Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 4 - Témoignages du 29 janvier 2014
OTTAWA, le mercredi 29 janvier 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 24, pour étudier les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et je préside le comité. J'invite mes collègues à se présenter.
Le sénateur Eggleton : Je m'appelle Art Eggleton, je suis un sénateur de Toronto et le vice-président du comité.
La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, je suis une sénatrice de Montréal, Québec.
[Traduction]
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Stewart Olson : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau- Brunswick.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.
Le président : Je souhaite la bienvenue aux témoins et les remercie de leur présence. Mais avant de les inviter à prononcer leur allocution liminaire, j'aimerais dire quelques mots. Tout d'abord, bienvenue en ce début de session. J'espère que tout le monde est en forme.
Nous commençons une nouvelle phase de notre étude en quatre parties sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance. L'étude a pour titre « la nature des effets inattendus ». Je crois que nous avons un excellent plan de travail pour la session. Je présenterai demain à la Chambre le rapport sur la troisième phase que nous avons en fait terminé à la fin du printemps. Mais, compte tenu du mode opératoire du Parlement, nous ne pouvons le présenter que maintenant.
J'invite maintenant Mme Ingrid Sketris, du Conseil canadien de la santé, et qui n'en est pas à son premier témoignage, à prononcer son allocution liminaire.
Ingrid Sketris, conseillère, Conseil canadien de la santé : Je suis très heureuse de me trouver ici aujourd'hui pour aborder le sujet des professionnels de la santé dans le contexte de l'utilisation sécuritaire des produits pharmaceutiques d'ordonnance, ainsi que celui des méthodes de prévention des conséquences non voulues de l'utilisation de ces produits.
Dans cette présentation, je limiterai aujourd'hui mes commentaires à certains domaines qui intéressent les professionnels de la santé, et j'exposerai les mesures envisageables dans le but d'améliorer l'innocuité, l'efficacité et l'accessibilité économique de la pharmacothérapie pour les Canadiens. Celles-ci comprennent notamment la participation des professionnels des soins de santé à des initiatives axées sur la qualité, la mise en place de modèles de soins qui facilitent la prestation de soins intégrés de haute qualité, et la mise à disposition d'outils et de soutiens adéquats. C'est avec plaisir que je répondrai aux questions après ma présentation.
Pour me situer, je suis pharmacienne autorisée de la Nouvelle-Écosse et professeure de pharmacie à l'Université Dalhousie. Je suis membre de la Société canadienne des pharmaciens d'hôpitaux, de l'American College of Clinical Pharmacy et de l'Académie canadienne des sciences de la santé. J'ai exercé en tant que pharmacienne d'hôpital pendant 20 ans, et en ce moment, je suis enseignante et chercheuse en pharmacie.
De 2000 à 2011, j'ai été titulaire d'une chaire de recherche en politiques sur les produits pharmaceutiques. Ma recherche comprend notamment l'étude de méthodes qui améliorent l'utilisation sécuritaire, efficace et économique des médicaments. Je suis ici aujourd'hui à la fois comme pharmacienne et comme conseillère du Conseil canadien de la santé. Le Conseil de la santé a commandé un mémoire sur la prescription et l'utilisation optimales des médicaments au Canada, que nous lui avons remis. Ce rapport faisait suite au Plan décennal de 2004 des premiers ministres et se référait à une mesure de la Stratégie nationale relative aux produits pharmaceutiques qui prévoyait d'intensifier l'intervention pour influencer les habitudes de prescription des professionnels de la santé de sorte que les médicaments soient utilisés uniquement lorsque le besoin est réel et que le médicament convienne bien au problème.
Mon exposé abordera le cadre de ce rapport et vous offrira des renseignements sur des études plus récentes et des données tirées d'autres rapports du Conseil de la santé.
Il existe de nombreuses possibilités d'améliorer la qualité du système de prescription et d'utilisation des médicaments au Canada. Le rapport du Conseil de la santé offre des exemples de sous-utilisation, de surutilisation, d'utilisation inappropriée et d'utilisation abusive des médicaments d'ordonnance et de variations dans l'utilisation des médicaments tant à l'intérieur des secteurs de compétence qu'entre ceux-ci. Y sont répertoriés les obstacles et les éléments facilitants, et on y examine les approches qui améliorent la prescription et la gestion des médicaments, ainsi que leurs preuves scientifiques.
Les professionnels des soins de santé doivent participer davantage aux initiatives d'amélioration de la qualité qui portent sur les médicaments d'ordonnance. Les organisations fédérales et nationales, telles que Santé Canada, l'inforoute santé du Canada, l'Institut canadien d'information sur la santé, l'Institut canadien pour la sécurité des patients, l'Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, la Fondation canadienne pour l'amélioration des services de santé, les Instituts de recherche en santé du Canada, ainsi que des organisations et des initiatives provinciales comme le Conseil de la qualité en santé de la Saskatchewan et l'Alliance pour l'évaluation des médicaments de la Nouvelle-Écosse contribuent à mesurer et à améliorer l'efficacité et l'innocuité des médicaments d'ordonnance pris par les patients.
Toutefois, bien des initiatives provinciales sont à petite échelle, et les mécanismes de collaboration entre les différentes organisations et instances gouvernementales sont limités.
D'autres pays partent d'une perspective plus nationale lorsqu'il s'agit de faire des recommandations et de donner des informations sur les médicaments. Par exemple, au Royaume-Uni, le Medicines and Prescribing Centre du National Institute for Health and Care Excellence fournit les renseignements et les recommandations; il a élaboré un unique cadre de compétences en matière de prescription qui s'adresse à tous les professionnels — médecins, dentistes et prescripteurs non médicaux.
Le National Prescribing Service, que finance le ministère de la Santé du gouvernement australien depuis 1998, organise, pour les professionnels des soins de santé et les consommateurs, des campagnes de sensibilisation sur l'utilisation de qualité des médicaments.
Un projet canadien prometteur, le Réseau canadien de surveillance sentinelle en soins primaires, compte 476 sentinelles — médecins de soins primaires participants, utilisateurs des dossiers de santé électroniques — qui fournissent des données sur plus de 500 000 patients dans huit provinces; il a entrepris un certain nombre d'initiatives sur la qualité, notamment sur l'utilisation des médicaments dans la gestion des maladies chroniques.
Le système de soins de santé a besoin de modèles de soins fondés sur le travail d'équipe, axés sur le patient, et intégrés. Antérieurement, les soins de santé étaient largement actifs et épisodiques, mais dorénavant, les patients reçoivent des produits pharmaceutiques d'ordonnance pour de longues périodes, dans le cadre de la prévention des maladies et du traitement de maladies chroniques multiples.
Ces médicaments sont prescrits par plusieurs prescripteurs, dans les services des urgences, les soins actifs, les soins primaires et les soins continus. Non seulement les médecins de famille, les spécialistes et les dentistes peuvent rédiger des ordonnances, mais certaines provinces autorisent également les infirmières praticiennes, les sages-femmes, les optométristes, les podiatres et les pharmaciens à prescrire des médicaments précis, ce qui élargit l'accès aux médicaments d'ordonnance, mais accroît aussi la complexité du système.
Robyn Tamblyn, de l'Université McGill — qui a comparu récemment comme témoin —, a publié un article intitulé Do too many cooks spoil the broth? où elle constatait qu'entre 18 et 28 p. 100 des combinaisons de médicaments potentiellement inappropriées résultaient de coprescriptions rédigées par des médecins différents; dans une autre publication, elle souligne que les patients qui faisaient affaire avec plus d'une pharmacie étaient davantage exposés au risque d'une omission dans la liste des médicaments figurant au dossier du service des urgences.
En Nouvelle-Écosse, une étude dirigée par Latter a demandé à des médecins, à des pharmaciens et à des éducateurs spécialisés en diabète quel conseil ils donneraient à des adultes atteints du diabète de type 2 à propos des bandelettes réactives pour diabétiques; cette recherche a montré une variabilité des recommandations, qui, remarque-t-on, pourrait être réduite si des programmes interdisciplinaires de formation continue étaient mis en place.
Depuis, le ministère de la Santé et du Mieux-être de la Nouvelle-Écosse a financé un programme de formation intitulé Self-Monitoring Blood Glucose : Are We Singing from the Same Song Sheet pour ces intervenants. Outre les connaissances et les compétences que leur offrent la formation professionnelle et l'éducation permanente en santé, les professionnels de la santé ont besoin d'informations, d'outils et de services de soutien à jour et crédibles pour prendre des décisions en matière de pharmacothérapie lorsqu'ils prescrivent ou délivrent des médicaments.
On compte plus de 16 000 produits médicamenteux donnés sur le marché canadien, et de nouvelles preuves scientifiques paraissent chaque jour. Les professionnels de la santé ont besoin de dossiers de santé électroniques dotés de systèmes de soutien à la décision clinique qui permettent de prescrire par voie électronique, afin d'améliorer la qualité des soins, d'éviter la morbidité liée aux médicaments susceptible d'être prévenue et d'offrir un bon rapport qualité-prix pour les dépenses pharmaceutiques.
Le Rapport de progrès 2013 du Conseil canadien de la santé constate que l'adoption de la prescription électronique varie de 10 p. 100 à Terre-Neuve-et-Labrador à 58 p. 100 en Alberta.
Si on le compare avec neuf autres pays (l'Australie, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, le Royaume- Uni, la France, la Suisse, la Norvège et les États-Unis), le Canada se classe septième, les Pays-Bas obtenant la première place avec 98 p. 100 de prescriptions électroniques.
Parmi ces mêmes pays, le Canada arrive en neuvième position sur dix pays, avec 43 p. 100 pour le critère de la capacité à établir facilement une liste des médicaments d'un patient, y compris ceux prescrits par d'autres médecins.
Toutes les provinces adoptent des systèmes d'information sur les médicaments qui permettent aux médecins et aux pharmaciens d'être au courant des médicaments prescrits et délivrés par d'autres professionnels, mais pour réaliser ce potentiel, il faudra que les professionnels de la santé comprennent son intérêt et s'en servent lorsqu'ils soignent leurs patients.
Les systèmes électroniques de gestion de l'information sur les médicaments doivent aussi pouvoir fournir des données sur les risques, sur les avantages et sur l'incertitude liés à l'utilisation de médicaments d'ordonnance pour des indications et des populations de patients spécifiques, sous une forme utile aux professionnels des soins de santé et aux patients, ainsi qu'à la prise de décisions en commun.
