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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 17 - Témoignages du 11 juin 2014


OTTAWA, le mercredi 11 juin 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 15 h 15, pour poursuivre son étude sur la teneur du projet de loi C-24, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et d'autres lois en conséquence.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m'appelle Kevin Ogilvie. Je suis le président du comité et je représente la Nouvelle-Écosse au Sénat.

Je vais demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma droite.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

La sénatrice Stewart-Olsen : Carolyn Stewart Olsen, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, Toronto.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, Ontario.

Le sénateur Tkachuk : David Tkachuk, Saskatoon.

[Français]

La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, chers collègues. Je tiens à présenter le vice-président du comité qui a été retardé.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto, vice-président du comité.

Le président : Nous procédons ici à une étude préalable du projet de loi C-24, loi modifiant la Loi sur la citoyenneté et d'autres lois en conséquence.

Nous accueillons, par vidéoconférence, Martin Collacott, du Centre pour une réforme des politiques d'immigration. Bienvenue.

Représentant l'Association du Barreau canadien, nous accueillons Barbara Jackman, membre, Section nationale du droit de l'immigration et elle témoignera par vidéoconférence. Bienvenue. Sur place, également de l'ABC, nous accueillons Kerri Froc, avocate-conseil, Réforme du droit et égalité et Barbara J. Caruso, membre de l'exécutif, Section nationale du droit de l'immigration.

Nous allons entendre tout d'abord les représentantes de l'Association du Barreau canadien. On me dit que vous allez tous les trois faire un exposé pendant les cinq minutes qui vous sont imparties. Madame Froc, vous allez commencer, n'est-ce pas?

Kerri Froc, avocate-conseil, Réforme du droit et égalité, Association du Barreau canadien : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les sénateurs. L'Association du Barreau canadien se félicite de pouvoir comparaître devant le comité au sujet du projet de loi C-24.

L'ABC est une association volontaire de 37 500 avocats au Canada. Ce sont les membres de la Section du droit de l'immigration qui ont préparé le mémoire que nous avons déposé aujourd'hui, et il a été approuvé par l'ABC afin de constituer l'opinion officielle de cette section.

Je suis accompagnée de Barbara Caruso, membre de l'exécutif de la Section du droit de l'immigration de l'ABC et de Barbara Jackman, membre et ex-présidente de la section. Je vais leur donner la parole.

Barbara J. Caruso, membre de l'exécutif, Section nationale du droit de l'immigration, Association du Barreau canadien : Bonjour. Le projet de loi C-24 devrait être intitulé « Loi visant à décourager les candidats à la citoyenneté canadienne. »

L'accès à la citoyenneté joue un rôle crucial pour inciter les résidents permanents à contribuer à notre pays sur les plans financier, social et politique. Nous souhaitons que les résidents permanents franchissent l'étape de la citoyenneté et n'aient pas peur de prendre des risques. Cette loi va les décourager ou limiter considérablement le nombre de demandeurs de la citoyenneté.

Le projet de loi C-24 ajoute des strates aux exigences à remplir pour obtenir la citoyenneté, rendant les choses plus difficiles aux candidats, le traitement des demandes devenant plus fastidieux et coûteux pour CIC. Toutes les réductions potentielles du temps de traitement résultant d'une redéfinition de la résidence « physique » seront annulées par les autres nouvelles exigences.

Notamment, on demandera désormais quatre années de résidence physique sur six, et non trois sur quatre, comme c'est le cas actuellement. Il ne sera plus possible de compter la durée de résidence temporaire au Canada en jours. On impose une exigence de séjour au Canada de 183 jours par année civile en plus des quatre années de résidence physique. Il faudra que les candidats fassent la preuve qu'ils ont fait des déclarations d'impôt et qu'ils attestent de leur intention de résider au Canada.

Que signifie avoir l'intention de résider au Canada et comment les candidats vont-ils en attester? Est-ce que ce sera le fait d'être propriétaire d'une résidence? Ce n'est pas tout le monde qui est propriétaire d'une résidence. Est-ce que ce sera un emploi au Canada? Que faire de ceux qui sont travailleurs autonomes, de ceux qui sont au foyer avec les enfants ou de ceux qui sont handicapés et qui n'ont pas d'emploi? Se bornera-t-on à demander de cocher sur un formulaire une déclaration d'intention de résider au Canada? Que se passera-t-il si cette intention n'est plus la même une fois que la demande aura été approuvée?

Le ministre affirme que ce que l'on fait après avoir obtenu la citoyenneté importe peu, car la Charte précise que les citoyens ont le droit à la mobilité, mais la citoyenneté peut être révoquée au motif de fausse déclaration et des déplacements ultérieurs à l'extérieur du Canada pourraient servir de preuve à cet égard.

Que se passerait-il si les citoyens nés au Canada devaient se plier à l'exigence de déclarer leur intention de résider ici? Wayne Gretzky serait-il toujours le « Grand »?

Les inégalités entre citoyens affaiblissent la citoyenneté canadienne. Elles ne la consolident pas. Le gouvernement devrait encourager l'accès à la citoyenneté et non pas le contraire. Il faudrait amender le projet de loi et retrancher l'article concernant l'intention.

Le président : Merci.

Barbara Jackman, membre, Section nationale du droit de l'immigration, Association du Barreau canadien : Je vais aborder la question de la révocation de la citoyenneté. Tout comme les dispositions concernant l'intention et d'autres aspects du projet de loi ne raffermissent pas la citoyenneté, celles qui concernent la révocation en fait ne font que l'éroder.

Les Canadiens qui naissent et grandissent ici peuvent compter sur une certitude et c'est celle d'appartenir à ce pays. C'est chez nous. Cette certitude va disparaître avec ce projet de loi. On retire cette certitude sans le moindre débat national que le gouvernement aurait dû susciter étant donné un changement aussi fondamental.

On n'a jamais retiré la citoyenneté à des gens qui étaient nés au Canada. Les dispositions envisagées préconisent de le faire dans le cas où des natifs commettraient certaines infractions criminelles.

Il faut bien dire que c'est le début. Si on commence à révoquer la citoyenneté dans le cas de certaines infractions, la voie est ouverte pour en ajouter d'autres. C'est ce que l'on a pu constater avec l'expulsion de résidents permanents au fil des ans. Les motifs d'expulsion de résidents permanents se sont multipliés. Dans cinq ou dix ans, de jeunes Canadiens seront-ils expulsés si on leur inflige une peine de six mois au même titre que les résidents permanents? La certitude de la citoyenneté est amoindrie.

Par ailleurs, il semble que ce soit une violation flagrante des droits de la personne. Il est interdit au Canada d'exiler ou de bannir quelqu'un de la collectivité. Le retrait de la citoyenneté équivaut à cela. Le Canada va littéralement exiler ou bannir ses propres citoyens en déclarant qu'ils ne sont pas citoyens. Il ne faudrait pas faire en coulisse ce que l'on ne peut pas faire au grand jour.

En fait, ces dispositions sont rétroactives. Elles vont s'appliquer aux gens qui ont été déclarés coupables par le passé, et ce, sans préavis si bien qu'ils vont perdre leur citoyenneté en raison d'actes dont ils se sont rendus responsables il y a bien des années. Il y a discrimination dans ces dispositions, car les Canadiens qui n'ont pas la possibilité d'obtenir une deuxième citoyenneté ne sont pas touchés. Quoi qu'ils fassent, ils ne seront pas pénalisés et menacés de perdre leur citoyenneté. Les Canadiens nés ici et les Canadiens naturalisés sont à l'abri. Ce ne sont que ceux qui peuvent revendiquer une deuxième citoyenneté qui risquent de perdre la canadienne. Ce sont des dispositions discriminatoires et on fait intervenir non pas la nationalité d'une personne, mais celle de ses parents.

Outre le fait que l'exil et l'expulsion soient des pratiques discriminatoires interdites par la Constitution, il se peut très bien que le cadre constitutionnel qui est le nôtre empêche de procéder dans ce sens.

Le président : Merci beaucoup.

Martin Collacott, porte-parole, Centre pour une réforme des politiques d'immigration : d'abord, je tiens à vous remercier monsieur le président, et mesdames et messieurs membres du comité, de m'avoir invité à témoigner aujourd'hui. Je suis ravi d'apporter ma contribution à l'étude de ce remaniement de taille des dispositions législatives concernant la citoyenneté canadienne, car, selon moi, il était grand temps.

Je dois vous dire à cet égard qu'avant de travailler pour l'Agence canadienne de développement international et le ministère des Affaires étrangères, j'ai été conseiller auprès du ministère ontarien de l'Éducation si bien que je m'intéresse depuis longtemps à ces questions.

Voici mes observations concernant les dispositions du projet de loi :

J'appuie la prolongation des exigences de résidence pour les demandeurs de la citoyenneté, lesquelles passent de trois ans sur quatre à quatre ans sur six. J'aurais préféré qu'on revienne à l'exigence antérieure à 1977, que j'avais recommandée dans un article publié en 2008, à savoir cinq ans de résidence. Je comprends que ce compromis vise à obtenir un accord.

Il faut savoir qu'aucun autre pays accueillant des immigrants, du moins que je sache, n'exige une période de résidence aussi courte que le Canada actuellement. En Australie, c'est quatre ans. Renseignements pris, j'ai constaté qu'aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et en Irlande, c'était cinq ans. En Norvège, c'est sept ans. En Allemagne et en Suisse, c'est huit ans.

On a dit que plus tôt un nouvel arrivant obtient sa citoyenneté, plus attaché au Canada il devient. C'est sans doute vrai dans certains cas, mais bien souvent on entend parler de ceux qui veulent obtenir la citoyenneté le plus vite afin de retourner à l'étranger dès que possible, considérant la citoyenneté canadienne essentiellement comme une police d'assurance.

Il est vrai que certains d'entre eux souhaitant retourner à l'étranger dès que possible sont des sujets très prometteurs offrant des compétences particulières et bien placées pour naviguer dans le contexte actuel de l'économie mondiale. On peut toutefois mettre en doute qu'ils représentent un atout pour le Canada.

Dans bien des cas, ils installent des membres de la famille au Canada, lesquels bénéficient des avantages en matière de soins de santé et d'éducation, aux frais des contribuables canadiens, alors qu'eux-mêmes travaillent et versent leurs impôts à l'étranger. S'ils devaient revenir ici au moment de leur retraite, ils représenteraient un fardeau financier supplémentaire pour les contribuables à hauteur de 300 000 $, pour soins de santé et transferts sociaux, comme je l'ai démontré le 28 mai lors de mon témoignage devant ce comité.

