Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 1 - Témoignages du 9 décembre 2013
OTTAWA, le lundi 9 décembre 2013
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 heures pour poursuivre son étude et produire un rapport sur les politiques, les pratiques, les circonstances et les capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense (sujets : suivi du rapport du comité au sujet de la souveraineté et de la sécurité dans l'Arctique; examen des services canadiens liés aux renseignements de sécurité).
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je déclare la séance ouverte. Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, en ce lundi 9 décembre 2013. Avant d'accueillir les témoins, j'aimerais vous présenter les personnes assises à cette table. Je m'appelle Daniel Lang, sénateur du Yukon. Voici la greffière du comité, Josée Thérien, et les analystes de la Bibliothèque du Parlement assignés au comité, Holly Porteous et Wolfgang Koerner.
J'aimerais faire un tour de table et inviter les sénateurs à se présenter et à indiquer la région qu'ils représentent, en commençant par le vice-président.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Merci, monsieur le président. Sénateur Dallaire, division sénatoriale du Golfe, au Québec.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, Alberta.
Le sénateur Watt : Sénateur Watt, du Nunavik.
Le sénateur Day : Sénateur Joseph Day, de Hampton, au Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Nolin : Pierre Claude Nolin, province de Québec.
[Traduction]
Le sénateur Segal : Hugh Segal, de Kingston-Frontenac-Leeds, Ontario.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Sénateur Dagenais, du Québec, comté de Terrebonne, Blainville.
[Traduction]
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le président : Aujourd'hui, le comité poursuit son examen de son rapport précédent sur la souveraineté et la sécurité de l'Arctique, qui a été publié en mars 2011. Dans ce rapport, le comité a formulé six recommandations. La première est que le gouvernement considère comme une priorité militaire absolue l'acquisition d'un nouvel avion de recherche et sauvetage à voilure fixe et qu'il communique les dates cibles pour le programme. Deux, que le gouvernement s'en tienne au programme de modernisation des Rangers canadiens et qu'il songe à élargir le rôle des Rangers dans l'environnement maritime. Le programme devrait être mené à bien le plus rapidement possible.
La troisième recommandation est que le gouvernement veille à acquérir le brise-glace polaire John G. Diefenbaker d'ici la fin de 2017, année où, selon la Garde côtière, le navire devrait entrer en service. Quatre, que le gouvernement réaffecte des fonds du Service hydrographique du Canada afin qu'on puisse accomplir davantage de travail en priorité pour peaufiner les cartes de navigation marine dans l'Arctique et pour en créer de nouvelles dans les zones à risque élevé. Cinq, que le gouvernement fasse le nécessaire pour créer une administration de pilotage de l'Arctique ayant pour principal objectif d'exiger des navires commerciaux qu'ils recourent à des pilotes dans les zones où sont normalement requis les services de pilotes ailleurs au Canada, par exemple, dans les passages étroits où des récifs et des hauts-fonds compliquent la navigation ou encore près des ports. La sixième recommandation est que, pour réduire le temps de recherche et de sauvetage dans l'Arctique, le gouvernement concentre les ressources des Forces canadiennes en matière de recherche et de sauvetage en un point central dans le Nord de façon qu'un avion soit prêt à décoller en tout temps, comme dans le Sud, dans les situations d'urgence.
À titre d'information pour le comité, afin qu'on puisse avoir une discussion productive aujourd'hui, on semble avoir réalisé certains progrès en vue d'appliquer les recommandations, mais les choses ne progressent pas aussi vite qu'on l'aurait souhaité.
Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a expédié une version provisoire d'un appel de propositions pour le remplacement des avions de recherche et sauvetage à voilure fixe à des professionnels de l'industrie pour obtenir leurs avis; la version définitive de l'appel de propositions devrait être diffusée au début de 2014. Pour marquer sa huitième visite annuelle dans l'Arctique l'été dernier, le premier ministre Stephen Harper a publié un communiqué indiquant qu'en août 2013, on comptait plus de 5 000 Rangers répartis en 178 patrouilles, ce qui constitue une augmentation de 25 p. 100 depuis 2007. Le communiqué indiquait également que les Rangers améliorent également leurs capacités technologiques, notamment grâce à l'utilisation d'équipement de suivi électronique et d'imagerie numérique. De plus — vous serez heureux de l'apprendre, sénateur Mitchell —, les fusils Lee Enfield des Rangers seront remplacés par de nouveaux fusils à verrou de 7,62 mm plus robustes, dont la livraison est prévue pour 2016. Nulle part n'était-il question d'élargir le rôle des Rangers dans l'environnement maritime, une recommandation spéciale formulée dans le rapport. Également, pour ce qui est des services maritimes dans l'Arctique canadien, on s'attend à ce que le brise-glace polaire John G. Diefenbaker entre en service en 2021 ou 2022, quelques années plus tard que prévu, et d'après les projections, à coût beaucoup plus élevé.
Je tiens d'abord à dire que nous sommes très heureux d'accueillir nos invités. Nous ne disposons que d'une heure, alors j'aimerais que chacun des membres du comité se limite à une question par tour, de façon à ce que tout le monde ait la chance d'intervenir. Je vous demande également d'aller droit au but avec vos questions, et j'aimerais que les témoins y répondent aussi rapidement que possible, pour que nous puissions tirer le maximum de l'heure à venir.
Je vous présente le major-général Christopher Coates, commandant adjoint (Continental), Commandement des opérations interarmées du Canada; le brigadier-général K.L. Woiden, chef d'état-major de la réserve terrestre; et le colonel Michel Lalumière, conseiller spécial du Commandement des opérations interarmées du Canada.
Messieurs, bienvenue. Vous avez une déclaration préliminaire à faire. Je vous en prie.
Major-général Christopher Coates, commandant adjoint (Continental), Commandement des opérations interarmées du Canada, Défense nationale et Forces armées canadiennes : Merci beaucoup, sénateur Lang. Monsieur le président, membres du comité, je suis très heureux d'être ici aujourd'hui. Je suis accompagné du brigadier-général Kelly Woiden, chef d'état-major — réserve de l'armée de terre, duquel relève le programme des Rangers canadiens. Je suis également accompagné du colonel Michel Lalumière, conseiller spécial auprès du commandant — Recherche et sauvetage.
Je suis ici aujourd'hui pour vous parler du rôle des Forces armées canadiennes dans l'Arctique en ce qui a trait à la souveraineté et à la sécurité.
En ma qualité de commandant adjoint (Continental) du Commandement des opérations interarmées du Canada, ou le COIC, je suis responsable des opérations et des activités des Forces armées canadiennes dans l'Arctique. Le commandant du COIC, le lieutenant-général Stuart Beare, veille particulièrement, en tant que commandement, à l'atteinte de nos objectifs dans l'Arctique.
[Français]
Comme vous le savez, l'Arctique est une priorité pour le gouvernement. Bien que les Forces armées canadiennes jouent très souvent un rôle de soutien avec nos partenaires, nous travaillons ensemble pour que les priorités du gouvernement du Canada soient mises en œuvre.
[Traduction]
Comme vous le savez, les Affaires du Nord ne relèvent pas du ministère de la Défense nationale ni des Forces armées canadiennes. Toutefois, nous contribuons aux quatre piliers de la Stratégie pour le Nord du Canada et mettons surtout l'accent sur le premier pilier, qui consiste à exercer la souveraineté du Canada.
Aucune menace militaire ne semble peser sur le Nord et on n'envisage aucune situation de ce genre dans un avenir prévisible. C'est pourquoi le rôle des Forces armées canadiennes dans la région continue de se limiter en grande partie à une présence militaire, à une surveillance, à des opérations de recherche et de sauvetage et à un appui auprès d'autres ministères et organismes, le cas échéant.
Sous l'égide du Commandement des opérations interarmées du Canada, nous disposons de six forces opérationnelles régionales qui couvrent le vaste territoire de notre nation. Dans le Nord se trouve la Force opérationnelle interarmées (Nord), ou la FOIN, basée à Yellowknife et comportant des détachements à Whitehorse et à Iqaluit. La FOIN est responsable d'exécuter des opérations courantes et des opérations de contingence dans le Nord. Elle contribue également à la croissance de la population dans le Nord et au développement de la région, notamment par l'entremise des programmes des Rangers canadiens et des Rangers juniors. La Force opérationnelle interarmées (Nord) collabore avec d'autres ministères fédéraux et des partenaires locaux, comme les communautés autochtones et les administrations des trois territoires, afin d'accroître la capacité collective d'intervenir efficacement et sans délai en cas d'urgence, notamment en cas de catastrophes naturelles ou de catastrophes causées par l'homme, et de contribuer aux opérations de recherche et de sauvetage. Ce faisant, la FOIN veille à la coordination et au soutien des activités des Forces armées canadiennes dans le Nord et assure la liaison avec les administrations des territoires et la population des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon et du Nunavut.
Les Forces armées canadiennes, par l'entremise des Rangers canadiens, jouent un rôle clé dans la manifestation d'une présence visible et l'exercice de la souveraineté du Canada dans la région. Les Forces armées canadiennes sont des spécialistes dans les opérations menées dans les conditions extrêmes de l'Arctique. En tirant parti de leurs compétences particulières de même que du savoir-faire et du patrimoine de la région, elles assurent la surveillance et effectuent des patrouilles de souveraineté, font état de toute activité ou observation inhabituelle et recueillent des renseignements locaux stratégiques à l'appui des Forces armées canadiennes. Cette année, on a dénombré 5 000 Rangers canadiens, un jalon important pour l'organisme. Nos Rangers sont « les yeux et les oreilles » des Forces armées canadiennes et ils excellent dans cette fonction. Les Rangers canadiens contribuent aussi aux activités des Forces armées canadiennes en fournissant de l'expertise, des avis et des conseils à saveur locale lors des opérations et des exercices, en menant des patrouilles liées au Système d'alerte du Nord et en offrant sur place de l'aide dans le cadre des activités de recherche et de sauvetage.
En tant qu'armée d'un pays arctique, nous devons nous assurer que nous avons les capacités d'intervenir efficacement dans toutes les régions de notre territoire. Voici deux exemples d'activités que nous menons. En août dernier, nous avons inauguré le Centre de formation des Forces armées canadiennes dans l'Arctique à Resolute Bay, au Nunavut. Les installations, conçues avec nos partenaires de Ressources naturelles Canada, sont un centre d'instruction militaire ultramoderne et polyvalent axé sur l'Arctique et l'instruction de survie hivernale. En plus d'être utilisé pour l'instruction, le centre sert aussi de base d'opérations avancée, au besoin.
Nous avons la station des Forces canadiennes (SFC) Alert sur l'île d'Ellesmere, au Nunavut, le lieu habité en permanence le plus au nord du monde entier. La SFC Alert relève du commandement de Force aérienne par l'entremise de la 8e Escadre Trenton. La principale responsabilité de la SFC Alert consiste à entretenir des installations de renseignement sur les transmissions en appui aux opérations militaires canadiennes ainsi qu'une capacité de géolocalisation. Ce faisant, la SFC Alert soutient des opérations et fournit de l'équipement de radiogoniométrie haute fréquence, contribuant ainsi aux activités de recherche et de sauvetage ainsi qu'à d'autres opérations, en plus de prêter main-forte à Environnement Canada et aux chercheurs de l'Arctique.
Ce ne sont là, bien entendu, que quelques exemples de ce que nous faisons dans l'Arctique et de ce que nous envisageons d'y faire.
[Français]
Toujours à titre de commandant adjoint pour les opérations continentales, je dirige aussi les opérations de souveraineté dans le Nord canadien.
[Traduction]
Chaque année, nous menons trois opérations de souveraineté d'envergure : l'opération Nunalivut, l'opération Nunakput et l'opération Nanook. Bien que les objectifs de chacune des opérations varient, elles ont toutes un but commun, soit d'assurer la souveraineté du Canada dans la région, d'accroître les capacités des Forces armées canadiennes relativement aux opérations dans l'Arctique, et d'améliorer la coordination avec les partenaires et les intervenants aux fins de la sécurité et de la protection du Nord.
Pour ce qui est de l'opération Nunalivut, nous nous concentrons sur les patrouilles de souveraineté des Rangers. L'opération repose sur les capacités particulières des Rangers canadiens à l'appui des opérations de la FOIN dans les conditions extrêmes du Grand Nord. Les patrouilles des Rangers en motoneige constituent l'une de ces capacités et elles représentent une capacité d'intervention importante et rapide dans certaines des régions septentrionales les plus éloignées.
De plus, chaque été, nous effectuons l'opération Nunakput dans l'Arctique de l'Ouest en collaboration avec la Garde côtière canadienne et la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Cette importante opération a pour but d'exercer les troupes à la protection du territoire et de vérifier leur interopérabilité, en se concentrant sur la région du fleuve Mackenzie.
La dernière et non la moindre, l'opération Nanook, est une opération de souveraineté annuelle interarmées et interministérielle conduite dans l'Arctique. Il s'agit de notre opération phare dans le Nord, l'opération annuelle la plus imposante faisant appel à la marine, à l'armée de terre, à la Force aérienne et à des partenaires de l'ensemble du gouvernement. L'opération Nanook met l'accent sur l'interopérabilité, le commandement et le contrôle, et la coopération avec des partenaires interministériels et intergouvernementaux dans le Nord.
[Français]
Les opérations de recherche et de sauvetage sont primordiales quand on parle du rôle des Forces armées canadiennes dans le Nord.
[Traduction]
En collaboration avec la structure coordonnée à l'échelle nationale en matière de recherche et de sauvetage (SAR) maritimes et aéronautiques, les Forces armées canadiennes et la Garde côtière canadienne forment une capacité d'intervention efficace en matière de recherche et de sauvetage dans le Nord du Canada et utilisent toutes les ressources disponibles.
Précisons que les Forces armées canadiennes ne sont qu'un élément du système fédéral de recherche et de sauvetage. Au sein des Forces armées canadiennes, les centres conjoints de coordination de sauvetage (JRCC) sont appelés à intervenir dans plus de 9 400 incidents chaque année. Parmi ces incidents, 182 événements surviennent en moyenne chaque année au nord du 55e parallèle. Et, chaque année, les Forces armées canadiennes mènent en moyenne 42 missions de recherche et de sauvetage dans cette région. Ces missions relèvent du COIC, et l'Aviation royale canadienne soutient les activités de recherche et de sauvetage dans trois régions, chacune étant désignée selon le lieu du JRCC : Victoria, Trenton et Halifax.
En conclusion, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes continuent de travailler en étroite collaboration avec d'autres ministères et partenaires locaux, avec les communautés autochtones, les administrations des trois territoires, les administrations municipales, ainsi qu'avec des ministères et organismes fédéraux afin de s'assurer que le gouvernement du Canada atteint ses objectifs dans l'Arctique. Puisqu'il s'agit d'une démarche concertée, nous les aidons autant qu'ils nous aident.
La Stratégie de défense Le Canada d'abord est très claire lorsqu'il est question de l'Arctique et du rôle que les Forces armées canadiennes devraient y jouer. Assurer la protection du territoire canadien, c'est ce que nous faisons et ce que nous continuerons de faire.
Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions. Merci de votre temps.
Le président : Merci beaucoup.
Puisque je représente une des régions de l'Arctique, je pourrais peut-être me permettre de poser la première question. J'aimerais parler de la souveraineté. Nous le savons, le département de la Défense des États-Unis vient de lancer une nouvelle stratégie sur l'Arctique — que vous connaissez sans doute —, qui mise sur une approche concertée avec les acteurs régionaux, mais qui confirme également l'intention des États-Unis d'exercer sa souveraineté. Le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, a dit ce qui suit, et je crois qu'il est important de le citer :
Nous allons demeurer prêts à détecter, à dissuader, à prévenir et à éliminer les menaces dirigées contre notre patrie, et nous allons continuer d'exercer la souveraineté des États-Unis sur le territoire de l'Alaska et ses environs.
Le ministre de la Défense nationale, Rob Nicholson, a déclaré que la stratégie des États-Unis cadrait avec l'approche privilégiée par le Canada.
On a vu ce qui a été dit dans les médias dernièrement concernant nos revendications territoriales dans l'Arctique, et on sait que la Russie possède 16 ports en eau profonde le long de sa côte arctique, de nombreuses stations de recherche et sauvetage (avec l'intention d'en construire d'autres), de même qu'une flotte de 15 brise-glace qu'elle s'apprête à agrandir. Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure nous avons la capacité d'exercer efficacement notre souveraineté, compte tenu du positionnement géopolitique et militaire de la Russie dans l'Arctique? J'aimerais vous entendre à ce sujet.
Maj.-gén. Coates : Monsieur le président, merci beaucoup pour cette question. Votre rapport de 2011 s'ouvrait sur une description de la souveraineté, et il est important de souligner que les Forces armées canadiennes ne sont pas le seul véhicule pour exercer notre souveraineté dans le Nord. Plusieurs ministères sont mis à contribution, dont le nôtre.
Il y a donc deux volets, en quelque sorte. Les Forces armées canadiennes exercent la souveraineté dans le Nord par leur présence, par la reconnaissance et la surveillance, et par la compréhension de ce qui se passe dans la région, ce à quoi nous aident nos partenaires. Comme je le disais, c'est par notre présence, que ce soit par les patrouilles des Rangers ou les opérations habituelles menées dans le Nord. Selon ce que vous voulez savoir, je pourrais vous en parler plus longuement.
L'autre volet consiste à apporter notre soutien aux autres ministères qui exercent eux aussi la souveraineté du Canada dans le Nord, qu'on parle de la Garde côtière, de la GRC ou de l'Agence des services frontaliers du Canada — les ministères avec lesquels nous travaillons. Les Forces armées canadiennes sont souvent appelées à leur prêter main- forte de différentes façons pour qu'ils puissent exercer leurs fonctions dans le Nord, car nous sommes probablement beaucoup mieux placés que d'autres ministères pour leur offrir ce soutien.
Alors, oui, je pense que nous avons les capacités voulues pour exercer efficacement la souveraineté du Canada, compte tenu du contexte mondial, grâce aux opérations que nous menons nous-mêmes et au soutien que les autres ministères nous apportent.
Le sénateur Dallaire : Messieurs, vous avez commencé en disant qu'aucune menace ne pesait sur le Nord, et pourtant, comme l'a indiqué notre président, les États-Unis en voient une et ils seront prêts à réagir. Je me demande pourquoi on ne semble pas avoir fait une analyse de la menace, ce qui m'amène à vous poser la question suivante : Tout le monde collabore avec tout le monde, et cela fonctionne raisonnablement bien, mais qui mène la barque là-bas? Qui au gouvernement fédéral a l'autorité suprême sur le commandement et le contrôle de toutes les activités des différents ministères fédéraux, qui doivent bien sûr travailler avec les trois administrations régionales? Y a-t-il une entité qui assume la responsabilité globale de toutes les questions liées au Nord et qui a l'influence nécessaire au gouvernement fédéral pour se faire porte-parole?
Maj.-gén. Coates : Sénateur, c'est une question intéressante. Il n'y a pas d'entité qui chapeaute tout ce qui se fait dans le Nord. Vous savez tous mieux que moi que différentes responsabilités sont attribuées à différents ministères et à différents niveaux.
Pour assurer cette coordination qui est absolument nécessaire, particulièrement en Arctique, où bien des choses sont interreliées, je note entre autres le Groupe de travail sur la sécurité dans l'Arctique, qui a été formé par la Force opérationnelle interarmées (Nord) il y a environ 13 ans. En fait, cela remonte à un peu plus loin, il y a 16 ans. J'ai assisté à la dernière réunion du groupe. Il réunit des représentants d'un peu partout dans le Nord — représentants fédéraux et territoriaux et des communautés autochtones — pour discuter de questions d'intérêt commun liées à la sécurité, et pour tenter d'établir certaines des responsabilités auxquelles vous avez fait référence.
Le système ne permet peut-être pas de mettre une seule personne en charge de tout, mais c'est certainement un moyen efficace de rassembler tous les acteurs concernés, de façon à ce que chacun comprenne la position de l'autre et qu'on s'aide mutuellement à arriver à la meilleure solution possible.
Le sénateur Wells : Je suis de Terre-Neuve-et-Labrador, comme je le disais tout à l'heure. Les opérations de recherche et sauvetage et les délais d'intervention semblent être des thèmes récurrents à la grandeur de notre province, que ce soit pour les activités pétrolières et gazières extracôtières, les pêches ou le sauvetage de personnes égarées dans l'arrière-pays.
Ce sera une question ouverte, mais vous pourriez peut-être me parler des délais d'intervention? Le Nord est une très vaste région, qui est desservie par trois centres, comme vous l'avez dit dans votre déclaration préliminaire. Pourriez- vous me parler des délais d'intervention compte tenu non seulement de la vaste étendue géographique à couvrir, mais aussi des conditions très difficiles dans lesquelles il faut intervenir, qui compliquent le travail des équipes de recherche et sauvetage et la survie des personnes égarées? Est-ce que les délais varient selon la saison? Par quoi cela se traduit-il dans les opérations?
Maj.-gén. Coates : Je vais tenter de vous répondre du mieux que je peux, mais comme vous l'avez dit, c'est une question ouverte. Je demanderai peut-être au colonel Lalumière de compléter ma réponse s'il a quelque chose à ajouter.
Pour ce qui est des délais d'intervention, il y a plusieurs aspects à considérer. Premièrement, il faut voir combien de temps il nous faut pour franchir les barrières du centre en direction de l'incident. Selon le dernier rapport du vérificateur général et nos propres statistiques, nos résultats sont très bons de ce côté. En général, il nous faut la moitié du temps prévu par notre mandat pour mettre en branle une opération.
