Délibérations du Comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement
Fascicule 3 - Témoignages du 30 septembre 2014
OTTAWA, le mardi 30 septembre 2014
Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, conformément à l'article 12-7(2)a), afin d'étudier une ébauche de rapport concernant des modifications au Règlement.
Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je remercie tous les sénateurs et toutes les sénatrices d'être ici aujourd'hui. Nous allons poursuivre notre discussion de la semaine dernière au sujet de l'ébauche du rapport auquel ont donné lieu les modifications apportées au Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs, qui vient d'être renommé Code régissant l'éthique et les conflits d'intérêts.
À notre dernière rencontre, nous avons terminé par une discussion sur le pouvoir qu'a le Sénat d'interdire à un sénateur de voter. Comme vous me l'aviez suggéré — et je vous en remercie —, j'ai demandé à notre conseiller de jeter un coup d'œil à cela et de nous préparer un exposé pour aujourd'hui.
Avant de commencer, je dois préciser que c'est le sénateur Joyal qui avait cette question le plus cœur — et je lui en sais gré — et qui avait un point de vue qui nous donnait tous la chance d'échanger à ce propos. Sénateur Joyal, voulez-vous ouvrir le bal ou préférez-vous d'abord prendre connaissance du rapport du conseiller parlementaire ou de la Bibliothèque du Parlement?
Le sénateur Joyal : Je crois qu'il serait bon de commencer par la présentation du rapport de la bibliothèque, car cela permettra à tous les sénateurs de comprendre le contexte dans lequel cette question a été soulevée. Je pourrai ensuite y aller de mes observations. J'ai eu le temps de lire le rapport, et j'ai des observations et des questions à formuler.
Le président : Avant de passer à cela, je tiens à indiquer que nos discussions sur les ébauches de rapport sont publiques, une mesure qui a été instaurée à la suite d'une suggestion formulée par un sénateur, l'automne dernier, qui voulait que nos échanges soient plus souvent publics, c'est-à-dire aussi souvent qu'il n'y avait pas de demande contraire. Et les discussions sur d'autres rapports ont effectivement été menées entièrement à découvert. S'il y a une inquiétude, nous irons à huis clos, mais seulement si quelqu'un le propose. Autrement, notre discussion restera publique.
Le sénateur Joyal : Je préférerais que notre discussion soit consignée, car la question risque d'intéresser aussi la Chambre de communes. Comme il s'agit d'une question d'intérêt général, je crois qu'il serait mieux d'avoir accès au procès-verbal du comité.
Le président : Merci, sénateur.
Le sénateur Joyal : Je propose que nos délibérations restent publiques.
Le président : Y a-t-il quelqu'un qui s'oppose à cela? Nos délibérations resteront donc publiques.
Je vais prier mon adjoint de nous faire un résumé de la note d'information qui a été préparée.
Michel Bédard, conseiller parlementaire, Bureau du légiste et conseiller parlementaire, Sénat du Canada : Mesdames et messieurs, je tiens à apporter une petite précision avant de commencer. J'appartiens au Bureau du légiste, et non à la Bibliothèque du Parlement, du moins, pour l'instant.
Vous vous souviendrez, messieurs, que certaines réserves avaient été formulées au sujet du pouvoir du Sénat d'interdire aux sénateurs de voter. La question a été soulevée au moment où le comité s'est penché sur les modifications corrélatives au Règlement, découlant des modifications apportées au Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs. Les modifications apportées au Règlement veillent à assurer l'uniformité du règlement et du code, et à faire en sorte que l'interdiction de voter inscrite au Code régissant les conflits d'intérêts soit présente dans le règlement, et qu'elle soit aussi « recevable du point de vue de la procédure ».
J'ai préparé la note d'information qui, je le crois, a été distribuée à tous les membres du comité. J'y fais allusion au contexte que je viens de décrire, et j'y parle du privilège parlementaire en général. L'un des privilèges dont jouissent le Sénat et la Chambre des communes est le contrôle absolu qu'ils ont sur leurs délibérations. Ces délibérations comprennent les débats, les votes et la proposition de motions. Le pouvoir du Sénat quant à ses délibérations est exclusif et absolu, et il ne peut être remis en question par un tribunal. Ce privilège du Sénat est reconnu depuis toujours et aucune cour ne le conteste.
La conclusion de la note est la suivante : comme le vote fait partie des délibérations parlementaires et que le Sénat peut adopter des règles concernant le vote des sénateurs, le Sénat peut par conséquent, lorsqu'il le juge approprié, interdire à l'un d'eux de voter. Il y a de fait certaines références aux règles qui ont été mises en place au Sénat depuis le début de la Confédération pour interdire à des sénateurs de voter dans certaines circonstances.
En un mot, voilà ce qu'explique la note d'information. Si vous avez des questions ou si vous voulez que j'approfondisse un aspect en particulier, n'hésitez pas à me le demander.
Le sénateur Joyal : Je tiens à remercier le légiste et M. Bédard pour cette note d'information. Je l'ai lue attentivement, et j'aimerais vous faire part de ce que je pense être la question fondamentale et la façon de la résoudre.
Il n'y a aucun doute : le Parlement du Canada dispose des droits et privilèges dont il a besoin pour s'acquitter de ses fonctions. C'est inscrit dans l'article 18 de la Constitution du Canada, et M. Bédard y fait référence en haut de la page 2 de sa note d'information. Je vais lire l'article 18 de la Constitution, dont il est question dans la présentation du privilège parlementaire :
Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucun privilège, immunité ou pouvoir ...
— et voici l'enjeu central —
... excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette Chambre.
