous a montré que c'est quelque chose d'absolument primordial.
Mais ce qui est tout aussi important, c'est que les gens ne meurent pas affamés et qu'ils travaillent dans des édifices avec assez de toilettes et un escalier d'urgence. C'est important, mais nous devons faire le point sur combien il faut gagner au Bangladesh pour pouvoir se permettre deux repas par jour, dont une carotte et un demi-verre de lait, et coucher dans une pièce avec 15 autres personnes sous un toit de tôle ondulée. Personne ne dispose actuellement de ces informations.
Ce qui m'a toujours intrigué dans le domaine de la conformité sociale, c'est qu'on a toujours imposé de nombreuses normes occidentales dans des domaines où nous estimions que cela ne mènera pas à une hausse des prix, tandis qu'avec les salaires, nous avons fait l'autruche en disant respecter les lois du pays en question. Pourtant, ces lois ne faisaient jamais mention des mesures sociales que nous avons imposées; nous avons choisi, de façon arbitraire, d'imposer des choses ayant une moindre incidence sur les prix.
Nous devrons mieux examiner ces questions si nous voulons faire preuve de conformité sociale à l'avenir.
La sénatrice Eaton : Merci beaucoup, c'est fascinant.
Nous rédigeons ce rapport, et nous espérons formuler des recommandations susceptibles d'aider les travailleurs du textile internationaux.
Vous vous rappelez sans doute d'une campagne menée par Harry Winston à New York il y a quelques années sur les diamants de la guerre. Évidemment, nous ne pouvons imposer à des pays comme le Bangladesh, le Cambodge ou la Chine de régler le problème de leur rémunération horaire. Cela ne relève pas de nous.
Mais pouvons-nous sensibiliser le public et établir une sorte d'homologation pour les fabricants de vêtements à l'extérieur du Canada?
M. Laxer : Oui, certainement.
La sénatrice Eaton : Est-ce qu'on a déjà essayé?
M. Laxer : J'en ai discuté avec les gens de Better Work. Better Work est un programme de la SFI et de l'OMC. Nous avons parlé de la création d'un sceau de qualité et de sensibiliser le public à ce que les organisations considèrent comme étant des conditions de travail équitables.
La sénatrice Eaton : Oui, parce qu'en tant que consommatrice, je vais chez un de nos grands détaillants et j'y vois des teeshirts blancs. L'un porte une étiquette « travail équitable », alors que l'autre n'en porte pas. Le prix peut varier de 1 $ ou de 1,50 $, mais en tant que consommatrice, je serais peut-être plus portée à choisir celui avec l'étiquette « travail équitable ».
M. Laxer : Absolument. Si vous êtes sensibilisée aux différences — et je ne connais pas très bien le travail équitable — mais...
La sénatrice Eaton : Moi non plus. C'est un terme que je viens d'inventer.
M. Laxer : ...à un certain point, un organisme pourrait être mieux connu et sensibiliser le public afin d'offrir un choix aux gens qui sont conscientisés.
La sénatrice Eaton : Existe-t-il une association internationale de l'industrie du textile ou du vêtement?
M. Laxer : Pas que je le sache, mais c'est bien possible.
M. Kirke : Il y a la Fédération internationale de l'industrie de l'habillement, dont le profil n'est toutefois pas très développé. En fait, les marques de commerce sont très nombreuses. L'aspect un peu différent a déjà été évoqué : un des témoins précédents a parlé des industries extractives; lorsqu'on creuse une mine, la mine est là. C'est une entité importante. Les vêtements, eux, sont fabriqués dans des centaines de milliers d'usines du monde entier. Il existe au sein de cette industrie une telle complexité et une telle diversité qu'il est difficile d'agir de façon concertée.
Il serait juste de dire qu'à différents moments, différents secteurs l'ont essayé, sans trop bien réussir. Les circonstances ont peut-être changé, et ce serait...
La sénatrice Eaton : Pourquoi ces efforts n'ont-ils pas été couronnés de succès? Était-ce avant l'incident du Rana Plaza?
M. Kirke : Oui. Y a-t-il quelqu'un dans cette salle qui a acheté des vêtements provenant d'une usine où un tel incident s'est produit? Rien n'empêche les gens de le faire, à part les lignes directrices du Bureau de la concurrence sur le travail équitable et raisonnable. Certaines entreprises telles que Patagonia, un fabricant de vêtements extérieurs, qui énonce clairement la responsabilité sociale dont elle fait preuve dans sa production, allant jusqu'à la fibre, la teinture et les produits chimiques, mais c'est plutôt exceptionnel.
La sénatrice Eaton : Il faudrait donc que des entreprises très connues comme la Compagnie de la Baie d'Hudson, par exemple, disent : « Nous ne vendrons plus de vêtements ne portant pas l'étiquette du travail équitable » ou une étiquette quelconque de ce genre.
M. Kirke : Dans le cas de la Compagnie de la Baie d'Hudson, elle participe déjà à l'Alliance pour la sécurité des travailleurs au Bangladesh, et s'est donc engagée dans cette voie. De là à savoir si elle apposerait une étiquette y attestant, c'est une autre paire de manches.
La sénatrice Eaton : Et les mesures qu'ils prennent tous, à quel point sont-elles efficaces?
M. Kirke : Comme l'a dit Barry, il s'agit de mesures importantes. Ils sont en train d'examiner les deux facteurs principaux au Bangladesh : la protection contre l'incendie et l'intégrité structurelle. Ce sont donc deux bonnes mesures. Sont-elles idéales? Eh bien, il s'agit quand même du Bangladesh. Cela représente tout de même un progrès considérable.
La sénatrice Eaton : Au fond, vous êtes en train de nous dire qu'il n'y a rien que nous puissions faire.
M. Laxer : Pas du tout. Si vous vouliez consacrer...
La sénatrice Eaton : Mais M. Kirke a dit qu'il n'avait rien de positif à nous recommander comme mesure. C'est plutôt : « bien, vous savez... »
M. Laxer : C'est tout nouveau, et bon nombre de ces choses deviennent plus courantes, du moins chez les consommateurs occidentaux et particulièrement en Europe. Cependant, il faut du financement pour qu'un organisme ou une marque de commerce entreprenne la promotion internationale à grande échelle et très visible, en disant : « si vous achetez notre marque, voici notre site web. Vous pouvez y voir les critères auxquels doit répondre une usine pour porter notre marque ». À ce moment-là, vous auriez le choix d'acheter une marque axée sur le commerce équitable plutôt que le prêt-à-porter rapide.
M. Kirke : Vous avez parfaitement identifié sa complexité. Du côté des détaillants, si vous voulez parler du prêt-à-porter rapide et demander à qui est la faute, vous vous tournerez peut-être vers H&M parce qu'ils suivent ce modèle. C'est rapide, peu coûteux, vous rentrez, vous sortez, et voilà. H&M est probablement le partenaire du monde des affaires le plus engagé envers le programme Better Work qu'a mentionné Barry. Ils sont bien plus en avance que quiconque pour ce qui est de la transparence dont ils font preuve en ce qui touche leurs usines, à commencer par l'utilisation des eaux, qui est sans doute l'élément de l'industrie des textiles qui a le plus de conséquences sur l'environnement. Le problème, c'est que quelqu'un va dire que H&M, c'est le diable incarné. Better Work dirait qu'ils sont notre plus grand partisan.
La sénatrice Eaton : Si Obama précipite le PTP, et d'ailleurs nous voulons très certainement y participer, est-ce qu'on pourrait ajouter ce détail et l'utiliser pour négocier?
M. Kirke : Le Bangladesh n'est pas un pays du Pacifique; il n'est donc pas encadré par le PTP. Vous avez cependant le Vietnam. Voilà le hic dans le PTP du côté de l'approvisionnement en vêtements. Je ne pense pas que les dispositions en matière de travail dont vous parlez y figureront. Il y aura des limites sur les entreprises étatiques, des choses de ce genre, qui ont un aspect lié à la main-d'œuvre.
La sénatrice Eaton : C'est fou comme ils veulent s'immiscer dans le système de gestion de notre pays sans pour autant qu'on puisse avoir notre mot à dire dans leurs usines de textiles.
M. Kirke : À mon avis, peu d'avantages découleront du PTP pour nous.
La sénatrice Hubley : Merci pour vos présentations. Bienvenue à vous. C'est très intéressant. Nous avons beaucoup entendu parler de l'industrie et de ses responsabilités, mais pensez-vous qu'il incombe au gouvernement canadien de réglementer l'importation de vêtements qui proviennent d'endroits où la santé et la sécurité des employés ne sont peut-être pas respectées?
M. Kirke : L'initiative du pays le moins développé est parfois appelée un accord de libre-échange. Ce n'est pas le cas. C'est un tarif préférentiel unilatéral octroyé à ces pays.
À sa mise en œuvre, le gouvernement canadien a fait en sorte que les pays signent un protocole d'entente détaillant les dispositions de conformités douanières. Il n'y avait pas du tout de dispositions à l'égard de la main-d'œuvre. En réalité, c'est très difficile dans ces genres d'accords. Dans le cadre du programme SPG, l'Union européenne a un genre de capacité d'utiliser des dispositions relatives à la main-d'œuvre, mais ce système ne fonctionne pas très bien. Et je peux vous dire qu'après l'effondrement du Rana Plaza, le gouvernement canadien a renouvelé sans modification le tarif des pays les moins développés sans essayer d'y insérer des dispositions relatives à la main-d'œuvre. Il est donc très clair que le gouvernement canadien ne va pas agir dans ce domaine. Voilà le premier point.
Deuxièmement, dans un accord de libre-échange, nous avons ces dispositions et nous pouvons agir en vertu desdites dispositions qui ont du mordant. À mon avis, les pays qui ont signé des accords avec nous récemment vont commencer à voir les retombées bientôt. Mais cela revient encore une fois au fait que nous parlons du Bangladesh. Nous importons 1 milliard de dollars de vêtements du Bangladesh. C'est le pilier de leur économie. Nous ne voulons pas le perturber, donc, avec seulement très peu d'influence, nous devons déterminer s'il y a des façons dont nous pouvons améliorer la situation là-bas.
