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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 5 - Témoignages du 5 février 2014


OTTAWA, le mercredi 5 février 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 20, afin de poursuivre son étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Mon nom est Kelvin Ogilvie; je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et aussi le président du comité. Je vais commencer la réunion en demandant à mes collègues de se présenter à tour de rôle.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.

La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le président : Merci beaucoup, chers collègues. Nous accueillons aujourd'hui les représentants de deux organisations et, si vous êtes d'accord, je vais inviter les représentants du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies à faire leur exposé en premier. J'ai cru comprendre que vous alliez partager votre temps, alors je demanderais à Robert Eves, directeur, Partenariats stratégiques et mobilisation des connaissances, de prendre la parole. Il est accompagné de Paula Robeson, courtière du savoir.

Robert Eves, directeur, Partenariats stratégiques et mobilisation des connaissances, Centre canadien de lutte contre les toxicomanies : Merci. Bonjour, monsieur le président et membres du comité. Aujourd'hui, Paula Robeson m'accompagne; elle est une des courtières du savoir du CCLT et elle s'occupe du dossier de l'abus des médicaments d'ordonnance.

Pour ceux d'entre vous qui connaissent moins bien le CCLT, nous avons le mandat prescrit par une loi fédérale d'exercer un leadership à l'échelle nationale et de proposer des solutions afin de réduire les méfaits causés par l'alcool et d'autres drogues, et nous travaillons en ce sens depuis que nous avons été créés par le Parlement, en 1988.

La toxicomanie est un problème trop complexe, trop important et trop profondément enraciné pour être réglé par un seul groupe ou une seule approche. Le rôle du CCLT est donc d'harmoniser les pratiques du gouvernement, des organismes sans but lucratif et du secteur privé à l'égard des enjeux liés à l'alcoolisme et à la toxicomanie. Depuis 25 ans, nous avons démontré que nous pouvions y arriver dans des domaines comme le traitement de l'alcoolisme, la prévention de la toxicomanie chez les jeunes et l'abus de médicaments d'ordonnance.

En mars 2013, le CCLT, en collaboration avec la ministre de la Santé de l'époque, Leona Aglukkaq, et plus de 30 autres partenaires, a lancé la stratégie S'abstenir de faire du mal : Répondre à la crise liée aux médicaments d'ordonnance au Canada. Il s'agit d'une stratégie à l'échelle nationale d'une durée de 10 ans qui renferme 58 recommandations destinées à s'attaquer aux ravages provoqués par les opioïdes d'ordonnance, les stimulants, les sédatifs et les tranquillisants.

Le CCLT a réuni ces organismes avec la ferme intention d'aider à trouver des solutions. Nous savions tous parfaitement bien que le statu quo ne pouvait pas durer et que nous devions trouver une nouvelle façon de procéder qui reconnaîtrait les bienfaits thérapeutiques de certains médicaments d'ordonnance tout en réduisant les préjudices potentiels.

Nous sommes doublement ravis de comparaître aux côtés de l'une des coprésidentes de l'élaboration de la stratégie, la Dre Susan Ulan, de la Coalition on Prescription Drug Misuse de l'Alberta.

J'aimerais maintenant céder la parole à ma collègue, Mme Paula Robeson, qui traitera les questions qui intéressent le comité aujourd'hui.

Paula Robeson, courtière du savoir, Centre canadien de lutte contre les toxicomanies : Bonjour et merci de nous avoir invités à venir comparaître dans le cadre de votre étude.

Tout d'abord, en ce qui a trait au processus d'homologation des médicaments d'ordonnance, sachez que la stratégie S'abstenir de faire du mal recommande un examen des exigences réglementaires en matière d'information de Santé Canada tout au long de la chaîne d'approvisionnement. Cela comprend l'examen des pratiques et des processus des fabricants, des distributeurs et des professionnels de la santé qui prescrivent et fournissent ces médicaments.

Nous recommandons également un examen du processus d'homologation des médicaments visant à examiner les vulnérabilités de la chaîne d'approvisionnement, de collaborer avec les provinces et les territoires afin d'avoir accès à toute l'information nécessaire et de renforcer la réglementation en conséquence.

En outre, la stratégie prévoit que des plans exhaustifs de surveillance et d'atténuation des risques soient mis en place à la fois pour les médicaments de marque et les médicaments génériques avant qu'ils ne soient homologués. Cette façon de faire permettrait de cerner rapidement les risques et de prendre les mesures nécessaires.

Je vais maintenant parler de la surveillance post-approbation des médicaments d'ordonnance. Si le suivi d'un produit après sa mise en marché révèle des risques et des préjudices additionnels, nous recommandons d'ajuster sa monographie en conséquence, c'est-à-dire toute l'information nécessaire à un usage sécuritaire et efficace du médicament.

Nous recommandons également d'apporter des changements à l'étiquetage des médicaments d'ordonnance. Les patients ont besoin d'étiquettes claires et faciles à comprendre. Ainsi, ils prennent leurs médicaments selon la posologie recommandée et pour les bonnes raisons, et ils sont entièrement au fait des risques et des bienfaits de ces médicaments.

Monsieur le président, à l'heure actuelle, les activités de surveillance liées aux médicaments d'ordonnance au Canada sont fragmentées. Les données sur l'emploi, le mauvais usage et les méfaits des médicaments d'ordonnance sont recueillies par différents organismes fédéraux et provinciaux, dans leurs sphères de compétence respectives et de diverses manières. Bien qu'il y ait des données pertinentes issues des études existantes, on n'a pas d'approche uniforme en ce qui a trait à la collecte ou à l'utilisation de ces données. La surveillance des médicaments d'ordonnance varie d'une province à l'autre, et les sources de données qu'on retrouve au Canada ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une initiative globale nationale.

De plus, il n'y a aucun groupe qui se consacre entièrement au suivi de l'information; une collaboration intersectorielle s'impose. Par conséquent, en plus de veiller à ce que chaque province et territoire ait un solide programme de surveillance pharmaceutique, il faut mettre sur pied un groupe national qui recueillera toutes les données pertinentes à partir de multiples sources, notamment sur les crimes, les décès, les traitements, les hospitalisations, et cetera, associés aux médicaments. Cela nous aiderait à déterminer la nature et l'ampleur du problème, et ainsi, à apporter les changements nécessaires. Il faut à tout prix uniformiser les éléments clés d'un programme de surveillance pharmaceutique et d'un système canadien de surveillance des médicaments. Un système aussi global permettrait de générer des indicateurs de référence en ce qui a trait aux méfaits liés aux médicaments d'ordonnance, guider l'évaluation des mesures prises dans le cadre de la stratégie, et ainsi améliorer l'efficacité du soutien, des traitements et des soins fondés sur des données probantes.

Ces initiatives font toutes partie intégrante de la stratégie S'abstenir de faire du mal, et certaines activités sont déjà en cours. À l'avenir, nous devrons coordonner tous les efforts dans cette optique afin d'éviter les dédoublements et s'inspirer de ce qui fonctionne déjà au Canada.

Au CCLT, nous allons de l'avant. Nous avons un plan et les bonnes personnes grâce auxquels nous réaliserons la vision énoncée dans S'abstenir de faire du mal, mais encore faut-il avoir les ressources financières nécessaires pour concrétiser tout cela. Pour dire les choses comme elles sont, monsieur le président, le CCLT a besoin d'un appui financier pour poursuivre son important travail à l'égard de la mise en œuvre de la stratégie S'abstenir de faire du mal, en collaboration avec ses intervenants clés, et de s'acquitter de ses engagements envers les Canadiens.

Nous espérons que le gouvernement renforcera l'engagement qu'il a pris dans le discours du Trône de l'automne dernier, c'est-à-dire élargir la Stratégie nationale antidrogue pour s'attaquer au problème de l'abus de médicaments d'ordonnance, en affectant des ressources additionnelles au CCLT. Nous avons besoin de l'appui du gouvernement fédéral, mais si nous voulons réellement faire avancer ce dossier, nous devons assurer une certaine coordination, qui nécessitera également l'appui des autres ordres de gouvernement. Certaines provinces, comme l'Alberta, ont fait preuve de leadership en s'engageant financièrement, mais il va sans dire que ce n'est pas suffisant.

En terminant, je tiens à remercier le comité pour l'intérêt qu'il porte à ce dossier, qui est d'une importance vitale pour la santé et le bien-être des Canadiens.

C'est avec plaisir que Robert et moi répondrons à vos questions au mieux de nos capacités.

Le président : Merci beaucoup à vous deux. Je vais maintenant céder la parole à la Dre Susan Ulan, coprésidente de la Coalition on Prescription Drug Abuse.

Dre Susan Ulan, coprésidente, Coalition on Prescription Drug Misuse : Merci, monsieur le président et membres du comité. La Coalition on Prescription Drug Misuse de l'Alberta — ou, comme nous l'appelons, la CoOPDM — est heureuse d'avoir l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui pour vous informer sur le travail qu'elle accomplit en Alberta et vous éclairer, nous l'espérons, dans le cadre de votre étude sur les produits pharmaceutiques.

La CoOPDM a été formée en 2008 et regroupe des gens de divers milieux en Alberta, c'est-à-dire des médecins, des pharmaciens, des membres des forces de l'ordre, des fonctionnaires de divers ordres de gouvernement et des représentants de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits. Nous sommes un groupe de bénévoles qui cherchent des moyens d'intervenir collectivement contre l'abus de médicaments d'ordonnance et de réduire le risque de préjudices. Bon nombre d'entre eux sont des témoins directs des effets du mauvais usage des médicaments d'ordonnance au sein de nos collectivités et de notre système de santé.

Au cours des cinq dernières années, nous avons mené un certain nombre d'initiatives de recherche afin d'arriver à mieux comprendre la portée et la complexité du problème en Alberta et à déterminer la façon d'améliorer la collecte de données. À l'heure actuelle, nous collaborons avec le médecin hygiéniste en chef de l'Alberta, le Dr Jim Talbot, à l'élaboration d'un meilleur modèle de gouvernance dans la province.

Je suis médecin de famille de formation et je suis maintenant conseillère au sein du Programme des pratiques de prescription des médecins au Collège des médecins et chirurgiens de l'Alberta. Il s'agit d'un programme d'assurance et d'amélioration de la qualité, qui met l'accent sur l'encadrement pédagogique des médecins en ce qui touche les prescriptions en vue de remédier aux problèmes connexes, individuellement et à l'échelle provinciale.

J'ai pratiqué la médecine familiale pendant 20 ans et j'ai exercé diverses fonctions. Je crois donc être bien en mesure d'assumer ce rôle. J'ai eu l'occasion de coprésider la Coalition on Prescription Drug Misuse, et j'ai eu l'honneur d'être invitée à coprésider le Conseil consultatif national sur l'abus de médicaments sur ordonnance, qui a publié la stratégie nationale contre l'abus de médicaments d'ordonnance, intitulée S'abstenir de faire du mal et dirigée par le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, le CCLT.

