Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 18 - Témoignages du 25 mai 2015
OTTAWA, le lundi 25 mai 2015
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 13 h 1, pour examiner le projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.
Le sénateur Daniel Lang (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense en ce lundi 25 mai 2015. Avant de commencer, j'aimerais que nous fassions un tour de table pour que les sénateurs puissent se présenter. Je m'appelle Dan Lang, sénateur du Yukon. À ma gauche se trouve le greffier du comité, Adam Thompson. J'invite chaque sénateur à se présenter et à nommer la région qu'il représente.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Wells : Sénateur David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Ngo : Thanh Hai Ngo, de l'Ontario.
Le sénateur Kenny : Colin Kenny, Ontario.
Le sénateur Runciman : Bob Runciman, Ontario, Mille-Îles et Rideau Lakes.
Le sénateur White : Vern White, de l'Ontario.
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.
Le président : Merci, chers collègues.
Avant de présenter nos invités d'aujourd'hui, j'aimerais présenter un point de procédure à l'ordre du jour du comité.
Le 14 mai, le Sénat a autorisé notre comité à examiner les éléments contenus dans les sections 2 et 17 de la partie 3 du projet de loi C-59, Loi portant mise en œuvre de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 avril 2015 et d'autres mesures.
Puisque la section 17 de la partie 3 porte sur la Loi sur les mesures de réinsertion et d'indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes et la Loi sur le tribunal des anciens combattants (révision et appel), je vous demanderais d'approuver la motion suivante :
Que la compétence du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense pour l'examen de la section 17 de la partie 3 du projet de loi C-59, Loi portant mise en œuvre de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 avril 2015 et d'autres mesures soit déléguée au Sous-comité des affaires des anciens combattants; et
Que les pouvoirs du comité de se réunir pour l'étude de cet élément, même si le Sénat siège à ce moment-là, l'application de l'article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard, soient aussi délégués au sous-comité.
Êtes-vous d'accord pour renvoyer au sous-comité ce point à l'ordre des travaux?
Des voix : D'accord.
Le président : Y a-t-il des avis contraires? Adopté.
Le Sénat a renvoyé au comité le projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois. Aux fins du compte rendu, nous avons eu plus de 46 témoins pendant notre étude préalable du projet de loi C-51, en plus de nos délibérations d'aujourd'hui.
Dans le cadre de notre examen du projet de loi C-51, nous avons réinvité certains témoins à comparaître pour qu'ils puissent étoffer leurs témoignages antérieurs en plus de représentants de l'Agence du revenu du Canada.
Dans notre premier groupe d'invités, mentionnons Michael Doucet, directeur exécutif, et Chantelle Bowers, sous- directrice exécutive du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité; Caroline Weber, vice- présidente, Direction générale des services intégrés, et Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives à l'exécution de la loi et au renseignement, Agence de services frontaliers du Canada; Mark Glauser, directeur exécutif, Direction des services de renseignement et de l'évaluation des menaces, et Leeann McKechnie, directrice générale, Opérations consulaires, du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement; Cathy Hawara, directrice générale, Direction des organismes de bienfaisance, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, et Alastair Bland, directeur, Division de la revue et de l'analyse, Direction des organismes de bienfaisance, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, Agence du revenu du Canada.
Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je crois savoir que vous avez des déclarations liminaires. Je demanderais à M. Doucet, du CSARS, de commencer.
Michael Doucet, directeur exécutif, Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité : Bonjour mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie d'avoir invité le CSARS à comparaître aujourd'hui. Je me charge de vous transmettre son estime la plus chaleureuse. Je suis également heureux de vous informer que notre comité est maintenant complet, deux membres supplémentaires ayant été nommés depuis notre dernière comparution à la fin du mois d'avril.
L'honorable Pierre Blais, ancien solliciteur général, ministre de la Justice et juge en chef de la Cour d'appel fédérale, est notre nouveau président. L'honorable Marie-Lucie Morin, ancienne conseillère nationale pour la sécurité, est notre cinquième membre. Il va sans dire que leur parcours impressionnant et leurs diverses expériences vont contribuer aux activités du CSARS.
Grâce à l'augmentation de son budget, l'avenir du CSARS semble prometteur. J'aimerais d'abord vous donner un aperçu des effets concrets qu'aura le projet de loi C-51 sur le CSARS. J'expliquerai ensuite comment l'augmentation de notre budget va nous aider à respecter les nouvelles exigences législatives. Finalement, j'aborderai deux outils législatifs que demande publiquement le CSARS depuis plusieurs années : la capacité d'entreprendre des examens conjoints et de suivre une menace.
Le projet de loi C-51 prévoit que le SCRS devra s'employer à réduire les menaces, ce qui va complexifier le travail à la fois des services juridiques et des services de recherche du CSARS. Si le projet de loi est adopté, nous aurons l'obligation législative d'examiner annuellement au moins un aspect de ces activités. Il est clair que le CSARS va porter une attention toute spéciale aux mandats qui sont accordés pour mener ces activités.
De plus, le CSARS aura un rôle à jouer pour déterminer si les activités visant à perturber la menace sont légales dans les cas où le SCRS n'a pas demandé de mandat auprès de la Cour fédérale. Le CSARS examinera les activités de réduction de la menace dans son rapport annuel 2015-2016.
Cela dit, cela ne vous surprendra pas d'apprendre que le CSARS accueille favorablement les 12,5 millions de dollars qui seront consacrés au Comité au cours des cinq prochaines années. Ce financement va commencer cette année, et nous recevrons ensuite un financement permanent de 2,5 millions de dollars pour renforcer les examens que nous faisons des activités du SCRS.
[Français]
Nous avons soumis une présentation au Conseil du Trésor afin de pouvoir toucher ces fonds dès que possible. Le CSARS doit rapidement accroître sa capacité opérationnelle pour satisfaire aux exigences législatives, faire face à la charge de travail et combler les lacunes existantes liées au rétrécissement constant de la couverture des activités au plein essor du SCRS. Le CSARS devra prouver qu'il a la capacité d'examiner efficacement le travail du SCRS. À cette fin, une importante transformation doit rapidement s'opérer au sein du comité, tant en matière de ressources humaines que du point de vue opérationnel. Je puis vous assurer que le CSARS se développera dans le cadre de paramètres clairs qui s'arriment avec notre mandat et nos priorités.
[Traduction]
Ces nouvelles ressources vont aider le CSARS à remplir son mandat avec efficacité. Parallèlement, nous avons besoin de plus d'outils législatifs pour pouvoir mener des examens exhaustifs des activités liées au renseignement de sécurité. Je prendrai quelques instants pour vous expliquer les raisons pour lesquelles ces outils, qui auront des implications pour la responsabilité en matière de sécurité nationale, sont nécessaires dans le contexte actuel.
Il y a 30 ans, les activités plutôt limitées dans ce domaine étaient menées indépendamment les unes des autres. Dans la foulée du 11 septembre, les activités de bien des entités fédérales se sont imbriquées. En fait, le SCRS travaille quotidiennement en étroite collaboration avec bon nombre de partenaires fédéraux. Le projet de loi C-51 rehausse l'intégration et l'échange d'information entre les organismes responsables de la sécurité nationale, mais leur obligation de rendre des comptes n'a pas suivi.
Depuis nombre d'années, le CSARS demande des modifications à sa loi habilitante pour pouvoir effectuer des examens en collaboration avec d'autres entités et de suivre la menace. Permettez-moi de développer chacune de ces propositions.
D'abord, les examens conjoints menés en partenariat avec d'autres commissions d'examen, comme le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, le BCCST, ou la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes contre la GRC, la CCETP, permettraient aux commissions d'examen de coopérer dans le cas de questions d'intérêt mutuel. Dans ce cas, l'objectif consisterait à offrir au Parlement un portrait plus complet des activités ou des enquêtes qui touchent les proches collaborateurs du SCRS.
En vertu de la loi actuelle, le CSARS ne peut pas mener d'examen conjoint, ni partager des renseignements opérationnels avec d'autres commissions d'examen. On pourrait faussement croire qu'il n'existe actuellement aucune interdiction précise sur le partage de renseignements opérationnels ou sur la participation à des dossiers opérationnels en partenariat avec d'autres commissions d'examen. Toutefois, en vertu de l'article 37 de la Loi sur le SCRS, le comité et ses employés doivent se conformer à toutes les exigences de sécurité et doivent prêter le serment du secret, qui les empêche précisément de divulguer à quiconque, sans en avoir l'autorité, des renseignements obtenus dans le cadre de leurs fonctions ou de leur emploi aux termes de la Loi sur le SCRS.
De plus, nous sommes tous assujettis à la Loi sur la protection de l'information et cette responsabilité est à nos yeux de la plus grande importance. Sans l'autorisation législative explicite de partager des renseignements opérationnels aux fins d'un examen conjoint, les employés du SCRS contreviendraient à la Loi sur la protection de l'information et au serment du secret s'ils participaient à des travaux conjoints au niveau opérationnel.
Deuxièmement, le CSARS a fait une proposition pensée pour suivre la menace. Dans le contexte actuel des examens, le CSARS ne peut pas examiner ou évaluer des questions de sécurité nationale qui dépassent les compétences du SCRS, même si les membres de comité sont susceptibles d'être influencés par les services offerts, les mesures prises ou les conseils donnés. Laissez-moi vous en donner un exemple concret.
En 2010, à la suite de l'alerte donnée et de l'enquête menée sur le rôle du Canada dans la remise de détenus afghans, qui ont été maltraités et probablement torturés par des agents afghans, le CSARS a examiné l'implication du SCRS et son rôle dans l'interrogation des détenus afghans. Les opérations canadiennes en Afghanistan étaient du ressort du ministère de la Défense nationale. Le SCRS comptait largement sur les installations du MDN pour enregistrer et conserver la majeure partie des renseignements recueillis. Par conséquent, le CSARS a été incapable de reconstituer toutes les activités du SCRS parce qu'il n'a pas pu obtenir les renseignements manquants, dont les détails étaient probablement entre les mains du MDN. Étant donné que le CSARS a accès seulement aux renseignements détenus par le SCRS, il y avait d'importantes lacunes relativement au rapport des activités opérationnelles, aux échanges d'information et même aux statistiques de base concernant le nombre de personnes impliquées, faisant en sorte qu'il était impossible de reconstituer les activités après coup.
Même si le CSARS a déterminé que le SCRS n'avait pas de connaissance directe de maltraitance des détenus, le CSARS n'a jamais pu entièrement s'acquitter de ses fonctions visant à garantir que le SCRS agisse en vertu de ses politiques internes et de la loi qui le régit. Le CSARS n'a pu fournir au Parlement qu'une petite partie des informations, qui étaient en plus lacunaires. Le Parlement a dû alors reconstituer les éléments provenant d'enquêtes et de rapports divers afin d'avoir un portrait global sur la question des détenus afghans.
L'élargissement du mandat du CSARS afin qu'il puisse suivre la menace nous permettrait d'effectuer des examens plus exhaustifs des activités du SCRS et de ses interactions avec les partenaires nationaux en suivant la trace des activités d'un organisme à l'autre. Le CSARS serait ainsi en meilleure posture pour offrir des conseils au Parlement sur le fonctionnement du système du renseignement de sécurité, comme cela avait été voulu au moment de créer le SCRS et le CSARS. Une imputabilité efficace repose sur la capacité du Parlement à obtenir un portrait plus large et davantage de contexte.
Le CSARS planche actuellement sur son rapport annuel pour l'exercice 2014-2015. Une fois que notre rapport aura été déposé, nous serons ravis de revenir témoigner devant le comité pour discuter de nos conclusions et de nos recommandations, et de répondre à toutes les questions que vous aimeriez nous poser.
Merci pour le temps que vous m'avez accordé aujourd'hui.
Le président : Merci beaucoup.
Passons maintenant à Mme Weber.
Caroline Weber, vice-présidente, Direction générale des services intégrés, Agence des services frontaliers du Canada : Merci. Geoff Leckey prononcera notre exposé.
[Français]
Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives à l'exécution de la loi et au renseignement, Agence des services frontaliers du Canada : Monsieur le président et honorables sénateurs, bonjour. Je tiens à remercier le comité d'avoir invité de nouveau l'Agence des services frontaliers du Canada à comparaître pour compléter son étude du projet de loi C-51.
Tel que le comité l'a demandé, je vais prendre quelques instants pour résumer les répercussions de ce projet de loi sur notre agence.
[Traduction]
À quelques rares exceptions près, l'ASFC communique ses renseignements aux termes de la Loi sur les douanes et de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Telle qu'énoncée dans le projet de loi C-51, la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada conférerait à l'agence de nouveaux pouvoirs, celui de communiquer des renseignements douaniers et celui de communiquer des renseignements non douaniers.
[Français]
Présentement, l'alinéa 107(4)h) de la Loi sur les douanes autorise l'agence à communiquer des renseignements douaniers liés à la sécurité nationale à d'autres entités que celles du gouvernement fédéral, tel que des entités municipales, provinciales ou étrangères ou des organismes internationaux, à condition que l'entité détienne le pouvoir légal de recueillir et d'utiliser les renseignements.
En ce qui concerne les renseignements non douaniers comme les renseignements relatifs à l'immigration, la Loi sur la protection des renseignements personnels ne prévoit pas de disposition semblable permettant l'échange de ces renseignements à des fins de sécurité nationale. Ainsi, sans la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, aucune disposition précise ne permet de communiquer des renseignements non douaniers à ces fins.
[Traduction]
La Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada comprend une modification de l'alinéa 107(5)j) de la Loi sur les douanes visant à permettre à l'ASFC de communiquer des renseignements douaniers à Citoyenneté et Immigration Canada « pour l'application ou l'exécution du droit fédéral en matière de passeports ou autres documents de voyage ». En ce moment, aucune disposition de la Loi sur les douanes ne permet de communiquer de tels renseignements. Cette modification permettrait par exemple à l'ASFC de fournir à CIC des renseignements tels que les antécédents de voyage d'une personne aux fins d'une demande de passeport.
La deuxième modification, qui se rapporte à la communication de renseignements non douaniers, permettrait à l'ASFC et à CIC de surmonter les difficultés liées à la communication de renseignements recueillis en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés à des fins de sécurité nationale ayant une plus vaste portée.
[Français]
Monsieur le président, comme le comité en a été informé par le ministre de la Sécurité publique, le projet de loi C-51 vise également à modifier la Loi sur la sûreté des déplacements aériens de façon à confier au Programme de protection des passagers le mandat de repérer les personnes susceptibles de constituer une menace pour la sûreté des transports, de même que les personnes qui tentent de se rendre à l'étranger pour appuyer des activités liées au terrorisme, d'inscrire leur nom sur une liste et d'atténuer les menaces en question.
Cela signifie que l'agence pourrait recevoir des renseignements relatifs à la liste des personnes interdites de vol, tout comme Transports Canada, Citoyenneté et Immigration Canada, la GRC, le SCRS et d'autres organismes désignés, et qu'elle pourrait communiquer des renseignements à ses partenaires.
[Traduction]
L'ASFC serait aussi autorisée à communiquer les renseignements provenant des systèmes de réservation des transporteurs aériens et à confirmer auprès de ces derniers que le nom d'un passager correspond à un nom figurant sur la liste des personnes interdites de vol. Seul le ministre de la Sécurité publique peut communiquer ces renseignements à l'étranger, conformément à une entente écrite. Ainsi, Sécurité publique serait le ministère fédéral chargé de communiquer les renseignements, à moins que le ministre ne délègue ce pouvoir.
[Français]
Monsieur le président, les pratiques de communication de renseignements de l'ASFC sont régies par des lois, des règlements et des politiques. Nous avons établi des mécanismes d'examen pour toutes les activités de communication dans le cadre du régime juridique actuel afin de veiller au respect des attentes raisonnables d'une personne en matière de protection de la vie privée.
[Traduction]
Merci beaucoup. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
Passons maintenant à M. Glauser.
Mark Glauser, directeur exécutif, Direction des services de renseignement et de l'évaluation des menaces, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de l'invitation que vous avez faite au ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement pour revenir parler de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada. Nous sommes conscients que nous devons prévoir un temps suffisant pour les questions. Nous saisissons l'occasion qui nous est donnée pour revenir sur certains des points que nous avions soulevés quand nous nous sommes présentés devant vous la dernière fois.
[Français]
Comme vous le savez, le ministère a relevé un vaste éventail de menaces à la sécurité nationale et internationale dans plusieurs régions. Nous sommes particulièrement inquiets du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive.
[Traduction]
Outre les efforts que nous déployons à l'échelle internationale pour faire face à ces menaces, nous travaillons en collaboration avec des partenaires au sein du gouvernement afin de faire avancer les objectifs canadiens en matière de sécurité nationale et internationale.
La Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada a pour but de veiller à ce que l'information portant sur la sécurité nationale soit communiquée de manière efficace et responsable au sein du gouvernement du Canada. Le projet de loi faciliterait la communication de l'information concernant la sécurité nationale, sans toutefois créer d'obligation de communiquer certains renseignements.
Le ministère est déjà en mesure de communiquer à d'autres organismes et ministères du gouvernement canadien l'information qui pourrait concerner la sécurité nationale. Nous avons établi des pratiques et des dispositions pour orienter le partage d'information, conformément à nos obligations, notamment en vertu de la Charte et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Cependant, il existe certaines questions concernant le partage d'information que la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada pourrait régler pour le ministère. La Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques en est le parfait exemple. Les observations que nous vous avons présentées précédemment décrivaient comment la nouvelle loi permettrait au ministère de communiquer au sein du gouvernement de l'information importante du point de vue de la sécurité nationale.
De plus, la loi procurerait à d'autres ministères et organismes des pouvoirs bien définis pour demander au MAECD de l'information relative à la sécurité nationale. Cette information pourrait notamment être liée aux affaires consulaires. Ces demandes continueraient d'être examinées en vertu du processus élaboré au cours des dernières années par le MAECD pour faciliter le partage approprié de l'information consulaire quand la sécurité nationale est en jeu.
Diverses procédures et réserves sont prévues pour veiller à ce que seule l'information qui est pertinente, fiable et exacte soit partagée, à la suite d'une demande précise appuyée par des motifs clairs liés à la sécurité nationale. La demande devra aussi être conforme à divers paramètres légaux — notamment ceux de la Charte et de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[Français]
Finalement, la nouvelle loi permettait de clarifier les pouvoirs d'autres ministères et organismes de nous communiquer tout renseignement susceptible de compromettre la sécurité de notre personnel ou de nos missions à l'étranger.
[Traduction]
Soyons clairs, en résumé, la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada n'a pas d'incidence sur le type d'information que recueille le ministère, ni sur les modalités de la collecte. Elle n'a pas non plus d'incidence sur la manière dont le MAECD communique l'information à l'échelle internationale. Cette loi ne porte que sur la manière dont est communiquée au sein du gouvernement du Canada l'information portant sur des questions de sécurité nationale.
La loi permettrait au gouvernement de mieux s'occuper des intérêts de sécurité nationale et internationale, notamment ceux ayant trait au terrorisme et à la prévention de la prolifération des armes de destruction massive.
Merci.
Le président : Merci.
Madame Hawara.
[Français]
Cathy Hawara, directrice générale, Direction des organismes de bienfaisance, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, Agence du revenu du Canada : Merci de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd'hui. Nous sommes ici pour discuter du mandat de l'ARC en matière de sécurité nationale, de la façon dont elle se sert de l'échange de renseignements pour remplir ce mandat, de même que des répercussions des changements proposés dans le projet de loi C-51.
[Traduction]
La Direction des organismes de bienfaisance est chargée de s'assurer que les organismes de bienfaisance enregistrés, au nombre de plus de 86 000, répondent aux exigences législatives pour ce qui est d'obtenir et de conserver l'enregistrement à titre d'organisme de bienfaisance. Cela garantit que les avantages conférés par cet enregistrement ne profitent qu'à des organismes administrés exclusivement à des fins de bienfaisance et que les fonds et services de bienfaisance vont aux bénéficiaires voulus et légitimes. Pour ce faire, la Direction des organismes de bienfaisance dispose d'un programme équilibré d'éducation, de services et d'application responsable des règlements.
Depuis la fin des années 1990, la communauté internationale reconnaît le risque d'exploitation à des fins terroristes du secteur des organismes à but non lucratif et de bienfaisance. Depuis ce temps, l'ARC a pris des mesures pour protéger le système canadien d'enregistrement des organismes de bienfaisance contre les abus par des particuliers ou des groupes ayant des liens avec des terroristes. À la suite de l'adoption de la Loi antiterroriste en 2001, l'ARC est devenue une partenaire du régime gouvernemental de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Le rôle de la Direction des organismes de bienfaisance à cet égard est d'ordre administratif et ne comprend pas d'enquêtes criminelles.
[Français]
En plus de ses fonctions générales, dont le but est de protéger l'assiette fiscale canadienne, la Direction des organismes de bienfaisance exerce des activités d'examen et de vérification visant expressément à déceler et à éliminer le financement d'activités terroristes.
Par exemple, elle examine toutes les demandes d'enregistrement à titre d'organisme de bienfaisance afin de déterminer la présence et le niveau de risque de financement d'activités terroristes. Elle vérifie également les organismes de bienfaisance enregistrés en fonction du risque éventuel d'abus à des fins de financement d'activités terroristes qu'ils posent pour le secteur de la bienfaisance et pour la société canadienne dans son ensemble. Selon les constatations de ces examens et vérifications, la direction peut refuser ou révoquer l'enregistrement.
[Traduction]
L'échange de renseignements est essentiel aux opérations de la Direction des organismes de bienfaisance. L'ARC est autorisée, en vertu des dispositions législatives en vigueur, à échanger certains renseignements liés aux organismes de bienfaisance avec la GRC, le SCRS et le CANAFE lorsque ces renseignements s'appliquent à leurs mandats respectifs en matière de sécurité nationale. Les renseignements qui viennent des partenaires de la sécurité nationale servent quant à eux à évaluer le niveau de risque que présente un demandeur ou l'organisme de bienfaisance enregistré. L'échange de renseignements permet également à l'ARC de veiller à ce que cette évaluation des risques ne perturbe pas les activités de bienfaisance légitimes et ne dissuade pas la population d'exercer de telles activités.
Bien que ces échanges de renseignements se soient avérés fructueux, les représentants de l'ARC ont, à quelques reprises dans le cadre de leurs fonctions normales, décelé des renseignements qui étaient utiles à une enquête sur la sécurité nationale, mais qui ne pouvaient pas être communiqués en raison des restrictions prévues par la Loi de l'impôt sur le revenu.
Le projet de loi C-51 propose d'édicter la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, qui élargirait le pouvoir de l'ARC de communiquer des renseignements confidentiels sur les contribuables aux institutions fédérales désignées. Les mesures proposées n'autoriseraient pas la collecte de renseignements personnels supplémentaires. Elles permettraient plutôt l'échange de renseignements que l'ARC a déjà acquis dans le cadre de l'exécution de son mandat prescrit par la loi. Cela signifie que l'ARC pourrait échanger des renseignements autres que ceux portant sur les organismes de bienfaisance avec d'autres ministères, désignés dans la loi, à des fins de sécurité nationale.
L'échange de renseignements ne serait pas sans restriction, et le seuil de la divulgation serait à deux volets. En premier lieu, les renseignements se rapporteraient à l'enquête sur une menace envers la sécurité du Canada ou à une enquête sur une infraction de terrorisme menée par l'institution destinataire. Cela relève de la Loi de l'impôt sur le revenu. En deuxième lieu, les renseignements concerneraient les responsabilités en matière de sécurité nationale de l'institution destinataire. Cela relève des nouvelles mesures proposées dans le projet de loi C-51.