C'est une partie de l'équation. L'autre consiste à savoir avec quelle rapidité on peut mettre nos ressources à contribution dans la région visée. Évidemment, cela dépend de bien des facteurs, soit la distance, les conditions météorologiques et les ressources à mobiliser.
Les Forces armées canadiennes sont responsables des interventions aéronautiques, et elles partagent la responsabilité des opérations de recherche et sauvetage aéronautiques et maritimes avec la Garde côtière. Les territoires du Nord, comme les provinces du Sud, sont responsables de la mobilisation et de la coordination des équipes de recherche et sauvetage au sol. Alors cela dépend également s'il s'agit d'une intervention aéronautique ou maritime ou d'une intervention au sol.
Pour les interventions nautiques, nous allons mobiliser les ressources qui sont les plus près et qui peuvent intervenir le plus rapidement. Il faut parfois contourner des conditions météorologiques peu favorables, et parfois un vol direct est de mise quand le temps le permet. Des systèmes nous permettent de mobiliser les civils locaux et les ressources privées par l'entremise de l'Association civile de recherche et de sauvetage aériens, ou l'ACRSA. Nous avons d'ailleurs établi deux nouvelles unités, une à Pond Inlet et l'autre à... Le nom m'échappe, mais cela va me revenir. Ce sont les deux nouvelles unités de l'ACRSA établies dans le Nord pour nous aider à intervenir plus rapidement au besoin.
Vous ne l'avez pas demandé, mais c'était implicite dans votre question, à savoir s'il pourrait y avoir une meilleure configuration d'aéronefs et de ressources pour intervenir. La question a été examinée de près, et on s'est assuré de choisir un emplacement optimal pour les appareils afin d'intervenir efficacement dans la majorité des situations.
Le sénateur Wells : Je termine ma question rapidement. Où s'arrête la chaîne de commandement pour l'encadrement — je ne parlerai pas de permission — de l'utilisation des ressources lors d'opérations de recherche et sauvetage? Est-ce que cela se passe au CCCOS (Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage) de la région?
Maj.-gén. Coates : Certaines ressources sont assignées au CCCOS et celui-ci en est responsable. Deux CCCOS peuvent également coordonner leurs efforts. Mon patron et moi agissons comme arbitres lorsque deux CCCOS emploient une approche différente. Nous pouvons aussi faire appel à la 1re Division aérienne du Canada à Winnipeg pour mobiliser des ressources aériennes qui ne font normalement pas partie du réseau de recherche et sauvetage.
Colonel Michel Lalumière, conseiller spécial au commandant du Commandement des opérations interarmées du Canada, Défense nationale et Forces armées canadiennes : Très bonne question, monsieur. Le Nord est quelque peu différent du reste du Canada pour bien des raisons, et vous en avez donné quelques-unes.
Évidemment, les Forces armées canadiennes ne sont qu'une des entités qui forment le vaste réseau veillant aux opérations de recherche et sauvetage. Les rapports produits à l'issue d'une opération remontent à l'incident en tant que tel. La première étape est assez variable : l'alerte. L'alerte est donnée bien différemment dans le Nord qu'elle ne l'est à une heure de Kingston, par exemple, ou près de Trenton, Montréal, Québec ou même St. John's.
La culture du Nord fait que les moyens de communication ne sont pas nécessairement les mêmes que dans les régions densément peuplées. Là-bas, il n'est pas rare que les pilotes partent avec un plan de vol ouvert plutôt qu'avec un itinéraire précis. À moins que leur entreprise n'applique un protocole strict, normalement, les pilotes ont un plan de vol ouvert, ce qui signifie « si vous n'avez pas eu de mes nouvelles d'ici 48 heures, veuillez entreprendre des recherches ». Les recherches sont d'abord entreprises par la collectivité, puis l'appel est transmis à la GRC, et bien des étapes sont franchies avant qu'on ne communique avec le CCCOS. C'est alors que la phase d'enquête commence. Le contrôleur du CCCOS, selon l'information dont il dispose, va tenter de faire le relais avant de mobiliser les ressources de dernier recours, soit celles des Forces armées canadiennes, qui dépêchent la plupart du temps un avion à voilure fixe.
Il peut s'écouler quelques jours après l'incident avant que l'opération ne soit déclenchée, à moins de recevoir un appel de détresse d'un avion ou d'un navire en situation catastrophique — s'ils réussissent à établir la communication et à envoyer un message de détresse. Les choses se mettent en branle beaucoup plus rapidement à ce moment-là.
C'est ce que nous avons examiné. En collaborant avec l'ACRSA, dont a parlé le général Coates, on peut optimiser de bien des façons le réseau de communication pour arriver aux normes auxquelles nous sommes habitués dans le reste du Canada. L'ACRSA comble les lacunes à ce niveau.
En facilitant les communications et en ayant des réseaux directement sur le terrain, l'ACRSA peut raccourcir le flux d'information. Mais nous tâchons aussi de voir comment faire une meilleure utilisation des moyens de communication offerts à l'heure actuelle ou qui le seront dans un avenir rapproché, si on pense à la technologie satellite que bien des organisations songent à employer.
Tous ces facteurs influent sur les délais d'intervention dans le Nord : le temps de déplacement est un peu plus long, compte tenu des distances à parcourir, mais l'analyse préliminaire peut être bien plus longue encore et facilement se compter en jours. Cependant, la culture du Nord étant ce qu'elle est, le taux de réussite des opérations menées là-bas est la plupart du temps plus élevé qu'en Colombie-Britannique, par exemple, où j'ai eu ma dernière affectation.
Les gens sont bien préparés. C'est ainsi dans le Nord, le nord du Québec, le nord de l'Ontario, au Nunavut et aux Territoires du Nord-Ouest. Ils en ont vu d'autres. Ils l'ont probablement eux-mêmes vécu à quelques reprises. La plupart du temps quand nous intervenons, les gens ont les connaissances, l'expérience, le matériel et même les moyens nécessaires pour nous diriger sur place et accélérer les recherches.
Les opérations menées dans le Nord sont planifiées en fonction de tout cela, du contrôleur jusqu'aux opérateurs.
Le sénateur Watt : Pour ce qui est des capacités requises pour assumer vos fonctions dans l'Arctique, je sais que ce n'est pas une région facile pour les forces armées, compte tenu du matériel nécessaire et du fait qu'elles doivent être parées à toute éventualité — et je ne fais pas seulement référence aux situations militaires, mais aussi aux catastrophes qui pourraient très bien se produire en raison des activités menées dans l'Arctique.
D'après vous, sur le plan militaire... et je ne veux pas parler de la menace qui pèse ou non sur nous, mais du fait qu'il n'est pas facile de travailler dans l'Arctique. Il est possible qu'il y ait un déversement de pétrole durant les activités de forage. Comme vous le savez, les glaciers fondent graduellement, mais ils ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Nous le savons tous. Sommes-nous aussi bien équipés que la Russie prévoit l'être pour gérer ce qui se passe dans l'Arctique, si les activités s'intensifient dans la région? Selon vous, avons-nous le matériel nécessaire? C'est une question ouverte que je vous adresse.
Maj.-gén. Coates : Monsieur, je précise d'abord que nous ne sommes pas les premiers à appeler en cas de déversement de pétrole. Je présume donc que votre question ne porte pas directement sur cela. Je crois que c'est la responsabilité de la Garde côtière.
Le sénateur Watt : Je veux savoir ce qu'il en est sur le plan militaire.
Maj.-gén. Coates : Vous voulez donc savoir si nous avons ce qu'il faut, sur le plan militaire, pour gérer une hausse des activités dans le Nord. Plus ou moins, mais je dirais que oui. Nous avons accru les capacités de la Force opérationnelle interarmées (Nord) sur le terrain au cours des deux dernières années, et nous prévoyons le faire encore au cours des deux prochaines. On vise ainsi à mieux soutenir les opérations des Forces armées canadiennes dans le Nord et à assurer une meilleure surveillance des activités continues grâce au centre des opérations, qui est maintenant fonctionnel 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. C'est nouveau depuis votre dernier rapport.
Pour ce qui est de la marine, on veut soutenir les opérations du COIC dans le Nord en assurant des patrouilles au large de l'Arctique. Étant chef des opérations, je sais que la marine travaille à l'élaboration des procédures à appliquer lorsque les patrouilleurs hauturiers pour l'Arctique entreront en fonction, alors on sera prêt à cet égard. Des discussions ont déjà cours entre le commandant de la composante maritime à Halifax et le commandant de Yellowknife, de façon à être fin prêts à utiliser efficacement cette capacité opérationnelle lorsqu'elle arrivera.
Nos forces aériennes ont mis en place un plan de campagne pour l'Arctique afin de savoir comment procéder en tout lieu et en tout temps.
Notre armée, et peut-être que le brigadier-général Woiden pourra vous l'expliquer dans un moment, a grandement accru ses activités dans l'Arctique, au nord du 60e, qu'on parle du centre de formation dans l'Arctique ou de l'établissement des Groupes-compagnies d'intervention dans l'Arctique, une formation plus poussée sur l'Arctique pour les unités d'intervention immédiate. Les choses sont plutôt bien parties pour que nous soyons en mesure de soutenir les autres ministères. Nous avons fait beaucoup de progrès, je pense, depuis le dépôt de votre dernier rapport, et nous continuons dans la même voie.
On consacre énormément d'énergie à ce projet, et les résultats sont là, et il en va de même pour nos exercices nordiques. Nos partenaires dans le Nord, les autres ministères fédéraux et les territoires, nous demandent maintenant de prendre part à ces exercices, car ils comprennent qu'il y a beaucoup à gagner avec eux. Brigadier-général Woiden, avez-vous des commentaires à formuler concernant l'état de préparation de l'armée dans le Nord?
Brigadier-général K.L. Woiden, chef d'état-major de la réserve terrestre, Défense nationale et Forces armées canadiennes : Absolument. Depuis les trois dernières années en particulier, je crois qu'on offre trois fois plus de formation sur le Nord, au nord du 55e parallèle jusqu'en Arctique.
Comme l'indiquait le major-général Coates, nous avons accru nos activités. À la capacité opérationnelle initiale, on passe à la capacité opérationnelle totale, et très près dans d'autres cas, avec les Groupes-compagnies d'intervention dans l'Arctique, dont on a parlé tout à l'heure. Il y en a quatre, un pour chaque division. Ce sont des troupes stationnées dans le Sud qui ont le mandat et la capacité de mener des opérations dans l'Arctique. Elles sont mandatées par un ou deux des Groupes-compagnies d'intervention dans l'Arctique et doivent se rendre chaque année au Centre de formation des Forces armées canadiennes dans l'Arctique. Cela devrait se concrétiser en 2014.
Le Centre de formation des Forces armées canadiennes dans l'Arctique devient une véritable plaque tournante. Il a été érigé l'été dernier sur un très court laps de temps. C'est une belle réalisation. Ces installations qui servaient uniquement d'entrepôt permettent maintenant de loger, d'équiper et de soutenir un nombre impressionnant de soldats et de troupes, ainsi que les participants au Cours de conseiller des opérations dans l'Arctique. Le tout se fait parallèlement aux visites des Groupes-compagnies d'intervention dans l'Arctique, et à celles des unités d'intervention immédiate de chacune des divisions, qui y viennent à tour de rôle.
La Compagnie Yellowknife — une unité de réserve passée de compagnie réduite à peloton élargi — est une compagnie du Loyal Edmonton Regiment, à Edmonton. Elle en est à sa capacité opérationnelle initiale et continue d'accroître ses activités. On a aussi étendu les activités des Rangers canadiens, qui sont passés du nombre de 4 000 à 5 000, pour quelque 179 patrouilles. Nous procédons actuellement au réalignement des troupes afin de nous assurer d'avoir les bonnes personnes au bon endroit.
Nous avons fait beaucoup de chemin. Je mentionne au passage que le processus de renforcement des capacités de l'armée est expliqué dans un document intitulé « Le Grand Nord : le concept de l'armée de terre dans l'Arctique pour 2021 ». Je vais vous en laisser une copie. C'est un document qui vient d'être publié, mais nous y avons travaillé pendant à peu près deux ans. Il se fonde sur la Stratégie de défense Le Canada d'abord et définit le processus de renforcement des capacités qu'emploie l'armée pour satisfaire aux exigences de la stratégie.
[Français]
Le sénateur Nolin : Je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui. Lors des réunions de notre comité, on a beaucoup discuté de la possibilité d'utiliser des drones dans l'Arctique, et l'une de mes préoccupations que je voudrais partager avec vous, c'est la possibilité de joindre l'effort JUSTAS — Joint Uninhabited Surveillance and Target Acquisition System — et les données qui sont récupérées de RADARSAT à partir du programme Polar Epsilon. Ma première question est celle-ci : quel est l'état actuel du programme JUSTAS?
Mgén Coates : Je vous remercie pour la question. Je travaille au commandement des opérations interarmées du Canada qui n'est pas responsable de l'acquisition des programmes comme JUSTAS. Cette question devrait plutôt être adressée, j'imagine, à PWGSC ou ADM Mat. Malheureusement, je ne peux pas parler de l'état d'acquisition du système.
Le sénateur Nolin : À ce moment-là, je vous pose ma deuxième question : Est-ce qu'il y a possibilité d'utiliser ces deux actifs? C'est trop tôt? C'est non?
Mgén Coates : Cela dépendra uniquement de la capacité de l'aéronef pour satisfaire le programme JUSTAS. Si un drone peut opérer dans le Nord, je n'ai aucun doute qu'il pourrait prendre avantage de toutes les données de RADARSAT ou RADARSAT Constellation qui viendraient après. Après avoir vu RADARSAT fonctionner il y a deux semaines et la façon dont les données arrivent jusqu'à nous, je serais très à l'aise d'amalgamer cela avec un système de drone.
Le sénateur Nolin : Avec la connaissance des domaines. C'est important de savoir.
Mgén Coates : Absolument.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie pour votre présence ici, général.
[Traduction]
J'ai été consterné d'apprendre aujourd'hui que la demande déposée par le Canada devant les Nations Unies concernant les limites du plateau continental ne contenait pas de données réellement complètes sur le plateau continental en tant que tel. C'est étonnant d'apprendre qu'aucune étude scientifique digne de ce nom n'a été effectuée en 10 ans, alors que c'est une question qui semble être d'une grande importance pour nous.
Dans ce contexte, est-ce que vos manœuvres habituelles incluent le pôle Nord précisément pour contribuer à établir une présence dans le Grand Nord?
Maj.-gén. Coates : Non, monsieur. Le Commandement des opérations interarmées du Canada est responsable des opérations au sol et dans nos eaux territoriales, qui s'étendent seulement sur 12 milles au large de la côte en ce moment. Nous assurons également des missions d'observation aérienne, comme les missions de surveillance et les patrouilles du CP-140, qui survole le Nord à raison de deux ou trois par mois.
Pendant l'été, nous avons recours à un service contractuel. Il y a environ 10 vols par mois pendant l'été, mais ils se limitent à des zones plus au sud du pôle Nord. Le pôle Nord est à 817 kilomètres de la station Alert. C'est loin. Je n'y suis pas allé, alors je ne peux pas vous dire quelle est la situation là-bas — si le pôle est couvert de glace ou non —, mais je suis persuadé qu'il est possible d'avoir cette information.
Nous nous concentrons surtout sur les zones d'eau libre, où circulent des navires et où il y a de l'activité.
Le sénateur Segal : Avec vos brillants antécédents militaires, vous savez sans doute que ce qui pousse les pays civilisés à négocier une entente lorsque survient un problème, c'est qu'ils comprennent que le coût en serait trop grand s'ils ne le faisaient pas. La théorie derrière l'OTAN a permis de faire contrepoids avec brio au pouvoir thermonucléaire soviétique pendant de nombreuses années, et de mettre un terme aux confrontations sans que cela ne se termine par un bain de sang.
Si on apprenait demain matin qu'en réaction à la demande du Canada concernant les limites du plateau continental, la Russie avait déployé brise-glaces, hélicoptères et cetera, nous n'aurions pas assez de 10 000 Rangers pour répliquer. Nous n'en avons que 5 000, ce qui est déjà très bien, et nous sommes chanceux de les avoir. Nous devrions pouvoir déployer des ressources, pas pour alimenter le conflit, mais pour passer le message clair que ce n'est pas une option — une négociation rationnelle le serait — et que le Canada prendra les moyens nécessaires à cette fin.
Je ne vais pas énumérer toutes les ressources que vous devriez déployer et comment vous devriez vous y prendre — cela ne me regarde pas; c'est à vous de décider, avec l'approbation du cabinet. Mais j'aimerais que vous répondiez à la question suivante : si le cabinet approuvait le déploiement de ressources en vue de définir les intérêts stratégiques du Canada dans cette partie du monde — des ressources qui permettraient d'envoyer un message très clair à quiconque serait tenté de croire qu'on ne défendrait pas notre position —, pensez-vous que nous aurions les ressources voulues à déployer dans un contexte approprié?
Et je ne blâme pas les haut gradés des forces armées si nous n'avons pas les ressources que nous devrions avoir, parce que depuis 25 ans, les gouvernements ne vous donnent pas la moitié des ressources voulues.
Maj.-gén. Coates : Merci beaucoup pour cette question. J'espère que je ne vous surprendrai pas en vous répondant très rapidement que oui, je pense que nous avons ce qu'il faut pour remplir ce mandat.
Si le gouvernement a décidé de lancer un message en déployant des troupes dans le nord du Canada, comme votre question le sous-entend, je présume qu'il a choisi un déploiement basé au sol.
Le sénateur Segal : Quand je parle de ressources, je fais référence aussi bien au « bleu foncé » qu'au « bleu pâle », puisque j'ai fait référence au déploiement de navires russes.
Encore une fois, sans rentrer dans les détails, c'est une question générale sur les ressources qui pourraient être déployées à l'appui de ce mandat, si cela devait être nécessaire.
Maj.-gén. Coates : Je dois répéter que je suis persuadé que nous avons suffisamment de ressources à déployer dans le Nord.
Vous avez soulevé l'hypothèse, sénateur, que si nous avions d'autres ressources, nous pourrions travailler différemment. Je suis toutefois persuadé que nous pourrions répliquer de façon tout à fait appropriée avec les ressources que nous avons. Nos troupes sont préparées, équipées et formées, et nous serions en mesure d'assurer un commandement efficace. Évidemment, avec différentes ressources, nous pourrions faire différentes choses.
Le sénateur Day : Ma première question est une question de clarification. Nous avons d'abord parlé des six recommandations formulées par le comité, et puis, monsieur le président, vous avez décrit les progrès réalisés à ce jour.
Est-ce que cette information provient du gouvernement ou de vous? D'où arrive cette explication?
Le président : Sénateur Day, cette information m'a été donnée par mon personnel après que je lui ai demandé un compte rendu de la situation depuis le dépôt du rapport, de façon à savoir où nous en étions aujourd'hui avec les témoins. J'ai cru pertinent de mettre les choses en contexte pour commencer.
Le sénateur Day : Dois-je présumer que les témoins étaient au courant de votre mise au point et qu'ils appuient tous les commentaires que vous avez faits?
Le président : Non, mais vous pouvez leur demander.
Le sénateur Day : C'est la question que j'aimerais leur poser, dans ce cas.
Le président : Allez-y.
Le sénateur Day : Merci. Je veux seulement mettre les choses en contexte. Vous avez entendu ce qui a été dit et vous savez maintenant d'où provient l'information. Si vous souhaitez rectifier l'un ou l'autre des points soulevés par le président en début de séance, j'espère que vous allez le faire. Vous nous avez bien expliqué les progrès réalisés à ce jour, et général Woiden, merci d'avoir fait le point sur les progrès de l'armée.
Avec le temps dont je dispose, j'aimerais vous poser une question concernant l'augmentation du nombre de Rangers, maintenant à 5 000; je pense que c'est une excellente chose. J'aimerais que chacun des Rangers aient plus d'heures de travail, mais je présume que ce n'est pas le cas; on a probablement juste augmenté le nombre de Rangers. C'est déjà un bon début.
J'aimerais savoir comment interagissent les Rangers et le personnel des autres ministères fédéraux qui travaille dans ces collectivités très éloignées. Je pense en particulier aux agents de la GRC. Il y a presque toujours des gens de la baie d'Hudson et de la GRC qui travaillent dans ces petites collectivités. Quels sont les liens entre les Rangers et la GRC, et comment collaborent-ils aux exercices annuels tenus dans le Nord?
Maj.-gén. Coates : Je vais vous répondre en deux volets, sénateur, le premier étant les liens entre les Rangers et leurs homologues fédéraux dans les collectivités où ils sont affectés. Je vais vous renvoyer à une conversation que j'ai eue il y a quelques semaines avec le surintendant principal et le commandant divisionnaire de la GRC pour les Territoires du Nord-Ouest. Nous parlions des Rangers et de leur relation avec la GRC, et il était évident que les agents qui sont sur place sont très conscients de ce que les Rangers apportent à la collectivité : leur enthousiasme, leur engagement et leurs compétences sont bien reconnus par la GRC. Et c'est vrai autant pour l'agent en détachement que pour le commandant divisionnaire de la GRC.
Je dirais que cela reflète bien la relation qu'ils entretiennent dans l'ensemble de la région.
Le deuxième volet de votre question portait sur l'intégration des Rangers dans les exercices annuels. Ils font partie intégrante des exercices que nous menons dans le Nord, notamment pour l'opération Nunakput, à laquelle participent la Garde côtière, la GRC et les Rangers, qui patrouillent le fleuve Mackenzie. L'été dernier, dans le cadre de l'opération Nanook à la baie Resolute sur l'île Cornwallis, Environnement Canada a simulé un incident de braconnage, et les patrouilles ont mis à contribution des Rangers ainsi que des membres d'un Groupe-compagnie d'intervention dans l'Arctique. Il y a une étroite collaboration à ce niveau. C'était la même chose à Iqaluit, où les Rangers ont participé à une simulation avec la Garde côtière dans le cadre de l'opération Nanook.
