Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 10 - Témoignages du 27 octobre 2014
OTTAWA, le lundi 27 octobre 2014
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 12 h 59, pour étudier les menaces à la sécurité auxquelles fait face le Canada, ainsi que les questions de sécurité nationale et de défense dans les relations avec la région Indo-Asie-Pacifique et leurs répercussions sur les politiques, pratiques, situations et capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : J'aimerais tous vous souhaiter la bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense en ce lundi 27 octobre 2014.
Avant de souhaiter la bienvenue à nos témoins, j'aimerais commencer par vous présenter les personnes autour de la table. Je suis Dan Lang, sénateur du Yukon. Immédiatement à ma gauche se trouve la greffière du comité, Josée Thérien. À mon extrême droite, l'analyste de la Bibliothèque du Parlement affectée au comité, Holly Porteous. Nous allons maintenant faire un tour de table et demander aux sénateurs de se présenter en indiquant la région qu'ils représentent.
Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell, vice-président du comité, je suis de l'Alberta.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, sénatrice du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario.
La sénatrice Beyak : Sénatrice Lynn Beyak, Ontario.
Le sénateur Ngo : Sénateur Ngo, de l'Ontario.
Le sénateur Day : Joseph Day, de la division « J ».
Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.
Le président : Chers collègues, le comité se réunit cet après-midi afin de poursuivre les deux études dont ce Comité de la sécurité nationale et de la défense est saisi. Pendant les deux premières heures, nous allons étudier les menaces terroristes au Canada et pendant la troisième heure nous allons nous concentrer sur la région Indo-Asie-Pacifique dans le cadre de notre deuxième étude.
Avant de commencer l'étude, j'aimerais exprimer nos sincères condoléances aux familles de l'adjudant-chef Patrice Vincent et du caporal Nathan Cirillo, les deux membres des Forces armées canadiennes qui ont été assassinés par des terroristes au Canada la semaine dernière lors de deux incidents distincts. Les Canadiens sont fiers de nos femmes et nos hommes en uniforme et nous ne serons pas intimidés. Nous ne céderons pas non plus à ceux qui font la promotion des opinions haineuses religieuses et non religieuses dans le but de faire progresser leurs objectifs politiques. J'aimerais également souligner, comme un grand nombre de Canadiens et au nom des membres de ce comité, que nous aimons voir nos soldats porter fièrement leur uniforme en public. Nous ne devons pas nous laisser intimider.
Le 19 juin 2014, le Sénat a donné son accord pour que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense puisse étudier les menaces en matière de sécurité auxquelles le Canada fait face et d'en faire rapport, y compris, sans toutefois s'y limiter, les thèmes du cyberespionnage, les menaces aux infrastructures critiques, le recrutement et le financement à des fins de terrorisme, les opérations terroristes et les poursuites, et pour que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2015. Le Sénat a commencé cette étude, car, comme tous les Canadiens, il est préoccupé des effets de cette menace sur la sécurité. Nous voulons aller au cœur de la question de façon raisonnée et éclairée.
Commissaire Paulson, nous sommes ravis que vous soyez ici avec nous aujourd'hui de concert avec M. Mike Cabana, sous-commissaire, Police fédérale, et Peter Henschel, sous-commissaire, Service de la police spécialisée. Vous êtes loin d'être des étrangers à ce comité et j'aimerais vous souhaiter la bienvenue à nouveau. Nous espérons que cette séance sera très instructive et que les Canadiens auront une meilleure compréhension de l'ampleur de la menace, de la nature des menaces et une meilleure idée de ce que signifie la radicalisation et des mesures en place pour la contrer.
Monsieur le commissionnaire, je crois savoir que vous avez un discours liminaire.
Bob Paulson, commissaire, Gendarmerie royale du Canada : Merci à vous, monsieur le président et aux membres du comité.
[Français]
Je tiens évidemment à vous assurer que nous présenterons au comité une copie de mes commentaires d'ouverture dès que possible, dans les deux langues officielles. Compte tenu de l'évolution de la situation et de notre compréhension des événements de la semaine dernière, nous avons dû y apporter les dernières mises à jour ce matin. Nous vous remercions de votre compréhension à cet égard.
[Traduction]
Merci de cette invitation à discuter d'une gamme de menaces en matière de sécurité auxquelles fait face le Canada maintenant et dans un avenir prévisible. J'avais l'intention au départ de parler de sujets tels que le cybercrime, le cyberespionnage et les menaces aux infrastructures critiques pour n'en nommer que quelques-uns. Cependant, à la lumière des événements récents au Québec et à Ottawa, je vais me concentrer sur la menace de terrorisme et plus spécifiquement sur ceux qui ont l'intention de commettre des actes de terrorisme au Canada et à l'étranger. Cela dit, mes collègues et moi serons en mesure de répondre à vos questions sur toute une gamme de menaces liées à la sécurité.
D'entrée de jeu, j'aimerais de nouveau, au nom de la GRC, adresser mes plus sincères condoléances aux parents et amis de l'adjudant Patrice Vincent et du caporal Nathan Cirillo, de même qu'à tous les membres des Forces armées canadiennes.
Le terrorisme est une menace contre le Canada et porte atteinte à la sécurité des Canadiens depuis de nombreuses années. Nous ne sommes pas et n'avons jamais été à l'abri d'actes de terrorisme. Toutefois, les événements des sept derniers jours ont donné lieu à un sentiment de perte et de vulnérabilité que ce pays n'a pas ressenti depuis fort longtemps. Le plus douloureux est sans doute que ces attaquants étaient Canadiens. Ils étaient des membres de notre propre communauté qui, d'une façon quelconque, se sont retournés contre leurs amis et leur famille pour commettre des actes de violence et répandre la terreur.
À la lumière de tels actes insensés, il est normal de rechercher ceux qui nous ont voulu du tort. Nous devons toutefois nous rappeler que le Canada est un pays régi par des lois et que la Charte assure la protection de tous les citoyens. Le terrorisme est un crime grave assorti de sanctions sévères. Nous devons nous assurer que notre quête de justice est fondée sur la preuve qui permettra d'appuyer des poursuites judiciaires, assurer des condamnations et imposer des sanctions. Notre démarche doit être équilibrée en tenant du compte du travail acharné des policiers, du recueil des éléments de preuve et des efforts de collaboration avec nos partenaires, particulièrement ceux du Service des poursuites pénales du Canada afin que nous puissions nous assurer que les principes de lois canadiennes puissent être pleinement appliqués.
La GRC a le mandat d'enquêter et de prévenir les activités terroristes. C'est une des tâches les plus importantes qui lui incombe et c'est une responsabilité qui est prise très au sérieux. Depuis plus d'une décennie, nous avons réussi à détecter, perturber, enquêter et accuser des terroristes partout au pays. Au total, 17 personnes ont été condamnées en vertu de la Loi canadienne contre le terrorisme.
La semaine dernière, Misbahuddin Ahmed, qui a été condamné en juillet, a reçu une peine de 12 ans pour des activités terroristes. Nous avons pu également empêcher un certain nombre d'attentats terroristes grâce à des mesures perturbatrices. Nous sommes en train de tirer parti de nos partenariats efficaces et bien établis avec les services de police partout au pays, en fait, avec toute la communauté qui œuvre dans le domaine de la sécurité afin de combattre cette menace grandissante. Le terrorisme est un des domaines d'enquête les plus difficiles. Les premiers signes de la radicalisation sont extrêmement difficiles à détecter afin de déterminer si une personne se prépare à une attaque quelconque. Un grand nombre de ces personnes montre peu de signes de vouloir perpétrer des actes violents. Même ceux qui sont sous enquête montrent très peu ou aucun signe du tout avant une attaque. Ironiquement, plus le complot est élaboré, plus nous avons de chance de le perturber.
[Français]
Le terrorisme est un type de crime qui compte parmi les crimes les plus problématiques sur lesquels nous avons à enquêter.
Il est extrêmement difficile de détecter des signes de radicalisation de façon précoce et de déterminer si un individu donné est en train de préparer un attentat, quelle qu'en soit l'ampleur. Bien souvent, le terroriste ne montre aucun signe permettant de croire qu'il est disposé à la violence. Dans la majorité des cas, même chez les individus faisant l'objet d'une enquête suivie, rien ou presque rien ne laisse soupçonner qu'ils sont sur le point de passer à l'acte. Ironiquement, plus un complot comporte un haut degré d'élaboration, plus nos chances d'y faire échec sont élevées.
[Traduction]
De plus, il y a peu d'éléments communs chez ces personnes outre leur radicalisation. Nos sources nous indiquent qu'ils proviennent de milieux socioéconomiques différents, qu'ils sont de races diverses et qu'ils ont un parcours différent vers la radicalisation. Les attentats perpétrés la semaine dernière illustrent les défis auxquels font face les services de sécurité et du renseignement. Ces actes ont eu lieu sans préavis et, jusqu'à maintenant, nous semblons constater qu'il y a eu peu ou pas de préparation. Les événements de la semaine dernière sont des exemples évidents qui montrent à quel point ces attaques peuvent être soudaines et à quel point ces individus radicalisés peuvent être imprévisibles.
Comme vous le savez tous, le lundi 20 octobre à 11 h 40, Martin Couture-Rouleau a frappé un membre des Forces armées canadiennes à l'aide de son véhicule dans un stationnement d'un centre commercial à Saint-Jean-sur-Richelieu. Le 22 octobre, à 9 h 52, Michael Joseph Zehaf-Bibeau a ouvert le feu sur la garde d'honneur au Monument commémoratif de guerre. Il s'est ensuite dirigé vers la Colline du Parlement. Une fois sur les lieux, il s'est emparé d'un véhicule avec lequel il est allé jusqu'à l'entrée principale pendant qu'il était pourchassé par la GRC. Lorsqu'il est entré dans l'édifice du Centre, il y a eu des tirs entre lui et les membres de la sécurité de la Chambre des communes et les officiers de la GRC. C'est à ce moment qu'il a été tué. Les individus impliqués dans ces événements n'étaient pas liés entre eux et ne faisaient pas partie d'une attaque coordonnée.
La prévention est certainement un défi lorsque nous connaissons un individu, mais c'est encore plus difficile d'intervenir lorsque nous ne connaissons pas la personne. Ce n'est qu'après les événements que nous avons appris que Zehaf-Bibeau espérait aller au Moyen-Orient. Bien que nous ayons une vidéo dans laquelle il décrit ses objectifs idéologiques et politiques, notre enquête vise à déterminer s'il avait partagé ou communiqué ces intentions d'actes violents à qui que ce soit. Tout comme l'incident survenu plus tôt dans la semaine, l'attaque s'est produite sans crier gare. Malheureusement, nous sommes bien au fait de l'imprévisibilité de tels événements.
Ces attaques ressemblent aux événements meurtriers survenus en juin dernier à Moncton au Nouveau-Brunswick. Trois agents de la GRC ont été assassinés et deux autres blessés par un individu amené à la violence en vertu d'une autre idéologie politique. Bien que le recul nous ait donné quelques indices de violence potentielle, il n'y a pas de signe avant-coureur. En plus de faire face à la menace au pays, nous devons concentrer nos efforts pour empêcher des individus qui veulent voyager à l'étranger pour commettre des actes de terrorisme. Leur interdire de voyager est essentiel. Si ces personnes reviennent munies d'une formation ou d'une expérience au combat, elles poseront une plus grande menace au Canada et à ses alliés.
Nous voyons de plus en plus de Canadiens qui sont attirés par l'État islamique, l'EIIL et Al-Qaïda qui tentent de voyager à l'étranger pour mener des activités liées au terrorisme. En janvier 2013, deux Canadiens ont participé à une attaque des sites gaziers en Algérie où 36 personnes ont été tuées. Depuis, d'autres sont allés dans ces zones de conflit dans des endroits tels que la Syrie et l'Irak.
Nous adoptons des mesures pour traiter ces menaces. À l'interne, nous avons mis en œuvre des activités nous permettant de détecter, d'empêcher les activités terroristes et d'y réagir. Nous tirons parti notamment de nos partenaires à l'échelle nationale et internationale et nous avons cerné de nouvelles façons de lutter contre cette menace. Du point de vue opérationnel, nous avons mobilisé les équipes intégrées de la sécurité nationale dirigées par la GRC et qui sont basées partout au pays afin de contrer la menace des voyageurs à haut risque. En plus des 170 personnes à l'œuvre, nous avons réaffecté le personnel et les fonds nécessaires dans le but de contrer cette menace. Depuis quelques mois et dans la dernière semaine, plus de 300 personnes additionnelles ont été mutées afin d'accroître la capacité des EISN. Elles proviennent d'autres secteurs prioritaires tels que le crime organisé ou le crime financier.
Nous évaluons constamment la menace et les ressources requises. Nous prenons les mesures nécessaires pour réaffecter les ressources au besoin. De plus, d'autres partenaires ont contribué des ressources à nos EISN. En outre, les différents services de l'ordre au Canada et à l'étranger continuent à offrir leur aide.
Nous nous réunissons quotidiennement avec nos partenaires au Service canadien du renseignement de sécurité pour évaluer la menace posée par des voyageurs à haut risque connus et par ceux qui sont radicalisés. La GRC a mis sur pied un groupe qui a donné lieu à une coopération interministérielle sans précédent. Le centre d'opération conjoint visant le voyageur à risque élevé est situé au centre d'opérations de la GRC dans le but de nous permettre de réagir de façon rapide aux changements de la menace et d'appliquer tous les pouvoirs dont dispose le gouvernement du Canada au moment où quelqu'un a été repéré.
Nos partenariats s'étendent au-delà du milieu du renseignement et de la sécurité ou de la communauté chargée de l'application de la loi. L'engagement, la coopération et le soutien de la population forment un complément essentiel à nos initiatives. Il est probable que ce soit des proches, des amis, des professeurs ou d'autres membres de la communauté qui, les premiers, constatent le début d'un processus de radicalisation ou aient connaissance de signes avant-coureurs d'une menace de violence. Par exemple, c'est grâce à l'engagement et à la vigilance des amis et des membres de la famille de Couture-Rouleau que notre attention s'est portée sur ce dernier.
Un avis précoce de changements soudains peut être essentiel pour aider une personne avant qu'elle ne se radicalise. Ces changements varient. Il peut s'agir d'un retrait des interactions sociales positives et des activités vers l'isolement, la ségrégation, l'expression accrue de haine ou l'adoption des vertus de la violence et l'expression de l'opinion du « nous contre eux ». Ce ne sont souvent pas des actes criminels — loin de là — mais nous suggérons aux amis et aux membres de la famille de porter une attention particulière à ces indices et de contacter les organismes d'application de la loi ou les autres services dans la collectivité s'ils sont inquiets.
La GRC et les services de l'ordre en général reconnaissent que la meilleure façon de prévenir le terrorisme est de prévenir tout d'abord la radicalisation. À cette fin, nous déployons des efforts pour contrer l'extrémisme violent et offrons des programmes. La GRC, en collaboration avec des partenaires clés, met en œuvre un programme qui offre aux policiers de première ligne et à la collectivité les outils dont ils ont besoin pour reconnaître et pour aider les personnes à risque.
En conclusion, j'aimerais réitérer les propos que j'ai tenus aux médias la semaine dernière : les Canadiens sont en sécurité. Sur le fond, les récents événements ne nous ont pas changés. C'est ce qu'on a pu voir mercredi dernier, lorsque des citoyens ont secondé les efforts de la police, des techniciens médicaux et du personnel militaire pour protéger et secourir le caporal Nathan Cirillo. D'autres actes de bravoure et de coopération avec les forces de l'ordre ont été rapportés de la part de nos concitoyens. Dans l'adversité, les Canadiens de tous horizons religieux, ethniques et politiques ont fait preuve de solidarité pour venir en aide à un autre Canadien. Je suis convaincu que cela se poursuivra.
Merci beaucoup de votre attention et nous serons ravis de répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le commissaire, d'être là avec nous cet après-midi et pour votre exposé très éclairant. J'aimerais commencer par une question. Les Canadiens se demandent quelle est exactement l'ampleur de la menace publique à laquelle le pays et les Canadiens devront faire face à l'avenir. J'aimerais vous référer au document intitulé Liberté, sécurité et la menace complexe du terrorisme : des défis pour l'avenir, un rapport préparé par le comité spécial du Sénat présidé par le sénateur Segal et le sénateur Joyal en mars 2011.
Il a été dit :
[...] la GRC a estimé qu'il y aurait jusqu'à 50 organisations terroristes présentes sous une forme ou une autre au Canada et, au mois de mai 2010, le SCRS faisait enquête sur plus de 200 individus présents au Canada et soupçonnés d'activités liées au terrorisme.
Commissaire, pouvez-vous nous dire ce qu'il en est actuellement en 2014 par rapport à la situation en 2010?
M. Paulson : Merci, monsieur le président. Je pense que la meilleure façon de cerner l'ampleur de la menace est de vous reporter au chiffre que j'ai cité quand j'ai témoigné devant un autre comité à savoir que nous avons identifié 90 individus comme étant des voyageurs à haut risque et la semaine dernière ce chiffre est passé à 93. Ce chiffre fluctue, car pour une raison quelconque il suit divers niveaux de renseignement, il s'agit de gens identifiés comme souhaitant se rendre à l'étranger pour participer à des activités terroristes et prendre part au djihad. C'est une façon de comprendre cet aspect de la menace.
Toutefois, nous procédons à d'autres enquêtes en partenariat avec le service du renseignement de sécurité. Pour établir le nombre de ces individus, nous tenons compte de ceux qui sont à haut risque, à la suite peut-être d'une radicalisation et de ceux qui font actuellement l'objet d'une enquête pour des infractions criminelles liées à la sécurité nationale. Je pense qu'on peut qualifier l'ampleur de la menace de grave et immédiate moyennant quoi tous ceux qui s'occupent de sécurité nationale ou qui sont responsables de l'application de la loi — en fait tous les citoyens canadiens — doivent se montrer vigilants.
Le président : À propos de ma question initiale, j'aimerais revenir à l'estimation de la GRC, à savoir qu'il y aurait jusqu'à 50 organisations terroristes — non pas des particuliers mais des organisations — présentes sous une forme ou une autre au Canada. Est-ce encore vrai?
M. Paulson : Je ne peux pas vous donner le nombre exact d'organisations terroristes. Nous concentrons nos cibles sur les individus, dont certains sont inspirés par une menace plus lourde du même type qu'Al-Qaïda, et d'autres inspirés par le phénomène récent de l'État islamique.
Pour ce qui est des organisations, je vais demander à mon collègue Mike Cabana de vous répondre.
Mike Cabana, sous-commissaire, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Merci, commissaire.
Sénateur, il se peut que ma question ne vous satisfasse pas pleinement. Au départ, nous partons du fait que 53 organisations sont qualifiées d'entités terroristes au Canada actuellement, si bien qu'il y a une légère hausse par rapport à 2011. Essayer de quantifier ou de définir le niveau de menace que ces organisations représentent en se fiant à leur nombre est une tâche énorme, mais elle est aussi dangereuse.
La menace est pluridimensionnelle. Elle concerne les voyageurs à haut risque dont on a beaucoup parlé depuis une semaine, mais également des organisations qui effectivement ont des opérations au Canada. Il y a des gens qui reviennent au Canada après avoir participé à des conflits à l'étranger. Il y a des gens qui essaient de quitter le Canada pour y participer. Bien entendu, il y a ici au Canada des organisations qui alimentent des organisations terroristes après avoir recruté des combattants et en les finançant. Il faut être prudent si on tente de faire un inventaire et de définir la menace en se fondant sur le nombre d'organisations.
Le président : Je pourrai peut-être poursuivre là-dessus plus tard.
Le sénateur Mitchell : Merci à chacun d'entre vous d'être venus témoigner. Je tiens à rappeler la gratitude de la population canadienne. Tous les parlementaires qui étaient sur la Colline et tous ceux qui y travaillent ont vu clairement que des membres en uniforme de la GRC, hommes et femmes, se sont précipités au moment où les coups de feu fusaient et il était très impressionnant de voir cela.
