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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 4 - Témoignages du 24 mars 2014


OTTAWA, le lundi 24 mars 2014

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 15 h 33 pour étudier les politiques, pratiques et efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles, et pour examiner l'ébauche d'un budget.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : J'accueillerai nos invités dans quelques minutes, mais j'aimerais tout d'abord me reporter au 12 décembre 2013, date à laquelle le Sénat a adopté l'ordre de renvoi du comité. Je tiens à le citer, car il est à mon avis important :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à examiner, dans le but d'en faire rapport, les politiques, pratiques et efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles, et

Que le comité soumette au Sénat son rapport final au plus tard le 31 décembre 2014 et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 90 jours suivant le dépôt du rapport final.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'aimerais saluer, au nom de tous les membres du comité, la contribution de plus de 40 000 hommes et femmes des Forces armées canadiennes qui, au nom de notre pays, ont servi avec bravoure et distinction en Afghanistan.

À ce moment charnière où nous abaissons notre drapeau à Kaboul, nous devons faire le point, non seulement par rapport à l'engagement que nous avions pris le 7 octobre 2001 de lutter contre le terrorisme, mais aussi par rapport à l'état actuel de la mission, en déterminant si les objectifs qui avaient été fixés après le 11 septembre ont été atteints.

Cent cinquante-huit membres des Forces armées canadiennes ont fait le sacrifice ultime à la demande de leur pays et beaucoup d'autres sont revenus blessés, physiquement et mentalement. On ne pouvait pas demander de plus grand sacrifice aux Forces canadiennes, et particulièrement aux épouses, aux mères, aux pères et aux enfants qui continuent à vivre dans le deuil ou à s'occuper d'un membre de la famille blessé.

En tant que pays, nous devons aux femmes et aux hommes des Forces armées canadiennes, et tout particulièrement à ceux et celles qui ont servi en Afghanistan, notre loyauté, notre appui, notre respect et nos remerciements. Les Canadiens sont fiers du service qu'ils ont offert et, au nom de la reine et du pays, nous leur rendons hommage pour les sacrifices qu'ils ont consentis.

La semaine dernière, à l'occasion de la cérémonie tenue à Ottawa pour célébrer le retour des soldats, le premier ministre Stephen Harper a annoncé qu'en reconnaissance et en mémoire de la mission militaire canadienne en Afghanistan, la journée du 9 mai 2014 avait été déclarée « Journée nationale de commémoration » par proclamation royale. Le premier ministre a déclaré à cette occasion et je le cite : « Pendant cette Journée nationale, les Canadiens auront l'occasion de rendre hommage au courage dont ont fait preuve nos soldats ainsi qu'aux sacrifices que ceux-ci ont consentis. »

Je suis sûr, chers collègues, que je parle au nom de tous ceux et celles qui sont ici présents lorsque je dis « merci » à tous nos anciens combattants d'Afghanistan qui ont fait du Canada un pays fier, fort et libre.

Avant d'accueillir nos témoins, je donne la parole à notre vice-président, le sénateur Dallaire.

Le sénateur Dallaire : Je vous remercie de me donner la parole, monsieur le président.

L'Afghanistan — que l'on parle du théâtre d'opérations, de la guerre ou du conflit — est l'apogée de près de 20 ans de participation des Forces canadiennes à des conflits survenus après la guerre froide. On se souviendra à ce sujet que le premier théâtre d'opérations a été la première guerre du Golfe en 1991. Pendant cette période de 25 ans, plus de 100 000 Canadiens sont devenus des anciens combattants et l'Afghanistan a été la mission où il y a eu le plus de combats.

Les Forces — l'armée de terre et de l'air, avec l'appui de la marine — ont maîtrisé l'aspect tactique des opérations avec fierté et distinction. Il reste maintenant à savoir s'il est opportun, au plan stratégique, de maintenir la mission dans cette partie du monde. Avec le temps, on espère pouvoir régler la question.

Nous n'avions jamais déployé autant de réservistes depuis la guerre de Corée, où ils formaient la majorité des combattants, dont bon nombre avaient fait la Seconde Guerre mondiale. Mais en un sens, nous y avons aussi déployé les familles. En effet, depuis la révolution des communications, les familles vivent les missions en compagnie des militaires et elles en vivent aussi les tensions. Ainsi, lorsque nous déployons des troupes, nous déployons aussi leur famille de façon virtuelle et cet engagement de la part des familles doit être reconnu.

Pour terminer, je dirais que le pays doit se souvenir non seulement de ceux qui sont morts pour la patrie, mais aussi de ceux qui ont été blessés. Nous devons montrer à ces blessés qui peuplent toutes les villes de garnison de ce pays le respect et la dignité qu'ils méritent pour avoir servi leur famille. Nous devons leur garantir qu'ils n'auront plus à se battre pour vivre décemment dans notre pays.

Donc, félicitations à tous ceux et celles qui ont servi et à tous ceux et celles qui les ont appuyés.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président : Avant d'accueillir les témoins — après quoi nous passerons aux délibérations — j'aimerais me présenter, ainsi que le personnel du comité. Je suis Dan Lang, sénateur du Yukon. Voici la greffière, Mme Josée Thérien, et nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, Holly Porteous et Wolfgang Koerner.

J'invite maintenant les autres sénateurs à se présenter en indiquant la région qu'ils représentent. Nous commençons par le vice-président.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Roméo Dallaire, je représente le golfe du Saint-Laurent.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, de l'Alberta.

Le sénateur Day : Le sénateur Joseph Day, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, de la province de Québec.

[Traduction]

Le sénateur White : Vernon White, de l'Ontario.

Le sénateur Wells : David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Beyak : La sénatrice Lynn Beyak, du nord-ouest de l'Ontario.

Le président : J'aimerais commencer par accueillir la sénatrice Beyak qui est désormais membre à part entière du comité et remplace notre collègue, le sénateur Nolin. J'en profite pour remercier ce dernier du travail qu'il a accompli pendant tant d'années au sein du comité.

Après cette longue introduction, je suis ravi d'accueillir Jean-Pierre Fortin, président du Syndicat des douanes et de l'immigration et Jonathan Choquette, agent de communications.

Monsieur Fortin, je crois savoir que vous avez une déclaration liminaire à faire. Vous avez la parole. Nous avons une heure.

[Français]

Jean-Pierre Fortin, président, Syndicat des douanes et de l'immigration : Monsieur le président, je vous remercie de nous donner l'occasion de témoigner dans le cadre de votre étude sur les politiques, les pratiques et les efforts de collaboration de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) en vue de déterminer l'admissibilité au Canada et le renvoi de personnes inadmissibles.

Je m'appelle Jean-Pierre Fortin. Je suis président national du Syndicat des douanes et de l'immigration (SDI), charge que j'occupe depuis 2011. J'ai l'honneur de représenter plus de 10 000 employés à l'Agence des services frontaliers du Canada.

Notre effectif est composé de tous les agents et agentes des services frontaliers chargés du contrôle de l'immigration et de l'exécution de la loi dans les bureaux intérieurs des agents et agentes du renseignement ainsi que du personnel de soutien administratif qui travaille à la frontière et dans les bureaux intérieurs.

Jonathan Choquette, agent de communications du SDI, m'accompagne aujourd'hui, mais je vais répondre aux questions de façon exclusive.

J'espère sincèrement que nous pourrons vous aider dans cette tâche grâce à notre témoignage et à la documentation que nous vous présenterons aujourd'hui et plus tard, si cela s'avère utile.

[Traduction]

En avril 2012, l'agence nous a informés que 1 350 employés, dont des agents affectés aux opérations de première ligne, recevraient un avis sur les changements apportés à leur poste. Nous savons que certains d'entre eux ont pris leur retraite et n'ont pas été remplacés. Il s'agit donc d'une compression de l'effectif.

Je ne peux pas vous donner aujourd'hui le nombre exact de postes opérationnels qui ont été coupés, mais nous vous obtiendrons cette information. Tout ce que je peux vous dire, c'est que le nombre de postes d'agents syndiqués a diminué de 700 depuis la fin de l'année 2011. Ce n'est pas bon signe.

Je vous encourage à poursuivre l'examen de la question parce que la réduction du personnel opérationnel se traduit par une diminution de la sécurité à la frontière, contrairement à ce que prétend la direction de l'ASFC. Si on me le demande pendant la période de questions, je peux illustrer cette réalité par un exemple concret où l'Agence n'a pas ciblé de façon proactive le trafic de drogue en raison de la pénurie de personnel.

Je peux par ailleurs vous fournir des exemples d'incidents au cours desquels, dans trois grands aéroports, des machines de traitement automatisé n'ont pas fonctionné, laissant passer des gens qui auraient dû être arrêtés. Il s'agissait de trafiquants de drogue, mais on aurait pu tout aussi bien avoir à faire avec des trafiquants d'armes ou avec des terroristes.

Une base de données précises, à jour et technologiquement solide, apte à transmettre l'information pour le signalement des personnes d'intérêt lorsqu'elle s'avère nécessaire et là où elle est nécessaire est la pierre angulaire de la sécurité frontalière et de la sécurité publique. Comme plus d'un agent de police l'a observé, la marchandise introduite illégalement au pays et les personnes qui franchissent illégalement la frontière aboutissent inévitablement dans les rues des collectivités canadiennes.

Pour le SDI, c'est aussi une question de sécurité pour les agents, car l'absence de renseignements sur les gens est un énorme facteur de risque. La situation s'aggrave lorsque l'information a été recueillie, mais que par aversion au risque ou pour des raisons de protection bureaucratique en vase clos, les renseignements ne sont pas communiqués à nos agents. En 2005, nous avons exposé pour la première fois ce problème qui est depuis prioritaire pour nous. La semaine dernière, l'ASFC m'a avisé que les données du Système de soutien des opérations des bureaux locaux ne seront pas rendues accessibles dans leur intégralité à nos agents affectés à la ligne d'inspection primaire.

[Français]

Le 9 décembre 2013, pendant l'examen du rapport du vérificateur général du Canada sur la prévention de l'entrée illégale au Canada effectuée par le Comité permanent des comptes publics, un haut fonctionnaire de l'ASFC a déclaré :

Vous avez raison de dire que nos agents n'ont pas le mandat de poursuivre à haute vitesse des gens qui ne s'arrêtent pas à la frontière. Dans de tels cas, on fait appel à nos collègues, que ce soit ceux de la police provinciale où de la GRC. Ils collaborent pleinement à cet égard.

Dans un effort d'accroître l'efficacité des activités opérationnelles, le SDI a soulevé à maintes reprises auprès de l'Agence des services frontaliers du Canada la question du pouvoir d'exécution de la loi des agents à l'extérieur des points d'entrée désignés. En 2010, nous avons reçu une confirmation écrite de Stephen Rigby, l'ancien président de l'Agence des services frontaliers du Canada actuellement conseiller à la sécurité nationale auprès du premier ministre. Une telle autorisation légale existe bel et bien et la source du rôle de la GRC entre les points d'entrée n'est pas une restriction juridique, mais plutôt un choix de politique formulé dans un décret promulgué en 1932.

Je serai heureux de remettre au comité la confirmation écrite de M. Rigby ainsi que la politique de l'Agence des services frontaliers du Canada qui contredit l'interdiction de poursuivre à haute vitesse les fuyards. Cette restriction absurde a des conséquences en matière de sécurité publique, sujet que nous pouvons aborder pendant la période de questions si vous le souhaitez.

Nous croyons comprendre que l'Agence des services frontaliers du Canada est libre de mettre en œuvre ses propres politiques, mais elle ne peut prétendre que son inaction est motivée par des restrictions juridiques gravées dans le marbre. La situation doit changer, et nous recommandons la création d'une unité mobile d'interception à l'Agence des services frontaliers du Canada.

[Traduction]

La procédure accélérée de renvoi de criminels expulsés est un dossier où les activités de nos membres régies par la loi et la pratique doivent être, et c'est le moins qu'on puisse dire, réexaminées. Je vous renvoie au document que nous vous avons soumis, où vous trouverez la liste des points à réexaminer.

En outre, j'aimerais signaler au gouvernement que l'ASFC envisage de sous-traiter auprès d'agences de sécurité le renvoi des déportés. La responsabilité et le niveau de sécurité liés à ces opérations justifient que des agents hautement qualifiés de l'ASFC s'en occupent, faute de quoi la sécurité pourrait être compromise au niveau international.

À notre avis, il est complètement aberrant d'exiger d'autoriser l'entrée au Canada de personnes inadmissibles pour qu'elles contestent ensuite leur inadmissibilité. Pourquoi ne pas changer la loi de sorte que les personnes jugées inadmissibles pour des raisons de sécurité, de crimes de guerre, de fausses représentations ou d'actes criminels de tous genres puissent contester la détermination de l'extérieur du pays? Aux points d'entrée terrestres, de telles personnes seraient simplement redirigées vers les États-Unis. Aux points d'entrée aériens ou maritimes, elles seraient détenues jusqu'à leur renvoi.

[Français]

En terminant, j'aimerais répéter que lorsque nos membres sont mis à risque parce que le système d'information sur les avis de signalement déployés par l'AFSC comporte trop de lacunes, la population canadienne court aussi un risque puisque des gens à qui l'on devrait interdire l'entrée au Canada entrent en réalité au pays.

La sécurité publique est en péril lorsque des individus entrent illégalement au Canada sans être détectés parce que nous n'avons pas d'unité mobile conjointe d'interception axée sur le renseignement aux ressources appropriées.

