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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 4 - Témoignages du 16 juin 2015


OTTAWA, le jeudi 16 juin 2015

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, auquel a été renvoyé le projet de loi C-518, Loi modifiant la Loi sur les allocations de retraite des parlementaires (indemnité de retrait), se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, pour examiner le projet de loi et pour étudier un cas de privilège concernant les fuites du rapport du vérificateur général sur son audit des dépenses des sénateurs.

Le sénateur Vernon White (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement.

Je tiens à remercier M. Aaron Wudrick d'être ici aujourd'hui. Comme vous le savez tous, nous entendrons aujourd'hui le témoignage de M. Wudrick, qui est directeur fédéral de la Fédération canadienne des contribuables. Son témoignage est lié au projet de loi C-518, Loi modifiant la Loi sur les allocations de retraite des parlementaires (indemnité de retrait).

Je crois comprendre que vous avez un bref exposé pour commencer. Puis, nous passerons aux questions, si cela vous convient.

Aaron Wudrick, directeur fédéral, Fédération canadienne des contribuables : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Au nom de la Fédération canadienne des contribuables, je vous remercie de l'occasion de comparaître pour parler du projet de loi C-518.

La FCC est un groupe de défense des citoyens sans but lucratif et non partisan fondé en 1990 qui compte plus de 84 000 sympathisants. Nous sommes axés sur trois grands principes : la baisse des impôts, la lutte au gaspillage et le devoir de reddition de comptes des gouvernements. Notre appui au projet de loi C-518 est principalement fondé sur le troisième de ces principes, le devoir de reddition de comptes des gouvernements.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je sais que le parrain du projet de loi, qui est aussi un de mes prédécesseurs à la Fédération canadienne des contribuables, a comparu la semaine dernière pour parler du projet de loi. Je ne veux donc pas m'attarder sur les excellents points qu'il a soulevés. Mentionnons seulement qu'il est raisonnable de dire que le principe de la reddition de comptes fait pratiquement l'unanimité. Théoriquement, personne n'est contre. Le désaccord porte plutôt sur les détails qui en découlent.

Pendant mon exposé d'aujourd'hui, j'aimerais parler de quelques-unes des critiques à l'égard du projet de loi, puis brièvement vous dire pourquoi il est plus que jamais essentiel d'adopter ce projet de loi maintenant.

L'une des objections courantes que nous avons entendues au sujet du projet de loi, c'est qu'il exigerait des politiciens qu'ils respectent des normes plus strictes que les autres. C'est un point valable, mais je dirais que la réponse à cela, c'est que cela découle du poste d'autorité unique qu'ils occupent. « Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités », comme on dit, mais l'abus de ce pouvoir doit aussi entraîner d'importantes sanctions.

Plus précisément, comme il a déjà été souligné à maintes reprises, l'élimination des pensions a déjà été étudiée, étant donné que c'est déjà possible dans le cas d'un député ou d'un sénateur qui a enfreint la loi, mais seulement si la personne en question est d'abord démise de ses fonctions. Pour éviter cette sanction, il suffit de démissionner. Or, permettre à des gens de démissionner pour éviter une sanction s'apparente à une situation où on permettrait à une personne qui a été reconnue coupable de tout autre crime d'éviter la prison simplement en choisissant de ne pas comparaître à une audience de détermination de la peine. Cela défie toute logique. En ce sens, le projet de loi vise simplement à supprimer cette échappatoire.

L'autre point que nous avons entendu à répétition, c'est qu'il n'existe aucune disposition pour les conjoints ou les familles qui subiraient les conséquences de la perte d'une pension. C'est une observation valable, encore une fois, mais il faut établir une comparaison avec ce qui se fait en général dans le système de justice. Prenez l'exemple d'une personne qui serait l'unique pourvoyeur de la famille et qui serait reconnue coupable d'un crime, puis emprisonnée, et qui serait par conséquent incapable de travailler. Évidemment, le reste de la famille en subit les conséquences, mais cela ne veut pas dire que le crime demeure impuni. Encore une fois, selon les règles actuelles applicables aux sénateurs et aux députés expulsés, il n'existe aucune disposition pour les conjoints ou les familles. On pourrait dire, à tout le moins, que le tort que cela pourrait causer au conjoint ou à la famille devrait être pour les gens une raison supplémentaire de veiller à respecter les règles, étant donné qu'ils ne seront pas les seuls à subir les conséquences.

Enfin, la question de savoir si la liste des infractions contenue dans ce projet de loi est adéquate suscite un vif débat. Est-elle trop large? Est-elle trop restreinte? Soulignons que la version initiale du projet de loi prévoyait de fixer le seuil aux crimes passibles d'une peine maximale de deux ans d'emprisonnement ou plus. Il a alors été suggéré, en fonction des dispositions d'une mesure législative similaire adoptée en Nouvelle-Écosse en 2013, d'établir le seuil aux crimes passibles d'une peine maximale d'au moins cinq ans d'emprisonnement.

Le dernier compromis à cet égard, qui vise à tenir compte des préoccupations selon lesquelles certains crimes n'ont rien à voir au rôle de parlementaire d'une personne, se présente sous forme d'une liste d'infractions au Code criminel, toutes passibles d'une peine maximale d'au moins cinq ans d'emprisonnement. À cet égard, nous sommes simplement d'avis qu'il n'est pas utile de faire du mieux l'ennemi du bien. Il existe des arguments solides pour ou contre l'inclusion d'un ensemble de mesures législatives quelconques, mais nous croyons que la liste actuelle est certes un compromis raisonnable auquel la Chambre basse est parvenue après avoir longuement étudié la question.

En terminant, je voulais lancer un appel direct au comité et à l'ensemble des sénateurs, en fait, pour veiller à ce que le projet de loi soit adopté avant que cette Chambre s'ajourne pour l'été. Tous savent que la Fédération canadienne des contribuables a vivement critiqué la Chambre haute, pour diverses raisons, mais je vous dirais, de bonne foi et de tout cœur, que l'adoption de ce projet de loi dans le contexte politique actuel — alors que vous faites l'objet d'une intense surveillance de la part du public — serait une bonne chose pour cette Chambre et serait une étape concrète qui démontrerait à tous les Canadiens que le Sénat souhaite un réel changement. Ce serait un élément tangible qui permettrait au Sénat de prouver, dans le cadre d'un débat beaucoup plus large, qu'à l'instar de leurs collègues de la Chambre des communes, les sénateurs estiment que l'utilisation abusive de l'argent des contribuables doit avoir des conséquences réelles.

Je vous remercie de votre temps. C'est avec plaisir que je répondrai aux questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Wudrick, d'être venu témoigner encore une fois. Merci aussi de votre bref exposé.

Je tiens à rappeler à tous que nous devons terminer cette partie de la séance d'aujourd'hui pour passer au deuxième point à l'ordre du jour. Je vous demanderais donc d'essayer d'être concis dans vos questions et vos réponses. Nous commençons par la sénatrice Frum.

La sénatrice Frum : Je vous remercie d'être ici. Comme vous le savez probablement, je suis la marraine du projet de loi au Sénat et je l'appuie. Je suis entièrement d'accord sur tout ce que vous avez dit, tant intellectuellement que moralement, mais j'aimerais vous poser une question concernant un point que vous avez soulevé sur la manière dont le projet de loi éliminerait cette échappatoire qui permet à un parlementaire qui a démissionné de conserver sa pension, alors qu'il la perdrait s'il était expulsé.

Nous sommes déjà aux prises avec un problème où des gens qui sont dans une situation compromettante — comme nous l'avons vu récemment — devraient vraiment démissionner, mais ne le font pas. Vous ancrez encore plus solidement l'opprobre qui touche actuellement le Parlement, car des gens sont dans des situations délicates et on serait porté à croire qu'à une autre époque, ils auraient eu l'honneur et la dignité de démissionner. Avec l'adoption de cette nouvelle mesure législative, l'incitation à présenter sa démission serait éliminée.

M. Wudrick : Si la perte de la pension découle d'une condamnation et que cela s'applique tant à un député qu'à un sénateur, je ne suis pas certain que ce soit le cas. En fait, je dirais que dans le cas du système actuel, cela pourrait inciter quelqu'un qui chercherait à agir par honneur de le faire pour les mauvaises raisons. En réalité, je pense que cela pourrait être le contraire de ce que vous laissez entendre.

La sénatrice Frum : Je dis simplement que nous avons déjà un système dans lequel les gens s'abstiennent de quitter leurs fonctions et que cela pourrait renforcer la propension des gens à vouloir demeurer en poste bien plus longtemps que ce qui est honorable.

M. Wudrick : Oui, je serais d'accord avec vous là-dessus.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup de votre exposé. Je suis d'accord avec ce que vous avez dit. Je ne le conteste pas.

Je suppose que vous avez lu les comptes rendus des délibérations du comité. Ce qui me préoccupe, c'est son application, car comme vous l'avez certainement lu dans les comptes rendus, il y a des problèmes. L'un des problèmes est lié à la question du conjoint ou de la conjointe, mais vous en avez déjà parlé.

L'autre point sur lequel j'aimerais entendre votre point de vue est celui de l'application. Le projet de loi comporte certainement des lacunes, et j'estime que nous ne faisons que la moitié du travail si nous adoptons un projet de loi en sachant qu'il sera contesté devant les tribunaux et qu'il ne résistera pas à une contestation judiciaire.

M. Wudrick : Votre préoccupation porte-t-elle sur une contestation d'ordre constitutionnel?

La sénatrice Jaffer : Non; elle ne porte pas sur une contestation d'ordre constitutionnel, mais sur une contestation quant à l'application des dispositions du projet de loi en raison du manque de précision sur de nombreux enjeux.

M. Wudrick : Y a-t-il un exemple précis?

La sénatrice Jaffer : Les infractions mixtes.

M. Wudrick : Tout ce que je peux dire, c'est que ce n'était pas l'intention initiale, comme le parrain du projet de loi l'a indiqué. Manifestement, la Chambre basse est arrivée à cette conclusion.

Certains de nos sympathisants se demandent pourquoi il faudrait appuyer ce projet de loi, car ils considèrent qu'il est trop faible et qu'il ne couvre pas assez de choses. D'autres trouvent qu'il a une portée trop vaste. Je conviens qu'il s'agit d'une préoccupation valable par rapport aux infractions mixtes qui ont été ciblées.

Cela dit, nous ne pouvons pas en faire une perfidie du bien sous prétexte qu'il existe une infime possibilité qu'une personne soit reconnue coupable de l'une des infractions seulement, qui plus est une infraction punissable par procédure sommaire. Je suppose que c'est une possibilité, mais il y a, globalement, beaucoup d'autres infractions. Je vous mets simplement en garde contre l'idée de jeter le bébé avec l'eau du bain ou de rejeter complètement le projet de loi en raison de ce que je considère comme un défaut mineur.