Je vais maintenant vous exposer brièvement certaines des constatations que la CoOPDM a faites, au cours des dernières années, dans le cadre de ses travaux de recherche sur la problématique. Tout d'abord, sachez que l'abus de médicaments d'ordonnance touche tout le monde : tous les segments de la population et toutes les communautés. Il ne s'agit pas d'un problème qui concerne uniquement les groupes marginalisés. La situation peut être vécue différemment selon la communauté ou la culture, mais il n'en demeure pas moins que ce problème se répercute sur tout le monde. Il est donc essentiel que nous examinions cette question de façon globale et que nous envisagions des stratégies qui s'appliquent à toutes sortes de circonstances.

Comme Robert l'a indiqué, il s'agit d'un problème complexe. Les médicaments d'ordonnance servent à des fins médicales légitimes, et les mesures à prendre ne doivent pas restreindre l'accès aux thérapies indiquées. Nous avons tendance à nous concentrer sur les opioïdes, dont on parle couramment dans les médias, mais de nombreux autres médicaments comportent un risque d'usage abusif comme les sédatifs, les somnifères et les stimulants, et ils doivent être gérés avec la même prudence.

Selon notre expérience, lorsque l'on supprime abruptement l'accès à un médicament d'ordonnance, le risque de consommation d'alcool, d'autres médicaments et de drogues augmente; on a même constaté une augmentation de l'activité criminelle dans nombre de communautés. Par conséquent, les efforts doivent être planifiés et holistiques. Il ne suffit pas de cibler quelques aspects.

L'importance d'une approche globale et équilibrée est soulignée dans les recommandations de la stratégie S'abstenir de faire du mal, axées autour de cinq volets d'action. Il est important que les mesures soient prises d'une manière globale et tiennent compte de multiples aspects. Il ne s'agit pas ici de diminuer l'accès aux médicaments.

Nous devons recueillir des données. En Alberta, nous avons procédé à un examen de la documentation. Nous avons interrogé des intervenants clés afin de voir les données qui étaient recueillies. Nous avons constaté que beaucoup de données sont recueillies à l'heure actuelle, mais qu'elles ne sont pas compilées ni utilisées d'une façon suffisamment efficace pour permettre la mise en œuvre de mesures réalisables. Par conséquent, nous estimons qu'il est essentiel de mettre en place un système de surveillance pharmaceutique.

Il faut avoir un meilleur accès aux traitements contre la douleur chronique, les problèmes de dépendance et les troubles de santé mentale. On a tendance à tout de suite penser aux résultats mais, en réalité, il est reconnu que les difficultés d'accès aux traitements contre la dépendance accroissent les répercussions sur la santé publique, ajoutent de la pression sur nos systèmes de soins actifs et entraînent des surdoses involontaires et des décès. Nous ne pouvons pas régler ce problème seuls. La CoOPDM est une organisation bénévole ayant très peu d'influence et de pouvoir. Nous avons besoin du leadership et de la direction de tous les ordres de gouvernement pour faire avancer ce dossier et accorder toute l'attention nécessaire à ce problème urgent de santé publique.

Nous recommandons entre autres d'appuyer l'établissement d'un leadership fédéral afin de regrouper les provinces et les territoires dans un partenariat dont le but commun sera la lutte contre le mauvais usage et l'abus des médicaments d'ordonnance, avec la participation de multiples intervenants.

Nous appuyons les 58 recommandations de la stratégie du CCLT, S'abstenir de faire du mal, axées autour de cinq volets d'action. Il est important que nous établissions un objectif de réduction de la morbidité et de la mortalité liées au mauvais usage et à l'abus des médicaments d'ordonnance au Canada. Certains d'entre vous savent sans doute que le Canada, selon l'année, était le premier ou le deuxième plus grand consommateur d'opioïdes par habitant dans le monde. Nous considérons qu'il est important de se fixer un objectif afin de réduire ces statistiques et de faire en sorte que le Canada ne figure plus parmi les plus grands consommateurs d'opioïdes.

Tout comme Robert, nous sommes d'avis qu'il faut instaurer un système national de surveillance utilisant des données de sources multiples que les provinces pourront adapter à leurs contextes respectifs. Les données de ce système de surveillance devraient servir au processus législatif et d'établissement des politiques publiques, afin de prendre les mesures pertinentes pour corriger les problèmes relevés. En ayant un système de surveillance, nous pourrons quantifier le problème et suivre les progrès à mesure que nous mettons au point des interventions.

Les programmes de surveillance pharmaceutique doivent être uniformisés à l'échelle du pays, et nous devons trouver des moyens de communiquer l'information. Les lois et les questions relatives à la protection des renseignements personnels sont des obstacles. Tout le monde travaille en vase clos. Il est donc très difficile d'aller de l'avant et de transmettre des données efficacement, même si ce sont des données agrégées, en raison des obstacles législatifs à l'obtention des renseignements. Nous devons nous pencher là-dessus et nous assurer de pouvoir agir à l'égard des problèmes de prescriptions qui nuisent à la santé publique.

Nous devons encourager l'établissement d'une formation nationale, à la fois pour les professionnels de la santé et les responsables de l'application de la loi. Comme je l'ai déjà mentionné, nous devons améliorer l'accès aux traitements en matière de santé mentale, de douleur chronique et de dépendance; et il faut que ce soit uniforme partout au pays.

Nous devons aussi collaborer avec les groupes des Premières Nations. Même si l'abus de médicaments d'ordonnance constitue un problème important au sein de tous les segments de la population, il a des répercussions encore plus grandes sur les communautés des Premières Nations pour diverses raisons. Nous devons donc travailler très étroitement avec elles afin de réduire l'impact de ce problème.

Nous devons mettre en place un mécanisme qui permet au gouvernement fédéral de prendre des décisions lorsque, dans des circonstances particulières, des médicaments suscitent des inquiétudes en matière de santé.

Au nom de la CoOPDM, je vous remercie du temps et de l'intérêt que vous consacrez à cette question. Il s'agit d'un important enjeu de santé publique qui touche notre système de santé et toutes nos communautés. Je suis ravie d'être ici aujourd'hui, et c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Je peux m'exprimer au nom de la Coalition on Prescription Drug Misuse, mais mon expérience à titre de membre d'un organisme de réglementation peut également servir dans le cadre de cette discussion.

Le sénateur Eggleton : Je vais poser quelques questions auxquelles l'une ou l'autre de vos organisations peut répondre.

Le rapport S'abstenir de faire du mal recommande la mise sur pied d'une stratégie nationale visant à contrer le problème de l'abus de médicaments d'ordonnance. Je sais que vous avez consulté la ministre de la Santé, et c'est peut- être ce qui a fait en sorte qu'on a annoncé, dans le discours du Trône d'octobre dernier, que le gouvernement élargirait sa Stratégie nationale antidrogue afin de s'attaquer au problème de l'abus de médicaments d'ordonnance, et que Santé Canada s'est engagé à travailler avec le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies à cet égard.

Comment les choses se passent-elles?

M. Eves : Les choses vont bon train. Le 24 janvier dernier, le CCLT et la ministre de la Santé ont coanimé un symposium auquel assistaient des intervenants clés en vue de discuter des principaux enjeux. Bon nombre des participants étaient membres d'organismes de réglementation ou d'associations représentant des professionnels de la santé. Nous sommes ressortis de cet événement avec une bonne idée de ce qu'il fallait faire pour contrer l'abus de médicaments sur ordonnance.

Plus précisément, nous avons discuté des programmes de surveillance pharmaceutique, et aussi de la surveillance en général, comme vous l'avez indiqué dans votre rapport, relativement à l'innocuité et à l'efficacité des médicaments après leur homologation. Nous avons également beaucoup parlé de la sensibilisation non seulement des médecins prescripteurs, mais aussi des pharmaciens et des consommateurs. Je dois dire que cet événement s'est avéré un succès et nous a permis de faire progresser le dialogue. En revanche, nous devons comprendre que ces choses nécessitent du temps.

Avec le budget qui s'en vient, nous espérons que cette problématique sera prise en considération et que le CCLT pourra jouer un rôle à ce chapitre.

Je considère que nous avons réalisé de grands progrès depuis le lancement de la stratégie en mars 2013.

Le sénateur Eggleton : L'une des principales questions ici — et je crois que vous deux l'avez mentionnée —, c'est le système de surveillance. Le Conseil consultatif national a recommandé l'instauration d'un système de surveillance pancanadien. Nous constatons qu'une multitude d'enjeux ayant une portée nationale sont difficiles à régler et, si je ne me trompe pas, vous avez parlé des lois sur la protection des renseignements personnels en vigueur dans différentes provinces qui posent en quelque sorte problème.

Sommes-nous confrontés à d'autres difficultés? Est-ce que cela s'inscrira dans le cadre de la stratégie nationale? Le ministère de la Santé est-il réceptif à cette approche pancanadienne? Allons-nous suivre un modèle en particulier? Pouvons-nous nous inspirer d'un modèle en particulier pour ce système de surveillance? L'Alberta, par exemple, ou une autre province? Mis à part les lois sur la protection des renseignements personnels, y a-t-il d'autres difficultés à surmonter? Si vous aviez une idée de la façon dont nous pourrions régler la question de la protection des renseignements personnels, cela serait également utile.

Dre Ulan : La surveillance des données comporte deux éléments. On retrouve les programmes de surveillance pharmaceutique. Cinq ou six provinces et Premières Nations ont mis sur pied de tels programmes, qu'elles gèrent un peu différemment. Ils assurent un suivi des ordonnances — c'est-à-dire le nom des médecins prescripteurs et des médicaments. On parle ici des médicaments contrôlés. Chaque province détermine ensuite, souvent de concert avec un organisme de réglementation, quels sont les signaux d'alarme dans le système, c'est-à-dire un médicament prescrit par plus d'un médecin, des doses élevées ou de grandes quantités de ce médicament — et la façon dont ils seront gérés. C'est le premier élément.

Ensuite, il faut s'attarder à l'incidence de l'abus et du mauvais usage des médicaments d'ordonnance. Il faut se pencher sur les résultats cliniques, tels que les surdoses, les appels aux centres antipoison, les données du coroner, les centres de traitement et le type de médicament présent lorsque les patients sont admis en désintoxication. Le système de surveillance doit avoir une portée beaucoup plus large et recueillir des données à partir d'une multitude de sources différentes.

Il existe de bons modèles aux États-Unis pour ce qui est de la surveillance. Les trois principaux systèmes sont RADARS, NAVIPPRO et un troisième appelé DAWN. Chacun d'entre eux recueille différentes données. NAVIPPRO et DAWN utilisent des données semblables, notamment sur la situation au sein de la communauté ainsi que dans les hôpitaux et les centres antipoison. Ce sont les deux éléments.