Bien que les institutions fédérales désignées puissent demander des renseignements, l'ARC ne serait pas obligée de les fournir en vertu de la loi. Conformément aux dispositions législatives proposées, les institutions fédérales demeurent maîtres de la décision de communiquer leurs renseignements et de la forme que cet échange devrait prendre.
Dans la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, on propose également d'ajouter l'ARC à la liste des institutions fédérales désignées. Dans le cas de l'ARC, seule la Direction des organismes de bienfaisance serait autorisée à demander et à recevoir des renseignements d'autres institutions fédérales, et uniquement s'ils concernent son mandat de protéger le secteur de la bienfaisance contre les abus à des fins terroristes.
[Français]
La protection des renseignements fiscaux des Canadiens est une priorité à l'ARC. La confiance des particuliers et des entreprises envers l'ARC constitue la pierre angulaire du régime fiscal d'autocotisation du Canada. L'ARC a de solides pratiques visant à protéger la confidentialité des renseignements des contribuables, et ses politiques et processus régissant la sécurité sont stricts.
Si le projet de loi est adopté, l'ARC mettra en œuvre les procédures et contrôles nécessaires pour s'assurer que l'échange de renseignements sur les contribuables en vertu des nouvelles dispositions est conforme à toutes les exigences prévues par la loi. Les renseignements ne seraient communiqués que dans la mesure permise par la loi.
[Traduction]
En conclusion, l'ARC contribue aux efforts de lutte contre le financement des activités terroristes qui sont déployés par le gouvernement en protégeant le système canadien d'enregistrement des organismes de bienfaisance contre les abus à des fins de financement des activités terroristes. L'échange de renseignements aide la Direction des organismes de bienfaisance à déterminer et à évaluer les risques liés au terrorisme, ce qui lui permet d'empêcher l'enregistrement des organismes qui ont des liens avec le terrorisme et de révoquer l'enregistrement de ceux qui en ont.
Nous serons heureux de répondre aux questions que les membres du Comité pourraient avoir.
Le président : Merci.
Nous allons commencer par le sénateur Mitchell, qui sera suivi du sénateur Runciman.
Le sénateur Mitchell : Merci à tous de votre présence ici aujourd'hui.
Ma première question s'adresse à M. Doucet. Vous avez souligné un point très important : la limite de votre capacité, de votre habilitation, à suivre une piste. Pour résumer, vous signalez que vous êtes libre d'examiner sous toutes ses coutures un renseignement que le SCRS utiliserait, mais que ce même renseignement, une fois transmis à l'Agence des services frontaliers, au ministère de la Défense, à celui des Affaires étrangères ou à tout organisme ayant des responsabilités en matière de sécurité nationale et de renseignement, serait complètement à l'abri de toute forme d'examen s'approchant de celui que vous effectuez au sein du SCRS.
M. Doucet : Effectivement, sénateur, c'est le cas. Ceci dit, bien sûr, je ne suis pas au courant du type de processus d'examen et de vérification existant dans divers ministères.
Ce que je peux vous dire, comme je l'ai souligné dans mes remarques d'ouverture, c'est que nous avons un accès complet et illimité à tous les renseignements entre les mains du SCRS, à la seule exception des secrets du cabinet. Nous pouvons voir tout ce que le SCRS détient. Nous pouvons nous rendre dans ses locaux au pays ou à l'étranger. Par contre, une fois que le renseignement quitte le SCRS et qu'il est transmis à un autre membre de la communauté du renseignement ou à un autre ministère ayant une fonction de renseignement, nous ne sommes plus en mesure de suivre cette piste dans l'autre ministère.
Le sénateur Mitchell : Quelqu'un a décidé que les processus internes du SCRS n'étaient pas suffisants pour que celui- ci conduise un examen de ses propres activités. On a donc créé le CSARS. Mais ce n'est pas le cas de l'ASFC. Vous dites, par exemple, que vous ne savez pas comment ses processus internes fonctionnent. On pourrait présumer que l'agence a des processus internes. Si les processus internes ne suffisent pas au SCRS, pourquoi suffiraient-ils à l'ASFC?
M. Doucet : Je crois que vous posez une bonne question.
Le sénateur Mitchell : Merci.
Ma prochaine question est pour Mme Hawara. Les changements relatifs aux renseignements des contribuables prévus dans le projet de loi m'intéressent vivement. C'est ce qu'on appelle généralement des « renseignements confidentiels désignés », mais on constate que le qualificatif « désignés » a été abandonné. Le problème, c'est qu'on élargit ainsi la portée de la loi dans l'un des domaines où il importe le plus de préserver la confidentialité des renseignements des contribuables. C'est peut-être en cessant d'adjoindre le qualificatif « désignés » à l'expression « renseignements confidentiels » que l'on s'expose le plus à des risques d'intrusion gouvernementale. Pourquoi a-t-on jugé nécessaire d'éliminer ce qualificatif?
Mme Hawara : Je vous remercie de votre question.
Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, à l'heure actuelle, l'ARC a le pouvoir de diffuser de l'information à trois de ses partenaires : la GRC, le CANAFE et le SCRS. En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu cependant, nous n'avons que le droit de diffuser de l'information précise portant sur des organismes de bienfaisance enregistrés ou des organismes qui ont antérieurement demandé ce statut. Il y a là une restriction. Ces dispositions existent depuis environ 10 ans.
Dans le cadre de notre travail, nous avons découvert que, parfois, nous ne pouvons pas transmettre à nos partenaires tous les renseignements qui seraient pertinents dans le cadre d'une enquête en vertu de la Loi sur le SCRS ou du Code criminel. Par exemple, un organisme de bienfaisance enregistré pourrait avoir des liens avec des particuliers, une entreprise à but lucratif ou un organisme à but non lucratif qui n'est pas enregistré. Nous devons faire trier les renseignements et nous ne pouvons diffuser que ceux qui se rapportent à des organismes caritatifs. Autrement dit, nous ne pouvons pas donner à nos partenaires toute la preuve ou tous les renseignements qui auraient pu être pertinents même lorsque nous avons des motifs raisonnables de croire que ces renseignements sont pertinents.
La loi prévoit que nous aurons plus de souplesse quant à la diffusion de l'information. Nous retirons la définition de « renseignements confidentiels désignés », ce qui veut dire, comme je l'ai décrit, les renseignements se rapportant aux organismes caritatifs que nous pouvons transmettre. De façon générale, ce sera tous les renseignements confidentiels.
Il est important de noter, toutefois, que les seuils demeurent, et qu'il y en a deux dans le cas de l'ARC. En vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, nous devons avant tout avoir des motifs raisonnables de soupçonner que les renseignements seraient utiles aux fins d'une enquête sur une menace envers la sécurité du Canada telle qu'elle est définie dans la Loi sur le SCRS, ou d'une enquête portant essentiellement sur une infraction de terrorisme telle qu'elle est définie dans le Code criminel. Si nous pensons que le seuil s'applique aux renseignements, nous devons nous assurer, à la lumière du nouveau projet de loi, que les renseignements seraient pertinents dans le cadre des responsabilités en matière de sécurité nationale qu'assume l'organisme recevant ces renseignements.
Nous prenons ces responsabilités très au sérieux. La protection des renseignements confidentiels des contribuables est une des véritables assises de notre régime fiscal axé sur une auto-évaluation volontaire. Nos actions sont guidées par les enjeux de sécurité nationale et nous allons toujours agir au cas par cas. Ce n'est pas un accès élargi. C'est vraiment au cas par cas.
Le sénateur Mitchell : Vos arguments sont vraiment convaincants et je vous en félicite. Sans vouloir être condescendant, je me pose tout de même la question de savoir qui vous surveille. Quelle compétence avez-vous au ministère pour déterminer que l'information est en fait pertinente pour le SCRS ou pour l'ASFC? Si cette information est pertinente, elle ne peut l'être beaucoup moins que celle utilisée par le SCRS, qui est surveillé par le CSARS. Et vous, qui vous surveille?
Mme Hawara : Nous n'avons pas d'instance équivalant au CSARS, mais l'agence fait bien sûr l'objet d'un audit interne et d'une vérification. Et tout comme d'autres organismes, nous relevons du vérificateur général et de la commissaire à l'information.
Quant à votre question au sujet de notre compétence, la Direction des organismes de bienfaisance partage depuis une dizaine d'années de l'information avec nos partenaires. Pour mieux comprendre nos mandats respectifs, nous échangeons des agents avec le service et avec la GRC. Certains de nos agents sont actuellement détachés auprès du SCRS et de la GRC. Nous avons des formations communes. Nous nous rencontrons régulièrement pour mieux comprendre nos actions respectives. Nous ferons fond sur les travaux et l'expérience de la Direction des organismes de bienfaisance. Si ces pouvoirs sont octroyés, notre équipe et notre structure nous permettront de gérer ce genre de renseignement en amont et en aval.
Le président : De combien de cas parlons-nous ici? S'agit-il de 100 dossiers par année ou de 10 dossiers par année?
Mme Hawara : En ce qui a trait à la divulgation, au partage bidirectionnel d'information, nous avons probablement au cours de la dernière...
Le président : En un an, combien?
Mme Hawara : Peut-être Alastair peut-il nous donner ce chiffre.
Alastair Bland, directeur, Direction de la revue et de l'analyse, Direction des organismes de bienfaisance, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, Agence du revenu du Canada : Merci de votre question. Au cours des 10 dernières années, il y a eu une cinquantaine d'échanges d'information dans une direction ou dans l'autre. En 2014-2015 par exemple, nous avons reçu 51 demandes de divulgation et nous en avons envoyé 47.
Le président : À combien de cas vous attendez-vous lorsque la nouvelle loi sera adoptée? Le savez-vous? On vous a sans doute déjà demandé de l'information que vous avez déclinée de divulguer.
M. Bland : Non, nous n'avons aucune attente à ce chapitre.
Le sénateur Mitchell : Qui vous empêche de rechercher dans votre base de données toutes les personnes qui ont contribué à un organisme caritatif et de divulguer cette information au SCRS?
Mme Hawara : La Direction des organismes de bienfaisance n'a pas d'information sur les donateurs. D'autres services de l'agence s'en occupent. Au sein de la Direction, la Division de l'examen et de l'analyse se concentre surtout sur les organismes caritatifs comme tels. Nous n'avons donc pas personnellement accès aux bases de données sur les donateurs. Nous prenons connaissance de cette information lors de l'audit d'un organisme. Nous avons accès à cette information en les dossiers et les livres comptables. Encore une fois, toute divulgation doit se faire en respectant les dispositions prévues dans la loi. Nous devons atteindre les seuils dont j'ai parlé précédemment.
Le sénateur Runciman : J'ai quelques questions rapides pour M. Doucet. Vous étiez ici il y a quelques semaines lors du dépôt du budget. Vous nous aviez dit alors que l'évaluation de toutes les répercussions prendrait peu de temps. Vous avez parlé aujourd'hui d'une étude des activités de perturbation des menaces. Je me demandais si vous pouviez nous donner plus de détails sur ce que vous permettront de faire ces crédits supplémentaires. Vous avez ensuite parlé des outils supplémentaires pour lesquels vous auriez eu une augmentation marquée du budget, de l'ordre de 80 p. 100, je crois. Pourriez-vous dire au comité en quoi vous allez pouvoir contrer plus efficacement, espérons-le, les menaces terroristes.
M. Doucet : Tout à fait. Merci, sénateur. C'est une excellente question.
Comme vous l'avez dit, nous envisageons une augmentation d'environ 80 p. 100 pour le CSARS. J'imagine que nous aurons une augmentation du personnel d'environ 60 p. 100. Nous sommes prudents s'agissant de l'embauche de nouveau personnel. La plupart des nouveaux employés travailleront au service de la recherche et au service juridique.
Étant donné les nouveaux pouvoirs qui sont donnés au CSARS, vous imaginez bien qu'il faudra à tout le moins établir une définition des activités perturbatrices. Les experts ne s'entendent pas nécessairement à ce sujet. C'est donc par là que nous devrons commencer. Il faudra examiner toutes les activités perturbatrices qui sont menées par le service et déterminer si elles font l'objet d'un mandat — certaines le feront, d'autres pas — et faire des recommandations quant à leur pertinence.
En outre, le personnel ministériel n'augmentera que très peu. Il se pourrait qu'on embauche qu'une seule personne. Si je peux emprunter une expression militaire, la plupart de nos ressources assureront une présence sur le terrain.
Comme vous le savez, le service a connu une augmentation importante au fil des ans et nous allons également nous pencher sur cette question. Le nouveau budget représente environ 1 p. 100 de financement des services, ce qui nous ramène en gros à ce que nous avions il y a 10 ans. Nous allons donc faire une recherche sur la panoplie des activités que nous menons — je vous en ai déjà parlé il n'y a pas longtemps. Il s'agit de l'ensemble des activités du CSARS. Nous n'examinerons pas seulement l'ensemble des activités, mais aussi notre capacité d'examen de ces activités. Autrement dit, nous n'allons pas examiner chaque activité, mais élaborer une matrice des risques pour examiner non seulement leurs activités, mais aussi déterminer lesquelles méritent que l'on s'y attarde. Voilà essentiellement ce que nous ferons.
Nous serons ainsi davantage en mesure de déterminer l'efficacité de notre surveillance et nous serons très heureux de revenir témoigner pour vous parler de ces capacités et des activités que nous vérifions.
On ne sera jamais en mesure d'exercer notre mandat en examinant 100 p. 100 de leurs activités. Nous visons à en vérifier un nombre important sur une période de cinq ans. Nous nous en remettons à vous pour nous aider à déterminer si le nombre de nos vérifications correspond à ce à quoi s'attendait le Parlement.
Voilà essentiellement où nous en sommes. J'ai mentionné dans ma déclaration liminaire que nous avons présenté un mémoire au Conseil du Trésor. Nous allons travailler très fort pour obtenir ces fonds et comme je vous l'ai dit, une bonne partie de nos activités portera tout d'abord sur la recherche.
Nous ne savons pas dans quelle mesure nos fonctions liées aux enquêtes ou aux plaintes relèveront du projet de loi C-44 ou du projet de loi C-51. Nous nous attendons à avoir beaucoup plus de travail du côté des activités de perturbation, mais il faudra assurer une surveillance de ces activités parce qu'il faut aussi s'attendre à ce que le nombre de plaintes augmente.
Le sénateur Runciman : Qu'en est-il des activités de suivi à l'extérieur du Canada? Quelles seront les répercussions à cet égard?
M. Doucet : C'est une excellente question. On en parle dans un récent rapport annuel sur l'élargissement des activités du CSARS à l'étranger. Nous estimons que nos examens passeront d'environ 20 à environ 40 p. 100 à l'étranger.
À l'heure actuelle, nous visitons une mission à l'étranger chaque année. Nous estimons qu'aux termes des projets de loi C-44 et C-51, nous devrons probablement en visiter deux ou trois annuellement. Cela consistera à faire sur place une évaluation et un examen complets des activités du service à l'étranger.
La sénatrice Stewart Olsen : J'ai quelques questions pour Mme Hawara. Pour les Canadiens, on est presque en terrain inconnu. Je parle des gens qui nous écoutent et qui se disent « Très bien, je ne comprends pas ce qui se passe. »
Qu'est-ce qui retiendrait votre attention quand il s'agit de radier un organisme de bienfaisance? Prenez-vous l'initiative d'en informer le SCRS ou la GRC? Comment déterminez-vous à qui il faut divulguer l'information?
Mme Hawara : Je vous remercie de cette question. Je suppose que c'est strictement dans le contexte de notre mandat en matière de sécurité nationale.
La sénatrice Stewart Olsen : Oui, dans le cadre du projet de loi que nous étudions actuellement.
Mme Hawara : Très bien, parce que les organismes de bienfaisance font aussi l'objet d'examen portant sur bien d'autres questions.
Nous estimons en fait que seul un petit nombre d'entre eux est à risque en matière de sécurité nationale. Il y en a environ 86 000 inscrits au Canada. La grande majorité fait très bien son travail, mais il faut s'assurer qu'ils savent comment se protéger contre ce type de risque.
Les organismes de bienfaisance peuvent attirer notre attention de diverses façons, que ce soit dans le cadre de l'application des lois ou de la conformité. Nous réalisons plus ou moins 10 audits par année. Cela vous donne un ordre de grandeur et c'est peu.
Nos propres recherches peuvent nous amener à nous intéresser à eux. Ces organismes doivent faire une déclaration annuelle que nous examinons. Nous faisons nos propres recherches à partir d'information de source ouverte, qui est facilement accessible, et nous recevons également de l'information de nos partenaires. Nous avons toute une série de moyens pour recenser les organismes de bienfaisance.
Chaque fois que nous faisons un audit d'un organisme de bienfaisance, nous adoptons d'abord une approche d'éducation. Nous offrons à l'organisme la possibilité de répondre à nos préoccupations. Nous détaillons nos préoccupations par écrit et nous leur donnons la possibilité de répondre.
À part la révocation, nous avons toute une série d'outils à notre disposition. Nous pouvons imposer des sanctions si cela est opportun. Nous pouvons aussi négocier des ententes de conformité aux termes desquelles nous précisons les mesures correctrices à mettre en place pour régler le problème. Moins souvent, nous envoyons des lettres d'information qui n'exigent pas d'engagement écrit de la part de l'organisme.
La division d'examen et d'analyse a recours à tous ces outils dans le contexte des audits. Dans certains cas, nous étions préoccupés par la possibilité de financement d'un organisme terroriste ou de méfaits de la part d'organismes terroristes. Nous disposons des outils nécessaires pour régler le problème de la façon la plus appropriée en fonction des circonstances propres à chaque cas.
La sénatrice Stewart Olsen : Vous nous dites donc que certains organismes de bienfaisance peuvent à leur insu servir à des activités illicites. Chaque cas est distinct et vous essayez de régler chacun des dossiers de façon individuelle.
Avisez-vous les organismes de sécurité lorsque vous faites enquête? À quel moment divulgueriez-vous de l'information sur un organisme de bienfaisance?
M. Bland : Oui nous discutons bien souvent de nos activités avec les organismes de sécurité. Nous voulons éviter le chevauchement et veiller à ne pas intervenir dans les dossiers sur lesquels ils pourraient travailler.
Lorsque nous avons des préoccupations et que nous détectons un risque, nous échangeons souvent de l'information pour corroborer le risque et mieux le comprendre. C'est habituellement à ce moment-là que l'échange d'information a lieu, c'est-à-dire lorsque nous cherchons à obtenir de l'information pour établir l'existence du risque.
La sénatrice Stewart Olsen : Vous attendez-vous à ce que le projet de loi, de par ses dispositions sur le partage d'information, vous permette de faire un meilleur travail puisque vous ne subirez pas autant de contraintes?
M. Bland : Contrairement au régime actuel, il nous donnera très certainement le pouvoir d'interroger des partenaires autres que le SCRS, la GRC ou le CANAFE.
Le sénateur Day : Ma première question s'adresse aux témoins du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement.
Monsieur Glauser, j'aimerais éclaircir le témoignage que vous nous avez donné. Vous dites que sans cette mesure législative, vous pouvez échanger de l'information avec certaines entités. Vous dites également que vous n'êtes pas obligé de dévoiler de l'information particulière à ceux qui vous en font la demande, si l'information n'est pas précisée. Autrement dit, pourrait-on vous envoyer une note vous disant : « Donnez-nous tout ce que vous avez »? Comment peut-on demander de l'information générale? Ensuite, j'aimerais savoir comment vous évaluez les demandes en fonction de la Charte puisque vous nous dites que vous le faites? Qui fait ce travail?
M. Glauser : Je vous remercie de cette question.
L'autorisation de divulguer de l'information découle du fait que dans notre ministère, cela n'est pas fondé sur une loi comme dans les autres ministères. L'autorisation légale provient de... À l'instar du ministère de la Défense nationale, les Affaires étrangères échangent de l'information aux termes de ces pouvoirs.
Pour ce qui est de l'information consulaire, et c'est l'exemple le plus fréquent, l'autorisation de partager de l'information existe déjà. La loi fera en sorte qu'il sera plus facile pour ces organismes et le gouvernement du Canada qui figurent à l'annexe du projet de loi de demander de l'information auprès des ministères, alors qu'auparavant certains n'étaient pas en mesure de le faire.
Je disais dans ma déclaration que, pour répondre aux questions, nous allons suivre les mêmes procédures que celles qui servent actuellement pour répondre à ceux qui sont en droit d'exiger l'information.
Pour ce qui est de la spécificité, et je pense que ma collègue pourra vous en parler à propos de l'information consulaire, le ministère détenteur de l'information n'a aucune obligation de la divulguer automatiquement. La demande doit être bien précise. Le ministère auquel la demande est adressée l'évalue à l'interne pour déterminer si elle répond aux divers seuils établis pour chacun des ministères. Ma collègue peut vous répondre plus précisément sur la façon dont cela fonctionne dans le contexte consulaire.
Il serait certainement beaucoup plus difficile de répondre à une demande générale parce que le motif de sécurité nationale serait plutôt large et pas suffisamment ciblé pour répondre aux divers seuils.
Leeann McKechnie, directrice générale, Opérations consulaires, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : J'ajouterai à ce que mon collègue vient de dire que le projet de loi permettrait à d'autres ministères de demander de l'information consulaire au ministère des Affaires étrangères. Nous avons déjà des procédures et des protocoles bien établis. Toute demande doit être motivée par des raisons de sécurité nationale. La demande est examinée par les experts consulaires, les experts en protection de la vie privée ainsi que par les experts juridiques. Nous décidons ensuite de l'information à communiquer en fonction des critères dictés par la Charte et la Loi sur la protection des renseignements personnels.
C'est moi qui ai le dernier mot sur la divulgation de cette information, qui est assortie d'une réserve très claire sur le fait qu'elle ne peut être retransmise ou partagée avec quelque autre entité que ce soit.
Le sénateur Day : C'est intéressant.
Madame Hawara, le partage de renseignements personnels en matière d'impôt est une question qui préoccupe beaucoup les Canadiens. J'aimerais donc que vous me rassuriez à ce sujet. Vous partagez déjà de l'information avec trois organismes, soit la GRC, le CANAFE et le SCRS. Aviez-vous des demandes d'information de la part des 14 autres organismes avec qui vous pourrez maintenant échanger cette information? Dix-sept organismes gouvernementaux n'auront plus de restriction quant aux entités à qui ils peuvent fournir de l'information. Comment allez-vous rassurer le public et le convaincre que vous aviez besoin de ces renseignements supplémentaires et comment allez-vous en assurer le contrôle?
Mme Hawara : Je vous remercie de cette question.
Sur le plan de la sécurité nationale, l'Agence du revenu du Canada a pour mandat de protéger du terrorisme le système d'enregistrement des organismes de bienfaisance. C'est pour cette raison que l'ARC figure sur la liste des 16 ou 17 organismes. La seule information que nous allons demander devra obligatoirement avoir un lien avec le système d'enregistrement des organismes de bienfaisance et à notre mandat qui porte sur la protection de ce système.
Pour ce qui est de l'information que nous fournirons, nous nous attendons à ce qu'elle porte dans la grande majorité des cas sur les organismes de bienfaisance enregistrés. Tout comme nos collègues des Affaires étrangères, nous allons exiger que les renseignements demandés soient bien précis. Il sera impossible de nous demander toute une série de renseignements détaillés sur les contribuables si nous n'y voyons pas de lien avec le mandat de l'organisme en matière de sécurité nationale.