Le président : Je vais poser la prochaine question, parce qu'elle s'inscrit dans cette veine.

Je sais que vous êtes avocat de profession. Nous avons posé des questions sur l'absolution conditionnelle ou inconditionnelle à d'autres témoins. Disons que deux personnes sont accusées de la même infraction et que l'une d'entre elles reçoit une probation. Cette personne serait visée. Toutefois, la personne qui recevrait une absolution ne serait pas visée. Le projet de loi est muet sur la question. Par conséquent, je suppose que cela signifie que la personne ne serait pas visée par cette mesure législative proposée parce qu'aucune condamnation ne serait portée à son dossier.

N'êtes-vous pas préoccupé par ce genre de défauts mineurs? Il y en a plusieurs, à mon avis. À tout le moins, ne devrait-on pas les corriger?

M. Wudrick : Je pense que vous avez raison : si une absolution est accordée, il n'y a pas condamnation. Par conséquent, s'il s'agit du critère pour la perte de la partie de la pension financée à même les fonds publics, la personne ne serait pas visée parce que ce ne serait pas une condamnation.

Je ne pense pas que le projet de loi est parfait; je pense l'avoir indiqué clairement. Comme je l'ai indiqué, je ne fais que vous conseiller de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Une fois ce projet de loi adopté, nous serions d'accord pour qu'on le modifie. J'estime que nous en sommes à une étape — et soyons honnêtes au sujet du climat politique —, où le rejet du projet de loi inciterait certaines personnes à tirer des conclusions négatives, étant donné ce qui se passe actuellement dans les milieux politiques.

Je conviens que le projet de loi n'est pas parfait. Personne n'affirme le contraire, à mon avis. Toutefois, je ne pense pas que ses lacunes sont assez importantes pour justifier qu'il ne soit pas adopté.

Le président : N'êtes-vous pas préoccupé que l'adoption de mesures imparfaites par le Sénat puisse aussi jeter le discrédit sur le Sénat? L'occasion de corriger le projet de loi ne serait-elle pas un aspect positif?

M. Wudrick : Ce serait effectivement le cas si nous avions plus de temps, mais nous menons actuellement une course contre la montre.

Le président : Le projet de loi n'a pas pu nous être soumis à temps.

M. Wudrick : C'est possiblement un bon point. De toute évidence, vous n'avez aucune emprise ni sur le moment choisi pour le dépôt du projet de loi ni sur l'importance de l'opinion publique à ce chapitre. Je ne cherche pas à être trop dur, mais le fait est qu'il y aura d'autres conséquences si le projet de loi n'est pas adopté.

Le président : Merci.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Wudrick, je vous remercie de votre exposé.

Votre fédération a défendu ardemment le projet de loi en menant une campagne favorable à son adoption à la radio et dans les journaux. Je me souviens de plusieurs articles parus dans différents journaux du groupe Sun et dans le National Post. Avez-vous obtenu une certaine réponse du public? Comment les gens ont-ils réagi à ces campagnes publicitaires?

M. Wudrick : Nous avons suscité deux réactions. D'une part, les gens étaient surpris que le statu quo ne soit pas déjà maintenu. Certains croyaient que le statu quo serait préservé, que la personne démissionne ou non — la Chambre pourrait priver un député ou un sénateur de son droit s'il ne démissionne pas. Notre plus grande surprise a donc été l'étonnement du public du fait que les choses ne se passent pas déjà ainsi.

D'autre part, même si les gens appuient le projet de loi parce qu'ils le trouvent juste, ils sont bien franchement d'avis que nous devrions aborder d'autres enjeux relatifs à l'institution qu'est le Sénat. En fait, nous retournions dire à nos militants que le projet de loi est une mesure tangible, réalisable et concrète sur laquelle nous devons concentrer nos efforts. La plupart d'entre eux étaient ouverts à l'idée.

Le sénateur Furey : J'aimerais faire suite à la question du président. En passant, je vous remercie d'être venu ce matin. Je vous en suis reconnaissant.

Vous reconnaissez volontiers que le projet de loi n'est pas parfait et qu'il présente des lacunes. Votre organisation et vous avez-vous réfléchi au fait que le texte ne prévoit aucune proportionnalité non plus? Voici ce que je veux dire par là : disons qu'un parlementaire mène une brillante carrière pendant 15 ans, mais qu'il est accusé au cours de la 16e année en vertu du paragraphe 366(1), une des infractions à option de procédure du projet de loi. S'il est reconnu coupable par procédure sommaire, croyez-vous qu'il soit approprié, convenable et juste de lui faire perdre 15 années de service ouvrant droit à pension?

M. Wudrick : C'est une bonne question, et c'est le même genre de question à laquelle un juge doit répondre au moment de déclarer un individu coupable. Même si l'individu est accusé d'une infraction, la sévérité ou la dureté de la peine ou de la punition peuvent varier.

Si la question se pose à propos du projet de loi, c'est parce que la peine dépend de la déclaration de culpabilité plutôt que de s'y rapporter sur le plan judiciaire ou juridique. Je comprends que c'est un argument valable, mais l'autre solution serait de rattacher le projet de loi à la durée de la peine puisque nous aurions ainsi une idée de la proportionnalité en matière de droit pénal. Un individu sans antécédents qui commet un acte criminel écopera probablement d'une peine plus clémente qu'un récidiviste. Dans cet exemple, il est disproportionné de lui retirer l'ensemble de sa pension. J'ignore comment nous...

Le sénateur Furey : Ajoutons à cela que le projet de loi ne porte pas sur la condamnation pour acte criminel, mais plutôt sur la déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

M. Wudrick : Dans ces circonstances particulières, c'est vrai.

Je conviens que ce n'est pas l'idéal. Si vous dites que ce sont les seuls éléments retardant l'adoption du projet de loi — j'ignore si j'ai bien compris —, je peux seulement dire que nous devons selon moi nous en remettre à la Chambre basse. Les députés ont évidemment examiné sérieusement le projet de loi avant d'y apporter plusieurs modifications. Il est impossible d'englober tous ces crimes particuliers, dont certains sont inclus comme il se doit, sans diviser la nature de la procédure sommaire ou de la mise en accusation.

Le sénateur Furey : Vous dites que le projet de loi n'est pas parfait. Si nous allons au-delà de la remarque sur la Chambre des communes, nous pouvons présumer que celle-ci a commis une erreur. Le Sénat n'a-t-il pas le devoir de corriger cette erreur pour deux raisons? D'une part, c'est notre travail et, d'autre part, cette lacune crée une grave injustice, ce qui est encore plus important.

M. Wudrick : Je ne dirais pas que c'est si « grave ». Nous pouvons discuter de l'ampleur des répercussions, mais je pense que vous parlez d'un exemple très précis. Nous avons une liste d'une vingtaine d'infractions. On me dit qu'un individu pourrait hypothétiquement être trouvé coupable d'une seule de ces infractions par procédure sommaire seulement, ce qui serait tout à fait disproportionné. Je dirais qu'il y aura bien d'autres cas, mais que la grande majorité d'entre eux ne seront pas disproportionnés. Si vous n'adoptez pas le projet de loi dès maintenant, vous accordez l'impunité à tous ces autres individus.

Le sénateur Furey : J'exprime respectueusement mon désaccord quant à ce qu'il convient de faire ici. Nous devons tenter de corriger toute injustice grave.

Monsieur Wudrick, pourriez-vous m'expliquer encore pourquoi vous pensez qu'il ne convient pas d'aborder l'intérêt du conjoint relativement à la pension d'un parlementaire?

M. Wudrick : Je ne crois pas que ce soit pertinent puisque, dans le contexte actuel, rien n'est prévu si un parlementaire qui siège toujours est expulsé et perd sa pension. Nous ne devrions pas comparer le projet de loi à une norme imaginaire, mais plutôt à ce qui se passe actuellement lorsqu'un député est expulsé dans d'autres circonstances.

Et comme je l'ai dit, il y a bien des exemples en droit pénal et civil où, lorsqu'un individu est puni, sa famille l'est aussi par le fait même.

Il y a deux points de vue. Certains craignent vraiment que des personnes innocentes soient punies en raison du geste d'un individu, mais en revanche, un individu coupable ne devrait pas pouvoir profiter de cette innocence pour se soustraire à sa peine. J'imagine que c'est la meilleure explication que je puisse vous donner.

Le sénateur Furey : Convenez-vous que les conjoints ou les partenaires s'intéressent à la pension?

M. Wudrick : J'imagine que oui.

Le sénateur Furey : Je sais qu'il existe des dispositions législatives, mais avant que nous envisagions l'adoption du projet de loi, ne devrions-nous pas profiter de l'occasion pour corriger cette injustice?

M. Wudrick : Comme je l'ai dit, les conséquences seraient alors plus dramatiques au sein du système de justice pénale. C'est ce que je dirais.

La sénatrice Batters : Je vous remercie d'être ici.

Si j'ai bien compris, votre organisation a récemment laissé entendre que les sénateurs devraient numériser leurs reçus et les afficher sur leur site web. Dans le cadre de votre campagne en faveur de l'adoption du projet de loi, je sais que vous avez dit à vos membres de formuler cette proposition aussi.

Savez-vous que depuis 18 mois, les sénateurs publient leurs frais de déplacement et d'hébergement ventilés sur leur site web dans le cadre de la divulgation proactive visant à améliorer l'ouverture et la transparence à l'égard des contribuables?

M. Wudrick : Je suis bel et bien au courant, et je m'en réjouis. Je l'ai affirmé ouvertement à maintes reprises en réponse à des questions sur la réforme des dépenses, notamment au sujet des recommandations du vérificateur général. Nous croyons que c'est une mesure positive. À vrai dire, nous félicitons aussi la Chambre des communes d'avoir fait de même.

Si nous insistons autant sur la question des reçus, c'est qu'il est selon nous possible de camoufler, intentionnellement ou non, la nature particulière des dépenses lorsque seuls les postes budgétaires sont présentés.

D'autres procèdent déjà ainsi, comme la ville de Toronto et le gouvernement de l'Alberta. Nous croyons que cette mesure relativement simple ne représente pas un grand fardeau administratif supplémentaire. Bien des employés doivent déjà conserver une copie du reçu original pour obtenir un remboursement.

Le système ne sera pas parfait, mais si la mesure vise à ce que ceux qui dépensent les deniers publics n'oublient jamais qu'il s'agit de l'argent des contribuables, nous croyons qu'elle est relativement efficace.

