Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 13 - Témoignages du 16 février 2015
OTTAWA, le lundi 16 février 2015
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour poursuivre son étude sur les menaces à la sécurité nationale.
Le sénateur Daniel Land (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, en ce lundi 16 février 2015.
Avant d'accueillir notre premier témoin, j'aimerais présenter les membres du comité.
Mon nom est Dan Lang, sénateur du Yukon. À ma gauche se trouve Josée Thérien, la greffière du comité. Nous allons faire un tour de table pour permettre aux sénateurs et sénatrices de se présenter et de nous dire quelle région ils représentent, en commençant par la sénatrice Beyak.
La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.
[Français]
La sénatrice Charette-Poulin : Bonjour, je suis la sénatrice Marie Poulin.
[Traduction]
Je représente le Nord de l'Ontario depuis 1995.
Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.
Le sénateur Kenny : Colin Kenny, de l'Ontario. C'est une réunion tout ontarienne, monsieur le président.
Le président : Non, ce ne l'est pas.
Le sénateur Ngo : Je suis le sénateur Ngo, de l'Ontario.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, le 19 juin 2014, le Sénat a autorisé le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense à étudier, afin d'en faire rapport, les menaces à la sécurité nationale, y compris, mais sans s'y limiter, le cyberespionnage, les menaces aux infrastructures essentielles, le recrutement de terroristes, le financement du terrorisme et les poursuites antiterroristes. Le comité doit faire rapport, au plus tard, le 31 décembre 2015.
Nous nous réunissons aujourd'hui pour une séance de trois heures dans le cadre de notre étude sur le terrorisme. Il sera question de l'acte terroriste le plus marquant de l'histoire du Canada, soit l'attaque à la bombe contre le vol 182 d'Air India qui a coûté la vie à plus de 329 personnes, dont 268 Canadiens. Bon nombre des victimes étaient d'origine sud-asiatique. Cet incident a touché de nombreuses vies, y compris celle des jeunes garçons et des jeunes filles qui ont perdu leur père ou leur mère, celle d'hommes et de femmes qui ont perdu leur conjoint, et, encore plus tragique, celle de parents qui ont perdu leurs enfants.
J'ai appris également que de nombreuses autres personnes ont été touchées par cette attaque, notamment notre greffière qui a perdu son professeur de géographie, de Gatineau, au Québec, qui était à bord de ce vol fatidique.
En juin prochain, le Canada soulignera le 30e anniversaire de cet attentat terroriste. Cet incident a été provoqué par des Canadiens qui, nourris par une rancune religieuse et culturelle, sont venus de l'Inde pour se venger en sol canadien. Cette attaque a été menée par des radicaux qui souscrivaient au fondamentalisme religieux.
Cet incident, survenu il y a 30 ans, nous rappelle les dangers auxquels la société est confrontée lorsque des radicaux et fondamentalistes religieux cherchent à promouvoir leur programme politique par la menace, la violence et le terrorisme.
Avant d'accueillir notre premier témoin, j'aimerais corriger une chose que j'ai dite lors de notre dernière séance. Dans le cadre d'une question posée à un témoin, j'ai dit que l'association musulmane du Canada avait été accusée, mais c'est faux. Je déclare donc que l'association musulmane du Canada n'a pas été accusée, mais que, selon les médias, elle fait l'objet d'une enquête policière, car elle aurait fourni des fonds à des organismes de bienfaisance ayant des liens avec le Hamas.
Notre premier témoin, le juge John Major, est bien connu des Canadiens. L'honorable juge Major a aidé à façonner le paysage juridique du pays grâce à ses années passées en tant qu'avocat et juge de la Cour suprême. En 1967, il est devenu associé en litige au cabinet Bennett Jones où il a exercé le droit pendant 34 ans. Il a participé à plusieurs affaires ayant précipité des changements importants aux politiques et lois locales, provinciales et fédérales. En 1991, l'honorable John Major a été nommé à la Cour d'appel de l'Alberta et, l'année suivante, à la Cour suprême du Canada. Au cours de sa carrière à la Cour suprême du Canada, il a présidé plus de 1 000 affaires sur divers sujets, du suicide assisté à la peine capitale en passant par la séparation du Québec.
Après avoir pris sa retraite de la Cour suprême, en 2006, il a été nommé à la Commission des valeurs mobilières de l'Alberta, puis, en mai de la même année, le premier ministre Harper l'a nommé commissaire et lui a donné le mandat de mener une enquête sur les mesures d'investigation prises à la suite de l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d'Air India.
Dans son rapport, le juge Major dit ceci :
Le terrorisme est une menace à l'existence de la société canadienne beaucoup plus grave que le meurtre, les voies de fait, le vol et les autres crimes. Les terroristes rejettent les fondements mêmes de la société canadienne et les mettent en péril.
Monsieur le jugu Major, je vous souhaite la bienvenue au comité. Nous sommes heureux que vous ayez pu nous consacrer un peu de votre temps dans le cadre de notre étude sur le terrorisme et la sécurité nationale. Si j'ai bien compris, vous avez une déclaration d'ouverture à prononcer. Vous avez la parole.
L'honorable John Charles Major, ancien juge de la Cour suprême du Canada, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je n'ai pas vraiment de déclaration d'ouverture à prononcer. J'aurais plutôt des observations à faire. D'abord, je tiens à féliciter le comité d'avoir organisé une séance en cette Journée de la famille que les gens considèrent généralement comme un jour férié. Le fait que vous soyez tous au travail m'impressionne.
J'aimerais m'exprimer brièvement au sujet du projet de loi C-51. Il est très long. Cette mesure législative accorde beaucoup de pouvoirs à divers groupes, mais ne propose aucun moyen permettant la mise en commun de l'information entre divers organismes. Le problème dans le dossier du vol d'Air India, c'est le manque de communication entre le SCRS et la GRC. Le projet de loi C-51 élargit les pouvoirs de nombreux autres organismes concernés. Rien dans cette mesure ne les oblige à communiquer des informations avec d'autres groupes qui seraient mieux placés pour traiter ladite information.
Dans mon rapport, je relève des problèmes semblables entre le SCRS et la GRC, notamment. Une des recommandations formulées est de créer un poste de conseiller en matière de sécurité nationale qui agirait, pour ainsi dire, comme arbitre entre les organismes afin de décider quelles informations devraient ou ne devraient pas être transmises. On parle ici d'une personne, par exemple, un haut fonctionnaire du ministère de la Justice.
L'ancien ministre de la Justice, Vic Toews, a mal interprété mon rapport croyant que je recommandais la création d'un nouveau ministère. On ne parle que d'une personne qui agirait à titre d'intermédiaire entre les divers groupes concernés.
C'est un groupe terroriste formé en Inde et désireux de créer un pays dans le Punjab qui est à l'origine de l'attaque contre le vol d'Air India. L'Inde avait tenté d'étouffer ce groupe, ce qui a mené à l'attaque contre le temple national et à l'assassinat de la première ministre à l'époque, Indira Gandhi.
En Inde, les membres de ce groupe étaient des hors-la-loi. Plusieurs d'entre eux se sont installés à Surrey, en Colombie-Britannique. C'est là que le complot a été organisé. L'attaque a été menée par des terroristes, dont nous connaissons les noms, en juin 1985.
La différence aujourd'hui, c'est que les terroristes n'ont pas vraiment de domicile, bien que l'EIIL occupe des territoires. Ce groupe soutient des activités terroristes, une situation totalement différente, car à l'époque de l'attaque contre le vol d'Air India, l'Inde poursuivait vigoureusement les auteurs d'activités terroristes.
Selon ce que je sais des activités de l'EIIL, et mes connaissances à cet égard sont limitées, il semble y avoir trois types d'actes terroristes. Il y a des actes commis individuellement par des membres de l'EIIL. Il peut s'agir de Canadiens partis à l'étranger pour agir sur les directives des dirigeants de l'EIIL qui, comme vous le savez, sont très bien financés grâce à des rançons et à la vente de pétrole de contrebande. Il y a des actes commis par des individus financés par l'EIIL. Finalement, peut-être les actes les plus préoccupants à certains égards, il y a ceux commis par des individus qui agissent de leur propre chef sans que l'EIIL soit au courant. Ces individus sont très difficiles à identifier.
Les deux cas les plus marquants sont le meurtre du garde sur la Colline du Parlement et celui de l'adjudant, en Ontario. Les deux accusés avaient un casier judiciaire et des problèmes de toxicomanie. Il semble que ce genre d'individu ait aussi des problèmes personnels, participe fréquemment à des activités criminelles ou liées aux drogues et soit attiré par la gloire que propose l'EIIL. Bien entendu, d'autres sont attirés pour des raisons idéologiques. Ce ne sont pas des criminels, en ce sens qu'ils n'ont pas de casier judiciaire. Ce sont des criminels, car ils participent à des activités terroristes. Ils semblent faciles à convertir.
J'aimerais parler du financement du terrorisme. Je tiens à préciser que le rapport sur le vol d'Air India est disponible à la Bibliothèque du Parlement. C'est un long rapport. Il a fallu trois ans pour le rédiger, notamment parce qu'il fallait revenir 20, voire 25 ans en arrière pour analyser les données. Le volume 5 porte sur le financement du terrorisme et compte à lui seul quelque 250 pages.
Nous avons découvert plusieurs méthodes de financement utilisées par les terroristes. Certains venaient au Canada, achetaient des comptes bancaires existants auprès de sympathisants et utilisaient l'argent de ces comptes pour mener leurs activités. Il n'y avait aucune façon pour les autorités de les repérer. D'autres portaient beaucoup de bijoux dispendieux à leur arrivée et les vendaient une fois au pays. Il y avait aussi des dons provenant de sympathisants et de faux organismes de bienfaisance. Toutes ces méthodes étaient utilisées pour recueillir des fonds, mais la question du financement est encore plus importante aujourd'hui avec l'EIIL.
Le volume 3 du rapport porte sur les poursuites antiterroristes. Lui aussi est long; il compte 300 pages. Si vous n'arrivez pas à trouver le rapport et que vous voulez le consulter, je pourrais toujours vous en trouver une copie ici et vous l'envoyer.
Monsieur le président, ce sont les commentaires que j'avais à formuler au sujet du projet de loi C-51 et le sujet de votre étude.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le juge Major. La température semble agréable dans votre coin de pays. Vous semblez confortable. J'imagine que vous êtes à Calgary?
M. Major : C'est le pays de Dieu.
Le président : C'est ce qu'on dit.
Si vous me le permettez, j'aimerais revenir sur une des recommandations très fortes formulées dans votre rapport. Vous recommandez la création d'un poste distinct de directeur des poursuites antiterroristes au sein du bureau du procureur général.
Lors de séances précédentes, nous avons appris qu'au cours des quatre ou cinq dernières années, il y a eu plus de 600 cas de financement du terrorisme au pays, mais qu'aucune poursuite n'a été intentée pour le moment. Il y a lieu de se poser la question suivante : Si l'on compare notre système juridique à celui d'autres pays et que l'on tient compte des poursuites intentées dans ces pays, quel serait l'avantage de créer un poste distinct de directeur des poursuites antiterroristes? Quelles seraient les autres mesures à prendre pour empêcher le financement du terrorisme? Finalement, si le gouvernement décide d'apporter des changements, pourrait-il le faire par l'entremise d'un règlement au lieu de proposer une nouvelle loi?
M. Major : Pour répondre, d'abord, à votre dernière question, il suffirait d'élargir le pouvoir du gouvernement fédéral en matière de poursuites, comme c'est le cas, par exemple, dans le cas d'accusations liées aux drogues. Le ministère de la Justice a tout simplement augmenté le nombre d'avocats pour traiter ces dossiers.
Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas faire la même chose dans le cas des poursuites antiterroristes. Il suffirait d'assigner des avocats du ministère à ces dossiers. L'adoption d'un règlement ne serait pas nécessaire, selon moi. Le ministre de la Justice ou le ministre responsable n'aurait qu'à embaucher le nombre d'avocats nécessaires pour mener les enquêtes et diriger les poursuites. C'est une simple question de renforcement des compétences fédérales dans la poursuite de crimes.
Soit dit en passant, vous trouverez peut-être quelques conseils concernant les poursuites antiterroristes dans le volume 3 du rapport sur le vol d'Air India.
Le président : Avant de passer à un autre sujet, j'aimerais avoir plus de détails sur le poste de directeur des poursuites antiterroristes lui-même. Comment ce directeur pourrait-il nous aider à intenter des poursuites, au besoin?
M. Major : Spontanément, comme ça, j'imagine que le ministère de la Justice pourrait former un groupe d'avocats dont l'unique responsabilité serait les poursuites antiterroristes, un peu comme on le fait avec les poursuites liées aux drogues. Il y a des avocats au ministère de la Justice qui sont uniquement responsables des poursuites pour des crimes liés aux drogues. Ce sont des agents nommés par le ministère de la Justice qui font le gros du travail dans les provinces.
Selon moi, le même format pourrait s'appliquer dans le cas des enquêtes sur les actes terroristes et des poursuites antiterroristes. Il y aurait des avocats dédiés à cette tâche. Ce serait semblable à ce qui se fait dans le cas des poursuites engagées par le gouvernement fédéral.
Outre les drogues, il y a également la contrebande. Le gouvernement fédéral est responsable des poursuites liées à plusieurs activités criminelles. Les poursuites antiterroristes sont importantes, mais elles ne sont pas nécessairement différentes des autres.
Le sénateur White : Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
Vous êtes probablement l'une des seules personnes au pays à avoir pu analyser le travail du SCRS sur une période de 30 ans. J'aimerais savoir si, selon vous, depuis 1985, le SCRS a évolué dans la façon dont il conseille le gouvernement sur les mesures à prendre et s'il est mieux équipé aujourd'hui pour réagir aux menaces terroristes imminentes contre le Canada.
M. Major : Je suis plus en mesure de vous parler de la situation en 1985. C'est environ à cette époque que le SCRS a été créé, suivant la recommandation formulée dans le rapport McDonald. L'idée était que la GRC, une force policière, soit responsable des poursuites pour activités criminelles, et que le SCRS soit responsable de la sécurité nationale, une responsabilité qui appartenait alors à la GRC.
Comme nous l'avons déjà entendu, le SCRS était très désordonné. L'organisme recrutait des agents au sein de la GRC pour des affectations de deux ans. Les agents qui le désiraient pouvaient retourner à la GRC par la suite. Dès le début, cela a causé des tensions entre les deux organismes, car selon les agents qui restaient à la GRC, ceux qui allaient au SCRS manquaient de loyauté à l'endroit de la GRC.
Le SCRS devait recueillir des renseignements et des preuves et, lorsqu'il avait des preuves suffisantes d'activité criminelle, il devait remettre le dossier à la GRC. Sur papier, le système semblait efficace, mais en réalité, il ne l'était pas. Une fois qu'il avait mené son enquête et qu'il était prêt à résoudre l'affaire, disons, le SCRS hésitait à transmettre les renseignements et les dossiers à la GRC. De façon similaire, la GRC se croyait meilleure que le SCRS pour la collecte de renseignements et ne transmettait pas l'information recueillie au SCRS. C'est la nature humaine, j'imagine.
Par conséquent, comme le stipule le rapport sur le vol d'Air India, nos recherches ont clairement démontré que si la GRC et le SCRS avaient partagé les renseignements dont chacun disposait, il est très probable, presque certain, même, que l'attentat contre le vol d'Air India aurait été déjoué, tout comme celui contre l'avion qui a explosé au Japon.
Dans le rapport, on a beaucoup critiqué le manque de communication. Je ne suis pas au courant de ce qu'ils ont fait. On a l'impression qu'ils sont mieux organisés aujourd'hui, mais puisque j'ai terminé mon travail il y a maintenant quatre ans, je ne suis pas en mesure de vous dire si les choses se sont améliorées sur le plan de la communication.
Je crois toujours que la nature humaine joue un rôle, et c'est pourquoi je trouvais très bonne l'idée de permettre au conseiller à la sécurité nationale de résoudre les problèmes entre ces deux organismes et d'autres organismes.
Le sénateur White : Monsieur, je vous en remercie. Merci de votre réponse également.
D'autre part, durant vos audiences, avez-vous découvert qu'on enseignait à des enfants des idées radicales dans des établissements religieux et des écoles privées? Si c'est le cas, y a-t-il quelque chose... Si ce n'est pas le cas, ma deuxième question est inutile, mais devrions-nous faire quelque chose pour essayer de contrer cela, à votre avis?
M. Major : Vous aurez peut-être du mal à croire ce que je vais vous dire, mais l'un des individus que l'on soupçonnait d'être un pilier du complot visant Air India et l'homme qui a été jugé et acquitté s'appelait Malik. Il a fondé une école à Surrey, financée en partie par le gouvernement provincial. Au cours de la période durant laquelle l'enquête sur l'attentat commis contre Air India a été menée, il était évident qu'on endoctrinait les enfants et les élèves, en partie avec l'aide du gouvernement provincial étant donné qu'il s'agissait d'un établissement d'enseignement.
Nous avions des raisons de croire qu'un grand nombre de diplômés ont été arrêtés dans les cinq années suivant leur départ de l'établissement. Je me suis renseigné à ce sujet, non pas auprès d'une source officielle, mais auprès d'un certain M. Hayer, qui était député à l'assemblée législative et dont le père a été assassiné par les sikhs. C'était le rédacteur en chef d'un journal sikh. Il m'a dit que l'école est même encore plus grande aujourd'hui. Dans la ville, il y a encore des images d'un homme qu'on appelle Parmar, l'instigateur de la tragédie. Ses photos apparaissent sur des chars dans des parades, qui ont toujours lieu, et auxquelles, malheureusement, des politiciens participent dans certains cas.
Le sénateur White : Je vous remercie. Quelle mesure un gouvernement pourrait ou devrait prendre pour contrer cela, sur le plan législatif ou sur d'autres plans?
M. Major : C'est très difficile, car lorsqu'on commence à enquêter sur des écoles privées, vous pouvez vous imaginer quelle est la réaction des gens qui croient que l'on cible leur religion. Les autorités scolaires de la Colombie-Britannique pourraient examiner le programme et déterminer ce qui se passe vraiment dans l'école. Ce n'est qu'une seule école. Elles pourraient la cibler, faute d'un meilleur mot, et mener des enquêtes afin de vérifier si elle respecte les normes que la province pense qu'elle veut appliquer. Toutefois, dès qu'elles commenceront à se pencher sur un établissement d'enseignement, elles feront face à une opposition de la part des sikhs qui ne sont pas des terroristes.
La sénatrice Stewart Olsen : Juge Major, je vous remercie de votre présence. C'est un honneur de vous accueillir parmi nous. Vous avez fait beaucoup de travail à cet égard. Comme vous pouvez le constater par les questions que nous vous posons, nous essayons de trouver une façon de, nous l'espérons, prévenir une bonne partie de ce qui se passe présentement.
J'aimerais que vous reveniez entre autres sur l'idée d'élargir le mandat du conseiller à la sécurité nationale. En raison de la délimitation des responsabilités, et parce qu'il n'a pas d'autorisation légale, cela soulève beaucoup de questions.
Pourriez-vous parler un peu de cette question, ainsi que de la Loi sur la preuve au Canada? Vous y avez fait référence dans le volume 3 de votre rapport. Pourriez-vous nous fournir un peu plus de détails à ce sujet?