La sécurité est en péril lorsqu'il est interdit à nos membres de poursuivre à haute vitesse des gens qui franchissent illégalement la frontière.

La sécurité est aussi mise en péril lorsqu'on assigne des agents en nombre insuffisant pour faire la surveillance à un point d'entrée où il y a un volume élevé de trafic et où les agents doivent faire une vérification moins poussée dans un effort de faciliter la fluidité du déplacement à la frontière.

Il est important que les Canadiennes et les Canadiens soient conscients de ces enjeux et les comprennent pleinement. Nos membres sont présents en première ligne aux frontières et savent ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas. Ils s'attendent à ce que le SDI s'exprime, et c'est un honneur pour moi de m'exprimer aujourd'hui en leur nom.

J'aimerais remercier le comité pour le travail qu'il accomplit, pour les questions qu'il pose et le suivi qu'il effectue. J'espère que la présentation de ce mémoire et le dialogue qui suivra contribueront au processus en cours et aux changements essentiels à apporter pour améliorer la sécurité à nos frontières.

Je serai heureux de répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci de votre mémoire sérieux et très bien documenté, ainsi que de vos recommandations. Vous avez une position constructive qui sera certainement étudiée attentivement par le comité.

Avant de lancer la période de questions, je reviens à votre proposition de transmettre au comité des renseignements supplémentaires à propos de la procédure accélérée de renvoi de criminels expulsés. Nous vous saurions gré de les transmettre au comité, en annexe de votre exposé.

M. Fortin : Certainement.

Le président : C'est parfait.

J'aimerais revenir à quelques points que vous avez soulevés. Vous avez parlé de vos membres syndiqués et des réductions de l'effectif ou de l'attrition, je ne sais plus le terme que vous avez utilisé. Quoi qu'il en soit, on nous a dit que les services de première ligne et de renseignement n'avaient pas été touchés.

Par rapport à l'étude que nous menons sur l'inadmissibilité ou l'admissibilité de particuliers dans le pays et compte tenu des changements de personnel et des changements technologiques qui ont été faits, par quels moyens comptez-vous poursuivre le travail que nous demandons à l'agence d'accomplir? Pourriez-vous me donner quelques exemples concrets de la façon dont les changements ont été apportés afin que le comité puisse mieux comprendre la situation.

M. Fortin : Un exemple me vient spontanément à l'esprit et j'en ai parlé brièvement dans mon introduction, il s'agit de la machine de traitement automatisé utilisée à la frontière. Il y en a dans les trois grands aéroports de Montréal, Toronto et Vancouver.

Nombre de nos agents m'ont signalé que ces machines ne codent pas convenablement les voyageurs. Je vous ai donné l'exemple de quelqu'un qui avait pu passer alors qu'il portait sur lui de la drogue et que l'on avait pu rattraper grâce à la vigilance de l'un de nos agents. Nous pouvons communiquer au comité de très nombreux incidents de ce genre.

Dans la deuxième partie de votre question, vous dites que dans son témoignage devant vous, l'agence a déclaré qu'il n'y avait pas de réduction d'effectifs. Or je vous cite aujourd'hui les chiffres qu'elle nous a fournis à cet effet. L'agence ne nous a jamais informés qu'elle n'avait pas à imposer ces compressions. Elle nous a informés qu'il y aurait exactement 1 351 postes touchés, dont 325 postes d'agents de première ligne. Je ne sais pas si la situation a changé depuis, mais cela faisait partie du Plan d'action du gouvernement pour la réduction du déficit.

Cela a eu effectivement des conséquences, surtout dans le secteur du renseignement, où le nombre de postes coupés a été très important. Cela aura certainement des conséquences par rapport au mandat du comité et certainement par rapport à la sécurité nationale.

Le président : J'aimerais parler d'un autre sujet. L'une des raisons pour lesquelles nous avons entrepris cette étude est l'information selon laquelle un peu moins de 50 000 particuliers sont entrés d'une façon ou d'une autre dans ce pays et sont donc inadmissibles. On pourrait certainement contester l'exactitude de ce chiffre, mais le fait est qu'il y a un grand nombre de gens qui entrent dans le pays illégalement.

Dans votre exposé, vous recommandez de prendre certaines mesures législatives qui aideraient les agents de première ligne et l'agence à accomplir leur mission. Sachant cela et à condition que le gouvernement donne suite à toutes vos recommandations, comment envisagez-vous l'action menée aux ports d'entrée? Que ce soit par des moyens législatifs ou autres, de quelle façon cela réduirait le nombre de personnes entrant illégalement dans le pays?

M. Fortin : Je pense que certaines mesures seraient tout à fait utiles. Il y en a deux que j'aimerais porter à l'attention du comité. Je vous ai donné l'exemple de quelqu'un qui se trouve à la frontière terrestre. S'il s'agit d'un Américain qu'on ne peut pas admettre au Canada, on le renvoie simplement aux États-Unis. C'est très simple. Nous disons qu'il devrait y avoir plus de gens qui aient à s'adresser à une ambassade canadienne pour déterminer leur admissibilité plutôt que de les laisser entrer et de faire cette détermination une fois qu'ils sont dans le pays. Cela ferait faire des économies énormes au gouvernement. Lorsque ces gens sont dans le pays, ils ont, comme vous le savez, certains droits. Ils pourraient avoir recours aux tribunaux, ou bien occuper une de nos prisons s'ils sont entrés illégalement au Canada ou s'ils commettent un crime. La mesure supplémentaire que nous proposons serait certainement très utile pour garantir la sécurité publique et le maintien de ces gens à l'extérieur du pays.

[Français]

Le sénateur Dallaire : Nous sommes préoccupés par les gens qui pourraient rentrer au pays avec des intentions malveillantes. Vous êtes en première ligne. Vous dites que les services de renseignements de sécurité ne sont pas nécessairement parfaits aux points d'entrée du Canada, qu'ils soient accessibles par voie terrestre, aérienne ou maritime.

Est-ce parce que les employés ne sont pas qualifiés pour se servir de la technologie qui pourrait les aider dans leur travail ou parce qu'ils ne semblent pas suffisamment crédibles aux yeux des autres agences de renseignements qui auraient peur que ce faisant, des secrets soient dévoilés? Y a-t-il une raison qui empêche les gens de vouloir vous mettre davantage au courant, vous qui êtes aux premières lignes, à une époque où, au contraire, on a besoin de plus d'information?

M. Fortin : On ne déplore pas l'incompétence de notre personnel, qui est hautement qualifié au contraire et qui se situe au même niveau que la majorité des corps policiers partout au pays avec qui il échange de l'information, qu'il s'agisse de la GRC ou d'autres organismes. Tout le monde collabore à l'échange des renseignements. Le problème concerne la collecte d'information par nos agents de première ligne auprès des gens qui passent la frontière pour entrer au pays. Par exemple, à la frontière terrestre, que ce soit à Windsor ou à Lacolle, nos agents de première ligne, ce qu'on appelle la ligne primaire, ne reçoivent que très peu de renseignements de la part des voyageurs.

C'est donc le premier point de contact que vous avez avec la clientèle. Nous, ce que nous souhaitons, c'est obtenir toute l'information requise. Par exemple, s'il s'agit d'une personne qui est recherchée, qui pourrait être potentiellement armée ou dangereuse, on indique tout simplement dans le système qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec cet individu.

Nous estimons avoir le droit de savoir s'il y a un risque accru pour nos agents ou de pouvoir obtenir toute l'information. Donc cette information — et c'est ce qu'on dénonce — n'est pas disponible outre le fait d'indiquer qu'une situation soulève un drapeau rouge, comme on le dirait dans notre jargon. On indique tout simplement qu'il y a un problème et qu'il faut référer cette personne au service secondaire.

Donc cette information deviendra disponible mais une fois que votre enquête sera beaucoup plus poussée. Nous, nous dénonçons cette situation, nous voulons obtenir l'information immédiatement pour protéger nos gens.

Le sénateur Dallaire : Quels outils ont vos collègues de l'autre côté de la frontière et que vous n'avez pas? Vous êtes maintenant armés, on pourra en parler plus longuement, mais de quels outils disposent-ils qui leur permettent d'être plus rigoureux dans l'analyse et de passer immédiatement à l'action?

M. Fortin : Je crois que la fameuse entente canado-américaine, ce qu'on appelle le projet Par-delà la frontière que le gouvernement conservateur a mis de l'avant, a grandement aidé à augmenter le niveau de sécurité aux frontières. Nous avons dû nous ajuster par rapport à une partie de cette entente.

Je ne pourrais pas vous dire quel est le niveau d'information du côté américain, mais on pourrait certainement revenir comparaître devant le comité pour faire un genre de comparaison des deux côtés de la frontière, comparer ce qu'eux pourraient avoir et ce que nous avons.

Chose certaine, on part de loin. Je suis un agent de première ligne et je travaille depuis 32 ans à l'Agence des services frontaliers du Canada. À l'époque, il n'y avait pratiquement pas de systèmes informatisés. Au Québec, il y avait peut-être deux ou trois bureaux qui étaient dotés de réseaux informatiques qui nous fournissaient un certain niveau d'information. Toutes ces choses se faisaient par téléphone tout simplement. Nous sommes donc partis de très loin.

On a augmenté le volume d'information de façon importante, mais ce n'est pas encore parfait étant donné que l'information pourrait être admissible. On questionne maintenant le délai de transmission de cette information.

Le sénateur Dallaire : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Wells : Vous êtes président du Comité permanent de la sécurité à la frontière du Bureau national de direction. Pouvez-vous me dire en quoi consiste ce poste? J'aimerais le savoir parce que j'ai appris que vous exerciez cette fonction en lisant votre biographie.

M. Fortin : Oui, absolument. C'est un sous-comité qui surveille l'initiative d'armement des agents et toute autre mesure connexe. De plus, le comité exerce activement des pressions pour favoriser la création d'une patrouille frontalière, que je mets en relief dans mon mémoire.

C'est bien de travailler plus efficacement dans les principaux postes frontaliers, mais nous sommes toujours très vulnérables entre ces points d'entrée. C'est la raison pour laquelle je mentionne que l'ASFC ne cesse de dire que c'est une question de lois, mais ce n'est pas le cas; c'est plutôt une question de politiques.

À ma connaissance, il y a un seul corridor que la GRC... Dans ma province d'origine, le Québec, des agents de la GRC patrouillent uniquement dans un certain corridor, dans le cadre d'un projet pilote. On me dit en ce moment que cette mesure est efficace et que les Américains patrouillent de l'autre côté de la frontière. Personnellement, je pense que nous devrions en ce moment assurer une surveillance plus efficace entre ces points d'entrée.

Le sénateur Wells : Quelles sont certaines des activités que le projet pilote envisage d'exercer et que, selon vous, nous devrions reproduire dans les autres régions du Canada?

M. Fortin : En fait, cela ressemble à une patrouille entre les postes frontaliers. Les agents échangent des renseignements avec la patrouille frontalière américaine, et ils ont découvert, par exemple, qu'il n'y a pas si longtemps, des réfugiés traversaient la frontière à un endroit appelé Rock Island. Nous demeurons donc vulnérables dans certaines régions clés, mais nous ne sommes pas présents à ces endroits.

Je suppose que le projet Shiprider est une autre initiative à laquelle nous sommes les seuls à ne pas participer. Encore une fois, l'ASFC ne cesse de répéter que c'est une question de lois, mais c'est une question de politiques, et nous pensons que nous devrions prendre part à ce projet.

Grâce au projet d'armement des agents que le sénateur Dallaire vient de mettre en relief, nous avons beaucoup progressé. Je pense qu'à l'heure actuelle, nos agents sont nettement mieux équipés et formés qu'auparavant. Ils ont les compétences requises, et ils ont été déployés dans les 117 postes frontaliers terrestres. Il serait logique de patrouiller avec les agents de la GRC, ou l'ASFC pourrait s'acquitter de cette tâche par elle-même, car, lorsqu'on est déployé à un endroit, on connaît la collectivité. Quoi qu'il en soit, c'est un aspect du travail dans lequel nous accusons toujours beaucoup de retard par rapport aux Américains.

Le sénateur Mitchell : Ma première question concerne votre deuxième point, monsieur Fortin, à savoir la question de l'échange de renseignements. Il me semble presque impossible de concevoir que vous n'avez pas accès à la liste complète des gens qui ne devraient pas être autorisés à entrer au Canada, que vous n'avez pas pleinement accès à ces renseignements par voie électronique ou autre. Êtes-vous en train de dire que vous, qui travaillez à un point d'entrée, n'avez pas accès à la liste des gens qui ne sont pas autorisés à entrer au Canada?

M. Fortin : Avec tout le respect que je vous dois, sénateur, c'est inexact. C'est la divulgation complète des renseignements dont nos agents ont besoin.

Disons que vous venez de l'aéroport d'Ottawa. La seule chose que vous constaterez au cours de la première inspection, c'est le fait que le nom « Jonathan Choquette » ne déclenche pas d'alarme, mais vous ne saurez pas exactement quoi chercher. Toutefois, cette information est accessible si vous envoyez la personne subir une deuxième inspection et que vous persistez jusqu'à ce que vous obteniez les renseignements voulus.

Prenons l'exemple des agresseurs sexuels. Croyez-le ou non, il est très difficile d'obtenir la divulgation complète de leurs renseignements si l'on s'occupe des premières inspections et, pourtant, c'est au cours de ces inspections qu'il serait crucial que nos agents obtiennent instantanément ces renseignements. Nous y avons accès, mais pas en temps voulu.