La sénatrice Batters : Vous avez dit en exposé que l'adoption du projet de loi signifierait selon vous que le Sénat souhaite sérieusement changer les choses. Je vous dirais que nous avons démontré le sérieux de notre démarche il y a quelques années, lorsque nous avons considérablement modifié notre système de cotisation de retraite. En fait, compte tenu de l'augmentation graduelle de nos cotisations, nous atteindrons d'ici deux ans 50 p. 100 des frais de service actuels des prestations payables. Je sais que la Fédération canadienne des contribuables demandait cette modification depuis longtemps, et j'aimerais s'il vous plaît savoir ce que vous en pensez.

M. Wudrick : Bien sûr. Nous avons milité pendant longtemps sur la question de la pension non seulement des sénateurs, mais des députés aussi. Nous trouvions que la contribution de la population était nettement démesurée par rapport à celle des parlementaires. La situation est rentrée dans l'ordre, pour l'essentiel. Nous croyons que le système actuel est bien plus juste. Évidemment, la situation progresse encore, mais nous sommes ravis du chemin parcouru. Nous croyons bel et bien que le Sénat et la Chambre des communes méritent des félicitations à cet égard.

Le sénateur Joyal : Monsieur Wudrick, je vous souhaite la bienvenue.

Avant que la Fédération canadienne des contribuables ne lance une campagne en faveur du projet de loi, avez-vous consulté un conseiller juridique à propos de la teneur des dispositions dans le but d'en déceler les lacunes, ou avez-vous simplement entrepris votre campagne sans porter attention ni aux questions juridiques du projet de loi ni à son incidence en matière de droit pénal?

M. Wudrick : Nous n'avons pas lancé notre campagne avant le dépôt du projet de loi; nous voulions prendre connaissance du libellé.

Je peux vous dire que nos militants auraient voulu que l'effet du projet de loi soit rétroactif, mais nous avons reconnu que c'était impossible d'un point de vue constitutionnel. Nous avons estimé que ce serait problématique, puisque rendre illégale rétroactivement une chose qui était légale présente évidemment toutes sortes de problèmes sur le plan constitutionnel. Ce serait probablement jugé inconstitutionnel. Il était bel et bien important pour nous que le projet de loi soit orienté vers l'avenir.

Pour ce qui est des autres conséquences, je pense avoir mentionné la plupart d'entre elles en parlant de la véritable portée du projet de loi. Si le texte est trop ciblé, vous passerez à côté d'infractions pouvant être considérées comme des crimes équivalents, alors que s'il est trop général, vous inclurez des infractions pouvant donner un résultat disproportionné. Je doute qu'il y ait une façon objective de définir une liste de crimes faisant l'unanimité. Je pense que nous devons simplement choisir ceux sur lesquels la plupart d'entre nous peuvent s'entendre.

Le sénateur Joyal : Vous n'avez donc consulté aucun conseiller juridique une fois que le projet de loi a été déposé à la Chambre des communes afin d'en vérifier les répercussions sur le plan pénal, c'est-à-dire son incidence relative à l'interprétation du Code criminel devant les tribunaux, notamment sur la question de la proportionnalité?

M. Wudrick : Nous n'avons pas retenu les services d'un avocat, si c'est ce que vous voulez savoir.

Le sénateur Joyal : Vous avez cru sur parole que le libellé du projet de loi était acceptable sur le plan légal. Est-ce plus ou moins ce que vous dites?

M. Wudrick : Nous attendons bel et bien d'autres précisions à ce sujet. Puisque nous sommes un organisme sans but lucratif, nous n'avons pas l'habitude d'embaucher un conseiller juridique pour valider les projets de loi. Je sais que le conseiller parlementaire a témoigné, mais il n'a rien dit qui me paraisse problématique. Nous n'avons simplement pas l'habitude d'embaucher des conseillers juridiques pour vérifier les dispositions législatives.

Le sénateur Joyal : Je comprends l'objectif de la Fédération canadienne des contribuables, qui se soucie de la façon dont l'argent des contribuables est dépensé. Je n'ai absolument rien à redire là-dessus. Je crois que cela fait partie du débat démocratique. Or, le projet de loi ne se concentre que sur cet aspect; autrement dit, il sert à déterminer de quels crimes un parlementaire peut être accusé et déclaré coupable et la façon dont la peine et ses conséquences devraient être évaluées. Il nous faut également prendre en considération — et c'est ce que je pense personnellement — d'autres actes définis par le Code criminel qui pourraient être aussi terribles pour la moyenne des Canadiens, comme celui de recevoir une commission sur un contrat.

Je ne veux pas du tout dire que la criminalité économique n'est pas importante.

M. Wudrick : Je comprends.

Le sénateur Joyal : Nous le savons tous et, en fait, le Parlement augmente les sanctions pour les crimes économiques. Je n'ai pas besoin d'y revenir. J'appuie cela sans réserve.

D'autre part, permettez-moi de vous donner un exemple. Si un député ou un sénateur était reconnu coupable d'agression sexuelle, à mon avis, il s'agit d'un crime qui suscite encore plus l'horreur dans la population que peut-être un manque de jugement de dernière minute, comme l'a dit mon collègue, le sénateur Furey.

Il me semble que nous devons tenir compte de ce que j'appellerais la reconnaissance de la gravité du crime lorsqu'il s'agit de déterminer si nous approuvons cela si, comme je l'ai dit, nous voulons suivre une approche cohérente par rapport à la conduite répréhensible d'un parlementaire. À mon avis, il y a divers degrés de responsabilité. C'est pourquoi le Code criminel contient différents types de peines — maximales et minimales, par exemple — pour tenir compte du principe. Ce principe est intégré dans une échelle non inscrite que l'on peut voir en lisant le code, mais il ne contient pas de tableau dans lequel on établit qu'un crime est plus terrible qu'un autre, de sorte qu'une peine plus sévère est infligée.

Voilà pourquoi en lisant le projet de loi, je me demande d'abord ceci : pourquoi ceci et pourquoi pas cela, si nous voulons que le tout soit cohérent?

M. Wudrick : Sénateur, je comprends ce que vous dites. Je ne crois pas que quiconque contesterait sérieusement le fait que commettre un meurtre est un crime plus grave que commettre une fraude. C'est un fait.

Je dirais que le projet de loi ne vise évidemment pas à remplacer le processus pénal. Quand nous parlons de crimes, qu'il s'agisse d'une agression sexuelle ou d'un meurtre, les gens subiront pleinement les conséquences. Ils seront condamnés et purgeront une juste peine.

Le projet de loi vise les crimes que ces gens pourraient commettre parce qu'ils sont particulièrement bien placés pour le faire. Ils ne sont pas mieux placés que d'autres pour conduire en état d'ébriété. N'importe quelle personne peut le faire et en subir les conséquences.

Il y a d'autres exemples, mais principalement, la situation des politiciens est unique à cet égard en ce sens qu'ils ont la possibilité de commettre certains de ces crimes. Ainsi, les sanctions sont liées à leurs fonctions de parlementaires et les conséquences le sont également. C'est quelque chose qui découle de l'exercice de ces fonctions. C'est la distinction que je fais.

Le sénateur Joyal : Oui, mais il y a une nuance à apporter à ce que vous avez dit, et c'est la récente décision qu'a prise Hydro One en Ontario de congédier l'un de ses employés pour les propos déplacés qu'il a tenus contre une journaliste de la CBC. Je suis sûr que vous êtes au courant de cela. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais de toute évidence, voilà un exemple d'un individu qui n'était pas au travail; il assistait à un événement sportif. Cependant, le fait est qu'il était en ondes, à la télévision. Ce qui est arrivé a été diffusé et couvert par les médias.

M. Wudrick : En d'autres mots, vous dites qu'on est toujours au travail.

Le sénateur Joyal : J'ai vu ce qui s'est passé, et j'ai constaté les répercussions de cet événement. Il a haussé la barre quant à ce que nous nous attendons de toute personne qui travaille pour un organisme du gouvernement, un organisme de la Couronne ou d'un député, d'un conseiller municipal, et cetera.

M. Wudrick : Je dirais que c'est une conséquence. Dans le monde d'aujourd'hui, la ligne de séparation entre la vie publique et la vie privée —et donc entre la vie professionnelle et la vie personnelle — se brouille. C'est juste.

Toutefois, dans ce cas, la liste devrait être bien accueillie, car elle circonscrit et ne couvre toujours pas tout. Cela veut dire qu'une personnalité publique ou un politicien ne fait pas l'objet de peines supplémentaires s'il commet des crimes. La personne peut être reconnue coupable de choses qu'elle a commises par négligence plutôt qu'avec une intention criminelle.

Par conséquent, on devrait se réjouir du fait que la liste est courte, car cela laisse entendre que nous allons établir la limite ici et que nous ne punirons pas des gens outre mesure pour ce qu'ils pourraient faire dans un autre cadre que celui de leurs fonctions parlementaires.

Le sénateur Joyal : Je vous remercie de votre réponse.

Je me demandais si l'un des moyens d'atteindre l'objectif... Je ne suis pas en train de faire une proposition. Je n'y ai pas réfléchi assez longuement, mais ne serait-il pas préférable d'ajouter au Code criminel, dans les principes de détermination de la peine, le fait qu'une personne qui a des responsabilités publiques a le devoir de préserver la confiance de la population à l'égard d'une institution publique, par rapport au sens moral et au comportement relativement à la confiance de la population? Comme je l'ai dit, je considère qu'il faut y réfléchir plus longuement.

M. Wudrick : Je comprends.

La sénatrice Seidman : Monsieur Wudrick, je vous remercie de votre présence.

J'aimerais continuer à parler de la liste, si vous me le permettez, car je crois qu'il y a beaucoup de questions au sujet de ses répercussions, des questions liées à la proportionnalité et d'autres questions qui ont été soulevées. Comme vous le savez tous, le projet de loi ne comprenait pas de liste au départ.

M. Wudrick : Oui.

La sénatrice Seidman : Croyez-vous que la liste actuelle comporte des lacunes? Si nous pensons à ce que le sénateur Joyal a dit, le projet de loi serait-il meilleur s'il comprenait un genre d'aperçu contextuel sur ce que signifie être une personnalité publique et sur la façon dont on perdrait la confiance de la population plutôt qu'une liste de ce type?

M. Wudrick : Encore une fois, c'est une bonne question.

Nous cherchons évidemment une norme juste, mais je pense que dans une situation comme celle-là, il n'y a pas de moyens objectifs. Au départ, nous étions dans une situation où la barre a été placée en fonction de la sanction. Donc, si le crime fait l'objet d'une certaine sanction, c'est de cette façon que nous évaluons si le projet de loi s'applique. Cela a alors été revu à la baisse parce qu'on avait l'impression que les catégories étaient trop générales. On dit évidemment que tel crime se compare à un autre, pourquoi n'est-il pas couvert?