M. Major : Selon ma conception des choses, un conseiller à la sécurité nationale est un individu et non un ministère. La personne aurait la responsabilité de s'assurer que l'information qu'a obtenue un organisme a été correctement communiquée à d'autres organismes. Étant donné qu'un certain nombre d'organismes sont maintenant davantage en mesure de faire un examen plus poussé, je ne peux m'empêcher de croire que certains de ces organismes seront réticents à communiquer l'information. Ils voudront effectuer leur propre enquête, peut-être de bonne foi, alors qu'il faudrait qu'ils la communiquent à la GRC. On en est peut-être rendu là.
J'imagine l'organisme concerné — la GRC, par exemple — exposer sa position devant le conseiller à la sécurité nationale pour ce qui est de déterminer s'il est rendu à l'étape où il doit communiquer l'information qu'il a obtenue à l'un des autres organismes. Il ne s'agirait pas d'un processus politique; ce serait, à mon sens, un processus administratif. Cela ne nécessiterait pas de ressources supplémentaires, mais probablement un avocat chevronné qui fait preuve de bon sens.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci, monsieur. Cela nous permet de beaucoup mieux comprendre.
Le sénateur Kenny : Monsieur le juge, j'ai une question qui est liée aux deux questions précédentes. Je croyais que c'était principalement l'affaire Stinchcombe qui expliquait la non-communication de renseignements entre le SCRS et la GRC ainsi que les problèmes de divulgation liés à la communication de renseignements. Avez-vous une perspective différente?
M. Major : Je ne sais pas si j'ai une perspective différente, mais comme vous le savez, l'affaire Stinchcombe est la principale cause sur la divulgation de la preuve que les autorités policières ont contre l'accusé avant que celui-ci subisse un procès. C'est peut-être que dans les cas où un groupe de personnes sont arrêtées en même temps, le volume de renseignements à communiquer serait énorme. Dans le rapport, je crois que ce que nous avons dit, c'est que dans ces cas, on rendrait l'information accessible à un endroit et on permettrait aux parties intéressées — les gens qui ont le droit d'en prendre connaissance — de la consulter à cet endroit plutôt que de livrer l'information aux parties. Dans le cas de poursuites ordinaires, le dossier qui est fourni à l'accusé peut être très petit.
Dans les activités menées conjointement par le SCRS et la GRC, les dossiers ont tendance à devenir très volumineux, et sur le plan matériel, la communication de renseignements devient donc un problème à moins que les parties intéressées viennent les consulter. Par « volumineux », je veux dire qu'on pourrait remplir un wagon de renseignements. Il faut alors se demander ce qui est pertinent. Je crois que les autorités vont souvent à l'extrême et divulguent tout, de sorte que l'on soupçonne que l'information essentielle ne sera pas recueillie parce qu'il y a plein de renseignements de toutes sortes. Or, je ne vois pas en quoi l'affaire Stinchcombe poserait un problème entre le SCRS et la GRC.
Le sénateur Kenny : Monsieur, d'après ce que je comprends, ce n'était pas un problème sur le plan matériel; c'est plutôt que le SCRS avait l'impression qu'il dévoilait sa façon de fonctionner, ses procédures, et qu'il craignait qu'ainsi, les méchants comprennent mieux la façon de travailler du service de renseignements du pays, et que l'arrêt Stinchcombe imposait cette divulgation qui, en fait, faisait en sorte qu'il serait inutile pour le SCRS d'aller plus loin.
M. Major : Eh bien, sénateur Kenny, je ne connais aucun dossier où l'on établit que les principes émis dans l'arrêt Stinchcombe vont jusqu'à la divulgation du fonctionnement des autorités. Elles doivent fournir les résultats. Elles doivent communiquer la preuve, mais elles n'ont pas à dévoiler la façon dont elles s'y sont prises. L'idée selon laquelle le SCRS devrait divulguer sa méthode d'écoute téléphonique ou les autres outils qu'il utilise ne fait pas partie de l'arrêt Stinchcombe.
La sénatrice Beyak : J'invoque le Règlement pour les gens qui nous regardent. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus en détail ce qu'est Stinchcombe?
M. Major : Stinchcombe est une affaire criminelle qui a eu lieu à Calgary. À l'époque, il n'y avait aucune méthode structurée par laquelle les autorités fournissent à l'accusé les éléments de preuve contre lui. Stinchcombe, c'était un avocat qui s'est livré à des activités criminelles. Il a été accusé et condamné, et son avocat a fait appel et a plaidé qu'en tant qu'accusé, Stinchcombe avait droit à une défense pleine et entière et que pour cette raison, il devait connaître les éléments retenus contre lui. L'affaire s'est rendue jusqu'à la Cour suprême du Canada, qui a reconnu le principe selon lequel les éléments de preuve contre un accusé doivent être divulgués à la défense afin qu'il puisse présenter une défense pleine et entière.
La sénatrice Beyak : Je vous remercie beaucoup. C'est très instructif.
Nous croyons comprendre qu'au cours de votre mandat à titre de commissaire, de 2006 à 2010, le fondamentalisme et le radicalisme religieux suscitaient de sérieuses préoccupations compte tenu de l'attaque et des menaces contre des Canadiens, comme Ujjal Dosanjh et Tara Singh Hayer, dont vous avez parlé plus tôt. Les organismes qui ont la responsabilité de protéger ces personnes et leurs droits font-ils leur travail? Avez-vous des suggestions de mesures qui leur permettraient de faire mieux?
M. Major : Je n'ai pas entendu votre première question.
La sénatrice Beyak : Excusez-moi, le microphone était fermé. Tout d'abord, je vous remercie des explications que vous nous avez données sur l'autre question.
Nous croyons comprendre qu'au cours de votre mandat à titre de commissaire, de 2006 à 2010, des fondamentalistes et des radicaux religieux s'attaquaient beaucoup à des journalistes qui essayaient de faire leur travail d'information, comme l'homme dont vous avez parlé plus tôt, M. Tara Singh Hayer. Je me demande si, à votre avis, les organismes qui sont censés protéger ces gens font leur travail.
M. Major : Eh bien, c'était vraiment une tragédie. Les autorités avaient la responsabilité de le protéger, comme ils le font pour tout citoyen qui reçoit des menaces de mort. Durant l'enquête, on s'est rendu compte que les avertisseurs d'effraction qui avaient été installés chez lui ne fonctionnaient pas. Les mesures de protection étaient plutôt minables, et il a fini par être assassiné. Dans ce cas, je dirais que les mesures de protection n'étaient pas adéquates.
Je pense que les autorités doivent protéger des organisations si elles font face à des menaces d'actes criminels.
Si c'est un débat au sujet de la théologie ou d'autre chose, je ne sais pas si l'État a le devoir de protéger l'argument.
Je ne sais pas si les menaces liées à des activités criminelles sont plus grandes quand il s'agit d'un journaliste. C'est seulement que souvent, il est beaucoup plus probable qu'un journaliste reçoive des menaces qu'un défenseur des droits qui manifeste au coin de la rue.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'ai deux questions. Est-ce que l'ouverture dont fait preuve le Canada envers les immigrants et tous les droits que nous leur consentons augmentent le risque que nous servions de refuge aux terroristes en devenir ou, comme on les appelle communément maintenant, aux loups solitaires?
[Traduction]
M. Major : J'ai entendu le sénateur, mais je n'ai pas compris sa question. Je n'ai pas entendu l'interprétation.
Le sénateur Dagenais : Vous n'entendez pas l'interprète?
M. Major : Non. Je l'entends maintenant. Si vous pouvez répéter la question du sénateur, ça ira.
Le président : Pourriez-vous répéter la question? Je crois que nous avons tous de la difficulté à capter l'interprétation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Est-ce que vous me comprenez bien? Captez-vous l'interprétation?
[Traduction]
M. Major : Je vous entends, et j'attends l'interprétation.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Est-ce que l'ouverture dont fait preuve le Canada envers les immigrants et tous les droits que nous leur consentons augmentent le risque que nous servions de refuge aux terroristes en devenir ou, comme on les appelle à l'occasion, aux loups solitaires?
[Traduction]
M. Major : Je crois que c'est la générosité dont fait preuve le Canada en invitant les immigrants et en rendant l'immigration, peut-être pas parfaite, mais moins difficile à réaliser que dans un certain nombre d'autres pays. Par conséquent, des éléments indésirables constateront qu'ils peuvent entrer au Canada plus facilement qu'ailleurs et en profiter. À mon avis, cela ne fait aucun doute.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aurais une autre question. En ce qui concerne l'attentat à la bombe commis contre le vol 182 d'Air India, vous nous avez parlé du rapport, mais s'est-il avéré que des problèmes de coopération sont survenus entre des ministères ou organismes du gouvernement, y compris le Service canadien du renseignement de sécurité et la Gendarmerie royale du Canada? Dans le cas où des problèmes de communication ou de coordination seraient survenus, conviendrait-il d'apporter des changements aux pratiques ou à la législation pour empêcher que de tels problèmes surviennent à nouveau?
[Traduction]
M. Major : Je reviens à ce que je disais sur le conseiller à la sécurité nationale. Si on lui donnait un rôle d'arbitre, faute d'un meilleur mot, entre les deux parties, soit celle qui ne veut pas communiquer ses renseignements et celle qui veut les obtenir, le conseiller à la sécurité nationale — et je le répète, il s'agirait d'une personne — se pencherait sur les arguments des deux positions à ce moment-là.
Permettez-moi de vous donner un exemple frappant. En ce qui concerne l'attentat commis contre Air India, on a constaté que les agents du SCRS avaient suivi trois sikhs jusqu'à l'île de Vancouver, et les avaient vu prendre du matériel et se rendre dans une carrière de sable. Les agents du SCRS les ont suivis. L'agent supérieur était un peu dur d'oreille. L'agent qui l'accompagnait était une jeune femme. Ils se sont stationnés loin de la carrière de sable. Des bruits ont fait sursauter la jeune femme. L'agent supérieur est revenu et a dit qu'il s'agissait de tirs au fusil de chasse. Par la suite, le véhicule qui était dans la carrière est retourné à Duncan.
C'était le vendredi ou peut-être le jeudi après-midi précédant l'explosion de la bombe à bord de l'avion. Le SCRS n'a pas révélé l'incident à la GRC. Après l'explosion de l'avion, en reconstituant le fil des événements, on a trouvé des capsules de dynamite dans la carrière de sable. Les individus ne tiraient pas au fusil de chasse; ils faisaient des essais de dynamite.
Maintenant, si le SCRS avait communiqué ses soupçons à la GRC, si la GRC avait été mise au courant des essais de dynamite, cela aurait été une étape très importante dans ce qui s'est avéré plus tard la preuve, mais le SCRS n'a pas communiqué l'information.
Le sénateur Ngo : Merci, juge Major. J'ai deux questions.
Que pensez-vous des mesures qui visent à accroître les pouvoirs des forces de l'ordre, par rapport au droit à la vie privée des gens? Contiennent-elles suffisamment de mesures de protection?
M. Major : C'est toujours une question d'équilibre. Lorsqu'on est confronté à une grave crise comme celle avec laquelle nous sommes aux prises, on veut s'assurer de ne pas nuire au travail des autorités ou des organismes chargés des enquêtes.
Il y a des mesures de protection. Dans certaines circonstances, des mandats doivent être accordés par un juge, mais je crois que cela se résume à notre confiance envers nos organismes, en ce sens qu'ils n'abuseront pas de leur pouvoir. Je ne suis au courant d'aucun incident à cet égard.
Les enquêtes menées vigoureusement froisseront des gens. Certains seront interrogés et des soupçons pèseront sur eux sans raison valable, mais on ne peut pas tout éviter. Je crois qu'en établissant un équilibre, nous devons nous appuyer sur nos mesures de protection : les mandats judiciaires et la bonne foi des organismes.
Pour ma part, ce que je vois ne me pose pas de problème. On veut toujours entendre le point de vue de l'opposition au cas où elle proposerait des idées valables, mais en ce moment, il semble que des préoccupations concernant les soi- disant pouvoirs élargis qu'on donne à certains organismes dans le cadre de leurs enquêtes visant à empêcher des attaques terroristes de se produire sont exagérées.
Comme vous le savez, c'est quelque chose de très difficile quand on a affaire à des radicaux locaux qui n'ont pas de lien réel avec les complots du groupe armé État islamique dans leur sous-sol. En ce qui concerne l'incident des jeunes qui planifiaient une tuerie dans un centre commercial le week-end dernier, je suspecte, sans en être certain, que les têtes dirigeantes du groupe armé État islamique n'avaient jamais eu vent de ce projet. C'est une tâche qui semble pratiquement insurmontable que d'obtenir l'information et d'empêcher ces incidents de se produire.
Je pense donc que nous devons faire la bonne chose. Les organismes doivent être responsables. Nous devons protéger les droits des citoyens. C'est une question d'équilibre, et pour ma part, je me sens rassuré par ce que j'ai vu concernant la protection des mandats et, certainement, la bonne foi des organismes.
Le sénateur Kenny : Monsieur le juge Major, vous avez investi trois ans dans la préparation de votre rapport. J'aimerais savoir ce que vous pensez, après presque 10 ans, de la mesure dans laquelle le gouvernement a suivi vos recommandations.
M. Major : C'est facile; je ne pense pas qu'il en a suivi beaucoup. Le gouvernement a une réponse pour moi, même si je ne lui ai rien demandé. Il dit « Tout ce que vous avez recommandé concerne la sécurité, et si nous vous disons ce que nous avons fait, nous le révélerions à tout le monde et aviserions les gens malintentionnés des mesures que nous avons prises. »
Permettez-moi de vous donner un exemple. J'avais recommandé que les cargaisons — les bagages dans le cas présent — soient passées aux rayons X avant d'être chargées dans les avions. Les cargaisons ne sont pas passées aux rayons X. Quand je dis qu'elles ne le sont pas, c'est qu'elles ne l'étaient pas au moment des audiences sur l'affaire Air India, et je n'ai pas entendu dire qu'elles l'étaient maintenant. Les cargaisons en partance des États-Unis sont passées aux rayons X, mais pas celles qui vont ailleurs. Vous verrez dans le rapport sur l'affaire Air India... permettez-moi de revenir en arrière un instant.
Il a fallu trois ans, et c'est en partie en raison de la réticence des autorités. Le gouvernement a lancé l'enquête, puis s'est fait protéger par un contingent d'avocats. Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation où il était très difficile d'obtenir des renseignements non caviardés du gouvernement. Voilà qui explique en partie pourquoi l'enquête a duré jusqu'à un an de plus peut-être. Nous recevions des rapports presque entièrement biffés. À un moment, j'ai déclaré publiquement que si rien ne changeait, il était inutile de poursuivre l'enquête.
Les choses ont alors changé. J'ai reçu des documents à moitié caviardés seulement. Mais je n'ai jamais été certain d'avoir obtenu toutes les preuves que le gouvernement m'avait chargé de trouver pour savoir ce qu'il s'était passé. Je suppose que d'une certaine manière, c'est la nature humaine qui a fait que les gens ont décidé que l'information n'était pas pertinente, mais le gouvernement était un adversaire dans une enquête où il aurait dû être un allié.
Le sénateur Kenny : Notre comité a fait une contribution dans le cadre de votre enquête, et vous semblez avoir repris ses recommandations dans le premier volume du rapport. Pourtant, aucune ne semble avoir été adoptée.
M. Major : Certains pourraient dire que nous avons fait trop de recommandations. J'ai peut-être été naïf de croire que le gouvernement voulait savoir tout ce que nous avions découvert. Je ne m'attendais pas à ce que toutes les recommandations soient appliquées, mais j'ai cru que le gouvernement serait alerté et pourrait retenir les plus urgentes. Il en a peut-être suivi quelques-unes. Mais je suis dans la même position que vous, sénateur Kenny; je n'ai rien entendu à ce sujet.
[Français]
La sénatrice Charette-Poulin : En me préparant à la réunion d'aujourd'hui, j'ai relu votre biographie et j'ai constaté que vous veniez de Mattawa. Chose intéressante, la question que je vais vous poser m'a été posée par une personne du Nord de l'Ontario au cours de la fin de semaine.
Lors de vos remarques liminaires, vous avez mentionné qu'il semble y avoir trois groupes : des groupes de terroristes spécifiquement liés à ISIS; des individus qui agissent seuls sans relation avec ISIS; et des individus qui agissent par idéologie. Comment faire pour discerner exactement si un attentat est lié à un plan, à une stratégie, ou à une implantation de groupe, comparativement à un individu qui pose un geste pour des raisons inconnues? Comment fait- on la différence?
[Traduction]
M. Major : Eh bien, ce sera difficile à faire par moment. Ce que vous avez répété s'apparente à ce que j'ai dit, mais ce n'est pas tout à fait pareil. J'ai parlé des activités du groupe armé État islamique, du centre de commandement, et des activités d'individus agissant selon les instructions du groupe armé État islamique. Par exemple, ceux qui voulaient se rendre en Syrie afin de combattre avec ce groupe se sont fait dire de rester au pays parce qu'ils pouvaient y accomplir davantage. Ils agissent donc à l'instigation du groupe armé État islamique. Le troisième groupe est celui qui est le plus difficile à détecter.
Je pense que les deux incidents survenus au Canada s'avéreront être le fait de gens qui ont agi sans avoir de véritable lien avec le groupe armé État islamique, à part leur adhésion enthousiaste au précepte selon lequel il faut faire la volonté d'Allah et tout le tralala.
La sénatrice Beyak : Merci, monsieur le juge. Cette fois-ci, j'ai ouvert mon microphone. C'est un honneur que de vous compter parmi nous. Votre rapport sur l'affaire Air India était formidable. Je l'ai lu en détail et je suis frappée par les similitudes qui existent avec la situation qui intéresse notre comité aujourd'hui.
Je me demande si vous pourriez nous dire, pour faire suite à mes questions précédentes, si vous craignez que les médias, certains citoyens et certains journalistes qui ont leur franc-parler ne soient pas amplement protégés. Je m'inquiète à ce sujet. S'ils font l'objet d'intimidation, de poursuites pour diffamation ou de menaces de violence physique, pensez-vous que la Couronne devrait prendre leur parti si on les menace de poursuites injustifiées pour diffamation?
M. Major : Je considère qu'il faudrait examiner la question au cas par cas. Dans le cas du regretté M. Hayer, il est évident qu'il avait besoin de protection. Le domaine du journalisme est, comme vous le savez, très vaste, et si les journalistes font parfois attention à l'information qu'ils colportent, tous ne font pas preuve d'autant de retenue. J'ignore s'il serait possible d'offrir une protection globale aux journalistes ou aux gens victimes de menaces. Je pense que les autorités pourraient examiner la menace pour en déterminer le sérieux.
Le sénateur White : Je vous remercie de me donner l'occasion de poser une autre question. En ce qui concerne le conseiller à la sécurité nationale, monsieur, vous savez où nous en sommes aujourd'hui à cet égard. Que devrait-on faire avec ce poste? Devrait-il clairement avoir un rôle de supervision, voire de direction des activités des organismes, ou devrait-il davantage consister à recevoir l'information et à prodiguer des conseils au gouvernement?
