Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 6 - Témoignages du 13 février 2014
OTTAWA, le jeudi 13 février 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 28, pour poursuivre son étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[English]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Translation]
Je suis Kelvin Ogilvie, sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité. Je vais d'abord inviter mes collègues à se présenter, en commençant aujourd'hui à ma droite.
La sénatrice Seidman : Je suis Judith Seidman, de Montréal, Québec.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l'Ontario.
La sénatrice Dyck : Lillian Dyck, de la Saskatchewan.
La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de l'Ontario, et je suis vice-président du comité.
Le président : Je souhaite la bienvenue à nos témoins et je leur rappelle que nous poursuivons aujourd'hui notre étude sur les conséquences involontaires de l'emploi des produits pharmaceutiques sur ordonnance. Nous en sommes à notre deuxième séance sur la question de la résistance aux antibiotiques.
Nous sommes ravis que nos témoins aient accepté de se joindre à nous aujourd'hui. Je les présenterai au fur et à mesure que je les inviterai à prendre la parole. Après les deux exposés, nous passerons aux questions. Comme convenu, nous allons d'abord entendre le Dr John Conly, directeur du centre médical Foothills.
Dr John Conly, directeur, Foothills Medical Centre, Alberta Health Services, Infection Prevention & Control (IPC) : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Sénat. Je suis médecin spécialiste des maladies infectieuses et j'exerce encore ma profession de façon active. Je travaille dans ce domaine depuis 25 ans et je tiens à vous remercier sincèrement de me donner l'occasion de discuter de ce sujet avec vous. Je considère la perte d'efficacité de nos antibiotiques comme un problème très grave.
Je commencerai en disant que sur le plan de la résistance aux antibiotiques, une crise majeure sévit dans le monde entier. Elle s'accentue depuis deux décennies — depuis le début ou le milieu des années 1990 — et de nombreux organismes ont émis de sévères avertissements à ce chapitre. Vous vous rappellerez sans doute le premier rapport de l'Organisation mondiale de la santé, publié en 2000. Le lancement de son programme a eu lieu le 11 septembre 2001, le tristement célèbre 11 septembre, et il est passé inaperçu en raison des autres événements de cette journée.
Depuis, l'Institute of Medicine des États-Unis, ainsi que le Centre pour le développement mondial, à Boston, ont publié des rapports sur le sujet. Récemment, les médias en ont parlé dans les nouvelles économiques, parce qu'en 2013, à Davos, en Suisse, le Forum économique mondial a souligné ce problème. Cela doit donc avoir ou risque d'avoir des répercussions financières sur certains pays, sinon la question n'aurait pas été soulevée dans le secteur économique.
C'est une calamité, et ce, en raison de nombreux facteurs; c'est multifactoriel. L'une des principales causes, c'est l'utilisation constante et massive des antibiotiques dans pratiquement tous les secteurs de la société, non seulement chez les humains, mais aussi en agroalimentation. Je crois qu'on vous en a parlé un peu hier.
La monorésistance a été remplacée par la multirésistance aux médicaments, qui est devenue la panrésistance. Il y a maintenant une gonorrhée totalement résistante aux médicaments qui ne peut être traitée. Il y a aussi la New Delhi métallo-bêta-lactamase, ou NDM-1, issue du sous-continent indien, qui s'est considérablement propagée. J'y reviendrai dans quelques minutes.
Il y a aussi le potentiel de propagation rapide. Ces microorganismes résistants ne connaissent pas de frontières politiques. Nous constatons une diminution importante de la recherche et du développement pour les nouveaux antibiotiques parallèlement à l'accentuation de la crise, et tout cela aboutira à ce que j'appelle la tempête parfaite.
Nous constatons que la résistance aux antimicrobiens — ces mauvais microbes — s'accentue depuis les années 1990, notamment avec la gonorrhée totalement résistante aux médicaments, l'une des causes les plus importantes de maladies transmises sexuellement. L'OMS parle de plus de 100 millions de cas par année. Cela touche maintenant l'UE et l'Asie.
Nous avons aussi vu l'émergence de la NDM-1. C'est particulièrement inquiétant, car elle touche le germe connu sous le nom d'E. coli, qui cause plus de 80 p. 100 de toutes les infections urinaires dans le monde. Ces « transposons » représentent la cause la plus courante d'infection de la vessie, et dans bien des cas, nous avons du mal à trouver des traitements efficaces.
En ce qui concerne la NDM-1, pour vous donner une idée de la possibilité de propagation rapide, depuis qu'elle a été observée pour la première fois et que les premiers articles ont été publiés en 2010, elle s'est propagée dans le monde entier et est présente sur tous les continents, sauf l'Antarctique. C'est un problème de taille. C'est actuellement un problème au Canada pour le Programme canadien de surveillance des infections nosocomiales, qui regroupe environ 40 hôpitaux dans l'ensemble du pays.
Il y a plus de 213 cas de souches résistantes aux carbapénèmes, dont la plupart sont des NDM-1. Bon nombre d'entre vous avez appris par les médias que la première éclosion se produit actuellement dans la vallée du Fraser, en Colombie-Britannique.
En ce qui a trait à la possibilité de propagation dans un monde de plus en plus petit, deux auteurs canadiens, Brian Gushulak et Douglas MacPherson, se sont penchés sur la mobilité et la migration dans le monde. C'est très important. En 2007, ils ont obtenu des données sur le déplacement des voyageurs internationaux entre les pays. Il y avait 900 millions de vols par an. On a maintenant atteint le milliard. Compte tenu de ce qui s'est produit relativement à la grippe pandémique et à l'émergence de la résistance, il pourrait y avoir propagation d'une région du monde à l'autre, du jour au lendemain.
Au problème des mauvais microbes s'ajoute celui de l'absence de médicaments. L'âge d'or des antibiotiques est chose du passé; depuis 1982, seuls deux nouveaux antibiotiques ont été mis au point. Le réservoir s'assèche, et un déclin précipité a été observé dans le nombre total de nouveaux antibiotiques approuvés par la FDA aux États-Unis depuis 1982. Quand les chercheurs ont examiné les nouveaux médicaments dans le réservoir, il n'y en avait que 6 sur 506 qui étaient des antibiotiques.
Parallèlement, les pénuries récurrentes sont une source de préoccupation. Cela se produit constamment, surtout dans le cas des médicaments génériques moins chers. Heureusement, un médecin canadien de l'Université Queen's a lancé un site web pour suivre la situation, et nous constatons ce problème non seulement pour les antibiotiques, mais aussi pour bien d'autres médicaments.
Nous baignons pratiquement dans un écosystème d'antibiotiques en ce qui concerne leur utilisation en médecine humaine et vétérinaire, ainsi qu'en agriculture. Le problème le plus préoccupant, c'est leur utilisation dans le secteur agroalimentaire. Lorsqu'on compare leur utilisation dans le secteur vétérinaire et agroalimentaire à leur utilisation en médecine humaine, le rapport est probablement de mille pour un. Ils sont utilisés dans l'exploitation porcine industrielle, l'élevage bovin, la production de poulets et la pisciculture. Nos sols, nappes phréatiques et océans seront bientôt saturés d'antibiotiques.
Malheureusement, chez les humains, leur utilisation est inutile dans 40 à 50 p. 100 des cas, et chez les animaux, elle est inutile dans 40 à 80 p. 100 des cas.
En conclusion, je dirai que l'une des préoccupations est de savoir si nous nous dirigeons vers une autre tragédie des biens communs, comme dans le célèbre essai du même nom, écrit en 1968 par Garrett Hardin. La tragédie des biens communs est comparée à un pâturage où les agriculteurs possèdent leurs propres aires clôturées pour faire paître leur bétail. Ils utilisent toute l'herbe, puis vont dans les terres communes, un vaste pâturage. Personne ne s'occupait des terres communes. Les bovins ont mangé toute l'herbe qui s'y trouvait. Ensuite, ils sont morts, suivis des humains.
Voilà l'essence de la Tragédie des biens communs, et on peut comparer cela à la surutilisation des antibiotiques : c'est un bien commun inépuisable. Nous les surutilisons et nous allons créer une crise marquée par la résistance aux antibiotiques entraînant des infections intraitables et la fin de l'ère des antibiotiques.
Jared Diamond est un biologiste évolutionniste qui a effectué des travaux sur l'effondrement des sociétés sur l'île de Pâques à cause de la déforestation, ainsi que sur l'empire aztèque. Amorçons-nous un nouveau chapitre du livre que rédigera Jared Diamond, qui sera intitulé « La crise relative à la perte d'efficacité des antibiotiques et à la résistance aux antibiotiques »?
Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci. C'est maintenant au tour du Dr Patrick.
Dr David Patrick, chef de l'épidémiologie médicale pour la résistance aux antimicrobiens, BC Centre for Disease Control : Le Dr Conly nous a expliqué clairement la gravité du problème; je veux le faire moi aussi et mettre l'accent sur les mesures pouvant être prises par le gouvernement et la société afin d'atténuer les risques.
Je suis spécialiste des maladies infectieuses et épidémiologistes. Cela veut dire que mes travaux portent principalement sur ce problème qui touche les populations, en particulier dans l'Ouest du Canada.
L'année 2013 a marqué le réveil des gouvernements. Le médecin hygiéniste en chef du Royaume-Uni, le Centre européen de contrôle des maladies et les Centers for Disease Control des États-Unis ont indiqué que nous sommes confrontés à une crise. Nous avons dit qu'environ 23 000 décès aux États-Unis et 25 000 décès en Europe sont attribuables aux organismes résistants aux antibiotiques. Les estimations canadiennes ne sont pas aussi précises, mais cela signifierait environ 2 000 décès au pays.
Les décès ne sont que la pointe de l'iceberg. En Colombie-Britannique, des dizaines de milliers de gens ordinaires sont confrontés à des épisodes de maladie. De simples infections urinaires sont maintenant plus difficiles à traiter. Un abcès cutané sur quatre est maintenant plus difficile à traiter à cause de la résistance. Aux États-Unis, on estime qu'environ 2 millions d'infections sont causées par des organismes résistants aux antimicrobiens chaque année.
Quand le médecin hygiéniste en chef du Royaume-Uni a parlé d'un scénario apocalyptique, elle parlait du fait que la plupart de nos chirurgies, de nos traitements contre le cancer et autres traitements médicaux — pas seulement le traitement des maladies infectieuses, mais aussi de tout le reste — dépendent du fait que nous pouvons compter sur les antibiotiques pour traiter efficacement les infections.
Je tiens simplement à vous rappeler qu'il y a moins d'un siècle, les taux de mortalité en cas de pneumonie avec présence de bactéries dans le sang variaient de 25 à 100 p. 100. Nous ne voulons pas revenir à cette époque.
Nous comprenons les facteurs qui expliquent la résistance. De nombreux microbes possèdent des gènes de résistance et ce, depuis longtemps. Ils peuvent échanger ces gènes. C'est la sélection naturelle qui rend ce problème de plus en plus important. Chaque fois que nous utilisons des antibiotiques dans l'agroalimentation ou chez l'humain, même pour les meilleures raisons du monde, nous tuons des bactéries et laissons les souches résistantes en vie, ce qui compromet les générations futures.
L'émergence est donc causée par l'utilisation, en grande partie inutile, comme nous l'a dit le Dr Conly, d'antibiotiques chez les animaux domestiques et les gens, et par l'utilisation, en très grande partie inutile, d'antibiotiques dans la production alimentaire.
Par la suite, les organismes se propagent. Des populations denses favorisent une propagation plus rapide. Lorsque les hôpitaux sont bondés ou les enclos d'animaux sont bondés, la dynamique s'applique. Nous pouvons régler ce problème, dans une certaine mesure, grâce à des programmes d'hygiène et de salubrité, surtout dans les pays développés, en faisant en sorte que nos hôpitaux soient d'une propreté impeccable. Mais je veux vous décrire quatre grandes approches approuvées par l'Organisation mondiale de la santé et pouvant être adoptées par les sociétés et les gouvernements.
Premièrement, les organismes gouvernementaux doivent avoir une image très claire de la situation grâce à une surveillance rapide — et j'insiste sur le mot « rapide » — et continue. Deuxièmement, nous devons réduire les utilisations inutiles d'antibiotiques chez les humains et les animaux grâce à la sensibilisation, à la rétroaction destinée aux médecins prescripteurs et à la réglementation. Nous devons encourager des pratiques communautaires qui restreignent la propagation de gènes résistants, et cela signifie l'adoption de normes strictes de propreté dans les hôpitaux. Toutes ces mesures ne feront que réduire l'émergence de la résistance, car l'utilisation d'antibiotiques continuera d'être nécessaire. Il nous faut donc trouver de nouvelles façons d'encourager la mise au point de nouveaux antibiotiques.