Je comprends que ce n'est pas une liste parfaite, mais de quoi serait constituée une liste parfaite? Ce n'est pas évident pour personne de déterminer de quoi serait constituée une liste que tout le monde jugerait complète, c'est-à-dire que tout le monde serait d'avis qu'elle couvre tout ce qu'elle devrait couvrir et qu'elle exclut tout ce qu'elle devrait exclure. Je pense seulement que c'est la difficulté qui se pose pour nous concernant la liste.

Je le répète, il ne s'agit pas de la première version du projet de loi. Je crois que cela a été revu à la baisse. En fait, je pense que dans l'exemple actuel, on a voulu faire preuve de prudence. Plutôt que d'établir un outil radical qui couvre tout en fonction des peines, on a réduit la liste pour qu'elle contienne des éléments très précis.

La sénatrice Seidman : Y a-t-il une meilleure option que cette liste? Comme vous l'avez dit, la liste pose de nombreux problèmes et nous en avons entendu parler. Y a-t-il une meilleure solution?

M. Wudrick : Il faudrait que je consulte le code et que j'examine chaque circonstance. Je pense qu'il est juste d'inclure les infractions qui sont incluses.

Le sénateur Wells : Monsieur Wudrick, je vous remercie de comparaître devant le comité.

Je veux revenir sur une question qu'a soulevée le sénateur Furey tout à l'heure. En fait, je vais répéter ce qu'il a dit. Il a dit que les conjoints ont un intérêt relativement à cela, concernant ce qui dissuaderait un parlementaire de commettre un crime.

À Terre-Neuve-et-Labrador, la pension est un élément d'actif matrimonial en vertu de la loi. Avez-vous une autre observation sur le retrait d'un élément d'actif matrimonial, qui constitue plus que simplement un intérêt d'un conjoint relativement à la pension? En quoi cela ne pourrait-il pas être contesté en vertu des mesures législatives?

M. Wudrick : Si une province a adopté une mesure selon laquelle cet élément appartient à une autre partie également, cela occasionnerait certainement une perte. Dans cette situation, selon la façon dont c'est formulé, je dirais qu'on pourrait se retrouver dans une situation où seulement une partie serait perdue. Si la loi énonçait comme position de base que la moitié est liée au conjoint et que l'autre moitié est liée à la personne, cette loi s'appliquerait toujours à la personne qui a été reconnue coupable sans que cela ait des répercussions sur l'autre partie.

Le sénateur Wells : Je dirais toutefois qu'aucune disposition du projet de loi ne le précise. Cela pourrait-il faire partie d'un amendement, ou quelque chose du genre?

M. Wudrick : Cela pourrait certainement être contesté pour ces raisons. Je n'y avais pas encore songé jusqu'ici. C'est un bon point.

La sénatrice Fraser : Bienvenue au Sénat, monsieur Wudrick.

Pour ce qui est des peines couvertes, je crois comprendre que le projet de loi ne fait référence qu'à des infractions au Code criminel. Toutefois, si nous nous soucions de la confiance de la population envers ses institutions, pourquoi priverions-nous une personne de sa pension pour avoir utilisé un ordinateur sans autorisation, mais ne le ferions pas pour une personne qui a volé une élection et qui a violé la Loi électorale du Canada? Pour revenir aux remarques du sénateur Furey, ne voyez-vous pas un manque flagrant de proportionnalité dans le libellé du projet de loi?

M. Wudrick : Vous soulevez un très bon point en parlant du processus électoral, auquel seuls les politiciens participent, mais qui n'est pas couvert par le projet de loi.

Cela me ramène à ce que j'ai dit au départ sur l'idée d'essayer d'établir une liste qui couvre tout ce qu'elle devrait couvrir et qui exclut tout ce qu'elle devrait exclure. Si un projet de loi couvre deux crimes, mais qu'il ne couvre pas un troisième crime, cela veut-il dire que nous ne l'adoptons pas parce qu'il n'inclut pas le troisième? Ou bien cela veut-il dire que nous l'adoptons et que par la suite une personne proposera l'ajout du troisième après coup? C'est certainement une chose à laquelle la Fédération canadienne des contribuables est ouverte.

La sénatrice Martin : Je vous remercie de votre exposé. Je vois à quel point vous parlez avec une grande conviction. Vous êtes très bien préparé, et c'est le rôle que vous jouez pour vos membres de même que le point de vue que vous présentez.

Je voulais préciser un point que vous avez soulevé, à savoir que si le projet de loi est adopté, il y a une possibilité pour le Sénat, et que s'il n'est pas adopté, des conclusions seront tirées. Comme vous l'avez dit, « avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités », et je sais que cette citation est tirée de Spider-Man, et on l'a peut-être dit avant cela. J'insiste sur le mot « responsabilités », car je ne vois pas l'adoption d'un projet de loi comme une possibilité, mais plutôt comme une responsabilité qu'ont les sénateurs. En écoutant ce que disent mes collègues ici, je trouve qu'ils soulèvent des points importants, et c'est le rôle que nous avons toujours joué. J'ai beaucoup de respect pour le travail qu'ils effectuent.

J'aimerais vous demander ce que vous entendez par « insinuation ». Avec la pression que nous subissons, et sachant que nous sommes surveillés de près, la responsabilité est encore plus grande. Dans ce contexte, peut-être que c'est l'occasion pour nous d'alléger ce poids, mais je tiens à vous assurer que nos décisions sont motivées par cette responsabilité. J'aimerais savoir ce que vous voulez dire quand vous parlez de ce que cela va insinuer.

M. Wudrick : Merci. Je comprends très bien. J'ai eu la chance d'assister à bon nombre de séances des comités. Je sais que vous faites du très bon travail. Les critiques de la FCC sont dirigées vers l'institution du Sénat. Elles n'ont rien de personnel, et je ne voudrais pas qu'on s'en serve pour définir l'attitude des personnes ici présentes.

Si ce projet de loi revêt une importance particulière, c'est à cause des conséquences qu'il pourrait avoir et des gens que cela pourrait toucher. Des membres de cette institution sont mis à procès et pourraient en fait être visés par ce projet de loi. Et qui sait, peut-être que d'autres vont se retrouver dans la même situation. Que sa décision soit justifiée ou non, si le Sénat rejette le projet de loi à ce moment-ci, bien des Canadiens vont croire à une blague. C'est comme le loup qui garde la bergerie.

C'est peut-être une perception injuste de la situation, mais malgré les bonnes intentions, si le projet de loi est rejeté, bien des gens vont rester incrédules. Ils vont se dire : « Attendez un peu : la Chambre des communes a adopté le projet de loi avec une forte majorité, mais une fois rendu au Sénat, le projet de loi est rejeté? » C'est ce que je crains, honnêtement.

La sénatrice Martin : C'est certainement une analyse injuste de votre part, mais je vous dirais qu'à la lumière de ce projet de loi et de ce que j'ai appris, je suis ici pour écouter attentivement ce qu'on a à nous dire, et je vais assumer mes responsabilités sans égard à ce que certains pourront insinuer ni aux pressions qu'on exerce sur nous.

Je pense à un certain projet de loi qui aurait eu des répercussions pour 1 p. 100 des transactions des petites entreprises. Vous parlez d'instruments brutaux, de précisions et de révision à la baisse. Un des rôles du Sénat est assurément de veiller à ce que les projets de loi soient très précis pour qu'ils atteignent le but visé. Les gens parlent de ce 1 p. 100 en pensant qu'il aurait bien peu d'incidence, mais pour les propriétaires de petites entreprises avec lesquels je travaille de très près — bon nombre d'entre eux étant d'origine coréenne —, ce pourcentage aurait été décisif pour la survie de leur entreprise.

M. Wudrick : Oui.

La sénatrice Martin : Je tiens absolument à préciser qu'un instrument a beau être précis, notre rôle est de voir s'il ne peut pas être précisé davantage, et le Sénat excelle de ce côté.

Je voulais simplement vous assurer que je sais ce que c'est de subir la pression du public et je comprends ce que vous dites. Je tiens à féliciter M. Williamson pour son excellent travail dans ce dossier. J'écoute attentivement ce qu'on a à nous dire là-dessus, car je veux bien faire mon travail et je prends mon rôle très au sérieux.

M. Wudrick : Merci.

Le président : J'en conclus que ce n'était pas une question, sénatrice. Merci beaucoup.

La sénatrice Martin : Je voulais clarifier la question.

Le sénateur D. Smith : Le Sénat est une Chambre de second examen objectif. Après avoir entendu toutes ces questions, je constate que le projet de loi comporte de nombreuses lacunes, alors je n'ai pas tellement envie de l'adopter. Présumant que l'autre Chambre veuille aller de l'avant, elle pourra y voir à la reprise des travaux parlementaires, consulter les transcriptions et essayer de corriger certaines choses. Sinon, nous pourrions peut-être essayer d'apporter des modifications. Je crois seulement qu'il reste trop de lacunes à corriger. Certaines choses ont été modifiées plutôt injustement, notamment les dispositions concernant les conjoints. C'est de la pure méchanceté. Je n'ai donc pas l'intention d'appuyer le projet de loi.

Le président : Avez-vous une question, sénateur?

Le sénateur D. Smith : Que pensez-vous de mon commentaire?

M. Wudrick : Sauf votre respect, je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur.

Le sénateur Furey : Je veux revenir encore une fois sur le point soulevé par le sénateur Wells. Je soutiens le projet de loi en principe, mais j'ai beaucoup de mal à faire adopter un projet de loi si mal rédigé et manifestement injuste pour des tiers qui n'ont rien à se reprocher, comme les conjoints, les proches et les enfants. Cela pose un véritable problème, selon moi.

Je veux aussi revenir sur une chose que la sénatrice Batters a dite. J'ai bien aimé que vous félicitiez le Parlement pour les mesures prises à l'égard des pensions et de la divulgation publique. Je n'ai pas consulté votre site web depuis un certain temps. Quelle sorte de renseignements divulguez-vous concernant vos revenus et vos dépenses?

M. Wudrick : C'est une très bonne question.

Si nous militons en faveur de la divulgation de ces renseignements, c'est qu'il est question de fonds publics. Nous privilégions cette approche pour toute personne qui reçoit des fonds publics. Nous n'en recevons pas. De la même façon que personne ne peut fouiller dans vos finances personnelles parce qu'elles vous appartiennent, nous pensons que le seuil de transparence est plus élevé pour toute entité publique qui reçoit des fonds publics.