Je pense qu'il faut être circonspect devant les arguments voulant qu'il y ait des avantages pour le Canada à relaxer les exigences de résidence. Je pense, à tout prendre, que les nouveaux arrivants vont accorder plus de prix à leur citoyenneté s'ils savent que ce n'est pas facilement acquis ou qu'il y a certaines normes à respecter.

J'appuie de tout cœur les dispositions du projet de loi C-24 qui visent à resserrer les exigences de résidence. En effet, on sait que des milliers de personnes ont obtenu leur citoyenneté par des moyens frauduleux, prétendant qu'ils avaient séjourné au Canada selon les règles alors que ce n'était pas le cas.

Le projet de loi C-24 prévoit des sanctions beaucoup plus lourdes pour ce genre de fraude et exige des déclarations d'impôt sur le revenu au Canada. Ces mesures sont utiles. Toutefois, je pense qu'il est important que le Canada, dès que possible, se dote d'un système de triage et d'enregistrement des entrées et des sorties de tous les non-Canadiens. C'est seulement ainsi que nous aurons des données fiables quant aux exigences de résidence.

En outre, je trouve positif que le projet de loi prévoie des mesures permettant d'accélérer le traitement des demandes de citoyenneté et de réduire l'arriéré qui existe actuellement. Il est important que les demandeurs qui satisfont aux exigences de résidence, notamment, puissent obtenir leur citoyenneté dans les plus brefs délais.

Dans d'autres domaines, j'appuie les dispositions du projet de loi qui visent à renforcer la valeur de la citoyenneté, comme les exigences linguistiques — la capacité de pouvoir communiquer avec une certaine facilité en anglais, ou en français pour ceux qui s'installent au Québec. Ce sont clairement des facteurs essentiels pour permettre au nouveau venu de devenir un membre actif de la société canadienne pour qu'il se sente chez lui ici, ainsi que pour réaliser son plein potentiel sur le marché du travail.

Cependant, j'ajouterais que le niveau requis, le niveau 4 de compétence linguistique canadien, est très faible et pour les immigrants qui espèrent travailler comme professionnels et gestionnaires, il faut des niveaux de compétences beaucoup plus élevés. Le repère pour la plupart des emplois serait de 8 ou 9 : beaucoup plus élevé que ce qui est exigé pour obtenir la citoyenneté.

En ce qui concerne les autres dispositions du projet de loi, j'appuie celles qui prévoient la révocation de la citoyenneté pour ceux qui l'ont obtenue en fournissant de faux renseignements sur la période de résidence, qui cachent leur inadmissibilité à cause de leurs antécédents criminels, qui fournissent une fausse identité ou qui ont commis des actes de terrorisme.

À cet égard, je sais que le Royaume-Uni est en train d'adopter une loi beaucoup plus sévère qui prévoit la révocation de la citoyenneté acquise par naturalisation même si la personne en question devient apatride, ce qui va plus loin que ce que nous faisons.

Le public est fermement d'accord pour imposer des mesures plus sévères en ce qui concerne la révocation de la citoyenneté. Huit personnes sur dix sondées en 2012 sont d'accord pour que des Canadiens reconnus coupables d'actes de trahison ou de terrorisme perdent leur citoyenneté alors qu'un autre sondage a montré que trois Canadiens sur quatre seraient d'accord pour révoquer la citoyenneté des personnes qui l'ont obtenue et qui ont ensuite commis des crimes graves.

Monsieur le président, je n'ai presque plus de temps, je vais donc conclure en mentionnant les nombreux autres éléments du projet de loi qui vont contribuer à rendre la Loi sur la citoyenneté plus complète et plus équitable, comme les dispositions traitant des Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ainsi que les améliorations aux règles de l'exclusion après la première génération.

J'appuie également les mesures visant à éliminer l'anomalie de la citoyenneté de naissance et je comprends qu'il n'y a rien à cet effet dans le projet de loi en raison des aspects complexes qui doivent être examinés attentivement avant qu'un projet de loi ne soit déposé. J'ose espérer que l'élimination des dispositions actuelles qui prévoient l'octroi de la citoyenneté de naissance restera une priorité.

Le président : Merci, monsieur Collacott.

Le sénateur Eggleton : L'une des dispositions de ce projet de loi qui me préoccupe le plus concerne les procédures pour la révocation de la citoyenneté. Jusqu'à présent, une personne pouvait perdre sa citoyenneté si elle avait fourni des renseignements frauduleux ou si elle avait participé à des conflits armés contre le Canada.

Dorénavant, un nombre beaucoup plus important d'actes criminels s'ajouteront aux motifs de révocation, dont certains sont passibles d'une peine d'emprisonnement à perpétuité. Dans certains cas, une personne peut avoir été condamnée à une peine de cinq ans à l'extérieur du Canada.

Il y a un journaliste en Égypte qui est accusé de terrorisme. Il a la double citoyenneté, mais s'il est reconnu coupable, est-ce que cela pourrait être utilisé pour justifier son renvoi du Canada vers l'Égypte? Maher Arar lui aussi aurait pu être visé par cette disposition.

L'autre chose qui me préoccupe au sujet de cette disposition, et je pense que Mme Jackman en a parlé elle aussi, c'est que pour la première fois une personne née au Canada pourra être déportée. Jusqu'à présent, seules les personnes naturalisées pouvaient être renvoyées, mais maintenant une personne née au Canada, mais uniquement si elle a une autre citoyenneté, pourra être expulsée. C'est à ces personnes qu'incombera le fardeau de prouver qu'elles n'ont pas une double citoyenneté si le ministre est saisi de l'affaire.

Je dis « porté à l'attention du ministre » puisqu'il s'agit de l'autre aspect de la question. En réalité, la décision relève du ministre. Il est peu probable qu'on ait recours à un tribunal. Il n'existe aucune procédure d'interjection d'appel pour la Cour fédérale, sauf dans deux cas limités. La seule chose qu'un tribunal puisse faire serait d'étudier la question en vertu de dispositions juridiques, selon une erreur de droit, et l'autorisation d'interjeter appel doit être accordée avant d'y arriver, ce qui se produit plutôt rarement.

Il me semble que les dispositions selon lesquelles les cas sont considérés ont connu une expansion considérable. De plus, pour la première fois, les gens nés au Canada peuvent être déportés, créant un système de classification à deux niveaux pour les citoyens; en même temps, cela limite la possibilité d'interjeter appel au-delà du ministre.

Que pensez-vous de cela? Est-ce la bonne façon de décrire la situation?

Mme Jackman : Oui, vous avez très bien résumé la chose. D'après moi, la disposition finit par se concrétiser. L'exemption liée au terrorisme qui bloque l'immigration existe depuis 1992. Nous savons d'après le contre- interrogatoire des hauts fonctionnaires que certains ministres n'ont accordé aucune exemption pour des raisons politiques, ne voulant pas être perçus comme aidant les terroristes en accordant une exemption même si ces individus n'étaient pas terroristes; il s'agit de l'adhésion.

Voilà ce qui se produira ici, soyez-en assuré, s'il n'est pas possible d'avoir recours à un tribunal pour trancher la question. Le ministre révoquera la citoyenneté pour toute personne ayant reçu une peine de cinq ans, que le délit lui- même soit grave ou non sur le plan objectif.

Prenez l'exemple des militants de Greenpeace qui sont montés à bord du navire russe. S'ils avaient été condamnés, ils auraient pu perdre leur citoyenneté. Voilà l'envergure de cette disposition. Dans ce cas-là, il s'agissait d'une simple manifestation, mais cela pouvait être qualifié de terrorisme.

À quoi pouvons-nous nous attendre par la suite? Une fois la porte entrouverte, on se retrouve sur une pente dangereuse. La citoyenneté n'est plus assurée pour n'importe quel Canadien. Ce n'est pas ainsi que les Canadiens perçoivent leur citoyenneté.

Le sénateur Eggleton : Ces circonstances criminelles Ð la trahison, le terrorisme, et ainsi de suite Ð qui sont passibles d'une peine de cinq ans, pourriez-vous nous parler du genre d'accusation de terrorisme pouvant mener à une peine de cinq ans, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de ce pays?

Quant à l'effet que peuvent avoir certains de ces individus sur ce pays, qu'ils soient citoyens ou non, s'ils sont condamnés dans ce pays ils peuvent être incarcérés, donc sont punis, mais pourquoi nous arrêter là? Des gens tels que Robert Pickton ou Paul Bernardo, j'ignore s'ils ont accès à d'autres pays, mais pourquoi leurs délits sont-ils moindres que d'autres?

Mme Jackman : Ils sont bien pires, dans certains cas, mais il importe peu le Canadien dont vous parlez. Si cette personne est née et a grandi ici, il s'agit d'un exil; effectivement, vous les bannissez.

L'Angleterre s'est débarrassée du bannissement en 1868. Le bannissement va à l'encontre de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du pacte international relatif aux droits civils et politiques. C'est une mesure contraire à notre Charte, et cela crée de nombreux problèmes.

Objectivement, un acte terroriste est un délit commis par un individu motivé par des convictions politiques, religieuses ou autres, qui endommagent de la propriété ou blesse des gens. En fait, il n'est même pas nécessaire de blesser quelqu'un ni de commettre un acte violent. Si vous êtes motivé par des convictions politiques ou religieuses, vous pouvez être visé par cette disposition. Il s'agit d'une disposition de grande envergure.

Le président : Monsieur Collacott, désirez-vous intervenir?

M. Collacott : Oui. Tout d'abord, pour ce qui est du double standard, nous faisons des pieds et des mains pour essayer de traiter les Canadiens sur un même pied d'égalité, qu'ils soient naturalisés ou qu'ils soient nés ici. J'estime que nous avons le droit de nous montrer exigeants envers les personnes qui ne sont pas encore Canadiens et que nous devons leur indiquer quelles sont les règles. Si ces personnes sont susceptibles de commettre des actes de terrorisme après leur arrivée, ou à s'adonner à des activités terroristes, nous ne devrions pas hésiter à leur dire qu'elles doivent partir. Je crois que bon nombre de Canadiens voudraient se débarrasser des autres Canadiens qui se sont adonnés à ce type d'activités, or, nous ne pouvons prendre ce type de mesures à l'endroit de ceux qui sont nés ici, mais cela ne devrait pas nous empêcher d'avertir clairement les nouveaux arrivants.

Mme Jackman : Monsieur Collacott, nous prenons ce type de mesures à l'endroit des personnes nées ici également. La loi vise également les Canadiens nés ici. Il ne s'agit pas simplement des immigrants. Les Canadiens nés ici vont également être dépouillés de leur citoyenneté. S'ils ont une autre...