Qu'est-ce que cela signifie, en termes simples? Cela veut dire que nous avons tous les privilèges nécessaires pour nous acquitter de nos fonctions. Nous pouvons définir ces privilèges, les légiférer, les encadrer, mais nous ne pouvons pas les rendre plus grands que ceux que possède et exerce la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni. Autrement dit. Nous ne pouvons pas nous arroger un privilège qui n'aurait pas été reconnu par la Chambre des communes de Westminster, et nous ne pouvons posséder et exercer ces privilèges si Westminster ne les exerce pas.
Même au moment du rapatriement de la Constitution, en 1992, lorsque nous avons coupé tous nos liens avec le Parlement de la Grande-Bretagne, cet article de la Loi constitutionnelle de 1867 a été gardé. Mais je vous entends déjà me dire : « Très bien, mais qu'est-ce que cela signifie? »
Eh bien, cela signifie que l'ancien Parlement du Canada a été saisi de la même question. En 1870, trois ans après la nouvelle Confédération, le Parlement a dû citer des témoins à la barre et leur faire prêter serment pour s'assurer qu'ils diraient la vérité. Mais le hic avec ce privilège de faire prêter serment aux témoins avant de témoigner c'est qu'il n'était pas reconnu par Westminster. Par conséquent, on a dit que le Parlement du Canada avait abusé de sa capacité d'élargir ses privilèges, pas celui de citer des témoins, mais bien celui de leur faire prêter serment. Il fallait que la loi soit modifiée.
Cinq ans plus tard, le Parlement de Westminster adoptait une loi reconnaissant qu'il avait lui-même le droit de faire prêter serment à ses témoins. Et le Parlement du Canada pouvait dès lors le faire à son tour. Nous devons obéir à cette limite constitutionnelle, ce qui nous ramène à la question fondamentale.
Quelle est la question? Essentiellement, la voici : le pouvoir disciplinaire dont disposent le Sénat et la Chambre des communes leur permet-il d'empêcher un député ou un sénateur de voter?
Il est évident que le Parlement peut, dans certaines circonstances, interdire à un sénateur de voter, au même titre que Westminster peut empêcher un lord ou un député de voter. En fait, si vous vous reportez à la section « Interdiction de voter » qui figure à la page 3 de la note qui a été distribuée hier, vous allez voir une citation on ne peut plus claire d'Erskine May en la matière. N'oubliez pas que M. May parle de Westminster et non du Canada.
Aux Communes, il est de règle qu'un député qui a un intérêt pécuniaire direct dans le résultat d'un vote n'y prenne pas part, mais, pour justifier une telle exclusion, cet intérêt doit être immédiat et personnel, et pas seulement de nature générale.
Autrement dit, lorsque notre Comité sur les conflits d'intérêts a adopté l'interdiction pour un sénateur de voter au sujet d'une question où il aurait un intérêt pécuniaire direct, nous étions en parfaite harmonie avec ce qu'a fait Westminster. C'est pourquoi le présent du comité a modifié le Règlement, montrant du même coup qu'il était tout à fait conforme aux paramètres des privilèges tels qu'ils doivent être exercés. Je souligne le mot « exercés », parce que c'est ce qui est écrit dans la Constitution.
Sénatrice Andreychuk, je ne sais pas si vous étiez là quand j'ai cité l'article 18.
La sénatrice Andreychuk : Oui.
Le sénateur Joyal : L'article parle de « posséder » et « d'exercer », ce qui n'est pas la même chose.
La question qui se pose maintenant est la suivante : quand nous interdisons à un sénateur de voter au sujet d'un rapport du Comité sur les conflits d'intérêts, exerçons-nous un privilège qui aurait été exercé d'une façon similaire par Westminster? J'ai demandé à M. Bédard d'examiner le code des conflits de Westminster à ce sujet. Or, vérification faite, il s'avère qu'il n'y a aucune disposition semblable. Autrement dit, le code de conduite ou de comportement des membres du Parlement de Westminster ne comprend aucune disposition qui leur interdirait de voter.
Monsieur Bédard, pouvez-vous nous confirmer ceci pour que ce soit bien écrit dans le compte rendu? C'est en effet un aspect très important qui vient appuyer le raisonnement.
M. Bédard : Le règlement en vigueur au Royaume-Uni est consigné à la page 3 de la note d'information, et le sénateur Joyal y a fait référence plus tôt. Le règlement et l'interdiction de voter qui sont dans le code à l'heure actuelle ont une portée plus grande que cette interdiction, car l'interdiction de voter s'applique aussi lorsqu'un membre de la famille du sénateur visé a des intérêts privés dans la question soumise au vote. Il y a actuellement une disposition pour interdire à un sénateur de voter quand un membre de sa famille a des intérêts privés. Je crois qu'il y a une différence entre l'exercice d'un privilège et le privilège lui-même. Les privilèges dont il est ici question sont ceux dont le Sénat dispose pour imposer des mesures disciplinaires à ses membres et pour contrôler ses propres délibérations.
Si nous regardons tous ces privilèges établis depuis longtemps, nous devons reconnaître que nous sommes maintenant liés à la façon dont la Chambre des communes du Royaume-Uni a exercé ses privilèges, parce qu'en 1867, il n'y avait pas de code sur les conflits d'intérêts dans ce pays. Dans cette optique, le Code sur les conflits d'intérêts sera au-delà des pouvoirs du Sénat. C'est le privilège lui-même, le droit de suspendre ses membres, les sénateurs, et le droit de contrôler ses délibérations qui sont importants.
La décision de la Cour suprême dans l'affaire Vaid fixe les paramètres de ces privilèges. Lorsque le privilège aura été en place depuis longtemps — l'existence du privilège et sa portée — les tribunaux ne se mêleront plus de l'exercice de ce privilège.
Le sénateur Joyal : Je suis tout à fait d'accord avec les conclusions de la décision Vaid. Comme vous le savez, je suis intervenu en Cour suprême relativement à cette affaire.
