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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense

Fascicule 10 - Témoignages du 3 novembre 2014


OTTAWA, le lundi 3 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 h 2, pour procéder à l'étude des menaces à la sécurité nationale afin d'en faire rapport.

Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Cet après-midi, le comité consacrera deux heures à l'étude des menaces à la sécurité nationale, plus précisément le terrorisme. Nous poursuivrons ensuite la séance à huis clos pour planifier les travaux à venir.

Avant de commencer l'étude, je rappelle à tous les Canadiens que des cérémonies auront lieu d'un bout à l'autre du pays à l'occasion du jour du Souvenir afin de rendre hommage aux soldats qui sont morts sur le front. Cette année, elles seront d'autant plus touchantes qu'elles souligneront également le centenaire du début de la Première Guerre mondiale. J'invite tous les Canadiens à y assister, en fin de semaine et le 11 novembre à 11 heures. Ayons une pensée en hommage à toutes les personnes qui ont fièrement servi notre pays.

Mesdames et messieurs, le 19 juin 2014, le Sénat a adopté la motion suivante :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à étudier, afin d'en faire rapport, les menaces à la sécurité nationale, notamment :

a) le cyberespionnage;

b) les menaces aux infrastructures essentielles;

c) le recrutement de terroristes et le financement d'actes terroristes;

d) les opérations antiterroristes et les poursuites contre les terroristes;

Que le Comité fasse rapport au Sénat au plus tard le 31 décembre 2015 et qu'il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions pendant 90 jours après le dépôt de son rapport final.

Le Sénat a entrepris l'étude parce que les Canadiens redoutent les menaces à notre sécurité. Nous entendons aller au fond des choses, de manière raisonnée et éclairée.

Parmi les documents fondamentaux examinés par le comité figure le rapport provisoire du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, présidé par l'ex-sénateur Hugh Segal et le sénateur Serge Joyal. Intitulé Liberté, sécurité et la menace complexe du terrorisme : Des défis pour l'avenir, le rapport a été déposé en mars 2011.

Pour discuter du rapport et faire le point, nous accueillons aujourd'hui le sénateur Serge Joyal, vice-président du comité en question. Le sénateur Joyal a été nommé au Sénat en 1997 pour représenter le Québec. Auparavant, il a été député fédéral de 1979 à 1984. Il a fondé le Comité permanent du Sénat et de la Chambre des communes sur les langues officielles en 1980 et il a coprésidé le Comité mixte du Sénat et de la Chambre des Communes sur le rapatriement de la Constitution canadienne en 1980-1981. Il a aussi été ministre d'État en 1981 et secrétaire d'État du Canada en 1983- 1984, et il a été nommé sénateur en 1997.

Le sénateur Joyal est titulaire d'une licence en droit de l'Université de Montréal et il est membre du Barreau depuis 1969. Il a fait une maîtrise en droit administratif. Il a aussi obtenu une maîtrise en philosophie du droit constitutionnel de la London School of Economics, en 1971. Il possède enfin un diplôme d'études supérieures en droit comparé de la Faculté internationale de droit comparé de Strasbourg, en France.

Sénateur, nous sommes ravis de vous accueillir aujourd'hui pour discuter du rapport. Il semblerait que vous ayez préparé une déclaration préliminaire.

L'honorable Serge Joyal, C. P., ancien vice-président du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, à titre personnel : Merci beaucoup de votre accueil, monsieur le président. Je suis heureux cet après-midi de faire part de mes réflexions aux membres du comité. Au cours des 13 dernières années, j'ai eu le privilège de siéger aux trois comités sénatoriaux spéciaux chargés d'examiner des mesures législatives concernant la lutte contre le terrorisme.

J'ai ainsi siégé au comité chargé d'étudier les mesures adoptées par le gouvernement dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. J'ai aussi pris part, avec d'autres sénateurs, à l'étude des changements apportés aux lois relatives au terrorisme, en 2007. Enfin, en 2010 et en 2011, j'ai été membre du troisième comité sénatorial spécial voué à l'examen de la législation antiterroriste et des questions entourant la lutte contre le terrorisme au Canada.

C'est mon expérience comme sénateur. Je n'ai pas eu le plaisir de siéger à votre comité, qui est aujourd'hui chargé de donner suite aux travaux des trois comités que j'ai mentionnés en fonction de la situation actuelle.

Lorsque nous avons passé en revue les mesures législatives, en 2010, le sénateur Segal et moi étions fort préoccupés par les nouveaux visages du terrorisme. Bien sûr, comme beaucoup d'entre vous, j'ai été témoin de cette nouvelle réalité au cours des événements survenus depuis deux semaines, à Saint-Jean-sur-Richelieu et ici même, à Ottawa. Lorsque vous m'avez invité à témoigner et à vous faire part de mon point de vue, je me suis rappelé que notre préoccupation, au fil des ans, a essentiellement été de prendre pleinement conscience de l'évolution rapide du terrorisme depuis l'époque où Oussama ben Laden dirigeait Al-Qaïda. À ce moment-là, nous avions l'impression que ben Laden dirigeait une espèce de force internationale répartie dans divers pays, ce qui correspondait plus ou moins au scénario traditionnellement applicable aux forces militaires. Cependant, au fil des ans, nous avons pris conscience, surtout après la mort d'Oussama ben Laden, que nous n'en avions pas encore fini avec le terrorisme.

Au contraire, ce fut le début d'une nouvelle sorte de terrorisme peut-être plus difficile à cerner et donc à combattre. Après tout, il est plus facile de repérer un seul chef à la tête de nombreux partisans que diverses troupes réparties dans divers pays et dirigées par diverses personnes.

Lorsqu'on est confronté à des terroristes anonymes cachés dans leur sous-sol ou leur bureau sans que quiconque ait conscience de leur présence, des terroristes qui, grâce à Internet, communiquent avec d'autres individus qui semblent partager la même idéologie et avoir des visées semblables, c'est-à-dire d'ébranler la structure d'un gouvernement ou d'un État démocratique, le contexte n'est plus du tout le même. Le problème devient autrement plus complexe.

Le premier chapitre de notre rapport de 2011 s'intitule « L'évolution de la menace ». Nous tenions à comprendre d'entrée de jeu le nouveau contexte. Quels étaient les facteurs sous-jacents de cette menace d'un nouveau genre? C'est le premier sujet sur lequel nous nous sommes penchés.

Les 32 témoignages entendus au cours de 11 séances distinctes nous ont permis de cerner ces facteurs. C'était il y a quatre ans. Pas la semaine dernière : il y a quatre ans. Parmi les témoins, il y avait des représentants de services policiers, des enquêteurs, des universitaires et des personnes chargées d'établir quelles étaient nos capacités de réaction. Nous avons entendu 32 témoins distincts. Leur liste figure à la fin du rapport. Nous avons déterminé que la nouvelle menace, c'était la radicalisation, le facteur même dont tout le monde a semblé prendre conscience il y a deux semaines. Pourtant, nous avions déjà fait état de cette nouvelle menace il y a quatre ans.

Nous avons ensuite voulu étudier — je reprends l'expression employée dans le rapport — le « terrorisme d'origine intérieure ». Je dis bien : d'origine intérieure, c'est-à-dire qu'il n'émane pas d'un autre pays. On ne parle pas d'un quelconque islamiste qui tente d'entrer en territoire canadien au moyen d'un passeport contrefait ou sous une fausse identité. Si la menace est d'origine intérieure, c'est qu'elle provient de quelqu'un que nous côtoyons, de l'un des nôtres. C'est la réalité à laquelle, la semaine dernière, nous a confrontés M. Zehaf-Bibeau, né de parents canadiens et scolarisé dans une petite ville de la banlieue de Montréal. Ce n'est pas quelqu'un qui a grandi en milieu urbain. Il aurait pu venir de n'importe où au Canada, même des régions les plus éloignées. Pourquoi? Parce qu'il est possible de garder le contact au moyen d'Internet. C'était d'ailleurs notre troisième préoccupation.

Nous étions très inquiets, il y a quatre ans, et nous voulions sonner l'alarme relativement à cette nouvelle menace. Nous estimions que l'État — je dis « État », mais je veux dire la société canadienne dans son ensemble — devait revoir son approche de manière à comprendre le phénomène. C'était la première recommandation. Le rapport formule 16 recommandations, dont sept portent expressément sur la radicalisation et le terrorisme d'origine intérieure.

Je vais faire rapidement le tour des recommandations. Je les ai relues en fin de semaine et je trouve qu'elles demeurent aussi pertinentes et aussi d'actualité qu'il y a quatre ans, lorsque nous les avons rédigées — je parle bien sûr du sénateur Segal et des neuf membres du comité, y compris le président et le vice-président. Certains des membres du comité sont d'ailleurs parmi nous aujourd'hui. Je vois par exemple le sénateur Day. Je pense que la sénatrice Stewart Olsen a peut-être assisté à une réunion.

La sénatrice Stewart Olsen : Une, peut-être.

Le sénateur Joyal : C'était peut-être pour remplacer un autre sénateur.

La première recommandation consistait à prendre l'initiative d'effectuer des travaux de recherche dans le but de comprendre le passage de la radicalisation à la violence. Nous avions des réserves, car on a le droit d'avoir des idées extrémistes. C'est une question de liberté de pensée. Cependant, qu'est-ce qui pousse les gens à passer de la parole aux gestes? Qu'est-ce qui incite une personne aux idées extrémistes, que ce soit sur le plan politique ou religieux, à pousser les choses plus loin et à sombrer dans la violence?

À notre avis, à l'époque, c'est ce qu'il fallait mieux comprendre. Autrement dit, qu'est-ce qui dérègle la mécanique psychologique d'une personne?

Bien sûr, nous nous sommes alors rendu compte qu'Internet était un tout autre univers, car il agit comme élément déclencheur. La semaine dernière, en France, un journaliste a tenté d'infiltrer des réseaux terroristes sous un nom d'emprunt. Je ne donnerai pas la recette aux personnes qui sont à l'écoute, mais il est ressorti de cette expérience que le simple fait de taper le nom d'un individu associé au terrorisme permet d'accéder directement à tout un réseau d'activités violentes, des activités évidemment glorifiées de manière à inciter les gens à adhérer au mouvement.

Autrement dit, lorsqu'on entretient des idées extrémistes, c'est très facile de s'immiscer dans un réseau de terroristes et de se faire convaincre, à son insu, qu'il est merveilleux de lutter pour défendre ces idées et que les gens qui le font sont fantastiques.

Pratiquement n'importe qui peut accéder à ces réseaux. Il y a quatre ans, nous avons estimé qu'il fallait prendre conscience de cette réalité et la combattre. Comment y parvenir? Nous avons recommandé d'étudier les outils Internet du genre de ceux qu'utilisent les policiers dans les dossiers de pornographie juvénile. Comme vous le savez, on peut se servir d'Internet pour entrer en contact avec un réseau qui exploite des enfants, et les policiers disposent d'outils Internet pour pénétrer dans ces réseaux. Compte tenu de l'expérience des policiers dans la lutte contre ce genre d'activité criminelle, nous avons voulu savoir s'il était possible de mieux comprendre la manière d'infiltrer les réseaux afin d'y introduire des contre-messages.

Pour nous, c'était nécessaire. Il fallait vraiment investir là-dedans. Il fallait s'assurer de pouvoir lutter contre la nouvelle menace dans le contexte même où elle sévissait. Selon ce que nous avons compris, le gouvernement devait donc absolument mener et financer des travaux de recherche, car l'efficacité et les résultats de l'enquête dépendaient essentiellement de ces investissements.

Lorsque, dans le cadre de travaux d'enquête et de surveillance, les policiers tentent de s'infiltrer a posteriori dans les réseaux, c'est-à-dire lorsqu'une personne s'est déjà radicalisée et qu'elle s'apprête à recourir à la violence, ils doivent disposer des outils nécessaires pour l'empêcher de passer à l'action. Autrement, il faudra se contenter de réparer les dégâts. Nous étions d'avis qu'il fallait absolument agir en amont plutôt qu'en aval, après que la personne est déjà devenue violente, comme ce fut le cas au cours des deux dernières semaines.

Nous estimions aussi qu'il fallait absolument développer les technologies visant à contrer la radicalisation des idéologies sur Internet et créer de nouveaux programmes adaptés à cette réalité; nous estimions aussi qu'il fallait prendre cette mesure essentielle et soutenir la recherche qui y est associée. Il fallait créer un programme de ce genre en collaboration, bien sûr, avec les forces policières responsables des enquêtes.

On n'a qu'à penser à ce qui s'est passé au cours des deux dernières semaines. Je suis convaincu que les services policiers connaissaient déjà le danger que présentait l'auteur du drame qui s'est produit à Saint-Jean-sur-Richelieu. Ils étaient déjà au courant parce que les parents de ce « terroriste » avaient déjà averti les forces policières. Supposons toutefois que cette personne ne voyait plus ses parents, comme l'homme d'Ottawa qui n'avait plus de contacts avec sa mère depuis environ cinq ans. Comment peut-on alors établir qu'une telle personne présente un danger pour la sécurité au Canada?

Nous étions très inquiets. C'est pour cette raison que nous recommandions, dans le premier chapitre du rapport, que les nouvelles technologies de ce genre soient redéfinies dans le contexte de la radicalisation des idéologies, qui, comme les Canadiens le savent mieux que quiconque, est d'origine intérieure. Cette radicalisation se fait par Internet — c'est indéniable —, mais elle séduit des Canadiens de souche. C'est ce qui est déroutant.

Il y a deux semaines, lorsque j'ai appris la nouvelle à la télévision, j'ai dit : « Un Canadien français qui tire sur un autre Canadien français. » Pour moi, c'est la fin du monde. Pourquoi ces deux personnes issues du Québec ont-elles tiré sur deux soldats, l'un du Québec et l'autre de l'Ontario? Ce dernier ne représentait pas du tout une menace. Il était sans défense et n'était pas armé.

Comment peut-on tirer sur quelqu'un qui attend l'autobus à un arrêt? Comment peut-on entrer dans le véhicule et tirer sur le chauffeur? C'est absurde. Comme je le disais, on peut prôner des idées radicales, par exemple, qu'il faudrait changer de système économique, mais les valeurs démocratiques ne nous permettent pas de tirer sur des gens qui ne partagent pas les mêmes convictions que nous sous prétexte que cet acte nous permettra d'aller au paradis.

On ne peut pas rester les bras croisés quand on sait que les technologies modernes permettent d'essayer de convertir des gens qui, pour une raison ou pour une autre, ont l'esprit fragile, que ce soit parce qu'ils cherchent un sens à leur vie, qu'ils ont connu des échecs professionnels, qu'ils ne réussissent pas à s'intégrer dans leur milieu, et cetera. Des milliers de raisons peuvent amener quelqu'un à être réceptif aux messages de ce genre et à l'endoctrinement.

Pour la troisième recommandation, nous préconisions donc que le ministère fédéral de la Justice publie un compte rendu des poursuites pour terrorisme et explique pourquoi les personnes ont été condamnées ainsi que les circonstances générales de ces affaires. Autrement dit, nous voulions que les Canadiens sachent qu'il est dangereux d'être impliqué dans des affaires de ce genre et qu'il ne s'agit pas d'aventures héroïques sans conséquence.

Les tribunaux canadiens ont déjà rendu de nombreuses décisions à cet égard, mais celles-ci n'imprègnent pas l'opinion publique. Les nouvelles de ce genre font parfois la page 2, 3 ou 10 d'un journal. Il arrive même que les nouvelles n'en parlent pas, ou le mentionnent seulement une fois. La nouvelle tombe ensuite dans l'oubli. Mais il faut que les Canadiens sachent que des gens sont condamnés pour avoir commis des actes terroristes. La population doit en être informée, et il faut le lui rappeler. Selon nous, l'information est un facteur important de la conscientisation de la population aux activités terroristes.

La détermination de la peine associée aux activités terroristes nous préoccupait aussi. Nous préconisions que le gouvernement procède à un examen de l'article 83.26 du Code criminel, qui porte sur la détermination de la peine et les peines consécutives. Le sénateur Baker, avec qui je siège au Comité des affaires constitutionnelles, connaît très bien l'article 83. D'après les décisions antérieures et les peines imposées, nous jugions qu'il fallait revoir cette partie du Code criminel.

Nous recommandions aussi qu'il y ait une meilleure coordination des forces policières fédérales, provinciales, territoriales et municipales. Ce que nous avions constaté sur la Colline du Parlement nous préoccupait, c'est-à-dire que — et le sénateur Dagenais le sait certainement mieux que moi —, lorsqu'un trop grand nombre d'autorités compétentes poursuivent le même objectif, à savoir la lutte contre le terrorisme d'origine intérieure, il faut resserrer les liens de collaboration entre les forces policières qui couvrent le territoire canadien. Nous estimions que tous les services policiers devaient revoir et harmoniser leurs pratiques et leurs politiques en matière de renseignement. Selon nous, il fallait mettre sur pied une façon de faire commune qui permettrait d'être beaucoup plus efficace et de tenir compte du nouveau contexte et de la nouvelle réalité.

