Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 3 - Témoignages du 24 février 2014
OTTAWA, le lundi 24 février 2014
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour étudier les politiques, pratiques et efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles; puis d'étudier la situation des relations internationales du Canada en matière de sécurité et de défense, notamment ses relations avec les États-Unis, l'OTAN et NORAD (sujet : défense antimissile balistique).
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense en ce lundi 24 février 2014. Avant d'accueillir nos témoins, j'aimerais présenter les personnes assises à cette table. Je m'appelle Dan Lang, sénateur du Yukon. À ma gauche immédiate se trouve la greffière du comité, Josée Thérien. À ma droite, l'analyste de la Bibliothèque du Parlement affectée au comité : Holly Porteous. J'aimerais faire un petit tour de table et inviter chaque sénateur à se présenter en précisant la région qu'il représente. Nous allons commencer par le vice-président, le sénateur Dallaire.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Roméo Dallaire, du golfe du Saint-Laurent.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, Alberta.
Le sénateur Day : Sénateur libéral du Nouveau-Brunswick, Joseph Day.
Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l'Ontario.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec, région de Montréal.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie, chers collègues. Le 12 décembre 2013, le Sénat a adopté les ordres de renvoi des deux études que nous allons aborder aujourd'hui. Les deux premiers groupes de témoins vont nous parler de l'Agence des services frontaliers du Canada, après quoi nous allons poursuivre notre examen de la défense antimissiles balistiques avec le troisième groupe.
Nous avons donc le plaisir d'accueillir aujourd'hui un homme bien connu des sénateurs par les temps qui courent, M. Michael Ferguson, vérificateur général du Canada; il est accompagné de M. Nicholas Swales et de Mme Joanne Butler.
Dans son rapport de l'automne 2013, le vérificateur général a abordé le thème « Prévenir l'entrée illégale au Canada », un rapport qui a certes motivé le Sénat à mener cette étude. Dans son rapport, le vérificateur général a dit ce qui suit : « Des personnes qui constituent un risque pour la sécurité de la population canadienne ont réussi à entrer illégalement au pays. L'Agence [des services frontaliers du Canada] a fait peu de progrès depuis 2007 en ce qui a trait au suivi des résultats des avis de surveillance visant les voyageurs à risque élevé connus. De plus, elle ne fait toujours pas le suivi des avis de surveillance ratés, et elle ne saisit pas les résultats de tous les avis de surveillance interceptés. Notre analyse révèle que 15 p. 100 des avis de surveillance ont été ratés. »
Le vérificateur général ajoute que « l'Agence n'a pas l'information dont elle a besoin pour savoir si ces actions protègent la frontière en réduisant le nombre de personnes qui entrent illégalement au pays. » Il poursuit en disant que « la GRC ne dispose pas de l'information dont elle a besoin pour évaluer l'efficacité de ses activités d'interception ».
Avant de nous pencher davantage sur ce rapport, je vais laisser M. Ferguson nous présenter l'allocution qu'il a préparée, si je ne me trompe pas. Je vous invite donc à prendre la parole sans plus tarder. Nous disposons d'une heure pour ce groupe de témoins.
[Français]
Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Monsieur le président, je vous remercie de nous donner l'occasion de discuter du chapitre 5 de notre rapport de l'automne 2013, Prévenir l'entrée illégale au Canada.
Je suis accompagné de Nicholas Swales, directeur principal, et de Joanne Butler, directrice, qui étaient tous deux responsables de cet audit.
L'Agence des services frontaliers du Canada et la GRC partagent la responsabilité de prévenir l'entrée illégale au Canada. L'agence gère les points d'entrée, c'est-à-dire les endroits où les personnes sont censées traverser la frontière canadienne. Mais lorsque des personnes ne traversent pas à ces points d'entrée, la GRC doit le savoir et les arrêter.
La gestion des personnes traversant la vaste frontière canadienne est un vrai défi : environ 270 000 personnes entrent au Canada chaque jour. Cette tâche est toutefois essentielle pour assurer la sûreté et la sécurité des Canadiens et l'intégrité de notre programme d'immigration. Il est donc très important que les contrôles frontaliers fonctionnent correctement. Nous avons soulevé des préoccupations dans notre audit à l'égard du bon fonctionnement de ces contrôles.
[Traduction]
Monsieur le président, j'aimerais d'abord vous parler des contrôles aux points d'entrée et de trois principaux défis qui méritent d'être soulignés : obtenir de l'information au préalable pour évaluer les risques et identifier les voyageurs à risque élevé; prendre des mesures appropriées à l'égard des avis de surveillance et des cibles pour identifier les personnes à risque élevé lorsqu'elles se présentent; posséder de bonnes mesures de la performance pour connaître l'efficacité des efforts déployés et les secteurs prioritaires.
Nous avons constaté que souvent, l'Agence des services frontaliers du Canada ne recevait pas toute l'information préalable dont elle avait besoin pour identifier et cibler efficacement les voyageurs aériens à risque élevé à destination du Canada. Dans notre échantillon, nous avons constaté qu'il manquait certaines données à l'agence pour environ 95 p. 100 des voyageurs aériens. Il s'agit d'une situation préoccupante, car faute de données appropriées sur les voyageurs aériens, les contrôles de ciblage ne peuvent pas fonctionner aussi efficacement que prévu.
Néanmoins, nous avons constaté que l'agence avait fait des progrès importants dans la détection des voyageurs à risque. Ainsi, le nouveau programme national de ciblage présente de bonnes pratiques; malgré cela, il rate encore certaines cibles. Selon notre examen, environ 8 p. 100 des cibles n'ont pas été contrôlées comme elles devraient l'être. Les cibles dont il est question sont des personnes identifiées par l'agence comme étant des voyageurs à risque élevé grâce à l'information préalable. Ces constatations sont importantes, car les cibles ont été conçues pour intercepter les personnes pouvant constituer une menace pour la sûreté et la sécurité des Canadiens.
L'agence a fait peu de progrès depuis 2007 en ce qui a trait au suivi des résultats des avis de surveillance. Ces avis sont des messages conçus pour intercepter les personnes à risque élevé connues qui sont liées au crime organisé, au terrorisme ou à la migration irrégulière et qui tentent d'entrer au Canada. Nous avons constaté que 15 p. 100 des avis de surveillance avaient été ratés, ce qui signifie que des personnes qui auraient dû faire l'objet d'un examen approfondi n'ont pas fait l'objet d'un examen avant d'entrer au Canada. Nous avons constaté que l'agence ne faisait toujours pas le suivi des avis de surveillance ratés et ne saisissaient pas non plus les résultats de l'examen de toutes les personnes interceptées grâce à ces avis.
[Français]
Les agents des services frontaliers dépendent des systèmes d'information de l'agence pour déterminer si un voyageur doit être renvoyé à une inspection secondaire. Toutefois, ces systèmes sont parfois hors service. Bien que l'agence examine les répercussions des interruptions, elle n'a pas pu nous préciser le niveau de disponibilité nécessaire pour que les activités ne soient pas affectées.
Monsieur le président, nous avons constaté que la GRC ne possédait pas d'information sur le taux de succès de ses activités visant à intercepter les personnes qui tentent d'entrer illégalement au pays entre les points d'entrée. Cette constatation est importante car, à défaut de recueillir systématiquement des données sur la performance, la GRC ne peut pas savoir si les ressources sont réparties aussi efficacement que possible.
Nous avons examiné les données des systèmes d'information appartenant à la GRC et à l'agence. Nous avons constaté que les équipes intégrées de la police des frontières de la GRC avaient intercepté un peu plus de la moitié des entrées illégales connues, tandis que les équipes de la sûreté maritime en avaient intercepté davantage. Toutefois, sans une mesure cohérente de la performance, il est impossible d'établir un taux d'interception acceptable ou de déterminer si la capacité de la GRC de prévenir des entrées illégales s'améliore ou se détériore. La GRC doit se doter d'un cadre pour mesurer et suivre l'efficacité de ses activités d'application de la loi aux frontières.
[Traduction]
L'Agence des services frontaliers du Canada et la GRC ont accepté nos recommandations et ont pris plusieurs engagements dans leurs réponses. Les deux entités ont aussi déposé des plans d'action auprès du Comité permanent des comptes publics pour donner suite à nos recommandations.
Le comité voudra peut-être aussi savoir qu'en 2011, nous avons présenté un chapitre portant sur l'octroi des visas ainsi qu'un chapitre portant sur les détentions et les renvois en 2008. Nous n'avons toutefois examiné aucune mesure qui aurait été prise depuis dans ces deux domaines.
Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration. Nous nous ferons un plaisir de répondre aux questions des membres du comité. Je vous remercie.
Le président : Merci infiniment. Votre rapport comme votre exposé retiennent indéniablement notre attention.
J'aimerais tout de suite vous poser une question, si mes collègues me le permettent. Au sujet des critères pour déterminer l'admissibilité ou l'inadmissibilité d'une personne, j'ai observé que l'une de nos plus grandes faiblesses à ce jour se trouve avant que la personne n'atteigne un point d'entrée. Autrement dit, nos faiblesses viennent de ce qui se passe dans le pays d'où arrive la personne. Je me demande si votre bureau examine ou prévoit examiner les activités de filtrage qui se tiennent dans nos consulats et ambassades à l'étranger pour déterminer l'admissibilité ou l'inadmissibilité de la personne au Canada, surtout que le nombre de personnes qui affluent vers le Canada chaque année est sur le point de dépasser la barre des 100 millions. Y avez-vous réfléchi?
M. Ferguson : Je vais demander à M. Swales de vous répondre de façon plus détaillée que moi, mais il est clair que ce n'était pas le point central de cet audit. Nous avons peut-être abordé certains aspects de la question dans des audits précédents, mais je vais demander à M. Swales s'il peut vous répondre plus en détail.
Nicholas Swales, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : Il y a deux aspects à la question. Il y a ce dont nous avons déjà parlé, soit le filtrage de sécurité au point d'embarquement. Il y a ensuite l'octroi de visas et d'autres documents de voyage par les ambassades et les consulats à l'étranger, et c'est probablement ce de quoi vous voulez parler exactement. C'était l'objet de notre audit de 2011. Comme M. Ferguson l'a dit, nous n'avons pas vraiment réétudié la question depuis, mais nous avions fait quelques recommandations importantes à ce moment-là et nous envisageons sérieusement de la réexaminer.
Le président : Merci, monsieur Swales.
Le sénateur Dallaire : Au sujet des propos de M. Ferguson sur l'ASFC et la GRC, qui seraient apparemment disposées à suivre votre recommandation d'évaluer ce qu'elles ont fait depuis un an, ce serait certainement extrêmement utile dans ce cas-ci. J'espère que nous allons inviter leurs représentants dans un an pour voir comment a avancé la mise en œuvre promise de ces recommandations.
Ma question porte surtout sur la structure. J'ai regardé un peu où il semblait y avoir des lacunes dans l'échange d'information et les mesures prises entre la première ligne et l'administration centrale, question de vérifier à quel point les gens peuvent vraiment se parler, d'un système à l'autre, et interagir les uns avec les autres, puis quels sont les niveaux d'intervention. La structure de l'ASFC est relativement jeune, elle a des airs un peu paramilitaires, surtout depuis que certains de ses agents sont armés. Voyez-vous là une quelconque forme d'éthos dans la structure, où la collecte de renseignements serait une fonction très délibérée, de même que les fonctions de commande et de contrôle de l'information et des capacités sur le terrain? Est-ce que les opérations quotidiennes font délibérément l'objet de surveillance, selon le concept du poste de commandement? Y a-t-il un éthos qui se crée pour gérer l'agence d'une façon paramilitaire ou suit-elle plutôt un modèle administratif? Je ne voudrais pas avoir l'air péjoratif ici.
M. Ferguson : Je ne peux vraiment pas vous fournir beaucoup de détails à ce sujet. Je vais demander à M. Swales de nous donner plus de précisions.
Je peux toutefois vous dire que quelle que soit sa structure organisationnelle, nous avons remarqué des lacunes sur le plan de l'information. Elle a accès à certains renseignements, mais n'arrive pas toujours à prendre des mesures en conséquence au moment opportun. En gros, nous avons l'impression que quelle que soit sa structure organisationnelle, elle pourrait améliorer ses résultats. Elle a accès à des renseignements et à des ressources qui lui permettraient de mieux surveiller ce genre de choses à la frontière.
Encore une fois, je vais demander à M. Swales s'il a quelque chose à ajouter au sujet de la structure organisationnelle.
M. Swales : Je pense que ce que je peux ajouter, et vous pouvez le voir dans les rapports au Parlement que l'ASFC produit chaque année, c'est qu'elle travaille à revoir sa structure organisationnelle depuis 10 ans. Elle a changé de nom à quelques reprises. On peut clairement voir qu'il s'agit d'une organisation qui essaie de trouver le moyen de s'organiser plus efficacement.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais savoir si vous avez l'impression que cette entité représente une capacité très axée sur les opérations dans notre système de sécurité, qu'elle est habitée d'un sentiment d'urgence de répondre aux besoins opérationnels, non seulement pour prendre les mesures nécessaires en fonction des renseignements dont elle dispose, mais pour recueillir ces renseignements aussi. Est-ce que cette agence est perçue aussi sérieusement qu'elle devrait l'être par les autres organismes de sécurité du pays comme la GRC? Y a-t-il un processus de maturation qui n'est pas encore à terme? J'essaie de comprendre s'il s'agit vraiment d'un groupe d'intervention sur le terrain qui s'acquitte pleinement de ses tâches opérationnelles ou s'il y a comme un concept administratif qui l'empêche d'agir pleinement.
M. Ferguson : Nous ne remettons absolument pas en doute la volonté du personnel de l'agence de s'acquitter de son mandat. Sa tâche est complexe et difficile, mais je répète encore une fois que nous croyons qu'elle pourrait améliorer son rendement à certains égards, ne serait-ce que par de bonnes pratiques de gestion, notamment pour que le personnel de l'agence ait l'information dont il a besoin et qu'il l'analyse pour comprendre ce qui se passe.
Je ne peux pas vous expliquer à quel stade de maturité elle en est. Il apparaît évident, de cette vérification, qu'il y a place à l'amélioration, mais encore une fois, je crois que le personnel de l'agence est très déterminé à remplir sa mission. Je demanderais à M. Swales s'il veut ajouter quelque chose.
M. Swales : Il y a une chose dont nous parlons dans notre dernier rapport, aux paragraphes 562 à 564, qui montre que l'agence réalise des progrès puisqu'elle travaille à mettre en place un cadre de gestion intégrée du risque, un concept qui peut sembler assez administratif, j'en suis conscient. Pourtant, il est essentiel pour qu'elle puisse mener ses activités efficacement, donc elle a réalisé des progrès importants à ce chapitre, je pense que c'est un progrès important pour elle.
Dans ce contexte, nous nous sommes également demandé si ses liens avec ses partenaires étaient bien établis pour faire ce travail, et c'était le cas. Je trouve qu'elle a vraiment réalisé des progrès importants.
Le sénateur Dallaire : Merci. Deuxième tour pour moi.
Le sénateur Segal : Je suis toujours heureux d'accueillir le vérificateur général au Sénat du Canada; je suis ravi de vous voir comparaître ici et je vous remercie de prendre le temps d'examiner cet enjeu important.
Presque chaque fois que des représentants d'organismes comme l'ASFC comparaissent devant nous, l'un de nos membres leur pose la question suivante : compte tenu du mandat que vous est confié et de la nature de la menace telle que vous la voyez, estimez-vous avoir suffisamment de ressources, humaines et financières, pour faire le travail? La réponse est habituellement que s'ils éprouvent des difficultés, ce n'est pas faute de ressources ou de personnel. Je peux vous dire en tout cas que d'après les comptes rendus des délibérations de ce comité, il est très rare qu'ils nous disent qu'ils n'ont pas assez de ressources, qu'il leur en faudrait plus.
Puis-je vous demander, à la lumière de l'audit que vous venez de réaliser, si vous croyez que l'ASFC a suffisamment de ressources, pour s'acquitter de ses fonctions de filtrage en particulier, en supposant qu'elle prend le temps de les répartir adéquatement? Elle gagne en expérience, les systèmes sont toujours en développement, mais compte tenu de tout cela — et je vois que vous en avez tenu compte dans votre rapport —, croyez-vous qu'elle a les ressources nécessaires pour absorber le déferlement de nouvelles pressions et responsabilités législatives qui lui sont imposées?
M. Ferguson : Notre vérification ne visait pas à évaluer si les ressources mises à la disposition de l'agence sont suffisantes. Je vous dirais qu'à bien des égards, nous avons surtout examiné ce qu'elle fait par rapport aux objectifs visés, avec les ressources dont elle dispose actuellement. En fait, cette vérification met surtout l'accent sur diverses choses qu'elle pourrait faire pour améliorer son rendement, malgré ce qu'on pourrait appeler la contrainte des ressources mises à sa disposition.
Nous croyons qu'elle pourrait améliorer le niveau de conformité des transporteurs aériens, par exemple, pour ce qui est de la transmission d'information sur les passagers. Nous croyons aussi qu'elle pourrait faire mieux au chapitre de l'identification des personnes à risque qui se présentent à la frontière, en fonction des avis de surveillance ou des cibles, et qu'elle pourrait mieux les contrôler.
Je ne peux pas vraiment juger que ces ressources sont suffisantes ou qu'elles ne le sont pas. On peut toujours investir plus dans ce genre de chose. Mais même avec les ressources dont elle dispose, je crois qu'il est légitime de dire qu'elle pourrait améliorer son rendement, et ce, d'une façon qui l'aiderait beaucoup à identifier les gens à la frontière.
Le sénateur Segal : Sur le même sujet, si vous me le permettez, d'après mon interprétation de la vérification réalisée par votre bureau sur les efforts de l'ASFC, il semble que l'agence ait du mal à communiquer les renseignements nécessaires rapidement à ses agents de première ligne, que leur travail n'est pas toujours aussi efficace qu'il pourrait l'être et que l'agence pourrait prendre des mesures pour améliorer cet aspect.
Quand j'ai visité nos forces en Afghanistan, je me suis rendu compte qu'il était clair qu'avec le temps, le ministère de la Défense nationale avait acquis l'aptitude de recueillir des renseignements de diverses sources alliées et autres en temps réel, de sorte qu'elle pouvait transmettre à nos combattants armés, par leur casque, de l'information en temps réel susceptible d'améliorer l'efficacité des opérations de combat et de protéger la sécurité des Canadiens en uniforme.
Il est clair qu'il faut absolument que les employés de l'Agence des services frontaliers voient apparaître certaines données sur leur écran lorsqu'ils lisent la bande magnétique du passeport d'une personne qui se présente à la frontière pour intercepter davantage de gens qu'ils n'arrivent à en intercepter en ce moment, d'après ce que vous écrivez dans votre propre rapport.
À votre avis, s'agit-il d'un problème systématique? Est-ce parce que les logiciels ne sont pas suffisamment développés? Est-ce que ce sont les procédures qu'il faudrait retravailler? Sommes-nous surtout limités par des obstacles à la transmission rapide de renseignements en temps réel, pour que nos agents frontaliers, aux passages terrestres ou dans les aéroports, aient accès à ces données?
De toute évidence, certaines personnes échappent au filtrage, et vous mettez cette statistique en relief dans votre rapport, sans toutefois porter de jugement injuste. Vous affirmez simplement qu'il y a des personnes qui échappent au système et réussissent à traverser la frontière et qu'il faut nous attaquer au problème.
J'aimerais savoir si vous avez des conseils à nous donner, si notre comité pourrait faire des recommandations constructives pour aider les gens des Services frontaliers à faire leur travail plus efficacement.
M. Ferguson : Je vais demander à M. Swales de vous répondre plus en détail, mais encore une fois, je vous dirai que dans ce domaine, comme beaucoup de gens ici présents le savent bien mieux que moi, l'un des défis fondamentaux est d'arriver à faire parvenir l'information, de façon complète et rapide, de sa source jusqu'à ceux qui doivent intervenir en conséquence sur le terrain.
Comme nous l'avons déjà indiqué, les renseignements sur les passagers qu'ils obtiennent des sociétés aériennes sont habituellement incomplets, si je puis dire. C'est le point de départ. Le moment précis auquel l'information est recueillie et peut être transmise est une autre question. Nous avons également remarqué que quelquefois, même si les agents ont accès à l'information voulue, il y a des personnes qui échappent à leur vigilance.
Il y a deux éléments : il faut veiller à ce que les agents puissent intervenir en fonction des renseignements dont ils disposent, mais il faut aussi nous assurer qu'ils reçoivent bel et bien l'information.
S'il y a une recommandation que j'inviterais les membres du comité à faire au ministère, elle concernerait surtout l'information sur le rendement. Je crois que nous avons indiqué dans notre chapitre que le ministère déclarait... Au paragraphe 25, nous écrivons : « Malgré des données incomplètes, l'Agence a déclaré qu'en moyenne, le taux de conformité concernant les transmissions de données effectuées par les transporteurs aériens était de 99 p. 100 au cours de l'exercice 2011-2012. En fait, l'Agence considère qu'un transporteur aérien observe les règles s'il fournit l'information préalable sur les voyageurs à bord d'un vol. »
Je pense que ce qui ressort surtout ici, c'est qu'elle pourrait faire beaucoup mieux avec l'information à sa disposition, pour l'interpréter et évaluer son propre rendement avec cette information.
Je vais demander à M. Swales s'il a quelque chose à ajouter.
M. Swales : Monsieur le président, la seule observation que j'ajouterais, c'est que nous n'avons pas vraiment constaté de problème quant à la rapidité à laquelle est transmise l'information. Le problème n'était pas de faire parvenir l'information en première ligne une fois l'information connue. C'était plutôt d'obtenir cette information au départ et d'arriver à comprendre pourquoi les agents ne sont pas intervenus comme ils l'auraient dû lorsqu'ils disposaient de l'information.
Bien sûr, nous avons fait un commentaire sur les systèmes d'information qu'utilise l'agence et le travail qu'elle aurait à faire à cet égard, mais encore là, il faut surtout qu'elle arrive à interpréter les renseignements connus, à les utiliser et à comprendre pourquoi il y a tant de ratés. Évidemment, quand le système ne fonctionne pas, le personnel est beaucoup moins en mesure d'exercer ses fonctions de filtrage, nous avons donc souligné l'importance qu'elle comprenne mieux la fréquence des ratés.
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie tous d'être ici. Je remarque que le titre officiel de ce chapitre est « Prévenir l'entrée illégale au Canada ». Ma question porte non seulement sur les personnes qui entrent illégalement au Canada, mais aussi sur celles qui y entrent légalement, mais n'en repartent pas. Il y a deux volets ici, et ma première question porte sur le premier.
Ce n'est peut-être qu'une rumeur, mais on prétend que des travailleurs étrangers temporaires arrivent légalement au pays et qu'ils ne sont pas suivis, ce qui signifie qu'à la fin de leur séjour autorisé — et je pense qu'il est d'environ deux ans —, certains d'entre eux ou peut-être un grand nombre d'entre eux — ou peut-être aucun — demeurent au pays.
Est-ce que cela faisait partie de votre vérification? Si oui, qu'avez-vous découvert? Quel est l'état de la situation?
M. Ferguson : Cela n'était certainement pas l'objectif principal de notre vérification. M. Swales pourrait nous dire si nous avons eu à traiter cette question dans certains cas.
Encore une fois, nous avons examiné les entrées légales et les entrées illégales. Nous nous sommes penchés sur la façon dont on identifie, à la frontière, les gens qui essaient d'entrer illégalement au pays. Ainsi, par définition, nous n'avons pas examiné le cas des gens qui entraient légalement.
M. Swales : J'aimerais ajouter deux choses. Tout d'abord, vous soulevez un point très important qu'il ne faut pas oublier, et c'est que les gens qui sont dans le pays illégalement ne sont pas ceux qui y sont entrés illégalement. Dans de nombreuses circonstances — vous en avez décrit une —, des gens entrent légalement et leur présence devient illégale par la suite.
Nous n'avons pas examiné les fonctions d'exécution de la loi dans les bureaux intérieurs ou les questions liées à la durée de séjour autorisée. Je dirais que nous avons mentionné, dans le paragraphe 26 du rapport, que l'ASFC travaille sur un système d'entrée et de sortie, ou plus précisément sur l'élément de sortie, ce qui lui permettra de savoir si certaines personnes ont quitté le pays ou non. Cela lui permettra également de commencer à se pencher sur les éléments dont vous avez parlé.
Le sénateur Mitchell : L'agence ne dispose donc pas de ces mécanismes actuellement.
C'est également très important sur le plan humain, car un grand nombre de membres de la famille de ces personnes n'ont pas le droit d'entrer au pays pour rencontrer un nouveau bébé ou pour assister à un mariage ou pour simplement visiter leur famille, car on craint qu'ils ne quittent plus le pays ensuite. Nous voyons ce genre de problème tout le temps.
Je me demande s'il ne s'agit pas d'une préoccupation exagérée. Si on ne recueille même pas de données à cet égard, comment sait-on que ces gens ne quitteront plus le pays? Pourtant, cette situation entraîne d'énormes répercussions sur la politique qui permet aux gens d'entrer au pays.
Ma deuxième question concerne les visas mexicains, un sujet d'actualité. Comment ce visa empêche-t-il les gens d'entrer illégalement au pays? Est-ce qu'il rend seulement l'entrée plus difficile pour tout le monde, en vue de diminuer la probabilité qu'une personne entre illégalement au Canada? Quel est le mécanisme en jeu? À votre avis, cela fonctionne-t-il, et ce visa vaut-il la peine?