Les principaux problèmes sont, d'une part, les lois sur la protection des renseignements personnels et, d'autre part, la technologie. Chaque province gère de façon différente son programme de surveillance pharmaceutique. En Alberta, nous sommes très chanceux car nous utilisons les dossiers électroniques. Si un patient entre dans mon bureau, si je suis son fournisseur de soins principal ou que je suis dans le réseau de soins, j'ai accès à son dossier médical provincial, dans lequel figurent tous les médicaments prescrits, les examens subis, les vaccins administrés ainsi que tous les rapports provenant des services d'urgence. Les ordonnances en font partie. Nous avons cette possibilité en Alberta, mais pas ailleurs. Cela constitue donc un réel obstacle technologique à cette approche nationale.

Ensuite, si nous rassemblons différentes régions dans le cadre d'un système de surveillance national, nous devons nous assurer que ce système repose sur un principe directeur qui s'applique à toutes les provinces et à tous les territoires, selon les circonstances. Nous sommes confrontés à plusieurs obstacles. C'est peut-être quelque chose qui semble facile à mettre en œuvre, mais en réalité, nous faisons face à de nombreuses difficultés. Je ne dis pas que c'est impossible, mais j'estime que nous devons être très réalistes et stratégiques dans notre façon d'aller de l'avant.

Le sénateur Eggleton : Qu'est-ce que le gouvernement fédéral pourrait faire dans ce dossier pour surmonter ces obstacles?

Dre Ulan : J'ai eu l'occasion de témoigner devant le Comité de la santé de la Chambre des communes en décembre dernier, et j'ai pu participer à ce symposium. Dans les deux cas, on en est venu à la conclusion que la surveillance des données était un élément clé de la stratégie — ce n'est pas tout, mais c'est un aspect fondamental. Et le plus tôt sera le mieux. Nous continuons donc d'espérer.

M. Eves : J'aurais autre chose à ajouter. Nous savons que l'un des aspects les plus importants — et Susan en a fait allusion —, c'est la collaboration, mais aussi l'uniformisation. Nous avons également besoin de l'appui des provinces. L'investissement des ressources ne doit pas provenir uniquement du gouvernement fédéral; les provinces devront également contribuer.

Nous croyons savoir que les ministres de la Santé en ont fait une priorité, particulièrement en ce qui concerne la surveillance pharmaceutique, et essaient de trouver des moyens de collaborer dans ce dossier.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.

J'aimerais parler plus précisément des médicaments psychotropes qui, comme nous le savons, peuvent causer d'énormes dommages lorsqu'on en abuse.

Si nous recueillons des données, nous devons nous entendre sur la définition des termes « abus », « mauvais usage » et « dépendance ». Vous avez tous indiqué qu'il y avait des complications liées à cela. Pourriez-vous nous aider à comprendre en quoi il est compliqué de définir « abus », « mauvais usage » et « dépendance » et de les appliquer aux différentes catégories socio-démographiques?

Dre Ulan : Je peux répondre à votre question. Je suis d'accord avec vous. Je pense qu'il est très difficile de faire la distinction entre « mauvais usage » et « abus ». Un « mauvais usage » est, par définition, tout usage d'un produit pharmaceutique à des fins autres que celles prévues, tandis qu'un « abus » est un usage à des fins non médicales. Tout est dans l'intention, en ce sens qu'une personne peut prendre un médicament intentionnellement afin de tirer avantage de ses propriétés psychotropes. Comme il est question d'une intention, il est très difficile pour une personne de l'extérieur d'essayer de deviner l'intention derrière ce geste.

Par exemple, si une personne prend des somnifères et qu'un certain soir, elle avale deux comprimés au lieu d'un seul, parce qu'elle n'arrive pas à dormir, cela pourrait être perçu comme un mauvais usage, mais si ce même patient renifle le comprimé, cela serait considéré comme de l'abus. Dans ce cas-ci, la distinction est très claire, mais sachez qu'il y a beaucoup de zones grises.

Les définitions sont essentielles. Il se peut que nous devions fusionner les définitions afin de mieux refléter le MDS. La cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux a été publiée en juin dernier et ne fait plus la distinction entre « accoutumance » et « toxicomanie ». On a en quelque sorte réuni ces deux termes sous le même vocable de « usage problématique de substances ». On a ensuite ventilé les données selon les différentes substances, c'est-à-dire les opioïdes, l'alcool et ainsi de suite. On a reconnu cliniquement qu'il n'y avait pas de distinction claire et nette.

Mme Robeson : La stratégie S'abstenir de faire du mal doit également se concentrer sur les méfaits associés aux médicaments d'ordonnance, qu'il s'agisse ou non d'un mauvais usage ou d'un abus. Nous devons analyser les dommages causés par le médicament, peu importe qu'il ait été pris selon la posologie recommandée ou de façon abusive. Il faut donc recueillir ces données. Le patient a-t-il respecté le dosage, la voie d'administration et la fréquence indiqués pour ce médicament? Quels sont les méfaits associés à ce médicament, peu importe l'utilisation qu'on en a fait?

La sénatrice Seidman : Si nous devons recueillir des données aux fins de la surveillance, quelles sont les difficultés auxquelles nous serons confrontés en ce qui a trait à l'élaboration des définitions? Devons-nous simplement nous aligner sur les nouvelles définitions du manuel diagnostique? Qu'en pensez-vous?

Mme Robeson : Les IRSC nous ont accordé une subvention, dans le cadre de l'Initiative canadienne de recherche sur l'abus de substances, afin de réunir un groupe d'intervenants dans ce dossier. Le groupe en question se penchera sur certains de ces enjeux. On a examiné ces définitions à une réunion antérieure. On n'est pas parvenu à établir des définitions claires, ce qui rend la collecte et l'analyse des données très difficiles.

L'un des objectifs de ce groupe de surveillance sera de se fonder sur des indicateurs clés — plutôt que sur ces définitions — afin de surveiller si le médicament a été pris selon la posologie recommandée, les méfaits qui y sont associés, s'il est question d'une dépendance, si on doit proposer un traitement, s'il y a des listes d'attente, si on signalé des surdoses et des décès liés à la prise du médicament. On va donc moins se concentrer sur les définitions et davantage sur des indicateurs précis.

La sénatrice Seth : Je vous remercie pour ce sujet fort intéressant. D'après l'exposé du CCLT, le Canada est le deuxième plus grand consommateur d'opioïdes par habitant dans le monde. Quel est le pays qui en consomme le plus et celui qui en consomme le moins? Dans le cas du plus petit consommateur d'opioïdes, quelle initiative le gouvernement a-t-il mis en œuvre pour enregistrer un taux d'abus de médicaments aussi bas?

Dre Ulan : Les États-Unis sont le plus gros consommateur d'opioïdes par habitant dans le monde. Pour ce qui est des plus petits consommateurs, ce sont des pays dont on ne voudrait pas nécessairement suivre le modèle. On parle ici des pays du tiers monde où les opioïdes ne sont tout simplement pas disponibles pour les traitements, qu'ils soient appropriés ou non. Si vous vivez en Inde et que vous êtes atteint d'un cancer en phase terminale, peu importe la douleur dont vous souffrez, il est très probable que vous n'ayez pas accès à ces médicaments. C'est donc davantage une question de disponibilité que d'initiative visant à limiter les prescriptions.

La sénatrice Seth : Dans quelles villes canadiennes observe-t-on la plus grande consommation abusive de médicaments d'ordonnance?

M. Eves : Il est encore trop tôt pour se prononcer, et cela concerne les travaux que vous menez dans le cadre de votre deuxième rapport et, en particulier, toute la question de la surveillance des médicaments après leur homologation et leur mise en marché. Nous ne pouvons rien vous dire pour l'instant. Nous avons les statistiques des régions où on effectue une certaine surveillance. L'Ontario est l'une des plus rigoureuses en ce moment. Cela ne signifie pas que c'est la province qui recueille le mieux ses données, mais plutôt celle qui, jusqu'à présent, a analysé les données disponibles publiquement. Nous n'avons donc pas l'information à ce stade-ci.

Le président : Si vous me le permettez, j'aimerais tirer les choses au clair. Vous nous dites que le Canada se classe parmi les plus grands consommateurs d'opiacés dans le monde, mais vous êtes incapable de nous dire les régions qui sont les plus touchées. J'imagine que vous vous fondez sur le volume d'achats d'opiacés annuels?

M. Eves : Absolument.

La sénatrice Seth : Au sein de quel segment de la population observe-t-on le taux d'abus le plus élevé? Est-ce que ce sont les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres? Selon vous, quel est le segment de la population le plus touché?

M. Eves : Je peux affirmer sans me tromper que tous les segments sont touchés, mais de façon différente. Si on prend les adultes plus âgés, par exemple, ils consomment des médicaments depuis longtemps et une certaine habitude de prescription s'est créée avec le temps. Ils sont donc plus susceptibles de se faire prescrire ce type de médicaments que les autres segments de la population, à l'exception des femmes. Comme Susan l'a indiqué, étant donné qu'ils ont davantage « accès » à ces médicaments, le risque de mauvais usage, d'abus et d'autres méfaits liés à l'usage de ce médicament est plus grand.

Les segments de la population qui ont un plus grand accès aux médicaments sont aussi les plus à risque, mais cela dit, nous ne pouvons pas l'affirmer avec certitude. Il y a différents facteurs dont il faut tenir compte au sein de chacun des groupes de la population. La plupart obtiennent une ordonnance auprès d'un médecin, mais dans le cas des plus jeunes, nous savons qu'ils ont accès à des médicaments parce qu'ils les ont volés à la maison.

Nous n'avons pas de statistiques qui révèlent avec précision le segment de la société qui éprouve le plus de problèmes. Tous les segments de la population sont touchés.

Mme Robeson : Nous avons des données qui nous indiquent que dans certaines provinces, par exemple, on retrouve davantage de femmes que d'hommes traités pour une dépendance aux opioïdes. Nous remarquons certains écarts au sein de la population, mais nous avons du mal à faire des comparaisons à l'échelle nationale.

On a beaucoup parlé dans les médias des communautés des Premières Nations qui semblent être touchées de façon disproportionnée.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Quand on regarde la problématique, peut-être que c'est difficile de savoir qui abuse et quelles sont aussi les utilisations à mauvais escient des médicaments. Les jeunes, par exemple, représentent une population à risque. En ce qui les concerne, une série de médicaments qui traitent le TDAH, dont le Ritalin, leurs sont souvent prescrits. Cela n'existait pas avant avec autant d'importance. Aujourd'hui, je suis tellement surprise de voir l'incidence de ce problème prendre de telles proportions. On prescrit pour ce problème. Les très jeunes s'habituent à prendre des médicaments très tôt dans leur vie. Des comportements se développent qui empireront lorsque la personne vieillira.

Nous vivons dans un monde où il y a de l'innovation partout, les compagnies pharmaceutiques produisent beaucoup de médicaments. Quand on va chez le médecin, on en ressort avec une prescription très souvent. C'est comme cela qu'on soigne maintenant.