Si la surveillance constitue la première responsabilité du gouvernement, comment nous tirons-nous d'affaire? Nous disposons d'un bon portrait d'ensemble grâce à un rapport commandité par le Centre national de collaboration des maladies infectieuses et préparé par l'Association pour la microbiologie médicale et l'infectiologie du Canada. La situation n'est toutefois pas uniforme. Grâce au travail d'un groupe de Guelph, le Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens, ou PICRA, nous arrivons à bien surveiller l'utilisation des antibiotiques dans la collectivité. Des données semblables ne sont pas disponibles pour les hôpitaux canadiens, où environ 50 p. 100 des antibiotiques sont utilisés, mais le PICRA et d'autres groupes tentent de changer les choses. Or, en agriculture, il y a un véritable trou noir. À l'exception de quelques secteurs qui surveillent de façon volontaire leur utilisation d'antibiotiques, comme l'aquaculture en Colombie-Britannique, nous ne savons pas qui utilise des antibiotiques et pour quelles raisons, et il est pratiquement impossible d'obtenir des données en raison d'échappatoires et de règlements sur l'importation.
Le Programme canadien de surveillance des infections nosocomiales fait du bon travail dans les hôpitaux pour surveiller l'émergence d'organismes résistants. Toutefois, nous ne possédons pratiquement aucune donnée sur les organismes résistants dans la collectivité, même si nous savons que nous pouvons en obtenir en collaborant avec les laboratoires privés en Colombie-Britannique. Nous disposons aussi de données sur la résistance aux antibiotiques chez les animaux destinés à l'alimentation.
Pourquoi une meilleure surveillance nous permettrait-elle de faire mieux? Je peux consulter un tableau de laboratoire qui montre que 20 p. 100 des souches d'E. coli dont parle le Dr Conly sont résistantes à un médicament important. Je pourrais simplement considérer cela comme un problème. Si nous l'analysons de façon approfondie, nous constatons que le problème n'est pas trop grave chez les jeunes adultes, mais qu'il atteint des proportions démesurées chez les aînés qui résident dans des établissements de soins de longue durée, où les taux de résistance sont de 50, 60, 70 p. 100. Il nous faut ces données en temps réel pour orienter nos programmes.
Que peut faire le gouvernement en matière de surveillance? Il doit d'abord s'assurer que les rapports existants sont disponibles rapidement pour permettre aux Canadiens de prendre les mesures qui s'imposent. L'examen interne par notre système de communication fédéral a entraîné des années de retard dans la publication des données sur l'utilisation des antibiotiques au Canada. Pourtant, ces données ne sont pas politiques. Nous devrions nous attendre à ce qu'elles soient publiées pour la communication des informations qui permettent de prendre les mesures payées par les Canadiens.
Il faudrait encourager l'Agence de la santé publique du Canada à miser sur un cheval gagnant pour poursuivre la surveillance de l'utilisation des antibiotiques. Les provinces et les territoires doivent ensuite jouer un rôle de premier plan dans la surveillance des tendances qui se dessinent dans la collectivité en matière d'organismes résistants, parce que ce sont eux qui financent les laboratoires qui possèdent les données. Le rôle de l'Agence de la santé publique pourrait alors facilement être de faciliter la production de rapports sommaires afin de dresser un portrait national. C'est très semblable au modèle européen.
L'agence devrait aussi continuer de soutenir le Programme canadien de surveillance des infections nosocomiales qui permet de déceler les tendances en milieu hospitalier, mais en établissant des normes de rapidité pour la production de ces rapports, car parfois, ils sont aussi publiés avec des années de retard.
Quelles mesures permettent de réduire le recours inutile aux antibiotiques? Il existe d'excellents ouvrages à ce sujet. Notre première approche consiste à éviter que les gens ne contractent des infections en premier lieu grâce à des vaccins, à la propreté et à d'autres programmes de prévention. Mais s'il nous faut réduire l'usage d'antibiotiques, les programmes qui visent à sensibiliser à la fois le prescripteur et le public se révèlent plus efficaces, et on obtient les meilleurs résultats lorsqu'une certaine forme de rétroaction indique au médecin prescripteur si son ordonnance respecte les lignes directrices. Dans les hôpitaux, ce sont les équipes de vérification qui aident à promouvoir les pratiques exemplaires qui s'en occupent. La norme d'excellence prend forme dans certaines organisations américaines de soins de santé intégrés, où on utilise un dossier de santé électronique intelligent non seulement pour s'assurer que les ordonnances d'antibiotiques sont appropriées, mais aussi que toutes les ordonnances sont conformes à la pratique optimale.
Nous pouvons constater des progrès. Comme je l'ai mentionné dans mon rapport, le taux d'ordonnance d'antibiotiques chez les enfants de Colombie-Britannique a diminué de 50 p. 100 entre 1996 et 2000. Cela fait suite aux efforts constants déployés par les médecins de famille et les pédiatres, ainsi que le programme « Des pilules contre tous les microbes? », en Colombie-Britannique et en Alberta.
Que peuvent faire les gouvernements en matière de prévention et de contrôle? Nous pouvons appuyer les programmes qui visent à prévenir les infections. Au cours de la dernière décennie, la stratégie nationale d'immunisation a été très efficace. Elle n'est plus en vigueur, et il serait judicieux que le gouvernement fédéral continue de jouer un rôle en matière d'immunisation.
Parallèlement, Santé Canada doit vraiment arrêter d'homologuer de faux vaccins, connus sous le nom de nosodes, qui ne sont pas efficaces et qui laissent les enfants canadiens sans protection lorsqu'un parent mal informé les choisit au lieu de véritables vaccins. C'est dommage que nous les autorisions.
Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient jouer un rôle dans la promotion des programmes de sensibilisation destinés aux consommateurs et aux fournisseurs de soins. Au fond, si nous investissons dans les dossiers de santé électroniques, nous devrions utiliser des dossiers intelligents qui permettent de fournir de la rétroaction, et ce, pour tous les médicaments d'ordonnance et tous les soins de santé.
On vous a parlé de la production alimentaire. Je ne suis pas vétérinaire ni agriculteur, mais j'attache une grande importance à la valeur nutritionnelle que nos producteurs offrent à la population canadienne. Je suis en désaccord avec le Dr Conly au sujet d'une seule chose. Il y a huit fois plus d'antibiotiques qui sont utilisés dans la production alimentaire que dans l'ensemble de la médecine humaine. Nous voyons des bactéries résistantes aux médicaments dans la viande canadienne; elles passent par la chaîne alimentaire et causent des infections chez les humains. Je crains, comme les producteurs, que les consommateurs s'inquiètent au sujet des risques que leurs produits leur transmettent une infection intraitable. Nous devons veiller à sauvegarder la réputation de notre viande.
Certains antibiotiques utilisés dans la production alimentaire peuvent être nécessaires pour traiter des animaux malades, comme on vous l'a dit hier, mais l'utilisation systématique d'antibiotiques est certainement discutable. J'ai parlé en détail dans ce rapport du caractère douteux de l'utilisation d'antibiotiques pour stimuler la croissance, en particulier dans la production des volailles. Dans certaines régions de l'UE, on a cessé d'utiliser les antibiotiques pour cette raison, et l'industrie se porte à merveille.
Que peuvent faire les gouvernements en ce qui concerne l'utilisation d'antibiotiques dans la production alimentaire? Nous pouvons participer à une surveillance accrue de l'utilisation des antibiotiques dans la production alimentaire et dans la pratique vétérinaire. Nous pouvons obtenir des réductions et des restrictions collaboratives ou volontaires quant à l'utilisation, auprès des producteurs, en s'inspirant du modèle de l'aquaculture en Colombie-Britannique, et éliminer les échappatoires liées à l'importation qui mènent à une utilisation non surveillée.
Si j'étais un producteur d'aliments au Canada actuellement, je pourrais franchir la frontière avec ma camionnette, la remplir d'antibiotiques, promettre aux douaniers que je vais les utiliser uniquement sur ma propriété, et personne ne pourrait en surveiller l'utilisation. Ce n'est pas réglementé. Je les donnerais simplement tous à mes animaux. Cette échappatoire est connue sous le nom de « disposition relative à l'usage personnel » et devrait être éliminée. Il nous faut améliorer la réglementation sur l'utilisation des antibiotiques et étudier la possibilité d'adopter un modèle d'utilisation basé uniquement sur les ordonnances, du moins pour les antibiotiques qui sont très importants pour la santé humaine lorsqu'ils sont utilisés en agriculture.
Il est également important, en tant qu'État-nation, de tenir compte du fait que nous avons conclu un accord de libre-échange avec l'UE. Ce marché est très conscient des risques que pose la résistance aux antibiotiques. La majeure partie du Nord de l'Europe a déjà pris les mesures que nous parlons de prendre ici.
Sur le plan mondial, le Dr Conly a mentionné que nous avons des problèmes beaucoup plus graves en matière d'organismes résistants dans certains pays. Nous devons nous rappeler que cela fait partie de notre mandat de développement. Nous ne faisons pas la promotion de l'industrie minière canadienne, mais bien de la santé à l'échelle mondiale, car toute action finit par avoir ses conséquences.
Enfin, d'autres intervenants ont sans aucun doute formulé des commentaires à propos du rôle du gouvernement dans la création de nouveaux médicaments. Ici, le marché a échoué, pour des raisons évidentes. Pourquoi fabriquer un médicament que les gens garderont dans l'armoire et n'utiliseront qu'une seule fois, alors qu'il est possible de fabriquer des petites pilules bleues qu'ils utiliseront tous les jours? Il nous faut penser à des incitatifs économiques pour l'industrie afin de rattraper le temps perdu.
On a suggéré de prolonger considérablement la protection conférée aux nouveaux antibiotiques par les brevets, car on ne veut pas que les coûts de production et de développement soient récupérés en seulement cinq ans, mais peut-être en 50 ans. Nous pourrions aussi, évidemment, offrir des prix pour le développement, de sorte que si quelqu'un met au point un antibiotique efficace et le rend disponible, il n'ait pas à assumer le coût de la recherche.
Si vous voulez consulter un document portant sur les mesures à prendre par les États-nations pour résoudre ce problème, l'OMS en a publié un à ce sujet. Je vous ai fourni la référence. Le document est disponible en ligne gratuitement et il est intitulé ``The evolving threat of antimicrobial resistance — Options for action.'' Il faut souligner que l'Organisation mondiale de la santé exhorte tous les États membres à adopter un plan d'action national pour faire face à la résistance aux antibiotiques. Cette stratégie pourrait aborder le rôle du gouvernement dans la production d'information sur la surveillance, la réduction des utilisations inutiles d'antibiotiques, le ralentissement de la propagation grâce à des mesures communautaires, et la promotion de la découverte de médicaments antibiotiques. Le Canada ne dispose d'aucune stratégie semblable, et j'espère que ce rapport exhortera le gouvernement à en adopter une.
Le président : Merci à vous deux. Je vais maintenant donner la parole à mes collègues.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de vos exposés, messieurs. On pourrait dire que c'est en quelque sorte un coup de matraque. Personne ne veut crier au feu dans un cinéma bondé et semer la panique, mais d'après ce que vous nous dites aujourd'hui et ce que d'autres nous ont dit, il s'agit d'une situation de crise. D'ailleurs, l'Organisation mondiale de la santé a qualifié la résistance aux antibiotiques de crise mondiale qui risque de transformer bien des infections courantes, comme l'angine streptococcique, en infections virtuellement mortelles. D'autres organismes, organisations et personnes de partout dans le monde ont également sonné l'alarme.
En tentant de déterminer ce que nous faisons au Canada et ce que nous pouvons faire pour nous améliorer, j'ai remarqué, Dr Conly, que vers la fin de votre mémoire, vous avez dit que le Canada est en fait une source d'embarras. Vous dites : « Le Canada, qui a pourtant été un chef de file dans ce domaine jusqu'en 1997, est devenu une cause d'embarras à l'échelle internationale en raison de cette absence de plan d'action coordonné. »
Que s'est-il passé? Pourquoi est-ce tombé à l'eau? L'Agence de la santé publique a mis en place le système de surveillance, le PICRA, et pourtant, dans un reportage des médias publié en novembre dernier, on dit :
Des spécialistes des maladies infectieuses affirment qu'Ottawa traite les rapports de surveillance microbienne nationale comme des « documents gouvernementaux de nature délicate ». Et les médecins sont si mécontents qu'ils diffusent les données qu'ils peuvent obtenir sur leur propre site web.
Il semble que nous ayons cessé de progresser à ce chapitre. Comment revenir sur la bonne voie? Vous avez fait certaines suggestions, et j'aimerais vous poser quelques questions à ce sujet.
Devrions-nous interdire l'utilisation excessive des antibiotiques, notamment pour stimuler la croissance des animaux, en particulier la volaille et le porc? Le gouvernement devrait-il prendre un règlement visant à interdire cela ou devrions-nous adopter le modèle de l'UE? Je crois que là-bas, il y a des frais liés à l'utilisation d'antibiotiques non destinée aux humains. Quelle orientation devrions-nous adopter à cet égard?
Et que devrions-nous faire à ce moment-ci au sujet de notre incapacité d'obtenir de l'industrie pharmaceutique qu'elle mette au point de nouveaux antibiotiques? Nous savons que la mise sur le marché d'un médicament est une démarche très coûteuse pour l'industrie. Quelles mesures incitatives le gouvernement pourrait-il mettre en place pour l'aider à le faire?