M. Collacott : Mais vous parlez encore une fois d'un double standard. Je crois que le double standard peut être justifié, dans une certaine mesure. Nous sommes confrontés à de graves menaces provenant des djihadistes en Syrie. La Grande-Bretagne a d'ailleurs retiré la citoyenneté à une vingtaine de personnes appartenant à ce groupe, et par conséquent, à bien y penser, nos lois sont relativement plus clémentes par rapport à la législation britannique.

Le président : Je ne vais pas laisser les témoins débattre entre eux. Je vous invite à répondre aux questions des sénateurs et à interagir avec ces derniers.

La sénatrice Eaton : Je remercie les témoins.

Peut-être que Mme Jackman, Mme Froc et Mme Caruso pourraient répondre à ma question. Nous avons de nombreux cas de nouveaux citoyens qui décident de garder leur ancienne citoyenneté ou de Canadiens nés ici qui acquièrent une deuxième citoyenneté. Je peux comprendre pourquoi. C'est un statut très enviable pour travailler dans l'Union européenne ou avoir accès au marché du travail américain. Je comprends parfaitement que cela se produise.

D'un autre côté, certaines personnes peuvent décider de se rendre à l'étranger et de s'adonner à des activités terroristes ou de commettre des crimes de guerre en Syrie, en Somalie, au Rwanda, en Égypte ou en Iran. Que pensez- vous de ces individus qui utilisent le passeport canadien en pareille circonstance par pure complaisance ou parce que notre pays représente un refuge sûr? Ils se disent : « Oh et bien, je peux me rendre en Égypte, guerroyer et si la soupe devient trop chaude ou si je me fais prendre, je n'ai qu'à brandir mon passeport canadien et les gens vont accourir pour me sortir de là. »

Je crois que cela se produit souvent. Si vous faites partie de cette catégorie de ressortissants qui savent très bien que leur pays ne reconnaît pas la double citoyenneté, comme l'Iran pour qui les citoyens iraniens le demeurent à jamais, pourquoi rentreriez-vous en Iran pour participer à certaines activités si vous estimez réellement que le Canada, c'est chez vous? Pourquoi entreriez-vous en Iran et vous placeriez-vous dans une situation où vous pourriez être arrêté à titre de terroriste ou participeriez-vous à une manifestation antigouvernementale pour ensuite brandir votre passeport canadien et dire de façon opportuniste « dépêchez-vous, venez me chercher »? Si je suis accusé de terrorisme en Iran et reconnu coupable, d'après mon interprétation de la loi, avant que le gouvernement du Canada ne révoque ma citoyenneté, je dois comparaître devant un juge. La révocation peut être soumise à un juge, n'est-ce pas?

Mme Caruso : En vertu du projet de loi C-24, non, vous n'aurez pas droit à une procédure...

La sénatrice Eaton : Eh bien, il est indiqué ici dans mon livre que vous y avez droit, et qu'une décision sera rendue par la Cour fédérale. Il y est également indiqué qu'un droit d'appel est prévu jusqu'à la fin.

Mme Caruso : Barb, voulez-vous répondre?

Mme Jackman : Non, le recours devant la Cour fédérale constitue une interprétation erronée. Si vous êtes accusé de faire partie d'une organisation terroriste ou si vous avez fait la guerre contre le Canada, vous ne pouvez vous tourner vers la Cour fédérale ni aucune autre instance, par conséquent les options sont très limitées. En ce moment, tout le monde se tourne vers la Cour fédérale, mais cela ne sera plus possible en vertu de la nouvelle loi.

On n'adopte pas simplement une loi parce qu'il y a 27 Canadiens en Somalie, en Syrie ou dans d'autres pays. Cette loi s'appliquera à tous les Canadiens qui pourraient avoir une double citoyenneté. L'exemple le plus commun, c'est quelqu'un comme Mohamed Fahmy qui s'est rendu en Égypte à titre de journaliste et qui a été accusé de terrorisme. Voudriez-vous lui révoquer sa citoyenneté parce qu'il est journaliste?

La sénatrice Eaton : Non, je crois que d'après...

Mme Jackman : Et si l'Égypte préfère le qualifier de terroriste? Voilà le problème avec ce projet de loi : il s'applique à tous.

La sénatrice Eaton : À la lecture que j'en fais, madame Jackman, on ne lui révoquerait pas sa citoyenneté. La Cour fédérale étudierait les circonstances et déterminerait la validité d'un jugement rendu par un tribunal égyptien.

Mme Jackman : Mais son dossier n'aboutit pas à la Cour fédérale, mais entre les mains du ministre. Je suis désolée, je ne comprends pas d'où proviennent vos... qui a rédigé votre livre... peut-être que vous en faites une lecture erronée, mais quiconque a rédigé votre livre ne vous a pas retransmis le contenu de la loi. L'individu ne comparaîtrait pas devant un juge.

Le président : Madame Jackman et madame la sénatrice, le sujet de votre conversation la rend stérile. Nous allons éclaircir ce point grâce aux fonctionnaires qui vont se faire entendre. Vous avez toutes deux fait valoir vos arguments.

Madame la sénatrice, avez-vous une autre question à poser?

La sénatrice Eaton : Oui. Je crois que ces dames ont commencé leur déclaration en affirmant que les mesures proposées allaient décourager les demandeurs potentiels de citoyenneté. Avez-vous des données pour appuyer cette affirmation?

Mme Caruso : Mon bureau est rempli de cadres qui travaillent pour des multinationales et qui sont souvent mutés à l'étranger, par conséquent les mesures auront des répercussions sur ces derniers. Auparavant, j'aurais pu dire à ces résidents permanents : « Eh bien, étant donné que vous travaillez pour une entreprise canadienne, le temps écoulé sera comptabilisé comme du temps passé au Canada ». Or, dorénavant, s'ils veulent accepter d'être affectés en Chine, au Mexique ou ailleurs par une société canadienne, je devrai leur dire : « Vous devriez réfléchir au fait que vous avez peut- être coché une case qui indiquait votre intention d'habiter au Canada lorsque vous avez présenté votre demande de citoyenneté, car si vous acceptez ce poste maintenant, on pourrait considérer que vous avez présenté de fausses déclarations dans votre demande de citoyenneté. »

Les règles ont complètement changé. Ce sera maintenant difficile de fournir des conseils. On va y réfléchir à deux fois avant d'accepter d'être déployé à l'étranger, et les entreprises pourraient ne pas envoyer la personne la plus qualifiée pour prendre de l'expansion à l'étranger.

La sénatrice Eaton : Je vois. D'après ce que j'avais compris, si vous habitez au Canada quatre ans sur six, vous devenez un citoyen canadien et vous jouissez d'une mobilité effective. Vous ne voudriez pas devenir un citoyen canadien si vous n'aviez pas l'intention d'habiter au Canada. À quoi bon? Si vous êtes appelé à vous rendre à l'étranger pour y travailler ou vous occuper de votre mère, vous jouissez de la même mobilité que tout autre citoyen canadien. N'êtes-vous pas d'accord pour dire qu'une personne qui réussit toutes les démarches doit sûrement avoir l'intention d'habiter effectivement au Canada? Même si vous vous rendez à l'étranger pour y travailler pour une société canadienne ou dans le cadre d'un programme de bourse de recherche dans une université ou pour vous occuper de vos parents, votre intention aura toujours été d'habiter au Canada.

Mme Caruso : Mais comment allez-vous prouver l'intention? Comment prouverez-vous que c'est ce qu'on avait l'intention de faire? Si quelqu'un devient citoyen le 31 décembre et que, le 1er janvier il prend l'avion pour l'étranger pour une affectation, comment prouverez-vous qu'il n'avait pas l'intention de partir le 1er janvier? Voilà le problème. Rien ne sert d'avoir une case pour cela dans le formulaire de demande si vous ne pouvez prouver l'intention. Ce sera très compliqué. Les gens y réfléchiront à deux fois avant de demander la citoyenneté.

La sénatrice Seidman : Monsieur Collacott, vous avez déjà en grande partie répondu à ma question, que j'avais posée hier sans obtenir de réponse, sur la situation dans les pays étrangers.

En ce qui concerne l'intention d'habiter et la révocation de la citoyenneté, je crois que vous avez comparé le Canada au Royaume-Uni, aux États-Unis et à l'Australie pour ce qui est de la période de temps pendant laquelle on doit habiter au pays. Vous voudriez peut-être ajouter quelque chose sur ce que fait le Canada par rapport aux autres pays s'agissant de l'intention de résidence et de la révocation de la citoyenneté.

M. Collacott : Non, pas vraiment. C'est seulement hier que j'ai appris que vous vous étiez intéressé à la question à votre réunion d'hier.

Ce sont les règles du Royaume-Uni qui sont les plus détaillées, peut-être parce qu'elles font l'objet d'un examen actuellement. La Chambre des communes du Royaume-Uni a adopté des mesures très exigeantes. Toutefois, la Chambre des lords a soulevé des doutes sur la révocation de la citoyenneté des Britanniques qui ne sont pas citoyens de deux pays. Les députés ont répondu que ceux qui peuvent demander la citoyenneté dans un autre pays pourront alors le faire. La question n'a pas encore été réglée.

Mais il ne fait aucun doute que les députés britanniques estiment avoir besoin d'une loi beaucoup plus stricte que celle dont vous êtes saisi.

Mme Caruso : Je ne suis pas avocate aux États-Unis, mais il m'arrive, dans certains cas, de consulter des avocats américains. Je crois savoir que pour demander la citoyenneté américaine, il faut avoir vécu aux États-Unis deux ans et demi sur cinq ans. On y est donc moins exigeants qu'ici.

Les Américains exigent aussi que le demandeur habite aux États-Unis pendant le traitement de sa demande. Il arrive souvent qu'un détenteur d'une carte verte aux États-Unis souhaite venir travailler au Canada, mais qu'il ne puisse le faire tant qu'il n'a pas obtenu sa citoyenneté américaine, car il doit habiter aux États-Unis pendant le traitement de sa demande.

La sénatrice Seidman : Justement, madame Caruso, j'allais vous poser une question sur l'exigence de résidence. Si je ne me trompe pas, à l'heure actuelle, on exige du demandeur qu'il vive au Canada trois ans sur quatre, soit 75 p. 100 du temps. Le projet de loi, lui, exige quatre ans sur six, ce qui représente 66 p. 100 du temps. L'Association du Barreau canadien propose trois ans sur six, soit 50 p. 100 du temps.

J'aimerais avoir votre opinion, mais, moi, j'estime que, à bien des égards, nous donnons une plus grande marge de manœuvre aux demandeurs, une marge de deux ans. Sur une période de six ans, vous devez habiter ici quatre ans, ce qui vous laisse du temps pour prendre soin d'un parent malade ou travailler à l'étranger. La règle est assouplie par rapport au régime actuel.