Il existe de très bonnes raisons pour qu'une entité maintienne sa confidentialité, l'une d'elles étant le risque de représailles. Je vais vous donner un exemple éloquent de cela. Certaines des personnes qui nous communiquent des renseignements habitent dans des réserves des Premières Nations. Si nous devions publier leur nom, leurs coordonnées et les dons qu'ils nous ont versés, ils pourraient subir les foudres d'autres membres de la réserve. Ce n'est qu'un exemple.

Nous nous attaquons souvent à des personnages publics importants, et aussi à des gens d'influence du secteur privé, par exemple Bombardier et Pratt & Whitney. Il est tout à fait compréhensible que les gens qui nous soutiennent, qui sont loin d'avoir la même influence, veuillent préserver leur anonymat. Nous respectons cela. Ils sont libres de divulguer leur nom à titre de supporteur, mais c'est pour cela que nous veillons à ce que leurs renseignements soient gardés confidentiels.

Le sénateur Furey : Voilà pour les revenus. Qu'en est-il des dépenses?

M. Wudrick : Nous publions en fait les grandes lignes de nos dépenses. L'an dernier, nous avons recueilli environ 4 millions de dollars, en majeure partie auprès de particuliers. Le don moyen est d'environ 100 $. Tous les dons sont non déductibles d'impôt, et nous n'émettons aucun reçu. Il s'agit de dons directs.

Le sénateur Furey : Merci beaucoup.

Le président : C'est tout pour les questions, mais j'aimerais formuler un commentaire rapidement.

Je me souviens que lorsque je suis arrivé, il y a trois ans et demi, j'ai posé une question à propos du rejet d'une mesure législative. On m'a répondu que la seule chose qui est pire encore que de n'avoir aucune loi, c'est d'avoir une mauvaise loi. Je crois donc que ce qui a été dit concernant les lacunes du projet de loi n'a rien à voir avec l'intention — pour la plupart, à tout le moins, d'après ce que tout le monde à qui j'en ai parlé m'a dit. C'est plutôt l'outil qu'on veut utiliser pour atteindre le but visé qui est inadéquat.

M. Wudrick : Je comprends cela.

Le président : Merci beaucoup d'avoir été des nôtres.

M. Wudrick : Merci.

Le président : Je tiens à remercier l'honorable sénatrice Hervieux-Payette de se joindre à nous aujourd'hui. Nous allons maintenant étudier une question de privilège concernant les fuites du rapport du vérificateur général sur les dépenses du Sénat. Le Sénat nous a demandé d'aborder la question, alors je vous remercie de votre collaboration. Je sais que vous avez une courte introduction à faire. Ce sera suivi d'une séance de questions.

[Français]

L'honorable Céline Hervieux-Payette, C.P., à titre personnel : Cette question est très délicate pour moi. Je vais tout d'abord vous faire part de mon état d'esprit. Je suis très déçue et triste du sort qui est réservé à notre institution. Je dois dire que j'ai toujours été fière du travail que j'ai fait ici, à Ottawa. J'ai laissé un poste très lucratif pour faire partie de la bataille référendaire, en 1995, et une bonne partie de ma vie adulte s'est déroulée ici et à la Chambre des communes. Pour moi, les institutions fondamentales de notre pays assurent la démocratie au Canada.

Comme la publication du rapport avait été annoncée pour le mardi 9 juin, à 14 h 5, vous comprendrez non seulement mon étonnement, autant sur le plan personnel que sur le plan de l'institution, c'est-à-dire du Sénat, mais également mon dégoût de constater que, vendredi matin, on pouvait voir en première page des journaux nationaux les photos des trois principaux leaders du Sénat, c'est-à-dire le leader de l'opposition, le leader du gouvernement et le Président, alors que ni mes collègues ni moi n'avions encore reçu copie du rapport du vérificateur général. C'était donc la première salve médiatique.

Par contre, je vais vous remettre, monsieur le greffier, des documents qui sont très étonnants. Un de ces documents provient du site web du Bureau du vérificateur général du Canada. Sur ce site web, il y a un document en version PDF où on peut lire « Bureau du vérificateur général », l'adresse et la date, « 4 juin 2015 », et où il est écrit :

Dans le présent rapport, le genre masculin est utilisé sans aucune [...], y compris les dépenses des sénateurs, que le Sénat [...]

Je trouve très étrange que le rapport soit daté du 4 juin, alors que sur le site web du Bureau du vérificateur général, on parle de la date du 9 juin pour le dépôt du rapport, donc cinq jours plus tard.

J'ai pris un échantillon, jour par jour...

[Traduction]

Le sénateur Furey : En avez-vous des copies, sénatrice?

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui, je vais vous les distribuer.

Le sénateur Furey : D'accord.

[Français]

L'autre document qui est aussi renversant indique ce qui suit :

[Traduction]

CBC News a appris que 50 exemplaires du rapport du vérificateur général seront remis au Sénat aujourd'hui ainsi qu'au cabinet du premier ministre.

[Français]

Je vous rappelle que ce document est daté du 4 juin. Je n'ai jamais entendu dire qu'un rapport confidentiel du Sénat était distribué en 50 copies. J'essaie de comprendre comment une telle indiscrétion a pu se produire. Lorsque vous produisez 50 copies, je dirais que ce serait un miracle de ne pas en avoir une. Je vous remets donc ce document, puisque j'y ai tiré de l'information.

L'aspect le plus frustrant de cette situation, monsieur le président, c'est qu'à titre de sénateur, je devais attendre, moi, au mardi 9 juin pour obtenir une copie du rapport, et que chaque jour, je rencontrais de gens qui me posaient des questions sur ce que les médias diffusaient, sur les accusations qui étaient portées contre un et contre l'autre, et sur la façon dont notre institution était ridiculisée — et je n'ai pas besoin de le dire — et méprisée. Je pense que, compte tenu du travail que mes collègues et moi faisons ici, il est évident que personne ne vient ici pour s'amuser. Je pense que nous venons ici pour servir les citoyens de nos provinces, et que nous avons un mandat bien spécifique de révision pour les clientèles minoritaires. En ce qui me concerne, j'ai beaucoup travaillé pour la condition féminine et pour les enfants, et dans le cadre des dossiers économiques.

Il y a aussi des articles. Donc le 5, la Presse canadienne a publié un article tout de même assez important qui indique ce qui suit :

[Traduction]

Le rapport de M. Ferguson identifie un total de 976 627 $ en dépenses douteuses attribuables à 30 sénateurs toujours en poste ou à la retraite.

[Français]

Or, il s'agit toujours d'une période où personne n'est supposé avoir de copie, sauf les personnes mentionnées.

L'autre chose qui m'étonne — et c'est l'une des raisons qui en fait une question de privilège —, c'est qu'on m'avait dit, originalement, que c'était M. Smith, M. Furey et Mme Marshall qui devaient recevoir ce document pour procéder aux prochaines étapes. Le processus a changé en cours de route. La réponse des leaders a également changé en cours de route. Au début, ils acceptaient de comparaître devant l'arbitre, et ils ont finalement décidé de faire un chèque en disant qu'ils ne comparaitraient pas devant l'arbitre. C'était avant même de recevoir le rapport. Donc, les décisions se prenaient sur la base de certains individus. Entre-temps, le sénateur Boisvenu a démissionné.

Ce rapport était extrêmement sensible et possiblement dommageable pour l'institution. Des spécialistes ont été engagés pour faire l'administration des communications, à ce que je peux voir, et ils ont travaillé très fort, mais certainement pas dans la direction à laquelle je m'attendais.

Je propose donc qu'on fasse enquête afin de savoir qui a manipulé l'information, qui a été mêlé à cela et qui a obtenu des copies. Nous sommes tous éclaboussés par cette situation.

Chaque fois que je reçois un rapport d'un comité avant sa publication, je reçois une note du greffier qui m'indique que le document est confidentiel et que s'il venait à s'ébruiter, il y aurait des conséquences. C'était probablement le rapport le plus sensible qui pouvait sortir du Sénat, il a été transmis à gauche et à droite, et il a été commenté par tous les médias. Jusqu'à maintenant, je suppose que les médias devaient avoir de bonnes copies, parce que dans tout ce que j'ai pu voir, il ne manquait aucune information. Finalement, on a reçu copie du rapport.

Donc, chers collègues, monsieur le président, j'insiste pour qu'on fasse enquête afin qu'une telle situation ne se reproduise pas. Évidemment, de bonne foi, tout un chacun a accepté de participer à l'exercice et a voté pour que cet exercice se fasse.

À l'heure actuelle, on crée beaucoup de craintes et de questions en ce qui concerne ce rapport du vérificateur général, dont l'institution a aussi été entachée. C'est pourquoi je vous demande d'instituer un mécanisme d'enquête qui fera rapport sur cet événement. Quand je mentionne « dans les meilleurs délais », ce n'est pas dans cinq ans. Cette enquête devrait commencer avec l'obligation de faire rapport dans deux mois.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, sénatrice, et merci encore de votre présence.

Sénateur Smith.

Le sénateur D. Smith : Vous pourriez nous expliquer ce que vous pensez que nous devons faire. Quand j'ai finalement reçu le rapport, il ne contenait rien que je ne savais pas déjà. Il y avait des précisions, mais je savais déjà qui était sur la liste, la liste A ou la liste B, et si c'était clair. Comment ai-je su tout cela? Cela ne m'est pas venu de sénateurs, mais des médias. Il serait intéressant de savoir, mais que suggérez-vous que nous fassions pour cela? Les faire parler sous serment? Leur donner du sérum de vérité? Utiliser un détecteur de mensonges? Je ne sais pas.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Est-ce que je peux répondre?

Le président : Bien sûr.

La sénatrice Hervieux-Payette : Non, on ne vit pas dans un pays où les journalistes font l'impossible pour obtenir des copies confidentielles. Je pense que cela fait partie de leur métier et qu'ils ont toutes les protections nécessaires pour garder leurs sources confidentielles. Pour eux, il ne s'agit pas d'une chasse aux sorcières.

À mon avis, ils ont certainement eu le grand plaisir de sortir l'information au compte-gouttes, mais mis à part ce fait, il n'en demeure pas moins que selon les médias, 50 copies du rapport ont circulé. Il y a des gens dont nous savons qu'ils ont reçu une copie : ce sont les trois leaders, ainsi que le premier ministre. Je crois qu'il faut interroger les gens qui ont reçu une copie, il faut suivre le fil et déterminer combien de personnes ont vu ces copies.

Bien sûr, ce n'est pas chose facile, mais si on ne peut contrôler l'information à l'avenir, il est clair que la notion de confidentialité deviendra totalement dépourvue de crédibilité.

Le sénateur McIntyre : Madame la sénatrice, merci pour votre présentation. Tel qu'il est mentionné dans le rapport du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement et dans votre note dont nous avons reçu copie, les parlementaires doivent pouvoir travailler dans un climat libre de toute obstruction, ingérence et intimidation.