Je dirais que leur relation est enviable. Le général Woiden a peut-être quelque chose à ajouter.
Brig.-gén. Woiden : Un des éléments clés... vous avez parlé de la disponibilité des Rangers. Les 12 jours annuels qui leur sont accordés sont consacrés à de la formation. Un fonds distinct sert aux opérations; lorsqu'ils sont affectés à l'opération Nanook, on leur alloue des jours-personnes supplémentaires. C'est en surplus du reste.
Il y a également ce dont je vous ai parlé à ma dernière comparution, c'est-à-dire la période de développement 1 (formation de sous-officier subalterne), et la période de développement 2 (formation de sous-officier supérieur). Ce sont là aussi des périodes qui s'ajoutent à la formation. Ce n'est pas déduit des 12 jours de base — ce que j'appellerais la formation continue de base, qui est uniquement de la formation.
Il faut surtout se rappeler que les Rangers canadiens font partie de la collectivité. Ils ont déjà la formation de Rangers, car ils connaissent déjà très bien le Nord. Ils ont leur propre équipement : motoneiges, VTT, petits bateaux (peu importe le type), traîneaux à chiens, et même chevaux et mules.
Ils ont tout l'équipement nécessaire, et nous les remboursons pour l'utilisation de leur matériel.
Cela n'implique une chaîne logistique très complexe. Pour être franc, ce serait très difficile pour nous d'envoyer les bons outils de travail par avion là-bas. Ils le savent.
Sur ce plan, ils ont ce qu'il faut pour faire la liaison avec les agents locaux de la GRC, les employés locaux de Ressources naturelles Canada et des autres organisations sur place, car ils font déjà partie de la collectivité. Ce sont parfois des enseignants; bon nombre d'entre eux sont des membres en vue de leur collectivité, alors leur engagement est déjà bien présent. Et compte tenu de la nature du rôle des Rangers, ils s'occupent de l'observation et du signalement sans avoir suivi de formation.
La sénatrice Stewart Olsen : Messieurs, merci d'être ici. Je veux vous féliciter pour le programme des Rangers. J'ai eu l'occasion de les voir à l'œuvre au tout début, et je constate que le programme est maintenant beaucoup plus professionnel.
Dites-moi, prenez-vous exemple sur d'autres pays qui ont mis en place des forces comme celle-là? Je pense en particulier à la Scandinavie. Avez-vous tenu des exercices conjoints avec eux? Comment vous assurez-vous de donner à nos Rangers une expertise supplémentaire?
Je dois dire que tout cela est nouveau et que le programme se perfectionne au fur et à mesure. J'aimerais savoir si on s'appuie sur des méthodes éprouvées.
Maj.-gén. Coates : Je vais commencer et je cèderai ensuite la parole au général Woiden, puisque l'Armée de terre est responsable des Rangers. Je peux quand même vous donner un exemple de ce que j'ai vu.
Je suis aussi membre d'une table ronde sur les forces de sécurité de l'Arctique, à laquelle participent 12 autres pays, et ceux-ci sont tous jaloux de notre programme des Rangers. Je crois qu'ils aimeraient tous qu'un programme semblable voit le jour chez eux. Je suis allé au Groenland et j'ai rencontré la première ministre, qui m'a demandé comment établir un programme de Rangers là-bas. Les Inuits du Groenland ne participent pas à un programme de Rangers comme ils le font ici, ou comme le font les non-Inuits qui habitent dans le Nord. Elle a dit envier notre programme.
Je ne crois pas qu'il y ait de programme semblable à notre programme des Rangers ailleurs dans le monde. C'est une première canadienne, et nous pouvons en être très fiers.
Brig.-gén. Woiden : J'ajouterai simplement que le programme est en place depuis près de 60 ans. Il est là depuis plus longtemps qu'on ne le pense, et selon les paramètres dont je vous ai parlé, c'est un programme très bien établi. Les Rangers ont déjà l'équipement nécessaire, et comme ils habitent dans le Nord, ils ont déjà les connaissances voulues, tant sur la côte est que sur la côte ouest. C'est probablement une des choses les plus importantes. On ne se limite pas à l'Arctique. On surveille aussi les côtes.
Ils ont des compétences uniques, et à ce qu'on sache, rien ne se compare à notre programme ailleurs dans le monde. Vu la nature du rôle qu'ils jouent pour nous, les Rangers font partie de la Première réserve.
La sénatrice Stewart Olsen : C'est très intéressant de savoir ce qu'ils sont censés faire. Si vous avez quelque chose à nous envoyer par écrit, ce serait formidable. J'aimerais beaucoup avoir cela par écrit.
J'aimerais aussi savoir comment vous intégrez nos forces régulières dans les rôles de combat dans le Nord?
Maj.-gén. Coates : D'abord, nous allons prendre note...
La sénatrice Stewart Olsen : J'ai outrepassé les règles. C'était ma deuxième question.
Maj.-gén. Coates : Pour le Commandement des opérations interarmées du Canada, qu'on parle des forces terrestres, de la marine ou des forces aériennes, nos services déploient les forces nécessaires pour répondre aux exigences opérationnelles qu'on leur impose.
Pour ce qui est de la capacité de l'Armée de terre, nous lui demandons d'avoir ce qu'il faut pour survivre dans le Nord et pour soutenir les autres ministères, afin d'être en mesure d'assurer une présence et de faire des patrouilles de souveraineté. C'est ce que nous demandons à l'armée.
Vous avez parlé des rôles de combat. Nous n'avons pas formulé de demande précise à cet égard dans le Nord. Le général Woiden pourra vous en parler davantage, mais nos soldats sont formés pour le combat qu'ils soient déployés dans le Nord ou non, alors nous ne mettons pas l'accent là-dessus. Nous nous concentrons sur les compétences requises précisément dans le Nord.
Le sénateur Dallaire : Je...
Le président : Sénateur Nolin, aviez-vous une autre question?
Le sénateur Nolin : J'ai une courte question supplémentaire.
Le président : Tâchez d'être bref.
Le sénateur Dallaire : Monsieur le président, les règles étaient claires : une question par personne. J'en ai au moins une dizaine à poser, mais je me suis plié aux règles tout au long de la séance, alors j'insiste pour que mes collègues fassent de même.
Le président : Vous avez raison, sénateur. Pour les prochains...
La sénatrice Stewart Olsen : Je suis désolée.
Le président : Ça va. Nous allons suivre les règles pour les prochaines interventions. Je vais exercer la prérogative de la présidence.
Le sénateur Dallaire : Merci, monsieur le président.
Je veux revenir aux Rangers. Premièrement, pourquoi ne les utilise-t-on pas davantage sur l'eau, puisqu'ils connaissent l'environnement maritime beaucoup mieux que quiconque? Et pourquoi ne leur donne-t-on pas davantage de moyens pour faire de la surveillance maritime, entre autres? Dans ce contexte, le nombre de jours payés, 12 ou 13, est le même depuis près de 60 ans aussi. Il me semble qu'on pourrait leur payer un peu plus de jours pour leurs compétences. Ont-ils droit à une pension? Ont-ils droit à une protection contre les dommages corporels en vertu du Régime d'assurance-revenu militaire, par exemple?
Maj.-gén. Coates : Votre première question portait sur les capacités maritimes des Rangers. Comme l'indiquait le général Woiden, les Rangers utilisent leur propre équipement dans leur milieu. Peu importe le type d'équipement dont ils disposent, que ce soit un VTT ou une motoneige, c'est ce qu'ils utilisent dans l'environnement où ils se trouvent.
Nous tirons profit de cela. Lors de la visite du premier ministre dans le Nord l'an dernier, lui et son équipe ont fait le trajet en bateau avec des Rangers à partir de Gjoa Haven.
C'est une capacité que nous utilisons et que nous exploitons. À savoir si c'est suffisant ou non, la Force opérationnelle interarmées (Nord) ne m'a jamais signalé qu'il y avait des lacunes à ce niveau. Pour le moment, il semble que nous soyons en mesure de répondre aux besoins dans le Nord.
Pour ce qui est de l'autre partie de votre question, concernant le nombre de jours payés et les prestations de retraite pour les Rangers, je vais devoir demander au général Woiden de vous répondre.
Brig.-gén. Woiden : Pour revenir rapidement à la capacité maritime, nous avons différents types de patrouille. Nous demandons aux Rangers de participer à des opérations de souveraineté et à des patrouilles de subsistance, entre autres. Mais au cours des trois dernières années, on a notamment intensifié les patrouilles maritimes, que les Rangers effectuent grâce à leurs propres bateaux, encore une fois. C'est le cas pour le 1er Groupe de patrouille des Rangers canadiens, et aussi, plus récemment, pour le 5e Groupe de patrouille des Rangers canadiens. Ils ont l'équipement nécessaire et ils sont capables et formés pour répondre aux besoins maritimes locaux. Ils ont déjà les compétences voulues.
L'an dernier, j'ai vu une patrouille d'une vingtaine de navires sillonner le fleuve. Ils sont partis pour une patrouille de cinq jours avant de revenir à leur point de départ. Les capacités sont beaucoup plus grandes qu'elles ne l'étaient, aussi bien pour les traîneaux à chiens que pour les VTT. Ils utilisent différents moyens de transport.
Pour répondre à votre question sur la rémunération et les prestations, lorsque les Rangers sont déployés à des opérations, on considère qu'ils prennent part à des opérations de classe C, et en cas de blessure, ils ont droit aux mêmes avantages que les autres membres de la Première réserve. Ils sont assujettis aux mêmes exigences et ont droit aux mêmes prestations.
Pour être honnête avec vous, vous me prenez au dépourvu. Je ne me souviens pas s'ils sont admissibles au régime de retraite. Je n'en suis pas certain. Je crois que c'est conditionnel aux contributions, mais je vais vous revenir là-dessus pour vous le confirmer.
Autrement, s'ils sont en service ou en formation, ils sont considérés comme des membres à part entière de la Première réserve. Donc, s'ils participent à des opérations, ils ont droit aux mêmes avantages que les autres.
Le président : Messieurs, il nous reste du temps pour une toute petite question.
Le sénateur Nolin : Je serai très bref. Général Coates, en réponse à la question de ma collègue, la sénatrice Stewart Olsen, vous avez parlé d'une table ronde réunissant 12 pays. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet? Qui dirige cette table ronde et quels pays en font partie? Je crois que c'est une table ronde sur la sécurité.
Maj.-gén. Coates : La table ronde...
Le sénateur Nolin : Il ne s'agit pas du Conseil de l'Arctique.
Maj.-gén. Coates : Non, ce n'est pas le Conseil de l'Arctique. La table ronde a initialement été convoquée par un commandement États-Unis-Europe, en coordination avec les Forces armées norvégiennes, dans le but de réunir les pays concernés pour discuter des enjeux liés à la défense et à la sécurité dans l'Arctique. Elle est formée des huit pays du Conseil de l'Arctique, et de quatre nations supplémentaires, soit l'Angleterre, la France, l'Allemagne et les Pays-Bas.
Le sénateur Nolin : La Russie en fait-elle partie?
Maj.-gén. Coates : Oui, la Russie en fait partie.
Le sénateur Nolin : Et la Finlande?
Maj.-gén. Coates : Oui, mais pas la Chine. Nous nous sommes rencontrés en Finlande en septembre de cette année. Le groupe de travail de la table ronde se réunit environ trois fois par année, et les généraux une fois par année.
Le sénateur Nolin : Les pays du Conseil de l'Arctique sont là, mais la table ronde n'est pas dirigée par le Conseil de l'Arctique lui-même?
Maj.-gén. Coates : C'est exact.
Le sénateur Nolin : C'est intéressant.
Le président : Merci, messieurs. Vous pourriez peut-être nous faire parvenir plus d'information sur ce point précis, si vous le voulez bien, pour nous dire précisément en quoi consiste cette organisation et ce qu'elle fait au juste. Merci beaucoup d'avoir témoigné devant nous. Nous vous remercions de nous avoir aidés à faire le suivi de notre rapport précédent.
J'ai maintenant le plaisir d'accueillir l'honorable Chuck Strahl, président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité — c'est tout un titre —, et le directeur exécutif, Michael Doucet. Bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.
Comme c'est la première fois que le président et le directeur exécutif comparaissent devant le comité, nous leur souhaitons une bienvenue toute particulière.
Dans le rapport annuel 2012-2013 du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité (CSARS), vous notez que l'organisation joue le rôle de contrepoids essentiel aux pouvoirs extraordinaires dont le Parlement a investi le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).
C'est un mandat extrêmement important qui vous a été confié, et nous savons que vous prenez votre rôle très au sérieux. Au nom du comité, je vous remercie pour votre travail et je salue votre engagement, et je cite votre rapport, « à promouvoir et à enrichir le débat critique au Canada sur les objectifs et les limites du renseignement de sécurité, et les devoirs et fonctions du SCRS en la matière ». Nous savons que vous encouragez le SCRS à réaligner et à réviser toute une gamme de politiques et d'approches pour soutenir efficacement ses activités d'enquête.
Avant d'aller plus loin, je crois que M. Strahl a une déclaration préliminaire à faire. Nous disposons d'une heure pour ce groupe de témoins. Je précise encore une fois que la présidence exercera sa prérogative pour s'assurer que tous les membres du comité se limitent à une question au premier tour. Nous allons nous assurer de respecter les règles.
Monsieur Strahl, nous vous écoutons.
Chuck Strahl, président, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Merci d'avoir invité le CSARS à témoigner devant vous. C'est toujours un privilège de s'adresser à un comité parlementaire, et j'espère que mes commentaires paveront la voie à un échange productif et fertile. Je suis persuadé que ce sera le cas. L'étude que vous entreprenez tombe à point, de toute évidence, et elle nous paraît très appropriée.
Comme vous le disiez, je suis accompagné de Michael Doucet, notre directeur exécutif. Je vous transmets également les salutations des autres membres du comité, que vous connaissez peut-être. Ils ne pouvaient être des nôtres aujourd'hui, mais ils tenaient tout de même à vous saluer.
On m'a demandé de venir vous parler du rapport annuel 2012-2013 du CSARS et de vous donner un aperçu de nos constatations et de nos recommandations. Je serai heureux de le faire. J'aimerais d'abord vous donner rapidement le contexte entourant les rôles et les responsabilités du CSARS, d'autant plus que notre mandat a été légèrement élargi au cours de la dernière année, à la suite du démantèlement du Bureau de l'inspecteur général du SCRS.
Si le rôle du CSARS est relativement simple à décrire, il est plutôt complexe à exécuter. En termes simples, le CSARS a été établi pour garantir au Parlement que le SCRS assume ses fonctions dans le respect de la loi, et ce faisant, le comité s'assure que le SCRS respecte les droits et libertés fondamentaux des Canadiens lorsqu'il remplit son mandat de contrer les menaces à la sécurité nationale.
Le CSARS est la seule entité indépendante externe qui a le mandat légal et l'expertise voulue pour examiner les activités du SCRS. Autrement dit, le CSARS est une organisation indépendante du gouvernement qui ne relève d'aucun ministre en particulier, et qui rend compte directement au Parlement. De plus, le CSARS a le pouvoir absolu d'examiner toutes les activités du service, peu importe le niveau de classification des renseignements traités. Seuls les documents confidentiels du cabinet sont hors de notre portée. D'après nos interactions avec nos collègues internationaux, il est évident que le pouvoir et l'accès à l'information dont dispose le CSARS font l'envie de bon nombre de nos homologues étrangers.
Le CSARS a trois principales fonctions. La première est d'examiner les activités du SCRS. La deuxième est de certifier le rapport annuel du directeur du SCRS qui est présenté au ministre de la Sécurité publique. C'est une nouvelle responsabilité pour nous. Et la troisième consiste à examiner les plaintes. Je peux vous résumer rapidement chacune de ces fonctions.
Chaque année, le CSARS fait l'évaluation d'une vaste gamme d'activités menées par le SCRS, ce qui permet au fil du temps de bien comprendre toutes les activités du service. Puisqu'il a un effectif restreint, le CSARS doit user de stratégie dans le choix des activités à examiner, afin d'assurer au fil du temps une couverture représentative et opportune des activités du SCRS.
Le CSARS porte son attention sur différentes choses, comme certains événements ou des développements dans le domaine du renseignement de sécurité, les priorités du gouvernement en matière de renseignement de sécurité, les nouvelles orientations ou les initiatives du SCRS, et des problèmes que le CSARS relève dans l'examen des plaintes qui lui sont soumises. Tous ces éléments guident le choix des activités à examiner en priorité. Dans les dernières années, le CSARS a décidé d'examiner des questions d'actualité et des activités très précises, dont je vais vous parler dans un instant.
Dans le cadre de notre processus de certification, nous évaluons le rapport annuel que le directeur du SCRS prépare à l'intention du ministre de la Sécurité publique, dans lequel il fournit au ministre des renseignements qui l'aident à exercer la responsabilité ministérielle relative au SCRS. Le CSARS examine ce rapport afin de garantir que les activités opérationnelles du SCRS qui y sont décrites sont légales, raisonnables et nécessaires.
Enfin, CSARS mène des enquêtes sur les plaintes, lesquelles peuvent prendre plusieurs formes. En vertu de l'article 41 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le CSARS fait enquête sur toute plainte contre « des activités du Service », alors qu'aux termes de l'article 42, il examine les plaintes relatives aux refus ou aux révocations d'une habilitation de sécurité des employés et des entrepreneurs du gouvernement fédéral. Puis, moins fréquemment, le CSARS peut également mener des enquêtes sur les renvois découlant de rapports de la Commission canadienne des droits de la personne ou de ministres en vertu de la Loi sur la citoyenneté.
Le rapport annuel dont vous m'avez demandé de parler un moment est une compilation du travail entrepris pour ces trois fonctions. Le rapport annuel de 2012-2013 du CSARS comprend des résumés déclassifiés de neuf examens et cinq dossiers de plainte que nous avons examinés, ainsi que notre premier certificat. Nous avons conclu que dans l'ensemble, les activités et les enquêtes du SCRS relatives aux menaces à la sécurité nationale du Canada respectaient la primauté du droit et que le SCRS respectait son mandat. Cette évaluation était appuyée par notre premier certificat, dans lequel le CSARS concluait que les activités décrites dans le rapport étaient conformes à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et aux directives ministérielles, et constituaient un exercice raisonnable et nécessaire des pouvoirs du service. Le CSARS a cependant fait remarquer que dans ses prochains rapports, le directeur du SCRS devrait faire une description plus détaillée des deux activités prévues à l'article 16 concernant les renseignements étrangers et les activités opérationnelles à l'étranger.
Même si nous avons été généralement satisfaits du rendement du service, je prendrais quelques instants pour vous exposer certains points préoccupants que nous avons relevés dans le cadre de nos examens, ainsi que les recommandations que nous avons formulées afin de les régler.
Il n'y a aucun doute dans notre esprit que l'échange d'information est la principale question qui requiert une attention étroite et régulière de notre part. Comme les organismes de renseignements travaillent de manière plus intégrée afin de recueillir les renseignements sur les diverses menaces à la sécurité nationale, le CSARS doit examiner étroitement la manière dont le SCRS collabore et échange des renseignements avec ses partenaires nationaux et étrangers.
Le CSARS examine donc les relations entre le SCRS et le CSTC dans deux études, où il conclut qu'une collaboration accrue entre ces deux organismes risquerait fort de provoquer une diminution potentielle du contrôle qu'exerce le SCRS sur les renseignements qu'il transmet au CSTC et, par voie de conséquence, au Groupe des cinq.
Le CSARS en est arrivé à une conclusion similaire après un examen du nouveau pouvoir octroyé au moyen de mandats. Dans cet examen, le CSARS s'est penché sur les processus, les politiques et les mesures de contrôle que le SCRS a mis en place pour gérer le nouveau pouvoir, ainsi que sa collaboration et ses échanges avec ses partenaires. Nous avons constaté que ses pratiques risquent de permettre à un partenaire du Groupe des cinq d'agir indépendamment en utilisant les renseignements transmis par le SCRS. Nous avons donc recommandé que ce dernier établisse des principes globaux plus clairs et plus stricts afin de régir sa collaboration avec le CSTC et qu'il élabore un régime de restrictions et de garanties avec les partenaires du Groupe des cinq afin d'assurer un meilleur contrôle de ses renseignements.
Le CSARS s'emploie en outre à examiner les activités du SCRS à l'étranger, lesquelles sont en évolution et en croissance. Deux de nos examens portaient sur ces activités. Le CSARS a conclu que dans l'ensemble, ces initiatives de collecte de données à l'étranger étaient mesurées et prudentes, et ne s'effectuaient pas au détriment des responsabilités du SCRS au pays. Lorsqu'il a examiné l'approche du SCRS à l'égard de sa représentation à l'étranger, le CSARS a constaté qu'il existait à la fois des défis et des occasions, et a donc recommandé que le SCRS prenne des mesures pour s'assurer que ses documents internes — soit ceux qu'il utilise pour gérer plus efficacement ses partenariats étrangers — soient justes, exhaustifs, à jour et pertinents.
Parallèlement, le CSARS est conscient qu'il doit continuer d'examiner les activités du SCRS relativement aux menaces qui n'ont pas de lien avec le terrorisme. Pour cette raison, le CSARS a étudié la manière dont le SCRS réagit à la menace changeante que posent l'espionnage et l'influence étrangère. Ayant constaté qu'il est difficile de distinguer les activités clandestines et la diplomatie légitime, le CSARS a recommandé que le SCRS améliore ses politiques et ses pratiques en établissant des critères communs et cohérents afin de déterminer quand une activité passe dans le domaine clandestin.