M. Swales : Le visa permet d'effectuer une présélection avant même que la personne commence à voyager. Dans un système sans visa, une personne qui détient un passeport peut venir au Canada en avion, et c'est ensuite le travail des agents des services frontaliers de déterminer si cette personne pose un problème. Les agents ont souvent très peu de temps pour faire ce travail, et ils n'ont donc pas nécessairement accès à tous les renseignements qui seraient accessibles à un agent des visas en mission, par exemple. Cela permet donc de recueillir des informations à l'avance et d'agir en conséquence.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma question s'adresse à M. Ferguson.
[Traduction]
Monsieur Ferguson, selon votre rapport, y a-t-il des lacunes dans les lois et règlements qui doivent être comblées, et si oui, quelles sont-elles?
M. Ferguson : Nous n'avons pas découvert de problèmes particuliers avec la loi. Encore une fois, nous avons examiné le milieu dans lequel les agents travaillent, les contraintes auxquelles ils sont confrontés et nous avons cherché à savoir s'ils pouvaient améliorer leur travail. Je crois que j'ai déjà énuméré les éléments qui pouvaient être améliorés.
N'oubliez pas que dans le cadre de notre travail, nous ne remettons pas en question la politique du gouvernement. Nous l'acceptons comme étant le cadre dans lequel nous travaillons et dans lequel nous exécutons notre programme.
En ce qui concerne cette vérification en particulier, je ne crois pas que nous ayons trouvé des dispositions législatives qui nous préoccupaient vraiment.
Le sénateur Dagenais : Dans votre rapport, vous avez indiqué que le nombre de faux passeports utilisés pour entrer au Canada était à la hausse. Pouvez-vous nous parler plus en détail des meilleures façons de mettre en œuvre des contrôles d'entrée et de sortie?
M. Ferguson : Vous faites probablement référence au paragraphe 20, où on dit essentiellement que les entreprises de transport aérien sont parfois tenues responsables si certaines personnes peuvent entrer au Canada, car elles devraient avoir remarqué ces personnes et obtenu les documents appropriés dès le départ.
Il y a également d'autres cas dans lesquels les entreprises de transport aérien ne sont pas tenues responsables, et c'est essentiellement parce que la personne en question avait peut-être les documents nécessaires en sa possession. Toutefois, ce que nous avons dit, c'est que nous avons remarqué une augmentation des cas pour lesquels l'entreprise de transport aérien n'avait pas été tenue responsable — de 239 à 324 cas —, c'est-à-dire une augmentation de 36 p. 100 sur deux ans.
Selon nous, cela signifie que certaines personnes utilisent davantage de moyens frauduleux et plus perfectionnés pour obtenir un siège sur ces avions et entrer au Canada, et on ne pourrait pas s'attendre, dans ce cas, à ce que les entreprises de transport aérien les détectent.
Nous ne faisions que souligner ces statistiques. À notre avis, elles semblent indiquer que les personnes qui tentent d'entrer au pays utiliseraient des moyens frauduleux plus complexes.
Le président : Puis-je approfondir cette question? Je crois que c'est très important.
Monsieur Swales, en ce qui concerne l'entrée au pays par l'entremise des différentes entreprises de transport aérien et leur responsabilité en cas d'erreur, d'après ce que je comprends, on leur impose des frais administratifs lorsqu'elles ne s'assurent pas que les documents appropriés ont été présentés. Avez-vous découvert si ces frais étaient souvent perçus? Si oui, à quelle fréquence?
Je crois que l'un des éléments les plus importants du programme, c'est que si les entreprises de transport aérien étaient tenues responsables et qu'elles faisaient preuve de diligence, les entrées « illégales » ne représenteraient pas un problème dans nos aéroports. Pourriez-vous commenter cette constatation, monsieur Swales?
M. Swales : Nous voulions surtout veiller à ce que l'agence comprenne bien ce qui se passe à ce point de contrôle particulier pour qu'elle soit en mesure d'utiliser ces renseignements pour évaluer ou modifier sa façon d'exercer ses activités.
Ce qui nous préoccupait, c'est que lorsqu'on examine seulement les points pour lesquels les entreprises de transport aérien sont tenues responsables, on peut avoir l'impression que la situation est stable, mais il y avait d'autres renseignements en jeu. J'aimerais avoir l'avis de Mme Butler à ce sujet, mais nous ne nous sommes pas penchés sur la façon dont les amendes étaient imposées. Nous savons qu'il existe un processus à cet égard. Il existe également un processus pour déterminer les amendes. Nous n'avons pas examiné ces éléments.
Joanne Butler, directrice, Bureau du vérificateur général du Canada : C'est exact; nous n'avons pas abordé cela.
Le président : Puis-je continuer d'approfondir la question?
Je crois que c'est important, car c'est le point d'entrée. C'est avant même que les gens arrivent dans notre pays. Ce que je ne comprends pas vraiment, c'est que si l'entreprise de transport aérien est responsable de veiller à ce que les documents appropriés soient présentés, pourquoi une personne peut-elle prendre place dans un avion si ses documents ne sont pas acceptables?
Ne serait-il pas logique que dans ce cas, nous recommandions d'accroître la surveillance et de faire preuve de la diligence nécessaire? Si c'était fait, ces audiences ne seraient peut-être pas nécessaires.
M. Ferguson : Je vais répondre et ensuite je demanderai à mes deux collègues s'ils ont quelque chose à ajouter. Je crois que c'est l'essentiel de notre recommandation à l'agence. C'est une partie importante du processus — il faut que l'agence obtienne l'information nécessaire, mais il faut aussi veiller à ce que les entreprises de transport aérien recueillent ces renseignements.
Évidemment, il ne faut pas oublier que ces personnes qui entrent au Canada viennent de partout dans le monde, et que cela signifie qu'on a affaire à des entreprises de transport aérien de plusieurs pays. Ce n'est pas une tâche facile, mais encore une fois, nous pensons qu'on peut faire davantage pour veiller à ce que les entreprises de transport aérien fassent ce qu'elles sont censées faire et, sinon, qu'on impose les amendes nécessaires, et que les informations recueillies soient ensuite diffusées.
J'aimerais demander à M. Swales s'il a quelque chose à ajouter.
M. Swales : La seule chose que j'aimerais ajouter, c'est que l'agence a essentiellement pris une décision stratégique en ce qui concerne certains types de documents qui, à son avis, ne pourraient pas être repérés par les entreprises de transport aérien.
Je pense que nous présumerions notamment que si on examinait plus attentivement les informations concernant cette situation, on pourrait se demander si cette politique cible la bonne chose.
Le sénateur Day : J'aimerais d'abord faire un bref commentaire, si vous me le permettez, et ensuite je poserai des questions plus pointues.
Monsieur le vérificateur général, vous avez mentionné que vous ne remettiez pas en question la politique du gouvernement, mais lorsque vous effectuez des vérifications de l'optimisation des ressources et des vérifications de gestion, vous évaluez en quelque sorte les politiques. En tant que comité, nous remettons certainement en question la politique du gouvernement et nous formulons des recommandations au sujet des changements qui devraient être apportés. Nous comptons sur vous et sur vos quelque 550 employés pour nous aider à comprendre l'information obtenue, afin que nous puissions remettre en question, lorsque c'est nécessaire, les enjeux liés à la politique.
Avez-vous des commentaires? C'était seulement un commentaire. Si vous souhaitez répondre, je serai heureux de vous écouter.
M. Ferguson : Encore une fois, lorsque nous menons des vérifications de gestion, nous ne remettons pas en question la politique. En effet, la politique du gouvernement encadre nos activités. Nous menons notre vérification en nous fondant sur la politique en vigueur.
Toutefois, nous examinons la façon dont la politique a été mise en œuvre. Si nous découvrons des problèmes en lien avec sa mise en œuvre, nous pouvons parfois conclure que la meilleure façon de les régler consiste à modifier la politique.
Nous n'entreprenons pas une vérification avec l'objectif de déterminer si une certaine politique est la meilleure qui soit, si elle est raisonnable, et cetera. Nous cherchons plutôt à connaître la politique et son cadre législatif. Ensuite, nous déterminons si les ministères font le nécessaire dans le cadre de cette politique. Encore une fois, nous soulignerons souvent certaines faiblesses, certaines choses qui doivent être améliorées, et il peut y avoir différentes façons d'apporter ces améliorations.
Dans ce cas particulier, par exemple, je crois que tous les éléments que nous avons cernés peuvent être réglés dans les limites du cadre stratégique en place.
Le sénateur Day : Merci. Je voulais seulement clarifier les choses. J'espère que cela nous a donné une chance de réfléchir au commentaire que vous avez formulé plus tôt.
J'ai de nombreuses questions, mais une grande partie de ces questions découlent de votre exposé et de votre rapport, pour lesquels je vous remercie beaucoup. Notre comité s'occuperait habituellement des modifications réglementaires et législatives en lien avec les 72 heures accordées aux entreprises de transport aérien, et je me souviens d'avoir examiné le changement. Auparavant, les services frontaliers obtenaient les renseignements pendant que l'avion était en vol vers le Canada. Je peux comprendre pourquoi 95 p. 100 du rapport est incomplet, car un grand nombre de personnes achètent leur billet à l'intérieur des 72 heures.
En ce qui concerne le nouveau Programme national de ciblage auquel vous avez fait référence dans votre exposé, j'aimerais savoir comment il fonctionne et j'aimerais comprendre la relation entre l'Agence des services frontaliers du Canada, la GRC et le SCRS en ce qui concerne les noms qui sont reçus.
Il y a longtemps qu'on exige que nous fournissions aux États-Unis les noms des passagers de tous les vols qui atterrissent dans leur pays, et de cette façon, nous savons qui a quitté le Canada sur des vols qui se rendent aux États- Unis ou qui traversent leur espace aérien.
Comment fonctionne le ciblage? Vous avez utilisé l'expression « avis de surveillance ». Certains noms sont accompagnés d'un point d'exclamation ou d'une marque, ou le nom du passager est imprimé en gras, mais cette information concerne leur arrivée, et vous dites que nous ne les interceptons pas toujours.
Pouvez-vous expliquer le rôle de l'Agence des services frontaliers du Canada, de la GRC, du SCRS et des personnes appelées à identifier les passagers qui devraient se trouver sur la liste de ciblage ou qui devraient être sur la liste d'avis de surveillance?
M. Ferguson : Merci, monsieur le président. En ce qui concerne le délai de 72 heures, par exemple, c'est le type de modalités dans le cadre desquelles nous devons travailler. Il est important d'obtenir ces informations, car lorsque ces personnes se présentent à la frontière, l'Agence des services frontaliers du Canada doit avoir les renseignements nécessaires pour déterminer s'il s'agit de personnes qui doivent être surveillées. Il faudrait s'informer auprès de l'agence pour connaître le délai requis pour obtenir ces renseignements et le moment où vous pouvez vous attendre à les recevoir de l'entreprise de transport aérien.
J'aimerais savoir si M. Swales a quelque chose à ajouter sur le fonctionnement du processus de ciblage.
M. Swales : J'aimerais reprendre où M. Ferguson s'est arrêté. Comme vous l'avez indiqué, on exige actuellement que l'information soit fournie au décollage. Cela signifie que l'appareil est en vol et que les passagers sont à bord. En principe, tous les renseignements au sujet de tous les passagers qui sont à bord ont été recueillis et peuvent être diffusés.
On n'a pas encore terminé la mise au point du nouveau système qui permettra de fournir ces renseignements 72 heures à l'avance, et l'agence devra donc expliquer comment ces 72 heures seront utilisées et quelles sont leurs directives à cet égard.
J'aimerais demander à Mme Butler d'expliquer la distinction entre les cibles et les avis de surveillance. Elle a passé plus de temps que moi au Centre national de ciblage.
Mme Butler : J'allais justement souligner, comme M. Swales l'a fait, que le délai de 72 heures est censé entrer en vigueur en 2015, et qu'on y travaille encore. Vous le trouverez au paragraphe 5.26 de notre rapport.
En ce qui concerne les différences et la relation entre les organismes, et l'utilisation de l'information fournie par la GRC et le SCRS, les cibles sont essentiellement fondées sur l'information préalable sur les passagers qui a été fournie par les entreprises de transport aérien. Encore une fois, dès que les entreprises de transport aérien reçoivent ces informations — si elles les recueillent —, elles sont censées les transmettre au Centre national de ciblage de l'ASFC.
Les agents reçoivent donc ces informations au CNC. On enclenche alors un processus d'évaluation des risques et les personnes responsables du ciblage décident ensuite si on doit diffuser une cible à l'égard de certaines personnes. Autrement dit, lorsque certaines personnes arrivent au point d'entrée, elles devraient se soumettre à d'autres examens.
Il s'agit d'un processus distinct et plus immédiat que les avis de surveillance, qui découlent d'un processus à long terme de cueillette d'information, et qui pourraient être fondés sur des informations de la GRC, du SCRS ou même de CIC. Il pourrait s'agir de mesures d'exécution des lois liées à l'immigration, et cetera.
Notre vérification a permis de déterminer que ces deux processus, c'est-à-dire les avis de surveillance et le ciblage, se chevauchent lorsqu'un agent de ciblage décide d'examiner l'information contenue dans le système à l'égard d'un passager à bord d'un avion qui se dirige vers le Canada, car pendant que l'agent tente de déterminer s'il doit diffuser une cible ou pendant qu'il diffuse la cible, il peut remarquer qu'un avis de surveillance a déjà été émis à l'égard de cette personne.
C'est à ce moment-là qu'on établit une corrélation entre les deux, ce qui donne lieu à une notification préalable. Le CNC transmet alors l'avis de surveillance au point d'entrée pour avertir que l'individu en question se dirige vers le Canada et qu'il devra faire l'objet d'un examen complémentaire au point d'entrée.
Je sais que cela prête à confusion. Si vous voulez que je clarifie cette question davantage, je peux le faire. Il s'agit du moment où on établit une corrélation entre les avis de surveillance et les cibles. Souvenez-vous que les cibles sont établies en fonction de l'information préalable sur un voyageur, tandis que les avis de surveillance tendent à être une démarche à plus long terme, qui peuvent faire appel à d'autres sources de renseignement.
Le sénateur Day : Madame Butler, qui est responsable des opérations du Centre national de ciblage?
Mme Butler : L'ASFC.
Le sénateur Day : Je présume que le centre doit bénéficier du concours de la GRC et du SCRS?
Mme Butler : Des représentants d'autres organismes partagent les locaux du Centre national de ciblage. En ce moment, je sais que c'est le cas du SCRS, mais je ne suis pas certaine si c'est aussi vrai pour la GRC.
Le sénateur Day : Nous pourrons poser la question aux représentants de la GRC.
Le sénateur White : Je vous prie d'excuser mon retard. Merci d'être ici aujourd'hui. Ma question porte sur la vitesse d'exécution des démarches. Dans le cas dont nous parlons, cela correspond au délai requis pour que le transporteur aérien transmette l'information à l'ASFC et pour que nos agents puissent y donner suite. Toutefois, comme nous le savons tous, quand nous nous adressons à un employé d'Air Canada ou de tout autre transporteur aérien, on prend notre passeport. Celui-ci est numérisé et immédiatement entré dans leur système. Les renseignements qui y figurent restent dans leur système pendant un bon bout de temps, au moins deux heures — et dans certains cas plus longtemps encore — au lieu d'être transmis au Canada au fur et à mesure qu'ils sont numérisés.
Quand vous vous êtes penchés sur cette pratique, a-t-il été question de pratiques exemplaires qui permettraient de transmettre ces renseignements immédiatement au Canada et d'être au moins comparés aux bases de données du Centre d'information de la police canadienne? La vaste majorité des cibles ou des avis de surveillance viseront des personnes qui présentent un intérêt particulier pour la police, soit une catégorie précise dans la base de données. Cette pratique aurait donc immédiatement signalé au service de police ayant compétence que la personne arriverait à Ottawa le lendemain matin à 5 h 30, en provenance de Londres, en Angleterre.
Il pourrait au moins avoir été question de cette option pour raccourcir le délai de traitement. Je soupçonne que certains pays s'adonnent probablement déjà à cette pratique. Israël, par exemple, possède l'un des meilleurs systèmes de suivi au monde pour acheminer les renseignements des voyageurs avant que leur avion n'arrive à destination.
À mon avis, nos délais de transmission ne seront jamais écourtés à moins de calculer qu'ils commencent au moment où les données sont recueillies et se terminent au moment où celles-ci se trouvent entre les mains des Canadiens.
M. Ferguson : Essentiellement, nous soulignons le fait que, à l'heure actuelle, les données transmises laissent à désirer. À notre avis, l'agence doit vraiment réexaminer ses pratiques afin de voir ce qui pourrait être fait pour améliorer ses pratiques, soit en accélérant la transmission des données, soit en veillant à ce que celles-ci soient exhaustives. L'objectif premier est d'obtenir ces renseignements.
L'agence fait état d'un taux de conformité élevé chez les transporteurs aériens — soit un taux de 99 p. 100 —, mais elle n'utilise pas les bons critères. Les responsables de l'agence devraient faire le calcul en tenant compte du moment où ses employés reçoivent les données. C'est alors seulement qu'elle verra que le système ne fonctionne pas comme il est censé le faire. Ensuite, ils devront chercher comment améliorer le délai.
M. Swales : J'aimerais faire deux remarques. L'Initiative de l'information préalable sur les voyageurs interactive, à laquelle nous avons fait allusion au paragraphe 26, vise justement le même objectif, soit l'obtention des renseignements dans de meilleurs délais. Toutefois, au paragraphe 27, nous faisons aussi valoir que tant qu'on ne cherchera pas à remédier aux lacunes des données transmises, il ne servira à rien de les obtenir plus rapidement. Il importe qu'elles soient de meilleure qualité.
Le sénateur White : Lorsque les données qui me concernent sont recueillies, je m'attends à ce qu'elles soient transmises en temps réel. Or, ce qui m'a probablement préoccupé le plus dans la présentation précédente de l'ASFC est le fait que cela n'est pas le cas. Les données commencent par être entrées dans le système du transporteur aérien local, qui les met alors en corrélation d'une façon ou d'une autre, les rassemble et les transmet au cours des 72 heures qui suivent. À mon avis, il ne s'agit même pas d'un problème de rapidité. C'est tout simplement inacceptable.
Il est question de protéger notre pays, et je trouve troublant que ces données ne soient pas transmises immédiatement à un système qui aurait au moins sonné l'alarme ou même ne nous soient pas transmises sans en faire part aux transporteurs aériens — ce que je ne voudrais pas faire — pour permettre à l'agence d'obtenir les données sans devoir franchir tant d'étapes. En effet, le recours à la catégorie des personnes d'« intérêt particulier à la police » constitue probablement l'une des façons les plus efficaces pour signaler des cibles potentielles aux autorités canadiennes. Je conviens que je remets toujours en question la véracité des données sur les passeports, mais en ce moment, voilà ce que nous transmettons 72 heures plus tard, dans certains cas.
Je comprends vos préoccupations, et je suis certain que nous discuterons plus longuement des recommandations à formuler. Toutefois, à mon avis, quand il est question d'entités terroristes, il est tout aussi inquiétant de bloquer ces données à l'aéroport et de les diffuser aux autorités canadiennes seulement longtemps après que les personnes soient dans les airs que d'avoir ces individus en sol canadien. Le fait que ceux-ci soient dans un avion me fait très peur.
M. Ferguson : Voilà justement de quoi il faudra discuter parce que, encore une fois, nous avons déterminé que ces données ne sont pas complètes, qu'elles comportent des lacunes, et que toute la procédure devra être revue. L'agence devra être en mesure d'expliquer ce qu'elle peut et ne peut pas faire pour corriger ces lacunes et accélérer la vitesse à laquelle ces données parviennent jusqu'à nous.
Je ne peux pas vous dire au juste si l'agence peut ou non faire cela, compte tenu du nombre de personnes qui prennent l'avion et du nombre de transporteurs aériens. Comment peut-on réussir à procéder de cette manière avec tous ces transporteurs aériens? Voilà exactement le genre de question à laquelle l'ASFC devra être en mesure de répondre quand viendra le temps de déterminer quelles améliorations apporter.
Le sénateur Dallaire : Dans votre rapport de 2007, intitulé Assurer la sécurité et l'ouverture de nos frontières, vous parlez de la gestion de la frontière. Vous avez examiné si celle-ci reposait sur une évaluation des menaces et des risques — pour viser non pas une frontière ouverte, mais la sécurité à la frontière. Je regarde les résultats que vous citez, et je reviens à la question de savoir si l'agence adopte la même rengaine selon laquelle elle constitue un élément de la sécurité de première ligne au pays, comme d'autres organismes de sécurité l'ont fait depuis le 11 septembre; en fait, cette agence a été créée dans la foulée du 11 septembre. Beaucoup de ceci semble correspondre à des procédures opérationnelles normales et à un souci d'avoir le matériel nécessaire pour satisfaire à ces exigences.
Avez-vous eu la même impression qu'à l'époque, soit qu'ils ont encore beaucoup à faire pour traiter efficacement les cibles potentielles présentant une menace pour le pays et pour prendre les mesures pertinentes? Ou alors, qu'ils sont encore en train de surveiller si quelqu'un entre au pays avec quelque chose d'intéressant, comme deux ou trois bouteilles d'alcool?
Je me demande où ils en sont relativement à la philosophie de l'agence en matière de sécurité?
M. Ferguson : En tant que vérificateurs, il nous est difficile de répondre à cette question. De toute évidence, il faudrait en parler avec l'organisation.
En ce qui concerne les cibles, je répète que nous avons trouvé que certaines améliorations avaient été apportées depuis notre audit de 2007. Cependant, nous avons dit qu'ils avaient fait peu de choses pour améliorer le contrôle du rendement des avis de surveillance.
Ils ont donc fait certains progrès, étant donné que cet audit a eu lieu six ans plus tard, mais dans certains domaines, ils devront en faire davantage. Nous estimons qu'il serait possible de corriger les lacunes que nous avons signalées. Il n'est pas question de changements qui, à notre avis, nécessiteraient de gros bouleversements. Les améliorations pourraient être réalisées sans que l'agence change son mode de fonctionnement actuel.
Toutefois, je répète que, d'après les conversations que j'ai eues avec les employés de l'ASFC, j'estime que ceux-ci sont conscients de jouer un rôle très important et savent que les gens s'attendent à ce qu'ils le jouent bien; ils prennent cela au sérieux. Cependant, ils y travaillent encore, et ils doivent faire davantage de progrès.
Le sénateur Segal : Quand on laisse entrer au pays des personnes qui n'auraient pas dû pouvoir entrer, cela peut être parce que le système ne les a pas repérées et n'a pas été efficace. Dans certains cas, il peut exister de bonnes raisons sur le plan de la collecte de renseignements pour lesquelles certaines de ces personnes ont pu entrer au pays. Je respecte l'obligation que vous avez de protéger la confidentialité des employés dans le travail que vous exercez, surtout ceux qui travaillent dans les organismes, comme celui-ci, qui assurent la sécurité nationale. Par conséquent, je vais formuler ma question de façon à ce que vous puissiez y répondre de façon générale, si vous le souhaitez.
Pourriez-vous nous dire s'il pourrait y avoir diverses raisons pour lesquelles des personnes normalement inadmissibles pourraient être admises au pays et nous dire si notre comité devrait éviter de présumer que toutes les raisons pour lesquelles ces personnes pourraient être admises sont forcément liées à un manque d'efficacité du système?
M. Ferguson : Nous ne sommes pas prêts à donner des précisions de ce genre. Je le répète, nous avons examiné leur base de données des personnes reconnues comme étant au pays en situation d'irrégularité. Ensuite, nous nous sommes penchés sur la manière dont celles-ci sont entrées au pays.
Le problème, c'est que nous avons dû entrer dans leur système et faire cette analyse nous-mêmes. Les employés n'avaient jamais effectué d'analyse sur les personnes en situation d'irrégularité au pays et la manière dont elles sont entrées. C'est tout ce que je peux dire. Nous leur avons demandé s'ils savaient comment les gens dans cette situation, selon leurs dossiers, étaient entrés au pays. Ils n'avaient jamais réalisé de telle analyse.
Le sénateur Segal : Merci.
Le président : Je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps d'être parmi nous, monsieur Ferguson et vos collègues. Il est maintenant 14 heures. Nous apprécions le travail que vous faites en tant que vérificateur. Le rapport est excellent et nous fournit des informations sur lesquelles nous nous baserons pour examiner rigoureusement la façon dont les employés de l'ASFC procèdent et pour déterminer quelles recommandations nous pourrions formuler pour aider l'ASFC et la GRC à s'acquitter des responsabilités que nous leur avons conférées. Vous pouvez quitter. Nous allons maintenant nous tourner vers les prochains témoins. Merci.
Nous en sommes maintenant à notre deuxième groupe de témoins, qui nous aidera à mener, pour citer notre ordre de renvoi, notre « étude sur les politiques, pratiques et efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles ».
Nous sommes heureux d'accueillir M. Dan Faughnan, le directeur général de la Direction du filtrage de sécurité, au SCRS, et Mme Cuillierrier, la directrice générale de Partenariats et relations externes, à la GRC. D'après ce que j'ai compris, vous allez tous deux faire un exposé. Vous pouvez commencer. Nous disposons d'une heure pour ce groupe de témoins.
[Français]
Dan Faughnan, directeur général, Direction du filtrage de sécurité, Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) : Monsieur le président et honorables sénateurs, bonjour. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour contribuer à votre étude du système d'immigration du Canada.
Je comprends l'intérêt particulier que représentent pour vous les questions de la détermination de l'admissibilité et de l'expulsion des personnes interdites de territoire. C'est pourquoi j'ai choisi aujourd'hui de me concentrer sur le rôle du SCRS à cet égard et sur la façon dont il collabore avec ses partenaires de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).
[Traduction]
Tout ce que nous faisons au SCRS est dicté par une loi habilitante, la Loi sur le SCRS. Les gens ont peut-être tendance à associer le service plus directement, en tant qu'organisation, à son mandat principal en matière de sécurité nationale, qui consiste à recueillir des informations, à faire enquête sur les menaces pour la sécurité du Canada et à fournir des conseils au gouvernement sur ces menaces, lesquelles sont définies dans la Loi sur le SCRS comme étant, entres autres, le terrorisme et l'extrémisme, l'espionnage et le sabotage ainsi qu'une ingérence étrangère.