De plus, actuellement, nous avons aussi une pénurie de divers médicaments, y compris les antibiotiques. Encore une fois, puisque les médicaments génériques sont moins chers, ils ne suscitent pas autant l'intérêt de l'industrie parce qu'elle peut faire plus d'argent avec autre chose. Je crois que vous l'avez tous les deux souligné.
Pouvez-vous nous éclairer sur ces questions?
Dr Conly : Vous avez soulevé un certain nombre de points. Mon commentaire — je peux avoir la langue acérée, et cela a pris la forme d'une « cause d'embarras » dans le document. En 1997, j'ai participé à la première conférence nationale de concertation sur la résistance aux antimicrobiens. Nous nous sommes organisés avant que la Chambre des lords britannique ne publie son rapport au Royaume-Uni. Cela a mené à la création du Comité canadien sur la résistance aux antibiotiques. Un plan d'action national a effectivement été publié en 2002. L'OMS a d'ailleurs louangé le Canada pour son rôle de chef de file dans ce domaine. Puis, pour une raison que j'ignore, tout a mal tourné; l'Agence fédérale de la santé publique a démantelé le CCRA en 2009. La même année, on a publié un rapport dans lequel on indiquait qu'une nouvelle approche transdisciplinaire coordonnée devrait être adoptée pour l'utilisation agroalimentaire, vétérinaire et humaine, et cinq ans plus tard, rien n'a encore été fait. Je déplore que l'Agence de la santé publique n'ait pas pris les mesures qui s'imposent.
Il y a de bons points. Le PICRA en est un excellent exemple. Le Dr Patrick l'a souligné. Le financement du Programme canadien de surveillance des infections nosocomiales, qui était menacé l'an dernier, a été considérablement réduit. Ce sont là de graves erreurs, à mon sens. Elles sont peut-être attribuables à la volonté du gouvernement de rester prudent sur le plan financier en matière de santé publique. À mon avis, ce n'est pas la bonne manière de procéder, et je n'ai pas à m'excuser d'avoir dit cela. À mon avis, le Canada a fait un pas en arrière par rapport au rôle de chef de file qu'il jouait au tournant du siècle.
Nous avons donc un plan d'action national, mais il n'a jamais été mis en œuvre.
Le prochain point concerne la stimulation de la croissance, et c'est une question très complexe. Quand j'étais président du conseil d'administration du Comité canadien sur la résistance aux antibiotiques, nous avons travaillé en étroite collaboration avec Scott McEwan, John Prescott et de nombreux vétérinaires du groupe de Guelph. Nous avons produit un document volumineux sur cette question précise. Il y a aussi d'autres groupes, comme l'Institut canadien de la santé animale. La question de savoir si l'utilisation des antibiotiques pour stimuler la croissance entraîne une résistance fait l'objet d'un vif débat. Bon nombre d'entre nous croyons que c'est le cas. Les preuves sont moins concrètes. Il n'existe pas de preuves tangibles et concrètes qu'un plus un égale deux. C'est en quelque sorte une preuve circonstancielle, presque comparable au fait d'associer le tabagisme au cancer du poumon. Il a fallu des années pour avancer cette hypothèse.
Il y a des groupes dans l'industrie multimilliardaire de l'alimentation qui affirment que s'ils n'utilisent pas des stimulateurs de croissance, ils perdent quelques livres par bœuf ou par poulet. C'est de l'argent dans leur portefeuille, et ils se plaindront à leur député et à vous, les sénateurs, qu'ils perdent de l'argent parce que vous leur avez retiré les antibiotiques qui leur permettaient de faire croître leurs animaux. Ils ne peuvent pas produire autant de poulets ou de poissons.
C'est un domaine complexe. On doit trouver des incitatifs pour l'industrie agroalimentaire si on veut réussir. Au bout du compte, c'est la bonne chose à faire.
En ce qui concerne les incitatifs pour l'industrie agricole, j'ai indiqué dans mon document ce que l'Infectious Diseases Society of America a souligné. Elle parle d'une stratégie en quatre volets visant à créer une prolongation des brevets pour les antimicrobiens qui sont déjà présents dans le système. Il faut des années pour mettre un médicament sur le marché, et si on perd son brevet deux ans après l'avoir enfin mis sur le marché, c'est un facteur de dissuasion majeur pour l'industrie. La protection des brevets est un enjeu. Je sais que le gouvernement du Canada a pris des mesures à ce sujet et dans d'autres domaines.
Il y a également les incitatifs pour que le gouvernement envisage de nouvelles catégories d'antimicrobiens, ce qui est très important.
J'ajouterais également que notre industrie des produits génériques doit veiller à la production de nos ressources existantes comme la pénicilline et les tétracyclines, car il existe actuellement des pénuries mondiales, et nous sommes nombreux à croire que certaines des pénuries dont vous avez parlé font suite à la perte de ces agents à cause de médicaments plus chers. Du point de vue de l'industrie pharmaceutique, qui a des comptes à rendre à ses actionnaires, un médicament comme la pénicilline, qui sert peut-être une ou deux fois par année, n'est pas très rentable comparé à un médicament lié au mode de vie comme le Viagra, qui peut être utilisé très souvent. Il nous faut donc inciter notre industrie des médicaments génériques à s'assurer que nous disposons des produits qui ne sont pas souvent utilisés, dont la fabrication coûte moins cher, mais qui sont absolument nécessaires. C'est très important. On parle aussi de quelques autres points relatifs aux mesures incitatives pour les nouveaux antimicrobiens.
Effectivement, de nombreuses mesures peuvent être prises dans l'industrie pharmaceutique, tant celle des médicaments de marque que celle des médicaments génériques.
Dr Patrick : Pour compléter ce qu'a dit le Dr Conly, d'abord, dans le domaine de la surveillance, pour répondre à la question du sénateur Eggleton, nous devons vraiment considérer notre surveillance au Canada comme faible. Dans quelques domaines, le groupe de Guelph fait un travail raisonnablement efficace, mais pour le reste, la surveillance est totalement inexistante. Il nous faut vraiment une coordination à l'échelle nationale.
L'Agence de la santé publique ne peut le faire seule, mais elle peut certainement jouer un rôle de coordination pour regrouper tout cela.
D'ailleurs, cela s'applique à toutes les données de contrôle et de surveillance au Canada. Ces données doivent tout simplement être accessibles en temps opportun.
Pour les épidémiologistes comme moi, la définition même de la surveillance, c'est l'information pour l'action, et elle est disponible pour ceux qui doivent rapidement prendre des mesures pour changer les choses. Nous avons complètement perdu cette définition au niveau national dans ce pays avec les données de surveillance. Il nous faut y revenir.
Ensuite, en ce qui concerne l'agriculture, le Dr Conly a longuement parlé de la difficulté de faire valoir l'argument, mais cela nous sera imposé par la FDA, qui a annoncé, l'automne dernier, que les antibiotiques seront progressivement retirés de la production alimentaire américaine. Si nous voulons maintenir notre accès au marché nord-américain, sans parler de profiter des avantages du marché européen, nous devons faire preuve d'innovation dans ce secteur.
Je pense que la plupart des ministères provinciaux de l'Agriculture commencent à s'en rendre compte, à l'exception du mien, en fait, car nous n'exportons pas beaucoup de porcs et de bovins, et la quasi-totalité de la production de volailles est destinée au marché national.
Pour ce qui est de la mise au point d'antibiotiques, on vous a parlé du concept de la prolongation des brevets et d'autres choses liées à l'industrie. Il y a autre chose que les organismes de réglementation pourraient faire; lorsque de nouveaux produits sont offerts, il en coûte extrêmement cher pour les soumettre à de vastes essais cliniques randomisés et contrôlés sur des centaines de personnes, et il est très difficile de le faire quand on est aux prises avec de rares infections résistantes aux antibiotiques.
Il existe un processus permettant de soumettre des médicaments de façon accélérée dans un programme d'accès spécial pour les personnes atteintes du cancer. On l'a fait pour les thérapies précoces anti-VIH, entre autres. On parle donc de mettre en place un processus accéléré afin que nous puissions faire des essais cliniques auprès de personnes qui n'ont pas d'autre choix que d'essayer un nouveau médicament de façon précoce. On semble agir un peu n'importe comment sur le plan de la réglementation, mais nous y arriverons bientôt. Il nous faudra avoir rapidement accès aux nouveaux médicaments.
La sénatrice Seidman : Je voudrais en savoir un peu plus sur la surveillance et aussi l'éducation. Vous en avez parlé tous les deux.
Je comprends l'importance cruciale de la surveillance en temps opportun, mais il y a les questions liées au PICRA et à l'Agence de la santé publique.
Docteur Patrick, vous avez dit dans votre exposé que le rôle de l'ASPC en matière de surveillance de la résistance devrait consister à faciliter la production de rapports — je suppose que vous parlez des systèmes provinciaux et territoriaux de production de rapports — qui résument les tendances nationales en se basant sur le modèle européen. J'aimerais en savoir plus à ce sujet, si vous permettez.
Vous avez fait aussi référence à la Colombie-Britannique et l'Alberta et à leurs programmes de sensibilisation destinés aux consommateurs et aux fournisseurs de soins et dans la promotion des lignes directrices relatives à l'utilisation d'antibiotiques. Il y a tout un aspect du rôle que peut jouer la sensibilisation du public à l'utilisation des antibiotiques. Je sais que vous avez participé à une étude sur l'utilisation des antibiotiques surtout pour les infections virales plutôt que pour les infections bactériennes. J'aimerais que vous nous parliez des rôles de l'éducation et de la surveillance.
Dr Patrick : Au sujet du modèle européen que j'ai mentionné, l'Europe est bien sûr composée de plusieurs pays, pourtant l'UE a un système appelé EARS-Net de surveillance de la résistance aux antibiotiques. Selon la phrase célèbre d'un de nos collègues d'Edmonton : il est plus facile de savoir ce qui se passe en Lituanie que ce qui passe n'importe où au Canada. La résistance aux antibiotiques est bien surveillée dans les petits pays européens.
J'ai mentionné ce modèle pour la bonne raison que notre système de prestation de soins de santé est un système provincial et territorial. Les laboratoires qui effectuent ces tests, qui nous communiquent les résultats en matière de résistance, sont soit sous la responsabilité des provinces soit financés par les provinces à titre de laboratoires privés.
Nous avons fait une expérience en Colombie-Britannique avec un grand laboratoire privé où nous avons pu utiliser des données et travailler avec l'Agence de la santé publique, pour produire des rapports et faire le point sur la résistance à l'échelle de la collectivité. C'est quelque chose qu'il est possible de faire techniquement s'il y a une volonté au niveau provincial.
Il ne serait pas juste de demander à l'Agence de la santé publique de le faire; elle n'en a pas le mandat. Mais ce que l'agence peut faire, c'est aider à instaurer des normes établies en collaboration pour collecter de façon similaire des données, en faire des rapports et comparer les résultats d'une province à l'autre. Nous pourrions voir où nous sommes efficaces et où nous ne le sommes pas.
Voilà ce à quoi je faisais allusion en parlant du modèle européen. Si l'Europe peut le faire, le Canada aussi.
La deuxième question portait sur les programmes d'éducation. Il y avait en particulier un programme provenant du nord de l'Alberta à la fin des années 1990 et qui s'appelait « Des pilules contre tous les microbes? ». Ce n'est pas le seul programme au monde qui fasse cela, mais il met l'accent sur la sensibilisation des consommateurs et aussi des médecins.
Il y a tout un éventail de mécanismes de sensibilisation des consommateurs. Oui, il y a de la publicité à la télévision de médicaments contre le rhume et la grippe sans antibiotique et autres traitements similaires, mais nous éduquons aussi les jeunes étudiants des sciences de la santé. Et donc, les étudiants en médecine et en sciences infirmières vont dans les classes de niveau 2 pour transmettre le message aux enfants qui, à leur tour, le transmettent à leurs parents. On fait cela également dans les garderies et les établissements de soins prolongés. C'est une initiative à très grande échelle pour inciter le consommateur à ne pas demander une ordonnance à un médecin très occupé.
Au même moment, des lignes directrices ont été établies par le groupe principal du nord de l'Alberta, mais beaucoup de spécialistes canadiens de maladies infectieuses ont travaillé sur ces lignes directrices qui sont différentes de nombreuses lignes directrices relatives à la prescription d'antibiotiques de fabrication commerciale, car, dans des cas comme la bronchite aiguë qui ne nécessite pas la consommation d'antibiotiques ces lignes directrices recommandent un traitement symptomatique qui améliorera l'état de santé de la personne sans recourir aux antibiotiques. Les lignes directrices favorisent l'utilisation d'antibiotiques de première intention afin de ne recourir aux antibiotiques polyvalents que dans le cas d'infections graves. Les lignes directrices ont été distribuées à tous les médecins et à beaucoup d'autres médecins prescripteurs de l'Alberta et de la Colombie-Britannique sous forme de livre et plus récemment sous forme d'application pouvant être rapidement actualisée. Voilà en quoi consiste le programme.