J'aimerais apporter deux précisions à la question du président. Tout d'abord, il parle de l'ampleur de la menace. Peut-être la distinction est-elle infime, mais d'un point de vue de la nature de la menace, est-il plus probable qu'il n'y ait qu'un tireur, un seul conducteur de voiture? Comment comparer cette possibilité à de possibles attaques plus importantes, des bombes ou même des attaques coordonnées, menées par des organisations mieux dirigées, plus organisées?
M. Paulson : Je vous remercie, sénateur. Comme je le disais tout à l'heure, c'est ironique, mais plus le complot est complexe, plus il y a de probabilités qu'on puisse y réagir à l'avance. Nous aurions alors probablement plus d'indices d'un complot en voie d'élaboration.
L'élément central de votre question, je pense, la menace, qui évolue constamment, revêt maintenant l'image d'un acteur solitaire qui va par exemple se servir de son véhicule comme d'une arme. C'est donc une menace beaucoup plus difficile à affronter. C'est dans ce sens que je dirais que la menace a évolué au point d'être beaucoup plus complexe et déconcertante pour les agents de la loi pour ce qui est de faire face à cet acteur solitaire.
Le sénateur Mitchell : Allons encore plus loin dans la même veine. Depuis quelques jours, on m'a souvent posé la question suivante, et nous avons beaucoup lu à son sujet : Comment se fait-il que ces 80 personnes, et d'autres dont vous avez parlé, qui sont revenues après avoir participé au combat ou à quelques activités terroristes à l'étranger puissent encore circuler en liberté au Canada? Comment se fait-il que quelqu'un dont le passeport a été confisqué, et c'est le cas de Couture-Rouleau, ne fasse pas l'objet de plus de surveillance? Si vous faites un suivi de 90 personnes, quelles contraintes pouvez-vous imposer et dans quelle mesure pouvez-vous les surveiller?
Manqueriez-vous de pouvoirs? Est-ce que les programmes communautaires ne ratissent pas assez large? Est-ce que cette sensibilisation est inefficace? Je ne cherche absolument pas à faire de critiques, seulement à aller à la source et à la nature du problème.
M. Paulson : Peut-être pourrais-je donner un élément de réponse à votre question, et j'inviterai mon collègue à prendre la relève, parce que cette question est importante. M. Couture-Rouleau est un excellent exemple de cas où on soupçonne quelqu'un, ou on a l'intuition de son intention d'aller à l'étranger pour prendre part au djihad. Il est certain que sa famille s'inquiétait de constater sa radicalisation.
Pour ce qui est de la réaction des organismes d'application de la loi, il faut traduire ces doutes, ces intuitions, ces réflexions et préoccupations en preuves qui nous permettront de procéder à une arrestation, d'intenter des poursuites et de fournir à la cour une preuve suffisante pour justifier une condamnation.
Les défis sont multiples, en ce sens qu'il faut avoir la preuve de ses intentions — oublions-le pour le moment, et passons plutôt à quelqu'un qui a été à l'étranger et en est revenu — avoir des preuves qu'il a contribué à certaines activités liées à un groupe terroriste. C'est donc la transition du doute et du soupçon à la preuve absolue et tangible, présentable et transférable à un tribunal.
M. Cabana : En fait, commissaire, votre réponse était très éloquente, et je ne suis pas sûr de pouvoir y ajouter grand- chose. Nous faisons constamment l'analyse et l'examen de nos outils pour en déceler les lacunes.
Je puis vous assurer que la GRC et ses partenaires des services de sécurité, y compris la communauté d'application de la loi du Canada, s'efforcent sans relâche de recenser les outils nécessaires et d'exploiter tous ceux qui sont à leur disposition pour tenter de prévenir ce genre de situation.
Le sénateur Mitchell : Ce rapport entre le travail préliminaire que fait le SCRS (et le SCRS nous a dit qu'il suivait les gens jusqu'à un certain point, après quoi la GRC intervient), cette coordination fonctionne-t-elle assez bien? Ne serait- il pas mieux de faire participer la GRC plus tôt? Y a-t-il une bonne coordination entre les deux forces, ou s'agit-il d'un point faible?
M. Paulson : Je dirais qu'il s'agit d'un point fort. Nous travaillons là-dessus depuis mon arrivée à Ottawa, et nous en sommes à un point où le rapport et les opérations quotidiennes entre le SCRS et la GRC sont très efficaces. Cependant, il demeure certains défis.
Si j'ai bien compris, vous allez parler à nos collègues du Service du renseignement de sécurité. La transition des renseignements dans la preuve continue à poser un défi. C'est un aspect de notre travail qui paraît insoluble, puisque d'un côté nous disposons de renseignements que le service aurait pu avoir d'autres sources ou de sources et de méthodes ne pouvant être révélées. Il est donc difficile de faire passer ces renseignements, qui peuvent occasionner de fortes suspicions, vers le contexte criminel, qui doit faire l'objet d'un examen complet et de l'exposition des sources, afin de pouvoir soupeser et évaluer la nature et la qualité des renseignements.
Au fil des ans, nous avons beaucoup amélioré notre façon de confier les enquêtes, et de participer au début des travaux entrepris par le SCRS, afin de pouvoir les avertir d'une criminalité émergente au point nécessitant l'intervention; je citerais comme exemple les 17 condamnations que nous avons réussi à obtenir, pour vous dire franchement. Tout cela s'est fait grâce au travail d'arrache-pied fait par le SCRS et la GRC.
Tous les jours, nous nous entretenons avec ces gens, en train d'examiner nos sources et de limiter les conflits entre elles, et nous continuons à travailler ensemble de façon efficace. Cependant, j'aurais tort de prétendre que tout est rose. Il demeure difficile pour nous de transformer les renseignements reçus en preuve.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci d'être venu. Suite aux événements survenus sur la Colline et après être rentrée chez moi cette fin de semaine au Nouveau-Brunswick, je pense que nous vivons dans un pays où les gens n'acceptent pas de tels actes. J'ai bien constaté ce matin, en m'arrêtant au Monument commémoratif de guerre, que les gens veulent savoir comment ils peuvent aider. Ils ne s'attendent pas à ce que la police et nos services de sécurité fassent tout. Vous avez mentionné la possibilité d'élargir certains programmes pour permettre aux Canadiens d'aider, mais si vous pouviez nous donner une idée de ce qu'ils pourraient faire, puisque la sécurité des Canadiens et la protection des Canadiens sont les thèmes prédominants de cette étude. Je sais qu'il s'agit de votre principe fondamental aussi.
M. Paulson : Je vous remercie de la question. Permettez-moi de commencer en disant que vous avez absolument raison de dire qu'une solution clé à nos défis se trouve au sein de nos communautés. J'entends par cela ce que j'ai mentionné dans mon exposé, soit d'encourager les gens dans nos communautés de signaler des modifications de comportement, des développements inusités et des circonstances suspectes à la police.
J'utiliserai l'analogie d'un parent préoccupé par la consommation de drogues chez son enfant. Le parent reconnaît qu'il existe un problème, mais hésite, et cela se comprend, à signaler ce fait à la police puisque la réaction policière pourrait consister à appliquer la loi. Il nous faut persuader les Canadiens et développer leur confiance au point où le problème d'un changement majeur de comportement pouvant provoquer des doutes au sujet de la radicalisation d'une personne puisse être identifié rapidement et souligné aux autorités compétentes. Nous avons un réseau d'application de la loi très efficace dans tout le pays, non seulement la GRC mais aussi les forces policières municipales et provinciales, qui sont bien renseignées et prêtes à gérer cette réponse. D'après moi, voilà où réside une bonne partie de la solution.
La sénatrice Stewart Olsen : Après avoir vécu la tragédie de Moncton, les Néo-Brunswickois sont très inquiets et ils veulent aider à empêcher que ce type de situation ne se reproduise. Toutefois, ils ont indiqué qu'ils ne savaient pas comment s'y prendre.
Existe-t-il un mécanisme facile d'accès et sûr pour la population de cette province? Bien sûr, il y a toujours une crainte lorsqu'on appelle la police ou d'autres autorités. Ces citoyens auront besoin de renseignements précis sur la façon de vous rejoindre, de déclarer un incident et de peut-être connaître une liste d'éléments permettant d'être aux aguets. J'espère que vous allez me rassurer en me disant que vous réfléchissez à la façon d'établir ce type de mécanisme.
M. Paulson : Certainement, nous y réfléchissons, et en fait, une bonne partie de ce mécanisme est déjà en place. L'une des caractéristiques de notre stratégie visant à contrer l'extrémiste violent, c'est que chaque service de police au pays dispose de points d'accès efficaces pour que la population puisse les rejoindre à des fins de prévention et d'intervention. Nous avons entre autres recours à cette infrastructure, si vous me permettez ce terme, pour l'intervention en matière de sécurité nationale.
Il existe plusieurs autres programmes auxquels j'ai fait référence dans le cadre de témoignages précédents. Nos agents d'information antiterroristes de première ligne déclarent les signes précurseurs d'une attaque et les comportements suspects non seulement aux agents de police de première ligne, ce qui est crucial, mais également à la population, de sorte que les citoyens puissent comprendre ce que les autorités voient et ce que cela peut signifier. Le fait de remarquer que « Jean-Jacques se comporte de façon étrange », c'est une chose, mais il faut que les citoyens soient en mesure de déterminer que le comportement nécessite une intervention plus large que celle qui peut être réalisée par un parent, un ami, un collègue ou un voisin.
Le sénateur Day : Monsieur le commissaire, messieurs également, je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Je suis tout à fait d'accord avec les observations qui ont été formulées à notre appui à l'égard des hommes et des femmes en uniforme. J'espère que vous transmettrez aux membres de la GRC le message selon lequel nous les appuyons entièrement. Nous espérons que les questions que nous posons seront utiles. Je désire poser des questions sur deux points qui ont déjà été abordés.
D'abord, monsieur le commissaire, j'aimerais parler de votre relation avec le SCRS. On ne soulignera jamais assez l'importance de la transition du service d'enquête sur le renseignement qu'effectue le SCRS et du service d'enquêtes criminelles que vous effectuez ainsi que sur la relation entre les deux. Ce ne doit pas être l'affaire de deux solitudes. J'ai bien écouté votre réponse. Je présume que vous estimez que la collaboration se déroule bien, et je poserai la même question au SCRS lorsque des représentants seront ici pour en discuter.
Je vous invite donc à nous dire ce que vous en pensez et s'il y a des enquêtes ou des études en cours sur la relation entre vos deux organismes, car cela me rassurerait.
M. Paulson : Je tiens d'abord à prendre quelques secondes pour déclarer qu'au cours des sept à huit dernières années, j'ai personnellement reconnu, avec mes collègues, l'importance de cette relation et j'ai pu constater que dans ce contexte, toutes nos activités et chaque élément d'information rattaché à la sécurité nationale est transmis au SCRS. Nous nous assurons continuellement de leur transmettre tous nos renseignements.
Pour ce qui est d'obtenir de l'information du SCRS, comme je l'ai dit dans une réponse précédente, nous devons être précis et déterminés dans la façon dont nous utilisons l'information du SCRS pour étayer nos enquêtes. Nous continuerons de mener des enquêtes en parallèle comme cela arrive souvent, sans qu'il n'y ait de chevauchement dans nos activités. Nous avons connu des percées considérables grâce à un partage d'équipement ou d'autorisations légales. Nous avons fait beaucoup de chemin. Notre relation avec le SCRS est très solide, saine et fonctionnelle.
Le sénateur Day : Merci. La sénatrice Stewart Olsen a soulevé un autre point que j'aimerais souligner, à l'effet que nous sommes tous retournés dans nos régions partout au Canada, et il s'avère que je viens de la même province que la sénatrice. Nos collectivités sont plus petites, et la plupart des gens avec lesquels je me suis entretenu ne comprennent pas pourquoi on ne peut pas vous le signaler lorsque quelqu'un commence à changer ses attitudes et commence à dire des choses inquiétantes. Vous travaillez dans plusieurs provinces et nous espérons que tous vos membres qui travaillent soit au niveau national ou au niveau provincial seront formés de la même façon.
Il semble que ce que nous observons actuellement n'est pas nécessairement quelqu'un motivé par l'idéologie, mais plutôt quelqu'un qui a un problème émotif ou mental et qui cible des gens qui portent un uniforme pour déverser une haine qui s'est accumulée. Il me semble que l'aspect idéologique n'est qu'un prétexte qui permet à l'individu de justifier son comportement.
D'où l'importance de pouvoir surveiller des activités qui pourraient devenir quelque chose de très sérieux, comme ce qui s'est passé. Dans ce contexte, pourriez-vous me décrire les tâches de votre coordonnateur d'information sur la menace terroriste et le poste qui vient d'être créé?
M. Paulson : Peut-être je pourrais demander à mon collègue, le sous-commissaire Cabana de vous en parler. J'en ai parlé un peu. Par exemple, nous sommes en train actuellement de mettre en œuvre dans tout le pays notre programme de lutte contre l'extrémisme violent. Il y a d'autres programmes qui existaient déjà, qui ont très bien réussi et que nous continuons d'appuyer. M. Cabana pourrait élaborer là-dessus.
M. Cabana : Merci, monsieur le commissaire. Sénateur, comme le commissaire Paulson a dit, il y a un certain nombre de programmes, dont le plus récent est celui que nous avons mis en œuvre pour lutter contre l'extrémisme violent et qui vise à fournir à ceux qui travaillent sur les premières lignes des ressources provenant d'autres agences, y compris de la GRC, pour qu'ils aient les outils et les connaissances nécessaires pour reconnaître les signes de radicalisation et pour savoir comment agir.
Le programme comporte plusieurs composantes, mais je vous dirais qu'une des composantes clés consiste à créer des stratégies communautaires qui impliquent un certain nombre de spécialistes provenant de secteurs différents, notamment les services de la santé et les services sociaux. Une fois qu'on identifie des individus, ces services peuvent coopérer ensemble pour élaborer une approche individualisée dans chaque cas afin de fournir le soutien nécessaire pour qu'ils puissent changer leur façon de penser, si vous voulez.
M. Paulson : En d'autres mots, s'il s'agit, comme vous l'avez dit, d'une maladie mentale ou d'une dépendance, qui aggrave le problème de la radicalisation violente, alors nous pouvons faire venir les spécialistes et ensemble nous pouvons trouver des façons de résoudre ces problèmes et fournir un soutien professionnel pour vraiment s'attaquer au cœur du problème.
Le sénateur Day : J'aimerais que vous nous disiez si vous avez suffisamment de ressources et de lois pour faire cela, c'est-à-dire intervenir et éviter que le problème s'empire.
M. Paulson : Comme je l'ai dit, je ne sais pas si je l'ai dit ici, mais je l'ai dit ailleurs, compte tenu de la situation actuelle, nous devons déplacer nos ressources au sein des services policiers fédéraux et donc nous prenons toutes les ressources dont nous avons besoin et nous réussissons à le faire. Cependant, il y a un impact au niveau des autres responsabilités et de notre mandat, par exemple au niveau du crime organisé ou de questions liées à l'intégrité financière, mais actuellement nous avons les ressources dont nous avons besoin pour mettre en œuvre et réaliser ce programme.
Le sénateur Ngo : Merci, monsieur le commissaire. Vous avez mentionné qu'il y a entre 90 et 93 individus qui présentent un risque élevé et qui ont été identifiés, sont partis à l'étranger, puis sont revenus. Voilà les individus à haut risque. En avez-vous d'autres qui présentent un risque moyen? Si vous avez identifié des personnes qui présentent un risque moyen et qui appuient ou s'associent à l'extrémiste radical islamique, les avez-vous répertoriées, et savez-vous combien de personnes figurent sur cette liste? Pouvez-vous nous expliquer ce que signifie « présente un risque moyen »?
M. Paulson : Je vous remercie de la question. Vous parlez de notre programme ciblant les voyageurs à risque élevé, que j'ai mentionné tantôt. Il s'agit maintenant d'un groupe de travail, où j'ai récemment identifié 93 individus comme des voyageurs à risque élevé, soit en tant qu'individus souhaitant voyager à l'étranger ou qui sont à l'étranger et souhaitent rentrer au pays. Cette enquête se poursuit et nous gérons la situation. De fait, nous travaillons en collaboration avec nos partenaires au SCRS pour la réévaluer quotidiennement.
Permettez-moi de vous parler de cet autre groupe d'individus, que je qualifierais d'individus qui présentent un risque élevé, qui pour une raison ou une autre nous soupçonnons d'avoir pris le chemin de la radicalisation. Nous surveillons plusieurs de ces individus aussi. Plus récemment, de concert avec le service, nous sommes revenus sur toutes nos données, toutes. Nous avons repensé et réévalué les critères selon lesquels nous interprétons la menace que posent ces individus. Puis, de concert avec nos partenaires de toutes les forces de l'ordre au Canada, avec le service, entre nous, nous nous sommes assurés que l'évaluation de la menace provenant de ces gens soit articulée de manière à nous donner confiance que la menace posée par l'individu sera contrée soit par le Service des renseignements, la GRC ou l'agence policière partenaire.
Le sénateur Ngo : Merci, monsieur le commissaire. Si tel est le cas, comment les abordez-vous, les individus à risque moyen dont je parle, plutôt que les 90 individus à risque élevé que vous avez mentionnés? Comment vous y prenez- vous? S'agit-il de confisquer leur passeport, ou de prendre certaines mesures pour évaluer le risque moyen? Si oui, aurez-vous à confronter d'autres extrémistes radicaux islamiques au Canada?
M. Paulson : Notre évaluation du risque est fondée sur la fiabilité et l'exactitude des renseignements qui nous ont permis de les identifier de prime abord. Un processus d'évaluation s'applique à ce moment-là. Qui sont ces individus? Que nous a-t-on signalé au sujet de leurs intentions? Quelle est la nature et la qualité de la preuve et des renseignements nous fournissant une indication de leurs intentions. Puis, nous les classons comme devant faire l'objet d'une intervention immédiate, qui pourrait prendre la forme d'une enquête criminelle comportant l'écoute électronique, la surveillance et peut-être même, si le besoin se manifeste, une arrestation suivie d'un chef d'accusation. Cela peut être aussi peu que de la surveillance, une convocation à l'entrevue, et peut-être une note au dossier pour le service. La confiscation du passeport ou la demande de révocation du passeport sont parmi les nombreux outils disponibles en l'absence d'un chef d'accusation.
Idéalement, pour moi en tant que simple policier, nous aurions la preuve, nous arrêterions cet individu, nous l'amènerions devant les tribunaux, puis il serait accusé, condamné et puni. Voilà comment nous aimerions faire les choses.
Dans plusieurs cas, comme je l'ai mentionné, nous n'avons pas réussi à faire cela; ça nous prend donc une stratégie d'intervention, de surveillance, d'acquisition de preuves, d'intervention, de prévention, ainsi que de détection et de poursuite. Bref, voilà notre stratégie.
Le président : Pourrions-nous approfondir la question? Au début, nous avons parlé de l'ampleur de la menace publique envers les Canadiens. Selon vos dires, et vous avez fait preuve de grande transparence à ce sujet, il existe quelque 90 ou 93 voyageurs. La situation change à tout bout de champ.
Pourriez-vous m'en dire plus long, hormis ces voyageurs qui présentent un risque élevé, au sujet de ceux qui présentent un risque moyen ou même plus faible. Combien y a-t-il d'individus qui adhèrent à ce genre d'idéologie, ou qui ont cette façon de penser? S'agit-il de 300, 500, 1 000 individus ayant été identifiés par la GRC et le SCRS, qui pourraient éventuellement présenter un risque plus élevé à mesure qu'ils y participent de plus en plus? Il faut les identifier dès le départ, donc pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet?