Nous estimions aussi que la Table ronde transculturelle devait être plus dynamique. Cette table ronde a été créée en 2001 après les événements du 11 septembre, et on constate qu'il y a eu un relâchement au fil des ans. Lorsqu'on ne sent pas l'urgence d'agir, on laisse les choses aller : on ne remplace pas les membres de la table ronde ou on ne sent pas vraiment le besoin de nommer quelqu'un qui a de bonnes relations dans la communauté avec laquelle il faut resserrer ses liens. Autrement dit, les choses suivent leur train-train habituel, sans véritable échéancier. Selon nous, pour mieux conscientiser la population à la nouvelle menace, il fallait revitaliser et renforcer la Table ronde transculturelle.

Cette table ronde a donné de bons résultats pendant les premières années, mais, comme on a pu le constater au cours des deux dernières semaines, il semble y avoir un manque de communication avec les dirigeants locaux qui s'inquiètent de l'endoctrinement idéologique et des gens qui préconisent le recours à la violence pour atteindre leurs objectifs.

Selon nous, il fallait donc revitaliser et renforcer la Table ronde transculturelle pour qu'elle soit plus active et qu'elle entretienne des liens plus étroits avec la communauté dont elle est censée être la porte-parole ou l'organisme de liaison.

Enfin, nous estimions aussi qu'il fallait, de façon générale, qu'il y ait une plus grande variété de porte-parole. Et je parle maintenant en mon nom personnel. En général, les porte-parole sont, selon moi, beaucoup plus... Je devrais dire qu'ils essaient de ménager la chèvre et le chou. Ils ne sont pas proactifs et ne prennent pas d'initiatives. Ils ne font que réagir quand quelque chose se produit. En fait, ils réagissent lorsqu'on les oblige à donner leur opinion. Selon moi, il faut que les dirigeants locaux participent plus. C'est dans leur intérêt parce que, si on veut éviter le profilage racial et les partis pris dans la société, les responsabilités doivent être partagées également entre tout le monde, et pas seulement lorsqu'il y a une catastrophe ou une tragédie, mais aussi dans la vie courante. C'est une des choses que nous avons pu constater la semaine dernière, et cet aspect devrait faire partie des mesures à prendre pour faire face à la nouvelle réalité.

Comme vous le savez, monsieur le président et vous tous, honorables sénateurs, ce n'est que la première partie du rapport. Il y avait aussi deux autres parties, que je n'aborderai pas aujourd'hui, mais que je vais mentionner en passant, si vous me le permettez.

La deuxième partie portait essentiellement sur les enquêtes et les poursuites, alors que la troisième portait sur la surveillance parlementaire. C'est principalement ce que vous faites, et je tiens à le dire, parce que les parlementaires ne peuvent pas être indifférents à tout ce qui se passe actuellement au Canada relativement au terrorisme. Nous avons un rôle bien particulier à jouer, ainsi que des responsabilités à assumer, et je félicite votre comité de poursuivre cette réflexion sur la responsabilité de présenter des recommandations réalistes afin de contrer les menaces comme celle à laquelle nous avons dû faire face il y a quatre ans. Je ne suis pas ici pour juger qui que ce soit. Je suis simplement ici pour parler du contenu du rapport et des recommandations qui ont été formulées il y a quatre ans. Je crois néanmoins qu'on aurait dû y donner suite en temps et lieu. Nous aurions meilleure conscience en sachant que nous avions fait le nécessaire pour contrôler les outils nous permettant de faire face à la réalité d'aujourd'hui.

Je crois que ça fait le tour, monsieur le président. Je sais que les honorables sénateurs voudront en discuter. Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité.

Le président : Sénateur Joyal, je crois que vous avez très bien résumé le rapport produit en mars 2011, et sachez que le comité s'en servira comme point de départ pour la suite des choses et pour étudier la situation ainsi que la manière dont les Canadiens réagissent à la menace terroriste, ici au Canada.

Le sénateur Mitchell : Merci beaucoup, sénateur Joyal. Moi aussi, je tiens à vous dire à quel point j'apprécie et j'admire ce rapport. Il est tout simplement extraordinaire.

[Français]

C'est un rapport excellent et très important pour notre travail ici. Merci beaucoup; pour la base, c'est excellent.

[Traduction]

J'aurais aimé pouvoir discuter avec vous durant cinq ou six heures, peut-être même vous inviter à revenir témoigner devant nous, mais je vais m'en tenir pour aujourd'hui à quelques points bien précis. En soi, le rapport est extrêmement éloquent, et vous avez couvert de nombreux points.

Le rapport parle notamment de l'incidence qu'Internet peut avoir, sujet dont vous avez d'ailleurs parlé encore aujourd'hui. Comment je dirais bien ça : d'aucuns voudraient que nous érigions en infraction le fait de diffuser sur Internet des déclarations qui louangent, encouragent ou appuient les activités et les initiatives terroristes. Seriez-vous d'accord pour qu'on aille dans cette voie, et pourrait-on y parvenir tout en respectant la liberté d'expression des gens? Selon moi, la réponse est évidente, mais je ne suis pas avocat.

Le sénateur Joyal : Vous savez ce qui constitue un acte terroriste. Si on se fie au Code criminel, un acte terroriste — et je veux être sûr d'utiliser les bons mots et non de paraphraser le code — c'est d'abord et avant tout un acte de violence. C'est un acte de violence perpétré au nom d'une idéologie, religieuse ou politique. C'est un acte par lequel une personne cherche à obliger un État ou un gouvernement à faire — ou ne pas faire — une chose. Nul doute, comme je le disais plus tôt, qu'Internet contient de tout, du meilleur au pire, le pire étant la promotion du terrorisme.

Je signale au passage que je fais la distinction entre une idée radicale et le fait de franchir l'étape suivante, à savoir commettre l'acte violent qui vise à faire valoir cette idée radicale.

Par exemple, dans les années 1970, les marxistes, les léninistes, les trotskystes et autres pouvaient croire à leur guise que le monde se porterait mieux si on le remaniait en se fondant sur leurs idéologies. Tant que ces gens se sont contentés de le penser, ils sont demeurés à l'intérieur des limites de la liberté d'expression. Mais à partir du moment où une personne affirme que ceux de son groupe devraient s'armer et descendre tous ceux qui ne partagent pas leurs idées, sous prétexte que ce sont des ennemis de la liberté à laquelle croient les trotskystes, les léninistes ou les marxistes, elle franchirait alors la limite de ce qui est acceptable.

Selon moi, si une personne fait la promotion du terrorisme comme moi je l'entends, c'est-à-dire qu'elle en pousse une autre à commettre un acte violent au nom d'une idéologie, il s'agit à mon sens d'une activité criminelle. Si je dis à quelqu'un : « Prends ce fusil et descends-moi ce type », j'enfreins le Code criminel. Je ne peux pas inciter une autre personne à commettre un crime.

Le défi consisterait à définir ce qui constitue « faire la promotion du terrorisme ». Je ne veux pas trop m'avancer, mais si, pour faire valoir une idéologie donnée, je colle des affiches sur les abribus demandant aux gens de se révolter, de voter contre le parti au gouvernement ou de faire ce que je crois juste, je demeure à l'intérieur des limites de la loi. J'enfreins par contre le règlement municipal en collant ainsi mes affiches sur des abribus, parce que celui-ci m'interdit de détruire la propriété publique. Il n'est pas question ici d'inciter qui que ce soit à prendre les armes ou à profiter de la première occasion venue pour tirer sur un soldat, un policier, un politicien ou un citoyen canadien pour créer de la terreur et semer la peur.

Car je rappelle qu'en soi, la terreur, c'est de la peur. C'est la peur qui nous dit que, si on ne se comporte pas de telle ou telle manière, on va être blessé ou on va blesser la société dans laquelle on vit, la société dans laquelle on exerce un métier, on élève une famille, on nourrit ses propres ambitions et ainsi de suite.

Il faudrait alors définir les circonstances dans lesquelles une personne commettrait un crime haineux en faisant la promotion du terrorisme, en professant sa haine pour un groupe donné de citoyens. Le Code criminel contient déjà des dispositions en ce sens, et nous le savons. Nous les avons même modifiées au fil des ans, entre autres pour que davantage de minorités soient protégées contre les propos haineux.

Ces dispositions devront être redéfinies en fonction des principes qui figurent déjà dans le code; il faudra aussi tenir compte de la manière dont elles sont rédigées et dont elles sont appliquées. Voilà ce qui constituera l'essentiel de la tâche, à mon avis. Je ne suis pas en train de dire que c'est impossible. Nous demeurons très certainement à l'intérieur des limites de la liberté d'expression, je dirais même à l'intérieur des paramètres établis par le Code criminel en matière de crimes haineux. On pourrait alors condamner ces actes en les assimilant à des activités criminelles comparables.

Le sénateur Mitchell : Merci pour cette réponse, sénateur Joyal.

Il y a deux approches possibles. La première veut que l'on renforce les lois de la manière dont vous le décriviez, afin de criminaliser la promotion du terrorisme sur Internet et ce genre de chose. La seconde correspond à la vision exprimée par le commissaire Paulson, qui voudrait qu'on mise sur la police communautaire. J'ai rencontré le chef de police d'Edmonton vendredi, et il m'en a parlé lui aussi. Les policiers municipaux sont souvent aux premières loges.

Entre ces deux approches, est-ce que je me trompe en disant que votre comité a plutôt insisté sur le travail communautaire? Vous en avez sans doute reparlé encore aujourd'hui. En fait, il ne s'agit pas seulement de la police communautaire, il faudrait que tous ceux qui ont de l'influence sur la collectivité clament haut et fort leur position. Comment faire? Comment coordonner tout ce beau monde? Ce serait comme si une commission royale d'enquête sillonnait le pays.

Le sénateur Joyal : La semaine dernière, nous avons tous été témoins de ce que j'appellerais un « cas pratique ». À Saint-Jean-sur-Richelieu — je m'adresse encore une fois au sénateur Dagenais, parce qu'il a fait partie de la Sûreté du Québec — qui a pris la parole? Le maire de Saint-Jean-sur-Richelieu l'a fait. Quant à l'iman local, il a dit que l'individu concerné ne fréquentait pas souvent sa mosquée. Les parents du forcené ont porté plainte à la police. Ses confrères de travail ont dit qu'il perdait contact avec la réalité. Il s'éloignait de plus en plus de son milieu familial et de ses collègues de travail pour se réfugier dans un monde rien qu'à lui, jusqu'au point où il a commis un acte de violence.

La GRC, comme vous le savez, avait confisqué son passeport. C'est une décision grave, qui va à l'encontre de l'article 6 de la Charte, qui porte sur la liberté de circulation, parce que, sans son passeport, une personne ne peut pas quitter le pays. Je m'adresse maintenant au sénateur Baker parce qu'il est bien placé pour savoir ce qui arrive quand on confisque le passeport d'une personne. On viole ainsi l'article 6. La personne dont le passeport a été confisqué ne peut pas quitter le pays pour se rendre où elle veut.

L'article 1 de la Charte prévoit cependant des cas où c'est acceptable. Il prévoit des limites raisonnables à ce qu'une personne peut faire dans une société libre et démocratique. Les policiers ont donc certains outils à leur disposition pour intervenir. Mais, comme je le disais, pour coordonner tout ça, il faudrait en confier la responsabilité à une seule et même personne.

Comme je le disais, à ce sujet-là aussi, il faut un suivi. L'homme — et la femme aussi, je ne veux pas paraître sexiste — ont tendance à se dire que, si tout va bien et qu'il ne se passe rien de fâcheux, pourquoi investir autant d'efforts et d'argent dans des initiatives pareilles? Il ne se passe jamais rien de toute façon. Nous vivons dans un pays pacifique, et nous aimons dire que nous sommes de bons vivants ou, comme le diraient les Québécois, que nous sommes habités par la joie de vivre. Tout va pour le mieux au Canada.

Or, nous venons de constater que nous ne sommes pas à l'abri. Au contraire, la menace vient de nos propres citoyens. Même dans les plus petites localités éloignées — quoique Saint-Jean-sur-Richelieu n'est pas si loin que ça — disons plutôt que même dans les petites localités qui vivent en paix depuis des siècles, il peut arriver qu'une personne pète les plombs du jour au lendemain.

Pour maintenir la cohésion entre les différents intervenants, il faut une approche globale, une approche concertée entre, comme je le disais, les forces territoriales, provinciales, municipales et fédérales.

Et c'est très certainement au gouvernement fédéral de donner l'exemple pour l'ensemble du Canada. Nous devons revoir notre approche nationale et coordonner autrement la mise en œuvre du plan de lutte contre ce qui n'est plus une menace émergente. Elle est maintenant bien réelle. Il y a quatre ans, nous pensions qu'il s'agissait d'une menace émergente, mais il n'y a rien de plus frappant pour l'esprit qu'un mauvais exemple.

C'est facile de suivre un mauvais exemple. Les événements d'il y a deux semaines pourraient très bien inciter une troisième personne à se dire : « Si je veux créer du tort aux gens, c'est comme ça qu'il faut que je fasse. Si je veux mettre le pays en émoi, c'est comme ça qu'il faut que je fasse. Je ne vais pas me contenter de tuer un quidam, mais un représentant de l'État, de l'ordre public. Parce que si je l'attaque, lui, ça va faire tache d'huile dans le reste du système, à cause du symbole qu'il représente. » Il s'agit à mon avis d'un très mauvais exemple. Nous devons montrer aux Canadiens que nous avons retenu la leçon, que nous avons compris de quoi il s'agit et que les moyens que nous allons prendre seront adaptés à la réalité d'aujourd'hui.

Je suis convaincu, sénateur White, que lorsque vous étiez chef du Service de police d'Ottawa, vous saviez que cela s'en venait. Mais tant qu'on ne le voit pas et qu'on ne le vit pas, on est trop occupé par beaucoup d'autres choses. On ne sent pas alors la nécessité d'investir des efforts et de l'argent pour mobiliser les partenaires; cela demande une volonté politique. Vous savez ce que c'est, la volonté politique : elle vient du gouvernement.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie beaucoup de votre allocution. Votre point de vue est très intéressant. Il faut selon vous qu'un plus grand nombre de rapports soient rendus publics et que la population participe davantage. Pour ma part, j'estime que c'est essentiel. Les gens avec qui j'ai discuté la fin de semaine dernière — des professeurs d'une université située près de chez moi — disaient que les événements récents étaient plus absurdes que réels. Ils ne semblaient pas être au courant des poursuites intentées, ni des personnes qui sont allées se battre à l'étranger. Comment fait-on pour informer les gens? Que doit-on faire?

Le sénateur Joyal : Le représentant du gouvernement — et je ne cherche pas à refiler seulement la responsabilité au gouvernement conservateur. Cette question transcende le gouvernement du jour. Il est question ici du système, de son fonctionnement.

Il ne fait aucun doute que le ministre de la Sécurité publique a un rôle très important à jouer. C'est lui qui doit coordonner la mesure que le gouvernement prend, ou décide de prendre, pour assurer la sécurité des Canadiens. Ce rôle incombe à un ministre : le ministre de la Sécurité publique.

Ce ministre est évidemment à la tête d'un certain nombre d'organismes dont il a pour mandat de coordonner les activités. Ces organismes collaborent avec les services de police provinciaux — ou avec la GRC là où elle sert de police provinciale — et les municipalités. Selon moi, il ne fait aucun doute que le ministre de la Sécurité publique doit être aux commandes. Il devrait communiquer beaucoup plus avec la population, et pas seulement lorsque survient une tragédie. Nous déplorons tous les événements qui se sont produits.

À mon avis, il faut confier la responsabilité de cette nouvelle approche à une seule personne, qui pourrait prendre les décisions et réunir les organismes. Le sénateur White peut sans doute le confirmer.

Évidemment, les organismes d'enquête, les services de renseignement et les services de police ont chacun leur domaine, et certains sont peu disposés, pour ainsi dire, à mettre en commun leurs renseignements. Il faut briser l'habitude de fonctionner en vases clos, ce qui n'est pas une mince affaire.

La sénatrice Stewart Olsen : C'est ce que j'allais demander. C'est ce que je me demande. Vous avez clairement dit dans le rapport que la production de rapports est essentielle et qu'il faut produire rapidement des rapports clairs.

Le sénateur Joyal : Tout à fait.

La sénatrice Stewart Olsen : Selon moi, c'est très bien. Ce que j'ai à dire relève plus du commentaire : les gouvernements et les députés doivent informer le public sans être alarmistes. La ligne est bien mince entre les deux, on peut le comprendre.

Je vous remercie, sénateur. Selon moi, vous avez soulevé un point très important.

Le sénateur Day : Permettez-moi de poser une question sur le projet Kanishka qui, d'après le gouvernement fédéral, permet de donner suite à la première recommandation de votre comité. Avez-vous eu l'occasion de suivre ce dossier? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Je crois, monsieur le président, que nous pourrions nous aussi faire un suivi; ce serait utile.

Le sénateur Joyal : Comme vous le savez, les services de police et les services de renseignement doivent respecter des échéances critiques. Ils ont des cas à régler. Pour mieux comprendre les ramifications et les implications de la nouvelle réalité, il faut aller plus loin et s'adresser au milieu universitaire, où il y a des spécialistes en la matière. Parmi les témoins que nous avons entendus en 2010 et au début de l'hiver 2011, il y a des universitaires et des spécialistes, ou des experts, qui ont une vision des choses beaucoup plus large et qui connaissent les pratiques exemplaires.