Toutefois, le programme de filtrage de sécurité du service contribue aussi dans une mesure importante à l'accomplissement de ce mandat. Tel qu'il est énoncé clairement dans la Loi sur le SCRS, le service assume deux grandes fonctions en matière de filtrage de sécurité. D'abord, il fournit des évaluations de sécurité aux ministères et organismes du gouvernement du Canada pour soutenir leurs efforts en vue de l'octroi d'autorisations d'accès à des installations et de cotes de sécurité. Ensuite, il fournit des conseils en matière de sécurité à l'Agence des services frontaliers du Canada et à Citoyenneté et immigration Canada à l'appui de leurs efforts visant à empêcher les non- Canadiens qui représentent une menace pour la sécurité d'entrer au Canada ou d'y obtenir un statut, en application de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur la citoyenneté. J'ai choisi aujourd'hui de vous parler du programme de filtrage des demandes d'immigration du service.
Avant d'examiner ce programme, il importe de signaler que ce n'est pas le SCRS qui détermine qui peut entrer au Canada. Le rôle du service est d'enquêter sur les menaces pour la sécurité et de conseiller l'ASFC et CIC en fonction des résultats obtenus. Le SCRS ne prend aucune décision quant à l'admissibilité d'une personne et n'exerce aucun contrôle sur l'issue d'une demande d'immigration, de citoyenneté ou d'asile. Les décisions à cet égard relèvent exclusivement de nos partenaires à l'ASFC et à CIC, qui se fondent en partie sur nos conseils et sur les informations obtenues d'autres sources et d'autres partenaires.
[Français]
Il convient aussi de noter que le SCRS n'est pas un organisme d'application de la loi. Il n'a aucun pouvoir d'arrestation ou de détention, ni ne joue de rôle dans l'application de mesures de renvoi. Dans le contexte de l'immigration, ce sont les services d'immigration autorisés qui prennent les décisions et les mesures à cet égard, conformément aux dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
[Traduction]
Alors, que fait le Service canadien du renseignement de sécurité?
Dans le cadre de son Programme de filtrage des demandes d'immigration, le SCRS examine quatre types de demandes : les demandes de résidence permanente présentée au Canada et depuis l'étranger, les demandes de visa de résident temporaire, les demandes de citoyenneté canadienne, et les demandes d'asile soumises au pays et depuis l'étranger.
Or, bien que le SCRS soit tenu d'examiner toutes les demandes de citoyenneté et d'asile, le filtrage des demandes de résidence permanente et de visas de résident temporaire ne porte que sur les demandes que lui relaie CIC. Un dossier est renvoyé au SCRS si CIC estime, après examen, qu'il y a lieu de le soumettre au processus de filtrage de sécurité du service. Le service fournit de l'information sur les menaces, et CIC s'en sert pour établir quels dossiers devraient être relayés au service.
Dès qu'un dossier lui est renvoyé, le service entreprend les activités d'enquête qui lui permettront de fournir des conseils de sécurité judicieux à l'ASFC et CIC. Il peut s'agir d'une simple vérification dans ses fichiers ou d'une enquête plus poussée au Canada ou à l'étranger. Les décisions touchant le recours aux travaux d'enquête se fondent sur la nature de la menace et la disponibilité des informations nécessaires.
[Français]
Nous savons que des personnes qui se livrent à des activités liées à la menace cherchent à utiliser le Canada comme base pour atteindre leurs objectifs. Ces objectifs menacent non seulement notre sécurité et nos intérêts, mais aussi la paix et la sécurité internationale. Chaque année, le Service examine des dizaines de milliers de demandes provenant de visiteurs, de demandeurs d'asile, d'éventuels résidents permanents et d'éventuels citoyens.
Toutefois, très peu de dossiers suscitent des préoccupations graves sur le plan de la sécurité nationale. Ce sont justement ces dossiers qui doivent être examinés de plus près par l'ASFC et le CIC afin que les mesures nécessaires puissent être prises au besoin, conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ou à la Loi sur la citoyenneté.
[Traduction]
Les lois promulguées par le Parlement indiquent clairement que les personnes qui suscitent des préoccupations sur le plan de la sécurité nationale sont interdites de territoire, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas autorisées à entrer au Canada et ne peuvent y obtenir un statut. Le Programme de filtrage de sécurité du SCRS est un élément essentiel des efforts du gouvernement en vue d'atteindre ces objectifs. De toute évidence, le fait de repérer les personnes ayant ce profil et de les empêcher d'entrer au Canada ou d'y obtenir un statut est au cœur même des efforts que nous déployons collectivement pour protéger les Canadiens et les intérêts du Canada.
Monsieur le président, j'aimerais remercier les membres du comité de m'avoir invité à comparaître devant eux aujourd'hui. Je suis tout disposé à répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Faughnan.
Surintendante Shirley Cuillierrier, directrice générale, Partenariats et relations externes, Gendarmerie royale du Canada (GRC) : Monsieur le président, messieurs les sénateurs, bonjour. Je vous remercie de m'avoir invitée à participer à votre étude sur les politiques, les pratiques et les efforts de collaboration grâce auxquels l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC, arrive à établir l'admissibilité des personnes qui souhaitent entrer au Canada. Je suis l'actuelle directrice générale de la division des partenariats et des relations externes des Services de police fédérale de la Gendarmerie royale du Canada. Je tenterai cet après-midi de vous expliquer en quoi consiste le travail que la GRC effectue en collaboration avec l'ASFC afin d'assurer le respect de la loi à nos frontières.
Comme vous le savez sûrement, la GRC ne participe pas directement aux décisions portant sur l'admissibilité des personnes qui souhaitent entrer au Canada. Son rôle premier en tant que police des frontières consiste à enquêter sur toutes les infractions criminelles, quelles qu'elles soient. Dans certains cas, lorsque la sécurité est en cause, la décision en matière d'admissibilité peut se fonder sur des renseignements fournis par la GRC, mais notre organisation ne fait aucune recommandation quant à l'admissibilité des personnes.
[Français]
Cela dit, la GRC travaille étroitement de concert avec l'ASFC à l'échelle du pays pour protéger la frontière. Nous collaborons au sein de nos organisations respectives, ainsi que dans le cadre d'unités intégrées telles que les équipes intégrées de la police des frontières et les équipes intégrées de la sécurité nationale.
[Traduction]
La GRC fournit une assistance technique à l'ASFC et à CIC en ce qui concerne l'identification biométrique des candidats à l'immigration. Par exemple, nous collaborons à la confirmation de l'identité et, dans certains cas, nous procédons à la vérification du casier judiciaire. Nous sommes aussi parfois appelés à communiquer avec des organismes étrangers d'application de la loi pour confirmer une arrestation ou une condamnation à l'étranger. Bref, le rôle de la GRC se résume à la prestation d'informations à l'intention de CIC, qui se charge de déterminer l'admissibilité du candidat.
[Français]
Dans le cas où la GRC est le service de police compétent, nous fournissons notre soutien pour le transport physique et le renvoi d'une personne visée par une ordonnance d'expulsion. Sur demande, nous collaborons au transport des candidats à l'immigration détenus dans ces cas spéciaux.
[Traduction]
La GRC a conclu quelque 120 ententes de collaboration distinctes avec l'ASFC et les organismes qui l'ont précédée. Nous négocions actuellement un nouveau protocole d'entente exhaustif avec l'ASFC, ce qui devrait nous permettre de collaborer avec une efficacité et une efficience accrues.
Pour ce qui nous intéresse aujourd'hui, la GRC est aussi chargée d'enquêter sur les fraudes en matière de citoyenneté. En général, ces affaires nous sont renvoyées par CIC et, dans certains cas, elles pousseront le ministère à entamer des procédures pour révoquer une citoyenneté acquise frauduleusement. Le rôle de la GRC se limite à enquêter sur l'infraction en soi, tandis que la décision de révocation relève de CIC.
Dans son récent rapport intitulé Prévenir l'entrée illégale au Canada, le vérificateur général a recommandé que la GRC élabore un cadre pour contrôler l'efficacité des activités qu'elle déploie pour faire respecter les lois aux frontières. La GRC a accepté cette recommandation et a entrepris d'apporter des changements à son architecture d'harmonisation de programmes et à son cadre de mesure du rendement. Une fois ces changements en place, nous nous attendons à pouvoir mieux mesurer l'efficacité des activités que nous mettons en œuvre pour faire respecter les lois aux frontières.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, la GRC n'exerce aucun pouvoir de décision quant à l'admissibilité de candidats à l'immigration au Canada; nous agissons indirectement dans le cadre de nos activités policières aux frontières. Nous prêtons main-forte à l'ASFC dans la mesure où notre mandat nous y autorise.
Je vous remercie de votre attention et je suis maintenant disposée à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup. Chers collègues, j'ai deux questions à vous poser pour amorcer la discussion. D'abord, je veux parler de la sécurité de notre système et, évidemment, de la possibilité que certains fonctionnaires du ministère de l'Immigration soient corrompus, comme nous avons pu le voir dernièrement. Je fais allusion plus particulièrement à l'affaire Delisle, que nous avons vue il y a quelques années, et aux affaires plus récentes, nommément celle de Trina Kennedy et celle du Népal. C'est une question qui relèverait du SCRS. Je m'explique. Nous savons que les organisations criminelles et certaines entités paient cher pour s'attirer les faveurs des fonctionnaires à l'immigration. C'est un fait. En reculant de cinq ans, y a-t-il d'autres cas semblables et quel est le nombre d'agents d'immigration qui ont fait l'objet d'une enquête ou qui ont été réaffectés à la suite d'activités douteuses en matière de sécurité? Si vous n'avez pas ces renseignements en main, vous pouvez nous les faire parvenir plus tard.
Je voudrais poursuivre dans le même sens, mais cette fois avec l'Agence des services frontaliers du Canada et Citoyenneté et Immigration Canada. Est-ce que le SCRS fait ponctuellement enquête sur les personnes qui travaillent dans les bureaux de ces organismes afin de s'assurer que l'organisation n'est pas noyautée ou investie d'éléments indésirables et que ceux qui y travaillent font bel et bien ce que l'on attend d'eux? Monsieur Faughnan, pouvez-vous répondre?
M. Faughnan : Merci, monsieur le président. Pour ce qui est de votre première question, je n'ai malheureusement pas de cas précis à vous citer en ce qui a trait au filtrage. Vous seriez probablement mieux avisé de poser la question aux organismes partenaires.
Quant à votre deuxième question, elle concerne davantage le modèle de filtrage qu'utilise le gouvernement pour ses employés. Or, je peux vous affirmer — puisque je dirige les deux — que le processus de filtrage est appliqué à tous les membres de ces organismes dès leur embauche. Suivant le niveau d'autorisation de sécurité de chacun, le processus de filtrage est répété de façon périodique, à intervalles de quelques années. Les personnes dont le niveau d'autorisation de sécurité est « secret » doivent s'y prêter tous les 10 ans, alors que les détenteurs d'une autorisation de sécurité de niveau très secret y sont soumis tous les 5 ans, comme c'est le cas de bon nombre de fonctionnaires du gouvernement du Canada.
En outre — et c'est probablement encore plus important —, tout problème signalé en matière de loyauté ou de responsabilité à l'égard de la loyauté peut entraîner une réouverture du processus de filtrage par le service, un scénario qui n'est d'ailleurs pas rare. Et cette consigne s'applique tant que la personne travaille pour le gouvernement du Canada.
Le président : Chers collègues, j'aimerais amener la discussion dans une autre direction, si vous me le permettez. On a appris aujourd'hui que l'Agence des services frontaliers du Canada cherche à expulser le dirigeant présumé d'un groupe terroriste britannique. Je ne sais pas si vous étiez au courant, mais ce dirigeant d'un groupe terroriste notoire avait déjà fait l'objet d'une déportation, il y a environ 10 ans. La nouvelle précisait également que cette personne était entrée au pays en novembre et qu'elle s'apprêtait à passer devant une commission d'enquête, quatre mois plus tard.
Comment peut-on autoriser une personne comme celle-là, un terroriste notoire, à revenir au pays? Comment se fait- il qu'il n'ait pas été intercepté à la frontière?
M. Faughnan : Pour un cas particulier comme celui-là, il faudrait vous adresser au ministère. Le rôle du service, lorsqu'on lui renvoie des dossiers, est de jeter un coup d'œil à ses propres renseignements. Au besoin, nous pourrons pousser l'enquête plus loin, ce qui peut se traduire par des consultations auprès de pays alliés. En gros, une fois notre avis envoyé au partenaire, c'est à lui de décider ce qu'il convient de faire. Les personnes visées peuvent être mises sur des listes de surveillance ou prises en charge directement. Votre question sur ce cas précis doit être posée au partenaire approprié.
Le président : Madame Cuillierrier, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
Mme Cuillierrier : Non, pas vraiment. J'ai aussi vu cet article dans les médias, mais nos interventions dépendent de l'information qui nous est transmise, alors je n'ai rien à ajouter.
Le président : Nous pourrons y revenir plus tard.
Le sénateur Dallaire : Je suis toujours perplexe lorsque différents organismes détiennent différents éléments d'information sur un sujet susceptible de revêtir un intérêt commun. On sent une certaine retenue dans l'échange d'information et une volonté marquée de protéger ses sources, ce qui rend souvent difficile une coopération en bonne et due forme; on n'ose même pas songer à l'idée d'un effort concerté pour s'acquitter de cette obligation.
Après avoir pris connaissance du rapport du vérificateur et de ce que vos deux organismes font pour appuyer l'ASFC, je me demande s'il n'y aurait pas une entité pouvant chapeauter l'ensemble des activités liées à la sécurité des frontières, au lieu du scénario actuel où différents organismes fournissent différents renseignements à différents moments. N'y a-t-il pas lieu de recourir à une organisation stratégique à un niveau supérieur qui serait chargée de mettre tous ces éléments dans une même perspective?
M. Faughnan : Je peux répondre pour le service. Sur le plan opérationnel, notre mandat est assez clair : nos avis doivent être axés sur la sécurité nationale. Je laisserai ma collègue vous entretenir de la dimension « renseignements criminels » de cette question.
Sur le plan stratégique, il se passe tout de même passablement de choses en matière de coordination. Je ne dirais pas que toute cette coordination découle du rapport de 2011 du Bureau du vérificateur général, mais elle existe. Dans notre organisation, il y a des groupes bilatéraux et des groupes trilatéraux qui se réunissent à intervalles fixes et réguliers afin de discuter de questions opérationnelles et stratégiques et de s'assurer que l'information circule, non seulement en ce qui concerne les grandes questions et pratiques stratégiques, mais aussi sur des enquêtes et des cas particuliers. Nous nous réunissons chaque jour ou chaque semaine, et j'ai souvent des conversations téléphoniques avec mes collègues de CIC et de l'ASFC. Je suis convaincu — étant en poste depuis quatre ans — que nous collaborons dans une assez bonne mesure en ce qui a trait à notre mandat, lequel consiste à aider nos collègues à prendre des décisions éclairées au sujet de cas particuliers.
Mme Cuillierrier : Nous faisons de même. Sur le plan opérationnel, nous collaborons très étroitement avec l'ASFC, particulièrement aux frontières. Nous y avons déployé nos équipes intégrées de la police des frontières. Nous collaborons aussi avec l'ASFC par l'intermédiaire de nos équipes de la sûreté maritime. Nous avons assurément une excellente relation de travail sur le terrain et, sur le plan stratégique, à l'administration centrale, car nous travaillons sur un nouveau protocole d'entente, qui porte entre autres sur l'échange de renseignements, sur les rôles et responsabilités, et sur les détachements à l'administration centrale nationale et sur le terrain. Alors, nous prenons des dispositions pour travailler en collaboration avec l'agence et pour être en mesure d'échanger des renseignements, surtout en ce qui a trait à l'objectif commun de protéger nos frontières.
Le sénateur Dallaire : Étant donné l'ampleur des menaces recensées par nos évaluations — les gens qui tentent d'entrer au pays en douce parce qu'ils pensent que l'herbe y est plus verte, certes, mais aussi d'autres menaces qui sont, selon moi, beaucoup plus délibérées comme le terrorisme, les activités subversives ou les gens qui deviennent des taupes et qui restent dans l'ombre pendant des années avant de passer à l'action —, je crois qu'il faut absolument offrir des programmes globaux de formation, d'enseignement et de perfectionnement en la matière à l'intention de ceux qui travaillent en première ligne, au lieu de se contenter d'assurer une coopération et une coordination, voire une collaboration. Ne pensez-vous pas que nous devrions intégrer nos capacités et édifier un cadre complètement nouveau pour l'éducation et la formation de tous les éléments de sorte qu'ils travaillent comme une seule entité et non comme des composantes distinctes, selon une approche qui, on l'espère, pourrait même, de temps à autre, être centrée sur la personnalité?
M. Faughnan : Cela relève davantage du domaine des politiques. Je crois que vous devriez adresser cette question aux responsables des politiques du service.
Je peux affirmer sans me tromper que l'intégration sur le plan opérationnel est tout à fait exceptionnelle, même en ce qui concerne la formation. Notre organisation offre rarement des cours, sur le plan opérationnel, qui n'incluent pas un volet où nos partenaires sont invités à nous prêter main-forte. Il en va de même pour toute la formation à l'échelle du pays. En termes imagés, nous pourrions dire que nous sommes soudés l'un à l'autre à bien des égards, et probablement plus que jamais auparavant. Cette proximité est en partie attribuable aux menaces proprement dites, mais elle découle aussi de la fréquence de nos rapports de collaboration.
Mme Cuillierrier : En ce qui concerne la GRC, je peux encore ici reprendre les propos de M. Faughnan. Nous travaillons ensemble. Les agents de l'ASFC assistent à nos cours et nous assistons aux leurs. Par ailleurs, les détachements font en sorte que les membres d'une organisation se retrouvent à faire partie intégrante de l'organisation partenaire, et il s'agit là d'une autre pratique courante de la GRC.
Le sénateur Segal : Merci à vous deux d'avoir pris le temps d'être avec nous aujourd'hui.
Il faut, de toute évidence, que les contrôleurs de visas de CIC à l'étranger aient en main vos évaluations respectives quant à l'admissibilité des demandeurs de visa pour être en mesure de prendre des décisions en la matière. C'est un processus de filtrage, et il ne fait aucun doute que vous vous acquittez de votre tâche avec professionnalisme. Sans parler de cas particuliers, de façon générale, combien de temps faut-il pour procéder aux évaluations et aux analyses que vous demandent les contrôleurs de visas? Faut-il attendre une, deux ou trois semaines? Faut-il un mois, deux mois? Évidemment, vous avez déjà des dossiers à traiter au moment de recevoir de nouvelles demandes. En tenant compte des cas qui ont des circonstances atténuantes et qui exigent un tout autre délai, comment cela se solde-t-il de façon générale? Quelle est l'issue générale à cet égard? Avez-vous un arriéré plus imposant qu'avant, plus imposant que la norme, un arriéré que vous travaillez à réduire, maintenant que vous disposez des ressources nécessaires pour le faire? J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.
M. Faughnan : En ce qui concerne la sécurité nationale, la bonne nouvelle est que nous n'avons pas d'arriéré pour les demandes de résidence temporaire. Nous en avions un auparavant, en raison de la quantité de demandes que nous recevions et en partie à cause des systèmes informatiques que nous utilisons, mais nous respectons le niveau d'entente dont nous avons convenu avec nos partenaires dans presque 90 p. 100 des cas, et ce, pour le volet de la résidence permanente, qui est celui pour lequel nous avons le plus de demandes. Quant aux demandes de résidence temporaire faites depuis l'étranger, nous ne prenons pas connaissance de chacune d'elles. Elles nous sont renvoyées en fonction de critères établis par le partenaire.
Le service arrive à répondre à la plupart des demandes — soit à 90 p. 100 d'entre elles — en 10 jours. Comme vous l'avez dit, il s'agit des cas les plus simples. Ce sont ceux qui sortent de la norme qui nous donnent du fil à retordre, car il faut alors prendre le temps nécessaire pour procéder à des enquêtes et, au besoin, collaborer avec nos alliés.
Notre avis est ensuite acheminé à l'ASFC, laquelle évalue nos recommandations et transmet l'information pertinente au contrôleur des visas à l'étranger. Dans de très nombreux cas, cependant, nous arrivons à traiter ces demandes en quelques heures ou quelques jours. Lorsqu'il s'agit d'un cas très sérieux, nous y mettons beaucoup de temps. Nous travaillons avec l'agence pour établir les priorités et classer les demandes plus générales par ordre de priorité. Nous veillons ainsi à ce que nos énergies soient investies au bon endroit, c'est-à-dire là où elles comptent le plus pour les intérêts de la nation.
Mme Cuillierrier : Sénateur, je n'ai pas eu vent du moindre arriéré à l'heure actuelle. D'après ce que j'en sais, nous arrivons à respecter les délais demandés par le partenaire, sauf lorsqu'il y a des circonstances atténuantes et que le cas doit être porté à l'attention d'un détachement dans une certaine partie du pays, ce qui signifie qu'il y aura une enquête plus approfondie sur le terrain. Ces exceptions mises à part, nous arrivons à respecter les exigences.
Le sénateur Segal : L'un des organismes mis sur pied par l'administration Chrétien au lendemain de l'attaque du 11 septembre était le Centre intégré d'évaluation du terrorisme, le CIET, qui partageait des locaux avec le SCRS, mais qui s'employait essentiellement à créer des jeux de données sur les activités et les initiatives terroristes dans le monde entier. Le Canada fournissait des renseignements à ses alliés qui, à leur tour, lui envoyaient des renseignements.
Cet organisme fait-il partie de ce réseau? Intervient-il, oui ou non, dans le mécanisme à plusieurs facettes qui permet d'évaluer les personnes et les demandeurs qui souhaitent entrer au pays?
M. Faughnan : Non. Le rôle du CIET est plus stratégique, plus analytique.
Le sénateur Segal : Ses activités ne sont pas axées sur des noms particuliers, des personnes ciblées.
M. Faughnan : C'est exact.
Le sénateur Day : Ma première question s'adresse à la surintendante et porte sur les postes frontaliers, lesquels sont nombreux à l'échelle du pays. De façon générale, la protection des frontières est une responsabilité partagée. Habituellement, il y a un douanier du côté américain. Plusieurs d'entre nous sont passés par ces douanes situées dans des régions rurales. Il y a un petit immeuble du côté américain, et un autre du côté canadien.
Or, nous avons appris il y a quelque temps que la technologie de l'information dont nous disposons ne nous permet pas de communiquer avec nos homologues américains. Quelqu'un pouvait essayer d'entrer depuis les États-Unis, mais les Canadiens et les Américains n'étaient même pas en mesure de communiquer entre eux. Pouvez-vous nous dire s'il y a eu de l'amélioration à ce chapitre?
Toujours sur le thème des postes frontaliers — et vous avez aussi parlé des équipes intégrées de la police des frontières, les EIPF —, le rôle intégré de la GRC était d'assurer une présence armée pour les douaniers. Or, les douaniers ont maintenant leurs propres armes à feu. Comment cette situation a-t-elle changé les relations aux frontières en ce qui a trait à l'interception des personnes qui ne devraient pas entrer au pays, qui ne devraient pas passer la frontière en voiture?
Mme Cuillierrier : Eh bien, nous pouvons affirmer que la présence des EIPF aux postes frontaliers a eu un effet bénéfique sur la collaboration, y compris avec nos partenaires américains.
En ce qui concerne la question de la technologie, je ne suis malheureusement pas en mesure de vous donner une réponse aujourd'hui. Je sais qu'il y a eu des discussions pour tenter de combler cette lacune. Je serai heureuse de transmettre cette information au comité dès que je l'aurai, mais le fait que les agents des services frontaliers du Canada sont maintenant armés n'a pas fait de tort — je crois, en fait, que nos relations avec eux se sont améliorées.
Ils nous appellent lorsque des personnes passent aux frontières sans s'arrêter. Bien entendu, c'est la GRC qu'on appelle si l'infraction est commise sur un territoire qui relève d'elle; sinon, c'est le service de police concerné qui est appelé.
Pour ce qui est du travail proprement dit à la frontière, les choses s'améliorent grâce aux initiatives qui sont mises en place en vertu des protocoles d'entente de collaboration et grâce à une meilleure définition des rôles et des responsabilités.
Le sénateur Day : Je présume que la GRC reçoit moins d'appels qu'avant puisque les agents des services frontaliers sont maintenant armés. Auparavant, on faisait appel à la GRC, car c'était l'effectif armé qui pouvait traiter avec les personnes dont l'entrée au Canada n'était pas particulièrement souhaitable.
Mme Cuillierrier : Je ne sais pas si le nombre d'appels qui nous sont adressés a diminué.
Le sénateur Day : Ma question va un peu dans le même sens que ce que soulevait le sénateur Dallaire au sujet du cloisonnement du travail, et je la pose dans la perspective du Centre national de ciblage. Je pense que vous y avez du personnel.
Monsieur Faughnan, vous avez abordé ce sujet lorsque vous avez dit que vous fournissez d'avance des renseignements à CIC. Puis, lorsque la personne ciblée se manifeste, les agents vous contactent de nouveau pour obtenir de l'information. Ainsi, le ciblage se fonde en partie sur de l'information que vous leur avez transmise en amont.
Le Centre national de ciblage dispose-t-il d'une base de données? L'Agence des services frontaliers du Canada en a- t-elle une bien à elle ou se sert-elle plutôt de la vôtre ou de celle de la GRC pour faire des vérifications au sujet des personnes dont l'identité lui est communiquée 72 heures d'avance par les compagnies aériennes? N'oublions pas que cette liste n'est pas nécessairement complète; d'autres personnes peuvent s'y ajouter dans l'intervalle.