Certains systèmes canadiens de dossiers de santé et de dossiers pharmaceutiques électroniques utilisent des bases de données d'information sur les médicaments adaptées des États-Unis, où la disponibilité des médicaments, leurs indications, leurs effets secondaires, les mises en garde réglementaires et les prix peuvent être différents.
Gaikwad a dirigé en Nouvelle-Écosse une étude, publiée en 2007, qui visait à déterminer le potentiel d'alarmes déclenchées par les systèmes de dossiers de santé électroniques pour signaler des interactions médicamenteuses graves et en éviter de fausses dans des paires de médicaments causant couramment des interactions médicamenteuses.
L'étude a signalé des problèmes liés à des informations manquantes ou dépassées ainsi qu'à des divergences découlant du fonctionnement des bases de données. Dans le contexte de la création de connaissances, le Canadian Network for Observational Drug Effect Studies, le CNODES, effectue des recherches sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments dans le double but de combler les lacunes dans l'information sur l'utilisation réelle des médicaments et de fournir ces renseignements aux utilisateurs d'ici et de l'étranger.
Outre les conseils donnés verbalement, il faudrait aussi présenter aux patients des informations à jour, lisibles et appropriées sur les médicaments d'ordonnance. Dans le Sondage international 2010 du Fonds du Commonwealth sur les politiques de santé, 74 p. 100 des patients ont indiqué que les effets secondaires des médicaments leur avaient été expliqués par un médecin et 69 p. 100 ont déclaré que leur médecin passait en revue leurs médicaments au moins une fois par an.
En résumé, une coordination nationale des approches est nécessaire afin d'améliorer la qualité de la prescription, avec notamment la participation des professionnels des soins de santé à des initiatives d'amélioration de la qualité à l'échelle du système. Ces professionnels, de même que les patients, ont besoin qu'on leur fournisse les outils et les services de soutien qui éviteront les conséquences non voulues de la pharmacothérapie d'ordonnance.
Ces éléments sont nécessaires si l'on veut permettre aux Canadiens d'obtenir de meilleurs résultats de santé grâce aux médicaments d'ordonnance. Merci de m'avoir accordé la possibilité de faire cette présentation. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : J'invite maintenant à prendre la parole Hugh MacLeod et Emily Musing, respectivement directeur général et membre du conseil de direction de l'Institut canadien pour la sécurité des patients.
Hugh MacLeod, directeur général, Institut canadien pour la sécurité des patients : Bonjour et merci. Je m'appelle Hugh MacLeod et je suis le directeur général de l'Institut canadien pour la sécurité des patients, mais je témoigne aujourd'hui à titre de patient, d'époux, de père, de grand-père et de citoyen très inquiet.
Je suis accompagné d'Emily Musing, membre du conseil d'administration de l'ICSP et directrice générale des services pharmaceutiques, de la gestion des risques cliniques et de la qualité des soins au Réseau universitaire de santé. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de venir témoigner devant le comité.
Comme vous le savez, le système d'ordonnance de produits pharmaceutiques comprend quatre grandes étapes : premièrement, la recherche et le développement, deuxièmement, l'examen réglementaire, troisièmement, la fabrication, la distribution et la commercialisation du médicament et quatrièmement, l'utilisation du médicament. Chaque étape contient de nombreux points de contrôle critiques où les problèmes de qualité, d'innocuité et d'efficacité peuvent être résolus et où des défaillances peuvent survenir.
Je crois que cela renforce la nécessité de l'approche holistique que faisait valoir madame Sketris. Notre discours d'ouverture sera axé sur les conséquences imprévues liées à l'utilisation de produits pharmaceutiques d'ordonnance. Nous avons bel et bien réalisé des progrès. Malheureusement, le compteur enregistre toujours des problèmes et les changements se produisent à un rythme beaucoup trop lent.
En fin de compte, les erreurs liées à la réconciliation médicamenteuse et à la gestion des médicaments touchent tout le monde : les patients, les résidents, les clients et les familles.
Avec quelles conséquences? Des pertes de vie, de l'invalidité prolongée, des préjudices temporaires, la prolongation du temps de convalescence, la confusion à propos du plan de traitement, la perte de revenu et une augmentation des coûts personnels. Et qu'est-ce que cela coûte au système de santé en général? La prolongation du temps de convalescence et l'augmentation de l'utilisation des lits, l'augmentation des coûts et des heures travaillées par le personnel étant donné que le travail est refait, y compris les coûts juridiques, les réadmissions et les visites à l'urgence, les complications et la confusion dans les salles d'urgence bondées, et, partant, la diminution de l'accès aux services pour les autres patients et l'augmentation des temps d'attente que ce soit dans les salles d'urgence ou pour la chirurgie.
Et les coûts pour la société? La perte de productivité, l'absentéisme au travail et le nouveau dilemme de plus en plus fréquent et pire que l'absentéisme, le « présentéisme », le déficit cognitif, non seulement à cause de la maladie, mais aussi de l'angoisse, du stress et peut-être des médicaments que l'on prend. À cela, il faut ajouter l'augmentation des coûts pour les régimes d'assurance-maladie, la diminution de la confiance du public et les conséquences sur les autres secteurs de la société, qu'il s'agisse de l'éducation, des services sociaux ou de la justice.
Je pense que le défi que nous devons relever a été extrêmement bien décrit en 2001, dans un document précurseur qui a abouti à la campagne des 100 000 vies aux États-Unis et aux travaux de Ross Baker au Canada, grâce auxquels on a fait ressortir des données quantitatives sur les niveaux de préjudices causés.
Ne l'oubliez pas, il s'agit d'une déclaration vraiment importante faite en 2001 et je cite :
La science et la technologie associées aux soins de santé — les connaissances, les compétences, les interventions, les dispositifs et les médicaments — ont progressé plus rapidement que notre capacité de les offrir de manière sûre, efficace et efficiente.
C'était en 2001. Imaginez la nouvelle complexité de notre système de soins de santé, le rythme de son évolution et la merveille des médicaments miracles et des nouvelles technologies. Or aujourd'hui, les patients présentent à un âge beaucoup plus jeune des troubles concomitants qui nécessitent des traitements multiples.
Si la complexité posait problème en 2001, je vous le dis, le problème est encore plus grave aujourd'hui. Nous n'avons pas prêté attention à cet avertissement en 2001. Aujourd'hui, nous devons le faire.
Par « nous », j'entends nous tous. Nous avons tous, ici et ailleurs, l'autorité juridique ou morale de promouvoir des pratiques d'utilisation sécuritaire des médicaments, certains d'entre nous ont les deux. Collectivement, nous avons le pouvoir d'obliger les professionnels de la santé à rendre des comptes aux patients, aux résidents et aux clients à qui ils doivent offrir des services.
Il est essentiel de poser des questions et de jeter un œil critique sur la situation actuelle — ce que vous faites d'ailleurs dans le cadre de ces audiences. Il importe au plus haut point d'examiner l'ensemble des éléments qui ont abouti au problème et aux obstacles que nous devons surmonter. Nous reconnaissons qu'il ne sera pas facile de faire face aux obstacles historiques, systémiques et comportementaux afin de changer les choses, mais il faut le faire. C'est pourquoi nous vous présentons ici un résumé des mesures critiques à prendre.
Ce que je vais dire semble élémentaire, mais il faut le prendre au sérieux, car l'innocuité des médicaments est une affaire grave. Presque tous les patients traités dans le système de santé prennent un ou plusieurs médicaments. Le coût des réadmissions est prohibitif. Les stratégies de prévention des erreurs pour les médicaments comportant un risque élevé (insuline, opioïdes, warfarine, et cetera) ne sont pas pleinement mises en œuvre dans tout le système de santé canadien. Les recherches montrent que 50 p. 100 des événements indésirables sont liés aux communications et que 50 p. 100 sont liés aux médicaments.
Deuxièmement, l'innocuité des médicaments est une question de saines relations et de saines interactions à tous les niveaux de la chaîne de soins. L'innocuité des médicaments est souvent une question d'interactions entre les personnes et la technologie. Les résultats au plan de la sécurité des patients découlent des interactions entre les fournisseurs de soins et les patients, les clients et les résidents. En conséquence, la distribution sécuritaire de médicaments concerne principalement la manière dont les fournisseurs de soins interagissent non seulement entre eux, mais avec les patients et les clients, lors des transferts de la salle d'opération à la salle de réveil, à l'unité de soins et à la sortie du service hospitalier.
Troisièmement, des changements culturels et des changements comportementaux s'imposent. Étant donné que les modèles de dotation changent — et ils changent sans cesse dans le système de soins de santé — et qu'il devient de plus en plus complexe d'assurer la sécurité des patients en raison du vieillissement, nous devons discuter du niveau de connaissances médicales requis. L'accès à des pharmaciens cliniciens pose problème dans la majeure partie du système, sauf dans les grands établissements tertiaires et d'enseignement. Nous devons par ailleurs renseigner davantage les consommateurs sur les médicaments qu'ils prennent en les sensibilisant aux risques qui y sont associés. Le fait d'avoir une liste personnelle de médicaments devrait être une pratique courante, au même titre que porter une ceinture de sécurité.
Quatrièmement, nous devons nous concentrer sur les évidences que nous ne voyons pas. Nous n'avons pas assez ciblé la concurrence ou l'égo, tant passif qu'agressif, entre les professionnels de la santé. Certains des problèmes sont causés par la mauvaise connaissance ou compréhension du rôle de chaque profession quant à la gestion des médicaments et par le manque d'intégration dans l'ensemble du continuum de soins.
Nous devons modifier les politiques qui sont souvent fragmentées et erratiques. Nous devons tenir compte de l'avis des patients, de la famille et des clients qui, s'ils sont bénéficiaires de nos soins peuvent aussi en subir les effets indésirables.
Sixièmement, nous devons nous servir de la technologie pour transmettre de l'information aux patients et leur permettre d'indiquer leurs besoins ou leurs préférences. Il faut que le médecin et le patient puissent avoir accès à une quantité suffisante d'informations sur l'efficacité du médicament, ses effets indésirables, la prescription correcte de la dose, sa fréquence de prise, sa voie d'administration et son dosage afin que le patient puisse reconnaître ses effets et ses effets indésirables.