À la fin de 2013, le gouvernement canadien a décidé d'investir dans l'Organisation internationale du travail pour appuyer un accord tripartite au Bangladesh sur la sécurité contre les incendies et la sûreté des bâtiments. Il n'est pas lié aux préférences commerciales, bien qu'il s'établisse en parallèle à ce dernier. Ils appuient l'OIT dans leur démarche d'inspections d'usines secondaires et tertiaires. Voilà ce qu'a fait le gouvernement canadien. Je ne pense pas qu'ils vont changer de cap. Ce serait quasi impossible à ce stade, et j'espère qu'ils vont pouvoir en tirer des leçons et les mettre en œuvre pour de nouveaux pays. Aujourd'hui, nous parlons du Bangladesh. Dans quelques années, nous parlerons du Myanmar qui, depuis mars, jouit d'un accès sans tarif au marché canadien. Je pense que vous constaterez que le Myanmar connaîtra la plus grande transgression dans le marché de l'exportation des vêtements en Asie, et on peut espérer que cela se fera avec moins de conséquences qu'au Bangladesh.
M. Laxer : Et l'Afrique aussi.
La présidente : J'ai une question, si vous me le permettez. Tout à l'heure vous parliez de l'accord et de l'Alliance. Quelles sont vos impressions de l'accord et de l'Alliance et des différences entre les deux?
M. Laxer : L'Alliance surveille surtout la conformité sociale, alors que l'accord est plutôt une agence de surveillance de la santé et de la sécurité structurelle. Actuellement, l'accord est plus sollicité parce que les questions structurelles, les questions de santé et de sécurité et d'incendie sont plus d'actualité, mais c'est cela la vraie différence entre les deux. À l'heure actuelle, les acheteurs demandent plus souvent la certification de l'accord.
D'après mon expérience personnelle, parce que j'ai rencontré les membres de l'accord il y a deux ou trois semaines, les membres prennent les critères de construction sécuritaires très au sérieux. C'est très strict, il faut se conformer. On ne peut pas faire les choses à moitié. On ne voit plus les pratiques qu'on voyait dans les organismes auparavant : si vous vous joignez à nous et que vous payez, nous allons nous assurer que vous vous conformerez d'ici un an ou deux. Soit le bâtiment est sécuritaire et il possède toutes les caractéristiques nécessaires, soit ce n'est pas le cas. Sur ce plan, je trouve que l'accord est très solide et qu'il fonctionne très bien.
La présidente : Monsieur Kirke, est-ce que vous désirez ajouter quelque chose?
M. Kirke : Je ne suis pas certain que cette distinction soit si forte. L'ancien haut-commissaire du Canada au Bangladesh était un conseiller à l'Alliance, et je peux vous dire que l'Alliance inspecte les usines. Elle partage ses méthodes d'inspection avec l'accord et vice versa.
Il y a six ou neuf mois, il y a eu un désaccord entre les deux parce que certaines usines étaient inspectées deux fois. Au final, ils ont essentiellement harmonisé leurs inspections. Je ne vois pas une si grosse différence entre les deux.
M. Laxer : C'est une différence qui est perçue sur le terrain.
M. Kirke : En réalité, tout est très positif à ce stade. Il y a quelques années, le programme WRAP que Barry a mentionné était très bien. Il a évidemment été éclipsé par ces deux entités, et la situation s'est améliorée.
La présidente : C'est toujours un défi, parce qu'on regarde ces questions et on se dit que si les pays ne se conforment pas aux normes relatives aux droits de la personne, si les entreprises dans ces pays ne se conforment pas aux normes, peut-être qu'on devrait boycotter les marchandises et les pays qui n'appliquent pas les normes de santé et de sécurité pour les employés dans ces pays. Est-ce que le bien-être des travailleurs serait renforcé grâce aux conditions de travail améliorées, ou est-ce que les employés seraient licenciés? Est-ce qu'il s'agit d'un manque de volonté politique sur le plan de l'application de la loi, ou d'un manque de ressources?
J'hésite à le dire, mais s'il n'y avait pas d'usines de fabrication de vêtements dans ces pays, beaucoup de femmes qui ont un peu de pouvoir actuellement n'en n'auront plus du tout. J'hésite par rapport à ce qu'on devrait faire. Alors que nous progressons dans notre étude, nous avons beaucoup de chance de vous avoir avec nous aujourd'hui. Un de mes collègues a une autre question pour vous.
À quoi devrait ressembler notre étude? Sur quel sujet devrait-on se concentrer? On ne peut parler que des entreprises canadiennes et des initiatives qu'elles devraient prendre au plan de la responsabilité sociale des entreprises. Nous savons que vous avez beaucoup de connaissances dans ce domaine, et nous aimerions vous poser des questions.
M. Kirke : Si vous me permettez de répondre à votre commentaire. Il y a une raison pour laquelle le gouvernement du Canada a fourni un accès libre de droits de douane au Bangladesh en 2002. À la fin de l'année 2004, tous les quotas d'importation pour les vêtements étaient éliminés. Je pense qu'on estimait que si on n'aidait pas le Bangladesh, ce dernier ne serait plus viable comme centre de fabrication. Bien sûr, à ce moment-là, la Chine venait de se joindre à l'OMC, elle avait le vent dans les voiles et offrait des salaires très bas. Elle avait tout pour réussir.
Le premier ministre Chrétien a décidé que c'est ce qu'il voulait faire parce qu'on pensait que le Bangladesh allait faire faillite. Même chose chez les Européens. L'initiative européenne s'appelait « Tout sauf les armes »; la nôtre était le tarif des pays les moins développés. Les Américains n'ont jamais fait de programme équivalent.
Cela dit, c'est ce qui a sauvé l'industrie au Bangladesh et lui a permis de croître. A-t-elle crû de façon qu'on n'aime pas toujours? Oui. Néanmoins, on s'attend à ce qu'en 2018-2019, le Bangladesh ne sera plus un des pays les moins avancés, ce qui était simplement inimaginable en 2002. Au cours des 16 ou 17 dernières années, ce pays qui était le pire des 47 plus pauvres pays du monde a connu des améliorations en matière de revenu, de santé, et d'espérance de vie, à un point tel qu'il perdra cette préférence tarifaire à un certain point — disons en 2019 ou en 2020.
C'est assez remarquable, et c'est parce que ces gens ont ces emplois qu'ils n'auraient pas eus autrement; ce sont ces femmes qui vivaient auparavant en région rurale, et même si leurs conditions sont mauvaises, elles sont mieux qu'elles ne l'étaient.
C'est un équilibre difficile à atteindre. On ne veut pas donner carte blanche aux entreprises pour qu'elles abusent de leur rôle dans la société, mais en même temps, il faut prendre du recul et dire que le Bangladesh n'a pas été détruit. Il s'en tire mieux que jamais en matière d'économie, de santé, et d'éducation, et il a le potentiel de continuer ainsi à condition que certaines de ces initiatives s'implantent et créent une industrie stable et durable.
La présidente : Monsieur Laxer, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Laxer : Je ne suis pas certain d'être d'accord avec tout cela, comme j'ai été là aussi longtemps.
La présidente : Donnez votre perspective, s'il vous plaît.
M. Laxer : Il y a plus de revenus qui entrent au Bangladesh. Malheureusement, il est distribué parmi un demi-pourcent du pays. C'est un pays qui compte environ 160 millions d'habitants, du moins c'est ce que l'on pense puisqu'il n'y a pas eu de recensement depuis — je ne sais pas combien de temps — 20 ans. Le taux d'analphabétisme est encore de 80 p. 100, sinon plus. Généralement, il n'y a toujours aucun accès aux soins de santé pour la majorité.
Bob avait raison quand il disait qu'un embargo ou des sanctions nationales contre eux ne seraient certainement pas une solution parce qu'ils sont certainement mieux, d'une façon ou d'une autre, qu'ils ne l'étaient probablement il y a 15 ans. Il y a — j'oublie le chiffre — trois millions de personnes qui participent à l'industrie du textile et du vêtement au Bangladesh, qui représente 90 p. 100 de son PIB. Y mettre fin pour les punir n'est pas nécessairement la solution non plus.
Comme j'ai passé tellement de temps là-bas, je ne sais pas si j'ai une autre solution à proposer que celle d'informer la population au sujet de la situation et de donner aux consommateurs le choix d'être renseignés sur la provenance de leurs produits et peut-être de faire pression sur les usines afin qu'elles améliorent leur niveau de gestion de base, la rémunération de leurs travailleurs et les conditions de production pour que les sociétés soient peut-être motivées à faire mieux.
La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Kirke, vous avez dit quelque chose qui m'a vraiment troublée. Vous avez dit que la Birmanie ou le Myanmar sera le prochain grand pays pour la fabrication.
L'histoire de leur pays est tellement fermée et il y a eu d'horribles violations des droits de la personne; au Bangladesh, au moins, quand il y a eu la crise causée par l'effondrement et l'incendie du Rana Plaza, le gouvernement a réagi. Pensez à ce qui se passe dans cette partie du monde avec les musulmans Rohingya, où personne n'assume aucune responsabilité.
Quelles garanties seront mises en place pour s'assurer que les droits des travailleurs seront bel et bien respectés?
M. Kirke : Notre programme préférentiel en matière de tarif ne contient aucune composante relative à la main-d'œuvre. Depuis mars 2015, il n'y a plus de composante relative à la conformité douanière, ce qui veut dire — en fait, c'est un peu compliqué et je préfère ne pas en parler à ce moment-ci.
Il n'y a pas de conditions, mais cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas travailler avec les partenaires des Européens; on peut commencer à travailler avec eux dès maintenant, donc avant que ne surviennent des problèmes importants.
Au Myanmar, je ne crois pas qu'il y ait les mêmes problèmes avec, disons, les immeubles, qui y sont moins hauts, par exemple. Cela dit, le programme devrait fonctionner maintenant.
