Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 9 - Témoignages du 27 mars 2014
OTTAWA, le jeudi 27 mars 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour poursuivre son étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada.
SUJET : La nature des conséquences involontaires de l'emploi de produits pharmaceutiques sur ordonnance.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je m'appelle Kelvin Ogilvie, je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité. Je vais demander à mes collègues de se présenter, à commencer par ma droite.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l'Ontario.
La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto, Ontario.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Cordy : Je m'appelle Jane Cordy et je suis une sénatrice de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.
Le président : Merci, chers collègues. Nous poursuivons notre discussion et notre étude des produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada. Il s'agit du quatrième et dernier volet de l'étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance. La présente section porte sur les conséquences imprévues.
Aujourd'hui, nous avons la chance d'entendre des chercheurs dans le domaine de la pharmacothérapie. Je vais les présenter avant qu'ils ne commencent leur exposé, puis nous allons passer à la séance de questions. On a décidé que c'est le Dr David Juurlink, chef de la Division de la pharmacologie clinique et de la toxicologie, Centre des sciences de la santé Sunnybrook et de l'Institut de recherche en services de santé qui va commencer.
Dr David Juurlink, chef, Division de la pharmacologie clinique et de la toxicologie, Centre des sciences de la santé Sunnybrook, Institut de recherche en services de santé : Merci et bonjour. Comme l'a mentionné le sénateur Ogilvie, je suis médecin au Centre des sciences de la santé Sunnybrook. Je suis spécialiste de la médecine interne et de la pharmacologie clinique. Outre mes activités cliniques, je mène un programme de recherche dans le domaine de l'innocuité des médicaments.
On m'a demandé de parler des conséquences imprévues des médicaments sur ordonnance. Le sujet est vaste, comme vous le savez, mais il importe à tous les Canadiens, parce que presque tout le monde finit par prendre un médicament d'ordonnance ou en prendra un à un moment ou un autre.
Des milliers de Canadiens quittent le cabinet du médecin chaque jour avec une ordonnance en main. Ils s'attendent à ce que ces médicaments aient l'effet que le médecin voulait : atténuer leur douleur ou peut-être rallonger un peu leur espérance de vie, et ils espèrent qu'il en sera ainsi. Malheureusement, nombre des médicaments d'ordonnance ne font ni l'un ni l'autre. Tout médicament que nous prescrivons comporte un certain risque et, par conséquent, les Canadiens subissent parfois de graves effets néfastes et meurent même parfois à cause des médicaments prescrits avec les meilleures intentions. Personne ne peut vous dire la fréquence exacte de tels incidents, mais, comme j'en vois directement les conséquences chaque jour et que j'étudie le phénomène, je peux vous dire qu'il survient beaucoup plus souvent que ne le croient les patients et les médecins.
Lorsqu'un médicament est prescrit à un grand groupe de gens, il y aura inévitablement des conséquences néfastes. C'est tout simplement la nature de la pharmacothérapie. Il convient d'examiner les raisons pour lesquelles les effets néfastes des médicaments se font sentir beaucoup plus souvent qu'ils le pourraient. Sans une telle discussion, il n'y a tout simplement aucune perspective d'amélioration.
Je tiens à préciser que les conséquences imprévues des médicaments d'ordonnance ne sont pas seulement la faute des médecins, des patients, des organismes de réglementation ou des compagnies pharmaceutiques, mais chacun de ces intervenants joue un rôle concernant l'origine du problème et a la possibilité d'améliorer la situation.
La question de l'introduction d'un médicament sur le marché est importante. Pour qu'un nouveau médicament soit approuvé, le fabricant doit prouver à Santé Canada qu'il a l'effet voulu, c'est-à-dire qu'il est bénéfique, et qu'il présente un risque minime. On le fait habituellement par l'intermédiaire d'un essai clinique, un type de recherche axé sur des patients qui prennent le médicament et d'autres qui ne le prennent pas. Un essai bien fait peut nous donner une idée des effets d'un médicament.
Ces études ne sont pas parfaites. Elles portent sur des patients soigneusement sélectionnés qui diffèrent très souvent de ceux qu'on voit dans la réalité. Je ne saurais trop insister sur l'importance de ce fait. Les essais portent souvent sur de petits groupes et ne durent pas longtemps. Ils portent souvent sur des effets qui semblent importants, mais qui, en toute franchise, ne le sont pas; des changements du taux de cholestérol, de la pression artérielle ou de la glycémie, plutôt que, par exemple, une réduction des crises cardiaques ou des AVC. Lorsqu'une compagnie apprend que son produit entraîne des résultats peu reluisants, elle n'a aucune obligation de publier l'information. Par conséquent, les médecins et les patients peuvent être induits en erreur, et ce que nous croyons savoir des bénéfices et des risques d'un médicament est souvent faux.
En plus de fonctionner avec ces incertitudes, nous délivrons beaucoup plus d'ordonnances que nous le devrions. Il en est ainsi pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il y a, dans une certaine mesure, une attente sociétale selon laquelle, si vous avez un problème, il doit y avoir un médicament pour le régler. Bien des patients, par exemple, insistent sur le fait qu'ils ne peuvent pas dormir sans prendre une pilule. C'est le cas de ma grand-mère. D'autres croient qu'un mal de gorge ou une toux exige automatiquement un antibiotique. Bien sûr, ce n'est pas tout le monde qui croit cela, mais nombre de mes patients, lorsqu'ils consultent leur médecin parce qu'ils ont un problème, s'attendent à obtenir une ordonnance.
Si nous sommes un pays qui aime les pilules, ce n'est pas seulement la faute du patient. De toute évidence, c'est en partie la faute du médecin. Collectivement, les médecins sont trop prompts à prescrire des médicaments. Ça arrive parfois parce que le patient nous pousse à le faire, mais, plus souvent qu'autrement, c'est parce que nous voulons aider les gens. Pour la plupart d'entre nous, c'est pourquoi nous avons fait des études en médecine. Les médicaments sur ordonnance sont l'un des plus importants outils à notre disposition, mais, à mon avis, nous ne procédons pas toujours à une évaluation ou à un examen adéquat des risques et des bénéfices d'un médicament avant de prendre notre carnet d'ordonnances.
L'industrie pharmaceutique a un énorme rôle à jouer à ce chapitre. Ses activités visent non pas à rendre le monde meilleur, mais à faire de l'argent, qui vient de la vente de ses produits. J'ai déjà mentionné que ces compagnies ne publiaient pas toujours les conclusions peu reluisantes, mais ce n'est pas tout. Elles offrent d'innombrables échantillons gratuits aux cabinets de médecin, ce qui peut sembler une bonne idée, mais il s'agit simplement d'un outil promotionnel, sans plus. Elles commanditent des discussions informatives dans des restaurants haut de gamme, où des experts grassement rétribués parlent de leur produit à d'autres médecins. L'industrie soutient la création de directives sur le traitement et de groupes de défense des intérêts des patients, ce qui est une bonne chose à certains égards, mais aussi un type de promotion.
Voilà ce qui explique en partie pourquoi les médecins prescrivent pour 30 milliards de dollars de médicaments chaque année au Canada, mais un tel volume d'ordonnances entraîne d'énormes risques pour la population. J'aimerais vous donner un exemple tangible des conséquences imprévues d'un médicament sur ordonnance. Il illustre ce que je considère comme l'une des plus graves crises touchant l'innocuité des médicaments qui menacent les Canadiens d'aujourd'hui.
Nous avons tous éprouvé de la douleur à un moment ou à un autre, et c'est une réalité de la vie. Des millions de Canadiens vivent quotidiennement avec la douleur à cause de l'arthrite, de la fibromyalgie ou d'une maladie de la colonne vertébrale, et aussi d'autres troubles. Il s'agit d'un immense problème, qui peut sérieusement compromettre la qualité de vie. Les patients ne veulent pas ressentir de douleur, et les médecins veulent aider. Les médicaments d'ordonnance sont une mesure commune pour traiter la douleur chronique. Toutefois, le problème, c'est que pour bien des patients, ces médicaments ne fonctionnent pas très bien. Que penseriez-vous si je vous disais que plus de 10 000 Canadiens sont morts, dans les 20 dernières années, à cause d'analgésiques d'ordonnance comme l'OxyContin et le Dilaudid? Ce chiffre semble élevé, et il l'est, mais, en fait, à Santé Canada, personne ne peut vous donner le nombre exact de décès survenus pour cette raison. Lorsque je dis 10 000, je vous donne ce que je crois être une estimation prudente. Pour chaque mort, il y a des dizaines — probablement des centaines — de gens qui ont souffert de dépendance et de ses conséquences. C'est une épidémie, et elle commence dans le cabinet du médecin.
Je vais expliquer brièvement, en termes généraux, ce qui est arrivé. Imaginez un homme de 45 ans, un mécanicien, qui consulte son médecin pour des maux de dos. Ils sont persistants et compromettent son travail et sa qualité de vie. Bien sûr, le médecin veut aider. Selon la cause, il y a peut-être des options autres que les médicaments, mais elles sont peut-être onéreuses, comme la physiothérapie, ou invasives, comme la chirurgie, ou peut-être trop difficiles à mettre en œuvre, comme la perte de poids et l'exercice. Dans les années 1990, le médecin aurait pu commencer à traiter le patient à l'acétaminophène ou au Tylenol. Si cela ne fonctionnait pas, il aurait pu passer à des médicaments comme Motrin ou Naprosyn ou à n'importe quel autre d'une dizaine d'anti-inflammatoires. Ces médicaments aident certaines personnes, mais ils peuvent causer des problèmes rénaux, des hémorragies de l'estomac et des ulcères mettant la vie du patient en péril. Tous les médecins savent cela et, à la lumière de l'enseignement et de l'expérience, ils en sont venus à respecter le risque que présentent ces médicaments.
Au milieu ou vers la fin des années 1990, les choses ont changé. Les médecins ont commencé à prescrire de puissants analgésiques, comme l'OxyContin, beaucoup plus facilement. Ces médicaments sont des opioïdes, et leur composition chimique est semblable à celle de l'héroïne. Si cette description semble exagérée, croyez-moi, ce n'est pas le cas. Pourquoi les médecins ont-ils commencé à le faire? Nous l'avons fait en partie parce que les autres médicaments à notre disposition ne fonctionnent pas bien et que nous en craignions les effets secondaires. Nous avons également adopté les opioïdes parce que des experts nous ont dit de le faire; des chefs d'opinion clés nous l'ont conseillé. Ces gens ont touché d'énormes montants de fabricants de médicaments pour présenter exposé après exposé devant des médecins de première ligne. Dans le cadre de ces exposés, ils ont parfois exagéré les effets bénéfiques de ces médicaments et minimise leurs risques et ils ont laissé entendre que ces médicaments causaient beaucoup moins de dépendance que ce qu'on croyait auparavant. Ils prétendaient que les médecins qui hésitaient à prescrire des opioïdes à leurs patients souffrant avaient une crainte excessive à l'égard des opiacés et faisaient beaucoup de tort à leurs patients. Certains de ces experts ont même transmis de l'information inexacte à des milliers d'étudiants en médecine, en médecine dentaire et en pharmacologie et, à au moins une occasion, une compagnie pharmaceutique a produit un manuel contenant des données fausses, biaisées et dangereuses et l'a distribué gratuitement à des milliers d'étudiants en médecine et en médecine dentaire au Canada. Ces gens délivrent maintenant des ordonnances.
Par conséquent, notre façon de traiter la douleur s'est transformée en profondeur. Il y a quelques années, quelques collègues et moi-même avons publié un article dans le Canadian Medical Association Journal révélant que, de 1991 à 2007, les ordonnances d'oxycodone, l'ingrédient actif dans l'OxyContin, ont augmenté de 850 p. 100 en Ontario. Ce médicament est plus puissant que la morphine. Certains considèrent qu'il s'agit d'un meilleur traitement de la douleur. Je ne partage pas leur avis. Pensez à ceci : on a autorisé l'introduction de ces médicaments sur le marché canadien parce que, lors de petits essais cliniques durant quelques mois, ils ont réduit l'intensité de la douleur ressentie davantage que des comprimés de sucre ou des placebos. Ces études ont été menées auprès de gens relativement en santé, sans facteurs de risque connus à l'égard de la dépendance, les gens qui ne prenaient pas de somnifères ni d'antidépresseurs, ne consommaient pas d'alcool de façon excessive. C'est la raison pour laquelle Santé Canada a permis l'introduction de ces médicaments sur le marché et c'est la raison pour laquelle des experts nous ont dit de les utiliser — pas seulement pendant quelques semaines, mais durant des années — au besoin, et à des doses qui auraient été inimaginables en 1990 et n'auraient jamais été permises même dans les essais. Maintenant, il y a des millions de comprimés de ce qui est essentiellement de l'héroïne de qualité pharmaceutique distribués chaque année au Canada. Certains patients se rétablissent, mais beaucoup d'autres, pas, et ils deviennent dépendants de ces médicaments et ne peuvent cesser de les prendre sans éprouver d'horribles symptômes de sevrage aux opioïdes. Leur corps s'accoutume au médicament; on augmente la dose. Il arrive qu'ils prennent une dose supplémentaire ou avec de l'alcool ou un somnifère et qu'ils ne se réveillent tout simplement pas. Dans d'autres cas, les effets euphorisants prennent le dessus sur la vie, et la personne commence à réduire les comprimés en poudre et à l'inhaler ou à se l'injecter. Ils empruntent et volent des médicaments de membres de la famille et d'amis ou l'achètent dans la rue pour 20 ou 40 $ le comprimé, afin d'assouvir leur besoin chronique. L'héroïne est bon marché, et elle gagne de plus en plus en popularité. C'est exactement ce qui arrive.
De façon générale, c'est pourquoi plus de 10 000 Canadiens sont morts aujourd'hui et c'est pourquoi ces médicaments ont ruiné plus de vies que quiconque vous le dira. Le phénomène tire son origine d'ordonnances bien intentionnées qui, selon moi, n'était pas le fruit d'une décision éclairée. C'est seulement un aperçu des conséquences imprévues des médicaments sur ordonnance au Canada, mais je crois que cela représente la menace la plus urgente à laquelle nous faisons face aujourd'hui, et il y a de précieuses leçons à tirer de cette histoire, qui s'appliquent souvent à d'autre médicaments et maladies.