Pouvez-vous m'aider à comprendre comment cette relation fonctionne pour que vous soyez en mesure de faire le ciblage?
M. Faughnan : Je peux vous donner une réponse relativement brève. Nous travaillons très étroitement avec le Centre national de ciblage de l'agence. Les partenaires — dont nous et l'ASFC — ont tous une variété de bases de données et de fichiers qu'ils peuvent consulter. Chacune de ces bases de données répond à une exigence particulière.
La coordination se fait lorsqu'il s'agit d'accéder à l'information qui se trouve dans ces bases de données, que ce soit par l'entremise de notre propre personnel ou en collaboration avec un partenaire. Nous pouvons ainsi accéder à ces bases de données en tant que groupe et procéder collectivement au filtrage des passagers d'un vol entrant ou à la vérification d'une personne dont nous savons, par d'autres moyens, qu'elle est en route pour le Canada. Ce n'est pas nécessairement nous qui accédons directement à la base de données de nos partenaires et encore moins eux qui accèdent à la nôtre directement : tout se fait en collaboration.
En ce qui concerne le Centre national de ciblage, nous avons une relation qui fonctionne de minute en minute. Je suis du reste exceptionnellement confiant que nos partenaires peuvent, au besoin, avoir accès non seulement à leurs propres fichiers dans la base de données de l'ASFC, mais aussi à la base de données du SCRS grâce à une vérification de contrôle très rapide d'à peine quelques minutes.
Le sénateur Day : Madame la surintendante, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Cuillierrier : Voilà l'une des raisons pour lesquelles nous avons détaché l'un de nos agents au Centre national de ciblage, soit pour faire en sorte que l'information circule en temps opportun.
Le sénateur Dagenais : Ma première question s'adresse à M. Faughnan.
Le Canada accueille 100 millions de non-citoyens chaque année. Le Service canadien du renseignement de sécurité fait un certain filtrage de ces personnes, mais seulement lorsque le personnel de Citoyenneté et Immigration Canada lui confie des dossiers.
En 2012, Tom Venner, directeur général exécutif de la Direction du filtrage de sécurité du SCRS a indiqué que la direction avait examiné les dossiers de 300 000 personnes ne détenant pas de visa durant l'exercice financier visé.
Sur 100 millions de non-Canadiens qui entrent au pays, combien y en a-t-il qui font l'objet d'un filtrage par le SCRS, et combien de ces examens sont motivés par des demandes de CIC, de l'ASFC et de la GRC?
Je souhaiterais également que vous communiquiez au comité le nombre total de demandes de filtrage reçues par le SCRC pour chaque pays avec lequel nous coopérons et le nombre total de visas accordés au cours des deux derniers exercices.
M. Faughnan : Sénateur, si j'ai bien saisi votre première question, vous souhaitez une mise à jour sur le nombre de demandes de filtrage que nous avons traitées cette année?
Le sénateur Dagenais : Oui.
M. Faughnan : C'est à peu près le même nombre que ce que Tom Venner a rapporté en 2012, mais le total est divisé. Le problème pour nous est que nous recevons les demandes en fonction des besoins particuliers des différents programmes. Alors, selon qu'il s'agit de demandes de résidence temporaire, de résidence permanente ou de citoyenneté, les demandes ne proviennent pas toutes de CIC. La plupart viennent de CIC, mais certaines viennent directement de l'ASFC. Encore une fois, cela dépend des besoins des différents programmes. Je vais faire des démarches pour vous fournir le nombre précis de demandes par catégorie.
Si j'ai bien compris votre deuxième question, vous voulez que les chiffres soient ventilés en fonction des pays d'origine des demandes, est-ce exact?
Le sénateur Dagenais : Oui.
M. Faughnan : Je suis désolé, mais je n'ai pas cette information avec moi, mais je ferai tout ce qu'il faut pour vous la transmettre.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.
Madame Cuillierrier, nous savons que la GRC dispose d'un programme de filtrage des demandes de visa qui cible le crime organisé. À l'heure actuelle, le programme ne filtre qu'un petit pourcentage des demandes de visa en provenance de trois endroits précis : Moscou, Kiev et le Mexique.
Pouvez-vous dire au comité si la GRC et le SCRS considèrent la triade comme une organisation criminelle? Est-ce qu'un tel programme devrait exister pour la Chine ou Hong Kong, étant donné le grand nombre de demandes de visa que nous recevons chaque année en provenance de ces régions, dont celles de touristes, d'étudiants et de travailleurs étrangers temporaires?
Mme Cuillierrier : À l'heure actuelle, les seules raisons qui justifient le filtrage des demandes en provenance de ces trois régions sont le volume et les ressources dont nous disposons. La priorité est accordée à la plus grande menace, selon le renseignement mis à notre disposition.
Dans le cas du Mexique, nous avons entrepris un projet pilote, et le choix du Mexique a été fait en fonction d'une évaluation de la menace et du renseignement dont nous disposions. Nous avons consacré des ressources à ce projet.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais en savoir plus long sur les interceptions marines d'entrées illégales. Je crois qu'elles ont un certain succès — probablement dans le cadre du programme Shiprider auquel participe la GRC — sur les Grands Lacs et sur la Voie maritime du Saint-Laurent.
Selon le rapport du vérificateur général, il y a moins de navires disponibles que prévu pour les équipes qui s'occupent de ces interceptions, et nous aurions pu avoir encore plus de succès si cela n'avait pas été le cas. Ces navires étaient censés être prêts à la fin d'août 2012. Nous sommes maintenant en 2014, et le mois d'août n'est pas si loin : les navires ont deux ans de retard.
Doit-on y voir d'autres problèmes d'approvisionnement? Et il n'est même pas question de gros navires, mais de navires relativement petits. Ou est-ce plutôt une question de bonne gestion des ressources, ou de changement de politique ou encore, d'un simple renoncement?
Mme Cuillierrier : Malheureusement, je ne suis pas en position de répondre à cette question, mais j'ai des collègues de la police fédérale qui seraient tout à fait enchantés de pouvoir parler de toute la question de la sécurité marine, de la technologie et des ressources connexes.
Le sénateur Mitchell : Voici encore une question très précise. Je suis le parrain au Sénat du projet de loi C-279, qui concerne les droits des transgenres et qui a été adopté par la Chambre des communes. C'est un projet de loi sérieux qui a joui d'un soutien ferme de tous les partis. Je crois que 18 députés conservateurs l'ont appuyé. Or, nous avons récemment entendu parler du cas d'une femme transgenre qui tentait d'entrer au Canada et qui a été emprisonnée. Il y a eu toute une controverse, car elle a été placée dans une prison pour hommes.
C'est une question très précise, j'en conviens, mais je tiens à ce qu'elle figure au compte rendu. A-t-on déjà fait quelque chose pour revoir ce genre de traitement? Les transgenres que l'on jette en prison en fonction de leur identité et non de leurs attributs physiques ne devraient-ils pas bénéficier d'une quelconque protection? Vous pouvez imaginer la difficulté d'un tel procédé pour cette personne.
Mme Cuillierrier : Encore une fois, cette question échappe à mes compétences, mais je peux affirmer en toute confiance que nos politiques devront être revues en fonction de ce nouveau projet de loi, notamment en ce qui a trait aux services de police à contrat qui voient à l'incarcération des personnes détenues ou arrêtées.
Le sénateur Ngo : Ma question s'adresse à vous deux. Elle concerne le filtrage des étrangers qui souhaitent venir au Canada. Selon le vérificateur général, environ 10 000 non-Canadiens entrent au Canada chaque jour depuis cinq ans. Pouvez-vous nous parler des tendances que vous avez observées au cours de cette période en ce qui concerne ces étrangers, ces non-Canadiens qui entrent au Canada?
M. Faughnan : Sénateur, cherchez-vous à connaître certaines tendances particulières?
Le sénateur Ngo : Celles relatives au filtrage des étrangers qui souhaitent venir au Canada.
M. Faughnan : Je suis désolé, j'essaie de comprendre de quelles tendances vous parlez.
Le sénateur Ngo : La tendance dont vous avez été témoin au cours des cinq dernières années quant au filtrage des étrangers.
M. Faughnan : Je peux vous dire que le nombre de dossiers est plutôt stable. Je le répète, les demandes sont renvoyées au service en fonction d'un ensemble de critères dont se servent nos partenaires pour déterminer quels cas devraient être transmis aux fins de filtrage. Tout comme nos collègues de la GRC, nous sommes victimes de nos exigences en matière de ressources et d'établissement des priorités.
La quantité de ressources que nous pouvons affecter à ces tâches est limitée, ce qui a une incidence sur les tendances.
Lorsque le volume de demandes de filtrage augmente, par exemple, nous établissons les priorités en fonction de la menace nationale possible. Nous assurons la gestion des risques dans une assez grande mesure afin de concentrer nos efforts sur les dossiers les plus importants, surtout ceux qui ont trait à la sécurité nationale ou qui pourraient aider nos partenaires à prendre une décision conformément à leur mandat en vertu de la LIPR.
Je ne peux pas parler des tendances, mais je me contenterai de dire que le nombre de dossiers traités est demeuré plutôt stable au cours des dernières années.
Mme Cuillierrier : Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus que mon collègue. Le tout dépend des demandes qui nous sont renvoyées et d'un ensemble de critères convenus. Je ne peux dire grand-chose au sujet des tendances.
Le sénateur Ngo : Pourriez-vous nous parler du nombre de cas qui vous ont été renvoyés, par exemple, pour le filtrage des étrangers qui souhaitent venir au Canada? Comme vous l'avez dit, ces dossiers doivent être renvoyés par CIC. Pourriez-vous nous donner plus de détails à ce sujet?
M. Faughnan : Nous filtrons toujours environ 300 000 demandes par année dans la filière de l'immigration, mais elles visent divers programmes pour les résidents temporaires, les résidents permanents du Canada et même les réfugiés; toutes ces demandes font partie des dossiers traités. Je ne peux pas décomposer les chiffres pour l'instant, mais le nombre de demandes filtrées demeure assez stable.
Au cours de la dernière année, nous avons constaté une diminution du nombre de demandes de statut de réfugié qui nous ont été renvoyées, puisque le nombre de réfugiés a lui-même diminué. Or, nous avons observé une augmentation du nombre de demandes de visa de résident temporaire reçues. Le Canada est un pays très fréquenté par les visiteurs, et nous tentons d'accroître notre capacité de traiter un plus grand nombre de demandes de visa également.
Le président : Si vous le permettez, chers collègues, j'aimerais avoir plus de détails au sujet des données et des divers programmes gérés par la GRC. Le SCRS est également doté d'un service de renseignement, et l'ASFC a des logiciels qui permettent de cibler les personnes qui pourraient ne pas être les bienvenues au Canada.
D'après ce que j'entends, nous avons divers programmes informatiques auxquels les compagnies aériennes, par exemple, n'ont pas accès immédiatement pour transmettre au Canada le nom des personnes qui prendront un vol. Selon ce que je comprends, et corrigez-moi si je me trompe, les renseignements ne sont pas immédiatement transmis à la banque informatique de la GRC, qui pourrait identifier les personnes interdites de territoire, à moins qu'un responsable n'autorise cette recherche. Est-ce bien cela?
Lorsque je glisse mon passeport dans le lecteur, mes données ne sont pas immédiatement transmises à votre banque de données, à moins que l'ASFC ne vous les transmette. Est-ce bien ainsi que cela fonctionne en pratique?
M. Faughnan : Les fichiers du service contiennent des renseignements classifiés. Les agents de première ligne n'y ont donc pas accès.
En ce qui concerne les bases de données consultées lorsqu'une personne arrive au port d'entrée, il vous faudrait poser la question aux représentants de l'ASFC; ils pourraient vous donner une réponse plus étoffée à ce sujet. Nos partenaires doivent, en effet, nous présenter une demande pour obtenir les renseignements de notre banque. Nous pouvons également agir en amont, c'est-à-dire transmettre le nom de certaines personnes à nos partenaires, qui peuvent les consigner dans leurs bases de données.
Le président : Puisque les technologies modernes le permettent, ne serait-il pas plus logique de transmettre directement aux diverses banques de données le nom de chaque personne qui présente son passeport, avant même d'entrer au pays, et d'émettre une alerte s'il s'agit de personnes interdites de territoire? La situation actuelle me semble problématique. Si les divers partenaires ne communiquent pas entre eux, n'importe qui peut entrer sans problème au Canada.
Avez-vous discuté de cette question avec vos collègues des autres ministères pour trouver une méthode d'identification commune afin d'éviter de chasser une personne pendant 72 heures, dans un labyrinthe bureaucratique? Ai-je été assez clair?
M. Faughnan : C'est une bonne question, monsieur le président. J'aimerais faire valoir que les fichiers de l'ASFC contiennent de nombreux renseignements, qui peuvent être consultés sur-le-champ. Si l'ASFC a besoin de renseignements supplémentaires sur des questions précises relatives à la sécurité nationale, elle doit faire une demande distincte au service, en raison de la nature délicate des renseignements contenus dans nos fichiers.
Toutefois, et surtout depuis les dernières années, en raison de l'évolution des technologies, nous collaborons avec nos partenaires pour accroître la capacité de détection. Ces mesures sont plutôt complexes, et je ne peux vous parler des techniques précises utilisées, mais disons seulement qu'il existe une coordination assez importante pour veiller à ce que les renseignements nécessaires soient transmis aux partenaires.
De mémoire, aucun cas n'est passé inaperçu, chaque fois que les renseignements étaient disponibles.
Le président : Mais vous ne le sauriez pas si c'était le cas, non?
M. Faughnan : Parfois oui.
Le président : Et parfois non.
Madame Cuillierrier, vouliez-vous parler du transfert direct de l'information des passeports vers la banque de données de la GRC à des fins de détection immédiate?
Mme Cuillierrier : Pour les questions relatives à l'admissibilité, nous recevons des dossiers de CIC et de l'ASFC. Une fois que ces dossiers nous sont renvoyés, nous vérifions les noms dans nos bases de données, et nous transmettons rapidement l'information à l'organisme demandeur.
Le sénateur Dallaire : C'est un peu un système en deux temps. D'abord, vous dites que vous avez répondu aux préoccupations de l'ASFC relatives à l'admissibilité de 667 personnes l'année dernière. Toutefois, aucun d'entre vous n'a pu répondre à la question suivante : lorsque l'ASFC n'a plus besoin de l'information, quelles sont les mesures de suivi utilisées pour vérifier que les processus fonctionnent? Pour faire suite à la question du sénateur, il faudrait qu'un enquêteur procède à un examen général afin de déterminer si on a bel et bien réglé le dossier et fait un suivi approprié, ou si certaines personnes passent encore entre les mailles du filet, que ce soit en raison des renseignements que vous ou vos partenaires avez fournis, ou encore des mesures qui auraient dû être prises, mais qui ne l'ont pas été. Est-ce qu'un organisme supervise tout cela?
M. Faughnan : Je peux vous parler des conseils que donne le service, et des liens avec le rapport de 2011 du BVG. À la suite de la publication du rapport, le service, l'ASFC et CIC ont créé un groupe de travail chargé d'étudier ces questions de façon systématique.
Les rétroactions faisaient partie des questions abordées. Il était important que l'ASFC transmette ses rétroactions au service quant aux conseils offerts. Un mécanisme de rétroaction est maintenant en place depuis au moins un an et demi, voire près de deux ans.
Nous avons maintenant une plus grande confiance : lorsque nous donnons des conseils à l'ASFC, nous nous assurons qu'ils lui sont pertinents et qu'elle pourra subséquemment faire des recommandations à CIC. Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, pour sa part, a établi des mécanismes de rétroaction, et ses fonctionnaires pourront vous en parler en détail.
Je crois qu'il est juste de dire que nous avons bouclé la boucle dans une certaine mesure, puisque non seulement nous obtenons des commentaires sur la décision finale ou du moins sur la recommandation faite, mais nous recevons aussi l'information nous permettant de donner des conseils clairs et pertinents pour aider nos partenaires à prendre des décisions. Nous savons que les conseils fournis à nos partenaires en vertu de la loi relative à la sécurité nationale doivent être les plus clairs possible.
Bien sûr, dans le domaine du renseignement, l'information n'est parfois pas très claire. Elle peut être très nébuleuse. Toutefois, au cours des dernières années, nous avons travaillé très fort avec nos partenaires pour être sûrs de leur donner des conseils judicieux qui les aideront à prendre une décision.
Mme Cuillierrier : Lorsque j'occupais le poste de directrice de la Sous-direction des questions d'immigration et de passeport en 2011, nous avions souligné l'importance de régler la question des données transmises puisque, comme l'a fait valoir M. Faughnan, cela permet d'optimiser la valeur des conseils donnés.
Je ne sais pas si un système de ce genre a bel et bien été mis en place, mais je sais pertinemment que nous avons eu cette conversation. À mon avis, seul un tel système nous permettra d'aller de l'avant. Dans le cadre de l'établissement de l'architecture d'harmonisation et du cadre de gestion du rendement pour les activités frontalières, nous pourrions valider le travail effectué et les renseignements que nous transmettons à l'ASFC et à CIC.
Le sénateur Segal : Les témoins d'aujourd'hui pourraient-ils m'aider à comprendre l'écart entre les conseils qui sont offerts et ceux qui sont reçus?
Vous procédez au filtrage et vous donnez des conseils aux organismes appropriés. Faites-vous un suivi pour vérifier si on a profité de vos conseils et si, par exemple, une personne qui a fait l'objet d'un filtrage a été admise ou non au pays, en fonction de la décision de l'organisme client auquel vous avez transmis l'information?
Il me semble qu'à une certaine époque — pas au cours des huit ou neuf dernières années, mais par le passé —, de nombreux permis ministériels étaient délivrés dans le but de contourner les diverses difficultés, sans doute parce que le ministre de l'époque croyait avoir des raisons valables de le faire. Quelle est votre moyenne : 500, 300 ou 800 p. 100? Savez-vous vraiment si le ministère ou les organismes partenaires ont suivi les conseils que vous donnez au sujet des demandeurs éventuels?
M. Faughnan : Sénateur, le service est très souvent informé des décisions finales qui sont prises. Dans certains cas où l'on juge la menace pour la sécurité nationale importante, nous faisons nous-mêmes le suivi.
Nous savons que les conseils que nous donnons à nos partenaires n'entraîneront pas, à tout coup, les résultats auxquels nous nous attendions.
Étant donné notre mandat, nous avons établi un seuil assez bas pour donner des conseils ou transmettre des renseignements à nos partenaires en cas de menace possible à la sécurité nationale. Le seuil établi par un partenaire pour refuser un visa, disons, peut être beaucoup plus élevé par rapport aux renseignements que nous avons transmis.
Aussi, au cours des dernières années, nous avons beaucoup travaillé avec les partenaires pour accroître la communication et discuter systématiquement des résultats qu'entraînent les conseils donnés, notamment pour savoir si nos conseils ont eu une incidence, mais aussi, comme je l'ai dit dans ma réponse précédente, pour veiller à ce que les conseils subséquents soient les plus pertinents possible; les partenaires pourront ainsi prendre la décision la plus éclairée qui soit. En un mot, la réponse à la question est oui : nous effectuons un suivi dans la plupart des cas pour connaître la décision finale.
Mme Cuillierrier : Je ne sais pas si on suit nos conseils dans tous les cas, mais comme je connais les critères étudiés par la GRC lorsqu'elle reçoit un dossier, et d'après mes conversations avec nos collègues et les représentants de l'ASFC, je peux dire avec assurance que nos conseils sont pris en compte. Je ne connais pas les résultats, mais je suis certaine que le temps, l'énergie et les ressources que nous consacrons à cette fonction sont utiles à l'ASFC.
Le sénateur Segal : Puisque vous ne pouvez pas toujours connaître les résultats exacts dans chaque cas, à moins d'une menace importante à la sécurité nationale, croyez-vous qu'il serait pertinent d'établir une structure officielle vous permettant de savoir précisément si vos conseils sont pris en compte, ne serait-ce que pour pouvoir consigner les cas où une personne est admise au pays malgré vos conseils à l'effet du contraire, pour diverses raisons contingentes? Ou êtes- vous d'avis que la situation actuelle est tout à fait convenable?
M. Faughnan : Pour ce qui est du service, les grandes améliorations apportées au cours des deux ou trois dernières années me font dire que nous sommes tout à fait sur la bonne voie. On peut toujours améliorer les processus opérationnels pour communiquer l'information de la façon la plus systématique possible, mais si je compare la situation actuelle à celle d'il y a deux ou trois ans, je dirais que nous avons fait beaucoup de chemin. Certaines de ces améliorations se poursuivront probablement sur le plan des processus opérationnels, mais étant donné notamment le manque de ressources, nous nous sommes concentrés sur les cas les plus importants, et les échanges avec les partenaires sont plus fréquents que jamais.
Mme Cuillierrier : Pour faire suite aux propos de mon collègue, je crois que toute forme de rétroaction sera bénéfique pour nous et nous permettra de nous ajuster et d'adapter nos activités à l'avenir.
Comme l'a dit M. Faughnan, nos relations avec l'ASFC et CIC dans le domaine du filtrage de sécurité se sont grandement améliorées au cours des dernières années.
Le sénateur Segal : Merci beaucoup.
Le président : Chers collègues, il est maintenant 15 heures. Je tiens à remercier les témoins de leurs exposés. Merci d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer.
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense poursuit son étude de la défense antimissiles balistiques conformément à l'ordre de renvoi approuvé par le Sénat le 12 décembre 2013. Nous sommes heureux de recevoir d'éminents universitaires canadiens : Frank Harvey, professeur en relations internationales à l'Université Dalhousie d'Halifax, et James Fergusson, directeur du Centre of Defence and Security Studies de l'Université du Manitoba.
Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue. Vous avez tous deux écrit longuement sur ce sujet. Nous sommes heureux de vous recevoir en personne. Vous ferez tous deux une déclaration liminaire; nous disposons d'environ une heure et demie pour cette table ronde. Nous avons hâte de vous entendre. Monsieur Harvey, vous pouvez commencer.
Frank Harvey, professeur en relations internationales, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup. Mon objectif aujourd'hui est assez clair : souligner ce qui me semble être une incohérence grave et déconcertante dans la politique canadienne en matière de défense antimissiles balistiques.
En novembre 2010, 28 pays membres de l'OTAN ont signé à Lisbonne le nouveau Concept stratégique de l'Alliance, qui énonce leurs obligations et leurs engagements dans le but de renforcer la sécurité collective. Jusque-là, rien de compliqué. Le document signé en 2010 stipule clairement que tous les membres de l'OTAN :
[...] développeron[t] [leur] capacité à protéger [leurs] populations et [leurs] territoires contre une attaque de missiles balistiques, en tant qu'un des éléments centraux de [leur] défense collective, qui contribue à la sécurité, indivisible, de l'Alliance.
Comme l'a dit le président Obama dans sa déclaration finale :
[...] nous sommes convenus de développer une capacité de défense antimissiles suffisante pour protéger tous les territoires et populations de l'Europe et des États-Unis.
Au sommet de l'OTAN de Chicago en 2012, les membres de l'Alliance ont renouvelé leur engagement collectif à la défense antimissiles.
Nous restons préoccupés par les menaces croissantes qu'engendre pour notre Alliance la prolifération des missiles balistiques [...]. Le but de cette capacité [...]
Et ils font allusion à l'engagement pris au sommet de Lisbonne à l'égard de la défense antimissiles.
[...] est d'assurer la couverture totale et la protection de l'ensemble des populations, du territoire et des forces des pays européens de l'OTAN [...]
Et des États-Unis.
En 2012, la revue de la posture de dissuasion et de défense de l'OTAN réitère encore une fois les engagements en matière de défense antimissiles. En tant que membre de l'OTAN, le Canada endosse officiellement, et sans plus aucune ambiguïté, la logique, l'utilité stratégique et les impératifs de sécurité qui sous-tendent la défense antimissiles. En substance, le gouvernement du Canada reconnaît aujourd'hui pleinement les mérites de la coopération internationale en matière de défense antimissiles, laquelle fait partie des obligations et des engagements qu'il a contractés au sein de l'Alliance.
Je dirais que le bien-fondé de la défense antimissiles n'est plus guère remis en question, à Ottawa, sauf lorsqu'il s'agit de l'obligation du gouvernement de protéger le territoire et les populations contre ces mêmes menaces. Pourquoi?
L'aspect le plus déconcertant de l'endossement officiel par le Canada de la défense antimissiles est la réticence — voire l'opposition — de son gouvernement à engager des pourparlers bilatéraux avec son allié principal au sein de l'OTAN au sujet du dispositif de défense antimissiles et des algorithmes des intercepteurs de missiles, dans le but de défendre le territoire canadien. Il faut bien comprendre qu'en apposant sa signature sur chacun des documents que je viens d'indiquer, le Canada a clairement confirmé son appui à la défense antimissiles, mais il a aussi laissé entendre qu'il rejetait les divers avis exprimés par les détracteurs. Selon toute vraisemblance, si le gouvernement du Canada avait été du même avis, il n'aurait pas signé ces documents. La signature de ces documents insinue que le gouvernement du Canada rejetait les arguments invoqués par les adversaires de la défense antimissiles. Il avait d'ailleurs de très bonnes raisons de rejeter ces avis complètement dépassés.
En effet, leurs auteurs étaient absolument convaincus que la défense antimissiles américaine obligerait la Russie à se lancer dans une nouvelle course aux armements; d'ailleurs, les membres du comité pourront aisément retrouver ces propos alarmistes dans les délibérations de la Chambre et du Sénat sur la défense antimissiles. Or, depuis, nous avons assisté à la signature, au niveau bilatéral, d'accords de désarmement d'une envergure inédite. J'aimerais attirer votre attention sur la première diapositive du document papier que je vous ai remis. Les deux premières diapositives montrent assez clairement la diminution du nombre d'armes nucléaires dans l'ensemble du système. Leur nombre a bel et bien diminué au cours des 10 dernières années. Les faits sont assez évidents.