Depuis la mise en œuvre du programme en Colombie-Britannique, nous avons constaté une forte diminution mesurable de l'utilisation d'antibiotiques pour les infections ciblées, particulièrement pour les infections respiratoires chez les enfants. Nous allons devoir nous restructurer parce que, comme le Dr Conly laisse entendre, la résistance dans les infections des voies urinaires nous cause de plus en plus de problèmes et nous devons aussi réfléchir à la façon dont nous allons aborder ce problème au niveau de la population.
Dr Conly : La seule chose que je pourrais ajouter à la discussion, et le Dr Conly a donné une réponse très éloquente, porte sur la surveillance des infections contractées dans la collectivité. Nous exerçons, dans le cadre du Programme canadien de surveillance des infections nosocomiales, une bonne surveillance dans certains hôpitaux, mais la collectivité est un « trou noir ». Je crois qu'il l'a dit et je ne fais que répéter. Il n'y a pas d'approche coordonnée et il faut une volonté politique de la part de la structure fédérale-provinciale-territoriale pour assurer une surveillance des infections communément contractées dans la collectivité. Citons, par exemple, les infections urinaires, que 80 p. 100 des femmes auront à un certain moment de leur vie; la pharyngite provoquée par les streptocoques A; la pneumonie survenant dans la collectivité. Il s'agit là d'infections très répandues dans la collectivité. Nous n'avons pas d'approche normalisée.
Le Centers for Disease Control des États-Unis a l'ABC, le système Active Bacterial Core qui est axé sur la population; une population d'environ 40 millions dans 16 États. Nous n'avons pas un tel système au Canada. Une tentative a été faite avec la collectivité [SARM], mais elle n'a pas duré et n'a pas été coordonnée à cause d'un manque de financement. Donc, un mandat pourrait être donné à l'Agence de la santé publique pour coordonner une surveillance au niveau des collectivités dans tout le pays afin de donner aux Canadiens une idée de ce que sont les germes résistants de la plupart des infections communément contractées dans la collectivité.
Au sujet de l'éducation, je dirais seulement que beaucoup de provinces ont des programmes de télévisions ou des annonces dans les journaux incitant les gens à ne pas prendre des antibiotiques pour des infections virales, ainsi que l'a indiqué le Dr Patrick. La bronchite est l'une de ces infections courantes, le rhume en est une autre. Il serait utile que dans le cadre du processus de transfert — et je reconnais qu'il est compliqué, dans le système de santé — le gouvernement fédéral verse des fonds aux provinces, et que nous lui disions que nous aimerions qu'il consacre telle somme ou tel pourcentage des paiements de transfert pour promouvoir au moyen de la publicité des programmes éducationnels. Ces programmes pourraient être financés par le gouvernement fédéral. Les fonds seraient transférés aux provinces en précisant qu'ils proviennent du gouvernement fédéral et qu'ils devront être utilisés pour assurer la santé de l'ensemble de la population. Voilà une autre recommandation qui pourrait être mise en œuvre dans le but de faire avancer l'éducation.
La sénatrice Seidman : Vos réponses sont très utiles.
Je voudrais un éclaircissement au sujet du PICRA, car si j'ai bien compris le PICRA visait la surveillance de la collectivité, or, vous dites que cette surveillance est un grand trou noir. Pouvez-vous me donner quelques éclaircissements?
Dr Patrick : Le Programme intégré canadien de surveillance de la résistance aux antimicrobiens est de la responsabilité de l'Agence de la santé publique du Canada, mais en collaboration avec l'ACIA et le Laboratoire national de microbiologie. Ils ont fait un travail remarquable de surveillance de l'utilisation des antibiotiques. Ils y sont arrivés en achetant une base de données commerciale et en effectuant une excellente analyse de cette base de données qui nous permet de faire des comparaisons de l'utilisation dans tout le pays. Il y a actuellement un problème à Terre-Neuve. La population utilise plus d'antibiotiques par habitant qu'ailleurs et si j'étais responsable de la santé dans cette province, j'aurais voulu avoir cette statistique il y a quatre ans de cela et pas aujourd'hui. Mais leur travail de surveillance de l'utilisation des antibiotiques est remarquable.
Toutefois, le trou noir, c'est en matière de surveillance des organismes antibiorésistants. D'une province à l'autre, ça se fait très peu, mais il y a peut-être des solutions très simples à adopter. Il est intéressant de voir comment le PICRA s'y est pris. Dans le cadre de ce programme, on a trouvé une très bonne source d'information commerciale. Parmi les laboratoires qui effectuent beaucoup de ces essais au pays, certains sont publics, mais bon nombre sont privés et certains sont gérés par de très grandes sociétés. Par exemple, presque tous les essais en Colombie-Britannique sont effectués par un seul grand laboratoire commercial, tout comme en Ontario.
J'ignore si cette société est présente dans d'autres provinces, mais s'il était possible d'établir une relation entre une ou deux ces sociétés et le PICRA ou les provinces, cela nous permettrait d'avoir une excellente idée de la situation d'ici l'an prochain.
Dr Conly : J'aimerais ajouter une chose et revenir à ce que le Dr Patrick a dit au début. Si vous vous souvenez, le PICRA a été créé par l'entremise du milieu vétérinaire et de l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Ce programme se concentre sur les microbes pouvant être associés à la production alimentaire ou des infections de source animale, par exemple, la salmonella et le shigella, deux causes communes d'intoxication alimentaire, et la campylobacter. Ce sont principalement des agents de maladie diarrhéique. Le programme ne se concentre pas sur la pneumonie, les infections urinaires et de la vessie ou les infections de la gorge, toutes des infections très communes. Il se concentre sur les microbes qui peuvent se répandre dans le cycle de production alimentaire. Le streptocoque A, les infections staphylococciques causant des furoncles et des infections des tissus mous, les infections de la vessie ou des reins, la pneumonie — aucun des microbes associés à ces maladies ne provient de la production alimentaire. Le programme fait un excellent travail lorsqu'il est question de ce genre de microbes intestinaux. Mais, comme je l'ai souligné, il y a de nombreux autres types d'infection. Nous devons être en mesure de nous attaquer à ces microbes intestinaux et qui causent des maladies diarrhéiques, mais aussi à ceux qui s'attaquent aux autres parties du corps. Par exemple, on pourrait choisir de se concentrer sur les quatre plus communs. C'est là le trou noir.
La sénatrice Seth : Merci, docteur Conly et docteur Patrick.
Ma prochaine question s'adresse au Dr Patrick. Vous avez parlé du programme « Des pilules contre tous les microbes? » La Colombie-Britannique a adopté ce programme, mais au début, ce programme a été créé en Alberta pour épauler les professionnels de la santé du secteur public et privé afin de réduire la prescription inutile d'antibiotiques.
Lorsqu'elle a adopté ce programme, la Colombie-Britannique l'a-t-elle modifié? Pourquoi ce programme a-t-il été mis en œuvre? A-t-il connu de meilleurs résultats en Colombie-Britannique? Quelle est la différence entre ces deux provinces?
Dr Patrick : Votre question porte sur le programme « Des pilules contre tous les microbes? »
Lorsque nous avons réalisé, en Colombie-Britannique, qu'il fallait se pencher sur ce problème, nous avions deux choix : créer un programme de toutes pièces ou trouver un programme bien conçu et efficace, car il faut consacrer beaucoup de temps à la création de matériel et de guides de prescription, entre autres. Il était clair pour nous que le programme mis sur pied en Alberta répondait à nos exigences.
Il a été facile de convaincre la direction provinciale des services pharmaceutiques de financer ce programme, puisque celui-ci permettait de réaliser des économies de coût. En réduisant le prix des médicaments sur ordonnance, les économies réalisées dépassent le coût du programme et procurent des avantages positifs sur la santé. C'est le genre de programme qu'un gouvernement « doit absolument » financer.
Selon nous, il n'était pas nécessaire d'apporter des changements importants au programme pour la Colombie-Britannique. Je suis en désaccord avec le Dr Conly sur presque tout, puisqu'il vient de l'Alberta. Toutefois, selon nous, les principales caractéristiques du programme, le matériel de promotion, les documents à l'intention des médecins et autres matériels étaient tout à fait utiles.
Il faut reconnaître que si on adoptait une approche commune plus large pour tout le pays, il serait beaucoup plus difficile d'avoir un programme commun. Le programme en Ontario est différent et c'est une bonne chose, puisque les profils de résistance sont légèrement différents d'une région à l'autre. Il faut pouvoir nuancer.
Le développement et la continuation du programme sont administrés conjointement par les deux provinces.
La sénatrice Seth : Ma deuxième question porte sur le même sujet. Je crois comprendre que le programme « Des pilules contre tous les microbes? » comporte deux composantes : une composante publique, qui concerne les publicités et les brochures, et une composante pour les professionnels de la santé, soit les pharmaciens et les médecins. Pourriez-vous nous parler des différences entre ces deux composantes et de la façon dont vous évaluez le succès des deux?
Dr Patrick : Les deux sont différentes, et c'est nécessaire qu'elles le soient, car à certains égards, on n'utilise pas le même langage pour s'adresser au public que l'on utilise pour s'adresser aux professionnels. Avec les professionnels de la santé, il est possible d'utiliser un langage plus technique et, habituellement, le message passe bien.
L'an dernier, mon collègue, le Dr Hill, qui s'exprime beaucoup sur le programme en Colombie-Britannique, et moi avons discuté avec environ 2 000 des quelque 10 000 prescripteurs de la province dans le cadre de diverses activités.
Il est nécessaire de fournir des renseignements aux médecins, puisqu'on leur parle de diagnostics et d'antibiotiques spécifiques, d'interdictions précises sur l'utilisation d'antibiotiques ou d'autres traitements.
Pour communiquer avec le public, il faut utiliser un langage facile à comprendre. D'ailleurs, on utilise un langage que la plupart des enfants peuvent comprendre. Ils savent que lorsqu'ils ont un rhume et des écoulements nasaux, ils ne peuvent pas prendre d'antibiotiques. La plupart des gens qui ont l'influenza n'ont pas besoin d'antibiotiques, quoique des antiviraux leur seraient utiles.
En plus de la réduction de l'utilisation inutile d'antibiotiques, nous mettons l'accent sur la prévention. Le message le plus utile à transmettre au public en matière de prévention, c'est de se laver les mains et d'adopter de bonnes habitudes hygiéniques, car il a été démontré que cela permet de réduire les taux de maladies diarrhéiques et respiratoires.
Ai-je répondu à votre question, madame la sénatrice?
La sénatrice Seth : Oui.
Vous avez tous les deux souligné qu'on utilise des antibiotiques chez les animaux pour prévenir les infections ainsi que des antiseptiques pour le nettoyage, entre autres, et que la population consomme ensuite cette viande. Devrait-on mener une étude sur l'impact que peut avoir cette viande sur l'humain? Ça m'inquiète.
Devenons-nous plus résistants aux antibiotiques? Est-ce dangereux pour nous? Y a-t-il déjà eu une étude sur le sujet? Devrait-il y en avoir une?
Ce sont des questions très préoccupantes, puisque les animaux de nos jours sont bien nourris et bien préparés, mais notre système immunitaire est déséquilibré, si bien que les microbes qui nous rendent malades résistent aux antibiotiques. Que devrait-on faire?
Dr Patrick : Il est important de distinguer entre l'utilisation des antibiotiques dans les aliments et le risque pour l'humain. D'abord, lorsque l'on mange de la viande, consomme-t-on les antibiotiques qui ont été administrés aux animaux? Dans la plupart des cas, dans la chaîne de production canadienne, il y a une très bonne période de sevrage. Ainsi, on ne court aucun risque de consommer des produits chimiques avec la plupart de nos aliments. Mais là n'est pas le problème. Le problème, c'est que ces antibiotiques que l'on administre aux animaux favorisent la création d'organismes pharmacorésistants. Mais le plus important, c'est la résistance des gènes. Le morceau de porc que vous mangez peut contenir un organisme inoffensif, mais qui transporte un gène qui lui peut être transmis à un organisme nuisible dans votre système digestif. C'est donc une question de pollution à l'aide de gènes résistants. Et on ne parle pas seulement de la pollution du corps humain; il y a aussi la pollution des rivières, des réseaux fluviaux, des sorties d'égout. C'est un problème très sérieux dans le sous-continent indien.
Il est clair qu'il y a un risque. Comme je l'ai souligné dans mon mémoire, en utilisant les mêmes méthodes que les techniciens en scène de crime, on constate que les infections chez l'humain sont causées par des organismes pharmacorésistants provenant de la viande. On ne mène pas de telle enquête à tout coup. Il est donc difficile de déterminer l'ampleur de l'infection. Toutefois, s'il y a un signe d'infection, il faut alors travailler avec les producteurs afin de réduire le risque de propagation.
Comme l'a souligné le Dr Conly, l'utilisation des antibiotiques en agriculture est complexe, puisque les animaux aussi peuvent contracter des maladies. Il faut alors en prendre soin. Il est très important que les producteurs et les vétérinaires collaborent afin de trouver des solutions raisonnables pour éviter de lourdes pertes. Mais le secteur de la stimulation de la croissance n'a pas beaucoup de besoins.