Mme Caruso : La différence, c'est que le régime actuel ne définit pas ce qu'est la résidence. Aux termes du projet de loi C-64, la résidence, c'est la présence physique au pays. Chaque jour compte. À l'heure actuelle, la résidence n'est pas définie et beaucoup de gens demandent la citoyenneté même s'ils ne sont pas physiquement présents ici parce que leurs enfants sont ici ou leur emploi est ici. Il se peut que leur conjoint soit ici, mais qu'il soit à l'étranger une semaine par mois pour le travail. Si à toutes ces journées à l'extérieur du pays s'ajoute une affectation de trois mois, par exemple, on voit que le régime actuel est plus souple puisqu'il considère ces jours passés à l'étranger comme étant des jours de résidence au Canada.

La disposition du projet de loi est plus stricte, car elle se fonde sur la présence physique. On a même fait allusion à des contrôles à la frontière. Si on veut calculer le temps de présence physique au Canada, il faudra un système de contrôle des entrées et des sorties, sinon il sera impossible pour les agents ou même les demandeurs de calculer le nombre de jours de présence physique.

La sénatrice Seidman : Bien. Merci.

Le sénateur Enverga : Merci de vos allocutions.

Monsieur Collacott, vous avez dit que des milliers de gens avaient obtenu la citoyenneté frauduleusement en faisant croire qu'ils avaient passé le temps exigé au Canada alors que ce n'était pas vrai. Croyez-vous que la nouvelle loi fera cesser ce genre de fraude? Croyez-vous que, grâce au projet de loi, il n'y aura plus de demandes frauduleuses?

M. Collacott : Il contribuera certainement à réduire la fraude et la fausse représentation. Comme je l'ai indiqué, toutefois, et comme l'ont fait remarqué les témoins de l'ABC, sans contrôle des entrées et sorties à la frontière, cette exigence sera difficilement mise en application.

Mais le simple fait que le projet de loi soit ferme à cet égard et prévoit des peines plutôt lourdes aura un effet dissuasif sur ceux qui envisagent de présenter de fausses informations.

Ai-je répondu à votre question, sénateur?

Le sénateur Enverga : Oui, en quelque sorte.

Certains sont d'avis que la citoyenneté est un droit et non pas un privilège. Croyez-vous que cette mesure législative contribuera à faire comprendre aux gens qu'être citoyen canadien est un privilège et non pas un droit?

M. Collacott : Je pense que c'était en effet un des problèmes et que cela servait à tout justifier. Le projet de loi nous dit essentiellement que la citoyenneté canadienne se mérite. Il faut y consacrer du temps. Il faut satisfaire aux exigences linguistiques, un autre sujet important. J'estime que toutes ces mesures sont très raisonnables.

Elles ne plaisent pas aux avocats, parce que dorénavant, leurs clients ne pourront plus obtenir la citoyenneté rapidement et facilement. Toutefois, je crois que la plupart des immigrants y seront favorables, ainsi que la majorité des Canadiens.

Le sénateur Enverga : Voulez-vous ajouter quelque chose, madame Caruso?

Mme Caruso : J'aimerais souligner une chose au sujet de la résidence et de la présence physique. Il est très difficile de prouver le nombre de jours de présence physique, et s'il y a un arriéré de travail à l'heure actuelle, c'est parce que le gouvernement a commencé à vérifier cela. On ne vérifie pas que les cas des demandeurs qui n'ont pas 1 095 jours de présence physique, mais aussi ceux qui voyagent fréquemment et qui sont absents deux ou trois jours à la fois. J'ai des dossiers dans mon bureau qui font trois ou quatre pouces d'épaisseur qui contiennent des documents de la RAMO prouvant que mon client a vu un médecin ici, des documents de voyage que nous avons obtenus de l'ASFC et avec lesquels nous faisons des renvois croisés, des bulletins indiquant le nombre de jours d'absence des enfants, des déclarations de revenus aux fins d'impôt et ainsi de suite. C'est très, très lourd et je crois que c'est pour cela que l'Association du Barreau préconise une plus grande souplesse. En général, les gens sont honnêtes et respectent les règles. Je suis Canadienne et je suis aussi contribuable. Je n'aime pas qu'on me fraude et notre association ne préconise pas la fraude. Nous souhaitons un processus juste, souple et accessible à tous. Je crains fort que ce ne soit pas ce que le projet de loi nous donne.

Le sénateur Enverga : Vous parlez de « souplesse », mais que souhaitez-vous exactement? Il faut quand même avoir l'intention de vivre ici, n'est-ce pas?

Mme Caruso : L'Association du Barreau canadien a fait quelques propositions. La première, c'est le trois de six. Quand une demande est approuvée et que le demandeur a passé moins de 730 jours au Canada, soit 50 p. 100 des quatre ans actuels, le ministère interjette appel. Il saisit la Cour fédérale. À l'heure actuelle, le niveau de tolérance s'établit donc à 50 p. 100. Une règle trois de six serait mieux adaptée aux gens d'affaires qui doivent voyager, aux musiciens, aux artistes, aux athlètes dont les compétitions sont à l'étranger, à ceux qui doivent suivre un cours à Harvard et à ceux qui doivent prendre soin d'un parent malade dans leur pays d'origine et qui doivent partir un certain temps. C'est la première proposition.

La deuxième, c'est de s'aligner sur la LIPR, qui régit la résidence permanente et qui prévoit certaines exceptions. Si on est à l'extérieur du Canada avec un époux qui est citoyen canadien ou qu'on travaille pour une entreprise canadienne à l'étranger, on peut comptabiliser cette période à l'extérieur du Canada aux fins de la résidence permanente. C'était une autre proposition de l'ABC.

Nous avons également proposé d'élargir la permission spéciale prévue au paragraphe 5(4). Le gouverneur en conseil a le pouvoir, dans des circonstances exceptionnelles — une grande contribution à la culture ou à l'économie canadienne, par exemple — de demander une approbation spéciale. Ces permissions pourraient être élargies, tout en maintenant l'examen physique, pour satisfaire ceux qui y seraient admissibles.

La sénatrice Cordy : Merci aux témoins.

Cela fait longtemps que la Loi sur la citoyenneté n'a pas été révisée. Je pense que c'est un exercice positif, mais certains aspects du projet de loi me préoccupent énormément. J'aimerais parler de deux de ces préoccupations, la première étant l'intention de résider au Canada, qui a déjà été soulevée. La seconde concerne la possibilité pour le ministre ou un fonctionnaire de dépouiller quelqu'un de sa citoyenneté. Ces deux éléments me préoccupent énormément.

Premièrement, le dépouillement de la citoyenneté. En fait, ce pourrait être quelqu'un qui est né au Canada, mais qui a choisi la double nationalité en acceptant celle de l'un de ses parents.

Pouvoir révoquer la citoyenneté de ceux qui ont la double citoyenneté, c'est, à mon avis, créer deux catégories de citoyens canadiens — ceux qui peuvent être déportés, exilés ou interdits de territoire, et ceux qui ont le droit de rester.

Monsieur Collacott, vous avez dit que ce traitement inégal peut être justifié, mais je ne crois pas que les Canadiens soient inégaux. Un Canadien est un Canadien, et s'il a commis un crime, il revient au système judiciaire de le punir. J'aimerais connaître votre avis là-dessus.

Madame Caruso, vous nous avez parlé des répercussions éventuelles de cette mesure.

L'un d'entre vous a évoqué la Déclaration universelle des droits de l'homme, en vertu de laquelle cette pratique ne devrait pas être permise. Je me demandais si vous pourriez nous éclairer.

Mme Caruso : Je pense que Barb Jackman est mieux placée pour répondre à votre question.

Mme Jackman : La Déclaration universelle des droits de l'homme ne permet pas l'exil. Si l'on interprète l'article 7 de la Charte des droits et libertés, à la lumière de la Déclaration universelle, le Canada ne peut exiler des gens. De plus, selon le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, quiconque a le droit de retourner dans son propre pays.

Pour les Canadiens nés au Canada ou naturalisés à l'enfance, leur pays, c'est le Canada. La loi peut bien prévoir que notre citoyenneté nous soit révoquée, mais au final la personne est exilée ou expulsée. C'est un gros problème, et c'est une violation des droits de la personne. C'est bien ce que c'est. On n'expulse pas les gens de leurs collectivités, mais ce sera l'effet de ce projet de loi.

La loi est également discriminatoire en ce sens que seules certaines catégories de personnes sont touchées, celles dont les parents ou les grands-parents leur ont transmis la citoyenneté de leur pays d'origine, où ils ne sont peut-être jamais allés. Je sais que de jeunes Canadiens sont en Syrie, en Somalie ou d'autres pays africains. Ils ont choisi de partir, mais cette loi aura des ramifications très étendues.

On apprend certaines choses en pratiquant le droit. Quelles que soient les personnes visées, si la loi s'applique à tous, un jour ou l'autre on s'en servira pour viser beaucoup plus que les 27 qui sont à l'extérieur du pays. Le journaliste Mohamed Fahmy en Égypte ou les Canadiens représentant Greenpeace qui sont montés à bord du navire russe seraient également visés par cette loi, car elle est axiomatique. La loi est en place; on l'applique.

La sénatrice Cordy : Croyez-vous que ce projet de loi crée deux catégories de Canadiens?

Mme Jackman : Oui, il ne fait aucun doute que ce projet de loi en crée deux. Il nuit à l'essence même de la société canadienne, si on ne peut plus se fier à sa citoyenneté. La Charte garantit notre droit de vote, notre droit de circuler librement, et pourtant ces droits nous seraient retirés par un acte du Parlement? C'est un changement fondamental.

La sénatrice Cordy : Supposons que quelqu'un est accusé ou déclaré coupable de terrorisme dans un pays étranger, cette personne est un terroriste pour les uns et un combattant de la liberté pour les autres. Les Canadiens comprennent bien l'exemple de Nelson Mandela.

La sénatrice Eaton : Il n'avait pas la double citoyenneté.

La sénatrice Cordy : Je n'ai pas dit...

Le président : Laissez faire. Je vous prie de continuer.

La sénatrice Cordy : On connaît bien l'exemple de Nelson Mandela, qui a été incarcéré par son propre pays pour des actes terroristes, alors que beaucoup le considèrent comme un combattant de la liberté. Cela me préoccupe que des accusations soient portées et que la personne soit incarcérée dans son propre pays où le système n'est pas comme le nôtre. Ceux qui ont contribué au parti de Nelson Mandela seraient visés par la nouvelle loi parce qu'ils auraient collaboré avec quelqu'un qui a été mis en prison. Est-ce préoccupant qu'ils puissent être accusés de terrorisme à l'extérieur du Canada?