La première question est : le privilège existe-t-il? Il ne fait aucun doute que le Sénat, la Chambre des communes ou Westminster a le privilège d'imposer des mesures disciplinaires à ses membres. Ce qu'il importe de savoir, c'est ceci : quelle est la portée du privilège? Jusqu'où va-t-il? Surtout dans le cas qui nous intéresse, c'est ainsi que la question se pose.
Westminster n'est pas allé aussi loin que nous nous proposons d'aller. Westminster a limité la portée du privilège, l'interprétation qu'en a faite Erskine May et votre façon de le citer :
[...] il est de règle qu'un député qui a un intérêt pécuniaire direct dans le résultat d'un vote n'y prenne pas part [...] cet intérêt doit être immédiat et personnel, et pas seulement de nature générale.
La question concerne essentiellement la portée de ce privilège. Laissez-moi vous donner un exemple.
Il ne fait aucun doute que le Sénat a le privilège d'établir comment ses membres votent puisque nous ne votons pas de la même manière qu'à Westminster. Je crois que la sénatrice Andreychuk, le sénateur Smith et d'autres encore en ont été témoins. Comme vous le savez, les membres arrivent de l'arrière et ils se placent en avant du Président, et leur vote est consigné. Nous restons assis parce que nous sommes moins nombreux qu'eux, et nous votons depuis nos sièges en nous levant. Nous pourrions même instaurer un mécanisme de vote électronique. Autrement dit, nous pourrions nous donner de nouvelles façons de voter. Cela ne modifierait pas le vote en tant que tel. Le résultat resterait le même; il s'agirait toujours d'un vote fondé sur la majorité.
Nous conviendrons donc que nous avons le privilège et la capacité de définir comment le vote doit être mené, mais dans le cas qui nous intéresse, ce dont nous cherchons à débattre — ce que j'ai soulevé après mûre réflexion —, c'est le fait que nous amenions l'exercice du pouvoir d'imposer des mesures disciplinaires un cran plus loin en récusant un sénateur visé par un rapport avant que ne soit imposée la sanction de mettre ce rapport aux voies. Fondamentalement, voilà ce qu'il faut se demander. C'est une question que ne s'est pas encore posée Westminster.
Il se peut qu'ils y viennent, mais ils n'ont pas encore eu affaire à ce type de problème. Il se peut qu'ils aient à se poser la question un de ces jours, lorsque leur comité soumettra un rapport recommandant une sanction contre un membre du Parlement. Mais pour l'instant, ils n'ont rien connu de tel.
C'est un peu le même scénario qu'en 1870, lorsque, par souci de vérité, nous voulions qu'un témoin prête serment; ils n'avaient pas cette capacité à Westminster. Ils doivent légiférer avant que nous puissions nous l'imposer à nous-mêmes. C'est l'essentiel du parallèle que je tenais à souligner.
Il est tout à fait évident que, dans l'affaire Vaid, la décision de la Cour suprême a défini le privilège non seulement en vertu de sa nature, mais aussi de sa portée, car c'est cette dernière qui permet d'aller jusqu'où les contraintes n'existent plus, hormis celles de l'article 18.
Soit dit en passant, nous pourrions modifier très facilement l'article 18 par une simple loi au Parlement, une loi qui devra être adoptée par le Sénat et la Chambre des communes, puisqu'il s'agit essentiellement des affaires du Parlement du Canada. Cette question ne concerne en rien les assemblées législatives. Nous n'avons pas besoin d'avoir l'aval des provinces pour modifier l'article 18 et pour supprimer cette phrase qui limite nos privilèges à ceux qu'ils possèdent et qu'ils exercent — et pas seulement ceux qu'ils ont, mais bien ceux qu'ils « exercent ». La portée ne se limite pas au privilège qu'ils ont; il s'agit du privilège comme tel et de la façon de l'exercer. Le verbe « exercer » est selon moi sans équivoque pour établir la portée du privilège.
Je ne soulève pas la question pour que nous ayons une discussion théorique, mais je crois qu'il est important que ce comité — le Comité du Règlement — comprenne bien l'article 18, car il nous arrive — pas couramment, mais assez souvent — d'être saisis de questions relatives au privilège dans le cadre du travail que nous faisons pour modifier le Règlement. Voilà pourquoi je considère que c'est une question fondamentale et qu'il importe de prendre position à ce sujet.
Je ne soulève pas la question pour empêcher le comité d'adopter le rapport. Je tiens à ce que cela soit très clair. Je ne veux pas empêcher l'adoption du rapport. Je tiens simplement à m'assurer que le compte rendu indique qu'une zone potentiellement grise sur le plan constitutionnel est liée au contenu du rapport.
Je pense que cette question importe aussi parce que le Comité du Règlement dispose d'un sous-comité, présidé par le sénateur Furey et le sénateur Nolin, qui s'occupe de cette question, et parce qu'elle fait partie de l'article 18. Devrions-nous envisager de modifier l'article à un moment donné? Toutes sortes de conséquences sont liées à cette question, mais, à mon avis, c'est essentiellement le problème.
Le président : Merci beaucoup, sénateur. Je remercie aussi M. Bédard.
Le sénateur Nolin : Pourriez-vous lire de nouveau l'article 18? Je tiens simplement à confirmer l'endroit où le mot « exercés » est employé dans la phrase, étant donné que je n'ai pas cet article sous les yeux.
Le sénateur Joyal : L'article 18 dit ce qui suit :
Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat, la Chambre des communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par acte du Parlement du Canada; ils ne devront cependant jamais excéder ceux possédés et exercés, lors de la passation du présent acte, par la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande et par les membres de cette chambre.
[Français]
Le sénateur Nolin : Sénateur Joyal, votre prétention est que l'exercice du privilège, tel qu'il est analysé par le bureau du légiste, serait ultra vires de l'article 18?
[Traduction]
Le sénateur Joyal : Oui, en un sens. Non pas l'exercice du privilège, car il ne fait aucun doute que nous avons le privilège de discipliner les membres, mais la mesure dans laquelle nous exerçons le privilège pourrait outrepasser...