Toutefois, il faut faire la distinction entre l'obstruction faite par des moyens physiques et par des moyens non physiques, puisque les deux types d'obstruction peuvent soulever des questions de privilège.

Cela étant dit, il y a quatre critères à respecter pour que la priorité soit accordée à une question de privilège. Dans le présent cas, êtes-vous d'avis que ces quatre critères ont été remplis?

La sénatrice Hervieux-Payette : Lorsque j'ai prononcé mon discours sur cette question de privilège, je suis intervenue le plus tôt possible, car la première journée où le Sénat siégeait la semaine dernière, c'était mardi.

Le sénateur McIntyre : Le premier critère est respecté.

La sénatrice Hervieux-Payette : C'est exact. Je ne connais pas d'autres procédures qui nous permettent de corriger la politique actuelle concernant la confidentialité. S'il est vrai que 50 copies ont été distribuées, déjà, au départ, cela relève de la science-fiction que de penser qu'il ne pouvait pas y avoir de fuite de l'information. Il devait y avoir une copie pour M. Housakos, une pour M. Cowan et une autre pour M. Carignan. À partir de cela, on prévoyait une planification des communications, étant donné qu'une agence spéciale a reçu mandat de s'occuper de cet aspect.

Le deuxième critère, c'est que cela doit concerner les privilèges du Sénat. Je ne pense pas que le Sénat, en tant qu'institution, soit sorti gagnant de cet événement. Au contraire, je vous dirais que l'augmentation du nombre de personnes qui sont en faveur de l'abolition du Sénat démontre clairement que la sortie du rapport du vérificateur général a eu un impact très négatif.

L'impact a aussi été négatif sur nos collègues, et il est nécessaire de corriger cette atteinte grave à la réputation de l'institution. En politique, la première qualité d'un parlementaire, c'est la bonne réputation. Inutile de dire que ce rapport n'a pas contribué à la bonne réputation des sénateurs. Il a eu un impact négatif, non seulement sur les sénateurs en général, mais sur des sénateurs en particulier, et sur le Sénat comme institution. Nous avons tous été éclaboussés par cette procédure.

[Traduction]

Le sénateur Furey : Merci, sénatrice, d'être venue soulever cette importante question. J'essaie de catégoriser dans mon esprit votre question de privilège, et d'après moi, il y a deux aspects. Vous pourriez nous dire ce que vous en pensez ou, au moins, me corriger si je me trompe.

Le premier aspect est la question de la diffusion de l'information avant que le rapport soit déposé au Sénat, et le deuxième, les dommages pouvant avoir été causés aux personnes désignées dans le rapport. Est-ce que j'ai raison?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui, pour la raison très simple que ce sont les sénateurs qui n'ont fait l'objet d'aucune accusation et qui n'ont pas de remboursement à faire.

Je me sens moi-même liée à l'institution et à sa réputation. Je suis comme vous tous, j'ai aussi reçu des messages très négatifs par Internet. En tant qu'avocate, je dirais qu'on a tout simplement porté atteinte au droit fondamental à la présomption d'innocence. À l'heure actuelle, certains collègues sont présumés coupables plutôt que présumés innocents. Dans les faits, c'est comme si chacun d'entre nous avait participé à l'événement.

Cependant, l'événement en question n'a pas encore fait l'objet d'une analyse. Malgré le fait que le groupe de sénateurs ait été référé à la GRC, il faut se souvenir que la référence à la GRC n'entraîne pas automatiquement des procédures judiciaires. Il s'agit d'une étape, et c'est une étape extrêmement grave. Par exemple, dans le cas de la sénatrice Wallin, il y a presque deux ans qu'elle est sur la touche, qu'aucune accusation n'a été portée et que sa vie est chambardée.

Réserverons-nous le même traitement aux collègues qui se trouvent maintenant dans cette situation? Monsieur le président et chers collègues, à mon avis, ils méritent mieux que cela. Nous avons tous travaillé très fort au cours des derniers mois et des dernières années au sein du Parlement, et je pense que les effets négatifs de ce rapport sur notre travail seront difficiles à effacer.

[Traduction]

Le sénateur Furey : Sénatrice, vous êtes ici depuis plus longtemps que la plupart des personnes ici présentes. J'aimerais que vous retourniez en arrière.

D'après mes souvenirs, depuis que je suis ici, la fuite de documents comme les rapports de comités ou les documents du genre de celui dont nous parlons préoccupe toujours gravement les sénateurs quand cela se produit avant leur dépôt au Sénat. Est-ce qu'il en a toujours été ainsi, d'après vous?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : J'ai déjà reçu des rappels à l'ordre de la part des greffiers lorsque survenaient des incidents qui portaient sur des questions qui ne suscitaient pas beaucoup d'intérêt de la part de l'opinion publique. Souvent, il en ressortait des rapports techniques, mais qui avaient été traités de façon quelque peu cavalière.

Il demeure tout de même une chose. En tant que sénateurs, nous avons la responsabilité de tenir un document confidentiel, et à défaut de le faire, des sanctions peuvent s'ensuivre. Quant à savoir quelles ont été les sanctions, je ne siège pas à ce comité et n'y ai jamais siégé, mais je sais qu'il y a eu des dénonciations concernant la confidentialité à quelques occasions. Je crois que l'action de ne pas respecter la confidentialité a toujours été considérée comme une question grave, puisque c'est semblable à la violation du secret professionnel.

[Traduction]

Le sénateur Furey : Merci.

Le sénateur Tkachuk : Merci, sénatrice. Cette question m'intéresse depuis longtemps. Pendant l'enquête Duffy, nous avons eu des problèmes semblables — des fuites constantes —, ce qui rend le travail du comité presque impossible. Il y a eu une enquête, et aucune décision n'a été prise dans son sillage.

Quelle devrait être la punition? Si l'information coule du bureau du vérificateur général, faut-il le congédier ou congédier des fonctionnaires de l'administration? Est-ce qu'il faut censurer d'une certaine façon l'information relative aux sénateurs? Qu'est-ce qui doit se produire si l'enquête démontre qu'il y a eu une fuite et qu'ils en sont responsables?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : En fait, je crois qu'une gamme de sanctions pourrait être appliquée, selon la nature du sujet. Il y a des situations dont découlent des conséquences économiques. En ce qui me concerne, c'est très grave. Si un prospectus confidentiel émis dans un bureau d'avocats se retrouve sur la place publique, je puis vous assurer que les sanctions sont très élevées.

Dans le cas qui nous concerne, il s'agit probablement du rapport le plus important que le Sénat ait jamais reçu. Si une enquête prouve que des personnes ont fait cela de façon délibérée — cela ne peut pas avoir été fait par hasard, car trop de journalistes sont impliqués —, je crois qu'il faudra réfléchir à des sanctions très sévères. C'est à votre comité de décider de recommander la mise à pied de ces personnes, ou la mise à pied avec amende. Il ne faut pas se leurrer; les sénateurs qui ont été éclaboussés auront à payer des sommes importantes en frais d'avocat. Je ne connais pas le tarif des avocats dans votre province, mais je sais que chez nous, certains de nos collègues auront à débourser des centaines de milliers de dollars pour défendre leur réputation. Il y a des conséquences économiques, parce qu'on a aggravé la situation, on a attaqué la réputation de nos collègues. Je crois qu'ils ont droit à une défense pleine et entière.

[Traduction]

Le président : Je suis désolé. Je n'ai pas donné le tour à la sénatrice Batters. Je vais donc donner la parole à la sénatrice Batters maintenant.

La sénatrice Batters : Sénatrice, il y a eu un article dans le Hill Times hier, intitulé « Senate Liberals may seek review of Cowan's leadership » — les sénateurs libéraux pourraient demander qu'on se penche sur le leadership de Cowan. Cet article rapportait les propos de plusieurs sénateurs libéraux, mais vous êtes la seule à avoir été clairement citée. On lit dans l'article :

Dans une entrevue la semaine dernière, la sénatrice libérale Céline Hervieux-Payette (Bedford, Québec) a dit que les trois leaders du Sénat ne devraient pas s'en tirer en remboursant tout simplement le montant des dépenses douteuses, mais qu'ils devraient se soumettre au processus d'arbitrage qu'ils ont mis en place pour prouver qu'ils n'ont pas mal utilisé l'argent des contribuables.

« J'aimerais qu'il [le sénateur Cowan] s'emploie à blanchir sa réputation. Même chose pour Housakos et Carignan. Ils devraient défendre leur cause et soutenir qu'ils n'ont enfreint aucune règle », a dit la sénatrice Hervieux-Payette.

Puis ils vous ont demandé si vous aviez confiance en son leadership, et on vous a citée là-dessus aussi.

Sénatrice, je suis sûre que vous admettrez que vous n'étiez pas contente de voir les noms des sénateurs Cowan, Carignan et Housakos sur la liste du rapport du vérificateur général visant les infractions moins graves, n'est-ce pas?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Je suis venue ici pour parler de la question de privilège, qui n'a rien à voir avec votre question. Vous me demandez mon opinion sur la conduite de nos collègues après le dépôt du rapport.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Donnez-moi un peu de latitude, je vous prie.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Moi, je veux savoir comment le rapport a été rendu public. Pour le reste, ce n'est pas ici que je vais débattre de la question.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Vous avez appris que les trois sénateurs que je viens de nommer étaient parmi les personnes énumérées dans le rapport avant le jeudi 4 juin, quand le rapport a été livré, n'est-ce pas?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Et votre mécontentement à la vue des noms de ces trois sénateurs vous a-t-il poussée à divulguer cette information aux médias?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Vous voulez rire? Je crois que si je suis aussi insultée de la façon dont le rapport a été fait...

[Traduction]

La sénatrice Batters : Non, ce n'est pas ce que je demande. Oui ou non?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Je vous donne la réponse, madame, je vous dis tout simplement que, après 20 ans passés au Sénat, j'ai plus de respect pour cette institution que pour les personnes qui ont dévoilé ce rapport.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Mais vous pouvez répondre à ma question? Oui ou non?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Non, je n'ai pas informé les médias. De toute façon, les neuf personnes dont le dossier a été confié à la GRC et les 21 autres personnes nommées dans le rapport du vérificateur général devront rembourser des sommes. Je n'avais pas de copie.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Vous vous souviendrez cependant que, plus tôt cette journée-là, le 4 juin, la fuite initiale, la première salve dont vous avez parlé précédemment concernant le rapport du vérificateur général, c'est la mention des trois sénateurs dans le rapport. Vous souvenez-vous de cela?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui, mais ce n'était pas à partir du rapport. Je n'avais pas plus copie du rapport que vous. À moins que vous ayez été en possession d'une copie?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je ne dis pas que c'est venu du rapport.