La défense antimissiles des États-Unis a un effet beaucoup moins déstabilisateur depuis la fin de la guerre froide parce que les Russes ont compris que le dispositif américain vise à contrer les nouvelles menaces nucléaires, comme la Corée du Nord et l'Iran, et qu'il ne compromet pas la capacité de dissuasion de la Russie.
Les adversaires de la défense antimissiles continuent aussi de lui reprocher sa technologie dépassée, alors que les résultats des essais montrent à l'évidence que des progrès remarquables ont été accomplis. Je n'entrerai pas dans les détails, puisque je les explique dans mes notes d'allocution. En tout cas, les deux prochaines diapositives montrent les résultats des essais, de même que les taux de réussite et d'échec des diverses composantes de la défense antimissiles depuis 2001.
Les éléments de preuve sont assez convaincants. La technologie fonctionne, et son degré de précision augmente au fil du temps : au cours des 13 dernières années, 43 des 55 essais réalisés au moyen d'intercepteurs coup au but et destruction, soit près de 78 p. 100, ont atteint la cible. C'est assez impressionnant pour une technologie qui ne vaut rien.
Certes, les critiques ont raison de dire que les systèmes actuels de défense antimissiles des États-Unis et de l'OTAN sont technologiquement incapables de protéger un territoire contre une attaque d'envergure lancée par la Russie ou par la Chine, mais les limites de ce type de défense sont en fait un élément stabilisateur. On ne cherche pas à nuire à la valeur dissuasive des armes de la Russie ou de la Chine. Ainsi, grâce à cet effet stabilisateur, ces pays ne craignent plus que le dispositif de défense antimissiles soit dirigé contre eux. De toute évidence, il vise la Corée du Nord et l'Iran.
Les critiques se sont également fourvoyés en prédisant que la défense antimissiles américaine encouragerait la Chine à accroître massivement ses dépenses militaires et son programme nucléaire, puisque rien de tel ne s'est produit, et ce, peu importe la mesure utilisée, qu'il s'agisse du pourcentage du PIB ou du pourcentage du budget de la défense consacré aux armes nucléaires. Il n'y a aucune preuve d'une telle prolifération massive en Chine, et ce, pour deux raisons bien simples : la Chine continue de prôner une stratégie de dissuasion minimale; elle est convaincue que cela suffit à établir sa crédibilité. De plus, les Chinois ont compris que la défense antimissiles américaine et de l'OTAN ne visait pas à miner la crédibilité de leur capacité de dissuasion. Elle vise plutôt la Corée du Nord et l'Iran.
L'évaluation officielle que le gouvernement canadien a faite des risques et menaces que pose la Corée du Nord en matière de prolifération d'armes nucléaires et de missiles balistiques est on ne peut plus claire. Le gouvernement canadien comprend la menace. On peut lire sur son site web :
[...] le Nord et le Sud restent techniquement en guerre. Le Canada demeure profondément préoccupé par les gestes de provocation et de déstabilisation de la Corée du Nord, comme les essais nucléaires et de tirs de missiles, ainsi que les violations flagrantes des droits de la personne.
Les responsables canadiens reconnaissent donc clairement que le régime nord-coréen représente une menace sérieuse pour la sécurité de la planète, surtout depuis le lancement, en décembre 2012, de la fusée Unha-3. Comme on peut le voir dans les deux prochaines diapositives, il s'agit d'un missile balistique intercontinental à trois étages, dont la portée est estimée à 10 000 kilomètres. Sur le graphique, on voit que cela comprend une bonne partie des États-Unis et du Canada. Si l'on y ajoute le dernier essai nucléaire souterrain de la Corée du Nord, en janvier 2013, force est de conclure que ces actions constituent une menace grave non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour le Canada.
Mes notes d'exposé présentent également les résultats de deux sondages, qui démontrent que les Sud-Coréens, que nous nous sommes engagés à protéger, doutent de plus en plus de la crédibilité de la promesse des États-Unis et, par extension, de la nôtre. Le graphique montre qu'un grand nombre de Sud-Coréens ne sont aujourd'hui pas convaincus que la dissuasion nucléaire des États-Unis est crédible ni que les Américains mèneraient une autre guerre pour les protéger.
Les responsables américains et canadiens reconnaissent que la défense antimissiles est importante en vue de préserver la crédibilité de leur engagement à l'égard de la région. C'est un élément fondamental. En signant les documents, les membres de l'OTAN, y compris le Canada, ont montré qu'ils comprennent l'importance de la défense antimissiles, qui contribue de diverses façons à la sécurité mondiale.
Il n'y a absolument aucune divergence de position entre les États-Unis, l'OTAN et le Canada au sujet de la défense antimissiles, dans le contexte de la sécurité mondiale, de la sécurité de l'Europe et de la sécurité de l'Asie. Mais c'est là qu'apparaît une contradiction déconcertante. Le gouvernement canadien a décidé d'appuyer la défense antimissiles pour protéger les alliés européens, américains et asiatiques, ainsi que leurs populations et leurs territoires, alors pourquoi cette valse-hésitation au sujet des négociations bilatérales qu'il devrait entreprendre avec les États-Unis pour assurer la protection du Canada?
Les dirigeants canadiens sont peut-être convaincus que les Américains nous protégeront, et qu'ils protégeront chaque région, chaque ville du Canada et toute la population canadienne. Ils ont peut-être la ferme conviction que les dirigeants américains nous protégerons, alors à quoi bon faire des vagues? Pourquoi nous engager dans un autre horrible débat politique sur une mesure que nous prenons de toute façon? Motus et bouche cousue, tel est le mot d'ordre. .
Mais que se passera-t-il s'il n'y a pas de garanties clairement énoncées de la part des États-Unis qu'ils protégeront la totalité du territoire et des populations du Canada? Et si ces garanties n'existaient que dans l'imagination des responsables canadiens? Si tel était le cas, il s'agirait d'une abrogation très risquée de l'obligation première du gouvernement de défendre de façon proactive le Canada, sa population et ses territoires. Il s'agirait alors, à mon avis, d'une grave erreur de jugement.
Un dernier point : ce n'est plus aux partisans de la défense antimissiles d'essayer de convaincre le Canada de participer aux discussions. C'est aux quelques irréductibles opposants, au sein du gouvernement canadien, qu'il incombe d'expliquer pourquoi les Canadiens n'ont pas droit aux mêmes garanties de sécurité et à la même protection que les populations des autres pays. Merci.
Le président : Merci, monsieur Harvey. Monsieur Fergusson, avez-vous une déclaration préliminaire à faire?
James Fergusson, directeur, Centre of Defence and Security Studies, Université du Manitoba, à titre personnel : Oui. Elle se fonde en partie sur l'un des articles que je vous ai fait parvenir. Il s'agit du plus récent article qui sera publié sous peu dans un ouvrage révisé sur la politique de défense du Canada et qui porte essentiellement sur la défense antimissiles et sur l'espace. La partie de l'article consacrée à la défense antimissiles vise principalement à expliquer pourquoi, depuis 2005, le gouvernement canadien n'est pas allé de l'avant ou n'est pas revenu sur sa décision dans le dossier de la défense antimissiles. Je vais m'inspirer en partie des commentaires de mon collègue, M. Harvey, pour vous présenter les deux principales hypothèses qui expliquent cette inaction du gouvernement et vous montrer pourquoi elles sont toutes deux problématiques.
La première hypothèse, qui fait partie de la politique de défense du Canada depuis longtemps, du moins depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, veut que pour se défendre, les États-Unis n'aient d'autre choix que de défendre le Canada. Je vous ai transmis une carte de projection polaire que j'ai créée et qui montre les sources de la menace, comme les appelle le NORAD — ma carte n'est pas aussi sophistiquée que celle du NORAD. Il s'agit de trajectoires des tirs de missiles de la Corée du Nord et de l'Iran. On voit également les autres sites possibles et envisagés dans le système, surtout le site de Fort Greely, qui comprend aujourd'hui 30 intercepteurs, en plus des 14 intercepteurs qui devraient être déployés en 2017, dans le cadre du système radar basé à l'avant. Le postulat, c'est que les États-Unis vont nous défendre, comme l'a dit M. Harvey.
On suppose qu'étant donné la nature du système actuel, surtout en cas de lancement — et mes observations initiales porteront sur un lancement à partir de la Corée du Nord —, les États-Unis n'auraient pas le choix de nous défendre : s'ils tiennent à défendre les 48 États continentaux, leur système de défense antimissiles d'intervention lointaine, et surtout leur système de défense antimissiles terrestre à mi-parcours, devraient défendre le Canada. Vous pouvez voir sur la carte les trajectoires.
Selon cette hypothèse, on suppose ou on estime que la nature du système, qui s'est transformé en un système à plusieurs niveaux plus sophistiqué, visera à tirer le plus tôt possible sur une ogive de missile balistique avant que les dispositifs de suivi du système puissent identifier la cible nord-américaine précise — du moins, c'est ce qui est présumé. Plus le système peut tirer rapidement sur l'ogive qui s'approche, plus les tentatives d'interception possibles selon la stratégie « tire-vise-tire » seront nombreuses.
On a également fait valoir ou avancé que les points d'interception devraient avoir lieu, de préférence, après l'apogée, c'est-à-dire à partir du moment où le missile est le plus loin de la Terre alors qu'il traverse l'espace et amorce sa descente vers sa cible en Amérique du Nord continentale. Une interception après l'apogée, à l'aide d'un missile à destruction cinétique, permet de réduire la probabilité que les débris causés par une interception réussie demeurent dans l'espace et aggravent ainsi le problème actuel des débris spatiaux. Au lieu de cela, les débris tomberont sur terre ou y seront entraînés par la gravité pour ensuite brûler au moment de leur réinsertion.
J'ajouterais que le site de Fort Greely, ou l'Alaska — c'est difficile de trancher, étant donné les chiffres obtenus dans Internet — se trouve environ à mi-chemin, ou un peu plus, des 6 800 milles qui séparent la Corée du Nord et Washington. Nous avons affaire à des renseignements hautement classifiés sur le fonctionnement du système, mais il est fort probable que l'interception se fasse un peu à l'extérieur du site. Il faut également tenir compte du moment.
Et ce qui est important, à mon avis et de l'avis de gens à qui j'ai parlé, lorsque vous essayez de différencier la cible — et c'est là l'élément clé de l'hypothèse canadienne, qui est fondée sur l'axiome que les États-Unis nous défendront pour se défendre eux-mêmes — ce qui est important, dis-je, c'est de savoir où se trouverait cette cible. Si l'on suppose en plus qu'il y aura un deuxième tir vers la tête explosive qui s'approche, il faut décider si l'on veut prévoir un deuxième ou un troisième intercepteur, compte tenu des possibilités que présente l'endroit où se situe le système.
L'élément crucial à étudier par les planificateurs de la défense canadienne pour protéger les villes et les populations sans compter sur l'aide des États-Unis et sans que nous participions au système de défense, cet élément crucial, dis-je, est le moment où les États-Unis pourront déterminer la cible à atteindre. Il y a d'autres facteurs à considérer, par exemple le choix que le Commandement des États-Unis doit faire par rapport au nombre de têtes explosives en vol, par rapport au nombre de missiles balistiques intercontinentaux — on parle en l'occurrence de l'arsenal de la Corée du Nord —, le moment choisi pour l'intervention en fonction des renseignements recueillis sur le plan de bataille nord- coréen. Et il faut par ailleurs trouver des réponses à diverses questions, notamment, y aura-t-il un seul tir? Plusieurs? À quel moment seront-ils exécutés en fonction du renseignement obtenu? Quels seront les intervalles entre les tirs? Quel sera le nombre de missiles balistiques intercontinentaux en réserve par rapport au nombre d'intercepteurs disponibles? Combien y aura-t-il de possibilités d'interception et quelle est la probabilité de réussite par interception?
Tout ce renseignement sur les capacités de l'ennemi, sur les détails et les capacités du système de défense antimissiles américain, notamment à la base de Fort Greely en Alaska, ainsi que sur le plan de bataille américain est essentiel pour répondre à la question fondamentale suivante : le Canada sera-t-il défendu quelle que soit l'action que prennent les États-Unis face à une attaque donnée? Cette information est vitale pour que les responsables canadiens puissent décider des mesures à prendre ou pas pour défendre les villes canadiennes. Je vous dirais donc que la défense du Canada contre une éventuelle frappe, quelle qu'elle soit, de la Corée du Nord — puisque j'ai pris cet exemple — qui est pour l'instant notre principal souci, l'Iran venant après, repose sur l'espoir et la croyance que les États-Unis devront nous défendre afin de se défendre eux-mêmes.
On pourrait dire que même si nous avions toute cette information, si nous avions accès à tous ces détails, à la suite, probablement, de négociations ou du moins de discussions avec les États-Unis, cette information serait inutile. En regard de notre position géographique, de l'intégration économique du Canada et des États-Unis, et de la dévastation qu'entraînerait toute attaque nucléaire, et si l'on songe à l'impact radioactif par rapport à la direction des vents, la destruction d'une grande ville canadienne aurait un effet désastreux sur les États-Unis. De plus, on entretient l'espoir plus ou moins avoué que, de par leurs valeurs, les États-Unis se sentiraient moralement tenus de défendre le Canada. Toutefois, ce qui pourrait s'appliquer à des villes qui sont à proximité l'une de l'autre, comme Vancouver l'est de Seattle, Detroit de Windsor, et aux trois villes de Toronto, Ottawa, Montréal qui sont à proximité du nord-est américain, ne s'appliquerait pas nécessairement à Edmonton, Calgary, Winnipeg ou à d'autres villes du Canada, ni non plus à des cibles qui pourraient viser le Sud des États-Unis et même Washington, dans le district fédéral de Columbia.
Les considérations morales sont une chose, mais il ne faut pas oublier qu'un commandant de l'armée américaine est légalement tenu de défendre les États-Unis. Il n'est pas tenu légalement de défendre le Canada, même s'il est prêt à le faire, ce qui le placerait dans une situation difficile en l'absence de notre participation.
Je vous dirais enfin que si ce principe s'applique aux États-Unis, à savoir que pour se défendre, ils doivent défendre le Canada, il y a une certaine réciprocité à laquelle les responsables canadiens ne pensent jamais, à savoir que nous sommes également tenus de défendre les États-Unis afin de nous défendre. Rien que pour ces raisons, qui concernent les questions entourant les cibles, je dirais qu'une certaine forme de participation est également cruciale et consisterait au moins à trouver des réponses à la question essentielle de savoir à quelles conditions le Canada sera ou ne sera pas défendu.
Le deuxième point à prendre en considération concerne les développements survenus aux États-Unis à propos d'un éventuel troisième site qui serait déployé dans le nord-est du pays. Comme vous le remarquez sur la carte que je vous ai donnée et que j'ai établie au mieux de mes connaissances, il y a cinq sites envisagés marqués d'un x, dans le Michigan, l'Ohio, le nord de l'État de New York, le Vermont et le Maine, pour lesquels on procédera à une évaluation environnementale. Cela ne signifie pas que le Congrès a approuvé le nouveau site, ni que ce site verra le jour, mais cela signifie que les États-Unis pourraient juger nécessaire, compte tenu du rythme de la prolifération en Iran, à la fois des armes nucléaires et des missiles balistiques à longue portée, la création d'un troisième site afin de défendre la côte Est d'une éventuelle attaque iranienne.
J'ajouterais à ceci, qu'en raison de sa position géographique, le site de Fort Greely n'est pas le mieux placé pour intercepter des tirs provenant du Moyen-Orient ou de l'Iran. Pour procéder à une interception, on devrait — m'a-t-on dit — faire ce qu'on appelle une « recherche de cible ». Il faudrait, contrairement à ce qui se passerait dans le cas d'un lancement en provenance de la Corée du Nord, où l'on pourrait tirer sur la cible qui approche, rattraper la tête explosive.
On doit donc s'interroger sur l'importance qu'aura cet éventuel site et ce que cela signifie pour le Canada. Cela soulève aussi, bien sûr, la question de faisabilité au sein du système européen et de l'OTAN. Et je soulignerais à ce sujet que le plan que le président Bush avait négocié avec la Pologne et la République tchèque, et qu'avait ensuite supprimé l'administration Obama, prévoyait l'utilisation d'intercepteurs à mi-parcours de longue portée, comme ceux qui sont déployés à Fort Greely. La position actuelle d'Obama et celle qui est prévue dans le programme de l'OTAN consiste à déployer des missiles standard, à partir de navires, surtout sur un théâtre d'opérations, et à élaborer ensuite un système moderne au gré des perfectionnements. Cela suppose évidemment l'efficacité des tirs à longue portée contre l'Amérique du Nord par rapport aux tirs lancés pour défendre les populations et le territoire européen.
C'est là que se pose l'une des questions centrales pour l'avenir du Canada, question qui est vitale pour sa sécurité et pour sa relation avec les États-Unis. Le radar Thulé, qui fait partie du système d'alerte avancé pour les missiles balistiques, est situé dans le Grand Nord, au Groenland, et il est évidemment orienté vers le pôle Nord. Mais par rapport au système de défense antimissiles se pose effectivement la question de savoir où seront déployés les radars semblables à ceux qui sont installés dans le système de Fort Greely, dans le Pacifique. Les seuls autres radars NAVCAN sont installés sur le site de Cape Cod, qui est optimisé en permanence pour les missiles balistiques lancés par sous-marin, et sur le site Cavalier, au sud de Winnipeg, qui est également optimisé pour les patrouilleurs sous-marins en direction du nord de la baie d'Hudson en particulier. Ces deux sites remontent à la guerre froide, mais ils sont encore en opération.
La question que doit se poser le Canada n'est plus la même aujourd'hui. On craignait autrefois qu'en refusant de participer au système de défense prévu par les États-Unis, cela aurait des conséquences sur notre relation de défense avec eux, sur le NORAD et sur l'avenir de la relation au sein du NORAD, entre autres. Mais les observateurs le diront, et c'est ce qu'a dit Alan Stephenson, aucune de ces craintes ne s'est matérialisée. La raison en est bien simple : le territoire du Canada n'avait pas d'importance significative pour le fonctionnement efficace du système de Fort Greely, essentiellement conçu pour se défendre de la Corée du Nord. Mais si les États-Unis ouvrent un troisième site, le territoire canadien aura alors une importance capitale. Le déploiement avant d'un radar maritime — et je dirais qu'après la décision de 2005, les responsables de Raytheon se sont demandé si cette décision interdirait ou empêcherait l'installation d'un radar déployé à l'avant, un radar bande X, à Goose Bay, puis on a rapidement laissé tomber l'idée — ce déploiement, dis-je, témoigne de la nécessité de suivre les activités d'un site terrestre dans le Nord-Est. Et l'emplacement idéal pour ce faire se trouve au Canada. Si le Canada refuse d'y participer ou de s'y préparer, cela présentera certainement un danger pour la sécurité des États-Unis et aura, je vous le dis, des conséquences directes pour l'avenir de notre relation de défense vitale avec les États-Unis.
Il est crucial d'examiner ces enjeux sans attendre, comme le fait trop souvent le Canada, qu'un troisième site ne soit choisi. Nous devons être prêts, comme je l'ai dit tout d'abord, à pouvoir défendre le Canada dans le cadre du système actuel. C'est pour cette raison qu'il est impératif, pour la défense du Canada et l'avenir de notre relation avec les États- Unis, d'entamer avec ces derniers des négociations sur les ramifications, financières et autres, de la défense des villes et des populations canadiennes. Mesdames et messieurs les sénateurs, merci.
Le président : Merci beaucoup. Nous allons commencer les questions par le sénateur Dallaire.
Le sénateur Dallaire : Messieurs, nous vous savons gré de vos exposés dans lesquels vous avez présenté avec clarté et rigueur intellectuelle les enjeux vus dans deux perspectives différentes. Ce qui m'amène à vous poser la question suivante : si nous prenions part à la défense antimissiles, quel engagement le Canada devrait-il prendre, sous forme de ressources ou autres, qu'il s'agisse de radar ou de tout autre instrument servant à soutenir cette capacité, comme les Américains le font avec les Polonais et les autres?
M. Harvey : Je vais vous donner rapidement mon point de vue et je laisserai M. Fergusson vous fournir des détails sur certains des coûts.
Le fait d'entamer des négociations ou des discussions avec les Américains sur tous ces enjeux ne coûterait absolument rien. Personne n'a la moindre idée de ce que cela coûterait puisque les négociations n'ont même pas commencé et on ne sait pas le type d'engagement que le Canada pourrait prendre. Il n'y a donc aucun moyen d'évaluer ces coûts, qui seront fonction de décisions politiques. Il faudra trouver un équilibre avec d'autres priorités, à la fois nationales et internationales, et notamment les priorités de défense.
La question plus importante à se poser, à mon avis, est de savoir si les menaces à la sécurité sont suffisantes pour qu'on agisse. Il faut se demander ensuite combien on veut y investir? Mais nous n'en sommes même pas encore là et je crois que c'est dangereux.
M. Fergusson : Si l'on remonte aux années 1990, à l'époque où l'on a commencé les négociations, que l'on a ensuite appelées discussions, discussions qui se sont amorcées l'été de 2003 et se sont conclues au début de l'hiver de 2004, avec la décision finale prise par le premier ministre Martin au mois de février 2005, on pensait généralement à l'époque que cet engagement ne coûterait rien. On pensait alors, pour diverses raisons, découlant notamment des messages que les États-Unis avaient envoyés au milieu des années 1990, que ce qui était important pour les États-Unis, c'était tout simplement de pouvoir compter sur le Canada comme sur l'un de ses alliés principaux, voire son principal allié. Cette hypothèse posait problème, mais elle se fondait sur la structure du système qui nous concerne aujourd'hui, et qui a été déployé de façon opérationnelle à l'automne de 2004.
À l'époque, les responsables de la défense, et en particulier l'armée, pensaient que l'éventuelle contribution du Canada, puisqu'il y aurait une contribution, serait asymétrique. Autrement dit, le Canada ferait des investissements de nature stratégique, de défense ou de sécurité et offrirait ses capacités aux États-Unis, qui appuieraient alors les efforts de l'Amérique.
Le sénateur Dallaire : Ce serait un créneau.
M. Fergusson : Oui, ce serait un créneau, mais un créneau que l'on trouverait, ou que l'on pensait pouvoir trouver à l'époque, dans les programmes que suit aujourd'hui le Canada par rapport à la militarisation de l'espace. Prenons l'exemple du déploiement l'an dernier du satellite Sapphire, qui est aujourd'hui opérationnel, et de l'intérêt que pourrait présenter à l'avenir la Constellation RADARSAT. L'engagement était proportionnel à ce dont les États-Unis avaient besoin à l'époque. Nous voulions prendre cet engagement pour d'autres raisons liées aux questions spatiales et de sécurité. On considérait que c'était une contribution utile pour les États-Unis et qu'elle était donc asymétrique.
Si les États-Unis décident de donner suite — et comme le soulignait d'ailleurs M. Harvey, il s'agit ici de négociations — et que l'on commence à parler des besoins, de la valeur que pourrait représenter le territoire canadien, le gouvernement devra, à mon avis, faire d'importants investissements de défense.
J'aimerais faire une observation sur la situation du budget de la défense aux États-Unis et d'ailleurs j'ai lu aujourd'hui que selon le secrétaire d'État à la défense, l'armée américaine pourrait rétrécir à des niveaux jamais vus depuis la Seconde Guerre mondiale, ce qui ferait d'elle une toute petite armée. Au titre des exigences, on ne pourra plus se contenter de dire : « Nous vous donnons le territoire et vous payez pour l'installation des radars. » En fait, le Canada devra apporter des contributions.
Soyons clairs, lorsque l'on parle d'un éventuel déploiement de radars en territoire canadien, on ne parle pas d'un radar à fonction unique, d'un radar qui ne servira que pour la défense antimissiles. On parle de radar capable de faire du suivi spatial, qui appuie la mission du NORAD et qui appuie, bien entendu, la contribution que le Canada apporte actuellement au Réseau américain de surveillance spatiale, ainsi que tous les éléments qui y sont associés.
Je pense donc que le gouvernement canadien doit savoir qu'il ne s'en tirera pas à bon compte dans cette aventure.
M. Harvey : Puis-je faire une dernière observation à propos du coût? Tout simplement pour voir les choses sous un autre angle. Si le Canada comprend et accepte la nature de la menace, et il le fait, s'il s'engage, de par ses alliances, à contribuer à une forme de collaboration multinationale en matière de défense antimissiles avec les Américains et les Européens, et si c'est vraiment une hypothèse de travail pour le gouvernement actuel, quelle valeur cela représente-t-il par rapport à une contribution valable de notre part?
Est-ce que ne rien faire est logique? Est-il logique de ne faire aucune contribution à la sécurité de l'Europe, de l'Asie et de l'OTAN, tout en reconnaissant qu'il y a une menace.
Le sénateur Dallaire : Laissez-moi vous donner un autre exemple. Les Britanniques viennent juste de signer un contrat de 40 milliards de dollars pour perfectionner leurs sous-marins nucléaires Trident. Je considère cela comme un épouvantable gaspillage d'argent et peut-être un simple prétexte pour maintenir cette industrie à un coût qui dépasserait celui de 17 régiments et de Dieu sait quelles autres capacités militaires.
Nous avons donc cette possibilité d'intervenir et votre réponse est celle que j'attendais : nous n'allons pas nous en tirer à bon compte. Sachant cela, je suis surpris de constater que pendant toutes ces années, l'armée, qui conseille le gouvernement, ne semble pas avoir parlé de défense antimissiles.
