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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 11 - Témoignages du 9 avril 2014


OTTAWA, le mercredi 9 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 13, pour son étude sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada (sujet : la nature des conséquences involontaires de l'emploi de produits pharmaceutiques sur ordonnance).

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, la séance est ouverte. Avant les présentations d'usage, n'oublions pas que les sénateurs doivent exceptionnellement retourner voter à 17 h 30. Par conséquent, la séance se terminera au plus tard à 17 h 15. Les sénateurs qui le souhaitent peuvent partir un peu plus tôt s'ils ont besoin de temps supplémentaire pour retourner à la Chambre. Quoi qu'il en soit, c'est la situation.

Je prie nos distingués témoins de nous excuser. Nous recevons deux visiteurs de marque, que je vais présenter avant leur exposé.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, sénateur de la Nouvelle-Écosse et président du comité. J'invite mes confrères à se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, sénatrice de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Chaput : Je suis Maria Chaput, du Manitoba.

La sénatrice Nancy Ruth : Je suis la sénatrice Nancy Ruth, de Toronto.

La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Eaton : Nicole Eaton, de l'Ontario aussi.

La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le président : Merci infiniment, chers collègues. Je tiens à vous rappeler que nous sommes rendus au quatrième segment de notre étude en quatre volets sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada. Nous nous attardons cette fois-ci aux conséquences involontaires.

J'invite le chef régional de l'Ontario de l'Assemblée des Premières Nations, Stan Beardy, à présenter son exposé. Nous avons déterminé qui allait prendre la parole en premier, et nous allons suivre l'ordre dans lequel vous apparaissez à l'ordre du jour. La parole est à vous, monsieur Beardy.

Stan Beardy, chef régional, Ontario, Assemblée des Premières Nations : Merci infiniment. Meegwetch. J'aimerais d'abord remercier le peuple algonquin, sur le territoire duquel nous nous rencontrons.

C'est avec plaisir que je comparais devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie afin d'éclairer davantage l'étude et le rapport final du comité sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada.

L'Assemblée des Premières Nations considère comme une priorité absolue les pourparlers avec le gouvernement au sujet des produits pharmaceutiques sur ordonnance.

Premièrement, j'aimerais parler de l'article 23 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui établit que :

Les peuples autochtones ont le droit de définir et d'élaborer des priorités et des stratégies en vue d'exercer leur droit au développement. En particulier, ils ont le droit d'être activement associés à l'élaboration et à la définition des programmes de santé, de logement et d'autres programmes économiques et sociaux les concernant, et, autant que possible, de les administrer par l'intermédiaire de leurs propres institutions.

Deuxièmement, l'Assemblée des Premières Nations vise depuis longtemps à combler l'écart en matière de résultats sanitaires entre les Premières Nations et la population canadienne en général. Cet objectif doit être partagé par Santé Canada, comme il est démontré dans son mandat exprès consistant à « surmonter les obstacles en matière de santé, faire face à des menaces de maladies et atteindre des niveaux de santé comparables à ceux du reste des Canadiens ».

Bien que nous partagions manifestement des objectifs similaires, il reste que les peuples autochtones continuent de souffrir d'une mauvaise santé, de façon disproportionnée. Par conséquent, il faut reconnaître le lien entre les facteurs historiques, culturels, économiques, politiques et juridiques, c'est-à-dire les déterminants sociaux de la santé, influant sur le bien-être des peuples autochtones.

Troisièmement, l'accès équitable aux produits pharmaceutiques sur ordonnance dans le cadre du programme des Services de santé non assurés, ou SSNA, suscite de sérieuses préoccupations chez les Premières Nations. Tout comme plusieurs de vos présentateurs précédents, les Premières Nations ont des intérêts et des préoccupations similaires quant aux conséquences de l'usage non voulu des produits pharmaceutiques, ainsi qu'à la surveillance et, aspect plus important, aux approbations des produits pharmaceutiques modernes et efficaces figurant sur le formulaire pharmaceutique du Programme des SSNA.

Voici des exemples de sujets préoccupants : suppression de prestations de la liste, changements à l'admissibilité aux prestations, exigence préalable à l'approbation et prédétermination, réductions des coûts des services de pharmaciens, comme les marges bénéficiaires et les honoraires professionnels, et application de solutions pharmaceutiques de rechange à faible coût, comme les médicaments génériques.

De plus en plus, les fournisseurs de services comme les pharmaciens, les dentistes et les orthodontistes demandent aux Autochtones de payer comptant en raison de frustrations continues liées à l'administration du programme — des problèmes comme les retards dans la réception des paiements, et les travaux d'écriture excessifs. En conséquence, un grand nombre de particuliers autochtones ayant besoin de services ne disposent pas des ressources requises pour payer d'avance, et se voient refuser de plus en plus de traitements essentiels.

Depuis plusieurs années maintenant, l'APN voit de nombreuses résolutions demandant qu'on s'occupe du problème croissant de dépendance à l'égard des opiacés dans certaines communautés autochtones, ainsi que du Programme des SSNA déficient. Plus particulièrement, nous tenons à exprimer nos préoccupations concernant la quantité étonnamment limitée de données de qualité concernant l'utilisation abusive d'opioïdes sur ordonnance chez les Premières Nations, ce qui empêche de planifier efficacement les ressources et les services qui conviennent aux Premières Nations.

Plus particulièrement, le Programme des SSNA n'encourage pas l'utilisation du Suboxone chez les clients autochtones, peu importe où ils habitent, pas plus qu'il ne coordonne les normes et les procédures afférentes avec les mesures de traitement en matière de santé mentale et de dépendances.