Ces dernières années, le CSARS s'est également employé à entreprendre des examens de base sur les activités du service dans de nouveaux domaines. Cette année, le CSARS s'est intéressé à l'appui du SCRS au périmètre de sécurité du Nord du Canada, lequel constitue une priorité du gouvernement. Le CSARS a conclu que la gestion du SCRS est actuellement suffisante, mais recommande que le SCRS déploie des efforts pour affecter dans l'avenir des ressources appropriées et précises aux initiatives menées dans le Nord.
Le CSARS a enfin examiné le rôle qu'a joué le SCRS dans l'affaire de M. Abousfian Abdelrazik. Il a soulevé les préoccupations suivantes : le SCRS a divulgué à mauvais escient des renseignements classifiés, effectué une évaluation des renseignements exagérant et déformant l'information transmise aux partenaires nationaux, et communiqué trop d'informations n'ayant aucun lien avec la menace venant de gens qui n'étaient pas visés. Près de 10 ans se sont écoulés depuis que M. Abdelrazik a quitté le Canada pour la première fois. Depuis lors, le CSARS et d'autres commissions d'enquête ont formulé un certain nombre de recommandations qui pourraient s'appliquer à cette affaire. Le CSARS n'a donc fait aucune recommandation supplémentaire dans son examen, à part le résumé que je viens de lire aux fins du compte rendu.
Nous considérons toutefois que cet examen met en lumière la capacité limitée du CSARS de suivre l'information quand il la communique à d'autres ministères et organismes fédéraux. Depuis un certain nombre d'années, le CSARS affirme que même s'il dispose de pouvoirs considérables — que j'ai énumérés plus tôt — afin de se pencher sur les activités et les opérations du SCRS, son mandat se limite au SCRS. Comme les organismes de renseignements contemporains travaillent en étant de plus en plus intégrés et en échangeant toujours plus d'information, le CSARS considère qu'il devrait disposer des outils nécessaires pour suivre et examiner efficacement les activités du SCRS. Comme nous l'indiquons dans notre rapport annuel, le CSARS doit avoir à sa disposition les outils législatifs et les ressources gouvernementales à l'avenant pour que les freins et contrepoids que comprend son mandat restent pertinents et efficaces.
En fait, la consternation internationale suscitée par les révélations sur les activités de surveillance à grande échelle controversées de nos voisins américains a incité certains à exiger que les organismes de renseignements rendent davantage de comptes sur leurs activités. Il semble que les mesures pour assurer la sécurité collective après les attentats du 11 septembre n'aient été prises au détriment des droits et de la vie privée des citoyens, et qu'il faudrait surveiller davantage les activités des organismes de renseignements au Canada. Comme vous le savez, ces préoccupations ont trouvé un moyen d'expression quand certains ont réclamé une surveillance parlementaire accrue des activités de renseignement. Le CSARS espère avoir l'occasion de faire part de ses réflexions et des opinions dans le cadre de ces discussions. Entre-temps, nous continuerons d'accomplir notre travail afin de tenir le SCRS comptable de son rendement et de veiller à ce que les activités de ce service ne violent pas les droits et libertés du Canada.
Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous cet après-midi. J'aimerais clore mon propos en soulignant toute l'importance que le CSARS accorde à ses rapports avec le Parlement. J'ai indiqué précédemment que nous sommes indépendants de toute influence ministérielle et que nous faisons rapport au Parlement en tant qu'organe du Parlement. Le fait est que quand les législateurs ont créé le CSARS il y a près de 30 ans, notre rapport annuel devait constituer un moyen important pour tenir le Parlement au courant des activités du SCRS. Dans son premier rapport annuel, déposé en 1985, le comité a indiqué qu'il croyait que les parlementaires considéraient qu'il pouvait agir en leur nom pour faire en sorte que le SCRS, tout en protégeant efficacement la sécurité nationale des menaces non militaires, traite les citoyens canadiens avec justice. Près de 30 ans plus tard, le CSARS adhère toujours à cette vision, et c'est pour cette raison que nous sommes heureux de témoigner aujourd'hui. Merci de nous avoir invités à comparaître et de nous avoir accordé votre attention. Nous répondrons à vos questions avec plaisir, peu importe le sujet que vous voudrez aborder.
Le président : Merci, monsieur Strahl. Peut-être pourrais-je poser une question d'ordre général.
Vous avez fait allusion à la loi et au fait qu'elle a 30 ans cette année. Peut-être pourriez-vous nous informer un peu sur ce que vous considérez comme des lacunes dans la loi actuelle, étant donné que nous arrivons en 2014 et que la situation a considérablement évolué sur les plans des communications et des droits à la vie privée des Canadiens, lesquels sont d'une importance primordiale et relèvent de vos responsabilités. Vous pourriez également nous en dire un peu plus sur nos relations avec le SCRS par rapport au CSTC, et sur les démarches législatives que nous devrions envisager dans les prochaines années.
M. Strahl : Volontiers. Merci de me le demander. Je commencerai en disant que la loi a été rédigée il y a 30 ans en réaction au rapport de la commission MacDonald. Il faut penser qu'il y a 30 ans, Internet n'existait pas et personne n'utilisait de courriels ou d'autres fonctions. Le monde d'aujourd'hui est différent de celui d'alors.
Je devrais faire remarquer que la loi est extrêmement solide, forte et utile, et qu'à bien des égards, elle suscite l'envie d'autres pays du monde. Le CSARS a le pouvoir d'examiner tout ce que fait le SCRS. Nous pouvons accéder à n'importe quel document. Qu'il s'agisse des processus, des procédures ou des ressources humaines, nous pouvons y avoir accès. C'est un pouvoir considérable, auquel je ne vous conseillerais pas de toucher. Je crois que ce pouvoir garantit aux gens que le service ne cache pas de secrets quelque part dans ses voûtes, puisque nous avons accès à tout.
Cela dit, je ne crois pas qu'à l'époque où la loi a été rédigée, on avait prévu que les organismes de sécurité de toutes sortes devraient collaborer beaucoup et même de plus en plus. Le CSTC est donc un bon exemple. Le SCRS est avant tout un organisme qui s'occupe des renseignements humains. C'est ainsi qu'il recueille l'information et qu'il accomplit son mandat. Le CSTC est pour sa part un organisme axé sur les renseignements électromagnétiques. Il glane l'information dans le monde électromagnétique, si l'on peut dire, grâce à la surveillance électronique et, qui sait, bien d'autres choses.
Nous constatons de plus en plus que le SCRS doit s'associer à d'autres partenaires pour obtenir l'information qu'il convoite. Nous pouvons examiner tout ce que fait le SCRS. Nous avons toutefois indiqué que nous nous préoccupons de plus en plus du fait que nous finissons par frapper un mur imaginaire, si l'on veut, quand nous examinons l'ensemble des activités du SCRS, car d'autres ministères entrent maintenant en jeu. Il peut être question d'une liste d'interdiction de vol. L'ASFC ou le CSTC pourraient être concernés, mais notre pouvoir ne s'applique qu'au SCRS dans le cadre de notre processus d'examen. Le comité et le gouvernement feraient donc mieux de chercher à voir — et c'est une réalité moderne — comment nous pouvons nous assurer que lorsque nous suivons une piste en tentant de protéger les droits des Canadiens, nous ne nous heurtons pas au mur législatif qui stipule que nous ne pouvons examiner que le SCRS, même si la piste se poursuit jusqu'au CSTC, par exemple. C'est quelque chose à laquelle je vous encouragerais de réfléchir.
En outre, nombreux sont ceux qui préconisent la formation d'un comité de surveillance parlementaire, insistant sur sa nécessité et peut-être son mérite. Nous pouvons entrer dans les détails. Il ne m'appartient pas de proposer des possibilités, mais je vous exposerai avec plaisir ce que je considère comme les points positifs et négatifs de ce modèle. La loi ne prévoit toutefois rien de tel actuellement. Elle indique essentiellement que le CSARS est l'instance supérieure, si l'on veut. Ce dernier engage quantité de vieux routiers du domaine public, habituellement de toutes allégeances, et il demande pour ainsi dire au comité d'affirmer aux parlementaires que tout va bien. Aucune disposition ne prévoit de surveillance parlementaire.
Le sénateur Dallaire : Le président ayant posé une question sur le sujet, nous constatons le travail colossal que vous accomplissez en recueillant l'information et en réalisant vos évaluations, craignant que ces renseignements ne soient transmis à d'autres éléments. Vous avez parlé du Groupe des cinq, mais on collabore également avec d'autres alliés, et il faut savoir s'ils peuvent avoir accès à des documents réservés aux Canadiens. Mais comme vous le faites remarquer vous-même, le monde du renseignement est maintenant omniprésent, y compris dans les ministères, qui disposent maintenant d'agents de sécurité qui s'occupent de toute la cyberdimension. Mais vous êtes un organisme indépendant, ce qui est parfait, puisque vous avez accès à tous les documents secrets, vous pouvez évaluer si le financement du SCRS est suffisant ou si d'autres organismes obtiennent trop ou pas assez de fonds pour faire leur part dans l'exercice, et qui réunit tous ces éléments ensemble. Il est logique de faire des rapports non classifiés pour les parlementaires dans ce domaine, où les choses sont très volatiles et complexes, et où planent des menaces internes auxquelles on n'a jamais été confrontées avant, et c'est sans parler des menaces extérieures, qui sont bien plus féroces. Maintenant qu'on fait valoir que nous sommes le seul pays du Groupe des cinq où il n'y a pas de surveillance parlementaire dans les affaires classifiées, je ne vois pas en quoi cela pourrait réduire votre travail. Au contraire, il me semble que vous pourriez aider à réunir tous les autres acteurs. N'en conviendriez-vous pas?
M. Strahl : Je ne suis absolument pas en désaccord avec vous, sénateur. Je ne faisais que remarquer que la loi ne prévoit rien à ce sujet. De nos jours, les gens veulent de plus en plus de garanties ou sont de plus en plus inquiets, particulièrement en ce qui concerne leur vie privée et ce qu'il advient de leurs renseignements personnels. Il semble qu'on confonde ce qu'on lit sur les Américains et ce qui se passe chez nous, au Canada. On emmêle tout. Au bout du compte, toutefois, les gens ont besoin de garanties et veulent pouvoir être sûrs que leurs droits sont protégés et que leur vie privée est respectée.
Je crois que l'idée d'instaurer un comité de surveillance ou d'examen parlementaire pourrait avoir du bon, dépendamment de la structure. Il conviendrait alors de se demander quel serait le rôle complémentaire. Y aurait-il encore un rôle pour un organisme le CSARS, par exemple? Ce dernier entend les plaintes à titre d'organisme quasi judiciaire. Le rôle judiciaire n'est habituellement pas conféré aux parlementaires. Les deux mondes sont distincts, et avec raison. Par exemple, c'est un rôle que je proposerais de confier à un organisme comme le CSARS, parce que je doute que les parlementaires veulent agir simultanément à titre de juge, de jury et de législateurs.
Le sénateur Dallaire : Nous le faisons pour nous-mêmes, mais pas nécessairement.
M. Strahl : Je ne vais pas m'engager dans cette voie, mais ce n'est qu'une mise en garde.
En outre, il faudrait examiner diverses caractéristiques, comme la composition d'un comité parlementaire. Je suis évidemment plus familier avec la Chambre, mais la composition des comités de la Chambre tend à changer assez souvent. Comment obtiendrait-on l'autorisation de sécurité? Comment pourrait-on remplacer un membre? Que ferait- on des renseignements classifiés? Je sais, par exemple, qu'au CSARS, aucun document classifié ne sort de l'édifice. Je n'en emporte jamais à la maison pour les lire. En fait, j'arrive tôt chaque jour pour lire la documentation parce que je ne l'emporte pas à l'extérieur de l'édifice. Nous faisons extrêmement attention aux renseignements classifiés.
Un comité parlementaire devrait donc être préparé en conséquence. Si vous obtenez l'autorisation, soyez préparés. Comment traiterez-vous les documents, à quels renseignements serez-vous exposés et comment les traiterez-vous dans ce petit monde fermé? Vous le sauriez, sénateur, en raison de votre expérience antérieure, mais ce n'est pas une mince affaire. La nature de l'information tend à dicter votre conduite, l'endroit où vous pouvez tenir des audiences, le degré de sécurité de la pièce, la fréquence du balayage, les mesures à prendre pour ne pas égarer de document et ce qu'il faut faire pour séparer la sphère politique du monde de la sécurité. Une fois que vous connaissez un renseignement très secret, vous ne pouvez le communiquer. Il ne peut servir à des fins politiques. Les membres du comité doivent faire appel à leur jugement. Je crois que ce que vous dites est sage, mais il faudrait répondre à toutes ces questions pour un comité de supervision. Ce n'est pas une mince tâche, et il serait très difficile de trouver le bon équilibre. Au final, je conclus, de par ce que j'ai observé au cours des dernières années, que ce comité agirait en quelque sorte en relation ou de concert avec un organisme comme le CSARS afin de ne pas faire le travail en double.
Si je peux utiliser un exemple, notre rapport comprend notamment une étude de la décision du gouvernement de faire du Nord une priorité. Ce n'est pas un secret, c'est un fait maintenant bien connu, qui figure d'ailleurs dans le rapport. Nous disons que le gouvernement fait un travail adéquat, mais nous nous inquiétons pour l'avenir à long terme.
Mais un comité parlementaire pourrait bien affirmer qu'il a une opinion sur l'inclusion du Nord, l'élargissement de l'initiative ou l'affectation de ressources supplémentaires à cet égard. En un certain sens, je me retrouve dans ce rôle et dans notre rôle, puisque nous ne protestons pas si le gouvernement veut inclure le Nord. S'il veut agir ainsi, nous opinons du bonnet et considérons que notre tâche consiste à surveiller le gouvernement pour nous assurer qu'il fait du bon travail et que le SCRS accomplit bien son mandat. Un comité parlementaire pourrait toutefois décider qu'il veut se pencher sur la sagesse de cette idée, ce qui constitue en soi un rôle distinct. Nous n'agissons pas ainsi. L'ajout d'une instance pouvant indiquer qu'elle considère que le gouvernement devrait faire plus de ceci ou moins de cela serait le bienvenu. Nous n'avons pas tendance à emprunter cette voie, alors qu'un comité parlementaire pourrait certainement le faire.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, monsieur le ministre, de votre exposé très explicite. J'aimerais revenir à la coopération entre le SCRS et le CSTC. Quelle est la nature et l'ampleur de cette coopération en matière de contre- terrorisme et de cybersécurité?
[Traduction]
M. Strahl : Eh bien, le CSARS et le CSTC entretiennent de bonnes relations. Nous tenons régulièrement des rencontres, que ce soit entre les responsables ou entre moi et mon homologue. Nous discutons, en termes généraux, des défis que doit relever un comité d'examen, si l'on veut, ou un comité de surveillance, et nous parlons de tout ce qui concerne les pratiques exemplaires, que ce soit dans notre champ de compétences ou dans d'autres domaines. L'ennui, c'est qu'aucun des deux comités n'est autorisé à faire des recherches détaillées sur les activités de l'autre. Ils ont tous les deux publié des rapports disant essentiellement qu'ils doivent collaborer davantage, comme l'ont d'ailleurs indiqué le juge O'Connor, le juge Iacobucci et d'autres dans leurs rapports, précisant qu'il faut prévoir quelque chose à cet égard. Il a été proposé d'instaurer dans la loi un accès permettant aux comités d'examiner mutuellement leurs activités en détail au besoin. Je crois que les deux comités se sentent quelque peu — j'ignore si « frustrés » est le mot juste —, mais certainement entravés. Nous faisons preuve d'une grande circonspection. Si la loi indique clairement que nous sommes autorisés à examiner toutes les activités du SCRS, mais ne fait nulle mention du CSTC, alors nous examinons tout ce que fait le SCRS. Outre les grandes généralités, nous n'avons pas l'impression d'avoir le pouvoir d'examiner en profondeur les activités du CSTC. Quand on s'adresse à nous, nous ne commençons pas à dévoiler ce que nous avons entendu lors d'une audience. Nous ne le faisons pas, car nous n'y sommes pas autorisés.
Pour répondre à votre question, nous avons de bons rapports. Nous collaborons bien au niveau supérieur, mais nous comprenons de plus en plus que nos univers se chevauchent passablement et que nous devons trouver de meilleures méthodes pour pouvoir tous les deux sortir des sentiers battus quand il le faut, si je peux me permettre cette expression, parce que de temps en temps, la piste ne s'arrêtera nettement pas à la porte du SCRS. Elle se poursuit non seulement dans le CSTC, mais également dans d'autres organismes, qui, par nécessité de nos jours, travaillent étroitement avec le SCRS. Nous devrons donc de plus en plus pouvoir suivre ces pistes, sinon nous devrons dire aux parlementaires que, pour autant que nous sachions, tout va bien du côté du SCRS, mais que nous ignorons ce qui se passe ailleurs; ce sera à eux de voir ce qu'il en est. Ce n'est pas très probant pour les parlementaires qui veulent savoir que les droits sont protégés et que la protection de la vie privée est primordiale, puisque nous ne pouvons fournir de garanties ou faire enquête à ce sujet au-delà de cette limite imaginaire qu'impose la loi. Je me répète, je crois, mais c'est quelque chose de très réel, et même s'il n'y a pas de crise, la situation deviendra de plus en plus évidente. Je prédis que tous les rapports annuels en feront état jusqu'à ce qu'elle soit corrigée.
Le sénateur Mitchell : Vos propos sur la question de la supervision politique m'ont grandement intéressé. Ma question viserait en fait à clarifier et à souligner ce point. Il me semble que vous avez indiqué, au début de votre exposé, que le CSARS est chargé d'examiner l'application des priorités du gouvernement en matière de renseignements, soulignant que ce n'est certainement pas un secret que l'Arctique en fait partie. Je parie qu'il y en a bien d'autres priorités qui sont classifiées.
Ainsi, même si vous assumez en grande partie une fonction de vérification — une tâche que je ne veux en rien dévaloriser, car elle est importante, comme vous l'avez souligné, je crois —, vous ne pouvez formuler de commentaires précisément sur la fonction stratégique importante de l'établissement des priorités, pas plus qu'un autre organisme ne pourrait le faire. Cette tâche conviendrait toutefois parfaitement à un organe parlementaire, qui disposerait des pouvoirs législatifs et politiques, et de l'autorité en matière de politique publique pour remettre en question cet ensemble de priorités, lequel n'est donc pas vraiment mis en doute à l'extérieur du cabinet du ministre.
M. Strahl : Je crois qu'il y a du vrai dans vos propos. La difficulté consiste toujours à déterminer comment on structurera cet organe parlementaire pour que peu importe qui le compose, peut-être des membres des deux chambres ou de la Chambre et du Sénat — j'ignore de quoi pareil organisme aurait l'air —, il puisse exécuter son mandat de manière à pouvoir offrir aux Canadiens et aux parlementaires d'autres garanties qu'il y a eu un examen non seulement de la fonction de vérification, comme vous l'avez appelée, mais également de la fonction stratégique.
Je sais que le projet de loi d'initiative parlementaire déposé à la Chambre propose par exemple la création d'un comité qui examinerait toutes les questions que le ministre lui soumettrait. Ce serait bon également, mais ce n'est pas ce que vous décrivez. Ce n'est pas un organisme indépendant. Je regarderai la question sous l'angle d'un organe indépendant composé d'experts ou d'un examen réalisé par les parlementaires, car de cet angle, le ministre renvoie des questions au comité, qui examine tout ce qu'il ou elle lui soumet. Voilà pourquoi il faudra réfléchir longuement à la question pour en arriver à la composition adéquate. Si l'objectif consiste à fournir des garanties aux parlementaires et, par l'entremise du Parlement, au Canada, alors il faut que le processus de supervision parlementaire soit suffisamment indépendant pour qu'il n'en devienne pas un de supervision ministérielle.
Je ne m'en prends pas au ministre. Il peut en fait nous diriger, puisqu'il a le pouvoir de nous dire quoi examiner. C'est utile. Par le passé, ce pouvoir a parfois été utilisé dans certains dossiers à grand retentissement. Il n'y a rien de mal à cela. Mais comme nous sommes également complètement indépendants, nous pourrions nous pencher sur la question et peut-être huit autres affaires dont le ministre n'a jamais eu vent jusqu'à ce qu'elles fassent l'objet d'un examen.
Si un comité de supervision ou d'examen parlementaire fait partie de la réponse, je crois qu'il vous faudrait le structurer soigneusement pour qu'il ne rende pas des comptes seulement au ministre, même si ce dernier doit recevoir des garanties, comme nous le faisons dans la certification de la lettre du directeur du SCRS. Le ministre a ainsi certaines garanties que l'organisme respecte les règles. Mais si l'objectif consiste à faire un rapport indépendant au Parlement, alors il ne faut pas seulement répondre au ministre; il faut également que les parlementaires, indépendamment du monde ministériel, puissent dire qu'ils veulent pouvoir examiner les politiques, les budgets, les priorités et d'autres éléments.
J'ai suffisamment d'expérience pour savoir que personne n'agit de manière désinvolte à cet égard, mais cela montre qu'il faut pouvoir examiner les questions en détail et ne pas se contenter de la première chose qui nous tombe sous les yeux ou même d'un autre modèle. Je pense au modèle des Américains, qui font évidemment du bon travail. Fait intéressant, dans ce modèle, le comité de surveillance de la sécurité se réunit moins que les autres comités.
Il n'a aucune valeur politique. Une fois qu'on a constitué le comité et qu'il n'a aucune fonction politique, on peut discuter. Une fois qu'on est informé, on ne peut poser de questions au ministre.
Le sénateur Mitchell : Voilà qui convient parfaitement au Sénat.