Pour les stratèges, c'est une chose de parler de défense antimissiles, mais c'est une toute autre chose lorsque les généraux et l'armée en parlent. Y a-t-il des écrits ou des discussions au sein de l'armée canadienne par rapport à la défense antimissiles et dans le cadre de son plan stratégique à long terme, à savoir les années 2020, 2040, et cetera.?
M. Fergusson : À ma connaissance, les Forces canadiennes n'ont rien rendu public sur la planification et les besoins éventuels dans le cadre de la défense antimissiles.
Il y a deux choses qu'il faut mentionner, cependant, par rapport au NORAD et à l'armée de l'air canadienne : il y a en permanence des discussions officieuses sur la question de la défense antimissiles et de la participation. C'est du moins mon expérience, et il est facile d'en comprendre les raisons.
Deuxième chose, si vous étudiez l'historique de ce dossier au Canada, mais aussi aux États-Unis, il y a toujours eu, dans les hautes sphères de l'armée, un débat sur l'opportunité d'appuyer la défense antimissiles s'il faut renoncer à d'autres capacités de l'armée de terre, de la marine ou de l'armée de l'air. Cette question a toujours été, et elle est toujours, je suppose, un souci majeur.
Cette question a fait l'objet d'un débat aux États-Unis ainsi qu'au sein des divers services. Bien évidemment, aux États-Unis, le débat a été suscité par la branche politique qui a accordé la priorité à la défense antimissiles, en particulier l'administration Bush, mais aussi d'autres administrations précédentes qui ont pris cette position pour d'autres raisons politiques.
Le même phénomène réapparaît aujourd'hui relativement à la taille du budget canadien de la défense et aux choix qu'il faudra faire dans le proche avenir en ce qui a trait aux compressions imposées et leur incidence non seulement sur les capacités opérationnelles présentes mais aussi sur les besoins futurs et la crainte de perdre ces capacités. On peut en quelque sorte comprendre que certains milieux du ministère de la Défense et des forces armées hésiteront à appuyer les engagements pris en matière de défense antimissiles.
J'ajoute autre chose à laquelle se heurte le ministère et qui me paraît très importante et qui a été identifiée me semble-t-il, mais, encore une fois, je ne sais que ce qui a été rendu public. Je parle bien sûr de la modernisation du système d'alerte du Nord qui, d'après ce que je comprends, doit faire l'objet d'investissements et être déplacé d'ici 2025 pour pouvoir être fonctionnel au regard de la conjoncture dans l'Arctique. Ce sera un engagement pressant.
Encore une fois, cela remonte aux accords à long terme conclus entre le Canada et les États-Unis et portant sur le financement du NORAD ou aux types d'ententes conclues avec notre allié du Sud. Par exemple, le Système d'alerte du Nord était initialement financé à 60 p. 100 par les États-Unis et 40 p. 100 par le Canada. C'est à ce genre d'entente qu'il faut s'attendre à l'avenir.
La question fera l'objet de débats internes. La réponse à votre question est que l'on peut comprendre la raison pour laquelle certains éléments des forces armées et d'ailleurs hésitent à parler du dossier de la défense antimissiles.
Le sénateur Dallaire : Bien sûr, je ne rejoins pas vos propos disant qu'ils hésitent à en parler à cause des concessions mutuelles. Bien au contraire, si vous recevez des conseils stratégiques militaires, ils feront partie des négociations. Bon, ils n'ont jamais pu atteindre leur cible, il a donc été très facile de les mettre de côté et de laisser les scientifiques continuer à les tester. Mais nous savions qu'ils seraient tôt ou tard efficaces.
Tout cela est de la responsabilité du Commandement du Nord. Nous sommes en liaison avec le Commandement du Nord. Nous communiquons de façon permanente avec le général Beare, par exemple. Pouvez-vous me dire vraiment qu'il n'y a pas de discussion chez les militaires ni d'estimation de la capacité de défense du territoire canadien, qui est la première priorité du ministère de la Défense nationale — la défense du Canada est la priorité numéro un — et que les documents stratégiques à venir ou produits maintenant ne contiennent rien de concret?
M. Harvey : Je ne m'attendrais pas à grand-chose, pas parce que des hauts gradés du Northcom et du NORAD trouvent que ça n'a aucun sens, mais parce qu'il est politiquement impossible d'en discuter vu l'historique. La politique sous-tendant cette question est telle qu'il n'y a aucune envie, je crois, d'en débattre ou d'en discuter publiquement. Si le gouvernement du Canada n'est pas convaincu du bien-fondé d'une discussion et d'un débat publics, et avec nos alliés américains, pourquoi donc un officier militaire supérieur plaiderait publiquement en faveur de la défense antimissiles balistiques?
Le sénateur Dallaire : Pour donner des conseils professionnels au gouvernement. En tout cas, merci beaucoup.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Harvey, dans votre étude intitulée North Korea, Ballistic Missile Defence And Canada-US Defence Cooperation, vous dites que « toute évaluation raisonnablement impartiale de l'ensemble des faits confirmerait que les critiques de la défense antimissiles balistiques ont perdu le débat sur le terrain des politiques. »
De son côté, le physicien américain Richard Garwin continue de maintenir que, étant donné les contre-mesures et les problèmes techniques qui restent à résoudre, il est très peu probable qu'un système de défense antimissiles balistiques vraiment efficace puisse un jour être déployé.
Qu'avez-vous à dire en réponse aux préoccupations exprimées par Richard Garwin à propos du coût et des problèmes techniques à résoudre et compte tenu de ces préoccupations, existe-t-il des solutions de rechange qui seraient moins coûteuses que les systèmes de défense antimissiles balistiques et qui permettraient de réagir aux menaces potentielles des États voyous? À votre avis, la dissuasion et la non-prolifération sont-elles des solutions de rechange efficaces?
M. Harvey : Excellentes questions. Deux réactions très brèves. Il y a aussi à la Missile Defense Agency de nombreux physiciens qui ont été convaincus que ce défi peut être relevé grâce aux progrès technologiques et à la technologie militaire; les preuves que j'ai présentées dans les diapositives leur donnent raison.
Le système est-il parfait? Notons que des physiciens qui ont critiqué la défense antimissiles balistiques ont établi une norme très intéressante qu'il faut, selon eux, respecter pour justifier l'investissement. La norme qu'ils ont établie vise à déterminer si le système a ou non la capacité de faire face à de multiples contre-mesures ou à une attaque massive lancée par des États comme la Chine ou la Russie.
Le système n'a pas cette capacité. Ce qui est une bonne chose.
Ce qu'il peut faire grâce aux avancées technologiques est d'au moins contrer les nouvelles menaces de pays comme la Corée du Nord et l'Iran.
Au sujet de ces deux États et des contre-mesures, il est bon de les obliger à investir des millions de dollars dans la production de contre-mesures dans le but de déjouer le bouclier antimissiles américain. Il serait bon qu'ils dépensent encore plus. Si l'on se défait de la défense antimissiles balistiques, la Corée du Nord et l'Iran dépenseront beaucoup moins d'argent pour acquérir la capacité de menacer les États-Unis et de les dissuader, ainsi que le Canada, d'intervenir pour de bonnes raisons dans des pays comme les deux Corées.
Pour ce qui est des solutions de rechange, vous avez tout à fait raison, il y en a. Le régime de désarmement et de contrôle des armes nucléaires est la solution de rechange que préconisent les critiques. Il faut accorder la priorité à la non-prolifération et au désarmement. C'est la solution. Mais, mesdames et messieurs les sénateurs, j'estime qu'il est essentiel que vous évaluiez le succès du régime de non-prolifération à partir des mêmes normes que celles que vous appliquez à la défense antimissiles balistiques.
À propos du problème de prolifération dans des pays comme la Corée du Nord et l'Iran, on peut considérer que chacune des milliers de pièces d'équipement technologique qu'ils ont achetées pour construire un système d'armes nucléaires très sophistiqué est passée à travers les mailles du filet de l'embargo.
Le régime de non-prolifération n'a pas été très efficace et il a été très coûteux. Par conséquent, quelles réussites du régime de non-prolifération allez-vous invoquer pour justifier votre argument selon lequel nous n'avons pas besoin de la défense antimissiles balistiques? Cet argument n'est pas convaincant.
Je pense qu'il faut les deux.
M. Fergusson : Si je peux ajouter deux choses. Une grande partie des critiques émises à l'égard de l'efficacité potentielle de la défense antimissiles relativement aux contre-mesures laisse en quelque sorte supposer qu'un État qui cherche à acquérir l'arme nucléaire comme la Corée du Nord, qui a fait des essais nucléaires, des essais de missiles balistiques à portée relativement longue et, à l'avenir, l'Iran qui a fait des essais de missiles balistiques intermédiaires — et ces deux pays ont mis des satellites sur orbite — seront, au cours de leur phase de développement, automatiquement capables de développer et de déployer simultanément des contre-mesures sophistiquées que nous associons à celles de l'ancienne Union soviétique et de la Russie qui y sont arrivées après des décennies d'investissement et de recherche scientifique. J'ai vraiment du mal à croire qu'ils en seront capables.
Si l'on remonte, par exemple, au programme britannique Chevaline dans les années 1970, c'était un missile Polaris conçu pour pénétrer le système russe de défense antimissiles ceinturant Moscou. Les Britanniques ont consacré cinq ou six ans et investi des milliards de dollars pour développer des aides à la pénétration et des contre-mesures visant à mettre en échec le système soviétique de l'époque.
Ce n'est pas une mince affaire que d'y arriver si l'on s'attend à une seule ogive placée sur un missile balistique intercontinental de première génération; ce qui soulève d'ailleurs un autre problème sur le degré d'efficacité du ciblage et de l'ingénierie en cas de lancement du missile. Nous devons envisager de manière pragmatique le type de menace auquel nous serons confrontés. Ce ne sera pas une menace aussi sophistiquée que celles des Russes ou des Chinois. Le système américain est conçu... C'est la raison pour laquelle ils ont une longueur d'avance sur la menace potentielle.
Pour ce qui est de se fier à la dissuasion nucléaire, je soulèverais deux points qui nous font revenir aux critiques de la stratégie de dissuasion nucléaire américaine durant la guerre froide.
La dissuasion est utile, mais que se passe-t-il si elle ne donne pas les résultats espérés? Que fait-on? En cas d'absence d'un bouclier antimissiles limité en Amérique du Nord, on ne peut que s'en remettre au président qui ne prendra qu'une seule décision, celle d'exercer des représailles, de se lancer dans un duel nucléaire.
La défense antimissiles offre au président des États-Unis une autre option que seulement la riposte nucléaire. Je crois qu'il est très important d'en tenir compte. J'estime qu'elle est un complément de la dissuasion.
Le sénateur Dagenais : Maintenant que le Traité sur les missiles antimissiles balistiques n'est plus en vigueur, les États-Unis peuvent étendre la portée de leurs recherches concernant la défense antimissiles. En effet, le traité interdisait les travaux de recherche et développement dans certains domaines.
L'avenir économique du Canada est lié étroitement au développement de technologies de pointe. Quelles seraient, pour les entreprises canadiennes de haute technologie, les retombées économiques d'une participation du pays au système de défense antimissiles balistiques?
M. Fergusson : Bien, permettez-moi de répondre le mieux possible et de deux façons. Un protocole d'entente visant un échange d'informations suffisant pour permettre la participation des entreprises canadiennes de technologie et de la technologie canadienne était l'un des points des négociations qui ont commencé en 2003 et se sont terminées en 2004. Ce protocole d'entente portait sur la recherche, le développement et la technologie, en plus des questions de participation, et n'a pas été conclu. Ce sera certainement l'un des éléments du dossier.
Nos entreprises de hautes technologies, notre industrie spatiale, aussi petite soit-elle, inventent des technologies qui pourraient contribuer de façon concurrentielle au futur développement du système. J'ai déjà mentionné Sapphire, un satellite optique, qui ne fait pas partie du programme de défense antimissiles. C'est une contribution au Réseau de surveillance de l'espace américain parce qu'il est sur orbite basse terrestre et surveille l'orbite géostationnaire pour des raisons de sécurité et de poursuite spatiale.
Les technologies intégrées dans ce domaine peuvent s'avérer utiles pour améliorer le système de poursuite spatiale et de surveillance qui est un futur élément clé sur lequel les États-Unis travaillent lentement. Ce système déploiera des capteurs pour assurer une meilleure poursuite à partir de l'espace, au lieu du sol, et il a été en partie conçu pour affronter les futurs problèmes liés aux contre-mesures.
Je ne sais pas s'il y a d'excellentes possibilités. Je peux vous rappeler les années de l'Initiative de défense stratégique quand le gouvernement de l'époque avait autorisé la participation des entreprises canadiennes. En fin de compte, l'une des leçons importantes de la décision relative à l'IDS — et je ferais remarquer qu'elle a été très bien accueillie par les Américains — était l'agence de développement principale, en l'occurrence la Strategic Defense Initiative Organization, désignée aujourd'hui sous le nom de Missile Defence Agency aux États-Unis. Les entreprises canadiennes ont eu des résultats médiocres et le document empirique que j'ai consulté indiquait que pour participer à ces projets les entreprises devaient avoir accès à des technologies clés et à de l'information essentielle, et si le gouvernement n'est pas de la partie, il sera alors très difficile pour les entreprises de participer. Mais je ne dirais pas qu'il y ait des possibilités.
M. Harvey : Si vous me permettez d'aborder un sujet sous un angle légèrement différent, j'ai assisté à la conférence sur les approvisionnements au cours de laquelle Mme la ministre Finley a annoncé la nouvelle Stratégie d'approvisionnement en matière de défense et, d'après ce que j'ai compris, cette nouvelle stratégie doit... pardon?
Le sénateur Dallaire : Ne rien acheter.
M. Harvey : D'accord. On peut l'interpréter comme cela.
C'est à tout le moins pour donner aux entreprises la possibilité de s'engager un peu plus tôt dans le processus et de pouvoir présenter ce qu'elles ont et peuvent offrir, ce qu'elles pensent être un apport important au renforcement de leur capacité de vendre et de la capacité des responsables de la stratégie de défense de développer les technologies de la défense dont ils ont besoin.
C'est d'ailleurs le dernier point soulevé par M. Fergusson, à savoir que si le gouvernement ne veut même pas engager des pourparlers au sujet du système de défense antimissiles balistiques avec notre allié principal, qui est peut-être la plus importante base industrielle de production pour la défense antimissiles, l'industrie canadienne ne pourra ou ne voudra pas répondre à cette question très importante.
En entamant des pourparlers et en favorisant la participation de l'industrie, vous prendrez des décisions éclairées et ouvrirez peut-être la voie à un potentiel d'avantages économiques qui pourraient renforcer les mérites de la coopération en matière de défense antimissiles balistiques; or, il n'y a ni discussion ni débat.
Le sénateur Day : Le premier point que vous avez soulevé est fondé sur votre observation faite un peu plus tôt concernant l'étude menée par les États-Unis pour éventuellement déployer des radars dans cinq sites situés dans la partie est de l'Amérique du Nord.
M. Fergusson : Des intercepteurs.
Le sénateur Day : D'accord, des intercepteurs. Je pensais que c'était pour déployer des radars. La base aérienne de Loring, située pratiquement à la frontière avec le Nouveau-Brunswick et qui a été fermée au Maine, est l'un des sites proposés par des groupes de pression pour ce déploiement. La province de Terre-Neuve-et-Labrador est représentée dans votre carte. Est-ce que la région de Happy Valley-Goose Bay a des chances d'être considérée pour ce projet?
M. Fergusson : Dans le nord-est de l'Amérique du Nord, Goose Bay est une région privilégiée pour l'installation d'un radar bande X basé à l'avant pour appuyer un site d'intercepteurs. Les bandes X sont des sites d'intercepteurs. Les évaluations environnementales sur le point de commencer aux États-Unis visent le déploiement dans les cinq sites d'intercepteurs, et non pas de radars, car je ne pense pas qu'ils veulent installer au même endroit un ancien radar ABM Cavalier.
Le sénateur Day : Je suppose que ça les rendrait vulnérables.
M. Fergusson : C'est dû en partie à la vitesse des intercepteurs, à la distance, lorsque l'interception doit se faire à une distance très éloignée et c'est dû aussi à la nécessité d'avoir un radar approprié et déployé à l'avant.
La station navale de Portsmouth dans le Maine est l'un des cinq sites dans la liste. Si je me souviens bien, les autres sites sont Fort Drum dans l'État de New York, Camp Ethan Allen au Vermont, Fort Custer au Michigan et Camp Nathan Hale dans l'Ohio.
Le sénateur Day : Si le Canada adhérait au système de défense antimissiles balistiques en Amérique du Nord, nous pourrions envisager une base radar ou une base d'intercepteurs, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.
M. Fergusson : Non. Si nous nous référons au débat sur la défense antimissiles au Canada qui remonte aux années 1960, nous constatons que le déploiement d'intercepteurs au Canada n'a jamais fait l'objet de pourparlers. Les États- Unis ont très clairement laissé entendre que si nous voulions des intercepteurs, ils seraient heureux de nous les vendre à un bon prix, au prix coûtant. Mais jamais les États-Unis ni le Canada n'ont imaginé que vous déploieriez des intercepteurs.
Au sujet de la poursuite avancée, il y a une très grande distance entre Thule dans le Grand Nord et cap Cod à l'extrême sud. Il faut pouvoir suivre la trace de l'ogive en utilisant le plus grand nombre possible de capteurs pour guider l'intercepteur, car dès que le missile est lancé, l'ogive à destruction cinétique — une pièce métallique très coûteuse et destinée à provoquer des dégâts — est autonome. Elle est autoguidée et est dotée de deux capteurs doubles de phénoménologie.
Ce n'est qu'une supposition de ma part étant donné que les États-Unis ne parlent pas des conséquences, ni d'ailleurs personne dans notre pays. Pour ce qui est des choix des sites, Goose Bay serait une possibilité. On peut imaginer une bande le long de la latitude de Goose Bay; on peut envisager une bande X en mer, mais il s'agira alors de trouver un site. Dans les eaux territoriales au large du Labrador? C'est une possibilité, mais ils voudront des eaux où règne la sécurité.
Je crois comprendre que la bande X déployée en avant au large des côtes du Japon se trouve dans les eaux territoriales japonaises et c'est, bien sûr, pour défendre ses intérêts que le Japon participe à part entière au système de défense antimissiles balistiques américain.
Le sénateur Day : À titre de précision, la base d'Alert au Canada se trouve à proximité de Thule et on y collecte pas mal de renseignements provenant de la région du pôle Nord. Ces renseignements sont-ils transmis aux Américains et ces derniers s'en servent-ils dans leur système de défense antimissiles balistiques?
M. Fergusson : Honnêtement, je ne saurais vous répondre, mais j'imagine que la base Alert joue un rôle important au plan des renseignements d'origine électromagnétiques et d'autres aspects, mais elle ne les transmet pas au système de défense antimissiles balistiques américain, en outre le Système d'alerte du Nord n'a pas la capacité nécessaire pour soutenir le système de défense antimissiles balistiques.
Le sénateur Day : À ce stade.
M. Fergusson : À ce stade, mais je doute qu'il l'ait à l'avenir.
Le sénateur Segal : J'ai une question à poser à chacun de nos éminents témoins. Je l'adresse à M. Harvey qui, en raison de ses antécédents, a beaucoup d'expérience dans le domaine de la stratégie navale. Nous avons un programme interminable en cours et pas un seul navire n'a été construit. Il a été annoncé en 2008, me semble-t-il, or, nous n'avons pas encore découpé un pouce carré d'acier. Entre-temps, les Chinois en ont construit de toutes sortes.
Puisqu'il semble que nous n'allons pas construire des navires de sitôt, les Américains ont le système Aegis, la composante maritime de leur système d'interception des missiles à mi-parcours. Je crois que ce système est déployé dans cinq cuirassés américains de classe Ticonderoga et dans certains navires de nos alliés japonais.
Pensez-vous que pour appuyer cette initiative, à l'avenir, nous devrions envisager d'équiper du système Aegis une partie des navires de combat de surface et d'autres navires prévus à la construction ou croyez-vous que cela ne ferait que compliquer la terrible crise d'évitement et de déni que nous traversons?
M. Harvey : À ce stade du processus d'approvisionnement, surtout en ce qui concerne le volet maritime du processus, cela risquerait fort de compliquer les choses, car le gouvernement actuel et le ministère de la Défense ont beaucoup de mal à mettre en œuvre les modifications — environ 130 — qu'ils ont déjà inclues dans les demandes liées au processus d'approvisionnement. Mises à part les conséquences politiques découlant de l'ajout du système de défense antimissiles balistiques, le moins qu'on puisse dire, c'est que ce serait improbable. Je ne sais pas.
M. Fergusson : Je vous ferais remarquer que les destroyers de classe Tribal transportent le missile Standard 2. En fait, le missile Standard modernisé peut être lancé par les silos à bord des destroyers. Bien sûr, les destroyers de classe Tribal n'ont pas de radars et ils sont vieillissants et désuets.
Je ferais aussi remarquer — et cela répond en partie à la question du général Dallaire sur la façon de penser des militaires, du moins à l'interne — que, dans les années 1990, le Canada a aussi participé, avec les Pays-Bas et l'Allemagne, à un programme de recherche et développement d'un radar de poursuite tactique de missiles pour les frégates. Nous avons mis fin à notre participation lorsqu'il est apparu évident que les frégates étaient tout simplement trop petites pour êtes dotées de ce type de radar.
Étant donné la volonté du Canada d'interopérer avec les États-Unis — en particulier les liens étroits qui existent entre la Marine royale canadienne et les Forces navales des États-Unis — et la capacité de notre marine d'intégrer la force opérationnelle avec porte-avions américaine et les nouvelles questions liées à la coopération dans le Pacifique, je suis presque certain qu'il faudra un radar très puissant, et ce, quelle que soit la capacité de combat future des navires. Il faudra des lanceurs — ce ne sont pas des silos même si je les appelle des petits silos installés à l'arrière des navires — de missiles antiaériens, de missiles de croisière d'attaque au sol, et cetera. Il serait logique d'étudier la capacité de défense antimissiles pour des raisons d'interopérabilité et uniquement pour le type de navire qui remplacera les frégates et les destroyers. Il faudra que cette capacité soit multifonctionnelle.
Le sénateur Segal : Une autre question pour nos deux témoins. Elle porte sur la difficulté que nous rencontrons entre des engagements — Churchill en a parlé très éloquemment —, il s'agit de la tendance à l'inertie pour noter ce que nous coûte la défense et pour réduire la taille des forces armées et nos capacités stratégiques et navales. Les Américains font cela de manière modérée et les Britanniques très radicalement. Nous constatons malheureusement la même chose dans notre pays.
Quand M. Harvey a demandé pourquoi nous n'entamerions pas ce dialogue de manière constructive, je me suis rendu compte que c'est parce que l'inertie est récompensée au Conseil du Trésor. On y encourage l'inertie.
Il n'y a rien qui encourage des discussions plus approfondies. Je crois — et je voudrais que vous me donniez votre avis à titre de spécialiste du domaine — que personne n'a vraiment parlé de la menace que pose l'inertie envers l'intégration continue des forces armées canadiennes et américaines relativement au NORAD. Quelque chose manque actuellement, particulièrement dans la force aérienne, mais pas seulement, entre un commandement spatial, une défense antimissiles et la partie canadienne du NORAD, il s'agit de l'échange fait librement de renseignements sur les options stratégiques, et ce, parce nous ne faisons pas partie du système. Tant qu'une partie de la population ne comprendra pas que nos options stratégiques et notre capacité de défendre notre pays s'affaibliront en raison de notre entêtement à ne pas vouloir engager des pourparlers sur la question de la défense antimissiles, rien ne nous incitera à entamer ces pourparlers.
C'est un point de vue assez étroit, le mien, celui de quelqu'un qui estime que les forces armées devraient être le double de ce qu'elles sont maintenant. J'aimerais bien savoir ce que vous en pensez.
M. Harvey : C'est au moment où la situation peut changer que la non-participation aux pourparlers peut sembler plus coûteuse que les risques politiques qui découleraient de discussions portant sur la question de la défense antimissiles balistique avec les Américains. Je pense que nous en sommes encore loin. Voilà l'argument qu'il faut invoquer et c'est une excellente façon de le conceptualiser, en termes d'inertie et de l'effet de la décision de nous distancer de la discussion sur ce que seraient les conséquences pour le NORAD et pour l'écart entre USSPACECOM et NORAD ou entre NORTHCOM et USSPACECOM.
Il s'agit de questions cruciales. À ce stade, il ne coûte rien de se tromper. Tant que le gouvernement n'est pas convaincu qu'il est temps de réexaminer ces très importantes questions, il est peu probable que nous enregistrions des progrès. Cela ne coûte rien de le faire.
M. Fergusson : Vous avez mis le doigt sur le mot qui est probablement le plus important : inertie. Depuis environ les années 1963-1964, la politique canadienne relative à la défense antimissiles a été guidée par l'inertie, pas plus pour des raisons budgétaires que pour d'autres motifs politiques, pour des craintes internes relatives au budget, et ainsi de suite.
Je ne dirais pas comme vous qu'il s'agit de trésorerie et de financement. Ça fait partie du casse-tête de l'inertie.
Je suis d'accord avec mon collègue que l'un des éléments de l'inertie depuis 2005 était que — du moins en apparence et pour des raisons politiques et stratégiques importantes pour le Canada — il ne nous a rien coûté de dire « non ». Au départ, nous aurions pu croire que des problèmes surviendraient, surtout lorsque Rumsfeld a apparemment dit, après l'annonce faite en 2005, à ses collègues du Pentagone : « Non, nous ne les avons mêmes pas invités; nous ne négocions même pas avec eux, d'où provient cette information? »
Encore une fois, c'est le genre de chose qui arrive fréquemment dans nos relations avec les États-Unis. Ils étaient contrariés que les États-Unis soient utilisés à des fins de politique intérieure, à des enjeux politiques.