Enfin, nous devons nous concentrer sur notre main-d'œuvre et sur les conséquences de l'absentéisme. Nous n'avons jamais eu autant de gens en congé de maladie, pris en charge par la Commission des accidents de travail ou en congé d'invalidité. Autrefois, on se plaignait de douleurs musculosquelettiques et de tissus mous, aujourd'hui les plaintes les plus courantes sont liées à l'angoisse et au stress, qui constituent le gros des réclamations chez les travailleurs de la santé. Nous parlons certes des médicaments, mais il y a aussi le problème de la santé des travailleurs qui prodiguent des soins.
En résumé, nous avons besoin de leadership pour comprendre que la culture, au niveau de l'organisation et au niveau des unités, est la clé du changement. Il y a une différence entre un poste de travail et une unité, et elle est plus grande que l'organisation.
Il faut un leadership pour comprendre que les droits acquis, les attentes et les émotions l'emportent quelquefois sur les faits. Où vais-je en pensant ainsi? Autrement dit, l'ignorance, le silence, l'indifférence et la complaisance sont parfois et à mon avis les plus grands ennemis dans la lutte que nous menons pour améliorer l'innocuité des médicaments.
Finalement, il faut un leadership de la part du gouvernement et en particulier de la part des conseils d'administration, des professionnels et de l'industrie pour qu'ensemble, ils puissent trouver une solution. Nous avons un atout au Canada, les compétences, les talents et la passion ne manquent pas. Mais il nous faut trouver le moyen qui permettra aux gens de renoncer à leur ego et de prendre l'engagement suivant : « Je veux contribuer à créer un environnement sécuritaire pour le patient, le client et le résident. »
Merci de m'avoir invité à témoigner et je me réjouis à la perspective du débat que nous allons tenir.
Le président : Merci beaucoup, je vais céder la parole à mes collègues.
Le sénateur Eggleton : Je vais commencer avec madame Sketris. Dans votre exposé, vous avez abondamment parlé de la nécessité de la gestion électronique des dossiers. Le comité a fermement défendu cette idée. Dans plusieurs rapports, nous avons fait valoir qu'il fallait procéder à une plus grande échelle. Cela prend beaucoup de temps pour passer, parmi les pays que vous avez mentionnés, de la catégorie des plus mauvais, dans laquelle nous sommes aujourd'hui, à celle des meilleurs.
Que devrions-nous faire pour qu'il y ait une percée? Que devrions-nous faire selon le conseil? Je sais qu'une autre agence s'occupe directement de la tenue électronique de dossiers, mais vous souhaitez sans doute aller plus loin dans cette direction. Que devrions-nous faire à votre avis?
Mme Sketris : Il faut continuer de coordonner l'approche. Au Canada, et notamment en Nouvelle-Écosse, nous élaborons notre propre système d'information sur les médicaments. L'Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve ont le leur. Dans d'autres pays, on procède au niveau national. Les provinces ont certainement appris les unes des autres, mais elles sont de taille bien modeste et les séries de compétences requises tant pour les dossiers de santé électroniques que les bases de données qui s'y rattachent sont très complexes.
Il y a deux cas de figure. D'une part les provinces, ou de petites entreprises, élaborent leur propre système pour appuyer les décisions cliniques; d'autre part, des pays ont une approche beaucoup plus nationale. Au Royaume-Uni par exemple, le National Prescribing Centre opère des systèmes électroniques à l'appui des décisions cliniques auxquelles sont rattachés tous les dossiers de santé du pays.
Le sénateur Eggleton : Pensez-vous qu'il faudrait avoir des incitatifs financiers? Est-ce que d'autres pays y ont recours?
Mme Sketris : J'étais en congé sabbatique en Australie dans les années 1990 lorsque le pays a instauré le dossier médical électronique pour les médecins de famille. Aujourd'hui, il est utilisé à plus de 90 p. 100, mais lors de son lancement, il y avait un incitatif financier. Lorsque le centre médical Tufts de Boston est passé à l'électronique, on a libéré les médecins de leurs occupations plusieurs heures par jour pour qu'ils puissent apprendre à utiliser le système. Il y a donc plusieurs moyens d'augmenter la participation.
Le sénateur Eggleton : Dans votre exposé, vous avez parlé de l'Australie et aussi du Royaume-Uni. Vous avez d'ailleurs séjourné en Australie. Sur la question générale des effets inattendus des médicaments et mis à part les dossiers électroniques, y a-t-il quelque chose que l'on pourrait apprendre des Australiens plutôt que de réinventer la roue? Y a- t-il une ou deux pratiques particulièrement utiles que vous choisiriez?
Mme Sketris : J'aime bien leur service national d'ordonnances pour diverses raisons, notamment pour leurs programmes de sensibilisation du public. L'un d'eux par exemple visait à faire baisser l'usage des antimicrobiens pour les rhumes. On y présentait au public des petits paquets de Kleenex en faisant passer le message que lorsqu'on a un rhume, on n'a pas forcément besoin d'un antimicrobien. Souvent, du repos, des liquides et des Kleenex suffisent. Ce genre de programmes était présenté dans tout le pays avec l'appui des médias et notamment de magazines tels que notre Canadian Living. Avec l'appui des professionnels de la santé, il lançait chaque année sur un ou deux sujets des campagnes dans tout le pays.
Le sénateur Eggleton : Merci. Monsieur MacLeod, je constate que vous avez des idées bien arrêtées sur le sujet et que celui-ci vous passionne. Dans votre exposé, vous avez proposé un certain nombre de mesures dont beaucoup concernent les fournisseurs de soins de santé et les praticiens, qui ne relèvent pas de nous, mais des provinces. En revanche, nous sommes concernés au plus haut chef par les médicaments. Avez-vous communiqué vos idées aux provinces et comment ont-elles été accueillies? Pouvez-vous au moins les convaincre du fait que, si le gouvernement fédéral ne les aidera pas dans ce dossier, elles pourraient, par le truchement du conseil des ministres, coordonner et partager davantage les pratiques exemplaires et s'aligner sur les principes que vous proposez?
M. MacLeod : C'est une excellente question. Nous sommes en contact avec toutes les provinces, au niveau des conseils sur la qualité des soins de santé. Il y a une bonne représentation du pays, que ce soit au niveau des sous- ministres associés ou des pouvoirs sanitaires régionaux, et l'innocuité des médicaments est l'un des grands thèmes traités dans tout le pays.
Qu'avons-nous en commun? Il se peut que nos approches diffèrent, mais nous avons tous conscience de l'ampleur du dilemme et des défis qui nous attendent, et nous nous tournons les uns vers les autres pour trouver des solutions.
Pour ce qui est des praticiens, ils font bien plus que de donner de simples bonbons. Comme le disait un bon ami, cela prend 15 secondes pour remplir une ordonnance, mais 45 minutes pour faire un diagnostic.
Ce qui m'inquiète par contre, c'est le rythme effréné des consultations. Cet ami — qui est praticien — me disait aussi : « Est-ce que nous ne sommes pas en train d'avoir une histoire d'amour avec les médicaments? Ne devrions-nous pas plutôt prendre du recul et admettre que les médicaments sont là pour réduire et soulager la douleur? » La douleur a bien des causes. Ce peut être une blessure, un accident de voiture, et cetera. Ne devons-nous pas remonter le fil des événements pour comprendre les causes premières et est-ce que l'ordonnance est le seul moyen de traiter la douleur? Je pense qu'on ne discute pas assez de ce sujet. On devrait le faire, non seulement au niveau collectif, mais aussi individuel.
Le sénateur Eggleton : J'ai une dernière question. Faites-vous quoi que ce soit pour éduquer les praticiens et les médecins qui font toutes ces ordonnances et qui ne portent peut-être pas suffisamment attention aux quantités et aux interactions?
Emily Musing, membre du conseil de direction, Institut canadien pour la sécurité des patients : Je pense qu'on a accès à de plus en plus d'informations et à un rythme de plus en plus rapide au point qu'il est très difficile pour un médecin de conserver son expertise sur tous les médicaments qu'il donne à ses patients. Parallèlement, et c'est aussi un problème, les patients ont changé d'attitude par rapport aux décisions de santé qu'ils prennent et se tournent aujourd'hui vers l'Internet et les médias sociaux. Malheureusement, l'information qui s'y trouve n'est pas vérifiée par des pairs et ne permet pas de prendre des décisions éclairées. Nous vivons donc à une époque où il y a certes énormément d'informations, mais pas toujours exactes. Parallèlement, les professionnels des soins de santé qui doivent prendre les décisions peuvent se retrouver dans des situations où ils n'ont ni le temps ni les compétences pour le faire. C'est là qu'entre en jeu l'interaction entre les professionnels, notamment les pharmaciens, les infirmières praticiennes et les médecins. Ce sont eux qui doivent agir de façon concertée et coordonnée pour que l'on puisse utiliser pleinement l'expertise mise à disposition.
Le rôle qu'assume l'ICSP consiste à veiller à ce que ce lien existe, à ce que le patient participe à ce dialogue et à ce que les outils soient disponibles. Vous avez parlé plus tôt de la technologie et de sa mise en œuvre. Je pense que l'une des difficultés liées à l'utilisation de la technologie comme moyen idéal de résoudre les problèmes tient au fait que la technologie coûte très cher et qu'en l'absence d'un effort coordonné à l'échelle nationale pour définir la façon dont nous mettrons en œuvre la technologie, les gens qui auront les moyens d'acheter la technologie, c'est-à-dire les grands hôpitaux de soins actifs dont je proviens moi-même, déclareront qu'ils disposent de l'argent nécessaire et qu'ils mettront en œuvre la technologie dans leur milieu. Il faut qu'un effort soit coordonné à l'échelle nationale pour garantir que, pour le bien des patients, la technologie bénéficie à tout l'éventail des soins prodigués par divers professionnels de la santé.
Le sénateur Eggleton : Un effort coordonné à l'échelle nationale.
M. MacLeod : Je pense que votre question et la réponse d'Emily sont joliment liées à l'avertissement lancé en 2001 concernant l'accès à l'information et la vitesse à laquelle les technologies évoluent. Le rythme de cette évolution commence à dépasser la capacité des humains à assurer une prestation efficace et sécuritaire des services.