[Français]
Le sénateur Nolin : Je n'en suis pas à la question du pouvoir disciplinaire; j'en suis à la question du pouvoir de réglementation des votes. Selon moi, ce sont deux choses différentes.
[Traduction]
Le pouvoir disciplinaire est une chose, mais le pouvoir de contrôler la façon dont les délibérations se déroulent est une différente partie de ce privilège.
Le sénateur Joyal : Absolument.
Le sénateur Nolin : Je pense que l'avis du légiste est fondé sur la deuxième partie et aboutit à la première partie; je comprends cela. Je ne crois pas que nous remettons en question le fait que la Chambre et le Sénat peuvent organiser et contrôler la façon dont les délibérations se dérouleront au Sénat. Je ne pense pas que nous soyons en désaccord à ce sujet-là.
Le sénateur Joyal : Pas du tout. Je ne conteste pas du tout que le Sénat a le droit de contrôler son processus de vote, et la preuve en est que je suis tout à fait d'accord avec le Comité sur les conflits d'intérêts — en fait, j'étais président du comité et la sénatrice Andreychuk en était la vice-présidente lorsque nous avons ajouté au code l'article qui empêche un sénateur de voter lorsqu'il a un intérêt pécuniaire dans la question mise aux voix. Cette question ne faisait aucun doute, car le Règlement du Parlement de Westminster l'indique déjà clairement. Il n'y a absolument aucun doute à cet égard. Autrement dit, nous respectons absolument les limites de l'article 18 lorsque nous empêchons un sénateur de voter, c'est-à-dire lorsque, dans son fauteuil, le Président déclare que le sénateur X, Y ou Z ne sera pas appelé à voter, car il a déclaré avoir un intérêt pécuniaire dans la question mise aux voix.
Mais ce n'est pas la situation dans laquelle nous nous trouvons en ce moment. Nous empêchons quelqu'un de voter pour une autre raison, une raison qui n'a pas été reconnue par le Parlement de Westminster.
Le sénateur Nolin : Sénateur Joyal, nous disposons déjà d'une règle qui indique qu'un sénateur ne peut pas prendre part à un vote s'il a intérêt à ce qu'une certaine décision soit prise.
Le sénateur Joyal : Oui.
Le sénateur Nolin : Notre Règlement contient déjà cette règle. Par conséquent, nous déterminons déjà la façon dont un sénateur peut ou non voter sur une question précise.
Le sénateur Joyal : Je suis d'accord avec vous, mais nous ne le faisons pas après avoir déclaré qu'une personne ayant un intérêt personnel dans la question mise aux voix n'est pas autorisée à voter ou ne devrait pas être appelée à voter, parce que, je le répète, nous sommes restreints par ce que le Parlement de Westminster a défini comme étant les limites dans lesquelles on peut interdire à quelqu'un de voter. C'est la nuance entre les deux scénarios. C'est la limite de notre pouvoir d'interdiction de vote.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Imaginez que nous soyons en guerre et que nous décidions d'adopter une règle selon laquelle les gens d'origine allemande, japonaise ou ukrainienne sont privés de leur droit de vote, comme cela s'est produit au cours de la Seconde Guerre mondiale. Je contesterais la constitutionnalité de la règle en m'appuyant sur le fait que le Parlement de Westminster n'a pas adopté une règle semblable et que nous avons outrepassé l'exercice de notre pouvoir d'interdire le droit de vote. Ce serait essentiellement le principe qui pourrait être invoqué pour gagner cette cause parce que, comme vous le savez, le droit de vote est prévu par la Constitution, la Charte et les privilèges, comme le juge McLachlin l'a déclaré dans l'affaire Harvey. Vous vous souvenez sûrement de la célèbre affaire Harvey — vous l'avez citée vous-même — qui mettait en cause une personne ayant été privée de son droit de vote après avoir été reconnue coupable d'une infraction électorale. La personne a indiqué qu'en vertu de l'article 3 de la Charte, elle avait le droit de voter parce que son droit était enchâssé par la Charte. Autrement dit, cette question pourrait prendre un ton très différent, mais la question qui se pose est essentiellement la suivante : dans quelle mesure pourrions-nous limiter le droit de vote en invoquant des raisons qui ne sont pas reconnues par le Parlement de Westminster?
Je ne remets pas en question le fait que nous avons adopté une motion ou une règle de ce genre.
Le sénateur Nolin : Je vais conclure en disant que nous jouissons du privilège, mais que c'est uniquement l'exercice de ce privilège que vous contestez.
Le sénateur Joyal : La mesure dans laquelle nous pouvons exercer ce privilège. Je ne remets pas du tout en question l'existence de ce privilège. Je vous ai dit que j'avais voté pour ces modifications dans le passé. C'est l'étendue, la mesure dans laquelle...
Le sénateur Nolin : C'est différent. Les questions sur lesquelles le Comité sur les conflits d'intérêts a voté, à savoir des questions disciplinaires, sont une chose. Nous ne parlons pas de cela en ce moment. Nous discutons du contrôle des délibérations, ce qui est différent.
Le président : Donc, la limite que vous suggéreriez, sénateur, serait celle établie par la Chambre des lords. Comme elle n'est pas allée jusque-là, nous ne pouvons pas le faire non plus.
Le sénateur Joyal : Non pas la Chambre des lords, la Chambre des communes.
Le président : Désolé, la Chambre des communes.
Le sénateur Joyal : La Constitution indique très clairement que, même si nous sommes membres du Sénat, de la Chambre haute, nos privilèges sont ceux détenus et exercés par les députés de la Chambre des communes.