Sur ce, je vais conclure et je vous remercie beaucoup de m'avoir donné l'occasion de vous parler ici aujourd'hui.
Le président : Merci, docteur Juurlink.
Je vais maintenant donner la parole à M. Abrahamowicz. M. Abrahamowicz est titulaire de la chaire James McGill, Département d'épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail à l'Université McGill. Vous témoignez à titre personnel. Nous sommes ravis de vous accueillir.
Michal Abrahamowicz, professeur James McGill, Département d'épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail, Université McGill, à titre personnel : : Merci beaucoup de m'avoir invité. C'est à la fois un honneur et un défi que d'être ici. Je suis chercheur, non pas clinicien. En fait, je suis biostatisticien, alors mon point de vue se fonde plutôt sur la recherche fondée sur l'agrégation. Mon propos complétera peut-être en partie celui du Dr Juurlink. J'ai produit un mémoire imposant, mais je vais seulement vous en présenter ici les grandes lignes et les renseignements connexes.
Je vais commencer par un autre exemple saisissant d'effets involontaires bien établis. Il s'agit probablement de l'étude la plus solidement étayée de l'histoire. L'exemple se rattache au médicament extrêmement répandu vendu sous le nom de Vioxx — le nom scientifique du médicament est rofécoxib —, extrêmement réputé pour le traitement de différents troubles arthritiques, comme la polyarthrite rhumatoïde.
Le 30 septembre 2004, le géant pharmaceutique Merck a décidé de retirer ce médicament du marché. La FDA avait approuvé le médicament, comme le décrivait le Dr Juurlink, cinq ans plus tôt, en 1998. Vioxx a été retiré du marché à la suite d'un essai qui n'avait pas pour objectif principal d'évaluer la sécurité cardiovasculaire; il visait autre chose. Toutefois, à la suite d'analyses des résultats d'essais en cours, les gens ont constaté un risque considérable — deux fois plus élevé — de problèmes cardiovasculaires pouvant entraîner la mort, particulièrement des AVC et ce qu'on appelle des infarctus du myocarde, ou crises cardiaques comme on le dit couramment. Les sujets consommant du Vioxx étaient exposés à un risque plus de deux fois plus élevé que ceux qui n'en prenaient pas. Comme il s'agissait d'un essai randomisé, il était certain que ce risque était lié au médicament.
Quelles sont les conséquences pour la société en général? Merck a fait une promotion dynamique de Vioxx. En 2004, lorsqu'il a été retiré, on estimait que le chiffre d'affaires annuel était de l'ordre de 2,5 milliards de dollars américains à l'échelle mondiale. Il était vendu dans plus de 100 pays. On estime qu'environ 80 millions de gens, partout sur le globe, ont consommé du Vioxx à un moment durant les cinq années où le médicament était sur le marché. À cette époque, on estimait que plus de 10 millions d'ordonnances pour le Vioxx étaient délivrées chaque mois aux États-Unis seulement. Cela avait une immense incidence sur la sécurité de la population.
L'essai initial approuvé et d'autres études ont révélé l'existence d'un risque plus de deux fois plus élevé et, en ce qui concerne les chiffres particuliers — en ma qualité de biostatisticien, les chiffres m'attirent —, on estimait qu'environ 1,6 p. 100 des patients connaîtraient un trouble cardiovasculaire additionnel s'ils consommaient du Vioxx plutôt que de ne pas le faire. Plus précisément, il y avait une incidence de 3,5 p. 100 chez ceux qui prenaient le médicament, par rapport à 1,9 p. 100 chez ceux qui ne le prenaient pas. Cela signifiait que, pour chaque million de consommateurs à long terme de Vioxx — et je vais expliquer pourquoi je dis « long terme » — il y aurait environ 16 000 ou de 10 000 à 20 000 problèmes cardiovasculaires graves supplémentaires, qu'on aurait pu prévenir si le patient ne prenait pas ce médicament.
À la lumière de cette information, l'un des chefs de file dans le domaine de la cardiologie, le Dr Topol, a publié un article selon lequel on aurait probablement pu empêcher plusieurs milliers, peut-être même des centaines de milliers, de ces cas à l'échelle mondiale si le risque cardiovasculaire associé au médicament avait été détecté plus tôt. Le médicament avait été sur le marché pendant cinq ans.
Il serait intéressant de savoir quelles étaient les raisons d'un tel retard? Pourquoi est-ce que cela a pris cinq ans? Tout d'abord, les essais initiaux à l'origine de l'approbation, comme le Dr Juurlink l'a mentionné, visent surtout l'efficacité du médicament. Ils sont à court terme et portent sur un échantillon limité et un nombre de patients limité. Dans le cas particulier de l'essai à l'origine de l'approbation de Vioxx, le suivi durait en moyenne seulement neuf mois. Or, dans les autres études approuvées, le risque cardiovasculaire associé au Vioxx commençait à augmenter après environ un an de traitement. Alors, l'essai initial était trop bref pour que l'on puisse détecter toutes les conséquences. Malgré cela, lorsque j'ai regardé la publication initiale, j'ai constaté avec intérêt qu'on avait déjà constaté une augmentation non aléatoire significative sur le plan statistique des infarctus du myocarde, mais pas des AVC. Cependant, on a décidé de ne pas en tenir compte parce que les chiffres étaient modestes. Il s'agissait de 0,4 p. 100 dans un groupe de consommateurs de Vioxx. N'oubliez pas qu'il s'agissait d'un essai de courte durée.
Il est intéressant de constater que, dans l'intervalle, pendant que Vioxx était sur le marché, des études épidémiologiques à grande échelle, du type de celles que mène le Dr Juurlink, effectuées aux États-Unis indiquaient une augmentation systématique du risque cardiovasculaire. On en a fait fi ou on a décidé de ne pas en tenir compte parce qu'il ne s'agissait pas d'essais randomisés et que, par conséquent, ils n'étaient pas assez rigoureux malgré le fait qu'il s'agissait d'études de pointe et que le résultat était systématique.
De plus, les gens qui s'attachent aux propriétés chimiques et biologiques avaient élaboré des données scientifiques de base. Ils ont fait la preuve expérimentale des mécanismes particuliers que, en ma qualité de statisticien, je ne saurais décrire entièrement, mais selon lesquels le Vioxx et des médicaments semblables faisaient augmenter la pression artérielle. Cela entraîne une réaction excessive à la rupture de plaques, causant de graves problèmes cardiovasculaires.
On a fait fi de toutes ces données pendant longtemps, jusqu'au moment où il était devenu impossible de le faire, et la compagnie a alors retiré le médicament. Bien entendu, il s'agit d'un exemple des plus graves. Nous avons des collègues qui ont passé au bulletin de nouvelles de CNN, entre autres, car c'était une histoire de grande envergure. Question de mettre cela en perspective, bien sûr, les problèmes découlant de médicaments ne sont pas nécessairement liés au danger biologique du médicament. Il peut y avoir d'autres problèmes.
Il y a eu une étude intéressante qui portait sur plus de 1 700 rappels de médicaments aux États-Unis de 2004 à 2011, alors presque deux rappels par semaine. Un médicament était rappelé pratiquement tous les deux jours. Or, il est intéressant de constater que, de ces rappels, seulement 5 p. 100 se rattachaient aux effets involontaires inhérents au médicament si la posologie était respectée, comme c'était le cas pour le Vioxx. La plupart des rappels étaient causés par des erreurs humaines liées à l'administration, à l'emballage, à la façon dont le médicament était administré, au mélange de la dose, à un étiquetage erroné, et ainsi de suite. Ces 5 p. 100 représentent tout de même une prévalence très importante et systématique d'effets involontaires du médicament.
En outre, encore une fois pour mettre les choses en perspective, les médicaments de cette catégorie ne sont pas tous aussi intenses et potentiellement fatals que le Vioxx. Comme l'a mentionné le Dr Juurlink, presque tous les médicaments ont des effets secondaires. Ils vont des effets secondaires mineurs, comme le besoin de se gratter ou des troubles du sommeil, aux effets graves et potentiellement fatals.
Joel Lexchin, de l'Université York et de l'Université de Toronto, s'est efforcé de remonter aux causes de 41 retraits de médicaments du marché canadien — je parle seulement de données canadiennes — de 1963, lorsqu'on a commencé à systématiquement évaluer les médicaments, à 2004.
Dans quatre de mes diapositives, j'ai directement reproduit les raisons. Nous voyons qu'elles varient. Certaines surviennent souvent, comme l'hépatotoxicité, mais d'autres raisons sont relativement mineures. Cela dépend du médicament, bien entendu. Cela dépend du mécanisme, de l'étude, de l'appropriation, et cetera. L'OMS, l'Organisation mondiale de la Santé, catégorise les différents types d'effets indésirables des médicaments. Il y a place à l'interprétation, mais je dirais qu'elle définit au moins ces cinq types d'effets indésirables.
Premièrement, il y a l'effet presque immédiat, directement lié au médicament introduit dans le plasma du patient et à sa réaction au médicament. Donnons comme exemple les effets bien établis de différents psychotropes sur les facultés cognitives, surtout chez les personnes âgées, qui prennent ce qu'on appelle une benzodiazépine, comme du Valium, un médicament répandu. Ces médicaments altèrent les facultés cognitives. Les gens ont tendance à avoir l'esprit un peu embrouillé, n'aperçoivent pas les marches ou la fin du trottoir et tombent et se cassent la jambe ou ont une blessure grave. Les effets immédiats du médicament lorsqu'il est pris sont bien établis. Il y a d'autres effets. Il y a des effets dits idiosyncratiques, ce qui signifie qu'on les observe systématiquement dans des études épidémiologiques, mais le mécanisme n'est pas connu, alors la preuve est un peu plus faible. Il y a aussi un effet cumulatif lié à l'utilisation chronique, à long terme, du médicament. Il y a également un effet différé, parfois de plusieurs années. Par exemple, un médicament pris durant la grossesse peut avoir des répercussions sur le bébé après la naissance. En outre, différents effets peuvent se rattacher aux modalités d'administration du médicament. Cela ne se limite pas au fait de prendre le médicament; il y a notamment la posologie et la durée du traitement.
J'emploie l'exemple de l'étude canadienne récemment menée par notre groupe. Nous avons examiné la corrélation entre les glucocorticoïdes, une thérapie très répandue pour contrôler la polyarthrite rhumatoïde en réduisant l'activité et l'inflammation, et le risque d'infections graves. À l'aide d'une vaste base de données administrative au Québec, nous avons repéré, parmi 16 000 patients âgés, 1 800 cas d'infections si graves que le patient a dû être hospitalisé. Nous avons pu démontrer, comme on l'avait déjà démontré avant, que les glucocorticoïdes étaient associés, de façon statistiquement significative, à un risque accru.
Cependant, je tiens à insister sur le fait que le risque dépendait largement des modalités d'administration du médicament. Les gens qui ont pris le médicament durant les quatre dernières semaines selon une posologie modérée étaient exposés à un risque accru de 10 p. 100, ce qui est probablement mineur. S'ils prenaient la même dose pendant les six derniers mois, l'augmentation était de 50 p. 100. S'ils suivaient cette posologie pendant trois ans, le risque doublait.
Par ailleurs, le risque doublait de la même façon si le patient prenait le médicament pendant quatre semaines seulement, mais à fortes doses, soit 40 milligrammes. Il y a un lien entre la dose et la durée. Si le patient prenait la forte dose pendant les trois derniers mois, le risque d'infection grave augmente de façon draconienne : il est cinq fois plus élevé.
Tout cela pour dire que, selon moi, nous devons évaluer les médicaments, mais nous devons aussi évaluer le lien avec leurs modalités d'administration. Lorsqu'un médicament est introduit sur le marché, c'est parce qu'il y a des données probantes à l'appui de ses bienfaits thérapeutiques. Nous devons mieux évaluer la relation entre les risques et les avantages, ce qui peut nous aider à optimiser le traitement et à décider, par exemple, que nous devrions éviter la bioaccumulation du médicament. Peut-être devrait-il y avoir une fenêtre thérapeutique; une personne ne devrait pas suivre la même thérapie, surtout à forte dose, sur une période trop longue.
Il y a d'autres difficultés sur le plan de la méthode, mais je n'ai pas le temps de les aborder. Merci beaucoup, et pardonnez-moi d'être allé trop vite.
Le président : Pas du tout.
Avant de passer aux questions, je tiens à rappeler à mes collègues que nous avons étudié le système d'essais cliniques et que nous avons formulé des recommandations très importantes à cet égard, en ce qui concerne nombre des enjeux soulevés aujourd'hui. Je vais suivre vos questions de très près, et, lorsque nous avons déjà formulé d'importantes recommandations qui recoupent les propos avancés, il est possible que je coupe court à la réponse détaillée. Nous cherchons à obtenir de nouveaux renseignements directement liés aux conséquences imprévues, sujet à l'étude aujourd'hui, bien sûr. Ce n'est pas tout le monde qui a participé à notre étude en quatre volets.
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup, messieurs, d'avoir présenté votre exposé et de votre excellent travail qui fait votre réputation.
À la lumière de vos exposés, mes questions porteront sur trois secteurs : les habitudes de prescription des médecins; les rôles et les responsabilités des compagnies pharmaceutiques; et l'organisme de réglementation, à savoir Santé Canada.
En ce qui concerne les habitudes de prescription des médecins, un certain nombre de facteurs entrent en jeu ici. Nous avons parlé de l'usage impropre des médicaments sur ordonnance. Nous avons parlé de l'abus. Nous avons parlé des dépendances, et vous avez aussi mentionné ce phénomène. Je n'ai pas entendu parler des interactions médicamenteuses, mais c'est aussi un enjeu dans ce dossier.
Cela donne à penser, en grande partie, que les médecins doivent être beaucoup mieux éduqués et avoir accès à une formation continue relativement à leurs activités de prescription. Avez-vous des suggestions particulières sur la façon dont on pourrait y arriver, et devrait-on harmoniser les pratiques à l'échelle du Canada?
Dr Juurlink : C'est une excellente question. Je crois que l'éducation est un élément essentiel du maintien des compétences chez les médecins. J'ignore si l'éducation en soi va beaucoup changer la façon dont nous prescrivons des médicaments.