Mme Jackman : C'est paradoxal. Nelson Mandela est un Canadien honoraire. On pourrait envisager qu'il soit visé par cette loi également. Elle est rétroactive.

Dans l'histoire britannique par exemple, on exilait les criminels en Australie. Ils ont mis fin à cette pratique, mais c'est essentiellement ce que fait cette loi. On rajoute une autre conséquence pénale à une déclaration de culpabilité criminelle.

Nous avons un système de justice criminelle, et nous devrions nous en servir. Nos juges n'ont pas le pouvoir de déporter quelqu'un, mais nous allons permettre à un politicien élu de le faire sans saisir les tribunaux; un simple politicien qui décide de retirer un droit fondamental comme la citoyenneté.

Le président : Monsieur Collacott, vous souhaitiez intervenir?

M. Collacott : Je voudrais intervenir sur certaines des observations qui ont été faites.

On a donné l'exemple de Mohamed Fahmy, qui subit un procès en Égypte, et des activistes de Greenpeace. Je ne peux pas concevoir qu'on les dépouille de leur citoyenneté. On vise des terroristes radicaux qui sont susceptibles de revenir de pays comme la Syrie ou la Somalie. Si le gouvernement se mettait à révoquer la citoyenneté des activistes de Greenpeace ou de Mohamed Fahmy, accusé en Égypte, nous ne vivrions plus dans une démocratie. Il faudrait que notre gouvernement soit très antidémocratique, ne serait-ce que pour l'envisager.

Vous imaginez les hypothèses les plus pessimistes et laissez entendre qu'elles se concrétiseront si la loi est adoptée. Ce faisant, vous nous empêchez de traiter de graves questions terroristes. Il est presque inévitable que de plus en plus de djihadistes canadiens reviennent dans notre pays.

La sénatrice Cordy : Malheureusement, ce serait inscrit dans la loi.

Je voulais parler de l'intention de résider, mais je crois savoir que le sénateur Tkachuk souhaite poser une question.

Le sénateur Tkachuk : Vous avez mentionné dans votre mémoire que l'Association du Barreau canadien doit avoir un rôle plus important à jouer. Ces nouvelles dispositions ne vous permettent-elles pas d'exercer ce rôle? Ne faut-il pas faire un effort pour devenir citoyen canadien ou est-ce acquis dès l'instant qu'on a posé pied?

Mme Caruso : Non, je crois que c'est exact. Nous voulons que les gens demandent la citoyenneté, ce statut étant un engagement à l'égard du pays. La Loi sur la citoyenneté recense les droits et responsabilités des citoyens : veiller sur soi, s'occuper de sa famille, de la collectivité, de l'environnement et du patrimoine. Les règlements relatifs à la Loi sur la citoyenneté recensent tous ces éléments. Nous voulons encourager les gens à devenir des citoyens canadiens. Nous voulons que les gens s'engagent envers leur pays et qu'ils en fassent partie.

Je crois que ce projet de loi décourage la population. Les frais ont augmenté. Les restrictions sont plus...

Le sénateur Tkachuk : À combien s'élèvent ces frais et comment se comparent-ils aux autres pays? Je crois que les nôtres sont plutôt bas...

Le président : Monsieur Tkachuk, permettez au témoin de finir son propos.

Mme Caruso : C'est 400 $ pour un adulte et 200 $ pour un enfant.

La sénatrice Eaton : Trois cents.

Mme Caruso : C'est 400 $.

La sénatrice Eaton : Trois cents.

Mme Caruso : D'accord, puis il faut rajouter les taxes.

Le sénateur Tkachuk : D'accord, 300 ou 400 $.

Mme Caruso : Sauf que si on est une famille de quatre, les augmentations sont non négligeables.

Le sénateur Tkachuk : Vous pensez que ce devrait être gratuit?

Mme Caruso : Non, je ne crois pas que ce devrait être gratuit.

Le sénateur Tkachuk : Au fond, vous exprimez une opinion personnelle?

Mme Caruso : Eh bien, il faut tenir compte des répercussions et...

Le sénateur Tkachuk : Comment savez-vous quelles seront les répercussions?

Mme Caruso : Mes clients me consultent tous les jours, et je leur explique quels sont les coûts et ce qu'ils doivent faire. C'est accablant pour beaucoup d'entre eux.

Le sénateur Tkachuk : D'accord, ça va. Merci.

J'aurais encore quelques questions. Pourrais-je encore en poser une autre?

Le président : Si elle est brève. J'ai interrompu la sénatrice Cordy pour que vous puissiez poser votre question avant qu'on aille voter.

Le sénateur Tkachuk : Bien, elle peut y aller.

La sénatrice Cordy : Je voulais être gentille, monsieur Tkachuk.

Le sénateur Tkachuk : Je le sais bien, mais vous n'avez posé que quelques questions.

La sénatrice Cordy : Ce qui m'inquiète aussi énormément est cette disposition d'intention de résider. Encore une fois, je crois que cela crée deux catégories de citoyens canadiens : ceux qui peuvent voyager à l'extérieur du pays et ceux qui ne peuvent pas le faire.

Hier, nous avons reçu des témoins représentant les organismes oeuvrant dans le domaine de l'immigration et des réfugiés. Ils sont très préoccupés par cela. Ils nous ont donné l'exemple d'une personne dont le conjoint, un Canadien né au pays — un citoyen de première classe, si l'on veut — a dû refuser une bourse de recherche. Elle n'aurait pas pu le suivre aux États-Unis parce qu'elle n'était pas autorisée à quitter le pays pendant une si longue période.

Je ne crois pas que qui que ce soit dans cette salle, ou que nos panélistes seraient d'accord pour dire que nous devrions avoir des citoyens canadiens de complaisance. Nous devons faire de notre mieux, mais malheureusement le projet de loi a une très vaste portée et touchera des personnes canadiennes, qui se sentent Canadiens et qui sont des citoyens canadiens. En effet, j'ai reçu un courriel de la part d'un ingénieur qui ne pourra pas voyager pour travailler puisque ça le mènerait à quitter le pays pendant certaines périodes. Ai-je tort de croire que le projet de loi créerait deux catégories de citoyens canadiens?

Mme Caruso : C'est ainsi que nous l'interprétons. Vous avez raison, les questions constitutionnelles seraient l'égalité — puisqu'il y aurait deux catégories différentes — et la mobilité. Le projet de loi imposerait des restrictions sur la classe seconde, la classe inférieure des citoyens naturalisés et serait une entrave à leur capacité de voyager pour une quelconque raison.

Le président : Chers collègues, je saisis cette occasion pour vous informer du déroulement de la réunion. Je vais bientôt suspendre la réunion après avoir donné au sénateur Tkachuk...

Le sénateur Tkachuk : Non, ça va pour moi.

Le président : Nous allons prendre une pause jusqu'à 16 h 50. Comme il en a été convenu au comité directeur, la prochaine séance durera 30 minutes. Après celle-ci, nous allons procéder à notre troisième séance.

Puisque les sénateurs ont hâte de se rendre en Chambre pour le vote, je vais suspendre la séance.

Je tiens à remercier nos témoins d'avoir été des nôtres et d'avoir contribué à cette discussion qui est parfois entrée un peu dans les détails. Néanmoins, il est clair qu'il s'agit d'une question chargée d'émotions pour bien des gens et il y a aussi des points de vue très divergents. Merci d'avoir été ici avec nous et merci à mes collègues pour leur participation.

La séance est suspendue.

(Le comité est suspendu.)

(Le comité reprend.)

Le président : Chers collègues, nous reprenons la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, où nous menons une étude préliminaire du projet de loi C-24.

Avant de commencer, j'aimerais vous rappeler que cette séance se terminera à 17 h 20, en raison du déroulement de la journée ici. Je vais tout de suite donner la parole à nos témoins.

Comparaissant par vidéoconférence, nous avons M. Yuen Pau Woo, président et chef de la direction de la Fondation Asie-Pacifique du Canada.

Bonjour, monsieur Woo.

De Canadian War Brides, nous avons Mme Melynda Jarratt, historienne.

Bonjour, madame Jarratt.

Nous n'avons pas eu le temps de débattre de celui qui interviendrait en premier. Madame Jarratt, peut-être que l'on pourrait commencer par vous, et ensuite, nous donnerons la parole à M. Woo. Après cela, je donnerai la parole aux sénateurs pour des questions.

Melynda Jarratt, historienne, Canadian War Brides : Merci beaucoup, je dois d'ailleurs prendre un vol à 19 h 50.

Le projet de loi C-24 est censé éliminer la discrimination que créait la Loi sur la citoyenneté. Bien que beaucoup de gens en profiteront, y compris les épouses de guerre du Canada et leurs enfants, certains problèmes persistent.

Voici l'essentiel de mes propositions aujourd'hui : le Parlement doit être en phase avec les tribunaux, reconnaître l'existence légale de la citoyenneté au Canada depuis la Confédération, nommer un ombudsman à la citoyenneté, permettre à tous les Canadiens de première génération nés à l'étranger d'avoir le droit de prouver leurs liens véritables avec le Canada et créer un programme d'amnistie.

La Chambre des communes et le Sénat doivent mener des études en profondeur sur la citoyenneté canadienne. Même si le Canada est un pays du G8, où des parlementaires sont élus pour représenter les citoyens canadiens, j'ai bien peur que vous ne compreniez pas du tout ce que cette notion signifie.

Je vais commencer par relater l'histoire des épouses de guerre et de leur citoyenneté. En août 1946, les épouses de guerre et leurs enfants ont été personnellement accueillis au Canada par le premier ministre Mackenzie King. Certaines étaient des veuves de guerre accompagnées de leurs enfants dont le mari canadien avait été tué à l'étranger pendant la Deuxième Guerre mondiale, dont certains le jour J. Il les a appelés les nouveaux citoyens du Canada, tout comme l'a fait le ministère de l'Immigration.

Des décrets du Conseil privé accordaient aux épouses de guerre et à leurs enfants le même statut que leur mari et père, c'est-à-dire la citoyenneté canadienne. Mais plusieurs dizaines d'années plus tard, ce statut a changé. Pourquoi? Parce que les bureaucrates ont changé d'avis, les parlementaires n'ont pas accordé d'importance à cette décision et manquaient cruellement de connaissances en droit de la citoyenneté. La même chose est en train de se produire aujourd'hui.

Au milieu du XIXe siècle, le Canada a adopté les lois britanniques faisant en sorte que les femmes mariées étaient la propriété de leur mari et les enfants, la propriété de leur père s'ils naissaient après le mariage et la propriété de leur mère s'ils étaient nés hors des liens du mariage. La notion d'adultère existe encore au Canada. Pourquoi? Parce que la Loi sur la citoyenneté de 1977 ne respecte toujours pas la Charte.