C'est lorsque ce type de situation commence à avoir un prix direct à payer que le gouvernement comprend qu'il faut changer de cap, mais ce revirement arrive toujours trop tard. Quand vous évoquez la participation des entreprises canadiennes au plan technologique, nombreux sont ceux, et j'en fais partie, qui penseront qu'il y a belle lurette que nous avons raté le coche sur pas mal de choses à ce sujet simplement à cause de notre inaction totale.
Pour ce qui est de l'avenir du NORAD et des questions connexes, tout dépend de la façon dont vous percevez ce commandement. Exception faite du poste opérationnel en matière de défense antimissiles qui est exclusivement de la responsabilité de NORTHCOM, NORAD et NORTHCOM sont intégrés au centre de commandement. C'est là où nous nous distinguons.
Il est important de noter que les données provenant de capteurs américains déployés en avant qui font partie de leurs systèmes de défense antimissiles balistiques ne sont pas transmises à la structure d'évaluation tactique intégrée d'alertes et d'attaques. Ils ne les reçoivent pas. Ils continuent de se fier au système BMEWS en place, le processeur de signal numérique spatial qui détecte un lancement, puis au système BMEWS existant. Nous n'avons pas ces nouvelles capacités. NORAD ne les a pas.
Cela fait partie de notre marginalisation accrue dans le domaine spatial à cause des développements qui se produisent aux États-Unis et de ce que nous avons faits ici au Canada — où nous avons évité le NORAD pour chercher un lien plus direct avec USSTRATCOM qui est responsable de ce dossier, et du dossier de la collaboration internationale en matière de défense antimissiles — pour diverses raisons politiques et stratégiques des deux côtés de la frontière. Mais si cela prend des proportions problématiques, soit que les États-Unis commencent à percevoir que la participation du Canada revêt de plus en plus d'importance pour leur défense, alors c'est à ce moment, comme M. Harvey l'a dit, que le prix commencera à s'élever et que le gouvernement deviendra attentif.
Quant au public, je dis tout le temps qu'il ne faut pas l'impliquer, ces propos ne sont jamais bien accueillis parce qu'ils semblent fortement antidémocratiques. Quoi que vous fassiez avec le public, ça ne servira à rien. C'est au gouvernement du Canada de prendre cette décision, de la mettre en œuvre et de se rendre compte que c'est une question importante au plan de la stratégie, pas en ce qui a trait au public et aux politiques le concernant, et qui visent d'autres objectifs qui sont plus importants pour le public.
Le président : Voilà un point de vue tout à fait intéressant.
M. Harvey : Puis-je prendre du recul par rapport à ce point de vue? Dans l'ensemble, M. Fergusson a raison en ce qui a trait à la façon dont ces décisions doivent être prises. En prenant une décision, il faudrait essentiellement mettre l'accent sur les impératifs de la sécurité. Si vous souhaitez la participation du public, il faut attendre d'avoir pris la décision en se fondant sur les conseils que des physiciens, des universitaires, des employés du MDN vous ont donnés. Vous prenez une décision concernant ces priorités et vous expliquez à la population pourquoi ces priorités sont primordiales pour la sécurité du Canada. En fait, vous devez faire la promotion de la décision.
Ce qui s'est passé lors des dernières négociations, c'est que le gouvernement n'avait pas envie de faire cette promotion pour diverses raisons politiques que je n'énumérerai pas; il n'y avait aucune volonté de promouvoir la décision. La menace était suffisamment éloignée pour qu'il y ait des conséquences pour le gouvernement, à l'exception peut-être de conséquences liées à l'inertie.
Nous nous approchons de plus en plus du moment où le coût pour la sécurité du Canada est de plus en plus élevé et je suis convaincu du bien-fondé de l'argument que j'utilise pour faire valoir mon point de vue. La situation ne s'améliore pas. Les responsables canadiens se rallient à l'idée que la Corée du Nord présente une menace sérieuse. Ils y croient, mais ne font pas grand-chose pour y répondre sur le plan technologique.
« Ignorez le public », l'expression est forte. Ralliez-vous à l'idée qu'il faut que vous fassiez quelque chose et que vous communiquiez au public l'importance de l'initiative stratégique.
Le président : À titre d'information, nous sommes en train de discuter publiquement ici, je le dis afin que tout le monde le comprenne bien. Cette audience vise en partie à informer le public, s'il y a des menaces, jusqu'à quel point elles sont sérieuses et si nous devrions ou non participer au bouclier antimissiles nord-américain. Le débat public est en cours et je sais que le sénateur Mitchell voudrait y contribuer.
Le sénateur Mitchell : Merci monsieur le président.
J'ai une question à poser à chacun d'entre vous. Monsieur Fergusson, j'apprécie vos propos à leur juste valeur.
Il me semble qu'il y a eu deux problèmes en ce qui concerne le public. L'un est que si nous décidons de participer au système, ils intercepteront et feront exploser les missiles hostiles au-dessus de nos têtes. Par ailleurs, si nous faisions partie d'un réseau de surveillance à long rayon d'action vers l'avant, ils les feront exploser avant que les missiles hostiles nous atteignent. C'est un argument que l'on peut assez bien présenter dans le contexte du leadership et de la promotion.
L'autre problème, c'est les coûts. Vous avez pu constater comment en ce qui concerne les F-35 ils peuvent faire l'objet d'un débat.
Monsieur Harvey, vous avez dit que nous n'avons aucune idée des coûts étant donné que nous ne nous sommes même pas engagés dans des pourparlers, mais vous devez avoir une idée des coûts sur ces deux points; premièrement, à quels coûts globaux les États-Unis s'attendent-ils et, deuxièmement, l'écart entre le coût des sites de missiles — j'imagine que nous n'en aurons pas — et le coût du site radar ou quel que soit le nom qu'ils lui donneront. Probablement pas un site radar mais un site de surveillance, qui sera beaucoup moins cher.
Pouvez-vous nous donner une idée? Est-ce que ce sera 35 milliards de dollars, le coût des F-35? Ou est-ce que ce sera 2 milliards de dollars?
M. Harvey : Une partie de mon travail sur le coût du système de défense antimissiles balistiques et la raison pour laquelle j'ai étudié la question, visaient à déterminer la portion du budget de la défense américain qui serait attribuée à ce que les responsables américains considéraient comme une menace sérieuse. On obtient environ 2 p. 100 du budget de la défense et environ 0,3 p. 100 de l'ensemble du budget fédéral. La question qui se pose est donc la suivante : Est-ce que 2 p. 100 du budget de la défense américain suffisent à nous protéger contre la fatalité d'un missile balistique intercontinental nord-coréen à ogive nucléaire?
Cette question doit être posée en demandant à quoi sont consacrés les autres 98 p. 100 du budget de la défense américain et s'ils sont attribués pour contrer des menaces très sérieuses. Il faut ensuite demander quel montant du budget de la défense américain, du budget du ministère des Affaires étrangères américain ou du budget du département d'État est attribué à tous les autres programmes liés à la non-prolifération et quel est leur taux de réussite? Ce pourcentage ne représente pas un montant important du budget de la défense américain, mais comparé au budget de la défense canadien ça représente beaucoup d'argent, 10 ou 12 milliards annuellement, me semble-t-il.
Quelles en sont les conséquences pour le Canada? Vu ce que les Américains réalisent avec 12 milliards de dollars annuellement, j'ai du mal à voir un pourcentage du budget de la défense canadien qui offrirait un montant similaire pour quelque chose comme le système de défense antimissiles balistiques. C'est au-dessus de nos moyens. La question est de savoir si nous pouvons nous permettre d'être complètement exclus de tout ce qui est rattaché à la structure mise en place maintenant et exclusivement par les États-Unis?
Le sénateur Mitchell : Vos observations sont vraiment utiles.
M. Harvey : J'ai une dernière observation à formuler à propos de l'explosion de ces missiles au-dessus de nous. Nous ne sommes pas à la table des négociations. Nous n'avons pas notre mot à dire quant à la sagesse d'intercepter ces missiles avant cela. Envisageons d'établir une base avancée afin que les intercepteurs puissent frapper ces missiles un peu plus tôt, avant qu'ils n'atteignent la Nouvelle-Écosse. Nous ne sommes pas à la table des négociations, mais devrions-nous l'être?
Le sénateur Mitchell : Vos propos sont très intéressants et replacent les choses dans leur contexte. Même si vous vous étiez partagé les coûts dans une proportion de 60 et 40 p. 100 — une proportion que vous avez mentionnée plus tôt à propos des 12 milliards de dollars estimés il y a longtemps —, notre contribution s'élèverait à cinq milliards de dollars, ce qui représente une énorme somme d'argent. On pourrait commencer à évaluer les coûts d'établissement d'un emplacement radar ou de surveillance, et ils ne totaliseraient probablement pas cinq milliards de dollars.
Cette discussion est très fascinante. Vous êtes tous deux extrêmement intéressants, et je suis vraiment stimulé par cette conversation. Ma deuxième question est liée à la dissuasion, par opposition aux représailles. M. Fergusson a fait valoir que cela représentait une autre option. Par conséquent, vous laissez entendre qu'ils pourraient abattre les missiles, sans être tentés de riposter. Je pose cette question plus que pour la forme, mais peut-être est-ce une question de pure forme.
Pouvez-vous imaginer un scénario dans lequel la Corée du Nord ou l'Iran lancerait ne serait-ce qu'un missile que les États-Unis intercepteraient sans riposter? En un sens, cela nous amène à nous demander ce qu'on cherche à accomplir en les abattant. La dissuasion est possible. Si jamais ces missiles approchaient même un peu de leur cible, les États-Unis riposteraient, et l'autre camp doit le savoir. Suffit-il qu'ils soient assez fous pour lancer des missiles, sachant qu'ils seront anéantis en retour?
M. Harvey : La question est de savoir si, en réponse à une attaque de la part de la Corée du Nord, les Américains riposteront avec des ogives nucléaires. La DAB leur permet de se défendre contre cette attaque; les États-Unis riposteront, mais je doute qu'il soit sage de répondre à une attaque de la Corée du Nord en lançant des armes nucléaires sur la péninsule. La Corée du Sud aura probablement son mot à dire à ce sujet. Comme le professeur Fergusson l'a mentionné, cela crée d'autres possibilités.
J'aimerais faire valoir un dernier argument à propos de la dissuasion : d'un côté de la médaille, il y a la dissuasion, de l'autre, il y a les représailles, mais cela passe sous silence la notion d'auto-dissuasion. La DAB prouve à la Corée du Sud et au Japon que les États-Unis et le Canada ne seront pas dissuadés de remplir les engagements qu'ils ont pris envers eux. Lorsqu'il est question d'affronter les armes nucléaires de la Corée du Nord avec des missiles balistiques intercontinentaux à tête nucléaire, les Sud-Coréens se posent la même question que les Français : sommes-nous prêts à mourir pour atteindre cet objectif? Un système de DAB robuste accroît au moins la crédibilité d'une menace de représailles.
M. Fergusson : Dans une minute, je reviendrai sur la question du public parce que je tiens à clarifier ce que j'entendais par là.
En ce qui concerne votre deuxième question, le professeur Harvey a raison; cela élimine le risque d'une riposte nucléaire. Toutefois, il faut que vous teniez compte du fait qu'il n'y a presque aucune chance qu'un matin les dirigeants sud-coréens ou iraniens décident soudainement qu'ils en ont assez et qu'ils vont frapper.
Nous parlons d'un scénario dans lequel un conflit a éclaté et s'aggrave. Étant donné qu'il est reconnu que la capacité militaire conventionnelle des Américains est supérieure à celle de ses ennemis, nous savons qu'ils gagneront la guerre. Si l'on imagine qu'après un échange initial les États-Unis et ses alliés sur la péninsule ou au Moyen-Orient prendront des mesures pour éliminer le régime, le dirigeant du régime pourrait leur dire ce qui suit : « Arrêtez, nous avons un missile balistique intercontinental à tête nucléaire et, si vous poursuivez votre invasion, nous le lancerons. » Voilà le scénario dont nous parlons et le rôle que jouerait un système de défense antimissiles dans l'éventualité d'une menace de ce genre.
Voilà pourquoi une défense antimissiles a, en fait, un effet stabilisant : elle élimine une menace que tout président américain doit prendre au sérieux. Si nous sommes incapables de défendre quelqu'un contre ne serait-ce qu'une ogive nucléaire, nous pouvons, en fait, toujours être dissuadés d'intervenir. Ils nous empêcheront d'aider nos alliés, d'intervenir là où nous devons intervenir pour des raisons stratégiques ou politiques, quelles qu'elles soient. Voilà, à mon sens, l'importance des enjeux de dissuasion.
En ce qui concerne le public, je ne doute aucunement que les membres du public attentif s'intéressent vivement à cette question, bien que la plupart d'entre eux se soient déjà fait une opinion à ce sujet et qu'il soit problématique de tenter de les convaincre dans un sens comme dans l'autre. Le public attentif est important, mais c'est du public dont nous parlons. Nous ne parlons pas du grand public parce que rien ne prouve qu'en règle générale, les décisions que le gouvernement prend dans le dossier de la défense aient vraiment une incidence sur la façon dont l'ensemble du public vote. À mon avis, les membres du public qui restent sur le banc servent toujours de ballon politique.
Les membres du public que vous tentez d'éduquer et de renseigner sur ces enjeux sont les gens qui prêtent attention à ces questions ou qui participent à la défense ou la politique étrangère. Voilà le public qui compte dans ce débat, et non le grand public.
En ce qui concerne la possibilité que des missiles explosent au-dessus de nous, elle est inexistante. Ils seront détruits dans l'espace pendant leur survol de l'espace aérien canadien. Nous ne sommes pas propriétaires de l'espace. Les missiles seront détruits par énergie cinétique. À moins que les missiles ennemis soient dotés de capteurs qui feront exploser l'ogive nucléaire lorsque le projectile à destruction cinétique sera suffisamment proche — et je doute que les Nord-Coréens ou les Iraniens possèdent cette technologie, car elle est, elle aussi, relativement complexe —, l'impact ne provoquera pas d'explosion, seulement des débris. Certains de ces débris pourraient tomber sur la Terre, d'autres resteront en orbite et d'autres brûleront en rentrant dans l'atmosphère. Voilà les conséquences dont nous parlons.
En ce qui concerne les coûts — soit 12 milliards de dollars —, si vous réfléchissez au budget que les États-Unis consacrent à la défense antimissiles, vous parviendrez à la conclusion qu'il comprend bien d'autres choses que du matériel de défense antimissiles. Il fait appel à diverses technologies, des systèmes informatiques et de nouveaux radars polyvalents. Il faut se demander quels éléments font vraiment partie de la défense antimissiles. Dans l'ensemble, il s'agit de l'intercepteur et de l'endroit où il est placé. En tenant compte du navire équipé du système Aegis, environ 25 destroyers et croiseurs américains sont consacrés à la défense antimissiles. Ces navires assurent d'autres fonctions que la défense antimissiles. Tout en décomposant le budget pour circonscrire le petit investissement dans les radars, je tente de me souvenir combien coûtera un radar bande X. Encore une fois, nous n'avons pas besoin d'investir dans les technologies. Il est probable que nous achèterons un radar disponible sur le marché. Qu'en est-il des coûts de construction? Combien coûtera la construction d'un système radar? Je vous ferais observer que cette dépense sera bien inférieure à un milliard de dollars. Tout bien considéré, cette somme n'est pas si élevée, si on l'amortit.
Le sénateur Mitchell : Voilà ce à quoi je voulais en venir. Je crois que c'est moins cher que ce que le Canadien ordinaire imagine.
M. Fergusson : Il faudra y consacrer des fonds, cependant.
Le président : Je vais vous poser des questions et m'assurer qu'elles concernent précisément la situation à laquelle nous faisons face. Je tiens à ce que cela figure dans le compte rendu.
Je crois comprendre que le programme de défense antimissiles actuellement en place protège les États-Unis, mais aucunement des villes comme Calgary, Winnipeg ou Edmonton. Est-ce exact?
Le sénateur Mitchell : Mon foyer.
Le président : Le système actuel?
M. Fergusson : Compte tenu des diverses lois adoptées au cours des 20 dernières années, le système actuel doit être en mesure de protéger les 48 États continentaux, ainsi que l'Alaska et Hawaï. C'est son mandat et ce qu'il doit défendre en vertu de la loi. Le système peut-il défendre Calgary et Edmonton? Peut-être. Avons-nous l'assurance qu'il le fera? La réponse est non.
Le président : À notre connaissance, le système actuel est, à ce jour, efficace dans à peu près 73 ou 75 p. 100 des cas. La construction d'un autre site sur la côte accroîtra-t-elle l'efficacité du système de défense antimissiles?
M. Harvey : Je vais tenter de répondre à cette question, puis je céderai la parole au professeur Fergusson. La technologie est essentiellement celle dont nous disposons en ce moment. Si l'on examine la note que la Missile Defense Agency a attribuée au système à l'issue de son évaluation, on constate que son efficacité varie de 78 à 80 p. 100, selon que l'on tient compte de chaque étape de son déplacement — du lancement à son atterrissage, en passant par le milieu de son parcours — ou de la totalité de son parcours. L'ajout d'un autre site radar permettra de détecter un missile plus tôt, mais le degré d'exactitude des intercepteurs dépend de l'avancement de la technologie et cadre avec les conclusions de la MDA. L'ajout d'un site accroîtra la capacité de repérer les missiles, mais pas nécessairement celle de les frapper. Le fait de disposer de renseignements plus tôt peut améliorer la capacité de les abattre, mais nous ne parlons pas de placer des intercepteurs en sol canadien, mais plutôt d'y installer des sites radars.
M. Fergusson : En ce qui concerne la probabilité que le système intercepte les missiles, l'emplacement du site et la trajectoire du missile balistique ou de son ogive nous renseigneront considérablement sur l'efficacité du système comparativement à ce que les essais nous indiquent. Si, selon la carte, une ogive en provenance de la Corée du Nord, par exemple, survole un site d'interception et atteint le stade où la cible a été manquée, il reste un troisième site. Si l'ogive se dirige vers le nord-est, le site radar rendra le système plus efficace parce qu'on a maintenant une autre chance de l'abattre, ce qui accroît la probabilité de l'intercepter.
Le président : Je m'efforce de comprendre exactement les avantages que nous tirerions de ce bouclier. Si une station d'interception était construite au Canada, dans le nord du pays, je soupçonne que cela accroîtrait l'efficacité de l'ensemble du programme, en raison de l'emplacement de la station et de celui des pays qui font peser une menace sur nous en ce moment. Est-ce exact?
M. Fergusson : À mon avis, oui.
Le président : Autrement dit, du point de vue de la sécurité et des risques que nous courons au Canada, les gens de la région du sénateur Mitchell, c'est-à-dire d'Edmonton, auraient avantage à ce que le gouvernement décide d'aller de l'avant. Ils seraient beaucoup plus protégés qu'ils le sont aujourd'hui. D'accord. Nous ne devons pas oublier Whitehorse.
M. Harvey : Vous pourriez demander à n'importe quel représentant officiel de la Missile Defense Agency si le système serait amélioré si, dans le cadre d'une coopération multilatérale avec le Canada, ils avaient la possibilité d'installer d'autres intercepteurs sur le vaste territoire du Canada. Je serais très étonné qu'ils disent que cela n'aurait aucune incidence sur l'efficacité du système. Il est clair qu'il serait avantageux d'élargir la zone où sont situés les intercepteurs liés au système de défense antimissiles balistiques.
Le sénateur Dallaire : Je suis un ancien participant aux Conférences Pugwash sur la science et les problèmes internationaux. Je suis pour la non-prolifération et la non-utilisation des missiles, ainsi que le démantèlement du système en entier. Je suis très fier de voir le professeur Harvey comparaître devant nous parce que mon travail relatif aux enfants soldats est effectué en collaboration avec la faculté de l'Université Dalhousie dont il deviendra le doyen. Je suis heureux du travail qui est accompli là-bas afin de donner à cette cause un caractère tactique.
Je me demande si, d'un point de vue stratégique, vous pourriez nous aider à prendre connaissance des déploiements de systèmes de défense antimissiles en Europe et du nombre de débats dont ils ont fait l'objet là-bas, et nous aider à déterminer si ces exemples peuvent nous être utiles. Je crois qu'il y a des sites radars ou des intercepteurs en Pologne, et que leur installation a été fort critiquée par les Russes. Comment cette situation a-t-elle été gérée? Pensez-vous que l'analyse de leurs circonstances pourrait nous aider à mener nos débats ici?
M. Fergusson : Le système européen sera déployé progressivement, et sa capacité initiale a été annoncée lors du sommet de Chicago en 2012. Elle est composée d'un croiseur ou d'un destroyer équipé du système Aegis et déployé à l'avant — je ne me souviens plus du nom de celui qui est déployé en ce moment dans la Méditerranée orientale — et d'un radar bande X déployé à l'avant en Turquie. Les prochaines étapes sont à venir. J'ai vu récemment une photo de la mise en chantier en Roumanie de l'installation d'interception de missiles standards 3, qui sera suivie d'une installation d'interception en Pologne, dont la capacité d'intercepter des missiles standards sera améliorée et évoluera avec le temps, selon la façon dont vous interprétez l'annonce que le secrétaire à la Défense, Robert Gates, a faite l'année dernière. Les fonctions de commandement et de contrôle du système sont exercées depuis la base de la force aérienne de Ramstein. C'est une base américaine qui englobe une cellule de l'OTAN. Les Espagnols se sont engagés à autoriser les navires équipés du système Aegis et déployés à l'avant à utiliser leur port comme base de carénage et de ravitaillement en combustible. Comme je l'ai mentionné, la Pologne et la Roumanie cèdent une partie de leur territoire. La construction prévue d'une installation radar bande X en République tchèque a été annulée. En général, il n'y a aucune autre contribution majeure. Les coûts de ces systèmes sont en partie financés à même le fonds commun de l'OTAN, ce qui signifie que nous les finançons en partie, même si nous ne jouons aucun rôle dans ces systèmes, ce qui est un phénomène intéressant.
Le programme de l'OTAN remonte à 1999 et aux premiers nouveaux concepts stratégiques élaborés à Washington, dans lesquels ils ont indiqué que la menace croissante que faisait peser la prolifération d'armes nucléaires exigeait que l'on prenne en considération la défense des forces déployées à l'avant, des populations et des villes. Ensuite, l'OTAN a mené deux études de faisabilité, dont une qui portait sur les systèmes tactiques de défense antimissiles déployés à l'avant. Cela s'est transformé en défense de l'Europe et, bien entendu, cela a été encouragé par les États-Unis et la politique de remise à zéro du président Obama.
Ce qui préoccupait les Russes à propos du programme original planifié par l'OTAN, dont en fait l'OTAN n'était pas l'auteur — le programme du président Bush reposait sur un accord bilatéral entre les États-Unis et la République tchèque, où le radar bande X allait être installé, et un accord entre les États-Unis et la Pologne, que le président Obama a annulé —, c'est qu'ils croyaient que les intercepteurs de ce type, qui sont plus rapides et ont une portée plus longue que les systèmes de missiles standards, pourraient menacer les forces stratégiques soviétiques, ainsi que leur capacité de menacer l'Europe, au besoin. La politique de remise à zéro du président Obama était conçue pour apaiser leurs craintes, et c'est la raison pour laquelle les Américains sont passés à l'option navale, c'est-à-dire à une capacité inférieure conçue davantage pour défendre l'Europe, et, si vous examinez la carte, vous remarquerez les différents angles où les navires sont placés pour assurer la capacité du système.
Les Russes n'ont nullement changé de refrain. Ils sont toujours vivement opposés à ce système. À mon avis, le système actuel ne menace aucunement les forces stratégiques de la Russie. Les intercepteurs ne se trouvent pas aux bons endroits, et le système ne convient pas pour menacer les Russes. Toutefois, pour des raisons d'ordre politique liées à l'OTAN et à d'autres enjeux politiques plus importants sur la scène européenne, le système est dans cet état. Encore une fois, je pense que les États-Unis sont allés aussi loin qu'ils ont l'intention d'aller. Je vous ferais observer qu'une nouvelle administration, en particulier s'il s'agit d'une administration républicaine, pourrait repenser la composante européenne.
M. Harvey : Le professeur Fergusson a bien mieux souligné que je ne l'aurais pu les détails liés à toutes les ententes de coopération négociées en Europe par l'entremise de l'OTAN et les ententes de coopération bilatérales et multilatérales, ainsi que les détails techniques et les infrastructures qui s'y rattachent.
La dernière diapositive de mon exposé énumère tous les partenaires d'Europe, du Moyen-Orient et de l'Asie- Pacifique qui participent à la discussion concernant divers éléments de la DAB parce qu'ils perçoivent la valeur de ce système. Toutefois, le Canada ne figure pas sur cette feuille. Pourquoi est-ce ainsi?
Il doit y avoir une raison pour laquelle les Européens, nos partenaires asiatiques et nos alliés du Moyen-Orient pensent que ce système est important.
Le sénateur Dallaire : Même les Néerlandais participent à ces efforts.
M. Fergusson : En fait, les Néerlandais ont accordé la priorité à la défense antimissiles dans leur politique de défense, pas tellement sur le plan de la défense stratégique, mais certainement sur le plan de la défense tactique. Ils possèdent un système de défense antimissiles Patriot. Ils prennent une part active à des projets opérationnels de développement de l'OTAN, dont le projet Optic Windmill qui est lié au commandement et au contrôle, ainsi qu'à la défense antimissiles. De plus, l'agence C3I de l'OTAN est établie à la La Haye et, si je me souviens bien, elle analyse grandement le dossier de la défense antimissiles. Les Néerlandais considèrent que cela s'inscrit véritablement dans le cadre de leur engagement envers l'OTAN et la défense des pays alliés. L'un des domaines auxquels ils contribueront dans le cadre de la répartition des tâches sera la défense antimissiles.