Le sénateur Mitchell : Donc, il suffirait de devancer cette obtention, et cela rendrait le processus plus efficace et moins dangereux pour votre personnel.

M. Fortin : Absolument. Et la seule raison pour laquelle l'ASFC ne le fait pas tient au fait qu'elle ne souhaite pas ralentir la circulation ou le rythme d'inspection. Et cela nous préoccupe.

Le fait est qu'il faut trouver un juste équilibre entre la sécurité et la circulation des voyageurs. Nous comprenons cela, mais il est également important pour la sécurité de nos agents qu'ils sachent si une personne pourrait être munie d'une arme.

Le président : Lorsqu'une personne est signalée, l'envoyez-vous automatiquement subir une deuxième inspection?

M. Fortin : Oui, nous pourrions certainement faire cela, si nous ne connaissons pas exactement la raison du signalement.

D'un point de vue technique, lorsque vous travaillez dans la cabine d'une voie d'inspection, il se peut que vous demandiez à une personne de tourner à droite vers la voie d'inspection. Toutefois, qu'advient-il si la personne franchit la frontière? Nous ne sommes même pas autorisés à la pourchasser. Par conséquent, la personne entrera au Canada, ce qui est problématique.

Si la personne est armée et qu'elle a l'impression que nous pourrions pousser notre enquête plus loin — et je regarde le sénateur Dagenais, qui est un ancien agent de police, ainsi que le sénateur White —, nous devrions en être informés. Parce que si je sais que la personne est armée et dangereuse, je l'immobiliserai immédiatement à cet endroit. Je ne la laisserai pas aller plus loin, et je poursuivrai mon enquête par la suite.

Le sénateur Mitchell : Ma deuxième question concerne les pressions qui sont inévitablement exercées parce que vous n'êtes pas suffisamment nombreux. Vous dites que 700 postes ont été abolis depuis 2011.

M. Fortin : L'effectif, oui.

Le sénateur Mitchell : Je pense qu'il y avait des groupes d'application de la loi spécialisés, et je crois comprendre qu'en raison des compressions budgétaires, ces groupes n'existent plus. N'y avait-il pas, par exemple, des unités de chiens renifleurs qui étaient utiles dans certaines situations liées à la drogue ou à d'autres éléments? Qu'en est-il?

Et que dire de la question des heures supplémentaires? N'est-il pas vrai que, pour compenser le manque de personnel, nous demandons aux employés de faire des heures supplémentaires que nous payons à temps et demi et à temps double?

Quelles sont les conséquences de l'abolition des 700 postes?

M. Fortin : Je pense que vous avez absolument raison. Sauf erreur, 70 millions de dollars ont été dépensés au cours de la dernière année pour payer les heures supplémentaires. L'ASFC pourrait probablement vous fournir les chiffres exacts, mais voilà ce qu'on m'a dit.

Je ne crois pas qu'il soit possible d'éliminer complètement les heures supplémentaires dans cette organisation, parce qu'elle exerce ses activités 24 heures par jour et sept jours par semaine. Mais, au bout du compte, je pense qu'en ce moment, nous manquons tellement d'effectifs que, par exemple, le directeur général d'un certain secteur nous a dit... dans le passé, nous inspections les conteneurs déchargés dans les principaux ports maritimes, mais un directeur général de l'ASFC nous a communiqué par écrit une politique selon laquelle, faute de ressources, nous devons laisser passer les conteneurs, même si, en l'absence d'un avis de surveillance officiel, nous soupçonnons qu'ils contiennent des drogues qu'on cherche à exporter.

Le sénateur Mitchell : Parce que vous ne disposez pas du personnel nécessaire.

M. Fortin : Parce qu'en fait, nous n'avons pas le personnel adéquat. Si vous êtes d'accord, monsieur le président, je vous fournirai cette politique.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Fortin, monsieur Choquette. Cela fait plaisir de revoir des collègues de travail. Mes félicitations pour avoir réussi à armer vos agents; je suis certain que cela n'a pas été facile. J'ai eu l'occasion d'aller à Rigaud pour visiter la salle de tir, et je sais que la formation se poursuit. On me disait que la plupart des agents seraient maintenant armés, et c'est une bonne chose. J'ai deux questions.

[Traduction]

Pourriez-vous faire le point sur les progrès réalisés quant à une collaboration avec les organismes d'exécution de la loi locaux pour s'attaquer aux défauts d'arrêts à la douane et de déclaration?

M. Fortin : Eh bien, je ne dispose pas en ce moment de chiffres que je peux fournir au comité, mais je peux certainement faire des recherches en ce sens.

Si je ne m'abuse, la GRC reçoit ces renseignements une fois par mois du service américain de la patrouille frontalière ou du département de la sécurité des États-Unis. Je pense que des renseignements sont échangés à cette échelle. Je ne sais pas si ces chiffres pourraient être communiqués au comité.

La frustration que je m'efforce de faire ressortir découle du cas typique où, à un poste frontalier terrestre, je dis à quelqu'un : « Veuillez garer votre voiture à gauche. Vous n'êtes pas autorisé à partir. Nous devons procéder à un examen plus approfondi de votre cas. » Et la personne franchit la frontière en dépit de cela. Nous avons la voiture, la formation et tous les éléments nécessaires, mais nos agents sur le terrain sont frustrés. Ils nous expliquent qu'ils n'ont pas le droit de prendre cette voiture et de la retourner au point d'entrée. Comme l'ASFC l'a indiqué au comité, ils doivent appeler la police parce que ce travail ne relève pas de leur compétence, et ils doivent espérer que quelqu'un plus loin sur la route pourra arrêter cette personne, ce qui n'arrive pas très souvent.

Le sénateur Dagenais : Vous avez mentionné que le SDI veut que l'ASFC « reconnaisse officiellement les pleins pouvoirs et protections qui accompagnent le statut d'agent de la paix afin que nos membres puissent exécuter le mandat de l'ASFC à l'extérieur des points d'entrée — comme, entre autres, les défauts d'arrêts à la douane et les renvois de l'immigration. »

Pourriez-vous décrire dans quelle mesure la position actuelle de l'ASFC sur le statut d'agents de la paix de vos membres a une incidence sur leur travail? Pourquoi, selon vous, l'AFSC maintient-elle sa position? Selon votre expérience, quelle a été la position de la GRC sur cette question?

M. Fortin : Voilà une excellente question.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

M. Fortin : En fait, je pense que les choses s'améliorent. Nous nous comprenons mieux, même si notre entente n'est pas parfaite. Nous avons noué un dialogue avec les représentants officiels de l'AFSC, et certains de mes collègues au sein du syndicat — en fait, tous les membres de l'Exécutif national — ont rencontré des cadres de l'ASFC et ont discuté concrètement de divers scénarios. Qu'advient-il, par exemple, si, après avoir reçu, disons, un avis de signalement, nos membres responsables de l'exécution de la loi dans les bureaux intérieurs vont dans un restaurant pour arrêter quelqu'un dont le séjour au Canada est jugé illégal? Nous craignions qu'un tiers intervienne lors de l'arrestation de cette personne, et les choses n'étaient pas très claires. En fait, nous avons été en mesure de clarifier le mandat de nos agents.

En outre, à l'heure actuelle, il y a une énorme différence entre un agent de police, qui est considéré comme tel 24 heures par jour, sept jours par semaine, et un agent de l'ASFC qui, sur le plan juridique, est considéré comme un policier seulement lorsqu'il exerce les fonctions prévues par la LIPR ou la Loi sur les douanes. Bon nombre de nos agents pensent qu'ils devraient bénéficier en ce moment de cette reconnaissance. C'est comme si trois quarts de leurs fonctions correspondaient à celles d'un agent de police, mais qu'un tiers ou quart d'entre elles les privaient de la protection dont jouit un policier. Ce qui les préoccupe, c'est le fait que, d'un point de vue juridique, ils n'ont toujours pas le droit d'intervenir s'ils voient quelqu'un commettre un crime pendant qu'ils sont, disons, en train de se rendre à la banque ou de faire d'autres courses, vêtus de leur uniforme.

En fait, cela s'est déjà produit. On a attiré mon attention sur quelques situations pendant lesquelles nos agents, qui étaient en train de passer des examens de tir, côtoyaient des buveurs de bière, et on m'a dit que les choses auraient pu tourner mal. Sur le plan juridique, nous n'avons toujours pas le droit d'intervenir dans ces situations, même si nous portons notre uniforme et une arme. C'est une distinction qui peut parfois échapper aux gens.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

Le sénateur Day : Ma première question, monsieur Fortin, cherche à éclaircir les réponses que vous avez données à la série de questions que le sénateur Wells vous a posées. Vous parliez de travaux expérimentaux qui étaient menés dans la province du Québec. La dernière chose que je vous ai entendu dire, c'est que les Américains faisaient du bon travail à cet égard parce qu'ils vivaient là-bas, et je ne comprends pas clairement ce dont vous parliez lorsque vous avez formulé cette observation.

M. Fortin : Je vous remercie de me permettre de clarifier ce que j'ai dit, sénateur.

Nous mentionnons que les Américains font déjà ce travail. Je faisais allusion au fait que la frontière compte 117 points d'entrée et que nous connaissons les collectivités avoisinantes. Nos agents vivent là-bas; ils connaissent la circulation. À notre avis, il serait très simple de leur confier ce mandat, et ces patrouilles pourraient être créées en collaboration avec la GRC ou elles pourraient relever de secteurs précis de l'ASFC. De plus, l'agence pourrait nous autoriser à participer au programme Shiprider avec nos homologues américains.

Nos agents éprouvent beaucoup de frustration parce qu'ils croient que ce sont eux qui connaissent vraiment le client et, selon moi, si nous pouvions créer des forces mixtes ou une équipe mobile, ce serait très avantageux, en particulier en ce moment, alors qu'une quantité croissante de matériel technologique est utilisée sur le terrain. Le matériel est utile, mais nous ne devons pas perdre de vue le fait que ce matériel est là pour nous aider et non pour nous remplacer.

Nous avons de grands sujets d'inquiétude. Je viens juste de mentionner le contrôle frontalier automatisé, mais cette technologie sera également déployée dans les postes frontaliers terrestres. De plus, quelques projets pilotes seront entrepris en 2015. J'examine plus précisément le mandat de votre comité. Comme je l'ai indiqué, personnellement — et c'est l'agent en moi qui s'adresse en ce moment au comité —, je serai très perturbé si nous n'améliorons pas la sécurité aux principaux points d'entrée. Premièrement, nous devons être plus proactifs en ce qui a trait à la patrouille frontalière et au programme Shiprider. On nous a dit qu'on n'aurait recours à ces ressources que si une plus grande quantité de matériel était déployée ou si la prestation des services était assurée à des endroits plus risqués. Toutefois, ce n'est pas du tout ce que nous observons en ce moment.

Le sénateur Day : Pour m'étendre un peu plus longuement sur le sujet, je mentionne que vous avez 32 années d'expérience dans le domaine, et nous vous remercions infiniment du service que vous avez rendu au Canada. Vous avez beaucoup appris pendant cette période et, en particulier, maintenant que vous présidez ce groupe.

Nous avez-vous parlé de tous les différents aspects? Vous avez mentionné le projet Shiprider et la nécessité d'échanger des renseignements avec les États-Unis de manière plus efficace. J'essayais de dresser une liste qui exposait dans le détail vos observations parce que, si nous sommes en mesure d'améliorer le rôle que vous jouez en ce moment, je pense que c'est ainsi que nous pourrons vous aider à mieux servir le Canada.

Les États-Unis ont apporté d'importants changements il y a 12 ou 13 ans, et vous me donnez l'impression qu'au Canada, il y a toujours des cloisons, en ce sens que différents groupes assument différentes responsabilités, et ces EIPF ou ces groupes de sécurité frontalière combinés ne collaborent pas aussi efficacement ici qu'aux États-Unis au chapitre de la sécurité frontalière. Est-ce que j'interprète vos observations correctement? Quelles recommandations notre comité devrait-il émettre pour vous aider à mieux faire votre travail?

M. Fortin : Tout d'abord, je pense que les gens de l'ASFC devraient à tout le moins être en mesure d'expliquer pourquoi ils se retrouvent devant le comité, puis d'expliquer pourquoi ils augmentent le nombre de personnes en première ligne. Comme je l'ai indiqué, je peux vous confirmer que sur ma propre liste de membres, il y a 700 personnes, ce qui est une baisse depuis 2011.

On nous a indiqué que nous devrions déplacer les ressources vers un lieu à risque plus élevé. Nous nous attardons notamment sur un rôle plus proactif aux postes frontaliers. En outre, le système de surveillance devrait être plus efficace et toutes les informations devraient être fournies aux agents de première ligne du principal lieu d'inspection.

J'ai indiqué au comité que même si on soupçonne qu'un conteneur contient de la drogue, nous ne l'inspectons pas, parce que nous n'avons pas assez de ressources. De telles choses ne devraient pas se produire dans ce pays. À mon avis, il n'est pas logique qu'en 2014, lorsqu'il y a un signalement, le manque de ressources pousse les membres à me dire : « Vous savez, monsieur Fortin, nous pensons que nous devrions examiner la situation, mais vu le manque des ressources, nous sommes obligés de laisser faire. » Cela n'a aucun sens, à mon humble avis.