Le sénateur Furey : Je voulais simplement interroger le sénateur Nolin. Comme le sénateur Joyal l'a affirmé, cela n'a pas rapport à l'exercice d'un privilège. Cela a trait à la mesure dans laquelle nous l'exerçons. Donc lorsque vous mentionnez les limites relatives à l'intérêt personnel auxquelles les sénateurs sont déjà assujettis, incluez-vous l'intérêt pécuniaire, de sorte que nous respections le cadre déjà établi? Je pense que c'est ce que nous faisons en règle générale.
Le sénateur Nolin : L'ouvrage d'Erskine May le fait déjà, en indiquant qu'il s'agit d'un intérêt que les autres ne partagent pas. Voilà comment il définit l'intérêt personnel. C'est exactement le passage que le sénateur Joyal a cité.
Je pense que la question sur laquelle nous ne tombons pas d'accord — et c'est une discussion très intéressante —, c'est celle des limites de l'exercice d'un privilège. C'est ce qui nous pose un problème. Nous devrions probablement renvoyer la question au légiste afin qu'il retourne consulter les livres.
Le sénateur Joyal : Je le répète, je ne m'oppose pas au rapport, et je tiens à ce que le compte rendu l'indique. Je ne m'élèverai certainement pas contre le rapport. Je veux simplement m'assurer que nous comprenons ce que nous faisons parce que, lorsque nous traitons du droit de vote d'un sénateur ou d'un député, il est important, selon moi, de savoir exactement ce que nous faisons.
Le sénateur Furey : Je pense que le sénateur Nolin fait valoir un argument valable. Nous devrions réexaminer cet aspect, car nous voulons nous assurer que, lorsque nous adopterons le rapport — et, comme le sénateur Joyal l'a indiqué, la plupart d'entre nous ne s'opposent pas à ce rapport —, nous ne créerons, au Sénat même, un terrain d'essai pour une contestation en vertu de la Constitution.
Le sénateur Nolin : Cela me convient.
La sénatrice Cools : J'aimerais que le sénateur Furey, le sénateur Joyal ou qui que ce soit qui comprend cet enjeu me fournisse des éclaircissements.
Je comprends très bien le pouvoir disciplinaire que la Chambre et le Sénat peuvent exercer sur leurs membres, mais je ne vois pas comment ce pouvoir permet de faire obstacle au droit fondamental de vote, en particulier lorsque les questions à l'étude prennent la forme de délibérations. Le problème concernant toutes ces questions d'éthique et de conflits d'intérêts tient essentiellement au fait qu'on cherche à les traiter comme des délibérations du Parlement. On aurait pu trouver une autre façon de les aborder. Toutefois, au cours des 15 dernières années, le Règlement du Sénat, qui était seulement censé guider les délibérations du Sénat, a été élargi et mutilé, selon moi, dans le but d'aborder d'autres questions, comme les congés de maladie, qui n'ont vraiment rien à voir avec le déroulement des délibérations dans la Chambre et le Sénat. En fin de compte, ce sont ces délibérations qui sont protégées en vertu de l'article 9 de l'ancienne Déclaration des droits.
Je ne parviens pas à voir comment on peut utiliser le pouvoir disciplinaire des Chambres pour empiéter sur le droit de vote d'un sénateur, et même le pouvoir disciplinaire, qui peut être exercé sur la Chambre et les sénateurs, ne repose pas sur des bases solides. La Chambre des communes s'appuie sur le jugement rendu dans l'affaire Bradlaugh c. Gossett, mais, à cette époque, il n'était jamais appliqué à la Chambre haute.
Si quelqu'un pouvait clarifier cette question, cela me satisferait. J'ai été un peu décontenancé quand le comité de l'éthique a recommandé qu'on interdise à une personne de voter sur une question qui faisait l'objet de délibérations à la Chambre, car, de prime abord, tous les députés ont le droit de voter dans le cadre des délibérations de la Chambre.
Le président : Je pense que c'est ce sur quoi les discussions portent maintenant, sénateur.
La sénatrice Cools : Nous avons besoin d'en discuter longuement, car cette question est beaucoup plus compliquée et inquiétante qu'elle ne le semble à première vue. Dans le cadre de ce processus, monsieur le président, nous pourrions peut-être faire ressortir l'autorité sur laquelle nous comptons pour exercer ce que nous appelons le pouvoir disciplinaire.
La sénatrice Andreychuk : Je suis en fait ici pour remplacer le sénateur Tkachuk, mais je tiens à ce que le compte rendu indique qu'il y a une différence entre nous. Nous venons tous deux de la Saskatchewan, et nous sommes tous deux Ukrainiens, mais nous ne sommes pas du même sexe, et il se peut que nous différions d'autres manières.
C'est un peu embarrassant parce que les discussions du Comité sur les conflits d'intérêts ont lieu à huis clos, et je ne suis pas certaine de la mesure dans laquelle je peux aborder les enjeux qui ont été discutés là-bas. Il y a quelques points que nous ne devrions pas perdre de vue. Il est trompeur de dire que nous ne pouvons pas limiter le droit de vote d'un sénateur alors que nous avons déjà franchi le Rubicon. Si l'on vous empêche de voter en raison d'un intérêt pécuniaire ou de tout autre intérêt personnel, on exerce déjà un pouvoir disciplinaire sur vous.
Ce qu'on a fait remarquer ici, c'est qu'on doit équilibrer ces mesures en précisant qu'il ne s'agit pas d'un processus criminel. Ce n'est pas une question ordinaire, mais plutôt une question de discipline. Nous faisons des pieds et des mains pour garantir que la personne qui fait l'objet d'une allégation ou d'une plainte a entièrement le droit de se défendre, tant en comité qu'au Sénat.
En tenant compte de cela, lorsque vient le temps de voter — et nous nous en remettons à la discrétion du Sénat pour ce qui est de mener ses propres audiences — et de donner à ces gens la plus grande marge de manœuvre pour se défendre, le sénateur Joyal a parlé avec éloquence de l'équilibre que l'on doit établir entre les droits de chaque sénateur, l'honneur du Sénat, sa dignité et le respect qui lui est dû. C'est ainsi que nous en sommes arrivés aux propositions que nous avons adoptées dans notre code.