Nous avons avant tout la responsabilité de protéger les renseignements confidentiels des contribuables. Dans la mesure où la demande respecte les seuils prévus dans la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi proposée sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, nous serons en mesure de déterminer s'il faut fournir cette information. À l'instar d'autres organismes, nous ne sommes pas tenus de divulguer l'information et si nous le faisons, nous en déterminons les modalités et les réserves, surtout lorsqu'elle est communiquée à d'autres instances que nos partenaires. Nous exercerons les mêmes contrôles, très stricts, dont sont assortis les pouvoirs que nous détenons actuellement.
Le sénateur Day : J'aimerais avoir une précision. Vous parlez constamment de renseignements d'organismes de bienfaisance. À la page 9 du projet de loi, on trouve au paragraphe 9 le texte suivant : « les renseignements d'organismes de bienfaisance accessibles au public; ». Jusque-là, tout va bien. C'est de l'information déjà publique de toute façon. Vous ne faites que faciliter les choses en leur donnant une liste plutôt qu'en leur demandant de « trouver l'information eux-mêmes ».
C'est le deuxième paragraphe, qui porte sur « des renseignements confidentiels », que je trouve préoccupant. Il ne s'agit pas ici d'organismes de bienfaisance. Il s'agit de renseignements confidentiels que je divulgue dans ma déclaration de revenus.
Mme Hawara : C'est exact. À l'heure actuelle, on ne peut que partager certaines informations concernant des organismes de bienfaisance, mais la portée du texte serait élargie. Comme je l'ai dit toutefois, les seuils n'ont pas changé. L'organisme qui demande les renseignements devra toujours démontrer qu'il en a besoin pour respecter les seuils.
Le sénateur Day : Je comprends, c'est ce qui est expliqué.
Mme Hawara : Vous avez raison, il y a un élargissement des pouvoirs.
Le sénateur Day : Ce sont des pouvoirs élargis. Voilà justement ce que je voulais faire valoir. Je vous remercie.
Le sénateur Ngo : J'aimerais m'adresser aussi à Mme Hawara. Mes questions sont dans la même veine que celles de la sénatrice Stewart Olsen.
À quelles conséquences devra faire face le directeur d'un organisme caritatif qui a transmis des fonds à une organisation terroriste comme le Hamas, par exemple? Que faites-vous alors? Avez-vous déjà trouvé des organismes caritatifs qui font des dons à des organisations terroristes?
Mme Hawara : Notre rôle se limite aux organismes de bienfaisance enregistrés. Nous ne faisons pas affaire directement avec les directeurs de ces organismes. Cela incombe à quelques-uns de nos autres partenaires.
Cependant, il y a une exception très importante à cette règle. La Loi de l'impôt sur le revenu comporte de nouvelles dispositions au sujet de ce qu'on appelle les « particuliers non admissibles ». Si un particulier a des liens avec un organisme de bienfaisance au moment où cet organisme commet un acte qui a pour effet la révocation de son statut, ce particulier devient non admissible et cela est suffisant pour refuser l'enregistrement dudit organisme ou pour révoquer son statut.
Il y aurait donc des conséquences du point de vue de l'enregistrement des œuvres de bienfaisance, mais en ce qui concerne la responsabilité individuelle, ce n'est pas à l'Agence du revenu du Canada à s'en occuper.
Le sénateur Ngo : Merci.
Le président : Alors cela incombe à qui? Si ce n'est pas votre responsabilité, mais que vous avez identifié quelqu'un qui a enfreint les règles et qui est impliqué dans le financement du terrorisme, qui porte l'accusation? Je ne crois pas qu'on ait déjà vu une accusation relative à la responsabilité individuelle.
Mme Hawara : Je ne suis pas au courant. Notre rôle, c'est d'administrer le système d'enregistrement. Nous avons donc le pouvoir d'accorder ou de refuser l'enregistrement aux organismes ou de révoquer leur statut, et nous pouvons ensuite partager ces renseignements avec nos partenaires, y compris les forces policières, c'est-à-dire la GRC. Les forces policières voudront peut-être enquêter, mais tout dépendra des circonstances. L'autorité que nous exerçons est administrative.
Le sénateur White : Monsieur Doucet, vous avez clairement expliqué pourquoi il est difficile pour le SCRS, en vertu de la loi, de partager des informations avec d'autres agences. Je crois que le conseiller à la sécurité nationale a affirmé que vous pouviez très bien obtenir de l'information d'autres agences, si ces dernières le permettent. Ai-je raison? Je suppose que ce n'est pas réciproque.
M. Doucet : En vertu de la loi, nous ne sommes pas en mesure de communiquer avec une autre agence.
Le sénateur White : D'accord, mais rien ne vous empêche de communiquer avec la GRC, l'ASFC ou même le ministère des Affaires étrangères, et de leur dire que vous avez besoin de renseignements aux fins d'un examen. Rien ne vous en empêche. Le fait de vous les communiquer pourrait leur poser problème, mais rien ne vous empêche d'intégrer dans votre examen des renseignements provenant d'autres agences, au contraire.
M. Doucet : C'est une bonne question. C'est vrai que nous communiquons avec d'autres agences, avec la GRC et d'autres. Nos échanges se limitent aux techniques du métier, à l'analyse — appelez-le comme vous voulez. Mais à mon avis, ce serait déplacé de leur demander ce que j'appelle des renseignements opérationnels, parce que je ne crois pas que nous soyons habilités à le faire.
Bien franchement, si j'étais à leur place et dans le contexte actuel, je ne partagerais pas ces renseignements parce que les organismes de renseignement et policiers collectent et gardent leurs renseignements de façon très prudente. Je considère donc qu'en ce moment, ce serait déplacé de demander ces renseignements.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Leckey, j'étais avec le premier ministre Harper la semaine dernière à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, où il a annoncé l'octroi de nouvelles ressources à l'Agence des services frontaliers du Canada. De quelle façon seront utilisées ces nouvelles ressources?
[Traduction]
M. Leckey : Merci de la question.
Les ressources auxquelles vous faites allusion serviraient à renforcer les enquêtes criminelles menées par la division sur les abus associés au Programme des travailleurs étrangers temporaires.
Si ce sont bien là les ressources dont vous parlez, je peux vous dire que depuis déjà quelques années, nous ressentons le besoin de lutter plus activement contre l'abus potentiel de ce programme, particulièrement sous l'angle des enquêtes criminelles. Jusqu'à tout récemment, EDSC faisait obstacle au partage des renseignements avec l'ASFC. Les nouvelles ressources et les nouveaux pouvoirs qui nous ont été conférés visent à nous permettre de mener jusqu'à 50 enquêtes criminelles par année.
Je peux vous dire que depuis le 1er avril dernier, pour ce qui est des communications d'EDSC à l'ASFC, nous sommes en bonne voie d'atteindre l'objectif visé.
[Français]
Le sénateur Dagenais : L'ASFC travaille à l'élaboration d'un registre des voyageurs entre le Canada et les États- Unis. Combien de temps faudra-t-il pour mettre en place un tel système qui tiendra compte des voyageurs qui entrent au Canada en provenance des États-Unis et qui sortent du Canada à destination des États-Unis?
[Traduction]
Mme Weber : Je vous remercie pour cette question. La mise en œuvre devait se faire en quatre phases et nous avons achevé maintenant la deuxième. La prochaine nécessitera des modifications législatives et un règlement. Nous continuons d'examiner l'incidence de ces échanges sur la protection des renseignements personnels, mais il faudra modifier la loi avant que cela puisse se faire.
M. Doucet : J'aimerais préciser ma réponse à la question du sénateur White. Je parlais de notre fonction d'examen, de recherche. Dans le cadre du traitement des plaintes et des enquêtes, nous pouvons convoquer des témoins dans le cas, par exemple, d'une révocation d'une cote de sécurité. Nous pouvons donc poser des questions à d'autres ministères en rapport avec une enquête portant sur une plainte. Je tenais à ce que ce soit clair.
Le président : Avant de terminer et aux fins du compte rendu, j'aimerais parler de vos pouvoirs, par rapport à ceux d'autres ministères et d'autres instances au sein du gouvernement. Puisque vous avez la possibilité d'ordonner une enquête, vous pourriez faire un suivi auprès d'autres ministères pour déterminer ce qui est véritablement arrivé dans un cas particulier, si vous estimez qu'il y a eu menace pour la sécurité, n'est-ce pas?
M. Doucet : Sénateur, en vertu des articles 41 et 42 de la loi, qui nous autorisent à faire des enquêtes quand il y a plainte contre le SCRS, lorsqu'il s'agit d'un refus de cote de sécurité ou de la révocation d'une cote, nous pouvons nous adresser au ministère pour obtenir des renseignements. Nous ne pouvons le faire, et nous ne pouvons assigner des témoins conformément aux fonctions d'examen qui sont les nôtres.
Le président : Chers collègues, nous avons un programme très chargé et nous avons déjà dépassé l'heure prévue pour recevoir notre prochain groupe de témoins. Nous allons donc le faire maintenant.
Pour cette deuxième partie de la réunion consacrée à l'examen du projet de loi C-51, nous accueillons trois témoins qui ont connu de très près le terrorisme, y compris son apologie, la radicalisation et la violence qui l'accompagnent.
Je souhaite donc la bienvenue à M. Bal Gupta, président de l'Association des familles des victimes du vol 182 d'Air India et ardent défenseur des victimes du terrorisme, qui a perdu son épouse ce jour fatidique d'il y a 30 ans; M. Balraj Deol, victime du terrorisme et de la radicalisation, éditeur de Khabbar Nama, journal de Toronto, et M. Gurdev Mann, président du North York Sikh Temple.
Messieurs, notre comité vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être joints à lui aujourd'hui. Nous sommes impatients d'entendre vos commentaires sur le projet de loi et les questions connexes.
Monsieur Gupta, vous avez la parole, et ce sera ensuite au tour de MM. Deol et Mann.
Bal Gupta, président, Association des familles des victimes du vol 182 d'Air India : Je vous remercie, monsieur le président, de nous donner cette occasion de témoigner devant vous.
Du point de vue des victimes qui ont été directement touchées par le plus haineux et le plus violent des actes de terrorisme de l'histoire du Canada — je veux parler de l'attentat à la bombe du vol 182 d'Air India, le 23 juin 1985 —, l'Association des familles des victimes du vol 182 d'Air India appuie vigoureusement l'adoption du projet de loi C-51. Si elles sont adoptées, plusieurs dispositions de ce projet de loi seront un facteur de dissuasion pour les Canadiens qui expriment violemment leur opposition à notre liberté et à la démocratie en s'adonnant à des actes de terrorisme.
Je m'exprime devant vous, non pas en qualité d'expert des affaires juridiques ou constitutionnelles, mais en tant que victime du pire et du plus violent acte de terrorisme qu'a connu le Canada. Dans la tragédie d'Air India, j'ai perdu mon épouse, Ramwati Gupta, ma compagne depuis plus de 20 ans. Soudainement, je suis devenu père célibataire, avec deux jeunes garçons, âgés alors de 12 et 18 ans. Cette tragédie était le résultat d'un complot terroriste conçu et exécuté en sol canadien, nulle part ailleurs, par des criminels qui ont apporté leurs problèmes de l'Inde au Canada.
N'oublions pas que le terrorisme a frappé le Canada 16 ans avant l'attentat du 11 septembre aux États-Unis. L'attentat à la bombe du vol d'Air India a fait 329 victimes innocentes. La plus grande partie de celles-ci venaient de quasiment toutes les provinces du Canada. Elles étaient de tous les milieux religieux, de foi bouddhiste, chrétienne, hindoue, djaïn, musulmane, sikh et zoroastrienne. Quatre-vingt-six des victimes avaient moins de 12 ans. Vingt-neuf familles, dont l'époux, l'épouse et tous leurs enfants, ont été annihilées. Trente-deux personnes ont perdu un conjoint ou une conjointe et tous leurs enfants. Sept parents ont perdu tous leurs enfants, et deux de moins de 10 ans ont perdu leurs deux parents. Un acte terroriste connexe a fait le même jour deux victimes, des bagagistes de l'aéroport Narita de Tokyo. Les criminels terroristes nous ont privés de nos droits démocratiques canadiens à la vie et à la liberté, à la paix et à la prospérité. Malheureusement — et c'est là l'une des contraintes du système canadien —, les véritables coupables vivent encore en liberté au Canada et ailleurs.
En tant que familles des victimes de l'attentat à la bombe du vol d'Air India, nous avons souffert et continuons de souffrir le deuil et la douleur, un sort que nous ne souhaitons à aucun autre Canadien en conséquence d'actes terroristes violents. Notre mission consiste en partie à parler des effets du terrorisme, de la violence et des enjeux liés au terrorisme pour nous assurer que le Canada est plus sûr et sécuritaire pour ses citoyens.
Presque toutes les dispositions du projet de loi C-51 ont été adoptées, avec quelques distinctions, par une ou plusieurs autres démocraties occidentales, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la France. Nous demandons sincèrement votre soutien pour protéger les Canadiens contre les actes de plus en plus nombreux de terrorisme.
J'aimerais maintenant parler des dispositions particulières du projet de loi, par rapport à l'attentat du vol 182 d'Air India.
L'une de ces dispositions autorise des institutions du gouvernement à divulguer des renseignements à d'autres institutions du gouvernement qui ont des compétences ou des responsabilités liées aux activités qui sapent la sécurité du Canada. La commission d'enquête sur le vol 182 d'Air India, sous la présidence du juge John Major, a clairement relevé le manque de partage des renseignements entre la GRC et le SCRS avant l'attentat à la bombe d'Air India.
Les familles sont fermement convaincues qu'une bonne mise en commun des renseignements entre le SCRS et la GRC aurait pu prévenir cet attentat. Cette mise en commun des renseignements aurait en outre contribué à accélérer les enquêtes sur ce crime après le fait. N'oublions pas qu'il a fallu 15 ans avant que des accusations puissent même être portées. Et, oui, si le SCRS n'avait pas effacé les enregistrements électroniques sans consulter ni informer la GRC, le résultat des poursuites aurait pu être très différent. Le procès a abouti à l'acquittement des deux principaux suspects.
Une autre disposition du projet de loi C-51 porte sur les engagements à ne pas troubler l'ordre public, engagements liés à une activité ou à une infraction terroriste. Les Canadiens savent très bien que plusieurs personnes soupçonnées d'activités terroristes étaient sous surveillance depuis déjà quelque temps avant l'attentat à la bombe du vol d'Air India. Cette disposition du projet de loi C-51, si elle avait été appliquée à l'époque, aurait pu contribuer à éviter cet attentat.
La partie 4 du projet de loi autorise le SCRS à prendre des mesures, au Canada et à l'étranger, pour réduire la menace contre la sécurité du Canada, y compris des mesures autorisées par la Cour fédérale. Ainsi, non seulement le SCRS suivra les terroristes potentiels ou les risques pour la sécurité, mais il pourra aussi prendre des mesures pour perturber leurs activités et empêcher leur exécution.
Nous savons tous que le SCRS était au courant — tout le monde l'a probablement entendu dire, après la commission Major — de l'essai qu'avaient fait des terroristes potentiels, d'un dispositif explosif sur l'île de Vancouver. Ce dispositif ne pouvait, en aucun cas, être destiné à des fins pacifiques. En vertu de cette disposition, le SCRS aurait pu perturber l'activité terroriste avant qu'elle ne soit exécutée, et il est très probable que les 331 victimes, ces hommes, ces femmes et ces enfants innocents n'auraient pas été assassinés.
Il convient aussi de répéter que des démocraties occidentales — comme la France, le Royaume-Uni, l'Australie et les États-Unis — ont déjà des politiques semblables. Avec ce projet de loi, nous ne faisons que suivre leur exemple. Le Canada a une responsabilité à assumer, non seulement à l'égard des Canadiens, mais du reste du monde, celle de faire tout en son pouvoir pour lutter contre le fléau mondialisé et changeant du terrorisme.
En résumé, nous pensons sincèrement que le projet de loi C-51 aura une portée fortement dissuasive et nous protégera des actes de terrorisme toujours plus nombreux et en évolution. Forts de notre expérience directe des suites de l'acte de terrorisme le plus haineux qu'ait connu le Canada, l'attentat à la bombe du vol d'Air India, nous demandons à tous les sénateurs d'appuyer le projet de loi C-51 pour qu'aucun Canadien n'ait encore à souffrir comme nous l'avons fait.
Je vous remercie.
Le président : Monsieur Mann, vous avez la parole.
Gurdev Mann, président, North York Sikh Temple : Monsieur le président, M. Gupta a déjà exposé la plupart de nos arguments, mais j'aurais encore trois choses à ajouter.
Tout d'abord, les organisations religieuses ont appris à se protéger contre la reddition de comptes derrière le bouclier de la tolérance, de la liberté et du système judiciaire du Canada, de même que d'autres pays.
Deuxièmement, l'apologie du terrorisme est très dangereuse, et malheureusement, bien des gens se laissent séduire par l'éloge qu'on en fait dans les lieux de culte et dans certains médias. Par exemple, voici ce qu'a imprimé un journal en première page. On voit ici les deux gardes du corps sikhs d'Indira Gandhi qui l'ont assassinée, et on lit que ce sont là les deux personnes les plus courageuses de la planète et que tous les sikhs devraient suivre leur exemple. C'est ce que prônent actuellement au Canada beaucoup de membres de la plus jeune génération. C'est ce qui se passe maintenant. Le gouvernement doit absolument s'en inquiéter.
Ce sur quoi je veux insister, c'est que les gens qui font cette apologie de la violence ne sont pas visés par le projet de loi C-51, alors qu'ils devraient l'être. Quiconque, que ce soit au nom de la religion ou par bravade, tient ce genre de discours à la radio ou dans les journaux, ou même dans un lieu de culte, doit être tenu responsable et être poursuivi devant les tribunaux.
Deuxièmement, bien des gens viennent ici d'autres pays, en se faisant passer pour des prédicateurs religieux. Ils viennent prêcher la haine. Le gouvernement le sait, mais personne n'ose le dire. Ces lieux devraient être surveillés. Plus important encore, ce sont les écoles dirigées par certaines organisations religieuses. Il y en a qui ne sont pas des organisations religieuses. Qui dirige ces écoles? Aucune vérification n'est faite à leur sujet. Actuellement, elles dirigent des centaines de ces écoles dans la région du Grand Toronto — il y en a maintenant des centaines. Ces écoles peuvent ouvrir leurs portes librement, où elles veulent. Qu'enseignent-elles? Que prêchent-elles? Personne ne le sait.
Je suis moi-même allé dans des écoles, et j'y ai entendu ces discours. Je n'en croyais pas mes oreilles. Cela n'a rien à voir avec la laïcité, mais c'est enseigné. Comment contrôler cela?
Je pense que le projet de loi C-51 ne va pas assez loin. Nous avons entendu les protestations relativement aux droits de la personne, aux droits individuels, et cetera. Bien sûr, quand on met en œuvre ce genre de mesures, des gens peuvent en être victimes, mais il devrait exister un mécanisme pour ce genre de cas. Il ne faut pas, en aucun cas, permettre à ces gens de continuer de prêcher la haine.
Je vous remercie.
Balraj Deol, à titre personnel : Honorable président, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Pour contrer la menace de la radicalisation et du terrorisme intérieur, nous devons trouver des moyens de s'occuper des gens qui provoquent, incitent et radicalisent les jeunes Canadiens en se faisant passer pour des victimes, en exagérant les torts qu'ils ont subis ou en faisant valoir de présumées injustices allégées et des conflits en terres étrangères.
Le gouvernement fédéral tient une liste publique d'entités terroristes, comme Lashkar-e-Taiba, Al-Qaïda, l'État islamique, Babbar Khalsa International et l'International Sikh Youth Federation. L'appartenance à ces entités n'est toutefois toujours pas considérée comme un crime. Cela doit changer et le Code criminel du Canada doit être modifié afin que nous puissions lutter contre le terrorisme de façon cohérente en intentant des poursuites contre les membres de groupes terroristes.
Pour ceux d'entre nous qui ont longuement lutté contre l'extrémisme dans nos quartiers canadiens et dans le monde entier, il ne fait aucun doute que l'apologie est à la source de bien des activités terroristes et de tragédies que vit le monde contemporain. Si les groupes terroristes islamiques, Khalistani et autres, investissent tellement dans les vidéos et d'autres outils de propagande, c'est parce que c'est très efficace.
Que ce soit pour recruter, inspirer des attaques ou mettre en œuvre de vieilles stratégies éprouvées dans la guerre psychologique, les terroristes et leurs amis d'ici et d'ailleurs savent que l'apologie du terrorisme poussera bien des gens à agir et fera avancer leurs sanglants desseins. Nous devons en prendre acte et agir pour mettre fin à cette mortelle propagande. Ce faisant, nous devons réfléchir à la terrible pratique constatée dans certaines institutions religieuses du pays, qui consiste à afficher dans les lieux de culte le portrait de soi-disant « martyrs » — qui ne sont en réalité que des terroristes assassins.
Une attention particulière doit être portée au terrible fait qu'un grand nombre de nos enfants traversent leurs années de développement, pendant lesquelles se forment les attitudes, en présence de ces mortelles images affichées dans des gurdwaras de ma communauté. Bon nombre de ces gurdwaras font l'école les fins de semaine et l'un d'eux est adjacent à une école primaire. On voit sur les murs de ce gurdwara, un organisme de bienfaisance enregistré, des dizaines de portraits de terroristes, y compris celui de Talwinder Singh Parmar, le maître d'œuvre de l'attaque à la bombe du vol Air India.
Lorsque l'extrémiste khalistani Ajaib Singh Bagri s'est vanté d'avoir tué 50 000 hindous lors de la conférence fondatrice de l'Organisation mondiale sikh, en 1984, bon nombre d'entre nous, y compris les agences de renseignement, ne l'ont pas pris au sérieux. L'année suivante en sol canadien, des terroristes ont posé la bombe qui a fait 329 victimes à bord du vol 182 d'Air India. Jusqu'à l'attentat du 11 septembre, cet assassinat de masse a été le pire massacre terroriste de toute l'histoire de l'aviation civile.
À l'époque, la plupart des extrémistes khalistanis étaient des immigrants d'origine indienne. Maintenant, des Canadiens de première et deuxième génération dirigent ce mouvement, et sont équipés d'outils modernes de propagande, mais ils savent très peu de choses sur l'Inde. C'est une combinaison dangereuse. Les portraits de terroristes font désormais partie des défilés annuels Vaisakhi qui se déroulent dans nombre de villes du Canada, y compris Surrey et Toronto. Les chars allégoriques et les scènes de spectacle sont décorés de portraits de terroristes. Les terroristes sont encensés et loués comme des héros, et des slogans sont scandés appelant à défendre leur « vision » des choses. On incite les enfants à scander ces slogans, à monter sur ces chars allégoriques chargés de portraits de terroristes ou à défiler derrière ces chars.
Dans la photo que j'ai jointe à mon document, le char que vous voyez faisait partie du défilé qui a eu lieu le 3 mai 2015 à Malton. Les enfants assis sur le pare-choc arrière de ce char allégorique scandaient des slogans politiques sectaires, sans peut-être même savoir de quoi il retournait.
J'ai une vidéo identifiée 1A.
[Présentation audiovisuelle]
Les enfants assis à l'arrière du char allégorique qui arbore des portraits de terroristes sont nés au Canada. Parmi ces portraits, on remarque les assassins de Mme Gandhi, les assassins d'un général indien à la retraite, les assassins d'un premier ministre élu de la région du Pendjab, et d'autres individus arrêtés et derrière les barreaux. Ces portraits sont là à l'arrière du char allégorique où les enfants sont installés et crient.