Le sénateur Day : Sur la question de fournir plus d'informations aux gens de première ligne — je veux simplement que le comité le comprenne —, vous dites qu'à un poste frontalier terrestre, les gens qui travaillent du côté américain avec le département américain de la Sécurité intérieure ont plus d'informations et de meilleures sources d'information que leurs collègues canadiens?

M. Fortin : À cet égard, monsieur le sénateur, comme je l'ai dit, je fournirai au comité une comparaison du niveau d'information des deux pays, de part et d'autre de la frontière.

Prenons l'exemple d'un individu armé et dangereux. Les agents me disent que lorsqu'ils sont à la ligne d'inspection primaire, ils aimeraient savoir que cette personne est armée et dangereuse, parce qu'ils veulent se protéger.

À l'heure actuelle, nous avons, en fait, accès à un très haut niveau d'information. Je veux que le comité n'ait aucun doute à ce sujet. L'important, c'est le temps nécessaire à l'obtention de l'information et la façon dont elle nous parvient. Voilà le problème que nous observons. L'information doit être accessible immédiatement à la ligne d'inspection primaire. Nous devons en prendre connaissance.

Le sénateur Day : Et ce n'est pas le cas?

M. Fortin : Non.

La sénatrice Beyak : Merci, messieurs. Quelles seraient vos recommandations pour accroître et améliorer la collaboration, que vous avez mentionnée plus tôt, entre les divers organismes d'application de la loi?

M. Fortin : Actuellement, je dirais que nous avons une bonne relation avec la plupart des corps policiers au Canada. Jusqu'à un certain point... Je devrais m'informer directement auprès de mon agent du renseignement, car lorsque l'on me pose des questions de ce genre, je parle habituellement avec les personnes qui effectuent le travail. Je les représente; j'essaie donc d'être le plus crédible possible.

D'après les informations dont je dispose actuellement, nous devrions augmenter le nombre d'agents du renseignement. En ce qui concerne les personnes qui ont perdu leur emploi, lorsque les gens de l'ASFC ont dit au comité qu'ils ne congédient pas n'importe qui, ils ont raison. Toutefois, ils ne remplacent pas les gens qui partent à la retraite, par exemple, et le problème est là.

Voilà pourquoi j'indique dans mon mémoire que lorsqu'on ne remplace pas un agent du renseignement, on se trouve à éliminer le poste. C'est une préoccupation, en particulier dans ce monde où l'information est essentielle si l'on veut être efficace en première ligne. On ne peut pas retenir ces membres. On se présente au Parlement et on affirme que ce ne sont pas des agents de première ligne. Ce sont des agents de première ligne, car leur travail est de fournir des informations aux agents de première ligne.

La sénatrice Beyak : Deuxièmement, je me demande quels changements vous apporteriez pour aider l'ASFC à localiser les personnes inadmissibles. Vous avez mentionné quelque chose à cet égard un peu plus tôt, mais j'aimerais avoir plus d'informations, s'il vous plaît.

M. Fortin : Je parle de la catégorie des personnes qui, actuellement, peuvent venir au Canada en provenance d'un pays du Tiers monde, par avion. On se retrouve alors dans la situation où il faut soit renvoyer la personne, soit utiliser un ancien processus de recours aux tribunaux, voire consacrer beaucoup de temps à déterminer si la personne n'est pas admissible.

Si vous savez pertinemment que la personne devrait être interdite de territoire, il faut avoir un mécanisme les obligeant à demeurer dans le pays d'origine, d'où ils pourraient présenter leur demande. On éviterait ainsi qu'ils reviennent au Canada et que nous nous retrouvions dans une situation où une personne non admissible est au pays, ce qui entraîne des coûts énormes.

Si vous le permettez, j'ajouterais une dernière chose, qui est liée à la privatisation des programmes de renvoi. Si le gouvernement va de l'avant sans agents dûment formés et qu'il renvoie des gens à l'extérieur du pays, il commettra une grave erreur.

Le sénateur White : Merci d'être ici aujourd'hui. J'ai travaillé avec l'ASFC pendant plusieurs années et je suis très reconnaissant du travail qu'on y effectue. J'ai fortement appuyé la proposition sur la délégation de pouvoirs d'agent de la paix aux agents de l'ASFC et le port d'armes. J'avais le sentiment qu'on avait tardé à le faire, mais que c'était approprié.

À l'époque — et j'ai peut-être lancé le débat —, on a cherché à savoir, s'ils deviennent des agents de la paix, à quel moment on devrait plutôt faire appel aux services policiers. Si vous dites que vous n'avez pas accès à des renseignements détenus par la GRC, pourquoi devrait-on avoir deux organismes au lieu d'un seul, ce qui se traduit en réalité par le dédoublement des efforts, des ressources et des systèmes de gestion, entre autres? Pourquoi n'aurions-nous pas un seul organisme, comme le font beaucoup d'autres pays d'Europe et d'ailleurs, à l'exception des États-Unis?

M. Fortin : Je n'ai jamais envisagé cette solution. C'est une très bonne question.

Le sénateur White : Une autre très bonne question.

M. Fortin : En effet.

À mon avis, le travail effectué par nos membres à l'heure actuelle est très spécialisé, et je vais vous en donner un bon exemple. En raison de la fusion des services d'immigration et de douanes par le gouvernement actuel — une bonne décision, à mon avis — les connaissances nécessaires pour effectuer ce travail sont très spécialisées.

Dans le secteur des douanes, par exemple, les agents de la circulation et les agents du secteur commercial ont des compétences distinctes. On ne peut pas être un bon agent lorsqu'on pense qu'on sera un homme à tout faire. Voyez-vous, il faudrait tout connaître sur les douanes : informations sur le voyage, déclarations commerciales, immigration. On parle de centaines de lois. Je suis certain qu'il y a des exigences, sans quoi on y retrouverait beaucoup de gens ayant des connaissances limitées. Chaque groupe de personnes doit maintenir un certain niveau de connaissances sur des aspects précis.

Le sénateur White : Je vous remercie de la réponse. Je ne veux pas que l'on interprète cela comme une déclaration contre l'ASFC et pour la GRC, pour être honnête, mais si je regarde l'incidence du Plan d'action pour la réduction du déficit sur la GRC en particulier, on constate qu'un certain nombre d'unités spécialisées ont été fusionnées en une seule unité fédérale. Les agents de la lutte antidrogue, de l'immigration, des passeports et des douanes travaillent tous actuellement au sein d'une même unité, à laquelle ils offrent leur expertise, bien sûr.

J'ai eu la même discussion au sujet de la Colline du Parlement, sur la question de savoir pourquoi nous avons deux agences de sécurité au lieu d'une seule. En fait, je dirais qu'il devrait n'y en avoir qu'une seule; je considère aussi que cela n'a aucun sens.

Nous pourrons peut-être un jour chercher à savoir pourquoi il en est ainsi au Canada, avec ses 37 millions d'habitants... J'en conviens, mais dans ces localités frontalières, où j'ai déjà travaillé comme policier, l'ASFC — qui portait un autre nom à l'époque — et la GRC ont toujours collaboré. J'ai toujours dit que du point de vue de la prestation des services, à Beaver Creek, au Yukon, il aurait été bien mieux d'avoir quatre agents de la GRC plutôt que deux agents de la GRC et sept agents des services frontaliers. Je conviens que ce ne serait peut-être pas facile au début, mais je me concentre sur la prestation des services de première ligne. Je me soucie peu de savoir qui en est chargé, ni de savoir quel nom on lui donnerait.

Le président : Et votre question?

Le sénateur White : Ma question est la suivante : tentez-vous simplement de protéger les emplois syndiqués au détriment des emplois non syndiqués?

Le sénateur Dagenais : C'est une autre bonne question.

M. Fortin : Je pourrais répondre « non ». Je protège mes membres — c'est mon mandat —, mais je n'essaie pas de le faire dans ce cas. Si vous lisez attentivement le mémoire que je vous ai présenté, l'une des choses que j'y mentionne constitue pour moi la première étape, parce que je n'ai pas de réponse à la question suivante : « Devrions-nous devenir des agents de la GRC? » Voici ce que je propose : pourquoi ne pas commencer par une patrouille mixte à la frontière pour voir comment cela fonctionne? Je pense que ce serait certainement un pas dans la bonne direction.

Le sénateur Dallaire : Cela a été très instructif. Vous avez parlé de la volonté du gouvernement de faire appel à des entreprises de sécurité du secteur privé en ce qui a trait à certains aspects du déplacement des gens et des risques connexes. Je voudrais savoir jusqu'à quel point on envisage d'aller dans cette direction. À votre avis, pourquoi procède-t-on ainsi?

Personnellement — et je ne cherche pas à contredire le sénateur White —, je pense que vous auriez dû faire participer à Shiprider plutôt qu'à une initiative mixte avec la GRC. J'ai soulevé ce point lorsque nous avons rédigé la mesure législative. Pour moi, il est illogique que l'ASFC ne soit pas présente sur ces navires, du moins pour accompagner la GRC.

Voici où je veux en venir : il semble que nous allons commencer à exercer un contrôle des sorties. À votre avis, cette mesure vous sera-t-elle plus utile ou moins utile pour l'atteinte de vos objectifs? Considérez-vous qu'il s'agit de la mise en place d'une mesure, mais sans les ressources nécessaires? Qu'en pensez-vous?

M. Fortin : À mon humble avis, d'après ce que je vois, cela crée une certaine confusion actuellement. Je pense qu'on a commencé à le faire à Fort Erie et à quelques autres endroits.

Le sénateur Dallaire : Les essais, exactement.

M. Fortin : Ce qui me pose problème, c'est que nous n'avons même pas, au pays, les moyens d'inspecter les chargements vers l'étranger; je parle de voitures volées et de médicaments. La seule raison pour laquelle on va de l'avant actuellement, sénateur, c'est pour accélérer la circulation. On ne connaît pas la réponse. Je pense qu'on tente de plaire à un certain nombre de personnes.

Nous comprenons que les marchandises doivent passer rapidement la frontière. Nous le comprenons, mais nous avons des préoccupations concernant l'équilibre de la sécurité par rapport aux installations à la frontière. On met à l'essai toutes sortes d'initiatives, comme celle dont vous parlez en ce moment.

Je ne sais pas en ce moment si ce sera plus efficace, mais la principale raison de le faire, c'est pour accélérer le plus possible l'expédition, et à l'heure actuelle, on cible principalement les déclarations commerciales.

Le sénateur Dallaire : Je me suis peut-être mal exprimé. Je veux parler ici du contrôle des sorties pour les personnes.

M. Fortin : Oh, excusez-moi.

Le sénateur Dallaire : Mais je vous remercie de cette information.

M. Fortin : Pourriez-vous préciser votre question?

Le sénateur Dallaire : En ce qui concerne l'instauration d'un contrôle des sorties, parce qu'il n'y a aucun contrôle quand nous quittons le pays, croyez-vous que ce sera un outil utile pour recueillir des renseignements et en faire la vérification? Savez-vous s'il y a un projet qui permettra également d'utiliser des ressources pour le faire?

M. Fortin : Nous en avons entendu parler. J'ignore jusqu'où ira le gouvernement. Si vous parlez de ce que font les Américains... Actuellement, dans les grands aéroports comme Dorval ou Toronto, on fait l'objet d'un contrôle lorsqu'on quitte le Canada parce qu'on se présente devant un agent américain au Canada. Absolument, si c'est à cela que vous songiez, je pense que cela pourrait également bien fonctionner, surtout dans des endroits précis.

Le président : C'est tout le temps dont nous disposions.

Je tiens à remercier nos témoins d'être venus. Les renseignements que vous avez fournis nous seront très utiles quand nous voudrons dégager des conclusions. Si nous avons besoin d'autres renseignements, nous communiquerons avec vous.

M. Fortin : Je vous remercie de m'avoir invité, sénateur.

Le président : J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Joe Bissett. Je vois qu'il a connu une longue et fructueuse carrière au sein du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, ainsi qu'à titre de diplomate.

Je crois comprendre que vous témoignerez aujourd'hui à titre personnel et pas au nom d'un groupe ou d'une association, et que vous êtes ici pour nous faire profiter de vos connaissances du système de contrôle de l'immigration et formuler des recommandations sur ce qui peut être fait pour améliorer notre système de détermination de l'admissibilité et d'interdiction du territoire.

Je vous souhaite la bienvenue au comité. Je crois que vous avez une déclaration préliminaire. Vous pouvez commencer. Nous disposons d'une heure.

James (Joe) Bissett, ancien diplomate canadien, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux que vous m'ayez invité à venir vous parler aujourd'hui de ce que je savais et de ce que je sais encore, je l'espère. Je vais lire ma déclaration, car j'ai beaucoup de choses à dire et il me faudra trop de temps pour consulter mes notes.

Mon exposé portera principalement sur deux sujets. Le premier concerne quelques-unes des principales lacunes du système actuel d'entrée de non-Canadiens au pays. La deuxième partie de mon exposé traitera des questions de sécurité découlant de notre politique d'immigration et de ce que l'on appelle la guerre au terrorisme. J'aimerais vous parler de ce qui me semble être un problème sur le plan du nombre d'immigrants musulmans que nous accueillons au pays. C'est contraire à la rectitude politique, mais je pense qu'il faut le dire, et je suis assez audacieux pour le faire. Je vais d'abord vous parler du contrôle des entrées.