M. Paulson : Je ne sais pas à quel point il est utile de comprendre la menace par le biais de chiffres. Pour avoir une idée de l'ampleur, nous pouvons citer des milliers d'incidents policiers où les gens ont identifié des individus auprès desquels nous devrons intervenir.
Ça peut aller du « Je n'aimais pas l'allure de cette personne que j'ai vue à bord de l'autobus aujourd'hui, elle me paraissait vraiment louche » jusqu'à « J'étais dans un bar hier soir et j'ai entendu quelqu'un parler d'un complot pour faire sauter quelque chose », ou encore « J'ai des photos d'un individu en train de planifier quelque chose ». C'est toute une gamme.
D'après moi, je répète, ce n'est pas particulièrement utile de comprendre l'ampleur de la menace, puisqu'au fur et à mesure que nous vivons les événements, tels que les événements terribles que nous venons de vivre au cours de la semaine précédente, les gens prennent un intérêt soudain et nous commençons à recevoir toutes sortes de rapports du genre « Je n'aime pas l'allure de la personne que j'ai vue dans l'autobus ce matin », mais somme toute, il s'agit de milliers d'individus.
Le sénateur White : Merci d'être venu. Je tiens à féliciter vos membres d'avoir géré les deux incidents la semaine dernière, l'un en tant que force secondaire mais l'autre en tant que premier répondant, et je vous remercie pour cela. Je vous remercie également de la transparence dont vous faites preuve. D'après moi il était utile aux résidents de la ville de voir la vidéo que vous avez montrée et de vous entendre expliquer les circonstances.
Sous-commissaire Cabana, vous avez parlé de la radicalisation et vous nous avez présenté quelques éléments au sujet de l'incident au Nouveau-Brunswick comme étant une forme de radicalisation de l'idéologie de quelqu'un, ce qui ne nous vient pas forcément à l'esprit lorsque nous pensons à la radicalisation. Nous entendons souvent parler de l'Internet comme moyen de radicaliser les gens, mais si nous regardons le cas des 18 de Toronto, nous entendons également parler de circonstances personnelles où la radicalisation se produit en tête-à-tête, souvent dans des établissements de ce pays.
Disposez-vous des outils pour gérer ces rencontres personnelles, pour vous permettre d'interrompre certaines activités qui se produisent auprès d'individus qui sont à risque mentalement ou en raison d'intoxication, afin d'arrêter ces individus de radicaliser les gens que nous voyons en train de commettre ces actes, ou nous faut-il aller plus loin et commencer à modifier les lois contre la haine ou quelque chose d'autre qui nous permettrait d'arrêter ces individus? Je ne peux pas répéter la question. Je suis désolé.
M. Cabana : Non, ce n'est pas nécessaire. Il n'est pas facile de répondre à cette question, à savoir si nous disposons des outils nécessaires pour aborder cette question.
Bien entendu, d'abord et avant tout, il faudrait que nous sachions qu'il existe un problème par rapport à certains individus. Je vous dirais que lorsque nous disposons de ces renseignements et que les individus nous ont été signalés ou identifiés, que la discussion se soit produite en personne, pour ainsi dire, ou même sur Internet, nous mobilisons nos ressources dans la mesure du possible.
Malheureusement, je ne sais pas quel serait l'outil qui nous permettrait d'éviter des incidents comme ceux qui se sont produits la semaine dernière, surtout si c'est une seule personne qui planifie cet incident sans l'aide de quelqu'un d'autre.
Je ne vous ai peut-être pas donné la réponse que vous cherchiez, mais je ne connais pas d'outil qui nous permettrait d'empêcher qu'un incident du genre ne se reproduise.
Le sénateur White : A-t-on poursuivi en justice, avec succès, quelqu'un qui a réussi à radicaliser quelqu'un d'autre dans le pays? Y a-t-il une infraction passible de poursuite pénale?
M. Paulson : Oui.
M. Cabana : Une telle infraction existe. Nous n'avons pas encore poursuivi qui que ce soit, mais elle existe.
Le sénateur White : Donc, nous avons un outil législatif?
M. Cabana : Oui.
M. Paulson : C'est exact. En fait, notre préoccupation principale lors du suivi de l'enquête, surtout après les événements qui se sont produits à Ottawa, est de nous assurer que personne d'autre n'a assisté cet individu. Si on avait les preuves nécessaires, on porterait certainement des chefs d'accusation contre ces individus — on ne demanderait pas simplement aux membres de la collectivité de nous faire part des signes précurseurs, mais on demanderait également à la population de nous fournir des renseignements par rapport à ceux qui sont responsables de cet effort de radicalisation. Parce qu'il y a certaines personnes qui sont vulnérables et certaines personnes qui risquent d'être exploitées, et certaines personnes qui exploitent ces personnes, et donc, ce sont des cibles à mon avis.
Le sénateur Kenny : J'aimerais parler de trois points.
Ma première question porte sur votre collaboration avec le SCRS. Vos deux organisations ont des objectifs différents. Depuis un certain temps, on a l'impression que vos objectifs sont contradictoires. Si vous voulez recueillir des renseignements afin de poursuivre quelqu'un en justice, mais que le SCRS veut continuer de recueillir des renseignements pendant plus longtemps, vous semblez dire que tout marche très bien. Mais moi j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de désaccords et que cela représente un défi.
M. Paulson : Je suis d'accord avec vous, sénateur. Vous vous souviendrez que j'ai dit qu'il était difficile pour nous d'assurer la conversion de renseignements en preuve. Mais permettez-moi de donner un exemple concret où nous, les forces de l'ordre, avons pris des mesures pour améliorer la relation et la rendre plus efficace : c'est le cas des navires qui voulaient venir au Canada. Nous avons déployé des agents qui ont travaillé côte à côte avec les agents du SCRS et avec d'autres agences du gouvernement du Canada à l'étranger. On leur a dit : « Écoutez, on ne va pas défaire votre travail en insistant pour qu'il y ait une poursuite. Nous allons vous aider sur le plan de la prévention. » La prévention fait également partie de notre mandat — pas seulement l'application de la loi.
Il a fallu un changement de culture dans notre univers, et je suis fier de dire qu'on a fait des progrès. Mais il reste beaucoup de chemin à faire pour ce qui est de la conversion de renseignements en preuve.
Le sénateur Kenny : Ai-je bien compris lorsque vous avez répondu à une question précédente que vous n'avez pas besoin d'une nouvelle loi pour faciliter votre travail?
M. Paulson : Non je n'ai pas dit cela.
Le sénateur Kenny : Étiez-vous près de le dire? Le sénateur Day vous a demandé quels outils pourraient vous servir, et il faisait allusion, il me semble, à la législation. Donc, pourriez-vous nous dire, quels sont les outils légaux dont vous avez besoin?
M. Paulson : Je crois qu'on regarde actuellement plusieurs possibilités. Généralement parlant, je suis de l'avis que dans certains domaines il faut pouvoir baisser le seuil et même éventuellement éliminer certaines des étapes à franchir, par exemple, obtenir le consentement du procureur général pour engager une cible de sécurité nationale de ne pas troubler l'ordre public. Je crois que si une infraction est commise ou si un individu risque de commettre une infraction, il faut baisser le seuil pour avoir un soupçon raisonnable plutôt qu'une croyance raisonnable. Il y a certains problèmes qu'il faut résoudre à court terme. On les a identifiés et soulevés. J'espère qu'on pourra voir — enfin il faut que ce soit une approche équilibrée, bien sûr, comme vous le savez, sénateur. Qu'il faut trouver le juste équilibre parce que les Canadiens s'attendent à ce qu'ils soient libres et protégés de la mauvaise application des pouvoirs de la police. Je pense qu'on peut trouver le juste équilibre.
Le sénateur Kenny : Finalement, pour ce qui est des ressources. Vous avez laissé entendre — du moins c'est ce que j'ai compris — que vous étiez satisfait des ressources financières que vous avez actuellement. Étant donné que le budget de la GRC a diminué de 15 p. 100 au cours des trois dernières années, je ne peux pas comprendre comment l'agence se porte bien. Je sais que vous avez fait des économies au quartier général, mais à mon avis c'est incroyable qu'on se trouve dans cette situation et qu'on réduise le budget des forces policières.
M. Paulson : Sénateur, je me suis préparé avant d'être venu vous parler aujourd'hui. Une des choses que j'ai faites c'était de relire les témoignages des autres témoins qui ont comparu devant ce comité. Je peux vous dire que nous faisons notre possible avec les ressources que nous avons.
Le sénateur White : Pour ce qui est de la maladie mentale et de la radicalisation, j'ai accordé la semaine dernière une interview à un journaliste de la CBC qui suggérait qu'une personne souffrant de maladie mentale ne pouvait pas être terroriste et ne pouvait pas commettre d'acte terroriste. Donc, j'aimerais simplement confirmer — parce que certaines personnes ont encore discuté de ce sujet ce week-end, particulièrement par rapport à l'individu au Québec — votre opinion à ce sujet, à savoir qu'une personne souffrant de maladie mentale puisse commettre un acte terroriste.
M. Paulson : Je ne suis pas psychiatre. Je comprends que la maladie mentale peut avoir des effets dévastateurs sur les gens et leur famille. Mais si on regarde les gestes délibérés, réfléchis, et prémédités qui ont été posés récemment, je ne suis pas du tout convaincu que la maladie mentale en est l'origine. Ce qui est à la source de ces problèmes est une perspective perverse qui peut se manifester chez les gens souffrant de problèmes de santé mentale. Mais à mon avis, ces deux éléments sont tout à fait distincts.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, messieurs. Vous avez notre admiration, notre respect et notre reconnaissance. Tout comme la sénatrice Stewart Olsen, j'ai passé le week-end avec mes commettants, qui ont affirmé qu'on vit dans une grande nation, et qu'on devrait faire notre possible pour maintenir cette grande nation.
J'ai une question à trois volets concernant ces 93 voyageurs. On se demande combien d'entre eux sont ce qu'on appelle des djihadistes extrémistes radicaux — si c'est la majorité d'entre eux. Et si c'est le cas, à quelle fréquence voyagent-ils? Comment rentrent-ils au pays? Est-ce qu'il nous faut davantage de mécanismes pour empêcher qu'ils ne rentrent au pays? Est-ce qu'il s'agit d'un problème plus large que des problèmes liés aux cours pénales ou à la procédure équitable?
M. Paulson : Merci, sénateur, de vos commentaires qui ont précédé votre question. Je dirais que c'est mon point de vue — mais c'est mon collègue à ma droite qui peut vous parler de ces individus. Encore une fois, on parle uniquement des voyageurs qui posent un risque élevé. Je dirais que, peu importe leur degré de croyance, tous ces individus démontrent un comportement radicalisé. Voilà le premier point.
À quelle fréquence ces individus voyagent-ils? Nous essayons de faire en sorte qu'ils ne voyagent pas. Mais ce n'est pas ça l'objectif, parce que je crois qu'on peut faire une analyse raisonnable après avoir arrêté un de ces individus radicalisés. Mais il va falloir prendre des mesures après les avoir arrêtés.
Donc nous sommes très préoccupés, tout comme nos partenaires au SCRS, par des individus qui rentrent après avoir été dans des zones de guerre, après avoir participé à des activités terroristes à l'étranger, après avoir obtenu des compétences et des perspectives là-bas. Voilà ce sur quoi on se concentre.
J'avoue que je ne me souviens plus de la troisième partie de votre question.
La sénatrice Beyak : La troisième partie de ma question portait sur le nombre d'individus qui sont nés ici de parents musulmans radicaux, et le nombre d'entre eux qui sont des citoyens canadiens, des citoyens avec la double nationalité, ou des gens qui ont des visas temporaires.
M. Paulson : Nous avons ces données. Je ne sais pas si je peux vous les fournir tout de suite. Mais nous avons ces données. Je dirais que la plupart de ces individus sont des Canadiens. Mais je vais donner la parole à quelqu'un qui en sait un peu plus que moi.
M. Cabana : Merci, monsieur le commissaire.
Madame la sénatrice, les gens radicalisés ne se ressemblent pas tous. Beaucoup d'entre eux sont des Canadiens, et beaucoup d'entre eux sont nés au Canada. Mais très peu d'entre eux sont nés de parents qu'on pourrait appeler « radicalisés ». La radicalisation a souvent lieu en dehors de la famille.
M. Paulson : Comme je viens de l'indiquer, l'élément le plus troublant et le plus offensif des attaques récentes c'est que les deux auteurs de ces crimes étaient des Canadiens.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois invités pour leur présence aujourd'hui.
Dans un premier temps, j'aimerais féliciter toute votre équipe pour l'excellent travail qui a été fait la semaine dernière. Ayant été moi-même policier pendant plusieurs années, je comprends les difficultés auxquelles on peut faire face lors d'événements semblables.
J'ai deux questions, que je vais vous poser en anglais.
[Traduction]
J'aimerais avoir une précision. Est-ce que Martin Couture-Rouleau faisait l'objet d'une enquête criminelle de la part de la GRC? Pouvez-vous dire à la population quand la vidéo de M. Zehaf-Bibeau sera publiée pour que les Canadiens puissent évaluer ces sujets pertinents?
[Français]
M. Paulson : Je vous remercie pour vos questions, sénateur.
[Traduction]
M. Couture-Rouleau faisait l'objet d'une enquête de sécurité nationale. Je pense que nous l'avons déjà dit clairement, et je n'ai pas grand-chose à ajouter. Nous avons essayé de décrire les défis de cette enquête par rapport à nos actions, notre intervention, et la manière dont nous avons travaillé avec la famille et d'autres. Nous avons eu des rencontres avec eux le 9 octobre, avant cette attaque. Il faisait l'objet d'une enquête criminelle, et si on avait eu des preuves suffisantes pour porter des chefs d'accusation contre lui, nous l'aurions fait.
On analyse actuellement la vidéo de M. Zehaf-Bibeau pour voir si elle pourrait contenir des preuves. Nous voulons rendre cette vidéo publique, mais on veut s'assurer que cette vidéo est sécurisée et qu'elle contient des preuves pertinentes. Je ne sais pas quand la vidéo sera rendue publique. Ce sera certainement le cas un jour. Mais ce ne serait pas très intelligent pour moi de dire quand ce sera rendu public. Personnellement, j'aimerais pouvoir surmonter ces défis pour pouvoir la publier le plus tôt possible.
Le sénateur Dagenais : Deuxièmement, de quel niveau de surveillance Couture-Rouleau a-t-il fait l'objet? A-t-il été surveillé d'aussi près que les 89 autres personnes que vous soupçonnez de terrorisme ou de sympathie pour le terrorisme?
M. Paulson : Je dirais la chose suivante concernant Couture-Rouleau : nous avons eu plusieurs personnes de notre équipe d'enquêtes relatives à la sécurité nationale qui l'ont consulté personnellement, avec sa famille, fréquemment, voire constamment. On a fait des efforts soutenus pour tenter de prendre contact avec lui et le surveiller. De quel niveau de surveillance a-t-il fait l'objet par rapport aux autres? Il s'agit, comme j'ai dit tantôt, d'évaluer et d'apprécier la menace que la personne représente. Les Canadiens et les Canadiennes ne sont pas sans savoir, et j'espère qu'ils comprennent, qu'il y a des personnes que nous surveillons en permanence actuellement, à la recherche de preuves qu'elles réalisent des actes criminels. Il y a des personnes dont nous venons tout juste de prendre connaissance et que nous évaluons; nous avons parlé à certaines personnes; et il y a des personnes que nous avons réussi à réorienter. Il y a une gamme complète d'activités.
Bien que les choses se soient mal terminées pour Couture-Rouleau, les agents en particulier, et M. Cabana le saura mieux que moi, étaient horrifiés — que les choses s'étaient produites, comme tous les Canadiens. Ils avaient mis beaucoup d'effort dans ce cas, et nous avons maintenant des doutes pour ce qui est de cette façon de faire.
Le sénateur Mitchell : Je voudrais poser des questions concernant ce que vous avez dit de la réaffectation de 300 personnes, je crois que c'était le chiffre. Je ne sais pas combien chacune de ces personnes gagne, mais si vous nous donnez une estimation générale, vous parlez d'environ 25 millions de dollars. Il me semble, on pourrait dire, que vous avez besoin d'elles. Vous les avez affectées et vous avez un manque à gagner de 25 millions de dollars, sans parler de ce que pourraient être vos besoins pour de meilleurs services d'intervention communautaire afin de résoudre le problème avant qu'il ne se produise.
Je vous demande directement, avez-vous les ressources nécessaires? Vous aurez besoin de ces 300 personnes pendant combien de temps? D'où viendront les fonds pour soutenir ces initiatives?
M. Paulson : Honnêtement, un des défis au niveau de la gestion et de la conduite d'une organisation policière c'est qu'on n'a jamais assez d'argent — ça n'arrive jamais. Donc quelle est la stratégie? Mettre la main sur ce qu'on nous a donné, en demandant plus régulièrement.
Étant donné la menace, ce qui s'est produit et la façon dont cela se déroule, je suis satisfait. Nous continuons à vérifier notre capacité de réaffecter des ressources d'un domaine de nos opérations à un autre quotidiennement. Si on se donnait libre cours à imaginer comment on pourrait accroître nos capacités, par exemple, il faudrait mettre plusieurs choses en place. Nous avons notre recrutement et système de formation Dépôt actuellement. Et tous ces éléments fonctionnent minutieusement, donc il faudra bien analyser la situation concernant notre approche s'il fallait augmenter notre engagement.
Je ne suis pas venu ici à la recherche de ressources. Je suis venu pour vous aider à comprendre la nature de la menace. Nous allons prendre les décisions; nous en avons pris; et nous continuerons à réaffecter des ressources afin de répondre à la plus grande menace à la sécurité des Canadiens et des Canadiennes. C'est plus ou moins mon mantra.
Le sénateur Kenny : Monsieur Paulson, le gouvernement procède à la construction d'un centre de visiteurs au coût de 50 millions de dollars ici sur la Colline du Parlement. Est-ce qu'on vous a consulté à ce sujet, ou est-ce que la GRC a été consultée? D'après vous, réglera-t-il les problèmes actuels, comme la première fouille des visiteurs directement au pied de la tour de la Paix, et ce genre de choses? Est-ce que ce sera un avantage sur le plan de la sécurité?
M. Paulson : Je ne crois pas pouvoir répondre à cette question. Le commissaire-adjoint pourrait peut-être le faire?
M. Cabana : Je n'ai pas les détails que cherche à connaître le sénateur Kenny. On a tenu des discussions préliminaires avec nous; je sais donc que nous sommes de la partie. Mais je ne sais malheureusement pas quel impact cela aura sur la sécurité sur la Colline.
Le sénateur White : Monsieur le commissaire, vous avez évoqué la possibilité d'éliminer une étape en ce qui concerne l'obtention d'un engagement à ne pas troubler la paix du procureur général du Canada. Y a-t-il eu des problèmes à cet égard, ou est-ce à cause du contexte actuel?
M. Paulson : Non. C'est parce que cela demande beaucoup de préparation et de travail additionnels. Quand le procureur donne son autorisation dans des cas impliquant des enquêtes et des accusations en matière de sécurité nationale, c'est seulement après mûre réflexion. Par contre, pour ce qui est des engagements de garder la paix, il est raisonnable de penser que les policiers pourraient s'en occuper.
Le sénateur Day : En lisant la transcription de ces audiences, ou en écoutant nos délibérations à la télévision, on pourrait conclure que le terme « radicalisation » s'applique seulement à la religion. Vous avez dit que ce terme et l'infraction s'y rapportant se trouvent dans le Code criminel. Je n'ai pas mon Code criminel à portée de main, mais peut-être que vous pouvez nous expliquer ce que vous entendez par « radicalisation ».
M. Paulson : La définition n'est probablement pas la même dans le code. Lorsque nous parlons de radicalisation, comprenez-moi lorsque je vous dis que ce n'est pas un crime que d'avoir des pensées radicales. Ce qui attire notre attention, c'est quand une personne est incitée à poser un geste violent ou lorsqu'elle pose des gestes en appui à une activité terroriste. Le phénomène de la radicalisation, c'est quand une personne a des idées bien arrêtées ou litigieuses, c'est-à-dire, pas ordinaires, ce qui n'est en soi pas un crime. Mais c'est quand la personne concrétise ses idées en tendant vers la violence que nous voulons intervenir.