M. Strahl : De la même manière qu'il faut faire attention à ce qu'on souhaite parce qu'on pourrait bien l'obtenir, dans le cas présent, une fois que vous détenez des renseignements très secrets, vous ne pouvez plus défendre vos électeurs, votre région, votre province ou qui que ce soit d'autre en déclarant que vous êtes horrifiés par ce qui se passe quelque part, parce que vous ne pouvez dévoiler ces renseignements.
Il faut faire attention à ce qu'on demande. Autrement dit, assurez-vous de structurer soigneusement ce comité pour qu'il ne soit pas plus une entrave qu'une aide. Tout dépend de ce que vous voulez accomplir, mais si vous voulez rassurer les parlementaires et, par leur entremise, les Canadiens, si c'est là votre objectif, je crois alors que la manière dont il faut structurer le comité devient plus évidente. Si vous voulez autre chose, comme obtenir de l'information pour vous en servir, alors je vous prédis que cela ne fonctionnera pas.
Le sénateur Wells : Merci beaucoup de votre exposé jusqu'à présent. J'ignore si cette question s'adresse à M. Strahl ou à M. Doucet. Je vous laisse choisir lequel d'entre vous est le mieux habilité à y répondre.
Les menaces transcendent les frontières; nous devons donc faire appel à nos partenaires du Groupe des cinq, un groupe qui semble clairement plus fort que la somme de ses parties.
Dans le rôle d'examen du CSARS, comment définit-on la limite entre ce qui doit être fait pour protéger le Canada des menaces et la protection des droits et de la vie privée des Canadiens? Est-ce défini en fonction des mandats, des protocoles normaux en matière de renseignements? Comment cela fonctionne-t-il? Il existe un équilibre quelque part.
M. Strahl : Je vais tenter de répondre et peut-être que M. Doucet voudra ajouter quelque chose.
Il ne fait aucun doute que la relation avec le Groupe des cinq est très particulière. Je dirais que, particulièrement dans le cas du CSTC, c'est probablement très important parce que le Groupe des cinq tend à partager les renseignements et la méthode de collecte parce que, à ce que je comprends, il n'existe pas vraiment d'autre façon de faire. Nous ne nous mêlons pas des affaires du CSTC, évidemment, mais je crois comprendre qu'il n'y a en fait presque aucune autre manière de procéder. Nous partageons des problèmes internationaux ayant des implications internationales avec nos alliés les plus fiables, qui forment le Groupe des cinq. Nous avons la chance d'en faire partie, et je crois que c'est une partie nécessaire du système de sécurité du Canada.
Ce que nous avons décrit... je veux choisir soigneusement mes mots ici. Nous demandons seulement au SCRS de s'assurer que quand il collabore avec nos alliés du Groupe des cinq, il fasse les mises en garde appropriées concernant les renseignements qu'il transmet pour qu'ils soient utilisés à bon escient. Le SCRS doit échanger de l'information, mais il arrive qu'on s'inquiète simplement d'une activité quelconque au pays et qu'il faille collaborer à ce sujet, sans vouloir ensuite communiquer les renseignements que le SCRS a recueillis sur quelqu'un. Ces renseignements sont transmis au système du Groupe des cinq, puis communiqués à tous, alors qu'ils ne sont peut-être importants que pour un seul pays, pour vous et moi.
Par exemple, le service a, avec un de nos partenaires du Groupe des cinq, instauré une excellente série de mises en garde et de protocoles très explicites et solides afin de s'assurer que les renseignements transmis ne sont pas communiqués à d'autres. Nous lui avons fait remarquer que puisqu'il échange de plus en plus d'information, il doit établir ces types de mises en garde et de protocoles avec tous nos partenaires du Groupe des cinq afin de régir la manière dont l'information sera utilisée et ce qu'il en adviendra par la suite. Nous ne voulons pas nous investir dans cette collaboration et perdre la maîtrise de la situation, si l'on veut.
C'est ce que nous craignons. Nous n'avons toutefois pas de preuves montrant qu'on agit de façon inadéquate ou avec de mauvaises intentions. Le SCRS dispose déjà d'un bon exemple de protocoles et de convention, si l'on peut dire. Plus qu'une convention, même, il s'agit de documents légaux qui permettent d'assurer la protection de l'information. Nous considérons que ces mesures sont bonnes, mais qu'elles doivent être adoptées par tous les partenaires du Groupe des cinq, les quatre autres, pour que nous soyons assurés que les renseignements sont protégés et que les Canadiens puissent être sûrs que l'information qui est communiquée à un n'est pas transmise aux autres. C'est vraiment le point préoccupant que nous avons mis en lumière dans le rapport.
Monsieur Doucet, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
Michael Doucet, directeur exécutif, Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité : Je séparerais peut-être votre question en commençant par les relations internationales du SCRS et la collecte de renseignement humain, le SCRS prendra, selon nous, des décisions très structurées sur les mises en garde, comme l'a indiqué le président, et sur la manière dont il échange les renseignements humains. Si on ajoute à l'équation ses rapports avec le CSTC, auquel il fournit de l'information pour ce que nous appellerions le ciblage, il y a bien franchement une perte de contrôle de cette information.
Il est très clair que d'autres pays utilisent l'information pour leur propre intérêt national, et rien ne peut les empêcher de le faire. Les méthodes de diffusion changent à l'échelle nationale et internationale, et le SCRS doit donc être très prudent et savoir à qui il communique les renseignements et de quelle façon il le fait et, comme je l'ai dit, faire attention à la perte de contrôle.
Le sénateur Wells : Merci.
Le sénateur Day : J'aimerais savoir comment on détermine les priorités quant aux activités qui ont lieu. Vous parlez de la communication à cet égard, ce qui est très intéressant.
Au départ, qui se rencontrent pour déterminer à quel endroit les activités doivent avoir lieu? Vous ne pouvez pas tout faire. Quel type de relation a le SCRS et le Centre de la sécurité des télécommunications Canada dans l'établissement des priorités, et dans quelle mesure sont-ils influencés par des acteurs externes? Cédons-nous en partie notre possibilité d'établir des priorités au Canada en raison de nos liens avec le Groupe des cinq? Êtes-vous en mesure de me répondre?
M. Strahl : Je vais encore être le premier à essayer de vous répondre.
Je ne peux pas vraiment parler du CSTC. Je pense qu'il comparaîtra devant vous bientôt, et c'est donc une bonne question pour ses représentants, à savoir, de quelle façon le CSTC établit ses priorités concernant le Groupe des cinq. Je vais les laisser répondre à votre question.
En ce qui concerne le SCRS, le ministre qui en est responsable lui donne des directives au sujet des priorités. Par exemple, s'il s'agit de contre-ingérence, de contre-terrorisme ou, comme nous l'avons dit, d'accroître la sécurité dans le Nord, c'est la décision du ministre. Je ne sais pas exactement comment il tire ses conclusions, ni à qui il s'adresse. Nul doute que des discussions ont lieu entre lui et le directeur du SCRS, et Dieu sait qui d'autre, mais les directives sur les priorités sont données par le ministre, au moyen de directives ministérielles.
M. Doucet : Je pense que c'est exact. Merci.
Je dirais également que les priorités changent en fonction des événements qui surviennent sur les scènes nationale et internationale. Lorsque le Canada est l'hôte d'un événement, comme les Olympiques ou un sommet économique, les priorités changent pour soutenir ces activités. Le service change sciemment ses priorités pour tenir compte de celles du gouvernement en fonction des activités qui ont lieu au Canada ou à l'étranger.
M. Strahl : Si vous me le permettez, monsieur le président, j'ajouterais que bien entendu, rien de tout cela ne détermine ce que nous examinons. Nous examinons ce que nous voulons. Le ministre ne nous donne aucune directive à cet égard. Il pourrait à l'occasion nous demander de nous pencher sur un dossier de grande importance. Ce n'est jamais arrivé depuis que je suis en poste, mais c'est arrivé auparavant.
En général, je peux dire que nous analysons de façon systématique tous les volets du SCRS, de façon continue. Nous examinons les pouvoirs octroyés au moyen de mandat et nous faisons un suivi deux ans plus tard pour nous assurer qu'il y a eu des améliorations. Entre-temps, nous examinons d'autres questions.
Nous étudions toute une série de questions en fonction de nos propres recherches et des plaintes qui ont été soumises au ministère et, comme je l'ai dit, en vertu de la loi, un ministre peut nous donner des directives également. En tant que membres du comité, nous établissons nos activités, les cinq d'entre nous, en collaboration avec le personnel, et nous établissons un plan de travail chaque année. Il peut être modifié si c'est nécessaire, mais nous le faisons de façon indépendante et en fonction de notre volonté de régulariser des problèmes que nous avons déjà soulevés et sur lesquels nous voulons faire un suivi; des événements actuels ou des questions qui ont fait l'objet de plaintes ou d'examens qui nous ont indiqué qu'il nous fallait obtenir plus de renseignements ou étudier certaines questions.
Le sénateur Day : J'aimerais obtenir une précision — et c'est vraiment tout ce que je veux. Pourriez-vous examiner l'établissement des priorités pour les activités?
M. Strahl : Oui. Nous pouvons examiner n'importe quoi, mais comme je l'ai déjà dit, nous voulons toujours savoir si de nouveaux pouvoirs ont été accordés. Vous avez parlé des nouveaux pouvoirs octroyés au moyen de mandat. Lorsque de nouveaux pouvoirs sont conférés, nous faisons un examen dès le début ainsi qu'un suivi pour savoir de quelle façon ils sont appliqués.
En général, nous ne mettons pas en doute les priorités du gouvernement. Il a son ensemble de priorités. Nous avons le nôtre pour ce qui est des examens. Nous ne faisons que rechercher de l'information, et souvent, nous l'examinons en fonction de nos impressions, dans le cadre de notre travail, si nous voyons que quelque chose n'est pas traité de façon satisfaisante ou soulève des préoccupations chez nos chercheurs ou notre conseiller juridique, par exemple. Nous ne contestons pas les décisions du gouvernement; je n'ai jamais écrit au ministre pour lui dire qu'il n'a pas établi les bonnes priorités. Nous estimons que c'est une décision politique. On pourrait poser la question à la Chambre des communes. On pourrait demander au gouvernement quelles sont ses priorités et pourquoi il fait telle chose. C'est une bonne question de nature politique à poser, mais nous n'avons pas l'habitude de le faire dans le cadre de notre travail.
Le sénateur Segal : Permettez-moi seulement de vous dire que je pense que tous les Canadiens sont chanceux que vous soyez président du CSARS. J'ignore comment on vous a incité à sortir d'une retraite paisible après avoir si bien servi le pays en tant que ministre et député.
M. Strahl : C'est de l'information classifiée.
Le sénateur Segal : Oui, mais peu importe comment cela s'est passé, je suis ravi que vous ayez accepté.
Monsieur le président, vous avez parlé des examens, des plaintes. Vous avez parlé de choses qui sont, pour l'essentiel, rétrospectives, et qui se rapportent aux dispositions législatives décrivant les activités du CSARS. Lorsque le président du Comité britannique du renseignement et de la sécurité, sir Malcolm Rifkind, a rencontré le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme il y a quelques années, il a décrit ces fonctions. Il a également décrit une fonction selon laquelle des dirigeants peuvent venir parler au comité, en toute confidentialité, de leurs problèmes de manière prospective, de problèmes auxquels ils sont confrontés, de questions de ressources, de planification et de budget. C'était considéré comme une partie normative de leur mission. Le comité est en place depuis maintenant 19 ans, et il s'agit d'un comité mixte de parlementaires — de la Chambre des lords, de la Chambre des communes; de gens venant de divers milieux, d'anciens chefs de police qui siègent à la Chambre des lords, de secrétaires du Cabinet, de chefs d'état-major de la défense, d'anciens ministres de l'Intérieur, de secrétaires de l'intérieur, de tous les partis —, et il n'y a eu aucune fuite : 19 ans sans qu'il n'y ait de fuite. À mon avis, c'est une réalisation importante.
D'après ce que vous nous avez dit aussi franchement, et je vous en suis très reconnaissant, il me semble que vous ne remettez pas en question le bien-fondé d'un tel processus. Il faut faire très attention à la façon dont c'est structuré, mais cela ne nuirait pas à votre mandat, qui est, en fait, assez différent. Je veux seulement m'assurer de bien comprendre ce que vous dites.
M. Strahl : Après la présentation de notre rapport, j'ai fait une entrevue, et on m'a demandé ce que je pensais des idées qui circulaient au sujet d'une composante de surveillance. J'ai dit que, d'après mon expérience à la Chambre des communes, dans une autre vie, chaque fois qu'on débat ouvertement de toutes sortes de questions, c'est une bonne journée. Je pense que la discussion qui a eu lieu, pour une raison ou une autre — pour de nombreuses raisons, j'imagine, dont les révélations de M. Snowden et d'autres choses qui se sont passées non seulement dans notre pays, mais ailleurs —, est non seulement inévitable, mais est aussi une bonne chose. C'est une bonne chose d'évaluer des dispositions législatives qui remontent à 30 ans pour voir s'il est possible de les améliorer.
Pour bon nombre de raisons, je pense que les mesures prises pour en faire l'examen arrivent à point nommé, en raison de ce qu'indiquent notre rapport et d'autres rapports et de ce que nous lisons dans les journaux, ce qui n'est pas vraiment une bonne façon de concevoir des mesures législatives, mais cela nous rappelle à quel point c'est complexe. Ma seule réserve à cet égard, sénateur, c'est qu'il faut faire preuve de prudence, car on veut faire les choses le mieux possible. Si l'objectif est de garantir aux parlementaires et aux Canadiens que nous effectuons de bons examens et une meilleure surveillance, alors cela peut être conçu ainsi. D'un autre côté, s'il s'agit de journalisme d'enquête ou d'opportunisme politique, je ne crois pas que cela fonctionnera, car les enjeux sont trop importants et il risque d'y avoir de l'abus dans ce cas.
Si les sénateurs et les députés en viennent à établir cet objectif, je ne vois pas en quoi cela ne peut pas fonctionner de pair avec le travail du CSARS. Je crois que cela pourrait être assez complémentaire. Ce que j'espère et ce que je propose, si c'est mis à exécution, c'est qu'en fin de compte, tant de façon non officielle et entre le personnel et le greffier, par exemple, et les chercheurs, ou lors de comparutions devant le comité, nous vous faisions part de ce qui fonctionne bien pour nous, d'après notre expérience. Nous faisons même des recherches sur la façon dont les choses fonctionnent ailleurs, ce qui est bien. Il y a des choses à apprendre, surtout dans les traditions parlementaires qui existent ailleurs, sur la base desquelles nous avons créé notre propre modèle de Westminster. On n'a pas à réinventer la roue; il ne suffit que d'ajouter ce qu'il manque.
Le président : Il ne faut pas oublier que la présente réunion du comité fait partie du processus de surveillance parlementaire.
M. Strahl : C'est vrai.
Le président : C'est une occasion en soi. Nous ne devrions pas l'oublier. Il nous faudrait peut-être un peu plus qu'une heure, mais elle en fournit le cadre.
Si possible, j'aimerais discuter d'un autre aspect — et vous en avez parlé à un certain nombre de reprises — le nouveau pouvoir octroyé au moyen de mandat. Il ne nous reste que deux ou trois minutes, mais vous pourriez nous expliquer en quoi cela consiste exactement. Est-ce que cela renforce la protection de la vie privée des Canadiens et y contribue? C'est l'un des principes ultimes — faire en sorte que la vie privée des Canadiens soit bien protégée. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet.
M. Strahl : Nous avons fait un examen du nouveau pouvoir octroyé au moyen de mandat en vertu de l'article 21 et l'avons inclus dans notre rapport. En 2009, la Cour fédérale a accédé à la demande du SCRS d'obtenir de nouveaux pouvoirs octroyés au moyen de mandat. Il s'agissait de faire en sorte que le service puisse continuer à suivre les cibles qui représentent une menace pour le Canada lorsqu'elles voyagent à l'étranger. Nous nous sommes penchés sur la façon dont le SCRS gérait ce nouveau pouvoir et nous avons essayé d'évaluer son utilité et de déterminer s'il ouvrait la porte à des abus. C'est relativement nouveau.
Il faut dire que — et une question précédente portait en partie là-dessus — le SCRS mise souvent sur les organisations du renseignement d'origine électromagnétique de la communauté du Groupe des cinq lorsqu'il a besoin d'obtenir des renseignements. Le juge Mosley l'a soulevé récemment dans son rapport public et il nous a donné des renseignements classifiés que notre service juridique étudie également pour voir dans quelle mesure c'est bon. Nous avons conclu que miser sur les ressources de partenaires présente des avantages opérationnels. Il n'y a vraiment pas d'autres façons de le faire. Par contre, les ententes posent le risque dont j'ai parlé tout à l'heure : cela donne la possibilité au partenaire du Groupe des cinq d'agir indépendamment sur la base des renseignements provenant du SCRS. Ce que nous avons dit au sujet du nouveau pouvoir, c'est que le SCRS a créé un régime de mises en garde, de garanties et de protocole, mais qu'il ne l'utilise qu'avec un seul de ses partenaires du Groupe des cinq.
Ces cinq partenaires sont nos meilleurs alliés. Ce n'est pas comme s'ils causaient des problèmes dans notre monde. Cependant, en ce qui concerne le SCRS, nous avons dit qu'il fallait qu'il étende l'usage des mises en garde, des protocoles et des garanties aux autres partenaires, de sorte que la norme rigoureuse que nous appliquons pour un partenaire soit utilisée avec tous les autres. Nous faisons confiance à nos alliés, à nos meilleurs alliés — il le faut —, mais s'il n'y a aucun protocole en place, s'il n'y a aucune garantie, aucune information sur ce que le SCRS veut qu'il advienne des renseignements une fois qu'ils ont été fournis, alors on peut se demander ce qui se passera. Nous lui avons dit que puisqu'il avait très bien fait les choses dans un cas, il devrait étendre la mesure pour ainsi être en bonne position.
Le président : Merci beaucoup. Au nom de tous mes collègues, je veux vous dire que nous saluons le travail que vous faites pour les Canadiens et à quel point c'est important pour chacun d'eux en ce qui concerne la protection de leur vie privée. Je vous remercie de l'engagement que vous avez pris, monsieur Strahl; vous avez siégé au conseil des ministres et maintenant, vous faites ce travail en notre nom.
Les membres du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense sont très heureux d'accueillir le nouveau commissaire du Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, l'honorable Jean- Pierre Plouffe; et le directeur exécutif du bureau, M. William Galbraith.
Messieurs, on vous a donné un mandat très sérieux — surveiller les activités du Centre de la sécurité des télécommunications et vous assurer qu'elles sont conformes à la loi et que la protection de la vie privée des Canadiens est protégée. En lisant votre rapport annuel, j'ai été ravi d'apprendre que depuis 1997, 92 p. 100 des recommandations du commissaire ont été acceptées et mises en œuvre, et je dois dire que c'est un bilan très impressionnant. Toutefois, nous constatons qu'il y a encore beaucoup d'obstacles à surmonter dans le domaine de la sécurité et de la surveillance des renseignements.
Nous allons en discuter, mais je crois que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Je vous invite à la faire maintenant, et nous passerons aux questions par la suite. Nous disposons d'une heure. Allez-y, s'il vous plaît.
L'honorable Jean-Pierre Plouffe, commissaire, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Merci, monsieur le président, monsieur le vice-président, et madame et messieurs les membres du comité.
[Français]
Monsieur le président, si vous n'avez pas d'objection, je vais procéder dans la langue de Molière, c'est-à-dire en français.
Dans un premier temps, je vous remercie de me donner l'occasion de vous rencontrer si tôt après mon entrée en fonction. En effet, j'ai été nommé commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications seulement le 18 octobre dernier, et ce, pour un terme de trois ans.
C'est un travail à temps partiel et à cet égard, il me semble de bon aloi que je sois accompagné aujourd'hui par le directeur général de mon bureau, M. William Galbraith, lequel est des plus expérimentés dans le domaine du renseignement.
Permettez-moi d'abord de me présenter avant de vous faire part de mon mandat, pour ensuite vous faire des commentaires sur certains sujets d'intérêt. J'ai obtenu une licence en droit et une maîtrise en droit public de l'Université d'Ottawa, c'est-à-dire en droit constitutionnel et en droit international.
J'ai commencé ma carrière de juriste au ministère de la Défense nationale, soit avec le bureau du juge avocat général, et après neuf ans de service et quelques mutations en Allemagne, à Winnipeg et à Ottawa, je quittais la force régulière en 1976 avec le grade de lieutenant-colonel et je suis demeuré tout de même dans la force de réserve active jusqu'en 1996. Et durant toutes ces années, j'ai eu l'occasion d'agir plusieurs fois en tant que juge militaire.
Dans la vie civile, j'ai fait partie d'un cabinet d'avocat. J'ai été chef d'un cabinet d'un ministre fédéral — je ne vous dis pas lequel — pour être ensuite nommé juge de la Cour provinciale du Québec en 1982, juge de la Cour supérieure du Québec en 1990 et juge de la Cour martiale d'appel en 2013.
Ma fonction de juge au cours de ces 30 dernières années m'a amené à trancher des litiges en fonction de la loi, avec impartialité et indépendance. En 2000, le ministre de la Défense nationale me nommait membre du comité de sélection des juges militaires, poste que j'occupe encore aujourd'hui.
Le mandat du commissaire tel que décrit à l'article 273.63 de la Loi sur la défense nationale est le suivant : d'entrée de jeu, j'aimerais mentionner que le commissaire est nommé par le gouverneur en conseil à titre inamovible, et ce, pour une période maximale de cinq ans. Vous noterez que l'expression « à titre inamovible » ou en anglais « during good behavior » est la même que celle employée lors de la nomination des juges.