À l'heure actuelle, le Programme des SSNA et la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits ne financent pas les programmes de rétablissement à long terme, qui sont des pratiques exemplaires en santé mentale et dans le traitement des dépendances. Surtout, les Premières Nations ont besoin, pour assurer une santé optimale, de modèles de traitement et de rétablissement à long terme convenables sur le plan culturel qui bénéficient d'un financement durable.

Dans l'ensemble, nous exhortons le gouvernement de financer de façon durable les services communautaires pour les problèmes de dépendance, de même que la formation indispensable des professionnels de la santé et des travailleurs de première ligne afin qu'ils puissent administrer efficacement le Suboxone au sein des collectivités de Premières Nations.

Récemment, le chef national et moi-même avons rencontré Rona Ambrose, ministre de la Santé, et nous avons convenu de mener un examen exhaustif conjoint du Programme des SSNA afin de mieux cerner les lacunes et les avantages. Bien qu'il nous tarde d'entreprendre les prochaines étapes de ce processus d'examen conjoint, nous tenons à signaler le besoin urgent de moderniser le Programme des SSNA et d'en améliorer la transparence afin de mieux répondre aux besoins des Premières Nations.

À l'heure actuelle, le Programme des SSNA ne tient pas compte des normes et des pratiques exemplaires de l'industrie pour ce qui est des services médicaux couverts. Par exemple, en ce qui concerne le bien-être mental, il y a lieu de signaler l'absence de couverture, dans le Programme des SSNA, de médicaments modernes qui sont considérés comme des options de traitement générales au sein d'autres populations.

De plus, le Programme des SSNA couvre de vieux médicaments qui sont moins coûteux que les nouveaux médicaments modernes servant à traiter les troubles de santé mentale, indépendamment du fait que les vieux médicaments entraînent des effets secondaires à long terme, dont certains sont permanents.

Récemment, l'Association dentaire canadienne a fait une présentation devant ce même comité, et a mentionné le problème d'accès aux analgésiques pour les clients autochtones. Fait plus important, l'association a soulevé des préoccupations à savoir que le Programme des SSNA ne couvre pas Toradol, un médicament anti-inflammatoire non stéroïdien et un médicament non narcotique ne créant pas de dépendance, pour traiter la douleur. Par conséquent, nous nous inquiétons de ce que les options non narcotiques, ne créant pas de dépendance, qui sont accessibles à la population en général ne le sont pas pour les clients autochtones. Il est évident que les options pour traiter la douleur sont limitées dans le cadre de ce programme en ce qui concerne les patients autochtones et les professionnels de leur équipe de soins de santé.

Pour conclure, l'APN travaille avec les secteurs des programmes de la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits, ou DGSPNI, qui comprennent des stratégies relatives à l'abus des médicaments sur ordonnance visant les communautés des Premières Nations dans les domaines de la prévention, du traitement et de l'application des règlements. Celles-ci comprennent le Plan d'action stratégique pour le mieux-être mental des Premières Nations et des Inuits, un continuum du mieux-être mental, la Stratégie nationale antidrogue, le Programme national de lutte contre l'abus d'alcool et de drogues chez les Autochtones, et le Programme national de lutte contre l'abus de solvants chez les jeunes.

Outre notre partenariat avec la DGSPNI, l'APN a participé au Comité de coordination de l'abus de médicaments d'ordonnance et aux activités du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies.

L'APN travaille également en partenariat dans divers domaines d'intérêt mutuel avec l'Association médicale canadienne, l'Association dentaire canadienne et l'Association pharmaceutique canadienne ainsi que d'autres organismes professionnels afin de faire progresser cet important travail.

Nous apprécions cet engagement continu et encourageons la poursuite des efforts concertés visant à régler le problème d'abus des produits pharmaceutiques et des médicaments sur ordonnance. Nous continuons également de demander un financement qui soit souple et durable à long terme pour veiller à ce que les solutions à l'abus des médicaments sur ordonnance soient axées sur la communauté, de sorte que nos familles puissent continuer de se rétablir des impacts de la colonisation et d'avancer sur le chemin du bien-être.

Les Premières Nations sont la population canadienne la plus jeune et dont la croissance est la plus rapide. Ce travail est dans notre intérêt à tous. Pour que le Canada soit fort et sain, il faut que les Premières Nations soient fortes et saines.

En conclusion, l'APN soumet les recommandations suivantes :

Tout d'abord, que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie entreprenne un examen exhaustif du Programme des SSNA.

Deuxièmement, que le Programme des SSNA et tous les systèmes de soins de santé assurent la durabilité de ressources qui soient adaptées à la croissance démographique et aux besoins sanitaires.

En troisième lieu, appuyer la mise en œuvre, l'évaluation et le financement appropriés de la Stratégie nationale de lutte contre l'abus des médicaments d'ordonnance du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, intitulée « S'abstenir de faire du mal », publiée en 2013.

Quatrièmement, appuyer le continuum de services de mieux-être mental pour les Premières Nations en incluant un financement durable à long terme.

En cinquième lieu, appuyer et financer la création d'un réseau de rétablissement à long terme pour les Premières Nations suivant le modèle du Programme national de lutte contre l'abus d'alcool et de drogues chez les Autochtones.

Le président : Merci infiniment. Je vais maintenant laisser la parole à Carol Hopkins, directrice exécutive de la Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances.

Carol Hopkins, directrice exécutive, Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances :

[Note de la rédaction : Mme Hopkins s'exprime dans une langue autochtone.]

Je vous remercie de m'avoir invitée à m'adresser à vous aujourd'hui. Je tiens aussi à saluer le peuple algonquin, sur le territoire duquel nous sommes réunis aujourd'hui.