M. Major : Je pense que ce serait plus le deuxième rôle.
À mon avis, le conseiller à la sécurité nationale devrait avoir un rôle très circonscrit. Il serait l'autorité finale qui trancherait si le SCRS refuse de remettre à la GRC les renseignements que ce dernier lui demande, faisant valoir qu'ils en sont encore à l'étape de l'information et que la situation n'a pas encore atteint le niveau d'activité criminelle. Le conseiller examinerait les intérêts concurrents et déciderait que la situation a effectivement atteint le niveau auquel il faut transmettre les renseignements à la GRC, ou alors que le SCRS est encore en train de colliger l'information et que le dossier lui appartient toujours, car il n'y a pas d'activité criminelle.
Il ne ferait pas de supervision, mais prendrait une décision au cas par cas au sujet des organismes.
Le sénateur White : Merci beaucoup, c'était une réponse claire. Vous parlez en fait de supervision de l'information et des renseignements, et non d'un organisme.
M. Major : Non.
Le sénateur White : Le titulaire examinerait l'information pour déterminer si elle devrait être communiquée ou non, par exemple, et dirigerait la transmission de renseignement plutôt que les diverses organisations.
M. Major : Oui.
Le sénateur Kenny : À ce sujet, les deux ministères, les deux organismes relèvent du même ministre, et le SCRS est assujetti à la directive ministérielle à de nombreux égards.
Est-ce par magie ou pour une raison particulière que vous avez choisi le conseiller à la sécurité nationale au lieu de donner la même directive au ministre?
J'ai une deuxième question que vous pourriez considérer en même temps. L'organisme qui n'a pas l'information ne sait parfois pas ce qu'il doit demander. Si l'information est entre les mains du SCRS, il faut que la GRC lise un peu dans les pensées simplement pour demander ce qu'il y a de nouveau. Nul n'est conscient de ce qu'il ignore, pour citer un homme célèbre.
M. Major : Pour répondre à votre première question, il est vrai que la chaîne de commandement, à défaut d'avoir un meilleur mot, montait jusqu'au ministre. Le problème, c'est que le ministre avait tellement d'autres choses à faire qu'il ne s'en est pas occupé. Le dossier a donc rapidement été transféré au sous-ministre, qui s'en est peut-être occupé dans certains cas, mais pas dans d'autres, ou n'a pas poursuivi l'enquête. D'après ce que nous avons constaté, il n'a jamais semblé que la voie politique était appropriée.
Les ministres ont bien d'autres choses à faire. Les instances politiques n'ont pas accordé à ce dossier toute l'attention qu'il aurait dû recevoir.
En ce qui concerne la communication d'information, c'est une bonne question. Comment peut-on demander quelque chose dont on ignore l'existence? Vous constaterez que dans bien des cas, les organismes suivent des voies parallèles et qu'il ne leur faut pas beaucoup de temps pour s'apercevoir que d'autres enquêtes sont en cours. Les agents interrogeront le même témoin et pourraient dire à la GRC qu'il y avait un gars ici l'autre jour. Or, ce gars est probablement du SCRS. Au début, donc, vous avez tout à fait raison : comment peut-on être conscient de ce qu'on ignore? Mais à mesure que les enquêtes progressent, les chemins semblent se croiser.
Ce n'est pas à toute épreuve; c'est simplement mieux que ce que nous avons actuellement.
Le président : Notre temps est presque écoulé, monsieur le juge Major, mais j'aimerais faire le suivi par rapport à quelques questions, si vous le voulez bien.
Tout d'abord, j'ai une question qui revient au concept initial de directeur des poursuites en matière de terrorisme. Si je reviens là-dessus, c'est parce que nous regardons en arrière sur une très brève période, sur les quatre ou cinq dernières années, au cours desquelles on a recensé de nombreuses personnes impliquées dans le terrorisme, que ce soit directement ou indirectement. D'après ce qu'on nous a indiqué, il y en aurait bien plus de 300 qui ont joué divers rôles.
On nous a également parlé d'un nombre substantiel de cas de financement du terrorisme. Plus de 600 auraient été recensés sur quatre ans; pourtant, le public a constaté qu'il y a bien peu de procédures judiciaires contre les personnes concernées directement ou indirectement.
Le commissaire de la GRC a témoigné devant nous pour parler notamment des seuils auxquels il faut satisfaire avant d'entamer des procédures judiciaires. Est-ce que l'établissement d'une direction des procédures en matière de terrorisme faciliterait la coordination pour que le public voie qu'il y a des poursuites judiciaires quand c'est nécessaire? Par le passé, le peu, voire l'absence de procédures, a soulevé bien des questions.
M. Major : Je pense que c'est une démarche nécessaire dans le cadre de votre entreprise visant à formuler une recommandation dans le sens dont vous parlez. Il faut évidemment se demander quelle est la meilleure façon de procéder. Si on met sur pied un groupe distinct chargé des enquêtes et des poursuites en matière de terrorisme, on instaure un groupe séparé, dans un certain sens, du ministère de la Justice. Selon moi, ce ministère entame des poursuites pour évasion fiscale et devrait avoir affecté à ces affaires plus d'avocats que vous n'en auriez si vous déléguez la même méthode de poursuite pour des activités terroristes.
Comme je l'ai indiqué, ce ministère entame des poursuites pour un certain nombre de crimes qui relèvent de ses compétences.
À mon avis, il est préférable d'avoir un groupe d'avocats s'occupant exclusivement des poursuites en matière de terrorisme qui relèverait du ministère de la Justice que d'instaurer un groupe distinct. Un tel groupe aurait tendance à faire cavalier seul et s'éloignerait des autres poursuites criminelles. Je sais que nous parlons des poursuites en matière de terrorisme, mais on détecte fréquemment des activités terroristes au cours de poursuites intentées pour d'autres infractions criminelles.
L'évasion fiscale peut entrer en jeu quand, en épluchant les dossiers personnels d'impôt, les enquêteurs trouvent des preuves qui portent à croire qu'il y a des activités criminelles. C'est bien plus facile si toutes les activités relèvent du ministère de la Justice et sont confiées à l'avocat principal du ministère. Il pourrait y avoir une dizaine d'avocats.
Je pense qu'il serait bien plus efficace de garder les activités à l'interne, mais de désigner clairement un ministère dont les avocats se spécialisent dans les poursuites en matière de terrorisme.
Le président : Je vais vous laisser sur une dernière question, qui concerne ce que vous avez affirmé précédemment au sujet du nombre de personnes et du fait qu'il y a un peu moins de 100 personnes qualifiées de « voyageurs à haut risque ». J'ignore d'où sort ce terme, car je les aurais qualifiées de combattants étrangers potentiels.
Quoi qu'il en soit, on a détecté ces voyageurs à haut risque et, dans la plupart des cas, on leur a interdit de quitter le pays. Comme vous l'avez souligné plus tôt, ces personnes se font parfois dire de rester au Canada au lieu de quitter le pays parce qu'ils sont plus utiles au groupe armé État islamique ici qu'à l'étranger.
Qu'est-ce que le gouvernement peut faire de plus, sur le plan législatif ou autre, concernant ces individus qui sont, de toute évidence, prêts à causer un tort considérable à leurs concitoyens canadiens et à notre pays? Que pouvons-nous faire de plus, à part détecter ces personnes et les faire surveiller à grands frais? Cette surveillance coûte des milliers de dollars par personne. Pourrions-nous procéder autrement pour mettre les choses en perspective et faire preuve de bon sens?
M. Major : Vous savez, c'est presque comme si on luttait contre des ombres. C'est très difficile. J'ai entendu un criminologue se faire interviewer en France, où, vous vous souviendrez, le rédacteur et les employés d'un journal satirique ont été victimes d'une fusillade. Les agresseurs étaient connus de la police à deux égards, selon ce criminologue. Il a expliqué qu'il y avait une boîte dans laquelle se trouvait une description de leurs activités criminelles et ils avaient été incarcérés et avaient d'épais casiers judiciaires. Dans l'autre boîte, il était question de leurs activités terroristes. Selon lui, ils étaient passés entre les deux boîtes et avaient fini par ne plus être surveillés.
C'est très difficile. Je ne pense pas qu'il y ait de solution miracle pour répondre à votre question. Ce sera difficile et cher. Vous n'obtiendrez pas une réussite totale, parce que contrairement aux autres problèmes que vous rencontrez, ces extrémistes canadiens peuvent surgir de n'importe où. Comme ce criminologue l'a souligné, ils passent leur temps entre des activités criminelles ou terroristes, ou la mosquée. Ils sont en prison, à la mosquée ou en train de se livrer à des activités criminelles, et on l'ignore jusqu'à ce qu'on obtienne plus d'information. La vigilance est importante, mais comme vous l'avez fait remarquer, on ne peut pas surveiller tout le pays. Je sais que ce n'est pas une très bonne réponse, mais je ne peux tout simplement pas penser à quelque chose qui soit utile à part ce que vous avez mentionné.
Le président : Chers collègues, nous en sommes à la fin de cette partie de la séance; j'aimerais donc remercier le juge Major au nom du comité pour avoir pris le temps, en ce jour de la Famille, de participer à notre audience et de répondre à nos questions. Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir fait part de votre point de vue, et particulièrement d'avoir fait tout ce travail dans le cadre de la commission d'enquête sur l'affaire Air India, et nous vous remercions d'avoir été si longtemps au service de notre pays. Merci, monsieur.
Chers collègues, nous allons maintenant poursuivre notre étude sur les menaces à la sécurité nationale en compagnie de l'honorable Ujjal Dosanjh, député de 2004 à 2011 et ministre de la Santé de 2004 à 2006. M. Dosanjh a également agi à titre de procureur général et a été le premier Indo-Canadien de l'histoire canadienne à occuper le poste de premier ministre de Colombie-Britannique.
M. Dosanjh est un grand Canadien en raison du courage et de l'intégrité dont il a fait preuve en s'élevant contre le terrorisme et la radicalisation, même si cela posait un risque pour sa personne et sa famille.
Le 18 janvier, il s'est vu décerner le Wallenberg-Sugihara Civil Courage Award à Vancouver. Ce prix a été instauré à la mémoire de Raoul Wallenberg et Chiune Sugihara, qui ont aidé des juifs à fuir l'Europe pendant l'Holocauste.
M. Dosanjh a démontré un courage remarquable face à la menace des radicaux. En 1985, alors qu'il était avocat en Colombie-Britannique, il a été gravement battu avec une barre de métal dans un stationnement quelques mois avant l'attentat d'Air India. En 1999, un cocktail Molotov a été laissé dans son bureau. En 2010, la police a mené enquête après que des menaces eurent été formulées contre lui sur un site Facebook, où on le traitait de traître à la foi sikhe.
Monsieur Dosanjh, c'est avec grand plaisir que je vous souhaite la bienvenue devant le comité.
L'honorable Ujjal Dosanjh, C.P., ancien ministre, à titre personnel : Merci. Je vais faire quelques observations sur l'affaire Air India et d'autres sujets, puis je répondrai à vos questions avec plaisir, car il se peut que je ne dise pas certaines choses que vous souhaitez entendre dans mon exposé.
En ce qui concerne l'affaire Air India et la forme de radicalisation dont nous traitons actuellement, cet attentat a été commis par le premier groupe autoradicalisé d'origine interne à causer des ravages depuis le sol canadien. Je sais que les gens évoquent le FLQ, et il y a eu les Squamish Five en Colombie-Britannique, mais je crois que l'attentat d'Air India était un cas unique jusqu'à la tragédie du 11 septembre.
La terreur était glorifiée à l'époque. Cette glorification se faisait dans les lieux de culte, car les gens ne comprenaient pas ce qu'il se disait en pendjabi et personne de l'extérieur, à part une poignée d'entre nous, pouvait entendre. On n'a pas fait grand-chose et on n'a pas réfléchi beaucoup à ce sujet, car ces questions n'étaient pas prises très au sérieux. Même aujourd'hui, comme le juge Major l'a souligné, il y a des photographies de meurtriers affichées dans des temples, en Colombie-Britannique du moins. J'ignore si c'est le cas à Toronto.
Il s'agissait de terroristes d'origine interne qui étaient, selon moi, isolés de la société en général. Marginalisés « ici », ils ont tourné leur attention vers « ailleurs », vers ce qu'il se passait à 15 000 milles de distance. Pour ce qui est de dire comment cela s'est produit, c'est à l'évidence une question plus large, mais dans un certain sens, je pense qu'ils ressemblent peut-être un peu à certains loups solitaires ou à d'autres personnes autoradicalisées qui se trouvent au Canada aujourd'hui.
Je ferai quelques commentaires sur le financement des établissements religieux et, en fait, des écoles privées, que je regrouperais. Je sais que la plupart des Canadiens sont très réticents à l'idée de superviser les établissements religieux ou les écoles privées parce que ce sont des entités religieuses, que la religion est sacrée et que nous permettons aux gens de faire ce qu'ils veulent à cet égard depuis des siècles.
Nous devons nous réveiller un peu. Nous devons comprendre que nous finançons indirectement des écoles confessionnelles, des écoles privées et des établissements religieux en leur accordant des déductions fiscales. Ainsi, comme les contribuables financent ces établissements dans une certaine mesure, ils ont non seulement l'obligation, mais le droit non pas de déterminer ce qu'il s'y enseigne, mais de savoir si l'enseignement qui y est prodigué est approprié ou non et s'il correspond aux valeurs canadiennes généralement acceptées dans notre pays.
Je sais que c'est une pensée très subversive pour les civils libertariens. J'en ai déjà été un, car j'étais membre de la BC Civil Liberties Association et faisais partie de son conseil d'administration. Mes sentiments n'ont pas changé à ce sujet, mais j'admets aussi qu'il est vrai qu'il n'existe pas de normes nationales ou de pratiques exemplaires appliquées à l'échelle du pays pour déterminer si on supervise adéquatement ou non les écoles privées, en particulier, et peut-être les établissements religieux.
Je crois comprendre qu'un imam a comparu devant vous il y a quelque temps et indiqué qu'on se livrait encore au prosélytisme dans certaines mosquées et, j'en suis certain, d'autres établissements religieux. Si on pense aux militants antiavortement de droite, on a inculqué leurs préceptes quelque part. Ce ne sont pas que les islamistes qui sont concernés. Nous devons comprendre que ce phénomène peut se manifester dans n'importe quelle communauté, dans n'importe quel établissement religieux et dans n'importe quelle organisation confessionnelle. À titre de contribuables, nous avons l'obligation et le droit de déterminer si l'enseignement prodigué dans ces écoles et établissements que nous finançons indirectement met ou non un accent approprié sur les valeurs communes. Par conséquent, j'inciterais fortement le ministre de la Justice, peut-être, à prendre les choses en main et à convoquer une conférence de tous les procureurs généraux ou ministres de l'Éducation pour qu'ils se réunissent afin de tenter d'établir des normes de supervision unifiées, si possible. Je sais que l'éducation est de compétence provinciale, mais je pense que pareille initiative aiderait beaucoup.
Le troisième point est une question bien plus large qui me préoccupe davantage. Je sais qu'il y aura d'autres projets de loi, mais avec le projet de loi C-51, nous parlons des subtilités du droit, cherchant à voir si nous tentons ou non d'assurer notre sécurité en échange de nos libertés, et si les organismes de sécurité disposent ou non des ressources appropriées pour assurer la surveillance. Tous ces points me préoccupent, mais je ne suis pas ici pour traiter de ces questions, car je n'ai pas examiné le projet de loi en détail.
Ce qui me préoccupe, c'est la question plus large du dialogue public à ce sujet, qui a été la source de bien des maux pour Dave Hayer, mon ami Balraj Deol et moi-même. Dans certaines communautés, la pression pour se conformer et ne rien dire à l'extérieur de la communauté est énorme. Quand je prenais la parole dans les années 1980, un groupe de ce que je qualifierais de « jeunes hommes en colère » est venu me voir pour me dire que si je ne m'adressais pas aux grands médias à l'extérieur de la communauté, je pourrais continuer de parler pendjabi et tout serait correct. Je sais que cela aurait été l'équivalent d'un baiser de la mort et je n'ai pas accepté.
Dans certaines communautés, il y a énormément de pression pour ne pas parler publiquement, et parfois, des politiciens de toutes allégeances subissent des pressions considérables pour ne pas créer de remous. Je ne nommerai personne. Ils vont à des parades et aux temples; ils font semblant d'ignorer les photographies de prétendus martyrs, mais ils y vont.
Ce que je crains, c'est que notre ennemi le plus féroce dans la lutte contre la terreur soit notre semi-silence à cet égard, lequel est le fruit de notre rectitude politique, une rectitude qui touche tous les partis à divers degrés. Certains politiciens s'expriment franchement, d'autres non.
Si nous voulons sauvegarder notre société libre, libérale et démocratique, et conserver et renforcer nos valeurs à long terme, nous devons nous faire entendre.
Je ne mâcherai pas mes mots. Chaque fois qu'un journaliste ou qu'un politicien dit les choses crûment, sans détour, je crains qu'on ne s'en prenne à lui. Il y a aussi des organisations qui entament des poursuites contre des journalistes ou des activistes, comme moi, afin de tenter de les bâillonner.
Au bout du compte, le Canada a besoin de voix fortes. Nous devons cesser de craindre d'offenser les gens. Nombre d'entre nous évitons d'offenser les gens. Si vous dites quelque chose à propos d'un hippie aux cheveux longs, je pourrais être offensé. Tout le monde est insulté pour une raison ou une autre.
Je pense que nous devons nous débarrasser de cette crainte d'offenser et tenir un dialogue direct les uns avec les autres. J'ai peur que si nous ne le faisons pas, nous allons devenir une nation trop tolérante et politiquement correcte; c'est presque de la mollesse. Or, ce n'est pas la mollesse qui fait de grandes nations. Le Canada n'a pas été édifié par des mous, mais par des gens qui disaient la vérité, clairement et sans détour, et laissaient les choses suivre leur cours. Je pense qu'au final, c'est ce que les politiciens doivent faire.
À mon avis, si j'observe la politique dans la communauté que je connais et dans d'autres groupes, je constate que certains politiciens sont les pires délinquants. Ils fraient, si je peux employer l'expression, avec des gens aux allégeances politiques douteuses, qui sont les héritiers et les successeurs politiques de ceux qui ont peut-être perpétré l'attentat d'Air India. Il s'est fait un peu de ménage, mais ils sont encore là. Nous devons finir par admettre qu'à titre de politiciens, nous devons montrer l'exemple.
Je sais qu'il est facile de se taire, car on peut alors continuellement plaire à tous; du moins peut-on en avoir l'illusion. Mais je crains que si nous ne cessons pas de jouer à l'autruche ou ne brisons pas le silence, fruit de la rectitude politique, nous aurons beau modifier toutes les lois, accorder toutes les ressources à nos organismes de sécurité et de contrôle, et assurer une surveillance rigoureuse afin de ne pas compromettre nos libertés, au final, nous ne ferons qu'attendre d'arrêter, de poursuivre et d'emprisonner des gens. Ce serait un cycle perpétuel. Nous pourrions agir ainsi sans fin. Nous devons empêcher cela de se produire.
Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'on peut le faire en entamant des discussions honnêtes et franches, qui pourraient effectivement être offensantes à l'occasion; mais nous pouvons convenir que nous pouvons nous insulter mutuellement sans s'entretuer. On n'a jamais dit qu'on peut jouer du fusil à la moindre offense. Mais on peut insulter l'autre en retour. C'est correct. C'est ainsi que fonctionne la démocratie. La démocratie n'en est pas arrivée où elle en est sans quelques offenses. Nous nous sommes insultés mutuellement sur bien des sujets. Les gais et lesbiennes ne bénéficiaient pas de l'égalité dont ils jouissent aujourd'hui. Il en va de même pour les femmes. Ces personnes se sont battues pour obtenir cette égalité, en tenant parfois des propos très offensants, j'en suis sûr. C'est merveilleux. C'est tout ce que je dis. Je pense que finalement, nous avons, en qualité de politiciens, l'obligation de parler sans détour des questions qui nous passionnent et de nous assurer que nous défendons non pas les valeurs de ghetto véhiculées dans certaines communautés, mais les valeurs auxquelles nous adhérons tous au pays.
Le président : Merci beaucoup de votre exposé. Je devrais faire remarquer que c'est une des raisons pour lesquelles nous effectuons cette étude du terrorisme au Canada afin d'examiner en profondeur les raisons de sa présence ici. Pourquoi y a-t-il de la radicalisation? Que pouvons-nous faire pour la prévenir? Que pouvons-nous faire pour mettre fin à son financement et pour éliminer d'autres aspects qui ont une influence sur notre vie quotidienne? Ces questions font partie de notre débat public. Je conviens absolument que nous devons tenir une discussion franche et ouverte, et peut-être aborder des questions qui ne sont pas nécessairement politiquement correctes dans certains cas et de l'avis de certaines personnes.
La sénatrice Beyak : J'approuve tout ce que vous avez dit et je vous remercie de l'avoir dit. Sachez que Preston Manning est aussi du même avis. C'est ce qu'il me dit depuis des années.
M. Dosanjh : Je savais que je serais d'accord avec lui à un moment donné.
La sénatrice Beyak : Le plus gros problème qui se pose au Canada, c'est que nous ne pouvons pas tenir de discussions ouvertes et honnêtes au sujet de questions importantes en raison de notre grande rectitude politique.
Vous avez fort bien répondu à ma question, mais je me demande si on peut faire quelque chose pour que les gens qui osent parler des questions importantes ne soient pas intimidés ou insultés, qu'il s'agisse d'un journaliste, d'un simple citoyen, d'un politicien, de vous ou de moi. Je suis courageuse, et vous l'êtes également. Mais bien des gens craignent pour leur famille et leur maison.
M. Dosanjh : Le juge Major s'est fait poser une question à ce sujet, par vous, je pense.
La sénatrice Beyak : Oui.
M. Dosanjh : Certains ont proposé d'appliquer à la liberté d'expression le genre de loi sur la poursuite stratégique contre la mobilisation publique qu'on utilise pour les questions environnementales et d'autres affaires. J'ignore si ce serait faisable, mais je pense que ceux qui veulent poursuivre les gens qui parlent librement hésiteraient à le faire s'ils savaient qu'il n'y a pas qu'une ou deux personnes qui sont prêtes à parler, mais que la plupart des gens sont prêts à le faire. Combien de gens peut-on poursuivre?
La sénatrice Beyak : Merci. C'est un excellent argument.
Le sénateur White : Merci beaucoup de témoigner. J'apprécie particulièrement vos observations sur les écoles. Je suppose que ce que vous avez dit sur le fait que nous n'aimons pas ce que nous voyons a attiré mon attention, car je vous demanderais ce que nous pouvons faire. Devrions-nous criminaliser les établissements si nous n'aimons pas ce que nous y voyons? Devrions-nous leur retirer leur statut d'école ou leur financement? Que devrions-nous faire si nous n'aimons pas ce que nous voyons dans certains de ces établissements?
M. Dosanjh : Ce sont des questions difficiles. Je ne propose pas de criminaliser les établissements. Je suis certain que si dans une école confessionnelle quelconque, quelqu'un véhiculait des valeurs totalement odieuses pour la société canadienne — comme par exemple la mutilation génitale des femmes —, ce serait absolument horrible. Ce serait illégal, mais on ignorerait ce qu'il se passe à moins qu'on ne supervise l'établissement.
À titre de contribuables, nous avons un droit, car nous finançons ces écoles; c'est du moins le cas en Colombie- Britannique, où 33 p. 100 du coût total par étudiant est financé. Nous avons le droit de connaître les valeurs qui sont véhiculées. Nous n'interdisons pas aux établissements d'inculquer certaines valeurs; nous voulons savoir ce qu'ils enseignent. Si nous considérons que ces valeurs ne cadrent pas avec l'établissement d'une société bienveillante, inclusive et juste, nous pouvons simplement adopter une loi pour qu'au moins, ils ne reçoivent pas de financement. Affamons- les. Je n'y vois aucune difficulté.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci, monsieur Dosanjh. Je suis ravie de vous revoir. Vous avez indiqué que vous voyez souvent des temples ou des groupes communautaires afficher des photographies et des messages glorifiant des terroristes. Considérez-vous que cela fasse la promotion du terrorisme? Si c'est le cas, que proposez-vous de faire à ce sujet?
M. Dosanjh : À mon avis, si une photographie de Clifford Olson était affichée dans cet édifice, nous serions horrifiés. Si on affichait à l'intérieur ou à l'extérieur d'un temple une photographie de M. Parmar, le maître d'œuvre de l'attentat d'Air India qui a tué 329 personnes, principalement des Canadiens, pourquoi ne l'interdirait-on pas? Ce serait de la glorification.
De toute évidence, les photographies ne sont pas disposées à des fins dissuasives. Elles sont là pour honorer les personnes concernées, et je pense que c'est mal. Par implication, cette pratique glorifie les actes que ces gens ont commis.
La sénatrice Stewart Olsen : Vous avez indiqué que nous devrions entamer un dialogue ouvert. J'aimerais que vous nous fassiez des propositions comme cela sur la voie à suivre, mais par où commencer? Si on commence par les chefs et les imams, les vrais gens ne sont souvent jamais entendus.
M. Dosanjh : Quand je parle de dialogue, je ne pense pas seulement aux communautés ou aux sous-groupes où l'autoradicalisation peut survenir. Je songe aussi au leadership public, qui ne vient peut-être pas de ces communautés. En fait, c'est souvent le cas. Ce leadership n'est pas issu de ces communautés, ce qui indique que ces groupes ne sont pas suffisamment intégrés à la société, et c'est un problème qui touche les provinces et les municipalités de plus près. Voilà pourquoi ce n'est pas que le gouvernement national qui peut intervenir. Il faut déployer un effort national s'appuyant sur des pratiques exemplaires.
Voici l'exemple que je donne habituellement aux gens : quand j'étais en politique électorale active, je mentionnais deux choses dès que j'avais la chance de m'adresser à ces communautés en situation minoritaire, qu'il s'agisse de minorités visibles ou autre. Je leur indiquais d'abord qu'elles devaient se préoccuper de la situation déplorable des communautés autochtones du pays. Si elles voulaient l'égalité, elles devaient tenter d'assurer l'égalité pour les communautés autochtones parce que tant qu'elles ne seront pas égales, nous ne le serons jamais.
J'avais aussi pour habitude de parler de l'égalité des gais et lesbiennes aux communautés comme la mienne, et elles me détestaient pour cela. Voilà ce que j'entends par leadership. Les dirigeants politiques ont une obligation. On ne se rend peut-être pas populaire à tenir de tels propos. On se fait des ennemis. Les dirigeants politiques prennent la parole à l'occasion de nombreux banquets, réunions, célébrations et activités chaque année, comme chacun d'entre nous dans la vie publique. En ces occasions, nous avons l'obligation de ne pas nous contenter de célébrer et de dire « magnifique tenue », « Je m'appelle Ash'ari et je porte ces vêtements » ou « Je suis maintenant devant la communauté ukrainienne et je vais m'habiller différemment ». Eh bien, tout cela est bien beau, mais cela ne mène à rien. Cela n'aide pas la véritable intégration.
Quand on leur parle de l'égalité des Autochtones ou des femmes, de l'autoradicalisation et des agissements du groupe armé État islamique ou des personnes autoradicalisées, si on n'aborde pas ces problèmes et on se contente d'assister à un banquet pour déclarer : « Oh, vous avez une culture merveilleuse; vous apportez de la valeur au Canada. », tout le monde apporte de la valeur au Canada, oui, absolument. Mais cela ne rime à rien. C'est ce qu'on appelle des lieux communs, non? Dites quelque chose de plus. Dites quelque chose de réel. Dites quelque chose à propos de la vie des gens. Dites quelque chose sur ce que vous voulez que la société devienne au lieu de complimenter les gens sur leurs vêtements, leurs valeurs ou autres choses. Parlez aussi des valeurs canadiennes communes et des problèmes auxquels notre société est confrontée. C'était ma principale doléance au sujet des politiciens quand j'étais en politique active, et cela l'est toujours.
[Français]
La sénatrice Charette-Poulin : Il y avait un article intéressant dans l'Ottawa Citizen ce matin qui faisait ressortir le fait que vous trouvez extrêmement important l'utilisation du langage lorsqu'on parle de terrorisme. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire par cela? Sentez-vous bien à l'aise de parler en anglais. Je ne voudrais pas que vous vous sentiez obligé de parler en français.
[Traduction]
M. Dosanjh : Merci. Mon seul regret au Canada, c'est de ne pas parler français. J'aimerais le parler.
La sénatrice Charette-Poulin : Il est encore temps de l'apprendre.
M. Dosanjh : Eh bien, il est peut-être trop tard.
Oui, j'avais un blogue intitulé « Tackling Terrorism and Terminology » et je pense que c'est pour cela que les journalistes de l'Ottawa Citizen ont communiqué avec moi.
Je pense que si nous n'avons pas le courage de nommer clairement le problème, nous ne pourrons trouver de solution. Comment trouver une solution à un problème qu'on peine déjà à nommer? J'avais choisi à l'époque l'exemple de la CBC, que j'appuie sans réserve, mais qui ne fait pas un très bon travail dans ce cas-ci en qualifiant les membres du groupe armé État islamique de « militants ». Obama et la Maison-Blanche font de même. Je trouve cela absolument abominable, car si on regarde le sens de « militant », on se rend compte que Mahatma Gandhi était un militant non violent. Il croyait à la non-violence et militait en ce sens. Le terme « militant » englobe des philosophies violentes et non violentes. Voilà qui sème la confusion. De même, quand on qualifie quelque chose d'« islamiste », certains se fâchent. J'emploie ce terme très ouvertement, et Tarek Fatah, un de mes bons amis qui a témoigné devant vous, fait la même chose.
À mon avis, si nous voulons trouver des solutions aux problèmes, nous devons appeler les choses telles qu'elles sont. Si vous ne désignez pas les choses par leur nom, si vous faites preuve de rectitude politique, vous aurez une solution politiquement correcte, mais qui échouera.
[Français]
La sénatrice Charette-Poulin : Le sénateur Dagenais a référé tout à l'heure à certaines actions commises par des loups solitaires. Mettez-vous dans la même catégorie de terrorisme des actes posés par des groupes terroristes, des individus liés au terrorisme, des individus qui sont liés par l'idéologie et des individus qui ont des problèmes de santé mentale?
[Traduction]
M. Dosanjh : La maladie mentale est une question complexe, mais on l'invoque comme excuse pour ne pas traiter les gens de terroristes. Quand je pense à Zehaf-Bibeau et à Martin Couture-Rouleau, je n'ai aucun mal à les traiter de terroristes. Je l'ai d'ailleurs fait dans mon blogue. Je l'ai fait dès le début avant que quelqu'un d'autre ne le fasse. Les gens les plus déséquilibrés ne vont pas tuer des militaires en uniforme. Ces deux individus étaient assez matures mentalement pour savoir qu'ils s'attaquaient à des soldats canadiens en uniforme. Pourquoi? Parce qu'ils s'étaient de toute évidence radicalisés. Ils avaient regardé sur Internet et avaient donné suite aux messages extrémistes.
De mon point de vue, quand on respecte et suit cette idéologie, même si on a un élément de déséquilibre mental, cela ne veut pas dire qu'on n'est pas un terroriste. Il faut comprendre ça. Certains attribuent le terrorisme à la pauvreté ou au déséquilibre mental. Sachez que les terroristes d'Air India n'étaient pas pauvres, pas plus que le groupe des 18 de Toronto. Les auteurs des attentats du 11 septembre venaient, semble-t-il, de riches familles saoudiennes.
Je ne crois pas que le terrorisme trouve ses racines dans la pauvreté ni dans le déséquilibre mental. Je pense que le terrorisme aujourd'hui, comme on l'a vu dans le cas de la tragédie du vol d'Air India, peut découler du mécontentement de certains groupes. Certains d'entre nous encouragent ce sentiment en invoquant des arguments ridicules, comme l'a fait Fareed Zakaria l'autre jour, quand il a dit que la route fait plus de morts que le terrorisme.
Il y a peut-être plus de victimes de meurtres au Canada que de victimes d'actes terroristes, mises à part les victimes du vol d'Air India. Est-ce que cela veut dire qu'il ne faut pas réagir à ces meurtres? Ce sont des arguments insensés. Qu'est-ce que cela signifie au juste? Que nous ne devrions pas prêter attention à certains meurtres?
On oublie l'essence même du terrorisme. L'essence du terrorisme est l'intention délibérée de faire du mal à des gens dans un pays donné, dans une certaine région du monde, à cause d'un sentiment de révolte ou d'obligation envers des groupes de l'EIIS. C'est ce qui distingue le meurtre du terrorisme. Le meurtre peut être délibéré, et les problèmes personnels ou autres peuvent y jouer un rôle. Toutefois, on parle ici d'un pays, d'un peuple et d'institutions.
Selon moi, les actes terroristes n'ont rien à voir avec de simples meurtres, bien qu'ils soient tous abominables, quels qu'ils soient. On ne peut pas minimiser l'ampleur du terrorisme en disant que les terroristes n'ont pas tué autant de gens au Canada que les criminels au cours d'une année. Ce serait vraiment sous-estimer le problème.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'ai deux questions. Selon vous, quelle est la plus importante mesure que le gouvernement pourrait prendre pour empêcher la radicalisation des Canadiens?
[Traduction]
M. Dosanjh : Certains prétendent que la radicalisation se produit parce que nous sommes présents en Irak ou parce que nous avons été en Afghanistan. Nous n'étions pas au Pendjab, en Inde, lorsqu'il y a eu l'attentat contre le vol d'Air India. Cette tragédie avait le Canada comme point de départ. Je ne suis pas d'accord avec cet argument.
À mon avis, en tant que société, que ce soit dans les universités, les écoles, les collèges, les foyers, les églises, les mosquées, les temples, partout où nous le pouvons, au sein des collectivités, nous devons parler aux gens et leur dire que ce n'est pas parce qu'on est révolté qu'on a le droit de tuer. Les gens doivent le savoir. Même si tu n'es pas d'accord avec moi ou si tu crois que je t'ai insulté, cela ne te donne pas le droit de me tuer. C'est fondamental. Les gens doivent comprendre que la violence en soi est une chose inacceptable.
De nombreux immigrants de tous les coins du monde sont venus s'établir au Canada. Je suis moi-même un immigrant de première génération. Nous venons tous ici pour améliorer notre sort. Toutefois, nous n'allons pas améliorer notre qualité de vie en nous vengeant des Canadiens parce que nous n'acceptons pas que nos troupes soient déployées en Irak ou en Afghanistan. Si nous commençons à faire ça, nous détruisons la solidarité sociale au Canada. Il n'y a plus de cohésion sociale. Nous ne sommes pas des Canadiens. Nous sommes des gens venus d'ailleurs il y a 100 ou 200 ans.
La France connaît beaucoup plus de problèmes que nous. L'Europe éprouve plus de difficultés, étant donné que l'immigration date de bien plus longtemps, qu'elle est plus diversifiée et que les immigrants arrivent des pays du Moyen-Orient qui sont actuellement aux prises avec des problèmes.
J'ai oublié votre deuxième question.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma dernière question est la suivante. Le droit canadien, actuellement, permet-il de restreindre adéquatement le financement des activités terroristes, notamment l'utilisation de fonds qui proviennent d'organisations caritatives?
[Traduction]
M. Dosanjh : Je ne suis pas expert en droit, même si je suis avocat. J'ai en quelque sorte abandonné. Je ne m'attarde pas aux dispositions législatives parce que cela prend trop de temps. Je suis avant tout un politicien et un militant politique.
Selon ce que m'ont dit certaines personnes, et d'après les questions que vous avez posées au juge Major, j'ai l'impression que le CANAFE ne donne pas de très bons résultats au chapitre des poursuites. Le système hawala est un système qui permet de transférer des fonds d'un pays à l'autre, et je suis sûr qu'il est toujours utilisé. Il est très facile d'envoyer de l'argent partout dans le monde depuis le Canada.
Je sais que la Cour suprême du Canada a rendu une décision contre l'obligation des avocats de signaler les sommes d'argent importantes placées dans les comptes de leurs clients. Je crois que c'est judicieux, si on veut préserver le secret professionnel, mais cela fait néanmoins un obstacle à la lutte contre le terrorisme.
Je ne crois pas que nous ayons suffisamment de lois ou de ressources pour nous attaquer à ces problèmes.
Le sénateur Ngo : Merci, monsieur Dosanjh. J'ai deux questions. Voici ma première : d'après votre expérience, quelle serait la meilleure façon de contrer les comportements extrémistes et d'empêcher que la pensée radicale ne mène à des actes de violence?
M. Dosanjh : Je ne suis pas un expert en la matière, mais je crois que si nous hésitons à nous attaquer au problème, la situation va devenir incontrôlable. Je crois d'ailleurs que c'est pour cette raison que le problème d'Air India a dégénéré. J'en suis sincèrement convaincu, parce que dans les institutions où on prêche certaines idées, personne ne s'est levé pour dire : « Vous ne pouvez pas préconiser la violence. Vous ne pouvez pas prôner la haine. La violence est inacceptable. » Les gens étaient mécontents, et personne n'était prêt à prendre ce risque.
Les gens comme moi qui parlaient le faisaient en dehors de ces établissements. Nous parlions dans des lieux laïcs.
Je crois qu'il faut traiter de ces questions dans ces établissements : les écoles, les collèges, les universités, les réunions publiques, les lieux de culte, et cetera.
Le sénateur Ngo : Selon vous, quelles leçons aurait-on dû tirer de la tragédie du vol d'Air India?
M. Dosanjh : L'une des leçons que nous avons tirées, c'est que le gouvernement doit réagir et réagir rapidement. Dans le cas d'Air India, nous n'avons pas réagi. Je l'ai dit de façon assez directe par le passé. La plupart des Canadiens s'en moquaient. Des hommes à la peau brune, certains portant le turban, d'autres non, se disputaient. Les gens ne s'en souciaient pas jusqu'à ce qu'un événement coûte la vie à 329 personnes.
À Tokyo, il y a eu l'autre tragédie. Même là, notre premier ministre avait reçu des renseignements erronés. Il avait donc téléphoné le premier ministre indien pour lui transmettre ses condoléances pour les 329 personnes qui avaient péri dans le vol d'Air India, alors que la majorité des passagers étaient des Canadiens. Dans ce sens, nous n'avons pas su reconnaître qu'il s'agissait de notre tragédie.
Beaucoup a été fait depuis. On a mené une enquête et, évidemment, on a érigé des monuments commémoratifs.