Une chose sur laquelle nous pouvons tous nous entendre c'est que le Canada a joué un rôle clé auprès du programme Better Work par le truchement de l'OMT. Prenez ce programme, qui est chapeauté par l'OMT et la SFI : c'est un modèle, et les grandes marques y ont accordé un appui sans précédent, surtout les grandes marques nord-américaines. Dans ce groupe, on retrouve H&M, Levi Strauss, Gap; bref, tout le monde.
Si on pouvait appuyer l'OMT dès aujourd'hui pour que le programme soit mis en œuvre en Birmanie et au Myanmar, ce serait une recommandation très positive que pourrait faire votre comité.
La présidente : Merci beaucoup à vous deux. Vous nous avez vraiment appris beaucoup de choses. On aurait davantage de questions pour vous; il faudra donc vous faire revenir.
Passons maintenant au troisième groupe de témoins pour cet après-midi. Du groupe Fairtrade Canada, Shannon Brown, directrice, Développement des affaires et relations commerciales, et Sofia Molina, spécialiste des catégories de café. Du groupe Maquila Solidarity Network, par vidéoconférence, nous accueillons Bob Jeffcott, cofondateur et analyste de politiques. Et du Solidarity Center, Shawna Bader-Blau, directrice exécutive.
Bienvenue à vous tous. Je m'excuse de vous avoir fait attendre. Les sénateurs ont manifesté beaucoup d'intérêt pour les témoins précédents et ils leur ont posé beaucoup de questions. Mais vous disposez également d'une heure entière pour vos présentations.
Commençons par Mme Shannon Brown.
Shannon Brown, directrice, Développement des affaires et relations commerciales, Fairtrade Canada : Merci, madame la présidente, de me donner l'occasion de vous entretenir à ce sujet.
Je m'appelle Shannon Brown, et cela fait plus de huit ans que je travaille avec des entreprises canadiennes. Sofia Molina, qui est assise à côté de moi, nos collègues de Fairtrade Canada et moi-même avons aidé toutes sortes d'entreprises à s'assurer que leurs partenaires fournisseurs respectent des normes rigoureuses, mais réalistes, qui font l'objet d'un consensus international, et qui sont fondées sur trois piliers de durabilité, soient les piliers économique, social et environnemental.
Fairtrade Canada est le membre canadien de Fairtrade International, un réseau international d'organisations à but non lucratif qui se trouve dans des pays de producteurs et des pays de consommateurs, et qui a comme mission d'améliorer les conditions de travail et de commerce des agriculteurs et des travailleurs les plus pauvres au monde. En fait, les agriculteurs et les travailleurs qui vivent dans des pays en développement sont les propriétaires de notre système. Ils occupent 50 p. 100 des sièges à nos assemblées générales, ce qui veut dire que tout ce que nous faisons doit passer par les producteurs dans les pays en développement.
Nous avons un procédé de certification volontaire pour les produits, qui est représenté par la marque Fairtrade, marque qu'on retrouve sur les produits de consommation. Cette marque déposée est le symbole le plus reconnu au monde dans le domaine du commerce équitable.
Les consommateurs canadiens n'ont jamais été aussi enthousiastes au sujet de la marque Fairtrade, et ils n'ont jamais été aussi prêts à boycotter des marques qui n'ont pas assuré l'intégrité de leurs chaînes de production. Nous aidons les entreprises à identifier les risques et nous leur fournissons un modèle éprouvé pour non seulement réduire ces risques, mais aussi pour s'assurer que les chaînes d'approvisionnement améliorent le sort des agriculteurs et des travailleurs, qui produisent des biens pour nous, aujourd'hui et demain.
La tragédie survenue à l'immeuble de Rana Plaza a fortement ébranlé les Canadiens. Elle nous a tous forcés à confronter notre propre responsabilité en ce qui concerne l'argent que nous dépensons et le monde que nous façonnons avec nos achats. Le commerce équitable est souvent né de situations désespérées. Des millions d'hommes, de femmes, et, tristement, d'enfants travaillent dans des conditions difficiles et dangereuses pour produire la nourriture que nous mangeons et fabriquer les vêtements que nous portons.
Par ailleurs, c'est réjouissant de parler à un agriculteur dont la vie et la communauté ont été améliorées grâce au commerce équitable. Dans le même ordre d'idées, des communautés et des institutions canadiennes sont pleines de bénévoles de tous âges qui se réjouissent en faisant la promotion de produits issus du commerce équitable dans leurs écoles, leurs églises et leurs bureaux.
Je suis venu aujourd'hui pour vous faire part de trois recommandations. Je nous encourage tous à faire preuve d'un peu plus d'ambition, d'être plus ambitieux, peut-être, que lors de la dernière séance. Je crois qu'il y a tant de choses que nous pouvons faire. Nous avons tellement de solutions à portée de la main, et je suis très heureux que nous terminions avec cette séance.
La première recommandation est d'utiliser tout ce que nous avons appris au cours des 25 ans d'existence de notre système, système fondé sur une approche multilatérale. Toutes les solutions et la réglementation proposées doivent comprendre le principe de transparence dans la chaîne d'approvisionnement, des normes rigoureuses et la vérification par des tiers.
De plus, Fairtrade a fait des travaux innovateurs en ce qui concerne les droits des travailleurs et le salaire vital, et nous nous ferons un plaisir de partager ce que nous avons appris. À la base, nous croyons que les pratiques professionnelles vont s'améliorer si les travailleurs participent à la gouvernance de leur milieu de travail. Ils doivent pouvoir discuter non seulement de leurs salaires et de leurs conditions de travail, mais aussi de problèmes et de solutions liés à la production et la productivité.
En 2016, Fairtrade va proposer une norme pour les textiles fondée sur ces principes, ainsi que sur d'autres principes du commerce équitable. La norme s'appliquera à toute la chaîne d'approvisionnement. Nous serions heureux de travailler en partenariat avec le gouvernement canadien pour offrir cette possibilité aux entreprises canadiennes.
Notre deuxième recommandation porte sur le fait qu'il faut viser toute la chaîne d'approvisionnement, y compris les producteurs de coton. Ces producteurs sont à la toute la fin de la chaîne d'approvisionnement et sont les plus affectés par les prix bas dictés par l'industrie du prêt-à-porter rapide. Ces producteurs sont aussi les plus vulnérables. À peu près 100 millions de ménages ruraux participent directement à la production du coton et 90 p. 100 de ces producteurs se trouvent dans des pays en voie de développement. La production de coton ne suffit pas à fournir des moyens d'existence durables, sécuritaires ou rentables à des millions de petits agriculteurs, principalement en Asie et en Afrique, qui sont responsables de la production de la graine de coton. Le travail des enfants est répandu. À l'heure actuelle, le coton certifié équitable est offert par 60 000 agriculteurs dans des pays en voie de développement. Ces agriculteurs investissent leurs primes de commerce équitable dans des projets d'affaires et des projets communautaires, ce qui contribue à renforcer davantage leur statut.
Enfin, ma dernière recommandation est que le gouvernement du Canada donne l'exemple en ce qui concerne l'approvisionnement. Il faut suivre les traces de l'Union européenne et revoir les normes du gouvernement fédéral en matière de marché public. D'autres institutions canadiennes l'ont déjà fait. Par exemple, l'Université McGill a changé ses pratiques en matière d'approvisionnement. Le café, le thé, le sucre et les produits de cacao offerts par McGill sont certifiés équitables. C'est la même chose pour neuf autres campus au Canada, et beaucoup de projets semblables sont actuellement en cours. Nous avons également des grandes villes, des petites villes, et désormais des écoles qui sont certifiées équitables. Par exemple, l'église catholique St. Kateri, à Fort McMurray, achète maintenant des uniformes pour ses élèves qui sont faits de coton certifié équitable.
Fairtrade peut aider le gouvernement canadien à établir des cibles d'approvisionnement qui sont réalistes, en suivant l'exemple de pays tels que la France. Un tiers des agents en uniforme de la ville de Paris sont habillés en uniformes faits de coton certifié équitable. Il existe une panoplie d'autres exemples, je vous assure, et tout cela est très faisable.
Je vous remercie encore une fois de votre examen attentif de ces questions. J'ai hâte de poursuivre un dialogue sur la façon dont le gouvernement fédéral peut encourager la mise en œuvre de chaînes d'approvisionnement plus équitables pour tous les Canadiens et faire preuve de plus de leadership en ce qui concerne l'approvisionnement éthique.
La présidente : Merci, madame Brown. Nous passerons maintenant à M. Jeffcott, qui se joint à nous par vidéoconférence.
Bob Jeffcott, cofondateur et analyste de politiques, Maquila Solidarity Network (MSN) : Merci beaucoup, madame la présidente, de me permettre de faire un exposé aujourd'hui. Je suis un des fondateurs du Maquila Solidarity Network, qui travaille dans le domaine des chaînes d'approvisionnement mondiales depuis plus de 20 ans. Nous faisons également partie du réseau international Campagne Vêtements propres, qui m'a demandé de vous transmettre quelques commentaires en son nom.
Avant de le faire, je voulais vous donner les bonnes nouvelles que nous avons reçues plus tôt aujourd'hui : nous avons atteint la cible de 30 millions de dollars américains pour le Rana Plaza Donors Trust Fund. Un autre donateur a versé assez d'argent pour nous permettre d'atteindre cette cible, et ce n'est pas une coïncidence que cela se soit produit en même temps que les réunions du G7. Les administrations européennes ont joué un rôle important en exhortant leurs détaillants et producteurs de marque à contribuer à ce fonds de fiducie. Cela veut dire que le dernier montant peut être acheminé aux victimes et aux survivants du Rana Plaza, ce qui est une excellente nouvelle. Je dois dire, par contre, que c'est troublant de constater qu'il a fallu plus de deux ans pour y arriver.
J'aimerais faire quelques observations de nature générale, sans m'éterniser, j'espère, sur certains des problèmes au sein des chaînes d'approvisionnement mondiales, plus particulièrement dans l'industrie du vêtement.