Personne ne sera surpris d'apprendre que certaines personnes essaient d'exploiter la faiblesse d'autres personnes en les rendant encore plus radicales et en les recrutant. Mais même cela ne constitue généralement pas un crime. Par contre, du moment où ces gens commencent à prêcher la violence, elles s'approchent de l'infraction qui est de commettre un acte terroriste.
Le sénateur Day : Merci. Cela nous sera utile.
La sénatrice Beyak : Je ne veux pas poser une question pour être critique envers vous, mais j'aimerais comprendre quelque chose.
Au cours des cinq dernières années, j'ai travaillé avec des musulmans très modérés aux États-Unis et au Canada. Je ne veux pas les nommer, mais j'étais quelque peu horrifiée du manuel intitulé United Against Terrorism. Vous avez rejeté ce manuel et je m'en réjouis, car certains groupes musulmans assez radicaux y ont collaboré. Je me demande pourquoi et comment vous avez été associé à ces groupes. Puisque vous avez pris position sur le manuel, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez en premier lieu travaillé avec ces groupes?
Comme je l'ai dit, je ne veux pas m'en prendre à vous. Je n'ai vraiment pas aimé du tout ce livre.
M. Paulson : J'ai l'habitude d'être critiqué.
Pour ce qui est de la brochure, d'abord, je tiens à dire que si nous voulons faire de la prévention, nous devons travailler avec toutes sortes de personnes et faire toutes sortes d'activités. Si j'ai fait une déclaration au sujet de la version finale du manuel, j'ai néanmoins dit que le chapitre que nous avons produit se tient. Je maintiens que nous avons fait la bonne chose et que nous avons bien réagi à la menace. Il est malheureux que j'aie dû demander qu'on ne fasse pas de déclaration publique à cet effet. Mais notre chapitre, si vous le lisez, est bon; nous ne changerons pas d'avis là-dessus.
La sénatrice Beyak : On dit que trois des groupes, des islamistes radicaux, complotaient ensemble et ne faisaient pas l'objet d'accusation. Qu'en dites-vous? En aviez-vous connaissance?
M. Paulson : Je ne sais pas à quoi vous faites allusion.
La sénatrice Beyak : Bon, merci.
Le président : J'ai une question sur le seuil en vertu du cadre législatif qui s'applique aujourd'hui, et du fait qu'on pourrait abaisser ce seuil dans certains domaines, afin que vous et vos membres puissiez faire le travail qu'on vous demande de faire.
À l'heure actuelle, d'après ce que je comprends, il y a 93 personnes sous surveillance au Canada; on indique qu'elles pourraient poser des gestes violents envers le public. Si on abaissait le seuil d'après vos recommandations ou celles de certains ministères, est-ce que cela vous aiderait, en tant qu'agence d'application de la loi, à incarcérer ces individus temporairement? Ainsi, est-ce que vous pourriez contrer la radicalisation avant qu'elle ne se manifeste concrètement?
M. Paulson : Oui, c'est exact. Ce sont deux domaines qu'on pourrait étudier, et on pourrait parler de la possibilité d'abaisser le seuil. Nous avons déjà parlé des engagements à ne pas troubler l'ordre public. Après qu'un juge autorise l'imposition d'un tel engagement sur quelqu'un, celui-ci est sujet à des conditions, qui peuvent inclure une limite sur ses déplacements, une ordonnance de se rapporter à quelqu'un, ou d'autres conditions. C'est entièrement raisonnable.
Une autre chose qu'on peut faire, c'est obtenir des renseignements de la collectivité. Il est très difficile d'obtenir des renseignements ces temps-ci. La confidentialité des renseignements personnels est bien protégée — comme il se doit — mais il nous serait utile d'obtenir, par exemple, des renseignements sur les adresses courriel et les numéros de téléphone. Le monde est en pleine évolution, tout comme les menaces dont nous discutons et les technologies, que nous devons toujours maîtriser.
Ce n'est pas la première fois que vous entendez cette plainte, mais je crois que nous devons discuter de la possibilité d'abaisser les seuils en ce qui concerne l'obtention de renseignements quand on soupçonne qu'une infraction a été ou est sur le point d'être commise, ou qu'une personne est complice d'une infraction.
Le président : Monsieur le commissaire, merci de nous avoir donné de votre temps. Nous estimons que ce sujet est tellement important pour les Canadiens qu'on se doit de prendre le temps nécessaire pour l'étudier.
Merci à vous et à vos collègues d'être venus. Évidemment, vous connaissez déjà le travail qu'accomplit ce comité, et je suis certain que vous allez revenir témoigner. Merci du travail que vous faites.
Nous poursuivons notre étude sur les menaces terroristes qui planent sur le Canada, et nous sommes heureux d'accueillir M. Michael Peirce, directeur adjoint du renseignement, SCRS. Je m'excuse de notre retard. Nous devions commencer à 14 heures, mais à cause des événements récents, vous comprendrez pourquoi nous avons pris plus de temps tout à l'heure. Merci d'avoir trouvé un moment dans votre horaire pour être avec nous aujourd'hui. Je crois que vous avez des remarques liminaires.
Michael Peirce, directeur adjoint du renseignement, Service canadien du renseignement de sécurité : Honorables sénateurs, bonjour. Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui pour discuter de la menace terroriste qui pèse sur le Canada. En premier lieu, monsieur le président, au nom de tous les employés du Service canadien du renseignement de sécurité, je tiens à rendre hommage à l'adjudant Vincent et au caporal Cirillo et à présenter mes condoléances à leurs familles, à leurs amis et à leurs collègues des Forces armées canadiennes. Je peux assurer aux Canadiens que même si nous avons été nous aussi profondément touchés par les événements, nous demeurons résolus à les protéger, eux, ainsi que la sécurité du Canada.
Monsieur le président, le public canadien reconnaît malheureusement trop bien que la menace que représentent les individus radicalisés, qu'ils soient inspirés par l'État islamique en Irak et au Levant, que j'appellerais dorénavant l'EIIL, par Al-Qaïda ou par d'autres qui sévissent dans les médias sociaux, et, comme l'a dit notre directeur récemment, n'est que trop réelle. Je ne parlerai pas précisément des événements récents, car il est pour nous beaucoup trop tôt pour le faire, mais je tâcherai d'aborder certaines des questions qui ont été soulevées suite à ces incidents.
Honorables sénateurs, vous avez récemment écouté le témoignage de Jeff Yaworski, sous-directeur aux opérations, qui est aussi responsable pour les activités de collecte de renseignements d'origine humaine du service. En tant que directeur adjoint au renseignement, je suis responsable de la production et de la dissémination des évaluations du renseignement.
La fonction d'évaluation du renseignement du service fait partie intégrante de la réalisation de nos enquêtes. De fait, notre travail analytique s'intègre de plus en plus à la collecte et aux opérations. Mes analystes misent sur les renseignements glanés des opérations du service, et soutiennent directement à leur tour ces mêmes opérations. Ces fonctions essentielles du service se renforcent l'une l'autre.
Nos évaluations sont aussi stratégiques et tournées vers l'extérieur. Elles permettent au gouvernement de mieux comprendre tant la nature que la portée des menaces, et elles aident les dirigeants à mener les efforts nécessaires pour les contrecarrer. Elles soutiennent les mandats de nos partenaires au pays et à l'étranger, et identifient des lacunes et des questions émergentes au niveau du programme de la sécurité nationale.
Les évaluations des menaces classifiées du SCRS sont partagées avec les partenaires tels que la Gendarmerie royale du Canada, l'Agence des services frontaliers du Canada, le Centre de la sécurité des télécommunications, Citoyenneté et Immigration Canada, la Sécurité publique et d'autres ministères et agences. La distribution en temps opportun de ces évaluations est essentielle puisqu'elle améliore la connaissance ou la situation de nos partenaires et leur permet de planifier une réponse aux nouvelles tendances et aux nouveaux développements. Soyons clairs, tout ceci s'ajoute à la collaboration opérationnelle entre le service et ses partenaires provinciaux, fédéraux et à l'étranger. Il me faut ici aussi discuter du Centre intégré d'évaluation du terrorisme, ou le CIET. Le SCRS abrite cette ressource communautaire — et par « communautaire », j'entends la communauté de la Sécurité nationale — qui assure la production d'évaluations globales, intégrées et opportunes des menaces pour tous les niveaux de gouvernement endossant des responsabilités liées à la sécurité, pour les premiers répondants, tels les services policiers, et dans les cas appropriés, pour des partenaires dans le secteur privé qui assurent l'infrastructure critique. Les évaluations de toutes sources du CIET sont elles aussi partagées, afin que l'on puisse mettre en place des mesures pour prévenir et atténuer les menaces.
Bien que mes analystes produisent des évaluations au sujet de toutes les menaces à la sécurité du Canada — cybercriminalité, contre-espionnage, contre-prolifération — comme il faudrait s'y attendre, le terrorisme, y compris la radicalisation et les déplacements des individus, demeurent notre priorité. Notre connaissance de la situation évolue, mais jusqu'ici le SCRS a déterminé que les individus radicalisés au Canada proviennent de contextes sociaux et de groupes d'âge divers, sont plutôt scolarisés, et ne sont pas en général issus de la pauvreté. Je souligne la chose pour faire contraste en particulier avec le profil des Européens radicalisés. Ici, ces individus à tout le moins paraissent s'intégrer à la société. Du reste, nous continuerons à étudier si ces caractéristiques s'appliquent tout autant aux acteurs solitaires.
Tout comme le service a priorisé les opérations, notre direction générale des évaluations a aussi déployé toutes les ressources disponibles, et continue de travailler diligemment avec nos partenaires au pays et à l'étranger pour mettre à profit tous les renseignements disponibles au sujet de cette menace terroriste. Nous agissons de cette manière car, comme il a été dit, un seul ensemble de caractéristiques ou de comportements extrémistes n'existe pas. Nous n'avons pas de profil unique qui nous permettrait de dire : « Voilà! Dès qu'on trouve l'individu ou une organisation qui colle à ça, on les cible dans nos enquêtes. » Il s'agit plutôt de reconnaître que la menace posée par les individus radicalisés est amorphe et pourrait prendre forme rapidement. Pour toutes ces raisons, le terrorisme demeure une menace tactique continue auquel le Canada et ses intérêts sont confrontés.
Un élément qui revient dans le discours extrémiste est l'idée que l'Occident est en guerre contre l'islam. Ce discours continue d'avoir une profonde influence. Nous sommes préoccupés par l'émergence de nouveaux groupes, plus violents et plus radicaux, tels l'EIIL, car il est évident que leurs idéologies violentes et extrémistes résonnent, malheureusement, auprès de certains individus au Canada.
L'Internet et les médias sociaux jouent un rôle grandissant dans la radicalisation des individus, dans l'incitation à la violence et l'organisation des activités liées à la menace, que ce soit la levée de fonds, le recrutement, l'entraînement ou la planification. Nous avons aussi constaté qu'autant les extrémistes que leurs réseaux sont résilients, savent s'adapter et saisir les occasions qui se présentent. J'assure les honorables membres de ce comité, ainsi que tous les Canadiens et les Canadiennes, que le SCRS déploie tous les efforts pour identifier les terroristes et leurs activités, évaluer la menace et échanger des renseignements avec nos partenaires.
Il est important d'insister ici que le SCRS n'est pas une force policière. Nous n'avons pas le mandat d'arrêter, de détenir, de révoquer un statut ou d'empêcher un déplacement. Par contre, nous soutenons nos partenaires qui, eux, ont ces pouvoirs, pour administrer et faire appliquer la loi au Canada.
Le « quoi » et le « comment » de nos activités doivent demeurer secrets pour ne pas mettre en péril notre capacité d'enquêter sur la menace à la sécurité du Canada, mais nos conseils et nos évaluations permettent à nos partenaires d'agir là où il faut conformément à leurs mandats.
Pour ce qui est de nos propres pouvoirs, un sujet d'actualité très chaud dernièrement, je vous demanderais respectueusement que les mesures proposées récemment par le gouvernement et qui seront déposées bientôt — très bientôt — fassent l'objet d'une comparution future. D'abord pour respecter le processus parlementaire et ensuite pour permettre aux sénateurs de se pencher sur les modifications proposées. Je conclus ici mes remarques pour vous donner l'occasion de poser des questions.
Le président : Merci, monsieur Peirce. Nous vous remercions pour votre comparution aujourd'hui, et nous nous excusons de nouveau pour le retard avec lequel nous avons entamé la réunion.
Pourriez-vous nous parler quelques minutes au sujet de l'ampleur de la menace qui guette les Canadiens et Canadiennes? C'est en partie la raison d'être de cette étude, soit de cerner cette menace et d'émettre des recommandations quant à la réponse face à cette menace et peut-être des pistes de solution pour certains problèmes. Voulez-vous élaborer un peu sur vos propos?
M. Peirce : Pour commencer, comme le directeur et le sous-directeur aux opérations l'ont dit récemment, la menace est bien réelle au Canada. C'est une menace tactique et persistante. La portée de celle-ci est grandement affectée par cette question des déplacements, des combattants étrangers autrement dit. Vous avez sûrement entendu plein de témoignages au sujet de ces 230, 135, 140 Canadiens liés à l'activité extrémiste qui ont voyagé à l'étranger. Il y a approximativement — et je dis « approximativement » parce que ce nombre change sans cesse, et d'ici 10 minutes il pourrait changer suite à un nouveau développement — il y a approximativement 80 individus qui sont revenus au pays. C'est un nombre important, beaucoup plus important que ceux que nous avions constatés à la fin des années 1990 et le début des années 2000, quand des individus voyageaient dans la région de l'Afghanistan et du Pakistan. Ces individus sont revenus au Canada et, en conséquence, il nous a fallu travailler pendant 20 ans sur le contre-terrorisme. Le nombre est beaucoup plus important aujourd'hui. Je pense aussi que la nature de la menace est différente. Les possibilités de communication offertes par les médias sociaux ont changé la donne. La menace est plus diffuse et peut changer du tout au tout. C'est un défi de taille pour nous, et qui accentue la menace.
On a beaucoup insisté sur les chiffres, les 130 à 140 suspects, y compris les 80 personnes qui seraient rentrées au pays. Nous devons faire attention de ne pas nous laisser distraire par les chiffres. En plus de la question des individus qui se déplacent, il y a également des enquêtes en cours relativement aux menaces terroristes au Canada, c'est-à-dire des individus qui n'ont pas nécessairement l'intention de voyager. C'est un aspect dont il faut tenir compte également. De plus, s'agissant des chiffres, il faut toujours qu'une définition soit rattachée à un chiffre précis, sans compter la possibilité d'analyser les définitions différemment. Cela donne une idée du volume de la menace, mais nous ne devrions pas trop nous concentrer sur les chiffres en soi. La nature de la menace terroriste s'est accrue; la menace est bel et bien réelle.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Pierce. La semaine dernière, M. Yaworski a brossé un tableau plutôt sombre, mais il a déclaré que les Canadiens sont en sécurité. Aujourd'hui, les Canadiens se sentent probablement en sécurité en général, mais peut-être un peu moins par rapport à avant lundi dernier. Que faites-vous ou envisagez-vous de faire aujourd'hui que vous ne faisiez pas il y a une semaine depuis hier? Avez-vous amélioré ou modifié votre façon de faire après avoir compris les menaces qui se sont matérialisées la semaine dernière à deux reprises?
M. Peirce : La première chose que nous avons faite, et je crois qu'il s'agit d'une réaction naturelle, c'est de s'assurer de n'avoir rien manqué dans le cadre de nos activités. Par conséquent, cela signifie que tout le monde revoie le plus soigneusement possible ces dossiers. Nous avons travaillé sans relâche pour nous assurer qu'il n'y ait pas d'élément qui aurait échappé à notre attention.
Nous avons consacré tant nos ressources opérationnelles que d'évaluation à cette tâche pour tout couvrir, tant à titre de réaction immédiate que d'activité permanente. Il faut admettre que la nature même de notre organisation nous force à nous montrer agiles. Nous devons être en mesure de réagir à des menaces changeantes. Nous avons constaté une hausse du nombre de menaces dans un certain nombre de domaines, par conséquent nous devons réagir à des menaces autres que le terrorisme également.
Le sénateur Mitchell : Vous avez employé ce mot dans le contexte de l'État islamique et de la possibilité que cela interpelle certaines personnes au Canada. J'aimerais que vous nous aidiez à comprendre ce que vous entendez par interpeler. Y aurait-il un effort précis et coordonné de la part de l'État islamique pour envoyer des agents ou des recruteurs dans un pays comme le Canada en vue de fomenter une attaque coordonnée? Ou est-ce plutôt attribuable à une présence sur l'Internet et dans les médias d'information, ou est-ce simplement que leurs activités attisent l'imagination de personnes vulnérables à la radicalisation ou souffrant d'autres problèmes?
M. Peirce : L'État islamique concentre d'abord et avant tout ses activités dans la zone où ils guerroient. Ceci étant dit, l'Internet est un outil de recrutement très efficace et en fait le principal outil de recrutement et de radicalisation. C'est l'une des différences que nous constatons, par rapport à la fin des années 1990 et début 2000, où des individus se rendaient en Afghanistan ou au Pakistan pour s'entraîner avant de rentrer au Canada pour en radicaliser d'autres. Ils étaient relativement peu nombreux, comme je l'ai dit, par conséquent le message était mieux circonscrit. Or, de nos jours c'est partout sur l'Internet. Vous n'avez qu'à aller sur YouTube pour voir des choses que vous ne devriez pas regarder trop longtemps, à vrai dire. C'est un aspect dont il faut sérieusement tenir compte.
De plus, étant donné qu'il y a un certain nombre de Canadiens — environ une cinquantaine dans la région de la Syrie et de l'Irak — qui y ont voyagé et sont revenus, ils emportent avec eux la capacité de radicaliser d'autres personnes. Lorsqu'ils rentrent au Canada, en particulier, ces individus jouissent d'une très grande crédibilité dans le milieu. À leur retour, ils sont considérés comme des jeunes « cools ». Les jeunes veulent les écouter et cela a des répercussions. Ce contact peut avoir lieu à partir de la Syrie et de l'Irak. Ils peuvent gérer un site web et envoyer des messages sur Twitter à partir de la Syrie et de l'Irak qui auront des conséquences, mais en personne, c'est encore plus impressionnant.
La question ne consiste pas à déterminer si l'EIIL planifie une attaque. Nous n'avons pas de preuve que celui-ci planifie une attaque bien définie contre le Canada. Ce que nous savons c'est qu'il y a des individus qui sont radicalisés et qui sont encouragés à agir.
Cette activité ne date pas d'hier. Sous Al-Qaïda dans la péninsule arabique, il y avait un magazine intitulé Inspire. Vous en aviez peut-être entendu parler. On y encourageait les loups solitaires à perpétrer des attaques comme l'EIIL le fait. Ce qu'il y a de différent, c'est que ces attaques sont perpétrées au Canada maintenant.
Le sénateur White : Je vous remercie d'être venu aujourd'hui, monsieur.
J'aimerais aborder la question des renseignements qui ont été rendus publics il y a quelques semaines de cela au sujet des centrales nucléaires. D'après ce que je comprends, c'est la Commission canadienne de sûreté nucléaire qui a avisé les centrales nucléaires d'avertir les habitants d'une certaine zone avoisinante de se faire prescrire des comprimés d'iode. J'essaie de comprendre si cet avertissement provenait en fait du SCRS et si c'est le cas, pourquoi n'y a-t-il pas eu de discussion élargie à ce sujet? Je sais que pour ce qui est des centrales de Darlington et de Pickering, la police n'a pas participé à aucune discussion au sujet d'une menace possible, que l'avertissement émane du SCRS ou non.