Si on veut régler le problème à la source, il faudrait surveiller cela, mais c'est impossible. Je comprends mal. On peut essayer de comprendre l'ampleur des abus, mais je me dis que le problème est peut-être à la source de la relation entre le médecin et le patient et dans la façon dont on soigne aujourd'hui. En ce sens, on devrait peut-être s'attarder à comprendre l'effet des médicaments lorsqu'ils sont mal utilisés et donner de l'information et d'appréhender le problème un peu comme on l'a pris avec le tabagisme ou l'alcoolisme.

Je voudrais avoir votre réaction sur cela. Pourriez-vous également me dire si vous avez de l'information sur les jeunes que l'on traite avec des prescriptions. Est-ce vraiment nécessaire, ces actions?

[Traduction]

Mme Robeson : En ce qui a trait aux jeunes qui se droguent avec les médicaments d'ordonnance, nous savons que 72 p. 100 d'entre eux se sont servis dans la pharmacie de leurs parents. Il serait donc utile de mieux sensibiliser les familles à l'entreposage et à l'élimination sécuritaire de leurs médicaments.

Si on veut changer les habitudes des consommateurs, il faut d'abord qu'ils comprennent que les médicaments ne sont pas toujours la meilleure solution aux problèmes de santé. Il y a d'autres traitements disponibles pour soulager la douleur, par exemple, la physiothérapie, l'acupuncture et beaucoup d'autres traitements qui ne sont pas médicamenteux. Il faut aussi mieux sensibiliser les personnes chargées de prescrire et de fournir les médicaments — les médecins, les infirmières, les sages-femmes, les dentistes et les autres — et travailler avec elles afin qu'elles proposent des traitements mieux adaptés aux circonstances.

Il s'agit d'un plus gros problème qui réside dans le système même. Cela ne prend que quelques minutes à un médecin pour rédiger une ordonnance. On n'a pas nécessairement les fonds nécessaires pour mener une évaluation approfondie ni les ressources adéquates au sein des collectivités, dans certains cas, en ce qui a trait aux soins spécialisés ou encore aux solutions de rechange aux médicaments telles que la physiothérapie, la massothérapie et ainsi de suite.

Si on veut remédier à la situation, il nous faut absolument adopter une approche globale qui vise non seulement les médecins prescripteurs, mais aussi les consommateurs, compte tenu du marketing pharmaceutique qui nous laisse croire que les médicaments sont la solution miracle. En revanche, nous devons aussi mieux informer les consommateurs sur les risques auxquels ils s'exposent en prenant ces médicaments.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Vous l'avez bien dit, c'est systémique. Nous sommes face à un système où des médecins font des prescriptions et des individus veulent régler leur problème rapidement. Donc, c'est la pilule miracle.

Dans certains des documents que vous nous avez transmis, vous dites ne pouvoir régler ce problème sans le leadership et la direction du gouvernement fédéral. Que peut faire le gouvernement fédéral pour changer ce système?

[Traduction]

Mme Robeson : Le gouvernement fédéral ni aucun autre gouvernement ne peut, à lui seul, remédier au problème. Il n'empêche que le gouvernement fédéral peut prendre part aux discussions et financer certaines de ces initiatives.

En ce qui a trait aux barrières législatives — par exemple, la question de la protection des renseignements personnels —, cela pourrait faire partie des changements à apporter. On pourrait également renforcer le système de surveillance post-commercialisation et les mesures à prendre en conséquence, et le gouvernement fédéral peut contribuer à la solution.

Bien que le gouvernement ait un rôle important à jouer, il faut savoir qu'il n'est pas le seul intervenant. Je pense qu'on se tourne souvent uniquement vers le gouvernement pour régler nos problèmes. Toutefois, dans ce cas-ci, le gouvernement peut certainement participer aux discussions et financer en partie cette stratégie.

La sénatrice Cordy : Docteure Ulan, vous avez indiqué qu'un grand nombre de données étaient recueillies, mais qu'elles n'étaient pas compilées. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Dre Ulan : En Alberta, la CoOPDM a procédé à un examen des données sur les différents programmes et systèmes de surveillance pharmaceutique partout au Canada. Nous nous sommes également penchés sur la situation des États- Unis et d'autres pays dans le monde pour voir le genre de systèmes qu'on avait en place, en vue d'améliorer le système en Alberta.

Par ailleurs, nous avons également voulu interroger des intervenants clés au sein de la province pour savoir le type de données qu'ils recueillaient, à qui ils les communiquaient et ce qu'ils faisaient de ces données. Nous avons examiné les données de la GRC, des services de police municipaux, du Collège des médecins et des chirurgiens, des coroners, des services de santé de l'Alberta et des Premières Nations. Nous nous sommes rendu compte qu'en fait, on recueillait énormément de bonnes données. Cependant, chacune de nos organisations utilise ces données de façon isolée, et il n'existe aucun mécanisme nous permettant de communiquer les données de façon à avoir une vue d'ensemble à l'échelle provinciale.

Il serait très important de rassembler ces données et de dresser un portrait plus global de la situation, parce que cela nous permettrait non seulement de déterminer l'ampleur du problème et d'élaborer des stratégies en conséquence, mais aussi de suivre nos progrès. Ce type d'information peut influencer les politiques et les lois. En l'absence de données pertinentes, il est très difficile de faire valoir la nécessité d'apporter des changements au système.

La sénatrice Cordy : Les provinces et les organisations recueillent des données sur les personnes qui prescrivent les médicaments et les quantités de médicaments qui sont prescrits. Il y a quelques années, la plupart des provinces étaient bien au courant du problème de l'obtention d'ordonnances multiples. Comme vous le savez, les patients pouvaient consulter deux ou trois, voire quatre médecins, et aller de pharmacie en pharmacie pour obtenir des médicaments. On a en grande partie remédié à ce problème, ou du moins, je l'espère. Mais qu'en est-il des médecins?

À la suite d'une chirurgie, un de mes amis s'est fait prescrire 50 OxyContin. C'est un peu exagéré. Le médecin en question ne croyait certainement pas que cette personne pourrait en abuser, mais on ne sait jamais qui peut avoir ce type de problème. Les gens ont souvent en tête le stéréotype du drogué dans la rue, mais ce n'est pas le cas ici, particulièrement avec les médicaments d'ordonnance.

Recueille-t-on des données sur les quantités prescrites par les médecins? Une seule dose de 50 OxyContin me paraît assez extrême.

Dre Ulan : Je suis heureuse de vous en parler. En fait, c'est mon travail.

En Alberta, nous avons depuis 1986 un programme d'ordonnances en triple copie. C'est un programme de surveillance des ordonnances qui, à l'origine, servait à repérer les particuliers qui avaient recours à plus d'un médecin. Si un patient voyait plus d'un praticien au cours d'un certain laps de temps, une lettre était envoyée à tous les praticiens qui prescrivaient des ordonnances. Au fil des ans, nous avons constitué une énorme base de données, et il y a plusieurs années — au moins six ou sept ans, probablement —, le collège et d'autres partenaires du programme ont évalué comment ces données étaient utilisées et ont conclu qu'on pouvait faire mieux. Nous avons investi des sommes considérables dans l'exploration de données afin d'être en mesure de repérer plus efficacement les patients et les médecins à haut risque et d'intervenir.

Mon travail au collège consiste à rencontrer les médecins qui rédigent beaucoup d'ordonnances, ceux que notre programme d'ordonnances en triple copie ou le processus de plaintes ont permis de repérer ou ceux qui nous ont été signalés par un collègue ou un membre de la famille. J'aborde ces médecins avec des données en main. Je recueille de l'information sur leur pratique et je travaille avec eux en vue de les sensibiliser et de les aider à améliorer leur façon de faire en matière d'ordonnances.

Nous offrons une formation très générale aux médecins de la province, mais en tant qu'ordre des médecins, notre vrai rôle est de repérer les pratiques à risque élevé en matière d'ordonnances et d'y remédier. L'approche que nous préconisons est davantage axée sur la sensibilisation, car c'est une façon plus économique, plus rapide et moins antagoniste de régler le problème.

Nous comptons aussi sur un processus de formulation de plaintes. N'importe qui a la possibilité de porter plainte contre son médecin, mais si un problème a été décelé — pour peu que ce soit possible —, nous cherchons à ramener le médecin concerné dans le droit chemin en travaillant avec lui dans une perspective éducative.

En effet, l'un des rôles importants des ordres des médecins est certes de repérer les patients à haut risque et d'en informer les praticiens, mais il est tout aussi important de repérer les médecins à haut risque.

La sénatrice Cordy : Madame Robeson, je trouve que vous avez tenu des propos très lucides au sujet des consommateurs qui demandent des médicaments sur ordonnance à leur médecin sans que personne ne se préoccupe nécessairement de leurs effets secondaires. Ce que je lis dernièrement à ce propos semble indiquer que cela devient un problème. Les consommateurs demandent des médicaments qui, dans les faits, ne vont pas les aider. Si vous avez un rhume, la bonne vieille recette dit qu'il faut du repos et beaucoup de liquide, et c'est ce qui fonctionne le mieux. Or, les gens demandent des ordonnances pour des problèmes qui ne se traitent pas avec ces médicaments. Et, comme nous le savons, tout médicament a des effets secondaires.

Vous avez en outre parlé avec éloquence des traitements qui ne requièrent pas d'ordonnance — comme la massothérapie ou la physiothérapie pour ne nommer que ceux-là —, et qui donnent de meilleurs résultats sans effets secondaires.

Dans une stratégie antidrogue qui engloberait les médicaments sur ordonnance — et nous espérons que le budget y affectera des fonds —, est-ce que la sensibilisation du public s'accompagnerait d'un volet éducatif? Cet aspect serait-il un élément fondamental de la stratégie en ce qui concerne les médicaments sur ordonnance? Je ne suis pas convaincue que les gens prennent cette question aussi sérieusement qu'ils le devraient.

Mme Robeson : J'estime que le volet éducatif doit effectivement être un élément important de la stratégie, et ce, pour toutes les raisons que vous venez d'énumérer. Une partie du travail accompli jusqu'ici consiste à recenser tout ce qui se fait au pays pour sensibiliser le public à ce sujet et ce que ces initiatives offrent. Certaines de ces campagnes ont des thèmes précis, comme l'entreposage et l'élimination sécuritaire des médicaments, tandis que d'autres visent à informer le public sur les services de santé disponibles en lien avec les médicaments sur ordonnance.

Nous procédons actuellement à l'analyse des résultats de ce recensement afin d'établir ce qui se fait. Nous pourrons ensuite déterminer s'il faut mettre au point de nouveaux outils, moderniser les produits existants ou diffuser certaines pratiques exemplaires. Oui, cela doit faire partie de la solution à ce problème, car les consommateurs eux-mêmes font partie du problème.