Comme nous l'avons déjà mentionné, une des façons de prévenir les infections pharmacorésistantes chez l'homme, c'est d'adopter de meilleures habitudes hygiéniques. Je me suis entretenu récemment avec des producteurs avicoles. Ils sont en train de transformer complètement leurs exploitations afin d'en améliorer la salubrité et de donner plus d'espace aux poulets. Cela leur permettra d'utiliser moins d'antibiotiques.
Il y a donc des façons de réduire la dépendance aux antibiotiques dans l'industrie agroalimentaire. Si le marché américain prend la direction à laquelle on s'attend, il faudra leur emboîter le pas.
Dr Conly : J'ajouterais simplement qu'il y a deux problèmes. D'abord, les résidus d'antibiotiques chez les animaux constituent un très gros problème, notamment, comme l'a souligné le Dr Patrick, si les États-Unis empruntent la même direction que l'Union européenne. À titre informatif, il y a une dispute entre la Russie et les États-Unis au sujet des résidus de tétracycline dans le poulet grillé. D'ailleurs, il y a quelques années, la Russie a interdit l'importation de poulets américains.
Certains diront que la Russie a pris cette décision pour des raisons protectionnistes, pour protéger leur industrie. D'ailleurs, c'est un dossier très délicat, puisque de nombreux pays surveillent la présence de résidus dans les viandes pour voir si l'on y retrouve des antibiotiques. Cela devient un obstacle au commerce.
En ce qui concerne les gènes ou les organismes résistants aux antibiotiques que l'on pourrait retrouver dans la viande, plusieurs études ont été effectuées sur le sujet dans des supermarchés, notamment à Washington, D.C. et au Manitoba. Des échantillons de porc, de poulet et de bœuf ont été testés. Dans 20 p. 100 de ces échantillons, des organismes résistants aux antibiotiques ont été trouvés. Le consommateur qui manipule cette viande ou qui ne la cuit pas suffisamment pourrait, bien entendu, ingérer ces organismes ou, comme l'a souligné le Dr Patrick, les gènes qu'ils transportent. Ceux-ci se retrouveraient alors dans le microbiome de la flore intestinale, une source très riche de germes dans le corps humain.
Il est donc très important de se pencher sur l'utilisation des antibiotiques dans la production d'animaux destinés à l'alimentation et dans la préparation de cette viande. On a qu'à se souvenir de l'épidémie d'E. coli O15H7 qui s'est propagée il y a plusieurs années en Ontario et au nombre de personnes qui ont été infectées. Quelqu'un aurait pu facilement contracter une bactérie d'E. coli transportant des gènes résistants aux antibiotiques.
C'est donc un double problème : les résidus dans la viande et la transmission d'organismes ou de gènes pharmacorésistants dans la viande insuffisamment cuite, comme l'a souligné le Dr Patrick.
La sénatrice Eaton : Puisque l'on traite les poulets, la volaille, le porc et le bœuf aux antibiotiques, la transmission de maladies des animaux à l'humain est-elle de plus en plus commune? Autrement dit, si l'on prend comme exemple la grippe aviaire — le H1N1 n'a-t-il pas d'abord été trouvé dans le porc? S'ils sont plus résistants aux antibiotiques, et ça doit être le cas, puisque ceux-ci sont ajoutés régulièrement à leur nourriture, cela n'aura-t-il pas un impact pour l'humain?
Dr Patrick : C'est une question intéressante, madame la sénatrice. Je crois qu'il y a des efforts en cours dans le secteur de la production et de l'emballage alimentaire afin de minimiser la présence de microbes sur la surface de la viande, mais il est pratiquement impossible d'éliminer la présence d'organismes intestinaux pouvant causer des maladies chez l'humain.
Je ne dirais pas qu'il a été démontré que la transmission d'infections entre les animaux et l'humain est plus commune.
La sénatrice Eaton : Quand est-il de la grippe aviaire?
Dr Patrick : Je vais y revenir, si vous me le permettez.
Les infections bactériennes ne sont pas nécessairement transmises de façon plus courante de l'animal à l'homme. Ce qui inquiète, c'est que ces infections sont plus difficiles à traiter. C'est le problème.
Pour le moment, on parle de bactéries. La grippe aviaire est une infection virale. Les oiseaux sauvages et d'autres animaux de toutes sortes sont porteurs des virus de l'influenza, et les cochons sont bien connus pour favoriser le réassortiment des virus pour les jumeler à d'autres afin de créer quelque chose de nouveau. C'est ce qui s'est produit dans le cas de la grippe porcine — ou la pandémie de H1N1 qui s'est propagée en 1998-1999. Cette pandémie a probablement été favorisée par le fait que les animaux se retrouvaient dans un espace restreint ou parce qu'il s'agissait d'un mélange de virus de l'influenza transmis par des oiseaux qui ont pu s'approcher des cochons.
La sénatrice Eaton : Donc, ce sont des virus?
Dr Patrick : C'est exact. On espère qu'une meilleure biosécurité, plus d'espace pour les animaux et une meilleure ventilation dans les installations permettront de réduire ce genre de risque. Mais, aucune quantité d'antibiotiques n'aurait pu contribuer de façon claire à réduire ce risque.
Le président : Nous abordons la question des antibiotiques, pas celle des virus.
La sénatrice Eaton : Merci. Pardonnez-moi mon ignorance.
Dr Conly : Il faut souligner, et l'Organisation mondiale de la santé l'a déjà dit, qu'environ 80 p. 100 des nouvelles maladies infectieuses seront ce que l'on appelle zoonotique, c'est-à-dire qu'elles trouveront leurs origines dans le monde animal. Vous avez peut-être entendu parler de l'initiative Une santé. Dans le cadre de cette initiative, on considère que la santé humaine et animale ne font qu'un.
La sénatrice Eaton : Ce n'est pas ce qu'on fait au Manitoba?
Dr Conly : C'est ce que l'on fait au Canada et ailleurs. Bon nombre de pays sont séduits par cette initiative. D'ailleurs, le Canada est un chef de file dans l'analyse des éléments communs entre l'humain et les animaux. Bon nombre des infections bactériennes connues cadrent avec le concept Une santé. C'est la raison pour laquelle il faut regarder le tout comme un ensemble; l'humain, les animaux et les poissons ne vivent pas chacun en vase clos. Nous formons tous un écosystème connu sous le nom d'Une santé.
La sénatrice Eaton : J'aimerais aborder un autre sujet. Il a été question des collectivités et des écoles, mais qu'en est-il des hôpitaux? Nous avons parlé des patients atteints de cancer et d'autres personnes souffrant de maladies très complexes. Que peut-on faire pour aider les hôpitaux à être plus hygiéniques et à offrir des environnements plus sécuritaires pour les patients ayant de multiples problèmes?
Dr Conly : C'est une excellente question. Souvent, ce sont dans les hôpitaux que l'on retrouve les patients les plus malades. Les traitements de chimiothérapie et de radiothérapie sont beaucoup plus rigoureux qu'il y a quelques années. De nombreux progrès ont été réalisés en science médicale au fil des ans.
Les systèmes immunitaires des patients sont plus compromis que jamais, et cela constitue une pépinière d'activités. Il faut alors utiliser une plus grande quantité d'antibiotiques sur une période plus courte. Le milieu hospitalier est devenu très intense.
Comme le Dr Patrick le disait tout à l'heure, il est encore plus important de surveiller étroitement l'utilisation d'antibiotiques et de promouvoir l'intendance dans nos hôpitaux. Il y a eu le lancement du programme d'Agrément Canada sur les pratiques organisationnelles requises (POR), qui entrera en vigueur en mai prochain. Il obligera tous les hôpitaux canadiens à mettre en place des programmes d'intendance productifs. C'est une très bonne chose.
Nous devons également nous pencher sur l'hygiène, car tous les hôpitaux au Canada sont aux prises avec des problèmes de propreté. On en entend très souvent parler, de l'épidémie de C. difficile au Québec à la dissémination de germes résistants en milieu hospitalier.
Ce n'est pas évident, parce que ce volet est souvent du ressort des provinces. Il est plus facile d'intervenir au niveau de l'entretien des locaux, et nous devons nous pencher là-dessus. Il faut maintenir les hôpitaux dans des conditions ultra-hygiéniques et mettre en place de très bonnes mesures de prévention des infections. Il est très important que tous les établissements canadiens disposent des fonds adéquats pour assurer un programme de prévention des infections.
Nous travaillons étroitement avec les groupes pharmaceutiques pour veiller à ce qu'on mette en place des mesures d'intendance efficaces pour l'utilisation des antibiotiques dans le cadre des programmes de résistance aux médicaments. C'est un autre élément très important. Comme vous le savez, c'est de compétence provinciale, mais on ne le dira jamais assez. Nous devons pouvoir financer adéquatement nos programmes de prévention des infections et d'intendance pour être en mesure non seulement d'offrir le milieu propre et hygiénique auquel les patients et les travailleurs de la santé sont en droit de s'attendre, mais aussi d'assurer les programmes de surveillance et de sensibilisation qui font normalement partie du programme de prévention des infections d'un hôpital.
La sénatrice Eaton : J'ai entendu dire que les travailleurs pouvaient maintenant porter leur uniforme en dehors de l'hôpital. C'est donc dire qu'ils se mêlent à la collectivité dans leur uniforme; ils vont dîner en uniforme et reviennent s'occuper des patients dans le même uniforme. En tout cas, c'est comme ça en Ontario. On ne lave plus les uniformes à l'hôpital. Avant, les employés avaient des casiers et pouvaient enfiler leur uniforme de travail en arrivant à l'hôpital. Si vous avez des recommandations à nous faire pour notre rapport, je vous prie de les transmettre à la greffière du comité. Cela nous aiderait beaucoup.
Le président : Un bref commentaire, je vous prie. Vous pourrez nous transmettre plus de détails plus tard, comme la sénatrice l'a indiqué.
Dr Patrick : Oui.
Il est important de parler de l'infrastructure des hôpitaux canadiens. Ce n'est pas surprenant que l'épidémie à laquelle le Dr Conly a fait référence a éclaté dans un vieil établissement de la Fraser Health Authority en Colombie-Britannique, où plusieurs patients sont entassés dans une chambre. Ce n'est plus la norme de construire des hôpitaux de cette façon. Nous devons évidemment faire ce qu'il faut pour réduire les risques, au moins dans une certaine mesure. Je voulais seulement préciser ce point.
La sénatrice Nancy Ruth : Merci d'être ici.
J'aimerais que vous m'expliquiez deux choses que vous nous avez dites, docteur Patrick. Vous avez dit qu'il fallait arrêter d'homologuer les faux vaccins. Je ne sais pas ce que vous voulez dire par « faux vaccins », et j'aimerais bien que vous me l'expliquiez.
Vous avez aussi dit qu'il fallait avoir des systèmes intelligents, pas des systèmes passifs. Pourriez-vous nous en dire un peu plus là-dessus?
Dr Patrick : Bien sûr.
À Santé Canada, la Direction des produits de santé naturels est en place depuis quelques années, homologuant des produits naturels et des produits de ce genre. Pour être homologués, ces produits doivent être sécuritaires, pas nécessairement être efficaces. Les produits pharmaceutiques doivent satisfaire à ce critère pour être inscrits. Quand on permet qu'un produit naturel s'immisce parmi des produits qui s'avèrent efficaces pour sauver des vies à grande échelle, comme des vaccins, on met le public en danger, parce qu'en diminuant les taux de vaccination au pays, on risque d'être aux prises avec des éclosions de rougeole, de polio, ou peu importe, si les parents décident d'utiliser ces produits. Nous devons évidemment faire ce qu'il faut pour réduire les risques, au moins dans une certaine mesure. Je voulais seulement faire valoir ce point.
C'était une erreur flagrante de la part de Santé Canada, une abdication de ses responsabilités, d'avoir homologué ces produits. Ils doivent être retirés du marché canadien.
Qu'est-ce que les nosodes? À ce que je sache, ce sont des produits dilués avec une très grande quantité d'eau, un peu comme les produits homéopathiques. Ils ne contiennent rien qui pourrait provoquer une réaction immunitaire contre quelque organisme que ce soit. Ils sont probablement inoffensifs, mais ils sont dangereux en ce sens que les consommateurs peuvent penser qu'ils sont, comme par magie, protégés contre un agent pathogène. Leurs effets ne sont pas objectifs.
Vous vouliez aussi que je vous parle plus en détail des dossiers de santé électroniques intelligents pour le système de santé canadien. L'objectif est d'assurer la sécurité du patient, l'exactitude des ordonnances, et ainsi de suite.
La plupart des anciens dossiers de santé électroniques employés dans nos hôpitaux et nos bureaux de médecin ne font qu'enregistrer des informations. Il existe aujourd'hui des applications instantanées qui vous permettent de confirmer ou non vos hypothèses et de savoir si vous êtes sur la bonne piste.
Nous avons besoin de systèmes qui aident les fournisseurs de soins de santé à s'y retrouver plus facilement dans les modes de traitement et à savoir où ils en sont, et qui les avertissent s'ils proposent de faire quelque chose d'un peu saugrenu ou à côté de la plaque.