Le président : Je vous inscris pour le deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Fraser : Je vous remercie d'être ici, sénatrice Hervieux-Payette. Je vais poser ma question en anglais, parce qu'elle est peut-être un peu technique.

[Traduction]

Si ma mémoire est bonne, le comité a déjà déterminé dans le passé que révéler le contenu d'un rapport du Sénat — plus particulièrement d'un rapport préparé par un comité du Sénat — avant qu'il soit déposé ou présenté au Sénat constitue une atteinte au privilège.

Avez-vous fait de la recherche et êtes-vous au courant de décisions parlementaires faisant autorité concernant la fuite d'un rapport destiné au Sénat? Et il y a deux possibilités, si vous le voulez : la fuite d'un rapport destiné au Sénat avant qu'il soit livré au Sénat, et la fuite d'un rapport après qu'il a été transmis au Président du Sénat, mais avant qu'il soit déposé au Sénat.

Êtes-vous au fait de cas antérieurs, de décisions, d'opinions ou d'indications concernant la manière d'envisager ces cas particuliers?

Deuxièmement, êtes-vous au fait de décisions prises concernant un rapport destiné au Sénat qui aurait été remis au cabinet du premier ministre avant qu'il soit présenté au Sénat ou déposé au Sénat? Avez-vous obtenu de l'information concernant ce que disent les instances parlementaires au sujet de ce genre de choses?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : En fait, je m'attends à ce que ce soit plutôt ceux qui devaient recevoir le rapport qui nous disent quelles étaient les dispositions. D'après ce que nous ont dit notre leader et le président Housakos, qui est venu à notre comité, il était clair que le rapport demeurait confidentiel jusqu'au mardi à 14 h 5. Je n'ai donc pas mis en doute la validité légale du rapport, à savoir s'il était produit par le Sénat ou pour le Sénat. Ce rapport a été produit pour le Sénat. En ce qui me concerne, si une question légale est rattachée à cela, je souhaite que les experts du service juridique du Sénat étudient la question. Cela ne change rien au fondement de l'atteinte à mes privilèges comme sénateur.

[Traduction]

La sénatrice Fraser : Permettez-moi de préciser quelque chose. Je suis d'accord pour dire que cette série de fuites constitue une atteinte grave au privilège, mais je me demande, monsieur le président, si nous pourrions obtenir des greffiers un recueil de toute l'information qui existe sur les points que je viens de soulever.

Le président : Merci beaucoup, sénatrice. En fait, c'est de cela que nous discutions et vous avez raison. Il ne s'agit pas d'un rapport du comité ou du Sénat, mais bien du rapport de quelqu'un d'autre à l'intention du Sénat. Je vais demander au personnel de la Bibliothèque du Parlement de voir s'il y a eu des décisions prises dans des cas semblables, soit ici, à la Chambre des communes ou ailleurs.

La sénatrice Fraser : À Westminster.

Le président : C'est ce que j'entends par « ailleurs ».

Le sénateur Joyal : J'aimerais faire valoir trois choses à ce sujet. La première, c'est que vous avez parlé des fuites avant ou après le 4 juin, mais en fait, il y a eu des fuites bien avant cela, d'après moi.

J'ai été interrogé par la presse en avril, comme d'autres sénateurs, quand nous commencions à recevoir des lettres du vérificateur général. Je me souviens très bien qu'après une réunion du caucus, il y avait un journaliste d'un réseau de télévision que je ne nommerai pas et qui m'a demandé si j'avais reçu une lettre du vérificateur général. En une fraction de seconde, je me suis demandé si j'allais répondre oui ou non. J'avais effectivement reçu une lettre, la même que 80 autres sénateurs avaient reçue, de la même nature. Mais je ne l'ai pas dit, car j'étais sûr d'avoir signé un document par lequel je m'étais engagé à la confidentialité tant que le rapport ne serait pas publié.

Autrement dit, je suis resté sur ma faim, personnellement. J'aurais pu dire oui sans hésitation, puis la question suivante aurait été : « Quelle est la teneur de la lettre? » J'aurais ensuite été obligé de revenir sur ma réponse, car j'aurais manqué à mon engagement concernant la préservation de la confidentialité. Si je n'avais pas répondu à la question du journaliste, il aurait peut-être conclu, en fait, que j'avais reçu une lettre négative me disant que je dois rembourser de l'argent ou donner des explications supplémentaires concernant des dépenses, et ainsi de suite.

J'ai donc répondu que je devais respecter mon engagement de préserver la confidentialité, mais j'ai naturellement fait l'objet de commentaires dans les médias selon lesquels il y avait un doute sur ma propre situation, alors qu'en fait, ma situation était très claire : j'ai effectivement reçu une lettre me disant que mon nom serait signalé, mais qu'il n'y aurait aucun commentaire sur mes dépenses. Je ne voulais pas me mettre à me distancer d'autres sénateurs, car je pensais que c'était injuste et je voyais cela comme un piège. J'ai donc refusé de répondre et j'ai essentiellement répété que j'étais lié par mon engagement de préserver la confidentialité. Je pourrais vous montrer l'article qui confirme ce que je vous dis en ce moment.

J'étais préoccupé en tant que sénateur, et j'ai pensé que l'engagement que j'avais pris pour préserver la confidentialité pouvait jusqu'à un certain point jeter un doute sur mon propre comportement concernant les dépenses. J'ai trouvé cela injuste, mais le journaliste semblait bien au fait de l'existence de nombreuses lettres et des diverses catégories de lettres.

Il me semble donc qu'il y a eu des fuites avant la publication du rapport, et je pense qu'en raison de cela, la portée de l'enquête sur les fuites doit aussi porter sur les fuites antérieures à la publication du rapport. C'est le premier point dont je voulais parler.

Mon deuxième point répond à la question du sénateur Tkachuk à savoir ce que nous devrions faire. Monsieur le président, en mai 2007, la Chambre des communes s'est penchée sur une situation semblable à la nôtre. C'est dans un rapport du Comité permanent des comptes publics daté de mai 2007 et rédigé sous la présidence de Shawn Murphy. Le rapport s'intitule La diffusion prématurée des rapports de la vérificatrice générale dans les médias avant leur présentation à la Chambre des communes. Le sujet est le même que maintenant. C'était il y a huit ans. Pas hier. Il y a dans ce rapport une recommandation que je vais vous lire. Ce sont quatre lignes, et cela porte précisément sur ce que le sénateur Tkachuk soulève :

RECOMMANDATION

Le Conseil du Trésor du Canada, en consultation avec la vérificatrice générale du Canada, adopte une politique ferme concernant les exigences de sécurité liées au traitement des ébauches de rapports de vérification de la vérificatrice générale, y compris des sanctions comme...

— et c'est la question du sénateur Tkachuk concernant les sanctions —

... comme une formation sur l'éthique, des suspensions et des congédiements en cas de refus de se conformer pleinement aux mesures de contrôle du document.

Autrement dit, il y a eu des recommandations précises concernant les sanctions à imposer en cas de fuite. Ce rapport comporte sept autres paragraphes constitués de la réponse du gouvernement aux recommandations. C'était il y a huit ans.

Autrement dit, nous sommes certainement en position de demander au vérificateur général, concernant le suivi du rapport, de nous dire quelles mesures ont été prises pour réagir à ces fuites, car cela s'est produit dans le passé. Les honorables sénateurs pourraient certainement avoir accès à ce rapport et le lire.

J'estime que nous sommes certainement en position de demander au vérificateur général comment il s'est conformé aux lignes directrices qui sont censées avoir été émises par le Conseil du Trésor dans le sillage de la diffusion prématurée des rapports de la vérificatrice générale. C'était mon deuxième point.

Troisièmement, je ne sais pas si ma mémoire est bonne, mais il me semble me rappeler que quand Mme Fraser était vérificatrice générale, il y avait eu une fuite dans son bureau — j'entends par là dans son service — et qu'elle avait demandé à la GRC de faire enquête. Il faudrait que je remonte en arrière, pendant le mandat de Mme Fraser, mais il me semble que les fuites dans ce bureau étaient toujours prises très sérieusement. Je demanderais peut-être à la Bibliothèque du Parlement d'en faire la vérification, car cela me semble très sérieux sur le plan de la préservation de la confidentialité.

Enfin, il y a quelque chose qui me dérange. Dans les jours qui ont précédé la remise du rapport au Sénat et aux deux leaders, bien des commentaires sont venus du vérificateur général lui-même ou de son bureau concernant le rapport. D'après moi, c'est une atteinte à la préservation de la confidentialité à laquelle nous nous sommes tous engagés. Nous nous sommes retrouvés les mains liées et la bouche cousue parce que nous étions individuellement tenus de préserver la confidentialité du rapport, en ce sens que nous ne pouvions faire aucun commentaire, même si nous avions reçu la lettre des mois avant, au moins sept semaines avant, et que nous ne pouvions rien dire parce que le rapport n'était pas fini tant qu'il n'était pas fini et qu'il nous fallait nous tenir tranquille, car on ne sait jamais ce qui va arriver et ce qui va nous tomber sur la tête.

Il y avait donc — je ne dirais pas du chantage — un genre de pression exercée sur nous, pour ne pas utiliser un terme à connotation politique, alors que de l'autre côté, il y avait des commentaires qui fusaient et de l'information qui allait aux médias, ce qui faisait monter la pression relative au rapport. Cela me semble contraire à l'éthique.

Personnellement, je pense que le vérificateur général... et j'ai été coprésident du Comité des comptes publics pendant deux ans, à la Chambre des communes. Ne l'oubliez jamais : le vérificateur général est un agent du Parlement. C'est son statut. Il nous rend des comptes. Pour maintenir le haut degré de confiance qui accompagne l'exercice de ses fonctions, il doit être au-dessus de tout soupçon. Nos rapports avec le titulaire de ce poste doivent se caractériser par une complète confidentialité. Cependant, la confidentialité et la confiance doivent être réciproques. Nous ne devons pas être les seuls à nous engager, sans que lui s'engage.

Je trouve qu'il faut aussi examiner ces aspects parce qu'ils sont liés à la question du privilège. Pour l'avenir de cette institution et pour la confiance de ce poste, il faut éclaircir la situation.

Comme je l'ai dit, il y a eu dans le passé des cas de fuites ou de diffusion prématurée d'un rapport de la vérificatrice générale. Je pense que c'est un problème grave et que nous devons poursuivre la discussion et l'enquête.