Au début de ma carrière d'agent d'immigration, j'ai d'abord travaillé au cabinet de la ministre en tant qu'agent de liaison entre le cabinet de la ministre et le ministère. C'était durant les jours sombres de la guerre froide. Un jour, la ministre m'a demandé de lui trouver des données sur le nombre de visiteurs du bloc soviétique qui étaient entrés au pays l'année précédente. J'ai réussi à lui fournir très rapidement cette information. Elle y a jeté un coup d'œil, puis m'a regardé par-dessus ses lunettes et m'a dit : « Joe, pouvez-vous maintenant me dire combien de personnes, parmi celles qui sont entrées, ont quitté le pays? » Je lui ai expliqué que c'était impossible, que nous ne pouvions pas savoir combien de personnes étaient parties et que nous n'avions aucun système nous permettant de le savoir. Elle en a été stupéfaite; elle m'a regardé encore une fois par-dessus ses lunettes et m'a dit : « Bon sang, j'espère que l'opposition et les médias ne découvriront jamais cela. »

C'était il y a plus de 50 ans, et rien n'a changé depuis. Nous n'avons toujours pas de système qui nous permettrait de savoir qui a quitté le pays. Nous savons combien de personnes entrent au pays et nous pouvons vous fournir beaucoup de renseignements à ce sujet, mais nous ne savons pas qui a quitté le pays, car nous n'avons aucun système de contrôle des sorties, aucun système de suivi. Je pense que c'est l'une des lacunes les plus importantes de notre système.

Dans son rapport de 2007, la vérificatrice générale a indiqué que 62 000 demandeurs avaient comparu devant la Commission d'immigration et du statut de réfugié et avaient vu leur demande être rejetée, car ils n'étaient pas considérés comme des réfugiés authentiques. Le gouvernement connaissait l'adresse d'environ 20 000 d'entre eux, mais personne ne savait où se trouvaient les 42 000 autres demandeurs. Personne ne semblait être particulièrement préoccupé par cette situation, sauf peut-être la vérificatrice générale elle-même. Je pense que les responsables de la Sécurité intérieure au sud de la frontière se souciaient probablement davantage de ce problème que nous.

La situation n'a pas beaucoup changé. La seule différence importante, c'est que le problème est aujourd'hui beaucoup plus grave qu'il ne l'était en 2007, et c'est à cause du très grand nombre d'immigrants, de travailleurs étrangers temporaires et d'étudiants étrangers qui entrent au pays. Les chiffres sont très élevés. Le mouvement d'immigration totalise en moyenne un quart de million par année. Il est à ce niveau élevé depuis 1990. Avant cela, dans les années 1980, quand je m'occupais d'immigration, nous n'avions jamais dépassé les 100 000 immigrants. Maintenant, leur nombre est très élevé; l'an dernier, par exemple, il y en a eu 257 000.

Ce qui est nouveau, c'est que nous avons commis la même erreur que les Européens dans les années 1960. Nous avons commencé à laisser entrer au pays un très grand nombre de travailleurs étrangers temporaires, et bien souvent, comme l'ont constaté les Européens, lorsqu'il s'agit de travailleurs étrangers temporaires, ce n'est pas vraiment temporaire : ils ne retournent pas dans leur pays. Toutes les grandes villes européennes subissent les répercussions de cette erreur, car elles ont une importante sous-classe d'anciens travailleurs étrangers temporaires qui vit dans les banlieues de Paris, de Berlin ou d'autres villes européennes. C'est un problème important, principalement parce que la plupart des travailleurs temporaires étaient des ouvriers non qualifiés qui ont perdu leur emploi quand les conditions se sont améliorées et qui n'étaient pas suffisamment instruits ou qualifiés pour s'adapter aux nouvelles réalités de l'économie. J'ai l'impression que nous nous engageons dans cette voie, malheureusement.

Durant la période de cinq ans comprise entre 2008 et 2012, plus de 1 450 000 travailleurs étrangers temporaires sont entrés au pays, ainsi que 1 096 000 étudiants étrangers et 1 286 400 immigrants. Voilà des chiffres extrêmement élevés; toutes ces demandes ne peuvent être traitées adéquatement par les agents d'immigration à l'étranger ni par l'Agence des services frontaliers du Canada. Les autres témoins vous en ont déjà parlé. Par conséquent, à cause du nombre élevé de demandes, la majorité des immigrants ne sont pas même interrogés ni rencontrés par un agent canadien à l'étranger. Il y en a peu qui le sont actuellement. Lorsqu'une personne présente une demande à Dhaka, son formulaire de demande sera probablement envoyé dans un service de traitement central à Ottawa. On examinera ses documents, ses certificats professionnels et certificats de police. Si tout est conforme, on lui enverra son visa à Dhaka par courrier, et le jour suivant, la personne prendra un vol à destination de Toronto ou de Montréal. Elle n'aura jamais à rencontrer un agent avant son arrivée au point d'entrée.

Comme vous pouvez l'imaginer, les conséquences sont stupéfiantes sur le plan de la sécurité, sans parler du fait que les immigrants ne reçoivent plus les conseils de nos agents au sujet des conditions de vie et de travail en sol canadien et à propos des endroits où ils pourraient trouver du travail dans leur domaine. Auparavant, on offrait aux immigrants de longues séances d'information et on leur présentait des films afin qu'ils sachent à quoi ils pouvaient s'attendre à leur arrivée au Canada. Ce n'est plus le cas. Maintenant, tout est une question de chiffres.

L'augmentation du nombre de travailleurs étrangers temporaires est un phénomène relativement récent, attribuable au fait que nos agents à l'étranger n'arrivaient pas à traiter le grand nombre de demandes d'immigration qu'ils recevaient, ce qui a entraîné des arriérés, au détriment de plus d'un million de personnes qui répondaient à tous les critères d'admissibilité et qui attendaient qu'on les laisse entrer. Ils ne pouvaient pas venir, évidemment, parce que leur demande ne pouvait être traitée à temps. Un travailleur hautement qualifié devait parfois attendre jusqu'à trois ans avant d'entrer au Canada.

Plutôt que de faire venir des immigrants, les employeurs ont donc commencé à embaucher des travailleurs étrangers temporaires. Je vous ai donné les chiffres : ils les faisaient venir au pays par milliers. Malheureusement, la plupart de ces travailleurs n'étaient pas hautement qualifiés. Il s'agissait surtout de travailleurs non spécialisés pouvant occuper un emploi dans des entreprises comme Tim Hortons, McDonald's ou Subway, ou dans des abattoirs du Manitoba. Ils étaient de bons travailleurs, mais ils n'avaient pas les compétences voulues pour se débrouiller s'ils perdaient leur emploi non spécialisé. On les avait apparemment laissés entrer au pays pour quatre ans, mais il n'y avait aucun système de suivi. Un travailleur temporaire pouvait laisser son emploi au lendemain de son arrivée pour chercher du travail ailleurs. Qui le saurait? À mon avis, il s'agit d'un grave problème qui ira grandissant; un jour, nous serons aux prises avec un million de travailleurs non spécialisés, et personne ne saura qui ils sont ni où ils habitent.

Le problème n'est pas aussi grave en ce qui concerne les étudiants étrangers, car même s'ils décident de rester au pays — et certains peuvent présenter une demande à cette fin —, ils pourront s'adapter assez rapidement aux réalités de notre économie, puisqu'ils sont qualifiés et instruits. Ils sont un atout. Pour les travailleurs étrangers non spécialisés, c'est différent.

Je terminerai sur une note assez encourageante. Le gouvernement prend rapidement des mesures pour imposer un système de contrôle des sorties. Ses intentions sont inscrites dans l'initiative intitulée Par-delà la frontière : une vision commune de la sécurité et de la compétitivité économique à l'intérieur du périmètre, annoncée en février 2011 par le président Obama et le premier ministre Harper. À la suite de cette annonce, de nombreux changements ont été apportés au système. On se rapproche de plus en plus de l'objectif d'un système de contrôle des sorties. Un projet pilote est en cours dans deux ou quatre postes de douane. Nous voulons implanter d'abord le système à la frontière américaine, puis l'implanter graduellement dans les aéroports et les ports de mer. Si tout va bien, d'ici un an ou deux, nous devrions avoir un système complet de contrôle des sorties.

Il y a cependant un bémol. Qu'arrivera-t-il si cela fonctionne et si nous nous apercevons que 50 000, 60 000 ou 100 000 travailleurs étrangers sont restés au pays? Que fera l'Agence des services frontaliers du Canada? Elle n'a rien pu faire au sujet des 42 000 personnes que nous savions présentes au pays en 2007. Que ferons-nous si nous constatons que 100 000 travailleurs étrangers temporaires ne sont jamais partis? C'est un problème.

J'aimerais maintenant parler de la politique en matière d'immigration et de ce qu'on appelle la guerre au terrorisme. Le Canada a réagi rapidement à la menace terroriste après les événements du 11 septembre. Il a envoyé des troupes en Afghanistan et adopté un projet de loi omnibus controversé contre le terrorisme. Certains éléments de cette mesure qui avaient été rejetés par les tribunaux, sont maintenant en vigueur. Le Canada a créé un nouveau ministère, celui de la Sécurité publique, et signé le Plan d'action pour une frontière intelligente avec les États-Unis, le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité avec les États-Unis et le Mexique, et la Vision commune de la sécurité et de la compétitivité économique à l'intérieur du périmètre avec les Américains. Ensuite, il a mis sur pied des programmes importants pour empêcher les malfaiteurs d'entrer au Canada et renforcer la sûreté et la sécurité des Canadiens.

Parmi ces mesures, la plus importante est l'adoption d'un système de visas biométriques mis en vigueur dans plusieurs pays à haut risque. Il ne fait aucun doute que ce système permettra d'améliorer considérablement nos procédures de filtrage. Les Américains disposent d'un système semblable depuis un certain temps, et les Australiens ont eux aussi adopté un tel système. Il s'agit d'un grand pas en avant, tout comme l'entrée en vigueur de l'autorisation de voyage électronique, l'AVE. Cela signifie que des voyageurs en provenance de certains pays devront se soumettre à une vérification préliminaire avant d'être autorisé à entrer au Canada. Il s'agit, là aussi, d'un grand pas en avant.

J'aimerais mentionner également que notre système d'octroi de l'asile très ouvert constituait un des principaux problèmes en matière de contrôle et de sécurité. Nous permettions à quiconque provenant de n'importe quel pays de venir au Canada et de présenter une demande de statut de réfugié. En vertu de la Charte, ces demandes devaient être traitées dans les règles. Chaque année, quelque 40 000 demandes de statut de réfugié étaient présentées. L'arriéré était tel qu'il y a trois ou quatre ans, quiconque présentait une demande devait attendre trois ans avant d'avoir une audience. Bien entendu, pendant ce temps, les demandeurs étaient logés gratuitement, touchaient des prestations d'aide sociale et recevaient des soins médicaux gratuits. Tout cela était extrêmement coûteux pour l'État, notamment si l'on considère qu'environ 70 p. 100 des demandeurs de statut de réfugié n'étaient pas admissibles.

En 2008, les demandeurs du statut de réfugié provenaient de quelque 188 pays différents. Il y avait des Suédois, des Suisses, des Français et au moins 2 000 Américains, dont de nombreux Californiens qui prétendaient être des réfugiés, car il leur était interdit de fumer de la marijuana en Californie. Cette situation très difficile s'est prolongée pendant de nombreuses années. D'ailleurs, entre 1985, année où les premiers demandeurs d'asile sont arrivés au pays, et 2012, le Canada a reçu probablement environ 1 million de demandes d'asile. La plupart des demandeurs sont encore ici. Bon nombre étaient des terroristes notoires, comme Mohamed Mohamud et Ressam, le poseur de bombe de Los Angeles. Selon un rapport publié en 2006, 16 des 25 terroristes dangereux identifiés au Canada étaient entrés au pays à titre de demandeurs d'asile.

Ce problème a pratiquement disparu à l'été 2012 avec l'adoption d'un projet de loi. En vertu de cette mesure législative, quiconque vient d'un pays désigné — c'est-à-dire, un pays signataire de la Convention des Nations Unies, démocratique, respectueux de la loi et tenu de traiter les réfugiés de la même façon que nous — peut rapidement obtenir une audience et être renvoyé chez lui s'il n'est pas admissible au statut de réfugié. À mon avis, cela a permis de régler le problème du système d'octroi de l'asile, à tout le moins temporairement.

Soit dit en passant, le Canada n'est pas le seul à avoir lutté contre le phénomène des demandeurs d'asile. Ce phénomène est apparu au début des années 1980 et a balayé l'Europe de l'Ouest. En 1983, l'Allemagne a reçu 430 000 demandes d'asile. L'année suivante, 380 000. C'est cette année qu'elle a modifié sa constitution et adopté une loi très rigoureuse. Nous avons essentiellement la même loi. Donc, si un demandeur de statut de réfugié provient d'un pays sécuritaire, il obtiendra rapidement une audience et sera rapidement renvoyé dans son pays s'il n'est pas admissible.

La plupart des pays européens ont adopté une mesure semblable. Ils ne permettent même pas à quelqu'un provenant d'un pays sécuritaire de présenter une demande de statut de réfugié. En vertu de nos lois, quiconque peut présenter une demande de statut de réfugié et obtenir une audience, mais dans la plupart des pays européens, le tout est réglé en 24 heures. Un Canadien ou un Américain ne peut pas présenter une demande de statut de réfugié; il est renvoyé chez lui. Ces mesures ont certainement aidé.

Mais, en raison du nombre élevé de demandes que nous recevons, nous n'interrogeons pas les demandeurs et ne nous fions pas à l'intelligence humaine dans le cadre du filtrage. De plus, notre enquête de sécurité se limite à peu de choses.