J'ai une autre vidéo où l'on voit un groupe qui transporte le drapeau Khalistani en criant qu'ils vont défendre la vision et l'idéologie de certains terroristes. Pendant qu'ils scandent ces slogans, ils nomment certains terroristes puis disent : « Nous défendrons votre idéologie et votre vision. » J'ai cette petite vidéo à vous montrer.
[Présentation audiovisuelle]
Il ne s'agit pas d'une manifestation; c'est une célébration qui donne lieu à une manifestation. Ce sont des groupes religieux. Il s'agit de la fête annuelle Vaisakhi et ils nomment certains terroristes et d'autres groupes en disant : « Nous défendons votre vision ».
J'ai une troisième vidéo, également captée pendant le défilé Vaisakhi, dans le stationnement d'un autre temple, qui est une œuvre de bienfaisance enregistrée.
[Présentation audiovisuelle]
Cette vidéo provient d'Internet. Elle a été captée pendant le défilé Vaisakhi de 2012, qui partait du gurdwara de Malton et se terminait au centre spirituel sikh de Rexdale, une œuvre de bienfaisance enregistrée. La vidéo a été enregistrée dans le stationnement de ce temple. Le groupe qui y scande des slogans...
Le président : C'est à Toronto?
M. Deol : C'est à Toronto. Rexdale fait partie de Toronto. Le groupe scande des slogans qu'on appelle Baba Deep Singh Gatka Akhara. Essentiellement, ils enseignent les arts martiaux sikhs. La plupart de ces jeunes sont des sikhs nés au Canada. Ils brandissent des épées dégainées et d'autres armes traditionnelles. En même temps, ils scandent les mêmes slogans, selon lesquels ils sont solidaires d'un certain terroriste qu'ils identifient, et ils crient : « Nous allons défendre votre vision. »
Il n'y a rien de mal à enseigner les arts martiaux sikhs, mais l'enseignement politisé d'arts martiaux exige qu'on y prête attention. Je crois fermement que de telles activités radicalisent les jeunes sikhs et qu'elles prennent de plus en plus de place dans notre environnement.
Une partie des médias canadiens pendjabi font la promotion de l'extrémisme et doivent être surveillés. Au Canada et ailleurs, les tendances à la hausse de l'activité terroriste et extrémiste sont alarmantes, et exigent la création d'un bureau de poursuites distinct et spécialisé au sein du ministère de la Justice. Nous avons besoin d'un tribunal distinct et spécialisé en matière d'activités terroristes. De telles mesures adaptées au jugement d'infractions terroristes permettraient de développer une expertise et une sécurité nécessaires pour traiter des questions de radicalisation et de terrorisme.
Merci de m'avoir donné l'occasion de témoigner.
Le président : Merci.
Sénateur Mitchell et ensuite le sénateur Runciman.
Le sénateur Mitchell : Merci. J'ai très souvent participé aux célébrations du jour Vaisakhi et je n'ai jamais vu ce que vous décrivez. Sans vouloir minimiser la portée du phénomène, je tiens cependant à dire que cela ne concerne pas la majorité de la communauté sikhe au Canada. Cette communauté a fait d'énormes contributions et elle est composée de Canadiens tout à fait remarquables qui contribuent chaque jour à notre pays. Il s'y trouve peut-être des terroristes et des criminels violents, mais soyons prudents dans la façon dont on décrit la communauté sikhe. Je trouve très troublant de dénigrer si largement cette communauté.
Monsieur Gupta, je comprends que vous avez vécu une expérience horrible. Nous pouvons à peine nous imaginer ce que vous avez vécu. Toutefois, comprenez-vous que ce projet de loi ne créera peut-être pas l'effet dissuasif que vous croyez? Le projet de loi pourrait — en tout cas selon les avis juridiques que nous avons reçus — rendre les poursuites encore plus difficiles. En fait, l'une des raisons pour lesquelles il n'y a pas eu de poursuite dans l'affaire d'Air India, est que le SCRS avait refusé de révéler sa source, à laquelle il avait offert l'immunité. Quelle analyse juridique vous amène à croire que ce projet de loi créera un plus grand effet dissuasif? Sur quelle base ou expertise législative vous fondez- vous pour réfuter les arguments présentés par les experts juridiques qui nous ont laissés entendre le contraire?
M. Gupta : Dès le départ, sénateur, j'ai dit que je n'étais pas juriste. Je m'en remets à vous et aux avocats. Je vous ai dit ce que ressentaient les familles. Ce sont des observations sur nos libertés, notre démocratie et notre charte des droits que des criminels utilisent pour faire la promotion de la violence envers les citoyens respectueux de la loi. Une personne qui a fait de la prison a reçu quelqu'un chez lui pendant une semaine, mais refuse de dire qui c'était. J'attends toujours des réponses à de telles questions.
Nous parlons de liberté et de vie privée. Pour moi, la vie privée d'une centaine de personnes ne veut rien dire s'il y a des conséquences sur une mère de 84 ans qui ne peut même pas pleurer après avoir perdu son fils, sa belle-fille et leurs trois enfants que j'avais accompagnés à l'aéroport. Les droits des gens sont importants. Bien sûr, j'ai aussi besoin de droits, mais lorsqu'ils empiètent sur la vie et la liberté des autres, il faut y réfléchir.
Le sénateur Mitchell : Eh bien, il faut trouver un équilibre entre les droits civils et les protections, et cela serait facile de le faire en ajoutant certaines mesures au projet de loi.
Vous dites que ce projet de loi contient des éléments qui se trouvent dans les lois d'autres pays. J'imagine que vous parlez des pays du Groupe des cinq, qui sont nos alliés. Eh bien, ils ont aussi prévu une surveillance parlementaire. Seriez-vous d'accord pour dire que nous devrions en avoir une? N'êtes-vous pas d'accord avec ça?
M. Gupta : Je ne suis pas d'accord ou en désaccord. Comme je l'ai dit, c'est à vous de décider. Je veux que le projet de loi C-51 soit adopté. Si vous devez changer quelque chose, faites-le. Mais d'après moi, il y a des protections. Les cours fédérales doivent être consultées avant d'agir. Le SCRS est surveillé par le CSARS, et on me dit que les ressources du CSARS seront doublées ou probablement doublées pour être en mesure de gérer l'augmentation de la charge de travail. Puis il y a les exigences par rapport au procureur général, et vous avez le droit de questionner le procureur général au Parlement. Il n'y aura jamais un contrôle à 100 p. 100 de quoi que ce soit. En tant que citoyen ordinaire — je ne suis pas un constitutionnaliste — ces contrôles me semblent suffisants.
Le sénateur Runciman : Merci, messieurs, pour vos exposés très intéressants.
Vous avez parlé de la glorification des terroristes. Monsieur Mann, puisque vous avez été assez précis à ce sujet, j'imagine que vous avez examiné le projet de loi C-51 selon lequel : « Quiconque, sciemment, par la communication de déclarations, préconise ou fomente la perpétration d'infractions de terrorisme en général... » Vous ne croyez pas que cela est suffisant? Est-ce que c'est ce que vous dites au comité? Pensez-vous qu'il faut aller encore plus loin pour s'occuper des gens qui ont fait paraître cette publicité, par exemple, ou afficher cette photo, afin que cela soit couvert par cet article du projet de loi? Je ne suis pas certain que ça le serait, mais peut-être.
M. Mann : D'après moi, cela ne va pas assez loin. C'est parce que les gens qui prêchent cette haine ne seront pas facilement trouvés.
Deuxièmement, même si on les trouve, la plupart du temps, les agents d'application de la loi hésitent à agir — personne ne peut entrer dans un lieu de culte. Si jamais vous parliez de faire ça, vous verriez un tollé de gens qui disent qu'ils sont accusés sans raison suffisante.
Le sénateur Runciman : C'est donc une patate chaude politique.
M. Mann : Voilà le problème. Il faut être très clair : une fois que vous dépassez les limites, c'en est fait de vous.
Le sénateur Runciman : Contrairement au sénateur Mitchell, j'ai lu à propos de politiciens, éminents ou provinciaux, qui prenaient part à ce genre de défilés dans lesquels sont glorifiés des gens qui ont été, par exemple, accusés pour l'attentat d'Air India.
M. Gupta : Puis-je ajouter quelque chose?
Le sénateur Runciman : Bien sûr.
M. Gupta : C'est une chose d'avoir des croyances personnelles, quelles qu'elles soient, mais glorifier publiquement — et non seulement cela, mais si je comprends bien, dans le sikhisme, on ne devrait pas adorer d'idoles. En affichant ces photos dans les temples, peut-être qu'ils vont même à l'encontre de la doctrine sikhe.
Deuxièmement, j'ai travaillé dans l'ombre au cours des cinq ou sept dernières années, et le plus grave problème, c'est la rectitude politique. Lorsqu'on sait qu'il y a des choses qui sont mal faites, on n'agit pas. En plus, mais indirectement — et je ne pointe pas un parti en particulier — nos politiciens participent involontairement à la glorification du terrorisme lorsqu'ils sont présents dans ces défilés sans savoir ce que représentent les photos. Les responsables utilisent ce moment de gloire pour dire : « Oh, tel ministre est venu. Tel député est venu au défilé. Vous l'avez vu. »
Peut-être qu'il devrait y avoir un code d'éthique non écrit pour les politiciens afin qu'ils ne s'associent pas involontairement à la glorification de la violence et du terrorisme en participant à des événements, alors qu'ils n'en comprennent pas le contexte.
Le sénateur Runciman : Si possible, je vous encourage à répondre de façon plus concise, parce que je sais que beaucoup d'entre nous veulent poser des questions.
Vous avez parlé des écoles utilisées pour faire la promotion de points de vue radicaux. Monsieur Deol, vous avez parlé de plus de 100 écoles. Est-ce dans la région métropolitaine de Toronto? Avez-vous dit cela?
M. Deol : Non, je n'ai pas parlé de 100 écoles.
M. Mann : J'en ai parlé.
Le sénateur Runciman : Je pense que vous sous-entendiez — c'est ce que j'en ai déduit en tout cas — que les enseignements dans ces écoles sont, disons, inappropriés. Sur quoi vous basez-vous pour dire cela? Vous êtes-vous plaints auprès des autorités? Si c'est exact, cela me semble assez important.
M. Mann : J'aimerais souligner une chose. Cette personne était un professeur. Il est décédé, mais c'était un professeur, et dans le temple, il enseignait librement toute la haine qu'il pouvait invoquer. Beaucoup d'enfants allaient là. Les parents les envoyaient. C'était gratuit. Il n'y avait aucuns frais, rien du tout. C'était gratuit.
Le sénateur Runciman : Il y a des lois sur la propagande haineuse au Canada. Pourquoi personne n'agit?
M. Mann : On l'a signalé souvent, mais parce que c'est un lieu de culte, personne ne veut affronter le problème.
M. Gupta : Un des accusés lors du procès d'Air India a déclaré que lui et ses comparses tueront 50 000 hindous. Cette organisation n'a jamais renié cette déclaration, et elle est active au Parlement.
M. Mann : Il l'a dit sur vidéo. Nous l'avons.
Le sénateur White : Merci d'être ici aujourd'hui.
Monsieur Gupta, pourriez-vous parler du financement du gouvernement fédéral pour le projet Kanishka? Je sais que vous avez une opinion à ce sujet.
M. Gupta : Les 10 millions de dollars annoncés par le premier ministre Harper à Montréal en 2011, à l'inauguration du monument commémoratif, se terminent l'an prochain. Nous aimerions que le financement se poursuive. À tout le moins, c'est ce que j'entends de la part des chercheurs.
Cela a été très utile pour la prévention du terrorisme. C'est ce qu'on m'a dit. Il y a des projets dans diverses universités et organisations pour réduire, atténuer et contrôler la promotion du terrorisme ou de la radicalisation. Ces projets se poursuivent. Chaque année, les chercheurs se réunissent et présentent leurs résultats. C'est un très bon programme.
La sénatrice Jaffer : Je veux vous souhaiter à tous les trois la bienvenue au comité. J'aimerais vous dire, parce qu'il y a des gens qui écoutent cette séance aussi, que vous êtes probablement d'accord avec moi pour dire que la majorité des communautés sikhes sont des communautés paisibles qui ne participent pas à ce genre de choses. Vous parlez d'un tout petit élément. Il ne faut pas s'y tromper, parce que les plupart des sikhs, comme les autres Canadiens, sont des citoyens très productifs.
Monsieur Gupta, je vous connais, et je sais que pendant de nombreuses années vous avez fait beaucoup d'effort pour faire connaître les accusations dans l'affaire Air India, parce qu'on n'avait pas l'impression que les tueurs d'Air India étaient canadiens. Vous croyez qu'il est très important que tous les Canadiens soient traités de la même façon, peu importe qui ils sont ou là où ils sont blessés. N'est-ce pas votre mission?
M. Gupta : C'est vrai que 99,9 p. 100 des gens de chaque religion, généralement, sont paisibles.
La sénatrice Jaffer : Vous avez déployé beaucoup d'efforts pour qu'il y ait des poursuites dans cette affaire.
M. Gupta : Pour Air India, il y en a eu au moins 18. J'ai fait le décompte un jour. Il y en avait de 18 à 26 sur la liste des victimes.
Ce n'est pas une religion en particulier. Le terrorisme reste du terrorisme, qu'il soit propagé ou fait par un hindou ou un musulman ou un chrétien ou n'importe qui d'autre. Ce 1 p. 100 ou 0,5 p. 100, quelle que soit cette minuscule portion, ruine les choses pour l'ensemble de la communauté. Non seulement cela, quelqu'un d'autre se plaindra. Et s'il le fait, il se fera probablement battre.
M. Mann : On m'a battu une fois.
M. Gupta : Le problème, c'est qu'il faut se débarrasser de la rectitude politique, et les politiciens doivent faire attention à qui ils s'associent, surtout lorsqu'ils ne comprennent pas la langue.
La sénatrice Jaffer : J'aimerais revenir au sujet dont parlait le sénateur Runciman. Divers pays ont des lois sur la propagande haineuse. En gros, vous dites qu'il faut utiliser ces lois pour poursuivre ceux qui ne les respectent pas, n'est-ce pas?
M. Gupta : Oui.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J'aimerais connaître votre opinion sur le sujet suivant. Nous avons regardé les vidéos. C'est difficile à comprendre, mais je crois que certains temples sikhs glorifient et promeuvent le terrorisme et les martyrs qui y participent; selon vous, combien de ces organisations au Canada sont considérées comme des organismes de bienfaisance reconnus?
[Traduction]
M. Gupta : Je n'ai pas de chiffres précis, mais ce n'est rien de nouveau. Même avant l'attentat d'Air India, il y avait des manifestations. Je ne vise pas une communauté en particulier. Il y a eu des signalements — la plupart du temps venant d'hindous — de TLET qui extorquaient de l'argent de Canadiens lorsqu'ils étaient actifs au Sri Lanka.
Je ne peux pas vous donner de chiffres. À Toronto, je connais deux ou trois temples — et ce ne sont pas tous les temples sikhs qui sont touchés, en passant. Mais c'est difficile. Encore une fois, c'est probablement à cause de la rectitude politique et la peur de l'inconnu.
Pour vous donner un exemple, l'un de vos amis — et j'utilise ce terme au sens large — qui était ministre du gouvernement fédéral a été battu — M. Dosanjh. Était-ce avant l'attentat d'Air India ou après?
M. Mann : Après.
M. Gupta : C'était après l'attentat d'Air India, parce qu'il avait osé parler.
Le vrai problème vient alors du fait que, comme l'a dit la sénatrice Jaffer, les règles ne sont pas appliquées, et cela les encourage. Surtout lorsque des politiciens participent à des événements qu'organisent ces gens, cela les encourage vraiment.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Le juge Major s'est présenté devant notre comité, et il a recommandé la création, au sein du Bureau du procureur général, d'un secteur distinct chargé des poursuites en matière d'actes terroristes. Il a aussi suggéré que des juges ayant une expertise en matière de terrorisme soient désignés pour entendre ce type de cause. Que pensez-vous de ces propositions? La question s'adresse aux trois témoins.
[Traduction]
M. Gupta : Je pense qu'il a parlé d'un tsar sur les affaires de terrorisme. Cela aurait été bon, et les familles auraient été très contentes, mais c'est vous qui pouvez prendre la décision finale à ce sujet. Les familles auraient aimé ça. Nous avons insisté auprès des autorités et du gouvernement pour que cela se fasse.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Est-ce que les autres témoins ont des commentaires?
[Traduction]
M. Deol : Je crois, sénateur, que ce serait la prochaine étape logique. Avant les attaques du 11 septembre, les pays occidentaux ne parlaient jamais de lois sur le terrorisme. Puis, nous avons fait l'expérience du terrorisme, et chaque pays s'est dépêché d'adopter de nouvelles lois pour lutter contre le terrorisme. Ensuite, l'État islamique est arrivé, et nous nous sommes hâtés d'améliorer ces lois. Je pense que la prochaine étape logique serait des tribunaux spéciaux. C'est inévitable.
Je dois ajouter une chose. Comme le sénateur Mitchell l'a dit, la plupart des communautés sikhes travaillent fort; nous en sommes deux exemples ici. Les 10 qui ont été arrêtés il y a quelques jours à Montréal n'étaient pas représentatifs de la communauté. Il y a toujours des marginaux dans chaque communauté. Lorsque j'en ai parlé et que j'ai montré les extraits vidéo, je parlais de ces marginaux qui pourraient menacer notre sécurité. Je ne voudrais jamais médire de l'ensemble de la communauté sikhe, à laquelle j'appartiens moi-même.
Le président : Chers collègues, j'aimerais poursuivre en parlant de l'éducation. Comme vous le savez, l'éducation est une responsabilité des provinces. Dans la région que je représente, le ministère de l'Éducation a la responsabilité de superviser les opérations quotidiennes du système d'éducation, que ce soit dans le secteur privé ou autre.
En Ontario, le ministère de l'Éducation doit-il faire une inspection régulière pour s'assurer que le programme est suivi et que ce qui est enseigné a été autorisé par le ministère?
M. Mann : Le ministère a ce pouvoir et peut l'appliquer. Le problème, c'est qu'il ne peut pas contrôler ce qui est enseigné ailleurs. Lorsqu'il y a des écoles religieuses et qu'on enseigne la haine aux enfants, cela ne fait pas partie du programme. C'est à l'extérieur du programme, mais ça a quand milieu lieu, et personne n'a le pouvoir de vérifier cela.
Deuxièmement, comme vous l'avez dit, c'est un enjeu provincial, mais si le gouvernement fédéral décide que cela devrait s'appliquer à l'ensemble du pays, ces directives devraient être suivies. Alors les provinces devraient le faire.
Le président : Je suis désolé de vous dire que ce n'est pas aussi simple qu'on le souhaiterait. Évidemment, chaque province a ses responsabilités constitutionnelles et doit s'en occuper.
Ce que peuvent faire les gouvernements est limité — le gouvernement fédéral, les provinces, les municipalités —, mais ce sont les communautés elles-mêmes qui doivent être prêtes à assumer certaines responsabilités, tout comme vous êtes ici aujourd'hui pour transmettre votre message.
Quelles sont vos attentes vis-à-vis de votre communauté en général qui est composée, évidemment, de Canadiens qui travaillent fort, pour qu'elle puisse résister à l'action menée par une poignée d'individus qui, quand même, peuvent nuire tellement à la communauté que vous représentez et à l'ensemble des Canadiens? Que pourraient faire de plus vos communautés pour collaborer avec les divers gouvernements et la population en général?
M. Mann : J'aimerais dire deux choses. Premièrement, la vaste majorité des gens vivent leur vie quotidienne et ne veulent pas se mêler de politique.
Mais ceux qui contrôlent les institutions sont violents, et si quelqu'un essaie de dénoncer la situation... Et comme je parle beaucoup, j'ai été battu.
Deuxièmement, par rapport au CRTC, M. Deol et moi avons déposé de nombreuses plaintes. Présentement, on prêche la haine ouvertement dans beaucoup d'émissions à la radio et à la télé. Nous nous sommes plaints au CRTC. Mais à chaque fois, rien n'est fait. Depuis plus ou moins un an, nous avons abandonné. Ça n'en vaut pas la peine. Si le CRTC ne peut pas contrôler la situation, qui peut le faire? Et c'est une responsabilité fédérale, pas provinciale.
Tous ces problèmes sont très graves et je pense que les politiciens devraient les prendre au sérieux. S'ils ne le font pas, le problème deviendra incontrôlable.
Le sénateur White : Je me demandais si je pouvais poser une question supplémentaire à ce sujet, monsieur Mann. Est-ce que vous avez également signalé cette propagande haineuse aux policiers locaux pour qu'ils voient si cela enfreignait les lois sur la propagande haineuse du Code criminel?
M. Mann : Nous l'avons fait, mais ils nous ont dit de porter plainte au CRTC, ce que nous avons fait par écrit — et pas seulement une fois, de nombreuses fois, en fait —, mais en vain. La police a dit que cela ne relevait pas d'elle et qu'elle ne pouvait rien faire.
Le sénateur White : Est-ce la même chose pour les autres témoins? Est-ce que vous avez signalé cette propagande haineuse aux policiers pour voir si cela contrevenait à la loi?
M. Deol : En constatant des infractions aux normes dans les émissions de radio, j'ai déposé des plaintes à maintes reprises, sans que rien ne se passe malgré des échanges de lettres. À une seule occasion, cela a abouti, après trois à quatre années de plaintes, à une réprimande à l'endroit d'une personne de la part du CRTC. À part cela, à peu près rien n'est fait.
M. Gupta : L'attitude est toujours la même attitude qu'à l'époque de l'attentat d'Air India, on pense que c'est un problème indien. Je répugne à le dire, mais ils disent que ce n'est pas leur problème, mais celui de la communauté.
Le sénateur Mitchell : Qui sont ces « ils »?
M. Mann : Il y a un autre problème du côté des autorités. J'ai été gravement battu par une trentaine de personnes. L'une d'elles a été accusée par la police, sans que rien ne se passe pendant à peu près un an. Lorsque j'ai cherché à savoir où en était l'affaire, on m'a dit que le dossier avait été fermé, faute de preuve. On ne s'était même pas donné la peine de m'en aviser.
J'ai appris, par ailleurs — et c'est là un autre problème —, que certains agents provenant de minorités ethniques travaillaient dans les ministères et dans les forces policières, et se servaient de leur influence pour défendre la cause de ces gens.
Le sénateur Runciman : Je voulais seulement souligner que le projet de loi C-51 fait de l'apologie du terrorisme une nouvelle infraction en vertu du Code criminel.
M. Gupta : Je ne pense pas que l'apologie figure dans le projet de loi C-51. Seul est mentionné le fait de préconiser ou de fomenter. Préconiser, c'est inciter quelqu'un à faire quelque chose. L'apologie consiste à applaudir à certains actes.
La sénatrice Jaffer : Un martyr.
M. Gupta : L'apologie ne consiste pas à inciter quelqu'un à faire quelque chose, mais à faire les éloges de certains actes.
Le président : Pour mettre les choses au clair, vous parlez de gens qui ont participé directement au terrorisme, ou dont la participation au terrorisme a été reconnue, et qui dans certains cas ont été condamnés, et en même temps, on fait l'apologie de leur action et on les fait passer pour des martyrs aux yeux de la collectivité. Est-ce cela ce que vous voulez dire?