Vous savez peut-être, par exemple, que les services policiers de New York ont adopté une approche à quatre volets pour ce qui est de la radicalisation des idéologies. Il faut se pencher sur leur approche et leurs façons de procéder. La Grande-Bretagne, le Royaume-Uni, met aussi en œuvre un programme préventif. Il faut aussi s'y intéresser, car la population y est très diversifiée. Dans certaines villes de Grande-Bretagne, la composition de la population est aussi diversifiée qu'à Toronto. Les Britanniques ont appris à composer avec de grands groupes de gens ayant diverses idéologies et croyances. Ces groupes réussissent à cohabiter sans considérer que les autres menacent leur identité et leur propre existence.

Ce projet avait pour but de mieux comprendre comment la nouvelle menace pouvait se manifester et évoluer. Cette réalité n'est pas figée. Comme je le disais, les renseignements circulent si rapidement que, pour en apprendre plus sur un événement, il n'est pas nécessaire de lire un journal ou d'attendre que quelqu'un arrive sur les lieux pour en témoigner. Le jour suivant, l'information se trouve sur Internet et l'événement se déroule sous nos yeux, à l'écran, dans notre sous- sol.

Il faut absolument développer la capacité de suivre la situation, et ce projet a été créé dans ce but. Il devrait y avoir plus de projets comme celui-ci. Comme je l'ai dit, nous préconisions, dans la première recommandation, d'investir des sommes importantes pour que nous puissions mieux cerner la menace et la contrer. Il faut que ce soit fait par des experts, des universitaires et des spécialistes. Vous avez la liste des témoins que nous avons alors entendus. À mon avis, certains savaient très bien vers où évoluaient les choses.

On s'attend peut-être à ce que les services policiers fassent ce travail, mais ils n'ont pas le temps. Ils ne peuvent pas libérer trois agents et leur confier la tâche d'étudier et d'analyser la situation pour informer ensuite les autres agents de leurs conclusions. Ce travail doit être fait à un autre niveau, qui ne peut être, comme je le disais, que le niveau national, financé par des fonds publics.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup, sénateur Joyal. Il s'agit d'un excellent rapport et les recommandations du comité sont très précieuses.

Je trouve encourageant qu'on ait pu imposer des peines consécutives, la semaine dernière, à l'homme qui a tué trois agents de la GRC — une peine d'emprisonnement de 75 ans sans possibilité de libération conditionnelle. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la recommandation de votre rapport qui propose d'élargir l'imposition de peines consécutives aux actes terroristes? M. Alizadeh, d'Ottawa, qui a été condamné pour diffusion de messages terroristes djihadistes expliquant comment créer des bombes et importer clandestinement le matériel nécessaire, a vu sa peine passer de 24 à 9 ans d'emprisonnement.

Le sénateur Joyal : L'article 83.26 du Code criminel permet aux tribunaux d'imposer des peines consécutives. Aucun critère précis n'est associé à ce pouvoir. Nous avons formulé cette recommandation —la quatrième de notre première série de recommandations — parce que, selon nous, le terrorisme porte tellement atteinte à la liberté des citoyens qu'il faut que les tribunaux puissent tenir compte de l'effet dissuasif de la décision.

Je n'ai pas étudié en profondeur les décisions que les tribunaux ont rendues depuis le 11 septembre. J'ai l'impression, je dis bien l'impression — qu'on me corrige si j'ai tort; je ne devrais d'ailleurs peut-être pas m'avancer — que les tribunaux n'ont pas été trop laxistes. Les peines imposées ont été plutôt sévères. C'est l'impression que j'en ai. Il me faudrait la liste de toutes les décisions rendues. Dans le cas dont vous parlez, la peine a peut-être été revue à la baisse, mais je crois que l'article 83.26 pourrait définir les circonstances précises dans lesquelles les tribunaux peuvent imposer des peines consécutives. C'est ce que nous préconisons dans le rapport.

Je dis toujours qu'avant de modifier un article du Code criminel, il faut disposer de renseignements factuels sur lesquels on peut s'appuyer pour prendre la décision qui s'impose. Vous fondez-vous sur une perception ou sur des conclusions réelles? En ce qui concerne l'article 83.26, je crois que nous devrions adopter une position sûre. En d'autres mots, nous devrions savoir exactement comment les tribunaux ont réagi. Par ailleurs, comme la sénatrice Stewart Olsen l'a déclaré, l'aspect éducatif est important tant pour les tribunaux que pour les procureurs ou encore les citoyens qui examinent ce qui se passe et qui se rendent compte que c'est le prix à payer lorsqu'on décide de commettre des actes violents.

Je crois que votre question demeure liée de très près au contenu du rapport.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, sénateur Joyal, pour votre présentation dont je retiens qu'il est important d'unifier les forces policières dans le cadre d'enquêtes. Cependant, j'aimerais vous signaler que, au quartier général de la Sûreté du Québec, à Montréal, il y a déjà des policiers de la GRC qui sont amalgamés dans les mêmes bureaux.

J'aimerais revenir sur le cas d'Alizadeh. Dans ce cas, le juge était plus ou moins certain qu'il s'était radicalisé au Canada ou qu'il avait développé son idéologie terroriste à l'intérieur des murs du pénitencier. Vous parliez, dans votre rapport, de radicalisation. Est-il possible qu'une personne qui est emprisonnée dans un pénitencier, qui bénéficie des consultations et des soins, puisse être déradicalisée? Car on sait que, dans environ neuf ans, cette personne sera sûrement remise en liberté sous condition.

Le sénateur Joyal : Je ne sais pas si vous connaissez le psychiatre Gilles Chamberland, qui est rattaché à l'Institut Pinel, à Montréal, le pénitencier à sécurité maximum.

Le sénateur Dagenais : Oui, il est d'ailleurs fort populaire ces jours-ci.

Le sénateur Joyal : Être détenu à Pinel signifie, dans le langage courant, que vous avez fait quelque chose de très, très sérieux.

Le sénateur Dagenais : Tout à fait.

Le sénateur Joyal : La question que vous posez est une question qui demanderait l'opinion d'un expert dans le domaine. Je ne prétends pas l'être dans le domaine de la déradicalisation. Cependant, il est certain, comme vous le dites, qu'à partir du moment où on interne une personne de 30 ans, par exemple, pendant 15 ans ou 20 ans, la courbe de vie nous fait comprendre que cette personne ne restera pas, comme dans le cas de Moncton dont on a parlé tantôt, en prison jusqu'à la fin de ses jours. Cette personne va un jour réintégrer la société civile. Est-ce qu'elle réintégrera la société civile pacifiée avec la société dans laquelle elle vivra ou sera-t-elle en révolte totale, cherchant encore à la détruire?

Il est certain qu'une approche de déradicalisation est une approche thérapeutique, si je peux utiliser l'expression, qui ne peut être entreprise à moins qu'une évaluation puisse être effectuée par des experts comme le Dr Chamberland ou d'autres experts psychologues, qui peuvent arriver à déterminer le degré de rage ou de conviction de la personne. Tant que vous resterez avec la conviction que, en abattant des policiers ou des militaires, vous gagnez votre ciel, vous pouvez y croire, mais, en pratique, comment peut-on amener une personne à raisonner sur d'autres bases que celle du salut trouvé par le meurtre ou d'autres actes de violence qui sont carrément inacceptables dans notre société?

C'est une question que votre comité devrait poser à des experts comme ceux que je viens de mentionner, qui pourraient vous répondre. Comment d'autres pays y font-ils face?

[Traduction]

Comment le Royaume-Uni procède-t-il dans de tels cas? Certains de nos principes de droit pénal sont semblables à ceux du système britannique.

J'aurais envie de suivre cette voie et de chercher à obtenir des conseils.

[Français]

Donc, un conseil que je pourrais donner aux membres de ce comité est que, si cet aspect vous préoccupe assez pour en faire une recommandation, je vous suggérerais de chercher des réponses auprès de ces gens.

Le sénateur Dagenais : Merci, sénateur Joyal. J'aurai une autre question éventuellement.

[Traduction]

Le sénateur White : Sénateur, je m'excuse d'être en retard. J'apprécie le travail qui a été accompli en lien avec ce rapport. Je crois qu'il est excellent et que nous pouvons très bien l'utiliser comme fondement pour notre travail. Ma question sera axée sur votre discussion entourant le nombre d'organismes canadiens qui échangent des renseignements, entre autres. On compte plus de 190 corps policiers au pays. La GRC n'a pas compétence dans deux des plus grandes provinces du pays, ni dans les grandes villes du Canada, et pourtant, nous nous attendons à ce que cet organisme partage avec ces collectivités les renseignements qu'il reçoit du SCRS et d'autres partenaires.

Pensez-vous qu'il est nécessaire que le ministre de la Sécurité publique, par exemple, mette en œuvre des normes sur l'échange de renseignements qui feraient en fait l'objet de vérifications afin que les services de police — qu'ils comptent 5, 500 ou 5 000 employés — puissent recevoir des renseignements en temps opportun et être en mesure d'intervenir, alors que selon certaines personnes, à l'heure actuelle, ils ne reçoivent pas ces renseignements?

Le sénateur Joyal : Tout d'abord, il y a ce que j'appelle une culture systémique, qui existe depuis fort longtemps, longtemps avant que vous fassiez partie des forces de l'ordre et longtemps avant que je siège ici, au Parlement.

Dans ce système, les gens ont tendance à protéger leur propre territoire, leur propre compétence. Comme vous l'avez mentionné, et comme le sénateur Dagenais l'a souligné lui aussi, il y a eu des percées, des ouvertures. Cela dit, si vous voulez vraiment vous attaquer à ce problème, vous devrez obtenir des réponses à des questions très importantes, plus particulièrement la question de la protection des informateurs, comme vous le savez. Les tribunaux ont pris d'importantes décisions à ce sujet. Autrement dit, un corps policier ne communiquera pas certains renseignements s'il estime que la divulgation de sa source de renseignements sera débattue en cour. Le corps policier préférera ne rien dire, et parfois, il préférera même ne pas déposer d'accusations.

Il y a donc des conséquences très importantes du point de vue criminel lorsque les divers intervenants du système n'offrent pas le même type de protection. Vous êtes au courant du débat qui oppose les organismes de renseignement et les corps policiers, par exemple. Aujourd'hui, il y a des restrictions en ce qui concerne les renseignements qui peuvent être échangés, compte tenu du fait qu'il faut protéger l'initiative et les responsabilités des forces policières. Je suis convaincu que vous les connaissez probablement beaucoup mieux que moi.

Cela dit, d'après ce que j'ai constaté en prenant connaissance des décisions rendues antérieurement par les tribunaux dans les cas où les corps policiers se sont abstenus de porter des accusations parce qu'ils ne voulaient pas divulguer leurs sources de renseignements ou courir le risque qu'elles soient dévoilées, on peut s'attendre à ce que la collaboration entre les divers services de police ait des limites. C'est une question très importante, et elle ne constitue qu'un exemple.

Si nous voulons renforcer la capacité du Canada de lutter contre le terrorisme et unir nos efforts en ce sens, je crois que le ministre de la Sécurité publique a un rôle très important à jouer auprès du commissaire, M. Paulson, ainsi que des services de police municipaux et provinciaux, et qu'il est essentiel d'examiner ces questions en profondeur. Comme je le disais, ce sont les parlementaires qui doivent décider s'il faut apporter des changements à nos lois. Au moins, nous saurons quels sont les obstacles qui nous empêchent de mieux coordonner les efforts conjoints. C'est de cette façon que je perçois la situation.

Le président : Nous vous remercions de vos observations et, bien sûr, des connaissances que vous avez apportées dans le cadre des études que nous avons menées par le passé. Vous avez parlé d'Internet dans le contexte de l'endoctrinement et mentionné qu'il pouvait être la source d'idéologies religieuses ou autres qui se propagent partout dans le monde, et non pas uniquement au Canada. Nous n'avons pas parlé de ceux qui essaient peut-être d'endoctriner des gens dans des salles de classe ou dans d'autres contextes ici, dans les collectivités au Canada.

J'aimerais que vous nous fassiez part de vos observations au sujet de la promotion de l'extrémisme politique, idéologique et religieux. Pensez-vous que nous devrions examiner les critères relatifs aux crimes haineux en lien avec les personnes qui font la promotion d'idéologies de ce type, puisqu'au bout du compte, c'est ce qui nous permettra de mettre fin à la violence dans nos collectivités?

Le sénateur Joyal : Généralement, une échelle de la criminalité est une bonne façon de mesurer l'évolution d'une société. Avant la Seconde Guerre mondiale, avant la Shoah, on ne considérait pas que les crimes haineux visaient, par exemple, la communauté juive. Avant cela, les autorités publiques ne pensaient pas qu'elles devaient lutter contre l'antisémitisme.

Vous connaissez aussi bien que moi l'histoire du Canada. Le Canada a contré l'immigration juive pendant la Seconde Guerre mondiale, il n'y a pas si longtemps. Je veux dire, cela ne fait pas 100 ans, mais bien 60 ou 70 ans. Cela dit, aujourd'hui, nous ne pouvons pas accepter de telles choses. Nous en sommes venus à la même conclusion en ce qui concerne d'autres groupes minoritaires, comme les gais, les lesbiennes et les Indiens. Je me souviens, lorsque j'étais enfant, je recueillais des objets indiens, et ma mère ne voulait pas que je les ramène à la maison. Elle était consternée; selon elle, ces objets étaient contaminés, et si je les ramenais à la maison, nous attraperions tous des maladies. À cette époque, les gens croyaient que les Indiens étaient porteurs de maladies. Aujourd'hui, bien entendu, nous n'accepterions jamais cela.

Il ne fait aucun doute qu'en ce qui concerne la promotion du terrorisme par Internet, toute personne qui en fait la promotion — il peut s'agir d'un adolescent, car les adolescents font parfois des choses insensées — doit être consciente de ses actes à cet égard, au même titre qu'une personne qui véhicule des préjugés à l'égard des groupes minoritaires que je viens juste de mentionner. Il me semble que les crimes haineux évoluent parallèlement à la perception qu'a la société de ce qui constitue le code de respect de la liberté et du droit d'avoir une opinion différente.

À mon avis, ce n'est pas l'élément de référence que nous devrions étudier de près, compte tenu des décisions qui ont déjà été rendues par les tribunaux à propos du contexte dans lequel ces allégations ont été faites, de la façon dont la situation a évolué au Canada au cours des 70 dernières années et du fait que la promotion du terrorisme ne vise pas seulement une minorité donnée, mais aussi, parfois, les forces militaires ou policières, ou encore d'autres personnalités publiques. Tous les Canadiens devront porter le fardeau de ce qui s'est produit au cours des deux dernières semaines, pas seulement vous et moi ici, au Parlement, mais aussi tous ceux qui nous remplaceront et qui sont exposés à des représailles de ce type.

Il me semble que c'est probablement un terrain très fertile pour la réflexion et la recherche. Si vous voulez formuler une recommandation à cet égard, ce serait justifiable. Il faudrait demander à un spécialiste juridique de mener une étude au nom du comité, ce qui vous permettrait de formuler une recommandation très sérieuse qui s'appuierait sur des fondements pouvant résister à un débat public.

Le président : Sénateur, je vous remercie d'avoir pris le temps de comparaître devant le comité pour répondre entièrement à nos questions. Comme nous savons où vous habitez, nous pourrons vous convoquer de nouveau si jamais nous avons encore besoin de votre expertise. Merci beaucoup.

Dans le cadre de notre étude des menaces terroristes qui pèsent sur le Canada, qui se poursuit aujourd'hui, nous sommes heureux d'accueillir M. Brian Saunders, directeur des poursuites pénales, M. George Dolhai, avocat général principal et directeur adjoint des poursuites pénales, ainsi que Mme Ursula Hendel, avocate principale au sein du groupe des avocats de l'administration centrale de la Direction des poursuites en matière de drogues, de sécurité nationale et dans les territoires du Nord.

Avant de commencer, j'aimerais apporter deux précisions à tous les sénateurs et aux gens qui nous regardent à la maison. Premièrement, nous ne demanderons aucun détail sur les enquêtes en cours. Deuxièmement, le comité a récemment entendu les témoignages du commissaire de la GRC, Bob Paulson, et du directeur adjoint du renseignement du SCRS, Michael Peirce, qui ont décrit la situation de leur point de vue.

Le comité aimerait maintenant obtenir le point de vue du Service des poursuites pénales du Canada sur la même question. Je crois savoir que M. Saunders désire faire une déclaration préliminaire. Monsieur, vous pouvez commencer.

Brian Saunders, directeur des poursuites pénales, Service des poursuites pénales du Canada : Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs, au nom du Service des poursuites pénales du Canada, je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser au comité dans le cadre de son examen des menaces à la sécurité visant le Canada. Je suis accompagné aujourd'hui de George Dolhai et d'Ursula Hendel. M. Dolhai est directeur adjoint des poursuites pénales et il est responsable de la Direction des poursuites en matière de drogues, de sécurité nationale et dans les territoires du Nord au SPPC. Il assure la supervision de toutes les poursuites en matière de terrorisme. Mme Hendel est avocate- conseil et elle est coordonnatrice nationale des poursuites en matière de sécurité. Elle a notamment pour responsabilité de formuler des conseils concernant des questions liées aux poursuites en matière de sécurité nationale et de terrorisme.