J'ignore la date exacte, mais autour de 2005, dans le cadre de son témoignage devant un comité de la Chambre des communes, le directeur adjoint du SCRS à l'époque, M. Hooper, a souligné que dans les pays musulmans, un demandeur sur 10 faisait l'objet d'une enquête de sécurité. J'ignore si c'est encore le cas. Mais, selon les conversations que j'ai eues avec des agents d'immigration avec lesquels j'ai travaillé et qui travaillent encore — je ne nommerai personne —, très peu de gens font l'objet d'une enquête de sécurité de la part du SCRS. On court un grand risque en n'interrogeant pas les demandeurs. D'ailleurs, je crois que c'est le plus grand risque que nous courons.

J'ai parlé principalement aujourd'hui du problème de l'immigration musulmane, car je n'accepte pas l'idée selon laquelle nous menons une guerre contre le terrorisme. Nous menons une guerre contre les extrémistes musulmans. En n'interrogeant pas les demandeurs, nous acceptons un très grand nombre de musulmans provenant de pays connus pour former des terroristes. Permettez-moi de vous fournir quelques chiffres. Entre 2000 et 2009, nous avons accueilli plus de 536 000 immigrants musulmans venant de pays musulmans; cela ne tient pas compte des milliers de musulmans que nous accueillons chaque année de France, d'Angleterre ou des États-Unis. C'est donc peu. Mais un fait demeure : au cours de cette période de 10 ans, la population musulmane au Canada a doublé. Au cours des deux dernières années, nous avons accueilli 109 000 musulmans provenant, encore une fois, de pays musulmans, comme le Pakistan, l'Algérie, le Yémen, l'Arabie Saoudite — tous des pays connus pour former des terroristes.

Il est très risqué de ne pas interroger les demandeurs ou de ne pas les soumettre à une enquête de sécurité. Cela fait partie de notre système. Les gens n'aiment pas en parler par crainte de ne pas être politiquement corrects, mais c'est un problème sur lequel on doit sérieusement se pencher et dont il faut discuter. Peut-être existe-t-il des moyens pratiques et justes d'identifier les gens avant qu'ils n'entrent au pays, et non après qu'ils aient été ici pendant trois ans, qu'ils aient présenté une demande de citoyenneté et qu'on se rende compte qu'ils n'acceptent pas les valeurs canadiennes. C'est possible, mais seulement si nous permettons à des agents très expérimentés d'interroger les demandeurs, des agents qui, en 10 ou 15 secondes, peuvent déterminer si un demandeur pourra s'intégrer au Canada et accepté l'égalité entre les sexes, le mariage entre homosexuels, la tolérance religieuse et les autres valeurs qui nous sont chères.

Les conséquences de l'immigration musulmane en Europe ne sont guère encourageantes. La plupart des pays ayant une grande population musulmane tentent désespérément d'intégrer cette population qui ne semble pas vouloir s'intégrer. À Bruxelles, 29 p. 100 de la population est musulmane et à Amsterdam, c'est 26 p. 100. Ils sont tous aux prises avec ce problème.

La chancelière Merkel a admis publiquement que le multiculturalisme ne fonctionne pas en Allemagne. Pourquoi? En raison de l'immigration musulmane. Les Pays-Bas ont mis fin au multiculturalisme et insistent pour que les lois qu'ils adoptent obligent les musulmans à s'intégrer, sinon, ils sont renvoyés dans leur pays.

Je ne dis pas qu'il faut aller aussi loin ou que nous avons atteint le seuil critique, mais je crois qu'il faut réfléchir à la situation et l'examiner attentivement. On pourrait accueillir des milliers, voire des millions de musulmans très qualifiés au pays, mais comment pouvons-nous les identifier si nous ne les interrogeons pas? Comment savoir lesquels réussiront à s'intégrer et à contribuer au Canada?

Ma recommandation serait de commencer à interroger les demandeurs provenant de pays musulmans afin de déterminer s'ils pourront vivre ici, s'intégrer à notre culture et accepter nos valeurs.

Ce n'est peut-être pas chose facile, mais pour y arriver, il faut des agents hautement qualifiés capables de déterminer si un immigrant provenant, disons, d'Islamabad pourra s'ajuster et s'intégrer au Canada. Nous avons déjà eu des agents ayant ces compétences. J'ai été à Islamabad et dans de nombreux pays musulmans dans les années 1980. À l'époque, nous portions une attention particulière à la sélection des demandeurs d'asile, car nous avions vu ce qui s'était produit ailleurs.

En terminant, la plupart des problèmes qu'aborde le comité font partie d'un problème plus important, soit la politique canadienne en matière d'immigration, laquelle n'a pas été revue depuis son dernier examen en 1976. À l'époque, le comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat a tenu des audiences partout au pays afin d'obtenir le point de vue des Canadiens sur la politique en matière d'immigration.

Au cours des deux dernières décennies, nous avons transformé fondamentalement le Canada par l'entremise de l'immigration et les Canadiens n'ont pas eu l'occasion de se prononcer sur la question. Ils n'ont même pas été consultés. L'immigration a augmenté, tout simplement. Peut-être est-ce une bonne chose. Mais, au moins, il faudrait réfléchir à la question et en discuter ouvertement en faisant preuve de bon sens.

Je suis très heureux d'avoir eu l'occasion de venir m'exprimer sur le sujet aujourd'hui, car je crois que le Sénat a un rôle à jouer dans ce dossier. C'est la Chambre des lords britannique qui, il y a trois ans, si je ne m'abuse, a dit à la Chambre des communes britannique : « Vous avez forcé l'utilisation d'une politique insensée en matière d'immigration. Vous avez accueilli 190 000 immigrants et transformé le pays sans sonder la population. » La Chambre des lords à réprimander Tony Blair et le gouvernement pour ne pas avoir fait preuve d'ouverture et d'honnêteté.

C'est la Chambre des lords qui a dit cela, et non la Chambre des communes. Il s'agit d'un bon exemple à suivre pour le Sénat.

Le président : Merci pour cet exposé, monsieur Bissett.

Les audiences du Sénat ont pour but de discuter de l'admissibilité de certains individus et, aussi, une fois qu'ils sont au pays, de la façon de les retourner chez eux suivant certaines règles. Nous cherchons à obtenir des recommandations bien précises. La question plus large de l'immigration que vous soulevez est un problème en soi, mais elle concerne également l'étude actuelle. Peut-être sera-t-elle abordée dans le rapport que nous produirons plus tard cette année.

Si vous me le permettez, chers collègues, j'aimerais poser la première question. Il y a 100 millions de non-Canadiens qui traversent la frontière, soit 90 000 par jour. C'est beaucoup. En matière d'immigration, on se rapproche davantage de 500 000 que de 300 000 demandeurs si l'on tient compte des travailleurs temporaires, des réfugiés et des immigrants. Encore une fois, c'est beaucoup. Bien entendu, on espère qu'ils contribuent au Canada et que ceux qui présentent une demande de citoyenneté deviendront de bons citoyens.

J'aimerais revenir au filtrage. C'est un sujet qui a retenu mon attention au cours des quelques témoignages que nous avons recueillis. Il semble y avoir peu de filtrage, que ce soit en Suède ou dans des pays arabes. Si l'on désire poursuivre l'immigration au pays, quels systèmes devrons-nous adopter pour effectuer ce filtrage qui, selon moi, doit être fait du point de vue de la sécurité? Quelle serait votre recommandation pour effectuer un filtrage rapide et plutôt rentable, car il ne faut pas oublier qu'il y a un prix à tout cela?

M. Bissett : On effectue un filtrage grâce à un système de profilage ciblé. Il faudrait obtenir l'opinion d'un agent du SCRS sur la question, mais étant donné le nombre limité de personnel disponible, on ne peut pas en faire beaucoup plus, si l'on tient compte du nombre élevé de non-Canadiens qui traversent notre frontière, comme vous l'avez souligné. On parle de 257 000 immigrants et presque autant de travailleurs étrangers temporaires et d'étudiants. Nous n'avons tout simplement pas le personnel nécessaire pour enquêter sur tous ces gens. C'est la raison pour laquelle on procède de cette façon, mais cela pose un sérieux risque à la sécurité et la sûreté des Canadiens. Bien entendu, la solution consiste à réduire le volume.

À mon avis, le phénomène des travailleurs étrangers temporaires est passager. Le gouvernement a déjà pris des mesures pour contrôler la situation. Elles ont été prises en raison du nombre d'immigrants qui devaient attendre trois ou quatre ans avant d'entrer au pays. Il ne fait aucun doute qu'il y avait de l'abus. Pourquoi ne pas se tourner vers les travailleurs étrangers temporaires si on peut les payer moins cher et les obtenir rapidement? Il y a une autre façon de procéder : le programme de travailleurs agricoles saisonniers. Celui-ci est en vigueur depuis le milieu des années 1960 et fonctionne très bien. On accueille des travailleurs agricoles saisonniers provenant du Mexique et des Caraïbes. Ils travaillent fort pour des agriculteurs, puis retournent chez eux. Pourquoi? Parce qu'ils ne touchent pas leur plein salaire tant qu'ils ne retournent pas chez eux, que ce soit à Kingston, à Port-au-Spain ou à Mexico. Il y a aussi d'autres façons de contrôler le nombre de travailleurs étrangers temporaires, mais notre système ne permettait pas et ne permet toujours pas un tel contrôle. C'est un sérieux problème.

Le nombre de travailleurs temporaires diminuera. Si c'est le cas, et qu'il ne reste plus que les immigrants et les diffuseurs étrangers à contrôler, je crois qu'il sera possible d'accroître le filtrage.

Il y a longtemps, en 1972, j'étais à Londres. À l'époque, on recevait annuellement 257 000 demandes d'immigration. Toutefois, je disposais d'une grosse équipe et nous avions des agents bien équipés un peu partout dans le monde. Ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, le personnel est beaucoup moins nombreux et n'a ni le temps, ni les moyens d'enquêter comme il le devrait.

On pourrait réduire le volume. Voyez-vous, le problème vient aussi du fait qu'environ 15 p. 100 des 257 000 immigrants qui sont entrés au pays l'an dernier ont été choisis en raison de leurs compétences, de leur formation et de leur instruction. Les autres viennent au pays parce qu'ils y ont de la famille qui les parraine, parce qu'ils ont des raisons humanitaires ou sont des réfugiés, ou en raison des gouvernements provinciaux, qui jouent maintenant un rôle bien plus actif sur le plan de l'immigration. Ces dernières n'appliquent pas les mêmes critères de sélection que le gouvernement fédéral, à l'exception du Québec. Ce dernier applique ses propres critères et normes de sélection et, à ce que je sache, soumet tous les immigrants à une entrevue. Il ne les sélectionne pas que sur papier.

Le danger avec les transactions papier, c'est que dans bien des pays, particulièrement en Asie et en Afrique, il est possible d'obtenir tous les diplômes universitaires qu'on désire dans n'importe quel marché, et même un professionnel n'y verra que du feu. On peut obtenir des certificats d'école de métiers et acheter des certificats de bonne conduite auprès du chef de police locale pour une poignée de roupies. Les documents que nous examinons ne valent rien, alors que c'est sur eux que nous nous appuyons pour sélectionner les gens présentement.

Je ne pense pas avoir vraiment répondu à votre question.

Le président : Mais c'était certainement instructif.

Le sénateur Dallaire : Votre témoignage me laisse ambivalent. D'un côté, je suis très intéressé par certaines de vos observations; par contre, je suis très mal à l'aise en ce qui concerne les droits de la personne, puisque notre pays est davantage un pays d'immigration que d'émigration, comme nous l'avons vu.

Il serait intéressant de voir comment nous pourrions expulser tous les Canadiens qui ne croient pas au mariage gai ou à l'égalité des droits des femmes, tout en empêchant ceux qui n'y croient pas d'immigrer au pays. Il y a au Canada bien des gens qui ont de telles convictions sans que cela ait un lien avec l'ethnicité. Je ne vois donc pas comment cela pourrait constituer un critère de sélection des immigrants.

Tous ces chiffres que vous nous avez présentés me préoccupent. Pourriez-vous nous fournir les références que vous utilisez pour en arriver à ces chiffres? Ceux que j'ai sur le nombre de demandeurs d'asile jugés admissibles ou inadmissibles sont très inférieurs aux vôtres. Je vous demanderais donc en premier de nous fournir les données, rigoureuses et examinées par des pairs, si vous le voulez bien, parce que ceux que vous avez énoncés sont très élevés.

Deuxièmement, j'ai vu ce qui est arrivé aux gastarbeiter quand j'étais en poste en Allemagne. Ils faisaient l'affaire des Allemands tant qu'ils étaient utiles, mais par la suite, ils sont devenus embêtants. L'industrie s'adonne au même jeu ici, et il incombe au gouvernement, qui ne veut pas se mêler des affaires de l'industrie, d'intervenir à cet égard, comme il commence à le faire, je crois. C'est bien beau de trouver de la main-d'œuvre à bon marché, mais on a une responsabilité envers les travailleurs si on les fait entrer au pays. Or, l'industrie s'en est lavé les mains. Chaque université réclame à grands cris des étudiants étrangers, parce qu'ils viennent avec beaucoup d'argent et leur permettent de poursuivre leurs activités. Comme nous les sous-finançons, elles accueillent les étudiants étrangers à bras ouverts. Nous espérons que certains restent et s'instruisent.