M. Gupta : Oui.
Le sénateur Mitchell : Il me semble que cette situation est prévue dans le projet de loi. Je serais d'accord avec le sénateur Runciman à ce sujet.
Ce dont vous parlez c'est du fait de préconiser, qui est également prévu dans le projet de loi.
M. Gupta : Le projet de loi parle de préconiser ou de fomenter, d'après ce que je comprends.
Le président : Il faut se demander si l'interprétation va aussi loin.
Le sénateur Mitchell : Il faut justement se le demander. Si vous avez raison — et il faut en avoir le cœur net —, si la police n'exerce pas les pouvoirs qui sont les siens, à quoi bon en ajouter d'autres? Est-ce que cela va améliorer la situation?
M. Gupta : C'est une très bonne question. Ce n'est pas couvert.
Le sénateur Mitchell : Surtout parce que ces pouvoirs supplémentaires mettraient en péril les droits d'autres personnes. C'est peut-être plutôt un de pouvoirs que la police a déjà, mais qu'elle n'applique pas.
Le président : Je pense que l'on peut dire, sénateur — et nous conclurons là-dessus —, que vous avez votre opinion à ce sujet et que d'autres en ont une autre.
Le sénateur Mitchell : C'est tout ce que je dis.
Le président : Quant au projet de loi dont nous sommes saisis, on nous a dit que la plupart des pays occidentaux sont en train de faire une refonte majeure des lois concernant les agences de renseignement et d'application de la loi afin qu'elles puissent s'occuper des problèmes que vous nous avez présentés, ainsi que de nombreux autres.
Cela dit, j'aimerais vous remercier de votre présence, mais aussi de votre courage. Je sais que ce n'est pas facile d'exprimer dans une tribune publique le message que vous nous avez transmis. J'apprécie, tout comme les autres sénateurs, le travail acharné que vous accomplissez.
Sont présents pour cette deuxième heure d'étude du projet de loi C-51, l'honorable Steven Blaney, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile; M. François Guimond, sous-ministre de Sécurité publique Canada; M. Michel Coulombe, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité; et M. Bob Paulson, commissaire de la Gendarmerie royale du Canada.
Monsieur le ministre, je vous remercie de vous être libéré de votre emploi du temps très chargé pour vous joindre à nous à l'occasion de l'examen du projet de loi C-51. Comme vous le savez, nous avons eu au cours des dernières semaines une série de réunions pour procéder à l'étude préliminaire du projet de loi et pour entendre plus de 45 témoins.
Nous sommes ravis de vous accueillir une deuxième fois et nous avons hâte d'entendre vos observations à propos des amendements qui ont été adoptés à l'autre endroit, de même que toute mise à jour que vous souhaiteriez présenter au comité.
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
L'honorable Steven Blaney, C.P., député, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile : Merci beaucoup, sénateur Lang. Encore une fois, merci de vous occuper aussi rapidement et de façon aussi exhaustive de cet important projet de loi, puisque vous l'avez examiné en détail avec plus de 45 témoins. Comme vous venez de le dire, il a été examiné attentivement à la Chambre des communes, où j'ai aussi témoigné.
J'aimerais vous remercier pour votre étude et votre examen du projet de loi. Mais j'aimerais aussi vous dire que je suis plus convaincu que jamais de sa nécessité, surtout après ce que nous avons vu la semaine dernière à Montréal. En résumé, j'ai toujours dit qu'il n'y avait pas de liberté sans sécurité. Non seulement je crois qu'il n'y a pas de liberté sans sécurité, mais il n'y a pas non plus de prospérité. Nous l'avons vu par les cibles identifiées par les terroristes.
[Français]
Effectivement, il s'agit de ma seconde comparution devant le comité en compagnie de gens pour qui j'ai beaucoup d'estime : le commissaire Bob Paulson, de la Gendarmerie royale du Canada, M. Michel Coulombe, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, ainsi que mon chef de cabinet, M. François Guimont.
Votre travail nous permet de franchir une étape importante pour protéger les Canadiens et les Canadiennes contre la menace terroriste.
[Traduction]
Les Canadiens connaissent les menaces que font peser, non pas dans un avenir et un pays lointains, le djihadisme violent, la radicalisation et les attaques terroristes. Nous l'avons vu à Montréal la semaine dernière, avec ces 10 jeunes. Comme vous le savez, il y a eu aussi l'attaque du Parlement fédéral. Il y a eu un complot en Colombie-Britannique, la tour du CN, les 18 de Toronto et le complot visant VIA Rail.
[Français]
Les terroristes ont aussi frappé en France, en Australie, au Danemark et ailleurs. L'entité qui nous cible est un califat terroriste connu comme l'État islamique ou ISIS.
M. Coulombe a affirmé que des gens et des groupes violents veulent tuer des Canadiens. La première responsabilité d'un gouvernement, c'est de fermer les interstices qui peuvent se trouver dans ses lois et qui sont exploités par ces gens qui veulent s'attaquer à nos citoyens.
[Traduction]
Toutefois, malgré le fait que la menace soit claire et réelle, certaines préoccupations ont été soulevées. Que l'on émette des réserves ici ou dans l'autre endroit ou dans les médias, il n'en demeure pas moins que la plupart des préoccupations soulevées étaient surtout non fondées. Je suis ravi de l'occasion qui m'est donnée de prendre du recul et de recentrer le débat sur les faits et sur ce que fait réellement la Loi antiterroriste de 2015.
[Français]
Nous savons que des Canadiens tombent sous l'influence de campagnes de recrutement menées par des terroristes et qu'ils quittent le Canada afin de participer à des actes de violence en Syrie, en Irak et à d'autres endroits dans le monde.
[Traduction]
Nous sommes au courant du processus de radicalisation. Tout au long de l'étude du projet de loi, vous vous êtes rendu compte qu'il va permettre d'améliorer les outils qui visent à s'attaquer à la radicalisation. Cela fait partie de notre stratégie.
[Français]
Nous savons que nos lois ne sont pas aussi robustes qu'elles devraient l'être et que nos agences de sécurité nationale doivent disposer de meilleurs outils pour lutter contre le terrorisme et atténuer la menace que représentent les voyageurs qui se déplacent à des fins terroristes.
[Traduction]
Nous avons constaté à la GRC et dans d'autres instances des cas précis où les renseignements de sécurité nationale n'étaient pas communiqués en temps opportun à cause du fonctionnement en vase clos des différentes bureaucraties. Nous allons mettre fin à ces vases clos au sein du gouvernement fédéral. Ce sera là une des grandes réalisations de ce projet de loi.
Le projet de loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada permettra de modifier les limites et interdictions légales et de préciser les pouvoirs qui ont contribué à retarder ou à empêcher la communication de renseignements.
On ne saurait trop insister sur une communication de renseignements en temps opportun. Les terroristes djihadistes remportent des victoires parce qu'ils font preuve de souplesse et savent rajuster leurs plans et leurs activités en fonction des obstacles. Nous nous devons d'être tout aussi agiles, souples et adaptables qu'eux. Or, le travail en vase clos au sein de la bureaucratie présente un risque grave à la sécurité des Canadiens.
[Français]
Grâce à la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, les institutions du gouvernement du Canada auront le pouvoir de présenter des renseignements essentiels à nos organismes de sécurité nationale dans les cas où il faudra agir rapidement.
Deuxièmement, le Programme de protection des passagers, sous sa forme actuelle, ne vise que les personnes soupçonnées de poser une menace à la sécurité du transport.
[Traduction]
L'élargissement du programme donnera aux autorités des outils adéquats pour s'attaquer à ceux qui se déplacent à des fins terroristes. De cette façon, nous pourrons mieux protéger la vie, non seulement des Canadiens innocents, mais aussi des gens dans le monde.
[Français]
On sait aussi que le Service canadien du renseignement de sécurité se trouve dans une position unique pour utiliser son expertise afin de prendre des mesures en amont pour contrer les menaces, mais il n'a pas le mandat d'aller au-delà de la collecte et de l'échange de renseignements.
[Traduction]
Monsieur le président, nous allons combler cette lacune en élargissant le mandat, non seulement du SCRS, mais aussi de son organe de surveillance.
[Français]
Le gouvernement permettra donc au Service canadien du renseignement de sécurité d'utiliser son expertise comme levier en vue de prendre des mesures raisonnables et proportionnelles pour contrer les menaces, s'il y a lieu, et les empêcher d'évoluer. Il s'agit d'une amélioration importante dont nous avons grandement besoin.
[Traduction]
Monsieur le président, soyons clairs, contrairement aux propos exagérés tenus par des soi-disant experts, le SCRS ne deviendra pas une police secrète. Il n'en a pas le mandat. Ce service ne peut procéder à des arrestations. Les nombreuses observations faites dans le public à cet égard sont tellement ridicules qu'elles ne méritent même pas d'être relevées. Pour rassurer tout le monde, le comité de l'autre endroit a modifié le projet de loi pour bien préciser que le SCRS ne dispose pas de pouvoirs d'application de la loi.
[Français]
Qui plus est, le SCRS devra obtenir un mandat pour toute mesure jugée intrusive et perturbatrice, comme il le fait actuellement dans le contexte de la collecte de renseignements.
De plus, la Loi antiterroriste de 2015 donnera les moyens à nos autorités de déjouer les attaques prévues afin de débarrasser nos rues des menaces le plus rapidement possible, d'éliminer la propagande terroriste et d'empêcher les terroristes de voyager et de faire du recrutement.
[Traduction]
Notre gouvernement n'a pas à s'excuser de vouloir assurer la sécurité des Canadiens, qui est notre priorité absolue. Nous ne permettrons pas à des groupes terroristes de menacer nos droits et libertés. Nous n'allons pas adoucir notre approche.
De plus, nous avons apporté certains changements. Nous avons proposé dans l'autre endroit des amendements à ce projet de loi pour qu'il soit bien clair qu'en matière d'échange d'information, de défense des droits, de manifestations, de dissidences et d'expressions artistiques, que tous ces éléments ne soient pas compris dans la définition d'« activité portant atteinte à la sécurité du Canada ». Le SCRS ne se voit pas attribuer des pouvoirs d'application de la loi et des limites sont imposées aux pouvoirs du ministre dans le cadre du programme de protection des passagers bonifié. Voilà les amendements qui ont été apportés.
Comme vous le savez, le budget prévoit des ressources additionnelles pour la GRC, le SCRS et l'ASFC. Des ressources additionnelles seront également accordées à l'organisme de surveillance des activités du SCRS ainsi que pour renforcer la sécurité dans la Cité parlementaire.
[Français]
Ces sommes seront donc investies, monsieur le président, afin de permettre une allocation des ressources en fonction des priorités tout en maintenant le cap sur la lutte au terrorisme.
[Traduction]
Avant de conclure, j'aimerais aborder quelques points qui, d'après ce que j'ai remarqué, ont été constamment soulevés dans ce comité. J'ai constaté une nette volonté d'exiger que le SCRS rende compte tous les ans à son organe d'examen de l'exécution des mandats. Tout d'abord, j'aimerais faire remarquer que le CSARS a déjà, s'il souhaite l'exercer, le pouvoir de prendre connaissance de ces renseignements et de les examiner. En outre, je serais heureux d'envisager une telle mesure, sous forme de directive ministérielle, après la sanction royale.
Des membres du comité ont également attiré l'attention sur la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, que l'on se propose d'édicter. Ces sénateurs désireraient que les ministères consultent le commissaire à la protection de la vie privée durant l'élaboration des ententes d'échange de renseignements. J'ai, par ailleurs, le plaisir d'annoncer que, au cours de la préparation de ces ententes, les ministères soumettront au commissaire une analyse des facteurs relatifs à la vie privée. Si ce projet de loi reçoit la sanction royale, cette mesure sera mise en place durant l'été.
[Français]
En guise de conclusion, lorsqu'on s'arrête pour prendre du recul par rapport aux idées fausses et aux craintes qui sont véhiculées, il devient évident, à la lumière des faits, que la Loi antiterroriste de 2015 est une approche rationnelle, raisonnable et nécessaire pour protéger les Canadiens contre la menace terroriste. Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre pendant que les terroristes planifient leur prochain attentat. Procédons maintenant à l'adoption de la Loi antiterroriste de 2015.
Je me mets maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci, monsieur le ministre, d'être venu vous faire entendre aujourd'hui. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir suivi nos délibérations au cours des dernières semaines, car vous avez fait référence à certaines des recommandations formulées par nos témoins.
Avant de commencer la ronde de questions et de céder la parole au vice-président, pourriez-vous, de concert avec d'autres témoins, faire le point sur la menace actuelle perçue par le Canada?
M. Blaney : Je commencerai et laisserai M. Coulombe poursuivre.
Comme vous le savez, le premier ministre Harper se trouvait la semaine dernière à Montréal, où une dizaine de jeunes s'apprêtaient à voyager à des fins terroristes. Nous savons tous que la menace est bien réelle et que nous devons rester vigilants. Nous devons également intervenir pour décourager les gens attirés par le terrorisme. Voilà pourquoi nous devons poursuivre notre stratégie de prévention en quatre volets.
Je vais maintenant laisser M. Coulombe vous dire quelques mots sur la menace actuelle.
Michel Coulombe, directeur, Service canadien du renseignement de sécurité : Avant d'aborder la question de l'État islamique, car c'est là le sujet de notre discussion, je tiens à faire remarquer qu'on ne devrait pas perdre de vue les autres menaces terroristes auxquelles nous devons encore faire face. J'ai parlé du Hezbollah, mais il y a aussi ce que nous appelons le noyau d'Al-Qaïda qui continue de représenter une grande menace. Il ne faut pas l'oublier, surtout si l'on songe à ses groupes affiliés présents au Yémen et ailleurs dans le monde. Il est donc important de garder cela à l'esprit.
Depuis que la coalition a lancé une campagne militaire contre l'État islamique en juin et juillet dernier, nous avons constaté que cela n'a pas vraiment ralenti les efforts de recrutement de ce mouvement. L'État islamique a perdu une partie du territoire conquis et son expansion est ralentie, mais le recrutement auprès de pays étrangers n'a pas vraiment diminué. La radicalisation des jeunes continue d'être une grave préoccupation pour nous ainsi que leur départ, réussi ou non, du pays. À Montréal, par exemple, 10 d'entre eux s'apprêtaient à quitter le Canada.
À maintes reprises, l'État islamique a précisément mentionné le Canada comme cible. Certains Canadiens sont membres de l'État islamique et ce ne sont pas seulement des fantassins. Je peux affirmer que le Canada est dans la mire de l'État islamique. Ce serait une très grave erreur que de croire que parce que l'État islamique se trouve en Irak et en Syrie, il est beaucoup trop loin pour présenter une menace directe au Canada. Cette menace pèse sur notre pays, sans oublier qu'il y a également des intérêts canadiens à l'étranger ainsi que des citoyens qui s'y trouvent pour affaires ou pour défendre des intérêts commerciaux canadiens.
Comme je l'ai dit lors de ma dernière comparution, la menace est persistante et bien réelle. Nous accueillons bien sûr favorablement les outils additionnels qui nous permettront de nous attaquer à cette menace.
Le président : Voulez-vous dire que la menace s'est intensifiée depuis six mois?
M. Coulombe : En chiffres absolus, elle s'accroît effectivement. Or, les chiffres sont trompeurs. On ne peut simplement s'en tenir au nombre d'adeptes qui s'accroît pour déclarer que la menace s'intensifie, parce que chaque individu présente une menace différente. Certains membres ne s'occupent que de l'appui au recrutement ou du soutien financier, alors que d'autres présentent une menace plus directe en raison de la formation qu'ils ont suivie et des actions qu'ils planifient.
Les chiffres ne sont pas en soi un bon indicateur. Si l'on tient compte des chiffres et des tendances, on constate que, globalement, la menace s'intensifie.
Le sénateur Mitchell : Monsieur le ministre, je vous remercie ainsi que vos collaborateurs. Les ressources constituent un enjeu récurrent. La GRC a indiqué clairement qu'elle allait réaffecter 600 employés pour qu'ils travaillent sur le dossier du terrorisme. Vous avez annoncé une hausse de 296 millions de dollars sur trois ans, ce qui donne une somme de 100 millions de dollars par an. Or, ce montant est réparti entre trois organismes, ce qui équivaut à 30 millions de dollars pour la GRC. Par contre, si l'on tient compte des 600 employés réaffectés, on en arrive à 120 millions de dollars facilement. Par conséquent, en leur accordant 30 millions de dollars, vous avez en fait réduit leur budget. Il s'agit donc d'une compression budgétaire de 22 millions de dollars par rapport au budget de l'an dernier. En procédant à un calcul et à une analyse similaire à la mienne, vous en arrivez à une hausse d'environ 8 millions de dollars pour la GRC. De la somme de 296 millions de dollars, quelle est la part annuelle réelle de la GRC compte tenu du fait que ce total est réparti entre trois organismes?
[Français]
M. Blaney : D'abord, je vous remercie. Évidemment, je ne partage pas la même perspective que vous quant à vos références, compte tenu de la date utilisée pour évaluer l'augmentation des ressources. Je voudrais être très clair sur le fait que notre gouvernement ne s'excusera jamais d'avoir géré l'argent des contribuables de façon responsable.
Il s'agit d'une approche importante. Nous avons la responsabilité de nous assurer incessamment d'optimiser nos programmes pour que l'argent soit investi au bon endroit. Je suis convaincu que les Canadiens apprécient cet effort et qu'ils s'attendent à ce que nous gérions leur argent comme s'il s'agissait du nôtre. C'est ce que nous tentons de faire.
Lorsqu'on examine le dossier dans son ensemble, nous avons augmenté les ressources de la GRC de plus d'un tiers depuis que notre gouvernement est au pouvoir. Nous estimons qu'il est important de nous assurer que la Gendarmerie royale du Canada soit en mesure de remplir ses nombreux mandats. Elle est la police nationale. Cette fonction est assortie de responsabilités en matière de lutte au crime organisé, de lutte contre la traite des personnes, de lutte au trafic de drogue, mais également de lutte contre les crimes économiques, le terrorisme et les autres délits qui peuvent être commis.
Comme vous l'avez bien mentionné, effectivement, des ressources additionnelles sont prévues dans le budget de 2015. Nous estimons que la réallocation temporaire au sein de la Gendarmerie royale du Canada ne doit pas être faite au détriment de ses autres secteurs d'activités. C'est la raison pour laquelle nous avons mis de l'avant des sommes additionnelles, qui seront échelonnées au cours des prochaines années et qui auront un effet d'ascenseur pour permettre à la GRC d'octroyer les ressources en fonction de ses besoins.
[Traduction]
Le sénateur Mitchell : Peut-être que le commissaire peut nous dire le montant exact qui, d'après lui, sera accordé à la GRC à partir de la somme de 296 millions de dollars.
Bob Paulson, commissaire, Gendarmerie Royale du Canada : Bon, je crois que nous savons quel sera le montant accordé à la GRC. Je crois que le premier ministre l'a annoncé la semaine dernière. Je ne m'inquiète pas autant de ce montant que de la façon dont je vais le dépenser. Sénateur, vous avez fait allusion à la réaffectation de nos ressources, et c'est exact. Nous affectons nos ressources aux dossiers prioritaires. Comme je l'ai dit par le passé, on a dû retirer certaines ressources d'autres dossiers prioritaires, mais nous devrons simplement composer avec cette réalité. À l'avenir, nous allons renforcer nos équipes intégrées de la sécurité nationale et commencer à en accroître la capacité.
Le sénateur Mitchell : Il est clair que le gouvernement estime que le SCRS a besoin du CSARS pour le contrôler, car il en a doublé le budget, et que la GRC a besoin de la commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (CCETP) pour en examiner les activités, car il a restructuré les pouvoirs de cette commission. Le CSTC a un commissaire, qui est d'ailleurs en poste depuis un certain temps, mais le gouvernement maintient le titulaire en place. Si ces trois organismes ont besoin qu'une entité effectue une surveillance de leurs activités, comment se fait-il que l'Agence des services frontaliers du Canada ne fasse pas l'objet d'un contrôle semblable à celui qu'exerce le CSARS? Pourquoi les fonctions sécurité nationale assumées par le ministère de la Défense nationale ne font pas l'objet d'un examen similaire à celui effectué par le CSARS? Pourquoi les activités de renseignement national du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement ne font pas l'objet d'un examen similaire à celui effectué par le CSARS? N'est-il pas temps d'envisager la création d'un super CSARS qui examinerait les activités de tous ces services de renseignement d'une façon intégrée, compte tenu en particulier de la gravité du problème que vous venez de décrire?
M. Blaney : Merci. Il s'agit certainement d'une question intéressante, mais j'aimerais déclarer d'emblée que l'Agence des services frontaliers du Canada a une Direction des recours, par conséquent il y a un mécanisme en place.
Ce projet de loi ne porte pas sur la surveillance ou l'examen des activités. Ce projet de loi vise à fournir à nos services d'application de la loi les outils nécessaires pour lutter contre le terrorisme. Parallèlement, certaines dispositions du projet de loi vont permettre d'accroître les ressources budgétaires, et également le mandat, de l'organisme de surveillance des services de renseignement.
Comme vous le savez, aux termes du projet de loi C-51, le Comité de surveillance des activités de renseignement a pour mandat précis de se pencher sur les activités additionnelles que le SCRS sera autorisé à mener. Il s'agit donc d'un élargissement des pouvoirs du SCRS. Et cet élargissement de la zone de surveillance est prévu par la loi.
Comme vous le savez, la supervision se décline en différentes couches de mécanismes. Le vérificateur général peut à tout moment étudier les activités de ces organismes, comme il l'a fait par le passé. Le commissaire à la protection de la vie privée peut de son côté mener des enquêtes. N'oublions pas le Parlement, qui dispose d'un comité permanent chargé de ces questions. Comme vous le savez, le CSARS se considère comme un prolongement du Parlement. Sans compter votre propre comité, qui peut exercer également une surveillance et mener des examens.
Nous allons donc accroître les pouvoirs d'une entité. Le processus que nous avons suivi pour adopter ce projet de loi me convainc qu'il s'agit d'un modèle qui fait l'envie du monde entier. C'est ce que m'ont dit des experts dans le domaine. Par exemple, une partie de la surveillance directe exercée par les parlementaires en Australie prend fin aux derniers échelons de l'organisme de renseignement, alors qu'au Canada, le CSARS est en mesure d'examiner pour le compte du Parlement les activités de niveau opérationnel. Ce comité est en mesure de suivre les activités du SCRS et d'étudier ses interventions quotidiennes ainsi que d'avoir accès à toutes les données. Voilà pourquoi le modèle que constitue le CSARS s'est attiré des louanges de la Cour suprême.
Sommes-nous en bonne posture? Je le crois. Pouvons-nous faire mieux? Nous cherchons constamment des façons de mieux faire. Le projet de loi comprend de nouvelles dispositions visant à accroître le rôle de l'organisme de surveillance du SCRS et d'en élargir le mandat. Comme je l'ai mentionné, des ressources financières additionnelles sont prévues. Nous doublons en fait le budget du CSARS, ce qui est considérable. Cela prouve à quel point nous prenons au sérieux le mandat de nous assurer que nos organismes d'application de la loi, et en particulier les services de renseignement, se conforment pleinement à la loi et respectent les droits des Canadiens tout en exerçant la très importante fonction de protection des citoyens.