Pourquoi? Je pense que c'est pour assurer, comme pour les juges, le caractère d'indépendance du commissaire. À cet égard, depuis 2008, le bureau du commissaire est un organisme autonome et indépendant doté de son propre crédit parlementaire.
Qu'en est-il du mandat du commissaire en tant que tel? Dans un premier temps, c'est de procéder à des examens concernant les activités du CST ou du Centre de sécurité pour les télécommunications pour en contrôler la légalité.
Dans un deuxième temps, faire des enquêtes que le commissaire estime nécessaires à la suite de réception de plaintes. Et troisièmement, informer le ministre de la Défense nationale et le procureur général du Canada de tous les cas où, à son avis, le CST pourrait ne pas avoir agi en conformité avec la loi.
Enfin, le commissaire adresse au ministre de la Défense nationale une fois l'an, un rapport sur l'exercice de ses activités. Ce rapport est déposé par la suite par le ministre devant la Chambre des communes et le Sénat. J'espère que vous avez en main une copie du rapport annuel 2012-2013 — le but était de vous distribuer une copie, laquelle naturellement a été signée par mon prédécesseur, le commissaire Décary.
Le rapport annuel du commissaire et le site web de mon bureau, lesquels sont publics, cernent bien le rôle du commissaire, ses activités ainsi que ses recommandations. C'est donc un rôle absolument fascinant qu'est appelé à jouer le commissaire afin de concilier, d'une part, le droit des Canadiens au respect de leur vie privée, et d'autre part, ce qui est très important aussi, le besoin de collecte de renseignements étrangers afin d'assurer la sécurité du Canada. J'ajoute que pour bien saisir mon rôle, il faut bien comprendre le mandat du CST et ses limites, c'est-à-dire l'agence que nous surveillons, si on peut dire.
En bref, les fonctions du CST sont les suivantes : faire la collecte de renseignements électromagnétiques étrangers, aider à protéger les renseignements électromagnétiques et les infrastructures d'information importantes pour le gouvernement du Canada et apporter un soutien technique et opérationnel aux organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité, tel la GRC, le SCRS.
Les renseignements révélés par M. Snowden créent de la nouvelle souvent sensationnelle pour les médias. Malheureusement, ces renseignements sont trop souvent, à mon sens, cités ou pris hors contexte; ce qui devient alors de la mauvaise information.
À ce sujet, un des objectifs recherchés par mon bureau est de contribuer à clarifier cette information et à la corriger si nécessaire, afin qu'elle devienne un mythe. J'avoue cependant que nous avons affaire à un domaine complexe tant à cause de certaines ambiguïtés dans la loi que de la technologie en constante évolution et de la croissance du CST.
Les employés du CST, que j'ai rencontré jusqu'à maintenant, me semblent animés par un désir sincère d'atteindre leurs objectifs de travail et ce, tel que prescrit par la loi. À cet égard, il m'appartient donc de m'assurer qu'ils font leur travail en conformité avec la loi, les directives du ministre de la Défense et que dans leur mandat d'assistance aux organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité tel le SCRS, par exemple, ils n'excèdent pas les limites que la loi impose à ces mêmes organismes.
Enfin, quelques mots sur un sujet d'actualité, soit la décision récente du juge Mosley de la Cour fédérale, concernant les mandats du SCRS. Je sais que M. Strahl vous en a parlé tout à l'heure. Je vais aborder cela d'un point de vue plus juridique pour vous faire comprendre cette décision en bref, et voir un peu dans quel sens le bureau du commissaire est intervenu en amont.
En 2009, le juge Mosley a lancé un mandat permettant l'interception depuis le Canada, et c'est très important, de communications de deux Canadiens en territoire étranger par le SCRS, avec l'assistance du CST, et ces mandats ont été renouvelés à quelques occasions par la suite. Dans le rapport 2012-2013 de mon prédécesseur dont vous avez copie, le commissaire Décary a recommandé, je cite :
Le CST conseille au SCRS de fournir à la Cour fédérale certaines preuves supplémentaires, quant à la nature et à l'ampleur de l'aide qu'il peut apporter au SCRS.
Cette recommandation a été faite pourquoi? Pour s'assurer que l'aide donnée par le CST au SCRS soit conforme à la loi et respecte les limites du mandat émis par la Cour fédérale.
Suite à cette recommandation, le juge Mosley a convoqué de nouveau les procureurs du SCRS et du CST afin d'obtenir des explications supplémentaires à ce sujet. Dans sa décision récente, le juge Mosley a conclu que le SCRS avait manqué à son devoir de « candeur » — c'est le mot anglais, que l'on traduit en français par « la bonne foi la plus absolue ».
Comment? De quelle façon a-t-il manqué à ce devoir de candeur ou de bonne foi absolue? C'est en ne divulguant pas de l'information qui était pertinente à l'exercice de la compétence ou de la juridiction de la cour, d'une part, et aussi à la détermination par la cour que les critères exigés par la loi quant à la nécessité des méthodes d'enquête et aussi de l'impraticabilité de d'autres méthodes d'enquête étaient satisfaits. C'est très juridique, mais c'est ce que le juge Mosley mentionne dans la version publique de son jugement — car il y a aussi une version classifiée du jugement.
Le SCRS, dans sa demande de mandat, dans sa requête pour obtenir l'émission d'un mandat, avait omis de mentionner qu'il avait demandé l'aide de ses alliés, par l'intermédiaire du CST, pour faire l'interception de télécommunications des deux Canadiens en territoire étranger.
J'ai mentionné cette décision et j'ai tenté de la résumer le mieux possible. C'est donc une décision qui touche à plusieurs niveaux d'activités : d'une part, la collaboration entre le SCRS et le CST, la collaboration entre le CST et ses alliés, en particulier la NSA américain, c'est-à-dire National Security Agency, et aussi la collaboration entre mon bureau et l'organisme chargé de surveiller les activités du SCRS, soit le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité que préside M. Strahl. Mon prédécesseur a déjà référé au président du CSARS des questions à ce sujet, lesquelles ont été soumises à son appréciation pour qu'il en dispose de la façon qu'il estime la plus appropriée.
Ce qui précède démontre bien, selon moi, que la fonction d'examen — ce qu'on appelle en anglais « review » — de mon bureau est efficace et que la collaboration entre les organismes d'examen ou de surveillance que sont mon bureau et le CSARS produit des effets positifs.
Vous me permettrez en terminant de saluer le travail formidable de l'équipe qui m'entoure, dont le directeur exécutif M. Galbraith. Ce sont des gens compétents, travailleurs, consciencieux et dévoués à leur mission. Ils ont fort habilement facilité mon entrée dans ce monde fascinant, mais combien complexe, des renseignements étrangers.
Je suis gré également à M. John Forster, chef du CST, qui met en place toute une série de séances d'information, lesquelles me permettent de mieux comprendre le rôle et les activités du CST. Je suis conscient toutefois que mon apprentissage à cet égard ne fait que commencer.
Ceci termine mon allocution. Il nous fera plaisir maintenant de répondre à vos questions. Comme je vous le disais, si vous n'avez pas d'objection, je vais me fier pas mal au directeur exécutif pour répondre à plusieurs des questions, étant donné mon entrée en fonction des plus récentes.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie beaucoup de vos observations. Je veux vous dire que nous comprenons que vous venez à peine d'entrer en fonction. Au nom de tout le monde ici, je peux vous dire que nous sommes heureux que vous l'ayez fait. Ce sera une expérience intéressante au cours des trois prochaines années, mais à bien des égards, je crois que ce sera un travail très exigeant.
Si vous me le permettez, je veux seulement poser une question à M. Galbraith. Encore une fois, il s'agit de la vie privée des Canadiens et de s'assurer qu'elle est protégée et reconnue.
Comment le CSTC traite-t-il les métadonnées, ce qui inclut les adresses de protocole Internet et les numéros de téléphone? Sont-elles traitées comme des communications privées dans le cadre de vos responsabilités?
J. William Galbraith, directeur exécutif, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications : Les métadonnées ne sont pas définies comme une communication privée. Cependant, certaines métadonnées peuvent révéler l'identité de personnes. Nous examinons les métadonnées qui contiennent des renseignements sur l'identité, de façon similaire au contenu des communications privées, et nous examinons les activités du CSTC de sorte que lorsqu'il traite des métadonnées, il prenne les mesures voulues pour protéger l'information pouvant permettre d'identifier des Canadiens.
Le CSTC utilise des métadonnées pour examiner et cibler des entités étrangères présentant un intérêt en matière de renseignement. Il ne peut pas utiliser les métadonnées de la même façon dont il utiliserait les communications privées. Comme je l'ai dit, c'est pour l'aider à repérer des entités présentant un intérêt pour le renseignement étranger, conformément aux priorités du gouvernement en matière de renseignements. Cependant, tout renseignement recueilli par le CSTC qui révèle l'identité des Canadiens doit être géré de façon à ce qu'il soit protégé et détruit après un certain temps. Lorsque nous examinons ces activités, c'est ce que nous cherchons dans les différentes bases de données et nous vérifions où l'information est conservée et de quelle façon elle a été trouvée.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Monsieur Plouffe, j'aimerais comprendre pourquoi nous sommes soucieux du SCRS, qui a maintenant des mandats à l'occasion assez exceptionnels, qui fait appel à vous, en particulier SIGINT, dans le groupe des cinq. Pourquoi serait-ce un souci d'utiliser vos ressources pour atteindre leurs objectifs de sécurité, sachant que vous avez tout de même un mandat de sécurité non seulement intérieur mais extérieur, et eux sont très limités dans leur capacité extérieure? J'ai encore de la difficulté à comprendre pourquoi c'est un problème.
M. Plouffe : Le SCRS a une juridiction territoriale qui se limite au Canada, alors que le CST, que l'on surveille, a finalement une juridiction étrangère. Si le SCRS, en accomplissant ses activités, pense avoir besoin de l'aide de pays alliés, il doit nécessairement passer par le CST, parce que c'est le CST qui fait affaire avec les alliés.
Dans le cas du jugement Mosley, c'est ce qui est arrivé. À un moment donné, le SCRS a demandé l'assistance du CST parce que les deux personnes en particulier étaient à l'étranger. Malheureusement, à ce moment, le SCRS n'a pas dévoilé au juge Mosley qu'on voulait faire appel à l'aide de nos alliés, soit le groupe des cinq.
C'est légal pour le CST, par exemple, de faire appel à nos alliés des Five Eyes. Cependant, dans ce contexte, ici, un mandat avait été émis par la cour, qui spécifiait de façon claire et précise que toutes les activités devaient se faire au Canada et à partir du Canada, et non pas à l'étranger. C'est en ce sens que le juge Mosley de la Cour fédérale a dit : « Vous manquez un peu de la plus grande bonne foi absolue parce que vous ne m'avez pas divulgué cette information qui peut être pertinente pour moi ».
Comme juge émetteur du mandat en question, il doit s'assurer, premièrement, qu'il a juridiction. Une cour au Canada a seulement une juridiction territoriale qui se limite au Canada, en principe. Dans un deuxième temps, également, le juge émetteur du mandat de perquisition doit s'assurer — et j'en ai fait plusieurs en droit criminel, c'est la même chose — qu'il n'y a pas d'autres méthodes d'enquête existantes; et dans ce cas-ci il y en avait peut-être une, autrement dit demander de l'aide aux pays alliés.
C'est pourquoi le juge Mosley a dit : « Vous auriez dû me mentionner cela, parce que peut-être que je n'aurais pas émis le mandat » — peut-être qu'il l'aurait émis quand même, on ne le saura jamais, finalement. C'est un peu ça l'idée. Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Dallaire : Oui, c'est juste la complémentarité de la chose qui me semble normale, mais je comprends la définition des responsabilités, qui demanderait à être revue, sûrement.
M. Plouffe : Oui.
[Traduction]
Le sénateur Segal : Je veux vous poser une question au sujet du déséquilibre possible entre votre mandat légal et les ressources dont vous disposez pour protéger les Canadiens des excès possibles. Je crois avoir lu dans des documents que l'organisme que vous devez surveiller est composé de milliers d'employés. Comme tout le monde ici le comprendra, la nature de la technologie qu'il utilise a nettement changé, ce qui a mené à un point d'accès énorme. Je présume que, comme c'est souvent le cas, avant votre arrivée et depuis votre arrivée, le nombre de personnes dans votre organisme n'a pas augmenté par rapport au processus de surveillance. En fait, la plupart des Canadiens sont ravis que nous ayons deux bons organismes de la sécurité, le SCRS et le CSTC, qui assurent notre sécurité et qui veulent collaborer avec nos alliés en ce sens. La plupart des Canadiens pensent que leurs activités doivent être surveillées de près. Dans le cadre de votre nomination, fort heureusement pour nous, vous assumez cette lourde tâche au nom de la loi, de notre Constitution et des gens. Cela dit, croyez-vous que le déséquilibre entre les ressources vous permet de le faire, malgré le travail énorme que votre personnel et vous faites, par rapport au défi comme tel?
[Français]
M. Plouffe : Merci, sénateur. C'est une question à laquelle je m'attendais, celle de la grosseur de mon bureau comparativement à la grosseur du bureau du CST, qui est composé de milliers d'employés.
Selon le mandat actuel, je pense que nous avons suffisamment de personnel pour mener à bien notre mission. Je me suis également posé cette question lors de mon entrée en fonction. C'est d'ailleurs un point de réflexion, et je vais vérifier dans les prochains mois, pour m'en assurer, que nous avons les ressources adéquates compte tenu des projets d'examens en cours.
J'aimerais mentionner que le personnel du bureau a augmenté au fil des ans, de huit, il y a cinq ans, à onze en 2013. En plus, nous utilisons un certain nombre de contractuels, cinq ou six, dont deux font des examens, en anglais : reviews. Actuellement, je pense que nous avons le personnel requis pour bien remplir notre mission. Maintenant, si on devait élargir notre mandat ce serait une autre paire de manches. Ce serait complètement différent.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : Ma question concerne votre organisme et le CSARS. Compte tenu de votre fonction de vérification, dans quelle mesure comptez-vous sur le CSTC pour obtenir des renseignements. Autrement dit, avez-vous directement accès à ses données ou devez-vous passer par lui, et si c'est le cas, comment savez-vous si vous obtenez tout ce dont vous avez besoin?
M. Plouffe : Je vais laisser le directeur exécutif répondre à la question. J'ai préparé une réponse, mais il vous donnera plus de renseignements à cet égard. La réponse, c'est oui.
M. Galbraith : Le processus d'examen débute avec la décision d'examiner une activité. Au début de l'examen, nous lui demandons les renseignements — les documents. Nous demandons aux gens qui mènent l'activité quels sont les fondements juridiques de son exécution. Il est possible que nous demandions de l'information aux responsables de l'activité. Lorsque nous avons recueilli les données, elles sont examinées. Il est possible que nous rencontrions certains individus — des analystes et des gestionnaires. Nous faisons une comparaison avec les données que nous avons. Par la suite, nous vérifions dans ses systèmes de données et ses systèmes informatiques si l'information fournie correspond au contenu du système — à ce qu'il a indiqué.
M. Plouffe : Nous avons un accès complet et direct aux systèmes.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Plouffe pour votre présentation. Je vous laisserai décider si vous voulez répondre à ma question ou si vous préférez laisser répondre M. Galbraith.
Depuis quelque temps le BCCST a demandé des modifications à la Loi sur la défense nationale. Pourriez-vous m'expliquer la nature de ces modifications et, le cas échéant, pourquoi vous croyez que ces modifications seraient nécessaires?
M. Plouffe : En effet, c'est plutôt le directeur, M. Galbraith, qui peut vous répondre, car les propositions d'amendements ont été faites il y a déjà quelques années et dorment actuellement sur le bureau de quelqu'un, quelque part. On m'indique qu'on est en train de réactiver tout cela, les modifications à la Loi sur la défense nationale qui nous concerne. Apparemment, on peut espérer qu'en 2014 elles seront adoptées.
M. Galbraith : Tous les commissaires ont évalué la loi comme telle et les activités. Ils ont identifié des ambiguïtés dans la loi, en particulier, par exemple, la définition dans les autorisations ministérielles, des activités ou classes d'activités. Il y avait des différences entre les interprétations du ministère de la Justice et le commissaire. Alors, pour clarifier ces ambiguïtés, les commissaires ont demandé des amendements, pour aligner les activités et la loi, pour clarifier la possibilité également de vérifier, d'examiner les activités du CST selon la loi.
M. Plouffe : Est-ce que cela répond un peu à votre question?
Le sénateur Dagenais : Oui, c'est parfait. Merci, monsieur Galbraith.
[Traduction]
Le sénateur White : Je m'excuse d'être arrivé tard.
Je vous remercie beaucoup de votre exposé. Ma question porte sur certaines activités de M. Snowden, je suppose. Je sais que dans d'autres pays — l'Australie, par exemple —, on discute sérieusement de la façon de contrecarrer cela ou dont on amène les employés à passer des examens sur l'intégrité, par exemple, plus souvent qu'on le faisait, dans le cas de M. Snowden, par exemple, car sinon, il ne serait pas allé aussi loin.
Sans entrer dans les détails, j'aimerais savoir si vous croyez que votre organisme peut en faire davantage et s'il a pris d'autres mesures pour faire en sorte que quelque chose comme cela ne se produise pas, du moins, pas à un tel niveau.
M. Galbraith : C'est le type de question qu'il faudrait poser au CSTC.
Le sénateur White : Dans le cas du CSTC, je sais qu'on en a discuté; je suis certain que des discussions ont eu lieu.
M. Galbraith : Oui. Des examens de sécurité ont déjà eu lieu au CSTC, mais c'est en grande partie fait à l'interne.
Le sénateur White : On en tient certainement compte dans le cadre de la vérification ou de la surveillance pour s'assurer qu'on répond aux attentes, non? Je n'essaie pas de lancer un débat. Il n'y a pas de représentant du CSTC ici présentement.
M. Galbraith : Pour ce qui est du respect de la loi, le commissaire examine les activités relatives au renseignement étranger, les trois mandats principaux que doit remplir le CSTC conformément à la loi, ce sur quoi portent les activités du commissaire, dont la protection de la vie privée. La sécurité interne est du ressort du chef du CSTC.
Le sénateur White : Vous ne vous pencheriez donc pas sur la question?
M. Galbraith : Non, le commissaire ne le fait pas.
Le sénateur Dallaire : Vous étiez ici lorsque nous avons parlé de l'encadrement législatif du SCRS. La question que nous avons soulevée ou essayé d'expliquer, c'est qu'il y a toute une panoplie de services de renseignements, et il y en a même qui sont créés maintenant dans les ministères avec les agents de sécurité, et cetera. De plus, il y a l'importante recherche de sources et le recoupement des capacités, ainsi que les menaces au pays et à l'extérieur auxquelles nous sommes confrontés parce que nous ne sommes plus dans le contexte presque simple de la guerre froide.
Vous opposez-vous à ce que nous créions une capacité sur le plan législatif? Le volet exécutif ne me pose aucun problème. Les gens doivent faire leur travail. Je parle cependant d'un volet législatif, non seulement pour protéger les libertés civiles de notre population, mais aussi pour mieux comprendre les évaluations des menaces et savoir si ces interactions sont aussi efficaces qu'elles devraient l'être étant donné qu'elles peuvent faire partie de toutes les capacités qu'on a.
[Français]
M. Plouffe : Si je comprends bien la question, sénateur, vous nous demandez si, par exemple, un comité de parlementaires serait utile.
Le sénateur Dallaire : Un comité parlementaire qui aurait accès à tout le matériel classifié, pas seulement comme nous ici qui sommes aveugles.
M. Plouffe : C'est une décision politique, mais je vais quand même vous donner une réponse.
Dans le domaine militaire, on est assez direct; entre anciens militaires, on se connaît. Cela pourrait être utile puisque, en faisant cela, il y aurait un engagement plus poussé des parlementaires. C'est toujours souhaitable d'avoir un engagement plus poussé des parlementaires dans le domaine, par exemple, de la sécurité.
On voit, de par ce qui se passe aux États-Unis, que ce n'est pas une panacée. Si on regarde aux États-Unis, ils ont des comités du Congrès, mais ces comités, composés de parlementaires, n'ont pas empêché les excès dont on parle maintenant dans les médias depuis les révélations de M. Snowden.
Ma réponse, en bref, c'est de dire qu'avant de penser à un comité de parlementaires très spécifique sur le sujet, peut- être pourrait-on penser à utiliser les ressources existantes à meilleur escient, par exemple votre comité et le comité de la Chambre des communes qui est votre contrepartie. Je pense qu'il y aurait moyen de faire un bon bout de chemin en faisant cela. Peut-être, plus tard, si on réalise une fois que c'est fait que ce n'est pas suffisant, qu'on pourrait peut-être alors penser à un comité de parlementaires. Mais comme je le disais, ce n'est pas une panacée; ce n'est pas absolu, cette chose-là.
[Traduction]
Le président : Si vous me le permettez, j'aimerais revenir à la question du sénateur White concernant les employés pour ce qui est du respect des lignes directrices qu'ils sont tenus de suivre, et de leur attestation de sécurité, de sorte que nous ne nous retrouvons pas dans une situation comme celle qui s'est produite dans le cas de M. Snowden.
Si votre bureau ne demande pas à ce qu'on s'assure que le régime est mis en place ou amélioré quant à l'intégrité du système, qui le fait? Qui surveille l'organisme pour s'assurer que les employés font ce qu'ils sont censés faire et respectent les règles de sécurité que nous, en tant que Canadiens, leur demandons de respecter; et nous les payons pour qu'ils le fassent. Qui surveille ce volet?