J'aimerais commencer en vous présentant des renseignements généraux sur le rôle du SPPC en ce qui a trait aux poursuites liées à des infractions de terrorisme et aux mesures prévues dans le Code criminel visant à empêcher de telles infractions.

Le SPPC a été créé en 2006 lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur le directeur des poursuites pénales. Aux termes de notre mandat prévu dans la loi, nous conseillons les organismes chargés de l'application de la loi à l'égard d'enquêtes et nous intentons des poursuites à l'égard d'infractions de compétence fédérale.

Notre rôle en tant que conseiller juridique des organismes chargés de l'application de la loi est distinct de leur rôle d'enquête. Notre rôle n'est pas de mener ou de diriger les enquêtes policières. À leur demande, nous donnons à la police des conseils juridiques pendant une enquête. Cela permet de faire en sorte que les techniques et les procédures qu'elle utilise sont conformes à la loi, y compris aux règles changeantes régissant la preuve et à la Charte canadienne des droits et libertés.

Pour la plupart des actes criminels, une fois que l'enquête est terminée, les services de police peuvent simplement porter des accusations s'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise. Les procureurs procèdent ensuite à un examen indépendant du dossier et décident si une poursuite sera intentée.

Cette procédure est légèrement différente dans le cas des poursuites criminelles, y compris celles intentées en vertu des dispositions antiterroristes.

[Français]

Avant de porter des accusations en vertu de ces dispositions, les services de police doivent obtenir le consentement du procureur général. Ce consentement peut être donné par le procureur général du Canada ou par un procureur général provincial, puisque de telles poursuites sont de compétence fédérale et provinciale.

[Traduction]

Jusqu'à maintenant, le consentement aux poursuites d'infractions de terrorisme a été donné au niveau fédéral. La décision de consentir ou non est déléguée au directeur des poursuites pénales. À mon tour, j'ai autorisé les directeurs adjoints des poursuites pénales à prendre la décision de consentir ou non.

Nous appliquons le même critère, peu importe si nous décidons d'intenter une poursuite lorsque des accusations ont été portées ou si nous décidons de consentir au nom du procureur général à ce que des accusations soient portées. Le critère que nous appliquons comporte deux volets : le premier porte sur la preuve et le second sur l'intérêt public. Nous examinons la preuve recueillie par les services de police pour déterminer s'il existe une perspective raisonnable de condamnation, et non si une condamnation est certaine ou même probable. Si nous sommes convaincus que la preuve dont nous disposons satisfait à ce critère, nous décidons ensuite si l'intérêt public exige qu'il y ait poursuite.

Je dois préciser que l'intérêt public exige habituellement qu'il y ait poursuite lorsqu'il est question d'infractions graves comme le terrorisme. Par conséquent, nous n'avons pas refusé d'intenter une poursuite dans une affaire de terrorisme pour cette raison.

[Français]

Je souligne que ce critère, ou un critère très semblable, est également appliqué par les services de poursuites provinciaux à l'échelle du pays lorsqu'ils déterminent s'ils intenteront une poursuite ou s'ils consentiront au dépôt des accusations criminelles.

[Traduction]

Le poursuivant doit être convaincu que ces critères sont respectés tout au long des procédures. Si, à tout moment pendant les procédures, le poursuivant conclut que les critères ne sont pas respectés, il doit mettre fin aux procédures en retirant ou en suspendant les accusations.

Une fois que la poursuite est intentée, le poursuivant est responsable des procédures. Il continue de travailler en étroite collaboration avec les services de police afin de veiller à ce que la preuve requise soit présentée en cour.

Il est important que nous appliquions le même processus d'évaluation aux poursuites en matière de terrorisme et aux autres poursuites criminelles. Le législateur a décidé que les infractions de terrorisme font partie du droit criminel canadien; cela signifie que l'admissibilité et le poids de la preuve dans une poursuite en matière de terrorisme sont évalués de la même façon que dans toute autre poursuite criminelle.

Permettez-moi maintenant d'aborder trois dispositions du Code criminel qui sont spécifiques au contexte du terrorisme et qui sont de nature préventive : je veux parler de l'engagement assorti de conditions, des investigations et des engagements de ne pas troubler l'ordre public.

Dans chaque cas, le consentement préalable du procureur général est requis. Notre rôle à l'égard de chacun de ces outils est de conseiller les services de police, lorsqu'ils le demandent, en ce qui a trait à l'utilisation de ces mesures et de consentir à leur utilisation au nom du procureur général, au besoin.

Dans ces cas, nous évaluons si la preuve présentée pourrait convaincre un juge que les critères ont été respectés. J'emploie les mots « pourrait convaincre » plutôt que « convaincra » de façon délibérée — la question de savoir si le juge acceptera finalement notre demande n'est pas notre critère.

Honorables sénateurs, j'espère que ce bref aperçu vous a aidé à mieux comprendre notre rôle par rapport aux infractions de terrorisme, tant avant le dépôt d'accusations par les services de police qu'après.

Comme dans toutes les affaires criminelles graves, nous travaillons en étroite collaboration avec les services de police à l'étape de l'enquête, tout en respectant leur rôle indépendant. Ils collaborent étroitement avec nous une fois que les accusations sont portées ou proposées alors que nous exerçons notre rôle indépendant de poursuivant. Cette étroite collaboration et ce respect mutuel contribuent à ce que les dossiers soient traités de façon équitable et juste.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au comité. Nous répondrons à vos questions avec plaisir.

Le président : Merci, monsieur Saunders.

Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Saunders. La dernière fois que je vous ai vu, je ne vous appelais pas « monsieur ». Nous avions environ 14 ans et nous allions à l'école ensemble. Nous ne nous sommes pas vus depuis — je tiens à ce que les choses soient claires : nous ne nous sommes pas vus pendant environ 49 ans, je crois. Quoi qu'il en soit, votre exposé était très instructif et utile. Merci.

J'aimerais simplement revenir sur l'idée selon laquelle il existe une différence — et non, elle n'est pas légère — entre le pouvoir qu'ont les corps policiers de porter des accusations criminelles contre une personne et le pouvoir qu'ils ont de porter des accusations liées au terrorisme, et sur le fait que dans ce dernier cas, ces accusations doivent être approuvées par votre bureau. Pourquoi en est-il ainsi? Qu'est-ce que cela signifie? S'agit-il d'une certaine forme de protection?

M. Saunders : Certaines infractions prévues dans le Code criminel exigent que le procureur général consente d'abord à ce que des accusations soient portées. On en compte neuf ou dix, en plus des infractions liées au terrorisme. Certaines infractions prévues dans d'autres lois fédérales sont elles aussi assorties de la même exigence, par exemple celles prévues dans la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. En outre, dans certaines provinces — en Colombie- Britannique, au Nouveau-Brunswick et au Québec —, la pratique veut que le poursuivant approuve toutes les accusations avant qu'elles soient déposées.

Maintenant, si vous me demandez pourquoi le consentement est inscrit dans le Code criminel, je peux vous dire qu'en 1990, la Commission de réforme du droit du Canada a étudié cette question et a déterminé qu'il n'y avait aucune raison à cela, mais de façon générale, cela est perçu comme une mesure de protection. Vous constaterez que ce consentement est parfois nécessaire dans les cas où il y a des limites internationales aux moyens de défense. Par exemple, le Code criminel prévoit que le procureur général doit donner son consentement pour engager des poursuites dans les cas de nudité en public. Je pense que cela est perçu comme une façon de protéger l'intérêt collectif en déterminant ce qui est acceptable ou non. Donc, diverses raisons font en sorte que le consentement est nécessaire ou non en lien avec certaines infractions.

Le sénateur Mitchell : D'accord. Merci. On a discuté et débattu entre autres du fait que l'on s'inquiète que les corps policiers et les organismes de renseignement n'ont peut-être pas tous les pouvoirs juridiques dont ils auraient besoin pour lutter contre les complots terroristes ourdis au pays ou contre toute autre menace à laquelle nous sommes confrontés à l'heure actuelle. Il y en a plusieurs, si ce n'est un grand nombre.

Pourriez-vous nous donner une idée de la façon dont vous percevez l'état et la situation des pouvoirs juridiques qu'ont les forces policières, le SCRS et le CSTC, par exemple, ou est-ce que cette question est trop complexe étant donné que nous ne disposons que de 15 minutes?

M. Saunders : C'est une question beaucoup trop complexe. Nous ne traitons pas avec le SCRS et nous ne prodiguons pas de conseils à cet organisme. Notre mandat nous limite à fournir des conseils aux organismes d'application de la loi. Le SCRS est un organisme de renseignement, ce qui signifie donc que généralement, nous ne traitons pas directement avec les gens qui y travaillent. Cet organisme a sa propre unité des services juridiques, et c'est une responsabilité qui lui incombe.

Pour ce qui est des renseignements qui sont utilisés comme preuve — je pense que cet aspect fait partie de votre question —, notre rôle ne consiste pas à recueillir des preuves, ni à déterminer si un renseignement en particulier pourrait être utile comme preuve, ni à transformer les preuves liées au renseignement. C'est le rôle des policiers, et c'est le rôle d'enquête qu'ils jouent indépendamment.

Le sénateur Mitchell : Dans ce cas, pensez-vous, dans la mesure où vos efforts sont axés sur les forces policières, ce que je comprends fort bien, que dans certains domaines, leurs pouvoirs sont plus limités qu'ils ne devraient l'être? Pourrait-on leur confier certains pouvoirs conformes aux libertés civiles, par exemple, dont ils ne disposent pas à l'heure actuelle?

M. Saunders : Je pense que les policiers sont mieux placés que nous pour proposer des mesures ou des techniques d'enquête qu'ils pourraient utiliser en plus de celles qu'ils ont déjà à leur disposition. Notre rôle consiste à fournir des conseils aux policiers sur les techniques existantes et à veiller à ce qu'ils les utilisent de façon à respecter la loi.

Le président : Puis-je poursuivre sur le même sujet? Je pense qu'il est question ici du critère relatif aux lois en vigueur, dont le sénateur Mitchell a parlé. En ce qui a trait au fait de recommander d'intenter des poursuites qui pourraient mener à des accusations, croyez-vous que les critères sont trop élevés ou pensez-vous plutôt qu'ils sont conformes à ce qu'ils devraient être?

M. Saunders : Le critère que nous utilisons pour déterminer si le consentement est nécessaire est le même que celui que nous utilisons dans tous les cas pour décider si les poursuites doivent être maintenues. Comme je l'ai mentionné, c'est le critère qui est aussi utilisé par tous les services de poursuites provinciaux, et un critère semblable est appliqué par d'autres pays du Commonwealth. Ce critère fait état du rôle de protecteur que le poursuivant doit jouer.

Notre rôle n'est pas de remplacer le juge des faits. Je parle ici du tribunal. Notre rôle consiste plutôt à veiller à ce qu'il y ait un fondement juridique solide : ainsi, nous devons veiller à ce que la preuve soit suffisante, d'une part, et à ce que l'intérêt public justifie qu'une personne soit jugée par le système de justice pénale, d'autre part.

La sénatrice Stewart Olsen : J'aimerais simplement que vous me donniez un peu plus d'explications sur la façon dont on procède pour mener une enquête. Vous participez à ce processus dès le départ? Supposons qu'il s'agit d'une enquête en matière de terrorisme et qu'elle porte sur un groupe donné, par exemple. Est-ce qu'un employé de votre bureau fera partie d'un groupe de travail national créé pour aller de l'avant dans ce dossier? Est-ce qu'un membre de votre équipe fait partie intégrante — j'hésite à utiliser ce terme — d'un tel groupe, par exemple?

M. Saunders : Je vais demander à M. Dolhai de répondre à cette question, car il assure la supervision des poursuites en matière de terrorisme.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci.

George Dolhai, directeur adjoint des poursuites pénales, Service des poursuites pénales du Canada : Madame la sénatrice, un avocat est attitré à chacune des équipes intégrées de la sécurité nationale, qui sont composées d'agents de la GRC ainsi que d'agents des forces policières municipales et provinciales. Ils sont là pour offrir des conseils de façon régulière, non seulement en ce qui concerne les questions pour lesquelles un dossier a été créé — à ce moment-là, l'affaire prend corps —, mais aussi en ce qui concerne les autres enquêtes qui n'en sont pas encore à ce point, mais à propos desquelles des conseils doivent tout de même être offerts, notamment en ce qui concerne les mandats de perquisition ou tout autre outil d'enquête que les corps policiers pourraient avoir l'occasion d'utiliser.

En outre, dans les provinces où il n'y a pas d'équipes intégrées de la sécurité nationale, nous pouvons compter sur un avocat-conseil. Les avocats qui travaillent sur les dossiers liés au terrorisme sont tous des avocats chevronnés qui, je le répète, ont été désignés pour s'occuper de ces enquêtes de façon continue.

Lorsqu'une question fait l'objet d'un dossier, comme je l'ai mentionné, et qu'elle prend ainsi corps, que la personne pouvant être accusée est identifiée et que des mesures sont prises de manière beaucoup plus structurée pour aborder la situation, nous attribuerons généralement à un avocat la responsabilité de fournir des conseils avant le dépôt des accusations. Par la suite, cet avocat effectuera un suivi, jusqu'à ce que le moment soit venu de formuler une recommandation pour établir si le moment est bien choisi pour déposer des accusations.

Habituellement, l'avocat jouera aussi un rôle après cette étape, et généralement, un autre avocat-conseil participera lui aussi au processus et le dirigera à partir de ce moment. De cette façon, nous assurons une certaine continuité, tout en veillant à ce que la situation puisse être examinée d'un œil nouveau.

La sénatrice Stewart Olsen : Vous êtes convaincu que vous avez suffisamment de ressources pour prendre part à toutes les enquêtes en cours et apporter une contribution précieuse en tant que membre de l'équipe?

M. Dolhai : Nous ne sommes pas ici aujourd'hui pour demander des ressources.

La sénatrice Stewart Olsen : Non, non, je le sais.

M. Dolhai : Mais nous sommes en mesure de confier la responsabilité de ces causes à des avocats. Comme je l'ai mentionné, elles sont confiées à nos avocats les plus chevronnés, et parfois, il faut établir des priorités. Ces causes sont fort importantes et nous voulons qu'elles soient prises en charge par des avocats chevronnés, mais nous avons les ressources nécessaires.

La sénatrice Stewart Olsen : Merci.

La sénatrice Beyak : Vous avez mentionné que vous jouez le rôle du poursuivant. Étant donné que les Canadiens s'inquiètent vivement du fait qu'il y a 90 personnes représentant un risque élevé, pouvez-vous avoir recours aux dispositions de la Loi antiterroriste pour les investigations? Y a-t-il déjà eu, au Canada, des investigations qui ont donné lieu à des poursuites ou à des condamnations?

M. Saunders : Une demande d'investigation a été faite dans le cadre de l'affaire Air India, mais l'audience n'a pas eu lieu. L'ordonnance a été obtenue, mais c'est tout. Aucune autre demande de ce type n'a été faite.

La sénatrice Beyak : Est-ce que la Loi antiterroriste vous offre suffisamment d'outils pour vous permettre d'accorder une audience d'investigation si on vous en fait la demande?

M. Saunders : Cette disposition existe et elle pourrait être utilisée. De façon générale, nous comptons sur le fait que les policiers vont s'adresser à nous et nous dire qu'ils veulent avoir recours à cette technique. Pendant l'enquête, nous veillerons à ce que les critères énoncés dans la loi soient respectés. Une fois qu'un consensus est établi à ce sujet, comme vous le savez, les dispositions prévoient que le consentement du procureur général est requis, et donc, nous déterminerons si le consentement doit être accordé.

La sénatrice Beyak : Vous ont-ils demandé, dans l'un ou l'autre de ces 90 cas, d'avoir recours à cette technique?

M. Saunders : Les 93 cas?

La sénatrice Beyak : Les 90 ou 93 cas — nous avons entendu les deux chiffres au cours de la dernière semaine.

M. Saunders : Nous n'avons jamais refusé une demande.

Le président : Donc, il n'y a jamais eu de demande?

M. Saunders : Vous apprendrez probablement, en continuant de poser des questions, que les conseils que nous donnons aux policiers sont protégés par le secret professionnel. Donc, nous hésitons toujours à aborder des sujets qui pourraient faire en sorte que nous brisions ce secret. C'est ce qui explique pourquoi nous hésitons à répondre sans détour à la question, comme vous aimeriez que nous le fassions.

Le président : Question de tirer les choses au clair, nous essayons de déterminer si les lois en vigueur sont adéquates et permettent d'aborder les diverses situations auxquelles nos organismes d'application de la loi sont confrontés. S'il existe une loi qui n'est pas utilisée, nous devons savoir pourquoi, car elle ne sert pas à grand-chose.

Je prends cela comme exemple. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous vous avons demandé de comparaître devant le comité. Nous voulions que vous nous fassiez part de vos observations. Pourquoi n'êtes-vous pas en mesure d'utiliser certaines de ces lois? Que faudrait-il changer pour que nous puissions alors respecter le critère de l'intérêt public?

Le sénateur White : Je vous remercie tous les deux d'être ici aujourd'hui.

Ma question porte sur une réponse qui a été fournie par le commissaire lorsqu'il a comparu devant nous. Il était question du fait que le procureur général doit approuver les engagements de ne pas troubler l'ordre public.