Le sénateur Mitchell : Je ne conteste pas la valeur du CSARS. Je dis simplement si le CSARS est aussi précieux que vous l'affirmez, comment se fait-il qu'une supervision similaire ne s'applique pas à d'autres organismes, notamment le ministère de la Défense nationale, le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement et même l'Agence des services frontaliers du Canada? La GRC elle-même ne fait pas l'objet de ce type de contrôle.
Ma dernière question porte sur un changement apporté à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Dorénavant, le gouvernement déterminera quels renseignements sont transmis à l'avocat spécial qui représente les intérêts d'une personne présentant une demande relative au certificat de sécurité, dans le cas où cette personne ne se qualifie pas pour la communication de renseignements réputés être rattachés à la sécurité nationale. Jusqu'à présent, ce type de restriction n'existait pas. Par ailleurs, est-il juste que seul le gouvernement ait son mot à dire pour déterminer quels renseignements peuvent être transmis à l'avocat spécial, qui détient la cote de sécurité la plus élevée qui soit?
M. Blaney : Si je puis me permettre un commentaire, ce serait toujours à la discrétion du juge. Comme vous le savez, les nouvelles dispositions préservent le pouvoir discrétionnaire du juge pour garantir l'équité. Avant de déterminer si le ministre peut être dispensé de fournir des informations à l'avocat spécial, le juge doit s'assurer qu'il ne nuit pas à l'équité du processus et que le non-citoyen sera raisonnablement bien informé. Nous faisons pleinement confiance à notre magistrature et à notre système judiciaire, et nous sommes convaincus que les juges trouveront le juste équilibre et prendront les bonnes décisions, comme ils l'ont toujours fait d'ailleurs.
Le sénateur Mitchell : Sauf quand vous vous querellez avec la juge en chef de la Cour suprême.
Le sénateur Runciman : J'ai une question à poser au ministre et peut-être aussi à M. Coulombe.
Monsieur le ministre, vous nous avez fait part de vos frustrations. Vous avez fait allusion aux pouvoirs de la police. Je trouve aussi frustrant que, malgré toutes les précisions et toutes les garanties, certains continuent de répéter la même chose.
Vous avez parlé des 10 jeunes qui ont récemment été arrêtés à Montréal, et j'aimerais y revenir avec vous et avec M. Coulombe. La radicalisation dans les écoles, notamment dans les écoles publiques, est très inquiétante. J'aimerais savoir si le gouvernement fédéral joue un rôle dans ce dossier. Nous savons que l'éducation est une compétence des provinces. Dans le cas dont vous avez fait mention, l'article du Globe and Mail indiquait que 11 étudiants d'une école souhaitaient se joindre au djihad, et que les autorités de l'établissement d'enseignement avaient affirmé que le programme et les activités de l'école étaient conformes aux règles. Que pouvons-nous faire, alors?
Vous présentez des modifications à l'article 16 du Code criminel, ce qui, je l'espère, sera utile dans de telles situations, mais quand il s'agit des écoles et du système d'enseignement, que peut faire le gouvernement fédéral et dans quelle mesure les provinces collaborent-elles avec vous?
M. Blaney : Je vous remercie de votre question, sénateur Runciman.
Comme vous avez pu le constater ces derniers temps, notre gouvernement est au premier rang dans la bataille contre le terrorisme et l'adoption de mesures antiterroristes. Cela a commencé il y a longtemps, mais c'est devenu évident après l'attaque contre le World Trade Center. Mon prédécesseur a adopté une stratégie antiterrorisme et nous avons continué d'évoluer et de nous ajuster à la nouvelle réalité.
Nous devons maintenant composer avec des voyageurs présentant un risque élevé. Voilà pourquoi nous avons présenté cette mesure législative, pour être prêts à relever ces nouveaux défis.
J'aimerais revenir à ce nouveau phénomène dont les effets sont grands, celui des Canadiens nés ici, immigrants de première ou deuxième génération, parfois même des gens qui ne sont pas issus de l'immigration. Avec le projet de loi C- 51, nous pourrons faire fermer des sites web. Pourquoi? Parce qu'il s'agit de radicalisation et que nous sommes aptes et prêts à agir à cet égard. C'est aussi pour cette raison que je tiens à rencontrer mes homologues des provinces, car nous savons que nous devons relever ce défi ensemble, comme société. Ce ne sont pas le gouvernement fédéral, les organismes d'application de la loi ou du renseignement seuls, mais bien toute la collectivité qui devra lutter contre le terrorisme et la radicalisation. Comment? En adoptant des stratégies et des messages antiterroristes, en recensant ceux et celles qui sont vulnérables à la radicalisation et en collaborant avec les communautés. Le gouvernement fédéral seul n'y parviendra pas. Nous sommes tous dans le même bateau.
Bien sûr, l'éducation est une compétence provinciale, mais quand il s'agit d'élaborer une stratégie de contre- terrorisme, nous pouvons travailler ensemble. C'est ce vers quoi nous nous dirigeons. Pourquoi? Parce que c'est la meilleure façon de s'attaquer à la source du problème, en ciblant les croyances. Voilà pourquoi il nous faut une approche de vaste portée.
Avec le projet de loi C-51, nous pourrons fermer les sites web et criminaliser la promotion du terrorisme. Ceux qui feront l'apologie du terrorisme et prôneront l'emploi de la violence au Canada seront réprimés avec toute la force de la loi.
Comme le premier ministre l'a dit clairement la semaine dernière, c'est injustifiable dans notre pays si généreux et ouvert. Rien ne justifie l'emploi de la violence pour arriver à ses fins. Nous sévirons contre ceux qui recourront à la violence avec toute la rigueur de la loi.
Dans notre lutte contre la radicalisation, nous pourrons peut-être envisager la phase qui précède la criminalisation pour empêcher le passage à l'acte. La société en profiterait. Nous pouvons prévenir des attaques horribles tout en nous attaquant au problème à sa source.
Pour répondre à votre question, nous estimons contribuer à la solution, mais seulement si nous nous adaptons et nous évoluons avec la menace. Ce n'est pas la dernière mesure que nous prendrons pour lutter contre le terrorisme et la radicalisation.
Le président : Je vous prie d'être concis dans vos questions et, monsieur le ministre, dans vos réponses.
M. Blaney : Je suis désolé.
Le sénateur Runciman : Vous nous avez donné une longue explication du projet de loi, et je vous en sais gré.
Pour en revenir à ces 10 jeunes, je ne connais pas tous les faits, mais je crois savoir qu'aucune accusation n'a été portée et qu'aucune ne le sera. S'il est vrai que ce sont des membres des familles qui ont alerté les autorités, je comprends que vous ne souhaitiez pas susciter de crainte au sein de la communauté en déposant des accusations.
Mais que faire, alors? Vous avez identifié ces 10 personnes, et trois autres auparavant. Que se passe-t-il maintenant?
Peut-être que M. Coulombe pourrait nous dire comment on peut déterminer la façon dont ces jeunes ont été radicalisés, comment ils en sont venus à prendre la décision de se joindre au djihad et ce qu'on peut faire dans de tels cas? Manifestement, quelque chose s'est produit, que ce soit à l'école ou en ligne, qui a convaincu ces personnes du bien-fondé de leur décision.
M. Blaney : Faire barrage à la propagande, entrer en contact avec les personnes visées, travailler avec la communauté et avec tous les intervenants, non seulement la police. Il faut une approche globale. Il faut trouver une solution. C'est le premier pilier de notre stratégie antiterroriste : la prévention de la radicalisation.
Le sénateur White : Monsieur le commissaire, des gens ayant participé ou donné leur appui à des activités terroristes à l'étranger sont revenus au Canada. Est-ce qu'il y a eu des arrestations ou des accusations? Où en sont ces enquêtes à l'heure actuelle? Si personne n'a été accusé, qu'est-ce qui vous empêche de le faire et d'obtenir des condamnations?
M. Paulson : Je ne peux vous parler de cas précis, mais je peux vous dire que ceux qui nous intéressent sont ceux qui reviennent de régions où ils s'étaient rendus pour participer à des activités terroristes.
Les obstacles au lancement de poursuites judiciaires viendraient simplement de la difficulté d'obtenir des preuves d'intention, de participation à des activités terroristes particulières, ce genre de choses, mais cela ne veut pas dire que si des accusations ne sont pas portées, nous ne faisons rien. J'allais dire, au sujet de la réponse du ministre tout à l'heure, que nous avons établi, entre tous les partenaires du gouvernement, un centre conjoint d'opérations qui nous permet d'assurer la gestion de tous ces gens.
Par exemple, les 10 personnes de Montréal sont sous observation. Vous avez raison, aucune accusation n'a été portée pour l'instant, mais nous travaillons avec nos partenaires de toutes les administrations, à l'échelle locale, pour voir ce que nous pouvons faire pour intervenir auprès d'eux, de leur famille, pour prendre les devants face à une menace évidente qui n'a pas abouti.
Tout d'abord, nous gérons la situation au moyen du centre conjoint d'opérations, par lequel nous obtenons des preuves. Nous pouvons imposer un engagement de ne pas troubler la paix.
L'une des choses prévues dans ce projet de loi, c'est de réduire les seuils, ce que nous apprécions, parce que je pense que cela nous permettrait plus rapidement de prendre des mesures et d'imposer des contrôles à l'égard des personnes qu'on peut raisonnablement soupçonner de vouloir participer à des activités terroristes.
Le sénateur White : Je vous remercie, monsieur le commissaire. Je sais que vous avez déjà comparu devant nous et vous aviez parlé des inquiétudes par rapport à l'obtention de l'approbation de la Couronne. Au Canada, très peu d'accusations doivent d'abord recevoir l'approbation de la Couronne, du moins à l'échelle nationale. Est-ce que ce projet de loi nous amène au point que vous souhaitiez?
M. Paulson : Non, mais il fait l'objet d'une bonne réflexion en ce qui concerne les avantages, les pour et les contre de l'aval du procureur général. Je pense que l'élément moteur de ce changement, c'est la baisse des seuils, en ce qui concerne l'engagement à ne pas troubler l'ordre public. Nous en sommes heureux, et nous n'aurons qu'à composer avec le reste.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous pour vos exposés.
Il ne fait aucun doute que nous nous inquiétons tous de la menace. Nous voulons protéger nos collectivités. Je pense que nous nous entendons tous là-dessus, mais comment y parvenir.
Monsieur le ministre, vous avez parlé de quatre piliers, qui consistent à empêcher, déceler, priver et intervenir. J'aimerais parler de prévention, parce que je pense qu'avec elle, nous n'aurions pas à être ici.
Je vous ai parlé à tous trois de ce qui se fait en matière de prévention dans différentes régions du monde. J'aimerais que nous parlions de ce que vous faites pour vous attaquer à la source des problèmes. Pourquoi ces 10 personnes se sont-elles engagées dans cette voie? Comment cherchons-nous à régler les problèmes en remontant à leur source?
D'après ce que j'ai compris de ces 10 personnes, ce sont les parents qui ont sonné l'alarme. Je suis très heureuse, monsieur le ministre, de vous entendre parler de phase précédant la criminalisation, et nous en avons parlé ensemble en privé, du fait que c'était tellement important. J'aimerais donc que vous en discutiez.
Puisqu'il me reste quelques secondes, monsieur le ministre, quand avez-vous participé pour la dernière fois à la table ronde interculturelle?
M. Blaney : La dernière fois que j'y suis allé, elle se tenait dans la région de l'Atlantique.
La sénatrice Jaffer : Et c'était en quelle année?
M. Blaney : Il faudrait que je vérifie mon calendrier. Les dates ne sont pas fixes.
J'aimerais aussi ajouter que le projet de loi C-51, bien qu'il ne vise pas expressément la phase précédant la radicalisation, en permettant aux agents du SCRS de perturber la menace, fera partie intégrante de l'intervention précoce quand le service aura déterminé qu'une personne en est aux premiers stades de la radicalisation et pourrait progresser en ce sens. Pour moi, ce projet de loi est l'assise juridique qui permettra au gouvernement d'intervenir plus tôt dans le processus de radicalisation quand l'information sera reçue, et j'inviterais mon sous-ministre à vous donner un aperçu des mesures que nous prenons, et de nos orientations en matière de radicalisation.
François Guimont, sous-ministre, Sécurité publique Canada : La première chose que je tiens à dire, monsieur le président, c'est que cela fait déjà plusieurs années que nous avons entrepris de prévenir la radicalisation. Mes deux collègues ici présents, le commissaire et M. Coulombe, ont lancé des initiatives pour mobiliser et former non seulement des agents d'application de la loi, mais aussi des intervenants de première ligne. C'est la première chose. Ce n'est donc pas nouveau. Nous avons depuis peut-être deux ans tenus de nombreuses séances, des centaines, et nous nous efforçons d'en accroître la cadence.
Deuxièmement, nous envisageons une intervention plus focalisée, et le terme que nous avons utilisé, c'est « réorienter », dans le but de ramener dans le droit chemin, pour ainsi dire, des gens qui seraient sur le point de sauter la barrière et de s'engager dans des activités terroristes, ou qui y songent. Il faudra pour cela une démarche pangouvernementale, mais aussi pansociétale, comme l'a dit le ministre, c'est-à-dire qu'il faudra travailler avec les provinces, les administrations municipales et les services sociaux. L'objet de cette démarche est d'avoir une approche très personnalisée au moment d'aborder ces personnes, et de pouvoir leur exposer une argumentation contraire relativement à la nature et aux conséquences des activités terroristes. Nous allons tenter d'accroître cet effort dans les quelques prochains moins.
La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, d'après ce que j'ai compris, la dernière fois où vous avez participé à la table ronde, c'était le 16 juin 2014. Vous n'y avez pas assisté depuis, n'est-ce pas?
M. Blaney : Je vous communiquerai la date. C'était une réunion antérieure.
M. Guimont : J'ai régulièrement assisté aux réunions de la table ronde interculturelle. Je ne me souviens pas en avoir manqué une seule, et mon collègue sous-ministre de la Justice de même. Nous prenons cette table ronde très au sérieux.
M. Blaney : Le ministre MacKay a assisté à la dernière réunion. Je vous en donnerai la date exacte.
Le président : La sénatrice Stewart Olsen.
La sénatrice Stewart Olsen : Je crois avoir reçu la réponse à ma question. Je voulais vous faire parler de protection des renseignements, aux fins du compte rendu. Quand vous avez parlé de l'analyse de l'incidence sur la vie privée, cela a été très rassurant.
C'est avec plaisir que je passe mon tour.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vous félicite pour l'annonce de jeudi dernier. J'y étais, d'ailleurs.
Nous venons d'entendre plusieurs témoins qui disaient avoir été victimes d'actes de terrorisme. Il s'agit des communautés sikhes et hindoues. Trente ans se sont écoulés depuis l'attentat du vol 182 d'Air India qui avait fait plusieurs victimes, y compris 278 Canadiens.
À l'heure actuelle, comment pouvons-nous créer une collaboration avec ces communautés afin de lutter contre le terrorisme?
M. Blaney : Je vous remercie de votre question, sénateur, et de votre présence la semaine dernière lors de l'annonce. Vous avez pu constater qu'il y avait de nombreux représentants des communautés culturelles lors de cette annonce.
Il est important que le gouvernement prenne les moyens nécessaires pour s'attaquer aux éléments radicaux de la société. J'aimerais répondre à votre question, qui aborde les mesures de prévention de la radicalisation.
Mon sous-ministre évoquait la Table ronde transculturelle, mais ce n'est que l'un des outils dont nous disposons pour rejoindre les communautés culturelles. La GRC a donné plus de 800 formations pour sensibiliser celles-ci aux réalités auxquelles elles peuvent être confrontées et faire en sorte qu'elles soient mieux outillées pour lutter contre la radicalisation. Certaines activités se tiennent au niveau du service de renseignement. Notre gouvernement a déployé des efforts importants afin de comprendre les processus et la manière dont opèrent les recruteurs dans le cadre de l'initiative Kanishka. Nous avons vu des résultats extrêmement intéressants. Par exemple, la mère d'un jeune qui a perdu la vie dans acte terroriste a participé à la création d'une vidéo, Extreme Dialogue, afin de sensibiliser le public.
Nous avons bâti une expertise et acquis des connaissances, et nous allons continuer à travailler avec les communautés. Il importe de travailler avec l'ensemble des partenaires de la société civile et d'impliquer les autres ordres de gouvernement. C'est pourquoi j'ai l'intention de rencontrer Mme Lise Thériault et mes homologues provinciaux et territoriaux. D'ailleurs, nous avons déjà tenu des rencontres. C'est un travail qui se fait en équipe. Je peux vous assurer — vous pouvez vous-même l'affirmer en tant qu'ancien policier du Québec — qu'il est réconfortant de savoir qu'il existe une excellente collaboration entre les corps policiers sur le plan opérationnel. Ces efforts méritent d'être soulignés, puisqu'ils font en sorte que nous réussissions à déjouer bon nombre de complots. J'étais à Montréal la semaine dernière et, avec l'aide d'un parent, nous avons réussi à empêcher des jeunes de commettre un acte irréparable ou des actes de violence. Il s'agissait d'une action concertée, et nous avons l'intention d'élargir notre mission en matière de prévention de la radicalisation. Nous devons aussi transmettre des messages qui vont défaire les mythes des recruteurs et des agents de la radicalisation auprès des personnes plus vulnérables en leur offrant un autre exposé des faits pour démontrer la réalité brutale qui se cache derrière le langage passionné des gens radicaux.
Le sénateur Dagenais : J'ai une question qui s'adresse au commissaire Paulson.
Comme vous l'avez mentionné dans votre présentation, le fait de disposer de budgets ne règle pas tout. Il faut réaffecter les effectifs. Selon les médias, vous avez dû réaffecter les gens de l'opération Condor.
Grâce aux nouveaux budgets qui vous sont consentis, comment percevez-vous le transfert de vos effectifs et du projet? Il n'est pas évident de réaffecter les gens à d'autres unités. Il faut des enquêteurs spécialisés.
M. Paulson : Vous avez raison. Ce n'est pas évident. Nous évaluons nos priorités et nous transférons le personnel selon ce qui est le plus important. C'est aussi simple que cela. Nous poursuivrons sur cette lancée, car c'est tout ce que nous pouvons faire.
[Traduction]
Le sénateur Day : Messieurs, j'aimerais d'abord que nous parlions de prévention. Vous en avez parlé, monsieur le ministre, et le commissaire a parlé de ceux qui reviennent résolus à causer du tort. On nous a dit que les meilleurs outils de recrutement sont les médias sociaux. Peut-être est-ce le point de vue de M. Coulombe. Il me semble que si l'on pouvait amener ceux qui reviennent de là-bas, qui n'ont pas apprécié les mouches du désert et la mauvaise cuisine, qui ont été déçus de l'aventure, si on pouvait les amener, dis-je, à en parler dans les médias sociaux, cela pourrait très bien décourager le recrutement. Est-ce que vous avez abordé la question sous cet angle?
M. Coulombe : Eh bien, je ne dirai pas exactement ce que fait le service, mais évidemment, si on examine l'expérience d'autres pays — vous parlez de contre-discours —, il est certain qu'un tel contre-discours de la part d'un ancien membre d'Al-Qaïda ou de l'EI qui a maintenant changé son fusil d'épaule aurait beaucoup de crédibilité auprès de jeunes qui envisagent de s'engager dans cette voie. D'autres pays l'ont fait dans le cadre de leur programme de prévention, et il est certain que cette méthode mérite un examen.
Le sénateur Day : Parlons maintenant de renseignements fiscaux, de renseignements sur les contribuables. L'alinéa b) de l'article 6 du projet de loi, à la page 9, porte sur les renseignements confidentiels des contribuables. Nous avons entendu ici le témoignage de la représentante de l'Agence du revenu du Canada, qui voulait seulement mettre l'accent sur le volet des organismes de bienfaisance. Ceci est beaucoup plus vaste. Il s'agit des renseignements sur tous les contribuables. La définition de « renseignements confidentiels désignés » a été supprimée. Les critères à respecter s'adressent à la fois au SCRS et à la GRC, que ce soit dans le cadre d'une poursuite en vertu du Code criminel ou d'une enquête du SCRS. Or, cette disposition permet la communication des renseignements confidentiels des contribuables à 17 organismes différents.
Plutôt que de filtrer les renseignements des 17 organismes et de les communiquer au SCRS et à la GRC, pourquoi ne disons-nous pas que nous prenons les renseignements des contribuables et les divulguons à 17 organismes différents?
M. Blaney : En fait, nous recueillons déjà ces renseignements, sénateur Day. Je vous remercie pour votre question. Ce n'est pas exactement ainsi que devrait être formulée votre question. Il faut comprendre que chaque élément d'information va d'un organisme à un autre. Pour que les renseignements soient recueillis et mis en commun, il faut qu'ils soient susceptibles de saper la sécurité du Canada.
Comme vous le savez, nous avons déjà une liste des entités terroristes. Actuellement, si un fonctionnaire sait que quelqu'un fournit du financement à une organisation terroriste, ce fonctionnaire est tenu par la loi d'en informer l'organisme destinataire. Ce dernier doit prendre ces renseignements, s'ils s'inscrivent dans son mandat. C'est la définition claire qu'en donne la loi.
Comme je le disais tout à l'heure, il y aura un énoncé des facteurs relatifs à la vie privée. Si quelqu'un enfreint la loi et qu'il y a des conséquences financières, nous pourrons maintenant repérer les gens qui contribuent au financement du terrorisme.
Mais revenons à ces 10 personnes qui ont été arrêtées la semaine dernière à Montréal. La question est de savoir qui a payé leur billet d'avion? Qui a payé leur passeport? Qui les a intégrés dans ce réseau qui, potentiellement, se chargerait de leur procurer le billet d'avion? Qui est coupable? Est-ce que c'est la personne qui a payé le billet? Moi, je le pense. C'est pourquoi il nous faut avoir les outils qui nous permettent de cibler les personnes qui financent le terrorisme. Elles commettent un acte criminel. C'est pourquoi le projet de loi est ainsi libellé.
Le sénateur Day : Comme je n'ai plus de temps, je ne pourrai pas poursuivre sur le sujet, mais le libellé de cet article est loin d'être aussi restrictif que vous le laissez entendre.
Le sénateur Wells : Merci, monsieur le ministre, et merci aux témoins. Ma question est dans la même veine que celle du sénateur Day.
En ce concerne les poursuites et condamnations en vertu du projet de loi C-51 — et comparativement à la Grande- Bretagne et à la France qui ont eu plus de 500 dossiers de poursuites et condamnations —, je pense que le Canada a intenté une vingtaine de poursuites et, je crois, a prononcé 14 condamnations, même si le CANAFE a recensé près de 700 cas de financement du terrorisme entre 2009 et 2014. En quoi cette loi contribuera à accélérer ces poursuites et condamnations ou à les rendre plus efficaces?
M. Blaney : Le projet de loi vise la mise en commun des renseignements. Il n'a pas d'incidence sur les poursuites. Peut-être le commissaire Paulson peut-il en parler?
M. Paulson : Bien que nos relations avec le CANAFE soient excellentes et que celui-ci nous fournisse des renseignements de qualité, nous nous heurtons encore à des seuils et à des normes pour ce qui est des poursuites. Je pense que ce projet de loi facilitera la mise en commun des renseignements, ouvrira des voies vers d'autres domaines qui pourront corroborer et confirmer des soupçons et, au bout du compte, des preuves que nous devrons soumettre au tribunal pour démontrer avec beaucoup plus de certitude que, de fait, il y a financement du terrorisme.