La question qui nous préoccupait à cette époque était que, si l'on ne privait pas ces personnes du droit de vote et si on leur accordait le droit de se défendre de leur mieux, pouvaient-ils par la suite porter essentiellement un jugement sur leur propre comportement? Je pense que c'est l'argument qui m'a influencé. Une fois qu'on vous a accordé le droit de vous défendre de votre mieux, à quel moment, au cours de l'histoire constitutionnelle, une personne a-t-elle été autorisée à porter un jugement sur elle-même? C'était une question pratique. Si les voix étaient partagées également et que le vote de la personne faisant l'objet de l'audience était celui qui déterminait la décision, de quel œil le public verrait-il cela?
La sénatrice Cools : Il n'y a pas de votes supplémentaires dans ces cas-là.
La sénatrice Andreychuk : En cas d'égalité des voix, cela équivaudrait à un vote faisant pencher la balance.
Quoi qu'il en soit, nous avons sollicité des opinions à ce sujet pendant un bon moment. Je souhaiterais pouvoir les exposer, mais ces délibérations ont eu lieu à huis clos.
Le président : Nous ne sommes pas sévères, madame la sénatrice.
La sénatrice Andreychuk : Oui, je le sais. C'est la raison pour laquelle je fais très attention aux sujets que j'aborde.
Le président : Je vous en remercie.
La sénatrice Andreychuk : Je suis certaine que le sénateur Joyal ne verrait pas d'objection à ce que je mentionne que c'est lui qui a soulevé le fait que le sénateur faisant l'objet de l'audience ne devrait pas voter, et ses arguments étaient très convaincants. Bien entendu, c'est un excellent avocat qui peut plaider une cause avec brio.
Ma seule inquiétude est qu'à mon avis, on devrait mener une enquête à ce sujet. Cela signifie peut-être que des changements devront être apportés, mais je me soucie beaucoup que le code continue d'être appliqué.
Comme je l'ai indiqué au cours d'une discussion officieuse, le sénateur Joyal s'est montré très persuasif au cours des séances du comité. J'espérais qu'il le serait aussi auprès des membres de votre comité, que nous adopterions le rapport, que nous chercherions ensuite à obtenir un avis juridique indépendant et à consulter tous les experts en matière constitutionnelle, et que cela aboutirait à un amendement.
Nous ne sommes saisis d'aucune affaire en ce moment. Nous pourrions reporter toute cause jusqu'à ce que nous ayons reçu ces jugements, si nous étions d'avis que la règle était préjudiciable. Je pense qu'au lieu de ne pas adopter le rapport, il y a des étapes à suivre pour échapper à ces problèmes. Voilà vraiment ce que je dis.
Le sénateur Joyal : Je n'ai jamais dit que nous ne devrions pas adopter le rapport, et je tiens à ce que le compte rendu l'indique très clairement. Je ne m'oppose pas au rapport. Je soulève un problème qui existe selon moi. Comme je l'ai mentionné, mon interrogation est liée à l'article 18, et non à l'objectif du Code régissant les conflits d'intérêts. Je corrobore tout à fait ce que la sénatrice Andreychuk a dit et ce que la sénatrice Frum a également mentionné la semaine dernière lorsque nous en avons discuté. Si vous me le permettez, j'aimerais citer mes propres paroles — et j'avance maintenant un argument pour appuyer la sénatrice Andreychuk et changer mon fusil d'épaule. Je pensais qu'une personne ne devrait pas juger sa propre cause. C'est inscrit dans les principes de la justice naturelle. J'ai fait un discours sur ces principes la semaine dernière et sur la façon dont nous tenons beaucoup à les suivre. Lorsqu'on applique les principes de la justice naturelle à une audience du Comité sur les conflits d'intérêts ou au Sénat en général, on exerce essentiellement une fonction décisionnelle fondée sur une recommandation, c'est-à-dire sur les conclusions d'une enquête menée par le conseiller sénatorial en éthique et sur les réflexions supplémentaires du Comité sur les conflits d'intérêts. Je n'ai rien à redire à cela.
Toutefois, quand on situe cela dans le contexte de l'article 18, on se retrouve devant un problème qui mérite réflexion si on veut éviter d'être pris dans une situation à l'avenir — en tout cas, j'espère que ce ne sera pas de sitôt. Dans pareille circonstance, il y a toujours une tension, une pression à cause des médias, du système politique ou peu importe — et parfois de la partisanerie.
Le président : Ce n'est pas vrai.
Le sénateur Joyal : Ce n'est pas le meilleur contexte où soulever et étudier une telle question. C'est pourquoi j'ai cru bon de l'évoquer; ce n'est certainement pas pour empêcher le comité de faire rapport et de maintenir la disposition du Code sur les conflits d'intérêts, dont la sénatrice Andreychuk a parlé.
La sénatrice Martin : J'aimerais remercier notre légiste et notre personnel d'avoir préparé la note d'information. J'ai écouté attentivement, aujourd'hui et à la séance précédente, les observations faites par mes collègues. En somme, la sénatrice Andreychuk a exprimé de façon éloquente ce que je ressentais. Je n'étais pas sûre comment j'allais formuler ma pensée, mais après avoir entendu les propos de tout le monde, je tiens compte du processus dans son ensemble, du début jusqu'au vote final. Quand des gens critiquent le Sénat en disant que nous ne faisons qu'approuver les yeux fermés ces projets de loi, je leur réponds toujours : « Avant ce vote, il y a tout un processus à suivre pour en arriver là. » Lorsqu'un caucus semble être forcé à voter dans un sens ou à voter de la même façon, il ne faut pas oublier que tout un processus a déjà été entrepris au sein de chaque parti, ainsi que dans des réunions et des comités à plus petite échelle. On suit un tel processus avant la tenue du vote final.