La sénatrice Stewart Olsen : Je vous remercie de votre présence. J'ai quelques questions à vous poser. Il se peut que vous ayez effleuré ces sujets, mais, pour éviter toute ambiguïté, pourriez-vous me dire si des efforts ont été conjugués pour créer en ligne une base de données centralisée des médicaments actuellement disponibles? En ce moment, je parle des praticiens. Je ne pense pas vraiment au public, mais ce pourrait être le cas. Imaginez que vous êtes une infirmière ou un infirmier praticien. Vous avez fini d'examiner le patient, et vous songez à prescrire un médicament. Avez-vous un moyen de consulter ce genre d'information, d'accéder à Internet et d'obtenir les renseignements dont vous aurez besoin juste à ce moment-là, des renseignements recensés de façon claire et concise — comme l'usage du médicament, ses effets indésirables et les contre-indications qui s'y rattachent? Quelqu'un contrôle-t-il ces renseignements, et maintient-il leur disponibilité? J'admets ne pas demander une application offerte à l'échelle nationale. Il est très difficile de mettre une telle chose en place, mais, dans le cas présent, j'estime qu'il incomberait aux compagnies pharmaceutiques d'investir un peu d'argent dans ce genre de base de données. Quoi qu'il en soit, je vous demande simplement si cela existe.
Je sais qu'autrefois, il y avait les livres bleus, mais cette approche ne peut pas progresser au rythme d'aujourd'hui. Par conséquent, je me demande ce qui existe de nos jours. Y a-t-il une source d'information centralisée à laquelle les gens peuvent accéder?
Le président : Pendant que vous réfléchissez, je précise qu'au cours de notre dernière étude nous avons examiné cette question assez à fond, et que des liens vers des pages portant sur ces enjeux figurent partout dans le site web de Santé Canada. Je vous accorde simplement du temps au cas où vous souhaiteriez ajouter quelque chose d'autre.
La sénatrice Stewart Olsen : Oui, j'ai lu cela, et je m'interroge simplement.
Le président : Vous avez mentionné des pays internationaux qui ont accès à cela, dont l'Australie et d'autres endroits. Je ne fais que combler le vide en ce moment, au cas où ils auraient de nouveaux renseignements à ajouter à la documentation que nous avons réunie au cours de la dernière étude.
Maintenant que vous avez eu la chance de réfléchir, avez-vous une réponse à donner à la sénatrice qui va plus loin que ce que je viens de résumer?
Mme Sketris : Je pense que l'E-CPS — le livre bleu — est maintenant offert en ligne. Les médecins peuvent donc y avoir accès, ce qui est utile. Il y a aussi la bibliothèque Cochrane, à laquelle sont abonnées certaines provinces, notamment le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. C'est donc une autre source de données probantes.
La sénatrice Stewart Olsen : Mais aucun répertoire centralisé n'est tenu à jour?
Mme Musing : Cette question est très différente.
La sénatrice Stewart Olsen : Je sais, mais, selon moi, il serait bon de concentrer nos efforts sur un projet de ce genre. L'autre question qui me préoccupe — et je pense que le sénateur Eggleton l'a abordée brièvement — a trait à l'éducation des professionnels de la santé. Comment cela se déroule-t-il? Qui met cette éducation au point? Est-ce que chaque institution met au point la matière qu'elle enseigne à ses professionnels, ou y a-t-il une façon de centraliser ce genre de processus d'attaque à cet égard?
Mme Sketris : L'Australie a élaboré un programme d'étude en matière de prescription auquel ont accès toutes les écoles de médecine de l'Australie.
La sénatrice Stewart Olsen : C'est bien, mais de quoi disposons-nous?
Mme Sketris : Chaque école possède son propre programme d'études. Les écoles ont des normes à respecter, mais elles élaborent leur propre programme d'études. Par conséquent, elles ne les mettent pas vraiment en commun, comme cela se fait dans d'autres pays.
M. MacLeod : Un certain nombre d'initiatives sont mises en œuvre à l'échelle nationale. Je pense que dans votre trousse, nous avons ajouté une fiche d'information sur Soins de santé plus sécuritaires maintenant!, c'est-à-dire un programme qui est offert à l'échelle nationale en collaboration avec l'ICSP, mais qui, en réalité, est dirigé par des centaines de facultés des quatre coins du pays. Il s'agit là d'une trousse d'initiation, un GSK, si vous voulez, destinée aux intervenants de première ligne dans le domaine de la sécurité médicamenteuse.
De plus, nous collaborons maintenant avec diverses universités afin d'ancrer dans la conception des programmes d'études des infirmières, des médecins et des pharmaciens, c'est-à-dire nos chefs de file de l'avenir, l'importance de la sécurité médicamenteuse, et ce, de manière très délibérée. Nous suscitons l'intérêt des gens, même si cet intérêt n'est pas suffisamment profond et ne se manifeste pas assez rapidement. Nous réussissons tout de même à attirer l'attention des gens sur la nécessité pour nos futurs fournisseurs de soins de santé de prêter attention à la sécurité médicamenteuse.
Je dirais que plusieurs efforts de collaboration sont déployés à l'échelle nationale, dans le cadre desquels les intervenants tentent d'inciter les gens à plusieurs échelons — les fournisseurs de soins de santé, les cadres intermédiaires, les directeurs généraux et les conseils d'administration — à stimuler la conversation au sujet de la sécurité médicamenteuse et de la sécurité en général. Il y a dix ans, les conseils d'administration discutaient surtout de questions financières. Ils discutent maintenant de la qualité des soins et de la sécurité des patients. Ces conversations sont-elles assez approfondies, et vont-elles assez loin? Non. Mais, au moins, des changements ont commencé à se produire, en ce sens que les conseils d'administration posent, comme il se doit, des questions difficiles à leurs directeurs généraux à propos des types d'améliorations que nous apportons. Je suis également au courant de l'excellent travail qu'accomplissent les ordres et les collèges.
Mme Musing : Je sais que l'Ordre des médecins et chirurgiens collabore avec l'ICSP afin de dresser une véritable liste de compétences relatives aux patients qui tient maintenant à cœur à diverses facultés, que ce soit des facultés de médecine, de pharmacie ou de sciences infirmières. Elles la considèrent comme la façon par excellence d'élaborer un programme d'études, et elles veillent à l'appliquer.
L'adhésion au concept d'éducation interprofessionnelle est un autre phénomène observé à l'échelle nationale. Cela ne consiste pas seulement à réunir les gens, afin qu'ils discutent d'un problème de santé et de la façon de le soigner à l'aide de médicaments, mais aussi à trouver un moyen de convaincre divers professionnels de travailler ensemble et de se familiariser avec le rôle des uns et des autres. Donc, en déterminant les médicaments dont les patients ont besoin, en leur prescrivant les médicaments appropriés et en assurant un suivi, ils sont essentiellement en mesure de mieux soigner les patients.
La sénatrice Stewart Olsen : Qui tient à jour la liste — et je sais que ce sujet a été abordé auparavant — des effets indésirables des médicaments? En réalité, nous cherchons un peu à cerner cet aspect dans le cadre de notre étude. Dans le rapport que j'ai lu, j'ai été un peu choquée de constater qu'il n'y avait pas vraiment de bon mécanisme de signalement. Cela m'a choquée parce que je pensais qu'il existait une liste et qu'elle était dressée et conservée dans ce lieu central, de manière à ce que les gens puissent l'examiner et comprendre les mesures à prendre.
M. MacLeod : Je vais répondre à cette question à un niveau élevé d'abord.
Vous avez tout à fait raison. Il n'y a pas suffisamment d'échanges de ce genre. Presque toutes les provinces disposent d'un système de signalement des incidents, d'une sorte ou d'une autre. Toutefois, ces renseignements sont conservés dans la province, et la plupart d'entre eux ne sont pas communiqués à l'ensemble du pays. Le Manitoba est un cas particulier à cet égard : il communique ses rapports d'incidents.
Nous le savons parce qu'il y a 18 mois, à l'ICSP, nous avons rencontré 23 chefs de file mondiaux dans ce domaine, à savoir les services de santé nationaux de la Grande-Bretagne, les ministères de la France, de la Belgique, de Hong Kong et de l'Australie, l'Université Harvard et un éventail de gens, et nous leur avons dit ce qui suit : « Vous publiez régulièrement des rapports d'incidents qui traitent non seulement de médicaments, mais aussi de questions de sécurité en général. Nous fournirez-vous votre liste d'événements sentinelles? » Nous avons ensuite résumé ces documents à l'aide du système de classification de l'OMS, et nous avons créé un portail intitulé « Alertes mondiales sur la sécurité des patients ». Aujourd'hui, le portail affiche plus de 1 500 alertes, accompagnées de 5 200 recommandations pour prévenir ces incidents.
ISMP Canada, qui surveille en fait certains de ces incidents, est l'un des contributeurs canadiens; l'autre est le Manitoba. Nous tentons maintenant de travailler avec l'Alberta, la Saskatchewan et l'Ontario. Nous leur disons : « Permettez-nous d'afficher vos alertes sur le portail afin de les communiquer aux gens. Ainsi, ils pourront connaître les tendances qui commencent à se manifester, et cetera. »
L'analogie simpliste que j'utilise est la suivante : si un Boeing 737 atterrissait à Vancouver et qu'un mécanicien découvrait, par la suite, un fil orange dépassant du réacteur gauche, une alerte serait diffusée instantanément. Où est notre système d'alerte pour les soins de santé? Pour reprendre votre argument, nous devrions suivre la même discipline. Je ne cherche pas à accuser les gens, mais plutôt à les prévenir. Et ce qui importe encore plus, je veux savoir ce qu'ils ont fait à la suite de l'alerte pour s'assurer que le problème ne se reproduirait pas. C'est ce que nous tentons d'accomplir à l'aide des alertes mondiales sur la sécurité des patients.
Je pense que l'autre organisation à laquelle vous pouvez parler, à savoir ISMP Canada, surveille aussi un peu les événements liés aux effets indésirables des médicaments.
Mme Musing : À l'origine, la collecte des événements liés à des réactions indésirables à des médicaments était faite de manière volontaire, mais, selon la province, elle est certainement en train de devenir obligatoire, ce qui, selon moi, est une bonne chose. Nous devons d'abord recueillir les données, puis, comme Hugh le dit, nous devons les rendre accessibles à tous, pas seulement à la province qui les recueille.
Mme Sketris : Les renseignements sont à la disposition des professionnels de la santé, mais doivent-ils consulter le portail? Idéalement, les données pertinentes devraient être intégrées dans un système informatisé de soutien des médecins, de manière à ce qu'une alerte survienne en temps réel dès qu'ils prescrivent un médicament. Ainsi, ils sauront que l'alerte est valide.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je siège à ce comité depuis peu. Je n'ai pas participé à la réflexion sur la recherche en ce domaine. Je suis un peu naïve. Je vous ai écoutés et le problème que l'on doit résoudre semble vraiment immense. L'approche holistique est effectivement très souhaitable et souhaitée.