L'un des problèmes, c'est que les médecins sont, comme vous, des gens occupés. Certains doivent voir de 60 à 70 patients par jour dans leur cabinet, ils ont des tâches administratives à faire et ils doivent passer du temps avec leurs enfants et leur famille, alors ils n'ont pas autant de temps pour suivre des programmes d'éducation que vous pourriez le croire ou qu'ils aimeraient. Nous devons suivre, dans une certaine mesure, des programmes d'éducation continue. Pour bien des gens, la façon la plus facile d'y parvenir est d'assister à l'une des causeries que j'ai décrites dans mon exposé. Assister à une discussion animée par un expert sur un sujet particulier. Ces experts sont généralement bien intentionnés, mais ils ont des partis pris, conscients ou pas, et ils animent ces discussions à répétition pour la même compagnie et disent ce que veut la société.
Je crois que l'éducation est importante, mais, parfois, elle n'est pas offerte de façon optimale. Je crois que la meilleure façon pour les médecins de demeurer informés sur ces dossiers est d'assister à des conférences. Il arrive que ces événements soient aussi commandités par des compagnies pharmaceutiques, mais sans restriction, c'est-à-dire que les compagnies n'ont aucun contrôle sur le contenu, les conférenciers ou leurs propos.
Je me suis peut-être écarté un peu du sujet, mais je crois que l'éducation est importante. Dans quelle mesure va-t-elle améliorer les habitudes de prescription des médecins...? Les opioïdes sont un bon exemple. La raison pour laquelle nous sommes dans cette triste situation aujourd'hui, c'est que les médecins ont été éduqués pour faire ce que nous avons fait, et, a posteriori, ce n'était pas du tout la bonne chose à faire. Le désapprentissage est très difficile. L'apprentissage est relativement facile, mais le fait de modifier vos pratiques et de désapprendre quelque chose qu'on vous a appris et que vous ont transmis vos mentors est difficile. Je ne rejette pas en bloc la valeur de l'éducation; je suis seulement sceptique par rapport à son incidence sur la situation dans son ensemble.
M. Abrahamowicz : C'est le même enjeu pour l'éducation : il faut peut-être une éducation plus indépendante, offerte par des chercheurs, par exemple, qui n'ont pas d'intérêt personnel. Prenons notre société, la société internationale de pharmacologie, qui possède un volet canadien dynamique affecté à l'étude de l'effet des médicaments. Il est excellent. Parfois, nous obtenons de petites subventions de cette entité ou d'autres compagnies, mais elles n'influent en rien sur l'information présentée, la sélection des exposés ou les conférenciers invités.
Dr Juurlink : La question de la formation continue en pharmacothérapie, lorsque des représentants pharmaceutiques se rendent dans les cabinets de médecins et transmettent de l'information manifestement biaisée, c'est l'un des moyens qu'utilisent les compagnies pour se tailler une place et introduire leur médicament sur le marché. Certains ont proposé — c'est une bonne idée — une formation continue en pharmacothérapie indépendante financée par des gens qui n'ont pas d'intérêt autre que de délivrer des ordonnances optimales. C'est un projet onéreux, mais je crois qu'il aiderait vraiment.
Je crois qu'il serait préférable, au lieu du représentant pharmaceutique qui arrive dans le cabinet du médecin avec un gros dîner gastronomique, une foule d'échantillons et quelques articles choisis, que quelqu'un sans intérêt autre que d'offrir aux patients la meilleure thérapie possible arrive et dise : « Écoutez, voici les données probantes; c'est ce que vous devriez faire. »
L'Initiative thérapeutique en Colombie-Britannique était inégalée dans le monde. Vous pouvez consulter le site web maintenant et trouver toutes sortes de renseignements excellents et faciles à comprendre, très utiles aux médecins de première ligne. Si je comprends bien, l'IT est en péril, en partie, à tout le moins, pour des raisons partisanes en Colombie-Britannique. Je ne prétends pas connaître tous les détails.
Le sénateur Eggleton : Je crois que vous avez essentiellement répondu à ma deuxième question, qui portait sur les compagnies pharmaceutiques et le fait que des représentants sont souvent sur place aux conférences pour faire du réseautage et que l'éducation provient souvent de ces compagnies, bien que, selon Rx&D, elles soient assujetties à des règles qui les restreignent considérablement sur ce front depuis quelques années, mais l'éducation ou la formation indépendante est votre message, selon ce que je comprends.
Et qu'en est-il de l'organisme de réglementation? Que devrait faire l'organisme de réglementation dans le cas de ce problème d'ordonnance? J'ignore si vous avez vu le projet de loi C-17. Nous avons aussi un rapport intitulé S'abstenir de faire du mal : Répondre à la crise liée aux médicaments d'ordonnance au Canada, qui a été publié il y a un certain temps. Ces choses font-elles partie de la réponse? Que devons-nous faire de plus en matière de réglementation?
Dr Juurlink : Je crois que l'organisme de réglementation joue un rôle important dans les modalités d'administration des médicaments. J'ignore la mesure dans laquelle il a un rôle à jouer dans l'éducation des médecins, des pharmaciens ou du personnel infirmier. Une façon d'améliorer ce qu'il fait est d'accroître la transparence. Peut-être en avez-vous déjà parlé dans le cadre de vos réunions. Lorsqu'un nouveau médicament arrive sur le marché, l'essentiel de ce que nous en savons — à moins d'avoir le temps, le goût et de prendre l'initiative de consulter la littérature médicale et de l'analyser soi-même, ce que très peu de cliniciens font — l'essentiel de ce que nous savons provient de la compagnie, qui est, comme je l'ai déjà mentionné, partiale. Ce serait bien que Santé Canada publie quelque chose de plus que le résumé de ses motifs de décision, ce que fait le ministère seulement pour un nombre sélect de médicaments introduits sur le marché.
Le processus à l'origine des décisions en matière de réglementation est obscur. J'ignore ce qui se passe à Santé Canada — je ne peux pas vous le dire —, mais je suis certain que l'organisation a de l'information qui me serait précieuse, en ma qualité de médecin de première ligne qui prescrit des médicaments, et je n'y ai pas accès. J'imagine qu'il y a de multiples raisons, comme le secret commercial et je ne sais quoi, mais je crois que la chose que pourrait faire Santé Canada pour améliorer la qualité des ordonnances des médecins serait de faire un peu de lumière sur ce qui se passe derrière ses portes.
M. Abrahamowicz : L'exemple de Vioxx illustre bien le dilemme selon lequel, d'une part, lorsque le médicament est approuvé, la sécurité ne peut pas être pleinement évaluée, car la compagnie et, dans une certaine mesure, la société a hâte de commencer à utiliser le médicament et on ne peut pas attendre qu'il y ait assez de patients qui le prennent pour voir quels en sont les effets néfastes particuliers.
Un quelconque mécanisme pourrait rendre obligatoire une évaluation indépendante, disons, un an ou deux après l'introduction sur le marché du médicament. Au Canada, nous avons une vaste banque de données qui nous permettrait de le faire, mais il y a un problème d'accès à cet égard; certaines provinces rendent l'accès difficile. Ainsi, nous pourrions accélérer le processus; plutôt que de faire la découverte après cinq ans, nous la ferions après un an ou deux. De graves effets secondaires d'un médicament largement utilisé pourraient facilement être découverts après deux ans.
À l'heure actuelle, on procède plutôt à la va comme je te pousse. À un moment donné, un médecin ou un chercheur peut décider d'examiner le lien particulier entre un médicament et ces phénomènes, peut-être à cause des déclarations anecdotiques ou d'une certaine indication, découlant d'une étude scientifique fondamentale, comme dans le cas de Vioxx, où nous avons laissé entendre qu'un mécanisme particulier entrait en jeu. Il y a beaucoup de possibilités d'amélioration de la situation à l'aide de la recherche.
Je voulais mentionner que nous participions à une initiative très utile, à savoir le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments des Instituts de recherche en santé du Canada. À l'heure actuelle, l'accent est davantage mis sur l'innocuité. Les organismes de réglementation provinciaux et fédéraux nous soumettent des demandes, et nous essayons de répondre en évaluant des liens particuliers. Cela aiderait certainement les choses au Canada, et c'est déjà commencé, d'ailleurs. Il s'agit d'un processus très utile.
Le Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments accorde aussi beaucoup d'importance à l'utilisateur final, alors nous espérons pouvoir éduquer les médecins, bien que cela ne soit pas mon domaine.
Le président : Nous comprenons vraiment bien la position que vous défendez, docteur Juurlink, au chapitre de la transparence. Nous avons formulé d'importantes recommandations et avons comparé les pratiques dans ce domaine à l'échelle internationale, alors nous sommes entièrement de votre avis et avons défendu cette position. Nous reconnaissons l'importance de ce que vous avez dit.
La sénatrice Seidman : Docteur Juurlink, j'aimerais vous poser une question au sujet de votre institut et du type de recherche que vous faites, car je crois que cela nous aiderait un peu.
Vous avez un vaste dépôt de données composé des dossiers de santé en Ontario. Je suis certaine que c'est un outil très utile pour la recherche sur la santé de la population, car il ne se rattache pas à des patients particuliers, si je comprends bien, mais il est possible d'établir des liens.
Dr Juurlink : Nous avons des données relatives à la santé de patients particuliers. Elles sont toutes anonymisées — l'identité de la personne, leur assurance-médicaments, les consultations du médecin, les hospitalisations, les statistiques vitales — et nous pouvons établir un lien entre toutes ces données, comme le fait M. Abrahamowicz, d'une façon réfléchie, pour générer de l'information quant à l'innocuité des médicaments déjà sur le marché, une fois qu'ils figurent sur la liste des médicaments assurés.
La sénatrice Seidman : Comment déterminez-vous la priorité de vos sujets de recherche et comment les sélectionnez- vous?
Dr Juurlink : C'est une question difficile.
Tout d'abord, j'aimerais vanter les avantages de ce type de recherche, non seulement parce que c'est ce que je fais, mais aussi parce que c'est important, car, lorsque les médicaments sont introduits sur le marché, nous avons parfois une idée totalement incomplète de leur innocuité et de leur efficacité réelles. Et c'est seulement après qu'ils ont été administrés, comme dans le cas du Vioxx, et qu'ils touchent des centaines de milliers — des millions — de gens, que vous pouvez voir les signes et prendre des mesures en conséquence.
Il arrive que j'aie en tête 15 ou 20 idées d'études différentes, et j'accorde la priorité à celles qui sont les plus faisables et qui auront une incidence sur le plus grand nombre de personnes. C'est ce qui explique le nombre élevé d'études que nous avons menées récemment sur les opioïdes.
Si nous accordons la priorité aux médicaments destinés aux personnes atteintes de diabète ou de maladies du cœur et aux médicaments destinés à de grands nombres de personnes, ce n'est pas uniquement pour cela, mais également, dans une certaine mesure, parce que nous avons besoin de recueillir des données. Il est beaucoup plus facile de mener une étude sur un médicament utilisé par des centaines de milliers de personnes que sur un médicament qui n'est pris que par une quinzaine de personnes.
J'avancerai que, il y a de cela quelques années, la Colombie-Britannique était le meilleur endroit sur terre pour mener de telles études. Vous savez peut-être qu'on ne peut tout simplement plus mener des recherches de ce genre. Je me plais à penser que les recherches menées à l'initiative de chercheurs que j'ai le privilège d'effectuer et qui, selon moi, peuvent parfois influencer et modifier ce que fait un médecin dans son cabinet de North Bay, de Shubenacadie ou de Toronto, a quelquefois une incidence sur l'ordonnance remise au patient. J'adorerais avoir en ma possession des données du genre de celles dont on dispose en Colombie-Britannique, et même mes collègues de cette province qui mènent des travaux du genre sont réduits à l'impuissance par ce qui se passe là-bas en ce moment, et ils sont incapables de répondre aux questions auxquelles les Canadiens doivent obtenir des réponses.
La sénatrice Seidman : Vous avez commencé à répondre au deuxième volet de ma question, qui concerne l'application des résultats de recherche aux fins de l'élaboration des politiques, car, bien entendu, cette application est l'objectif même de la recherche. Je sais qu'une foule de chercheurs soutiennent que leur travail est de nature strictement scientifique, et qu'il revient ensuite exclusivement aux décideurs d'examiner leurs travaux et de les intégrer aux politiques. Je comprends tout à fait une telle vision des choses, mais, de toute évidence, ce n'est à peu près pas la peine d'effectuer toutes ces recherches si elles n'ont aucune répercussion concrète, et si elles ne nous permettent pas de mieux comprendre la manière dont nous et les médecins exerçons nos fonctions dans le monde réel et de mieux composer avec cela.
J'aimerais maintenant me pencher sur votre rapport annuel de 2012-2013.
Dr Juurlink : Le rapport publié par mon institut?
La sénatrice Seidman : Oui. Il y est question d'une étude sur la prescription, près de la frontière ontarienne, d'OxyContin à formulation conçue de manière à prévenir les emplois détournés, médicament qui avait été introduit sur le marché américain. Si je mentionne ce rapport, c'est qu'il a eu une incidence en Ontario, où il s'est traduit par des modifications législatives. En effet, il a eu une répercussion intéressante et importante sur le Programme de médicaments de l'Ontario, dans la mesure où il a mis fin à l'administration d'OxyContin générique.
Pourriez-vous nous expliquer comment on en est arrivé là? À votre avis, s'agit-il d'une bonne intégration des résultats de recherche aux politiques et aux pratiques?
Dr Juurlink : Vous voulez que je vous parle de l'étude ou de l'application de ses résultats?
La sénatrice Seidman : De la manière dont cette application s'est produite.
Dr Juurlink : Je vais d'abord résumer cette étude. Il y a de cela quelques années, le fabricant d'OxyContin a modifié la formulation de ce médicament de manière à ce que l'on ne puisse plus pulvériser les cachets et les inhaler par le nez. Cela visait à prévenir les emplois détournés. Il était toujours possible de consommer le médicament de façon abusive, mais il n'était plus possible d'écraser les cachets et de les renifler.
Une mesure semblable avait été prise deux ans auparavant aux États-Unis, en 2010. Ainsi, nous avons cru que, dans l'intervalle, il se pouvait que des gens viennent au Canada pour se procurer l'ancienne version d'OxyContin — dont les cachets pouvaient être écrasés et consommés de façon abusive —, et c'est exactement ce qui se passait. Il est intéressant de souligner que, dans le cadre de notre étude, nous avons examiné six villes frontalières, et que c'est précisément dans le corridor Detroit-Windsor que l'on a constaté une augmentation énorme et subite du nombre d'ordonnances d'OxyContin. Ce phénomène a duré pendant un an environ; si j'ai bonne mémoire, pendant cette période, quelque 250 000 comprimés de plus qu'à l'accoutumé ont été prescrits, et ces comprimés ont une valeur de plusieurs millions de dollars sur le marché noir, auquel ils étaient essentiellement destinés, du moins je le suppose.