Vous avez raison, les renseignements que nous recevons du CANAFE suscitent les soupçons dans ces domaines. C'est à nous qu'il incombe d'intervenir et d'obtenir des preuves pour conclure l'affaire, en quelque sorte. Le partage des renseignements est un moyen de mieux y parvenir.
Le sénateur Wells : Puisque la fin de la session parlementaire approche et qu'un certain temps s'écoulera avant que les choses reprennent, dans quelle mesure est-il important d'adopter rapidement ce projet de loi? Qu'avons-nous à perdre s'il n'est pas adopté?
M. Blaney : Ce projet de loi me tient à cœur. Il est à mon avis important pour assurer la protection de notre pays. Je m'attends tout à fait à ce que ce projet de loi soit adopté, et je l'espère, afin que ces personnes qui ont pour mandat d'assurer notre protection, aient en main tous les outils nécessaires pour faire leur travail dans ce contexte changeant où la menace ne fait qu'augmenter et qui n'est pas aussi calme qu'on pourrait le souhaiter.
Le président : Monsieur le commissaire, au sujet de la question des organismes de bienfaisance et du financement du terrorisme, ce que je ne comprends pas tout à fait, c'est qu'il semble n'y avoir aucune volonté ni aucune loi en vue relativement à la poursuite effective des personnes qui sont directement engagées dans le terrorisme, du moins en ce qui concerne les administrateurs des organismes de bienfaisance. Faudrait-il modifier la loi, ou y a-t-il dans la loi une interprétation qui nous en empêche?
M. Paulson : Eh bien, je ne vois pas la nécessité de modifier la loi pour l'instant.
L'une des plus grandes difficultés que nous avons constatées, même dans les marchés en dehors du terrorisme, c'est celle d'obtenir des preuves qui convaincront tout à fait les tribunaux. Nous pouvons avoir de forts soupçons et des motifs raisonnables de soupçonner des gens de certains actes, comme l'appui au terrorisme, mais les preuves sont difficiles à obtenir.
On dirait que je me plains, mais ce n'est pas le cas. C'est tout simplement difficile. La police pourrait mieux faire son travail et appliquer des techniques plus discrètes que nous mettons à profit. Je pense que s'il y a quelque chose à raffiner, c'est la méthode policière et non la loi.
M. Blaney : Pour revenir à la question du sénateur Wells, sénateur, vous vous souviendrez certainement de la sœur de Patrice Vincent qui a dit dans son témoignage et je la cite :
[Français]
Si le projet de loi C-51 avait été en vigueur le 19 octobre, Martin Couture-Rouleau aurait été en prison et mon frère ne serait pas mort aujourd'hui.
Ce sont à ces gens que je pense, à Patrice Vincent, en déposant ce projet de loi. Si nous pouvons sauver la vie d'un seul Canadien honnête grâce à ce projet de loi, nous aurons atteint notre objectif.
Pour répondre à la question du sénateur, c'est au mois de janvier, à Halifax, que j'avais assisté à la Table ronde transculturelle avec le ministre MacKay qui, lui, a assisté à la réunion subséquente.
[Traduction]
Le président : Une dernière question, puisque nous ne voyons pas si souvent le commissaire. Est-ce que vous pourriez nous dire quand nous pouvons nous attendre à ce que les Canadiens et le Parlement reçoivent le rapport complet sur les incidents Patrice Vincent et Michael Zehaf-Bibeau, et la vidéo complète?
M. Paulson : Nous sommes sur le point de déposer le rapport qu'a rédigé l'OPP sur notre rendement en dehors de la Chambre et les événements qui se sont déroulés à l'intérieur du Parlement. Le commissaire adjoint, Gilles Michaud, prévoit que ce sera fait cette semaine ou au début de la semaine prochaine.
Nous nous préparons aussi à diffuser les 18 secondes restantes de la vidéo, et ce devrait être fait d'ici deux semaines.
Le président : Nous arrivons à la fin de la séance. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, d'être venu aujourd'hui. Nous apprécions que vous soyez venu une deuxième fois nous parler de cet important projet de loi. Je libérerais donc les témoins.
Notre dernier groupe de témoins, aujourd'hui, c'est M. Robert Morrison, à titre personnel; et M. Gord Cameron, associé au cabinet Blake, Cassels & Graydon.
Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue. D'après ce que j'ai compris, vous avez chacun préparé une déclaration liminaire. J'invite M. Morrison à prendre la parole, et ce sera ensuite au tour de M. Cameron.
Robert Morrison, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis ici non seulement à titre personnel, mais précisément en raison du rôle que j'ai tenu au sein du gouvernement avant ma retraite. Il y a quelques années, on avait constaté qu'il n'y avait pas vraiment de coordination globale pour assurer la collaboration en matière de renseignement avec le gouvernement fédéral. En conséquence, j'ai été détaché au Secrétariat du Conseil du Trésor par la GRC pour tenir les fonctions de directeur général de l'environnement commun de partage de l'information, en 2012.
Ma carrière, c'est 35 ans à la GRC. J'étais agent de liaison à Islamabad, au Pakistan, aussi. J'ai pris ma retraite alors que j'avais atteint le grade de surintendant de police en chef.
J'ai donc été détaché au Conseil du Trésor pour établir un programme de mise en commun de l'information partout au Canada. Ce programme consistait à collaborer avec des organismes comme l'ASFC, l'ARC, CIC, le MDN, la GRC, le SCRS et d'autres.
Le financement a été retiré après huit mois, en raison des priorités établies par le Secrétariat du Conseil du Trésor concernant l'initiative Services partagés Canada. Cependant, je peux vous offrir des exemples de certains projets qui ont fonctionné dans l'environnement de l'échange de renseignements.
Dans le cadre d'un projet pilote, j'ai collaboré avec deux différentes agences pour surveiller un tronçon de 400 kilomètres de la frontière entre le Canada et les États-Unis. Les deux agences souhaitaient échanger des dossiers de renseignement dans des conditions strictement contrôlées. Pour assurer ces conditions, un groupe était situé dans une salle et le second, dans une autre. Ni l'une ni l'autre des agences ne pouvaient voir l'information de l'autre. Nous voulions savoir si les deux parties étaient au courant des enquêtes entreprises par l'une ou l'autre, ainsi que démontrer, le cas échéant, tout lien manquant entre les deux agences. Il s'agissait véritablement d'un milieu tout petit et contrôlé.
Nous avons découvert qu'il existait plus de 40 dossiers détenus par une agence sans que l'autre en prenne connaissance. Les dossiers portaient notamment sur le crime organisé, les bandes de rue, l'importation de stupéfiants et d'armes à feu, l'importation d'armes. La démonstration était faite : alors que nous pensions bien partager cette information, en vérité, nous n'y arrivions pas très bien.
Le projet de loi antiterroriste C-51 facilitera la création d'un environnement canadien de partage d'information. Ce programme rehaussera la sécurité des Canadiens en appuyant le partage d'information au sein du gouvernement et en appuyant les agences provinciales, territoriales et municipales. En partageant l'information de manière conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et tout en respectant la vie privée, les partenaires du secteur du renseignement pourront participer aux initiatives de partage d'information au palier national et international, en fournissant l'information voulue à la bonne personne et au moment voulu.
Le projet de loi C-51 facilitera le partage d'information efficace et responsable en lançant des initiatives de collaboration afin que le partage d'information soit précis, opportun, fiable et proactif. Je veux parler du signalement d'activités douteuses. Prenons l'exemple d'une raffinerie de pétrole. Disons que le propriétaire signale qu'un trou a été découpé dans la clôture délimitant le périmètre. Est-ce en soi un gros problème? La municipalité située à côté de la raffinerie signale que pendant la nuit, un service de lavage et de nettoyage à sec a été cambriolé, et que 40 uniformes provenant de cette raffinerie ont été volés. La municipalité avoisinante signale qu'une quantité importante d'engrais a été volée. Individuellement, chacun de ces incidents ne signifie rien. On apprend ensuite de la part d'un service de renseignement qu'une de leurs sources l'a averti qu'une mesure quelconque serait prise contre une raffinerie de pétrole dans le nord de l'Alberta. Chaque élément d'information ne signifie pas grand-chose à lui seul. Par contre, lorsqu'on regarde le tout ensemble, ça nous en dit long.
Le projet de loi C-51permettra le partage efficace de renseignements selon des normes et au moyen de technologies communes. Il s'agit au fond de précision. Si les données que nous recevons sont de qualité, les données que nous allons générer le seront aussi; mais le contraire est également vrai. Il faut assurer l'exactitude des bases de données. Cela nous permettra d'améliorer le processus décisionnel dans tout le pays lorsque des partenaires sécurisés qui se font confiance agissent de façon proactive, exacte, opportune et fiable.
L'environnement de partage de l'information protégera la vie privée des Canadiens en élaborant une stratégie pour le partage et la protection de l'information. Par protection, j'entends la responsabilité — soit, un groupe d'experts indépendant et non partisan, formé de tiers, chargé de surveiller le partage d'information.
L'autre jour, je me suis retrouvé coincé dans un aéroport par la météo. J'étais assis près de deux inconnus, et nous avons commencé à discuter du projet de loi C-51. Ils ne savaient pas qui j'étais. L'un d'entre eux était un enseignant à la retraite, et il m'a dit : « Eh bien, je ne peux pas appuyer ce projet de loi. Ils vont partager de l'information avec tout le monde au Canada. » Je lui ai donc expliqué que ce n'était pas le véritable objectif de C-51. Je lui ai dit que cela se ferait dans un environnement très contrôlé, et que les agences du renseignement se serviraient de l'information uniquement dans le cadre d'enquêtes antiterroristes.
La création de l'environnement du partage d'information permettra d'atteindre les objectifs suivants.
Elle appuiera le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, afin d'assurer la coordination efficace du partage d'information au Canada dans une communauté de sécurité ou de renseignement.
Elle établira un groupe consultatif interagences de haut niveau pour faciliter la gouvernance dans le contexte des normes et des initiatives relatives au partage d'information.
Elle établira un comité pangouvernemental d'imputabilité en matière de protection de la vie privée afin d'assurer la conformité du partage des renseignements avec la loi régissant la vie privée.
Elle fera la promotion du partage d'information auprès de tous les partenaires dans le cadre d'initiatives de formation et de soutien.
Elle appuiera la participation du Canada à l'initiative Par-delà la frontière ainsi qu'à d'autres initiatives de partage d'information.
Elle développera une stratégie nationale pour le partage de l'information et la protection.
Elle encouragera l'utilisation des normes relatives aux données chez les agences, et elle encouragera et appuiera la participation provinciale, territoriale et municipale.
Elle mettra en évidence les réussites en faisant participer les agences aux projets visant à identifier les lacunes et les inefficacités en matière d'information, et en identifiant les chefs de file en matière de processus ministériels, d'opérations, de normes, d'architecture, de sécurité, du contrôle de l'accès, de protection de la vie privée et d'imputabilité.
Le projet de loi C-51 assurera le partage précis, opportun et fiable de l'information, tout en protégeant la vie privée de nos citoyens.
Merci.
Le président : Je vous remercie, monsieur Morrison.
Monsieur Cameron.
Gord Cameron, associé, Blake, Cassels & Graydon, S.E.N.C.R.L./s.r.l., à titre personnel : Sénateurs, je comparais devant le comité aujourd'hui au nom d'un groupe d'avocats spéciaux. Je les identifierai dans quelques instants, mais il s'agit d'avocats spéciaux ayant défendu des causes de certificats de sécurité lors d'audiences confidentielles devant la Cour fédérale. Nous avons préparé une déclaration, qui, je crois, vous a déjà été remise, et j'aurai un bref exposé à vous faire.
Pour que vous compreniez nos préoccupations concernant ce projet de loi — dont je discuterai d'une petite portion aujourd'hui —, les avocats spéciaux comprennent bien que le Canada doit se doter d'un processus pour décider quels non-citoyens auront le droit de demeurer au pays, et lesquels devront partir. Selon nos tribunaux et notre Parlement, toute personne qui sera expulsée a le droit de savoir pourquoi et le droit de répliquer. Le problème survient lorsqu'une partie ou parfois la cause entière contre l'individu qui doit être expulsé demeure secrète et même la personne visée n'y a pas droit. C'est là qu'interviennent les avocats spéciaux.
Nous devons obtenir une cote de sécurité. Nous sommes tous des avocats principaux de première instance dont l'expérience remonte à au moins 20 ans. Nous obtenons l'accès à l'information secrète et agissons comme si nous représentions cet individu lors de l'audience à huis clos de la Cour fédérale où sera débattu le certificat de sécurité. Nous comblons ce que la Cour suprême qualifie d'écart constitutionnel du processus, puisque sans les avocats spéciaux, il n'y aurait personne dans cette salle d'audience à huis clos pour défendre la personne nommée et contester la cause du gouvernement.
Compte tenu de sa pertinence relative à mes commentaires au sujet de ce projet de loi, je décrirai brièvement la façon dont travaille un avocat spécial. Pour commencer, il ou elle — en théorie il pourrait y avoir des avocates spéciales, mais jusqu'ici ce sont tous des hommes ainsi que des expulsés mâles, donc j'ai tendance à utiliser le pronom masculin. L'avocat spécial commence par un entretien soutenu avec ladite personne, soit la personne qui doit être expulsée, avant de voir l'information secrète. Cet entretien, qui peut durer des jours, et il m'est arrivé une fois que cela se poursuive pendant plus d'une semaine, se déroule parce qu'après avoir vu l'information secrète, l'avocat spécial ne peut pas aller voir ladite personne pour lui demander des explications, ce que ferait normalement un avocat. L'avocat prendrait connaissance des arguments de la Couronne, puis irait parler au client pour lui demander : « Pouvez-vous m'expliquer ceci? » Le client lui répondrait : « J'étais au Brésil à ce moment-là » et après quoi, l'avocat dirait : « Bon, voilà notre défense. »
Vous ne pouvez pas poser une telle question en tant qu'avocat spécial. On vous fait part des accusations portées contre l'intéressé, puis vous êtes livré à vous-même. Vous êtes livré à vous-même de cette façon : le gouvernement vous livre des boîtes et des boîtes entières de documents. Les données sont également numérisées dans une base de données. Vous la parcourez et déterminez si cette page ou ce rapport pourrait éventuellement être pertinent à la cause du gouvernement ou à celle de la personne intéressée d'une façon qui nous permettrait d'évaluer la fiabilité de l'information.
Quand vous examinez cette information, vous cherchez deux choses principales. Vous vous demandez si les renseignements sont fiables. Cela pourrait provenir d'un gouvernement étranger ou d'une agence de renseignement étrangère. Est-ce que ledit gouvernement a un programme caché? Est-ce qu'on se sert du Canada pour mettre en œuvre le programme dudit gouvernement? Est-ce que cette information fiable remet en question l'intéressé?
Peut-être vous êtes confronté à une source humaine qui a dénoncé l'intéressé. Vous vous demandez s'il y a d'autres motifs entourant ces renseignements. Est-ce que ce qu'on dit de cette personne est fiable?
C'est comme lors d'un procès pénal, sauf que vous n'avez pas accès à votre client qui aurait pu vous donner de la rétroaction ou vous aider tout au long du processus. Vous êtes seul dans une pièce devant votre écran pendant des semaines et des semaines ou, dans certains cas, pendant des mois et des mois, à décortiquer toute cette information et à déterminer ce que vous pouvez faire pour contester les arguments du gouvernement.
Comme vous le savez peut-être, la Cour fédérale a été saisie de cinq causes. Le gouvernement en a gagné certaines, mais perdu d'autres.
Par exemple, il n'a pas eu gain de cause dans l'affaire Hassan Almrei. Lors de la première instance, à l'époque où on n'avait pas recours à un avocat spécial, son certificat de sécurité a été confirmé. Or, il a croupi en prison pendant sept ou huit ans en attendant que les tribunaux digèrent tous les points juridiques entourant sa cause.
À la deuxième instance, le nouveau système avait été mis en place et des avocats spéciaux avaient été nommés pour contester les arguments du gouvernement. À cette occasion, les avocats spéciaux ont décelé dans les dossiers obtenus du gouvernement des informations qui ont détruit la thèse gouvernementale. Le certificat de sécurité d'Hassan Almrei était donc jugé non raisonnable et cette partie de la procédure contre lui a pris fin.
Ce qui nous inquiète dans ce projet de loi, c'est qu'il créerait de nouvelles dispositions limitant les renseignements fournis aux avocats spéciaux. On n'aurait pas pu recevoir les renseignements qui ont été utilisés pour défaire le gouvernement dans l'exemple que je vous ai fourni. Le gouvernement filtre ce qui est divulgué aux avocats spéciaux en fonction de ce qu'il considère être pertinent.
Peut-être que vous vous demandez si le gouvernement conservateur veut que tous ses renseignements sur le projet de loi C-51 soient filtrés par Thomas Mulcair en fonction de ce qui est pertinent pour sa décision? Probablement pas. Ils veulent probablement tout simplement examiner l'information eux-mêmes et prendre leur propre décision. De la même façon, les avocats spéciaux n'ont pas d'objection à ce que l'information soit filtrée en fonction de sa pertinence. Nous ne voulons pas présenter des renseignements hors de propos au tribunal. Nous voulons tout simplement que l'autre côté ne puisse pas décider de ce qu'on peut et de ce qu'on ne peut pas voir.
N'en déplaise au ministre, il a mal compris la question que le sénateur Mitchell lui a posée. Il a dit, « Eh bien, ce sera au juge de décider le temps venu. » Cela est faux. Le juge n'obtiendra pas cette information non plus. Le gouvernement filtre tout renseignement qui sera remis au juge et à l'avocat spécial. Nous recevons le même jeu de documents.
Le ministre parlait d'autre chose. Après l'étape initiale du processus, le gouvernement peut demander une exception spéciale s'appliquant à certaines informations transmises au juge qu'il ne souhaite pas transmettre à l'avocat spécial. On n'explique pas pourquoi cela pourrait être approprié, d'ailleurs, on ne l'a jamais expliqué, mais c'est autre chose. Au moins, dans ce cas-là, un juge décidera si cette information devrait être communiquée à l'avocat spécial ou non; le gouvernement doit en obtenir l'approbation.
Cependant, au cours de l'étape initiale, où les 100 000 ou je ne sais combien de documents sont triés en fonction de leur pertinence et en fonction de ce qui doit être jeté, c'est fait pour le gouvernement, et le même jeu de documents est envoyé au juge et aux avocats spéciaux une fois que le gouvernement l'a filtré. Voilà la principale réserve que nous exprimons à l'égard de ces dispositions de la LIPR.
Merci.
Le président : Nous commencerons par le sénateur Mitchell.
Le sénateur Mitchell : Votre analyse me trouble énormément, non pas parce que je pense que vous avez tort, mais parce que je pense que vous avez raison. Il est très difficile de comprendre pourquoi le gouvernement souhaite effectuer ce changement, pourquoi il souhaite restreindre ou entraver l'application de la loi, alors que l'avocat spécial n'a même pas la permission de diffuser cette information si elle est très secrète. Qu'est-ce que le gouvernement peut vraiment s'attendre à réaliser dans le cadre de l'application régulière de la loi alors qu'il est celui qui peut examiner l'information que le juge et l'avocat spécial recevront? À quoi pense-t-il?
M. Cameron : Eh bien, cela pourrait s'expliquer de diverses façons. D'une part, le gouvernement aime contrôler l'information que ses adversaires pourraient utiliser contre lui, mais soyons optimistes, et disons qu'il ne veut pas gaspiller le temps des autres en leur donnant beaucoup d'information non pertinente pour évaluer la situation.
Je dirais, donnez-moi cette information. Je déciderai si elle n'est pas pertinente. Nous avons un logiciel de gestion des documents. Le processus que nous utilisons pour trier ces documents et décider ce qui est pertinent ou non est assez efficace. Je dirais, ne vous faites pas de souci lorsqu'il est question de gaspiller mon temps. J'ai du temps pour m'en occuper. Je pourrais faire économiser du temps au juge s'il me demande d'effectuer l'évaluation initiale.
Pour répondre à votre question, la seule idée qui me vient à l'esprit est que le gouvernement essaie d'éviter l'envoi d'un trop grand nombre de documents, où les gens deviennent submergés par de l'information non pertinente, et d'en faire un processus efficace. Je dirais au gouvernement : « Ne décidez pas comment rendre mon processus efficace. J'examinerai les documents pour les filtrer à ma façon. »
Le sénateur Mitchell : Il est impossible de qualifier de juste un processus où une seule partie peut prendre de telles décisions. Essentiellement, c'est ce que vous dites.
M. Cameron : Exactement.
Le sénateur Mitchell : Cela défie la logique et l'imagination.
M. Cameron : Sénateur Mitchell, c'est facile d'y remédier avec quelques mots dans l'article 59 du projet de loi C-51, si je ne m'abuse; au lieu de parler de fournir ce qui se rapporte à sa thèse à l'égard d'une instance — cela fait partie de notre mémoire —, on dirait « de tous les renseignements et autres éléments de preuve qui se rapportent à la personne visée ». Il y aura un lien, alors permettez à l'avocat spécial et au juge de décider ce qui est pertinent ou non.
Le sénateur Mitchell : Merci.
Monsieur Morrison, vous êtes entièrement convaincu que ce sera une panacée pour l'échange d'information. Selon votre réflexion et votre propre analyse du projet de loi, premièrement, y a-t-il assez de ressources pour établir les bases de données correctement; deuxièmement, y a-t-il un contrôle de quelque sorte pour assurer la fiabilité de l'information échangée; troisièmement, une fois qu'elle est échangée, y a-t-il un moyen d'empêcher l'échange de cette information avec une tierce partie, comme une nation, comme dans le cas de Maher Arar; et, quatrièmement, quelles mesures de sécurité assureront la protection des renseignements personnels une fois que cette information se trouve dans une grande base de données?
Le président : Je pense que vous avez posé suffisamment de questions.
Le sénateur Mitchell : Blacklock's, un service d'info en ligne, mentionne que CIC partage déjà les empreintes digitales des immigrants, des travailleurs étrangers temporaires, sans autorisation de le faire. Avez-vous confiance que ceci va bien fonctionner si personne ne vérifie ces gens?
M. Morrison : Si je rate une question, je vais devoir revenir vers vous.
Le sénateur Mitchell : Le président a été très patient avec moi.
M. Morrison : Pour ce qui est des ressources humaines et du financement, vous avez tout à fait raison. Si le gouvernement veut créer un environnement propice au partage de l'information, il va falloir le financer.
Dans cet environnement de partage de renseignements, on pourrait avoir par exemple un membre du Bureau de la commissaire à la vie privée qui ferait partie de l'équipe. Cela répond peut-être à deux questions. D'abord, comment s'assurer que les lois par rapport à la vie privée sont contrôlées. On fait venir un membre de l'équipe devant la commissaire à la vie privée, qui comprend les règles concernant la divulgation d'informations. C'est un peu comme si on avait un tiers.
Quand je parle d'un environnement de partage de renseignements, je parle d'un groupe de gens qui sont experts dans ce domaine. Des gens qui comprennent comment divulguer des informations à un tiers. Des gens qui comprennent également qu'une fois que ces informations sont divulguées, c'est très difficile de reprendre ces informations, comme on l'a constaté au cours de l'histoire.
J'ai parlé de panacée. Je pense que nous avons maintenant la capacité d'avoir un groupe de gens qui puissent gérer de manière efficace le partage d'informations et de renseignements de manière contrôlée et intelligente.
Je pense qu'il y avait une autre question.
Le sénateur Mitchell : C'est très bien.
Le sénateur Runciman : J'ai deux questions pour nos deux témoins. Je les remercie d'être venus.