Le problème de leadership est important au Canada, en particulier avec les provinces puis avec le gouvernement fédéral et les agences qui ne se parlent pas. En tant qu'économiste qui a un peu réfléchi aux nouvelles technologies — c'est peut-être ça votre « Global Alert System » — je crois que le Web 2 peut permettre effectivement de partager beaucoup d'informations et de faire des wikis pour les prescriptions et on pourrait accéder à cela. Toutefois, il faut évidemment que ce soit contrôlé de manière à ce que l'information soit validée tout le temps, mais chacun pourrait y mettre du sien.
Les wikis, c'est l'avenir. Je ne comprends pas que ce ne soit pas plus utilisé dans le domaine médical. C'est sûr que ça demande une bonne volonté. Je voudrais avoir votre réaction là-dessus et sur leur utilisation dans cette complexité. Vous y avez touché et mes collègues vous ont aussi questionné. Lorsqu'on examine la complexité, il est évident qu'il faut un véhicule pour que l'information soit coordonnée, mais l'individu doit essayer de se prendre en main également parce que c'est la personne qui peut éviter les erreurs. Si on pouvait trouver une façon pour que ce soit l'individu qui arrive à la pharmacie avec sa carte et que ce soit lui qui ait l'information sur tous ses médicaments. Peu importe où il va, il présente son passeport de médicaments. Est-ce que ce sont des avenues qui ont été explorées?
[Traduction]
Mme Sketris : Au cours du colloque sur la qualité organisé par notre Conseil canadien de la santé, un patient était présent. Il portait constamment à son cou une clé USB contenant tous ses renseignements. Il s'agissait là d'un professionnel de la TI, et il a indiqué qu'il avait mis environ six mois à réunir les renseignements pertinents, de manière à ce qu'ils soient à sa disposition et prêts à être présentés en tout temps.
Je pense qu'en ce qui concerne l'autre question que vous avez soulevée à propos de Web 2.0, un certain nombre de gens envisagent la possibilité d'utiliser Twitter, Facebook et toutes les autres applications de ce genre pour faire participer les patients au processus et pour faciliter le dialogue entre les patients et les professionnels de la santé.
M. MacLeod : Je vais répondre à votre deuxième question en premier, puis je reviendrai à la première.
En ce qui concerne la complexité, je ne crois pas que nous la mesurions. J'estime que nous tentons de trouver une solution miracle au problème, sans en comprendre vraiment la source. Le problème est gigantesque et terrifiant, mais si on le décortique correctement et qu'on l'assemble de nouveau, couche par couche, il comporte habituellement des composantes. La prévention et l'éducation sont nécessaires, et il faut étudier les processus de prescription et de traitement. On doit penser au contrôle, à la surveillance, à la mise en application et aux leviers appropriés tant sur le plan de la législation que sur le plan de la réglementation. Il faut effectuer des recherches pour la validation, et on a besoin de procéder à des évaluations. Toutefois, pour comprendre notre système, un autre élément de la complexité est nécessaire. J'ai parlé plus tôt des changements observés dans la démographie et les aspects culturels, changements qui se rapportent à la littératie en matière de santé.
Dernièrement, j'ai été à la fois chanceux et malchanceux; j'ai passé 14 heures dans une salle d'urgence avec un membre de ma famille. Cela m'a permis de jouer les anthropologues amateurs et d'observer tout ce qui se passait autour de moi. J'ai été abasourdi de voir à quel point le processus était déroutant pour la majorité des gens qui se trouvait à l'urgence, en particulier les personnes âgées et les nouveaux arrivants au Canada qui s'efforçaient de comprendre notre langue et le jargon que nous employons sur nos affiches.
Il nous faut comprendre la complexité du problème avant d'aller de l'avant. Si nous décortiquions le problème convenablement, les compétences requises pour s'en occuper ne manqueraient au Canada. Commençons par affecter des gens à cette tâche, puis demandons-leur de prendre en charge les éléments dans un esprit de collaboration, en mettant de côté leur ego et en ignorant les questions de compétences. La population du Canada ne s'élève même pas à 200 millions d'habitants. On penserait que, si un pays était en mesure de régler ce problème, ce devrait être le Canada. Premièrement, nous ne comprenons pas la complexité du problème et, souvent, lorsque nous nous avançons précipitamment sur un terrain étroit, la loi des conséquences imprévues nous prend par surprise.
En ce qui concerne l'autre sujet, je suis d'accord avec vous. Nous vivons dans une nouvelle ère technologique. Servons-nous de cet avantage pour aller de l'avant, mais assurons-nous que nos mesures sont appuyées par des données probantes. Comme il a été mentionné plus tôt, le consommateur a malheureusement accès à un vaste auditoire et une nouvelle bibliothèque et, souvent, cette bibliothèque ne repose pas sur des données probantes. Nous devons tirer parti de la rapidité de la technologie, mais, pour nous assurer que nos mesures résistent à une analyse fondée sur des données probantes, nous devons le faire avec une rigueur dont vous n'avez probablement jamais été témoins. Nous disposons de la technologie dont nous avons besoin pour l'exploiter de manière constructive.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Qui pourrait prendre le leadership dans cette matière, d'après vous?
[Traduction]
M. MacLeod : La première réponse à votre question est que le leadership se manifeste dans chaque salle que je visite. Je vois trop de gens hocher la tête pour indiquer que c'est ce que nous devrions faire. Cependant, une fois assis dans leur voiture, ils ne pensent qu'à leur propre région ou territoire et oublient ce qu'ils ont accepté de faire. Il y a des gens qui hochent la tête maintenant et qui disent qu'il est temps de passer à l'action. J'espère que, dans le cadre de vos délibérations, vous commencerez à établir un cadre potentiel, un objectif au sujet duquel les gens pourront dire qu'on ne leur impose pas des changements, mais qu'on leur fournit un cadre auquel ils peuvent commencer à rattacher leur travail et convaincre d'autres personnes de faire de même. Nous observerons ainsi un élan collectif plutôt qu'individuel.
La sénatrice Seth : Je vous remercie d'aborder un sujet aussi intéressant. Je veux maintenant modifier légèrement le sujet. La dépendance est l'une des conséquences les plus imprévues des médicaments d'ordonnance. À votre avis, comment peut-on modifier, prévenir ou atténuer cette conséquence? Pouvez-vous vous étendre sur le sujet?
Mme Sketris : C'est une question très complexe qui comporte de nombreux aspects. Je vais parler de l'un d'entre eux.
La Nouvelle-Écosse mène un programme de surveillance pharmaceutique, comme d'autres provinces. Avant de prescrire un médicament à un patient, les médecins peuvent examiner tous les médicaments qui lui ont été prescrits par tous les autres médecins de la province, afin de déterminer en une étape leurs antécédents pharmaceutiques et la pertinence de leur prescription.
La sénatrice Seth : Aimeriez-vous répondre à la question?
M. MacLeod : Bien sûr. Pour répondre à votre question, je vais présenter d'abord un cadre. Vous avez tout à fait raison. Nous faisons face à un problème de dépendance. Dans certains cas, nous le qualifions de « problème de prescription », mais, dans bien des cas, c'est devenu un problème de dépendance. Si cela est vrai, nous devons également préciser que les fabricants assument une certaine responsabilité à cet égard, car ce sont eux qui commercialisent ces médicaments. Les fournisseurs de soins de santé, les patients, les familles et les gouvernements se partagent cette responsabilité.
Comme je l'ai dit en ouverture, nous avons aussi une histoire d'amour avec les médicaments, curieusement. Mes enfants et petits-enfants vivent en Californie, et regarder la télévision là-bas est scandaleux. Une publicité sur deux porte sur un médicament quelconque. Il existe désormais un remède pour tout, et dans le cas contraire, on invente un médicament pour trouver une maladie à soigner.
Tout le monde a des comptes à rendre et est responsable de la situation. Nous avons toujours idéalisé la dépendance. J'ai vu le film Le Loup de Wall Street récemment, et vous savez ce que raconte la première scène? Que vous devez prendre de la cocaïne pour tenir le rythme à la bourse. Nous avons glorifié les dépendances. Je sais que le problème ne se réglera pas du jour au lendemain, mais nous devons franchement nous demander où nous en sommes.
Le problème va au-delà des ordonnances dans bien des cas. L'an dernier en Ontario, 500 décès étaient attribuables à la consommation d'opioïdes, un chiffre cauchemardesque. À mes yeux, il s'agit là d'un grave problème de dépendance. Nous devons avoir les moyens d'en parler, de nous y attaquer de front et de trouver comment le résoudre.
La sénatrice Seth : Je remarque souvent le professionnel de la santé qui rédige l'ordonnance lorsqu'une victime d'accident est admise à l'urgence. La première chose qu'il fait, c'est lui prescrire un narcotique. Et le patient en a pendant tout un mois. On voit souvent ces patients retourner voir leur médecin généraliste pour obtenir une nouvelle ordonnance puisqu'une dépendance s'est installée. Voilà une autre situation courante que j'ignore comment éviter.
M. MacLeod : Voilà pourquoi j'ai dit qu'il faut 15 secondes pour rédiger une ordonnance et 45 minutes pour effectuer un examen complet.
Je vais simplement m'arrêter ici.
La sénatrice Chaput : Vous avez déjà répondu partiellement à ma question, mais j'aimerais entrer un peu plus dans les détails. Vous avez parlé d'un plan directeur. Dans la présentation, il a été question d'une perspective nationale et d'une coordination pour nous assurer d'avoir un tel plan directeur. Comme vous l'avez dit, monsieur, les gens sont d'accord et hochent la tête, mais se demandent ensuite qui doit prendre l'initiative. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'autorité ou du rôle du gouvernement fédéral à cet égard. Veuillez pousser l'analyse un peu. Quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral à ce chapitre?
M. MacLeod : Il y a beaucoup de travail à faire, mais j'ai bon espoir. Je suis peut-être de nature optimiste, mais j'ai eu le plaisir vendredi d'assister à un symposium que la ministre a organisé sur cette question, justement. Elle y a passé la journée entière et a participé aux tables rondes.
Des personnes compétentes étaient réunies : des représentants du système de justice, de la police, du milieu de la santé, des collèges et du milieu de la recherche. D'après ce qui s'est dit, on voit bien que ce point à l'ordre du jour est important aux yeux de la ministre et de son ministère. J'ai commencé à constater une grande détermination dans le dossier à cette occasion. Ces gens cherchent une façon holistique d'aborder la question et tout ce qui l'entoure, comme la prévention, la recherche, le traitement, et ainsi de suite.