À mon avis, si cette recherche a eu une incidence, c'est parce qu'elle a été menée par l'Ontario Drug Policy Research Network, organisation dont je suis l'un des principaux chercheurs et qui est commanditée par le gouvernement de l'Ontario. Les chercheurs de cette organisation collaborent avec les décideurs et entreprennent des recherches concernant des questions qu'ils se posent eux-mêmes ou des questions que leur posent les décideurs. En l'occurrence, il s'agissait d'une question que nous nous étions nous-mêmes posée. Nous avons cru qu'elle risquait de les intéresser, et ils nous ont effectivement dit de mener une recherche à ce sujet. Nous l'avons fait, et nous leur avons transmis nos résultats. Il ne s'agit peut-être pas en soi de la raison pour laquelle ils ont décidé de ne pas inscrire l'OxyContin générique dans le formulaire des médicaments de l'Ontario, mais je crois que les renseignements contenus dans notre étude ont contribué à cette décision. Si nous en sommes arrivés là, c'est grâce à l'étroite relation professionnelle que mes collègues et moi entretenons avec le ministre et le SMA en Ontario.
La sénatrice Seidman : Parmi les divers sujets dont nous avons discuté avec d'autres témoins, il y avait celui des communications, à savoir les communications entre les intervenants, les professionnels de la santé, les pharmaciens, les médecins et même les membres de l'industrie, puis, bien entendu, les communications avec les patients.
Selon votre expérience, et à la lumière de l'exemple très probant, à mon avis, que vous venez de nous donner, quelles recommandations pourriez-vous formuler à notre intention quant aux éléments que nous devrions prendre en considération au moment de tirer nous-mêmes quelques-unes de nos conclusions quant aux conséquences imprévues, vu que, de toute évidence, c'est ce que nous tentons de faire au moyen de la présente étude? Pouvons-nous faire quoi que ce soit pour faciliter l'intégration des résultats de recherche aux politiques?
Dr Juurlink : Eh bien, il s'agit d'une autre excellente question, mais je ne suis pas certain d'être en mesure d'y répondre.
Je crois que, pour l'essentiel, vous faites valoir qu'une recherche dont les résultats ne sont pas pris en considération pourrait aussi bien être jetée aux rebuts, ce qui, d'après moi, est probablement juste. Ainsi, j'estime qu'il incombe aux chercheurs de tenter de faire passer leur message, que ce soit par le truchement des médias, ou bien par la publication de leurs recherches, bien que, en toute franchise, il soit rare que les gens lisent ces publications — ils lisent plutôt le Toronto Star, le Globe and Mail et le National Post, entre autres, et ils s'intéressent à ce qui se publie sur Twitter et je ne sais trop quelle autre plate-forme. Il s'agit là de canaux que nous pouvons utiliser afin de communiquer notre message, et bon nombre d'entre nous le font de plus en plus.
Qu'est-ce que le gouvernement peut faire pour faciliter cette intégration? Comme je ne suis pas expert en matière d'application des connaissances, je ne suis pas certain d'avoir une réponse valable à cette question. La meilleure chose que vous puissiez faire serait de reconnaître la valeur de tels travaux, si je peux me permettre de dire cela, et de les soutenir. Je dois mentionner qu'il est extrêmement peu coûteux de mener des travaux de ce genre — il est possible de mener une étude importante avec 20 000 $, mais, à cette fin, nous avons besoin de données. Ne serait-ce pas merveilleux si je n'étais pas astreint, en Ontario, à mener des études concernant des personnes de 65 ans et plus touchant des prestations d'assistance sociale? J'adorerais avoir pour sujets des personnes de 40 ou 45 ans bénéficiant d'une assurance-médicaments, comme c'est le cas pour les chercheurs en Colombie-Britannique.
Toutefois, en l'absence de données et de financement, on ne parviendra pas à faire grand-chose. Ma réponse n'est peut-être pas très claire, mais c'est la meilleure que je puisse vous offrir de but en blanc.
La sénatrice Seidman : Non, il s'agit d'une bonne réponse. Je comprends cela. Merci.
La sénatrice Eaton : J'aimerais parler de fenêtres thérapeutiques et de cocktails médicamenteux. Docteur Juurlink, vous avez donné l'exemple d'un mécanicien qui vous consulte en raison de maux de dos. En règle générale, durant leurs études, les médecins n'ont pas reçu beaucoup d'information concernant la nutrition, l'exercice et le sommeil.
Dr Juurlink : Non.
La sénatrice Eaton : Aucun de ces éléments n'a la moindre incidence. Cela dit, j'aimerais savoir si vous avez songé à prescrire aux personnes atteintes de maladie chronique des cocktails médicamenteux concernant des opiacés et des non-opiacés? Il vous serait possible d'imposer une fenêtre thérapeutique à un patient, c'est-à-dire de lui prescrire de prendre un médicament pendant deux semaines, par exemple, et ensuite de cesser la prise de ce médicament, et d'en prendre un autre à la place. Vous arrive-t-il parfois de faire cela afin d'avertir un patient? Les médicaments perdent de leur efficacité au fil du temps, n'est-ce pas?
Dr Juurlink : C'est vrai. Par « fenêtre thérapeutique », on entend le fait d'interrompre au bout d'un certain temps un traitement médicamenteux. Une telle mesure est parfois appropriée, parfois inappropriée. En fait, dans le cas d'une personne atteinte de douleur chronique, il est plus ou moins dangereux d'interrompre la prise d'opiacés, vu que, après deux ou trois semaines de traitement, le corps s'est accoutumé aux médicaments, de sorte que, si le patient cesse de le prendre, il deviendra très malade. Cela n'est généralement pas mortel, mais cela rendra le patient très malade.
La sénatrice Eaton : Est-il possible de remplacer l'opiacé par un autre médicament après seulement deux ou trois semaines?
Dr Juurlink : Cela dépend du patient. Dans certains cas très spectaculaires, des patients deviennent dépendants du médicament en trois jours. Ils ne sont pas conscients du fait qu'il s'agit d'une dépendance — ils constatent tout simplement qu'ils se sentent mal s'ils ne prennent pas leur médicament.
La sénatrice Eaton : N'est-il pas possible de remplacer leur médicament par un autre pour un certain temps?
Dr Juurlink : Eh bien, on pourrait remplacer un opiacé par un autre touchant le même récepteur. Cela est quelque peu dangereux, vu que l'établissement de la dose équivalente varie d'un médicament à l'autre et d'une personne à l'autre. Vous voulez savoir s'il est possible de recourir à des médicaments moins toxiques afin de réduire au minimum le recours à des médicaments plus toxiques, n'est-ce pas?
La sénatrice Eaton : Oui, ou alors s'il est possible d'y recourir en alternance.
Dr Juurlink : Il s'agit parfois d'une option. Tout cela est fortement tributaire du patient et de la maladie en question. Les médecins n'interrompent pas aussi souvent qu'ils le devraient les traitements médicamenteux. Nous sommes très prompts à ajouter des médicaments au cocktail que consomment déjà les patients. Il s'agit peut-être d'une façon détournée de répondre à votre question, mais je vous dirai que nous ajoutons parfois au cocktail d'un patient des médicaments permettant de lutter contre les effets secondaires d'un autre médicament qu'il prend déjà — un médecin doit prendre quelques instants pour se demander pourquoi il agit de la sorte.
Les fenêtres thérapeutiques sont importantes. Elles s'appliquent à une petite quantité de médicaments. D'aucuns croient que l'on peut faire des rotations d'opiacés, mais dans le cas où de tels médicaments sont utilisés, il s'agit davantage de tenter de maîtriser la douleur que de réduire au minimum la toxicité.
La sénatrice Eaton : Vous arrive-t-il parfois de discuter avec vos patients d'exercices physiques, de nutrition et de physiothérapie?
Dr Juurlink : Tous mes patients sont hospitalisés — je ne fais pas de consultations externes ou en clinique. Je ne suis pas médecin de famille. Mes patients sont des personnes malades qui ont subi un accident vasculaire cérébral, une crise cardiaque et d'autres choses du genre. Il m'arrive parfois, je dois le dire, de leur parler de cela, mais plus souvent qu'autrement, je ne le fais pas.
Les personnes atteintes de diabète constituent un excellent exemple de cas où il serait approprié qu'un médecin comme moi, ou mieux encore un diététiste expert en la matière, transmette de l'information à propos de la nutrition. Nous cernons les éléments non médicamenteux qui revêtent de l'importance pour le traitement d'un patient. Cela dit, votre question portait sur ma pratique personnelle, et je dois vous dire que la plupart de mes patients ont des problèmes plus pressants.
La sénatrice Eaton : Existe-t-il des lignes directrices en matière de prescription qui visent à contribuer à réduire l'incidence des effets toxiques attribuables aux médicaments chez les patients âgés? Vous avez fait allusion aux patients âgés qui se voient prescrire un autre médicament et finissent par faire une chute. On ne leur parle pas des effets secondaires, et ils finissent par se fracturer une hanche, et nous savons tous ce qui arrive après cela.
Dr Juurlink : Bienvenue dans le merveilleux monde de la médecine. Il s'agit là d'une réalité que je peux observer. Pour ce qui est de l'exemple que vous avez utilisé, je vous dirai que la plupart des médecins qui traitent des patients âgés savent que certains médicaments ne doivent pas leur être prescrits puisqu'ils accroissent le risque qu'ils fassent une chute. Les somnifères et les calmants sont d'excellents exemples de cela. Des centaines de milliers, voire des millions de Canadiens prennent des médicaments comme Ativan et Xanax. Ces médicaments sont consommés couramment, alors que, dans la plupart des cas, il est préférable de les éviter. Si nous les prescrivons, c'est que nous voulons que les patients se sentent mieux. Comme je l'ai dit durant mon exposé, nous voulons que les patients se sentent comme s'ils avaient bien dormi. La prescription de tels médicaments est également devenue monnaie courante dans le cas de personnes anxieuses ou de personnes qui se sentent submergées par les diverses sources de stress de la vie. En tant que médecin, au moment de rédiger une ordonnance, nous devons prendre du recul et nous poser la question de savoir ce que nous tentons de faire.
La sénatrice Eaton : Est-ce que vous avertissez vos patients du fait que, par exemple, s'ils prennent Ativan et qu'ils se lèvent durant la nuit, ils risquent de faire une chute?
Dr Juurlink : À coup sûr. Je les rencontre après qu'ils ont fait une chute et qu'ils se sont fracturé la hanche. À l'hôpital, lorsque des patients me demandent de leur prescrire des somnifères, je refuse de le faire. Je leur explique que, s'ils prennent un somnifère, tout d'abord, ils se coucheront plus tôt, que la qualité de leur sommeil sera beaucoup moins bonne qu'ils le croient, et qu'il est fort probable que, si l'alarme sonne à deux heures du matin ou que le patient à côté d'eux se met à crier, ils se lèvent et fassent une chute en se rendant aux toilettes. En outre, je leur indique clairement qu'un somnifère n'est pas une pilule inoffensive qui les aidera tout simplement à dormir. À mon avis, les médecins n'agissent pas de cette façon aussi souvent qu'ils le devraient.
La sénatrice Eaton : Avez-vous quelque chose à dire à propos des fenêtres thérapeutiques? Il s'agit d'une expression que vous avez utilisée.
M. Abrahamowicz : Pour ma part, j'ai affaire non pas à des patients, mais à des bases de données, à des statistiques et à d'autres choses du genre. Cela dit, je collabore avec des personnes. Mes collègues m'ont indiqué à quelques occasions, lorsque j'ai décidé de mener des travaux sérieux dans le domaine, que je devais acquérir des connaissances fondamentales. Ce qui nous préoccupait, c'était de déceler les effets discriminatifs. Les effets immédiats sont faciles à repérer. Quant aux effets cumulatifs, il n'est pas possible de les cerner lorsqu'un médicament n'est sur le marché que depuis six mois — il faut parfois attendre deux ans avant qu'ils ne se manifestent. Nous nous sommes demandé ce que nous devrions faire pour optimiser la valeur de ces données — il s'agit là pour moi d'une obsession dans le cadre de mes recherches sur le rapport entre les risques et les avantages. Même en ce qui concerne Vioxx, j'ai eu une discussion avec un rhumatologue de premier ordre durant une conférence. Je mène une foule de recherches en rhumatologie. Certains rhumatologues ont confié à leurs collègues et à nous-mêmes qu'ils avaient constitué des stocks de Vioxx à l'intention de leurs patients lorsque ce médicament a été retiré du marché parce qu'ils étaient d'avis que certains de ces patients ne présentaient aucun risque sur le plan cardiovasculaire — il s'agissait de jeunes femmes. Ce médicament a été efficace pour elles — il a permis de maîtriser leur maladie initiale.
Nous tentons de déterminer si le médicament a un effet cumulatif important. Est-ce que le fait d'interrompre le traitement de temps à autre ou de réduire graduellement la dose médicamenteuse afin d'éviter les symptômes de sevrage — ce qui est également important — permet de conserver la plupart des avantages thérapeutiques tout en atténuant graduellement les risques? Pour répondre à cette question, nous devons mener une analyse très complexe, et nous sommes en train de mettre au point les méthodes qui nous permettront de le faire. Les résultats que nous obtenons sont de nature fragmentaire. Pour ma part, j'estime qu'il s'agit là d'une voie prometteuse, mais comme l'a indiqué le Dr Juurlink, il se pourrait que cela ne soit applicable qu'à quelques médicaments. Les effets thérapeutiques de quelques médicaments durent un certain temps, et il n'est donc pas nécessaire de les prendre chaque jour.
La sénatrice Eaton : En d'autres termes, on peut faire varier les doses?