Le sénateur Segal : Je veux seulement m'assurer de bien avoir saisi ce que vous avez répondu à la sénatrice Seth au sujet de la répartition du problème dans l'ensemble de la population. D'après ce que j'ai compris, l'exposition à ce problème et les risques d'une mauvaise utilisation ou d'un usage abusif de médicaments sont les mêmes, que nous ayons 10 000 personnes de l'Alberta ou de toute autre province qui ont fait des études postsecondaires et qui font partie des 5 p. 100 de la population ayant les meilleurs revenus ou 10 000 Canadiens parmi les moins bien nantis qui ont moins d'éducation et qui vivent avec un revenu égal ou inférieur au seuil de la pauvreté. Ai-je bien compris votre réponse?

Dre Ulan : La vérité est que nous n'avons pas de données probantes à ce sujet.

Le sénateur Segal : Alors, nous ne le savons pas?

Dre Ulan : C'est exact.

Le sénateur Segal : Ma deuxième question fait suite à celle de ma collègue, la sénatrice Cordy.

Comparez la situation qui prévalait il y a 35 ans au sujet de l'alcool au volant ou du tabagisme, par exemple, au point où nous sommes rendus socialement aujourd'hui, et pensez aux importants progrès que nous avons accomplis et à la diminution du pourcentage de gens qui nuisent à leur santé comme c'était le cas auparavant; je me souviens de tout ce qu'on a fait : des innovations réglementaires, des initiatives policières sur les façons d'intervenir et de la quantité de publicités et d'exercices de relation publique destinés à toutes les couches de la population. Et ce n'était pas seulement l'État. Certes, les gouvernements ont eu un rôle à jouer, mais beaucoup d'intervenants du secteur privé, d'organismes sans but lucratif et d'autres groupes ont mis la main à la pâte.

Selon vous, y a-t-il quelque chose à retenir de toute cette histoire qui permettrait au gouvernement — ou à vous — d'offrir l'aide ou d'imprimer l'orientation qui fera avancer les choses plus vite que nous semblons pouvoir le faire avec l'approche clinique sur laquelle nous concentrons naturellement toute notre attention?

M. Eves : C'est une excellente remarque, et l'essence de votre propos est reprise directement dans les recommandations qui accompagnent la stratégie S'abstenir de faire du mal; il faut en fait tabler sur les bons coups des autres campagnes à long terme pour modifier et encadrer les comportements. Et vous avez raison de dire que les expériences du passé ont beaucoup à nous apprendre.

Nous ne pouvons cependant pas ignorer qu'il faudra quand même du temps pour arriver là où nous souhaitons aller. Cela sera-t-il aussi long que dans le cas, par exemple, du tabagisme ou du port de la ceinture de sécurité? Ce ne sera peut-être pas le cas, parce que ce problème a un caractère urgent que les autres n'avaient peut-être pas. Les effets, les répercussions et les torts causés par la mauvaise utilisation des médicaments sur ordonnance se manifestent de façon beaucoup plus dramatique.

Je m'attends à ce que les choses aillent plus vite, mais cela prendra quand même un certain temps. Nous allons nous inspirer du succès des autres campagnes.

Mme Robeson : Il y a beaucoup à apprendre de ces stratégies, car nous avons fini par comprendre que l'approche à plusieurs volets est efficace.

Cependant, le présent enjeu est différent, parce que les médicaments procurent aussi des bienfaits thérapeutiques réels. Alors, nous devons veiller à ce que les personnes aient accès aux traitements appropriés ayant recours à ces médicaments lorsque leur état le justifie et lorsque d'autres approches ont échoué ou ont demandé un certain apport complémentaire. Voilà ce en quoi cette stratégie diffère. La situation est un peu plus complexe, mais nous pouvons néanmoins en apprendre beaucoup des autres approches qui fonctionnent.

La mise au point de la stratégie et les avis des experts nous ont amenés à constater qu'il faut une mesure législative. Il faut aussi éduquer le public et mettre en œuvre d'autres initiatives de prévention. Il faut sensibiliser tous les intervenants clés, dont les prescripteurs et les distributeurs. Les tactiques déployées par les autres groupes et organismes concernant le tabagisme, par exemple, nous aideront grandement à étayer notre démarche, même si le problème est un peu plus complexe. Je ne dis pas qu'il s'agit d'une tâche insurmontable, mais c'est un peu différent. Nous devons adapter certaines initiatives en conséquence.

Le sénateur Enverga : Merci de vos exposés. Vous avez répondu à plusieurs de mes questions.

Toutefois, l'une des causes sous-jacentes de la mauvaise utilisation des médicaments au Canada est le manque de sensibilisation. Avez-vous des stratégies à proposer en ce sens concernant l'utilisation des médicaments sur ordonnance? N'hésitez pas à nous donner aussi votre avis sur les médicaments qui ne nécessitent pas d'ordonnance, comme les médicaments en vente libre.

Le président : Ne touchez pas aux médicaments en vente libre. Nous ne nous intéressons qu'aux médicaments sur ordonnance, alors nous ne souhaitons pas aborder les autres.

Le sénateur Enverga : C'est bon.

M. Eves : Comme vous l'indiquez dans votre rapport, communiquer mieux et plus efficacement est une bonne façon de diffuser l'information dont les consommateurs ont besoin quand ils en ont besoin. L'étiquetage en est un bon exemple. Il y a aussi la méthode de la boîte noire ou du triangle noir qui signale clairement qu'un médicament peut s'accompagner de mises en garde dont il faut tenir compte. Enfin, il y a les dépliants et la normalisation des dépliants, et toute l'information qui est communiquée au moment où l'ordonnance est exécutée.

D'après moi, les consommateurs seraient ainsi avertis et outillés pour comprendre les risques qui accompagnent la prise de la substance en question.

Dre Ulan : J'aimerais ajouter quelque chose à ce sujet. Je crois qu'il est essentiel de sensibiliser tous les intervenants en santé, y compris les médecins et les pharmaciens, mais aussi les infirmières, les dentistes et même les vétérinaires. En Alberta, notre programme d'ordonnances à triple copie vise aussi les ordonnances des vétérinaires, et nous constatons que les patients se servent de leurs animaux de compagnie et de leurs rendez-vous chez le vétérinaire pour obtenir des médicaments sur ordonnance qu'ils consommeront. Alors, la sensibilisation des professionnels — les étudiants au baccalauréat dans le cadre de leur formation et ceux des cycles supérieurs — est tout à fait essentielle et elle ne se limite pas aux médecins.

Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je crois qu'à l'heure actuelle la sensibilisation est sous-utilisée.

Le sénateur Enverga : D'après ce que je peux voir, la mauvaise utilisation découle d'un manque de sensibilisation. Mais votre façon de le présenter semble indiquer que la sensibilisation ouvre la porte à une utilisation abusive.

Avons-nous retenu quelque leçon que ce soit à cet égard? Faut-il, à l'instar de ce que nous avons fait pour les cigarettes, mettre une étiquette spéciale sur les médicaments sur ordonnance afin de rendre les risques plus visibles et éviter que la même chose se reproduise? Qu'en pensez-vous?

Dre Ulan : Je crois qu'il y a deux choses à retenir ici. Encore une fois, en ce qui concerne ce que vous avez dit sur notre capacité de déceler l'utilisation abusive, je crois que les médecins et les fournisseurs de soins sont mal outillés pour savoir qu'un patient est sur une pente glissante, qu'il consomme plus de médicaments qu'il ne le devrait ou qu'il commence à afficher des comportements à haut risque.

En tant que médecins, nous sommes plutôt mal formés pour reconnaître ces symptômes et ce qu'ils signifient. Nous ne savons pas nécessairement comment gérer un patient dans une telle situation, définir les limites appropriées et renforcer le contrôle, et nous ne sommes pas nécessairement au courant des ressources disponibles dans la collectivité et des façons d'aider un tel patient. Je crois que c'est un aspect qui fait grandement défaut à notre formation, tant pour les étudiants en médecine que pour les médecins diplômés.

Je suis d'accord avec vous. Je crois que l'étiquetage est très important, notamment en ce qui concerne les opiacés, car les membres de la famille ou les proches de la personne qui prend ces médicaments en sous-estiment souvent la puissance et les risques potentiels. Un meilleur étiquetage permettrait de diminuer les comportements à risque et inciterait peut-être les gens à être plus vigilants dans leur façon de ranger ces médicaments.

Mme Robeson : De plus, une telle sensibilisation inciterait les consommateurs à poser des questions à ceux qui leur prescrivent des médicaments, notamment sur la posologie. Ont-ils vraiment besoin d'autant de comprimés? Je pourrais raconter de nouveau plusieurs histoires semblables au sujet du nombre de comprimés reçus, par exemple.

Nous devrions peut-être travailler avec les distributeurs de médicaments. Si une personne a une prescription pour 50 comprimés, il faudrait lui en donner seulement un certain nombre à la fois et lui permettre de revenir en chercher d'autres si elle en a encore besoin. Un certain nombre de changements pourraient être apportés à cet égard sans qu'il y ait lieu de remanier les lois outre mesure.

Outiller les consommateurs est un élément clé. Comme le disait Susan, lorsqu'il s'agit de reconnaître les signes et les symptômes de l'utilisation abusive d'une substance, la formation à cet égard que les prescripteurs — par exemple, les médecins ou le personnel infirmier — reçoivent durant leurs études au baccalauréat ou après est plutôt déficiente. En fait, parmi tous les groupes dont Susan a parlé, ce sont les vétérinaires qui reçoivent la formation la plus approfondie sur la gestion de la douleur dans le cadre de leurs études en vue de devenir des fournisseurs de soins de santé.

Le programme de premier cycle ou de précertification, ainsi que le perfectionnement professionnel en font aussi partie.

Le sénateur Enverga : Voici une question rapide pour vous : croyez-vous que nous devrions criminaliser certains aspects de l'utilisation abusive de médicaments?

Dre Ulan : C'est très difficile de criminaliser quelque chose qui s'accompagne d'instructions appropriées. Ce n'est pas comme l'héroïne ou la cocaïne. Il est ici question de médicaments qui doivent être offerts pour traiter des problèmes de santé précis. Ce serait très difficile de le faire.

Il existe déjà des mécanismes pour criminaliser le trafic, le détournement de produits et la sollicitation d'ordonnances multiples, mais la criminalisation de la possession d'une substance thérapeutique serait très difficile à mettre en œuvre. Il y aurait cependant lieu d'envisager un resserrement du contrôle des activités criminelles ayant recours à ces produits comme substrat.

[Français]

La sénatrice Chaput : Le Conseil consultatif national sur l'abus des médicaments sur ordonnance recommande de mettre en place un système de surveillance pancanadien. Comment peut-on arriver à mettre sur pied un système de surveillance pancanadien quand, même au niveau du Canada et des différentes provinces, et vous l'avez mentionné, les données et informations ne sont pas complètes? Comment peut-on surveiller l'ampleur du mésusage et l'abus si on n'a pas l'information suffisante? Comment cela peut-il se faire? Est-ce qu'il y a d'autres outils qui permettent de mesurer?

[Traduction]

Dre Ulan : Nous commençons par les données auxquelles nous avons accès.