Je comprends qu'il est nécessaire que le procureur général approuve les poursuites. Êtes-vous aussi fermement convaincu que le procureur général doit approuver les engagements de ne pas troubler l'ordre public en vertu de la loi?

M. Saunders : Vous me demandez si nous sommes fermement convaincus que cela est nécessaire. Nous avons utilisé les engagements de ne pas troubler l'ordre public à six reprises dans l'affaire des 18 de Toronto, mais ces engagements ont été obtenus d'une manière un peu différente de celle à laquelle vous pensez. Cinq de ces engagements ont été obtenus dans le cadre de la négociation d'un plaidoyer de culpabilité. Nous avons déterminé que nous ne disposions pas de preuves suffisantes pour continuer les poursuites, mais que nous avions assez de preuves pour respecter le critère permettant d'obtenir un engagement de ne pas troubler l'ordre public pour ces cinq personnes. Un engagement de ne pas troubler l'ordre public a été obtenu dans le cas d'un homme qui a été reconnu coupable, et à la fin de sa peine, on a obtenu un engagement de ne pas troubler la paix publique pour une période de deux ans afin d'éviter que cet homme puisse perpétrer un acte terroriste, car on était d'avis qu'il respectait encore les critères à cet égard.

Le sénateur White : Si vous me le permettez, je tiens à dire que la discussion portait sur le fait d'obtenir un engagement de ne pas troubler la paix publique pour éviter la perpétration d'un acte terroriste pendant l'enquête, par exemple, sur les 83 ou 90 personnes, quel que soit le nombre que nous avons utilisé jusqu'à lundi. On a fait valoir que l'étape supplémentaire consistant à demander l'approbation du procureur général retardait sans aucun doute, dans une certaine mesure, les efforts déployés par les policiers pour se montrer à la hauteur de nos attentes.

M. Saunders : Oui, c'est une étape supplémentaire, mais nous faisons de notre mieux pour accélérer le processus. Je vais demander à M. Dolhai de vous expliquer comment nous pouvons accélérer le processus. Au besoin, nous pouvons obtenir le consentement en l'espace de quelques heures.

M. Dolhai : Comme Brian l'a mentionné, c'est une étape supplémentaire, mais nous nous sommes efforcés d'avoir des gens sur le terrain qui collaborent avec les policiers pendant l'enquête. Ils sont bien placés pour connaître la nature du dossier ainsi que les preuves existantes ou inexistantes. Par conséquent, lorsqu'on présente une demande, ils sont en mesure d'y donner suite.

Outre les 18 de Toronto, les six — ou plutôt les cinq à l'égard desquels les accusations ont été abandonnées et celui reconnu coupable après avoir purgé sa première peine —, j'ai signé un consentement pour deux autres personnes durant l'enquête et j'ai pu l'obtenir relativement rapidement. Mais, comme je l'ai déjà dit, c'est parce que nous avons des gens sur le terrain.

Dans certains cas, sénateur, nous avons dû obtenir un consentement même pour porter des accusations, parce que l'enquête avait démarré à brûle-pourpoint. Par exemple, l'une de ces enquêtes concernait le financement d'activités terroristes en Colombie-Britannique impliquant M. Thambithurai. Ce dernier a été arrêté. Lorsqu'on nous en a avisés et que nous avons demandé le consentement, lequel doit être obtenu avant la première comparution, nous l'avons obtenu en l'espace de quelques heures.

Dans le cas de M. Nuttall et de Mme Korody — c'était également en Colombie-Britannique —, le consentement a été obtenu en l'espace de quelques heures. C'était dans le contexte d'accusations, mais dans le contexte des engagements de ne pas troubler l'ordre public nous avons, certes, donné suite aux demandes.

Le sénateur White : Selon vous, il n'est donc pas nécessaire d'apporter des changements à l'heure actuelle?

M. Dolhai : Là est la question.

Le sénateur White : Permettez-moi d'approfondir la question. Je crois que c'est le seul cas prévu dans le Code criminel — corrigez-moi si j'ai tort, et je suis certain que vous le ferez, Brian — où il faut l'approbation du procureur général pour un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Est-ce le seul cas?

M. Saunders : Non. Comme vous le savez, il existe plusieurs catégories d'engagements de ne pas troubler l'ordre public fondés sur le Code criminel. Si on veut assujettir une organisation criminelle à un engagement de ne pas troubler l'ordre public, c'est la disposition relative au terrorisme qui s'applique. En outre, le procureur général doit également donner son consentement pour les cas de lésions corporelles graves.

Rappelez-vous qu'il y a une disposition appelée « Engagement assorti de conditions » dans les dispositions antiterroristes du Code criminel, similaire à un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Aux termes de cette dernière, le procureur général doit également donner son consentement. Toutefois, dans ce cas, la police pourrait arrêter quelqu'un sans le consentement du procureur général, mais elle doit l'obtenir avant le dépôt de la dénonciation. Si la situation est urgente, la police pourrait arrêter la personne, puis obtenir le consentement et déposer la dénonciation au titre de l'engagement assorti de conditions.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos trois témoins d'être avec nous aujourd'hui. Monsieur Saunders, j'aimerais revenir à la loi qui permet les arrestations préventives. On en a parlé passablement la semaine dernière. Cette loi pourrait permettre la neutralisation des 230 islamistes radicaux qui ont été répertoriés au Canada, dont les 90 qui se retrouvent sur la liste des individus à haut risque. J'aimerais savoir pourquoi cette loi n'a pratiquement pas été utilisée au Canada, comparativement à l'Angleterre ou l'Australie.

M. Saunders : Je ne suis pas en mesure de commenter la situation en Australie ou en Angleterre; par contre, je peux vous dire qu'on a travaillé sur quelques dossiers ici. M. Dolhai vient de mentionner deux cas où le consentement nécessaire a été donné pour obtenir un engagement à ne pas troubler la paix. Nous travaillons en ce sens, peut-être pas dans tous les dossiers que vous avez mentionnés, mais nous travaillons avec la GRC dans plusieurs dossiers. Nous faisons partie de l'EISN, bien sûr, mais il nous faut la preuve en vertu du Code criminel pour fonctionner.

Le sénateur Dagenais : J'aurai une autre question plus tard, monsieur le président. Merci, monsieur Saunders.

[Traduction]

Le sénateur Baker : Bienvenue aux témoins. Vous êtes tous trois des avocats chevronnés. Compte tenu des résultats que vous avez obtenus, je pense que vous faites du bon travail.

Monsieur Saunders, vous dites que vous prenez la décision, mais c'est en fait l'adjoint qui prend la décision de porter ou non des accusations. C'est lui qui signe le formulaire conférant les pouvoirs du procureur général. Vous avez expliqué qu'il existe d'autres articles du Code criminel dans la législation fédérale, avec les mêmes dispositions, sur lesquels vous vous fondez pour décider si des accusations seront ou non portées.

Êtes-vous d'accord que ces autres situations se distinguent par le fait qu'elles impliquent des crimes de guerre, la perpétration d'un acte par un non-Canadien à l'étranger, la corruption du système judiciaire ou des violations de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et que ces actes ne s'apparentent pas aux actes criminels terroristes sur lesquels vous enquêtez?

M. Saunders : Les dispositions que j'ai mentionnées, lesquelles requièrent le consentement du procureur général, se trouvent dans le Code criminel. Vous en avez mentionné quelques-unes.

Le sénateur Baker : Il y en a trois autres.

M. Saunders : Par exemple, l'incitation publique à la haine et les actes de cette nature. Sont-ils différents? Ce sont tous des infractions au Code criminel. Elles constituent des infractions en vertu du droit criminel canadien. Comme je l'ai mentionné, le Parlement a choisi d'ajouter les infractions de terrorisme au Code criminel et de leur réserver — sur le plan de la procédure, du poids de la preuve et de l'admissibilité de la preuve — le même traitement qu'aux autres infractions prévues dans le code. Le Parlement a également décidé d'ajouter la disposition de consentement pour les infractions de terrorisme, comme il l'a fait pour certaines autres infractions.

En ce qui concerne le consentement, vous avez mentionné qu'il est donné par l'adjoint.

Le sénateur Baker : C'est lui qui signe le formulaire.

M. Saunders : En fait, non.

Le sénateur Baker : Je suis désolé. J'ai le formulaire ici.

M. Saunders : Oui, d'accord. Le directeur adjoint signe le formulaire.

Le sénateur Baker : Oui.

M. Saunders : Oui, d'accord.

Le sénateur Baker : Comme vous l'avez souligné, il y a une grande différence lorsque vous décidez de porter une accusation. Vous avez dit — si j'ai bien compris — que vous respectez la procédure habituelle. Autrement dit, les instructions destinées à vos procureurs se trouvent dans votre manuel, c'est ainsi que vous l'appelez, je crois. J'ai lu votre manuel. Selon les instructions, pour aller de l'avant avec une poursuite, le procureur doit être convaincu d'avoir plus qu'une présomption, plus que les éléments minimaux de l'infraction qui ferait l'objet d'une poursuite. Il faut qu'il y ait quelque chose de plus. C'est ce qu'on peut lire dans le manuel.

Prendre la décision de porter des accusations aux termes de la loi antiterroriste ou prendre la décision d'arrêter quelqu'un aux termes de la loi antiterroriste, ce n'est pas la même chose. Deux experts de la police siègent à notre comité. Ils ont servi dans la police pendant de très nombreuses années. Décider ou non de donner suite à une poursuite, ce n'est pas la même chose que décider d'arrêter ou non quelqu'un et de porter des accusations. Si la même norme s'appliquait à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, je doute qu'il y aurait beaucoup de poursuites.

Je sais que vous respectez les dispositions du Code criminel, celles que nous avons promulguées loi. Toutefois, ce que nous voulons savoir, c'est pourquoi ce n'est pas la même norme qui s'applique au dépôt d'accusations aux termes de la loi antiterroriste et au dépôt d'accusations aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

M. Saunders : La norme est la même. Veuillez m'excuser si mon discours d'ouverture n'était pas assez clair à ce sujet. Nous appliquons la même norme, qu'il s'agisse de consentir au dépôt d'accusations ou qu'il s'agisse de décider de donner suite à une poursuite dans un cas où la police a porté des accusations. Nous appliquons la même norme dans les deux situations. Les trois provinces que j'ai mentionnées — la Colombie-Britannique, le Québec et le Nouveau- Brunswick —, dans lesquelles toutes les accusations doivent être approuvées par le procureur avant que des accusations puissent être portées, appliquent un critère similaire au nôtre.

Le sénateur Baker : C'est le cas dans ces trois provinces. C'est une décision de ces trois gouvernements provinciaux de procéder ainsi. Dans la common law du Canada, il existe une grande distinction entre les enquêtes policières, le dépôt d'une accusation et la responsabilité de donner suite à une poursuite. La police trouve beaucoup de preuves durant son enquête et lorsqu'elle porte des accusations. Lorsque la police prend d'assaut une maison dans laquelle on produit des drogues et qu'elle recueille les preuves, qu'est-ce que le procureur examine? Il examine, entre autres, les motifs de l'arrestation et de l'assaut, ainsi que les résultats de l'assaut.

Je suppose que vous n'êtes pas d'accord qu'il existe une grande différence entre la norme utilisée pour donner suite à une poursuite et celle utilisée pour entamer une poursuite, et que beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi on ne laisse pas la police enquêter et porter des accusations aux termes de la loi antiterroriste.

M. Saunders : La police peut porter des accusations aux termes du Code criminel pour les cas où le consentement n'est pas requis, à condition qu'il y ait motif raisonnable de penser qu'une infraction a été commise. Dans tous ces cas, nous appliquons les critères dont nous avons discuté, le critère à deux volets que j'ai mentionné. Il ne s'agit pas d'une prépondérance des probabilités; le critère est moins strict que cette dernière. C'est un critère de sélection. Il respecte le rôle de gardien des procureurs des pays du Commonwealth. Dans les cas où le consentement est requis, nous appliquons, comme je l'ai déjà mentionné, le même critère. Nous appliquons le même critère à tous les cas, que les accusations soient portées directement par la police ou qu'il faille obtenir le consentement préalable.

Le sénateur Baker : C'est une très bonne réponse. Merci.

Le président : Je voudrais revenir sur le projet de loi S-7. Depuis le printemps dernier, toute tentative de quitter le Canada en vue de participer à des activités liées au terrorisme ou de les faciliter constitue une infraction de terrorisme.

Je ne sais pas si vous avez les chiffres ici, mais pourriez-vous nous dire combien d'accusations ont été portées aux termes de cette infraction depuis l'adoption de ce projet de loi?

M. Saunders : Je vais demander à M. Dolhai de répondre à cette question.

M. Dolhai : Avant l'entrée en vigueur du projet de loi, il y avait eu une poursuite contre M. Hersi pour cette même infraction. Il voulait quitter le Canada en vue de participer à des activités terroristes. En fait, il a conseillé à un agent d'infiltration de le faire, ce qui lui a valu une condamnation.

Depuis, dans le cadre du projet Supervision, M. Yusufzai a été accusé aux termes de la nouvelle infraction de l'article 83.181, intitulé « Quitter le Canada : participer à une activité d'un groupe terroriste ». Je pense que c'est la seule accusation à ce jour.

Le président : J'aimerais approfondir la question du sénateur Baker, car je pense que c'est très important.

On nous a informés — ainsi que le public — qu'environ 135, ou peut-être plus, Canadiens ou personnes possédant la double citoyenneté ont quitté le Canada pour se joindre à des organisations terroristes, surtout au Moyen-Orient. On nous a également dit, il y a une semaine et demie, que 80 personnes avaient été identifiées ou étaient sous surveillance en lien avec une possible participation à des activités terroristes, puis on nous a dit qu'il y en a 90 pour finalement nous dire qu'il y en a 93.

Il me semble que c'est un article que nous devrions utiliser si, comme on nous l'a dit, plusieurs de ces 93 personnes ont participé à des activités terroristes à l'étranger et sont revenues. Cet article serait utilisé pour porter des accusations. Comment se fait-il que cette disposition législative ne soit pas utilisée plus souvent, eu égard à la menace à laquelle les Canadiens sont exposés et au nombre de personnes dont il est question?

M. Dolhai : Sénateur, cela dépend encore une fois de la preuve contre les personnes identifiées. De l'avis de la police, il faudrait, à juste titre, mener une enquête sur certaines de ces personnes et recueillir des preuves à leur sujet pour voir s'il y a suffisamment de preuves pour porter des accusations. Ensuite, il faut répondre à la question suivante : à la fin de l'enquête, grâce aux preuves recueillies, y aura-t-il une probabilité raisonnable d'obtenir une condamnation? L'enquête légitime menée à ce moment-là par la police ne se traduira peut-être pas par un grand nombre de dépôts d'accusations.

Le président : Je vais approfondir un peu cette question. Je suis un gars de la campagne, alors je vous demande de faire preuve d'indulgence. Je pense que, concernant ce problème très réel auquel nous sommes confrontés, je m'exprime probablement au nom de bon nombre de Canadiens. Si nous n'utilisons pas cet article contre ces individus qui ont été identifiés, qui, visiblement, ont été, d'une manière ou d'une autre, impliqués dans des activités terroristes — bien que la mesure dans laquelle ils ont été impliqués pourrait être débattue —, pourquoi n'utilisons-nous pas plus souvent l'engagement de ne pas troubler l'ordre public? Je ne comprends pas. Allons-nous attendre qu'un autre incident survienne et, ensuite, nous en mordre les doigts? Que devons-nous mettre en place pour réduire la menace à laquelle les Canadiens sont confrontés quotidiennement dans notre pays, si nous n'utilisons pas ces articles en vigueur? Devons- nous adopter une autre loi?

M. Dolhai : Lorsqu'on nous présente les preuves, nous les évaluons et, s'il y a lieu, nous consentons au dépôt des accusations, y compris les accusations en vertu de la nouvelle disposition. Nous l'avons déjà fait. Dans le cas en Colombie-Britannique que j'ai mentionné, on a porté des accusations aux termes de la nouvelle disposition, et il ne fait aucun doute qu'il y aura des cas où les preuves ne suffiront pas à porter des accusations, mais justifieront le recours à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public.

J'ai mentionné que j'ai donné mon consentement dans deux cas impliquant ce genre de comportement.

Le président : Je pourrais approfondir cette question toute la journée. Je sais que le sénateur Mitchell aimerait poser des questions.

Le sénateur Mitchell : Je vais approfondir encore un peu la question. Je ne suis pas avocat. Il semble que tout est une question de preuves et de leur qualité. J'ai deux questions concernant le SCRS. Je sais que vous n'avez pas directement affaire au SCRS, mais lorsque le SCRS franchit un certain seuil, il transfère le dossier à la GRC. Le SCRS peut déclencher une enquête sur une simple suspicion, contrairement à la police. En outre, le SCRS craint de ne pas être en mesure de protéger l'anonymat de ses informateurs une fois que l'information est transmise à la police, ce qui pourrait apparemment et évidemment être corrigé en modifiant la législation.

Le problème vient-il en partie de l'interface avec laquelle vous travaillez? Est-ce parce que cela part en bonne partie du SCRS, qui applique des seuils inférieurs de suspicion au lieu des seuils plus élevés exigés dans le cadre des enquêtes de la police et qui fait peut-être preuve de réticence parce qu'il ne veut pas révéler ses sources? Cela vous empêche-t-il de réunir suffisamment de preuves pour faire plus de ce que vous avez fait de façon limitée?