D'abord, dans l'industrie du vêtement internationale, les violations des droits des travailleurs sont endémiques. Certains types d'abus sont plus courants dans certains pays que d'autres. Par exemple, en Chine, les violations au niveau des heures de travail sont quasi universelles dans les usines. Sans parler de la liberté d'association dans ce pays. Pour cette raison, il n'est pas uniquement question de choisir une bonne plutôt qu'une mauvaise usine. Il faut composer avec certains problèmes systémiques qui sont plus généralisés au sein de l'industrie du vêtement internationale et plus fréquents dans certains pays.
Deuxièmement, l'autoréglementation et le modèle de vérification sociale du secteur privé n'ont pas su combler le vide créé par les administrations qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas faire appliquer le règlement en matière de normes de travail. Une étude sur laquelle je voudrais attirer votre attention a été produite par la Campagne Vêtements propres en 2005 et s'appelait Cache-misère : Comment les audits sociaux maintiennent les travailleurs dans la précarité. Nous pouvons discuter plus en détail de leurs conclusions, mais dans l'ensemble, le modèle d'audit social du secteur privé n'a pas réussi à déceler et à régler des problèmes cernés dans des usines de vêtements dans le monde entier.
Troisièmement, je vous dirais que les usines ou les régimes de certification de marque qui existent à l'heure actuelle au sein de l'industrie du vêtement n'ont pas respecté leurs promesses. Je garde espoir que Fairtrade pourra composer avec certains de ces problèmes qui sont plus fréquents dans l'industrie du vêtement, mais d'autres initiatives n'ont pas connu beaucoup de succès.
À titre d'exemple, en 2012, une tragédie a eu lieu dans une usine moins bien connue au Pakistan, au Ali Enterprises, et 300 travailleurs ont perdu la vie. Peu avant, cette usine avait reçu l'accréditation SA8000, qui reflétait des normes plus rigoureuses. On ne peut pas nécessairement se fier aux accréditations et aux audits du secteur privé pour résoudre le problème.
Quant aux domaines où il y a eu des progrès, il faudrait préciser que les progrès ont été surtout au niveau politique et moins au niveau des usines. Après des années de campagne, les grandes compagnies de marque reconnaissent qu'elles sont en partie responsables des conditions dans leurs chaînes d'approvisionnement. Lorsque nous avons commencé ce travail, la plupart des entreprises disaient : « Nous ne sommes pas les propriétaires de l'usine; nous ne sommes pas responsables des problèmes. » Cette attitude a changé dans une certaine mesure.
Un autre élément positif qui a changé, c'est qu'un nombre croissant de marques de commerce et de détaillants divulguent volontairement leurs listes d'usine. À ma connaissance, 12 sociétés importantes l'ont fait jusqu'à maintenant. Au Canada, il y en a très peu. La Compagnie de la Baie d'Hudson a divulgué une liste partielle de ses usines. La société Mountain Equipment Co-op a divulgué la liste de ses fournisseurs il y a quelques années, mais nous ne savons pas si elle est à jour.
Je pense qu'un des éléments les plus positifs — et on vient tout juste d'en parler il y a quelques minutes — porte sur des politiques de permis et d'approvisionnement éthique qui ont été adoptées par des institutions publiques et plus particulièrement par des universités et quelques administrations municipales. Ce qui est intéressant, c'est l'extrême transparence dont elles font preuve. L'emplacement des usines est divulgué. En fait, même les rapports d'audit sont rendus publics dans bien des cas et il existe aussi des processus permettant aux travailleurs et aux tierces parties de porter plainte, et les plaignants peuvent déterminer quelles mesures correctrices ont été adoptées au terme des enquêtes.
Tout ce qui est des tendances émergentes, il faudrait mentionner que l'exemple de l'immeuble du Rana Plaza s'est traduit par quelque chose d'unique, c'est-à-dire la signature de l'Accord sur les incendies et la sécurité des bâtiments au Bangladesh dont nous sommes l'un des signataires témoins. Il s'agit d'ententes exécutoires qui sont signées entre les organisations syndicales et les entreprises; voilà une tendance qui prend de l'ampleur à l'heure actuelle. Nous estimons que le gouvernement canadien devrait également appuyer ce genre d'initiatives.
En plus de l'accord qui a été signé au Bangladesh, citons par exemple le Protocole indonésien sur la liberté d'association qui découle de la campagne Play Fair at the Olympics. Il y a aussi les initiatives de salaires vitaux dans le cadre desquels des syndicats mondiaux, des intervenants multiples et des compagnies commencent à chercher des moyens d'accorder des salaires vitaux dans les usines des fournisseurs et de déterminer quelles mesures doivent être adoptées à cet égard.
Au terme de cette initiative, nous constatons un rôle accru et des liens accrus entre les syndicats mondiaux et d'autres organisations ouvrières comme le Solidarity Center et les marques de commerce. À tout le moins, un dialogue est engagé et les grandes marques commencent à prendre des engagements quant à la liberté d'association.
Où se situent les compagnies canadiennes à cet égard? Malheureusement, il faut dire que la plupart des compagnies en sont toujours à l'étape de la vérification des usines. Elles ne font pas très bonne figure en matière de transparence de la chaîne d'approvisionnement ou en ce qui touche les rapports de vérification.
On se pose bien souvent la question de savoir si les compagnies savent où sont fabriqués leurs produits. Je soulève cette question parce qu'elles ont recours à une liste d'intermédiaires qui habituellement placent des commandes auprès des usines en leur nom. Si les compagnies ne sont pas au courant, elles devraient l'être. Les Canadiens devraient aussi être au courant.
Certaines des principales marques canadiennes reconnaissent aussi maintenant leur part de responsabilité quant aux conditions dans les usines de leurs fournisseurs, mais il y en a toujours qui refusent. Un bon nombre d'entreprises signalent que l'accréditation WRAP est une preuve que les usines avec lesquelles elles font affaire ne comprennent pas d'ateliers clandestins. Nous pourrons en parler plus tard, mais l'accréditation WRAP présente en fait les normes les moins élevées et les moins transparentes de tous les programmes d'accréditation. Encore une fois, il y a eu diverses réactions à la catastrophe du Rana Plaza. Une entreprise canadienne, c'est-à-dire Loblaws, a pris ses responsabilités. Plus récemment, la Compagnie de la Baie d'Hudson a fait une contribution au fonds fiduciaire même si elle n'avait aucun lien avec l'immeuble du Rana Plaza.
En terminant, j'aimerais parler du rôle que pourrait jouer le gouvernement canadien. Je serais d'accord pour dire qu'il devrait d'abord tirer des leçons des politiques des institutions publiques qui ont adopté des politiques de permis et d'approvisionnement éthique en ce qui touche la transparence, le traitement des plaintes et le fait de permettre aux travailleurs d'avoir le droit de parole dans le cadre de ces processus.
Le gouvernement canadien devrait être transparent relativement à ses propres activités d'approvisionnement, à savoir d'où proviennent les produits qu'il achète et où se situent les usines. Il devrait aussi exiger cette transparence de la part des entreprises avec qui il fait affaire.
J'ai deux autres points à soulever. D'abord, c'est que nous estimons que le gouvernement canadien devrait lier l'accès au marché canadien en franchise de droits et, plus particulièrement pour les produits du vêtement, aux engagements pris relativement aux normes du travail et au rendement obtenu. Peut-être en apprendrons-nous davantage sur ce que le gouvernement des États-Unis a fait pour ce qui est du Bangladesh.
En terminant, le gouvernement canadien devrait appuyer certaines de ces initiatives positives, comme l'entente du Bangladesh et le fonds fiduciaire. Malheureusement, le gouvernement du Canada n'a pas incité les entreprises canadiennes à contribuer au fonds fiduciaire contrairement à ce qu'ont fait sept pays européens.
La présidente : Je vous remercie beaucoup pour votre exposé. Nous allons maintenant entendre Shawna Bader-Blau, directrice exécutive du Solidarity Center.
Shawna Bader-Blau, directrice exécutive, Solidarity Center : Je vous remercie. Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui. Au nom du Solidarity Center, je veux vous remercier, madame la présidente, ainsi que les membres du comité de l'invitation que vous m'avez faite pour témoigner sur cette question importante.
Le Solidarity Center est la plus grande organisation basée aux États-Unis qui travaille exclusivement à promouvoir, à protéger et à défendre les droits des travailleurs dans plus de 60 pays dans le monde. Au cours des cinq dernières années, nous avons travaillé main dans la main avec des travailleurs du secteur de l'exportation des vêtements dans 15 pays, y compris le Bangladesh, le Cambodge, la République dominicaine, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Pérou, le Sri Lanka et le Swaziland; par conséquent, aujourd'hui, je vais vous relater des récits que nous avons entendus directement de la part des travailleurs et je vais vous parler des programmes que nous avons mis sur pied à l'échelle mondiale.
Nous sommes heureux de constater que le comité continue de mettre l'accent sur les droits de la personne des travailleurs du vêtement, et je suis très enthousiaste à l'idée que ce groupe de témoins fasse connaître le point de vue des travailleurs à votre comité.
J'aimerais faire fond sur les exposés qui ont déjà été présentés et vous donner trois exemples concrets en plus de faire trois choses dans le cadre de mon exposé. J'aimerais vous présenter des exemples concrets du travail que nous réalisons sur le terrain pour insister sur l'inefficacité des responsabilités sociales traditionnelles des entreprises et des programmes de conformité et de vérification sociale et j'inclus ici les entreprises canadiennes.
J'aimerais offrir des suggestions sur la façon dont le gouvernement canadien pourrait défendre les droits fondamentaux des travailleurs et je suis très enthousiaste de voir que vous travaillez à la rédaction d'un rapport qui pourra inclure certaines de ces idées.
J'aimerais vous présenter des idées sur la façon dont l'industrie du vêtement pourrait améliorer son bilan en matière de droits fondamentaux des travailleurs.