Je vous ai préparé un long exposé, mais j'aimerais attirer votre attention sur cinq points essentiels décrivant les conséquences involontaires des médicaments sur ordonnance chez les Premières Nations du Canada. Ces points se rapportent aux thèmes suivants : la capacité communautaire, la gestion du sevrage et les interventions pharmaceutiques, le syndrome d'abstinence néonatal, l'hépatite C, le VIH et le sida, ainsi que la violence et la criminalité. Je vous laisse aussi des renseignements concernant la pression accrue sur le système de santé, la stigmatisation et la discrimination, puis la protection de l'enfance et le fonctionnement de la famille.

De nombreux rapports ont cerné les enjeux découlant de l'intensification et l'aggravation des problèmes de toxicomanie au sein des populations autochtones. On parle notamment de mauvais traitements infligés aux enfants, de perte culturelle bien documentée, de violence familiale, du niveau de scolarité, de l'emploi, des activités liées aux gangs, des deuils et des pertes, des traumatismes hérités, et ainsi de suite.

Après un examen approfondi d'un certain nombre de ces sujets, on constate qu'il n'y a pas de données nationales sur le Canada, et encore moins sur les peuples autochtones. Les données existantes sont le fruit d'une extrapolation visant à situer les Premières Nations dans leur contexte.

Nous savons que les médicaments sur ordonnance visant à soulager la douleur tant physique que psychologique, comme les benzodiazépines et les opiacés, sont lourds de conséquences involontaires chez les Premières Nations du Canada. Nous connaissons aussi les nombreuses forces de ce peuple, notamment sur le plan culturel, et savons qu'il y a eu des avantages considérables à miser sur la culture en présence de problèmes de toxicomanie.

Nous savons aussi que les collectivités manquent de ressources communautaires pour lutter contre les problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Dans le cadre du Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones en milieu communautaire, ou PNLAADA, il incombe souvent à un travailleur communautaire de s'occuper du dépistage, de l'intervention précoce, de la gestion du sevrage, des soins et de la coordination conformément à une approche de développement communautaire et de promotion de la santé.

Les Premières Nations qui signalent un seuil critique de dépendance aux opiacés parlent désormais des nombreux enfants qui présentent des troubles du comportement attribuables à une telle dépendance dans le milieu familial et aux effets résiduels de la méthadone. Ce que je veux dire, c'est que la recherche montre que les troubles relatifs aux liens affectifs et à l'attachement augmentent chez les mères dépendantes aux opiacés en raison des problèmes qui en découlent, comme l'allaitement difficile, l'irritabilité et les troubles du sommeil. Même lorsque les parents se portent bien, qu'ils regagnent un sentiment de bien-être et qu'ils remédient à leurs problèmes psychiatriques et à leur détresse, ces améliorations se reflètent rarement dans le rapport parent-enfant, qui est rarement modifié.

Les Premières Nations qui s'attardent aux dommages causés involontairement par les médicaments sur ordonnance commencent à en constater les effets dans les écoles. Ils n'ont toutefois pas les ressources nécessaires pour corriger ces troubles du comportement. Nous savons bien que les cours de ces écoles ne répondent pas bien à ces besoins particuliers.

À propos du système d'éducation, j'ai par exemple reçu le rapport d'un directeur de l'enseignement au sein d'une Première Nation qui portait sur trois écoles du milieu. On lui avait signalé une situation inquiétante concernant la consommation illicite de médicaments sur ordonnance par le personnel scolaire du milieu, et pas seulement par des membres de la Première Nation.

Les programmes de traitement en établissement, tels que le PNLAADA et le Programme national de lutte contre l'abus de solvants chez les jeunes, ou PNLASJ, manquent eux aussi de ressources pour contrer adéquatement les problèmes complexes de polytoxicomanie, y compris chez les clients subissant des interventions pharmacologiques. Nous constatons que les centres de traitement ont besoin de ressources supplémentaires afin de maintenir une main-d'œuvre qualifiée correspondant aux normes de qualité rigoureuses de l'accréditation, et afin de prendre les mesures qui s'imposent pour répondre aux besoins complexes entourant les problèmes de consommation de médicaments sur ordonnance.

Dans les milieux où les ressources permettent d'offrir le PNLAADA, on a constaté que les clients avaient consommé des opiacés pendant 15 ans au minimum; qu'au moins 30 p. 100 des clients traités avaient aussi été dépendants aux opiacés; et que le tiers d'entre eux avaient signalé un trouble mental diagnostiqué ou soupçonné.

Étant donné les ressources limitées du PNLAADA pour lutter contre l'abus de médicaments sur ordonnance, les clients des Premières Nations vont se faire soigner ailleurs. On se demande désespérément souvent qui paie la note des traitements privés et publics. Récemment, une collectivité a d'ailleurs dit avoir reçu une facture de 14 000 $ d'un établissement privé qui traite ce genre de clients.

Les centres de traitement ont également signalé que certains clients traités à la méthadone se présentent sans connaître les cheminements thérapeutiques qui pourraient leur permettre de cesser complètement de consommer. Les collectivités qui ont adopté une approche de développement communautaire adaptée à la culture pour s'attaquer aux problèmes d'abus de médicaments sur ordonnance ont réussi, ce qui se traduit par une amélioration des relations familiales et par une réaffectation des ressources pour les familles, qui étaient auparavant consacrées à la toxicomanie. Ces ressources représentent environ 80 p. 100 du revenu et servent au fonctionnement de la famille, comme la nourriture, les accessoires ménagers et les jouets d'enfants restaurés pour le foyer et la collectivité. On constate un retour à la culture et à l'identité des Premières Nations. C'est grâce à la mise en commun des ressources du milieu que les collectivités ont pu offrir des programmes mieux coordonnés ayant un effet sur l'ensemble du peuple. Mais même dans ces situations, il a fallu des ressources préexistantes ou supplémentaires pour favoriser et gérer la collaboration.