M. Abrahamowicz : Oui. La conception des méthodes n'en est qu'à ses premiers balbutiements. J'ai songé à faire marche arrière et à réclamer un meilleur accès aux données. Dans certaines provinces — je ne les nommerai pas —, les chercheurs ont énormément de difficultés à accéder à des données entièrement analysées, ce qui est quelque peu tragique. Il n'y a aucun risque de porter atteinte à la confidentialité de ces données. Les ordinateurs où elles sont stockées ne sont même pas branchés à Internet — leur protection est entièrement assurée. Malgré cela, nous devons parfois attendre deux ans et demi avant d'être en mesure d'accéder à des données. Dans l'intervalle, comme cela a pu se produire en ce qui concerne Vioxx, il se peut que des centaines de milliers de patients subissent de graves effets secondaires que l'on aurait pu prévenir grâce à nos recherches. Cela ne répond pas directement à votre question, mais il s'agit d'un message important que la communauté des chercheurs souhaite communiquer.
La sénatrice Eaton : J'ai une dernière question à poser. Nous avons entendu parler de pénuries imminentes d'antibiotiques. On entend également dire que certains antibiotiques ne sont plus aussi efficaces que d'autres à l'égard de certaines maladies. Au moment de prescrire des antibiotiques, devrait-on faire preuve d'une attitude semblable à celle que nous adoptons lorsque nous prescrivons des opiacés, à savoir une attitude très consciencieuse et très prudente?
Dr Juurlink : J'estime qu'il est vrai que nous prescrivons trop d'antibiotiques. En règle générale, ce qui se passe, c'est que le patient se croit atteint d'une affection — par exemple une infection virale — exigeant selon lui la prise d'antibiotiques, alors que, bien souvent ce n'est absolument pas le cas. Un bon médecin prendra le temps d'expliquer au patient qu'il n'a pas besoin de prendre d'antibiotiques. Parfois, pour diverses raisons, les médecins accèdent à la demande du patient, et le médecin se dit ensuite qu'il ne s'agit que d'une simple ordonnance, que cela ne fera probablement pas de mal au patient, que quelqu'un d'autre paiera pour cela et que, de toute façon, un autre patient attend son tour. Je ne sais pas si cela se produit souvent, mais j'estime que cela est moins fréquent que ce l'était il y a 15 ou 20 ans.
Je crois effectivement que nous devons consommer les antibiotiques de façon plus prudente. On doit tenir compte non seulement des risques propres à un patient, mais également de certaines réactions cutanées constituant un danger de mort ou de problèmes mortels d'arythmie pouvant être occasionnés par des antibiotiques. Il arrive que des gens meurent de telles complications découlant d'une ordonnance bien intentionnée.
Agir de cette façon à l'égard d'un patient est une chose, mais le fait d'agir de cette façon à l'égard de millions de patients au fil des ans en est une autre, car cela pose une menace d'un tout autre ordre, dans la mesure où cela renforce les organismes résistants aux antibiotiques. Nous devons faire preuve d'une plus grande prudence. Je ne sais pas s'ils... En réponse à la question de savoir s'ils doivent être traités avec la même prudence que celle dont on fait preuve à l'égard des opioïdes, ma réaction initiale a été de répondre par la négative, en raison du caractère intrinsèquement dangereux et addictif des opioïdes, mais j'estime qu'il est justifié que les médecins fassent preuve de circonspection au moment de rédiger chaque ordonnance, et qu'ils devraient se poser la question suivante : est-ce que je crois vraiment que la prise de ce médicament permettra à mon patient de se sentir mieux et de vivre plus longtemps, compte tenu du risque auquel cela l'expose? Si la réponse à cette question est négative, on ne doit pas prescrire le médicament.
La sénatrice Seth : Il s'agit d'un sujet extrêmement intéressant.
Docteur Juurlink, durant votre exposé, vous avez mentionné que les médicaments pouvaient avoir cinq types d'effets indésirables : immédiats, cumulatifs, longtemps différés, idiosyncratiques et découlant d'interactions médicament-médicament. Savez-vous quels types d'effets indésirables sont les plus fréquemment occasionnés par des médicaments canadiens?
Dr Juurlink : Je crois que c'est vous qui avez indiqué cela — voulez-vous répondre à cette question?
M. Abrahamowicz : Vous êtes peut-être mieux à même que moi d'y répondre. Pour ma part, je vous répondrai qu'ils sont tous aussi fréquents les uns que les autres, mais que certains d'entre eux sont plus faciles à déceler que les autres. Cela dit, je crois que vous êtes mieux placé pour répondre à la question.
Dr Juurlink : À coup sûr, il est juste de dire qu'il existe différents types d'effets indésirables des médicaments : il y a les effets toxiques directs, les réactions allergiques, les interactions et tout ce que vous avez mentionné. Personne n'est en mesure d'indiquer ceux qui sont les plus fréquents. Cela tient notamment au fait qu'ils sont difficiles à détecter. Si un patient qui prend des anticoagulants commence à avoir des saignements, même un élève du secondaire pourrait déterminer que ce symptôme a probablement quelque chose à voir avec le médicament que prend le patient — nul besoin d'être un bon médecin pour établir cela. Toutefois, si un patient de 85 ans se présente à l'hôpital parce qu'il éprouve des symptômes de confusion — ce qui se produit chaque soir à Sunnybrook, où je travaille —, il est parfois difficile de déterminer que ce problème est lié à la prise d'un médicament. Un examen plus approfondi doit être mené. Le problème pourrait être lié à une infection, à un accident vasculaire cérébral ou à un certain nombre d'autres causes.
S'il est si difficile pour moi ou pour quelqu'un d'autre de vous dire quels sont les cas les plus courants, c'est parce qu'ils sont souvent difficiles à détecter. Quand un enfant naît avec des membres malformés et que la mère a pris des médicaments durant sa grossesse — je prends l'exemple de la thalidomide au début des années 1960 —, il est facile de faire le lien. Mais quand une personne de 85, 80 ou 60 ans meurt subitement d'une crise cardiaque, on ne pense pas à blâmer le Vioxx que le patient prenait depuis trois ans et qu'il avait très bien toléré jusque-là. On dit que la personne était à risque d'avoir une maladie cardiaque en vivant en société. On ne pense pas à faire le lien. C'est la mort subite d'une personne de 18 ans qui sème l'étonnement. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Vous abordez un sujet très important. Il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas et, en toute franchise, que nous ne pouvons pas savoir au sujet du degré de dangerosité des médicaments.
La sénatrice Seth : Je crois savoir que vous avez mené une étude sur le taux de mortalité associé à la consommation d'opiacés prescrits à des patients aux prises avec des douleurs chroniques. Vous avez dit que 10 000 personnes étaient mortes à cause de l'OxyContin et que l'utilisation abusive d'analgésiques était une véritable épidémie. Les opiacés sont- ils associés à un taux de mortalité accru? Puisqu'il s'agit de médicaments sur ordonnance, devrait-il y avoir plus de directives relativement à leur prescription, une période plus longue, plus de patients visités, plus de suivi, et cetera? Que suggéreriez-vous à cet égard?
Dr Juurlink : Je pense que vous soulevez plusieurs aspects. Il faut d'abord se poser la question suivante : est-ce que ce sont les médicaments en tant que tels qui tuent les gens? Il est clair que c'est bel et bien le cas, mais ils le font de différentes façons. Il arrive parfois qu'un patient se fasse prescrire un opioïde par un médecin bien intentionné, qu'il prenne son médicament de façon consciencieuse sans prendre de doses supplémentaires, qu'il n'aille pas consulter plusieurs médecins et qu'il ne se rende pas dans plusieurs pharmacies, mais qu'il ait le malheur de le prendre avec autre chose, comme un somnifère, de l'alcool ou les deux. Il y a alors une certaine interaction entre les substances, et il arrive que le patient ne se réveille pas, comme je l'ai dit plus tôt.
Parfois, ces médicaments entraînent la mort parce que le patient, qui en prenait auparavant de façon légitime pour atténuer la douleur, développe une dépendance qui finit par détruire sa vie. On nous a enseigné que c'était le cas de moins de 1 p. 100 des patients, mais c'est absolument faux; c'est une allégation fallacieuse. Ces patients finissent par réduire le médicament en poudre et se l'injecter ou le renifler, et ils meurent d'une surdose et sont considérés comme des toxicomanes. Mais ils ne se réveillent pas un matin en se disant : « Je pense que j'aimerais devenir toxicomane. » Cela commence par une ordonnance d'un dentiste ou d'un médecin, et c'est ainsi qu'ils deviennent dépendants.
D'autres fois, les gens meurent à cause d'une expérience qui tourne mal. Les adolescents organisent parfois ce qu'ils appellent des « soirées Skittles » : ils prennent les médicaments qui leur semblent intéressants dans l'armoire à pharmacie, ils les apportent à une soirée, ils les mettent dans un bol, et tout le monde prend quelque chose dedans au hasard. Je sais qu'il y a au moins une personne qui est morte exactement de cette façon. Cette personne qui n'avait jamais pris d'opioïde a avalé 80 milligrammes d'OxyContin et ne s'est jamais réveillée.
Ces médicaments peuvent causer la mort de nombreuses façons, et nous devons être plus prudents au moment de les prescrire. Je ne sais pas si j'ai complètement répondu à votre question, cependant.
La sénatrice Seth : Comment cela peut-il être évité? Voilà ma question.
Dr Juurlink : C'est extrêmement difficile à éviter, il est devenu très courant qu'on prescrive ces médicaments.
J'ai été pharmacien en Nouvelle-Écosse de 1990 à 1995. Quand j'étais étudiant en pharmacologie à la fin des années 1980 et pharmacien au début des années 1990, durant mes études en médecine, lorsque des patients se présentaient à la pharmacie avec une ordonnance pour de la morphine, c'était parce qu'ils avaient le cancer. Dans presque tous les cas, ils avaient le cancer. Dix ans plus tard, ce n'est pas un cancer; c'est un mal de dos ou autre chose.
Je vous ai expliqué comment nous en sommes arrivés là. C'est pourquoi il y a une importante épidémie de cas. Si, demain, il y avait 13 cas d'E. coli à Brandon, au Manitoba, cela ferait les manchettes, et la population serait très inquiète. Personne ne dirait qu'il devrait y avoir plus de cas d'E. coli ou que nous devrions continuer à vendre de la nourriture ou du bœuf contaminé. Dans le cas qui nous occupe, il y a des gens qui ont une opinion très différente de la mienne et qui affirment que nous devrions utiliser ces médicaments et simplement inciter les médecins à être plus prudents au moment de les prescrire. Je suis d'accord pour dire que c'est une bonne idée d'inciter les médecins à se montrer plus prudents, mais il s'agit de médicaments intrinsèquement toxiques. On peut dire sans exagérer que c'est de l'héroïne de qualité pharmaceutique. Je l'ai dit en toute connaissance de cause dans mon témoignage.
Dire que nous devrions prescrire d'énormes quantités d'héroïne en comprimés aux gens et que cela leur permettra de se sentir mieux et de vivre plus longtemps est une affirmation très délicate. Cela améliore effectivement la vie de certaines personnes. Le problème, c'est que nous ne savons pas d'emblée de qui il s'agit et que nous rendons d'autres personnes dépendantes du médicament en nous efforçant de les trouver. Mais peut-être que je dévie un peu du sujet.
Le sénateur Enverga : Votre exposé était très enrichissant. Ma question s'adresse à vous, monsieur Abrahamowicz. Elle porte sur les statistiques que vous avez présentées. J'ai vu tous les médicaments qui ont été retirés des tablettes. Après 2004 — après 10 ans — y a-t-il eu une amélioration? Avons-nous fait plus de rappels que jamais?
M. Abrahamowicz : Je suis en train d'élaborer des méthodes qui contribueront à améliorer la recherche dans ce domaine. Ce faisant, je les applique aussi à certaines études, mais je n'ai pas l'expertise du Dr Juurlink. Je dirais que, selon moi, les choses se sont un peu améliorées, car la célèbre étude sur le Vioxx a permis d'attirer l'attention sur ce problème et a ainsi mené à une augmentation du nombre de travaux de recherche, du financement consacré à ces travaux et de la sensibilisation à ce chapitre. Même les industries pharmaceutiques prennent la question plus au sérieux, en partie parce qu'elles sont forcées de le faire, et en partie parce qu'elles ne veulent pas que leur nom soit entaché.
La détection est meilleure qu'elle l'était. Nous sommes encore loin de l'objectif théorique. Cet objectif est impossible à atteindre. En mathématiques, il y a des objectifs qu'on veut atteindre, mais qu'on n'atteint jamais pleinement. Il est impossible de le faire, car il y a tellement de combinaisons et de types de médicaments et tellement d'effets secondaires possibles que — j'en suis certain — nous ne les connaîtrons jamais tous et qu'il y aura toujours des gens qui mourront à cause de l'effet indésirable d'un médicament que personne n'a étudié. Le mécanisme dont j'ai parlé — en ce qui concerne l'innocuité de certains médicaments transmis à des chercheurs par l'intermédiaire du Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments — est excellent, car il accélère le processus. Il y a ce qu'on appelle un « financement accéléré », alors, dès le moment où les demandes sont reçues par le réseau — géré par les Instituts de recherche en santé du Canada —, dans les deux ou trois semaines, une demande comportant des renseignements de base est envoyée aux chercheurs. Nous y répondons dans un délai d'un mois, et parfois plus tôt. Plusieurs groupes y répondent et décrivent leur capacité et les méthodes qu'ils se proposent d'utiliser aux fins de ce projet. Ensuite, une mini-subvention est rapidement accordée au moyen d'un processus bien moins pénible et complexe que celui qui est habituellement suivi pour les subventions découlant de travaux de recherche. Dans les quatre semaines, peut-être, suivant l'envoi initial de la demande, nous commençons à mener activement des études sur le médicament et, si tout se passe bien — cela dépend des cas —, un an plus tard, nous avons la réponse.
Comme je l'ai dit, l'accessibilité des données est un problème important. Demain, mon équipe de chercheurs tiendra une réunion de quatre heures à laquelle participeront par téléconférence 14 universités canadiennes. La réunion portera surtout sur les mesures à prendre pour obtenir des données de meilleure qualité afin de répondre aux divers types de demandes. Certaines personnes ont des données cliniques; d'autres, des données administratives, et cetera. Nous voulons aller plus loin. Pourrions-nous utiliser les données du Royaume-Uni ou celles de l'Allemagne? L'effet d'un médicament sur les Allemands est probablement le même que son effet sur les Canadiens. Voilà où il y a des progrès. Cependant, je n'ai pas de statistiques concrètes concernant le nombre d'études menées avec succès. Je dirais qu'il y en a plus, qu'il y a mieux.