Si vous ne retenez qu'une chose de la séance d'aujourd'hui, vous devriez savoir que surtout dans une économie mondialisée, les entreprises ont des répercussions sur les droits de la personne et elles sont responsables de ces répercussions. Le fait est que, jusqu'à maintenant, aucune grande marque internationale du marché mondial du vêtement — aucune d'entre elles — n'a encore complètement accepté ce fait. Les améliorations entourant la sécurité des bâtiments au Bangladesh sont réelles et louables, mais ce n'est que la pointe de l'iceberg et elles n'ont eu qu'un impact mitigé à ce jour.
Les 100 dernières années d'expérience humaine dans la promotion des droits de la personne nous ont enseigné que, lorsqu'il s'agit de promouvoir les droits fondamentaux des travailleurs, il n'y a finalement rien qui permette de remplacer le droit des travailleurs d'intervenir directement dans l'élaboration de ces conditions de travail, y compris le droit fondamental à la libre association, le droit de se syndiquer et d'avoir recours à des négociations collectives avec les employeurs pour améliorer ces conditions de travail, surtout dans des pays où les employeurs locaux détiennent énormément de pouvoirs tandis que les gouvernements locaux ont très peu de volonté politique ou de capacités pour contribuer au respect des droits. Sans syndicat, les particuliers qui portent plainte peuvent subir des menaces, être licenciés ou même être réduits au silence en étant tués. C'est ce que nous voyons constamment. Les entreprises multinationales ont une incidence directe sur ces résultats, pour le meilleur ou pour le pire, selon la façon dont elles se comportent dans l'ensemble de leurs chaînes d'approvisionnement.
C'est un fait qu'au Bangladesh, où le Solidarity Center travaille chaque année avec environ 60 000 travailleuses — pour la plupart de moins de 26 ans — , dans le domaine du vêtement destiné à l'exportation, je peux vous dire que les leçons tirées de l'effondrement du Rana Plana et d'autres milieux de travail où il y a eu des incidents mortels n'ont pas véritablement été retenues. Nous avons interviewé de nombreux travailleurs qui ont survécu à l'effondrement du bâtiment ainsi que des familles dont les membres sont morts dans cette catastrophe, et les personnes qui ont survécu nous ont dit d'emblée que lorsqu'elles sont entrées dans le bâtiment, elles ont vu des fissures et elles ont constaté que d'autres entreprises situées dans le même bâtiment avaient cessé leurs activités ce jour-là. Lorsque les travailleurs ont demandé de cesser leurs activités, leurs gestionnaires leur ont répondu : « Si vous ne travaillez pas aujourd'hui, vous allez perdre un mois de salaire », et pour un travailleur bangladais de 25 ans qui ne gagne qu'un maigre salaire pour faire vivre une famille entière, le risque est trop grand. Par conséquent, les travailleurs sont entrés dans ce bâtiment ce jour-là et ils sont morts. Sans syndicat pour défendre leurs droits et parler en leur nom pour leur éviter de faire un travail indécent et néfaste et pour les protéger contre des mesures de représailles, les employés ont dû réintégrer le bâtiment et ils en sont morts.
En dépit de cette vérité évidente, les usines au Bangladesh continuent de réagir massivement contre des milliers de travailleurs du vêtement, essentiellement de jeunes femmes qui prennent la parole pour exiger qu'on respecte leurs droits fondamentaux au travail. Le nombre d'organisateurs syndicaux au Bangladesh aujourd'hui — et il s'agit ici de jeunes femmes de 20 ans qui font l'objet de harcèlement, de menaces et de violence physique et sexuelle de la part de leurs employeurs parce qu'elles font des demandes — connaît en fait une augmentation depuis les deux dernières années au lieu d'une diminution. Le nombre d'inscriptions au syndicat à être refusées a doublé au cours de la dernière année. Quant à elles, les marques de commerce qui s'approvisionnent au Bangladesh sont restées essentiellement muettes sur ce phénomène de répression continue des travailleurs dans les usines du Bangladesh.
Je pense qu'un sénateur a posé une question au groupe de témoins précédent relativement aux emplois pour les femmes et à leur habilitation. Il ne fait aucun doute que du travail décent habilite les femmes dans ces pays et, tout particulièrement, dans des pays où elles ne sont pas de nouvelles recrues dans l'effectif et où il n'y a pas d'autres sources d'emploi. Mais comme ma collègue Shannon l'a dit, je pense que nous devons être beaucoup plus ambitieux. Il ne suffit pas au XXIe siècle, en 2015, d'occuper n'importe quel poste lorsqu'on doit quotidiennement faire face à des menaces de harcèlement, à de la violence, au défaut de paiement des heures supplémentaires et à l'absence d'un salaire décent. Ce n'est pas ce qu'on pourrait appeler un bon emploi, et nous pouvons faire mieux que cela, et les grandes marques devraient faire mieux que cela.
Prenons pour exemple la marque canadienne Gildan qui est basée ici à Montréal. Gildan exploite des usines beaucoup plus près de chez nous, dans les Amériques, soit en République dominicaine, en Haïti et au Honduras.
En dépit de son programme de responsabilité sociale des entreprises, Gildan a un bilan d'activité antisyndicale, elle accorde des salaires extrêmement bas et elle traite durement les travailleurs qui essaient tout simplement d'avoir un salaire de subsistance. Aussi récemment qu'en 2013 et en 2014, les usines de Gildan ont licencié jusqu'à 45 travailleurs qui essayaient de mettre des syndicats sur pied dans des usines du Honduras.
Mais j'ai une bonne nouvelle, et c'est à cet égard que vous avez un rôle à jouer. Il y a à peine une semaine, les travailleurs du vêtement du Honduras ont formé des syndicats dans trois usines de Gildan. Plutôt que de supprimer ces syndicats et de licencier ces travailleurs, jusqu'à maintenant, Gildan a travaillé avec eux et les a encouragés à former des syndicats dans ces usines. Je pense que votre comité pourrait communiquer immédiatement avec Gildan afin de l'encourager à poursuivre sur cette voie.
La même chose pourrait se produire en Haïti, où il s'avère que pas plus tard que l'an dernier, de grandes marques de commerce, y compris Fruit of the Loom, Hanes et Gildan, ne rémunéraient même pas leurs employés au très faible salaire minimum exigé par la loi haïtienne. Comme l'a dit un témoin tout à l'heure, bien souvent le salaire minimum est bien inférieur au salaire de subsistance. Les Haïtiens qui travaillent dans des usines gouvernementales se rendent au travail pour se prévaloir du repas gratuit qui leur est offert parce que tout l'argent qu'ils gagnent ne leur permet que de payer le transport de la maison vers l'usine et de l'usine à la maison. Le salaire minimum est bas en Haïti, même dans les usines gouvernementales, mais Gildan n'offrait même pas le salaire minimum.
L'an dernier, Gildan a convenu de se joindre à Fruit of the Loom et à Hanes pour promettre de rémunérer ses employés au salaire minimum. Ces sociétés se sont donc améliorées. À ce jour, elles ont respecté leur engagement à 53 p. 100. Il faudrait donc les encourager à faire plus. Je pense que le Sénat pourrait communiquer immédiatement avec cette entreprise canadienne et l'encourager à faire ce qu'elle doit faire en Haïti et au Honduras.
La présidente : Pour votre information, cette entreprise témoignera la semaine prochaine et nous lui transmettrons votre message.
Mme Bader-Blau : Je peux vous donner de nombreux détails si vous le désirez.
J'ai deux derniers points à soulever. Que peuvent faire le gouvernement canadien et les gouvernements étrangers? Je dirais qu'ils ont beaucoup de pouvoir et que le gouvernement du Canada est bien placé pour en faire beaucoup plus. Je pense que nous laissons beaucoup trop d'outils sur la table lorsque nous parlons de la promotion des droits de la personne, et j'inciterais fermement les Canadiens à percevoir les échanges commerciaux différemment. Grâce à des outils comme le schéma des préférences généralisées ou SPG, de simples programmes de préférence ou des accords commerciaux de plus grande importance comme le PTP, nous devrions insister sur l'amélioration des normes en matière de droits de la personne avant de conclure ce genre d'accord.
Comme un témoin précédent l'a expliqué, le Canada a complètement écarté les droits de la personne et les droits des travailleurs de son programme de SPG. Je ne suis pas du genre à encenser les efforts diplomatiques déployés par le gouvernement américain en ce qui touche les droits des travailleurs. Je suis une personne très critique. Mais j'aimerais dans un cas vous donner un exemple positif de la façon dont le gouvernement des États-Unis s'est servi de son outil SPG de façon positive et qui pourrait donner d'excellents résultats pour le Canada.
En 2013, le gouvernement des États-Unis a en fait suspendu le SPG au Bangladesh en raison des conditions déplorables au chapitre des droits des travailleurs et des droits de la personne dans ce pays, plus particulièrement dans le secteur du vêtement destiné à l'exportation au lendemain de la catastrophe du Rana Plaza. Cela a forcé le gouvernement du Bangladesh à traiter à un niveau diplomatique très élevé les problèmes des droits des travailleurs dans cette usine. Le gouvernement bangladais n'avait jamais agi ainsi auparavant, et cet engagement a ouvert une brèche pour que des organisations comme Better Work et l'Organisation internationale du travail puissent faire des gains dans ces usines.
Comme je l'ai dit plus tôt, il y a énormément de ressacs contre les organisateurs syndicaux dans ces usines, mais le fait que des syndicats puissent s'enregistrer est étroitement lié à la suspension du SPG; les conditions peuvent donc s'améliorer grâce à ce genre d'outils commerciaux. J'inciterais le Sénat du Canada à insister auprès du gouvernement du Canada pour qu'il repense à son programme SPG.
Je n'entrerai pas dans les détails, mais notre programme African Growth and Opportunity Act a lui aussi suspendu récemment le programme de préférence pour le Swaziland en raison de violations semblables.