En Alberta, nous avons commencé à envisager la possibilité de travailler avec d'autres intervenants — le gouvernement, le coroner et les services de police — et de mettre nos données en commun en un tout hétérogène et global, de sorte qu'il soit impossible d'en extraire des renseignements au sujet d'un patient ou d'un médecin en particulier. Nous aurions ainsi un portrait global de la situation actuelle à partir de ce que nous avons. Au fur et à mesure que les choses avanceront, que nous commencerons à élaborer une meilleure structure législative et une meilleure gouvernance et que nous réussirons à régler certains problèmes relatifs à la protection des renseignements personnels, nous pourrons nous en servir pour aller de l'avant.

Il faut commencer dans la simplicité et examiner les données actuelles. Ce n'est peut-être pas parfait, mais c'est toujours un début. Ces données peuvent servir de référence et étayer le processus.

Cela peut se faire assez facilement à l'aide des données existantes. Cela ne s'appliquera pas nécessairement à toutes les provinces, à tous les territoires et à toutes les régions d'une même province, mais c'est un point de départ. Il faut se pencher sur les données qui existent déjà.

Mme Robeson : L'une des recommandations de la stratégie est d'instaurer dans les provinces et les territoires un programme de surveillance des ordonnances semblable à celui dont parle Susan. Nous espérons y arriver en faisant en sorte que les administrations qui ont déjà un tel programme aident les autres à élaborer le leur.

Nous procédons actuellement à l'examen des données probantes — la recherche — concernant les éléments fondamentaux des programmes efficaces de surveillance des ordonnances afin de savoir ce qui doit être mis en place dans chaque administration. Ensuite, nous collaborerons avec ces administrations pour recenser, comme le suggérait Susan, les données existantes, repérer les lacunes et essayer ensemble d'en combler certaines. Les diverses administrations recueillent peut-être actuellement des données différentes.

Au fil du temps, le fait que ces ensembles de données puissent être partagées ou être comparées à d'autres ensembles de données afin de tracer un portrait national ne veut pas nécessairement dire qu'un système national est requis. Mais ce doit être un système provincial afin que nous puissions également comparer les données entre chaque province. Ce serait utile.

[Français]

La sénatrice Chaput : Donc, on se sert de ce qui va déjà bien comme modèle pour arriver à développer le système pancanadien. Merci, je suis heureuse d'entendre cela.

[Traduction]

La sénatrice Stewart Olsen : J'ai beaucoup de questions à poser, car je ne suis pas sûre de comprendre l'ampleur du problème.

Je vois dans les données ici que vous indiquez les milliards de dollars et les pertes, et pourtant, vous nous dites que nous ne recueillons pas les données et donc que nous ne savons pas vraiment.

Peut-être pourriez-vous m'expliquer, docteure Ulan. Vous avez commencé par quelque chose de simple. Ce n'est pas que je mets en doute l'existence d'un problème; mais je mets peut-être en doute les solutions proposées.

Tenter de mettre en place ces vastes programmes de surveillance ne réglera pas le problème qui exige, si c'est vrai, que l'on prenne immédiatement des mesures. Je doute que nous y arrivions rapidement.

Je reviendrais à la campagne de relations publiques et aux prescripteurs.

Ce ne sont pas des solutions complexes, mais des solutions de base simples que nous pouvons comprendre et utiliser comme point de départ. Je comprends la nécessité de recueillir des données, mais je pense que si vous avez raison et qu'il s'agit d'un énorme problème, alors nous devrions peut-être commencer par des solutions simples. Je pense simplement que c'est peut-être trop demander. Je ne sais pas comment ce serait réalisé. Je ne sais pas si j'aimerais que mes ordonnances se retrouvent partout au Canada de nos jours. Voyez-vous ce que je veux dire?

Mme Robeson : La stratégie S'abstenir de faire du mal propose ces 58 recommandations. Nous proposons diverses recommandations dans l'ensemble de cette stratégie.

C'est une feuille de route sur 10 ans parce que cela ne peut se faire du jour au lendemain. Nous avons défini des stratégies à court terme qui nous aideront à mettre en œuvre ces recommandations, notamment en déterminant les principaux éléments d'un processus adéquat et les données dont disposent les provinces, afin de savoir ce qui existe et ce dont nous avons besoin. Mais à elles seules, les données ne sont pas la solution. Nous avons analysé l'offre éducative pour les prescripteurs et les préparateurs afin de savoir ce qui existe actuellement et d'établir un rapport avec les données les plus récentes relatives à ce qui devrait être offert. Nous pourrons ensuite nous pencher aussi sur les lacunes.

Par exemple, nous nous sommes associés à l'Association canadienne des chefs de police et à la Sécurité publique pour la Journée nationale de retour des médicaments d'ordonnance en vue de sensibiliser les gens à l'importance de ce problème, de les informer de ce qu'ils peuvent faire pour le résoudre dans leur propre résidence, par exemple en entreposant et en éliminant les médicaments de façon sécuritaire, et de leur offrir la possibilité de rapporter les médicaments inutilisés afin de prévenir les empoisonnements chez les enfants, le détournement vers le marché illicite, ainsi que le mauvais usage par un membre de leur famille. Cette initiative est déjà en place; la dernière a eu lieu en mai dernier, et nous en aurons une autre en mai prochain.

Il y a des choses qui peuvent être mises en place en cours de route, et quand nous parlons d'un système national ou même de systèmes provinciaux, nous ne parlons pas de ces initiatives à court terme, mais nous pouvons prendre des mesures au cours du processus pour mettre en place une approche beaucoup plus exhaustive. Il s'agit d'une crise et il nous faut agir maintenant, mais la mise en place de solutions globales nécessitera du temps.

La sénatrice Stewart Olsen : Avez-vous des données sur l'ampleur du problème en Alberta? Je le demande en particulier parce que votre programme semble être déjà en place. C'est seulement pour avoir une idée de l'ampleur du problème.

Dre Ulan : Nous avons des données sur chacune des parties qui touchent ce problème, mais nous ne disposons pas d'un ensemble de données pouvant être compilées pour avoir une meilleure idée du problème.

C'est important, car les initiatives et les interventions que nous mettons en place pour résoudre une partie du problème entraînent des conséquences imprévues. Je vais vous donner un exemple. Quatre Premières Nations de l'Alberta ont communiqué avec le Collège des médecins et chirurgiens afin d'obtenir de l'aide pour régler le problème lié à la prescription fréquente de médicaments dans leurs collectivités. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec les médecins et nous avons apporté d'importants changements à la prescription d'opioïdes et de sédatifs. Trois choses se sont produites.

D'abord, je savais que notre travail pouvait avoir une incidence sur les pratiques de prescription des médecins. Les patients ont fini par aller consulter d'autres médecins moins stricts sur le plan de la prescription.

Un autre événement a contribué à modifier mon approche. La directrice provinciale de refuges pour femmes battues m'a appelée et m'a dit : « Je crois que vous travaillez avec les médecins de notre collectivité. Je voulais vous dire que le nombre de femmes battues par leur conjoint ou un membre de leur famille qui se présentent à notre refuge a considérablement augmenté. La consommation d'alcool et la violence envers les femmes sont en hausse. Je voulais simplement que vous en soyez consciente, car nous croyons que c'est probablement lié à votre intervention sur la prescription de médicaments. »

Je pense que c'est là où la surveillance est importante. Si l'on apporte des changements à un élément de l'ensemble, on doit se préparer à faire face aux conséquences imprévues. Il faut déterminer ce qui change et ce qui se produit, mais il faut surtout se rappeler qu'il peut y avoir des conséquences imprévues et trouver à l'avance une façon de régler le problème. C'est la raison pour laquelle la surveillance est importante.

L'autre élément important, c'est qu'il faut chercher des moyens de changer l'ensemble du système, et pas seulement une partie.

La sénatrice Stewart Olsen : Je vois. Les choses ont beaucoup changé. Auparavant, on surveillait de beaucoup plus près le nombre d'ordonnances prescrites. Les gens remettaient cela en question. Dans les salles d'urgence, si un médecin disait : « Donnez-lui une douzaine de pilules pour rentrer à la maison », l'infirmière disait : « Peut-être que deux pourraient suffire. » Les choses ont beaucoup changé, et je ne sais pas trop ce qu'il faut faire pour qu'il y ait davantage de surveillance et que l'on prescrive et distribue les médicaments de manière responsable. Je ne sais pas.

Dre Ulan : C'est une approche à plusieurs volets. Il nous faut aussi examiner le rôle de l'industrie pharmaceutique. Je pratiquais la médecine lorsqu'on a commercialisé le soulagement de la douleur chronique auprès des médecins. Auparavant, les gens à qui on prescrivait un opioïde puissant souffraient habituellement d'une tumeur maligne ou d'un traumatisme grave. Les acteurs du domaine de la douleur chronique et l'industrie pharmaceutique ont commencé à exploiter la situation et ils ont convaincu les médecins qu'un usage accru de ces médicaments était approprié et appuyé par des données probantes. Ce fut un facteur important.

Nous avons sous-estimé le pouvoir de l'industrie pharmaceutique. Elle nous a fait revoir la façon dont les médicaments sont approuvés et surveillés et dont les médecins reçoivent leur formation. La formation donnée par des représentants pharmaceutiques n'est pas la meilleure des formations. Leur motivation est différente. Ils sont motivés par l'aspect financier; ils veulent vendre un médicament. Il y a eu des changements radicaux dans beaucoup d'institutions dans la manière d'effectuer la recherche et de commercialiser les médicaments. Ce fut en quelque sorte un point tournant.

Le président : Je voudrais maintenant intervenir et revenir sur quelques-uns de ces points, notamment sur vos réponses aux questions de la sénatrice Stewart Olsen.

Dans un certain nombre d'études, nous avons examiné la question de l'absence de renseignements électroniques dans ce pays relativement à l'ensemble du système de santé. Bon nombre d'entre nous trouvent inexcusable que nous ne soyons pas là où nous devrions être aujourd'hui dans ces domaines.

La sénatrice Stewart Olsen a également mentionné qu'elle ne voulait pas que ses renseignements personnels se retrouvent ailleurs. Si Google peut nous dire quel habit nous allons acheter la semaine prochaine, comment il sera et où nous allons probablement l'acheter sans que personne d'autre ne le sache, nous pouvons avoir un système qui surveille nos ordonnances dans ce pays tout en protégeant nos renseignements personnels. Les données dont nous avons vraiment besoin sont celles que vous avez mentionnées : groupe d'âge, posologie, indications et fréquence. Aucun identificateur personnel ne doit être lié à ce genre d'information.

Dans cette situation, il est question des sociétés pharmaceutiques. Nous entendons parler de médecins — et dans notre coin de pays, dans les Maritimes, nous le lisons souvent dans les journaux —, qui prescrivent de 50 à 60 pilules d'OxyContin dans une même ordonnance. Je ne pense pas que l'on blâme un organisme externe parce que quelqu'un a rédigé une ordonnance pour ces pilules.