M. Pierce : Cette évaluation des menaces provient du SCRS en fonction de divers niveaux et de différentes façons. Nous partageons ces renseignements avec nos partenaires gouvernementaux. Nous n'avons pas le mandat d'aviser le secteur privé à proprement parler. Pour ce qui est de la menace de la centrale Darlington, je ne crois pas que l'avertissement a été émis sur le conseil direct du SCRS.
Nous offrons des conseils, comme je l'ai dit, au gouvernement du Canada, et il se peut que le conseil ait été transmis.
Le sénateur White : J'avais l'habitude de rencontrer fréquemment des représentants de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, et cet organisme reçoit régulièrement des renseignements du SCRS. Ma question porte sur les services de police locaux, soit le service de police régional de Durham, qui compte 1 300 membres, et du fait que personne n'ait reçu d'avis concernant cette menace. Cela me préoccupe. Les organismes de police locaux sont ceux qui interviennent à la suite d'un appel à l'aide, comme nous l'avons constaté la semaine dernière, du moins ici sur la Colline du Parlement et aux alentours. Envisagez-vous de communiquer ces renseignements plus largement avec les services policiers qui répondront aux appels à l'aide plutôt que d'entendre parler de ces avertissements sur Radio-Canada comme cela a été le cas?
M. Peirce : Je ne peux me prononcer précisément sur cette situation, mais je puis affirmer que le CIEM, le Centre intégré d'évaluation des menaces, ne transmet pas d'évaluation de menace aux premiers intervenants, y compris la police. En général, je m'attendrais à ce qu'un conseil portant sur la centrale de Darlington soit également transmis au service de police local.
La sénatrice Stewart-Olsen : Toujours au sujet des avertissements relativement aux évaluations de la menace, le CIEM à l'origine a été créé à titre de service fournissant un ensemble d'avertissements relativement aux menaces à toute une gamme de clients, dont certains effectuent un travail non classifié. Pouvez-vous nous expliquer en gros quelle est la différence entre le travail classifié et le travail non classifié? Combien de clients entreraient dans la catégorie des opérations non classifiées?
M. Peirce : Je ne sais pas vraiment quel nombre de clients serait considéré comme menant des activités non classifiées. La majorité des particuliers ou organisations qui reçoivent du renseignement du CIEM ou du SCRS le reçoivent à un niveau classifié.
La façon dont ils gardent le renseignement pose parfois problème. Ils peuvent ne pas disposer des installations sécurisées pour y conserver des renseignements, par conséquent il se peut que cela soit envoyé sous format papier et non classifié. Le message sur la menace sera le même, qu'il s'agisse d'un document classifié ou non. La différence se constate dans le volume de détails fournis.
Par exemple, si vous fournissez un conseil sur une menace non classifiée, vous devrez cacher vos sources pour les protéger.
La sénatrice Stewart Olsen : J'aimerais poursuivre dans la même veine. Vous avez fait référence à une clientèle. Avez-vous des clients, outre les organismes du gouvernement fédéral et quelques organismes d'application de la loi précis? En quoi consiste votre clientèle?
M. Peirce : Pour le SCRS, formellement et officiellement, notre mandat consiste à aviser le gouvernement du Canada. Nous partageons des renseignements avec des partenaires étrangers par exemple avec l'intention de s'assurer qu'ils soient informés et qu'ils puissent aider à protéger les intérêts canadiens. Manifestement, il est dans notre intérêt qu'ils soient suffisamment informés. Nous communiquons également des renseignements pour en obtenir d'autres. Nous avons besoin d'obtenir des renseignements, et parfois, pour ce faire nous devons en donner. Il y a donc un échange.
Le CIEM a un mandat plus large lorsqu'il s'agit de partager le résultat de ses évaluations, comme je l'ai indiqué, ses clients incluent, comme je l'ai dit, les premiers intervenants, les gouvernements provinciaux et les services de police locaux. À cet égard, sa clientèle est plus élargie que la nôtre.
La sénatrice Stewart Olsen : Essentiellement, puisque vous parlez des premiers intervenants, ce qui comprend les services d'incendie et ambulanciers, vous ne faites pas simplement référence aux organismes d'application de la loi. Le CIEM décidera lui-même des intervenants à aviser, en fonction de la menace?
M. Peirce : Absolument. Lorsque vous diffusez du renseignement, vous vous devez de déterminer qui devrait recevoir ce renseignement pour veiller à ce qu'il aboutisse entre bonnes mains.
Le sénateur Day : Le CIEM s'occupe du terrorisme intégré et vous parlez d'évaluation ou d'analyse.
M. Peirce : D'analyse.
Le sénateur Day : J'ai entendu les deux mots être employés. La description précédente portait sur un centre d'analyse de la menace. Avez-vous restreint votre activité pour des raisons financières ou simplement parce que le terrorisme est l'une des menaces qui prime par rapport aux autres d'après votre point de vue actuel?
M. Peirce : Soyons clairs, je ne suis pas le directeur du CIEM. Le centre est une organisation indépendante, mais nous collaborons très étroitement. Le mandat du CIEM a changé il y a quelques années de cela. Cette organisation vient tout juste de célébrer son 10e anniversaire. Son mandat a été modifié simplement pour mieux se concentrer sur le terrorisme. Je dois dire que c'est aligné sur la tendance que nous constatons chez nos partenaires internationaux. Les Britanniques ont le JTAC et les Américains ont le NCTC. Ces organismes se concentrent sur le terrorisme.
Le sénateur Day : Y a-t-il d'autres entités qui se concentrent sur l'évaluation de la menace au Canada ou parmi le Groupe des cinq, par exemple, il pourrait s'agir d'autres pays avec qui nous partageons beaucoup de données autres relatives à l'évaluation de la menace et où le SCRS aurait un rôle à jouer?
M. Peirce : Il y en a, mais les autres sont généralement structurés de la même façon que le SCRS, c'est-à-dire qu'ils couvrent un large éventail de menaces. Il n'y a pas nécessairement d'organisme qui vise précisément la direction de la lutte contre la prolifération.
Le sénateur Day : Par exemple les cybermenaces.
M. Peirce : Il y a différentes branches du gouvernement fédéral qui s'occupent de la cybermenace : Le Centre de la sécurité des télécommunications, le SCRS et Sécurité publique Canada.
Le sénateur Day : Où se trouve le centre d'évaluation de la menace en ce qui concerne les cybermenaces?
M. Peirce : Il n'y a pas de centre unique intégré pour cela. Nous avons tous une certaine responsabilité, mais nous travaillons en étroite collaboration et sommes vraiment intégrés sur ce point.
Le sénateur Day : Je voudrais clarifier ce que vous avez dit plus tôt au sujet d'EIIS et de l'islam international, qui suggéreraient ou encourageraient des activités de terrorisme individuelles, menées par une personne. Vous ne suggérez pas que toutes les activités terroristes impliquant une seule personne, qui commencent à être assez fréquentes ici au Canada ainsi qu'aux États-Unis, sont toutes motivées par l'idéologie plutôt que par autre chose, pour ces individus. Peut-être que ce sont des gens qui détestent les gens en uniforme parce qu'ils ont grandi avec un père pompier qui était rarement à la maison. Il pourrait y avoir toutes sortes de raisons psychologiques à l'hostilité envers les gens en uniforme et à leur détermination à faire ce qu'il faut pour les éliminer.
M. Peirce : Ce que vous signalez, sénateur, est selon moi très important. Il ne faut surtout pas sauter aux conclusions quant aux motivations. Il est en fait très difficile, comme vous le savez sans aucun doute pertinemment, de déterminer le déclencheur amenant un individu à la violence. Il convient de faire preuve de beaucoup de prudence avant de parvenir à ce type de conclusion.
Ce disant, je ne parle pas des deux événements récents. Je pense que ce n'est vraiment pas le moment pour nous de faire ceci et certainement pas non plus pour le SCRS.
Le sénateur Day : Ma question ne portait pas non plus sur les deux événements récents de façon précise.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup de votre excellent travail de renseignement.
J'ai posé une question au groupe qui vous a précédé, la GRC, et j'aimerais vous en poser une similaire.
M. Peirce : Avez-vous obtenu une bonne réponse?
La sénatrice Beyak : Oui.
M. Peirce : C'est ce que je voulais savoir.
La sénatrice Beyak : Les Canadiens sont tolérants, accueillants, ouverts d'esprit et souples. Cela fait des années, depuis 2008, que je travaille avec des groupes musulmans et des musulmans modérés au Canada et aux États-Unis. Mais les Canadiens se préoccupent du terme « islamistes radicaux ». Et la GRC a indiqué que 93 de leurs voyageurs, soit la grande majorité, étaient associés à ce dont on parle sur la scène internationale comme de l'État islamiste djihadiste radical, EIIS. Pourriez-vous me dire combien d'individus vous suivez parce qu'ils sont radicalisés et quelles sont vos préoccupations? Avez-vous les outils pour faire votre travail comme il convient?
M. Peirce : Pour répondre à la première partie de votre question, nous avons parlé du nombre de voyageurs, sans parler de quelque chose que nous nous gardons bien de révéler : le nombre de cibles d'enquêtes que nous avons. Cela reste des renseignements classifiés. Je ne m'aventurerais pas sur cette voie.
La sénatrice Beyak : C'est bien ce que je craignais.
M. Peirce : Quant aux outils dont nous disposons, cela nous amène effectivement à des événements devant se produire sous peu, soit de nouvelles mesures législatives censées être déposées. Il y aura une certaine évolution dans ce domaine, évolution qui était souhaitée, mais nous attendrons une autre occasion pour en parler.
La sénatrice Beyak : Merci beaucoup. Je pensais bien que ce serait classifié, mais je voulais quand même poser la question.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Peirce, je vais avoir quatre questions pour vous, si le président m'en donne la permission.
[Traduction]
C'est une question très brève.
Le président : Si j'ai pu le faire pour le sénateur Day, je pourrais le faire pour le sénateur Dagenais.
Le sénateur Dagenais : Je vais commencer avec deux questions.
Le sénateur Day : Moi, j'en avais une.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Peirce, merci beaucoup. La Thaïlande connaît des bouleversements politiques depuis cinq ou six ans. Pourriez-vous brosser un portrait de la situation dans ce pays à l'heure où nous nous parlons?
M. Peirce : Il y aura une suite à cela aussi?
Le sénateur Dagenais : Aimeriez-vous que je vous pose les autres questions tout de suite?
M. Peirce : Premièrement, je ne voudrais pas m'avancer à propos d'un autre pays, et leur propre situation. Nous savons, bien sûr, qu'ils ont eu un passé difficile, et nous avons remarqué qu'il y a eu du progrès à certains égards.
En ce qui a trait à la Thaïlande, la menace n'a certainement pas été éliminée, et ça continue à nous préoccuper. Je n'oserais pas dire plus que cela, comme je l'ai dit.
Le sénateur Dagenais : Quelles sont les perspectives d'une solution stable?
M. Peirce : Je vous dirais, avec prudence, ceci : je suis optimiste quant au progrès qui a été réalisé.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup. Je poserai mes autres questions au deuxième tour.
Le sénateur Kenny : Pourriez-vous nous dire, aux fins du compte-rendu, quels sont vos produits et pourquoi ils sont utiles? Je pense que les Canadiens savent que vous ne pouvez pas prédire l'avenir, et que vous préférez nous fournir le contexte et des choix.
Pourriez-vous prendre quelques minutes pour dire au comité quels sont vos produits, pourquoi ils sont utiles et qui les utilise? Je vais vous poser ensuite une question sur la réaffectation des ressources.
M. Peirce : Excellent. Laissez-moi commencer avec nos produits. Notre direction générale, qui est celle du renseignement, a deux principales sortes de produits. D'abord il y a l'évaluation des renseignements. Nous recueillons des renseignements auprès de sources multiples et nous les évaluons. C'est nous qui les recueillons, mais les renseignements peuvent provenir aussi bien d'agences étrangères que de sources ouvertes, et nous les évaluons, afin d'obtenir un portrait d'une menace en évolution.
Comme vous l'avez dit, nous ne faisons pas de prédictions — la prédiction est un exercice dangereux —, mais nous essayons de trouver des signes. « Si ceci se passe, c'est une source d'inquiétude. » Lorsqu'il s'agit de renseignements opérationnels, nous parlons du « fil » : « Lorsque cet événement-ci a lieu, vous devez maintenant vous attendre à la menace suivante. »
Voilà pour les renseignements évalués. Nous fournissons aussi des renseignements bruts. Le SCRS prépare des milliers de rapports de renseignements bruts, et ces renseignements sont présentés en contexte. Nous indiquons des sources pour que la fiabilité des renseignements soit mise en contexte. Nous fournissons ces rapports aux ministères et agences du gouvernement, ainsi qu'à nos partenaires étrangers, si cela est indiqué.
Les renseignements évalués peuvent être utilisés pour toutes sortes de choses, pour aider les décideurs, y compris les responsables de politiques au sein du gouvernement du Canada, jusqu'au plus haut niveau, lorsqu'il s'agit de menaces éventuelles. Les renseignements évalués peuvent aussi être utilisés pour nos gens qui travaillent au niveau opérationnel. Comme je l'ai dit, on peut leur dire, par exemple, voici cinq indices qu'un terroriste s'apprête à se déplacer, et si vous voyez ces indices, vous devriez vous attendre à ce que votre cible se prépare à partir; c'est un exemple de renseignement évalué.
Nous ne fournissons pas des renseignements bruts, par contre, pour les fins de décisions politiques. Nous ne voulons pas que les décideurs prennent un renseignement brut et fondent une décision là-dessus. Nous voulons nous assurer qu'ils sont bien renseignés, et ensuite, ils peuvent revenir nous voir et nous demander de procéder à une évaluation des renseignements si c'est quelque chose qui est pertinent pour eux. Un renseignement brut, tout seul, peut être un peu dangereux, donc il faut faire attention. Nous en parlons à nos clients de façon régulière. Nous envoyons ces renseignements, comme je l'ai dit, à nos ministères et agences gouvernementaux. Ils peuvent ainsi être au courant de menaces en évolution et ils peuvent revenir nous voir et nous demander de procéder à une évaluation des renseignements.
Le sénateur Kenny : Comment savez-vous si ce que vous produisez est bon? Dans quelle mesure en produisez-vous en fonction de la demande? Quelqu'un vous dit : « J'ai besoin de renseignements sur quelque chose », ou « J'ai besoin de plus de renseignements sur quelque chose. ». Quelle quantité est produite par vous ou offerte par vous : « Écoutez, il vous faut porter attention puisque ceci pourrait vous toucher »?
M. Peirce : J'estime que c'est un cycle, ce n'est ni l'une ni l'autre de ces situations. La collecte de renseignements et sa diffusion tiennent compte des priorités établies par le gouvernement du Canada. Elles sont de haut niveau, mais elles sont établies par le gouvernement du Canada et nous servent de guide. Par la suite, en tant qu'organisation, nous prenons ces directives de haut niveau et nous les subdivisons pour combler les besoins en matière de renseignement. J'oublie le total à l'heure actuelle. Nous avons des besoins très précis, très détaillés en matière de renseignements pour environ 80 éléments. « Amasser le renseignement relativement à ces éléments ». Ainsi, nous fournissons des renseignements bruts colligés et, comme je le disais, des évaluations en fonction des priorités.
Nous renseignons le gouvernement concernant les menaces afin qu'il puisse prendre des décisions et établir des priorités de façon plus éclairée. C'est un processus cyclique. Nous vous donnons ces renseignements. Nous vous donnons ensuite plus de détails sur le contexte et, à votre tour, vous nous dites ce que vous souhaitez savoir.
Nous devons toujours être conscients du fait qu'il est possible que nous colligions des renseignements qui n'ont pas été demandés expressément. Nous nous assurons d'avoir une marge de manœuvre afin de pouvoir signaler les enjeux émergents et obtenir des réactions. Nous avons un mécanisme de rétroaction efficace pour y arriver.
Le sénateur Kenny : Comment évaluez-vous le travail que vous réalisez? Qui vous évalue?
M. Peirce : Nos clients nous font parvenir une rétroaction. Nous sollicitons activement leurs commentaires. Lorsque nous envoyons un rapport de renseignements, il est toujours accompagné d'une demande de commentaires et nous compilons ceux que nous recevons. Nous sommes en train d'élaborer un mécanisme de rétroaction plus efficace.
Lorsque nous sollicitons de la rétroaction, parfois nous recevons seulement les deux opinions extrêmes : ceux qui nous aiment beaucoup et ceux qui ne nous aiment pas du tout. Nous voulons nous assurer d'avoir une rétroaction globale pour ainsi élaborer un mécanisme plus efficace.
Le président : J'aimerais revenir à ce que fait votre organisation. Vous avez parlé de 80 cibles?
M. Peirce : Oui, 80 personnes qui sont revenues au pays, je crois. Ce sont des personnes qui sont revenues au Canada suite à un voyage à l'étranger pour des croyances extrémistes.
Le président : C'est une autre agence qui vous donne les renseignements sur ces personnes, n'est-ce pas? Ce n'est pas vous qui allez les repérer.
M. Peirce : Nous sommes assurément aux premières lignes lorsqu'il s'agit de repérer ces individus. Grâce à l'aide d'une variété de sources, y compris l'Agence des services frontaliers du Canada qui nous communique des renseignements. Nous sommes assurément aux premières lignes lorsqu'il s'agit de repérer des individus. Ce sont des personnes qui sont parties du Canada...
Le président : Je connais le SCRS; je songeais plutôt à ses responsabilités.
M. Peirce : Je suis le SCRS.
Le président : Vous êtes le SCRS?
M. Peirce : J'ai un supérieur.
Le président : Je crois que c'est un peu plus clair. J'aimerais en savoir davantage sur le financement du terrorisme, car nous n'avons pas abordé la question jusqu'à maintenant.
J'ai deux questions : de quelle façon l'apologie et le financement de terroristes contribuent et augmentent la radicalisation au Canada? Quelle est l'importance de la question du financement du terrorisme au Canada et où a lieu ce financement s'il y a lieu?
M. Peirce : Il existe au moins deux catégories de financement. Tout d'abord, le financement pour les particuliers au Canada. Quelqu'un qui, par exemple, voudrait voyager pour prendre part au djihad. Ce sont de petites sommes d'argent, mais qui sont très importantes du point de vue opérationnel.
Comme vous vous en doutez, si nous constatons de l'argent qui est envoyé à un particulier, cela peut nous indiquer que cette personne recueille des fonds lui permettant de se rendre à l'étranger, si c'est quelqu'un qui est dans notre ligne de mire. Ainsi le suivi de ce genre de financement est très important.
Il existe du financement provenant du Canada qui est envoyé à des organisations terroristes et cette catégorie de financement dépend grandement du genre d'organisation terroriste. Si nous prenons l'EIIL, cette organisation terroriste contrôle un territoire considérable. Elle a la mainmise sur des institutions financières et du pétrole en Irak. Par conséquent, c'est une organisation terroriste très bien financée.
Nous voyons d'autres organisations terroristes telles qu'Al-Qaïda dans le Maghreb islamique qui prennent régulièrement des gens en otage pour recueillir des fonds pour ses opérations. Nous voyons également des sommes moins importantes qui proviennent du Canada pour des organisations comme al Shabaab, qui est présente en Somalie et au Kenya en particulier. Nous surveillons l'envoi de fonds là-bas. Il existe différentes catégories de financement et chacune d'entre elles nous préoccupe beaucoup.
Le président : Il est impossible de faire quoi que ce soit sans argent, et ce, peu importe où vous êtes. Nous nous concentrons toutefois sur ce qui se fait au Canada, le lieu et la quantité d'argent amassés. Vous avez manifestement cerné certaines sources de ce financement?
M. Peirce : Oui.
Le président : Pourriez-vous nous dire exactement ce dont il s'agit et quelle est la quantité d'argent en jeu?