Monsieur Cameron, je pense que vous avez mentionné que le ministre avait tort. C'est peut-être le cas, je ne sais pas, mais je cherche l'explication de cette disposition dans la loi. Il me semble que « si les considérations d'équité et de justice naturelle l'exigent, » le juge peut demander à l'avocat spécial de faire une soumission concernant l'exception de certaines informations. Je me demande comment cela s'applique à la préoccupation que vous avez soulevée.
M. Cameron : Il y a deux choses qui se passent. D'abord, il y a l'information qui est transmise à l'avocat spécial et au juge. Ces informations sont filtrées par le gouvernement en fonction de leur pertinence, et voilà ce qui nous préoccupe.
Autre préoccupation, c'est qu'une fois que le processus est terminé et que les informations ont été envoyées au juge, les ministres peuvent dire : « Nous voulons que certaines de ces informations soient supprimées, même si elles sont pertinentes » — donc même des informations pertinentes — « et nous voulons que l'avocat spécial ne les voie pas. » Sur ce point-là, c'est le juge qui décide.
Mais s'il s'agit des informations qui restent dans des bureaux gouvernementaux et qui n'ont jamais été envoyées à la cour, personne ne les voit. Le juge ne les voit pas et l'avocat spécial ne les voit pas.
Le sénateur Runciman : Vous dites qu'il n'y a aucune exigence qu'un juge de la Cour fédérale intervienne dans un processus comme celui-là? Que le juge ne participerait pas?
M. Cameron : Non, et c'est justement cela le problème. Pour ce qui est du filtrage des documents, aucun juge de la Cour fédérale n'y participe. Le juge et l'avocat spécial reçoivent des documents qui sont déjà filtrés par le gouvernement selon ce processus.
Le sénateur Runciman : Mais j'imagine que ces documents seront utilisés pendant le processus.
M. Cameron : Les documents déjà filtrés sont utilisés dans ce processus. Mais ce qui est filtré n'est jamais vu.
Le sénateur Runciman : Je comprends. Vous parlez des informations qui ne sortent jamais du bureau du ministre, essentiellement.
M. Cameron : Exactement.
Le sénateur Runciman : Monsieur Morrison, j'aimerais vous remercier également d'être venu. J'aimerais que vous preniez une minute ou deux pour nous parler un petit peu de votre expérience. Parce que vous avez parlé de l'importance du partage d'information entre les agences de sécurité nationale. Vous avez dit que c'est d'une importance critique.
Je pense qu'on peut dire que vous avez loué le gouvernement par rapport aux dispositions du projet de loi C-51 et de la manière dont elles vont améliorer la situation. Je sais qu'il y a eu des accusations à l'effet que cela pourrait mener à des expéditions de pêche, et cetera, je pense qu'on a abordé ces accusations de manière efficace, mais on fait fi de cela.
Peut-être que vous pourriez parler un petit peu de votre expérience dans la communauté des agences de renseignement. Je pense que cela nous aiderait à comprendre l'importance des dispositions du projet de loi C-51.
M. Morrison : Le rôle des agents de liaison de la GRC à l'étranger est de venir en aide aux Canadiens qui sont en difficulté ou aux pays dont des citoyens résident au Canada qui ont des problèmes par rapport à l'application de la loi.
Quand j'étais à Islamabad, j'étais responsable de 17 pays. J'ai voyagé en Asie du Sud-Ouest et en Asie centrale et dans des régions du Moyen-Orient. Essentiellement j'ai voyagé dans 17 pays différents.
J'ai donné une présentation à une réunion de l'application de la loi dans le Moyen-Orient, c'était à Dubaï en 2003, et je parlais du partage des renseignements sur le plan international. Je reconnaissais que tout le monde a peur de partager des renseignements, surtout sur le plan international, parce que certains pays ont des lois qui leur permettent de faire tout et n'importe quoi avec ces renseignements une fois qu'ils sont divulgués.
Ce serait peut-être une bonne idée d'avoir un groupe de gens qui ont tous les cotes de sécurité nécessaires pour partager les renseignements, pour voir si on pourrait ensuite combattre le terrorisme et la criminalité organisée de manière plus efficace. Les terroristes et les gens qui font partie des organisations criminelles sont priorisés et ils ont une présence internationale, donc c'est très difficile de tout comprendre, comme M. Cameron l'a dit, sans avoir tous les renseignements.
Suite à mes déplacements à l'étranger et suite à mon travail ici au Canada, je suis devenu passionné par le partage de renseignements. Je pense qu'en tant que Canadiens nous avons la responsabilité de partager ces renseignements au bon moment avec les bonnes personnes et il faut le faire de manière efficace, c'est-à-dire avec imputabilité.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je remercie nos deux invités d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui. Ma question s'adresse à M. Morrison. Comme vous le savez, des annonces ont été faites en ce qui concerne le prochain budget du gouvernement. Croyez-vous que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité aura tous les moyens nécessaires pour jouer efficacement son rôle par rapport, entre autres, aux actions du SCRS?
[Traduction]
M. Morrison : C'est une question assez difficile. Je pourrais vous répondre « peut-être », mais pour ce qui est du rôle du SCRS, je pense qu'ils l'ont déjà défini. Je pense qu'ils sentent qu'ils ont les ressources nécessaires. Vous ne parlez pas au CSRAS; vous parlez au SCRS. C'est ce que je pense.
Je pense qu'il y aura un examen du projet de loi C-51 un an ou deux après son entrée en vigueur. Ce serait le moment de voir les causes et les effets du projet de loi et de voir si les agences ont les ressources dont elles ont besoin. Est-ce qu'elles ont besoin davantage de ressources? Est-ce que les ressources seront mises en œuvre pour aider l'équipe de partage de renseignements? C'est peut-être ça la question la plus importante.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je suis un ancien policier, et je comprends la situation. Normalement, les corps policiers disposent de tous les moyens nécessaires pour surveiller le travail des policiers. Permettez-moi de vous dire que la question était difficile à poser pour moi également.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux d'être venus. Ma première question s'adresse à M. Cameron.
J'ai lu votre mémoire tout à l'heure et j'ai également regardé le projet de loi. Est-ce que je vous ai bien entendu dire qu'il y a trois rôles : le rôle du juge, le rôle du procureur et le rôle de ceux qui défendent le client? Je sais que vous ne représentez pas exactement le client. Vous êtes l'avocat spécial. Dans le passé j'ai pratiqué le droit criminel. Je sais qu'il y a beaucoup de rôles différents qu'on peut jouer.
Ce qui se passe, c'est que le procureur joue le rôle de tout le monde et décide quels renseignements il devrait partager, pour commencer. Il n'a pas la même perspective que vous.
L'autre aspect est qu'en examinant les documents, vous connaissez déjà les arguments de la personne que vous représentez. Vous examinez les documents dans cette perspective. Si on vous refuse l'accès à tous les documents qui vous aideraient à appuyer cette version des faits — c'est-à-dire que vous n'avez même pas eu la possibilité de voir ces documents —, voilà la question.
On peut examiner les documents sous trois angles différents. Si vous ne pouvez même pas voir le texte qui pourrait vous aider à défendre les intérêts de la personne que vous représentez, n'est-ce pas là le problème?
M. Cameron : C'est la difficulté, oui.
La sénatrice Jaffer : C'est donc le procureur qui décide de l'argumentation.
M. Cameron : Il décide de quels outils l'avocat spécial disposera aux fins de la contestation. Si je devais armer mon adversaire, je lui donnerais une sarbacane et je me donnerais une mitrailleuse.
Pour répondre à un commentaire du sénateur Mitchell, qui se demandait pourquoi il agirait ainsi, je dirais que l'inverse est vrai. Il ne devrait pas s'opposer au genre d'amendement que nous proposons, selon lequel nous disons ne pas vouloir ce qui est pertinent, mais ce qui est associé. Permettez-nous d'effectuer le tri. Comment cela pourrait-il être choquant? Donnez-nous simplement vos fichiers.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Morrison, je vous ai écouté attentivement. Vous avez des arguments convaincants concernant le partage de documents. Je viens de la Colombie-Britannique. En tant que personne qui a été très marquée par l'affaire Air India, la question n'était pas au sujet du partage. Le ministre les a appelés des silos.
Mes inquiétudes ne concernent pas le partage de documents, mais leur finalité. J'aimerais vous entendre sur le protocole d'entente. Mon angoisse concerne le partage de documents avec des gouvernements étrangers. Nous nous souvenons tous de l'affaire Maher Arar. J'aimerais vous entendre sur la question des protocoles d'entente, à savoir s'ils devraient être en place préalablement et en quoi ils consisteraient.
M. Morrison : Quand j'ai parlé des garanties qui devraient être mises en place et de la formation de l'équipe de l'environnement de partage des renseignements, si vous voulez, une fois que le projet de loi C-51 sera adopté, c'est à ce moment-là que les protocoles d'entente seront élaborés, conformément à notre Charte, et avec l'appui du ministre et du commissaire à la protection de la vie privée afin qu'on sache comment les renseignements sont partagés.
Vous avez raison; c'est un recul. Nous avons partagé l'information et nous l'avons perdue. Quelqu'un l'a obtenue et elle n'aurait pas dû être là. C'est comme de l'information de source non fiable. Lorsque vous la partagez, où est-ce qu'elle aboutira?
Si la source d'information est une agence qui affirme que sa propre source l'a informée de quelque chose qui s'est passé, mais que la source en question n'a jamais participé au partage d'information dans le passé, on ne dirait pas que c'est une source de confiance. C'est de fiabilité inconnue puisque vous n'êtes pas certain. Toutefois, si une autre agence avait la même personne, et possédait une déclaration de cette personne disant qu'elle était impliquée dans une activité terroriste, tout d'un coup, vous êtes en train de constituer un dossier; des renseignements fournis par l'informateur que vous ne pensiez pas fiable deviennent plus crédibles. C'est à ce moment qu'il vous faut le bon groupe de personnes afin d'assurer que vous ne divulguiez pas de l'information de fiabilité inconnue, avant que vous ne réunissiez toutes les composantes. Sans avoir cette surveillance, ou un comité qui s'en occupe, vous risquez de ne pas savoir qui partage quoi avec qui, surtout sur le plan international.
Le sénateur White : Je vous remercie tous les deux de votre présence ici.
Monsieur Cameron, je reconnais qu'il y a une différence dans la manière dont se déroule l'audience. Mais ce que vous décrivez quand il s'agit de la communication de l'information du procureur de la Couronne avec l'avocat est exactement la façon dont cela fonctionne avec la défense en vertu de l'arrêt Stinchcombe aujourd'hui au Canada. La Couronne décide de la pertinence dans chaque cas. Il ne revient pas à la défense de parcourir le dossier au complet de la police et de dire : « Je crois que ceci est pertinent. » Stinchcombe était clair dans le sens que la pression était sur la Couronne au départ.
M. Cameron : Je comprends ce que vous voulez dire, mais lorsqu'il y a une comparaison avec le droit pénal, il faut comprendre les différences entre les contextes.
Dans le contexte criminel où il existe la communication de la preuve reconnue dans l'arrêt Stinchcombe, il s'agit d'un procès ouvert au cours duquel l'accusé voit tout ce qui se passe.
L'avocat spécial ne peut pas consulter la personne désignée. La personne désignée n'est pas dans la salle, donc l'avocat spécial doit avoir chaque élément d'information sur lequel il peut mettre la main afin de comprendre comment formuler une contestation efficace.
Le sénateur White : Je comprends bien la différence. Quand nous examinons ces affaires, ce n'est pas comme s'il s'agit d'une personne et d'un crime en particulier non plus. Il y a une grande quantité de renseignements qui pourraient peut-être renfermer un petit détail ayant trait précisément à la personne. Je ne crois pas qu'on permettrait à l'avocat de dépouiller cette information qui n'est peut-être pas du tout pertinente. Je suppose que j'ai un niveau de confiance plus élevé envers le procureur de la Couronne qui, en passant, ne représente pas le gouvernement. Il n'est pas là pour obtenir une déclaration de culpabilité pour ce qui est des affaires pénales ou même pour réussir. Il est là pour assurer que la preuve soit présentée afin d'avoir une décision plus juste. Je ne vois certainement pas la Couronne d'un mauvais œil comme c'est peut-être le cas pour vous, en raison peut-être de mon expérience professionnelle. J'essaie de comprendre comment il devrait y avoir un plus grand accès à une plus grande pertinence inconnue. Je pense qu'il faut quelqu'un pour déterminer la pertinence.
J'ose croire que la Couronne représente les intérêts des Canadiens et des Canadiennes.
M. Cameron : Nous croyons que le critère utile serait que l'information ait un rapport avec la personne désignée. Nous ne demandons pas de s'ingérer dans les dossiers gouvernementaux un peu au hasard. Dans tous les cas, il faudra qu'il y ait un lien avec la personne désignée. Dans le contexte du renseignement de sécurité, étant donné qu'il est tellement plus difficile de décider ce qui est pertinent ou pas, nous croyons que « se rapportant à » serait une norme plus adéquate. Si cela veut dire qu'il faut que j'examine 10 boîtes au lieu de deux, c'est une tâche que je...
Le sénateur White : Nous tenterons de ne pas vous faire porter un fardeau excessif. Mais j'ai une autre question.
Certaines personnes nous ont recommandé la mise sur pied d'équipes spéciales de procureurs chargés de la lutte contre le terrorisme et même de juges fédéraux particuliers qui sont formés précisément sur les questions de terrorisme. En fait, l'un d'eux était M. le juge John Major. Que pensez-vous de ces deux domaines?
M. Cameron : Est-ce que vous voulez dire pour les poursuites criminelles ou pour les cas de sécurité nationale, comme les questions de mandat telles celles-ci?
Le sénateur White : Les deux, en effet.
M. Cameron : La Cour fédérale a reconnu cette obligation il y a déjà un moment et ils ont une sous-catégorie du tribunal. Ils s'appellent des « juges désignés » ce qui signifie désignés pour entendre des causes liées aux renseignements de sécurité.
Le sénateur White : Du point de vue du procureur de la Couronne?
M. Cameron : La section du contentieux des cas de sécurité nationale au ministère de la Justice se spécialise dans ce domaine.
Le sénateur White : Vous croyez que les deux ont déjà répondu à ces préoccupations?
M. Cameron : Dans le contexte de la sécurité nationale, oui. Du côté criminel, je ne connais aucune sous-catégorie du Barreau ou du tribunal qui se spécialise dans le terrorisme criminel.
Le président : Je devrais peut-être poursuivre, puisque vous semblez en être bien informé. Est-ce que 10 juges ont été désignés pour ce domaine en particulier? Le savez-vous?
M. Cameron : Approximativement. Au fil des arrivées et des départs, le nombre fluctue, mais il y a un juge qui est nommé par le juge en chef qui est responsable pour les juges désignés, et ensuite il y a de 6 à 10 juges qui entendent les affaires de mandat secret. Ils sont expérimentés en matière de renseignements secrets. Ils savent à quoi ressemble une affaire du SCRS. Ce sont des juges spécialisés.
Le président : Cette réponse est la plus spécifique que nous ayons eue pendant nos audiences pour ce qui est de ce genre de domaine.
M. Cameron : Ils travaillent dans un centre spécial sécurisé et insonorisé, où personne ne peut entrer sans avoir une cote de sécurité. On doit laisser son téléphone à la porte. La Cour fédérale est bien organisée pour composer précisément avec ce genre d'information.
Le président : Est-ce que vous avez participé personnellement à ce genre de procédure?
M. Cameron : Oui, très souvent.
Le président : J'aimerais donner suite pour ce qui est de l'avocat spécial. On nous a dit qu'une des préoccupations dans le domaine de la sécurité publique et de la sécurité nationale serait l'échange d'information d'un pays à un autre. Il y a des inquiétudes par rapport à d'autres pays. Si le Canada permettait à leurs renseignements d'être divulgués, cela pourrait mettre leurs renseignements à risque. Par conséquent, c'est évident qu'ils hésitent à fournir ces renseignements.
Il me semble que, dans ce cas en particulier où une personne a été clairement identifiée, au point où il se tient une audience, s'il y a des renseignements d'un autre pays et des craintes que ces renseignements soient utilisés à mauvais escient, n'est-ce pas raisonnable que le juge prenne la décision de retenir les renseignements de la procédure, ou du moins de les garder secrets?
M. Cameron : Ce ne serait certainement pas divulgué à la personne désignée ni au grand public. La question est de savoir si ce devrait être retenu de l'avocat spécial? Il s'agirait de savoir si une agence étrangère respecterait le fait que, une fois les renseignements confidentiels fournis, elle ne voudrait pas les voir divulgués pour des raisons valables. Elle veut être sûre que le SCRS préserve cette information. Elle ne donne ces renseignements qu'aux personnes qui ont une autorisation de sécurité et qui les examineront dans des locaux protégés, l'avocat spécial étant la personne toute désignée pour cela. En effet, dans le monde de la gestion de l'information en matière de renseignements de sécurité canadiens, il n'y a pas beaucoup d'endroits que j'ai vus d'aussi formidablement organisés que chez les avocats spéciaux.
L'information sûre venant d'autres agences étrangères est envoyée aux agents de renseignements de première, deuxième et troisième années au SCRS qui viennent juste d'obtenir leur autorisation de sécurité. Dans le cas des avocats spéciaux, on parle d'avocats qui ont un minimum de 20 années d'expérience au Barreau et qui ont satisfait à toutes les exigences en matière de renseignements de sécurité. Ils doivent quitter leur bureau pour se rendre dans une salle sécurisée spéciale — je dirais blindée, faute d'une meilleure description — sans fenêtre afin de l'examiner. Ils ne peuvent pas partir avec quoi que ce soit. Si vous devez vous défendre devant une autre agence, vous pourriez facilement dire qu'il s'agit d'un des endroits les plus sécurisés dans lequel votre information pourrait être envoyée. Nous avons une bonne sécurisation en général, mais ne vous inquiétez pas pour ce qui est des avocats spéciaux, parce qu'ils sont un groupe très rigoureux.
Le président : Monsieur Morrison, j'aimerais en savoir plus sur votre passé dans le secteur technique et dans la surveillance, tel qu'évoqué par le sénateur Runciman. Pourriez-vous nous mettre à jour sur les changements technologiques dans le monde de la surveillance que vous avez vus depuis, ainsi que sur le besoin d'un nouveau fondement législatif conséquent?
M. Morrison : En ce qui concerne mon passé, j'œuvrais dans la division de la GRC appelée « I » spéciale, qui faisait de la surveillance électronique secrète. J'en ai fait partie pendant de longues années.
Ce qui a changé au cours des dernières années, c'est la quantité de données disponibles. Le changement a été dramatique, à cause de l'information de source libre sur Internet, et cetera. Il y a aussi la complexité liée aux enquêtes sur les groupes de crime organisé de plus en plus sophistiqués. Le crime organisé et la sécurité nationale se ressemblent essentiellement. On a affaire à des gens des deux côtés qui sont très organisés, très intelligents, et branchés sur le monde, ce qui accroît la complexité. Ils connaissent à fond les méthodes policières et les techniques de renseignement, et voilà pourquoi il nous faut les devancer et sans cesse changer. On ne peut plus mettre le micro dans la tasse de café. Il faut changer de tactique pour confondre les criminels qui amassent toutes ces connaissances. Quand on voit à quel point ces organisations sont devenues internationales, il est clair qu'il nous faut échanger des renseignements, car sans cela, pas moyen de mettre ensemble toutes les pièces du puzzle.
Le sénateur Mitchell : Monsieur Cameron, en ce qui a trait au nouveau pouvoir de perturbation avec mandat donné au SCRS, on voit qu'il n'y a aucune disposition précise au sujet d'un avocat spécial faisant partie du processus, ni même une obligation à cet égard. Si je ne me trompe, il n'y a aucune exigence d'avoir un avocat spécial présent quand on décide d'inscrire quelqu'un sur la liste d'interdiction de vol. Le ministre nous a dit que le juge peut faire appel à un avocat spécial à n'importe quel moment. Que diriez-vous au ministre? A-t-il raison?
M. Cameron : Un juge peut certainement demander à quelqu'un d'agir à titre d'amicus, et lui donner des pouvoirs plus ou moins équivalents à ceux d'un avocat spécial.
Nous serions davantage à l'aise si la nomination d'un avocat spécial était obligatoire dans les deux cas, et la loi elle- même serait plus susceptible de résister à une contestation devant la Cour suprême. L'absence d'un avocat spécial dans le processus d'inscription sur la liste d'interdiction de vol a déjà été soulignée par bon nombre d'experts comme étant un tendon d'Achille constitutionnel.
Dans les deux cas, soit le mandat et la liste, le juge devrait au moins être appelé par la loi à considérer la nomination d'un amicus qui tiendrait compte des intérêts du parti absent, ainsi que de la constitutionnalité de la demande faite au juge.
Si cette disposition est inscrite dans la loi, le juge aurait à la fois l'autorité morale et juridique de contrer ce que l'on voit fréquemment devant les tribunaux de nos jours, soit une forte opposition de la part des avocats du ministère de la Justice à la nomination d'un amicus. On aurait pensé qu'ils seraient assez confiants pour se voir mettre au défi de défendre leurs dossiers. Mais non, ils s'opposent non seulement à nous, mais aussi au juge qui tente de nommer un amicus pour contester l'argumentaire du gouvernement. Si, tel que nous le proposons, une disposition était inscrite à la loi qui donnerait au juge non seulement l'occasion, mais bien le droit de nommer un amicus, en plus de l'inviter à le faire, le juge échapperait à cette résistance.
Le sénateur Mitchell : Est-ce qu'un amicus est la même chose qu'un avocat spécial?
M. Cameron : Je vous dirais que non, car un amicus reçoit d'emblée une série de directives. On dit à un amicus de faire telle ou telle chose et non pas telle autre. Un amicus pourrait avoir les mêmes pouvoirs qu'un avocat spécial, mais il pourrait en avoir moins.
Le sénateur Mitchell : Donc, c'est la décision du juge.
M. Cameron : Oui.
Le sénateur Day : Monsieur Cameron, pour revenir à la question du sénateur Mitchell, faites-vous la différence entre la constitutionnalité, la Charte des droits et libertés, et les lois du Canada en général? C'est sûr qu'il y a une différence en ce qui concerne la hiérarchie, et ici ils parlent des deux. Anciennement, et même maintenant, les mandats autorisent une activité qui pourrait autrement enfreindre une loi du Canada.
M. Cameron : Oui.
Le sénateur Day : Ils vont plus loin ici en affirmant que le juge autoriserait la violation d'une loi du Canada plutôt que d'autoriser l'activité en question, mais est-ce qu'on parle d'une violation de la Loi canadienne et de la Constitution, ou des droits de la Charte? Comment les concilier? Comment peut-on permettre une activité qui pourrait être en infraction à une loi canadienne sans miner les droits en vertu de la Charte?
M. Cameron : Je ne crois pas que cette disposition du projet de loi survive à un examen par la Cour suprême du Canada. On ne peut pas intégrer une disposition de dérogation à une loi en catimini. Si le gouvernement cherche à adopter une loi qu'il sait va bafouer les droits des Canadiens en vertu de la Charte, il doit dire d'emblée : « Nonobstant la Charte, un juge peut faire X. » Et je ne vois pas comment cela peut survivre à une contestation en vertu de la Charte.
Le président : Notre temps s'écoule. J'aimerais remercier les témoins pour avoir pris le temps d'être avec nous aujourd'hui. Merci d'avoir comparu.
(La séance est levée.)