Comme la sénatrice Andreychuk l'a dit, le sénateur en question — celui qui fait l'objet du vote final — a eu jusque-là amplement l'occasion de se prononcer. Au Sénat, tout ce que nous faisons finit par être soumis à un débat, un discours et une discussion. Quand je pense au processus dans son ensemble, y compris à celui-ci, je ne vois pas d'inconvénient à adopter le rapport, surtout à la lumière de la discussion d'aujourd'hui et de la note d'information que nous avons reçue — et je tenais à le dire aux fins du compte rendu. Je n'ai pas pris part aux discussions sur le rapport initial, mais je pense que nous avons déjà une idée de la compétence de ceux qui nous ont préparé ce rapport.
J'aimerais exprimer ma confiance à mes collègues, qui nous ont présenté ce rapport et qui ont mené des délibérations éclairées. Je me sens plutôt à l'aise avec l'idée d'aller de l'avant, et je remercie tout le monde de ces éclaircissements. D'ailleurs, cela m'a permis de mieux comprendre notre privilège parlementaire, ce qui était très important pour moi. Cette démarche était essentielle, et c'est pourquoi ce rapport m'inspire confiance.
Le sénateur D. Smith : Ce matin, j'ai commencé à penser à quelques passages de la Bible, comme « ne jugez point, et vous ne serez point jugés » et « que celui d'entre vous qui n'a jamais péché jette la première pierre ». On comprend très clairement le message de l'article 4 et de la Charte.
Il y a un problème ici, mais nous pouvons et nous devons rectifier le tir. Comme vous le savez tous, je crois fermement au consensus. Cet aspect pose un autre problème, et le sénateur Nolin y travaille. Selon moi, il faut faire ce qui s'impose. Si, entre-temps, la sénatrice se sent à l'aise d'adopter le rapport, alors cela me convient.
En somme, quand on veut, on peut. J'espère qu'il y aura consensus. On veut assurer une conformité totale, et c'est ce que je vise.
La sénatrice Cools : Pour reprendre l'expression du sénateur Joyal, personne ne peut être juge dans sa propre cause. Cependant, je pourrais montrer de différentes façons que c'est exactement ce que fait tout ministre qui soulève une question au Sénat et qui vote en faveur de sa propre mesure. Quand on parle de plaider pour sa propre cause, il va de soi qu'un sénateur a tout intérêt de savoir ce qui se passe dans ces rapports. Comme on le sait, bon nombre de ces questions sont traitées par des êtres humains qui ne sont pas à l'abri des erreurs. Parfois, un sénateur n'a pas une chance égale, du simple fait qu'un de ses collègues ne l'aime pas. La nature humaine est ainsi faite. On n'y peut rien; c'est simplement la réalité humaine. J'ai vu de nombreux ministres présenter des projets de loi que personne n'appuie, et pourtant, on ne remet jamais en question leur capacité de voter sur une mesure que personne ne veut. Ainsi, ils sont juges dans leur propre cause.
Nous devons faire preuve de prudence et de vigilance. Le sénateur Joyal a soulevé une question qui mérite un examen plus en profondeur. Lorsque l'article 18 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a été adopté en 1867, personne n'imaginait qu'on créerait un jour des comités d'éthique et encore moins que ces comités feraient partie de la procédure parlementaire. Tout ceci est un phénomène très nouveau. Il y a à peine quelques années, nous ne savions pas ce que le comité d'éthique était censé faire ou étudier. Je respecte beaucoup le travail que le sénateur Joyal et la sénatrice Andreychuk ont accompli dans ce dossier. Mais je sais pertinemment qu'il arrive souvent que des sénateurs soient victimes d'un coup monté dans cette enceinte et qu'ils en subissent les conséquences. J'en suis très consciente. En tant que sénatrice indépendante, j'ai droit à très peu de privilèges ici — aucune possibilité de voyager, de siéger à un comité de mon choix, et cetera. Êtes-vous en train de me dire que je ne pourrai pas voter si on présente un rapport d'un comité dont je ne suis pas membre? J'ai le droit de vote, certes, mais à en juger par cette disposition, cela reviendrait à voter pour ma propre cause.
Le président : Ce n'est pas ce qui est écrit ici.
La sénatrice Cools : Il faut accorder plus de temps à cette question. Je remercie le sénateur Joyal d'avoir souligné la nécessité de vraiment bien étudier le rapport avant de l'adopter. Il s'agit d'une question très grave. Priver un parlementaire de son droit de vote, voilà qui est très inhabituel et très grave.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Cools : J'aimerais faire une dernière observation. Supposons qu'il y ait égalité des voix ou qu'une motion soit adoptée par la majorité d'une voix et que ce soit justement la personne concernée qui fasse pencher la balance; cela serait mal vu par les médias. En tout cas, comme l'exige le leadership, nous devons rencontrer les médias et leur expliquer la vérité.
Le président : Merci beaucoup, madame la sénatrice.
La sénatrice Frum : Je songe aux cas les plus récents qui ont mené aux changements proposés au code d'éthique. J'essaie de voir si l'un ou l'autre de ces cas avait exclu l'intérêt pécuniaire. On en a tenu compte systématiquement, y compris dans le plus récent cas où un sénateur a reçu l'ordre de suivre un cours à ses frais. Je comprends que le débat est de savoir s'il s'agit d'un intérêt pécuniaire ou seulement d'un intérêt personnel, mais je ne vois pas de cas où l'intérêt pécuniaire n'était pas en cause. Ce qui nous préoccupe, c'est que le facteur d'exclusion ne s'applique pas ici, mais je ne suis pas sûre que ce soit valable.
Le président : C'est peut-être vrai d'un point de vue historique, mais je suis convaincu que tout le monde ici pourrait trouver des cas qui n'étaient pas d'ordre pécuniaire.