Il s'agissait du pire cas de terrorisme aérien avant la tragédie de septembre 2011, mais à l'époque, on s'en moquait éperdument, sauf les gens comme moi et Dave Hayer. Nous le vivions chaque jour.
Je pense que les politiciens et le public canadiens ont tiré une leçon et sont aujourd'hui plus conscients.
Ensuite, il arrive qu'on ferme les yeux sur un problème et qu'on ne pose pas les questions qui s'imposent. Lorsqu'une communauté est différente et parle une autre langue, ou lorsque les gens sont des nouveaux immigrants, que la couleur de leur peau ou leur nourriture est différente, on a de la difficulté à leur poser des questions directes, alors que dans la société en général, c'est plus facile. C'est pourquoi il est important que les politiciens traitent tout le monde de la même manière.
Il est important que nous soyons vigilants et que nous fassions preuve de sollicitude les uns envers les autres, et malheureusement, ce n'est pas ce que nous avons fait jusqu'ici. Nous y allons très prudemment, trop parfois, lorsque nous avons affaire à des communautés dont nous ne faisons pas partie. N'oublions pas que toutes les communautés adhèrent à une plus grande communauté que nous appelons le Canada, et nous en faisons tous partie.
Le sénateur Ngo : J'aimerais soulever une question, monsieur. Dans les années 1980, le mot « terroriste » était méconnu, alors c'est peut-être ce qui explique pourquoi le gouvernement ne considérait pas qu'il s'agissait d'activités terroristes.
M. Dosanjh : À partir des années 1980, tous ceux que je connais qui s'inquiétaient de la violence n'hésitaient pas à décrire la tragédie du vol d'Air India comme un attentat terroriste et à qualifier les responsables de « terroristes ». Nous n'avions aucune difficulté à le faire, mais ce n'était pas le cas de tous les Canadiens. Aujourd'hui, les gens s'en rendent compte. Nous reconnaissons maintenant que l'attentat contre le vol d'Air India était un acte terroriste, tout comme Zehaf-Bibeau et Martin Couture-Rouleau sont des terroristes.
La sénatrice Beyak : Je vous remercie encore une fois de votre exposé. Votre blogue et votre entrevue ont ouvert la voie à une discussion plus significative et honnête, et je vous en remercie. Tant que nous ne serons pas débarrassés de la rectitude politique, le seul droit qu'il nous restera sera celui d'être offensé, j'en ai bien peur.
Ma question porte sur l'éducation. J'ai présidé le Conseil ontarien des parents, et vous avez proposé que tous les ministres se réunissent pour discuter du cursus scolaire. Je me souviens que les parents étaient toujours préoccupés par le manque d'uniformité des normes d'une province à l'autre. Leurs enfants étudiaient dans des provinces différentes et celles-ci n'appliquaient pas les mêmes normes.
De quelle façon peut-on assurer la surveillance du programme scolaire et des valeurs qu'on y enseigne? Comment amorce-t-on ce dialogue?
M. Dosanjh : Que ce soit le ministre de la Justice ou le ministre du DRH qui convoque les ministres de l'Éducation à une réunion pour en discuter, je suis sûr que tous reconnaissent qu'il y a un problème. Même si l'éducation est un domaine de compétence provinciale, le gouvernement fédéral peut allouer des fonds pour établir des normes pancanadiennes.
Je connais seulement la situation de la Colombie-Britannique, mais je suis convaincu que nous avons les mêmes problèmes à l'échelle du pays. Le contrôle n'est pas assez rigoureux, du moins, il ne l'était pas à l'époque. Je suis certain que c'est le cas ailleurs au Canada, parce que nous avons traité les institutions religieuses avec le respect qu'elles méritent, y compris les écoles confessionnelles. Mais nous savons qu'il y a un problème, ou qu'il pourrait y en avoir un.
Le Royaume-Uni a aussi ses problèmes. Avec l'aide du bureau de la présidence, j'ai pu consulter un dossier dans lequel on avait enquêté sur un cursus scolaire. On a découvert que ce qu'on enseignait aux élèves était totalement inapproprié. On mettait notamment l'accent sur la charia. Par conséquent, je crois qu'il est important que nous ayons les mêmes normes partout au pays.
Le président : Chers collègues, j'aimerais participer à la discussion et poser quelques questions à notre invité.
Tout d'abord, permettez-moi de rectifier les faits au sujet de CANAFE. Je crois que le CANAFE fait du bon travail. Il a cerné 600 cas potentiels sur une brève période de temps. Maintenant, pour ce qui est de savoir si les dossiers sont pris au sérieux par les autres organismes d'application de la loi et si des poursuites judiciaires sont intentées, je pense que cela va plus loin que cela.
M. Dosanjh : En fait, c'est ce que je voulais dire. Il n'y a pas eu de poursuites comme telles. En effet, je suis désolé.
Le président : Je voulais simplement me porter à leur défense, si je peux me permettre.
Je souhaite revenir à un domaine qui vous touche de près — et qui concerne également les deux prochains témoins —, et c'est la question de l'intimidation et de la peur de la violence, la peur de vivre dans sa propre communauté lorsqu'on ne respecte pas « la volonté de la majorité », si je puis m'exprimer ainsi, au sein de cette communauté. Je pense que cela revient à la discussion ouverte et publique que nous devrions avoir.
Ma question porte également sur les médias. Comme nous le savons, il arrive que les journalistes — on l'a signalé, et je crois que c'est vrai — se sentent intimidés, et que les entreprises pour lesquelles ils travaillent fassent l'objet de poursuites, des poursuites importantes intentées par des organisations qui ont les moyens de le faire. Par conséquent, cela peut dissuader une personne ou une petite entreprise médiatique de publier un reportage, en sachant qu'elle peut se retrouver devant les tribunaux et devoir s'acquitter d'importantes obligations financières, en plus de tout ce qui vient avec sur le plan émotif.
Avez-vous déjà songé, dans les domaines du terrorisme et des activités terroristes potentielles, là où des poursuites judiciaires sont engagées et où il y a inversion du fardeau de la preuve, à ce que le gouvernement, peut-être en collaboration avec le secteur privé, offre une quelconque police d'assurance, de sorte que les journalistes peuvent faire leur travail sans craindre un désastre financier s'ils sont traduits en justice?
M. Dosanjh : Si vous offrez une police d'assurance abordable, j'y serais tout à fait favorable. Vous l'ignorez peut- être, mais je suis actuellement poursuivi par une organisation, avec Terry Milewski de CBC. Si je ne me trompe pas, le montant de la poursuite s'élève à 135 millions de dollars. Je serais donc inquiet si j'avais cette protection.
Le président : C'est une autre façon de voir les choses.
M. Dosanjh : On a intenté des poursuites criminelles contre moi en Inde il y a quelques années, pour des propos que j'ai tenus en 2008 ou 2010 — je ne me souviens plus — sur la page couverture du Globe and Mail. On ne pouvait rien faire ici, mais les lois indiennes sont archaïques. La Grande-Bretagne a évolué, mais l'Inde a toujours un code criminel britannique de cette époque. On a intenté des poursuites criminelles pour diffamation. Ces poursuites n'ont pas abouti, mais évidemment, c'est une préoccupation pour ma famille. Elles ont également nui à la production d'un documentaire sur ma vie car elles ont effrayé le producteur et le réalisateur.
Au bout du compte, les gens comme moi — et les journalistes, surtout — ont l'obligation de dénoncer et d'informer les gens. Ce serait merveilleux si on pouvait acheter une police d'assurance abordable pour pouvoir écrire ce que l'on veut sans être poursuivi.
Le président : J'aimerais continuer sur ce sujet. J'ignore quelle pourrait être la solution, mais il me semble que nous ne pouvons pas nous permettre que les médias, en particulier, soient intimidés sur le plan financier, et c'est tout aussi important au sein des communautés dont il est question ici. C'est un autre facteur qui explique pourquoi un membre d'une famille refuserait de révéler des choses, ne voulant pas risquer sa vie et celle de sa famille, pour des raisons financières ou autres. Je vous remercie pour vos observations.
J'aimerais aborder un autre sujet, que vous avez d'ailleurs mentionné en exposé. Vous avez parlé des universités, des écoles, des mosquées et des temples. Malgré la menace terroriste qui plane, les islamistes, le militantisme et toute la violence qui s'y rapportent, nous continuons pourtant à voir des conférenciers venir d'ailleurs même s'ils font la promotion d'idées auxquelles nous disons nous opposer. Nous continuons pourtant à les laisser entrer au pays.
Avez-vous une idée de ce que le gouvernement devrait ou pourrait faire pour empêcher ce genre d'influence d'entrer sur notre territoire, sachant ce qu'ils tentent véritablement de faire?
M. Dosanjh : Si un individu souhaite venir chez nous pour prêcher la haine, je serais ravi qu'on lui interdise tout simplement l'entrée — la seule façon de le savoir est de vérifier si l'individu a déjà prêché la haine. Je pense que les gouvernements ont le pouvoir de simplement empêcher une personne d'obtenir un visa pour entrer au pays. Ce n'est pas un droit acquis. Nous avons une société libre et ouverte, mais pas lorsqu'il est question de prêcher la haine.
Je pense que le gouvernement a les outils pour le faire. Il n'a qu'à se montrer plus proactif.
Permettez-moi de vous donner l'exemple d'un individu comme Anjem Choudary, qui s'exprime en anglais britannique sur le Web et ailleurs, et qui est à mes yeux un prédicateur haineux et vil. Si un tel individu voulait s'adresser à un groupe via Skype, dans un lieu public, ou venir au pays pour le faire, les gouvernements devraient selon moi sérieusement examiner ce qu'il a fait et ce qu'il fait encore avant de lui accorder la permission ou non.
Le président : Toujours dans la même veine, au cours de séances précédentes, nous avons reçu un certain nombre de représentants de la communauté musulmane et des mosquées, comme vous l'avez mentionné dans vos remarques liminaires. Ils ont dit qu'une sorte de radicalisation avait lieu dans certaines mosquées. Ils ont également indiqué que certains des imams qui venaient au pays avaient des idées assez radicales. Il a été question, quoique brièvement, de savoir si la communauté musulmane canadienne, dans ce cas-ci, ne devrait pas avoir sa propre université afin d'enseigner comment exprimer sa foi en tant qu'imam. Il était question d'offrir la formation au Canada plutôt que de faire venir ces individus d'autres pays.
Qu'en pensez-vous?
M. Dosanjh : Une personne qui vient d'ailleurs ne va pas nécessairement encourager la haine ou véhiculer des valeurs qui vont totalement à l'encontre des valeurs canadiennes. Je suis donc d'avis qu'on ne peut pas simplement fermer les frontières et empêcher tout le monde d'entrer au pays.
Mais j'aimerais mieux que les Canadiens — pas seulement les Canadiens musulmans, mais aussi ceux d'autres confessions — aient une université commune qui formerait des prédicateurs canadiens de différentes confessions, comme des prêtres, des imams, quel que soit leur nom. Ce serait absolument merveilleux, car ces enseignements seraient inculqués. Nous savons que les religions laissent toujours place à l'interprétation.
Si je vis dans un pays lointain, dans une région rurale et isolée qui n'a même pas accès à l'électricité, et encore moins à Internet, je vais nécessairement enseigner des valeurs différentes. Mon interprétation de la foi sera différente. Si je suis au Canada, mon interprétation de cette foi ne sera pas la même puisque je vais voir que le monde a évolué. Je vais alors moi aussi vouloir évoluer et changer dans le sens du monde qui m'entoure.
Je pense donc que c'est vraiment important. Il serait tellement merveilleux d'avoir une université, une école ou un collège qui se consacre à la formation de prédicateurs, de prêtres ou d'imams de différentes confessions sous un même toit.
Le président : Chers collègues, c'était tout le temps dont nous disposions. Je tiens à remercier Ujjal Dosanjh de son témoignage.
J'étais vraiment heureux que vous acceptiez l'invitation notamment en raison de votre expérience à l'échelle provinciale comme ministre, député provincial et premier ministre, et du fait que vous connaissez la responsabilité qui incombe aux provinces plutôt qu'au gouvernement fédéral à ce chapitre. Nous l'oublions parfois à Ottawa; nous pensons que le fédéral va résoudre tous nos problèmes, mais ce n'est pas nécessairement vrai.
Monsieur l'ancien premier ministre, je vous remercie d'être venu. Nous l'apprécions beaucoup.
Nos derniers témoins de la journée sont deux personnes qui ont directement été témoins du radicalisme et de l'intégrisme. M. Dave Hayer a été député de l'assemblée législative pendant 12 ans, alors qu'il représentait la circonscription de Surrey-Tynehead, en Colombie-Britannique. Pendant cette période, il a également été secrétaire parlementaire de la Colombie-Britannique au multiculturalisme et à l'immigration de 2005 à 2011.
M. Hayer est le fils du journaliste Tara Singh Hayer, assassiné en 1998. Il était rédacteur en chef et éditeur du journal Indo-Canadian Times, et a été témoin pour la police dans l'affaire Air India contre Singh Bagri.
M. Hayer a reçu diverses récompenses, notamment la Médaille du jubilé d'or de la reine. La Canadian Coalition Against Terror lui a décerné la Médaille du jubilé de diamant pour « sa contribution à l'avancement d'une politique publique saine sur le terrorisme au Canada ». Par ailleurs, il a reçu le prix Pravasi Bharatiya Samman du gouvernement de l'Inde pour ses « réalisations au sein du gouvernement et pour s'être opposé fermement dans la communauté canadienne au terrorisme et à la violence ».
Aux côtés de M. Hayer se trouve M. Balraj Deol, le rédacteur en chef de Khabarnama, un hebdomadaire pendjabi à Toronto. M. Deol commente fréquemment la violence au sein de la communauté sikhe canadienne. Au début des années 1980, il a été attaqué à son domicile par des extrémistes sikhs pour ses opinions personnelles. Il est un détracteur de la pétition visant à faire reconnaître le génocide perpétré à l'égard des sikhs qui a été déposée à la Chambre en 2010, et il a dénoncé publiquement le mouvement séparatiste Khalistan, qui réclame un territoire indépendant pour les sikhs au Pendjab. Il est directeur du temple sikh de North York et membre du National Council of Indo Canadians.
Messieurs Deol et Hayer, je vous souhaite la bienvenue au comité.
Avant de vous laisser la parole, je tiens à dire que nous vous admirons d'avoir le courage de dénoncer le radicalisme et l'intégrisme qui menacent la sécurité des Canadiens, même au péril de vos familles et de vous-mêmes, et surtout après ce que vous avez tous les deux vécu personnellement ici même, au Canada. Les Canadiens vous remercient de ce que vous faites pour que notre pays soit un endroit où il fait bon vivre.
Je crois savoir que vous avez tous deux une déclaration liminaire. Veuillez commencer, monsieur Hayer.
Dave Hayer, à titre personnel : Je vous remercie infiniment de me donner la chance de parler de cette question importante devant le comité sénatorial.
Pour commencer, je tiens à dire que je suis d'accord avec ce que M. Ujjal Dosanjh a dit. J'ai trouvé son exposé intéressant et très concret. La plupart des Canadiens seront d'accord.
Le président : Puis-je vous interrompre, monsieur Hayer? Nous avons une copie de l'exposé en anglais seulement. Le comité me permet-il de la distribuer?
D'accord. Merci.
Veuillez m'excuser, monsieur Hayer. Allez-y.
M. Hayer : Je vous remercie infiniment de me donner cette chance et de m'avoir invité à comparaître devant vous à propos de cet enjeu des plus important.
Je suis d'accord avec presque tout ce que le juge John Major et Ujjal Dosanjh ont dit avant moi, puisque j'ai écouté les témoignages.
En prévision de ma comparution d'aujourd'hui, j'ai parlé avec bon nombre des familles des victimes qui ont subi directement les répercussions dévastatrices du terrorisme au Canada à la suite de l'attentat à la bombe contre Air India du 23 juin 1985 : Bal Gupta, un ingénieur de Toronto, a perdu sa femme Ramwati; Perviz Madon a perdu son mari Sam, le père de ses deux enfants; Mandip Grewal a perdu son père, Daljit Grewal; Major Sidhu a perdu sa sœur Sukhwinder, son fils Kuldip et sa fille Parminder; Preeti Dhaliwal a perdu sa tante, son neveu et sa nièce; Surjit Kalsi a perdu son cousin; et Jassa Grewal a perdu ses amis.
Avant de venir comparaître, j'ai également discuté avec le juge Major, qui était responsable de la Commission d'enquête sur l'affaire Air India.
La tragédie d'Air India est le résultat d'un complot terroriste qui a été organisé et exécuté en sol canadien par des criminels qui se sont servis de notre pays pour résoudre leurs problèmes avec l'Inde.
Les attentats terroristes à l'explosif, y compris l'explosion d'une bombe à l'aéroport international de Narita, ont tué au total 331 personnes innocentes. La plupart des victimes, soit 286, étaient des citoyens canadiens. D'autres étaient originaires de l'Inde, des États-Unis et du Royaume-Uni. Quelque 86 victimes étaient des enfants de moins de 12 ans. Au total, il y a 29 familles disparues, où le mari, la femme et tous les enfants ont été tués. Trente-deux proches ont perdu leur époux et tous leurs enfants, et sept parents ont perdu tous leurs enfants. Enfin, deux enfants de 10 ans ont perdu leur mère et leur père.
La douleur ressentie par ces familles ne s'est pas estompée au cours des 30 dernières années. Au contraire, il règne un sentiment de frustration du fait que les principaux suspects n'ont jamais été traduits en justice.
Seul un homme, Inderjit Singh Reyat, a été reconnu coupable. Il purge actuellement une peine de parjure pour avoir menti lors du procès des deux coaccusés de l'attentat à la bombe contre Air India, qui ont fini par être acquittés. Les omissions et erreurs commises par les divers services de police et le manque de communication entre les groupes ont gravement compromis l'affaire. De ce fait, des terroristes errent maintenant en toute liberté dans la société et peuvent continuer à intimider la population.
Bien que le Canada s'attarde actuellement aux terroristes islamistes, on oublie souvent que l'acte de terrorisme le plus meurtrier du Canada a été l'attentat à la bombe contre Air India, qui a tué 331 personnes innocentes. Des journalistes comme Kim Bolan du Vancouver Sun et Terry Milewski de la CBC ont également reçu des menaces de mort pour avoir simplement fait leur travail d'enquête sur le plus grand crime de l'histoire canadienne. Les journalistes sont souvent visés simplement pour qu'ils se taisent et ne racontent pas les histoires.
Mon défunt père, le journaliste Tara Singh Hayer, avait dénoncé les responsables de l'attentat à la bombe contre Air India dans son journal hebdomadaire pendjabi Indo-Canadian Times. Il a été paralysé après avoir été atteint de balles en 1988, puis a été assassiné en 1998 avant qu'il ne puisse témoigner au procès de l'affaire Air India. Personne n'a été accusé de son assassinat, au grand dam de notre famille.
Mon père condamnait souvent la violence du groupe Babbar Khalsa, de la Fédération internationale des jeunesses sikhes et d'autres groupes militants en activité au Canada et en Inde. Il a dénoncé les individus responsables de l'attentat à la bombe contre Air India. En raison de son travail, il recevait couramment des menaces en personne, sur des stations de radio pendjabi non autorisées et dans les journaux de rivaux qui appuyaient la création du Khalistan. Dans la matinée du 26 janvier 1986, le Jour de la République en Inde, mon beau-frère a trouvé à son arrivée un sac de McDonald devant la porte du bureau du journal à Surrey. À l'intérieur se trouvaient cinq bâtons de dynamite, un détonateur, des piles et une horloge Mickey Mouse, le tout enveloppé dans un journal montréalais.