Je trouve que c'est encourageant. Les délibérations permettront probablement de définir le cadre des changements réglementaires et législatifs, mais ce ne sera pas suffisant puisqu'on ne peut pas prescrire un comportement et que les gens trouveront le moyen de contourner le système. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer; il le démontre bien. Le milieu des professionnels de la santé aussi, qu'il s'agisse des collèges royaux, des infirmières auxiliaires autorisées, des pharmaciens ou des autorités régionales en matière de santé. S'il y a une chose qui ne change pas d'un bout à l'autre du pays, c'est l'utilisation sécuritaire des médicaments de façon générale. Ce qui change, c'est la démarche. C'est la transparence de l'échange d'information, comme nous l'avons dit tout à l'heure. Et ce que tout le monde ne fait pas encore, c'est réunir leurs efforts et collaborer plutôt que de laisser la Colombie-Britannique ou l'Ontario faire chacune les choses à sa façon. Pourquoi ne profiteriez-vous pas de votre pouvoir pour créer une façon de faire canadienne et pour orienter la suite des choses?
Y a-t-il des obstacles? Bien entendu. Même si une partie du problème est historique et comportementale, je pense que les choses progressent à mesure que les gens commencent à saisir l'importance du dossier.
La sénatrice Chaput : D'après vous, quelle devrait être la prochaine étape pour le gouvernement fédéral? Vous avez parlé de la rencontre avec la ministre. Quelle est la suite des choses?
M. MacLeod : J'aimerais que cette journée pousse à l'action, puisqu'il s'agissait selon moi d'un appel à l'action.
Mais que je pense que vos travaux et votre rapport au sujet du plan directeur peuvent constituer un complément intéressant. Vous pourriez dire que vous avez réalisé une série d'examens essentiels en convoquant des témoins. Voilà qui pourrait rappeler l'importance du sujet, mais aussi l'importance de passer à l'action et de faire bouger les choses.
La sénatrice Seidman : Merci d'être avec nous. J'aimerais vous parler de l'étude La sécurité à domicile : une étude pancanadienne sur la sécurité des soins à domicile, que vous avez réalisée à l'Institut canadien pour la sécurité des patients. Je m'y intéresse parce que les soins à domicile et au sein de la collectivité prennent de plus en plus d'importance. Bien sûr, l'enjeu sera encore plus vaste à mesure que nous vieillirons tous.
J'aimerais vous parler plus particulièrement de la gestion des médicaments. Si vous me permettez de le mentionner, un des éléments particulièrement révélateurs de votre rapport est le tableau 4 de la page 16, qui présente le genre d'événements indésirables identifiés à travers l'examen des dossiers médicaux. Il montre que les événements indésirables les plus fréquents sont les chutes ayant provoqué des blessures, et que les médicaments ont contribué à près de 25 p. 100 des incidents, y compris les chutes.
Ce n'est qu'un exemple, mais j'aimerais discuter de cette étude et de ce que nous pouvons faire selon vous pour résoudre ce problème majeur.
M. MacLeod : Je vous remercie de votre question. Nous avons réalisé l'étude avec divers partenaires. À vrai dire, c'est la première étude au monde sur les soins à domicile, et je vais vous décrire en termes simples ce que j'ai compris à la lecture du rapport. Ce que j'en ai compris — moi qui suis dans le milieu de la santé depuis 1980 —, c'est que des soins actifs sont maintenant prodigués à domicile 24 heures par jour, 7 jours par semaine, souvent par des membres de la famille encadrés ou non. On est en présence de médicaments toxiques contre le cancer, de pompes à perfusion et de machines qui remplacent ce qu'on faisait dans les hôpitaux il y a 10 ans. Le risque d'accident est donc considérable. Les chutes sont souvent un indicateur, mais n'oublions pas qu'elles peuvent être attribuables aux médicaments, entre autres.
Le rapport que vous mettez en lumière indique les préjudices actuellement liés aux soins à domicile et qui pourraient encore être subis. Si nous ne commençons pas sérieusement à agir, nos urgences seront alors bondées. Voilà qui nous ramène aux conséquences de ne pas évaluer toutes les facettes du système, ce qui peut engorger les urgences.
Voulez-vous parler de certains problèmes liés à la médication dans les soins à domicile, madame Musing?
Mme Musing : Ce qu'on oublie souvent, c'est que le médicament, en plus de contribuer à la chute et d'augmenter le risque de chute, expose la personne à un risque accru lorsqu'elle finit par chuter.
Bien des patients en soins actifs ou à domicile prennent des anticoagulants, et avec raison. Mais lorsque ces personnes chutent, elles courent un risque bien plus grand de souffrir d'un hématome ou d'une hémorragie quelconque, qui peut être décelée ou non sur le coup. Si le patient ne se trouve pas dans un établissement de soins actifs, impossible d'intervenir rapidement pour réaliser un tomodensitogramme afin de vérifier s'il faut prendre des mesures ou pratiquer une chirurgie, au bout du compte.
Les liens sont nombreux entre le fait d'utiliser les médicaments de façon sécuritaire et appropriée et de comprendre les répercussions de ces comportements sur un événement comme une chute, de même que ses conséquences.
M. MacLeod : Si vous me le permettez, j'aimerais revenir sur votre question concernant l'action et votre rôle déterminant. Je pense que votre rapport doit absolument avoir le bon ton et raconter l'histoire autrement.
Par exemple, j'ai discuté de réadmission après la sortie de l'établissement avec des ministres. Selon la province, il semble que 20 à 23 p. 100 des réadmissions sont directement liées à des accidents concernant l'utilisation sécuritaire des médicaments après la sortie de l'établissement. Le problème, c'est que la trame de l'histoire n'est pas encore tissée. J'ai donc raconté à la ministre ce qui se passe lorsqu'un patient revient : il occupe un lit plus longtemps, qui ne peut être utilisé pour personne d'autre. On empêche probablement quelqu'un de subir une opération, ce qui allonge le temps d'attente. Puisque le lit est occupé à nouveau, il y a probablement un engorgement aux urgences et en médecine interne. Au fait, les coûts viennent d'augmenter aussi.
Le portrait ne reflète pas l'ensemble des répercussions. Nous avons tendance à traiter la sécurité des patients séparément, alors qu'il n'en est rien : la sécurité des patients influence bel et bien le coût, le temps d'attente et la qualité des services.
Lorsque vous rédigerez votre rapport, j'espère que le lien entre tous ces éléments sera perceptible, sans quoi chacun continuera de vouloir régler le problème en vase clos. Compte tenu de vos questions, je pense que vous comprenez qu'il s'agit là d'un enjeu holistique formé de couches multiples.
La sénatrice Seidman : Si vous me le permettez, vous avez soulevé un point décisif en disant que tout dépend de la formulation et de la présentation du rapport. Dans ce cas, comment nous suggérez-vous de présenter l'information pour interpeller les gens?
M. MacLeod : Eh bien, déterminer le destinataire, qu'il s'agisse du patient, du médecin résident ou du client, vous aidera à commencer votre rapport. Le reste se rapportera à l'expérience du patient, et peut inclure un volet sur la prévention, les traitements, le suivi, et ainsi de suite.
Je trouve toujours encourageant de connaître le point central : pourquoi rédigeons-nous le rapport? Si vous décidez que c'est pour le patient, tout le reste en découlera.
La sénatrice Cordy : Vous nous avez présenté d'excellents exposés pratiques, et je vous en remercie infiniment.
Je sais que vous avez tous deux parlé de gestion des médicaments. Mme Sketris a mentionné le rapport du Conseil canadien de la santé, qui s'attardait à la sous-utilisation, la surutilisation, l'utilisation inappropriée et l'utilisation abusive des médicaments. Nous parlons beaucoup de la surutilisation et de l'utilisation abusive des médicaments, mais bien moins de leur utilisation inappropriée ou de leur sous-utilisation, même si ces problèmes peuvent être tout aussi néfastes pour le patient que les deux premiers.
Il est question dans votre rapport d'obstacles, d'éléments facilitants et d'examens. Au Conseil canadien de la santé, que faites-vous de l'information? Je sais que les renseignements sont publiés dans un rapport, mais à qui remettez-vous l'information que vous recueillez? Elle est fort pertinente et bien importante.
Mme Sketris : Dans le cadre de ce rapport, nous avons organisé un symposium où nous avons invité des professionnels de la santé et d'autres secteurs pour en discuter. Je pense que diverses personnes ont pris différentes mesures pour résoudre la question de la gestion des médicaments.
Partout au Canada, le champ d'activité des pharmaciens commence à s'élargir. Les pharmaciens commencent à émettre des ordonnances — en Nouvelle-Écosse, par exemple — pour un certain nombre d'usages. Dans cette province, si un patient prend plusieurs médicaments ou souffre d'une maladie chronique, le pharmacien peut le rencontrer pour passer en revue tous ses médicaments. Un certain nombre d'initiatives visent actuellement à revoir régulièrement l'ensemble des médicaments.
La sénatrice Cordy : C'est d'une importance capitale. Fait intéressant, lorsque le sénateur Kirby était président, notre comité avait réalisé une étude sur les soins de santé où nous parlions de l'importance d'intégrer les pharmaciens à l'équipe soignante. Je viens de la Nouvelle-Écosse, et nos pharmaciens administrent également les vaccins contre la grippe. Je pense donc que l'intégration des pharmaciens aux équipes soignantes est très positive. Je connais quelqu'un qui a présenté une ordonnance à un pharmacien de la Nouvelle-Écosse; celui-ci a refusé de lui donner le médicament sous prétexte qu'il allait interagir avec un autre de ses médicaments. Il a même appelé le médecin pour lui dire qu'il n'allait pas exécuter l'ordonnance, ce qui était très gentil de sa part. Ce genre de chose est intéressant.
Au sujet de l'intégration des pharmaciens, on parlait justement des aînés et des soins à domicile à CBC/Radio- Canada ce matin, et on incitait l'ensemble de la population à la vigilance quant à la détérioration possible de l'état de santé d'un client à la banque ou ailleurs. Je pense que le Canada a fait du bon travail du côté de la sécurité dans les aéroports, où l'on sait qu'il faut aviser quelqu'un en présence d'une valise vide, par exemple.