Il semble que dans ce domaine, on sache très bien quelle posologie et quelle fréquence peuvent mener à une dépendance. Nous savons que cela varie, qu'il y a des sous-groupes de la population et que rien n'est absolu. Nous savons qu'à l'intérieur de certains grands paramètres, on peut raisonnablement craindre qu'une certaine dose sur une longue période soit susceptible de créer une dépendance à long terme.

Vous nous avez parlé longuement du fait que ces opioïdes sont utilisés sur le marché des drogues illicites; mais en réalité, bien des gens développent une dépendance à ces médicaments lorsqu'ils leur sont prescrits de façon continue. À mon avis, nombreux sont ceux ici qui connaissent une personne dans cette situation. Le problème ne porte pas seulement sur la consommation illicite de médicaments d'ordonnance, mais aussi sur ce qui est normalement considéré comme une ordonnance légitime et qui a comme conséquence imprévue de mener à la dépendance. Vous avez fait valoir très clairement aujourd'hui que pour mettre en place des méthodes éducatives, des lignes directrices, et cetera — toutes les formes non menaçantes d'intervention — il vous faut de l'information.

Cela nous ramène à la nécessité de mettre en place des bases de données électroniques. Les données sont utiles dans ce domaine. Le seul lien qui est sans cesse revenu à ce sujet, c'est le pharmacien; non pas sur le plan de l'autorisation, mais en ce sens qu'il est au courant de ce qui est distribué et qu'il connaît souvent le patient pour lequel il exécute l'ordonnance. Les pharmaciens sont souvent beaucoup plus au fait, concrètement, du nombre total d'ordonnances délivrées à l'individu, des divers médicaments prescrits, et cetera.

Dans nos rapports précédents, nous avons fortement recommandé que le Canada s'efforce davantage de comprendre la situation et, à l'autre extrémité du spectre, qu'il fournisse aux patients leur dossier de santé électronique afin qu'ils puissent le faire suivre lorsqu'ils déménagent dans une autre province. Certaines provinces sont plus avancées que d'autres sur le plan des dossiers de santé électronique. Je suppose qu'il s'agit d'un dossier médical électronique, puisque c'est un dossier provenant d'un cabinet de médecin, et non un dossier de santé, qui est un dossier à l'échelle du pays. C'est en fin de compte le plus utile. Il existe de nombreux exemples de dossiers médicaux, mais pas autant de dossiers complets de santé. Nous exerçons beaucoup de pressions à ce chapitre.

Je tiens à souligner que le caractère toxicomanogène de ces médicaments n'est pas uniquement un problème pour les personnes qui en sont déjà dépendantes. C'est aussi un problème pour les gens qui n'avaient pas de dépendance et qui n'en voulaient pas au départ, mais qui ont fini par développer une dépendance à cause de la durée et de la fréquence des ordonnances. Si des données pertinentes étaient recueillies, il serait raisonnable de s'attendre à ce que l'on puisse offrir des conseils aux médecins et aux pharmaciens pour ce qui est du nombre de pilules d'un certain dosage qui est considéré comme raisonnable pour la première ordonnance dans la plupart des cas.

Je vous demanderai de nous dire ce que vous en pensez dans un moment, mais je veux aborder d'autres questions.

Vous avez aussi parlé de la collecte de données, et je comprends qu'avec les cas que vous traitez et les problèmes auxquels vous êtes confrontés, vous vous servez de sources de données différentes, comme vous l'avez indiqué, de celles que nous utilisons normalement. Vous examinez les dossiers judiciaires, les rapports de coroners, et cetera, car vous vous penchez sur les répercussions, alors que nous nous concentrons principalement sur les questions liées aux ordonnances. Ce que je dis, c'est que je comprends que vous mentionniez que c'est plus complexe pour vous qu'il ne le semble, en raison du nombre de sources dont vous voulez obtenir des renseignements.

Supposons qu'il y ait un système raisonnable en place dans chaque province pour la collecte d'une quantité raisonnable des données utiles. La valeur de ces données correspond en fait à l'ensemble des données pour ce qui est du comportement national en raison du fait qu'il bouge, qu'il évolue. Selon vous, quelle serait la meilleure organisation pour recueillir ces données et les rendre accessibles aux autres organisations qui utilisent ces données? Est-ce Santé Canada? Est-ce l'une de vos organisations? On ne peut se contenter d'affirmer qu'il nous faut recueillir des données. Les données ne se recueillent pas et ne se diffusent pas d'elles-mêmes.

Nous sommes dans un pays balkanisé en raison de sa structure fédérale-provinciale. Nous n'y pouvons rien, mais nous devrions pouvoir trouver un mécanisme logique et raisonnable permettant de recueillir les données à l'échelle nationale et de les rendre accessibles à toutes les organisations qui les utilisent.

J'aimerais que vous nous donniez votre point de vue à ce sujet puis que vous vous livriez à des conjectures sur la question que j'ai soulevée tout à l'heure. Selon vous, sera-t-il possible, si suffisamment de données sont recueillies, de donner de bien meilleurs conseils aux médecins et aux pharmaciens — et je parle des pharmaciens parce qu'ils pourraient être les gardiens à cet égard — au sujet des produits pharmaceutiques reconnus pour avoir des conséquences importantes à long terme? Comme nous parlons précisément ici de la dépendance, nous allons nous en tenir à cette question.

L'un de vous aurait-il des observations à faire à ce sujet?

Dre Ulan : Je peux commencer. En Alberta, quand nous avons commencé à chercher l'endroit où il serait particulièrement important de loger la surveillance des données, nous avons estimé que ce devait être au ministère de la Santé de l'Alberta, car c'était un partenaire du programme d'ordonnances en trois copies, et il avait accès à ces données. Il était également le bailleur de fonds pour de nombreux ensembles de données qu'il serait approprié de recueillir. En plus, il avait aussi le pouvoir d'exiger la communication de données, afin que ce soit obligatoire.

En Alberta, nous avons estimé que ce serait probablement au ministère de la Santé. En examinant la structure de gouvernance, on a découvert qu'au sein du ministère de la Santé, il y avait plusieurs services qui avaient également certains renseignements et certaines données qui ne faisaient pas l'objet d'une compilation et qui n'étaient pas intégrés dans leur propre organisation. C'est ce qui était le plus approprié, selon nous. Cela peut être différent dans les autres provinces et différent d'un système national de surveillance. Dans notre province, c'est au ministère de la Santé que cela semblait le plus logique.

En ce qui concerne les autres questions que vous avez posées à propos des données sur les ordonnances, je ne suis pas certaine d'approuver entièrement le concept selon lequel on ne devrait pas être autorisé à prescrire ou distribuer plus d'une certaine quantité ou d'une certaine dose de médicament. En effet, les données à cet égard ne sont pas claires. Les doses appropriées prescrites varient énormément, et pas nécessairement en fonction du diagnostic, de l'âge ou du sexe du patient, ou de n'importe quel autre facteur de ce genre.

Les risques que présentent les médicaments et, en particulier, les opioïdes, ne sont pas nécessairement liés à la quantité ou la dose prescrite; c'est souvent le contexte général des autres caractéristiques du patient qui entre en jeu. Est-ce quelqu'un qui consomme de l'alcool? Quels autres médicaments prend-il? Pour quel problème de santé sous- jacent le médicament a-t-il été prescrit? Quel est l'état de fonctionnement de son foie et de ses reins? Il n'existe pas de quantité ou de dose magique qu'on peut appliquer. Je souhaiterais qu'il y en ait une, car cela faciliterait énormément mon travail, mais ce n'est pas le cas.

Il est arrivé que j'examine les antécédents cliniques et pharmaceutiques d'un patient à qui l'on avait prescrit des doses qui semblaient inhabituellement élevées, et j'ai constaté que cela ne posait absolument aucun problème; les prescriptions étaient tout à fait appropriées. Le degré de tolérance de cette personne était exceptionnellement élevé, et les prescriptions ne risquaient pas de lui faire du mal ou, du moins, rien ne l'indiquait.

De plus, il est difficile de déterminer qui développera des problèmes de dépendance aux médicaments. On peut prescrire la même dose du même médicament à 10 personnes et obtenir 10 réactions différentes. Il est illusoire d'espérer être en mesure d'identifier les gens les plus susceptibles d'avoir des problèmes soit de dépendance, soit de surdose. Je pense qu'il faut que nous disposions d'un plus grand nombre de renseignements, afin d'être en mesure d'identifier de manière préventive les gens qui courent le plus grand risque. Nous possédons quelques outils rudimentaires, comme l'examen des antécédents médicaux du patient et de sa famille, en vue de déterminer l'existence ou non d'antécédents de dépendance ou de maladie mentale. Nous disposons de quelques outils de mesure généraux, mais ces tests n'ont pas été validés adéquatement afin de garantir qu'ils sont appropriés sur le plan clinique. Cependant, ces tests vous donnent une idée de la façon dont un patient pourrait réagir. Si le patient que vous avez en face de vous a des antécédents familiaux d'alcoolisme, s'il a souffert auparavant d'un problème de toxicomanie — qu'il soit lié à l'alcool ou à des médicaments d'ordonnance —, vous feriez mieux de faire attention à ce patient et aux médicaments que vous lui distribuez ou lui prescrivez, parce qu'il peut être plus susceptible d'avoir des problèmes qu'une autre personne sans antécédent familial.

Il n'y a aucune magie là-dedans, même si je souhaiterais que ce soit le cas. Il se peut qu'avec le temps nous trouvions des moyens de mieux mesurer les risques, mais, à l'heure actuelle, nos outils sont très rudimentaires.

Le président : Vos observations sont très utiles. L'un de vous aimerait-il intervenir à ce sujet?

M. Eves : En ce qui concerne la question de savoir où il conviendrait d'héberger les données — et il s'agit davantage d'un enjeu canadien que de quoi que ce soit d'autre —, je m'en remettrais aux gouvernements des provinces et des territoires, ainsi qu'à la façon dont ces données pourraient être offertes à l'échelle nationale par l'intermédiaire de Santé Canada. Mes observations reposent probablement sur mon expérience.

En ce qui concerne ce qui se passe aux États-Unis, deux différents groupes, soit le groupe RADARS et le groupe Inflection, dont NAVIPPRO fait partie, nous ont donné des exposés au cours de l'élaboration de notre stratégie. Là- bas, les données sont détenues par le secteur privé, et les activités sont financées grâce à des ententes négociées avec des tiers de l'industrie pharmaceutique. Le secteur privé a recueilli très efficacement les données.

En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, qu'est-ce que les données peuvent nous révéler? Elles peuvent nous indiquer, par l'entremise du groupe Inflection, par exemple, pourquoi les gens viennent suivre des traitements et comment ils se procurent en premier lieu les médicaments dont ils font un usage abusif. Les données peuvent être très précises et aller jusqu'à vous indiquer combien coûtent les médicaments sur un coin de rue de New York entre Third et Main. Il existe de nouvelles données étonnantes et nuancées qui exigent des ressources substantielles. Toutefois, je ne suis pas certain que nous pourrions nécessairement obtenir ces ressources des gouvernements de nos provinces ou du gouvernement fédéral. Je pense que les deux scénarios comportent des avantages.