Après que le président Obama a décidé d'investir un milliard de dollars américains dans la recherche sur l'efficacité postcommercialisation et sur l'innocuité des médicaments, je me rappelle avoir vu un article de synthèse indiquant qu'il y avait eu 600 nouvelles études menées au moyen des données sur la population américaine dans la même année. Il y a beaucoup de travaux. Le nombre d'études menées au Canada est plus ou moins proportionnel à celui des États-Unis, et nos chercheurs appliquent probablement une meilleure méthode et de meilleures normes de recherche, alors il y a eu une certaine amélioration.
Le sénateur Enverga : Faisons-nous des progrès, quels qu'ils soient?
Dr Juurlink : Je pense que oui. Il y a un exemple qui me vient à l'esprit et qui est lié à la question sur les antibiotiques qui a été posée plus tôt : il s'agit d'un article que nous avons rédigé et dont je suis d'ailleurs assez fier. Aux alentours de 2006, il y avait un antibiotique pris par des centaines de milliers de Canadiens qui s'appelait le Tequin. Il était couramment utilisé pour les infections des poumons et des sinus.
Une étudiante des cycles supérieurs est venue me voir un jour et m'a dit : « Je pense que ce médicament cause des taux de glycémie dangereusement élevés chez certains patients et dangereusement bas chez d'autres. » Nous avons examiné la littérature à ce sujet, et il était clair qu'elle avait mis le doigt sur quelque chose. Il était évident que ce pourrait être une découverte importante — pas pour les médias, mais pour les milieux cliniques, des intervenants de première ligne —, car les gens ne s'en doutaient pas du tout. Environ une semaine et demie après que nous avons élaboré l'étude, nous l'avons menée.
Je me rappelle avoir été debout à deux heures du matin pour travailler aux différentes versions de l'article et l'avoir envoyé environ une semaine plus tard. Le processus a été extrêmement rapide, et cela a été possible seulement parce que les données étaient disponibles. Nous n'avons pas eu à présenter de demande de subvention et à attendre de financement pendant huit mois. L'article était achevé, et, avant son envoi au journal, je l'ai envoyé à Santé Canada et à la FDA. Le journal l'a publié rapidement, et, deux mois plus tard, le médicament a été retiré du marché mondial par le fabricant.
J'ai une anecdote à vous raconter. Quand l'article était en cours d'examen, j'ai croisé par hasard un représentant de la compagnie et je lui ai dit : « Comment expliquez-vous le lien entre votre médicament et les problèmes de glycémie dont j'ai pris connaissance? » Je savais très bien que ce médicament était 16 fois plus susceptible d'entraîner un taux de glycémie élevé que les médicaments comparables. Il a répondu : « Ce sont des résultats biaisés, et, quand les gens tombent malades, leur taux de glycémie augmente. Ne vous fiez pas à ce qu'on dit. » J'ai répondu : « D'accord. » Dieu merci, ce médicament n'est plus sur le marché. C'est un bon exemple du genre de renseignements que les représentants pharmaceutiques fournissent aux médecins.
Il est crucial d'avoir accès aux données et de pouvoir mener ces études rapidement. En voilà un bon exemple, et je pense que c'est très important.
Le sénateur Enverga : La raison pour laquelle je vais vérifier ces registres, c'est à cause de l'hépatotoxicité, qui perturbe le foie et parfois les reins. Tout le monde devrait savoir que le foie et les reins sont les organes qui purifient notre organisme. Devrait-on mettre l'accent là-dessus, en ce qui concerne ces médicaments?
Dr Juurlink : C'est juste. Une des principales raisons pour lesquelles ces médicaments sont retirés du marché, c'est parce qu'ils causent de l'inflammation ou des dommages au foie et parfois des battements de cœur irréguliers et de l'arythmie cardiaque, ce qui est très dangereux. On ne le sait pas avant que les médicaments soient utilisés à grande échelle.
Disons que l'antibiotique en question avait fait l'objet d'études précliniques. Je ne sais pas combien de gens y avaient participé, mais c'était peut-être 500 ou 1 000 personnes. On leur administre un médicament, et il semble fonctionner. Quand un effet secondaire est rare, il est très difficile de le détecter dans une étude de 500 ou 1 000 participants. C'est seulement après que le médicament est utilisé par des milliers et des dizaines de milliers de personnes qu'on s'en rend compte. Nous savons que nous devons essayer de détecter ces effets néfastes et qu'après la publication des études sur un nouveau médicament, nous devons examiner très minutieusement les résultats et chercher à en repérer, au meilleur de nos capacités, les éventuels signes indicateurs. Dans le résumé de l'étude sur le Vioxx, il était clair que le médicament entraînait un accroissement imprévu des risques d'événement cardiovasculaire et que les chercheurs qui travaillaient pour le fabricant avaient fourni une explication invraisemblable pour minimiser le danger. Les gens savaient qu'il y avait anguille sous roche. Je sais que je me suis un peu écarté du sujet.
Le sénateur Lang : Je remplace le sénateur Stewart Olsen. Je trouve très intéressante votre description de la façon dont les médicaments sont prescrits l'un après l'autre, et je trouve très inquiétante votre description des soirées Skittle, dont je n'avais jamais entendu parler.
Je veux revenir sur l'exemple qui a été constamment soulevé depuis le début de la séance, c'est-à-dire la question du Vioxx et des dommages que ce médicament a causés durant une si longue période. Vous savez tous deux très bien comment ce médicament a été conçu, comment il a été prescrit et comment ses effets secondaires ont été découverts.
Vous pourriez peut-être répondre à cette question : si vous pouviez retourner dix ans en arrière et que vous dirigiez les choses et saviez alors ce que vous savez aujourd'hui, quelles mesures législatives recommanderiez-vous que le gouvernement prenne afin d'éviter ce problème?
À quelles exigences supplémentaires devraient être assujetties les compagnies pharmaceutiques pour s'assurer que les médicaments agissent comme prévu et qu'ils n'entraînent pas d'effets indésirables? Faudrait-il ajouter une disposition dans la loi ou adopter une autre politique? Vous avez peut-être des commentaires à faire à ce sujet.
M. Abrahamowicz : Je n'ai pas d'opinion très ferme sur ce qui devrait être prescrit dans la loi, mais, sur le plan de la recherche, l'étude initiale de l'année 2000 qui a été publiée dans le New England Journal of Medicine a mené à l'approbation du Vioxx. Comme je l'ai souligné, il y a eu une hausse importante, quoique fondée sur un petit échantillon; c'était une étude dont la durée moyenne du suivi était de neuf mois seulement. En moyenne, les gens ont pris du Vioxx pendant neuf mois seulement.
Cela était déjà un signal sur le plan statistique, et, bien entendu, la compagnie — ou, encore mieux, une partie indépendante — aurait dû être obligée à ce moment-là d'entreprendre immédiatement une étude de suivi postcommercialisation plus vaste, ou peut-être même que l'approbation aurait dû être reportée jusqu'à ce que l'innocuité du médicament ait été évaluée chez un plus grand nombre de patients. Nous croyons tous les deux que l'échantillon était trop petit et que l'étude était trop brève pour obtenir des données probantes.
Maintenant, j'ai un peu de difficulté à reconstituer la séquence des événements. Il y a un article du Dr FitzGerald que j'ai cité. Il a été publié en 2003. Le Dr FitzGerald y affirme qu'à peu près à la même période que le processus d'approbation du Vioxx, les mécanismes étaient déjà détectés. Je ne sais pas s'il y a eu d'autres articles à ce sujet ou s'il s'agissait d'observations supplémentaires qui faisaient état de l'existence d'un mécanisme précis, défini de façon très claire et très logique, qui pourrait en fait expliquer pourquoi il y a eu une augmentation.
Ce sont d'autres données très probantes qui appuient les conclusions des études épidémiologiques. D'après ce que j'ai compris à la lumière de ces sources secondaires, le fabricant du Vioxx et — dans une certaine mesure — la FDA ont fait fi de ces messages, ils les ont rejetés, arguant que la forme d'essai la plus rigoureuse était l'essai randomisé. C'est une étude expérimentale, et la seule différence logique entre l'augmentation et la diminution du risque tient presque uniquement au médicament lui-même, car toutes les autres données demeurent identiques. Un vaste groupe de patients reçoit le médicament, un autre groupe compatible ne le reçoit pas, et nous comparons les résultats.
Au cours de la même période sont accumulés d'autres rapports découlant de l'étude basée sur la population : c'est ce qu'on appelle « l'étude observationnelle ». C'est le genre d'études que nous menons, à l'instar de nombreux autres Canadiens. Nous examinons ce qui se produit dans la population, car il y a plus de variations en ce qui a trait à l'utilisation du médicament. Comme je l'ai dit, il y aura différentes durées, différentes doses et différents types de patients. Cela crée certaines difficultés pour les chercheurs. Ils doivent d'abord déterminer si c'est le médicament lui- même ou l'affection pour laquelle le médicament est pris qui cause l'effet secondaire observé. Nous continuons à faire des progrès, et nos méthodes sont bonnes. Les études qui ont montré un accroissement des problèmes cardiovasculaires ont été menées selon les règles de l'art, et il est difficile d'expliquer pourquoi elles ont été rejetées si promptement.
Comme le fait valoir le Dr Topol dans son très convaincant article ayant suivi le retrait du Vioxx, pendant que Merck continuait à rejeter ces rapports et refusait de mener des essais sur la toxicité cardiovasculaire du médicament, cette entreprise investissait jusqu'à 100 millions de dollars pour le commercialiser. L'étude aurait peut-être coûté 10 ou 20 p. 100 de ce montant. Assurément, un examen législatif s'impose, et les agissements de Merck étaient probablement un peu intentionnels.
Dr Juurlink : Vous m'avez demandé ce que je ferais différemment. Si je pouvais revenir 15 ans en arrière, je prendrais une mesure prévue dans une disposition du projet de loi C-17. Si j'ai bien compris, le projet de loi donne au ministre le pouvoir d'obliger le fabricant à mener des études supplémentaires ou à imposer certaines restrictions concernant une licence. Je n'ai pas de copie de l'étude pivot du Vioxx avec moi, mais je crois me rappeler avoir lu dans le résumé qu'elle montrait que le risque d'événement cardiovasculaire était quatre ou cinq fois plus élevé avec le Vioxx qu'avec un autre médicament. C'était peut-être une observation fortuite, mais cela aurait dû constituer un signal clair. C'est facile à dire avec le recul. Il aurait fallu dire : « Écoutez, il ne faudrait peut-être pas précipiter la commercialisation de ce médicament au Canada. Peut-être qu'avant d'être autorisé à le vendre au pays, vous devriez fournir plus de données attestant son innocuité cardiovasculaire, car votre propre étude indique qu'il y a peut-être un risque à cet égard. »
Le sénateur Lang : J'ai une autre question, docteur Juurlink : dans vos observations préliminaires, vous avez parlé d'un sommaire des évaluations du médicament élaboré par le gouvernement fédéral; par Santé Canada, si je ne m'abuse. Pourriez-vous parler davantage du fait que vous n'avez pas accès à ces évaluations et peut-être nous expliquer pourquoi il en est ainsi? Et surtout, est-ce que ces évaluations sont disponibles aux États-Unis ou dans d'autres pays comme l'Angleterre et l'Australie?
Le président : Nous y reviendrons, car nous avons déjà parlé à cet égard de Santé Canada et de la question de la transparence. Je comprends, cher collègue, que vous ne le saviez peut-être pas. Je reviendrai sur la question du sommaire. Nous avons déjà fait des recommandations importantes à ce sujet. J'espère que cela ne vous dérange pas.
Le sénateur Lang : Pas de problème.
La sénatrice Cordy : J'aimerais savoir quelle est l'ampleur des recherches menées au Canada sur le plan des conséquences inattendues.
Dr Juurlink : Il y en a beaucoup, je pense. Ce genre de travaux a été grandement encouragé par la création du Réseau sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments. Cependant, un grand nombre des questions auxquelles ils répondent sont posées par Santé Canada, et ce ne sont pas toujours les plus cruciales; je dis cela sans vouloir critiquer les préoccupations du ministère. J'ai vu certaines de ses questions, et il arrive que les réponses soient déjà connues ou ne soient pas d'une grande importance sur le plan clinique ou encore qu'il soit clairement impossible d'y répondre. Les questions les plus importantes sont soulevées par les intervenants de première ligne, comme mes étudiants des cycles supérieurs qui ont détecté un lien possible entre le médicament et des problèmes de glycémie. Ce n'était même pas une considération de Santé Canada. Le ministère a été heureux de recevoir l'article, mais il n'aurait pas posé de telles questions à l'époque s'il en avait eu l'occasion. Je pense que cela se produit souvent. Je crois que ces choses surviennent moins souvent qu'elles le pourraient, et c'est dû partiellement au fait que notre plus précieux entrepôt de données — celui de la Colombie-Britannique — est en grande partie inaccessible. Cela a considérablement nui à mes travaux, y compris ceux qui portent sur de nouveaux anticoagulants qui sont prescrits abusivement et qui comportent certains risques pour les patients. De telles situations se produisent souvent et pourraient se produire encore plus souvent. Nous avons manifestement un préjugé favorable à ce chapitre... Mais peut-être que ma réponse à votre question est inutilement longue.
Le président : De plus, chère collègue, nous avons déjà recommandé de faire en sorte que le réseau se fie davantage aux intervenants sur le terrain pour mener des études au lieu de déterminer l'orientation comme c'est le cas actuellement. Tout le monde ici est sur la même longueur d'onde, et c'est une question importante.
La sénatrice Cordy : Savons-nous combien de Canadiens ont développé une dépendance à un médicament prescrit par leur médecin? Avons-nous accès à de tels renseignements?
Dr Juurlink : Je ne crois pas. Quelqu'un quelque part sait exactement combien d'ordonnances ont été délivrées pour ces médicaments. C'est une substance contrôlée. On tient des registres. Je ne sais pas qui les conserve ni qui y a accès. En principe, il devrait être très facile d'y accéder. Ce devrait être le travail d'un stagiaire engagé pour l'été de déterminer combien d'ordonnances ont été délivrées. C'est une toute autre question de savoir combien de patients ont développé une dépendance, car la signification de ce mot varie d'une personne à l'autre. Je peux vous dire que le fabricant de l'OxyContin — Purdue Pharma — a fait des allégations clairement fallacieuses concernant les risques associés à ce médicament, et Santé Canada le sait fort bien. Il ne s'est rien passé ici, alors qu'aux États-Unis, des poursuites ont été intentées, Purdue Pharma a plaidé coupable à des accusations d'étiquetage inadéquat de son médicament et a payé une amende de plus de 600 millions de dollars. On a reconnu que des allégations mensongères ont été faites et qu'elles ont mené au développement d'une dépendance chez de nombreuses personnes; mais, à ma connaissance, il n'y a eu aucune suite à cela.