Le président : J'ai noté que la personne de la bibliothèque va s'en occuper et recueillir toute l'information de 2007.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je vais répondre au dernier commentaire au sujet des questions posées il y a des semaines ou des mois avant la date prévue du dépôt du rapport. Moi aussi, j'ai été interrogée à propos de la lettre, et ce, à répétition. Je dirais que j'ai été harcelée par les gens des médias qui me demandaient constamment si j'avais reçu la lettre. J'ai fait comme mon collègue. Je leur ai répondu que cela ne les regardait pas et que je ne répondrais pas.

Mais je suis allée bien plus loin. J'ai constaté des fuites mineures, et j'ai écrit au vérificateur général à ce sujet. J'ai dit que j'en avais bien assez de voir ses commentaires dans les médias, disant : « Eh bien, pour telle ou telle personne, je vais transmettre le dossier à la GRC », et « Non, je ne fais pas de commentaires à propos du rapport ». Ce n'est pas tombé du ciel. J'ai lu cela dans les médias et j'ai même envoyé la copie d'un article, disant : « Monsieur le vérificateur général, voici ce que j'ai lu dans le journal, et je ne suis pas contente, car si je suis obligée de préserver la confidentialité, vous devez faire de même. »

Vous avez peut-être constaté la même chose, mais n'avez pas écrit au vérificateur général. Je l'ai fait parce que j'étais très préoccupée. Je peux vous dire à ce sujet que je suis probablement allée plus loin que vous, alors ce n'est pas ce qui me préoccupe le plus.

Je suis ouverte à l'information sur ce que la Chambre des communes a fait dans le passé.

Je ne savais pas non plus comment réagir aux personnes qui demandaient : « Êtes-vous du bon côté du problème, ou du mauvais? » J'étais dépassée par les soupçons. À ce moment-là, les soupçons ne venaient certainement pas de notre institution. Ils venaient de l'extérieur.

En ce qui me concerne, il est temps de faire quelque chose. Je ne dirai pas au comité où commencer et quoi faire, mais il devrait y avoir des personnes chargées d'encadrer l'enquête et la reddition de comptes, et ce, comme je l'ai dit, pas dans deux ans, mais à l'intérieur d'une période raisonnable.

Le président : Sénatrice, je vous remercie beaucoup. Nous vous saurions gré de nous transmettre des copies des documents dont vous avez parlé de sorte que nous puissions les distribuer aux membres du comité.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je vais les remettre au greffier.

La sénatrice Jaffer : Avant de poser une question, monsieur le président, j'aimerais immédiatement demander — et j'espère que le comité m'appuiera — que nous demandions au Sénat de tenir des séances sur cette question même si le Sénat ne siège pas. Je ne veux absolument pas que nous laissions cette question de côté jusqu'à notre retour, car nous ne savons pas quand nous reviendrons. J'estime que nous avons véritablement une responsabilité envers chaque sénateur.

Jamais de ma vie je n'oublierai le jeudi après-midi où le leader du Sénat a dû donner des réponses. Lui et les deux autres leaders se sont retrouvés dans une situation terrible. Je pense qu'il s'agissait d'une réelle atteinte, et il incombe au comité d'aller au fond des choses.

Je demanderais aussi, pour le travail que nous faisons, que nous obtenions toutes les entrevues que le vérificateur général a données avant la publication du rapport.

Cela causait beaucoup de malaise. Nous étions muselés. Nous n'avions pas le droit de dire quoi que ce soit. On nous a dit que si nous disions quelque chose, nous aurions personnellement des problèmes parce que nous nous étions engagés à préserver la confidentialité, mais quelle était sa responsabilité? Je pense que nous devons prendre connaissance de tout ce qu'il a dit avant la publication du rapport.

Le président : Si vous me le permettez, sénatrice, notre rôle porte sur le privilège parlementaire et la fuite. Je ne crois pas qu'il nous incombe de déterminer si cinq mois avant ou trois mois avant...

La sénatrice Jaffer : Je ne parle pas de...

Le président : ... ou cinq minutes avant que nous ayons supposément le rapport, le vérificateur général parlait trop. Il se peut que les gens aient individuellement des opinions là-dessus, mais je ne crois pas que ce soit le rôle du comité.

La sénatrice Jaffer : Je pense qu'il pourrait être question de notre privilège, et je veux que nous nous penchions là- dessus, car nous avons des privilèges. Je ne sais pas, mais je pense que nous devrions y voir. Je ne crois pas que nous devrions présumer que ce n'est pas un problème.

Le président : Je vais prendre la question en délibéré et en discuter avec le comité directeur. Merci.

La sénatrice Jaffer : Ma question comporte deux volets, sénatrice. C'est une chose pour laquelle il faut faire de la recherche. Vous êtes ici depuis plus longtemps que moi. Est-ce qu'il y a déjà eu divulgation d'un rapport à d'autres, comme les 50 rapports? Nous savons déjà qu'un rapport a été remis au cabinet du premier ministre avant que nous le voyions. Vous avez été députée, puis sénatrice; pendant toutes ces années, avez-vous été témoin de ce que j'appelle une longue torture à feu lent qui apporte des souffrances à diverses personnes, plus ou moins rapidement, selon la place qu'elles occupent sur l'échelle? La lente fuite que nous avons connue — avez-vous déjà vu ça?

La sénatrice Hervieux-Payette : Je pense bien que cela ferait partie de l'enquête et qu'on déterminerait ce qui s'est produit dans le passé et les mesures qui ont été prises. Je n'ai jamais été mise au fait d'un cas où on aurait envoyé un rapport au cabinet du premier ministre avant de le déposer au Sénat. Ce n'est certainement pas une pratique ou une règle — en fait, c'est contraire aux règles. Nous devrions gérer nous-mêmes nos affaires, et je ne crois pas que nous ayons à rendre des comptes au gouvernement, car le gouvernement et le Parlement sont deux institutions. Ce sont deux piliers de la démocratie.

La sénatrice Jaffer : Sénatrice, je trouve vraiment dérangeant qu'il y ait eu... Je ne sais comment le dire autrement, mais on a dit que vous étiez peut-être la responsable de la fuite. J'aimerais que vous le disiez clairement — la personne qui soulève la question est soupçonnée d'avoir divulgué quelque chose. Je trouve personnellement que c'est une allégation très folle, alors j'aimerais que vous nous disiez exactement ce que vous saviez. Avez-vous à quelque moment que ce soit parlé aux médias?

La sénatrice Hervieux-Payette : Eh bien, je jure n'avoir jamais parlé aux médias. Un point, c'est tout.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Le président : C'était clair. Merci beaucoup, sénatrice.

La sénatrice Batters : Sénatrice, si vous étiez au Sénat le jeudi 4 juin, vous devriez vous rappeler que dès que la fuite dont la sénatrice Jaffer a parlé s'est produite, des journalistes se sont postés partout où il était possible de croiser un sénateur, et ce, la journée entière, afin de nous soutirer par tous les moyens de l'information confidentielle additionnelle. Vous en souvenez-vous?

La sénatrice Hervieux-Payette : Je ne comprends pas votre question.

La sénatrice Batters : Vous rappelez-vous que les médias étaient partout, le jeudi 4 juin, toute la journée, après la fuite initiale à propos du leadership du Sénat? Vous en souvenez-vous?

La sénatrice Hervieux-Payette : Eh bien, comme vous tous, je lis les journaux et la une du Globe and Mail, mais je n'ai parlé à personne. J'étais scandalisée.

La sénatrice Batters : Je vous demande seulement si vous vous souvenez d'avoir vu les journalistes partout. Étiez- vous au Sénat, le jeudi 4 juin?

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui, j'y suis allée tous les jours de la semaine.

La sénatrice Batters : D'accord. Et vous avez signé un accord de confidentialité avec le vérificateur général comme nous l'avons tous fait, n'est-ce pas?

La sénatrice Hervieux-Payette : Non.

La sénatrice Batters : Vous ne l'avez pas signé?

La sénatrice Hervieux-Payette : Non.

La sénatrice Batters : D'accord. Et pourquoi pas?

La sénatrice Hervieux-Payette : Parce que j'estimais que quand je... Permettez-moi d'expliquer.

[Français]

Je lui ai assuré que, sur mon honneur, je ne dévoilerais aucun détail de l'exercice, mais que je gardais mes privilèges parlementaires. C'est à partir de cette phrase dans la lettre préparée pour ma signature par le vérificateur général. Au départ, je lui ai dit que, lorsque je recevais une lettre, j'étais capable d'y répondre toute seule et que je n'avais pas besoin qu'on m'écrive la réponse et que, sur mon honneur, toutes les informations demeureraient confidentielles. Plus loin, j'ai dit que je n'abandonnais pas mes privilèges parlementaires dans l'exercice. J'ai encore plus raison de réclamer mes privilèges, à ce moment-ci.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Vous avez également dit que vous êtes sénatrice depuis de nombreuses années et que vous avez été députée pendant plusieurs années. Vous comprenez donc très bien l'importance de préserver la confidentialité de ce qui se dit au caucus, n'est-ce pas?

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Vous pouvez faire une enquête, mais je ne crois pas qu'il y ait eu des gens qui ont siégé avec vous qui étaient d'anciens libéraux et qui étaient nos officiels rapporteurs.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Ma question porte sur votre expérience antérieure.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Je n'ai jamais été qualifié comme étant une personne qui... Être avocate et connaître le secret professionnel donne une bonne formation. Ce qui se passe au Sénat ne se retrouve pas sur la place publique en ce qui me concerne.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Oui, mais vous pouvez répondre à ma question, compte tenu de vos nombreuses années d'expérience dans les deux rôles...

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Cela ne change rien. Peu importe qu'il y ait 20 ou 25 ans que je suis ici, je vous dis que je respecte le secret professionnel et celui des caucus.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Je vous sais gré de nous avoir consacré du temps, sénatrice. Je pense que bien des gens ont les mêmes préoccupations que celles que vous avez soulevées et je pense que cela nous donne l'occasion d'y réfléchir.

Nous avons dépassé de près de 15 minutes le temps que nous avions prévu. Je remercie tout le monde de votre compréhension.

Je demande l'indulgence du comité pour que le comité directeur se réunisse à la fin de la semaine pour discuter des étapes suivantes des travaux du comité concernant cette question et certaines autres choses que nous devons terminer.

La sénatrice Jaffer : Je dois le dire — je parle en mon nom personnel puisque je n'ai pas un rôle de leadership —, je ne veux pas que cela nous suive encore six ou huit mois ou je ne sais trop, et je presse le comité directeur de trouver une façon dont nous pourrions travailler à cette question sans que nous soyons poursuivis par des fantômes pendant des mois.

Le président : Tout le monde est d'accord pour que le comité directeur en discute puis qu'il nous revienne là-dessus?

Des voix : Oui.

Le président : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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