C'est ce qu'on fait dans le domaine de l'aviation. Il y a des listes de vérification à suivre avant le décollage, et j'en suis très heureux, mais nous ne le faisons pas pour les soins de santé. Nous devrions avoir des systèmes qui facilitent l'application de pratiques exemplaires, de pratiques simples, et nous devrions cesser d'investir dans des systèmes de santé électroniques passifs. C'est ce qu'on appelle la systémique. C'est en fait une question d'ingénierie, pas de médecine. Cela devrait être intégré aux systèmes de GI-TI, à mon avis.
La sénatrice Nancy Ruth : Vous avez plusieurs fois fait référence aux accords de libre-échange entre le Canada et les marchés de l'Europe et des États-Unis. Vous avez parlé de l'exposé que vous avez présenté aux producteurs de volaille, expliquant qu'il serait préférable de donner aux bêtes plus d'espace et moins d'antibiotiques.
Pensez-vous que les producteurs, de bétail ou de poisson, peu importe, vont réduire leur utilisation d'antibiotiques simplement parce qu'ils ne pourront pas vendre leurs produits, ou le gouvernement devra-t-il adopter un règlement qui les forcerait à le faire, de façon à ce que le Canada puisse faire le commerce de ces produits?
Dr Patrick : Madame la sénatrice, vous auriez sûrement une meilleure réponse si vous posiez la question à un producteur. Je crois qu'il serait risqué de ne pas emboîter le pas à la FDA si elle modifie ses règlements, parce qu'une bonne partie de nos exportations s'en vont actuellement aux États-Unis.
Les producteurs vont changer leurs pratiques s'ils estiment que cela pourra les aider à vendre leurs produits sur les différents marchés. Les choses vont être différentes d'un secteur à l'autre et d'une province à l'autre. L'industrie de la volaille de la Colombie-Britannique n'exporte pas beaucoup de produits, alors ce sera moins tentant pour elle de suivre la réglementation de la FDA que pour d'autres groupes. Mais le secteur porcin du centre du Canada et le secteur de l'élevage bovin de l'Alberta misent beaucoup sur l'exportation, et j'imagine que ce sera très intéressant pour eux de se conformer à la réglementation américaine.
Cela pourrait aider, je pense, si nos organismes de réglementation suivaient de près le régime réglementaire américain pour éviter de prendre du retard. Depuis une dizaine d'années, John et moi espérons que le Canada pourra se démarquer des autres en prenant les bonnes décisions en premier, mais on dirait que cela n'arrivera pas.
La sénatrice Nancy Ruth : Cela pourrait s'appliquer à l'industrie laitière. Je viens de l'Ontario, et nos producteurs de fromage sont quelque peu mécontents de l'accord avec le marché européen, qui est plus grand que le marché américain; on parle en effet de quelque 550 millions de personnes. Mais les antibiotiques sont présents dans l'ensemble de la chaîne alimentaire. Croyez-vous que les producteurs de fromage, par exemple, pourraient faire pression sur l'industrie laitière afin d'être concurrentiels?
Dr Conly : Comme le Dr Patrick, je ne suis pas un spécialiste du secteur de la production. Mon domaine relève plutôt des sciences humaines. Je peux seulement vous donner mon humble avis.
Mon fils a étudié en économie, et selon ce que j'ai appris, le marché va diriger l'économie. Si vos deux grands partenaires commerciaux, l'Union européenne et les États-Unis, exigent des produits alimentaires exempts d'antibiotiques, et que les produits que vous offrez en sont pleins, ils ne voudront pas faire affaire avec vous. Très rapidement, je dirais que le marché va changer et les producteurs aussi, parce qu'autrement ils n'auront accès à aucun marché pour vendre leurs produits. C'est une économie de marché standard. Mes connaissances en économie sont plutôt rudimentaires, mais ce serait ma réponse.
La sénatrice Nancy Ruth : Mais vous ne proposez pas qu'on laisse tomber l'idée d'imposer une règlementation?
Dr Conly : Je pense que les lois et les règlements peuvent faciliter les choses, mais c'est une question complexe. Qu'arrivera-t-il si vous adoptez du jour au lendemain un système règlementé qui interdit l'utilisation d'antibiotiques? Les producteurs se plaindraient qu'ils ont perdu tant de livres par poulet, par vache ou par porc, qu'ils pourraient donc en vendre moins et qu'ils devraient mettre à pied 15 000 travailleurs. Les répercussions ne tarderaient pas à venir. Il faut procéder de manière stratégique et respectueuse envers les producteurs, et y aller graduellement pour éviter d'asséner soudainement le coup de grâce à l'industrie.
Le sénateur Enverga : Merci pour vos exposés.
Cela fait deux jours qu'on nous parle des rapports alarmants sur l'utilisation des antibiotiques. Le développement de médicaments est au ralenti, si bien qu'aucun nouveau médicament n'est mis sur le marché. Malheureusement, s'il devait y avoir une éclosion de nouveaux microbes, par exemple, la plupart des pays qui seront touchés par cette pénurie sont des pays pauvres.
À cet égard, pensez-vous que le gouvernement devrait prendre le taureau par les cornes et créer son propre organisme de développement pharmaceutique, au lieu d'attendre que les fabricants de médicaments le fassent?
Dr Patrick : C'est intéressant. Si on jette un coup d'œil à la production d'antibiotiques au milieu du XXe siècle, on constate que bon nombre des composés qui ont été mis sur le marché rapidement étaient les composés les plus faciles à commercialiser. Fleming avait démontré que la pénicilline provenait d'une moisissure, alors les chercheurs ont commencé à s'intéresser aux composés dérivés de moisissures. Et, ô miracle, d'autres antibiotiques ont vu le jour, puis les recherches ont mené à des synthèses chimiques plus poussées. Ce n'est plus aussi intéressant depuis que les produits les plus faciles à développer ont déjà été mis sur le marché. Il faut penser à autre chose.
Je ne suis pas certain que la recherche gouvernementale soit la seule solution. C'est cependant une option à envisager. Ce que les laboratoires Connaught, des installations de Toronto financées par le gouvernement, ont fait pour l'immunisation au Canada a aussi contribué à faire connaître cette discipline partout dans le monde. Je crois qu'ils célèbrent le 100e anniversaire des laboratoires. C'est un fait marquant pour l'histoire du Canada. Je n'ai donc rien contre les recherches financées par le gouvernement.
Aujourd'hui, on met au point de nouvelles plateformes biologiques basées sur l'accélération rapide des technologies de séquençage génétique, qui permettent la conception in silico, ou informatique, de médicaments qui visent des cibles identifiées dans le cadre de ce processus. De très prolifiques centres de génomique sont installés un peu partout au Canada. On pourrait penser à une aide accrue de la part du gouvernement, afin de financer des demandes de propositions à l'intention des chercheurs qui tentent de modifier ces plateformes en vue d'accélérer l'identification des médicaments. Ce travail relève des nouvelles sciences que sont la génomique, la protéomique et la transcriptomique, très avancées au Québec, en Colombie-Britannique, en Ontario et ailleurs. Je pense que le gouvernement pourrait se rallier à ses efforts, ou encore offrir du financement par l'entremise des IRSC et d'autres groupes.
Dr Conly : Merci de poser la question, sénateur Enverga. À savoir si le gouvernement devrait financer un organisme de développement pharmaceutique, je répondrais que non. Le Dr Patrick en a parlé, et je vais tenir le même discours que lui — j'en fais d'ailleurs mention à la page 12 de mon rapport. L'Infectious Diseases Society of America (IDSA) a dégagé quatre grands thèmes. J'attire votre attention sur ceux-ci.
Il y a premièrement la prise de mesures législatives pour susciter l'innovation. L'IDSA a recommandé d'établir une commission pour accorder la priorité à la découverte de nouveaux médicaments. C'est possible de le faire en finançant des priorités de recherche par l'entremise du CRSNG, des IRSC ou d'autres organismes de financement du Canada, avec la précision que cela s'applique à la découverte de nouveaux antibiotiques.
Deuxièmement, on propose de modifier les politiques et les programmes actuels. On peut passer par la remise d'incitatifs aux différents centres et encourager les partenariats public-privé en vue d'accorder la priorité à la découverte de nouveaux médicaments. Le pays regorge de riches microbiomes, compte tenu de l'étendue de son territoire. Si on prend les sables bitumineux, par exemple, ils contiennent 1026 microbes, et on n'a encore exploré que les deux premiers centimètres de toute la plateforme des sables bitumineux. C'est un milieu riche à examiner pour identifier un grand nombre de composés nouveaux, et c'est un environnement qui est propre au Canada.
Nous n'avons pas encore pris l'initiative d'investir dans les sables bitumineux en vue de la découverte de médicaments. En fait, ce serait quelque chose à faire, selon moi. Nous voulions confier à un étudiant diplômé la tâche de prélever des échantillons dans les sources hydrothermales, les glaciers et les sables bitumineux. Nous voulions ensuite combiner nos efforts à ceux d'un groupe de la Chine afin d'identifier de nouveaux composés.
Il faut encourager ce genre de projet, parce que nous disposons de microbiomes riches et uniques, et le Canada offre des milieux que nous n'avons pas encore explorés. Nous devons trouver une façon d'inciter les gens à se lancer dans cette entreprise.
Le troisième thème pointe vers les organismes de financement. Il était question du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) aux États-Unis — nous avons des organisations semblables au Canada — et de la nécessité de renforcer son rôle dans le processus de recherche-développement de nouveaux produits.
Et, finalement, l'IDSA a proposé d'envisager de nouveaux modèles de financement pour inciter nos fabricants de médicaments privés et génériques à se lancer dans la découverte de nouveaux médicaments. En ce moment, on dirait qu'on n'offre aucun incitatif pour la découverte de nouveaux médicaments ou l'identification de nouveaux composés grâce à des méthodes innovatrices et à l'étude de sources uniques.
Ce sont toutes des solutions possibles. Il ne s'agit donc pas de créer un nouvel organisme, mais d'encourager les ressources en place à voir plus loin et à sortir des sentiers battus en explorant les niches écologiques uniques qu'on trouve au Canada, afin d'identifier de nouveaux composés. Nous n'avons même pas tenté d'exploiter tout ce potentiel.
Le sénateur Enverga : Je pense que beaucoup de nouvelles technologies sont à nos portes, comme le séquençage génétique, auquel vous avez fait référence. Serait-il possible de créer une sorte de vaccin ou quelque chose qui pourrait nous protéger de certains types de microbes? Est-ce une possibilité? Le gouvernement pourrait-il contribuer à de telles recherches?
Dr Patrick : Je peux répondre à la question. Je veux seulement préciser que j'ignorais que le Dr Conly avait l'intention d'envoyer des bactéries par pipeline d'un bout à l'autre de la Colombie-Britannique, mais bon.
Dr Conly : Nous sommes seulement à la recherche de nouveaux composés.
Dr Patrick : Je reviens à la question.
La solution réside en partie dans l'application d'approches nouvelles et imaginatives. Il faut étudier le problème. Si les organismes sont de plus en plus résistants, c'est parce que nous utilisons des médicaments qui tuent les bactéries. On tue les plus faibles; celles qui résistent sont toujours là.
Pour traiter les maladies infectieuses autrement, nous pouvons concevoir des médicaments qui empêchent la maladie de progresser, sans éliminer les microbes. Il faut sélectionner les antibiotiques selon la résistance des microbes.
Le grand microbiome que nous ne mettons pas à profit se trouve en nous. Notre tube digestif contient de 10 à 12 fois plus d'organismes que nous n'avons de cellules dans tout notre corps. Il s'agit d'un potentiel immense. Nous constatons déjà que le microbiome du tube digestif peut servir à traiter et à prévenir certaines maladies infectieuses. C'est un autre domaine florissant. Nous pourrions donc concevoir des médicaments qui ne tuent pas les microbes et utiliser les microbes qui se trouvent en nous pour combattre la maladie.
Votre question sur les vaccins qui permettent de prévenir les infections est tout à fait essentielle. Notre système immunitaire peut nous aider à empêcher la maladie de s'installer. Dans bien des cas, il faut cibler des organismes précis et ne s'attaquer qu'à une ou deux bactéries qui causent d'importantes infections des voies urinaires ou d'une grande partie de la peau et du tissu mou. Si nous parvenions à mettre au point ces vaccins au cours des 20 prochaines années, nous pourrions grandement réduire le recours aux antibiotiques.
La sénatrice Chaput : Vous avez répondu à la plupart de mes questions. Je vais simplement poser une question brève pour connaître votre avis. Nous employons librement les antibiotiques depuis longtemps, au Canada. Depuis combien d'années exactement y avons-nous recours?
Dr Patrick : Depuis 70 ans.
La sénatrice Chaput : Combien de temps faudra-t-il pour mettre fin à cette pratique qui consiste à employer à tort et à travers les antibiotiques pour les humains et les animaux, sans même penser aux conséquences?