En 2008, le projet de loi C-37 a reçu la sanction royale. Il visait à corriger la perpétuelle discrimination, y compris la discrimination à l'endroit des épouses de guerre et de leurs enfants. Dans le rapport adopté à l'unanimité par tous les partis, la recommandation no 4 indique que tous les enfants de première génération nés à l'étranger d'un parent canadien, peu importe s'il s'agissait de la mère ou du père, peu importe si l'enfant était né avant ou après le mariage et peu importe quand l'enfant était né, l'enfant devrait être un citoyen. Toutefois, lors de la mise en œuvre du projet de loi, les bureaucrates ont fait fi de la volonté du comité, affirmant que la citoyenneté canadienne n'existait pas avant 1947. Le libellé choquant a continué de s'appliquer uniquement à ceux nés avant 1947, comme Jackie Scott, enfant d'une épouse de guerre.

Par conséquent, on a ajouté l'âge au critère de discrimination faisant en sorte que CIC pouvait refuser la citoyenneté en fonction de l'âge en plus du sexe, du statut familial et même de la race, comme cela a été le cas pour Heather Harnois, une femme issue des Premières Nations de descendance Ojibway, sa descendance remonte à si loin que même sa grand-mère ne peut en citer la date. Certaines victimes étaient des enfants d'épouses de guerre comme Jackie Scott, née hors des liens du mariage. Après avoir vécu plus de 50 ans en tant que citoyens canadiens, on leur a dit « d'aller se faire voir ». On n'a pas tenu compte des lois, comme la Loi sur la légitimation des années 1920, indiquant que s'il y avait mariage des parents ultérieurement, la naissance était légitimée.

En fin de compte, les bureaucrates et les parlementaires ne comprennent pas les lois en matière de citoyenneté. Par exemple, dans la section 1.1 du résumé législatif du projet de loi C-24 on peut lire « deux grandes lois constituent la base de législation canadienne en matière de citoyenneté : la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 et la Loi sur la citoyenneté de 1977 ». Ce n'est tout simplement pas vrai.

Il y a à peine 14 mois, le procureur général du Canada a présenté ses arguments à la Cour suprême du Canada, faisant valoir que les Métis étaient des citoyens canadiens à part entière en 1870. La cour était d'accord. De nombreuses décisions de la cour confirment l'existence de la citoyenneté avant 1947, y compris l'affaire Shin Shim c. The King, dans laquelle le terme « citoyen canadien » est cité au moins 63 fois dans un document rédigé en 1938.

Un autre exemple date de 1946 et est lié à la validité des décrets relatifs aux personnes de race japonaise et portant sur l'expulsion des Canadiens d'origine japonaise, un document où le mot « citoyen » est cité 46 fois et le terme « citoyen canadien », neuf fois.

Je vais accélérer pour avoir le temps de tout dire.

On doit se poser une question fondamentale : Reconnaissons-nous les Canadiens morts pendant la guerre? Bon nombre de nos épouses de guerre étaient des veuves de militaires canadiens.

Leur époux était-il citoyen canadien? Qu'en est-il des anciens combattants chinois morts avant 1947? Douglas Jung a été le premier député d'origine chinoise élu au Parlement et son certificat de naissance indique « ce certificat n'établit pas le statut légal au Canada ».

Enfin, j'aimerais dire que je suis outrée que ce comité et le comité de la Chambre aient refusé d'entendre Don Chapman, alors que le résumé législatif du projet de loi C-24 ne contient pas moins de 20 références aux « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Quand il est question de loi sur la citoyenneté, la politique partisane doit être évacuée. Le témoignage de M. Chapman n'aurait pas porté sur lui ou sur vous, mais sur ce qui est dans l'intérêt du Canada. Le Sénat est censé être la chambre de second examen objectif. En empêchant la tenue d'une discussion ouverte, vous sapez le processus démocratique.

Les épouses de guerre, leurs enfants et un nombre incalculable de personnes ont été victimes de lois discriminatoires sur la citoyenneté. En tant que sénateurs, c'est votre travail — ou plutôt votre devoir — de vous informer, d'établir la vérité et de respecter la Charte. Le manque de considération à l'égard du leader du groupe de Canadiens dépossédés de leur citoyenneté par ce comité et le comité de la Chambre est dégoûtant. Selon moi, le projet de loi C-24 dans sa forme actuelle est un désastre.

Le président : Merci. Avant de donner la parole à M. Woo, j'aimerais dire aux fins du compte rendu que M. Chapman et de nombreuses autres parties prenantes ont été invités à soumettre un mémoire écrit.

Monsieur Woo, vous avez la parole.

Yuen Pau Woo, président-directeur général, Fondation Asie Pacifique du Canada : Merci, monsieur le président et merci aux membres du comité de m'avoir invité à témoigner. Mes observations porteront précisément sur les exigences rehaussées en matière de résidence pour les immigrants reçus qui veulent accéder à la citoyenneté. J'ai quatre arguments à présenter à cet effet et un argument plus général à propos de l'aspect principal de la politique.

D'abord, les exigences plus élevées et plus sévères en matière de résidence de quatre ans sur six ans réduiront le taux d'admissibilité à la citoyenneté. On entend déjà de nombreuses plaintes à propos de la règle actuelle de trois ans de résidence sur cinq, et j'ai toutes les raisons de croire que de faire passer cette exigence à quatre ans fera en sorte qu'il sera plus difficile pour les immigrants reçus de devenir citoyens ce qui réduira le taux d'admissibilité à la citoyenneté.

Deuxièmement, un taux moins élevé d'admissibilité à la citoyenneté diminuera les avantages économiques pour le Canada. Les immigrants qui entrevoient un accès relativement facile et réaliste à la citoyenneté sont plus susceptibles d'y investir leur capital humain afin d'accroître leurs compétences et, par conséquent, améliorer leur potentiel de gains, qui est avantageux pour la société dans son ensemble, y compris, bien sûr, davantage de revenus pour le trésor public fédéral.

Troisièmement, l'objet de ces exigences plus strictes manque de clarté au point où on peut en déduire deux. Mais les deux, selon moi, entraîneront des résultats contradictoires. Par exemple, si les exigences plus strictes visent à punir les immigrants qui ne font pas montre d'un lien physique et émotionnel suffisant au Canada, les exigences entraîneront précisément l'effet contraire. Les immigrants qui choisissent de quitter leur pays par la force des choses et qui ne pourront pas devenir citoyens cultiveront effectivement moins de liens avec le Canada, en partie parce qu'ils n'auront pas le droit de voter; ils ne deviendront pas citoyens.

D'un autre côté, si l'intention consiste à réduire l'utilisation abusive des avantages sociaux par les immigrants qui ne passent pas beaucoup de temps au Canada, encore une fois, la politique n'atteindra pas ses objectifs. Les immigrants reçus, comme vous le savez, ont accès à tous les avantages sociaux offerts par le Canada. Ces immigrants peuvent conserver leur statut indéfiniment en respectant une période de résidence qui n'est pas aussi élevée que l'exigence en matière de citoyenneté. Ils peuvent profiter de ces avantages indéfiniment en tant qu'immigrants reçus, même s'ils ne deviennent pas citoyens. Si l'objectif vise à réduire l'utilisation des avantages sociaux des Canadiens qui passent peu de temps au pays, encore une fois, selon moi, l'objectif ne sera pas atteint.

Toutefois, l'objectif du projet de loi, qui vise à promouvoir l'accès à la citoyenneté, devrait être encouragé. Selon moi, si le Canada a judicieusement choisi le type d'immigrant qu'il souhaite attirer, l'objectif devrait être d'encourager et de faciliter l'accès à la citoyenneté canadienne, et non le contraire.

Je pense que la bonne combinaison en matière de politiques devrait rehausser les exigences à l'entrée — c'est-à-dire choisir judicieusement les immigrants reçus et abaisser les exigences d'accès à la citoyenneté.

Permettez-moi maintenant de formuler quelques observations générales sur l'aspect principal du projet de loi.

Je pense que l'exigence plus élevée en matière de résidence fait en sorte qu'on accorde davantage de valeurs aux citoyens canadiens qui résident au Canada, peut-être perçus comme étant « plus Canadiens », par rapport aux citoyens qui vivent à l'étranger. Dans un monde où la main-d'œuvre est très mobile, surtout la main-d'œuvre hautement qualifiée, cette vision est dépassée. La Fondation Asie Pacifique du Canada a mené des recherches auprès de Canadiens vivant à l'étranger qui sont autant que 2,8 millions, ce qui correspond à 9 p. 100 de la population canadienne, un chiffre considérable.

Un des objectifs de la politique en matière de citoyenneté devrait être de bonifier le lien de ces Canadiens vivant à l'étranger, même s'ils ne vivent pas au Canada, plutôt que de les repousser. On pourrait notamment rétablir le droit de vote des Canadiens qui vivent à l'étranger depuis plus de cinq ans. Je serais désolé de savoir que Mark Carney, après son mandat de cinq ans, à titre de gouverneur de la Banque de l'Angleterre, ne pourrait plus voter aux élections canadiennes.

En conclusion, monsieur le président, les récentes réformes de la politique en matière d'immigration constituent un pas dans la bonne direction pour attirer les travailleurs hautement qualifiés de partout dans le monde. Toutefois, les travailleurs hautement qualifiés sont par définition très mobiles. En demandant aux immigrants potentiels de déclarer leur intention de demeurer au Canada pendant quatre ans sur six, on décourage d'emblée certains des meilleurs immigrants potentiels à faire une demande. De plus, en insistant pour que les immigrants reçus restent quatre ans sur six, on réduira les avantages économiques pour le Canada et les liens de ceux qui ont déjà été reçus. On diminuera l'importance du lien qu'ils entretiennent avec le Canada. Merci.

Le président : Merci, monsieur Woo. Je cède maintenant la parole à mes collègues qui veulent poser des questions.

Le sénateur Eggleton : Madame Jarratt, à propos des Canadiens dépossédés de leur citoyenneté, il s'agit du second effort, je crois, visant à tenir compte de ces personnes dans le cadre d'un projet de loi. Combien de personnes sont-elles encore laissées pour compte? Vous avez tenté de décrire ceux qui sont laissés pour compte. Peut-être voulez-vous revenir là-dessus, et nous donner un exemple ou deux de personnes laissées pour compte. Combien y en a-t-il dans cette catégorie selon vous?

Mme Jarratt : En réalité, ce n'est pas la deuxième fois, mais probablement la cinquième ou la sixième fois.

Le sénateur Eggleton : Eh bien, c'est la deuxième dont j'ai connaissance.