M. Peirce : En ce qui concerne les sources de financement, elles sont évidemment variées. Il y a des organisations et des individus qui tentent de se dissimuler sous le voile d'objectifs différents, soi-disant pour recueillir des fonds à des fins humanitaires pour la Syrie et l'Irak. Nous constatons qu'ils sont en fait en train d'acheminer de l'argent à une organisation terroriste.
Nous avons constaté un phénomène récent, le financement participatif. L'Internet a permis à des gens d'afficher un message public pour demander des fonds. L'objectif de la cueillette de fonds n'est pas nécessairement expliqué. Encore une fois, ils le font parfois sous le couvert d'aide humanitaire par le biais de financement participatif. « J'aimerais offrir de l'aide humanitaire à la Somalie, veuillez envoyer des fonds », alors ils établissent un site web et recueillent des fonds. C'est un phénomène Internet très troublant. Certaines organisations futées essaient de recueillir des fonds directement associés à une organisation terroriste. Nous avons une grande préoccupation lorsqu'il s'agit de cueillettes de fonds pour le Hezbollah au Canada par exemple.
Le président : Revenons en arrière, quelle est la quantité d'argent dont il s'agit dans ce contexte? S'agit-il de dizaines de milliers, de centaines de milliers ou de millions de dollars? De quoi s'agit-il selon vous?
M. Peirce : Je ne peux pas vous dire quelle est la quantité totale et j'hésite à entrer dans les détails relativement à des organisations précises. Lorsqu'il s'agit de particuliers par exemple, ceux qui recueillent des fonds à des fins terroristes au Canada, ces sommes sont relativement modestes, soit jusqu'à concurrence de 10 000 $. Ce sont approximativement les sommes que nous voyons pour des particuliers qui désirent se rendre à l'étranger. Lorsqu'il s'agit d'organisations, vous êtes dans les six chiffres.
Le président : Portons-nous des accusations?
M. Peirce : D'abord, je dois dire que cela ne me regarde pas. Nous offrons les conseils et nous savons que le CANAFE en offre également, et il incombe à la GRC ou aux autorités de porter des accusations.
Le président : Nous allons assurément faire un suivi là-dessus.
M. Peirce : C'est assez difficile toutefois, parce qu'il y a la collecte de fonds, mais tant que les fonds ne sont pas utilisés, il est très difficile de poursuivre uniquement parce qu'il y a eu collecte de fonds. C'est très bien caché. « Je voudrais aller étudier dans une madrasa au Yémen. » Très bien, d'emblée, voilà la raison pour laquelle vous faites cette collecte de fonds, ainsi j'aurais beaucoup de difficultés en fonction des renseignements de sécurité obtenus à vous poursuivre pour cette raison.
La sénatrice Beyak : Encore une fois, merci. Pouvez-vous me dire, je vais reformuler ma question, non pas le nombre que vous avez à l'œil, mais le nombre réel au Canada. Donnez-moi un ordre de grandeur. Quelle est l'ampleur de la menace? Combien de particuliers sont radicalisés et suivent les préceptes d'un islam radical? Avez-vous les fonds pour enquêter sur les mosquées et les imams qui incitent à la haine envers le Canada?
M. Peirce : Pour ce qui est du nombre, encore une fois, je serai très prudent, de sorte que je ne vous présenterai pas un nombre lié aux particuliers. Bien sûr, pour ce qui est de la question des ressources, je pense que vous avez entendu de nombreux témoignages aujourd'hui sur l'importance de l'établissement des priorités en matière de ressources. Nous travaillons dans le cadre des ressources à notre disposition. Nous modifions nos priorités. Nous avons toujours modifié nos priorités ainsi que nos ressources en conséquence, et à l'heure actuelle, nous avons encore une fois entamé le processus de transfert des ressources en réponse à la menace terroriste.
La sénatrice Beyak : Merci.
Le sénateur Day : J'ai une demande de définition. Vous avez parlé des dangers liés à la communication de renseignements bruts. J'ai toujours pensé que les renseignements étaient constitués de faits ou d'information ayant été réunis et examinés à la lumière de critères qui diffèrent des informations brutes. Utilisez-vous le terme « renseignement brut » pour signifier tout simplement les faits bruts?
M. Peirce : Je vais vous donner des exemples concrets de renseignements bruts. Ces renseignements bruts peuvent découler du fait que nous ayons parlé à une source humaine. Cette source affirme que la personne X est intéressée à faire telle chose, et disons qu'il s'agit d'une activité terroriste. Cette source humaine peut nous dire qu'un certain pays est intéressé à la collecte de renseignements dans un certain domaine. Voilà les renseignements de sécurité bruts, parce que, même si nous avons évalué la source — et que c'est une source de longue date, une source crédible, et que cette source a été évaluée — il s'agit tout de même d'un seul élément isolé. Il faut donc le mettre en contexte par rapport à d'autres informations pour comprendre l'ensemble de l'information et l'évaluer.
Toutefois, si nous avons obtenu cet élément de renseignements bruts et qu'il indique que le pays X cherche à obtenir telle ou telle information ou qui indique qu'un particulier songe à faire telle ou telle chose, nous voulons bien communiquer cette information, mais nous devons le faire en mentionnant qu'il ne s'agit que d'un élément. C'est pourquoi j'appelle cela des « renseignements bruts ». C'est de l'information qui n'a pas été jumelée à d'autres renseignements que nous pourrions avoir à ce sujet et dont le contexte pourrait être enrichi grâce à d'autres informations. Cela pourrait permettre de faire une évaluation. Par exemple, nous pourrions remarquer une reprise de cette information à partir de la collecte d'autres renseignements.
Le sénateur Day : Merci, c'est utile.
Serait-il utile, dans le travail que vous et vos collègues faites au SCRS, d'avoir une loi exigeant que quiconque quitte le Canada se rapporte aux autorités canadiennes afin que nous ayons un registre de tous les Canadiens qui quittent le pays?
M. Peirce : Manifestement, nous n'avons pas d'information sur les sorties, du moins à l'heure actuelle comme vous le savez.
Le sénateur Day : Oui, je comprends.
M. Pierce : Nous recueillons de l'information de diverses sources afin de couvrir cette lacune, mais il ne fait aucun doute qu'une loi qui nous permettrait d'obtenir cette information serait utile. Je ne parle pas ici de la loi en tant que telle, de la façon dont elle serait rédigée, ni s'il s'agirait d'une loi appropriée ou pas. Je ne m'ingère pas dans la sphère politique.
Le sénateur Day : Est-ce que votre nom est épelé comme cela parce que vous travaillez au SCRS et que tous ceux qui travaillent là ont un nom qui ressemble ou qui est épelé différemment afin que les gens ne puissent pas vous retrouver dans l'annuaire téléphonique?
M. Peirce : D'abord je vais vous dire ce qui suit. Ce n'est pas un nom de guerre. Deuxièmement, je connais très bien les règles de la grammaire. En anglais, on place le « i » avant le « e » sauf après un « c », ou bien lorsque les mots se prononcent « ay » comme dans le mot « neighbour » et « way ». Et il y a d'autres exceptions, dont le nom de famille « Peirce ». Malheureusement, ces exceptions comprennent également le mot « weird », de sorte que vous pouvez tirer les conclusions que vous voulez.
Le sénateur Day : On vous a déjà posé cette question.
M. Peirce : Oui.
Le sénateur Kenny : Pour poursuivre un peu dans la même veine que le sénateur Day, lorsque vous dites que vous vous tournez vers d'autres sources, s'agirait-il par exemple d'informations concernant les voyages par avion?
M. Peirce : Pas forcément ce type d'information. Il peut arriver que nous nous tournions vers l'information sur les voyages par avion. Il se peut que nous obtenions cette information parce que quelqu'un figure sur la Liste des personnes désignées, qui fait partie du Programme de protection des passagers, il se peut donc que nous obtenions cette information, mais nous puisons également de l'information de sources provenant de la collectivité. Dans certains cas, nous avons des sources techniques qui peuvent intercepter des communications et cela nous donnera une bonne indication. Nous pouvons disposer d'une source technique nous permettant d'intercepter le trafic internet de sorte que nous pouvons voir les réservations de billets faites en ligne par des individus. Cela comprend toute une gamme de sources d'information.
Le sénateur Kenny : Si nous revenons à la réaffectation des ressources, lorsque le commissaire Paulson a témoigné, il a dit qu'il pouvait réaffecter un nombre considérable d'employés qui s'occupaient notamment des crimes économiques. Un directeur du SCRS nous a déjà dit qu'environ 50 p. 100 des activités du centre mettent l'accent sur l'espionnage lié à la Chine. Cela veut-il dire que nous détournons actuellement notre attention de la Chine pour mettre l'accent sur la menace terroriste, sinon comment les ressources ont-elles été modifiées dans l'organisation?
M. Peirce : Nous avons commencé par examiner les priorités en fonction des directives du gouvernement du Canada, et nous avons rétabli nos besoins en matière de renseignements en établissant une hiérarchisation. Lorsque je parle de « hiérarchisation », voici ce qui se passe. Sur les, disons, quelque 80 besoins en matière de renseignements de sécurité, il y en a peut-être 15 ou 20 qui se situent au premier niveau. Voilà nos principales priorités. Nous recueillons donc de l'information en fonction de celles-ci.
Il y aura aussi un deuxième niveau. Il s'agit de besoins importants en matière de renseignements. Nous leur affectons des ressources, mais elles seront en moins grand nombre comparativement aux besoins du niveau 1.
Il y a aussi un troisième niveau. Ce sont des besoins pour lesquels si nous recueillons de l'information, peut-être par l'entremise de collectes secondaires, nous allons faire rapport, mais nous n'y affecterons pas forcément des ressources.
Il y a aussi un quatrième niveau. Il est constitué de mandats de surveillance pour lesquels nous ne recueillons pas activement de l'information, il s'agit uniquement de surveillance.
Nous avons récemment examiné ces niveaux pour nous demander si la répartition était encore juste et nous les avons légèrement rajustés. Nous n'avons pas supprimé d'exigences en nous disant, « l'espionnage lié à la Chine n'est plus important, supprimons cet élément, et cessons de recueillir de l'information. » Ces priorités demeurent dans notre champ de vision.
Cependant, nous avons également fait l'exercice de nous pencher sur nos enquêtes partout au pays pour voir, par exemple, si la menace sur laquelle on fait enquête est très présente dans une région. Sinon, peut-être que ces ressources n'ont pas à être utilisées dans une telle région pour cette menace, et on peut les utiliser par rapport à la menace du terrorisme.
Voilà le genre de choses que nous avons fait, en examinant activement là où nous ne sommes pas le plus efficace, et en utilisant mieux les ressources.
Le sénateur Kenny : Le comité a entendu beaucoup de choses sur la relation entre le SCRS et la GRC. Pourriez-vous nous parler du SCRS et du Centre de la sécurité des télécommunications? Quels genres de mécanismes sont en place pour vous assurer que vous fonctionnez de façon constructive et complémentaire, et pour que les ressources canadiennes soient le mieux utilisées dans ces deux organisations?
M. Peirce : Nous avons divers mécanismes qui nous aident dans ce domaine. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Centre de la sécurité et des télécommunications.
Le sénateur Kenny : Ils sont vos voisins.
M. Peirce : Oui, ce sont nos nouveaux voisins. Ils ne sont pas trop bruyants, alors cela nous convient très bien.
Premièrement, nous avons des réunions conjointes d'équipes de gestion où nos équipes de gestion discutent des dossiers. Nous déterminons les priorités et les domaines où nous pouvons améliorer notre collaboration. Comme vous pouvez l'imaginer, puisqu'ils ont déménagé à côté de nous, nous sommes très conscients des possibilités d'augmenter l'efficacité et l'efficience, comme par exemple, les domaines où nous pouvons partager nos services. Donc, il y a ces réunions conjointes des équipes de gestion.
Il y a des employés de chaque organisation prêtés à l'autre. Parfois, il faut plus que seulement savoir comment ils fonctionnent pour collaborer avec eux, mais en faisant venir de leurs employés chez nous et en envoyant de nos employés chez eux, on a une bonne collaboration et on se comprend mieux. Voilà ce que nous avons fait, et cela a été très utile pour nous.
Nous avons également examiné nos besoins en matière de renseignement, dont j'ai parlé plus tôt, qui fixent nos priorités. Nous les avons comparés afin de nous assurer d'avoir une bonne couverture — qu'il n'y a pas de lacunes importantes dans nos priorités — mais aussi pour mieux rationaliser le tout. Nous voulons comprendre ce qu'ils récoltent et ce que nous récoltons. Parfois, il y a un appui mutuel. Si on peut obtenir des renseignements sur les transmissions, cela peut nous aider avec nos sources humaines, et vice versa. Nous voulons qu'il y ait une bonne coordination afin de viser les mêmes priorités. Voilà ce que nous faisons dans ce domaine.
Le président : J'aimerais parler d'un tout autre sujet par rapport au SCRS et vos responsabilités. Plus tôt aujourd'hui, nous avons appris qu'il y a 93, 95, 90 voyageurs extrémistes; 80 sont revenus. On nous a également dit — et ne me citez pas à ce sujet; je répète cela de mémoire — qu'il y a jusqu'à 145 Canadiens, ou Canadiens qui ont une double citoyenneté, qui combattent avec diverses organisations terroristes à l'étranger. On nous a dit qu'il y a des milliers de personnes qui sont fichées à un niveau moins élevé concernant leur participation directe ou indirecte dans le mouvement terroriste.
J'aimerais entendre les commentaires du SCRS à propos des déclarations qu'il y a dans certains endroits des écoles qui préconisent peut-être des idées ou des doctrines islamistes radicales au Canada. Est-ce vrai, et est-ce que cela vous inquiète?
M. Peirce : Premièrement, un éclaircissement, parce que je ne veux pas que l'on se fasse de fausses idées. Lorsque l'on parle de personnes à l'étranger, c'est 135 ou 140 personnes, elles ne combattent pas nécessairement; elles font du travail d'appui. C'est une distinction importante parce que je ne veux pas que les Canadiens pensent qu'il y a 135 à 140 personnes qui reviendront en tant que combattants endurcis. Ce n'est pas le cas, nous ne voulons pas qu'il y ait de fausses impressions.
Pour la deuxième partie, je ne suis pas certain de ce à quoi vous faisiez référence lorsque vous parliez d'école.
Le président : Je fais référence à une certaine idéologie ou doctrine à laquelle ces personnes sont exposées. D'où viennent ces enseignements qui les radicalisent? On peut parler des événements isolés qui ont eu lieu au Québec et sur la Colline, mais au bout du compte, l'idéologie semble être le fil conducteur à la base de tout cela. Y a-t-il au Canada des enseignements mettant de l'avant ce point de vue en particulier, qui ensuite se transforme en radicalisation?
M. Peirce : Pour répondre brièvement, oui. Il y a des personnes qui défendent une vision extrémiste et radicale de l'islam, et ils le font particulièrement pour radicaliser des personnes, souvent des jeunes. Ce message a un effet, et c'est pourquoi nous voyons des gens se tourner vers une vision radicale de l'islam. De plus, il y a une prolifération énorme de la propagande extrémiste sur Internet qui est un outil de radicalisation très puissant.
Le président : J'aimerais que cela soit clair. Il y a des écoles, des salles de classe ou des endroits qui sont utilisés régulièrement pour propager ce genre de doctrine; est-ce exact?
M. Peirce : Je ne parle pas d'institution en particulier. Je parle de personnes. Il faut être très clair à ce sujet. Lorsque nous faisons enquête, nous faisons enquête sur des individus et leurs activités. Peut-être que les activités de ces individus sont liées à une certaine institution, mais l'enquête porte sur l'individu. Par exemple, nous ne faisons pas d'enquête sur des mosquées.
Le président : S'il y a une école ou une salle de classe et un professeur qui propage ce genre de doctrine et qui est fiché par votre organisation, est-ce que vous transférerez ce renseignement au gouvernement provincial ou aux autorités qui en sont responsables?
M. Peirce : Si nous avons ce genre de renseignement.
Le président : L'avez-vous fait?
M. Peirce : Je ne peux pas dire que nous l'ayons fait concernant des écoles, par exemple. Je ne peux pas totalement dire « jamais », mais je n'ai pas vu de renseignements précis sur une école indiquant que dans une des salles de classe un individu agit de telle façon. Nous ciblons des personnes.
Les personnes n'ont pas tendance à agir de façon aussi ouverte dans une institution. Elles y sont peut-être associées, mais elles vont prendre les étudiants à part et mener leurs activités dans la communauté plutôt que dans l'institution. Voilà ce que nous ciblons.
Le président : Chers collègues, il est temps de conclure. Je veux remercier nos témoins. Je pense que vous avez été très francs. Je parle au nom de mes collègues lorsque je dis que nous apprécions votre sincérité. C'est un sujet très important pour les Canadiens. Je sais que de nombreux Canadiens regardent cette discussion publique. L'une des raisons pour lesquelles nous tenons ces audiences, c'est pour que les Canadiens sachent ce que vous faites, pourquoi vous le faites et pourquoi c'est important.
M. Peirce : Merci beaucoup.
Le président : Le 19 juin 2014, le Sénat a approuvé le renvoi suivant : que le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à étudier les questions de sécurité nationale et de défense dans les relations avec la région Indo-Asie-Pacifique et leurs répercussions sur les politiques, pratiques, situations et capacités du Canada en matière de sécurité nationale et de défense; et que le comité en fasse rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2015.
Pour discuter de la région Indo-Asie-Pacifique, nous avons des représentants du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, soit David Drake, directeur général, Sécurité et renseignement; et Peter MacArthur, directeur général, Direction générale de l'Asie du Sud, du Sud-Est et de l'Océanie. Nous accueillons également un représentant de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, le contre-amiral Gilles Couturier, directeur général, Politiques de sécurité internationale. Nous vous souhaitons la bienvenue.
Je crois savoir que nous entendrons deux déclarations liminaires, une de chaque ministère.
[Français]
Peter MacArthur, directeur général, Direction générale de l'Asie du Sud et du Sud-Est et de l'Océanie, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à m'adresser à vous aujourd'hui.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de m'entretenir avec vous. Le Canada a établi près de 40 missions diplomatiques dans la région Indo-Asie-Pacifique, qui emploient près de 1 000 personnes. Le réseau diplomatique du Canada en Asie est plus solide que dans toute autre région et croît en importance.
En faisant référence au titre de l'étude du comité, je salue le choix important qui a été fait de reconnaître la place qu'occupe l'Inde en ce qui a trait à la sécurité régionale et mondiale. Maintenant dotée d'un gouvernement qui est axé sur les réformes et qui détient un vaste pouvoir démocratique, l'Inde pourrait être sur le point d'effectuer d'importantes réformes économiques susceptibles d'entraîner des répercussions mondiales. Le Canada et l'Inde valorisent tous deux la liberté, le pluralisme, le respect des droits de la personne et la primauté du droit. Nos deux pays sont des démocraties parlementaires d'inspiration britannique, qui connaissent des gouvernements majoritaires et minoritaires. Nous croyons que tous les membres de la société ont un rôle à jouer pour l'avenir.
Le dialogue est la prémisse fondamentale de notre approche à l'égard de l'Asie. Quelques-uns des meilleurs exemples de transition réussie vers la démocratie au cours de la dernière génération se trouvent en Asie, c'est-à-dire la Corée du Sud, le Japon, l'Indonésie et la Mongolie. Plus tôt cette année, nous avons été témoins d'élections importantes en Inde et en Indonésie, deux des trois pays démocratiques les plus peuplés du monde, ainsi que d'une percée de la démocratie en Afghanistan et, l'année dernière, au Pakistan. Parallèlement, lorsque le respect de la démocratie et des droits de la personne est mis à rude épreuve, comme en Thaïlande après le coup d'État, le Canada doit continuer d'exercer son influence et d'encourager un programme fondé sur des valeurs démocratiques. Les sociétés qui ne réussissent pas à mettre en place des mécanismes de freins et de contrepoids contribuent à l'instabilité.