Dr Patrick : Combien de temps faudra-t-il pour y mettre un terme? Je répète que je ne suis pas entièrement pessimiste. Je pense que de bons programmes de sensibilisation et de bons mécanismes de rétroaction peuvent donner lieu à des changements assez importants.
De grands progrès ont été accomplis concernant le milieu communautaire et la santé humaine depuis 10 ou 20 ans, grâce aux efforts répétés que nous avons déployés. Nous devons réaliser des gains semblables dans les hôpitaux. Que nous bannissions certaines pratiques ou non dans le secteur agroalimentaire, nous devons commencer à prendre des mesures et à chercher des améliorations. Donc, je ne suis pas entièrement pessimiste.
Pour ce qui est d'imposer des mesures draconiennes pour cesser ces pratiques sur-le-champ, je pense que le Dr Conly a donné une excellente réponse. Si nous procédons trop rapidement, les méthodes de gestion risquent de mal s'adapter au changement.
Dr Conly : Pour employer une métaphore, c'est bien plus facile de gagner du poids que d'en perdre. Il en va de même pour la résistance aux antibiotiques. N'oublions pas que les microbes sont vivants et possèdent un profil génétique. La théorie de l'évolution de Darwin s'applique. Leur cycle de régénération dure 20 minutes, tandis qu'il nous faut 20 ans pour produire une nouvelle génération d'humains. En fait, l'évolution des bactéries peut prendre quelques semaines, tandis que l'évolution humaine demande littéralement des millions d'années. Les bactéries peuvent développer des gènes de résistance. C'est plus long pour s'en départir. Le processus peut donc être inversé, mais le retrait se fait bien plus lentement que la mise en place.
Sur le plan de l'évolution, le retrait demande simplement plus de temps. Au début du retrait, la résistance aux antibiotiques va atteindre un plateau, puis elle va diminuer de façon progressive. Pour citer David Suzuki, nous devons trouver l'équilibre écologique adéquat. Les antibiotiques sauvent des vies, mais leur surutilisation est néfaste, tout comme la déforestation provoque l'érosion et d'autres problèmes. Il est essentiel d'employer les antibiotiques de façon judicieuse lorsqu'ils sont nécessaires, sans aller jusqu'à augmenter la résistance aux antibiotiques.
La sénatrice Chaput : Quelle serait la première mesure fondamentale que doit prendre le gouvernement fédéral?
Dr Conly : C'est difficile à dire, car la question comporte de multiples volets. En fait, les données de l'OMS et d'autres organismes montrent qu'il nous faut un programme à multiples volets. Le Dr Patrick donnera peut-être un autre son de cloche, mais je pense que l'ASPC doit mettre sur pied un comité ou un organisme transdisciplinaire intégré fédéral-provincial pour surveiller les activités qui concernent la résistance aux antimicrobiens. Comme je l'ai indiqué à maintes reprises dans mon rapport, la première mesure fondamentale nécessaire, c'est une approche applicable et coordonnée. Nous avons élaboré bien des plans et réalisé nombre d'activités au fil des ans, mais la coordination fait quelque peu défaut. Bref, il est tout d'abord essentiel de déployer des efforts coordonnés, à mon avis.
Dr Patrick : J'ai eu une discussion intéressante la semaine dernière avec les gens d'une fondation britannique, qui a créé un prix au début du XVIIIe siècle pour permettre de connaître la longitude où on se situe sur la planète. J'ai trouvé que c'était très approprié, car ils demandaient quelles sont les priorités en matière de résistance aux antibiotiques.
La grande priorité, c'est de savoir où nous en sommes pour établir la marche à suivre. Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue. L'agence devrait avant tout favoriser la surveillance coordonnée de la résistance et du recours aux antibiotiques dans tous les secteurs au pays.
La sénatrice Cordy : Justement, la question de la surveillance repose entièrement sur le besoin de savoir où nous en sommes. On nous a dit hier et aujourd'hui que le PICRA recueille des données, mais nous n'y avons pas accès en temps opportun. Vous avez donné l'exemple de Terre-Neuve-et-Labrador, où la surveillance montre que l'emploi des antibiotiques est le plus élevé par habitant. Il nous a fallu quatre ans pour l'apprendre. Pourtant, je pense que l'Agence de santé publique était prête à réagir en temps opportun. Pourquoi les données ne sont-elles pas accessibles pour permettre aux provinces, aux territoires et aux Canadiens de réagir en temps opportun?
Dr Patrick : Je ne pense pas que l'agence soit en cause. Les analystes ont travaillé avec diligence pour produire des rapports extrêmement utiles. Toutefois, ils sont soumis à des restrictions en matière de communications, peut-être parce que des approbations sont exigées sur le plan politique. Mais ce sont des données neutres nécessaires pour prendre des mesures. D'après moi, la principale raison qui explique que les données ne sont pas rendues publiques, c'est qu'elles attendent depuis longtemps d'être approuvées.
La sénatrice Cordy : Il semble que le gouvernement doit autoriser la publication plus rapidement.
Dr Patrick : En effet. Il faut encourager l'agence à rendre publics ses rapports dès qu'ils sont prêts, sans lui mettre des bâtons dans les roues.
La sénatrice Cordy : Merci. Cela me paraît sensé.
L'Organisation mondiale de la santé signale que la résistance aux antibiotiques constitue une crise mondiale. Pourtant, le gouvernement a supprimé le Comité canadien sur la résistance aux antibiotiques en 2009. C'est une autre décision qui me semble insensée. Le comité qui devrait examiner la question a été démantelé.
Docteur Conly, vous avez dit dans l'exposé qu'aucune marche à suivre n'a été établie pour coordonner les organismes gouvernementaux. En 2011, le Journal de l'Association médicale canadienne a indiqué que le gouvernement fédéral n'avait pas encore mis en œuvre de mesures pour lutter contre le problème croissant des infections résistantes aux antibiotiques.
Docteur Conly, vous avez dit que nous avons bel et bien un Plan d'action national, mais qu'il n'est simplement pas mis en œuvre, n'est-ce pas?
Dr Conly : Oui. Au cours d'une réunion tenue à Ottawa en 2002 et ouverte par le sous-ministre de la Santé, le Comité canadien sur la résistance aux antibiotiques a entamé l'élaboration du Plan d'action national, qui s'est échelonnée sur deux ans. Ce plan était affiché sur le site Internet du CCRA qui a été désactivé, mais il est maintenant accessible sur le site du Centre national de coordination contre les maladies infectieuses. Je pourrai vous envoyer le lien qui mène au Plan d'action national.
J'ai souligné que Paul Webster, un journaliste d'enquête, a mis la main sur un rapport interne de 2009 qui a filtré, dans lequel l'Agence de la santé publique commente ses partenaires pancanadiens. À l'époque où le CCRA était démantelé, l'agence promettait qu'un nouveau comité transdisciplinaire allait voir le jour pour surveiller les activités en matière de résistance aux antibiotiques. C'était en 2009. En 2014, nous sommes toujours au point mort.
C'est là que je deviens plus critique. Vous avez touché une corde sensible. Je suis désolé, mais cette inaction est vraiment inacceptable selon moi. Le Canada était un chef de file et il a accompli de l'excellent travail, mais je me demande ce qui paraît préoccupant à l'Agence de la santé publique. Je sais qu'il y a eu un certain nombre de changements à la direction, mais il n'y a toujours pas de comité transdisciplinaire intégré.
Selon le reportage de Paul Webster, bon nombre de recommandations qui vont être présentées étaient mises de l'avant dans le rapport de 2009, qui se fonde en grande partie sur le Plan d'action national.
Bien souvent par le passé, nos rapports, nos recommandations et nos objectifs étaient excellents. Mais ces rapports sont mis de côté, s'empilent et continuent d'accumuler la poussière. C'est l'inaction qui me rend très critique. Nous avons simplement besoin de coordination entre le fédéral, les provinces et les territoires. Je pense que l'Agence de la santé publique du Canada doit ouvrir la voie.
La Suède et le Danemark ont mis en œuvre des programmes stratégiques de surveillance et de lutte contre la résistance aux antibiotiques. Bien des pays d'Europe du Nord dont le Dr Patrick a parlé appliquent d'excellents programmes. Nous étions en contact étroit avec eux de la fin des années 1990 au début des années 2000, mais nos relations sont pratiquement inexistantes à l'heure actuelle.
Je dirais que le principal problème, c'est l'absence relative d'efforts concrets à l'Agence de la santé publique pour coordonner les activités, même le PICRA qui surveille l'emploi des antimicrobiens pour les patients non hospitalisés et le PCSIN sont excellents. Ces programmes constituent ce qui se fait de mieux, mais la surveillance doit porter sur des efforts coordonnés et tangibles.
La sénatrice Cordy : C'est très frustrant, car l'OMS signale qu'il y a une crise et que le Canada ne prend aucune mesure et ne donne pas accès aux données recueillies.
Merci beaucoup aux deux témoins. Vous rendez cette question scientifique facile à comprendre.
La sénatrice Dyck : Ma question porte sur le contrôle des infections dans les communautés.
Docteur Patrick, vous avez dit dans l'exposé que, selon les données de surveillance, le problème n'est pas trop grave chez les gens de moins de 50 ans, mais qu'il atteint des proportions démesurées chez les aînés qui résident dans des établissements de soins de longue durée, où les bactéries qui causent les infections urinaires résistent aux antibiotiques.
À Saskatoon, le nombre de gens qui veulent vivre en communautés augmente. Les données de surveillance font-elles la distinction entre les communautés formées d'une famille et celles qui comportent 10 familles? Par exemple, certaines familles dans les réserves occupent des logements surpeuplés. Les données indiquent-elles que les logements surpeuplés ou la vie en communauté augmentent le risque d'infection bactérienne résistante aux antibiotiques? Y a-t-il des recommandations sur la sensibilisation pour empêcher d'infecter d'autres personnes si on est atteint?
Dr Patrick : Avant de répondre, je précise que ce groupe d'âge est associé précisément aux infections des voies urinaires résistantes aux antibiotiques. La répartition serait donc différente.
Je ne veux pas jeter la pierre aux gens qui vivent en communautés. La vie en communauté comporte de nombreux avantages et aide les animaux sociaux à bien se nourrir, à rester actifs, et cetera. Mais il importe de prendre en compte certains facteurs.
Il ne suffit pas de se laver les mains ou de tousser dans sa manche, mais il est prouvé que certains facteurs jouent un rôle prédominant. Si beaucoup de gens habitent dans un même logement dans les réserves, il est essentiel d'avoir une excellente ventilation pour renouveler l'air. La répartition des cas de tuberculose dans les communautés des Premières nations est associée au nombre de personnes qui occupent un même logement et au taux de circulation d'air. Les normes de construction représentent donc une solution. Il faut bien sûr éviter les logements surpeuplés, mais la vie en communauté est bénéfique pour les humains.
Il importe d'avoir des établissements de soins de longue durée bien ventilés et propres, mais une partie du problème s'explique par le manque de personnel. On donne des antibiotiques aux aînés qui deviennent un peu confus.
Je souligne que le Dr Conly et moi sensibilisons aussi les fournisseurs de soins de santé, parce que d'autres approches existent. De 50 à 75 p. 100 des gens un peu confus et qui pourraient recevoir des antibiotiques se sentent mieux dans les 24 heures s'ils s'hydratent avec un bon verre d'eau. Il faut donc s'assurer que les normes de soins respectent une approche logique qui évite le traitement excessif, sans oublier la propreté.
La sénatrice Dyck : Les données soulèvent-elles des dangers liés aux soins pédiatriques? Je ne sais pas si c'est vrai, mais on a tendance à penser que les nouveau-nés ou les jeunes enfants sont plus susceptibles de développer des infections. Devons-nous envisager des mesures concernant les bébés ou les jeunes enfants?
Dr Conly : Concernant le contrôle des infections dans les communautés, il faut accorder des fonds suffisants pour les praticiens dans ce domaine, qui jouent un rôle important dans tous les hôpitaux et tous les milieux communautaires et institutionnels, comme les maisons d'hébergement. Il en va de même pour les soins pédiatriques. Dans un centre de réhabilitation pédiatrique ou dans les établissements où les gens se côtoient, les praticiens de la lutte contre les infections jouent un rôle extrêmement important. Ils sont le trait d'union entre l'hôpital, le milieu institutionnel et la santé publique. Leur rôle de liaison est très important. Je ne peux pas insister assez sur leur rôle pour favoriser la surveillance et sensibiliser les gens à une bonne hygiène. D'une certaine manière, les soins, l'hygiène et la surveillance sont indissociables.
La sénatrice Dyck : Prenons un exemple concret. Disons qu'un de mes enfants est atteint d'une infection bactérienne résistante aux antibiotiques, et que je crains que celle-ci soit transmise à mes autres enfants ou à moi. A-t-on mis quelque chose à la disposition de la population pour leur dire, par exemple : « Si ceci vous est arrivé, voici ce que vous devriez savoir et voici ce que vous devriez faire. Si vous êtes immunodéprimé, vous devrez tenir compte de ce qui suit. » Est-ce que des informations de ce genre sont disponibles?