Ne devrions-nous pas sensibiliser le grand public de la même façon au sujet des aînés? Les écoles s'occupent souvent des enfants et signalent ce qui cloche; c'est du moins ce qu'elles devraient faire. Devrions-nous inciter la population à prêter attention à nos aînés?
L'invité qui était interviewé ce matin travaille justement pour une banque. Lorsque des aînés se présentent, il lui arrive de remarquer leur propreté ou le fait qu'ils portent toujours les mêmes vêtements, ou qu'ils ne semblent tout simplement pas en forme. Ce genre d'information pourrait être communiquée à un professionnel de la santé. Devrions- nous aller jusque-là?
Mme Musing : Certains le font déjà, et voilà une des raisons pour lesquelles il est merveilleux que le champ d'activité des pharmaciens s'élargisse. Le pharmacien est un professionnel de la santé facile d'accès pour les patients, qu'il voit dans leur milieu puisque c'est là qu'il pratique. Il se peut même que le patient ne vienne pas à la pharmacie pour renouveler son ordonnance. Même s'il vient acheter autre chose, le pharmacien a l'occasion de consolider la relation. C'est souvent lui qui remarque quelque chose qui cloche chez Mme Smith : elle se comporte différemment. Il se demandera immédiatement si c'est lié à ses médicaments, mais peut aussi renvoyer la patiente à son équipe de santé familiale ou à son médecin de famille, qui pourra l'examiner lui-même ou l'envoyer à l'urgence. C'est ce qui se passe actuellement.
La sénatrice Cordy : Je vois que dans votre exposé, madame Sketris, vous évoquez le rapport du Sondage international du Fonds du Commonwealth sur les politiques de santé, selon lequel 74 p. 100 des patients ont indiqué que les effets secondaires des médicaments leur avaient été expliqués par un médecin ou un membre du personnel et 69 p. 100 ont déclaré que leur médecin avait passé en revue leurs médicaments sur une période de 12 mois. Ces statistiques valent-elles pour tout le Commonwealth ou seulement pour le Canada?
Mme Sketris : Seulement pour le Canada.
La sénatrice Cordy : Le chiffre de 74 p. 100 ne semble pas si mal, d'une certaine façon, mais il signifie qu'il y a 26 p. 100 des gens qui ne se font pas expliquer du tout les médicaments qu'ils prennent. Comment pouvons-nous remédier à la situation?
Mme Sketris : Je crois que la question elle-même nous donne une partie de la réponse. En Ontario ou en Alberta, par exemple, il y a des équipes de santé familiale. Il se peut que le médecin lui-même n'ait pas expliqué au patient les effets secondaires des médicaments, mais que le pharmacien l'ait fait ou encore une infirmière praticienne. Il se pourrait donc que la façon dont la question est formulée nous donne une réponse sous-représentative.
La sénatrice Cordy : Oui.
Mme Sketris : N'empêche que dans un monde idéal, la proportion devrait être 100 p. 100. Lorsqu'on se fait prescrire un médicament, il faut en connaître à la fois les avantages et les risques pour le prendre comme il faut.
La sénatrice Cordy : D'après ce qu'on entend, si un médicament ne donne pas les résultats escomptés, le patient va le mettre dans un tiroir et prendre quelque chose d'autre. En tout cas, merci beaucoup.
Le président : J'aimerais récapituler un peu. Vous avez tous abordé diverses questions sur lesquelles nous nous penchons dans le cadre de nos études, et il faut dire que certaines nous renvoient à l'examen que nous avons réalisé sur l'Accord canadien sur la santé. C'était alors la première fois que nous ciblions ces éléments comme des enjeux importants. Il est très clair que l'une des mesures communes dans à peu près tout, c'est la communication.
Il y a beaucoup de dimensions nécessaires à la communication pour obtenir les résultats escomptés, et encore faut-il communiquer les bons renseignements aux bonnes personnes au bon moment sur la bonne question. Compte tenu de la complexité de notre régime de soins de santé, ce n'est vraiment pas simple.
Permettez-moi de faire quelques observations, après quoi je vous laisserai le temps de répondre.
Vous nous avez mentionné le déclenchement d'alarmes dans les provinces. Ce n'est pas la première fois qu'on nous en parle, mais le véritable problème, pour les produits pharmaceutiques et les appareils médicaux, bien sûr, c'est que si l'expérience du patient n'est pas consignée quelque part, elle ne peut pas nous aider à conseiller les patients futurs.
Il y a des essais cliniques à la fois sur les médicaments sur ordonnance et sur les appareils médicaux, mais ils se limitent à des populations bien définies.
Le véritable essai clinique n'a lieu que lorsqu'un produit ou un appareil est approuvé et qu'il est rendu accessible à la population générale. Nous avons fait valoir le plus vigoureusement possible en langue polie, dans nos rapports précédents, qu'il y a énormément de place à l'amélioration pour recueillir des données sur les réactions individuelles des patients. La littérature scientifique nous apprend, selon le document qu'on lit, que les données recueillies ne représentent qu'entre 1 p. 100, pour être optimistes, et 3 p. 100 des cas. Occasionnellement, jusqu'à 10 p. 100 des effets néfastes sont signalés. En toute honnêteté, nous croyons que la réalité est plutôt en deçà des 3 p. 100
Nous avons donc proposé diverses mesures pour améliorer la collecte d'information. Elles se fondent toutes sur un système électronique. Il n'est pas facile pour un patient ne serait-ce que de savoir qu'il a le droit de transmettre une observation sur les raisons qui l'ont poussé à arrêter de prendre un médicament (parce qu'il se sentait vraiment mal au milieu de la nuit ou pour quelle qu'autre raison que ce soit). Il n'est pas facile pour le patient de savoir qu'il peut le faire, parce qu'on ne l'en informe pas. Nous soutenons que les patients devraient avoir clairement accès à Santé Canada par voie électronique pour signaler ce genre de choses.
Ensuite, dans tous ces rapports, le rapport sur les soins de santé comme nos trois premières études en la matière, nous avons parlé du rôle que les pharmaciens jouent et pourraient jouer. Nous croyons qu'ils sont un lien clé, voire même essentiel. Nous avons fait des recommandations en faveur de la collecte électronique de renseignements et de leur diffusion par les pharmaciens aux médecins pour que ceux-ci soient beaucoup mieux renseignés sur les effets véritables d'un médicament plutôt que de se limiter au portrait que leur en dépeignent les représentants pharmaceutiques. Il est donc important que le pharmacien fasse partie de l'équation.
Nous avons également parlé aujourd'hui de l'information et de sa diffusion dans le régime provincial, mais à l'échelle nationale, l'Inforoute Santé du Canada est censée créer des dossiers de santé électroniques, principalement le passeport santé. On nous a donné toutes sortes de raisons pour expliquer pourquoi ce projet ne peut pas avancer ou n'a pas avancé assez vite pour voir le jour. On nous parle principalement du cloisonnement du système médical et de la réaction de médecins qui ne collaborent pas comme on le voudrait.
Le plus grand obstacle semble être l'obsession de la protection des renseignements personnels. Pourtant, tous les Canadiens déclarent, dans leur déclaration de revenus, tous leurs renseignements personnels. Nous savons bien que ce n'est pas un système parfait, mais ma foi, le système de dossiers de santé électroniques pourrait être au moins aussi privé. Il n'y a pas de raison pourquoi ce projet n'est pas plus avancé. Tant que ce système ne sera pas en place, nous ne pourrons pas atteindre bon nombre des résultats que vous espérez, d'après vos exposés d'aujourd'hui. Nous sommes nombreux — et j'en suis — à avoir leur dossier sur une clé USB, mais c'est parce que je le veux bien. Il faut aller beaucoup plus loin dans ce domaine.
Vous avez mentionné les renseignements qu'on peut trouver sur Twitter. Des sénateurs ont mentionné Wikipédia aussi, entre autres. Nous savons que ces sources d'information sont risquées, pour les raisons que vous avez évoquées. L'information qui se trouve dans Wikipédia n'est pas rigoureusement révisée. N'importe qui peut réviser de l'information entrée dans Wikipédia, mais c'est tout de même une source d'information première pour la plupart des gens.
La population n'a pas le choix de se tourner vers ces sources d'information, parce qu'on y trouve des renseignements beaucoup plus vite que dans le système officiel. Ce n'est pas de la faute de la personne qui consulte des forums de discussion et ces sites. Les gens savent que l'information doit se trouver là. Ils veulent l'obtenir et ils forment même des groupes.
Dans le cadre de notre dernière étude, on nous a parlé de groupes qui se forment sur Internet pour échanger sur la colite. Ils clavardent et s'échangent toute sorte de renseignements. Pourtant, il n'existe pas de mécanisme pour que ces renseignements soient transmis à Santé Canada, puis aux médecins. C'est ce que nous réclamons. Après avoir entendu votre témoignage, nous allons le réclamer encore plus fort. Nos recommandations deviennent de plus en plus vives au fur et à mesure que le temps avance.
Il y a ensuite toute la question des soins à domicile. Là encore, il y a deux façons de voir les choses. Les études médicales nous montrent que les gens qui peuvent vivre leur convalescence chez eux se rétablissent plus vite et mieux qu'ils ne le feraient en institution. En fait, l'institutionnalisation ne se fait pas sans complication. En effet, les données scientifiques nous montrent qu'un patient placé dans une chambre de quatre personnes où il y a déjà trois patients va avoir la flore et la faune des trois autres personnes dans son intestin au bout de 24 heures.
Vous avez nommé des problèmes liés aux soins à domicile. Encore une fois, tout dépend en grande partie de la communication et du partage des responsabilités quand les patients rentrent à la maison pour ce qui est des médicaments qu'ils doivent prendre. Je vais m'arrêter ici et vous céder la parole.
Je ne voudrais absolument pas oublier de vous dire ceci : après votre départ, si vous pensez aux choses dont je viens vous parler, pour résumer les discussions que mes collègues et moi venons d'avoir avec vous, et que vous pensez à des mécanismes (vous avez dit que quelqu'un devait prendre le leadership), vous ne pouvez pas simplement hocher la tête, sortir du stationnement et tout oublier. Vous devez recommander vos bonnes idées pour que les organisations et les dirigeants les reprennent.
Bref, quand vous partirez d'ici, si vous avez des idées, d'après votre expérience particulière (même si elles ne visent qu'un aspect de l'équation), ce serait bien que vous nous donniez des exemples concrets de ce qu'on pourrait inclure aux pratiques exemplaires pour en faire des catalyseurs pour l'avenir.