La sénatrice Frum : Si l'on en est à l'étape du vote au Sénat — après avoir franchi toutes les étapes du processus — et que les sénateurs doivent voter sur des sanctions, je serais disposée à laisser la personne voter, à condition qu'il n'y ait pas d'intérêt pécuniaire.
Le président : Laissons-les voter.
Une voix : Laissons-les voter.
La sénatrice Frum : Mais vous savez quoi? Je doute qu'il y ait de tels cas.
Le président : Pour que les choses soient bien claires, le code ne fait pas mention de l'intérêt pécuniaire, n'est-ce pas?
Le sénateur Joyal : Je crois avoir expliqué ma position. La question qui se pose, c'est : que devons-nous faire maintenant? Quelle décision devons-nous prendre aujourd'hui?
Un des aspects que nous pourrions examiner, c'est la question soulevée par le sénateur Nolin dans le cadre de l'échange que nous avons eu ce matin, échange qui me paraît plus complet que celui de la semaine dernière. Nous pourrions demander au légiste d'examiner les points qui ont été clairement énoncés par vous et par le sénateur Furey, c'est-à-dire l'étendue de l'exercice du privilège, au regard de l'intégrité de la Chambre et du processus, ce que j'estime être un argument très valable. Par ailleurs, il faut des raisons impérieuses pour priver quelqu'un de son droit de vote. À mon avis, grâce à un examen des mesures prises à Westminster dans des décisions antérieures, nous pourrions résumer l'état des connaissances actuelles, ce qui nous permettrait sûrement de prendre une décision bien étayée, parce que nous aurions une vue d'ensemble.
Comme je l'ai dit, je ne suis pas contre l'idée de mettre en œuvre la décision, la recommandation que le comité a faite à la Chambre et celle que le Comité des règlements voudrait faire. Mais en l'occurrence, je pense qu'il ne s'agit pas d'un besoin urgent ou immédiat. Nous ne sommes pas confrontés à la situation. Nous pourrions consacrer une semaine de plus à cette question pour avoir l'occasion de faire le bilan de ce qui a déjà été fait et pour déterminer ce qui pourrait compléter la réflexion. Je ne sais pas si cela vous convient.
La sénatrice Andreychuk : J'ai une suggestion. Je crois que la sénatrice Frum a souligné que la question ne porte pas sur l'intérêt public, comme dans le cas d'un ministre, mais sur l'intérêt privé d'une personne. Jusqu'ici, on semble avoir parlé de l'intérêt pécuniaire. Si on devait aller de l'avant, on pourrait demander au Comité sur les conflits d'intérêts d'examiner le champ d'application de l'article et de nous renvoyer le tout dans un mois ou dans deux semaines pour que nous puissions l'adopter. Nous tiendrions compte de toutes les discussions que nous avons eues, jour après jour, au Comité sur les conflits d'intérêts. Si nous devions juger nécessaire de limiter cet article du code, nous pourrions alors proposer une modification devant le comité avant d'en faire rapport au Sénat.
Je dis cela parce que nous avons répété à plusieurs reprises qu'il s'agit d'un code qui évolue sans cesse, qui n'est pas fixé. Nous avançons étape par étape, mois après mois, semaine après semaine, pour le faire évoluer et essayer de trouver le juste milieu entre, d'une part, le besoin d'assurer aux Canadiens que nous nous gouvernons comme il se doit et, d'autre part, le besoin de veiller à l'intérêt supérieur du sénateur et de l'institution. Il serait donc juste d'adopter le rapport. L'idée est que nous l'examinions pour voir s'il faut imposer des limites au droit de vote, puis que nous le renvoyions au comité.
Le président : Vous proposez donc qu'on adopte le rapport et qu'on le renvoie au Comité sur les conflits d'intérêts.
La sénatrice Andreychuk : Qu'on le renvoie pour une étude plus poussée de cet article, puis qu'on en soit saisi de nouveau dans plus ou moins un mois.
Le sénateur Joyal : Je me contenterai de dire ceci : dans le cadre de la discussion de ce matin, on a soulevé une question qui, selon moi, mérite d'être clarifiée, mais si nous nous en occupons au Comité sur les conflits d'intérêts, nous devrons siéger à huis clos pour que le rapport du légiste soit accessible strictement aux membres. À mon sens, la question soulevée à juste titre par les sénateurs Nolin et Furey doit figurer au compte rendu du comité parce qu'il s'agit d'un complément à la discussion que nous avons eue ce matin.
Une fois que nous aurons reçu ce rapport ou que nous aurons étudié la question de façon plus poussée, nous pourrons adopter les modifications au Règlement. Je ne m'oppose pas aux modifications en tant que telles, mais la question qu'on vient de soulever est un grave problème constitutionnel. Je pense qu'elle doit figurer au compte rendu de notre comité.
Le président : J'ai parlé à M. Bédard, et il croit — sous toutes réserves — pouvoir préparer le tout d'ici la semaine prochaine. En tout cas, il pourra sûrement nous le confirmer plus tard cette semaine. Si tout le monde est d'accord, c'est ce que nous ferons. Nous mettrons ce dossier de côté jusqu'à la semaine prochaine dans l'espoir que nous aurons adopté, d'ici là, une approche plus complète, après quoi nous pourrons adopter le rapport. Il se peut que nous ayons à nous adresser à votre comité si nous avons d'autres préoccupations. Cela vous convient-il?
Le sénateur Joyal : Oui, tout à fait.
Le président : Si vous le permettez, j'invite les sénateurs Furey, Smith, Nolin et Joyal à rester quelques minutes après la séance pour discuter du Sous-comité sur le privilège parlementaire et voir si nous pouvons organiser une réunion.
S'il n'y a rien d'autre, je vous remercie tous de votre présence.
(La séance est levée.)