Mme Jarratt : Voilà le problème. On ne connaît pas les antécédents de la législation, ni les changements qui ont été apportés. On estime qu'il y a environ un million de Canadiens dans cette catégorie. Comme l'autre témoin l'a dit, 2,4 millions de Canadiens vivent à l'étranger; on estime qu'environ un million de Canadiens ont été dépossédés de leur citoyenneté ou dont la citoyenneté est remise en question. Il s'agit d'un nombre considérable.

Le sénateur Eggleton : Ce projet de loi est censé, dans une certaine mesure, remédier à la situation.

Mme Jarratt : Oui, le projet de loi touche environ 95 p. 100 de ces personnes, mais 5 p. 100 sont toujours laissées pour compte. Ces 5 p. 100 comprennent des enfants, surtout ceux nés avant 1947 de mères épouses de guerre et nés hors des liens du mariage. Ils sont précisément touchés.

Le président : Ai-je bien compris? Vous dites que le projet de loi corrigera la situation pour 95 p. 100, ne couvrant pas 5 p. 100 et vous dites que ceci représente un million de personnes?

Mme Jarratt : Non, à l'heure actuelle il s'agit d'environ un million de personnes.

Le président : Merci beaucoup.

Mme Jarratt : Je pourrais me tromper, si c'est le cas, je vous transmettrai les chiffres exacts.

Le président : Madame Jarratt, vous avez éclairci ce point. Je vous avais mal entendue. Évidemment, si cela avait été le contraire, on parlerait d'un chiffre astronomique, voilà pourquoi je voulais préciser. Merci.

Le sénateur Eggleton : Si 95 p. 100 sont couverts, il en demeurera probablement environ 50 000 laissés pour compte.

Mme Jarratt : Encore une fois, si j'ai tort, j'aimerais avoir l'occasion de préciser. Je crois savoir qu'il s'agit d'environ un million de personnes et 5 p. 100 de un million représente 50 000 personnes, ce qui est quand même considérable.

Le sénateur Eggleton : Oui bien sûr.

Mme Jarratt : Surtout s'il s'agit de personnes âgées.

Le sénateur Eggleton : Certains sont nés avant 1947. Pourriez-vous nous donner un cas typique?

Mme Jarratt : Dans un scénario typique d'épouse de guerre, un enfant, comme Jackie Scott, est née hors des liens du mariage avant 1947, arrive au Canada après 1947 et ses parents se marient. Elle a récemment décidé de déposer une demande pour que tout soit en règle dans l'après 11 septembre, un monde où tout a changé. Jadis, on pouvait décrocher le téléphone et parler à un être humain au bout du fil. Maintenant, quand vous dites que vous êtes né en Angleterre, une série d'avertissements sont déclenchés. Ensuite, on vous dirige ailleurs et vous vous retrouvez en attente, un tout autre problème.

Le sénateur Eggleton : Et ceci est lié à sa naissance hors des liens du mariage?

Mme Jarratt : Oui, tout à fait. Il existe une mesure discriminatoire à cet effet dans la loi de 1947, qui n'a pas été corrigée dans la version de 1977 et qui n'est toujours pas abordée dans ce projet de loi. Le projet de loi C-24 couvre de nombreuses personnes, mais hors des liens du mariage, comme les Eric Clapton de ce monde dont le père, un militaire canadien, et la mère, une femme britannique, n'étaient pas mariés.

En effet, ces personnes nées hors des liens du mariage sont accueillies au Canada, mais de nombreuses autres personnes, comme Jackie Scott, sont déboutées. Vous pourriez dire qu'ils peuvent demander une exception, mais ces personnes sont constamment déboutées.

Le sénateur Eggleton : Pourquoi sont-elles constamment refusées?

Mme Jarratt : Vous auriez intérêt à poser cette question à CIC. Pourquoi sont-elles refusées? C'est simplement monnaie courante.

Le sénateur Eggleton : Ces personnes ont-elles d'autres options?

Mme Jarratt : Pour devenir citoyen canadien, non. Il n'y a qu'un seul moyen d'obtenir la citoyenneté, à moins de connaître quelqu'un qui a le bras long. Mais je crois que personne n'a le bras suffisamment long de nos jours.

Ces personnes se retrouvent coincées dans un bourbier administratif sans issue. C'est pourquoi Jackie Scott a dû se tourner vers la Cour fédérale, qui est actuellement saisie de cette affaire.

Des dizaines de milliers de personnes se retrouvent coincées de la sorte, dont Heather Harnois, une femme des Premières Nations qui s'est fait dire qu'elle ne peut devenir citoyenne canadienne. Il s'agit d'une jeune mère de famille.

Le sénateur Eggleton : Où est-elle née?

Mme Jarratt : Elle se retrouve coincée en raison des changements apportés au projet de loi S-3 relativement aux femmes des Premières Nations à qui l'on a octroyé la citoyenneté. C'est assez récent, vous en souvenez-vous? Sa grand- mère est née au Canada et sa mère est née aux États-Unis. Elle est née aux États-Unis, d'une mère appartenant à la première génération née à l'étranger.

Le sénateur Eggleton : Ça n'a rien à voir avec les épouses de guerre.

Mme Jarratt : Non, mais elle se retrouve également prise dans la catégorie des Canadiens dépossédés de leur citoyenneté.

Le sénateur Eggleton : Quel amendement faudrait-il apporter à ce projet de loi pour remédier au problème qui vous préoccupe?

Mme Jarratt : Le projet de loi aurait besoin d'un remaniement en profondeur. Je ne sais pas si des amendements seraient acceptés.

Il faudrait absolument inclure les 5 p. 100 qui ne sont pas pris en compte. Le fait que ceux qui sont nés avant 1947 ne soient pas considérés comme étant des citoyens canadiens nous inquiète au plus haut point. Ainsi, tous les morts de la guerre, tous les vétérans des deux guerres mondiales qui sont morts pour leur pays ne sont pas considérés comme des citoyens canadiens. Par conséquent, tous ceux à qui nous rendons hommage cette année, et pendant les quatre années à venir, n'étaient en réalité pas des citoyens canadiens. Mais ça ne marche pas comme ça. C'est l'un ou l'autre. Soit ils sont citoyens canadiens, soit ils ne le sont pas.

Le sénateur Eggleton : Pourriez-vous nous faire parvenir par écrit des renseignements à ce sujet?

Mme Jarratt : Je vous ferai parvenir mon exposé.

Le sénateur Eggleton : Merci.

La sénatrice Eaton : Monsieur Woo, ne croyez-vous pas que le fait d'imposer une exigence de quatre ans sur six pourrait dissuader certaines personnes d'aspirer à un passeport canadien à des fins de complaisance?

M. Woo : Je crois que nous tentons de recruter les meilleurs candidats des quatre coins du monde en fonction de leurs compétences, de leur expérience et de leurs connaissances.

La sénatrice Eaton : Absolument.

M. Woo : Nombreux sont ceux qui ont des carrières internationales, et voilà justement la clé de leur succès. Si nous limitons artificiellement leurs possibilités d'exploiter leurs réseaux et leurs compétences à l'international pour faire avancer leur carrière, nous n'attirerons pas les bons candidats, ceux qui nous intéressaient à la base.

Je crois que nous aurions intérêt à nous préoccuper davantage de cette conséquence que du nombre relativement faible de demandeurs qui cherchent à devenir citoyens de complaisance, mais je ne sais pas exactement ce que cela veut dire et j'apprécierais que vous définissiez ce terme.

La sénatrice Eaton : On parle ici d'une personne qui obtient un passeport canadien et l'utilise en tant que soupape de sécurité : en d'autres termes, il s'agit de quelqu'un qui n'a pas l'intention de vivre au Canada ni d'y payer ses impôts, mais détient la citoyenneté pour des questions de commodité. Ainsi, si la situation s'envenime dans leur pays, prenez l'exemple du Liban, ou encore si la Chine décide d'envahir Hong Kong, ou encore en fonction de la situation dans les États du Golfe, ces citoyens canadiens peuvent brandir leur passeport et rentrer en courant au pays.

M. Woo : J'aimerais réagir à vos propos.

On évoque souvent ce qui s'est passé au Liban pour justifier une prise de position selon laquelle il faudrait veiller à ce que les Canadiens vivant à l'étranger ne jouissent pas des mêmes droits que ceux qui sont au pays. Dans les faits, les coûts engagés lors de l'évacuation du Liban auraient pu être assumés par les personnes évacuées, et c'est le gouvernement du Canada qui en a décidé autrement.

Deuxièmement, certains d'entre vous le sauront, les frais exigés pour l'obtention d'un passeport canadien sont versés dans la caisse des services consulaires. Le vérificateur général a souligné le fait que le gouvernement du Canada perçoit davantage de frais pour ce service consulaire que ce qu'il n'en coûte. Les Canadiens qui possèdent des passeports cotisent donc, en quelque sorte, à une espèce de police d'assurance à laquelle ils peuvent avoir recours lorsqu'ils éprouvent des difficultés. On exagère cette question d'abus de la citoyenneté canadienne à l'étranger.

Troisièmement, je dirais que nombreux sont les Canadiens nés au pays, et je ne parle pas de ceux nés à l'étranger, donc des jeunes Canadiens qui rêvent de vivre à l'étranger, de quitter le Canada pour faire carrière à São Paulo, Londres, Nairobi, ou ailleurs. Il ne faudrait pas les dénigrer. S'ils veulent faire carrière à l'international, il faudrait plutôt les encourager. Ils ne sont pas différents des Canadiens nés à l'étranger.

La sénatrice Eaton : Je crois que personne ne dénigrerait un Canadien qui part à l'étranger pour faire avancer sa carrière.

M. Woo : Mais on ne les qualifierait pas de citoyens de complaisance pour autant.

La sénatrice Eaton : Mais dans le cas d'une personne qui vient au Canada sans jamais y avoir habité auparavant, obtient un passeport et retourne dans son pays... bref, je ne vais pas me disputer avec vous. Nous ne sommes pas du même avis.

Vous avez dit qu'il était avantageux pour le Canada que des citoyens vivent à l'étranger. Pouvez-vous m'expliquer comment les Canadiens qui ne vivent jamais au pays représentent un avantage pour le Canada?

M. Woo : Je ne fais pas allusion aux Canadiens qui n'ont jamais habité au pays. Je parle des Canadiens qui vivent à l'étranger.

La sénatrice Eaton : D'accord.

M. Woo : Ils sont au nombre de 2,8 millions. La plupart d'entre eux sont nés au Canada, ils ne sont pas nés à l'étranger.

Le comité sait pertinemment que notre avenir économique est étroitement lié à celui des États-Unis. La majorité de notre commerce dépend de ce seul marché. Vous êtes certainement tous au courant des défis que cela représente, puisqu'en plus de s'agir d'un marché dont la reprise est lente, il est réticent à entretenir des liens économiques encore plus étroits avec le Canada. L'exemple de l'exportation de pétrole vers les États-Unis le montre clairement.