M. Galbraith : Le CSTC a un système de règles sur la conformité à l'interne selon lequel les gestionnaires doivent s'assurer que les employés respectent les politiques internes. Nous sommes en train de faire un examen du régime de surveillance de la conformité du CSTC. Toutefois, il s'agit de vérifier si le travail du CSTC respecte la loi en ce qui concerne son mandat touchant la collecte de renseignements étrangers, la cybersécurité et l'assistance aux organismes chargés de l'application de la loi et de la sécurité.
Pour ce qui est de la sécurité interne, la question qui a été soulevée par le sénateur White, c'est entièrement du ressort du chef, soit du ministre responsable du CSTC au bout du compte. Si le commissaire examinait les questions de sécurité interne, qui dépassent les questions de conformité que nous devons examiner, ce serait quelque chose de supplémentaire. Le CSTC a des politiques et des directives en matière de sécurité, et il incombe aux gestionnaires de s'assurer qu'elles sont respectées.
Le président : De toute évidence, il faudrait donc demander directement au CSTC de quelle façon il s'y conforme et si des changements sont effectués.
Le sénateur White : Pour être honnête, je voulais qu'on m'encourage, ou qu'on m'assure que nous ne nous retrouverons pas dans une situation semblable à celle des États-Unis. Je dois être honnête; rien ne m'encourage ou ne me rassure pour l'instant. J'aimerais que quelqu'un me dise que nous avons discuté avec nos homologues américains, et que nous avons trouvé des moyens d'améliorer les tests d'intégrité, par exemple, ce qui fonctionne très bien dans certains pays. Peu importe à qui nous posons ces questions, j'aimerais qu'on me réponde, qu'il s'agisse du ministre ou du CSTC, que nous ne vivrons pas le même cauchemar que les États-Unis, qui a des répercussions sur nous également.
Le président : Ce n'était pas une question, mais bien une observation, n'est-ce pas?
Le sénateur White : Oui, mais je l'ai faite sous forme de question.
Le président : Nous passons à une autre question. Sénateur Mitchell.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur le président, et il s'agira bel et bien d'une question.
Le sénateur White : C'est comme le jeu Jeopardy.
Le sénateur Mitchell : Vous voulez la réponse. Le CSTC a pour mandat de réaliser ses activités de renseignement en fonction des priorités du gouvernement du Canada. Elles doivent faire l'objet de vérifications. Pourriez-vous nous donner une idée des priorités établies pour le CSTC et la façon qu'il en est informé?
M. Galbraith : Le gouvernement détermine quelles sont les priorités en matière de renseignement. Le premier volet du mandat du CSTC est de recueillir du renseignement étranger en conformité avec les priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement. Les priorités sont établies par le cabinet. Le ministre de la Défense nationale informe le CSTC des priorités par une directive ministérielle, ce qui ressemble à ce que M. Strahl a indiqué au sujet du CSARS tout à l'heure, je crois.
Le sénateur Mitchell : Vous ne remettez donc pas en question ces priorités. Votre responsabilité est de vous assurer qu'elles sont respectées et appliquées en fonction des intentions du gouvernement.
M. Plouffe : Exactement.
Le sénateur Dallaire : J'ai rencontré des membres de diasporas au pays, qui viennent de pays dans lesquels il y a encore des conflits et dont les liens avec leur famille, les enjeux politiques, par exemple, sont encore très forts. On fait du recrutement; il y a des communications entre les diasporas et des éléments dans ces pays qui vivent encore des conflits. Vous avez la responsabilité pour le SIGINT, et le SCRS a accès à vos renseignements. Je tiens pour acquis que c'est la même chose à l'interne. Avez-vous des protocoles distincts pour faire en sorte que les libertés civiles des gens du pays ne sont pas piétinées en raison d'une menace perçue pouvant être créée dans la collectivité pour intervenir à l'étranger?
M. Plouffe : Je vais laisser M. Galbraith répondre, mais le CSTC a la responsabilité pour ce qui est du SIGINT.
Le sénateur Dallaire : D'accord; il en a la responsabilité complète.
M. Galbraith : Le CSTC recueille ses renseignements conformément aux priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement. On peut s'attendre à ce que le contre-terrorisme soit une priorité, mais les rapports que le CSTC prépare à partir des renseignements étrangers qu'il recueille sont envoyés aux clients du gouvernement du Canada. Si des gens sont menacés au Canada, si c'est bien ce que vous...
Le sénateur Dallaire : Non, je parlais des gens au Canada qui deviennent une menace.
M. Galbraith : Cela relève du service national du renseignement de sécurité, du SCRS.
Le sénateur Dallaire : Vous le lui fournissez pour ce qui est du SIGINT, n'est-ce pas?
M. Galbraith : Le CSTC présente peut-être des rapports qui porteront là-dessus, qui porterait sur ces questions qui seraient soumises au SCRS, ou à un autre organisme.
Le sénateur Dallaire : Existe-t-il des protocoles pour la protection des membres de ces diasporas, par exemple, entre le CSTC et le SCRS, que vous surveillez et dont on ne veut pas, ou peut-être dont on veut, en cette ère de la Patriot Act, par exemple?
M. Galbraith : Les activités du CSTC ne viseraient personne au Canada. Il s'agirait du SCRS, le service de renseignement de sécurité : la menace au sein d'une diaspora, d'une collectivité immigrante au Canada.
Le sénateur Dallaire : Oui, mais vous recueillez les renseignements.
M. Galbraith : Les renseignements étrangers.
Le sénateur Dallaire : On parle aussi des renseignements nationaux ici.
Le sénateur Segal : Je veux remercier M. Plouffe d'avoir suggéré que nous travaillions dans le cadre de la structure actuelle. Bien entendu, le problème, c'est que notre structure actuelle, qu'il s'agisse de la Chambre des communes ou du Sénat, ne nous permet pas d'avoir accès à d'importants renseignements le moindrement classifiés. J'en comprends les raisons et je les respecte, mais dans le cadre de notre rôle de surveillance, nous sommes nettement désavantagés par rapport au Royaume-Uni, à la France, à l'Allemagne, à l'Australie, aux Pays-Bas et à bon nombre de nos alliés de l'OTAN, qui se demandent, comme l'a fait Sir Malcolm lors de sa dernière visite, pourquoi le Canada serait le dernier pays à établir une surveillance législative alors que tous les autres ont pu faire en sorte que cela fonctionne?
Je ne suis pas en train d'insinuer que vous êtes contre une surveillance législative. Ce que je dis, c'est que le comité fait son travail et, par exemple, au cours des cinq dernières années, j'ai participé à divers de ces comités, et il n'est jamais arrivé qu'un témoin nous parle de la nature de l'attribution des métadonnées. Elle me semble rationnelle, mais le comité n'a jamais eu l'occasion de faire un travail utile à cet égard.
Je vous remercie de la suggestion, mais je pense que vous êtes en mesure de comprendre, après réflexion, le sentiment de frustration que nous éprouvons dans ce contexte.
C'est une question; vous êtes libre d'y répondre.
[Français]
M. Plouffe : Je comprends sénateur, et je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites. Je saisis un peu la frustration des membres du comité parce que vous n'avez pas la cote de sécurité nécessaire pour qu'on puisse entrer dans les détails pour vous expliquer un paquet de choses. Si on pouvait le faire, ce serait beaucoup plus facile en effet.
[Traduction]
Le président : J'aimerais parler d'un autre sujet, si vous me le permettez, car nous terminerons bientôt. J'aimerais vous lire un extrait de la page 20 du rapport annuel, dans lequel on présente les points saillants des six rapports d'examens présentés au ministre en 2012-2013 :
La majorité des activités du Centre que j'ai examinées ne présentait aucun problème. Toutefois, un petit nombre de dossiers suggéraient la possibilité que des Canadiens aient été visés par certaines activités, ce qui est contraire à la loi. Certains dossiers du Centre relatifs à ces activités n'étaient pas clairs ou étaient incomplets. Après un examen minutieux et approfondi, je n'ai pas pu parvenir à une conclusion définitive sur la conformité ou non à la loi.
Je ne citerai pas le passage, mais par la suite, on a fait des recommandations qui ont été communiquées au président du CSARS au sujet de questions générales.
Pourriez-vous nous dire exactement où en sont les choses à l'heure actuelle? Ma question s'adresse à M. Galbraith.
M. Galbraith : Monsieur le président, cela a mené à un examen de suivi, qui est en cours. M. Strahl ferait un suivi sur les questions que le commissaire Décary a renvoyées au CSARS.
L'examen entrepris porte sur l'échange d'information entre le CSTC et le SCRS, et le bureau du commissaire peut faire un suivi jusqu'au moment où elle passe au SCRS. À ce moment-là, il s'agissait des questions que le commissaire du CST, le prédécesseur de M. Plouffe, avait renvoyées au président du CSARS pour qu'il y ait un suivi. Pour ce qui est de savoir où en sont les choses, concernant l'examen du CSARS, il faudrait le demander au président du CSARS. Le commissaire Plouffe a examiné le plan de travail actuel que nous avons en place, et il y a un suivi sur ces activités; on essaie de s'assurer que les recommandations sur la clarté liée à l'échange d'information entre le CSTC et le SCRS sont corrigées par les organismes.
M. Plouffe : Cela veut probablement dire que le prochain rapport annuel contiendra des renseignements sur le suivi. Un examen a été entamé, et au cours des prochains mois, nous aurons des réponses, que nous communiquerons au ministre de la Défense nationale. Il en sera question également dans mon prochain rapport annuel.
Le président : Monsieur, nous espérons que le prochain rapport contiendra ces réponses.
Je vois qu'il est 19 heures, et je voudrais donc remercier nos témoins de leur présence. Nous en avons appris beaucoup, et je suis sûr que vous reviendrez. Je pense qu'il est très pertinent que les Canadiens sachent quels sont vos responsabilités et vos devoirs envers eux exactement, et nous voulons nous assurer que tous les Canadiens sont conscients de l'importance du travail que vous effectuez. Merci beaucoup.
Nos derniers témoins d'aujourd'hui représentent le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : la commissaire par intérim, Mme Chantal Bernier; et l'analyste en politiques stratégiques, M. Christopher Prince.
Un peu plus tôt aujourd'hui, nous avons entendu le témoignage de M. Strahl, président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité; et de M. Plouffe, commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications.
Madame Bernier, monsieur Prince, nous sommes très heureux de vous accueillir. Nous croyons comprendre que vous avez un exposé à nous présenter.
[Français]
Chantal Bernier, commissaire intérimaire à la protection de la vie privée, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Bonsoir monsieur le président et membres du comité. Je vous remercie de cette invitation à vous faire part de notre point de vue sur le rapport annuel du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité, le CSARS, sous l'angle de la protection des renseignements personnels.
Je tiens à mentionner d'entrée de jeu, qu'à mon avis et cela a été soulevé tout au cours des discussions que vous avez eues ce soir, nous devrions tenir un débat de société pour recalibrer la relation entre la protection de la vie privée et la sécurité.
J'ai noté par exemple la remarque de M. Strahl disant que :
[Traduction]
[...] chaque fois qu'on débat ouvertement de toutes sortes de questions, c'est une bonne journée.
[Français]
Je souscris à cette proposition et ce débat ne peut avoir lieu qu'avec la participation du Parlement. Je tiens donc à vous féliciter de tenir cette étude approfondie de l'excellent rapport annuel du CSARS.
Je voudrais également exprimer ma satisfaction au nombre de fois que j'ai entendu, durant cette discussion, l'intérêt que vous portez pour le respect de la vie privée.
[Traduction]
Tout d'abord, permettez-moi de vous décrire le mandat du Commissariat à la protection de la vie privée : surveiller la conformité avec la Loi sur la protection des renseignements personnels, régissant le secteur public, et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, régulant le secteur privé, dont les dispositions s'appliquent notamment aux pratiques des organismes de sécurité canadiens en matière de renseignements personnels.
Certaines exceptions autorisent les organismes de sécurité à recueillir, à utiliser et à communiquer les renseignements personnels des Canadiens, et à leur refuser l'accès à leurs renseignements personnels dans certaines circonstances; le recours à ces exceptions demeure toutefois assujetti à un examen par le Commissariat. Par exemple, nous enquêtons sur les plaintes, nous examinons les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée et nous analysons les politiques sur lesquelles nous vous conseillons.
Nous notons aussi les mandats connexes du CSARS et du Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications du Canada.
Il est dans l'ordre des choses que le domaine spécialisé de la collecte de renseignements par des experts fasse l'objet d'un examen spécialisé. Cependant, il est préoccupant — et nous l'avons entendu ce soir — de savoir que les deux organismes d'examen que je viens de nommer ont exprimé des réserves quant aux limites de leur mandat.
J'attire votre attention aux pages 16 et 17 du rapport du CSARS, dont l'honorable Chuck Strahl a cité un passage tout à l'heure, dans lequel on mentionne le « fusionnement accru des mondes du renseignement d'origine humaine (HUMINT) et du renseignement d'origine électromagnétique (SIGINT), mondes autrefois bien distincts ». Il mentionne aussi qu'une collaboration accrue entre ces domaines pourrait « conduire à la perte potentielle de contrôle sur l'information partagée ».
L'honorable Robert Décary a fait une observation connexe dans son dernier rapport : « tandis que le CSTC et le SCRS collaborent et mènent des actions conjointes, mon bureau et le CSARS n'ont pas la possibilité de mener une enquête conjointe ».
Le CSARS et le commissaire du CST ont tous les deux réalisé des examens dans lesquels on laisse entendre qu'il y aurait un échange d'information continu à grande échelle entre des membres de la communauté du renseignement qui sortent du cadre de leur examen, en partie parce qu'ils n'ont pas facilement accès à certains renseignements des organismes qu'ils surveillent, et en partie parce qu'ils ne peuvent pas se communiquer entre eux des renseignements sur des cas précis.
On a entendu très récemment des échos de ces préoccupations concernant le manque de clarté et de contrôle dans une ordonnance déclassifiée de la Cour fédérale du Canada, dans laquelle le juge Mosley a souligné le sérieux « manque de franchise », comme vient de le souligner l'honorable Jean-Pierre Plouffe.
Prises ensemble, toutes ces observations soulèvent des questions en ce qui a trait à la gouvernance générale de reddition de compte des activités liées à la sécurité nationale, y compris en ce qui a trait à la collecte, à l'utilisation et à la communication, au Canada et à l'étranger, d'une énorme quantité de renseignements personnels sur les Canadiennes et les Canadiens.
Nous croyons que le système canadien actuel de surveillance du renseignement se révèle aujourd'hui excessivement cloisonné et confiné par les lois. Cette situation nuit sérieusement à la responsabilisation et pourrait menacer la protection de la vie privée. Nous ne voulons surtout pas que se reproduisent les événements ayant mené à une décennie de commissions d'enquête au Canada. Nous avons plutôt besoin d'une approche mieux intégrée pour l'examen du renseignement et de la sécurité à l'échelle nationale.
L'amélioration de la supervision des activités du renseignement nécessite des processus d'examen élargis pour assurer la conformité et renforcer les mécanismes de présentation de rapports pour informer la population canadienne.
J'ai remarqué que le comité s'intéresse à la question de la surveillance, et je suis heureuse de vous dire qu'au cours de l'année à venir, le commissariat présentera au Parlement une analyse et des recommandations concrètes à ce sujet. En fait, nous sommes sur le point de consulter le commissaire du CST et le CSARS au sujet des recommandations. Ils pourront donc vous donner leur avis lorsque vous les rencontrerez.
[Français]
En conclusion, j'aimerais vous laisser sur une pensée tirée du rapport du comité de surveillance que vous étudiez. De nombreux intervenants des secteurs de la sécurité et du commerce affirment souvent que le droit à la vie privée n'existe plus. Il est important d'écarter cette assertion simpliste. Le droit à la vie privée est un besoin viscéral, central à l'intégrité personnelle, et la protection de ce droit est essentielle à une société libre et démocratique.
Le respect de ce droit dans le nouveau cadre politique et technologique des activités de renseignements est donc une question fondamentale pour la sécurité nationale au XXIe siècle.
En résumé, et comme je le mentionnais en introduction, nous croyons qu'en cette nouvelle ère de collecte de renseignements et de surveillance en réseau, caractérisée selon le rapport du CSARS par l'inévitabilité de l'interconnexion technologique, le Canada doit adopter une approche elle-même constituée en réseau pour ce qui est de la supervision et de l'examen des activités de surveillance.
Je vous remercie et il me fera plaisir de répondre à toutes vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup, madame Bernier. J'aimerais vous poser la première question, si vous me le permettez. J'ai posé la même à notre témoin précédent.
Dans le rapport annuel de 2012-2013 du commissaire du CST, il est question de la communication des métadonnées. Cela inclut-il des adresses de protocole Internet et des numéros de téléphones que le SCRS et le CSTC communiquent entre eux? Je pense que vous avez entendu la question.
Vous venez d'annoncer que vous présenterez des recommandations et, évidemment, vous avez embauché des spécialistes pour pouvoir tirer des conclusions. Avez-vous constaté que les dispositions législatives canadiennes en matière de protection des renseignements personnels ne protègent pas suffisamment les métadonnées? Que peut-on faire de plus pour garantir la protection des renseignements personnels, si c'est le cas?
Mme Bernier : En fait, ce n'est pas tout à fait là-dessus que nous nous concentrons. Dans l'analyse que vous recevrez au cours des prochaines semaines, je l'espère, nous avons examiné, théoriquement et concrètement, les structures actuelles et nous avons essayé de déterminer si elles correspondent aux changements dans la collecte de renseignements — en ce qui concerne la nature de la menace et la capacité technologique. Compte tenu de la façon dont la collecte de renseignements a changé, on peut se demander si la structure de surveillance à cet égard convient aux enjeux actuels.
Effectivement, nous posons ces questions à des spécialistes, comme vous le dites, et nous vous ferons des suggestions — en fait, des recommandations — pour moderniser la structure de surveillance.
Il ne s'agit donc pas d'une analyse de cas d'activités précises.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Depuis le début de la séance, on n'a pratiquement pas parlé du passage de l'information. Ce passage de l'information comporte nécessairement des risques qui compromettent nos sources d'information. Êtes- vous en mesure de voir si, au contraire, les gens sont en train de diffuser l'information appropriée pour répondre aux besoins complexes de sécurité d'aujourd'hui?
Ou au contraire, une fois soucieux du fait que tout le monde peut avoir accès à tout, sont-ils en train de se refermer et de moins communiquer les informations et les analyses d'informations à d'autres agences ou autres ministères qui en auraient besoin?
Mme Bernier : Je ne pourrais pas vous dire que nous avons fait précisément une étude là-dessus, à savoir s'il y a une sorte d'effet qui inhibe l'échange d'informations. Tant dans la population qu'au sein des institutions, on constate une prise de conscience face à la vulnérabilité de l'information sur les plateformes technologiques actuelles. De ce côté, on voit qu'il y a une discipline qui se développe et qui correspond à la vulnérabilité de l'information.
Ceci étant dit, comme vous le dites si bien dans la prémisse à votre question, la capacité de disséminer l'information, de façon rapide, à un volume et une ampleur sans précédent, nous force effectivement à repenser les protections parce que le risque change.
Donc, forcément, il va falloir que les institutions adoptent de nouvelles protections, de nouvelles pratiques d'échange pour s'assurer que justement les risques d'atteinte à la vie privée soient bien gérés, qu'on ne dissémine que l'information pertinente, qui est donc justifiée, et que ce soit proportionnel. D'ailleurs, le cas par exemple de M. Abdelrazik, dont il est question dans le rapport, montre bien comment il y a eu, au départ, dissémination d'informations inexactes et trop répandues. Il y a donc au départ une violation du droit à la vie privée qui, comme on le sait, a eu des conséquences significatives.
[Traduction]
Le sénateur Segal : Avec tout le respect que je vous dois, je dois vous dire que je vous trouve assez optimiste. Permettez-moi de vous donner un point de vue, et j'aimerais que vous me donniez votre avis.
Pour l'essentiel, je dirais que les événements du 11 septembre 2011 ont inversé les choses. La recherche de renseignements pouvant protéger notre société d'activités terroristes a vraiment orienté nos services du renseignement dans une autre voie : utiliser la meilleure technologie à cette fin, ce à quoi je ne m'oppose pas du tout.
Lorsque j'entends ce que vous dites au sujet du travail de votre organisme, et compte tenu de ce que les représentants du CSARS ont dit sur la question de savoir si la loi leur permet de garantir la protection qu'il faut; et lorsque j'entends le commissaire dire qu'il y a des contraintes pouvant être problématiques, je crains que les choses tournent mal pour la société. Je ne mets pas en doute l'intention des responsables, mais je n'ai pas l'impression qu'il y a une capacité intégrée pour évaluer les choses.
Je tiens à préciser que je suis de ceux qui aspirent à une société reposant sur la liberté, une société libre de peurs. Or, la peur du terrorisme mobilise nos forces policières et nos organismes de renseignement. Je suis persuadé que la grande majorité des employés de ces organisations sont honnêtes et vaillants, mais l'autre crainte est celle des gens qui ignorent ce qu'on sait d'eux, et surtout si ces renseignements seront utilisés de façon honnête, honorable et conforme à la loi, c'est-à-dire à la Charte canadienne des droits et libertés.
Tandis que ceux qui passent l'aspirateur ont multiplié les efforts pour amasser des fonds, acquérir des technologies et trouver les ressources nécessaires à la tâche — je n'y ai aucune objection —, ne trouvez-vous pas inquiétant que ceux d'entre vous qui travaillent de l'autre côté de la médaille, à protéger la population en cas d'excès et d'iniquité, aient autant de mal à tenir le rythme? En votre for intérieur, je doute que vous ayez l'impression de suivre le rythme de ce qui menace véritablement la vie privée et la liberté des citoyens.