La sénatrice Cordy : Peut-être que l'OxyContin a fait l'objet d'une vaste couverture médiatique, particulièrement en Nouvelle-Écosse, mais je ne suis pas certain que les patients comprennent à quel point les problèmes de dépendance sont courants et à quel point il est facile d'en développer une, car les Canadiens ont une certaine image de ce qu'est un toxicomane, et ce n'est pas une personne dépendante d'un médicament délivré par un pharmacien.
Dr Juurlink : Vous avez tout à fait raison. Les gens ont l'impression que, si un médicament est prescrit par un médecin, délivré par un pharmacien et approuvé par un comité quelque part qui paie pour celui-ci, il doit être sans danger et efficace. Je pense que les médecins ont aussi cette impression, parfois.
Une des principales sources invoquées pour conclure que le risque de dépendance associée à ces médicaments était inférieur à 1 p. 100 était un extrait de cinq phrases d'une lettre adressée au rédacteur en chef du New England Journal of Medicine. Ce n'est pas une étude. La lettre a pourtant été citée des centaines et des centaines de fois à l'appui de cette allégation qui, franchement, aurait dû susciter la méfiance des médecins à l'époque. Nous aurions dû être sceptiques. On ne peut pas donner de l'héroïne en comprimé sans s'attendre à ce que les gens développent une dépendance. Il est absurde de penser cela, et pourtant, nous sommes bêtement tombés dans le panneau, en partie parce que nous voulions que ce soit vrai. Nous étions heureux d'apprendre que nous n'avions plus besoin de nous fier à de vieux médicaments qui causaient des saignements et des ulcères d'estomac, des problèmes de foie et des crises cardiaques parce qu'il y avait de nouveaux médicaments que nous pouvions prescrire en toute sécurité.
La sénatrice Cordy : Une solution nouvelle et améliorée, n'est-ce pas? Si un patient meurt à cause d'un médicament qu'on lui a prescrit et qu'il a pris conformément aux directives de son médecin et du fabricant, est-ce que cela est consigné quelque part comme un décès dû à un effet indésirable?
Dr Juurlink : Je pense que c'est parfois le cas, mais pas toujours. Par exemple, pensons à un patient qui se fait prescrire un anticoagulant pour éviter les accidents vasculaires cérébraux découlant d'une arythmie cardiaque. C'est une pratique courante et fondée sur des données probantes. Il arrive que ces médicaments causent des saignements et que ces saignements soient mortels. Le médecin est alors tenu de signaler le cas à Santé Canada. Je ne sais pas à quelle fréquence cela est fait — probablement pas aussi souvent que ça pourrait l'être —, mais, le cas échéant, l'information est consignée par Santé Canada. Quand une personne meurt d'une cause inconnue, c'est une toute autre histoire. Disons qu'une personne a pris du Vioxx, qu'elle a fait une crise cardiaque et qu'elle est morte; ou disons qu'elle a pris un antibiotique, qu'elle a fait de l'arythmie cardiaque et qu'elle est morte : à moins que le décès soit attribué à l'effet indésirable du médicament, le cas ne sera pas signalé. C'est un des grands problèmes auxquels nous faisons face. Quand un patient arrive à l'hôpital après qu'il a pris un antibiotique et que son taux de glycémie est très élevé, on se dit : « Vous avez le diabète et vous êtes malade; voilà la raison. » On ne pense pas que cela peut parfois être dû au médicament, et il est difficile de faire le lien, surtout quand l'effet indésirable est couramment recensé en clinique. Nous ne pensons pas toujours à attribuer cela au médicament.
La sénatrice Cordy : Pour revenir sur les commentaires de la sénatrice Seidman au sujet des difficultés à surmonter pour mener des travaux de recherche, je pense que vous avez expliqué de façon assez éloquente dans votre exposé que, dans 90 p. 100 des cas, je dirais, l'information dont disposent les médecins à propos d'un médicament leur est fournie par la compagnie pharmaceutique dans un des meilleurs restaurants de la ville ou au cours d'une fin de semaine de golf. J'ai des amis médecins. C'est toujours ainsi. Il est bien plus facile de s'informer de cette façon qu'en passant la fin de semaine à se documenter sur le médicament. Les États-Unis ont une loi d'ouverture qui oblige les médecins à déclarer qu'ils ont participé à une fin de semaine de golf avec une compagnie pharmaceutique donnée. Comment pouvons-nous remédier au problème au Canada?
Dr Juurlink : Il y a deux ou trois aspects à prendre en considération. Premièrement, il y a la question de la loi d'ouverture. Il y a d'ailleurs un commentaire à ce sujet aujourd'hui dans le Globe and Mail. Il y a une volonté de faire la lumière sur les relations entre les médecins et l'industrie pharmaceutique. Je pense qu'il serait utile de savoir quelles personnes se font payer, combien elles sont payées, par qui elles le sont et pour quelle raison.
Il est absurde de penser que nous devrions obtenir nos renseignements médicaux auprès des représentants des compagnies pharmaceutiques. Ils ont un travail à faire, et ce travail entre souvent en conflit avec nos obligations envers nos patients. Ce ne sont pas nos amis. Ils le deviennent parfois, mais cela ne devrait pas arriver. Il incombe aux médecins d'obtenir l'information nécessaire, mais, comme vous l'avez souligné à juste titre, le choix le plus facile est souvent de faire ce que nous faisons. Il est plus facile d'avaler un comprimé que de surveiller ce qu'on mange et de faire de l'exercice. De même, il est bien plus facile d'obtenir des renseignements auprès d'une personne qui nous les fournit volontairement que d'examiner la documentation et de faire ses propres recherches. C'est une bonne idée de restreindre les interactions entre les médecins et les compagnies pharmaceutiques. La situation est déjà bien meilleure qu'il y a 15 ans, mais il faut essentiellement que les médecins prennent les choses en main et, à mon avis, qu'ils soient forcés — et ils le sont dans une certaine mesure — de se tenir à jour avec l'information la plus objective possible.
La sénatrice Nancy Ruth : Concernant la question globale de la synthèse et de la diffusion des connaissances, vous revenez constamment sur certaines provinces dont vous n'arrivez pas à obtenir les données ou sur la Colombie- Britannique, qui éprouve actuellement des problèmes. Pouvez-vous faire des commentaires à ce sujet? Pour formuler ma question d'une façon positive, je veux savoir ce que vous voudriez que les provinces fassent pour vous aider dans vos recherches.
M. Abrahamowicz : Habituellement, je ne participe pas directement aux négociations, mais j'aide parfois l'équipe qui doit le faire. Par exemple, ma province — le Québec — est dotée d'une excellente base de données administrative. Chaque ordonnance fournie à un patient qui a plus de 65 ans ou qui bénéficie de l'aide sociale est consignée dans une base de données administrative appelée la RAMQ. Sur le plan des chiffres, c'est fantastique. Cela permet d'éviter tous les problèmes dont nous avons discuté concernant le fait qu'il n'y a pas assez de patients et de suivi. Nous avons accès à toute la liste des médicaments prescrits au patient par le passé. Nous ne savons pas s'il les a pris, mais nous savons ce qu'on lui a prescrit.
Si nous décidons, aujourd'hui, qu'un effet involontaire précis d'un médicament donné soulève d'importantes préoccupations et que nous amorçons une nouvelle négociation avec la RAMQ, les organismes provinciaux, particulièrement la Commission d'accès à l'information, qui s'occupe de la protection des renseignements personnels des patients, et ainsi de suite, qui a des procédures extrêmement complexes et tellement de demandes qui n'ont pas été traitées, il faudrait jusqu'à deux ans avant qu'on nous permette d'utiliser les données. Pendant ce temps, les patients prennent les médicaments et subissent peut-être des effets indésirables, et personne ne peut le prouver.
J'en ai parlé aux gens qui s'occupent de la sécurité et de l'efficacité, mais, maintenant, il y a la dichotomie fédérale- provinciale, dont les acteurs affirment que vous, qui faites partie du gouvernement canadien, voulez que nous répondions aux demandes de renseignements, tandis que d'autres parties du gouvernement, à l'échelon provincial, nous empêchent d'avoir accès aux données requises, et nous devons suivre un processus de négociation complexe. Est- ce que cela pourrait être réglé, d'une certaine façon? Nous comprenons la notion de confidentialité des renseignements sur le patient, mais ce n'est qu'une partie de l'équation. Si nous demandons au patient s'il a plus peur de mourir en raison d'un effet indésirable d'un médicament qui pourrait ne jouer qu'un rôle facultatif pour atténuer sa douleur — et peut-être qu'il souffrira un peu; peut-être qu'il aura un autre médicament —, êtes-vous davantage préoccupé par cela ou par le fait que, par l'intermédiaire d'un processus extrêmement improbable, il entre en contact avec une personne qui a de mauvaises intentions et qui essaie de découvrir, au moyen de la base de données, que le patient habite dans un petit village dans le nord du Québec et qu'il pourrait avoir une maladie en particulier parce qu'on lui a prescrit ce médicament? Quels sont les avantages en matière de coûts pour la société?
Je m'excuse de m'être montré émotif à ce sujet.
Dr Juurlink : Il s'agit, en fait, d'une question liée à l'accès aux données. L'une des raisons pour lesquelles mes collègues et moi avons eu de la chance dans le cadre de nos études, c'est que nous travaillons dans un endroit où il y a des infrastructures qui sont en place depuis 20 ans maintenant, avec des données anonymisées qui sont traitées de façon minutieuse, et que nous pouvons poser des questions importantes sur un grand segment de la population et trouver des réponses.
Idéalement, nous disposerions de données sur tout le monde en temps réel. Cela devrait être le cas. Mon enfant peut aller sur Internet et jouer à un jeu vidéo en temps réel avec quelqu'un qui habite en Australie, mais une pharmacie, comme Rexall, en face de mon hôtel, par exemple, n'a aucune idée des médicaments qui ont été dispensés au Shopper's Drug Mart, un peu plus loin sur la rue. C'est absurde, quand on y pense. Ces données sont toutes recueillies. Ne serait- il pas merveilleux que nous ayons plus rapidement une idée plus précise des problèmes liés aux médicaments parce que nous avons accès à plus de données aux fins d'études, comme c'était le cas en Colombie-Britannique jusqu'à ce que les choses tournent au vinaigre.
La sénatrice Nancy Ruth : Vous ne nous dites pas quelles choses ont tourné au vinaigre, mais nous allons y revenir.
Dr Juurlink : Je ne sais pas ce qui a mal tourné. C'est ça, le problème. Personne ne le sait.
Le président : Je vais passer à la deuxième série de questions avant de poser les miennes.
Le sénateur Enverga : L'aspartame a été retiré du marché, puis l'OxyNEO est arrivé. Comment ont-ils pu permettre au médicament générique d'arriver sur le marché s'ils savaient qu'il était mauvais?
Dr Juurlink : L'OxyContin a été retiré par le fabricant et a été remplacé par la nouvelle formule, qui était inviolable, ce qui était manifestement une manœuvre pour assurer la sécurité des patients. Pure coïncidence, cela s'est produit quelques mois avant que le brevet sur le produit original expire. Les entreprises de produits génériques — et il y en avait plusieurs — ont reconnu qu'il y avait là un marché potentiel. À vrai dire, si tout le monde prenait l'OxyContin générique et que nous avions l'assurance qu'il ne serait pas écrasé, comme il l'est manifestement, et qu'il était pris conformément aux indications du médecin, les gens auraient moins de raisons de se plaindre.
Je me suis énergiquement opposé à l'idée que cela devrait être approuvé, et je pense qu'il faut insister fortement sur le fait que, du point de vue de la sécurité publique, cela n'aurait pas dû être approuvé. D'autre part, on peut affirmer que cela devrait être approuvé parce que cela constitue une dépense moins importante que s'il s'agissait du médicament de marque.
Je ne sais pas pourquoi cela a été approuvé. Je pense que la ministre Ambrose a fait allusion à certains changements à venir il y a quelques mois. Je ne sais pas de quoi il s'agit, et je ne pense pas que quoi que ce soit se soit produit en ce sens.
Le sénateur Enverga : Pensez-vous que la politique devrait être modifiée? Devrait-elle être automatique?
Dr Juurlink : Il y a des avantages et des inconvénients liés au fait de le mettre sur le marché. Personnellement, je pense que les inconvénients l'emportent sur les avantages. Je parle régulièrement avec un ex-toxicomane qui a perdu environ 13 ans de sa vie à cause de sa dépendance, qui a commencé par une expérience avec quelques comprimés Percocet. L'une de ses rechutes les plus importantes a eu lieu après que l'OxyContin générique est revenu sur le marché. Il n'a pas pu y résister. Il est sur le marché; on l'utilise, et cela renforce ma position initiale selon laquelle on n'aurait pas dû permettre à ce produit de revenir sur le marché.
Le président : À ce sujet, nous avons discuté de cette même question dans le cadre d'une séance précédente. Pendant que vous répondez, docteur Juurlink, à l'extérieur des murs, on ne sait peut-être pas quel organisme de réglementation serait prêt à empêcher l'autorisation d'un médicament générique étant donné la façon dont les fabricants de médicaments génériques sont constitués et le fait qu'un médicament a été approuvé et qu'il s'agirait d'une composante chimique identique.
Cependant — et je ne veux pas en parler davantage à ce stade-ci —, je pense qu'il y en a certains qui pourraient faire valoir qu'il existe déjà des autorités en ce qui a trait à cet exemple en particulier, pour deux raisons : dans un premier temps, parce qu'il s'agit d'une substance réglementée; et, dans un deuxième temps, parce qu'il y a manifestement un autre effet indésirable connu de cette substance réglementée sous sa forme générique par rapport au produit que l'on dit inviolable qui le remplace. En ce qui concerne la protection de la santé des Canadiens, il y a, à ce stade-ci, certaines autorités qui existent. Dans le cadre de nos travaux en comité, nous allons continuer de discuter de ce que, selon nous, nous pouvons recommander à cet égard.