M. Saunders : Je commencerai à répondre à cette question.

La transformation de renseignements en preuves, comme je l'ai indiqué précédemment, relève de la responsabilité de la police. C'est une responsabilité difficile, mais les agents de police doivent recueillir des preuves admissibles en cour de justice. Ce sont des preuves sur lesquelles nous pouvons nous appuyer quand nous évaluons un cas afin de donner le feu vert et entamons des poursuites par la suite.

De plus, en ce qui concerne les engagements à ne pas troubler l'ordre public, la norme est inférieure à celle exigée pour l'obtention d'une poursuite parce que c'est une mesure préventive et non punitive. La norme est moins élevée, mais il faut présenter des preuves crédibles pour convaincre le juge que des mesures restrictives devraient être imposées à quelqu'un pour une période pouvant aller jusqu'à deux ans, dépendamment des condamnations précédentes.

Voilà le problème auquel la police est confrontée. Il n'est pas facile de réunir des preuves sur ce qu'une personne a fait dans un pays étranger. Les agents savent que cette personne s'est rendue à l'étranger et se doutent fortement de ce qu'elle y a fait pendant son séjour, mais il peut parfois s'avérer ardu de recueillir des preuves montrant ce qu'elle a réellement fait afin de convaincre une cour de justice.

Le sénateur Mitchell : Ma prochaine question concerne les ressources, même si vous n'êtes pas ici pour en demander. Il me semble que le problème que vous décrivez, et que je ne nie pas, concerne la manière dont la police recueille les preuves, et vous semblez disposer des ressources pour évaluer cela assez clairement.

Je ferais remarquer, aux fins de la discussion, que Mme Hendel est avocate principale et responsable des poursuites en matière de drogue, de sécurité nationale et des territoires du Nord. Voilà qui constitue tout un éventail de responsabilités, et quand il est question de poursuites en matière de drogue, de sécurité nationale et des territoires du Nord, est-il possible — et mes propos semblent plus agressifs que je ne le souhaiterais — que quelque chose passe entre les mailles du filet? Sinon, comment vous assurez-vous que ce ne soit pas le cas?

Ursula Hendel, avocate principale, Direction des poursuites en matière de drogues, de sécurité nationale et dans les territoires du Nord, Service des poursuites pénales du Canada : Je travaille pour la Direction des poursuites en matière de drogues et des territoires du Nord, mais je m'occupe presque exclusivement de la coordination des poursuites relatives au terrorisme. Cette responsabilité occupe 95 p. 100 des tâches de mon poste. Je relève de la direction des poursuites publiques, mais je suis coordonnatrice des poursuites relatives au terrorisme et c'est pratiquement tout ce dont je m'occupe.

Le sénateur Mitchell : À ce titre, combien de personnes relèvent de vous dans ce domaine?

Mme Hendel : Je suis coordonnatrice et non superviseure, mais il y a des avocats assignés dans chaque bureau du pays, lesquels agissent à titre de coordinateurs, possèdent de l'expérience quant aux poursuites dans des affaires de terrorisme ou ont été désignés comme étant la personne-ressource en matière de poursuites relatives au terrorisme. Nous avons entre nous une bonne et étroite collaboration, nous avons tous le numéro de BlackBerry les uns des autres et nous assurons le service en tout temps. Le terrorisme est considéré comme une priorité élevée dans le service des poursuites publiques.

Le sénateur Mitchell : Combien de bureaux comptez-vous au pays et combien de ces personnes y seraient affectées?

M. Saunders : Nous comptons 11 bureaux régionaux. Il s'en trouve dans chaque province à l'exception de l'Île-du- Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. Nous avons des bureaux locaux au Nouveau-Brunswick et à St. John's, à Terre-Neuve, qui relèvent de Halifax. Nous avons des bureaux dans chaque province sauf à l'Île-du-Prince-Édouard.

Le sénateur Mitchell : Combien de gens s'occupent précisément du terrorisme?

M. Saunders : Il y a en tout temps de 15 à 20 personnes qui travaillent dans le domaine. Elles ne travaillent pas nécessairement à temps plein. Elles le font au cours d'une poursuite, ou elles pourraient être assignées à une région si elles sont affectées à une équipe intégrée de la sécurité nationale.

Le sénateur Mitchell : Le nombre de poursuites ou d'enquêtes en matière de terrorisme a-t-il augmenté?

M. Saunders : En ce qui concerne les poursuites, cela varie. Nous venons d'en terminer deux, une ici, à Ottawa, et une à Toronto. Deux poursuites sont en cours, dont une à Vancouver. M. Dolhai a fait référence à l'affaire Nuttall. À Toronto, il y a l'affaire Esseghaier et Jaser. Nous avons en outre trois dossiers en suspens dans le cadre desquels des mandats d'arrêt attendent d'être exécutés concernant cinq personnes qui ont quitté le pays.

Le président : Elles ont quitté le pays, mais les poursuites sont en suspens?

M. Dolhai : Oui. Deux ont quitté le Manitoba, une vient de Colombie-Britannique et deux sont de l'extérieur de l'Ontario.

Si je peux ajouter quelque chose à la réponse, sénateur, je suppose que je suis le superviseur auquel Mme Hendel a fait référence. Trois secteurs relèvent de moi, et notre structure fait en sorte qu'il y a des procureurs fédéraux en chef dans chaque bureau régional. Mon directeur adjoint et moi-même nous divisons le pays au chapitre des obligations de reddition de comptes ainsi que les domaines d'expertise.

En tout temps, l'équivalent de 15 à 20 avocats principaux travaillent dans des affaires liées au terrorisme, ce qui pourrait signifier que l'un d'eux passe la moitié de son temps à s'occuper de telles affaires en ce moment. La somme totale du temps qu'ils passent équivaut à celui de 15 à 20 personnes très chevronnées. Ce sont ces gens qui s'occupent sans relâche de ces affaires.

Nous disposons en outre d'une capacité en cas de forte augmentation du volume de travail. Quand nous est arrivée l'affaire concernant 18 personnes à Toronto, nous avons affecté cinq avocats au dossier, ainsi que du personnel d'assistance juridique et de soutien. Dans l'affaire Samossa qui s'est déroulée ici, à Ottawa, quatre avocats et du personnel de soutien se sont occupés du dossier et ont notamment pu faire appel à notre avocat principal en Colombie- Britannique, qui était le principal responsable du dossier. Nous nous employons à toujours agir de la sorte pour veiller à ce que l'avocat responsable du dossier, peu importe l'endroit où il se trouve, soit un de nos avocats les plus chevronnés afin qu'il supervise la poursuite.

Le président : Vous avez indiqué que cinq personnes avaient quitté le pays. De toute évidence, il doit s'agir de Canadiens. A-t-on déposé des accusations contre eux? Je n'ai pas compris ce que vous avez dit à ce sujet.

Mme Hendel : Juste pour que tout soit clair en ce qui concerne ces cinq personnes, deux sont des étrangers qui n'ont jamais mis les pieds au pays. Cela concerne un acte terroriste commis à l'étranger qui a fait des victimes canadiennes. Il y a donc trois Canadiens visés par des mandats non exécutés.

Le président : Merci.

Mme Hendel : Toutes ces personnes font l'objet d'un mandat d'arrêt, mais trois sont canadiennes.

Le sénateur Day : Monsieur le président, je reviendrai à la même question concernant l'évaluation de la preuve en l'espèce.

D'après ce que je comprends des renseignements que vous nous avez donnés, monsieur Saunders, le critère que la police applique pour déterminer si elle déposera ou non des accusations, c'est le fait qu'elle a ou non des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise. Vous avez fait une distinction importante en ne parlant pas de terrorisme, mais de situations normales. C'est donc là le critère de la police. Quant au procureur, il détermine si la poursuite devrait aller de l'avant s'il y a des probabilités raisonnables de condamnation. Ai-je bien compris?

M. Saunders : Oui.

Le sénateur Day : J'aimerais aussi revenir sur votre commentaire en ce qui concerne les infractions de terrorisme — je ne m'attarderai pas sur l'intérêt public, puisque c'est la partie relative à la preuve qui m'intéresse — et le fait que le procureur doit donner son consentement, alors que lorsqu'il est question d'autres types d'infractions, les services de police peuvent prendre les devants et déposer des accusations. Vous avez dit appliquer le même critère, peu importe si vous décidez d'intenter une poursuite lorsque des accusations ont été portées ou si vous décidez de consentir au nom du procureur général à ce que des accusations soient portées.

Cependant, il y a deux critères différents. Pour ce qui est du consentement, vous dites que vous appliquez le même critère. Appliquez-vous le critère que les services de police utiliseraient, ou celui du procureur?

M. Saunders : Pour tous les dossiers, les services de police doivent mettre en application le critère des motifs raisonnables de croire. S'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu une infraction, dans la plupart des cas, ils peuvent déposer des accusations. Lorsqu'il est question de terrorisme, ils doivent nous consulter et obtenir notre accord.

Le sénateur Day : Quel est le seuil utilisé?

M. Saunders : Le critère général que nous appliquons habituellement est utilisé pour tous les cas où des accusations ont été déposées et où l'affaire nous a été transmise. Nous avons un critère d'évaluation qui est aussi appliqué aux dossiers où le consentement est nécessaire. Ce critère consiste à déterminer si, à la lumière des éléments de preuve, il y a une probabilité raisonnable de condamnation. Si nous sommes d'avis que c'est le cas, nous nous interrogeons ensuite à savoir si l'intérêt public exige qu'il y ait une poursuite.

Le sénateur Day : D'accord. En somme, lorsqu'il est question de terrorisme, le critère de consentement est plus élaboré que si les services de police enquêtaient sur un dossier qui n'est pas lié au terrorisme. Je crois que c'est ce que le sénateur Baker essayait de dire quand j'ai pris la parole, mais je n'arrivais pas à saisir la différence seulement en lisant les documents.

M. Saunders : Nous appliquons le même critère, qu'il s'agisse d'un cas où les services de police ont déjà déposé des accusations...

Le sénateur Day : Ils ne l'ont pas fait. On parle d'une infraction de terrorisme.

M. Saunders : Ce que j'essaie de dire, c'est que nous appliquons le même critère, et ce peu importe si les services de police ont déjà déposé des accusations. Nous prenons une décision à savoir si la poursuite peut avoir lieu, ou s'ils doivent d'abord obtenir notre consentement. Dans un cas comme dans l'autre, nous utilisons le même critère.

Le sénateur Day : Vous utilisez ce critère. Par conséquent, lorsqu'il est question d'infractions de terrorisme, il ne peut y avoir de consentement, et aucune accusation ne peut être déposée, à moins qu'il y ait une probabilité raisonnable de condamnation. Est-ce bien cela?

M. Saunders : Je vais aborder la question sous un autre angle. Disons que l'on élimine l'obligation de consentement...

Le sénateur Day : Oui.

M. Saunders : ... de façon à ce que les services de police puissent déposer des accusations sans qu'il y ait d'intermédiaire. Les accusations seraient ensuite transmises à un service de poursuites : habituellement, c'est à nous qu'elles sont transmises.

Le sénateur Day : Vous appliqueriez ensuite votre critère.

M. Saunders : Cependant, toutes les provinces auraient une chance égale de recevoir le dossier. Le procureur appliquerait alors le critère visant à savoir s'il y a une probabilité raisonnable de condamnation et si l'intérêt public exige qu'il y ait une poursuite.

Le sénateur Day : Vous ne pouvez donc pas répondre à ma question. Le seuil permettant d'obtenir votre consentement pour le dépôt d'accusations est-il plus élevé lorsqu'il est question d'une infraction de terrorisme, puisque c'est le critère du procureur qui détermine dès le départ si des accusations devraient être déposées?

M. Saunders : Je suis désolé si mes explications ne sont pas claires. Ce critère est appliqué même lorsque les services de police ont déjà déposé des accusations. Prenons pour exemple le cas d'une personne accusée de possession de cocaïne en vue d'en faire le trafic : les accusations sont déposées et on nous transmet le dossier. Les procureurs examinent le dossier et appliquent le critère de décision d'intenter des poursuites, comme nous l'appelons. Ils se posent les questions suivantes : y a-t-il une possibilité raisonnable de condamnation si l'on se fonde sur les éléments de preuve présentés par les services de police dans leur résumé? Si cette probabilité existe, l'intérêt public exige-t-il qu'il y ait une poursuite?

Ce critère est donc aussi utilisé dans ce type de circonstance. Nous appliquons le même critère à tous les dossiers, que les accusations aient été déposées avant que le dossier nous soit transmis ou que notre consentement soit nécessaire. Avant de donner notre consentement, nous mettons en application notre critère relatif à la décision d'intenter des poursuites.

Le sénateur Day : D'accord, je vois. Dans les dossiers de terrorisme, comme le consentement du procureur est obligatoire, on ne peut pas déposer d'accusation avant que le procureur affirme, à la lumière des éléments de preuve, que le seuil nécessaire a été atteint.

M. Saunders : C'est exact.

Le sénateur Day : Excellent, c'est plus clair.

M. Saunders : Toutefois, si l'on éliminait l'obligation de consentement et que les services policiers déposaient directement des accusations de terrorisme, le dossier nous serait transmis et le même critère serait appliqué.

Le sénateur Day : Exactement, je comprends. La différence, c'est que les accusations seraient déposées immédiatement. Le commissaire de la Gendarmerie royale a témoigné et a dit qu'il voulait que le seuil de dépôt d'accusations soit réduit. J'ai l'impression que, lorsqu'il est question de terrorisme — pour ce qui est du dépôt d'accusations —, le seuil est élevé et le commissaire voudrait qu'il soit diminué.

M. Saunders : Non, non. Dans son témoignage, il n'a rien dit sur le critère relatif à la décision d'intenter des poursuites, il parlait des engagements de ne pas troubler l'ordre public.

Le sénateur Day : D'accord, j'ai fait cette déduction à partir d'autres affirmations.

M. Dolhai : J'aimerais simplement ajouter, sénateur, qu'il y a une différence entre le critère appliqué par les services de police — c'est-à-dire l'existence de motifs raisonnables et probables — et le critère que nous appliquons. Dans le cas des provinces et territoires exigeant une vérification préalable à la mise en accusation, le critère est appliqué avant le dépôt des accusations. Dans le cas des autres provinces et territoires, si l'on met de côté les questions de terrorisme, le critère est appliqué après le dépôt des accusations.

Dans un cas complexe, comme une affaire de terrorisme ou une affaire de drogue ou d'organisation criminelle complexe, il doit y avoir une certaine collaboration tout au long de l'enquête. De cette façon, lorsque la preuve est suffisante pour procéder à des arrestations, les policiers et les procureurs sont sur la même longueur d'onde. Comme les accusations doivent être déposées dans les 24 heures suivant l'arrestation, il faut éviter que les policiers et les procureurs soient en désaccord quant au caractère suffisant de la preuve.

Nous intervenons dès le début du processus pour éviter toute surprise lorsque les services policiers décident de passer à l'action. Quand ils sont prêts à procéder à une arrestation, nous avons déjà fait les évaluations nécessaires et ils savent plus ou moins où en est le dossier et comment il sera géré.

Le sénateur Day : Je vous remercie, votre remarque est très pertinente. Je n'aurais pas cru que les services policiers et les procureurs étaient aussi proches.

M. Dolhai : Nous travaillons en étroite collaboration.

Le sénateur Day : Merci.

Le président : Le sénateur Baker aimerait-il prendre part à la discussion?

Le sénateur Baker : Oui. Bien entendu, si les services de police faisaient une descente dans un établissement à la recherche de drogues, le résultat de cette descente permettrait d'établir s'il y a ou non des motifs raisonnables d'aller de l'avant avec la poursuite.

Laissez-moi lire un extrait de votre guide, monsieur le directeur adjoint, qui présente une définition de la perspective raisonnable de condamnation. Il s'agit de la norme utilisée avant le dépôt d'accusations au titre de la Loi antiterroriste. L'extrait est le suivant :

Une perspective raisonnable de condamnation exige qu'il y ait plus qu'une preuve prima facie; en d'autres mots, qu'il y ait des éléments de preuve au procès permettant de prouver chaque élément nécessaire de l'infraction contre un accusé.

Nous savons tous qu'au moment de déterminer la culpabilité d'un accusé, le juge examine les éléments constitutifs de l'infraction. S'il considère qu'il y a bel et bien eu une infraction, la personne est jugée coupable. Je me demande donc ce que signifie la partie : « qu'il y ait des éléments de preuve au procès permettant de prouver chaque élément nécessaire de l'infraction contre un accusé. » On dit qu'il doit y avoir plus qu'une preuve prima facie : comment cela s'applique-t-il avant le dépôt des accusations?

M. Saunders : Il faut lire tout le paragraphe. On ajoute ensuite que le critère appliqué n'est pas celui de la prépondérance des probabilités, il est moins sévère. Le Guide indique également que nous ne jouons pas le rôle du juge des faits. Nous procédons à une évaluation. Nous nous assurons que chacun des éléments constitutifs de l'infraction est étayé par la preuve, et nous examinons aussi la crédibilité de la preuve. Nous nous assurons qu'il n'y a pas eu de violation de la Charte, et nous essayons de voir s'il y a un alibi que les services policiers n'ont pas noté. Ce ne sont que quelques exemples.