Mme Robeson : Aucun système de ce genre n'existe au Canada, bien que, comme vous pouvez l'imaginer, les intervenants aimeraient faire avancer les choses ici.

Il y a également des organisations comme l'ICIS, l'Institut canadien d'information sur la santé, qui pourrait peut- être compiler certaines de ces données. Mais, en ce moment, cela ne fait pas partie de l'enjeu que ses membres étudient. Il se peut que ces données soient combinées, mais, quelles que soient ces combinaisons, je ne pense pas que ce que nous recherchons existe encore.

Le président : Je pense que nous pouvons probablement tomber d'accord avec vous. Je m'attendais tout à fait à ce que vous mentionniez que les provinces recueillent ces données et déploient de nombreux efforts à cet égard, mais, avec notre population de 36 millions d'habitants, notre pays est plus petit que certains États. Par conséquent, il serait peut- être utile de disposer de ces données. Je vous remercie infiniment de votre réponse.

La sénatrice Seidman : Je pense que ce que nous apprenons auprès de vous aujourd'hui et ce que nous avons entendu les témoins précédents communiquer, c'est qu'il ne fait aucun doute que les pratiques de prescription sont plutôt cruciales à cet égard. Il est certain que nous savons tous que, lorsque nous allumons quotidiennement la télévision, on annonce, au moins toutes les deux publicités, un médicament d'ordonnance, et on vous encourage à demander à votre médecin si ce médicament vous convient. Je peux presque entendre, encore et encore, l'écho de leurs paroles dans mes oreilles.

J'aimerais savoir si, selon votre expérience et les études que vous avez menées, un système de surveillance a un effet sur les pratiques de prescription des médecins.

Dre Ulan : Je peux parler de ce sujet, du point de vue de l'Alberta et, comme je l'ai mentionné plus tôt, nous savons que nous sommes en mesure d'exercer une influence sur les pratiques de prescription des médecins tant sur le plan individuel que de manière plus générale. Ce que nous, les membres d'un organisme de réglementation de la pratique médicale, ne pouvons pas faire, c'est d'influer sur le comportement des patients.

Dans le cadre de plusieurs initiatives que nous avons entreprises en Alberta, nous avons commencé par donner des cours de formation générale à l'ensemble des médecins, puis, après avoir passé un certain laps de temps à surveiller l'indicateur qui nous intéresse, quel qu'il soit, nous intervenons de manière ciblée. Nous examinons les données, nous identifions les prescripteurs dont les pratiques s'écartent de celles des autres, et nous travaillons avec ces prescripteurs de manière plus intense et détaillée. Cette approche est très efficace. Elle peut influencer les pratiques de prescription de façon très rapide et substantielle.

L'envers du décor est que je ne suis pas en mesure d'influer sur les actions des patients. Par conséquent, comme je l'ai indiqué, dans les autres collectivités des Premières Nations — et nous avons remarqué que ce phénomène se répétait au sein d'autres populations de la province avec lesquelles nous avons travaillé —, les patients ont tendance à visiter la collectivité voisine ou un autre prescripteur auprès de qui ils savent qu'il est plus facile d'obtenir des médicaments.

Il s'agit encore une fois de reprendre l'approche à plusieurs volets. Nous devons éduquer le public, avoir un meilleur accès aux services de traitement de la douleur et des toxicomanies et fournir de meilleurs cours de formation aux prescripteurs. Nous devons permettre aux médecins et aux pharmaciens d'avoir accès en temps réel aux données de leurs patients afin que, si un patient, à qui un médecin a déclaré : « Non, je suis désolé, je ne vais pas vous prescrire ce médicament », en consulte un autre qui pratique la médecine un peu plus loin, le médecin en question puisse examiner son dossier — dans notre province, le système d'accès s'appelle Netcare — et lui dire : « Je ne vais pas vous prescrire ce médicament, car quelqu'un d'autre vous l'a prescrit hier. » Cette approche comporte plusieurs volets, et la modification du comportement des prescripteurs en est un d'une grande importance. Cependant, par lui-même, ce volet ne modifiera pas la situation d'une manière approfondie.

La sénatrice Seidman : Pour l'instant, je vais vous croire sur parole, mais je vous présenterai un exemple dont nous avons entendu parler et qui concerne les personnes âgées, la polypharmacie et des préoccupations croissantes par rapport à une approche différente en matière de prescription de médicaments aux personnes âgées. Par exemple, l'approche comprend un examen régulier des nombreux médicaments qu'ils prennent. Comme ils souffrent de plusieurs maladies chroniques, il se peut que divers médecins ou spécialistes leur prescrivent constamment de nombreux médicaments et que personne ne les gère vraiment. Donc, leurs médicaments ne font que s'ajouter les uns aux autres.

Il a également été proposé que les prescriptions soient annulées, parce qu'une fois prescrits, les médicaments ne sont jamais retirés du dossier. Je fais allusion aux pratiques de prescription des médecins et à la question de savoir si un système de contrôle aurait une incidence sur ces pratiques, ou s'il s'agit simplement d'un changement de culture auquel les médecins doivent s'adapter.

Dre Ulan : Je pense que les deux sont probablement requis, parce que les programmes de surveillance ne se préoccupent que des médicaments contrôlés qui pourraient être utilisés de façon abusive, à savoir les opioïdes et, selon la province, les benzodiazépines et certains stimulants. Nous n'examinons pas les antidépresseurs, les antipsychotiques, les antibiotiques et d'autres médicaments. Il faut élaborer un plan beaucoup plus détaillé, car cela requiert un jugement clinique. Il est possible de créer des systèmes.

Dans l'un des hôpitaux dans lesquels je travaillais dans le passé, ils avaient reçu, il y a plusieurs années de cela, des fonds pour mener à bien un projet, dans le cadre duquel un groupe indépendant de pharmaciens examinait les médicaments prescrits à un patient donné. Les pharmaciens avaient accès à toutes les données cliniques. Ainsi, ils pouvaient étudier avec le médecin la façon de réduire le nombre de prescriptions et les risques d'interaction médicamenteuse. Ils prenaient aussi des décisions cliniques. Par conséquent, cet élément doit faire partie de la solution, ce qui exige du temps et de l'argent. Toutefois, je pense qu'il y a assurément des solutions au problème.

La sénatrice Seidman : Maintenant, nous abordons la question par laquelle vous avez commencé et la difficulté de définir ce qu'on entend par abus ou utilisation abusive.

Dre Ulan : Et la polypharmacie ne signifie pas un abus ou une utilisation abusive.

La sénatrice Seidman : Exactement.

La sénatrice Bellemare : Lorsque vous dites « nous, en Alberta », à qui faites-vous allusion? Parlez-vous d'un organisme provincial ou de la CoOPDM?

Dre Ulan : Je parle de mon rôle de médecin et de Pratiques de prescription des médecins au Collège des médecins et chirurgiens. C'est donc plutôt le rôle de l'organisme de réglementation dont je discute. Nous faisons effectivement équipe avec d'autres organisations. Notre programme de surveillance des prescriptions est mené par le collège, au nom des partenaires, qui comprennent le ministère de la Santé de l'Alberta, des dentistes, des vétérinaires, l'Association médicale du Yukon et des pharmaciens. Nous procédons à des interventions. Certaines d'entre elles mettent uniquement en jeu des médecins. D'autres sont effectuées en collaboration avec le Collège des pharmaciens de l'Alberta. Lorsque nous identifions un patient à haut risque, nous communiquons avec les médecins de mon organisation, et le Collège des pharmaciens de l'Alberta entrera en contact avec les pharmaciens de son organisation.

Certains des autres programmes dont nous parlons examinent les résultats de la surveillance des données et réunissent des données provenant de diverses sources d'information. Il est plus approprié de renvoyer ces cas à la Coalition on Prescription Drug Misuse, parce qu'à cette table s'assoient des organismes d'application de la loi, le ministère de la Santé de l'Alberta, des pharmaciens et des services de police municipaux — ainsi que certains des programmes plus généraux auxquels participent plusieurs intervenants. Ce travail est effectué en tenant compte de l'optique de la CoOPDM.

La sénatrice Bellemare : Qui finance la coalition?

Dre Ulan : Au départ, la coalition était financée par l'AADAC, un organisme gouvernemental responsable des services de toxicomanies et de santé mentale. Lors de la restructuration des services de santé de l'Alberta, l'AADAC a été abolie. Depuis, nous fonctionnons au moyen d'une subvention initiale de démarrage qui nous a été accordée en 2008. Pour être en mesure de poursuivre nos activités, nous sommes maintenant en train de présenter une demande pour obtenir une autre subvention.

La sénatrice Bellemare : Pensez-vous que cet organisme pourrait exercer la surveillance que vous espérez voir?

Dre Ulan : Je ne crois pas que nous ayons le pouvoir de le faire. Nous représentons de nombreux points de vue et, selon moi, nous ne disposons pas du pouvoir législatif requis pour être en mesure de jouer ce rôle. Je ne suis pas certaine qu'il serait approprié que notre groupe héberge cette fonction, mais nous aimerions certainement faire partie d'un organisme consultatif qui serait chargé de déterminer l'aspect de ce service, et nous souhaiterions sûrement avoir notre mot à dire à cet égard.

La sénatrice Bellemare : Vous ne croyez pas que cela puisse fonctionner, même si votre conseil d'administration compte des membres des provinces?

Dre Ulan : Il faut déterminer quand les données seront examinées, où elles seront hébergées, qui y aura accès et qui en assumera la responsabilité. De nombreuses autres questions doivent être réglées, et nous ne disposons pas d'un organisme distinct, enchâssé dans la loi et encadré par des règlements sur la protection des renseignements personnels. Nous sommes tous assujettis à différentes lois sur la protection des renseignements personnels. Par conséquent, je ne crois pas qu'il soit approprié pour nous d'assumer ce rôle.

Le président : Je vous remercie tous infiniment. Cette séance a été extrêmement intéressante.

Dans l'une de vos réponses à ma question, vous avez parlé du fait de se familiariser avec chaque patient, c'est-à-dire de connaître leur caractère, et cetera, et de la transition vers la médecine personnalisée, un enjeu que nous avons abordé dans le cadre d'autres études. Toutefois, cela modifie complètement notre approche à l'égard de la médecine, n'est-ce pas? En particulier, lorsqu'on commence à l'échelon des omnipraticiens et que l'on prend en considération le temps dont ils disposent, les tarifs d'honoraires, et cetera. Pour aller de l'avant dans ces domaines, il faut envisager d'apporter des changements majeurs aux structures actuelles. Mais, comme vous l'avez dit, docteure Ulan, c'est essentiel pour comprendre comment une personne réagira à n'importe quelle prescription.

Je vous remercie de la rigueur et de la clarté de vos réponses, et je remercie mes collègues de l'étendue de leurs questions. Cela dit, je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)


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