Les programmes communautaires de substitution aux opiacés ne répondent qu'à une infime partie des besoins. Les collectivités vantent les mérites de ce traitement, mais précisent aussi que toute une série de besoins se manifestent lorsque les clients commencent à aller mieux. Or, les ressources communautaires ne permettent pas d'y répondre. Prenons l'exemple du fardeau supplémentaire pour les travailleurs en santé mentale et en toxicomanie. Les collectivités sont dépassées par l'augmentation soudaine de l'attention accordée à l'éducation, aux institutions financières et aux services de counselling. Lorsqu'une collectivité réussit, d'autres membres qui ne sont pas dépendants aux opiacés cherchent une aide supplémentaire.

Les mauvaises relations avec les fournisseurs de soins de santé rendent aussi les Premières Nations vulnérables devant les médecins. Les Premières Nations n'ont pas l'impression de pouvoir clarifier les choses, discuter ou nouer une relation de qualité où l'on parle du traitement prescrit, des médicaments et de leurs propriétés accoutumantes.

Le stress post-traumatique, un trouble couramment diagnostiqué chez les survivants des pensionnats indiens, est souvent traité à l'aide de benzodiazépines. Bien que le médicament aide les gens à fonctionner, il ne règle en rien le traumatisme non résolu attribuable aux pensionnats, pas plus qu'il ne supprime le besoin de ressources supplémentaires pour des services de thérapie. Certains craignent aussi que les médecins qui n'arrivent pas à gérer les dépendances hésitent davantage à prescrire correctement des opiacés aux Premières Nations.

Pour ce qui est de la gestion du sevrage et des solutions pharmacologiques, je vous ai remis une série de chiffres sur les taux de consommation. Nous avons constaté une augmentation constante et exponentielle du nombre d'Autochtones se faisant prescrire de la méthadone comparativement à la population canadienne. Les chiffres semblent atteindre un plateau en 2012, alors que le Suboxone est devenu remboursable dans des cas exceptionnels. Les politiques entourant le remboursement du Suboxone dans des circonstances exceptionnelles causent des problèmes importants aux Premières Nations : la gestion du transport quotidien des clients pour l'administration de la méthadone; la gestion des soins de longue durée; et les répercussions sur l'ensemble de la collectivité, si elle est située particulièrement près de municipalités ou de villes offrant des programmes de traitement à la méthadone.

Le problème semble très grave en milieu rural. Les distributeurs de méthadone à but lucratif doivent conserver une clientèle et être rentables pour justifier l'emplacement, ce qui semble à première vue constituer un conflit d'intérêts. Même si des clients souhaitent réduire progressivement leur consommation de méthadone, certains distributeurs sont réticents et font valoir que la dépendance aux opiacés est une maladie incurable, et que le client devra prendre le médicament à vie.

D'ailleurs, les clients tolèrent mieux le Suboxone et ont l'impression de pouvoir reprendre le contrôle de leur vie, de leur santé et de leur bien-être.

Contrairement à la méthadone, qui fait l'objet de restrictions, le Suboxone peut être administré au sein des collectivités par les médecins, le personnel infirmier et des citoyens formés. Il s'agit donc d'un traitement plus direct pour les membres des Premières Nations qui souhaitent se libérer de leur dépendance aux opiacés.

Ce traitement règle aussi la question des déplacements et des absences pour la famille et la collectivité qui restent derrière lorsque les membres des Premières Nations doivent se déplacer à partir d'un milieu éloigné et isolé pour obtenir de la méthadone. Aussi, les chiffres déclarés par les SSNA en 2012 indiquent que le Suboxone coûte moins cher par client que la méthadone, annuellement.

Toutefois, on m'a dit qu'une des raisons pour lesquelles le Suboxone n'est pas plus facile à obtenir au sein des collectivités de Premières Nations, c'est le fardeau qu'il représente pour le personnel infirmier, qui est essentiellement le seul service de soins de santé primaires offert dans le milieu. C'est notamment attribuable à la charge de travail, mais également au fait qu'il est souvent difficile d'entreposer sécuritairement le médicament dans les collectivités.

Que ce soit bien clair : la dépendance aux médicaments sur ordonnance atteint des proportions épidémiques dans les collectivités et ne peut pas être enrayée avec des initiatives à court terme, compte tenu des problèmes de charge de travail et des ressources actuelles. Le sevrage accroît les risques de suicide et de surdose. Chez les membres des Premières Nations qui fréquentent les centres de traitement du PNLAADA, comme en Saskatchewan et dans les provinces de l'Atlantique, où les programmes de traitement à la méthadone sont offerts aux collectivités dans le cadre de leurs soins de santé, on arrive davantage à les aider à se défaire de leur dépendance aux opiacés, y compris à cesser complètement la méthadone.

Pour ce qui est du syndrome d'abstinence néonatal, les différentes lignes directrices ne sont pas uniformes en ce qui a trait aux pratiques exemplaires de traitement chez les femmes enceintes ayant une dépendance aux opiacés. Un certain nombre de lignes directrices conviennent d'éviter la désintoxication pendant la grossesse, surtout au premier trimestre, alors que certaines parlent d'offrir un traitement d'entretien à ces femmes. Deux lignes directrices indiquent qu'un traitement d'entretien à la méthadone et à la buprénorphine améliore les résultats tant pour la mère que pour l'enfant.