D'après les résultats de vos calculs, je conclus que le problème ne vient pas nécessairement du fait que nous ayons tant besoin d'immigrants, parce que nous savons que la croissance de la population est très lente au Canada et qu'une foule de gens veulent des emplois, mais du fait que nous n'investissons pas pour faire le travail correctement. Pourquoi pensez-vous que nous avons considérablement réduit la capacité d'effectuer les analyses que nous effectuions auparavant, analyses qui nous donnaient un sentiment de sécurité pendant la guerre froide, alors que ce problème ne nous hantait pas? Pourquoi renverser la vapeur et réduire la capacité alors que le risque est plus élevé? Considérez-vous qu'il soit logique pour un gouvernement d'agir de la sorte?

M. Bissett : On peut facilement retrouver mes chiffres et mes statistiques dans une publication intitulée Faits et chiffres, publiée par Citoyenneté et Immigration pour 2010, 2011, et 2012, dans laquelle on peut trouver de tout, comme le nombre de femmes et de maris qui ont immigré en 2012. Les chiffres sont ventilés, et une des sections donne le nombre d'immigrants par pays. Cela prend un certain temps, mais si vous disposez d'un ordinateur, vous pouvez rapidement confirmer mes chiffres. Le document est facilement accessible, et Citoyenneté et Immigration publie probablement davantage de statistiques que d'autres ministères.

Il en va de même pour les réfugiés. La Commission du statut de réfugié collige maintenant des statistiques justes sur le nombre de gens qui viennent au pays et revendiquent le statut de réfugié, et sur le nombre de demandes acceptées ou rejetées. Il y a les chiffres de 37 000 et de 40 000, le premier étant pour 2008. La nouvelle commission a des chiffres, et il est possible de retourner en arrière et trouver le nombre de demandes des années antérieures.

La question plus large est plus difficile. Je considère, bien entendu, que je défends une politique d'immigration rétrospective afin de déterminer ce que nous faisions de si bien avec les immigrants au Canada jusque dans les années 1990? Ceux qui ont immigré au Canada depuis ne s'en sortent pas aussi bien. Bon nombre d'entre eux vivent sous le seuil de la pauvreté et ne trouvent pas d'emploi.

Il y a des raisons pour cela. Il se peut qu'ils soient trop nombreux pour obtenir les conseils et l'aide dont ils ont besoin à leur arrivée, mais le problème vient en partie du fait que nous avons cessé de faire le lien entre l'immigration et la main-d'œuvre. Nous sélectionnions les immigrants en fonction de neuf grands critères, selon le célèbre, ou tristement célèbre, système de points instauré en 1967 pour remplacer notre politique d'immigration exclusivement blanche par un système universel d'immigration internationale permettant à n'importe qui dans le monde de présenter une demande. Mais pour que le système fonctionne, il fallait imposer des critères de sélection, sinon Hong Kong et la Jamaïque se seraient vidés en 48 heures. Nous avons donc établi neuf facteurs de sélection. Le principal facteur concernait la demande relative à la profession de l'immigrant au Canada. Ce critère valait 15 points sur 100, mais ceux qui obtenaient une note de zéro à cet égard étaient refusés, peu importe la note obtenue pour d'autres facteurs.

Au début des années 1990, ce système a été éliminé et nous avons cessé de sélectionner les immigrants en fonction des besoins en main-d'œuvre. Vous avez entendu l'expression « ouvrir et fermer le robinet ». C'est ce que nous faisions. Si nous entrions en récession, nous refusions les gens dans les professions pour lesquelles il n'y avait pas de demande afin de ralentir le mouvement et de réduire l'afflux d'immigrants, puisqu'il est inutile de permettre à des gens de venir au pays s'ils ne peuvent travailler. En période de vaches grasses, quand nous avions besoin de travailleurs, nous ouvrions le robinet et envoyions une longue liste d'emplois en demande; nous pouvions ainsi contrôler l'afflux d'immigrants en fonction de la demande de main-d'œuvre.

Quand nous avons aboli le critère relatif aux professions en demande, nous avons perdu le thermostat du système. Nous ne pouvions plus ouvrir ou fermer le robinet. Nous avons mis davantage l'accent sur l'éducation. Nous avons commencé à accorder énormément de points aux gens instruits, sans nous rendre compte que des milliers de jeunes Asiatiques en Inde, au Pakistan et en Chine pouvaient sans difficulté satisfaire au critère de sélection, avantage dont ils se sont d'ailleurs prévalus. En l'espace de six mois, il s'est accumulé 600 000 dossiers de jeunes hommes et de jeunes femmes, qui satisfaisaient déjà aux exigences. La loi avait été modifiée pour indiquer que leur demande serait acceptée s'ils satisfaisaient aux exigences. C'était carrément indiqué dans la loi. On ne pouvait donc pas les refuser, et jusqu'à un million de dossiers en retard se sont accumulés. Les gouvernements libéral et conservateur se sont efforcés de contrôler la situation.

Denis Coderre a tenté de le faire en augmentant la note de passage, mais comme cette mesure était rétroactive, elle a été jugée ex post facto par la Cour suprême et rejetée. M. Kenney, le ministre précédant, a été capable de résoudre la question en remboursant les gens qui avaient présenté une demande et en les retirant de la liste. Il n'y a pas beaucoup de retard actuellement. Dans une certaine mesure, nous revenons au système de contrôle reposant sur la main-d'œuvre; il y a maintenant une liste de 30 professions qui sont en grande demande, pour lesquelles des gens seront choisis et autorisés à venir au Canada.

Certaines améliorations ont donc été apportées au système, mais les chiffres restent encore très élevés. Même si le mode de sélection a changé, le volume est élevé parce que ceux qui entrent maintenant au pays peuvent emmener leur famille avec eux. La vaste majorité des immigrants qui arrivent au pays ne sont pas choisis parce qu'ils contribuent à la main-d'œuvre ou à l'économie. Un très grand nombre de grands-parents et de parents immigrent au Canada.

Toutes ces questions doivent selon moi être examinées et résolues de manière sensée dans l'intérêt du Canada. C'est faisable. Notre politique en matière d'immigration était la meilleure du monde et fait figure de modèle pour la plupart des pays, mais je crains qu'elle ne déraille et qu'il faille la remettre sur les rails.

Le sénateur Dallaire : Le fait qu'on cible les musulmans plutôt que d'autres gens qui ne s'adaptent pas, peut-être les Hindous ou Dieu sait qui, m'irrite énormément. Cette mesure me hérisse, mais je ne m'attarderai pas là-dessus.

Le sénateur Wells : Sénateur Dallaire, je partage l'inquiétude que vous exprimez au sujet de la question relative aux musulmans dont le témoin a parlé, mais même si ce n'est pas politiquement correct, il faudrait tenir une rencontre pour discuter ouvertement de la question, peu importe le malaise que nous éprouvons. Je partage vos sentiments à cet égard.

Monsieur Bissett, je vous remercie du travail que vous avez accompli dans ce secteur au cours de votre carrière, depuis l'époque où vous étiez agent de dotation.

M. Bissett : Il y a bien longtemps.

Le sénateur Wells : Peut-être plus longtemps que n'a duré ma vie.

Il a dit que cela faisait 50 ans. Je suis à la fin de la cinquantaine, mais quand même.

Comme vous le savez peut-être, le gouvernement du Canada a annoncé récemment, à la fin de la semaine dernière en fait, le Programme canadien d'intégration des immigrants. Vous est-il familier?

M. Bissett : Je dois admettre que je ne le connais pas tellement bien.

Le sénateur Wells : Le gouvernement l'a annoncé le 21 mars. J'y ai jeté un coup d'œil plus tôt aujourd'hui. Il reconnaît les titres de compétence étrangers, dont vous avez parlé, et utilise des informations clés sur le marché du travail canadien et les problèmes relatifs à l'établissement. Plus tôt, vous avez parlé de la question des entrevues et du visionnement des vidéos, que j'aimerais beaucoup approfondir si le temps nous le permettait. Si je prends une semaine de vacances, je passerai autant de temps sur Internet à effectuer mes recherches que je le fais pendant les vacances. Considérez-vous que les temps ont changé en ce qui concerne l'accès dont bénéficient les immigrants potentiels quand ils choisissent le Canada ou une région du pays où ils voudraient émigrer?

M. Bissett : Je crois que oui. Il ne fait aucun doute que les communications modernes ont considérablement changé les choses. Si les gens ont accès à un ordinateur et ont une télévision, comme c'est le cas pour la plupart des gens, mais pas de tous ceux qui immigrent au Canada, ils peuvent certainement effectuer les recherches eux-mêmes. Mais je pense que c'était une bonne idée de rencontrer une famille pendant une demi-heure pour lui parler de la vie à Toronto si c'est là qu'elle compte s'installer et de lui conseiller d'éviter les membres de son ethnie d'origine qui tentent de lui vendre 10 000 $ de meubles le jour de son arrivée. C'étaient des conseils pratiques sur ce qui peut attendre les gens pendant les jours suivant leur arrivée afin de leur faciliter les choses.

Je comprends votre point de vue. La situation a certainement évolué, et les gens ont une foule d'informations au bout des doigts.

Le sénateur Wells : J'ai sous les yeux le nombre de demandes de citoyenneté des dernières années : il y en a eu 270 000, 324 000, puis 387 000 cette année. Savez-vous quel pourcentage de demandeurs passent une entrevue ou quel pourcentage de dossiers ne se règlent que sur papier?

M. Bissett : Je n'ai pas de pourcentage à ce sujet.

Le sénateur Wells : Est-ce 50 p. 100? Est-ce davantage?

M. Bissett : Non, loin de là. Selon moi, ce serait plutôt un sur dix ou un sur cinq.

Le sénateur Mitchell : Je suis très troublé par ce que vous avez dit sur les origines musulmanes, et je tiens à ce que vous le sachiez. Jamais je ne voudrais de système d'immigration ciblant des groupes de manière prédéterminée, préconçue et préstéréotypée. Cela me dérange beaucoup.

Je conviens qu'il faut examiner soigneusement les gens, et c'est ce que je voudrais examiner. Comment savez-vous qu'il n'y a pas d'entrevue? Le gouvernement affirme qu'il y en a. Je suis souvent en désaccord avec cette façon de faire, mais force m'est d'admettre qu'elle porte un coup dur à l'immigration. D'après ce que j'ai pu voir, certains sont incapables de faire venir leur mère pour voir leur nouveau-né ou de faire venir leur frère pour leur mariage. J'envisage l'accès au pays d'une manière totalement différente de la vôtre.

Ce que je veux savoir, c'est comment vous savez que les gens ne sont pas soumis à une entrevue? Sur quelles données et quelles sources vous appuyez-vous?

M Bissett : Eh bien, il existe des sources. Je me réfère principalement aux agents d'immigration temporairement affectés à l'étranger qui, une fois de retour au pays, me racontent ce qu'ils ont vu. En outre, le gouvernement lui-même a annoncé un nouveau système d'immigration où il est très clair que le traitement s'effectuera surtout de manière automatisée.

J'avais de l'information à ce sujet dans mes notes à la maison l'autre jour, et je les ai relues. C'est un nouveau système de traitement des demandes d'immigration annoncé par le gouvernement. Vous pouvez vous informer à ce sujet. Si vous convoquez des agents d'immigration, ils pourront vous en parler.

Le sénateur Mitchell : Oui, c'est ce que nous devons faire.

L'autre aspect qui me choque profondément, sans peut-être me surprendre, c'est le fait que vous dites que personne ne vérifie si les travailleurs étrangers temporaires quittent le pays à la fin de leur contrat de deux ans. Sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer cela?

M. Bissett : Eh bien, pour autant que je sache, personne n'effectue de vérification et personne n'est obligé de le faire. Le travailleur étranger n'a de comptes à rendre à qui que ce soit; à qui en rendrait-il?

Le sénateur Mitchell : Merci.

M. Bissett : En ce qui concerne les musulmans, je suis choqué que vous soyez choqué.

Le sénateur Mitchell : Eh bien, je le suis. Je suis passablement offusqué, en fait, alors je vous prie de faire attention.

M. Bissett : Si on observe ce qui se passe dans le monde et qu'on porte attention aux incidents qui se sont produits au Canada seulement, il y a de graves problèmes. Selon un sondage effectué par Environics en 2006 auprès d'environ 700 000 musulmans au Canada, 80 p. 100 d'entre eux s'estiment parfaitement satisfaits des conditions et de leur vie au Canada, mais 12 p. 100, où près de 70 000 d'entre eux approuvent l'objectif que visait le groupe des 18 de Toronto en faisant exploser...

Le sénateur Mitchell : Sur quoi vous appuyez-vous pour dire cela?

M. Bissett : Un sondage d'Environics, de 2006.

Le sénateur Mitchell : Je ne crois pas que ce soit vrai.

M. Bissett : Il s'agit seulement d'une indication. Pardon.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Étant donné qu'il reste peu de temps, j'écourterai mon préambule.

[Traduction]

J'aimerais poser deux petites questions. Premièrement, sur quoi vous fondez-vous pour dire que le SCRS ne fait aucun filtrage de sécurité à l'endroit des étudiants étrangers et des travailleurs étrangers temporaires?

Deuxièmement, étant donné qu'il y a de fortes chances que les étudiants étrangers de 17 et 18 ans ne figurent ni dans les dossiers du SCRS ni dans ceux des services analogues de leur pays d'origine, à votre avis, que pourrait faire le Canada pour trouver un juste équilibre entre les questions de sécurité et la demande concurrentielle sur le plan des travailleurs?