[Traduction]
En vue de renforcer son engagement dans la région, le Canada désire se joindre à deux forums essentiels : le Sommet de l'Asie de l'Est, SAE, et la réunion élargie des ministres de la Défense de l'ANASE, ADMM+. Le SAE constituera probablement une tribune de plus en plus importante pour le dialogue en matière de sécurité, ainsi qu'en matière de politique et d'économie. L'ADMM+ est un mécanisme relativement nouveau qui fournit un cadre pour la discussion et la collaboration entre les forces armées dans la région.
Le Canada participe au Forum régional de l'ANASE, une tribune de longue date qui facilite la coopération en matière de sécurité régionale. Le Canada participe également au Dialogue du Shangri-La, une autre occasion importante de discuter de sécurité à l'échelle régionale. Le Canada tient un certain nombre de dialogues de haut niveau sur des enjeux liés à la sécurité et la défense dans la région Indo-Asie-Pacifique, notamment avec des partenaires régionaux tels que l'Inde et le Japon. En août 2014, le ministre Baird a annoncé l'octroi de 14 millions de dollars pour contribuer à traiter des enjeux d'intérêt commun en matière de sécurité en Asie du Sud-Est. Cette somme s'ajoute aux 30 millions de dollars qui ont déjà été investis au cours des dernières années.
Parmi les projets, mentionnons ceux qui visent à atténuer les menaces biologiques et nucléaires; à perturber les réseaux illicites tout en protégeant le commerce légitime; à combattre les activités de passage de clandestins; à améliorer les outils régionaux de cybersécurité; à faire progresser les partenariats public-privé et la saine réglementation financière; à promouvoir la santé et l'intervention efficace en cas de catastrophe, et enfin, à travailler avec nos partenaires de l'ANASE pour s'attaquer au phénomène des « combattants étrangers » et de la radicalisation. Nous mettons actuellement en œuvre le programme de commerce le plus ambitieux de l'histoire du Canada. Il comprend le dialogue avec le Japon et l'Inde ainsi que les négociations de libre-échange du Partenariat transpacifique.
Nous avons récemment ratifié l'Accord de libre-échange Canada-Corée du Sud et l'Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers Canada-Chine. La sécurité énergétique est un important débouché pour le Canada, car le Japon, la Corée du Sud, la Chine et l'Inde sont des importateurs d'énergie de premier plan, y compris de gaz naturel liquéfié. Les programmes et les activités de développement du Canada en Asie sont un outil concret pour contribuer à la sécurité et la prospérité sous toutes ses formes, notamment au moyen du développement économique durable. Maintenant, je vais aborder brièvement quelques domaines d'intérêt particulier.
L'océan Indien : bien que la montée de la Chine figure à l'avant-plan des réflexions géostratégiques depuis déjà quelque temps, l'Inde a ouvert la voie en tant que modèle d'économie du savoir dans la région. À titre de plus grande démocratie du monde, elle peut également compter sur les avantages qu'apportent les institutions publiques responsables et la primauté du droit.
Les relations de l'Inde, quatrième économie mondiale, avec ses voisins immédiats sont essentielles à la stabilité régionale. Soutenue par des investissements importants dans sa marine, l'Inde cherche à s'imposer comme puissance dominante dans la partie de l'océan Indien qui borde son territoire. Toutefois, l'Inde fait preuve de prudence dans son approche à l'égard des différends relatifs aux frontières maritimes à l'est de son territoire. Sa préoccupation est de maintenir l'accès aux voies commerciales en évitant de prendre parti dans les différends maritimes. Cette approche s'est avérée avantageuse pour la sécurité régionale et de nombreux commentateurs conviennent que les relations entre l'Inde et la Chine reposent sur des fondements relativement stables.
Les tensions dans la région de la mer de Chine méridionale ont atteint un nouveau paroxysme au début de l'été dernier. La souveraineté sur certaines parties de la mer de Chine méridionale est contestée par la Chine, le Brunei, la Malaisie, les Philippines et le Vietnam, ainsi que par Taïwan. Les litiges frontaliers les plus importants concernent les îles Spratly et les îles Paracel. Deux tiers du commerce mondial transite par la mer de Chine méridionale. Une intensification des différends relatifs aux frontières maritimes ou des revendications territoriales entre les pays d'Asie pourraient perturber l'économie mondiale et menacer la stabilité régionale et la prospérité mondiale.
En Asie de l'Est, la dynamique régionale a également gagné en complexité. La mer de Chine orientale est devenue un lieu explosif pour la Chine et le Japon. Les facteurs déstabilisants comme la résurgence du nationalisme ravivent les craintes. La Chine est de plus en plus déterminée à faire valoir ses intérêts, y compris en établissant une mesure d'identification de défense aérienne qui englobe en partie des îles revendiquées par le Japon. Le Japon cherche un rôle plus actif pour ses forces armées dans la défense et la collaboration avec ses alliés, bien que le pays vise à conserver des limites strictes sur son rôle.
En conclusion, on reconnaît largement que l'équilibre des pouvoirs en Asie est en train de changer. Alors que la croissance et l'intégration économique continuent, les pays de la région se voient obligés de redéfinir leurs relations. En effet, la région Indo-Asie-Pacifique est le nouveau centre des affaires internationales, et c'est dans cette région que de profonds changements économiques et stratégiques se produisent.
Contre-amiral Gilles Couturier, directeur général, Politiques de sécurité internationale, Défense nationale et les Forces armées canadiennes : Monsieur le président, sénateurs, je vous remercie de me recevoir aujourd'hui pour vous parler de la région Indo-Asie-Pacifique.
Les Canadiens vivent dans l'incertitude et, je sais que vous le comprenez, la mondialisation croissante a fait en sorte que des événements qui surviennent loin de chez nous peuvent avoir une profonde incidence sur la sécurité et les intérêts des Canadiens au pays et à l'étranger. Les événements de la semaine dernière en témoignent.
Lorsqu'il a pris la parole au dialogue de Shangri-La en 2013, Peter MacKay, qui était ministre de la Défense à l'époque, a déclaré ceci :
La sécurité de l'Asie-Pacifique fait désormais partie de la dynamique de la sécurité mondiale, peu importe le nom employé pour décrire la région...
...l'Asie-Pacifique...
...l'Indo-Pacifique...
...ou le Pan-Pacifique, comme j'aime l'appeler du point de vue d'un pays bordé par le Pacifique.
[Français]
En bref, les préoccupations et les enjeux liés à la sécurité en Asie représentent, de par leur nature même, des enjeux et des préoccupations pour la sécurité du Canada, et la participation du ministère de la Défense nationale dans cette région dynamique du monde vise à appuyer les objectifs du gouvernement canadien à l'échelle mondiale.
[Traduction]
L'environnement de la sécurité régionale dans la région indopacifique change sans arrêt, et il demeure incertain et difficile. Plusieurs litiges frontaliers de longue date, particulièrement en mer, ont accentué les tensions et risquent de mener à des conflits ouverts découlant de malentendus, d'erreurs de calcul et d'une rigidité influencés par des mouvements nationalistes.
Ainsi, lorsque les tensions ont augmenté le printemps dernier dans la mer de Chine méridionale, les lignes de communication maritimes qui alimentent notre économie ont été mises à rude épreuve. En Corée du Nord, le comportement imprévisible du dirigeant et sa quête d'armes nucléaires et de technologies d'acquisition posent une menace pour la stabilité. Enfin, la région doit faire obstacle à la piraterie, à la migration illégale, aux pressions sur les ressources et aux catastrophes naturelles.
Compte tenu de l'intérêt général que porte le gouvernement du Canada à la région indopacifique, l'équipe de la Défense nationale s'est engagée à collaborer aux activités de sécurité et de défense visant à maintenir la paix et la stabilité dans une région avec laquelle le pays est intimement lié.
[Français]
Notre principal objectif est de favoriser un environnement de sécurité stable dans lequel les litiges sont résolus selon les normes et les lois internationales. Mais une contribution à la sécurité régionale requiert la mise au point d'une stratégie exhaustive.
[Traduction]
Le Canada n'est pas seul et beaucoup de nos amis et partenaires ont les mêmes préoccupations et ont entrepris des démarches semblables. Nous échangeons de l'information avec des pays aux vues similaires — comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis —, et nous coordonnons nos interventions pour renforcer nos approches respectives.
Au pays, l'équipe de la Défense travaille activement avec ses partenaires pangouvernementaux pour explorer des approches et mettre au point des plans qui nous amèneront dans cette direction. C'est ce qui a motivé le cadre de coopération en matière de défense de l'Asie-Pacifique, qu'ont signé le ministre Nicholson et le secrétaire de la défense américaine Hagel lors du Forum sur la sécurité internationale tenu à Halifax l'automne dernier. Ce cadre établit la base d'une collaboration plus étroite entre nos deux pays tout en respectant nos intérêts nationaux respectifs.
Pour nous acquitter de ce rôle, nous prenons appui sur les promesses et les engagements déjà en œuvre. Les Forces armées canadiennes contribuent sans relâche depuis 1953 à la Commission de l'armistice des terres du commandement des Nations Unies en Corée. L'équipe de la Défense a travaillé avec ses amis et ses partenaires dans la région pour atténuer les difficultés liées à la sécurité régionale, notamment en participant à des activités de l'Armée populaire de libération de la Chine sous le thème de la « réciprocité, la modestie, la durabilité », et dans le but de les encourager à assumer le rôle de membre responsable et participatif de la collectivité mondiale.
Nous avons déployé plusieurs équipes d'intervention en cas de catastrophe, les EICC, depuis 2004, dont la première au Sri Lanka à la suite du tsunami, puis ensuite au Pakistan en 2005 à la suite du tremblement de terre et, plus récemment, aux Philippines dans la foulée du typhon Haiyan. Nous démontrons aussi notre engagement et nos capacités dans notre participation aux exercices militaires régionaux.
De fait, après les États-Unis, le Canada est le pays qui envoie le plus grand nombre de soldats à bien des exercices qui se déroulent dans la Péninsule de Corée, comme Ulchi-Freedom-Guardian, en Corée du Sud. L'été dernier, plus de 1 000 marins, soldats, aviateurs canadiens ont participé à des déploiements dans les Îles d'Hawaï et dans le sud de la Californie lors de l'exercice Ceinture du Pacifique, RIMPAC, le premier exercice maritime interarmées et combiné du monde. L'exécution de cet exercice auquel ont participé 22 pays a absolument été brillante.
De plus, le Programme d'instruction et de coopération militaire a été un précieux et indispensable outil pour la diplomatie en matière de défense, qui a renforcé la capacité régionale tandis que nous nous efforçons d'établir d'importantes relations bilatérales dans la région. Onze pays de l'Asie participent au PICM. Ainsi, au cours de la dernière année financière, plus de 150 officiers des pays participants ont bénéficié de cours de langue, ainsi que de cours de maintien de la paix et d'état-major, et de perfectionnement professionnel. Le Canada a également parrainé plusieurs colloques de grande notoriété en Indonésie par l'intermédiaire du PICM.
L'équipe de la Défense se concentre sur l'amélioration des relations bilatérales clés, tout en maintenant sa participation au Forum régional de l'ANASE et en continuant d'explorer les possibilités de contribution à la réunion élargie des ministres de la Défense de l'ANASE, pour ainsi donner une voix plus forte au Canada dans la région, comme vous l'a expliqué mon collègue des Affaires étrangères.
Le dialogue multilatéral est riche en possibilités prometteuses de travailler sur les questions liées à la défense et la sécurité, et de renforcer la coopération dans la région. Pour l'instant, nous cherchons à obtenir une coopération ciblée, en ce sens que nous contribuons là où nous estimons pouvoir ajouter de la valeur. Cela comprend les domaines dans lesquels le Canada jouit d'une solide réputation, comme le maintien de la paix, la lutte contre les engins explosifs improvisés et l'antiterrorisme, et évidemment l'aide humanitaire et les secours en cas de catastrophe.
Pour résumer, si le gouvernement veut atteindre ses objectifs et ses ambitions dans la région indo-pacifique, l'engagement en matière de défense doit demeurer une priorité dans le cadre d'un effort cohérent et exhaustif du Canada. La notion des efforts renouvelés s'adresse à un ensemble de priorités plus ciblé en vue d'obtenir des résultats dans une région où la croissance est dynamique et les enjeux liés à la sécurité sont complexes.
[Français]
Dans l'ensemble, si le Canada veut réaliser ses aspirations générales dans cette région dynamique, nous devons continuer à investir dans notre sécurité et nos relations en matière de défense à long terme. Cet investissement exige des efforts soutenus et constants.
[Traduction]
Je vous remercie de m'avoir invité à me faire entendre et c'est avec intérêt que je participerai à la discussion.
Le président : Je désire commencer par le sénateur Mitchell.
Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, messieurs. Ce sujet est intéressant et important, si ce n'est aussi urgent que le sujet précédent. Nous avons entendu votre témoignage d'aujourd'hui, et nous en avons entendu d'autres auparavant. Je constate qu'il y a deux écoles de pensée, et je n'arrive pas à déterminer pour quelle école le consensus va pencher. D'un côté, la Chine et ses environs représentent manifestement un potentiel économique et il y a un risque que nous rations cette occasion. D'un autre côté, il y a toutefois la menace militaire. Ce fait est, à mon avis, atténué par la réalité selon laquelle la Chine détient, si je ne m'abuse, de trois à quatre billions de dollars en obligations américaines, faisant en sorte qu'elle ne voudrait pas bouleverser cette économie. D'ailleurs, nous les avons inclus dans notre exercice RIMPAC cette année pour la première fois. Nous nous entraînons avec eux.
Alors voilà la question de haut niveau qui, en quelque sorte, doit être posée : avons-nous à craindre une guerre contre cette région ou avons-nous à craindre de passer à côté de possibilités économiques inhérentes au commerce avec cette région?
M. MacArthur : Monsieur le président, si vous le permettez, je vais commencer à répondre à la question. Je crois que nos relations avec la Chine et le nord de l'Asie doivent être considérées dans une perspective holistique. Cette région représente des possibilités économiques, et nous sommes déterminés à l'approcher en gardant nos yeux grands ouverts. Or, parallèlement, nous pouvons maintenir des relations, qu'il s'agisse de présenter des observations sur les violations des droits de la personne ou d'essayer de faire avancer l'Accord de promotion et de protection de l'investissement étranger, APPIE, avec la Chine, par exemple. Cet accord vient tout juste d'être ratifié et permet aux sociétés canadiennes d'investir en Chine dans un contexte plus prévisible et transparent. Je crois que ces relations stratégiques très importantes peuvent aller de pair, car elles sont multidimensionnelles. J'invite mon collègue à répondre au reste de la question en abordant le potentiel militaire de ce pays.
Cam Couturier : Comme vous l'avez dit, nous avons un engagement « militaire à militaire » avec la Chine. L'objectif consiste à échanger sur certaines de nos pratiques exemplaires et à mieux comprendre comment ils fonctionnent sur le plan militaire dans le cadre de leur propre engagement. Jusqu'à présent nous avons organisé deux collaborations de ce type. Dans les deux cas, il y a eu un échange d'idées. Les Chinois ont eu l'occasion d'étudier la façon dont nous fonctionnons. À l'une des occasions de collaboration, nous nous sommes penchés sur les ressources humaines et avons constaté qu'il y a d'énormes différences dans nos procédés. Parallèlement, nous avons eu l'occasion de connaître comment les Chinois relèvent leurs propres défis et comment ils envisagent l'avenir dans une perspective de ressources humaines. L'objectif était sans contredit d'acquérir une meilleure compréhension de leur contexte et de s'échanger quelques-unes de nos pratiques exemplaires.
L'exemple de l'exercice RIMPAC en dit long sur ce que nous croyons être l'orientation à venir. La meilleure façon de comprendre la réalité d'un pays et d'éviter l'incompréhension, c'est de collaborer. Dans un contexte maritime, le fait que nous ayons quatre navires — dont trois sont opérationnels — déployés là-bas nous donne l'occasion de voir quelle est leur réaction en mer et le commandant peut déterminer, en cas d'incident, s'il existe une façon de communiquer qui empêcherait toute erreur de compréhension. Cet objectif a été atteint grâce à l'exercice RIMPAC.
Le sénateur Mitchell : Ma prochaine question porte plus précisément sur l'aspect militaire de la division de nos ressources entre la côte Est et la côte Ouest. Je ne sais pas si vous pourrez vraiment répondre à ma question, mais la marine envisage-t-elle un redéploiement en raison de la réévaluation des priorités?
Cam Couturier : J'ai du mal à répondre au nom de l'amiral Norman. À l'heure actuelle, il n'est pas mon patron direct, mais il pourrait l'être bientôt. Nous devons donc faire attention à là où nous mettons les pieds.
Cela dit, nous en discutons régulièrement chez certains des officiers maritimes hauts gradés. Il est important de tenir compte du fait que l'endroit où nous sommes basés n'a pas vraiment d'effet sur l'endroit où nous pouvons opérer. Au cours des deux dernières années, nous avons vu des navires déployés de la côte Ouest dans des théâtres d'opération de l'OTAN, et nous pouvons tout à fait faire le contraire si nécessaire.
À l'heure actuelle, l'infrastructure est plus favorable à la division est-ouest que nous constatons en ce qui concerne les forces. Ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas procéder à un déploiement sur la côte Ouest en raison du nombre d'actifs nécessaire à Victoria. Si les besoins ou les exigences se manifestent, il est tout à fait possible de déployer des navires des deux côtes pour répondre à la demande du gouvernement en vue de procéder à un déploiement dans une région précise.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci, messieurs, d'être ici.
Étant donné que le Canada met beaucoup l'accent sur la protection des droits démocratiques des peuples, je me pose des questions au sujet de certaines préoccupations qui ont été exprimées au sujet de la démocratie et de la question de savoir si elle se porte bien dans la région. Je me demande si vous conviendrez qu'il s'agit d'une question préoccupante. Le cas échéant, devrions-nous examiner certains secteurs en particulier? Ensuite, qu'est-ce que le Canada peut faire afin de mettre l'accent sur la démocratie dans ces pays?
M. MacArthur : Très bonne question. Étant donné notre politique étrangère axée sur les valeurs, nous mettons l'accent sur la démocratie, la primauté du droit et les droits de la personne, surtout pour les femmes et les filles, par exemple. Nous en faisons la promotion grâce à notre présence diplomatique partout dans le monde. Je pense qu'en ce qui concerne la démocratie, il importe d'apporter des nuances. Il y a eu des reculs en Thaïlande après le coup d'État, qui semble avoir porté plus dur que les coups d'État précédents, moins graves, et c'est grandement préoccupant. À l'heure actuelle, les choses ne fonctionnent pas comme à l'habitude avec la Thaïlande. Vous avez lu les déclarations du ministre lors du coup d'État. Nous nous préoccupons également des droits de la personne et de la démocratie au Vietnam, par exemple.
En outre, nous avons vu des progrès en Birmanie, un pays qui s'ouvre et qui devient plus démocratique. Il devrait y avoir des élections en 2015, et nous venons d'ouvrir notre ambassade là-bas, notre première ambassade permanente. On voit une tendance marquée en ce qui concerne les élections historiques très complexes en Indonésie, en Inde et en Afghanistan, en deux tours. Ce sont de bonnes tendances. Toutefois, les élections qui ont eu lieu au Bangladesh étaient dysfonctionnelles parce que le parti d'opposition les a boycottées. Il s'agit en grande partie d'une question de gouvernance, et nous avons du financement sous forme du Fonds canadien d'initiatives locales. En plus de nos programmes de développement, il y a du financement disponible et des investissements consentis afin de favoriser de meilleures tendances démocratiques. Par exemple, dans le cas de la Birmanie, des politiciens en poste sont venus sur la Colline du Parlement pour assister à des réunions de comité, à la période des questions et au travail à la Chambre, et nous avons envoyé des parlementaires et des agents de la Chambre à Naypyidaw, la capitale de la Birmanie, pour du mentorat par les pairs. Cela vise à montrer à d'autres pays, y compris la Thaïlande, dans ce cas-ci, qui a davantage de contrôle militaire au sein du gouvernement que la Birmanie à l'heure actuelle, comment cela fonctionne. Voilà le type de changement que nous constatons.