Alors qu'une des lignes directrices préconise une monothérapie à la buprénorphine Subutex, les lignes directrices de l'Organisation mondiale de la santé recommandent la méthadone chez la femme enceinte. Une autre encore recommande d'éviter la combinaison de buprénorphine et de naloxone pendant la grossesse.

La prévalence de nourrissons atteints du syndrome d'abstinence néonatal augmente sensiblement, une information qui provient de l'Ontario. On apprend que le syndrome est cinq fois plus courant chez les bébés dont la mère donne naissance à un premier enfant avant l'âge de 19 ans. Au sein des Premières Nations, nous savons qu'au moins 20 p. 100 des nourrissons sont nés de mères adolescentes. Il n'est donc pas surprenant qu'on estime des taux plus élevés dans le Nord de l'Ontario. Aussi, ces chiffres pourraient être nettement plus importants en Ontario puisque les médecins n'identifient pas systématiquement le syndrome.

Le problème entourant la gestion du sevrage aux opiacés pendant la grossesse, c'est qu'il faut souvent plusieurs semaines avant d'avoir accès à la buprénorphine. Nous savons qu'il est primordial de gérer le sevrage de stupéfiants chez les femmes enceintes puisqu'une cessation soudaine peut compromettre la santé tant de la mère que du fœtus. Les femmes enceintes qui sont dépendantes aux opiacés ont tendance à accoucher plus tôt et plus vite, et nécessitent des soins postnataux à proximité du domicile, ce qui est un problème pour les collectivités rurales et isolées. Un certain nombre de problèmes sont attribuables au fait que les bébés dont la mère a été traitée à la méthadone pendant la grossesse doivent demeurer plus longtemps à l'hôpital. Aussi, la recherche montre que ces bébés ont 74 p. 100 plus de risque d'être atteints du syndrome de mort subite du nourrisson. Nous savons que les Oxy sont administrés d'abord par la voie orale, puis par la voie nasale, et enfin par la voie intraveineuse. Vous avez également reçu de l'information sur les taux élevés de l'hépatite C, du VIH et du sida chez les Autochtones, et sur la forte croissance des problèmes découlant du sevrage aux opiacés.

Pour ce qui est de la criminalité et de la violence, les taux élevés d'abus de médicaments sur ordonnance chez un nombre grandissant de membres des Premières Nations se traduisent au sein des collectivités par une augmentation de la violence, de la criminalité, du trafic de stupéfiants, d'autres formes de mauvais traitements et du suicide.

Des sévices et des crimes graves ont été signalés. Plus particulièrement, les personnes vulnérables comme les femmes, les jeunes et les enfants servent de passeurs de drogue.

Je vais terminer avec les recommandations que je souhaitais vous adresser. Un peu comme l'Assemblée des Premières Nations, nous vous recommandons d'accorder un soutien financier durable et souple aux Premières Nations, car les ressources actuellement distribuées aux Premières Nations en fonction des propositions ne permettent certainement pas de maintenir le bien-être découlant de ces initiatives. Les collectivités ont besoin d'un soutien accru pour : la planification des services; l'évaluation; le perfectionnement des ressources humaines; la continuité de soins adaptés à la culture; la gestion du sevrage encadrée et adaptée à la culture; les traitements de substitution aux opiacés dans le milieu, y compris l'amélioration de l'accès au Suboxone et au Subutex, et l'élimination des clauses « exceptionnelles » du Programme des SSNA; l'éducation des Premières Nations afin de répondre aux besoins particuliers des enfants touchés par l'abus de médicaments sur ordonnance, y compris des programmes d'apprentissage préscolaire et d'acquisition de compétences parentales qui sont adaptés à la culture et qui favorisent un sentiment d'attachement entre le parent et l'enfant; des programmes de prévention du crime chez les jeunes du milieu; et des interventions adaptées à la culture faisant appel au savoir ancestral de professionnels autochtones.

Merci.

Le président : Merci beaucoup. Passons maintenant aux questions.

Le sénateur Eggleton : Merci infiniment de vos exposés. J'aimerais m'attarder à l'OxyContin. Chef Beardy, vous avez mentionné un autre médicament sur ordonnance, soit l'anti-inflammatoire non stéroïdien Toradol, pour lequel vous dites ne pas pouvoir obtenir de remboursement dans le cadre du Programme des SSNA.

Qu'en est-il de l'OxyNEO? Le fabricant a retiré l'OxyContin du marché pour le remplacer par l'OxyNEO, après quoi le premier est réapparu sous forme générique, ce qui est plutôt regrettable compte tenu des cas d'utilisation abusive qu'il y a eu. Le Programme des SSNA couvre-t-il l'OxyNEO?

Mme Hopkins : Oui.

M. Beardy : Le problème pour nous, les Premières Nations, c'est que l'interprétation des politiques change régulièrement, faisant en sorte que nous ne savons jamais vraiment quels médicaments sont remboursables ou non. Puisque le Programme des SSNA est une politique et non une mesure législative, ce n'est jamais vraiment très clair. Nous pouvons probablement être remboursés dans certains cas, mais l'interprétation incombe la plupart du temps au pharmacien ou au distributeur du médicament. C'est une partie du problème puisque nous ne savons jamais clairement ce qui est remboursable.

Le sénateur Eggleton : Il y a tellement de programmes et de rapports... Quel est selon vous le meilleur outil pour régler certains des problèmes? Je remarque par exemple le document signé en décembre 2012 par le chef national, qui porte sur la désintoxication au Suboxone et sur les modèles de programmes de traitement à long terme. Nous en avons peu entendu parler aujourd'hui, mais s'agit-il de votre programme le plus utile entourant les questions d'abus pharmacologique et de conséquences involontaires?