C'est une question épineuse. Je ne veux pas être injuste, mais j'aimerais vraiment savoir ce que vous en pensez.
Mme Bernier : Votre question est tout à fait pertinente, et je m'inquiète beaucoup.
Je tenais absolument à entendre ce que M. Jean-Pierre Plouffe allait répondre lorsqu'on lui a demandé s'il avait suffisamment de ressources, étant donné la petite taille de son bureau comparativement à celle du CSTC. Il a dit qu'il allait s'en assurer personnellement. Je pense que nous nous posons tous la question. Oui, je suis vraiment inquiète.
Les changements qui s'opèrent dans le domaine sont si profonds et rapides que la question des ressources se pose inévitablement.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais beaucoup savoir si vous agissez après coup, que ce soit par nécessité ou conformément à une définition ou à la loi, alors que bien du tort peut déjà avoir été causé. Sinon, arrivez-vous à savoir ce qui se passera à l'avance et à anticiper les problèmes?
Mme Bernier : L'examen des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée est l'outil qui nous sert à cette fin, et j'y attache une importance capitale justement pour les raisons que vous exposez. L'évaluation des facteurs relatifs à la vie privée est une analyse réalisée obligatoirement par tout organisme fédéral qui conçoit un programme ou une mesure ayant des répercussions sur la vie privée, et qui vise à évaluer d'une part les risques d'entrave à la vie privée et, d'autre part, les stratégies d'atténuation. L'évaluation doit être soumise à notre bureau, qui l'étudie puis formule des recommandations. Nous avons déjà réussi à convaincre des organismes de modifier leur projet ou d'en supprimer des volets parce qu'ils étaient exagérément importuns, à notre avis. Le texte répond justement à votre question puisque c'est là que nous pouvons intervenir en amont.
Le sénateur Wells : Je reconnais que la collecte de renseignements en matière de sécurité, un aspect important aux yeux des Canadiens, et le droit à la vie privée, le domaine où vous intervenez, sont des forces opposées difficiles à équilibrer. Quels sont les éléments les plus conflictuels pour votre bureau concernant la structure du renseignement au Canada? Qu'est-ce qui vous contrarie le plus?
Mme Bernier : Ce qui nous exaspère le plus, c'est la force de la peur qui peut empêcher de voir les conséquences d'une intrusion dans la vie privée. Pour remettre un peu d'ordre dans la discussion, nous avons créé le cadre d'analyse Une question de confiance : Intégrer le droit à la vie privée aux mesures de sécurité publique au 21e siècle. Le document se trouve sur notre site web.
Ce cadre d'analyse sert justement à remédier aux tensions dont vous parlez. Puisque ce genre de décision n'a rien de simple, nous nous basons sur des étapes bien définies. Il y en a quatre, la première étant le critère de légitimité, où nous évaluons si la collecte de renseignements est justifiée par rapport à l'équilibre entre la sécurité publique, la sécurité nationale et la vie privée. Il faut veiller à ce que le résultat soit dans l'intérêt de tous, en plus de s'attarder à l'efficacité et à la proportionnalité.
Une fois que nous reconnaissons que la collecte est légitime en fonction de nos critères tout à fait stricts, nous vérifions si l'information recueillie est stockée de façon sécuritaire et protégée. Un mécanisme de contrôle interne permet-il de vérifier que l'information est en sécurité? Enfin, des mesures de surveillance obligent-elles l'organisme qui recueille les renseignements et qui les utilise de rendre des comptes aux Canadiens ou au Parlement?
Le document vise justement à faire la lumière sur ces tensions énormes et à limiter l'emprise de la peur. Son but est d'appuyer le tout sur des données empiriques.
Le sénateur Wells : Puis-je vous poser une petite question complémentaire? Avez-vous du mal à appliquer ce genre de critères quantifiables, il me semble, vous qui devez souvent vous baser sur ce que vous entendez pour vous prononcer?
Mme Bernier : Et que pourrait-on appliquer, puisqu'il s'agit souvent de projections? Par exemple, le critère de légitimité tient compte de l'efficacité, mais il s'agit bien d'une probabilité. Il nous arrive de demander à l'organisme d'expliquer en quoi l'intrusion dans la vie privée remplit son objectif en matière de sécurité publique. L'organisme peut se montrer convaincant en nous disant qu'il a fait des essais et recueilli des données probantes sur d'autres pays, et ainsi de suite. Lorsque ses arguments sont valables, nous reconnaissons qu'il a tout fait pour démontrer que l'efficacité est probable, du moins.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, madame Bernier, pour votre présentation. On sait que, à l'occasion, le SCRS et le CSTC peuvent faire l'objet de plaintes concernant peut-être leurs pratiques de gestion.
Pourriez-vous décrire certaines difficultés auxquelles votre bureau peut être confronté lorsque vous devez répondre à ce genre de plainte concernant la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Mme Bernier : Vous parlez d'une plainte de la part d'un citoyen à notre bureau sur laquelle on fait enquête? Évidemment, ce sont des entités qui ont le droit et le besoin d'être secrètes. C'est la première difficulté opérationnelle. Quand on a affaire à ces organismes, que ce soit pour des vérifications, pour des enquêtes ou pour des révisions des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée, la première question, c'est : on a besoin d'une personne qui a une cote de sécurité assez élevée; deuxièmement, aller chercher l'information, la partager, ce n'est pas évident, parce qu'elle est hautement protégée. Ceci étant dit, notre expérience jusqu'à présent a été positive en ce sens que les organismes nous donnent accès à une seule personne et on est satisfait, chaque fois, qu'on a eu l'information qui était nécessaire pour prendre notre décision.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup, madame.
[Traduction]
Le président : Si vous le voulez bien, j'aimerais poursuivre avec une question. En tant que Canadien, je suis assez persuadé que notre système de sécurité fonctionne plutôt bien, et même celui des États-Unis et du monde libre, si je me fie au nombre d'incidents qui sont véritablement survenus ces 10 dernières années. Je pense que nous pouvons nous compter très chanceux. Il y a évidemment des gens très brillants pour contrer la menace qui nous guette chaque jour.
En ce qui concerne le rapport que vous nous soumettrez sous peu, je tiens à vous exprimer mes réserves sur la façon dont vous êtes parvenus à vos conclusions, puisque vous les avez évidemment déjà tirées. J'ai toutefois cru comprendre que vous n'avez pas beaucoup parlé avec les gens du CSARS et du CSTC pour évaluer le fonctionnement du système avant de produire votre rapport où vous direz qu'il y a peut-être eu des changements internes.
Je vous invite à nous en dire un peu plus là-dessus, car ce sera évidemment remis en question dans les mois à venir.
Mme Bernier : Tout d'abord, nous n'avons pas encore tiré de conclusions. Par exemple, j'ai écouté avec grand intérêt les délibérations sur la question du comité parlementaire, car c'est une de celles qui nous posent problème et qui sont encore tout à fait ouvertes. Comme je l'ai dit, nous enverrons bien sûr à certains intervenants, y compris au CSARS et au commissaire du CSTC, une version préliminaire de notre analyse, pour laquelle nous avons consulté un spécialiste du volet théorique et un autre des opérations.
Je dirais que rien n'est coulé dans le béton. Nous leur présentons des options. Nous aussi examinons ce qui se fait à l'étranger. Le sénateur Segal a dit que ce genre de mesure existe dans différents pays. Et nous aussi avons vérifié si ces structures de surveillance pourraient fonctionner au Canada.
Mais à ce stade-ci, nous avons toujours l'esprit ouvert quant à ce qui serait préférable. Nous nous attardons par exemple à toutes les questions que M. Chuck Strahl a soulevées tout à l'heure, comme la politisation possible d'un comité parlementaire, et quoi faire dans un tel cas. Est-ce vraiment la solution? D'un autre côté, vous n'avez pas accès aux renseignements secrets, comme le sénateur Dallaire l'a dit, et le sénateur Segal aussi. Que faut-il faire? Nous n'avons donc tiré aucune conclusion. Nous voulons vous soumettre une analyse approfondie basée sur différents points de vue.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Êtes-vous en communication avec la Commission des droits de la personne? Votre bureau a-t- il besoin d'échanger avec cette entité concernant la Charte et ses implications? Je suis soucieux de savoir s'il n'y a pas une structure en silo, par crainte de compromettre la vie privée d'une personne et par crainte de menaces.
Mme Bernier : Comme mes deux collègues l'ont mentionné tout à l'heure, nous avons effectivement une structure en silo, et nous ne sommes pas les seuls. Si vous regardez des rapports de la vérificatrice générale en 2009-2010, Sheila Fraser avait dénoncé elle aussi les problèmes de partage de l'information qui, a son avis, ne rencontraient ni les exigences de sécurité publique ni les exigences de protection de la vie privée. Je pense que c'est indéniable, comme les deux autres présentateurs l'ont dit, qu'il y a un défi à relever de ce côté, c'est-à-dire que, d'une part, l'information doit être partagée pour l'efficacité des activités de sécurité nationale ou sécurité publique, mais doit être partagée d'une façon qui ne compromet pas la vie privée, qui ne met pas des gens en danger parce que leur information personnelle a été distribuée de façon problématique, de façon qui peut les mettre en danger. C'est tout à fait le défi de l'heure.
Pour répondre à votre question, oui, on constate nous aussi qu'il y a une structure en silo, maintenant la question est comment créer un réseau entre ces silos qui fait que justement ils connectent bien sans compromettre la sécurité de l'information, sans compromettre la protection des renseignements personnels.
Le sénateur Dallaire : Si c'est le cas, êtes-vous en mesure, vous, de fournir ou d'être impliqué dans l'aide ou l'analyse de la méthodologie qui pourrait être développée pour permettre cette communication plus sécuritaire?
Parce que c'est une affaire de rapporter ce qu'ils ne font pas, mais c'est beaucoup plus utile aussi de pouvoir les guider dans cela. Êtes-vous finalement la dernière autorité à dire si quelque chose peut être perçu comme violant les droits à la vie privée et sont-ils absolument obligés de suivre vos instructions?
Mme Bernier : Les agences d'activité de renseignement tombent sous notre compétence. Ils font partie des 250 institutions fédérales sur lesquelles on a compétence. Ceci étant dit, le fait que le législateur a choisi de créer un organisme de surveillance pour le service de renseignements secrets et un autre pour le CST fait voir que, clairement, c'était l'intention du législateur de confier à ces deux organismes la surveillance, conformité à la loi et, entre autres, conformité à la protection de la vie privée. En droit, le spécifique l'emporte sur le générique, donc clairement nous sentons comme bureau que ce sont ces organismes qui ont la première responsabilité de s'assurer de la conformité à la loi de ces deux organismes.
Ceci étant dit, nous avons encore la compétence pour la protection de la vie privée en général, pour la fonction publique, et cela veut dire que toute enquête en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels vient chez nous. Comme je vous le disais, les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée viennent chez nous, on pourrait faire des vérifications aussi de ces organismes, mais on n'a pas les mêmes outils que les deux autres organismes de surveillance.
Par exemple, on n'a pas les cotes sécuritaires. Essentiellement c'est un des problèmes opérationnels.
Le sénateur Dallaire : Vous n'en avez pas vous non plus?
Mme Bernier : On peut en avoir, mais on n'a pas, par exemple le personnel du commissaire du CST qui lui est véritablement arrimé au CST. Ils ont toute l'expertise, c'est très ciblé. Nous ce n'est pas aussi ciblé. On n'a pas tout à fait les mêmes moyens.
Ceci étant dit, une question comme la structure de gouvernance pour assurer l'imputabilité des activités des agences de renseignement secret, c'est tout à fait dans notre mandat, et c'est pour cela qu'on s'est attelé à la tâche en tentant de vous faire des propositions qui, nous l'espérons, vous seront utiles.
[Traduction]
Le sénateur White : Merci d'être avec nous. Je suis heureux de vous voir.
Ce qui m'inquiète, ce n'est pas tant l'échange d'information entre les organismes d'ici et ceux d'ailleurs, mais plutôt ce que ces agences étrangères font des renseignements. Si l'on pense à la Patriot Act, il y a depuis de nombreux exemples d'échanges de données aux États-Unis qui n'auraient probablement pas répondu à nos critères.
Êtes-vous d'avis que nos organismes comprennent l'importance de l'information dès l'instant où elle n'est plus entre leurs mains? Je ne vais pas vous parler de 2005, de 2006 ou de 2007, mais bien d'aujourd'hui : croyez-vous qu'ils comprennent les répercussions de ce genre d'échanges suivant l'adoption de la Patriot Act, et peut-être même à la suite de l'affaire Arar et d'autres incidents?
Mme Bernier : Les organismes comprennent en théorie, mais dans les faits, il est évident que cette compréhension fait trop souvent défaut. Un rapport du CSARS qui parle d'Abdelrazik dit justement que le pays avait mal compris l'information.
La Patriot Act est invoqué constamment. Dans l'affaire de Maher Arar, par exemple, ce sont bien sûr les États-Unis qui ont utilisé les renseignements personnels de l'homme d'une façon que nous n'avions certainement pas prévue. Je pense donc que les organismes comprennent parfaitement bien en théorie et sont conscients du danger. Mais il y a trop d'incidents, ce qui signifie que leur compréhension ne suffit pas. Voilà pourquoi nous demandons depuis des années maintenant que la Loi sur la protection des renseignements personnels soit modifiée de façon à mieux encadrer l'échange de renseignements avec d'autres pays.
Le sénateur White : Monsieur le président, permettez-moi de poser une question complémentaire.
Vous avez très bien répondu, soit dit en passant, et je partage votre inquiétude. La Patriot Act a même été invoqué pour des mesures telles que des enquêtes sur le trafic de stupéfiants, mais je doute fort que ce fût l'intention de la loi aux États-Unis. L'objectif était peut-être de trouver où l'argent allait, mais enquêter sur le trafic de stupéfiants grâce à certains pouvoirs conférés par la loi... Puisque vous dites que nous recevons une chose que nous ne reverrons probablement pas avant longtemps, croyez-vous que le gouvernement peut trouver un juste milieu pour ces organismes de façon à parvenir plus vite à nos fins, à savoir protéger la vie privée des citoyens canadiens, plus particulièrement lorsque des renseignements sont échangés avec d'autres pays? Pourrions-nous faire quoi que ce soit pour accélérer les choses?
Mme Bernier : Oui. Je plaçais mes espoirs dans la déclaration de principes relatifs à la protection de la vie privée dans le cadre du plan d'action Par-delà la frontière. Vous vous souviendrez qu'une des premières étapes de la négociation du plan d'action — et j'en félicite le gouvernement — a été l'adoption d'une telle déclaration de principes. Selon un des principes, lorsqu'un des deux pays, le Canada ou les États-Unis, transfère de l'information sur un de ses ressortissants à une troisième nation, il doit en informer le deuxième pays. J'espérais sincèrement qu'il ne s'agirait pas d'une simple consultation, mais bien d'une approbation — autrement dit, que les États-Unis ne puissent pas transférer d'information sur un Canadien à une tierce partie sans l'autorisation du Canada. Je suis persuadée que nos négociateurs ont travaillé très fort pour que ce soit ainsi, mais ils n'ont malheureusement pas réussi. Voilà une mesure concrète que j'aurais souhaité voir se concrétiser.
Si nous pouvions simplement obtenir cette amélioration que nous demandons depuis tant d'années, qu'elle soit intégrée à la loi et que des protocoles transparents d'échange d'information soient mis en place, ce qui répondrait aux recommandations du juge O'Connor dans la commission Maher Arar à propos de l'échange de renseignements avec une tierce nation, je crois que cela contribuerait grandement à la protection des droits et des renseignements personnels des Canadiens.
Le sénateur Mitchell : Il est clair que votre tâche est loin d'être mince. Quel est votre budget? Combien de personnes compte votre équipe? Je pense que votre travail ne se limite pas au CSTC et au SCRS. Quelle part de vos ressources est allouée à ces deux groupes, et quelle part sert à protéger d'autres aspects de la vie privée?
Mme Bernier : Tout d'abord, nous avons 177 employés et un budget d'environ 22 millions de dollars. Je ne pourrais pas vous dire exactement quelle somme est allouée à quel organisme. Les fonds sont répartis entre 250 organismes fédéraux, en plus du secteur privé. Nous menons aussi des enquêtes sur Google et Facebook, entre autres. Si vous parcourez notre rapport annuel, vous constaterez que tous les gros bonnets du Web s'y trouvent, de même que d'autres entreprises privées moins connues.
Mais tout dépend de ce qui survient. Si nous recevons beaucoup de plaintes — par exemple, vous comprendrez que bien des fonds ont servi au dossier du comité de prestation électronique des services après que celui-ci ait perdu un disque dur rempli de données personnelles sur près de 600 000 personnes. Il a fallu beaucoup d'argent. La répartition du budget dépend donc de ce qui nous tombe dessus.
Le président : J'aimerais si possible vous poser une question. Je ne comprends pas bien votre pouvoir sur ces organismes. On nous a parlé plus tôt de l'existence d'un protocole d'entente avec un des pays du Groupe des cinq, qui n'a pas été nommé, je crois. Si j'ai bien compris, on envisageait de signer le protocole avec les quatre autres pays. Je crois que c'est cela.
Avez-vous accès à ce protocole en tant que commissaire à la protection de la vie privée?
Mme Bernier : Seulement dans le cadre d'une enquête ou d'une vérification. La personne doit avoir la cote de sécurité nécessaire. Pour avoir accès à ce protocole, par exemple, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et mener une vérification ou une enquête de mon initiative. Mais je dois avoir de bonnes raisons. Les vérifications sont discrétionnaires et dépendent d'une analyse des risques. Par exemple, un ministère peut donc demander une vérification des organismes X, Y et Z en raison de la quantité de renseignements personnels qu'ils détiennent et des risques occasionnels que cela comporte.
Par exemple, notre dernier rapport annuel faisait état d'une vérification de l'Agence du revenu du Canada, puisque nous trouvions que le risque justifiait notre intervention. Nous pourrions exercer notre pouvoir discrétionnaire pour effectuer la vérification dont vous parlez, mais ce serait assez difficile sur le plan opérationnel en raison du savoir-faire et des cotes de sécurité. Mais en plus, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous comprenons que le législateur a voulu accorder le pouvoir de surveillance du CSTC et du SCRS à deux organismes particuliers.
Le président : Je tiens simplement à tirer les choses au clair. Si vous décidiez de vérifier ces organismes, auriez-vous le pouvoir de le faire? J'imagine que votre réponse est oui.
Mme Bernier : Oui.
Le président : Dans un tel cas, la vérification est-elle privée, ou l'information est-elle rendue publique?
Mme Bernier : Nous rendons l'information publique. Nous ne pouvons évidemment rien divulguer de confidentiel. Même dans le cadre de nos enquêtes, il arrive souvent que nous ne puissions pas divulguer les renseignements que nous recevons et que ceux-ci demeurent secrets, qu'ils viennent du secteur privé — les renseignements sont parfois protégés sur le plan commercial — ou du secteur public — si une cote de sécurité est nécessaire. Mais nos vérifications et nos enquêtes sont bel et bien publiques. Mais nous devons toujours en retirer les renseignements qui sont protégés par un système autre que le nôtre. C'est le système de classification du gouvernement canadien qui détermine la protection.
Le sénateur Dallaire : Ma question vous surprendra peut-être un peu, mais lorsqu'on s'attarde à la grande question du respect de la vie privée, convenez-vous que les fournisseurs de services Internet comme Google n'en font possiblement qu'à leur tête?
Mme Bernier : Eh bien, j'ai trouvé la déclaration de ces fournisseurs des plus intéressante ce matin. Je l'ai même apportée, car j'ignore si vous en avez pris connaissance. Aux États-Unis, les fournisseurs ont dit haut et fort que le gouvernement doit cesser de recueillir tous ces renseignements, qu'il doit protéger jalousement l'information, et ainsi de suite. Les voilà donc à donner une leçon au gouvernement américain, ce que nous ne prenons évidemment pas au pied de la lettre. Cela dit, leur intention est irréprochable.
Mais comme votre question le sous-entend, nous savons qu'eux-mêmes recueillent énormément de renseignements qu'ils souhaitent utiliser à toutes sortes de fins, comme la publicité. Il suffit de visiter un site web, puis un second pour qu'une publicité à propos du premier apparaisse par coïncidence sur le deuxième. Quelqu'un retrace manifestement nos activités en ligne.
Font-elles à leur tête? Je pense qu'elles profitent d'une trêve puisque la loi n'a pas encore rattrapé la technologie, et je crois qu'il est à peu près temps que nous la modernisions de façon à déterminer ce qui est acceptable ou non en matière de renseignements personnels.
Le sénateur Dallaire : Ce qui m'intrigue, c'est que l'époque de Google sera bientôt révolue. Une autre technologie battra celle-là à plate couture. Et si on ne parvient pas à contrôler Google, la prochaine génération technologique sera excessivement envahissante et tout à fait incontrôlable.
Mme Bernier : Tout à l'heure, M. Chuck Strahl disait à quel point la loi qui régit son travail est âgée. La nôtre l'est tout autant : elle date de 1983. À l'époque, personne n'avait d'ordinateur au bureau, Facebook n'existait pas et nous n'échangions pas de courriels. Tout ce que M. Strahl dit s'applique à notre analyse aussi. Notre loi ne correspond tout simplement pas aux risques actuels en matière de vie privée, et il faut corriger le tir.
Le sénateur Dallaire : Merci beaucoup.
Le président : Chers collègues, je pense que la séance tire à sa fin.
Je tiens à remercier nos témoins de leur témoignage. Nous leur sommes reconnaissants d'être restés à une heure aussi tardive pour nous parler.
Je vais donc lever la séance sans plus tarder. Merci.
(La séance est levée.)