Nous tenons à affirmer clairement que le critère que nous appliquons n'est pas trop strict, il ne vise pas à empêcher les poursuites judiciaires. Nous jouons notre rôle : nous sommes des gardiens comme je l'ai dit plus tôt. Nous filtrons les cas qui n'ont aucune chance d'obtenir gain de cause au procès.

Mme Hendel : Si je peux me permettre de revenir sur ce que vous avez dit, sénateur Baker, vous avez fait mention d'une situation où l'on procède à une arrestation et où l'on rassemble les éléments de preuve dans...

Le sénateur Baker : C'est habituellement ce qui se produit dans les affaires de drogue.

Mme Hendel : C'est aussi ce qui se produit dans les affaires de terrorisme, puisque les services policiers n'ont pas besoin de notre consentement pour arrêter un suspect. Ils ont besoin de notre consentement pour déposer des accusations.

Ainsi, tout comme dans le cadre du processus normal selon lequel une personne peut être arrêtée, un mandat peut être exécuté et on peut enregistrer la déclaration du suspect qui a été arrêté, s'il est prêt à parler aux policiers : tout cela correspond au processus normal. L'obligation de consentement ne vise pas à empêcher les policiers de mener une enquête ou de procéder à une arrestation. C'est un processus qui doit être suivi avant le dépôt des accusations.

Comme l'a dit M. Saunders, dans une situation où le consentement n'est pas nécessaire, ce critère serait sans doute appliqué un peu plus tard, puisque l'on pourrait déposer les accusations et envoyer ensuite le dossier au procureur. Ainsi, dans l'intervalle entre le moment où les policiers déposent leurs accusations et celui où le dossier est soumis au procureur, le critère ne serait pas appliqué. Toutefois, cela n'empêche quand même pas les policiers de procéder à une arrestation ou d'entreprendre des activités comme ce que vous appelez une descente. L'application du critère serait faite à la suite de ces activités.

Le sénateur Baker : Faites-vous référence à la détention aux fins d'enquête?

Mme Hendel : Non, pas du tout. Je ne parle pas de détention aux fins d'enquête, je parle seulement d'un processus normal — dans le cadre duquel un nombre de...

Le sénateur Baker : Alors, il faut tenir compte de ce que dit l'alinéa 10a) de la Charte sur les motifs de l'arrestation.

Mme Hendel : Oui.

Le sénateur Baker : Quel serait le motif de l'arrestation?

Mme Hendel : Il pourrait s'agir d'une arrestation en raison d'une infraction de terrorisme. Aucune accusation n'a été déposée à ce stade.

Le sénateur Baker : Pourrait-on arrêter n'importe qui s'il y a des motifs raisonnables de soupçonner ou de croire que la personne a commis une infraction?

Mme Hendel : La norme utilisée par les policiers pour procéder à une arrestation est celle des « motifs raisonnables de croire ».

Le sénateur Baker : Les policiers peuvent-ils arrêter toute personne soupçonnée d'une infraction sans déposer d'accusation?

Mme Hendel : Ils le pourraient. On peut arrêter une personne, mais on ne peut la détenir indéfiniment. Lorsqu'une personne est arrêtée par les policiers, elle doit comparaître devant la cour et on doit déposer des accusations. Sinon, elle doit être libérée sans condition.

Le sénateur Baker : Comment les policiers peuvent-ils alors faire leurs recherches?

Mme Hendel : Il leur faut un mandat de perquisition.

Le sénateur Baker : Ils doivent obtenir un mandat de perquisition après ce que vous venez de décrire.

Mme Hendel : Exactement.

Le sénateur Baker : Aucune accusation n'a été déposée contre la personne, est-ce bien cela?

Mme Hendel : Exactement. Les policiers peuvent obtenir un mandat de perquisition avant ou après le dépôt des accusations.

Le sénateur Baker : Je suis très content que vous soyez là.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Saunders, je voudrais revenir à l'article 810 du Code criminel. Corrigez-moi si je me trompe, mais cet article vise, entre autres, à imposer des restrictions à des gens soupçonnés de terrorisme. Ces restrictions traitent, par exemple, de l'interdiction de quitter le pays ou de donner accès à Internet ou à un téléphone cellulaire.

Avez-vous déjà dû vous servir de cette prérogative de la loi? Si oui, cela a-t-il empêché des interconnexions ou dissuadé des éléments des mouvements terroristes?

M. Saunders : Comme mon collègue M. Dolhai l'a mentionné, nous avons obtenu un engagement à ne pas troubler l'ordre public à six reprises, dont cinq dans le cas des accusés de l'affaire du groupe « les 18 de Toronto ». Finalement, les accusations contre eux ont été retirées, parce que la preuve n'était pas suffisante, et nous avons obtenu des engagements à ne pas troubler l'ordre public pour les cinq accusés. Un autre accusé a été condamné pour une infraction terroriste et, à la fin de sa peine d'emprisonnement, nous avons obtenu un engagement à ne pas troubler l'ordre public pour une durée de 24 mois. M. Dolhai a aussi mentionné qu'ils ont récemment signé deux autres de ces engagements à ne pas troubler l'ordre public.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Je vous remercie. D'autres groupes ont témoigné devant le comité au cours des dernières semaines, avant l'attaque de la semaine dernière, et je crois que les Canadiens qui nous regardent respectent les points de vue et les limites de chacun. Un tiers des Canadiens possède un diplôme d'études universitaires; un tiers a suivi une formation collégiale ou dans une école de métiers; et un tiers n'a pas de diplôme ou a décroché un diplôme d'études secondaires : toutefois, peu importe leur niveau d'éducation, les Canadiens ne veulent pas que nous nous contentions de parler. Ils ne veulent pas qu'on leur donne mille et une raisons pour lesquelles ce problème ne peut pas être réglé. Ils veulent que nous mettions nos idées en commun et que nous trouvions une façon de protéger les droits de 35 millions de Canadiens, au lieu de nous concentrer sur les droits de quelque 90, 93 ou 130 personnes.

Selon vous, qu'est-ce que les parlementaires, les fonctionnaires et les gouvernements devraient faire? Les Canadiens ne devraient pas avoir à nous écouter parler pendant que le problème s'aggrave, il doit y avoir une meilleure façon de régler le problème.

M. Saunders : Je peux vous parler de ce que nous faisons pour parvenir à régler la situation. Comme cela a été mentionné, nous travaillons en étroite collaboration avec les policiers lorsqu'ils mènent une enquête. Le travail des enquêteurs est indépendant du travail des procureurs : nous devons respecter leur indépendance, et ils respectent la nôtre. Néanmoins, nous travaillons ensemble. L'indépendance de nos fonctions respectives ne nous empêche pas de le faire.

Nous donnons aux policiers des conseils sur l'utilisation des outils. Nous les aidons à déterminer si, au titre du Code criminel, la preuve qu'ils ont amassée est suffisante pour que des mesures de prévention soient prises ou pour que des accusations soient déposées.

Nous leur donnons des conseils sur la collecte d'éléments de preuve. Comme je l'ai dit au début de mon intervention, la loi évolue. Il arrive qu'elle soit complexe, vous l'avez sûrement constaté aujourd'hui. Il est exagéré de s'attendre à ce que les policiers qui font tout ce qu'ils peuvent pour recueillir des éléments de preuve connaissent toutes les subtilités des décisions de la Cour suprême du Canada. C'est notre rôle de les aider à comprendre la loi, de façon à ce que les éléments de preuve soient obtenus de façon adéquate.

Voilà ce que nous faisons pour atteindre le but dont vous avez parlé.

M. Dolhai : Madame la sénatrice, puis-je me permettre d'ajouter quelque chose? J'aimerais revenir sur la nature des dossiers et sur la façon dont nous travaillons en collaboration avec les policiers — à tous les niveaux, puisque ces dossiers sont souvent intégrés — et sur notre rôle en tant que conseillers. Notre fonction de conseillers ne consiste pas simplement à observer un policier qui demande quelque chose essuyer un refus de la part de la Couronne, et faire une autre proposition que la Couronne refuse.

Grâce à la relation que nous avons établie, la Couronne connaît très bien la nature de l'enquête et ce que les policiers cherchent à obtenir. La Couronne pourra dire au policier « votre deuxième proposition ne peut fonctionner en raison de cet obstacle », mais nous chercherons une autre façon d'atteindre le résultat visé.

Le droit criminel prévoit d'autres éléments constitutionnels qui pourraient permettre d'obtenir un résultat semblable. L'enquêteur décide ce qui lui convient. Nous établissons un lien afin d'éviter que les services de police remettent une enveloppe à la Couronne, que celle-ci l'ouvre et refuse tout simplement, ce qui retarderait le processus. Nous travaillons en étroite collaboration afin d'accumuler suffisamment d'éléments de preuve pour qu'une poursuite puisse être intentée.

C'est ainsi que la relation doit fonctionner, autant dans les cas de terrorisme que dans les autres enquêtes criminelles complexes. On n'utilise plus beaucoup le terme « incorporé », mais nous avons encore recours à des avocats qui sont spécialisés dans certains types de fonctions. On s'attend à ce que ceux-ci donnent des conseils, et à ce que leurs conseils permettent de résoudre les problèmes dans le respect de la loi.

Nous nous assurons également d'avoir une bonne relation avec les procureurs généraux des provinces. Ces relations ont été établies il y a fort longtemps, et nous avons même déjà intenté des poursuites conjointes. Par exemple, la poursuite contre les 18 de Toronto a été intentée de façon conjointe et elle a très bien fonctionné.

Nous cherchons, je le répète, à renforcer ces relations et nous voulons faciliter la collaboration entre la Couronne et les policiers parce que, au bout du compte, nous formons un seul et même groupe. Nos rôles sont différents, mais nous poursuivons tous un but similaire.

Le sénateur White : Merci beaucoup. J'ai participé à deux enquêtes différentes qui ont mené à des poursuites judiciaires, et je tiens à dire que la collaboration entre les policiers et la Couronne était incroyable dans ces deux affaires.

Je me rappelle que, dans une de ces affaires, la Couronne a parlé aux policiers du nombre de ressources que l'on pouvait se permettre de consacrer à une enquête. Au cours des dernières semaines, certaines personnes ont utilisé la même terminologie que vous lorsqu'il était question d'établir des priorités. Je dois dire que, il y a une semaine et demie, les points de vue de nombreuses personnes quant au caractère adéquat de l'établissement de nos priorités ont beaucoup changé.

Pensez-vous que, à l'heure actuelle, les policiers ont assez de ressources pour mettre en place les mesures nécessaires afin de protéger notre pays? Les policiers parlent d'établissement des priorités, et vous ne voulez pas nous dire si vous avez besoin de plus de ressources ou non. J'aimerais savoir si, à votre avis, les policiers disposent de suffisamment de ressources.

M. Saunders : Il est difficile pour nous de répondre à cette question.

Le sénateur White : Vous n'êtes pas à la barre.

M. Saunders : Non. Nous travaillons en étroite collaboration avec les policiers. Nous voyons les ressources dont ils disposent dans certains domaines, et nous organisons le travail en conséquence. Le commissaire Paulson aurait dû saisir l'occasion de le dire dans son témoignage s'il a besoin de ressources supplémentaires, c'est difficile pour nous de savoir de quelle façon il compte établir ses priorités et gérer son organisation.

Le sénateur White : Vous savez très bien patiner, je vous remercie.

La sénatrice Stewart Olsen : Je pense qu'on a déjà répondu à ma question, mais on a beaucoup parlé de dépôt d'accusations et d'arrestations et je crois que cela peut créer une certaine confusion pour les personnes qui nous regardent.

Si j'ai bien compris, les policiers peuvent toujours arrêter une personne sans déposer d'accusations, et votre organisation prend part au processus au moment de décider si des accusations seront déposées. Est-ce bien cela?

M. Dolhai : Non.

La sénatrice Stewart Olsen : Cela ne s'applique qu'aux affaires de terrorisme. C'est ce que je voulais clarifier.

Croyez-vous que c'est raisonnable? Pourquoi y a-t-il une façon distincte de procéder pour un groupe? Pourquoi le processus n'est-il pas le même pour tout le monde? Je crois que c'est aussi là où voulait en venir le sénateur Day.

M. Saunders : Madame la sénatrice, il y a un certain nombre de dispositions dans le Code criminel qui prévoient que le procureur général doit donner son consentement avant que les policiers déposent des accusations.

La sénatrice Stewart Olsen : Le seuil est donc plus élevé que pour les autres activités criminelles qui ont lieu au pays.

M. Saunders : Non. Ce n'est qu'une étape supplémentaire qu'il faut respecter avant de pouvoir déposer des accusations. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le critère que nous appliquons pour donner notre consentement est le même que le critère que nous utilisons pour décider si des poursuites seront intentées. Il n'y a pas de différence sur ce plan, il s'agit simplement d'une étape qui s'ajoute.

La sénatrice Stewart Olsen : D'accord, mais vous voyez où je veux en venir et vous savez ce que je pense. Je ne suis ni avocate ni procureure. Je me demande seulement pourquoi il y a une différence et pourquoi le seuil semble plus élevé...

M. Saunders : Il y a une différence, mais le seuil n'est pas plus élevé.

La sénatrice Stewart Olsen : D'accord. Merci.

Le sénateur Mitchell : J'ai l'impression que la différence de traitement d'une infraction criminelle et d'une infraction terroriste peut s'expliquer, en partie, par le degré de complexité du dossier. Du même coup, une partie de la complexité est peut-être liée à l'origine des éléments de preuve ou de la piste, c'est-à-dire le Service canadien du renseignement de sécurité — ou SCRS —, qui a un seuil moins élevé. La complexité découle aussi du fait, et c'est là-dessus que porte ma question, que le SCRS ne peut protéger l'identité de ses sources une fois qu'elles ont divulgué de l'information.

Croyez-vous que le projet de loi C-44, qui traite de cette question, aura une incidence opérationnelle réelle et permettra d'accroître le soutien offert par le SCRS dans le cadre des enquêtes de la Gendarmerie royale du Canada, aussi appelée GRC? Croyez-vous qu'il permettra d'améliorer la qualité des éléments de preuve à partir desquels vous pouvez décider ou non d'intenter des poursuites?

M. Saunders : Je vais commencer à répondre et j'inviterai M. Dolhai à prendre la parole ensuite.

Comme je l'ai dit plus tôt, nous sommes préoccupés par les éléments de preuve qui sont admissibles devant les tribunaux. Si un informateur dont l'identité est confidentielle communique avec le SCRS ou avec la GRC — la GRC pourrait très bien faire appel à des informateurs dont l'identité est confidentielle dans le cadre d'un dossier —, les renseignements qu'il donne ne peuvent être utilisés comme des éléments de preuve. Nous sommes tenus de protéger l'identité des informateurs, c'est pourquoi les éléments de preuve qui pourraient révéler leur identité ne peuvent être présentés au tribunal.

Vous nous demandez si le renforcement de la protection de la confidentialité des informateurs du SCRS pourrait aider au déroulement des poursuites judiciaires. Cette question est plus délicate, c'est pourquoi je demanderais à M. Dolhai de bien vouloir y répondre.

M. Dolhai : Tout comme dans le secteur policier, les informateurs font partie intégrante de toute enquête. La loi actuelle prévoit que les informateurs du SCRS peuvent être protégés au moyen d'un privilège, mais ce privilège n'est pas automatique. L'analyse se fait de façon ponctuelle, et je crois que le service a affirmé que cela crée de l'incertitude pour eux tout au long du processus.

La question de la protection des sources lors d'enquêtes en cours est intimement liée à la mesure dans laquelle on arrive à mener une enquête efficace et dans laquelle les renseignements fournis à la GRC peuvent lui donner une indication pour la suite de l'enquête. Généralement, dans les cas que nous avons eus jusqu'à présent, le SCRS et la GRC commencent à collaborer quand le SCRS peut donner à la GRC des renseignements qui lui permettent de passer à un autre niveau, comme l'obtention d'un mandat de perquisition ou l'installation d'un dispositif d'écoute clandestine.

Ensuite, l'enquête criminelle suit son cours de façon indépendante, puisqu'elle génère ses propres éléments de preuve. Le SCRS apporte habituellement son aide en fournissant ces renseignements, ainsi que d'autres renseignements que les services de police pourraient avoir, dès le début de l'enquête de façon à ce que l'on puisse ensuite utiliser ce pouvoir policier.

Le sénateur Mitchell : D'accord. J'aimerais approfondir le sujet.

Dans le rapport de mars 2011 sur le terrorisme, que j'appellerai le rapport Segal-Joyal, on aborde cette idée sous un autre angle. On y indique que la confidentialité, lorsqu'il est question de sécurité nationale, peut devenir un obstacle dans le cadre de la relation entre le SCRS et la GRC ou de la transmission des renseignements du SCRS à la GRC, ou dans le cadre d'une autre enquête policière. Les auteurs du rapport proposent, par exemple, que l'on ait recours à un avocat spécial afin d'évaluer l'information en tenant compte des répercussions qu'elle pourrait avoir sur la sécurité nationale.

Cela pose-t-il problème? Cela constituerait-il un obstacle si le SCRS disait : « Nous ne poursuivrons pas dans cette voie puisqu'il y a des questions de sécurité nationale qui ne doivent pas être divulguées », même s'il avait la possibilité d'aider la GRC dans le cadre d'une enquête donnée?