En terminant, pour ce qui est des grandes marques canadiennes — et je sais que vous recevrez des témoins de Gildan et d'autres entreprises — je pense que ce qui est le plus important pour le Canada et d'autres grandes marques mondiales, c'est de progresser au-delà des responsabilités sociales des entreprises qui ne permettent pas d'obtenir des comptes et qui sont un échec et de plutôt appuyer les droits de la personne et des travailleurs. Comme point de départ, on pourrait accepter complètement les Principes directeurs des Nations Unies sur l'entreprise et les droits de l'homme qui constitueraient un seuil pour ensuite prioriser dynamiquement leur mise en œuvre dans l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Je serais heureuse de vous en parler plus longuement.
Il faut accorder aux droits de la personne la même priorité que l'on accorde à l'établissement des prix et au contrôle de la qualité. Les sociétés mondiales ont trouvé une façon d'assurer le maintien de la qualité dans l'ensemble de leurs chaînes d'approvisionnement. Qu'en est-il des droits des travailleurs? Nous pouvons être plus ambitieux en 2015. À tout le moins, en ce moment, les grandes marques qui œuvrent dans cette industrie où on exploite les droits des personnes et des travailleurs peuvent s'engager immédiatement et à court terme à dire aux usines de l'ensemble de leurs chaînes d'approvisionnement qu'elles ne toléreront plus les abus commis à l'égard des organisateurs syndicaux et surtout de ces jeunes femmes qui essaient de faire valoir leurs droits pour la première fois dans un endroit comme le Bangladesh.
Merci, et j'ai hâte à la discussion.
La présidente : Merci beaucoup pour les trois exposés.
La sénatrice Ataullahjan : Merci pour vos exposés.
Shannon, vous avez dit que nous devrions avoir des vérifications par un tiers. Que voulez-vous dire exactement?
Mme Brown : Selon mon expérience, les initiatives dirigées par l'industrie ne permettent pas toujours d'atteindre l'objectif visé. Je pense que c'est très important. Je travaille à Fairtrade depuis huit ans, et j'ai constaté la valeur d'un organisme de certification ISO rigoureux — dans notre cas, c'est FLO Cert — qui est complètement indépendant, et qui fait la certification en fonction de normes objectives.
Ainsi, il n'y a aucune chance qu'une usine obtienne la certification parce que le vérificateur s'inquiète qu'ils n'obtiendront pas le contrat. C'est très important qu'il y ait une certaine distance, et je pense que notre système est le meilleur de sa catégorie en matière de pleine indépendance.
La sénatrice Ataullahjan : Shawna, vous avez dit que les syndicats de travailleurs ont de la difficulté à se constituer. Pensez-vous que s'il y avait des syndicats partout dans le monde et au Bangladesh, ils pourraient apporter du changement? J'ai vu des photos où on voit les manifestants se faire intimider et parfois même se faire passer à tabac simplement parce qu'ils demandent d'être payés. Est-ce que des syndicats seront plus efficaces?
Mme Bader-Blau : Je pense que les 100 ans d'avancement en matière de droits de la personne pour les travailleurs partout dans le monde témoignent du fait que les mieux placés pour contrôler les conditions et les normes de travail sont les travailleurs eux-mêmes. Tout le système de surveillance externe entre et sort, mais n'est pas présent la plupart du temps, alors que les travailleurs sont là chaque jour. Comment les travailleurs peuvent-ils discuter de santé et de sécurité, de salaire et de conditions de travail justes? C'est avec une convention collective, et la possibilité continue de parler avec l'employeur sans peur de représailles parce qu'ils ont soulevé des problèmes en matière de santé et sécurité, de paiement du temps supplémentaire, de travail des enfants ou autre, comme le travail forcé que subissent certains travailleurs dans ces usines.
Je sais d'expérience, pour avoir travaillé dans les nombreux pays que j'ai mentionnés plus tôt, que lorsque l'on peut obtenir des normes de base avec une convention collective dans une usine, l'on constate des améliorations réelles. La production demeure dans ces usines. Les conditions de travail deviennent plus régulières, normales et décentes. Les employeurs et les travailleurs peuvent collaborer pour améliorer les conditions afin que les travailleurs restent. Le roulement est moins élevé, et les salaires et conditions de travail peuvent s'améliorer lentement.
On est aussi capable d'éradiquer certaines des pires formes d'exploitation du travail, comme le travail des enfants, l'empoisonnement extrême aux produits chimiques, et d'autres normes de santé et sécurité, parce que les travailleurs peuvent, sans peur des représailles, demander pourquoi il y a un enfant de 14 ans qui travaille ici alors que c'est illégal. L'employeur ne le congédiera pas. Ils vont, en fait, renvoyer l'enfant à l'école, et cetera. Alors nous avons constaté de réelles améliorations, surtout dans les pays les plus pauvres.
Si vous prenez le cas du Honduras — je parlais de Gildan plus tôt — et les trois usines mentionnées, 60 p. 100 des 9 000 Honduriens qu'elles emploient sont des femmes. Il s'agit de certains des seuls emplois stables et à temps plein dans un contexte très difficile au Honduras. Alors le fait de pouvoir améliorer les normes dans ces usines ne touchera pas seulement ces 9 000 travailleurs qui sont surtout des femmes, mais aussi toutes leurs familles.
Du point de vue du développement, nous savons que les femmes réinvestissent dans leurs collectivités, et le fait de rehausser les salaires, la qualité de vie et les normes du travail des femmes a des avantages infinis pour les collectivités locales et en ce qui touche les résultats en matière de santé et d'éducation des enfants. C'est une occasion pour une entreprise comme Gildan d'avoir un effet important en matière de développement au Honduras, et nous voyons que cela peut se faire ailleurs dans le monde.
Le président : Madame Brown ou monsieur Jeffcott, voulez-vous répondre à cette question?
Mme Brown : J'aimerais simplement ajouter que Fairtrade est entièrement d'accord. Nous avons une nouvelle stratégie pour les droits des travailleurs et nous essayons d'aller plus loin dans notre travail avec, par exemple, les plantations de thé et de fleurs. Nous avons constaté qu'il n'était pas suffisant de dire que les gens ont la liberté d'association, ce qui a toujours fait partie de nos critères; maintenant, ils doivent démontrer activement que la liberté existe en donnant des documents aux travailleurs, en ayant des affiches qui disent : « Vous ne serez pas congédiés pour avoir créé un syndicat. » L'amélioration que nous avons constatée dans les 70 pays où nous travaillons a été phénoménale, alors nous sommes complètement d'accord avec cela.
M. Jeffcott : Une des choses qui sont intéressantes, lorsque l'on regarde l'approvisionnement éthique ou les politiques de licences signées par les institutions publiques, c'est que la plupart des plaintes concernent des infractions à la liberté d'association, et dans des pays comme le Honduras et d'autres de l'Amérique centrale, chaque fois que des travailleurs essaient de s'organiser, les organisateurs sont congédiés. Ils sont tous congédiés. Nous avons vu un cas récemment au Honduras où il y a eu toute série de congédiements. Dans une usine où il y avait un syndicat, chaque fois que le conseil d'administration était élu, tous les membres étaient congédiés. Mais ces politiques — et le gouvernement du Canada pourrait en avoir une semblable — ont permis la réintégration des travailleurs. L'enquête par le Worker Rights Consortium et, dans ce cas, aussi la Fair Labour Association, a démontré qu'ils étaient coupables d'infractions à la liberté d'association. Le plan de mesures correctrices comprenait la réintégration des travailleurs et l'acceptation du syndicat.
Cela se produit dans un certain nombre de cas — dans des usines de Fruit of the Loom aussi au Honduras — et maintenant nous parlons des usines Gildan. Les institutions publiques peuvent jouer un rôle non seulement en utilisant les usines qui ont des conditions parfaites, mais pour profiter des améliorations, qui concernent généralement le respect des droits des travailleurs.
La sénatrice Ataullahjan : Fairtrade, lorsqu'on va en Europe, dans chaque supermarché, que l'on achète du chocolat, du café ou du thé, on voit très clairement écrit sur les produits qu'ils sont certifiés Fairtrade. Pourquoi est-ce que cela n'est pas populaire en Amérique du Nord ou au Canada?
Mme Brown : C'est une excellente question. Toutes les données que nous avons — et je serais ravie de les partager avec le comité — montrent que les consommateurs canadiens veulent que les entreprises rendent des comptes. Alors il est clair que le désir est là, et nous voyons que de plus en plus d'entreprises veulent participer et de plus en plus de détaillants s'associent à Fairtrade. On parle d'ambition. Nous avons vu d'énormes chaînes d'approvisionnement se convertir complètement à Fairtrade. Par exemple, en termes de taille, tout le sucre et le cacao des barres Dairy Milk de Cadbury au Canada, toutes les barres de chocolat au lait pur, sont certifiés par Fairtrade. C'est une tendance qui prend de l'importance.
Nous sommes une organisation à but non lucratif, financée entièrement par les droits de licence des entreprises qui utilisent notre marque de certification. Nous certifions ces entreprises. Nous les aidons avec le marketing, mais nous sommes une organisation assez petite. En Europe, les gouvernements ont financé ces programmes et l'éducation auprès de la population. Ce n'est pas quelque chose que nous faisons actuellement avec le gouvernement canadien, mais il y a beaucoup de possibilités de partenariat qui permettraient de croître encore plus.
La sénatrice Ataullahjan : Vous avez parlé des chocolats Cadbury. Évidemment, ils paient pour l'emballage. Ne pourraient-ils pas écrire Fairtrade plus gros pour que le consommateur le voit? C'est là, mais je mange du chocolat Cadbury régulièrement. Je dois chercher le logo, alors qu'en Europe, on le voit. C'est écrit en gros. On peut le voir, et c'est une façon d'informer les consommateurs. Alors je regarderai cela la prochaine fois. Merci.
La sénatrice Eaton : Je vois tout le temps du café Fairtrade à l'arrière de mon église catholique.