Le Groupe de l'enlèvement des explosifs de la GRC est venu désamorcer la bombe. Heureusement, personne n'a été blessé. Des années plus tard, un trafiquant de drogue du nom de Jean Gingras, de Montréal, a admis avoir été embauché par le groupe terroriste Babbar Khalsa pour laisser la bombe à cet endroit. L'incident n'a pas dissuadé mon père, qui a continué à dénoncer les suspects de l'attentat à la bombe contre Air India dans son journal.
Le 26 août 1988, un jeune de 17 ans est arrivé au bureau du Indo-Canadian Times, a demandé à voir mon père, puis lui a tiré dessus à quatre reprises. Le tireur a été attrapé et condamné. Il a admis avoir rencontré Ajaib Singh Bagri du Babbar Khalsa avant de commettre le crime. L'arme qui a servi à tirer sur mon père ce jour-là appartenait à un homme de la Californie, qui avait également donné une de ses armes au terroriste responsable de l'attentat à la bombe contre Air India, Inderjit Singh Reyat, arme que la GRC avait retrouvée au domicile de Reyat en novembre 1985.
Le jour où Ajaib Singh Bagri a été accusé de l'attentat à la bombe contre Air India, il a également été accusé d'avoir commandé la tentative de meurtre de mon père Tara Singh Hayer en 1988. Or, cette accusation a plus tard été abandonnée. Par la suite, Bagri a également été acquitté de l'attentat à la bombe contre Air India.
Quand mon père a été assassiné le 18 novembre 1998, la police a tout de suite à nouveau soupçonné les responsables de l'attentat à la bombe contre Air India. Une enquête exhaustive a permis d'identifier des suspects, de jeunes gangsters qui auraient été embauchés par un membre de l'organisation terroriste Babbar Khalsa. Encore une fois, malgré l'identification du mobile et des suspects, aucune accusation n'a jamais été portée.
Il y a eu une série d'enquêtes bâclées et de terroristes soupçonnés de meurtre qui s'en sont tirés à bon compte ici même au Canada. Voilà qui suffit à inciter d'autres individus à commettre des actes terroristes, puisqu'ils ont l'impression que la loi canadienne est laxiste à l'égard de la criminalité, et qu'il n'y a aucune raison de s'inquiéter de la peine, le cas échéant.
Ripudaman Malik a poursuivi le gouvernement de la Colombie-Britannique dans l'espoir de ne pas devoir rembourser le prêt de plusieurs millions de dollars qu'il avait contracté pour payer ses frais juridiques dans le cadre du procès de l'affaire Air India. Il soutenait avoir été déclaré innocent. Or, le juge même qui l'avait acquitté au procès a déclaré en juillet 2012 que l'acquittement du requérant n'était rien de plus, et certainement pas une déclaration d'innocence.
Pendant trop longtemps, des meurtriers ont invoqué notre Charte canadienne des droits et libertés pour s'en tirer à bon compte. Lorsque les juges se prononcent, ils doivent aussi tenir compte de la Charte afin de protéger les droits des victimes, des familles de victimes et de tous les Canadiens respectueux des lois. Lorsqu'on parle de communication de renseignements, on parle notamment de divulgation de la preuve, de la condamnation ou de la peine imposée aux criminels ou aux accusés, ou encore du rejet de la preuve.
La nouvelle Charte des droits des victimes constitue un grand pas dans la bonne direction pour les victimes de crimes au Canada, mais elle doit aller encore plus loin et faire valoir les droits des victimes. Nous devons faire en sorte que le système de justice considère les droits des victimes comme étant au moins égaux à ceux du criminel ou de l'accusé.
Mon père allait témoigner au procès de l'affaire Air India. Il avait fourni un affidavit de son témoignage à la GRC. Il a donc été assassiné pour éviter qu'il ne puisse témoigner au procès, de sorte que l'information qu'il avait fournie à la police n'a pas pu être déposée en preuve lors du procès.
Notre système judiciaire actuel fait en sorte que si un criminel assassine le témoin de la Couronne, tous les éléments de preuve que celui-ci avait fournis sont irrecevables devant les tribunaux. Il faut changer ce mécanisme; nous devons le faire. Dans le cas où un témoin est tué ou blessé, notre système judiciaire devrait permettre de déposer en preuve tous les éléments d'information que la victime avait présentés. Ainsi, les criminels ou leurs complices n'auraient plus de raison d'assassiner ou de blesser des témoins. J'en ai parlé à bien des élus. Ils semblent être d'accord, comme la plupart des gens.
Merci de m'avoir écouté et de m'avoir donné l'occasion de présenter mes observations.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Hayer. Monsieur Deol.
Balraj Deol, à titre personnel : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour.
Comme le président l'a indiqué, le 3 août 1985, 40 jours à peine après l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India, j'ai été victime d'une attaque dans le stationnement souterrain de l'immeuble où j'habite. On m'a laissé pour mort. J'ai survécu; j'ai été chanceux. J'ai été hospitalisé pendant deux semaines et j'ai subi plusieurs opérations chirurgicales.
Lorsque j'ai eu mon congé de l'hôpital, un ami m'a amené chez lui pour me prodiguer des soins, car je ne pouvais le faire moi-même. Dans la semaine qui a suivi, j'ai eu un appel d'un agent de la GRC qui voulait me rencontrer. Je l'ai invité à me rencontrer au domicile de mon ami, où j'habitais à l'époque. J'avais l'impression que les gens de la GRC se préoccupaient de mon bien-être.
Deux agents se sont présentés le lendemain. Lorsque l'un d'eux a commencé à m'interroger comme si j'étais un suspect dans l'affaire et que l'on menait une enquête sur moi, j'ai été stupéfait. Il voulait savoir ce que je savais de l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India. Je lui ai répondu que je n'en savais pas plus que ce qui était connu du public. Il a soutenu que j'en savais plus, étant donné que j'avais des liens étroits avec le centre communautaire de la communauté indienne. La rencontre n'a pas été très longue, et j'ai compris à quel point l'enquête était fondée sur une approche malavisée.
À l'époque, les temples sikhs et les fonds dont ils disposaient servaient à appuyer le mouvement séparatiste. Rien n'a changé depuis. On les utilise toujours aux mêmes fins. Actuellement, les temples sont beaucoup plus nombreux et de plus grande taille. Les communautés comptent plus de membres et le nombre de dons a augmenté; les fonds pouvant être utilisés à mauvais escient ont donc augmenté aussi.
Après 1997, le mouvement séparatiste Khalistani a été affaibli, mais il a repris de la vigueur à compter de 2005, avec l'arrivée de jeunes. Grâce à l'avènement des médias sociaux, des terroristes décédés comme Talwinder Singh Parmar sont dépeints comme des héros. Des jeunes nés au Canada deviennent des membres actifs de ce mouvement, mais ils en savent peu sur l'histoire de l'Inde et des liens sociaux dans ce pays.
Lorsqu'on parle de « djihad », nous sommes pour la plupart alarmés, car nous connaissions la signification du terme. Il y a deux jours, le 14 février, de jeunes Sikhs ont organisé un événement appelé Jhooj, qui signifie littéralement « acte de djihad ». L'événement a été organisé par l'association des étudiants sikhs de l'école secondaire Turner Fenton de Brampton, en collaboration avec d'autres groupes séparatistes. Le sujet principal était de nature politique -il portait sur la création du Khalistan, en Inde.
Je ne dis pas que ce djihad a la même ampleur que d'autres, mais le concept est le même : on utilise la religion pour diviser les gens dans le but de créer un État théocratique du Khalistan, et on en fait la promotion en sol canadien. De tels événements radicalisent les jeunes Sikhs. Certains médias pendjabi font la promotion du militantisme et du fondamentalisme, ce qui pourrait accroître le risque de violence. Je vais vous donner un exemple qui s'est produit au Canada et qui est lié au contexte indien.
En 2008, Ajit Singh Poohla a été brûlé vif par deux terroristes incarcérés à la prison centrale d'Amritsar, au Pendjab. La victime et les agresseurs étaient détenus dans la même prison. Ils ont utilisé un mélange d'essence et de diésel qui avait été introduit clandestinement dans la prison à cette fin précise. Beaucoup considéraient Poohla comme méchant. Les deux assaillants ont été accusés de meurtre, mais ils ont été acquittés au terme du procès en raison d'un manque de preuves, étant donné que les témoins se sont rétractés après avoir reçu des menaces de militants.
Le 11 décembre 2014, l'un des meurtriers, Navtej Singh Gugu, a été interviewé par téléphone sur les ondes de CJMR 1320, une station de radio de la communauté pendjabi. Gugu a fièrement décrit, de façon détaillée, les différentes étapes de la planification et de l'exécution du meurtre. Il a aussi admis avoir commis un autre meurtre politique, pour lequel il n'a jamais été accusé. Pendant l'émission, qui a duré plus d'une heure, l'animateur a maintes fois félicité Gugu de son acte courageux. L'animateur a tenu une tribune téléphonique en ondes, et des participants aux vues similaires ont également félicité Gugu de ses gestes.
Je tiens à dire, aux fins du compte rendu, que j'ai porté plainte auprès de la station de radio le 5 janvier 2015, par écrit, et j'ai envoyé des copies au CRTC et au ministère de la Sécurité publique. Je n'ai eu aucune réponse à ce jour.
Comme nous l'avons entendu, Tara Singh Hayer, le rédacteur du journal Indo-Canadian Times, a été attaqué deux fois et a été assassiné. Les attaques contre la liberté de la presse se poursuivent. Dans les médias anglophones, il est normal de décrire Talwinder Singh Parmar comme un terrorisme du Babbar Khalsa ou de dire qu'Inderjit Singh Reyat est celui qui a fabriqué la bombe utilisée dans l'attentat contre le vol d'Air India. Or, lorsque nous employons de tels propos, il y a des objections, du harcèlement et même des menaces. Les médias pendjabi favorables aux militants les appellent des Bhai, un terme qui signifie « respecté frère aîné », voire « grand frère sacerdotal ». Tel est le terme que l'on utilise pour décrire ces terroristes.
Certains d'entre nous résistent et reçoivent des menaces tous les jours. Outre les appels de menaces, il est fréquent que les exemplaires des journaux nouvellement publiés disparaissent des boîtes à journaux ou soient couverts de déchets, que des boîtes à journaux soient endommagées ou déplacées hors de la vue du public. Des boîtes à journaux placées dans des centres commerciaux ou des temples disparaissent. L'été dernier, on a même versé de l'huile à moteur sur des boîtes à journaux; des centaines d'exemplaires ont été détruits. Ce sont là certaines méthodes que l'on utilise constamment pour nous harceler.
En terminant, j'aimerais parler du rôle des dirigeants politiques et des partis politiques qui contrôlent ces éléments ou en font la promotion. Le 23 juin 2010, le premier ministre Harper a prononcé un discours lors de la cérémonie de commémoration de l'attentat perpétré contre le vol d'Air India, à Toronto. Le premier ministre a demandé aux responsables politiques « de marginaliser — soigneusement et systématiquement — les extrémistes qui cherchent à importer ici les anciennes batailles de l'Inde et à les réexporter ensuite vers » l'Inde. Malheureusement, cela ne se traduit pas dans les faits. Voici un récent exemple.
Vers la fin de l'année dernière, en Inde, un ancien terroriste a entrepris une grève de la faim dans le but d'obtenir la mise en liberté sans condition de sept terroristes du mouvement Khalistani condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité en affirmant qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité prend fin lorsque le condamné a purgé 14 ans en prison. Ce militant a entrepris une grève de la faim dans le but d'obtenir la libération de ces gens, malgré un jugement de la Cour suprême de l'Inde voulant qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité soit un emprisonnement à perpétuité, sauf si la peine est commuée ou si une libération conditionnelle anticipée est accordée.
Des groupes de sympathisants ont commencé à appuyer la campagne au Canada, et le député conservateur Parm Gill a pris la parole lors de la première réunion tenue dans le cadre de cette campagne et a promis de porter ces préoccupations à l'attention de tous les sénateurs et députés de son parti. Il a même souscrit à l'idée selon laquelle les sikhs n'obtiennent pas justice en Inde. On trouve sur YouTube une vidéo de ce discours.
Sans connaître les détails de cette affaire, M. Wayne Marston, un député du NPD, a publié une déclaration écrite le 20 décembre 2014 pour appuyer les demandes de l'ancien militant qui a entrepris une grève de la faim.
Comme si ce n'était pas suffisant, le ministre d'État au Multiculturalisme, l'honorable Tim Uppal, a téléphoné au gréviste de la faim pour lui offrir son soutien. On trouve sur YouTube une vidéo dans laquelle le ministre reconnaît avoir fait cet appel.
Le 7 janvier de cette année, la mairesse de Brampton, Mme Linda Jaffrey, a participé à la manifestation tenue sous le drapeau noir à l'appui du gréviste de la faim sans connaître tous les détails sur la personne dont on demandait la libération et sans connaître les motifs juridiques sur lesquels la demande était fondée.
Même si on commence à aller dans la bonne direction, j'ai le sentiment qu'il y a un manque flagrant de vision et d'engagement à l'égard de la lutte contre la menace que représente la radicalisation. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner.
Le sénateur White : Je vous remercie tous les deux d'être ici aujourd'hui. Ma première question s'adresse à M. Deol.
Je pense qu'il a été déterminé que le financement des groupes terroristes est une menace réelle, et je sais que vous avez parlé en particulier de la question des campagnes de financement. J'aimerais savoir quelles sont vos recommandations sur les mesures que le gouvernement devrait prendre par rapport à la capacité des écoles ou des lieux de culte d'obtenir du financement du gouvernement, ou d'obtenir des déductions fiscales. Quelles mesures souhaiteriez- vous que nous prenions pour réduire leur capacité de recueillir des fonds pour financer des activités terroristes?
M. Deol : En fait, l'argent comptant circule librement dans les temples. Lorsque les dons recueillis s'élèvent à 20 000 ou 30 000 $ chaque semaine, selon l'importance du temple, il est très facile pour des gestionnaires qui veulent utiliser ces fonds à mauvais escient de prélever 10 000 $. Personne ne le sait. Le dépôt est ce qu'il est; si l'on en retient une partie, cela passe inaperçu. Donc, l'argent comptant est un problème.
À cet égard, il appartient aux gestionnaires des temples de faire preuve d'intégrité. Ils peuvent exiger que la congrégation paie par chèque, par exemple, ou si l'on recueille des dons en espèces, les sommes recueillies devraient être comptées par des tiers indépendants. Les gens de la congrégation devraient s'en charger de façon à connaître le total des dons recueillis.
J'ai un commentaire au sujet des organismes de bienfaisance. À Surrey, en Colombie-Britannique, le statut d'organisme de bienfaisance d'un temple a été révoqué, mais il a longtemps poursuivi ses activités sans ce statut. Il n'y a eu aucune conséquence. Des situations semblables se sont produites à Toronto. Comme ils ont habituellement l'appui de politiciens locaux, le statut d'organisme de bienfaisance qui leur a été révoqué est rapidement rétabli.
Le sénateur White : Je le comprends, car votre réponse est en partie liée à la légitimité, du moins en ce qui concerne les dirigeants. Dans votre cas, vous parlez de temples, mais il pourrait pratiquement s'agir de n'importe quel groupe religieux.
Lorsqu'on parle de la légitimité de la direction dans les écoles ou les institutions religieuses, il est difficile pour nous, au Canada, de savoir comment l'évaluer ou la déterminer. Je ne veux pas dire qu'il faut réglementer cet aspect, mais cela pourrait aller jusque-là. Selon vous, y a-t-il actuellement une façon pour le Canada d'adopter une réglementation à l'égard de la légitimité des dirigeants de ces écoles ou de ces institutions religieuses?
M. Deol : Je pense qu'exercer une surveillance au sein d'une communauté, quelle qu'elle soit, est difficile. Il faut que les gens d'une communauté prennent eux-mêmes conscience du problème et se prennent en main pour éviter les dérapages et demeurer dans la bonne direction, mais le gouvernement peut certainement y contribuer de diverses façons.
Comme je l'ai indiqué, si nos politiciens appuient les activités de militants ou de terroristes comme l'ont fait certains députés des deux partis dans le cas présent pour obtenir la libération de terroristes détenus dans des prisons indiennes, cela leur donne alors une légitimité. Les gens de la communauté ne pourront que constater que l'appui ne vient pas uniquement de A, B, C ou D, de deux ou trois temples, mais aussi du ministre d'État au Multiculturalisme et d'un secrétaire parlementaire quelconque, et que le porte-parole du NPD en matière de droits de la personne estime que le fait que les droits d'une personne soient violés dans un autre pays ne pose pas problème.
Fournir cette légitimité favorise la croissance du problème. Il faut commencer quelque part; je propose de commencer au sommet, que nos dirigeants politiques fassent preuve d'un sens des responsabilités. Cela concerne les trois ou quatre partis — peu importe le nombre de partis que l'on compte à l'échelle fédérale —, les dirigeants provinciaux et même les dirigeants municipaux. Tous devraient faire preuve d'un sens des responsabilités et ainsi démontrer qu'ils n'appuieront rien qui soit lié de près ou de loin au terrorisme, ne serait-ce qu'en raison de soupçons.
Deuxièmement, je crois que nous devrions commencer par le système d'éducation, par les écoles. Nous devrions commencer à offrir des cours d'intégration à la nation canadienne; il y a un manque flagrant à cet égard.
Je vous ai donné l'exemple du djihad, ou Jhooj, en pendjabi. Voici le dépliant de l'événement. Ce sont des jeunes du secondaire qui l'ont fait. Si des écoles secondaires comptent des associations d'élèves sikhs, hindous, ou pendjabi ou toute autre association d'élèves d'une collectivité linguistique, on trouve alors déjà à ce niveau des groupes de lutte contre l'intégration. Il faut offrir des programmes de promotion de l'identité canadienne à un très jeune âge, dans les écoles.
Le sénateur White : Je vous remercie de la réponse. Au Canada, nous avons des listes de personnes qui ne peuvent recueillir des fonds en raison de soupçons de financement d'activités terroristes. En fait, des groupes sont inscrits sur la liste ou, moins souvent, retirés de la liste. Y a-t-il une façon d'établir une liste sans avoir cette uniformisation — autrement dit, sans avoir à les inscrire à une liste ou à les retirer d'une liste —, d'établir une liste d'organismes à surveiller parce que l'on estime qu'ils pourraient aller dans cette direction et inculquer aux jeunes des principes qui vont à l'encontre de notre identité canadienne ou qui pourraient nuire à la vie des gens? Peut-on le faire d'une façon ou d'une autre sans avoir à inscrire un organisme sur une liste? C'est un exercice difficile.
Ce que vous proposez est un peu plus subtil. Souvent, c'est simplement une question de promotion de la haine ou de la colère. Selon moi, au Canada, cela ne va pas jusqu'à un point qui justifierait l'inscription de certaines organisations sur une liste.
La question s'adresse à l'un ou l'autre d'entre vous.