Soit dit en passant, nous avons une copie de bon nombre de vos documents, comme vous pouvez l'imaginer, notamment de votre charte, qui montre la mise en œuvre de PharmaNet et la diminution de l'utilisation d'opiacés. C'est flagrant.
Dr Juurlink : Ça l'est. Nous avons une publication semblable qui est actuellement en cours de préparation, en Ontario.
Le président : C'est absolument flagrant. Je vais utiliser cela pour aborder la question des données, et je vais l'aborder de deux points de vue : d'abord, la question générale dont nous avons été saisis dans le cadre de toutes nos études, qui traite du processus d'essais cliniques jusqu'à la surveillance après l'approbation, en passant par, comme vous l'avez si bien dit, en plus de tout ce que nous avons appris, l'absence d'une collecte de données efficace à tous les niveaux des interactions relatives aux médicaments dans l'ensemble du pays — et je parle de façon générale — même s'il y a des exemples clairs de la mesure dans laquelle cela peut être effectué de façon efficace, et l'importance de cela; puis, je veux discuter du cas de Vioxx, un exemple précis de la complexité de la notion de bienfaits et de dommages.
Le comité est non seulement très favorable à vos arguments concernant le besoin d'avoir des données, le besoin d'avoir accès à ces données, ainsi que l'interprétation et la transmission des informations tirées de ces données dans le cadre de l'élaboration de politiques et aux fins d'une protection efficace des Canadiens relativement au système pharmaceutique, mais nous avons déjà formulé d'importantes recommandations dans ce domaine. Mais votre témoignage, ici, aujourd'hui, concernant cet article en particulier, en accroît encore davantage l'importance.
Monsieur Abrahamowicz, vous avez clairement indiqué — comme vous l'avez fait, docteur Juurlink — le nombre limité de personnes dans le cadre d'un essai clinique initial. Nous savons qu'elles sont triées sur le volet; et nous savons, et nous avons fait rapport sur cela, que les aînés, les enfants, les femmes — particulièrement les femmes enceintes — ne font même pas partie de ces essais; et, par conséquent, l'utilisation subséquente des médicaments constitue, pour eux, immédiatement, une utilisation non indiquée sur l'étiquette.
Nous avons formulé d'importantes recommandations concernant l'information qui devrait être fournie aux médecins avant même qu'ils puissent prescrire des médicaments pour un emploi non conforme à l'étiquette. Mais, dans cette étude, nous avons reconnu la valeur de la prescription de médicaments pour un emploi non conforme à l'étiquette. Nous sommes conscients de la complexité, mais il s'agit essentiellement d'une question d'information, l'information dont disposent les médecins prescripteurs et la collecte d'informations auprès de la société une fois que les médicaments sont approuvés. Parce que, comme vous l'avez très bien fait valoir, une fois qu'un médicament est approuvé et qu'il est offert en vente libre, il s'agit de l'essai clinique ultime. La collecte de données liées à l'utilisation du médicament par le grand public, avec tous les sous-ensembles de la population, est essentielle si l'on veut assurer, au bout du compte, l'ultime protection de notre société.
Donc, tout comme vous, nous n'avons pas compris pourquoi, en cette époque où Google peut nous dire quel habit nous nous achèterons la semaine prochaine, comme vous l'avez mentionné, nous ne pouvons pas savoir quel médicament le pharmacien du quartier a dispensé au même patient le même jour. Nous ne comprenons pas pourquoi nous ne sommes pas davantage à jour, au Canada, en ce qui a trait à la collecte de données, puisqu'elle est absolument essentielle à la protection des Canadiens. À la lumière des exemples clairs que vous nous avez donnés aujourd'hui, l'utilisation de ce genre de données, protégée de façon adéquate, peut bénéficier grandement et immédiatement aux Canadiens.
Je ne vais pas vous demander d'en parler davantage aujourd'hui, mais je vais vous demander la chose suivante, puisque vous êtes des experts de l'utilisation de données; vous avez eu accès à des ensembles de données et vous en avez fait bénéficier la société, ou vous avez donné des exemples de domaines où la société pourrait en bénéficier davantage; et vous avez également été témoin de ce qui se produit lorsque les ensembles de données, auxquels on a soudainement accès, ne sont pas disponibles pour être utilisés de la façon dont ils l'ont déjà été.
Je vais vous demander à tous les deux, en notre nom, lorsque vous serez partis, de réfléchir, si vous deviez nous faire des recommandations précises, à la façon dont, selon vous, nous pourrions formuler des recommandations sur, dans un premier temps, l'importance de l'obtention de ces données, la capacité de les recueillir, les méthodes et les exemples de façons dont ces données peuvent être recueillies en vue de protéger les patients, et tout autre aspect auquel vous pouvez penser, après que vous serez partis, et de nous en faire part de façon abrégée.
Ces données, dans toutes nos études, sont au cœur de la question. Nous savons que nous avons dépensé des milliards pour l'élaboration de ce que l'on appelle une autoroute de l'information dans ce domaine et que nous n'avons pas obtenu grand-chose en retour en ce qui a trait à un système national. Cependant, il y a manifestement des exemples qui démontrent comment cela peut être fait.
Nous savons également que, aux États-Unis, il y a de très grands ensembles de données qui découlent des régimes d'assurance et qui traitent des médicaments sur ordonnance. D'importants ensembles de données peuvent être créés, et les renseignements personnels de chaque patient peuvent être protégés.
Si vous pouviez aborder ce point de façon claire; nous sommes à même de très bien le comprendre. Donc si vous pouviez nous en parler de façon ciblée, ce serait extrêmement utile pour nous.
J'aimerais revenir à l'exemple que M. Abrahamowicz a utilisé concernant la situation du Vioxx. Cela, pour moi — et je parle sur le plan personnel, maintenant —, représente une tragédie à deux égards. Je vais ouvrir une parenthèse pour un moment pour vous répéter la chose suivante : nous avons fait ce que nous considérons être de très importantes recommandations dans nos rapports précédents en ce qui a trait à la nécessité de la transparence des données recueillies dans le cadre d'essais cliniques. Nous avons comparé ces situations à l'échelle internationale et avons fait ce que nous pensons être de très importantes recommandations. Nous sommes d'accord avec vous pour dire que la transparence est essentielle à tout cela.
Maintenant, pour en revenir à Vioxx et aux deux tragédies : dans un premier temps, la grande tragédie du nombre de personnes qui sont décédées inutilement, apparemment en raison de la façon dont le médicament a été mis sur le marché et utilisé; et, d'autre part, ce qui l'est un peu moins, mais qui est tout de même, à mon avis, une tragédie sur le plan des bienfaits pour la santé, à savoir la perte pour d'innombrables gens du médicament qui était la solution ultime pour atténuer certains types de douleur ayant le moins d'effets indésirables possible.
Cela nous amène à aujourd'hui, au point où nous commençons à aller de l'avant concernant la question de la santé personnelle et la réalité des marqueurs génétiques. Ce que nous avons, dans le cas de Vioxx, c'est un sous-ensemble d'un sous-ensemble de la population pour qui le médicament est létal. Il y a le sous-ensemble relatif aux indications de maladies cardiovasculaires, et, dans cet ensemble, il y a un ensemble très clairement défini, et si les personnes qui le composent prennent le médicament, elles vont mourir, selon certaines doses et à certains moments, et ainsi de suite. Par conséquent, il y a eu, d'une part, la tragédie liée au fait que bon nombre d'entre elles étaient apparemment en train de mourir, et, d'autre part, il y a les personnes qui peuvent énormément bénéficier de cet analgésique.
Si nous nous tournons un peu vers l'avenir, je veux vous demander si vous pouvez penser à une façon, compte tenu de la leçon tirée avec Vioxx, dont nous pouvons envisager l'avenir et éviter la tragédie des sous-ensembles, et apprendre ce dont il s'agira avant, peut-être, l'approbation, et, en même temps, fournir, sous l'étiquette, des indications très claires quant à la façon dont le médicament peut être prescrit de manière légitime. Sommes-nous rendus là? Allons- nous y arriver dans un avenir prévisible?
Dr Juurlink : C'est toute une question. Je pense que vous avez soulevé un excellent point; le fait de mettre un nouveau médicament en vente libre constitue, en réalité, une expérience sur la population. Le nœud du problème concernant votre question, c'est l'optimisation de la prescription, de sorte que les médicaments soient dispensés à des personnes qui en retireront des bienfaits, et non à des personnes qui en seront victimes. Il y a un grand nombre de gens qui ont déploré la disparition de Vioxx parce qu'il améliorait considérablement leur qualité de vie, malgré les risques auxquels ils étaient exposés.
À l'idée d'une médecine personnalisée, je pense que, un jour, nous pourrons obtenir un petit frottis buccal ou une analyse sanguine qui indique s'il s'agit d'un médicament qui vous conviendra ou s'il s'agit d'un médicament que vous ne devez pas prendre. En fait, c'est une chose que je fais de temps à autre dans mon cabinet; il y a des médicaments qui, je sais, seront très nocifs pour un patient, alors, je vais demander un test génétique avant de les prescrire. Il y en a très peu, mais il y a deux ou trois exemples. Il est donc maintenant courant — en fait, c'est la norme de diligence — d'effectuer ce test en particulier avant de prescrire un médicament pour un patient.
Je pense qu'il se pourrait que, un jour, nous puissions faire cela dans la pratique en général, et je pense que les fabricants de médicaments le savent et qu'ils sont intéressés à étudier les médicaments de cette façon. Lorsque les fabricants de médicaments effectuent ces essais, ils veulent vraiment exclure les gens qui pourraient être à risque, et cela peut parfois être déterminé de façon génétique. Ils veulent avoir des personnes qui sont susceptibles de réagir aux médicaments dans le cadre des essais puisque cela fera en sorte que leurs essais seront moins dispendieux, plus rapides et de moins longue durée. Je pense que c'est merveilleux, et je pense que, un jour, nous pourrons le faire en exploitant le pouvoir de la génétique.
Cela ne sera utile à la population que si nous appliquons ces mêmes attributs mis à l'essai lorsque nous mettons le médicament sur le marché. Ce qui m'inquiète concernant la question de la médecine personnalisée ou la question des essais avant la mise en marché fondés sur la génétique, c'est que nous allons démontrer que des médicaments fonctionnent très bien pour certaines personnes et qu'ils sont très sécuritaires lorsqu'on se concentre sur leur constitution génétique, mais que, lorsque l'on met le médicament sur le marché, on n'applique pas le même protocole d'essai. Cela aura peut-être lieu dans 20 ou 30 ans, je ne sais pas. Cela dépend beaucoup des médicaments.
M. Abrahamowicz : De façon générale, j'ai les mêmes préoccupations que vous. Il y a peut-être deux aspects. Je crois aussi que la médecine personnalisée et que la pharmacogénomique sont passablement prometteuses. Par ailleurs, le sous-ensemble est une question très délicate. À moins qu'il y ait une étude scientifique de base qui explique à quel sous- ensemble ce médicament, ou le contraire, devrait convenir, la réaction des tenants de la sécurité serait particulièrement négative. C'est un peu ce que nous appelons une expédition de pêche. Même dans le cadre d'une étude relativement vaste, si on ne sait pas sur quel sous-ensemble se concentrer pour déterminer, de façon variable, si cela fonctionnera pour les hommes âgés, mais non pour les femmes âgées, ou si cela fonctionnera pour les personnes aux prises avec tel genre de comorbidité, mais non pour celles ayant un autre genre de comorbidité, c'est extrêmement difficile. Essentiellement, cela exige une étude sur ce que l'on appelle la modification des interactions ou des effets. L'effet dépendra de certaines caractéristiques des sujets, et cela exige au moins quatre fois plus de sujets, même s'il s'agit d'hommes en comparaison de femmes ayant des caractéristiques très distinctes. Si nous parlons d'un petit sous- ensemble, cela devient encore plus complexe.
Une des solutions relativement à certains des médicaments, comme Vioxx, c'est la collaboration internationale. Avec mes collaborateurs de McGill, nous avons commencé une initiative et effectuons actuellement des analyses au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada et en France. Pour des motifs de confidentialité, le gouvernement ne nous permettra pas de réunir les données. Nous utilisons des méthodes statistiques pour combiner les résultats ou en examiner la cohérence. Cela aide un peu, mais c'est un long processus. Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas commencer. Nous devons continuer d'essayer, sans être trop optimistes.
Il y a une autre question que je voulais brièvement soulever. En toute honnêteté, les résultats d'un essai clinique ont démontré un risque de maladie cardiovasculaire accru même chez les personnes n'ayant aucun antécédent de maladie cardiovasculaire. D'une part, le sous-ensemble peut fonctionner à deux égards. Dans un premier temps, le médicament peut parfois avoir des conséquences involontaires pour ce sous-ensemble seulement. Dans un deuxième temps, il peut augmenter les risques pour tout le monde, mais si, au départ, le risque est très faible, alors, une double augmentation du risque signifie que l'on passe de 1 sur 1 000 à 2 sur 1 000 et qu'il est ensuite malheureusement nécessaire d'équilibrer les bienfaits, d'une certaine manière.
Mon exemple préféré, qui vient d'un des grands philosophes, c'est que nous prenons toujours des décisions en fonction des probabilités et de la gravité des différents risques. Par exemple, il semble peut-être que personne ne prendra le risque de mourir pour tirer un petit gain, mais les gens traversent la rue et risquent, par conséquent, d'être tués par une voiture, parce qu'une chose coûte 10 ¢ de moins de l'autre côté de la rue.
Nous devons quantifier ce risque, mais il faudra toujours, dans une certaine mesure, faire preuve de jugement. Est-il justifié d'exposer un patient à un risque légèrement plus élevé afin d'éviter qu'il souffre énormément et d'accroître sa qualité de vie?
Le président : Je vous remercie beaucoup tous les deux. Nous sommes impatients d'avoir vos conseils quant à la façon dont nous pouvons recommander un système de collecte de données absolument infaillible et efficace qui sera grandement bénéfique pour la santé des Canadiens.
Je veux remercier mes collègues pour leurs questions. La séance a été, comme à l'habitude, très intéressante. Encore une fois, nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir comparaître devant nous, malgré vos carrières extrêmement chargées.
Cela dit, je déclare la séance levée.
(La séance est levée.)