Dr Patrick : Il existe des lignes directrices à l'intention de la population. Il est important de se rappeler que ces organismes présentent plus de risques pour les personnes vulnérables, notamment celles qui sont gravement malades à l'hôpital et les nouveau-nés. Bon nombre de ces organismes circulent dans nos collectivités sans causer de gros problèmes chez les gens. En général, les infections de la peau et des tissus mous sont causées par des organismes résistants qui se nichent dans des endroits difficiles à nettoyer ou se retrouvent chez les gens qui n'ont pas les installations sanitaires nécessaires pour prendre une douche chaque jour ou aux deux jours. D'habitude, le dénominateur commun, c'est l'hygiène. Par conséquent, le simple fait de promouvoir des normes raisonnables en matière d'hygiène constitue une bonne façon de protéger la population.
Dans de rares cas, on se trouve en présence d'un organisme particulièrement inquiétant et, à ce moment-là, l'agent de santé publique de la région concernée peut donner des instructions précises. Heureusement, cela n'arrive pas souvent. Le problème n'est pas encore répandu au point de devoir prendre des mesures rigoureuses à l'échelle des collectivités.
Dr Conly : Madame la sénatrice Dyck, merci pour cette question. Il s'agit d'un exemple très pertinent et très réaliste. Nous rencontrons des cas de ce genre presque quotidiennement.
Je répète que c'est dans de telles situations que la relation entre la santé publique et la prévention des infections dans des établissements est importante. Nous travaillons souvent en étroite collaboration avec nos collègues de la santé publique à mettre au point des lignes directrices à l'intention des personnes atteintes d'un organisme résistant aux antibiotiques et qui sont sur le point de quitter l'hôpital pour réintégrer leur milieu familial. Nous leur disons de mettre l'accent sur le lavage des mains et les bonnes pratiques générales d'hygiène et de se tenir à l'écart des personnes vulnérables jusqu'à ce qu'elles recouvrent la santé.
Nous avons publié des lignes directrices, que la population peut consulter. Des feuillets d'instructions sont disponibles dans la plupart des régions du Canada. Cela nous ramène au fait que l'infrastructure en place doit consacrer suffisamment de fonds aux professionnels de la santé publique et aux professionnels en prévention des infections pour que ceux-ci puissent fournir des conseils d'expert et des services de consultation à de telles personnes.
Le sénateur Enverga : Pour revenir aux vaccins, pensez-vous que ces compagnies pharmaceutiques évitent de mettre au point de nouveaux médicaments pour des raisons culturelles ou politiques, que le gouvernement pourrait peut-être tenter de mettre au clair?
Dr Patrick : Je ne vois pas de grand problème sur le plan de l'approvisionnement des vaccins. On développe beaucoup de vaccins. Bien sûr, il serait bon de pouvoir prévenir certaines de ces infections bactériennes par des vaccins. Des recherches dans ce sens sont en cours. Là où l'industrie présente des lacunes, et je dirais qu'il s'agit essentiellement de problèmes liés au marché, c'est sur le plan de la production des antibiotiques. La vente des antibiotiques — comme nous voulons désormais les utiliser — ne rapporte tout simplement pas assez d'argent aux actionnaires pour les inciter à soutenir les coûts de la recherche.
Cela veut dire que nous devons faire preuve d'imagination. Le marché libre peut faire bien des choses, mais il ne nous donnera probablement pas d'antibiotiques. S'il le faisait, nous nous retrouverions probablement avec le même problème que nous avions dans les années 1940 et 1950, quand les gens se disaient : « Nous en avons beaucoup, alors vendons en autant que possible à tout le monde. » De toute évidence, nous ne pouvons pas agir de cette manière avec les antibiotiques.
Le président : J'aimerais revenir à deux ou trois sujets et vous poser une question générale.
Docteur Patrick, quand vous avez présenté tous ces renseignements intéressants sur les aînés, je crois que c'est vous qui avez fait remarquer que les jeunes n'ont que peu de résistance à l'égard d'une certaine bactérie — peut-être l'E. coli —, tandis que les aînés présentent une résistance de 70 p. 100. Pourriez-vous en dire plus sur le sujet?
Dr Patrick : Oui. Nous avons tous les deux fait référence à l'E. coli, parce qu'il s'agit de l'organisme qui crée 80 p. 100 des infections urinaires. Deux ou trois autres organismes contribuent également à celles-ci. Ces infections se produisent beaucoup plus souvent chez les aînés, surtout ceux qui vivent dans des établissements de soins de longue durée. C'est logique qu'il en soit ainsi puisqu'on administre progressivement de plus en plus d'antibiotiques à cette tranche de la population, pour traiter non seulement les infections urinaires, mais aussi les infections respiratoires. Si j'utilise un médicament à base de quinolone pour traiter une infection respiratoire, je vais créer de la résistance à l'égard de ces médicaments dans les voies urinaires aussi. La prescription excessive de médicaments, par réflexe, dans bien des établissements de soins de longue durée contribue beaucoup à ce problème.
Le président : J'ai pensé que c'était peut-être le cas, mais je voulais qu'on me l'explique parce que, la remarque en soi était intéressante.
Docteur Conly, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que la résistance aux antibiotiques est un problème urgent et très grave. Si on fait un survol du problème, il serait difficile d'imaginer un risque potentiellement plus grand pour la santé humaine que la résistance aux antibiotiques et les occasions que celle-ci donnerait à la flore microbienne de nous intégrer à ce biodôme auquel vous faites allusion.
Depuis que nous comprenons comment traiter les infections bactériennes, nous sommes beaucoup plus sensibilisés au problème dans la profession médicale et la population en général. Dans les années 1950 et 1960, il est devenu évident que des bactéries étaient transmises sur les aliments pendant la distribution dans les chaînes alimentaires. Les gouvernements de bien des pays ont dépensé beaucoup d'argent pour voir comment remédier au problème. Une des solutions qui a été suggérée à l'époque, était la radiation nucléaire et, dans les années 1970 et 1980, le Canada était un chef de file mondial dans cette technologie.
Cela n'a abouti à rien compte tenu de la peur universelle éprouvée par la population en entendant le terme « nucléaire ». Les distributeurs d'aliments ne voulaient pas fournir de la nourriture sur laquelle il fallait apposer une icône indiquant que celle-ci avait été irradiée. À ce moment-là, on promettait que l'irradiation nucléaire éliminerait 100 p. 100 des microorganismes qui étaient une source de préoccupation dans les viandes et les aliments emballés.
Nous voici 40 ou 50 années plus tard, et non seulement des bactéries sont transmises sur les produits alimentaires, mais nous avons aussi eu, comme tout le monde ici le sait, de graves épidémies de pathogènes d'origine alimentaire dans certaines régions de l'Amérique du Nord. Nous sommes maintenant aux prises avec cet immense problème de résistance aux antibiotiques, que nous nous sentons encore plus poussés à régler après avoir entendu votre exposé clair et pénétrant sur la gravité de la situation, notamment le fait que des organismes de ce genre pourraient être transmis par les aliments.
D'après vous, est-ce que la technologie d'aujourd'hui en matière de radiation nucléaire pourrait vraiment être une solution pratique à ce problème?
Dr Patrick : L'irradiation des aliments élimine le portage des bactéries. Je ne parlerais pas d'irradiation « nucléaire » étant donné que nous n'utilisons pas d'isotopes radioactifs. Essentiellement, nous utilisons une forme de rayonnement ionisant qui tue les bactéries sans laisser de résidu ou d'isotopes.
Vous avez parfaitement raison : la perception populaire des dangers ne correspond pas à la réalité de la technologie. Or, ce sont probablement les consommateurs qui détermineront l'utilisation de celle-ci.
Récemment, j'ai parlé avec le fournisseur d'un service de ce genre, qui occupe un créneau pointu en Colombie-Britannique. Ses marchés ciblent essentiellement les immunodéprimés, chez qui les risques d'infection sont très élevés. Il pourrait s'agir d'une solution si le problème devenait grave. Pour ma part, je serais enclin à prévenir le problème afin d'éviter des situations graves. Peut-être que c'est parce que je viens du milieu de la santé publique.
Je tiens à souligner autre chose. H.G. Wells avait raison. Les microbes sont nos amis. Ce sont eux qui ont vaincu les Martiens à la fin du film La Guerre des mondes, parce que nous étions immunisés du fait que nous vivions avec eux depuis des millénaires. La plupart des microbes nous sont bien utiles. De nombreux éléments de preuve montrent que les enfants qui explorent davantage la nature, par exemple, en ayant un chiot, ont tendance à être en meilleure santé et à moins faire de l'asthme. Nous ne voulons pas créer des enfants-bulles, dans une société-bulle.
Dans un cas extrême, il pourrait s'agir d'une solution, mais je dirais que nous aurions avantage à prévenir le problème, si possible.
Dr Conly : Je vais répondre en disant que, oui, cela fait peut-être partie de la solution. Monsieur le sénateur, j'aimerais vous remercier d'avoir abordé ce sujet.
Pendant que j'étais en congé sabbatique à l'OMS, j'ai vécu en Suisse pendant un an. Les Suisses irradient le lait, qui peut alors rester sur une tablette sans être réfrigéré — et il a bon goût.
Je crois que cela fait partie de la solution. Comme vous l'avez si bien fait remarquer, les consommateurs ont une phobie de la nourriture ayant subi un rayonnement ionisant. De plus, certains consommateurs croient que lorsqu'un aliment est irradié, il n'a pas aussi bon goût.
Cela nous ramène à la question du vin, de la bière et des fromages — et beaucoup de ces bactéries jouent un rôle important, notamment les probiotiques et les lactobacilles. Nous voulons les garder parce qu'ils contribuent en fait au goût que nous aimons. Certaines personnes aiment les fromages non pasteurisés, et elles les mangent malgré les risques de contracter les maladies de Brucella et de Bang parce qu'ils ont meilleur goût. On m'a dit que je n'ai pas mangé de vrai fromage tant que je n'ai pas mangé du fromage non pasteurisé.
C'est un sujet très délicat parce que la technologie a un effet sur les papilles gustatives des humains. Dans les régions à haute production, où il y a des producteurs de viande et d'autres aliments, surtout de grandes installations de production, l'irradiation pourrait jouer un rôle. Vous avez soulevé une bonne question sur laquelle il importe de se pencher pour déterminer où la technologie pourrait être utilisée, mais il ne s'agit certainement pas d'une solution à tout, parce que nos aliments deviendraient fades.
Le président : Absolument. J'ai parlé de cette technologie dans le cadre de votre approche multidimensionnelle de ces questions. Je suis assez bien renseigné sur le sujet. L'établissement de recherche nucléaire de Whiteshell, au Manitoba, était un chef de file dans ce domaine. On a dû fermer ses portes à cause des craintes de la population. À cette époque, la population allait exiger l'apposition d'une icône sur tous les aliments emballés pour indiquer qu'ils avaient été irradiés. De nos jours, si nous utilisions le terme rayonnement ionisant, comme vous l'avez fait, docteur Patrick, peut-être qu'il serait possible d'avoir recours à une autre icône, qui aurait une connotation différente. Je pense que nous pourrions nous en servir comme arme.
En ce qui concerne les aliments crus, là aussi, il y a des gens qui s'exposent au danger. En effet, on peut éprouver un certain enthousiasme et peut-être aussi de la satisfaction à l'idée de prendre de sérieux risques en consommant ceux-ci.
Docteur Patrick, tout à l'heure, en faisant allusion au Dr Conly par rapport à l'Alberta et à la Colombie-Britannique, vous avez abordé une autre conséquence involontaire, dont nous avons entendu parler hier, soit celle des politiques publiques. Votre remarque très humoristique concernant la Colombie-Britannique et l'Alberta faisait référence à certains problèmes en matière de politiques publiques, et nous avons compris à quoi vous faisiez allusion.
Vous avez merveilleusement bien couvert les divers volets de cette question très importante. Je peux vous dire que les membres du comité ont été très réceptifs à vos exhortations très pressantes. Nous en sommes à la quatrième étape de notre étude, et certaines de vos recommandations correspondent à celles que nous avons formulées avec insistance sur différents aspects dans nos rapports précédents, soit l'urgence de procéder à la collecte et à l'analyse de renseignements en temps réel de même que l'urgence de transmettre les résultats aux professionnels de la santé en temps réel. Au comité, nous sommes stupéfiés du fait que, à l'ère électronique, nous n'en sommes pas là où plusieurs d'entre nous pensaient que nous étions, et vous nous avez montré d'autres dimensions du problème.
J'insiste là-dessus parce que vous avez tous deux parlé de la nécessité de présenter des recommandations pragmatiques qui peuvent être suivies et donner des résultats. Voilà justement le mandat du comité, de formuler des recommandations qui peuvent être mises en pratique et entraîner des changements. Si, en tout temps avant la fin de notre étude ce printemps, vous avez un de ces moments « eurêka », pourriez-vous communiquer avec notre greffière? Nous vous en serions très reconnaissants.
J'aimerais aussi remercier mes collègues de leurs questions perspicaces. Je vous remercie de votre contribution exceptionnelle par vos réponses aujourd'hui.
(La séance est levée.)