Dites-moi, comment avez-vous répandu votre marque Fairtrade aux producteurs de coton? Comment approchez-vous des pays comme le Bangladesh? Vous avez entendu nos témoins précédents dire que la prochaine vague d'usines de textiles sera probablement dans des endroits comme la Birmanie ou la Chine. Où commencer dans des pays qui ne croient pas nécessairement à la liberté d'association, qui n'ont pas de codes du travail comme on en connaît? Par où commencez-vous?
Mme Brown : Une autre merveilleuse question. Nous avons commencé avec le coton-graine parce que notre expertise a toujours été dans la production agricole, et cela semblait logique.
Au cours de nos 25 ans d'histoire, nous avons vu que beaucoup de principes qui amélioraient la vie des agriculteurs et des travailleurs du secteur agricole peuvent aussi s'appliquer aux salariés et aux situations industrielles si on le fait avec beaucoup d'attention. Depuis des années, nous consultons d'autres partenaires et intervenants pour essayer de déterminer l'étendue et la portée de nos normes.
La sénatrice Eaton : Lorsque vous parlez de partenaires et d'intervenants, cela serait utile pour le comité si vous preniez l'exemple d'un pays et que vous nous disiez qui étaient vos partenaires et intervenants et comment vous vous êtes rendue à l'agriculteur.
Mme Brown : Nous avons des organisations dans 25 pays, et nous y travaillons avec des ONG. Nous travaillons avec le secteur privé dans ces pays, et aussi avec trois réseaux de producteurs.
La sénatrice Eaton : Donnez-nous un pays comme exemple.
Mme Brown : D'accord.
Sofia Molina, spécialiste des catégories de café, Fairtrade Canada : Le Canada ou les États-Unis. Je m'appelle Sofia. Je travaille à Fairtrade Canada. Je viens du Honduras, alors je suis contente de toute cette discussion. Je travaille actuellement dans la catégorie des cafés, qui a traditionnellement été la catégorie la plus importante et la première qui est entrée dans le mouvement du commerce équitable en tant que produit certifié, et avant je travaillais dans la catégorie du coton pour Fairtrade Canada.
La sénatrice Eaton : Je pense que notre comité s'intéresse particulièrement aux travailleurs du textile, alors votre expérience du coton serait plus pertinente.
Mme Molina : Parlons du coton. Que faisons-nous pour la certification? Premièrement, nous travaillons dans les pays producteurs, et ensuite, dans les pays importateurs.
Par exemple, en Inde, où il y a beaucoup de gros producteurs de coton et de grandes organisations, nos intervenants seraient les coopératives de coton, les producteurs organisés, et aussi des ONG qui travaillent sur le terrain, de même que les plus grandes organisations de réseaux de producteurs.
La sénatrice Eaton : Quel genre d'ONG y aurait-il sur le terrain pour travailler avec les coopératives de coton?
Mme Brown : Par exemple, l'Association des coopératives du Canada est l'un de nos partenaires. Oxfam aussi. Il y a des ONG, sur le terrain ou au niveau stratégique, avec lesquelles nous discutons. C'est difficile de répondre précisément à la question parce que les normes ne sont pas fixées au Canada. Elles sont fixées au niveau mondial. Le Canada y participe. Les États-Unis aussi. Tout le monde y participe. Nous avons probablement discuté avec votre organisation au niveau international, mais pas particulièrement au niveau du Canada. Nous avons essayé de voir quelles étaient les normes les plus rigoureuses qui pourraient couvrir tous les sous-traitants, toutes les étapes de la production, et qui offriront non seulement un salaire de subsistance, mais qui interdiront aussi le travail des enfants et qui feront en sorte que toutes les conférences de l'OIT seront suivies? Le défi est de faire accepter cela par le marché au Canada parce qu'il y a d'autres systèmes de certification dotés d'exigences plus faibles, et nous essayons d'avoir des normes plus élevées en disant que c'est possible. C'est toujours difficile à faire.
La sénatrice Eaton : Je ne remets pas en question ce que vous dites. Je pense que ce que vous faites est merveilleux; j'essaie simplement de comprendre. Ne trouvez-vous pas difficile, dans certains pays, de dire qu'il n'y aura pas de travail des enfants, personne de moins de 18 ans, par exemple? Est-ce que ce n'est pas un problème?
Mme Brown : Oui, il y a certainement des pays à plus haut risque, mais nous continuons de travailler dans la plupart de ces pays parce que nous allons là où se trouve le problème.
La sénatrice Eaton : Est-ce que vos normes sont adaptées à la culture de chaque pays?
Mme Brown : Non. Nous suivons les protocoles de l'ONU sur les pires formes de travail des enfants, alors nous avons des attentes réalistes concernant le travail des enfants, par exemple qu'un enfant doit pouvoir aller à l'école. Ils peuvent travailler dans les fermes familiales si cela n'est pas dangereux et n'interfère pas avec leur éducation, mais nos normes sont toujours les mêmes en matière de droits de la personne.
Votre question, qui était excellente, concernait les pays comme la Chine, où il n'est pas nécessairement possible de jouir de la liberté d'association. Notre groupe de travail sur les normes du textile n'a pas encore décidé si nous serons en mesure de travailler avec ces pays. C'est quelque chose que nous devrons faire au fur et à mesure que nous fixons la norme.
La sénatrice Eaton : Vous faites cela pays par pays.
Mme Brown : Oui.
La sénatrice Eaton : Est-ce que vous êtes allés dans des pays comme le Vietnam, le Bangladesh, la Birmanie et le Cambodge?
Mme Brown : Oui, nous travaillons avec le Bangladesh.
Mme Molina : Je dois dire maintenant que la première étape du travail avec l'industrie porte sur le coton depuis 2004. La deuxième étape consisterait à travailler avec l'ensemble de l'industrie du vêtement, qui est un secteur très complexe. À ce moment-là, oui, il y a des études par région. Une des difficultés, c'est de rédiger un document qui peut être appliqué de façon réaliste à chaque région.
Mme Brown : J'espère que nous ne vous embrouillons pas. C'est très compliqué. Le salaire de subsistance est différent dans chaque région. Les droits de la personne sont les mêmes partout.
La sénatrice Eaton : Cela clarifie beaucoup de choses. Pourrais-je un jour acheter un tee-shirt de coton portant le logo « Fairtrade »?
Mme Brown : Si nous pouvons convaincre les entreprises canadiennes de collaborer avec nous. Voilà notre défi. Il y a un nivellement vers le bas côté prix, mais aussi côté certification éthique; et Fairtrade Canada perd du terrain parce que nous imposons aux gens des normes très élevées. Nous savons qu'elles sont atteignables. En Europe, on reconnaît la marque dans 95 p. 100 des cas, et d'énormes entreprises y participent. Une banane sur deux au Royaume-Uni est certifiée par Fairtrade. Au Canada, nous n'en sommes pas encore là. Il faut que les consommateurs canadiens exigent des entreprises qu'elles respectent des normes élevées afin que Fairtrade Canada puisse réussir à faire accepter cela par le marché.
La sénatrice Hubley : Bienvenue, et merci beaucoup pour vos exposés. J'aimerais revenir sur le sujet des enfants travailleurs. Nous avons entendu des témoignages selon lesquels ces jeunes personnes peuvent être le seul ou le principal gagne-pain d'une famille. Lorsqu'un enfant ne peut plus travailler et doit retourner à l'école, ce qui est merveilleux pour l'enfant, qu'arrive-t-il au reste de la famille?
Mme Brown : Voilà une excellente question. Nos efforts en matière de travail des enfants s'inscrivent dans un programme entier. Il va au-delà des normes. Nous essayons de collaborer avec les collectivités dans le monde en développement afin de cerner les causes du travail des enfants. Nous le faisons avec des enfants dans des groupes de travail dans plusieurs régions. Nous essayons de définir ce qui amène ce genre d'infrastructures culturelles dans ces collectivités où les enfants sont forcés de travailler. Nous élaborons également des solutions systématiques pour aider les familles afin que cela ne se produise pas.
Bien sûr, il s'agit d'un grave problème qui va bien au-delà de ce que peut accomplir Fairtrade Canada. Si au cours d'une vérification d'un groupe de producteurs nous voyons qu'il y a des enfants qui font du travail, nous disposons de protocoles très stricts pour gérer la situation. Ce n'est pas comme s'ils perdaient leur certification et s'ils étaient automatiquement écartés. Il faut travailler avec cette communauté, avec ce producteur, aider l'enfant et s'assurer que tous les besoins de la communauté sont comblés. C'est une situation extrêmement complexe, mais nous avons chez nous un expert international, un Canadien qui fait un travail très novateur dans le cadre de notre programme de travail des enfants.
Mme Bader Blau : L'Organisation internationale du travail a des statistiques sur le nombre d'enfants qui travaillaient, mais qui ne travaillent plus. On parle d'environ 30 millions d'enfants au cours de la dernière décennie environ. La bonne nouvelle au sujet de cette réduction, c'est que grâce à l'approche globale adoptée pour trouver un travail convenable aux adultes, cette réduction n'a pas mené au chômage dans d'autres secteurs. Il reste beaucoup de travail des enfants qui demeure insoupçonné de par le monde entier.
Nous avons eu au Liberia une rencontre qui fut fort instructive. Nous avons rencontré des gens de Bridgestone/ Firestone qui obtiennent leur caoutchouc de ce pays où ils ont une plantation importante. On y a rencontré des ouvriers et beaucoup d'enfants qui y travaillaient. C'était parce que les quotas d'entaillage de ces arbres étaient extraordinairement élevés. Tous les employés devaient emmener leurs enfants et leurs conjoints pour atteindre ces quotas.
En cette ère d'après-guerre civile au Liberia, vous voyez les premiers balbutiements d'un système politique plus démocratique. Pour la première fois, les travailleurs ont pu se regrouper en syndicat sur cette plantation. Grâce à des négociations collectives avec la plantation, ils ont pu éliminer le travail des enfants. Ils ont réduit les quotas de production et ont fait respecter des normes. Désormais, l'entreprise investit de l'argent directement dans des écoles pour les enfants qui se retrouvent sur cette plantation. En créant des emplois décents pour les adultes et en faisant preuve de responsabilité corporative, vous pouvez éliminer le travail des enfants et améliorer les conditions de travail des adultes d'un seul coup.