M. Dolhai : Je peux vous dire que cela s'est déjà produit. L'affaire Samossa — qui a mené à l'arrestation de deux personnes à Ottawa, l'une a été reconnue coupable et l'autre a été acquittée — constitue un bon exemple. Dans cette affaire, on s'est demandé dans quelle mesure on pouvait examiner les renseignements du SCRS qui ont permis aux policiers d'obtenir des mandats de perquisition et l'installation de dispositifs d'écoute clandestine. La décision a été prise en Cour fédérale au titre de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. En effet, à une reprise dans cette affaire, un avocat spécial a assisté à l'audience à huis clos afin de défendre le droit de chacun à un procès juste et équitable, comme il l'aurait fait dans une audience publique. Seulement, il ne pouvait pas y avoir d'audience publique en raison de la nature des renseignements.

À la suite de ce processus, un juge de la Cour fédérale a rendu une décision sur ce qui pouvait être divulgué lors du procès criminel et dans un mandat de perquisition, et sur ce qui ne pouvait pas être utilisé ni divulgué. Le procès criminel a ensuite eu lieu. Voilà un exemple d'une situation où, conformément à la Loi sur la preuve au Canada, on a décidé de divulguer certains éléments classifiés relatifs à la sécurité nationale et de les utiliser dans le cadre du processus traditionnel de poursuite criminelle.

Le sénateur Mitchell : Je ne peux pas parler de conflit d'intérêts, puisque le SCRS et la GRC ont évidemment les mêmes intérêts à cœur dans ce genre d'affaires, mais je crois qu'il y a tout de même une possibilité de conflit d'objectifs, si vous permettez d'utiliser cette expression. Disons que le SCRS a une source de renseignements humaine ou un suspect, ou qu'il soupçonne une personne, et qu'il veut suivre les déplacements de l'une ou l'autre de ces personnes afin de voir si cela le mènera à d'autres pistes. De son côté, la GRC préférerait peut-être arrêter la personne et déposer des accusations sur-le-champ si la preuve est suffisante. S'agit-il d'un obstacle auquel les deux organisations ont déjà été confrontées, ont-elles déjà eu à gérer un tel conflit?

M. Saunders : Ce n'est pas un obstacle dans notre relation, car, si la GRC porte des accusations, alors, nous devons faire...

Le sénateur Mitchell : Non, mais avez-vous observé que cela pourrait constituer un obstacle dans le continuum SCRS-GRC-accusations, du fait que le SCRS ne peut pas porter d'accusations? Le risque en vaut-il la peine?

M. Saunders : Je pense que nous trouvons le mot « obstacle » trop fort. Il faut réfléchir au but visé, mais ce n'est pas un obstacle.

Le sénateur Mitchell : Merci.

M. Dolhai : C'est une question qui se pose à nous quand nous recevons une demande d'approbation d'accusations, par exemple.

Nous devons déterminer la nature de la preuve et, pour ce faire, nous devons, entre autres, déterminer quelle partie de la preuve peut être divulguée sans nuire à la sécurité nationale, que l'information provienne de la police ou du SCRS, et cetera, peu importe ce qu'a obtenu la police. Puis, selon ce qui en ressort, la Cour fédérale peut contribuer à déterminer ce qui sera utilisé pour la procédure pénale. Mais, au début, nous devons, entre autres, tenter d'évaluer, en consultation avec les diverses parties, ce à quoi ressemblera l'ensemble de la preuve, car nous devons savoir, non seulement que le dossier est complet, mais aussi quelle proportion du dossier pourra être présentée au procès.

Le sénateur Mitchell : Lorsque vous traitez ainsi avec la GRC, communiquez-vous avec le SCRS? Intervient-il dans le processus consultatif ou traitez-vous exclusivement avec la GRC?

M. Saunders : En général, nous passons par la GRC. Nous la laissons traiter avec le SCRS.

Le président : J'aimerais aborder deux autres domaines avant de lever la séance.

Le premier est celui du financement du terrorisme. Nous avons entendu des témoins qui ont dit que c'était une préoccupation au Canada, que nous étions passés de 50 organisations terroristes connues en activité au Canada, en 2010, à 53, qui ont, à tout le moins, été identifiées d'une manière ou d'une autre.

Au cours des 10 dernières années, combien de poursuites y a-t-il eu relativement au financement de terroristes ou d'organisations terroristes et dans combien avons-nous eu gain de cause?

M. Saunders : Nous avons fait condamner deux personnes pour financement du terrorisme en vertu des dispositions sur le financement du terrorisme du Code criminel. Nous avons porté des accusations en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, mais la plupart ne concernent pas du financement d'activités terroristes. La plupart concernent des personnes qui ont quitté le pays avec plus de 10 000 $ sans le déclarer. M. Dolhai a les chiffres. Il peut vous les fournir.

M. Dolhai : En ce qui a trait au financement du terrorisme, je peux vous dire, comme Brian l'a indiqué, que nous avons eu quelques poursuites à la suite d'accusation de financement du terrorisme. Ici, à Ottawa, M. Khawadja, a été condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité et plusieurs des accusations portées étaient liées au financement du terrorisme. Il versait des fonds par l'intermédiaire d'une femme de la région au groupe de Khyam avec lequel il traitait et cet argent devait servir à acheter des explosifs. Il a donc été inculpé et condamné pour ces activités.

Il avait également mis la maison de ses parents, à Rawalpindi, au Pakistan, à la disposition du groupe, ce qui s'assimile à du financement de terrorisme. Sa condamnation tient aussi compte de cet agissement.

En Colombie-Britannique, M. Thambithurai recueillait des fonds pour les Tigres Libérateurs de l'Eelam Tamoul, ou TLET, et il a été condamné pour cette activité. Il était à l'échelon le plus bas de ce type d'activité.

Nous avons aussi des affaires dans lesquelles la personne n'est pas accusée de financement du terrorisme séparément, mais dans le cadre d'autres accusations, pour avoir participé et contribué à une organisation terroriste ou avoir facilité une activité terroriste. Par exemple, M. Ahmed, récemment condamné à Ottawa, avait versé 1 000 $. Il a été reconnu coupable d'avoir versé 1 000 $ de sa poche et d'avoir sollicité au moins 1 000 $ qu'il comptait envoyer à l'étranger et qui devaient servir à l'achat d'armes tirées à l'épaule, comme des grenades propulsées par fusée. Lorsqu'il a été accusé, puis déclaré coupable, cette activité faisait partie des chefs d'accusation et a été prise en compte dans la peine dont il a écopé pour avoir levé des fonds pour ces terroristes. M. Alizadeh, un coaccusé, était aussi impliqué dans des actes semblables.

Nous avons fait une demande de confiscation, sans lien avec une accusation, car il est possible de faire saisir ou de bloquer des biens de terroristes puis de les faire confisquer même en l'absence d'accusation et cela a été fait pour des biens appartenant au Mouvement tamoul mondial à Montréal et à Toronto. À Montréal, un immeuble a été saisi, confisqué, et un compte à la Banque TD a été saisi, tandis qu'à Toronto, c'est plusieurs comptes bancaires, à la Banque TD et à la CIBC, qui ont été saisis et qui contenaient environ 25 000 $.

Vous pourriez penser que ce n'est pas beaucoup d'argent, 25 000 $, mais de la façon dont la collecte était organisée pour les TLET et le Mouvement tamoul mondial, bien des comptes bancaires ne servaient que de canaux par lesquels l'argent transitait. L'argent y était déposé.

Le président : Qu'est-ce que les TLET?

M. Dolhai : Les Tigres tamouls, et le Mouvement tamoul mondial en est l'organisation de front. Un stratagème qu'ils emploient pour recueillir des fonds consiste à intimider des personnes pour qu'elles acceptent que des sommes soient prélevées mensuellement dans leur compte bancaire et versées dans un compte bancaire central. Donc, en faisant saisir ces comptes bancaires, même si l'un d'eux ne contenait que 25 000 $, cela dérange passablement ce type de financement du terrorisme, car l'organisation doit alors essayer de rétablir les contributions avec un compte différent, qui, manifestement, selon ce qu'on m'a dit, permet à la police de constater les activités et de rassembler de l'information pouvant mener à une enquête.

Ce sont de bons exemples de mesures prises contre le financement du terrorisme.

Le président : J'aimerais que nous restions sur le sujet du financement, si je peux. Cela nous ramène au témoin de la semaine dernière qui a mentionné des organismes humanitaires qui servent de paravents à des activités de collecte de fonds destinés à financer des activités terroristes. Il est même allé jusqu'à dire que les sommes atteignaient les six chiffres. C'est beaucoup d'argent. Il est manifeste que, pour fonctionner, un organisme a besoin d'argent.

Une des raisons pour lesquelles nous avons demandé à des représentants de votre ministère de venir ici est de nous dire, ou, à tout le moins, de nous faire savoir si les lois permettent de suivre ces activités, de les repérer au moyen d'enquêtes, en l'occurrence, de la GRC, mais aussi d'intenter des poursuites pour que nous puissions contrer ce type de blanchiment d'argent. Je vous pose la question suivante : selon votre expérience, devons-nous examiner le cadre juridique pour voir si des modifications doivent être apportées pour que nous puissions intenter des poursuites pour ce type de financement du terrorisme? Pensez-vous que les lois sont suffisantes et que nous nous en tirons bien?

M. Dolhai : Là encore, la question de savoir si nous devrions avoir des lois différentes ou d'autres lois relève du Parlement. C'est une question de politique. Mais, dans le cas des Tigres tamouls, par exemple, nous avons pu utiliser le processus de la Cour fédérale avec un certain succès pour geler, saisir et confisquer les avoirs comme requis. N'oublions pas que nous disposons de plusieurs moyens. On peut saisir, geler, confisquer, comme dans le cas des Tigres tamouls. Il y a des cas où une accusation et une saisie suffisent, une accusation de financement du terrorisme s'inscrivant dans une accusation plus générale, comme je l'ai mentionné pour M. Ahmed. Nous disposons aussi d'autres moyens.

Vous avez mentionné, sénateur, des organismes de bienfaisance, des organismes humanitaires. Il y a des outils permettant d'enregistrer ou de révoquer l'enregistrement d'œuvres de bienfaisance.

Les domaines d'intervention sont nombreux et je peux vous dire que, dans ce domaine-ci, comme dans d'autres domaines de la criminalité complexe, il faut, entre autres, suivre l'argent à la trace.

Le président : J'aimerais parler d'un autre domaine et il concerne la glorification du terrorisme. Nous avons entendu un témoin plus tôt — le sénateur Joyal — qui a parlé d'Internet ainsi que des réalités auxquelles nous sommes couramment confrontés, de l'endoctrinement de personnes et d'organismes qui font la promotion du terrorisme. Nous avons aussi la question de la glorification ou de la promotion de la glorification alléguée du terrorisme dans diverses institutions et organisations religieuses ici, au Canada.

Je demande, simplement à titre d'information, si nous avons des lois qui interdisent expressément la glorification du terrorisme?

M. Saunders : Le code prévoit des infractions pour des activités associées, par exemple, le fait de tenter de radicaliser quelqu'un. Nous avons à deux occasions, je crois, poursuivi des personnes pour de telles activités. Par exemple, nous l'avons fait, dans l'affaire Namouh, à Trois-Rivières, qui s'est soldée par une peine d'emprisonnement à perpétuité non seulement pour cela, mais aussi parce que l'accusé avait conspiré avec deux personnes en Autriche en vue de poser une bombe dans un lieu public. Il était aussi accusé d'avoir publié sur Internet du matériel qui pouvait être considéré comme de la glorification visant à recruter d'autres personnes pour commettre des actes terroristes.

M. Dolhai : Dans l'affaire Namouh, un élément très important de la conduite de l'accusé se rapportait à Internet. Il y avait eu complot en vue de commettre un attentat à l'explosif à l'étranger pour lequel il a reçu une peine d'emprisonnement à perpétuité. En ce qui a trait à l'activité sur Internet — la participation à une activité terroriste et le fait de faciliter une activité terroriste —, il a écopé de 10 ans et de 14 ans. C'est intéressant, car l'activité à laquelle il participait sur Internet était essentiellement liée à un groupe terroriste présent sur le Web, le Front médiatique islamique mondial. Pourraient-ils utiliser des moyens plus modernes pour s'adonner au terrorisme?

Certains groupes terroristes ont pour objectif d'intimider les gouvernements. Dans ce cas-ci, les membres tentaient d'intimider le gouvernement de l'Autriche et le gouvernement de l'Allemagne pour leur conduite en Irak, d'obtenir plus d'aide et de recruter des gens. C'est ainsi qu'ils menaient leurs activités terroristes. Ce n'était pas eux qui posaient les bombes; ils utilisaient Internet pour faire poser les bombes là où ils devaient le faire et pour recruter des personnes pour s'en occuper.

Dans tout cela, M. Namouh jouait un peu le rôle d'as d'Internet et il préparait du matériel lui-même à des fins de glorification. Je les qualifierais de documents de glorification. Je me souviens de l'un d'eux en particulier qui portait sur les activités en Irak et dans lequel on voyait une suite d'images montrant des engins explosifs artisanaux faisant sauter des chars d'assaut et tuant des soldats. Dans d'autres, on voyait une dizaine de soldats alignés ou à genoux par terre et la vidéo servait à les humilier. À la fin, ils recevaient tous une balle dans la tête, là encore, dans le cadre d'une activité de glorification visant à recruter et à radicaliser des gens pour les attirer et pour créer à leur intention du matériel qui pouvait ensuite être diffusé.

Un message était diffusé et, tout d'un coup, 50 sites affichaient simultanément le matériel préparé. Ce matériel envoyait son message de menaces, de recrutement ou de glorification. C'est assez complexe, pour tout dire. Il y avait même une vidéo d'instruction à laquelle il a travaillé, qui expliquait comment encoder puis décoder les messages envoyés à d'autres sur Internet.

Comme je l'ai dit, il a écopé de 10 ans et de 14 ans pour cette activité ainsi que d'une peine d'emprisonnement à perpétuité pour le complot en vue de faire exploser une bombe.

Le sénateur Day : Pour faire suite à vos questions, monsieur le président, je pense que ceux qui nous regardent aimeraient peut-être entendre M. Dolhai parler du financement du terrorisme et de la capacité de saisir des biens et des comptes bancaires sans condamnation.

Je pense que c'est ce que vous avez dit.

M. Dolhai : Oui.

Le sénateur Day : Que doit-il y avoir pour que la police puisse procéder à une saisie?

M. Dolhai : La police procède aux saisies en vertu des articles 83.13 et 83.14 du Code criminel.

Le sénateur Day : L'article 83 doit à lui seul remplir un livre.

M. Dolhai : C'est, malheureusement, un livre. J'aime me rappeler mes débuts comme avocat. Il était alors moins volumineux.

Le sénateur Day : Le Code criminel, le Code criminel de Martin.

M. Dolhai : Il était beaucoup plus mince.

Il est possible de saisir ou de bloquer des biens, donc de saisir des choses, comme des voitures, ou de bloquer des biens, comme un immeuble ou un compte bancaire, si le bien est un bien que l'agent a des motifs raisonnables de croire qu'il sera saisi, s'il est situé au Canada, et qu'une ordonnance interdisant à quiconque d'effectuer des opérations sur ce bien devrait être prise. Le bien est alors saisi s'il appartenait à un groupe terroriste ou était contrôlé par un tel groupe, ou en son nom, ou si le bien a été ou sera utilisé, en tout ou en partie, pour faciliter ou mener une activité terroriste.

Le sénateur Day : Est-ce le Cabinet ou un tribunal qui détermine si nous avons affaire à un groupe terroriste?

M. Dolhai : Ce peut être l'un ou l'autre. Le groupe terroriste peut être un groupe qui figure sur la liste ou un groupe qui ne figure pas encore sur la liste, mais pour lequel la preuve est fournie qu'il facilite ou commet des actes terroristes. Cela se fait à la Cour fédérale. Toutes les dispositions du Code criminel sur la saisie de biens liés à une infraction ou de produits de la criminalité sont appliquées dans une cour pénale ordinaire. Les ordonnances de blocage et de saisie sont obtenues à l'avance, comme ce serait le cas à la Cour fédérale, mais la saisie à proprement parler est faite après la déclaration de culpabilité de la personne. Le bien peut alors être saisi. Pour d'autres biens, il faut déterminer hors de tout doute raisonnable que c'est bien ce type d'infraction lié à un bien, de bien infractionnel ou de produits dont il s'agit.

La prépondérance des probabilités s'applique. C'est un critère civil. Donc, pour les biens liés au terrorisme et leur saisie, le critère est moins strict que pour les autres produits de la criminalité et les infractions liées à des biens.

Le président : Merci.

J'aimerais libérer nos invités. Je vous remercie d'être venus ici cet après-midi. Vous nous avez certainement donné beaucoup d'information que nous examinerons en poursuivant notre étude. Comme je l'ai dit, nous comptons présenter un rapport contenant des recommandations bien étayées et bien réfléchies sur ce qui, peut-être, pourrait être changé dans la façon de traiter les menaces auxquelles les Canadiens sont confrontés.

Chers collègues, nous prendrons une pause de deux minutes, puis nous continuerons à huis clos pendant quelques minutes pour discuter de notre rapport et de de diverses autres activités pour les prochaines semaines.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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