Je pense que l'Indonésie et l'Inde sont des modèles pour les autres pays, et qu'il s'agit d'un point prioritaire de la politique étrangère. Le travail de nos ambassadeurs dans la région consiste à faire passer nos messages constamment et à rechercher les progrès, notamment grâce à des programmes de financement.
Le sénateur Stewart Olsen : Dans l'ensemble, vous êtes plus rassuré que découragé?
M. MacArthur : Dans l'ensemble, plus rassuré que découragé. Je pense que la montée d'ANASE est utile à cet égard, tout comme le fait que l'Indonésie soit un modèle en tant que pays principal et plus important de cette organisation.
Le président : Je suis convaincu que vous ne leur avez pas montré la période des questions pendant cette activité de mentorat. Je passerai maintenant au sénateur Day.
Le sénateur Day : L'ANASE parle d'une plus grande intégration politique. Y a-t-il eu des avancées sur ce plan? Les nations de l'ANASE, du point de vue militaire, ont collaboré; le Canada fait partie de ces efforts depuis un certain temps.
Pouvez-vous nous dire ce qui se passe dans ces nations du Sud-Est asiatique?
M. MacArthur : Je peux commencer à répondre, et mes collègues ajouteront ce qu'ils souhaitent. Oui, vous avez raison, sénateur; il y a une tendance pour l'intégration économique de l'ANASE 10. La date théorique qui a été fixée est la fin de 2015. La plupart des observateurs pensent qu'il faudra plus longtemps, mais il s'agit d'un bloc économique régional comptant 600 millions d'habitants, de la taille de l'Union européenne. La région est florissante, et compte certaines des économies ayant la croissance la plus rapide au monde, par exemple les Philippines et l'Indonésie. L'union politique sera impossible.
Il y a un secrétariat coordonné à Jakarta. Le ministre Baird a été le premier ministre étranger à rencontrer le secrétaire général, l'ancien ministre des Affaires étrangères vietnamien, en août dernier. Nous sommes impatients d'aider l'ANASE à atteindre ses objectifs en matière de connectivité — pas seulement du point de vue économique, mais en les aidant également directement, dans les domaines de la justice, de la politique et de la démocratie, en vue de les unir. Nous guettons leurs réussites à cet égard, mais il existe des disparités dans le développement économique de Singapour et du Laos. Du point de vue culturel, il ne s'agit pas d'un bloc uniforme; c'est fédéré. Certaines de nos capacités dans le domaine du fédéralisme pourraient intéresser les pays membres de l'ANASE comme les Philippines, par exemple à Mindanao, dans le sud.
Je laisserai à mes collègues le soin de vous parler du FRA, une institution distincte.
Cam Couturier : Nous tentons d'appuyer leur progrès, et jusqu'à maintenant, nous avons offert nos services en ce qui concerne l'aspect militaire à militaire, de même que pour assumer des fonctions bilatérales et dans le cadre d'un programme multilatéral. Pour l'instant, toutefois, l'engagement militaire est minimum.
Le sénateur Day : Il existait auparavant une bonne collaboration entre la Chine et certains des autres pays de l'Asie du Sud-Est, en particulier pour tenter de stopper les pirates près de Singapour. Singapour était en quelque sorte le point central des efforts à cet égard. Depuis les difficultés rencontrées en mer de Chine méridionale et orientale, y a-t-il coopération militaire entre la Chine et ses voisins?
Cam Couturier : Vous avez raison de dire que Singapour était au centre des efforts. Le pays coordonne encore la réponse des pays partenaires dans la région. Les Chinois font face à la lutte contre la piraterie dans la région, mais également à des difficultés concernant la piraterie dans le golfe de l'Arabie saoudite. Il continue d'y avoir des discussions et la Chine apporte toujours sa participation, mais notre évaluation du niveau de coopération qui se produit au niveau inférieur a beaucoup changé récemment.
Les Singapouriens tentent de rassembler tout le monde. Ils vont bâtir un centre d'excellence en matière d'AHSS à Singapour afin d'appuyer la lutte contre la piraterie. En centralisant tous les comités centraux, ils espèrent être en mesure de favoriser l'interaction entre tous les pays.
Le sénateur Day : Pour conclure, bon nombre de parlementaires du Sénat et de la Chambre des communes ont passé beaucoup de temps dans le groupe politique interparlementaire de l'ANASE, dont nous sommes un membre actif, et le Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique. Je vous invite vivement à ne pas oublier la diplomatie parlementaire et l'aide que représentent les députés et les sénateurs à ce chapitre.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois invités. J'ai deux courtes questions pour M. Couturier. J'aimerais revenir à la Thaïlande. Qu'a fait le gouvernement canadien pour promouvoir la stabilité dans cette région?
Cam Couturier : On le fait de deux façons. Il y a la participation à un exercice comme RIMPAC au niveau militaire — je parle d'un engagement de militaires à militaires. Au cours de cet exercice, il y a eu des discussions entre les officiers supérieurs de la région. L'officier supérieur chinois est venu, et il y avait aussi un officier japonais dans le groupe. Cet exercice nous a permis de voir, non pas du point de vue politique, car cela ne ressort pas de notre domaine, mais du point de vue militaire, la façon dont on conduit les opérations et les possibilités de mieux travailler ensemble pour atteindre les objectifs respectifs de nos gouvernements, sans faire ressortir les aspects politiques de ce travail. C'est la raison principale d'un exercice comme RIMPAC.
Le sénateur Dagenais : Vous avez répondu en partie à ma deuxième question qui visait à connaître un peu l'implication du gouvernement de la Thaïlande pour arriver à cette stabilité. Vous dites qu'un officier japonais et un officier chinois ont travaillé avec vous?
Cam Couturier : Plus spécifiquement, pour ce qui est de la Thaïlande, nous avons arrêté nos activités militaires à militaires en attendant de voir ce qui serait décidé en ce qui a trait à l'aspect politique dans la région. Nous avons un attaché qui y est déployé, mais nous avons mis en suspens nos activités à ce chapitre. Nous nous attendons à ce que, à un moment donné, il faille recommencer à s'impliquer pour continuer à mener des activités très importantes pour eux.
L'une des choses que nous faisons, du point de vue militaire, c'est d'examiner, durant les exercices que nous menons avec le PICM, les relations entre les militaires et un gouvernement civil élu. C'est une partie du développement que nous faisons avec eux. Nous percevons cet élément comme un aspect positif et une contribution tout de même assez importante.
[Traduction]
La sénatrice Beyak : Monsieur le contre-amiral Couturier, pourriez-vous donner au comité la liste complète des accords en matière de défense et de sécurité qui sont conclus et la liste de ceux qui sont en train d'être négociés? Seriez- vous en mesure de nous les fournir?
Cam Couturier : Il faudrait que je retourne en arrière pour savoir desquels il s'agit. Pour ceux qui ont été signés, celui qui s'impose à l'esprit est celui que nous avons conclu pendant le forum sur la sécurité internationale de Halifax, accord conclu entre le ministre et le secrétaire de la Défense. J'examinerai les autres.
La sénatrice Beyak : Les dépenses militaires de la Chine suscitent des inquiétudes chez d'autres pays de cette région. Pensez-vous que c'est un problème? Cela est-il une source d'instabilité de quelque façon que ce soit?
Cam Couturier : Il est certain qu'il y a de l'expansion. Par exemple, dans le domaine des sous-marins — et pour nous, dans la marine, c'est un domaine important — la Chine construit trois sous-marins pour chaque sous-marin que nos homologues américains construisent. Si vous entendez parler des États-Unis qui cherchent à rétablir un équilibre dans la région, il s'agit là d'une région sur laquelle on se centre de nouveau. Les États-Unis ont envoyé davantage de sous-marins sur la côte Ouest afin de tenter de rétablir cet équilibre. Nous surveillons l'évolution des choses, et d'après ce que vous avez entendu de M. Boutilier et d'autres, il y a non seulement l'aspect expansionniste de la Chine, mais il y a aussi un élément national. C'est un aspect dont il faut tenir compte lorsque l'on analyse la croissance de l'équipement militaire dans tous les domaines. Nous surveillons la situation et sommes préoccupés dans une certaine mesure, mais à ce stade, nous collaborons avec nos alliés et sommes à l'aise par rapport à là où nous en sommes.
Le président : Notre dernier témoin présent la semaine dernière, M. Boutilier, a fait remarquer que l'on a tardé à faire ressentir notre présence dans cette région précise du monde.
Pourtant, monsieur MacArthur, vous avez indiqué dans votre déclaration préliminaire que le Canada entretenait près de 40 missions dans la région de l'Inde et de l'Asie-Pacifique, ce qui représente près de 1 000 personnes; et le réseau diplomatique du Canada en Asie est plus fort que dans toute autre région et continue de se renforcir. Pourriez-vous nous faire part de vos remarques sur cette déclaration de M. Boutilier?
M. MacArthur : Certainement, monsieur le président. J'ai mentionné notre empreinte diplomatique qui se renforçait comme par exemple grâce à la présence d'un ambassadeur de l'ANASE au Laos et au Cambodge pour s'assurer que les valeurs canadiennes, que la politique étrangère et que les intérêts économiques sont bien compris de toutes les capitales de l'ANASE. C'est ce en quoi consiste le travail de nos ambassadeurs et de notre corps diplomatique. La puissance douce du Canada y est pour beaucoup dans cette partie du monde étant donné nos valeurs en matière de droits de la personne, notre gouvernance, qui est mise à l'essai; même notre système bancaire les intéresse. La nature robuste de la société canadienne, le multiculturalisme, et la façon dont nous sommes gouvernés — il ne faut pas sous-estimer cette image de marque dans les pays membres de l'ANASE mais aussi de la région en général. Ce que je veux dire, c'est que d'un point de vue diplomatique, et cela inclus la diplomatie économique qui est un aspect de notre diplomatie, nous sommes beaucoup plus actifs que nous l'avons été par le passé.
Je vais vous donner un exemple. En juin dernier, le ministre du Commerce a invité une délégation ministérielle commerciale de l'ANASE à Vancouver et Toronto. Le Japon, la Chine et les États-Unis sont les seuls à l'avoir fait. Il s'agissait de représentants ministériels et sous-ministériels de toutes les capitales de l'ANASE qui sont venus au Canada. C'est le genre d'engagement que nous tentons d'imiter grâce à notre afflux régulier de ministres et de hauts fonctionnaires, y compris de nos ministres des Affaires étrangères et du Commerce, qui assistent à des rencontres de dialogue de l'ANASE depuis trois années consécutives, qui y ont présenté des éléments de substance, et se sont engagés plus que jamais. Tout cela est appuyé par notre réseau d'ambassades et de consulats dans la région.
Cam Couturier : En ce qui a trait à notre budget de 2007-2008, 11 p. 100 de notre DICM étaient affectés à la région Indo-Asie-Pacifique. Ce chiffre sera de l'ordre de 30 p. 100 l'année prochaine. Cela témoigne de l'importance que nous accordons à cette région. Nous avons réaffecté une partie de nos ressources afin de répondre aux besoins en matière de formation dans cette région, besoins dont je vous ai fait part tout à l'heure. Nous en constatons l'importance et tentons de veiller à ce que du point de vue de la DICM et de l'aspect militaire à militaire, nous continuions à accroître notre capacité à échanger de l'information sur les leçons apprises.
Le président : J'aimerais aborder un autre point, soit la défense antimissiles balistiques. Pouvez-vous nous faire part de vos observations en ce qui a trait à la mise en œuvre de ce programme dans cette région du monde?
Cam Couturier : Du point de vue des Forces armées canadiennes, je peux vous dire que ce que nous voyons dans cette région est mené par les États-Unis en raison des menaces qui émanent de cet endroit. Du point de vue du Canada, les forces armées examinent les options qui s'offriront à nous à l'avenir afin de voir comment nous pourrons composer avec le défi de la défense antimissile balistique. Le gouvernement prendra une décision à cet égard dans un avenir proche, selon s'il décide d'aller de l'avant ou non.
David Drake, directeur général, Sécurité et renseignement, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Bien entendu, les préoccupations en ce qui a trait à la défense antimissiles balistiques portent surtout sur la Corée du Nord, qui est dotée d'un important programme de développement de missiles que vous connaissez sans doute. Le Canada y accorde une très grande importance. Nous travaillons au sein de la communauté internationale afin d'essayer de freiner la Corée du Nord. Il s'agit d'un problème à l'heure actuelle en raison de l'absence de pourparlers à six, mais du travail considérable est effectué à l'échelle internationale où l'on met l'accent sur la Corée du Nord.
Bien entendu, nous avons mis en œuvre des sanctions économiques de taille à l'endroit de la Corée du Nord, y compris l'interdiction d'importations en provenance de la Corée du Nord et d'exportations dans ce pays, avec des dérogations pour raisons humanitaires. La Corée du Nord a systématiquement fait fi de toute une série de résolutions émanant du Conseil de sécurité des Nations Unies. Le Canada joue un rôle important en ce qui a trait au fait de continuer à exercer des pressions sur la Corée du Nord afin que le pays vienne à la table de négociation et que l'on puisse s'atteler à ces enjeux préoccupants.
Le sénateur Ngo : On a déjà répondu à la question que je voulais vous poser. Je vais donc vous en poser une autre. Dans vos propos liminaires, vous avez dit que les tensions dans la région de la mer de Chine méridionale ont atteint un nouveau paroxysme au début de l'été dernier. Vous avez également mentionné que la souveraineté sur certaines parties de la mer de Chine méridionale est contestée par la Chine, le Brunei, la Malaisie, les Philippines et d'autres pays. Vous avez soulevé l'existence d'un litige en ce qui concerne les îles Spratly et Paracel.
Récemment, les États-Unis ont commencé à tisser un lien plus important avec le Vietnam afin de pouvoir accroître son importance face à la Chine et ont levé l'interdiction de vendre des armes au Vietnam. Il existe des préoccupations dans la région et ailleurs liées au fait que des hostilités pourraient survenir en raison de l'absence de tranquillité en mer. Nous savons que les États-Unis ont signé une alliance militaire avec les Philippines, ont une présence militaire en Corée du Sud et ont un accord de protection militaire avec le Japon. Récemment, ils vendent des armes au Vietnam. J'aimerais savoir, face à l'exploitation économique de Pékin, quelle est la position du Canada en ce qui a trait au litige territorial dans la région de la mer de Chine méridionale? À quel point est-il important que les nations asiatiques perçoivent le Canada comme étant un pays qui s'engage à contribuer à la paix et à la stabilité dans la région?
M. MacArthur : C'est une excellente question. Le gouvernement du Canada souhaite qu'il y ait une résolution pacifique du différend en mer de Chine méridionale, conformément au droit de la mer et au droit international. Nous ne prenons pas parti, mais nous prônons une approche fondée sur la coopération. Ainsi, par exemple, lorsque le vice- premier ministre et le ministre des Affaires étrangères du Vietnam étaient au Canada, on leur a livré pour message que le Canada souhaitait que cela se fasse dans le cadre de négociations internationales.
J'ai le plaisir de vous annoncer qu'il y a des rapports qui suggèrent que des hauts fonctionnaires de la Chine et de l'ANASE se rencontrent actuellement ou vont se rencontrer très bientôt pour discuter d'un code de conduite pour la mer de Chine méridionale. Alors, sur le plan diplomatique, il y a un dialogue entre les hauts fonctionnaires. Je crois que l'ANASE a un rôle clé à jouer étant donné son poids dans la région et, par exemple, le rôle de l'Indonésie en arrière- scène qui cherche à s'assurer que les choses se passent de façon appropriée.
M. Drake : Je crois qu'il est important de reconnaître que ce que vous avez actuellement, c'est toute une série de revendications, dont certaines qui se chevauchent, venant de multiples pays. Évidemment, ce sont les Chinois qui ont la plus importante revendication. Ils sont également présents dans la mer de Chine orientale, pour ce qui est de leur nouvelle zone de défense aérienne. La Chine a présenté une revendication, mais il est clair qu'elle n'a jamais établi le bien-fondé de sa revendication telle que délimitée par la zone dite de la « ligne en neuf traits », une revendication couvrant 80 p. 100 de la mer. Il est clair que la communauté internationale a beaucoup de travail à faire, particulièrement les pays eux-mêmes.
La meilleure chose à faire, comme l'a indiqué M. MacArthur, c'est de demander aux parties d'entreprendre des pourparlers basés sur le droit international, et la demande ne se fait pas suffisamment à l'heure actuelle. Pour ce qui est de notre position, je crois que la position du Canada est très claire à ce sujet. Nous ne prenons pas position pour l'un ou l'autre des pays, mais nous insistons sur le processus. Il s'agit du processus de droit international, et c'est sur cela que nous devons mettre l'accent, et certainement le Canada est un pays dont les conseils sont très respectés depuis de nombreuses années.
Vous avez parlé de la mer de Chine méridionale, mais il ne faut pas oublier la mer de Chine orientale, où existent une série de conflits territoriaux. Et la solution se trouve dans la force du droit international.
Le président : Avant de terminer, j'aimerais revenir à la question de la sénatrice Beyak sur les accords qui sont en train d'être négociés ou qui ont été négociés avec la région Indo-Asie. Est-ce que les deux ministères envisagent de mettre en place un accord de coopération stratégique avec le Japon ou l'Inde, comme l'Australie et les États-Unis ont fait par le passé? Avez-vous des commentaires là-dessus?
M. MacArthur : Je crois que les relations entre le Canada et l'Inde ont pris une certaine importance, particulièrement depuis la visite du premier ministre en novembre 2012, et de meilleures relations avec l'Inde ouvrent la porte pour accroître nos échanges dans un grand nombre de domaines.
Par exemple, il y a quelques semaines, les ministres des Affaires étrangères et du Commerce international étaient en Inde, accompagnés par la première ministre de la Colombie-Britannique. Il y avait une présence canadienne massive dans la délégation, y compris du secteur privé. En effet, nous avons déjà une relation solide de haut niveau avec l'Inde dans un grand nombre de domaines.
Il ne serait pas impossible d'envisager ce type de relation spéciale qui se développe, particulièrement suivant l'élection du nouveau gouvernement du premier ministre Modi. Je crois qu'il existe de bonnes possibilités pour le genre de coopération que nous avons vu lorsque le premier ministre Modi a rencontré nos ministres à New Delhi. C'était une rencontre très chaleureuse et coopérative. Je crois que nous avons des conditions gagnantes en ce moment pour ce genre de développement.
Cam Couturier : Du côté militaire, nous sommes dans une première phase de discussions avec l'Inde.
Par exemple, le chef de notre marine a récemment participé à des discussions bilatérales avec le chef de la marine indienne, alors nous nous penchons sur les possibilités, mais nous venons tout juste d'amorcer nos efforts pour renforcer cette relation bilatérale.
Nous avons tenu une série de discussions bilatérales avec les Japonais. L'une d'entre elles portait sur l'accord de service mutuel, et l'aspect logistique en particulier. Nous croyons pouvoir nous appuyer sur cet accord, une fois signé, pour augmenter notre coopération avec les Japonais. Comme je l'ai dit, tous les services sont mobilisés. Les chefs de service discutent régulièrement entre eux. En juin de cette année, nous nous sommes entretenus avec des universitaires japonais sur la question militaire. Nous avons échangé nos perspectives sur le monde, y compris sur l'Ukraine et l'Irak. Je crois que nous avons une solide relation bilatérale.
Le président : Chers collègues, notre temps est écoulé. J'aimerais remercier les témoins de leur comparution. Vous avez contribué à l'étude que nous avons entreprise.
Les témoins sont priés de se lever avant que nous passions à huis clos.
((La séance se poursuit à huis clos.)