M. Beardy : Nous préconisons notamment un examen conjoint du Programme des SSNA lui-même. Mais pour examiner la situation dans son ensemble, il faut veiller à ce que les services dispensés aux Premières Nations aient un fondement législatif, sans quoi nous sommes régis par une politique, ce qui signifie une absence de norme ou de minimum. Voilà donc ce avec quoi nous composons.

Pour assurer l'accès à des soins de qualité pour les Premières Nations, je pense que nous devons notamment déterminer quel genre de cadre législatif est nécessaire pour fixer des normes et des minimums et pour avoir accès à des soins de qualité.

Le sénateur Eggleton : Madame Hopkins?

Mme Hopkins : Comme nous l'avons dit, le Suboxone n'est remboursé que dans des cas exceptionnels. L'accès au Suboxone dans le milieu, dont il est question dans le rapport que vous mentionnez, n'a été possible que conjointement à des démarches et à des interventions adaptées à la culture. Les taux de réussite étaient supérieurs dans ces collectivités, mais ce genre d'exemple est très rare.

Ce n'est pas ainsi d'un bout à l'autre du Canada, et encore moins chez les Premières Nations qui tentent de contrer les conséquences involontaires des médicaments sur ordonnance.

Le sénateur Eggleton : Et pourquoi?

Mme Hopkins : Parce que le Suboxone n'est pas facile à obtenir.

Le sénateur Eggleton : N'est-il pas remboursable dans le cadre du Programme des SSNA?

Mme Hopkins : Oui, mais dans des cas exceptionnels; il faut toutefois attendre longtemps pour obtenir les approbations, et la compréhension des dispositions n'est pas toujours uniforme. Comme le chef Beardy l'a dit, la politique n'est ni appliquée ni comprise de façon uniforme partout au pays. Si le médicament n'est pas plus facile d'accès, c'est parce qu'on s'inquiète du responsable de son administration et de son entreposage en lieu sûr, et non parce qu'on manque de preuves sur ses bienfaits.

Le sénateur Eggleton : Merci.

M. Beardy : Pour ce qui est du Suboxone, je sais qu'on offre des programmes communautaires de détoxification dans le Grand Nord de l'Ontario, que je connais bien, mais puisqu'aucune politique n'en parle explicitement, ils ne comprennent aucun volet sur le traitement à long terme ou la transition. Tout ce que nous essayons de faire, c'est de baisser le taux de toxicomanie qui peut atteindre 80 p. 100 là-bas. Or, c'est tout un défi sans politiques, ressources financières ou professionnels pour appuyer les efforts déployés par les Premières Nations à l'échelle communautaire.

La sénatrice Seidman : J'aimerais parler d'un communiqué spécial que vous avez publié à la fin de 2013 concernant des tables rondes régionales et un forum national sur les politiques, qui devait avoir lieu au début de 2014 justement dans le but de remédier à la crise. Vous avez parlé d'une crise du Programme des SSNA, et j'aimerais savoir où nous en sommes. J'imagine que les tables rondes régionales ont eu lieu en février; le forum devait quant à lui être organisé en mars. Vous nous dites que vous aimeriez trouver les meilleures solutions et les meilleures mesures possible pour favoriser une modification du Programme des SSNA.

Les gouvernements provinciaux étaient-ils représentés à ces tables rondes régionales? Avez-vous adopté une série de recommandations qui pourraient nous être utiles lorsque nous élaborerons nos propres recommandations dans le cadre de l'étude?

M. Beardy : Merci infiniment de votre question. Juste après le Nouvel An, nous avons amorcé le processus de consultation dans toutes les régions canadiennes au moyen de 10 tables rondes. Notre séance nationale de synthèse s'est déroulée à Toronto les 19 et 20 mars derniers, et nous avons commencé à regrouper l'ensemble des points communs au pays.

L'APN est justement en train de faire la synthèse de tous les constats et de dégager les tendances qui se dessinent d'un océan à l'autre. Il s'agira donc d'un cadre national, mais aussi des défis et des possibilités propres aux régions.

L'important ici, c'était d'essayer de trouver des solutions créatives nous permettant de travailler avec de nombreux partenaires afin de commencer à surmonter les difficultés. Nous faisons aussi appel à des organisations non gouvernementales, car nous savons que nous ne pouvons pas compter uniquement sur les gouvernements. L'APN a noué des partenariats multipartites puisqu'il faut adopter les normes et les meilleures pratiques de l'industrie. L'Ontario participe bel et bien aux pourparlers; ses représentants sont à la table et discutent avec nous.

En mai, je devrais rencontrer à nouveau la ministre fédérale de la Santé afin de commencer à examiner les priorités immédiates d'un bout à l'autre du Canada et d'instaurer un dialogue sur les stratégies à adopter pour la suite des choses. En attendant, nous continuerons à mettre au point et à étoffer des politiques concernant les autres difficultés partout au pays.

La sénatrice Seidman : Merci infiniment, chef Beardy. Je vous en suis reconnaissante.

Dans votre exposé, madame Hopkins, vous avez nommé certains segments de la population qui sont plus susceptibles d'abuser des médicaments sur ordonnance.

Voici ce que j'aimerais savoir : des programmes ont-ils été créés pour viser expressément ces groupes vulnérables? Aussi, Santé Canada appuie-t-il une telle approche ciblée dans le cadre de ses programmes?

Mme Hopkins : Permettez-moi de vous donner un exemple relatif au programme de prévention du crime financé par Sécurité publique Canada.

Santé Canada ne finance aucun programme s'adressant directement aux jeunes dans les écoles des Premières Nations.