M. Bissett : Eh bien, à ce que je sache, le SCRS ne fait aucune forme de filtrage de sécurité à l'endroit des travailleurs étrangers temporaires. Peut-être qu'il le fait dans le cas d'un étudiant étranger s'il y a lieu de croire que celui-ci a suivi un programme d'études qui est de nature délicate du point de vue de la sécurité ou qu'il projette de faire de telles études. À ce moment-là, le SCRS pourrait effectuer une vérification de l'étudiant, mais en général, il ne le fait pas.

Je ne suis pas tout à fait certain de bien comprendre la dernière partie de votre question au sujet des étudiants de 17 et 18 ans. C'est vrai; leurs noms ne figurent pas dans les dossiers de ces organismes.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Évidemment, les étudiants qui viennent étudier ici proviennent de différents pays. Comment fait-on pour établir une certaine sécurité par rapport à eux? Viennent-ils au Canada essentiellement pour étudier ou viennent-ils au Canada pour y rester? Selon vous, comment devrait-on contrôler tout cela?

[Traduction]

M. Bissett : Vous avez raison. Beaucoup d'étudiants viennent ici avec l'intention de rester, mais pour beaucoup, ce n'est pas le cas. À l'heure actuelle, une disposition autorise ceux qui viennent étudier ici pendant un certain temps — j'ignore combien de temps au juste — à présenter une demande de citoyenneté à partir du Canada au lieu d'être obligés de rentrer chez eux pour le faire. Une disposition prévoit donc cela.

Toutefois, je suis d'accord avec vous : beaucoup des étudiants de 17 et 18 ans qui viennent au Canada — selon l'établissement où ils sont inscrits — n'arrivent pas au pays avec l'intention de rester. Cependant, après deux ou trois ans, ils peuvent se sentir bien ici et décider de présenter une demande pour rester. À mon avis, il est bien qu'une telle disposition leur permette de le faire.

Le sénateur Day : En regardant autour de la table, j'ai songé au fait que nous sommes tous des immigrants ou des descendants de familles d'immigrants. Nous avons toujours tiré une grande fierté d'avoir saisi les occasions qui se sont présentées à nous au fil des ans. Vous n'êtes pas en train de nous dire d'abandonner la fierté, la tolérance et la liberté religieuse qui font du Canada un grand pays, dont la renommée est sans égale dans le monde.

Je crois que vous avez dit que, depuis les années 1990, il existe des problèmes qui doivent être corrigés. Compte tenu de l'expérience que, de toute évidence, vous avez dans le domaine, nous saurons tirer parti de ce que vous avez dit; j'ai pris note de beaucoup de vos recommandations, et elles nous seront bien utiles.

Si vous souhaitez faire d'autres recommandations, il s'agit du bon moment d'en ajouter à la liste : plus de ressources, plus d'enquêtes de sécurité sur les gens, des modifications à la loi — et vous admettez que la plupart des modifications relatives aux demandeurs du statut de réfugié ont déjà été effectuées. En ce qui concerne les immigrants, vous recommandez de donner la priorité, ou plutôt de redonner la priorité, aux besoins du marché du travail. Vous n'êtes pas très en faveur de la réunification des familles; pour ma part, j'ai toujours trouvé qu'il s'agissait d'un programme très tolérant et très louable.

M. Bissett : Je dirai ceci : j'ai travaillé au sein des Services d'immigration pendant bien longtemps et je suis convaincu du bien-fondé de l'immigration; je ne suis donc pas contre l'immigration. Selon moi, nous avions les meilleures politiques au monde en matière d'immigration, et je pense que nous en sommes tous conscients. Toutefois, depuis les années 1990, nous avons déraillé un peu et, à mon avis, il est temps de procéder à un examen approfondi et continu.

Le Canada est l'un des seuls pays au monde à compter sur la main-d'œuvre étrangère pour répondre à ses besoins en matière de travailleurs. La plupart des économistes diront que cela montre qu'il existe des lacunes structurelles. Nous ne devrions pas être obligés de faire cela. Or, nous ne voyons pas que c'est un problème. Nous n'avons pas de politique nationale sur la main-d'œuvre. Nous sommes probablement le seul pays industrialisé de l'Occident dont le système d'enseignement secondaire ne comprend pas de système d'apprentissage intégré.

Le sénateur Dallaire : Vous soulevez un très bon point.

M. Bissett : Nous avons des problèmes. À mon avis, une des raisons pour lesquelles nous comptons sur la main-d'œuvre étrangère, c'est pour éviter de construire des établissements d'enseignement visant à préparer les jeunes du secondaire non destinés aux études universitaires à exercer les métiers et les professions où il existe une pénurie de travailleurs qualifiés. Pourquoi dépenser des millions de dollars à mettre sur pied un établissement pour former des élèves canadiens quand on peut avoir accès à toute la main-d'œuvre nécessaire à bien meilleur coût?

J'ai vu cela de mes propres yeux à Londres, dans les années 1970. Des représentants de Westinghouse venaient littéralement acheter 20 ou 30 outilleurs britanniques pour les faire venir au Canada en leur offrant 2 $ l'heure de plus qu'ils ne touchaient à Manchester ou à Birmingham.

Il faut sept ans et beaucoup d'argent pour produire un bon outilleur. Nous n'avons rien investi; Westinghouse n'a pas eu à payer un seul sou.

Nous pourrions faire beaucoup de choses, mais nous comptons trop sur la main-d'œuvre étrangère et nous ne donnons pas assez d'occasions à nos jeunes d'acquérir les habiletés dont ils ont besoin pour trouver un emploi sur le marché du travail d'aujourd'hui.

Le sénateur White : J'aimerais répéter ce qui a été dit tout à l'heure. À mon avis, toutes les personnes autour de cette table ont des ancêtres — ou du moins des membres de leur famille élargie — qui ont été, à un certain moment donné, des immigrants. Voilà ce qui permet de bâtir notre pays. Je pense qu'il s'agit d'un des seuls pays au monde où il est possible de devenir Canadien en quelques années seulement. Il est possible de devenir citoyen de certains autres pays, notamment la Suède et la Suisse, mais on ne peut devenir un Suédois ou un Suisse. Voilà ce qui fait du Canada un grand pays. Je n'en dirai pas plus sur le sujet.

Je tiens à faire remarquer que, à l'heure actuelle, nous recueillons les empreintes digitales des demandeurs d'asile qui arrivent au pays. Nous le faisons pour connaître leur identité. Par contre, nous ne comparons pas celles-ci aux 800 000 séries d'empreintes recueillies jusqu'en 2010 par l'armée américaine en Afghanistan seulement, pour nous assurer qu'il ne s'agit pas en fait d'autres personnes dont nous devrions nous inquiéter. Quand nous recueillons des données biométriques, devrions-nous profiter de l'occasion pour pousser nos recherches plus loin et les comparer avec les données ayant déjà été recueillies dans une multitude de pays. Par exemple, au lieu de nous limiter à dire qu'il s'agit bien de Joe Bissett, devrions-nous essayer de voir si Joe Bissett a fait quelque chose à Kaboul en 2006 qui devrait nous préoccuper? Est-ce que cela nous aiderait?

M. Bissett : Oui, cela nous aiderait.

Le président : Madame la sénatrice Beyak, je vous demanderais de poser votre question assez rapidement. Ce sera la dernière question.

La sénatrice Beyak : J'ai trouvé vos commentaires francs et rafraîchissants. Vous avez pris soin de souligner que le problème venait des extrémistes musulmans, et pas des musulmans en général, et je vous en remercie. Je suis d'accord pour dire que nous avons besoin d'un débat ouvert et honnête sur tout enjeu qui a été bien documenté comme un problème dans d'autres pays. Votre grand savoir m'impressionne beaucoup.

Je voulais vous poser une question sur les étudiants. Vous avez dit que c'était normalement un atout d'accueillir des étudiants étrangers. Est-ce que le SCRS craint la possibilité que des chercheurs et des étudiants étrangers viennent voler nos technologies et peut-être faire de l'espionnage? Avez-vous des commentaires au sujet de sa collaboration avec le milieu universitaire à cet égard?

M. Bissett : Je crois que le SCRS est clairement préoccupé par cela. Il n'y a aucun doute. Je pense que le SCRS a des exemples de cas d'espionnage dans lesquels des étudiants étrangers étaient impliqués. C'est un risque que nous allons devoir courir, car il ne faut pas que cette crainte nous arrête d'accueillir des étudiants étrangers.

L'autre chose qui pose problème sur le plan de la sécurité, c'est qu'il faut comprendre que le terroriste moyen n'est pas un criminel. Il n'a pas de casier judiciaire. C'est un jeune homme net qui a été conditionné à croire qu'il peut venir ici et faire exploser une bombe pour tuer des gens. Il est très difficile de repérer ces personnes-là, car elles n'ont pas de casier judiciaire. Les terroristes endurcis ne passeront pas par le système d'immigration. C'est une des très grandes difficultés qui se posent dans la lutte contre le terrorisme. Les services de sécurité sont confrontés à un défi énorme.

Le sénateur Day : Monsieur le président, pourrais-je revenir sur la question posée par ma collègue?

Le président : Très rapidement, je vous prie.

Le sénateur Day : Je crains que certains terroristes aujourd'hui, qui sont ici au Canada, sont des terroristes musulmans de deuxième génération et non pas des immigrants. Ils sont nés ici, au Canada. Je crois qu'il est important de le signaler. Peut-être que M. Bissett aurait un commentaire à formuler à ce sujet?

M. Bissett : Cela ne fait aucun doute. La quasi-totalité des 18 de Toronto étaient nés au Canada. Khawaja, celui qui avait l'instrument pour déclencher la bombe à Londres, est un Canadien de naissance. C'est un phénomène reconnu. Bon nombre de ces jeunes Somaliens qui sont retournés là-bas se battre pour al-Shabaab sont nés au Canada.

Le président : Je tiens à remercier les témoins d'avoir pris le temps de venir répondre à nos questions. Avec votre bagage professionnel, vous avez toute une mine d'information à nous offrir.

Je me permets ce commentaire : c'est une discussion très saine que nous avons ici, et je pense que nous devons être prêts à aborder le sujet. La réalité fait que nous devons tenir ces audiences, car la menace terroriste qui plane sur le monde entier met en évidence le manque de sécurité à nos frontières. Des témoins ont dit au comité qu'environ 130 000 Canadiens étaient à l'étranger pour prendre part à des activités terroristes aux quatre coins du pays, mais un communiqué de presse nous a aussi appris dernièrement que 80 Canadiens qui avaient été impliqués activement dans des activités terroristes à l'extérieur du pays sont de retour au Canada. C'est très sérieux. C'est une des raisons pour lesquelles nous devons revoir nos règles et nos façons de faire aux frontières, et réévaluer nos critères d'admissibilité au pays. Merci de nous l'avoir signalé. Je suis certain que nous aurons un mot à dire là-dessus quand nous aurons les conclusions du rapport.

Merci, monsieur Bissett. Je vous prierais de quitter la salle, et je demanderais à tout le monde de rester encore quelques minutes. Nous allons poursuivre la séance à huis clos afin de discuter de quelques points, puis nous reprendrons la séance en public pour les formalités du comité.

Monsieur Bissett, merci beaucoup d'avoir été des nôtres.

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Sénateur Dallaire, vous avez une proposition à nous faire concernant notre voyage.

Le sénateur Dallaire : Je pense qu'il est essentiel que le Sous-comité des anciens combattants se rende au dernier hôpital qui est encore sous l'égide d'Anciens Combattants Canada. Nous devons voir comment se déroule la transition et comment se fera le transfert de l'hôpital au gouvernement provincial. Les anciens combattants qui y sont traités sont en grande partie des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée. Nous devons également jeter un œil à la clinique pour le traitement du trouble de stress post-traumatique, la seule à offrir des lits, et tenter de comprendre quel sera son rôle dans le cadre de cet hôpital provincial, dont une aile sera réservée aux anciens combattants. Je crois que le moment est bien choisi pour y aller. Il serait également approprié de remercier le personnel. Certains employés sont là depuis plus de 40 ans et ils devront passer à autre chose en raison du transfert.

Le président : D'autres commentaires?

Le sénateur Dallaire : Je propose d'adopter la motion.

Le président : Elle est appuyée par le sénateur White. Sommes-nous d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : La motion est adoptée.

Sénateur White, je crois que vous avez une proposition à faire?

Le sénateur White : Oui. Je propose, comme le sénateur Dallaire, d'aller passer du temps avec la Deuxième Force opérationnelle interarmées, une unité du Commandement — Forces d'opérations spéciales du Canada (COMFOSCAN) qui vient de célébrer son 20e anniversaire. Elle a succédé au Groupe spécial des interventions d'urgence, un contingent de la GRC. Elle a été très active outre-mer, notamment en Afghanistan. Comme il s'agit d'une unité secrète de la défense nationale et que nous devons étudier des questions relatives à la défense nationale, il serait utile pour nous de mieux comprendre le travail qu'elle fait. Elle est certainement prête à recevoir notre visite pour une demi-journée ou une journée complète. C'est à environ 1 h 45 de route, et je pense que d'autres pourraient aussi retirer quelque chose de positif de cette expérience. J'en fais donc la proposition.

Le président : Le sénateur White en fait la proposition. Êtes-vous pour?

Des voix : Oui.

Le président : La motion est adoptée.

(La séance est levée.)


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