Le président : Il est très intéressant de constater que de nombreux autres pays accueillent favorablement au moins le programme de défense antimissiles.
Le sénateur Day : Je vais revenir encore une fois sur la question du public. J'ai l'impression que le public est préoccupé par cet enjeu parce qu'il manque de connaissances appropriées dans le domaine de la défense antimissiles, qu'il associe au projet de la guerre des étoiles de l'ère du président Reagan et à l'arsenalisation de l'espace. Les chefs politiques de toutes les allégeances politiques ne participent pas à ce débat et ont pris les décisions qu'ils ont prises parce que le public se méprend sur la nature de ce système.
Professeur Fergusson, je vous remercie d'avoir précisé plus tôt qu'une explosion nucléaire n'était pas censée survenir dans la stratosphère et que cela ne risquait pas d'arriver, parce que c'est toujours la perception du public.
Cela dit, comme le président l'a indiqué, les séances de notre comité sont peut-être le bon endroit où débattre de cette question. Si nous avons l'intention d'inciter les gens à examiner logiquement cette question — et vous avancez, monsieur Harvey, toutes sortes de bons arguments à cet égard —, je pense que, tant que nous n'aurons pas au moins renseigné le public sur la première étape de ce processus, nous ne réussirons pas, une année avant des élections générales, à convaincre les députés de la Chambre des communes d'aborder une question qui, selon eux, n'est pas dans le vent et qui présente un sérieux inconvénient.
Peut-être que le Sénat, qui, bien entendu, ne dépend pas de la Chambre des communes, est l'endroit approprié où nous pouvons tenir ce débat.
Je souhaitais simplement formuler des observations à propos de votre enjeu lié au public. J'estime que le public doit participer à cette discussion.
M. Fergusson : Permettez-moi de répondre à cette intervention. Je m'élève contre la façon dont vous avez dépeint la réaction du public à cet égard. Compte tenu du tableau que vous avez brossé, ils penseront qu'il s'agit peut-être de l'ancien système ABM, qui ne m'a jamais rendu nerveux même si les intercepteurs à haute altitude étaient porteurs d'une charge explosive nucléaire. Ils penseront qu'il s'agit de l'IDS et que cette initiative est maléfique. Voilà ce qu'en règle générale, on présume que le public pense à ce sujet. Pourquoi croyez-vous cela?
Le sénateur Day : Parce que je parle à des milliers de gens.
M. Fergusson : Je ne sais pas à qui vous parlez, mais je vais vous faire observer quelque chose. Jetez un coup d'œil aux sondages d'opinion menés en 1985, à l'époque de l'IDS. Cet enjeu est mon dada depuis longtemps, et je suppose que c'est la raison pour laquelle je deviens un peu énervé à ce sujet. En ce qui concerne la conception selon laquelle le public est opposé à l'IDS, examinez les sondages d'opinion publique menés à compter de 1985, au moment où cet enjeu était brûlant. La majorité des citoyens appuyaient la participation complète du Canada à l'IDS; ils ne voyaient pas d'objection à l'initiative.
Parlons maintenant du sondage d'opinion publique mené au cours de l'automne de 2004, juste avant que le président Bush vienne ici, je pense, ce qui bien sûr constituait un événement marquant. Le sondage indiquait que la majorité des Canadiens — soit 54 p. 100 d'entre eux, si ma mémoire est bonne —, en particulier au Québec, s'opposaient à ce que le Canada collabore avec les États-Unis à cet égard. Si l'on tenait compte des Québécois, le pourcentage passait à 60 p. 100, soit une légère hausse. Voilà pourquoi le gouvernement éprouvait des difficultés.
Passons à la deuxième page du sondage qui n'a jamais été publié et qui demandait aux Canadiens s'ils pensaient qu'il fallait défendre les villes canadiennes contre une éventuelle attaque avec des missiles balistiques à tête nucléaire. Savez- vous à quoi ressemblaient ces chiffres? Ils étaient complètement inversés. Un nombre beaucoup plus important de Canadiens affirmaient que nous devrions faire quelque chose.
L'opinion des gens était influencée par la politique du moment. Voilà ce qui cloche dans les hypothèses que la communauté politique d'Ottawa avance au sujet du public dans ce dossier, à savoir que, premièrement, le public est opposé à la défense antimissiles. Les faits indiquent que ce n'est probablement pas le cas.
Je pense qu'il est très important que le Sénat tente de détruire certains de ces mythes, d'exposer la réalité du système et de dire que c'est là ce dont nous parlons vraiment, en particulier auprès de la communauté politique d'Ottawa et du public attentif qui pourrait englober quelques membres du grand public. Toutefois, en général, nous nous sommes attelés à cette tâche à de nombreuses reprises, et les choses ne semblent jamais changer. Voilà pourquoi je deviens frustré à ce sujet.
M. Harvey : Je pense qu'il importe énormément de faire cette distinction. Contrairement à tous ses alliés, le Canada ne participe pas à la DAB. On présume que les responsables politiques analysent l'opinion publique et se disent qu'il n'y a rien à signaler à ce sujet et que, par conséquent, ce n'est pas un enjeu qu'ils peuvent aborder.
C'est l'une des explications possibles. L'autre est que les préférences politiques orientent l'interprétation du soutien du public à l'égard d'un enjeu comme celui-ci. Ce sont les motifs politiques qui déterminent le soutien à l'égard de la DAB, et non l'opinion publique.
Selon le genre de questions que vous souhaitez poser, vous obtiendrez des réponses complètement différentes. Toutefois, il y a une facette de l'opinion publique à l'égard de la DAB qui est très importante, à savoir qu'il est plus facile de faire valoir le point de vue des critiques. Il est beaucoup plus facile de soutenir que la DAB est susceptible d'engendrer une course aux armements. Il est plus facile de faire valoir que la technologie ne fonctionne pas parce qu'on peut citer un physicien qui l'affirme.
Il est beaucoup plus facile de créer l'impression que la DAB entraînera la prolifération en Chine et qu'elle utilisera des fonds destinés à l'éducation et aux programmes sociaux.
Il est plus facile d'avancer un argument contre la DAB. En revanche, il est très difficile de faire valoir le point de vue contraire devant un comité ou une audience publique — beaucoup plus difficile. Cela ne signifie pas que le point de vue est incorrect; c'est simplement que cette tâche est beaucoup difficile à accomplir.
Quand vous tiendrez des débats publics et produirez des rapports à ce sujet, je pense qu'il sera important que vous compreniez qu'une distinction qualitative existe quant à la façon d'avancer un argument en faveur de la DAB. Il est beaucoup plus facile de faire valoir le point de vue des critiques.
Ce sera difficile, très difficile.
M. Fergusson : Permettez-moi d'ajouter ici une autre preuve empirique. Du début du programme ABM américain, au milieu des années 1960, jusqu'à l'IDS à la fin de la guerre froide, les gouvernements européens et l'opinion publique européenne étaient fermement opposés aux efforts américains de défense antimissiles — les gouvernements l'étaient pour des raisons stratégiques, parce que l'enjeu était entouré d'arguments concernant la stabilité stratégique et les armes nucléaires que pesait un très grand public attentif. Bien entendu, les gouvernements et le public étaient attentifs parce qu'ils étaient en première ligne de tout cafouillage lié à la guerre froide.
Après la fin de la guerre froide et l'établissement d'un nouveau milieu stratégique, les États-Unis ont procédé à la mise en place de missiles. Comme les gouvernements européens étaient de nouveau plus près de la menace limitée, parce qu'ils étaient maintenant menacés directement — ce que nous ne sommes pas en ce moment, mais ce que nous serons si nous tenons compte de la distance et de la portée des missiles balistiques intermédiaires de l'Iran qui, à l'heure actuelle, ne portent pas de charge explosive nucléaire —, on a observé que tous les gouvernements commençaient tranquillement à changer de refrain.
Ce changement est imputable en partie à un simple changement générationnel, à une modification de l'environnement stratégique. Mais qu'est-il advenu de l'opinion publique concernant la défense antimissiles européenne? La réponse est qu'elle n'était pas problématique. Il n'y a pas eu de prix politique à payer. Je vous ferais observer que le Canada pourrait tirer une leçon de l'expérience européenne, quand vous songez à la façon dont le gouvernement pourrait gérer cet enjeu.
Le sénateur Day : À supposer que nous décidions d'aller de l'avant et d'éduquer le public à ce sujet, dans la mesure où nous le pouvons, le Canada a-t-il signé des traités internationaux qui l'empêcheraient d'entamer des discussions avec les États-Unis à propos de la défense antimissiles balistiques? Je pense à des traités de non-prolifération et au deuxième président Bush. Le président Bush s'est retiré d'un traité international sous prétexte qu'il allait mettre en œuvre un système de défense antimissiles balistiques.
M. Harvey : J'aimerais faire rapidement la distinction entre le traité ABM et le traité de non-prolifération : le traité ABM avait été conclu entre deux États. Lorsque les États-Unis ont décidé de se retirer du traité, ils étaient en droit de le faire. Le traité de non-prolifération est multilatéral.
À ma connaissance, le Canada n'est signataire d'aucun traité qui l'empêcherait d'entamer des discussions avec les États-Unis concernant la défense antimissiles balistiques. Tout traité que nous avons signé a également été signé par nos alliés européens, et ils ne voient pas d'objection non seulement à discuter de la DAB, mais aussi à procéder à l'établissement d'une infrastructure en collaboration avec les États-Unis. Donc, en bref, je ne suis pas au courant d'aucun traité de la sorte.
Le sénateur Day : Ce renseignement est utile.
M. Fergusson : J'aimerais faire valoir deux arguments. Premièrement, l'ancien traité ABM, qui a été annulé en 2002, comportait effectivement une interdiction. L'article 9 interdisait à toute tierce partie de participer aux systèmes ABM des États-Unis ou de la Russie. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne pouvions pas intervenir beaucoup. Cela a favorisé en partie l'inertie au Canada. Il s'agissait de ce que je qualifiais de « couverture de sécurité ABM ». Elle a maintenant disparu.
Le professeur Harvey a tout à fait raison : nous n'avons signé aucun document juridique qui nous empêche de discuter de la défense antimissiles avec les États-Unis, de négocier une entente avec eux à cet égard ou de participer à leur système de défense antimissiles.
Je vais faire une prédiction. Mes prédictions sont habituellement complètement erronées, mais je prédis quand même que lorsque les négociations commenceront, nous entendrons dire que les intercepteurs à destruction cinétique que nous mettrons en œuvre par l'entremise des Américains sont capables d'intercepter non seulement des ogives dans l'espace, mais aussi des satellites qui sont au moins en orbite terrestre basse.
Il s'agit là d'une arsenalisation de l'espace. Les critiques ou les opposants argumenteront, à tort, que c'est interdit par le Traité sur l'espace extra-atmosphérique. Néanmoins, cette question sera soulevée au cours du débat, et il est important, lorsque l'on pense à cela, de s'assurer que les questions de ce genre sont vraiment tuées dans l'œuf, car elles sont simplement fallacieuses. Toutefois, cela se produira, comme la dernière fois.
Le sénateur Segal : Monsieur Fergusson, ma question revient sur la carte que vous nous avez distribuée plus tôt et sur laquelle figurent divers réseaux de radars.
J'ai besoin de comprendre le degré de participation canadienne requis par rapport à l'efficacité des réseaux de radars qui sont déjà en place et de ceux qui sont planifiés.
En d'autres termes, quelqu'un peut-il faire valoir que la participation du Canada accroîtrait l'efficacité et la capacité préventive des réseaux de radars? Par contre, quelqu'un pourrait soutenir que notre participation ne change rien du tout en ce qui a trait à l'efficacité des réseaux de radars en matière de détection des problèmes qui approchent. Parce qu'il est clair que, si quelqu'un pouvait prouver à l'aide de données techniques concrètes que la présence de radars au Canada accroîtrait la capacité générale du système à protéger l'Amérique du Nord, le Canada et les villes que vous avez citées au cours de votre témoignage, cette information aurait une certaine valeur.
M. Fergusson : D'autres technologies qui élimineraient la nécessité d'installer un radar en sol canadien à titre de troisième installation future pourraient être employées, mais, à mon avis, si nous traçons une ligne droite sous la base aérienne de Thule et que nous la dirigeons vers le Nord jusqu'à ce que nous dépassions l'Alaska, cela nous donnera une idée des régions qui sont couvertes dans le Nord.
Cavalier est une antenne réseau à commande de phase, un radar à large faisceau qui procure aussi une couverture jusqu'à un certain degré au nord. Il en ira de même à Cape Cod. Or, ce qu'il faut savoir, d'après ce que je comprends, c'est qu'il y a des lacunes. Pour rendre le système plus efficace, il faut combler ces lacunes possibles et c'est là où nous avons un rôle à jouer, à mon avis.
Le sénateur Dallaire : Et si nous placions les intercepteurs au Canada? C'est plus sophistiqué que les Bomarcs, évidemment.
M. Fergusson : Cela ne fait aucun doute. Il vous faudrait de la technologie industrielle. Je crois que vous avez un site plus près du Grand Nord que le nord-est des États-Unis qui permettrait une plus grande efficacité parce que vous pourriez intervenir plus rapidement, en fonction du lieu de l'interception, bien entendu.
Le sénateur Dallaire : Voilà qui est intéressant. L'OTAN n'a pas déployé d'armes nucléaires, mais nous avions la capacité de les utiliser au front.
Donc, nous sommes dans un genre de scénario éthique. Nous participons, mais de l'extérieur, et si les choses se corsent, nous les utilisons. Par conséquent, je pense que cela nous indique clairement qu'il faut préciser notre prise de position sur le plan éthique par rapport à ce système précis.
M. Harvey : Ou exposé.
M. Fergusson : Je peux répondre à cela. Cela nous ramène à ce que vous disiez, sénateur Dallaire, au sujet des discussions à ce sujet qui ont lieu dans les cercles militaires au Canada et au sein de RDDC.
En fin de compte, quel avantage le Canada souhaite-t-il en retirer? Eh bien, lorsqu'on analyse la situation, le Canada veut avoir l'assurance que les villes canadiennes pourront être défendues. Quel est le meilleur moyen pour défendre les villes canadiennes en cas d'attaque de missile, compte tenu de la capacité des États-Unis et de leur plan pour l'utiliser? Par rapport à un troisième site, quelle serait la solution optimale pour défendre l'ensemble de l'Amérique du Nord? Serait-ce le nord-est des États-Unis? Le Canada?
Il y a des questions scientifiques complexes auxquelles je ne peux répondre. Or, il faut savoir qu'elles ne sont même pas discutées. Nous ne faisons rien à cet égard. Nous n'avons même pas entrepris de recueillir des informations et des connaissances sur les capacités réelles des États-Unis, tout simplement parce que si nous ne sommes pas de la partie, nous n'avons pas voix au chapitre. On se retrouve à l'extérieur, car tout devient confidentiel. À mon avis, c'est le problème fondamental que nous avons actuellement.
Les questions liées au troisième site ne se poseront que beaucoup plus tard, dans cinq ou dix ans, peut-être sous une administration républicaine, mais c'est inévitable.
Je ne vois pas pourquoi, lorsque l'on pense au point de vue de l'USSTRATCOM sur l'engagement mondial. STRATCOM est propriétaire de la défense antimissiles, qui est répartie aux postes de commandement avancés à des fins opérationnelles, soit NORTHCOM, Fort Greely, le Commandement du Pacifique et le Commandement en Europe. On la répartit, mais c'est l'USSTRATCOM qui chapeaute le tout. On parle d'engagement mondial et c'est là que l'on entre dans une série d'enjeux plus vastes liés à la stratégie globale — la défense de l'Amérique du Nord est un mécanisme de défense mondial à bien des égards, question de technologie —, des enjeux que nous devons connaître si nous voulons prendre des décisions sur ce que nous voulons faire et sur les efforts que nous devons consentir pour atteindre nos objectifs, quels qu'ils soient. Quelle est l'ampleur de la capacité de défense que nous sommes prêts à acquérir?
M. Harvey : Lorsqu'on en vient aux questions éthiques et morales, je crois que le débat s'est toujours joué sur la distinction entre le point de vue militaire, favorable à la défense antimissiles balistiques, et le point de vue éthique des tenants du désarmement, contre toute forme de prolifération. Ces gens disaient que la défense antimissiles balistiques — ou DMB — allait entraîner une prolifération. Ils avaient tort; cela ne s'est pas produit.
L'autre aspect dont ils ne parlent pas, c'est la contribution de la DMB à l'obtention du résultat éthique de non- prolifération dans des endroits comme l'Asie. Donc, lorsque l'on pense aux relations entre le Canada et la Corée du Sud ainsi qu'à nos objectifs sur l'amélioration de nos liens économiques avec ce pays, on constate que la Corée du Sud se trouve dans une région troublée du monde. Pour assurer leur sécurité, les Sud-Coréens cherchent à obtenir une DMB et des alliés qui ont une telle capacité. Comme ce fut le cas par le passé, la défense antimissiles balistiques peut jouer un rôle dans cet autre aspect éthique du débat.
Le sénateur Segal : Je suis quelque peu contrarié par le sentiment de désespoir que vous avez tous sur la possibilité de tenir une véritable discussion à ce sujet au pays. Je ne remets pas en question ce désespoir. En fait, je le partage, malheureusement.
Ce qui me préoccupe, toutefois, c'est que nous sommes en présence de deux éminents universitaires, qui ont probablement étudié cette question et d'autres enjeux liés à la défense plus que quiconque au Canada et qui sont véritablement pessimistes quant à notre capacité d'avoir une discussion sérieuse à ce sujet.
Quel espoir a-t-on, comme l'a laissé entendre le sénateur Day, que des gens, par leurs actions, pourraient encourager des politiciens qui ont besoin d'être réélus, qui doivent choisir leurs priorités, qui doivent choisir des enjeux pertinents pour le public — ce qui pourrait exclure cet enjeu — à avoir ce genre de discussion rationnelle et ouverte? En passant, on parle d'une discussion qui permet aux promoteurs et aux opposants de participer pleinement et activement d'une façon qui permet de renseigner les Canadiens et qui favorise la prise de décisions. Cependant, votre pessimisme est plutôt frappant, ce qui me porte à croire qu'il y a peut-être quelque chose qui nous échappe au sujet de la capacité des gens de prendre des décisions difficiles, comme nous l'avons fait dans le cas de l'Afghanistan, comme nous l'avons fait par le passé, des décisions qui étaient très difficiles à prendre à bien des égards. Sur ces questions difficiles, il y avait, en fait, une coopération qui transcendait les questions partisanes.
Si possible, j'aimerais que vous nous parliez de l'ampleur de votre pessimisme, non pour décourager les gens davantage, parce que je sais que ce n'est pas votre intention, mais pour que le comité puisse réfléchir aux façons de favoriser une discussion ouverte et exhaustive sur cet enjeu primordial.
M. Harvey : Habituellement, à mon avis, les décisions cruciales sont prises en situation de crise. Une décision sur l'Afghanistan, dans la foulée du 11 septembre... C'est habituellement dans une situation de crise que l'on choisit de prendre rapidement d'importantes décisions en matière d'acquisitions. Nous n'en sommes pas là.
Quant aux forces politiques sous-jacentes à un tel débat et aux impératifs en matière de sécurité qui s'y rattachent, nous sommes toujours dans cette étape de transition. Jusqu'à ce que nous arrivions à un point où les conséquences en matière de sécurité seront extrêmement manifestes, je crois que les responsables politiques au Canada ne bougeront pas sur la question de la défense antimissiles balistiques malgré tous les arguments que nous avons présentés. Je ne crois vraiment pas qu'ils verront la nécessité de prendre une décision à cet égard. J'ai très peu d'espoir que les responsables politiques verront la nécessité de prendre des décisions rapides sur ces questions d'acquisitions, parce que l'absence de décision n'entraîne aucune conséquence. Actuellement, la non-participation à un programme de DMB avec les États- Unis ne coûte rien. Cela n'entraîne aucune conséquence.
Jusqu'à ce que ces conséquences soient connues, à l'occasion d'une crise ou en raison d'une illumination quelconque, je ne suis pas optimiste.
Le sénateur Segal : Je pense en particulier à un récent chef d'état-major de la Défense qui a clairement indiqué nos besoins pour servir nos troupes de façon adéquate en Afghanistan. Il a pris des risques politiques, mais il a fait connaître son point de vue de façon claire et précise.
Nous pouvons remonter à l'amiral Landymore, qui s'est clairement opposé à une politique gouvernementale de l'époque. Il a démissionné parce qu'il croyait que les officiers devaient obéir aux ordres. C'est de bonne guerre, mais c'est la position qu'il a adoptée.
N'est-ce pas ce qu'il nous faut? Un commandant de la Force aérienne, un chef d'état-major de la Défense ou d'autres personnes qui dénonceraient le coût associé à l'inertie par rapport à ce qui est peut-être notre relation la plus fondamentale dans le domaine de la défense, soit NORAD, la défense spatiale, la défense aérienne et tout le reste, et qui démontrerait que la conséquence serait l'isolement du Canada et de ses officiers quant à la capacité d'obtenir les renseignements dont ils ont besoin pour conseiller adéquatement les forces politiques et démocratiques? N'est-ce pas là le genre de chose qui permettrait de lancer le débat? Sans cela, ce sera une tâche très difficile.
M. Fergusson : J'aurais tendance à être d'accord avec vous sur ce point et aussi sur ce que M. Harvey a dit. Je pense que cela revient au même : pour qu'un gouvernement agisse au sujet d'enjeux comme la défense antimissiles, il faut qu'il y ait une crise ou que certaines conséquences se précisent.
Mon pessimisme est attribuable à divers facteurs. Si vous pensez à la nature intégrée de l'Amérique du Nord — Ottawa, le Canada, Washington, les États-Unis —, qu'on le veuille ou non, nous sommes voisins et nous sommes intégrés. Même si certains éléments de notre relation en matière de défense se détériorent, aucun des deux ne peut mettre un terme à la collaboration avec l'autre. Cette collaboration existera toujours.
C'est un des problèmes de l'absence de coût associé au risque. Je dirais, comme je l'ai fait valoir, que si un jour les États-Unis considèrent soudainement le territoire canadien comme vital, il y aura un prix à payer, mais ce prix n'entraînera pas la fin de la relation entre le Canada et les États-Unis sur le plan de la défense. Ce prix ne sonnera pas nécessairement le glas de NORAD. Il y aura des répercussions et je suppose que cela fait partie du problème, en fin de compte. Voilà pourquoi je demeure pessimiste par rapport à ce débat.
J'aimerais dire un mot au sujet des preuves empiriques. Sur le plan politique, lorsque vous avez parlé des priorités des gouvernements en vue d'une réélection et du principe fondamental des démocraties à cet égard, les preuves révèlent très clairement que dans le monde de la politique, la défense n'a pas d'importance. Aucune. J'ai entendu maintes fois l'argument selon lequel le gouvernement en paiera le prix aux urnes s'il prend telle ou telle décision dans le domaine de la défense. Cela ne se produit jamais.
Donc, si c'est le cas, ma question — et voilà d'où provient mon opinion très connue sur le sujet — est liée au fait que cela nous donne une très grande marge de manœuvre pour une chose, un élément propre au Canada : le leadership. Voilà le problème fondamental. Comment fait-on pour convaincre le gouvernement actuel de se saisir de cet enjeu et de devenir un chef de file? Ce leadership et l'importance de l'étude que vous faites, votre rapport, ne relèvent pas du public, à mon avis. Il revient au gouvernement de dire : « Il faut agir à titre de chef de file dans ce dossier, et si vous le faites, vous n'aurez pas à en payer le prix sur le plan politique. Vous pourriez même en tirer un avantage. Pas beaucoup, mais un peu. »
Regardez du côté de l'Afghanistan; en dépit des images qui circulaient dans les médias à l'époque, le premier ministre Paul Martin a pris les devants sur cette question et a dit : « Nous allons à Kandahar. » Maintenant, c'est plus complexe, mais il y avait un leadership. Et que s'est-il passé? La population canadienne a donné son appui.
Le général Hillier a fait preuve de leadership, mais c'est quelque chose que l'on voit rarement dans la culture politique canadienne, à mon avis. Je crois que c'est votre public cible. Voilà la tribune où il faut indiquer qu'il nous faut du leadership.
En terminant, avant de mettre de côté mon idée fixe, je dirais ceci : dans un monde où la défense antimissiles et la défense stratégique existent et sont appelées à jouer un rôle plus important à l'avenir, voulons-nous être exclus?
Le président : Messieurs, je tiens à vous remercier de nous avoir transmis vos connaissances aujourd'hui. Ce fut une réunion utile. Vous nous avez donné beaucoup matière à réflexion.
Aux fins du compte rendu, j'aimerais souligner qu'il s'agit d'un débat public, comme nous l'avons indiqué plus tôt en parlant de l'un de nos objectifs, qui est d'assurer la sécurité des Canadiens quant à la menace que représente la technologie moderne. Nous sommes confrontés à des menaces qui proviennent de l'extérieur de l'Amérique du Nord. Les Canadiens en sont de plus en plus conscients et ils sont un peu nerveux lorsqu'ils lisent les nouvelles tous les soirs et entendent ce qui se passe dans certains pays dont nous avons parlé.
Je pense que l'aspect qu'il faut étudier avec soin, en tant que pays, c'est que le système dont nous parlons ne soit pas créé dans une situation de crise. Cela se construit au fil du temps, de façon réfléchie et en fonction d'une planification à long terme. C'est, à mon avis, l'autre aspect dont le gouvernement du Canada et le Parlement canadien devront tenir compte. La sécurité des Canadiens ne relève pas d'un seul parti politique. Elle relève de tous les partis politiques, et ils doivent prendre leurs responsabilités.
J'aimerais vous remercier d'être venus. J'espère que nous pourrons présenter un rapport contenant des recommandations de fond sur un enjeu qui devrait préoccuper tous les Canadiens.
(La séance est levée.)