Les programmes de Santé Canada qui financent les Premières Nations sont le Programme national de lutte contre l'abus de l'alcool et des drogues chez les Autochtones, ou PNLAADA, et le Programme national de lutte contre l'abus de solvants chez les jeunes, ou PNLASJ. Cet argent permet souvent d'embaucher un travailleur dans le milieu, mais il est possible que la somme ne suffise même pas à un poste à temps plein, selon la taille de la collectivité. Il incombe donc à ce travailleur de répondre aux besoins de la population.

L'Ontario a bénéficié d'un certain financement : 2 millions de dollars ont été investis dans des programmes communautaires. Le financement de ces programmes visait le développement des collectivités, en collaboration avec le gouvernement provincial, mais je ne crois pas que le financement ait été maintenu — du moins, la dernière fois que j'ai vérifié, le financement entre le gouvernement du Canada et celui de l'Ontario ne l'avait pas été.

Le développement des collectivités constitue une initiative à long terme et il s'agit d'une bonne solution pour s'attaquer aux problèmes liés aux médicaments sur ordonnance. Or, les programmes de financement sont de courte durée et, souvent, on s'attend à ce qu'ils donnent de très bons résultats — qui ne peuvent être obtenus en si peu de temps, par exemple, en un an.

La sénatrice Seidman : D'accord, je vais m'arrêter là pour l'instant.

Le président : Il y a trois intervenants sur la liste. Il est important que leurs questions figurent au compte rendu. Je demanderais donc aux trois sénateurs de présenter leurs questions. Elles seront consignées. Une fois qu'ils auront posé ces questions, s'il reste du temps, nous essayerons de donner aux témoins le temps d'y répondre les unes après les autres.

La greffière vous remettra par écrit celles auxquelles vous n'aurez pas eu le temps de répondre et vous invitera à le faire après la séance. Consentiriez-vous à faire cela?

Mme Hopkins : Oui.

Le président : Merci beaucoup. Les trois intervenants sur la liste sont les sénateurs Eaton, Enverga et Cordy.

La sénatrice Eaton : J'ai deux petites questions. Madame Hopkins, vous avez dressé la liste des cinq domaines clés où il y a conséquences, notamment les ressources des collectivités, le VIH, la gestion du sevrage, les programmes néonataux, la gestion des soins et aussi, je pense, la criminalité et la violence. Pourriez-vous les placer en ordre de priorité? Si vous aviez une baguette magique qui vous permettrait de mettre en œuvre un programme d'un bout à l'autre du Canada, que feriez-vous?

Enfin, pour faire suite à la question que la sénatrice Seidman a commencé à vous poser, monsieur le chef, diriez-vous que la justesse de votre application des pratiques exemplaires se classe entre celle du gouvernement fédéral et celle des gouvernements provinciaux? Bien sûr, le gouvernement fédéral est responsable des soins de santé des Premières Nations, mais, étant donné qu'il s'agit d'une compétence provinciale, les gouvernements provinciaux sont peut-être mieux informés à ce sujet ou alors ils ont plus d'expérience. Quand vous répondrez à la question, pourriez-vous parler des différences régionales pour ce qui est de la toxicomanie opiacée?

Le sénateur Enverga : Essentiellement, on dirait que ce sont les opiacés et d'autres médicaments sur ordonnance qui posent problème. Devrions-nous offrir une formation différente aux médecins et aux fournisseurs de soins de santé qui vont travailler auprès des Premières Nations?

M. Atléo et vous avez mentionné qu'il existe un problème de transparence. Pourriez-vous nous dire de quel problème il s'agit?

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. J'aimerais commencer par parler du programme de traitement du syndrome d'abstinence néonatal. De toute évidence, madame Hopkins, comme vous l'avez souligné, les lignes directrices en matière de pratiques exemplaires sont contradictoires. Il paraîtrait logique d'avoir comme point de départ des mères et des bébés en bonne santé. Pourtant, en lisant les renseignements que vous nous avez fournis, une des listes de lignes directrices recommande un traitement tandis que l'autre en recommande un autre. Qu'allez-vous faire et qui allez-vous écouter pour avoir des mères et des bébés en bonne santé?

Ensuite, j'aimerais parler de l'OxyContin. Santé Canada a refusé d'interdire la formulation générique de l'OxyContin, et ce, malgré le fait que les ministres de la Santé des provinces et des territoires ont déclaré qu'ils voulaient qu'elle soit au moins reportée, sinon carrément interdite. Ils voulaient que cette formulation générique soit reportée jusqu'à ce que le ministère puisse évaluer l'innocuité du médicament. Procède-t-on présentement à cette évaluation? Vous avez demandé que les formes génériques d'OxyContin ne figurent pas sur la liste du SSNA. Est-ce bien ce qui est arrivé?

Enfin, pourriez-vous nous dire par quoi nous devrions commencer? Vous avez parlé de commencer au sein des collectivités; mais si vous faites cela, une fois que vous irez au-delà de celles-ci, ces services ne seront pas offerts. Où devrions-nous commencer d'une perspective fédérale, comme la sénatrice Eaton l'a mentionné tout à l'heure?

Le président : Merci beaucoup. Juste avant de vous demander de répondre à la première question de la sénatrice Eaton, j'aimerais revenir à ce que vous avez fait valoir dans votre exposé et à la conclusion à laquelle la sénatrice Cordy est arrivée en ce qui concerne les problèmes liés aux analgésiques. Premièrement, si vous le voulez bien, je vous demanderais de nous dire à quel point il est important, à votre avis, de faire en sorte que des analgésiques non narcotiques soient facilement accessibles pour soulager des douleurs légitimes.