M. Hayer : Ce que font ces organisations dans de tels cas, c'est de créer une nouvelle entité. Les organisations nouvellement créées semblent parler de droits de la personne. Toutefois, lorsqu'ils soulèvent des questions liées aux droits de la personne, ils parlent des droits des terroristes, des assassins, et non de ceux, par exemple, des 331 victimes de l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India. Ils invoquent parfois ces motifs lorsqu'ils parlent d'appuyer ces terroristes, et cela vise à recueillir plus de fonds. Vous fermez un organisme, et ils en créent un autre.
Je pense que ce que vous devez faire, c'est de collaborer avec les provinces et de regarder du côté des sociétés à but non lucratif et non seulement des organismes de bienfaisance. Quiconque fait la promotion de la haine et de la violence ne devrait pas pouvoir siéger à ces conseils.
Le deuxième aspect est l'adoption de contrôles stricts à l'égard de la production de rapports sur la totalité des sommes reçues et sur l'utilisation de ces fonds, sous peine de sanctions sévères. S'ils considèrent que ces mesures législatives et ces lois ont du mordant... Beaucoup diront que nous n'avons pas à le faire, mais si les lois ne sont pas musclées, ils en feront fi, simplement. Ils considèrent que les lois canadiennes sont si faibles que l'on peut faire ce que l'on veut.
Après l'attentat à la bombe contre le vol d'Air India, lorsque MM. Malik et Bagri ont été acquittés, des gens disaient, malgré la surveillance dont ils faisaient l'objet de la part du SCRS et de la GRC, qu'il est permis de tuer au Canada parce que personne n'est accusé. Une femme qui était à l'école a témoigné au procès; le juge ne l'a pas crue. Par contre, les témoins de l'accusé étaient des trafiquants de drogue, des bandits, et le juge a cru leur version des faits et a déclaré qu'ils étaient plus crédibles que la femme qui avait accepté de passer un test de polygraphie avant de devenir témoin et d'être ensuite admise au programme de protection des témoins dans le cadre du procès de l'affaire Air India.
Toutefois, dans une autre affaire, un autre juge a convenu que ces hommes —venus témoigner pour l'accusé — n'étaient pas des témoins crédibles, étant donné qu'il s'agissait de criminels et de bandits. Or, ils ont été considérés comme crédibles dans l'affaire Air India.
Je pense qu'il vous faut des lois musclées pour empêcher les gens malveillants de siéger à ces conseils, en particulier ceux qui prônent la haine, la violence et ce genre de choses. De plus, tout organisme à but non lucratif ou tout organisme de bienfaisance qui utilise des fonds à mauvais escient doit être passible de sanctions sévères. Cela pourrait avoir un effet positif dans votre lutte pour les arrêter.
La plupart des personnes qui font des dons pensent que l'argent servira à une bonne cause. Les membres des conseils qui utilisent les fonds à mauvais escient ne représentent qu'un petit groupe de gens. Ils causent beaucoup de tort, pas seulement à la société canadienne, mais à l'ensemble de l'humanité en raison des affaires auxquelles ils sont mêlés. Ils ne s'attaquent pas seulement à une religion; ils s'en prennent aux gens ordinaires. Lorsque les terroristes tuent, ils ne se soucient pas de savoir s'ils ont affaire à un sikh, un musulman, un chrétien ou un juif. Ils font simplement exploser la bombe, tuant ainsi des innocents.
Le président : Monsieur Deol, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Deol : Je pense que le gouvernement inscrit constamment des gens à ces listes ou en retire, mais je suis d'accord avec M. Hayer : il y a plusieurs fronts. Babbar Khalsa n'est plus Babbar Khalsa quand il agit publiquement. Il travaille sur plusieurs fronts : les organisations étudiantes, les organisations activistes, des soi-disant organisations de défense des droits de la personne. Il est donc assez difficile de suivre tous les agissements du groupe et d'avoir les noms de toutes les personnes concernées. Cependant, dès que quelqu'un contrevient aux lois et se fait punir en conséquence, le message est clair. Je pense que notre appareil judiciaire et nos tribunaux ont un rôle à jouer ici.
M. Hayer : Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelque chose. Lorsque les politiciens des différents partis, quels que soient leur profession d'origine et l'ordre de gouvernement auquel ils appartiennent, participent aux événements des organismes de bienfaisance qui appuient directement ou indirectement le terrorisme ou font la promotion de la haine et de la violence, cela donne de la légitimité à l'organisme. Le grand public est porté à croire que si des élus y participent, particulièrement ceux qui forment le gouvernement, c'est que cet organisme ne fait rien de mal et qu'ils peuvent eux aussi très bien l'appuyer. Ceux qui ne sont pas d'accord avec les activités de l'organisme de charité diront : « On ne peut pas faire confiance au gouvernement de toute façon. »
Le premier ministre s'est prononcé très clairement contre tous les groupes terroristes. Je n'ai jamais entendu un autre premier ministre depuis mon arrivée au Canada, en 1972, décrier si clairement le terrorisme et quiconque fait la promotion de la haine et de la violence. Malheureusement, ce message ne se rend pas à monsieur Tout-le-monde. Parfois, on peut avoir une certaine influence sur certaines personnes parce qu'elles adhèrent probablement au même parti. Si la personne appartient à un autre parti, on ne peut pas exercer d'influence sur elle. Mais le phénomène ne se limite pas à un parti politique. Je l'observe depuis les années 1980, lorsque j'ai commencé à m'intéresser à la politique parce que mon père travaillait pour les journaux. Pour tous les partis politiques, on peut se demander si les élus participent à ces événements. Comme M. Dosanjh l'a mentionné dans son discours lui aussi, il l'a vu. Je l'ai observé, particulièrement en Colombie-Britannique. Ces gens ferment les yeux et l'esprit.
On comprend peut-être beaucoup mieux quand on fait partie de la même communauté. Quand on n'a pas la même culture, la même communauté, qu'on ne parle pas la même langue, on peut peut-être se justifier et prétendre qu'on ne comprend pas. Certaines personnes de la même communauté, religion et culture donnent de la légitimité à l'organisation. Les gens continuent donc d'y donner de l'argent. Ils se disent que si le gouvernement lui-même la juge correcte, si les politiciens la trouvent correcte, cette organisation ne peut rien faire de mal. Ils n'ont aucun pouvoir pour l'arrêter de toute façon, parce que dans certains pays du tiers-monde, dans certains pays asiatiques, les politiciens ont beaucoup de pouvoir.
Alors je leur dis : « Nous sommes comme vous, des gens ordinaires. Nous n'exerçons pas plus d'influence que vous. » Mais les gens n'en croient rien parce que ce n'est pas comme cela là d'où ils viennent. Dans ces pays, un député a beaucoup de pouvoir.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma question s'adresse à M. Hayer. Vous avez assisté au défilé Vaisakhi en 2007, à Surrey, je crois, défilé que vous aviez critiqué. Plusieurs extrémistes sikhs connus avaient été acclamés durant ce défilé. Par la suite, vous avez refusé d'assister à cet événement qui célèbre la religion sikhe. À l'époque, vous aviez affirmé que ce n'était pas dans les habitudes de votre culture de vénérer le terrorisme. En 2010, vous avez été menacé et avisé de ne pas participer au défilé Vaisakhi.
Percevez-vous ce genre d'événement — ainsi que l'affichage, sur les murs des temples sikhs, de photos d'extrémistes sikhs considérés comme des martyrs — comme des outils de promotion du terrorisme? Pensez-vous que la promotion du terrorisme devrait être punie par la loi? Si oui, pourquoi?
[Traduction]
M. Hayer : Je pense qu'il est mal de glorifier les terroristes sur la place publique. Ce devrait être puni par la loi. Beaucoup de Canadiens à qui j'ai parlé avant d'arriver ici croyaient que la nouvelle loi prévoirait des mesures en ce sens. J'ai parlé à des agents de la GRC. Ils m'ont dit que la liberté de presse et la liberté d'expression prévalaient ici. Donc si une personne veut vénérer, dans un temple sikh, la photo d'un terroriste qui a tué 331 innocents dont 286 Canadiens, on ne peut pas l'en empêcher.
J'ai été choqué. Lorsque j'ai expliqué à la plupart des victimes de l'attentat d'Air India à qui j'ai parlé que ce n'était pas contraire à la loi, elles étaient choquées elles aussi, parce qu'elles croyaient que nos lois étaient conçues pour empêcher cela, particulièrement les plus récentes.
Nous devons adopter une loi qui interdit la glorification des criminels. Il devrait être interdit d'utiliser les photos de terroristes, qui sont des meurtriers, dans des endroits publics.
Je côtoie beaucoup de gens qui participent au défilé Vaisakhi. Des milliers de personnes y participent. Elles y vont parce que c'est un événement culturel et religieux. Ces gens croient qu'il devrait revenir aux politiciens et aux gouvernements, qui ont le pouvoir de modifier les lois, de faire en sorte qu'on ne puisse pas présenter les photos de terroristes, de meurtriers ou d'assassins comme celles de héros.
Malheureusement, à Surrey, il y a une institution qui montre la photo de Talwinder Singh Parmar, qui a été tué en Inde et qui était le cerveau de l'attentat à la bombe d'Air India. C'était écrit dans le rapport d'enquête sur Air India, de même que dans la décision judiciaire qui a innocenté les deux accusés, en fait. Il y est écrit qu'il faut dire qu'on ne devrait pas pouvoir présenter en héros ces personnes publiquement connues, que le gouvernement connaît. Il y est écrit que si le public ne peut pas faire confiance aux politiciens, à qui peut-il faire confiance? Il y est écrit que c'est de la responsabilité du gouvernement de le faire.
Malgré tout, la plupart des politiciens qui participent à ce type d'événement affirment qu'ils y vont seulement pour rencontrer les gens de la communauté, qu'ils veulent simplement rencontrer les milliers de personnes, parfois même les centaines de milliers de personnes qui sont là. Cependant, en y allant, les politiciens donnent aussi de la légitimité à ces organisations mal intentionnées.
Bref, je pense que les politiciens de tous les partis doivent y aller. Malheureusement, encore aujourd'hui, les partis politiques de toute allégeance y ont des tentes. Pendant l'un de ces événements, récemment, des gens d'un parti politique m'ont demandé si je pouvais être présent. Ils affichaient des photos, même si l'on m'avait dit qu'on ne n'y vénérerait pas les photos de terroristes.
Essentiellement, les policiers n'en font pas assez, parce qu'ils croient que la Charte des droits autorise ces gens à agir ainsi. La plupart des Canadiens à qui je parle pensent qu'il faudrait changer les règles pour que la Charte des droits s'applique aux criminels, mais qu'elle s'applique aussi aux victimes de ces personnes. Si on pensait aux victimes de ces terroristes, on dirait : « Je suis désolé, vous ne pourrez pas afficher cette photo parce que vous contrevenez aux droits des victimes qui sont protégés par la Charte, à moins qu'en dessous de la photo des terroristes, vous placiez les photos des 331 victimes assassinées, tuées. » Alors, ce serait peut-être juste pour les deux côtés et non seulement pour un. Non seulement il faut respecter la Charte des droits pour les criminels, mais il faut la respecter pour les victimes et les gens ordinaires qui respectent la loi.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie d'être ici aujourd'hui. Il est très préoccupant de vous entendre dire que les journalistes d'enquête et les militants qui osent déplorer tout cela font l'objet de menaces et d'intimidation. Nous nous demandons ce qui peut être fait pour tenter de corriger la situation, et si l'un de vous a des idées sur la façon d'assurer la sécurité de personnes qui ne font que leur travail, vous êtes prié de nous en faire part.
M. Deol : Il y a deux aspects à cela, la couverture médiatique, si je prends l'exemple de ma propre communauté. Il y a une partie des médias pendjabis qui font la promotion de l'activisme et du terrorisme, même s'ils prétendent parler de droits de la personne. Il y a ensuite les médias qui exposent les desseins terroristes, qui en font état et qui aimeraient pouvoir le faire plus librement.
Je pense que la première chose à faire pour apaiser les personnes prêtes à parler du terrorisme et à s'y opposer, c'est de trouver le moyen de freiner ceux qui en font la promotion. Lorsque ce sont les médias qui font la promotion de ces actes qui établissent la norme, les pro-militants veulent que d'autres aient les mêmes droits. Ils vont dire : « Un instant, si M. Hayer peut le faire, pourquoi M. Deol ne pourrait pas le faire? » Il doit donc y avoir quelque chose pour limiter le pouvoir des médias qui exercent une influence négative.
Il y a d'ailleurs un autre aspect qui entre en jeu ici. Il y a beaucoup de stations de radio américaines. Elles ne sont pas soumises aux règles du CRTC. À Toronto, il y a entre autres le 770 AM, la radio WTOR. Elle appartient à des Américains, mais diffuse son contenu au Canada. Ses studios sont là-bas, son administration est là-bas, les publicitaires sont là-bas et les producteurs sont là-bas. Ils n'ont peur de personne parce que le CRTC ne peut rien leur faire. La situation est la même à Vancouver, où j'ai entendu parler il y a quelques mois des tentatives du CRTC de limiter leurs activités. Quelqu'un a fait appel d'une décision du CRTC, donc on verra ce que les tribunaux vont en faire.
Bref, il faut limiter les activités de ces médias, mais il faut aussi établir un précédent pour tous ceux que les terroristes ou leurs sympathisants harcèlent. Si l'on pouvait arrêter une ou deux personnes pour avoir proféré des menaces et qu'elles soient trouvées coupables, d'autres en tireraient une leçon.
Je peux vous donner un exemple : j'ai reçu un moment donné un appel d'un homme qui a utilisé son propre téléphone pour me faire des menaces. Il l'a fait de son propre téléphone, donc je suis allé voir la police. La police a fait un suivi, avec rigueur. Je n'en ai pas entendu parler pendant quelques mois, mais les policiers m'ont finalement dit qu'ils l'avaient trouvé. L'homme en question s'est présenté au poste de police lorsqu'il a sommé de s'y rendre et a reçu des mises en garde très strictes en se faisant assurer qu'on ne lui ferait rien de mal.
Après, je n'ai plus reçu d'appels pendant une longue période, parce que je pense que les hommes qui me menaçaient sont tous un peu interreliés. Si quelqu'un était condamné pour avoir proféré ce genre de menace, je pense que cela enverrait un message fort.
M. Hayer : J'ajouterais que quand des stations de radio ou de télévision de l'étranger diffusent leur programmation au Canada, par exemple, que la plupart de leurs clients sont ici, que la plupart des publicitaires sont ici, le CRTC doit avoir assez de pouvoir, de mordant, pour les arrêter si elles ne respectent pas nos règlements, nos normes, particulièrement les normes morales et éthiques, lorsque la sécurité publique est en jeu et qu'il est question de terrorisme ou de ce genre de choses.
Je pense que les États-Unis et le Canada ont à peu près le même genre de règles, mais il arrive que les États-Unis disent que ce n'est pas leur problème parce que le signal est diffusé au Canada, et que le Canada prétende que ce n'est pas son problème non plus, parce que le signal vient des États-Unis, même si parfois, les bureaux mêmes se trouvent au Canada.
Il faut établir que si la plupart des revenus de publicité viennent du Canada, les mêmes règles doivent s'appliquer, faute de quoi il doit y avoir des amendes salées pour les arrêter.
Ensuite, il faut que cela se sache et donc, que les journalistes puissent véritablement en parler. Je sais que même dans les grands médias, on y pense à deux fois avant d'aborder certains sujets. S'ils se font poursuivre trop souvent, ils vont tous se trouver en véritable crise financière, si bien qu'ils ne peuvent pas se permettre de publier de l'information sur ces activités. Ils disent donc à leurs journalistes de ne pas aborder certains sujets, ils ne leur donnent pas la permission de raconter ce qui se passe, même s'ils pensent qu'ils devraient en parler.
Il faut faire quelque chose, parce qu'il est dans l'intérêt du Canada et de notre sécurité nationale d'assurer la liberté et la démocratie. Beaucoup de gens ont donné leur propre vie, se sont battus pendant la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale et d'autres guerres pour ces pouvoirs et pour la démocratie. Si nous ne pouvons pas les exercer maintenant parce qu'un petit groupe peut détruire nos libertés en utilisant nos propres règles, à coup de poursuites, même s'il ne gagne pas, parce qu'il peut trouver l'argent nécessaire pour se battre jusqu'à ce qu'une entreprise y ait engouffré tellement d'argent qu'elle doive s'arrêter et se résigner à ne plus couvrir tel sujet.
Il y a d'autres groupes, peut-être des petits journaux, qui ne peuvent vraiment pas se permettre de les poursuivre parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Le Sénat a parlé de l'importance de se pencher sur la question, de créer une forme d'assurance peut-être, qu'on pourrait acheter pour jouir d'une certaine protection. Autrement, on ne va que laisser gagner ceux qui font la promotion de la haine et de la violence, du terrorisme, parce qu'ils peuvent museler quiconque avec l'argent, les poursuites, les menaces et l'intimidation.
Si nous ne voulons pas que ce soit le cas, il faut travailler ensemble à trouver des solutions pour la survie à long terme de la démocratie au Canada, afin de préserver notre style de vie et les valeurs auxquelles nous croyons. Cette démocratie, il y a tellement de gens qui l'ont payée très cher. On dit que le Canada est le meilleur pays au monde. Malheureusement, un petit nombre de personnes, une toute petite minorité de différentes religions, de différents groupes, de différentes origines ethniques, cause des problèmes qui pourraient faire du Canada non plus le meilleur pays au monde, mais l'un des pires pays au monde.
La sénatrice Stewart Olsen : Si vous deviez me dire quelle est la plus grande leçon que nous aurions dû tirer de la tragédie d'Air India, que me diriez-vous?
M. Deol : Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, d'après ce qui m'est arrivé quand l'agent de la GRC m'a rendu visite, j'ai eu l'impression que toute l'enquête allait dans la mauvaise direction. Nos forces de sécurité ont commis une grave erreur en investiguant sur des rumeurs plutôt que sur les indices qu'ils détenaient. L'une de ces rumeurs était que le gouvernement de l'Inde avait orchestré cet attentat. C'est la raison pour laquelle l'agent de la GRC qui est venu me rencontrer m'a questionné comme si j'étais un suspect.
L'enquête a pris la mauvaise direction. C'est la plus grande erreur à mon avis.
La sénatrice Stewart Olsen : Vous nous recommandez donc d'améliorer nos procédures d'enquête?
M. Deol : Non seulement nos procédures d'enquête, mais il faudrait que nos enquêteurs aient une certaine intuition pour avoir une idée de la source lorsque quelque chose arrive. On n'enquête pas sur une chose qui n'existe pas, lorsqu'il n'y a pas de pistes, pas d'indices. Mais il y a quelque chose qui mène aux coupables. Il faut suivre ces pistes au maximum et non à moitié.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci. Monsieur Hayer?
M. Hayer : Je pense qu'il faut retenir de l'attentat à la bombe d'Air India, presque 30 ans plus tard, que c'était une tragédie canadienne, notre tragédie. La plupart des gens qui en sont morts étaient Canadiens. Comme on l'a déjà dit, le premier ministre de l'époque estimait qu'il s'agissait d'une tragédie indienne, qui avait tué des Indiens.