La sénatrice Hubley : C'est une belle histoire.
Le président : J'ai un certain nombre de questions. J'aimerais savoir, et vous n'avez pas besoin de nous fournir la réponse aujourd'hui, si vous aviez des données sur combien il en coûterait d'améliorer les conditions de travail pour qu'elles soient meilleures. Quelle hausse du prix des vêtements les consommateurs seraient-ils prêts à accepter? Voilà une des questions que nous nous sommes posées. On dit que les consommateurs veulent des vêtements bon marché, alors les producteurs répondent à la demande. De toute évidence, il faut que les consommateurs soient davantage sensibilisés à la situation.
Comment trouver le juste équilibre? Je vais commencer par vous, monsieur Jeffcott.
M. Jeffcott : Dans un premier temps, l'argent dépensé en main-d'œuvre est minime comparativement au coût total du produit. Ce sont les employeurs et les marques qui concentrent leurs efforts sur les coûts de la main-d'œuvre, car il s'agit d'un des aspects qu'ils peuvent contrôler. Ils peuvent réduire les coûts liés à la main-d'œuvre, tandis que les coûts de transport, le coût de l'électricité et les autres coûts ne dépendent pas d'eux.
La plupart des gens s'entendent pour dire que l'incidence sur les prix par vêtement serait de quelques cents. Dans certains cas, il est difficile de généraliser, mais pour des produits comme des teeshirts, il en coûterait environ 4 cents de plus. Ce n'est pas vraiment plus cher. Pour les entreprises, le coût est important parce qu'ils n'achètent pas qu'un teeshirt, mais bien beaucoup de teeshirts, et ils font concurrence à d'autres entreprises qui tentent elles aussi d'obtenir un meilleur prix. Pour les consommateurs, le coût des produits individuels ne serait pas particulièrement différent.
Mme Brown : J'ai vu il y a deux ou trois jours, justement, une excellente campagne de sensibilisation sur Internet. Elle présentait un distributeur où les gens pouvaient acheter un teeshirt à deux euros. Au moment de l'achat, on vous montrait comment il était fabriqué et on vous demandait si vous vouliez quand même l'acheter; plus personne ne voulait l'acheter. Il y avait une autre option où on demandait aux gens s'ils voulaient faire don des deux dollars; tous acceptaient. Je dirais qu'il faut tirer parti des deux dollars et récompenser les sociétés qui fabriquent un teeshirt dans des conditions acceptables.
Nous constatons que les consommateurs sont disposés à payer un peu plus. Je ne sais pas à combien cela se chiffrerait, mais les consommateurs sont prêts à absorber une partie des coûts, parce que c'est une question qui leur importe vraiment.
La présidente : Je veux maintenant tâcher d'exploiter votre présence à tous. Le comité va poursuivre son travail dans ce domaine. Je crois parler au nom de tous les membres en disant que la question nous tient véritablement à cœur. Si nous abordions la question des travailleurs du textile sous l'angle des entreprises canadiennes ou du gouvernement canadien, sur quels aspects devrions-nous nous pencher? Toute suggestion sur la façon d'encadrer notre étude serait la bienvenue. Vous d'abord, madame Brown.
Mme Brown : J'ai apporté un exemplaire de ce que fait l'Allemagne. Les Allemands ont eu la même réaction que nous après le désastre du Rana Plaza. Ils se sont aperçu qu'il fallait véritablement que le pays fasse quelque chose. Et leur approche est très intéressante. C'est pourquoi je suggère que le comité jette un coup d'œil à leur travail.
Je suggérerais, je l'ai déjà dit, que vous vous attachiez au contrat d'approvisionnement du gouvernement et que vous adoptiez des normes encore plus rigoureuses, comme les textiles de Fairtrade, quand nous lancerons l'initiative en 2016. C'est une façon d'établir des pratiques exemplaires et de placer la barre plus haut. Quant à la façon d'amener les entreprises canadiennes à participer, je vais laisser ma collègue y répondre, car je pense qu'elle a des idées novatrices.
Mme Bader-Blau : Oui, je pense que ce sont de bonnes idées. En matière d'entreprise, j'aimerais, c'est sûr, voir le gouvernement du Canada jouer un rôle beaucoup plus actif sur la scène internationale en ce qui touche les multinationales et l'architecture d'ensemble des échanges commerciaux. S'il est nécessaire d'avoir un processus d'agrément individuel par pays, c'est en raison notamment de l'absence de réglementation internationale en matière de droits de la personne.
L'innovation des Principes directeurs des Nations Unies sur l'entreprise et les droits de l'homme est excellente, parce qu'elle établit une norme minimale : les gouvernements et les entreprises doivent protéger les droits de la personne, et les citoyens doivent avoir accès à des mesures de réparation. Il y a aussi des principes directeurs pour les entreprises, les gouvernements et les organisations non gouvernementales sur la façon d'appliquer le tout dans la vie. Je m'inspirerais de ces principes comme point de départ.
De plus, j'abandonnerais complètement l'idée du bilan social et de la responsabilité sociale des entreprises comme solution. Elle est dépassée, selon moi. N'oublions pas en effet que des usines comme le Rana Plaza et Ali Enterprises au Pakistan avaient fait l'objet d'une kyrielle de vérifications par une kyrielle de marques, en vertu de leur code de responsabilité sociale de l'entreprise et que cela n'a pas empêché, au bout du compte, un incendie massif et l'écroulement d'un édifice qui ont causé la mort de 1 500 personnes travaillant à la fabrication de vêtements. C'est bien la preuve qu'on ne peut pas compter sur ces méthodes pour résoudre le problème.
Ce qu'il faut, c'est que nos gouvernements utilisent beaucoup plus systématiquement leurs outils diplomatiques pour s'assurer de respecter les normes de sécurité et les droits des travailleurs et pour veiller à ce que les autres gouvernements avec lesquels nous avons des interactions en fassent autant — toute la gamme de nos outils diplomatiques, y compris les outils commerciaux. Au lieu de conclure, comme maintenant, des ententes commerciales massives partout dans le monde qui, en fait, relâchent les normes et allègent la réglementation — nous croyons d'ailleurs comprendre que le partenariat transpacifique le fait —, nous devrions envisager un resserrement du commerce international et de l'industrie pour assurer un plus grand respect des droits de la personne.
La présidente : Monsieur Jeffcott?
M. Jeffcott : Tout d'abord, je suis d'accord avec Shawna au sujet de l'échec de la vérification du secteur privé. Si le gouvernement du Canada commence à adopter des politiques ou à élaborer des programmes relativement aux politiques d'approvisionnement, il ne devrait pas se fier aux cabinets de vérification du secteur privé en tant que tierce partie.
Les initiatives qui ont récolté le plus de succès ont été comme celles du Worker Rights Consortium des États-Unis et de la Fair Wear Foundation des Pays-Bas, qui ont des systèmes véritablement très transparents. Les vérificateurs ne sont pas des cabinets du secteur privé; ce sont généralement des ONG locales ou du personnel de l'institution elle-même.
Si vous regardez l'accord au Bangladesh, les équipes d'inspection relevaient d'un programme indépendant qui avait à sa tête un Canadien.
L'autre chose qui serait très importante serait, qu'en plus de ses propres politiques en matière d'approvisionnement, le gouvernement canadien élabore des politiques pour exiger plus de transparence de la part des compagnies canadiennes. Il y a des années, nous avons fait une proposition qui prônait l'adoption de règlements en matière de divulgation de la part des usines, qui exigeraient des entreprises canadiennes qu'elles publient les noms et les adresses de toutes leurs usines. À l'époque, on nous a dit qu'il s'agissait de renseignements exclusifs. Maintenant, un certain nombre de sociétés, dont des entreprises importantes comme Nike, Levi Strauss, Adidas et d'autres, divulguent l'emplacement de leurs usines.
Il faudrait que les entreprises canadiennes rattrapent certains de leurs concurrents des États-Unis et de l'Europe sur le plan de la transparence, et le gouvernement pourrait les y encourager.
La présidente : Une dernière question de la vice-présidente.
La sénatrice Ataullahjan : Ma question s'adresse à vous, Shannon. Vous savez que l'effondrement du Rana Plaza a jeté l'éclairage sur la situation des travailleurs de l'industrie du vêtement. Qu'arriverait-il si le propriétaire du centre commercial était accusé de meurtre? Pensez-vous que ce serait un point tournant pour l'industrie du vêtement à l'échelle mondiale et, en particulier, au Bangladesh?
Mme Brown : Je ne sais pas si le fait de porter ces accusations aura cet effet. Nous devons accepter une certaine responsabilité en tant qu'acheteurs, et nos détaillants doivent aussi l'accepter. Il y a une certaine responsabilité dans les pays d'origine, c'est vrai, mais ils sont au plus bas de cette infrastructure dans laquelle nous exigeons des vêtements qui coûtent moins qu'il en coûte pour les produire.
Le fait de constater que ces situations existent encore dans le monde, c'est ce qui a été le véritable choc pour les Canadiens et les entreprises en termes de risques ou, de façon générale, d'indignation morale. Je pense que cela aura plus d'effet que des accusations contre le propriétaire de l'usine.
La sénatrice Ataullahjan : Nous l'avons constaté. Les Canadiens ont été indignés quand ils en ont entendu parler. Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie pour vos exposés.
Mme Molina : Excusez-moi, mais j'aimerais ajouter quelque chose à la première question que vous avez posée sur ce que nous pouvons faire. Du point de vue des consommateurs, il est très important de tirer parti de ce mouvement en faveur du consumérisme éthique et de l'intérêt que porte le public à l'origine des produits. Le gouvernement peut aussi appuyer des initiatives en ce sens.
La présidente : Merci beaucoup à nos quatre témoins. Comme vous pouvez le constater, ce n'est là que le début de notre étude, alors nous nous réjouissons à l'idée de travailler avec vous à l'avenir. Merci beaucoup.
(La séance est levée)