Deuxièmement, pour revenir à la question de la sénatrice Cordy sur la différence entre l'OxyNeo et l'OxyContin, la forme protégée d'opiacé à laquelle la population en général n'a pas aussi facilement accès — d'ailleurs, le sénateur Eggleton a commencé son intervention en abordant cette même question. À partir de ces questions et de vos propres observations, après mure réflexion, je vous demanderais de nous faire part de votre position concernant ces produits. Des témoins nous ont déjà parlé de l'importance de ces questions, et nous considérons qu'il serait extrêmement important de connaître exactement votre opinion.

Commençons par la première question de la sénatrice Eaton, dans laquelle elle vous a demandé, madame Hopkins, si vous avez placé les cinq problèmes clés de votre exposé dans ce que vous considérez être l'ordre de priorité. Sinon, lequel des cinq serait le plus prioritaire?

Mme Hopkins : Il s'agit d'une question difficile.

La sénatrice Eaton : Je sais que ce sont tous des priorités.

Mme Hopkins : Ils sont tous des priorités, mais il faudrait que je dise les ressources des collectivités. En cherchant à remédier au manque de ressources d'une collectivité, il faut forcément se pencher sur les besoins généraux de la population. De plus, il faut ajouter aux ressources que la collectivité possède déjà, les ressources précises qui lui permettront de s'attaquer aux problèmes d'accoutumance aux médicaments sur ordonnance.

Par exemple, il a été prouvé que lorsque la méthadone est gérée par les collectivités des Premières Nations en coopération avec d'autres ressources de ces collectivités, cela donne de bons résultats. À l'heure actuelle, malheureusement, ce n'est pas souvent le cas. Dans les collectivités des Premières Nations où le Suboxone est disponible, les résultats obtenus sont encore meilleurs. Nous avons constaté que l'utilisation du Suboxone dans les collectivités a aussi motivé beaucoup de personnes à vouloir être en bonne santé.

La sénatrice Eaton : Est-ce que le Suboxone et la méthadone créent la même accoutumance que les opiacés?

Mme Hopkins : Les deux créent des accoutumances, mais, si l'on tient compte du facteur temps, le traitement au Suboxone présente moins de risques que le traitement à la méthadone.

La sénatrice Eaton : Merci.

Le président : Chère collègue, votre deuxième question figurera au compte rendu. Par conséquent, si cela ne vous dérange pas...

La sénatrice Eaton : C'est bon. Je comprends.

Le président : Je pense qu'il vous reste assez de temps pour répondre à la question du sénateur Enverga visant à savoir si, à votre avis, en plus de la formation médicale régulière, il faudrait offrir aux fournisseurs de soins de santé dans les réserves une formation spéciale qui tiendrait compte des besoins des collectivités. Est-ce que l'un d'entre vous souhaiterait répondre à cette question? Monsieur le chef?

M. Beardy : L'abus des médicaments sur ordonnance est un nouveau problème, même pour les chercheurs. Il est plus marqué dans les collectivités éloignées. Dans le Grand Nord, nous avons des postes de soins infirmiers. La première personne à qui l'on s'adresse en matière de soins de santé, c'est une infirmière. Dans bien des cas, nous avons deux genres d'infirmières. D'une part, il y a les infirmières de Santé Canada. D'autre part, il y a ce qu'on appelle les infirmières d'agences. Ces dernières viennent d'établissements de santé du centre-ville de Toronto ou d'un autre centre urbain, et se rendent dans les réserves pour y combler les besoins. Elles n'ont pas nécessairement la formation requise pour comprendre les problèmes d'abus de médicaments d'ordonnance et l'accoutumance à ceux-ci. Tous les fournisseurs de soins de santé, même les médecins, sont obligés de suivre une formation spécialisée. Par exemple, les médecins n'ont pas le droit de prescrire du Suboxone — qui est un narcotique — sans avoir suivi une formation spécialisée avec accréditation pour en comprendre les dangers. Le problème, c'est qu'il ne suffit pas de simplement prescrire ce narcotique, et sans formation spécialisée, les médecins ne comprennent pas forcément assez bien ces collectivités pour être au courant des mécanismes de soutien requis pour rendre ce traitement plus efficace. Il est donc urgent de former les professionnels de la santé — tant les médecins et les infirmières que les intervenants de première ligne. Il faudrait certainement exiger qu'ils suivent tous une formation spécialisée.

Le président : Merci beaucoup. D'après mon expérience, je sais que les sénateurs vont bientôt commencer à quitter la salle pour aller voter, alors je ne voudrais pas qu'ils partent au milieu de vos réponses. Voilà pourquoi leurs questions figurent au compte rendu. La greffière vous donnera leurs questions par écrit. Nous sommes impatients de prendre connaissance de vos réponses.

La sénatrice Cordy : Avant que vous ne leviez la séance, j'aimerais confirmer que les réponses que nous recevrons seront considérées comme faisant partie de la documentation officielle du comité. Est-ce exact?

Le président : C'est exact. C'est pour cette raison que nous avons mis les questions au compte rendu.

La sénatrice Cordy : Merci.

Le président : Sinon, je n'aurais pas demandé cela. Cela aurait fait perdre du temps à tout le monde.

Nous tenons à vous remercier beaucoup d'avoir été parmi nous aujourd'hui. Il s'agit d'une partie très importante de notre étude. Vous savez, de bien des manières, les problèmes auxquels vous êtes confrontés vous sont propres, mais l'ensemble du pays y est aussi confronté. Vous nous avez beaucoup éclairés au sujet de ces problèmes, et nous reconnaissons la valeur de vos recommandations. Ces rapports, que vous avez préparés avec tant de minutie, nous seront très utiles. Nous vous en remercions.

Encore une fois, je remercie mes collègues avant qu'ils ne bondissent hors de la pièce. Cela met donc fin à notre séance.

(La séance est levée.)


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