Si la bombe d'Air India avait explosé plus tôt, elle aurait explosé sur le vol des Lignes aériennes Canadien Pacifique de Vancouver à Toronto. Elle aurait explosé dans l'espace aérien de CP entre Vancouver et Tokyo. Alors nous aurions considéré que c'était notre problème, et nous n'aurions pas laissé les policiers et le SCRS travailler comme ils l'ont fait. Bien des gens pensent qu'ils n'en ont pas fait assez à cause de la couleur de la peau et de la religion des victimes : elles paraissaient différentes.
J'ai parlé à beaucoup d'Américains qui travaillent au FBI. Je me rappelle qu'une personne qui avait été jetée en bas d'un bateau par l'Égypte, c'était une personne d'origine juive. Les Américains y sont allés par avion, ils ont trouvé les terroristes, ont fait atterrir l'avion, l'ont accusé et il a été trouvé coupable.
Dans ce cas-ci, beaucoup d'Américains ont été tués, mais ils n'ont rien fait parce qu'ils savent qui a fait cela. On m'a dit qu'ils avaient tout examiné, toutes les preuves, puis les événements du 11 septembre sont arrivés. Alors, toute l'attention accordée à la tragédie d'Air India s'est évaporée. Ils se sont mis à se concentrer sur d'autres crimes.
Je pense que le terrorisme concerne tous les pays. Nous devons travailler ensemble. Nous devons retenir de tout cela que tous les services de police doivent collaborer. On ne peut pas pour ainsi dire prétendre que c'est le problème de quelqu'un d'autre et s'en laver les mains.
Il y a aussi qu'avant la tragédie d'Air India, beaucoup de politiciens participaient aux activités des groupes faisant la promotion de la haine et de la violence, et même d'activités terroristes, ce qui leur donnait de la légitimité. Les gens se disaient qu'ils pourraient s'en tirer à bon compte parce qu'ils avaient les politiciens de leur côté, même si les politiciens n'avaient pas le pouvoir de permettre aux criminels de s'en tirer.
Leurs amis croient que les terroristes peuvent s'en tirer, ils pensent que, quand on a les politiciens de son côté, on peut se tirer de n'importe quelle situation.
En gros, c'est exactement ce que les gens se sont dit dans l'affaire d'Air India. La plupart des gens croient qu'ils s'en sont tirés, même si le complot a été élaboré ici. Il a été financé ici, au Canada. Les gens qui ont mis la bombe en place étaient ici, et ces gens dirigent des institutions et des entreprises. Ils sont libres comme l'air; rien ne leur est arrivé. Ils ont encore beaucoup de pouvoir, et nos lois sont telles qu'il n'y a rien que nous puissions faire. Je pense que nous n'avons rien compris si nous ne les modifions pas.
Beaucoup de gens me disent que si les djihadistes maîtrisaient les relations publiques, personne ne parlerait aujourd'hui des gens qui ont commis l'attentat à la bombe d'Air India ou du Khalistan. Ils entendent parler de tous les politiciens qui participent à ces activités; ils vont avoir le même genre d'influence que ceux qui ont commis l'attentat d'Air India, ou que d'autres groupes terroristes, comme ceux qui défendent le Khalistan.
C'est triste, mais je pense qu'ils ont raison. Je suis content de voir que le Sénat a finalement le courage de se tenir debout et de faire ce qu'il faut. Il faut adopter cette loi, il faut adopter des lois pour protéger tous les Canadiens, quelle que soit leur religion ou leur culture, qu'ils soient nés ici ou non, que leurs familles soient ici depuis 10 000 ans, 400 ans, 100 ans ou hier seulement. Il faut les protéger. C'est notre responsabilité.
Nous devons protéger tout le monde, pas seulement au Canada, mais dans les autres parties du monde aussi, et particulièrement les Canadiens.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie tous les deux.
La sénatrice Beyak : Je vous remercie de ces exposés excellents. Vous êtes du côté de la vaste majorité des Canadiens, et je vous remercie de tout ce que vous avez dit.
Il y a trop de témoins crédibles qui nous ont dit la même chose que vous : nous nous occupons trop des mauvais groupes et pas assez des bons, alors qu'il devrait être facile de distinguer les bons des méchants. Je me demande si vous avez des idées, tous les deux, sur les recommandations que notre comité pourrait formuler pour mieux les identifier. Les problèmes que nous avons connus dans l'affaire d'Air India sont pratiquement identiques à ceux que notre comité connaît aujourd'hui avec l'EIIL, les djihadistes et les radicaux. Je pense que si nous en avions fait plus dans l'enquête sur Air India, nous n'aurions probablement pas les mêmes difficultés aujourd'hui.
M. Deol : À l'époque, on parlait d'intégration culturelle. Selon moi, les gens qui viennent au pays, comme je l'ai fait, devraient respecter les valeurs canadiennes. Il devrait être inacceptable que des gens puissent arriver ici et se mettre à dire : « Pour des motifs religieux, j'ai besoin qu'on m'accorde cette concession. Je dois porter une burka pour des motifs religieux. Je dois porter le kirpan pour des motifs religieux. Je peux me marier avec plus d'une personne pour des motifs religieux. Vous ne pouvez pas me faire subir une fouille corporelle à l'aéroport. Je ne peux pas enlever ce morceau de vêtement à cause de son symbolisme religieux. » Quand il s'agit de sécurité, rien n'est intouchable. Les groupes et les personnes qui demandent de telles concessions pour des motifs religieux ont la tête ailleurs : ils sont très faciles à repérer. Ils ne sont pas prêts à adopter les valeurs de notre pays, et c'est selon ce critère qu'il faudrait les évaluer.
M. Hayer : Il y a des choses que nous pouvons faire et que le comité peut examiner. La première serait que les ministres provinciaux de l'éducation mettent en place un programme d'enseignement des valeurs fondamentales du Canada pour les jeunes et les enfants. J'ai été attristé d'entendre une jeune Canadienne qui est née ici dire que l'attentat d'Air India était justifié. Elle a dit : « Pourquoi parlez-vous toujours en mal des terroristes responsables de l'attentat d'Air India? Ce ne sont pas des terroristes. Ce sont des héros. » Quand je lui ai parlé de la souffrance des familles et des amis des 331 victimes, elle a compris le revers de la médaille. Jusque-là, elle n'y avait jamais pensé. Il faut donc parler aux jeunes des conséquences du terrorisme, pas seulement des gangs et de la violence, pour les sensibiliser à ces choses et ainsi éviter qu'ils se mêlent à ces groupes. Bon nombre des jeunes qui font cela n'étaient même pas au monde quand l'attentat d'Air India a eu lieu. Une personne qui avait 10 ans en 1985 aurait 40 ans maintenant. N'est-ce pas? Cela veut dire qu'ils ne comprennent pas vraiment. Peut-être qu'il est très difficile pour un enfant de moins de 10 ans de comprendre ces problèmes.
La deuxième serait de trouver une manière d'éviter que les politiciens fassent la promotion directe ou indirecte des organisations terroristes ou de celles qui appuient des organisations terroristes ou qui y sont liées. D'après moi, la troisième serait de faire un suivi du financement. Nous devrions faire en sorte que ces groupes ne soient pas capables de recueillir et de dépenser de l'argent sans devoir rendre des comptes. Malgré tout le chemin parcouru et la Charte des droits des victimes que nous avons adoptée, nous devons resserrer la surveillance dans ce domaine.
Il faut trouver une façon de protéger ceux et celles qui témoignent contre ces criminels. De plus, il faut s'assurer que le témoignage d'une personne est entendu, même si elle se fait tuer. Même si le juge ne prend pas sa décision en se basant uniquement sur son témoignage, cela pourrait être un élément du casse-tête qu'il est important d'examiner.
Il y a bien des choses que les membres du comité peuvent faire. Une chose toute simple serait de vous entretenir avec les autres politiciens des trois ordres — municipal, provincial et fédéral — et aussi des autres partis, pour leur dire : « S'il vous plaît, ne faites rien pour contribuer à promouvoir les organisations qui appuient le terrorisme. » Cela complique beaucoup les choses pour la majorité des gens, qui n'épousent pas ces valeurs.
Souvenez-vous que les personnes qui préconisent le terrorisme, la haine ou la violence forment une petite minorité de personnes de chaque religion. Il ne s'agit pas de la grande majorité des personnes. Aucune religion n'enseigne à ses fidèles d'aller tuer des personnes innocentes. Certaines personnes lâches qui ont subi un lavage de cerveau, qui ont été manipulées ou qui agissent en fonction de leur propre idéologie se servent d'autres personnes pour faire leur sale travail, pour tuer des gens et prendre part à des activités terroristes. Selon moi, nous devons unir nos efforts. Un jour, ce sont des membres de notre famille ou certains de nos amis qui pourraient être en danger.
Je suis heureux de voir le travail que vous faites au comité. Je suis tout à fait persuadé que votre comité peut en faire plus, tout comme le juge Major l'a dit. Certaines modifications ont été apportées, mais elles ne suffisent pas. Espérons qu'après l'étude du comité et sous la direction du premier ministre actuel, le gouvernement apportera suffisamment de modifications pour que nous puissions tous dire que, peu importe le parti du premier ministre, il a fait quelque chose de bon. Ce serait bon pour l'humanité, pour tous les Canadiens et pour la société en général. Voilà ce que j'espère. La plupart des personnes avec qui je parle espèrent la même chose.
Le président : Chers collègues, si vous me le permettez, j'aimerais revenir à quelques points avant de lever la séance.
Monsieur Hayer, j'aimerais revenir à votre recommandation. Dans votre exposé, vous avez déclaré que si un témoin est tué ou blessé, notre système judiciaire devrait permettre que tout son témoignage soit entendu au cours du procès. Il y a des raisons évidentes pour lesquelles cela ne se fait pas, la personne n'étant plus parmi nous. J'aimerais savoir s'il existe un pays dans le monde libre qui a une loi semblable à celle-là, qui permet à ce genre de témoignage d'être admissible en cour.
M. Hayer : Oui. J'en ai parlé avec de nombreux avocats, et même avec M. Bourduas, un ancien sous-commissaire de la GRC. Avant de comparaître, je l'ai rencontré pour connaître son avis — étant donné qu'il est à la retraite maintenant, il peut me parler en toute franchise — et j'ai aussi demandé l'avis de certains ministres et députés de tous les partis. Ils pensent tous que c'est possible.
Aux États-Unis, l'utilisation de ces témoignages est permise, de même que dans certains pays européens. Ils ont surtout apporté ces modifications après avoir été confrontés aux problèmes de terrorisme. Quand on admet un témoignage de ce genre, on ne dit pas que toute la décision reposera sur le témoignage, l'affidavit ou la déclaration sur bande vidéo d'une seule personne. D'après ce que les policiers m'ont dit, avant de demander à des personnes de produire un affidavit ou un enregistrement, très souvent, ils les soumettent au détecteur de mensonges — parfois, plusieurs fois pour s'assurer de ne pas se tromper.
Malheureusement, dans les procès comme celui de l'affaire Air India, on entend les témoignages de la défense, des accusés, et ces types sont des criminels et des gangsters. Ils ont été accusés de crimes de toutes sortes. Leurs témoignages sont entendus, mais, malheureusement, pas ceux des personnes qui sont décédées, entre autres, mon père.
Certaines personnes se demandent pourquoi elles devraient risquer leur vie. Dans ma famille, nous nous disons qu'il est peut-être temps de tourner la page. Quand je dis : « Savez-vous ce que mon père disait? Si c'est la bonne chose à faire, mais que je n'ai pas le courage de le faire, comment puis-je demander à quelqu'un d'autre de le faire? » Je me dis la même chose maintenant, et c'est ce que je me suis dit avant de comparaître. Si je n'ai pas le courage de témoigner, de quel droit puis-je demander à quelqu'un d'autre de faire la bonne chose? Nos vies ont la même valeur. Nous devons mener par l'exemple, être prêts à dire ouvertement ce que nous pensons, quelle que soit votre opinion. M. Ujjal Dosanjh, ancien premier ministre néo-démocrate et député libéral au fédéral, a comparu. Ses opinions sont semblables à celles de presque tout le monde dans cette salle et à celles d'au moins 80 p. 100 des Canadiens, parce que ce sont les bonnes valeurs. Ce ne sont pas des valeurs politiques. Voilà ce qu'il importe de faire dans l'intérêt de l'humanité, de notre société et de notre pays.
Le président : Chers collègues, si vous me le permettez, j'aimerais simplement revenir à une autre question. Nous avons parlé de terrorisme et de ce que le gouvernement devrait faire ou des obligations du gouvernement. J'aimerais poser une question concernant le respect des diverses institutions religieuses et la responsabilité qu'ont les membres à l'égard de leurs institutions. En ce qui concerne la communauté dont vous faites partie en Colombie-Britannique, qu'est-ce qui arrive dans les divers temples où les gens ne partagent pas ces points de vue extrémistes? Essaient-ils de prendre le contrôle de ces institutions pour nous éviter qu'il y ait cette radicalisation extrême dans certains milieux?
M. Deol : Si nous regardons les temples sikhs, les membres et ceux qui s'y assemblent sont deux choses différentes. Le temple est ouvert à tous ceux qui veulent s'y recueillir, notamment pour prier, ou faire des dons. Quant aux membres, leur nombre est contrôlé de façon très rigoureuse. Ils ont créé une forme de fiducie aux termes de la loi. Certains temples à Toronto sont très grands. Si vous y allez au cours du weekend, de 1 000 à 2 000 personnes s'assemblent dans différentes sections du temple pour prendre part à diverses activités. Cependant, si vous comptez les membres, il n'y en a que 60 ou 70 — certainement moins de 100. Le nombre de membres est restreint, parce qu'ils veulent exercer le contrôle du temple. Même dans le cas d'un temple à Toronto, qui a moins de 70 membres, à plusieurs reprises, des membres se sont disputé le contrôle du temple parce qu'ils veulent bannir certains membres et en accepter d'autres. L'autre partie va contester.
Les membres et ceux qui s'assemblent dans le temple sont deux choses différentes. Le statut de membre est réservé à un petit nombre de personnes, pour éviter que les membres s'emparent du pouvoir du temple. Si les membres se scindent en deux groupes, ils se disputeront entre eux. Si A entre et si B sort, la situation demeure la même.
M. Hayer : Il faut aussi tenir compte des tactiques d'intimidation utilisées par le petit groupe. Dans notre système juridique, essentiellement, à moins qu'ils tirent sur vous et que vous les voyez en train de vous tirer dessus, il ne sera pas prêt à venir vous protéger.
J'ai vu d'autres cas, et même si quelqu'un dit que les policiers vont vous protéger, cela ne veut pas dire qu'ils vont le faire. Quand mon père était en vie, il disait que si quelqu'un proférait des menaces en utilisant des mots codes, il faudrait faire venir les policiers pour qu'ils parlent à ces personnes et leur disent : « Si quelque chose arrive, vous finirez en prison. » Malheureusement, bien des fois, les policiers ne veulent pas intervenir. Ils disent que ces personnes ont le droit de parler de cette manière parce que les mots ont un double sens.
Seulement une petite minorité de personnes causent des problèmes. Les gens qui s'assemblent dans ces temples ou gurdwaras considèrent qu'il existe des lois au Canada qui sont respectées par le gouvernement et les policiers. Si certains types agissent mal, ce sont aux policiers de les arrêter. Ils se disent : « Pourquoi devrais-je risquer ma vie, moi qui n'ai aucun pouvoir? » Ils pensent que les politiciens et les policiers ont plus de pouvoirs. Malheureusement, les politiciens acceptent certaines choses parce qu'ils veulent obtenir des votes supplémentaires, des membres ou un soutien. Ils sont prêts à rester insensibles et à se fermer les oreilles pour faire certaines choses qui donneront une légitimité à ces gens.
Compte tenu de la Charte des droits, de nos libertés et du droit de la population de tenir des assemblées publiques, les policiers admettent qu'ils ne peuvent pas faire grand-chose à moins que quelqu'un soit blessé. C'est seulement à ce moment-là qu'ils interviendront, au lieu d'essayer de désamorcer la situation avant que la violence ne soit perpétrée.
Si les policiers prenaient des mesures proactives et disaient à ces personnes qu'il est répréhensible d'agir de cette manière, beaucoup d'entre elles ne le feraient pas.
Dans le passé, je pensais — et mon père pensait la même chose — que si les policiers parlaient à certaines des personnes qui prennent part à ces activités terroristes, et leur disaient « Vous allez finir en prison, et nous vous surveillons », qu'elles penseraient deux fois avant d'agir. Or, ces personnes pensaient qu'ils s'en tireraient en toute impunité. Rappelez-vous, il s'agit d'une petite minorité de personnes dans toutes les religions.
La plupart des sikhs sont de très bonnes personnes. La plupart des sikhs respectent les lois. On peut dire la même chose des musulmans, des chrétiens et des juifs. Dans toutes les religions et toutes les cultures, il y a toujours une petite minorité de personnes qui se font entendre et qui créent des problèmes.
Dans ce cas-ci, en raison de cette petite minorité qui se fait entendre, les sikhs ont besoin de l'aide de notre système judiciaire, de nos policiers et de nos politiciens pour réussir à mettre fin à des activités de ce genre. Le problème ne sera pas réglé sans l'aide de ces trois ou quatre paliers d'intervenants.
Ce fut une excellence idée de tenir cette audience. Je vous respecte et je tiens à vous remercier d'avoir fait cela parce que, pour en arriver à la bonne décision, il est important d'entendre des recommandations.
Même les politiciens qui ont peut-être été voir ces organisations terroristes ou des gens qui sont en faveur de la haine et de la violence penseront deux fois avant d'agir parce que vous vous êtes maintenant prononcés à ce sujet. Autrement, ils auraient pu se dire que leur parti politique voulait peut-être qu'ils agissent de la sorte pour obtenir des votes supplémentaires.
La plupart des gens me disent que ce n'est pas simplement parce que des politiciens vont dans une église, une mosquée, un temple sikh ou certains autres endroits, qu'ils obtiennent des votes. Ils obtiennent des votes parce qu'ils font ce qui est bien. Si vous mettez en place les bonnes politiques, que vous faites la bonne chose, peu importe le parti politique, vous obtiendrez les votes. Si vous ne le faites pas, et que vous vous limitez à vous habiller comme les gens ou à parler leur langue pour les saluer ou à vous présenter dans leur milieu, ce ne sera pas assez pour obtenir des votes. Peut-être que cela fonctionnait autrefois, mais cela ne fonctionne pas en 2015.
C'est différent maintenant, alors j'espère que les choses vont changer. Si des gens de différents ordres de gouvernement et de tous les différents partis travaillent ensemble, nous pourrons changer les choses. À mon avis, vous êtes sur la bonne voie. Espérons que, lorsque votre rapport sera publié, d'autres politiciens auront l'occasion de le lire. S'ils pensent que ce qu'ils font sera examiné à la loupe, ils agiront peut-être différemment.
Le président : Messieurs, je vous remercie beaucoup d'avoir pris part à nos audiences sur le terrorisme. Je tiens à dire que nous avons beaucoup apprécié vos commentaires et le fait que vous ayez pris le temps de répondre à nos questions. Encore une fois, je vous félicite de votre courage. Je sais que, parfois, ce n'est pas facile, et nous vous respectons pour ce que vous faites pour les communautés que vous représentez, et vous avez le respect de tous les Canadiens.
Je vous remercie tous d'avoir été parmi nous. Je vous invite maintenant à quitter la salle.
(La séance se poursuit à huis clos.)