Enfin, vous avez cité le Dr Osler dans votre mémoire. Cette citation date de 1904, c'est vraiment fascinant. Il parlait en fait de l'importance du patient et de soins de santé axés sur le patient. Nous en sommes maintenant à une époque où les soins de santé peuvent vraiment être axés sur le patient. Mais tout revient à une chose que je vous ai dite au départ, c'est-à-dire que s'il y a des centaines de milliers de prescriptions de produits pharmaceutiques puissants, mais que seulement 1 à 3 p. 100 des réactions négatives à ces produits sont déclarées, ces réactions s'expriment presque sûrement dans les sous-groupes de population, c'est-à-dire dans les catégories de gens qui n'ont pas été inclus dans les premiers essais. Cela signifie aussi qu'il faut absolument recueillir des données pour informer les médecins praticiens, les pharmaciens et les autres professionnels directement en contact avec ces prescriptions afin qu'ils puissent faire des recommandations au patient en fonction de ses caractéristiques personnelles. Le Dr Osler a fait cette déclaration en 1904.
C'était donc un petit résumé général de tout ce que nous avons abordé aujourd'hui, tout se trouve dans vos documents, et vous nous en avez parlé plus en détail. Je vais donc vous céder la parole, en précisant que nous n'avons pas l'intention de nous défiler de nos responsabilités lorsque nous rédigerons notre rapport. Il s'agit du rapport sommaire de quatre documents. Ce que nous attendons de vous et de tous les autres témoins qui comparaissent devant nous, c'est que vous nous fassiez part de toutes vos idées, des petites comme des grandes, pour nous aider à formuler des recommandations qui pourront véritablement susciter un changement.
M. MacLeod : Wow. Est-ce que je peux commencer? C'était un excellent résumé. Le défi semble d'autant plus grand, mais avec lui vient l'occasion de nous dépasser. Je pense que vous saisissez vous aussi une excellente occasion.
Pendant que vous parliez, je pensais à mes déplacements pour venir jusqu'ici. J'ai pris l'avion. Je ne nommerai pas la société aérienne, mais si elle inscrivait sur une grande bannière « soit dit en passant, aujourd'hui, nos avions sont sécuritaires à 95 p. 100 », je ne pense pas que j'aurais pris l'avion.
Je suis vraiment inquiet, même quand la marge d'erreur n'est que de 2 p. 100. Il faut viser la perfection, même si nous savons très bien que nous n'y arriverons probablement pas. C'est trop facile de tomber dans la complaisance et de dire : « Je suis à 85 p. 100 les règles d'hygiène des mains. » Ce n'est pas assez. Chacun devrait s'y conformer à 100 p. 100. C'est ma première recommandation.
Le président : Le pire, c'est que ce pourcentage diminue au fur et à mesure qu'on monte dans la hiérarchie.
M. MacLeod : Exactement. Ensuite, vous nous parlez d'abord et avant tout de communications. Je suis un junky des études sur le leadership et j'enseigne dans de nombreuses écoles. L'un de mes amis, Ron Short, a écrit une phrase fantastique dans un livre intitulé Learning in Relationship, parce que je pense que c'est justement ce dont il s'agit ici. On apprend dans une relation.
Il a dit que ce qui se passe entre les gens définit l'essence d'une organisation. Je pense que ce qui se passe entre les gens définit l'essence d'un système de soins de santé. Lorsque les relations sont saines, lorsque les transferts d'information et les communications sont sains, la magie peut opérer. Je pense que parfois, nous sommes tellement axés sur la technologie et les appareils que nous perdons de vue que nous évoluons dans un domaine où nous touchons les gens. Cela a toujours été ainsi et ce le sera toujours. Nous offrons des services par l'intermédiaire de personnes.
Je pense qu'il est essentiel de véritablement comprendre l'aspect humain de notre domaine, son aspect culturel, d'en saisir l'impact et de faire valoir ce côté humain, puis de ne pas tolérer les dérapages.
Vous avez parlé de leadership. Si vous dressez une liste de thèmes, parce que je suis certain que vous allez le faire à l'issue de cette étude, vous devrez penser à tout, de la prévention en amont jusqu'à la recherche... Vous connaissez les organisations en place au Canada. Il serait facile pour vous de dire simplement quelles organisations devraient assumer le leadership, puis de mentionner en passant qu'il faudrait peut-être que leurs dirigeants parlent avec les dirigeants de telle autre organisation pour commencer. D'ailleurs, je crois que vous les avez nommées. Nous savons de qui il s'agit. L'Inforoute Santé du Canada a un rôle à jouer, tout comme l'ICIS, Agrément Canada, pour les normes et les POR, les collèges, l'ICSP. Lorsque vous aurez ciblé vos thèmes, dites qui doit mener le bal. Embarrassez presque les gens en soulignant qu'ils ont les compétences requises pour cela.
Je reviens ensuite aux soins à domicile. Encore une fois, comprenez-vous toute la connectivité entre les éléments? L'avenir est dans les soins à domicile. Ce n'est pas le modèle de la maladie. Il faut aller au-delà du modèle de la maladie, et je pense qu'il est important que vous, dans vos délibérations, le disiez clairement, parce que tout le monde en parle. Nous ne sommes plus dans un modèle axé sur la maladie. C'est un autre modèle. Cependant, il faut vraiment porter attention à ce qui se passe dans le domaine des soins à domicile et avoir une conversation franche avec les consommateurs sur les risques qui existent.
Par exemple, est-ce que je préférerais que la personne que j'aime soit placée dans un établissement de soins de longue durée, où elle aurait une qualité de vie jusqu'à la fin de ses jours, où elle pourrait se lever et marcher, mais où il y aurait un risque de chute ou est-ce que je préférerais l'autre option, qu'elle soit sous forte sédation, attachée dans un lit, sans aucune qualité de vie? Si nous n'avons pas cette conversation franche, malheureusement, dès qu'il va y avoir une chute, l'établissement va faire les manchettes. Comment vont réagir ses administrateurs? « Donnons des médicaments aux patients et laissons-les au lit. » Ce n'est pas ce que j'appelle une qualité de vie. Le problème, c'est que nous n'avons jamais eu cette conversation franche au début.
J'espère que ce rapport va paver la voie à une conversation honnête avec les consommateurs et le public sur les risques qui existent et sur l'équilibre à trouver entre les risques et la qualité de vie. Je ne considère pas que nous n'ayons jamais eu de conversation véritablement adulte à ce sujet.
Voilà pour mes premières impressions.
Mme Sketris : Je pense que partout au pays, il faut mieux comprendre à quel point il y a de mauvaises prescriptions, à quel point les médicaments sont mal utilisés et tout le reste.
Dans l'Union européenne, les autorités ont établi une liste de critères d'arrêt pour les personnes âgées : elles ont déterminé quand il faut cesser de prescrire des médicaments à des personnes âgées et quand il y a lieu de commencer à leur en prescrire. L'UE s'est dotée de critères applicables dans les 27 pays qui la composent. Elle y a investi passablement d'argent pour que chaque pays puisse se comparer aux autres.
Si l'on élaborait des indicateurs de prescription, à l'échelon provincial, disons, on pourrait aussi parfois les utiliser dans les hôpitaux, ou les médecins pourraient vérifier leurs habitudes de prescriptions et les comparer avec celles des autres médecins. Ce genre de modèle n'est pas aussi bien développé au Canada qu'ailleurs.
En outre, vous nous avez parlé de la collecte de renseignements sur les réactions indésirables aux médicaments. Il y a plusieurs méthodes possibles. L'un des modèles que j'aime est celui des Pays-Bas. Nous avons déjà dit qu'ils étaient les champions des dossiers de santé électroniques. Mais il y a autre chose qu'ils font bien, notamment pour des médicaments plus anciens comme l'acétaminophène. Nous connaissons assez bien le profil d'innocuité de l'acétaminophène, mais il y a de nouveaux médicaments qui sortent chaque année. Il y a donc un plan qui permet aux pharmaciens et aux médecins de faire un suivi très serré et systématique grâce aux dossiers de santé électroniques lorsqu'un patient prend un nouveau médicament. Ainsi, les réactions aux médicaments ne sont pas signalées aléatoirement, donc les spécialistes ont une bonne idée du pourcentage exact des patients susceptibles de ressentir un effet indésirable et de leurs caractéristiques afin de pouvoir les prévenir. Voilà quelques idées.
M. MacLeod : Ingrid me fait penser à une chose, parce que je pense qu'il existe de bonnes données et que nous pourrions vous aider à les trouver. Il serait assez intéressant que dans votre rapport, vous nommiez le genre d'incidents qui ne devraient jamais arriver et par ailleurs, ce qui devrait toujours arriver. Cela pourrait favoriser la cristallisation d'une pensée collective dans tout le pays, parce qu'il y a tout lieu de croire que ce qui ne devrait jamais arriver et que ce qui devrait toujours arriver devraient s'inscrire au-delà des frontières politiques et provinciales.
Le président : Je peux vous dire, d'après ce que vous mentionniez, que nous avons recommandé dans notre dernier rapport de mettre en lumière les problèmes graves, le triangle, la boîte noire, des problèmes d'étiquetage, et cetera. Nous espérons que le projet de loi C-17 annonce des changements importants à l'égard de l'étiquetage des produits pharmaceutiques au Canada. Je pense que nous avons ici l'occasion de faire un pas en avant, je vous remercie.
J'aimerais vous soumettre une dernière réflexion. Nous avons déjà dit que l'une des principales causes des problèmes observables dans notre système de santé, c'est le cloisonnement, et vous l'avez mentionné vous aussi à maintes reprises. Il semble que cela ne changera pas tant qu'il n'y aura pas de grand moteur de changement et d'innovation dans le système de santé.
J'aimerais vous inciter à réfléchir à une chose avant de terminer. On dit souvent que la concurrence pousse les gens à innover et se mettre à échanger sur leurs compétences lorsqu'ils ne sont pas vraiment aussi efficaces que leurs rivaux. Je ne veux pas que vous réagissiez à cela. Je vous invite simplement à y réfléchir, parce que ce n'est pas l'orientation de nos discussions d'aujourd'hui.
Sur ce, je vous remercie infiniment de vos contributions. Je remercie mes collègues de leurs questions qui ont suscité cette discussion. Si vous pensez à quoi que ce soit, si vous avez des idées de mesures concrètes après nous avoir quittés, faites-nous signe. Sur ce, je déclare la séance levée.
(La séance est levée.)