Le Canada doit absolument élargir ses marchés mondiaux, ce qui sera notamment possible en ayant des contacts aux quatre coins du monde.

La sénatrice Eaton : Je ne suis pas en désaccord avec vous. Puisque vous croyez sincèrement que les Canadiens devraient pouvoir passer toute leur vie à l'étranger s'ils le souhaitent, dans le monde entier? Vous avez abordé la question des élections; les Canadiens perdent le droit d'exprimer leur suffrage au bout de cinq ans. Si les Canadiens, à l'instar des Américains, payaient des impôts au Canada dans le monde entier, mais conservaient leur droit de vote, s'agirait-il d'un bon compromis selon vous?

M. Woo : Il faudrait discuter de l'accès aux avantages sociaux dans le cas des Canadiens qui vivent à l'étranger depuis très longtemps.

Une décision rendue récemment par un tribunal de la Colombie-Britannique est fort encourageante. En effet, le tribunal a refusé des prestations de santé à une famille qui ne vivait pas vraiment en Colombie-Britannique depuis très longtemps. Voilà l'approche à préconiser à l'égard de nos citoyens à l'étranger, à savoir ne pas permettre que l'on abuse du système et mettre en place des mécanismes de protection à cet effet, tout en reconnaissant l'importance des Canadiens vivant à l'étranger.

La question des impôts que doivent payer les citoyens habitant à l'étranger est un peu plus compliquée. Selon moi, nous n'avons pas intérêt à reproduire le système américain. Le concept « pas de représentation sans taxation » en est un bien américain, il n'est pas canadien. De nombreux Canadiens ne paient pas d'impôts, mais ont quand même le droit de vote.

Le principe général que vous évoquez est fort valable. Il nous faut réfléchir aux moyens de favoriser l'attachement des Canadiens vivant à l'étranger grâce à diverses mesures réglementaires et fiscales, plutôt que de les ostraciser en tant que Canadiens.

Le sénateur Enverga : Monsieur Woo, vous avez recommandé le resserrement des exigences relatives à l'immigration, assorti d'une attitude plus laxiste à l'égard de la citoyenneté. Que pensez-vous des réfugiés qui arrivent de manière illégale au pays, et que pensez-vous de la réunification des familles? Ne croyez-vous pas que le contraire serait préférable, c'est-à-dire de resserrer les exigences en matière de citoyenneté et faire preuve de plus de laxisme au moment de l'immigration, ou encore de resserrer les exigences dans les deux cas?

M. Woo : Pour être honnête avec vous, je n'ai pas véritablement réfléchi à la question des réfugiés. Comme il s'agit de politiques et d'enjeux humanitaires, il faudrait faire preuve de générosité au moment de fixer ces exigences, ou encore ces chiffres. Il s'agit d'une décision politique. Reste ensuite à atteindre les objectifs, qui ne sont pas les mêmes que dans le cas des travailleurs immigrants qualifiés.

En ce qui concerne l'immigration de travailleurs qualifiés, soit les immigrants indépendants, nous avons intérêt à placer haut la barre. Il faudrait trier les candidats sur le volet, et ensuite leur faciliter la voie vers la citoyenneté; voilà la logique derrière le resserrement des exigences au moment de l'immigration accompagné d'un accès plus facile à la citoyenneté.

La sénatrice Cordy : Monsieur Woo, j'aimerais avoir ce que vous pensez de la déclaration d'intention de résider. On peut avoir les meilleures intentions au monde, mais comme vous l'avez indiqué plus tôt, la mobilité des travailleurs est très forte au Canada, surtout parmi les jeunes. Nous connaissons tous des Canadiens qui sont partis enseigner en Asie, ou qui sont comptables à Grand Caïman, aux Bermudes ou ailleurs.

Dans le cas des Néo-Canadiens, ne croyez-vous pas que nous sommes en train de créer deux classes de citoyenneté — des citoyens qui sont libres de faire carrière et voyager à l'étranger, et ceux qui n'ont pas le loisir de le faire, car ils ont signé une déclaration d'intention de résider? La décision finale quant à l'intention de résider reviendrait au ministre ou encore à un agent, sans possibilité d'appel. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Woo : Oui, je crois que cette mesure introduit une certaine discrimination à l'égard des immigrants comparativement aux Canadiens nés au pays qui, eux, sont libres de faire carrière à l'échelle internationale.

Ceux qui expriment leur intention de résider au Canada et qui sont déterminés à obtenir leur citoyenneté devront ensuite résider au pays pendant quatre ans sur six; par conséquent, le bassin de candidats comprendra probablement moins de personnes hautement qualifiées et qui ont des visées de carrière internationale. Le bassin sera à l'image de nos exigences. Si ce résultat nous convient, c'est la bonne voie à suivre.

Mais nous ne faisons pas que créer une distinction entre deux catégories, à savoir les immigrants qui ne peuvent pas travailler à l'étranger et les personnes nées au Canada qui, elles, peuvent voyager en toute liberté. Tout Canadien qui réside à l'étranger, peu importe qu'il soit né à l'étranger ou au Canada, se voit privé du droit de vote s'il habite à l'étranger depuis plus de cinq ans, ce qui fait de lui un citoyen canadien de second rang. En résulte donc ces catégories : les immigrants reçus qui doivent absolument rester au pays pendant quatre ans sur six, et les Canadiens résidant à l'étranger qui jouissent de moins de droits que les Canadiens vivant au pays.

Le président : Je vous remercie, madame Jarratt et monsieur Woo.

Pour notre dernier groupe de témoins, nous allons maintenant entendre des représentants de l'Association professionnelle des agents du service extérieur. Il s'agit de Timothy Edwards, président, et de Ron Cochrane, directeur exécutif. Et finalement, de la Foundation for Defense of Democraties, nous accueillons Sheryl Saperia, directrice des politiques (Canada).

Sheryl Saperia, directrice des politiques (Canada) Foundation for Defense of Democracies : Bon après-midi, distingués membres du comité. Au nom de la Foundation for Defense of Democracies, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître.

Mes commentaires porteront exclusivement sur les dispositions du projet de loi C-24 qui traitent de la révocation de la citoyenneté pour cause de terrorisme, de trahison et de conflit armé contre le Canada. Comme je l'ai dit dans un témoignage précédent, je soutiens ces dispositions du point de vue conceptuel. Il s'agit d'une mise à jour propre au XXIe siècle du contrat social qui a toujours existé entre le Canada et ses citoyens. Ce contrat renvoie de façon vaste à la compréhension selon laquelle les citoyens consentent à respecter certaines obligations à l'égard de l'État en échange d'autres avantages.

Le projet de loi C-24 laisse entendre que la citoyenneté canadienne est fondée sur un engagement des plus élémentaires à l'égard de l'État : les citoyens s'abstiennent de commettre ces infractions considérées comme étant des plus à l'encontre de la sécurité nationale du Canada. La trahison et le conflit armé contre le Canada sont des gestes qui indiquent clairement une intention de causer des dommages au pays à titre d'entité nationale ou de communauté politique. Il convient donc que l'une des conséquences de ces crimes soit la perte de la citoyenneté au pays auquel le délinquant cherche à causer du tort.

Qu'en est-il du terrorisme? Lors de témoignages précédents et dans des articles, j'ai recommandé que le projet de loi soit amendé dans le but de stipuler un lien plus étroit entre le crime et la conséquence de la perte de la citoyenneté. Plus précisément, j'ai proposé que la révocation de la citoyenneté pour cause de terrorisme soit déclenchée seulement par des infractions terroristes commises au Canada ou contre une cible canadienne ou une association avec une entité qui figure à la liste. Ces entités sont désignées publiquement par le gouvernement canadien comme des organismes terroristes et dans les faits comme des ennemis publics de l'État. Commettre un acte terroriste qui répond à l'un de ces trois critères constitue une tentative claire de causer des torts au Canada et pour laquelle la perte de la citoyenneté est appropriée.

Je crois toujours qu'il s'agit d'un amendement raisonnable, conformément au célèbre arrêt Oakes, qui exige, entre autres, que la restriction d'un droit soit rationnellement liée à l'objectif de la loi en question. Si l'acte terroriste commis n'a rien à voir avec le Canada, devrait-on imposer comme conséquence la révocation de la citoyenneté?

En fait, des arguments convaincants peuvent être présentés. Les tribunaux canadiens considèrent très clairement que le terrorisme est unique : on peut faire valoir que le terrorisme, comme crime unique, est antithétique aux valeurs canadiennes au point que quiconque choisit d'adhérer à une telle violence a dans les faits déclaré son allégeance à une autre entité.

De plus, une personne qui se sert délibérément de son passeport canadien pour voyager à l'étranger dans le but de causer des torts à des civils innocents, qui choisit de quitter le Canada pour commettre ces actes illégaux, démontre probablement, de par ses gestes, le peu de valeur qu'il accorde à sa citoyenneté canadienne. Ses actions constituent non seulement un abus prémédité des privilèges qu'accorde la citoyenneté, mais aussi la transformation en arme de la citoyenneté pour commettre des actes de terrorisme. Le gouvernement pourrait vouloir prévenir d'autres violations en retirant l'arme — c'est-à-dire la citoyenneté canadienne — qui facilite l'entrée dans virtuellement tous les pays du monde.

Selon le projet de loi, la révocation peut découler non seulement d'une condamnation pour terrorisme national assortie d'une peine de cinq ans ou plus, mais aussi d'une condamnation étrangère. Lorsque la condamnation provient d'un pays qui a la mentalité et des normes juridiques semblables au Canada, cette mesure a du sens. Mais qu'en est-il des pays dont le système juridique ne nous inspire pas confiance en général?

Les témoignages entendus à la Chambre des communes indiquent que le ministre Alexander prévoit un processus en deux étapes.

La première étape consisterait à examiner la teneur de l'infraction étrangère, et de voir si elle est équivalente à un acte terroriste en vertu du Code criminel du Canada. C'est indiqué dans la mesure législative. Mais la deuxième étape de l'examen, qui a été décrite comme étant un examen de l'équité du processus par lequel on en est venu à la condamnation, n'est pas mentionnée dans le projet de loi. Je recommanderais un amendement à cet égard... L'analyse en deux parties du ministre doit être codifiée dans la mesure législative : elle doit être explicite, autrement dit. La teneur du geste et le caractère équitable de la condamnation seraient des facteurs pris en compte au moment de décider de révoquer la citoyenneté pour cause de terrorisme.

Un dernier commentaire qui a semblé intéresser le Comité de l'immigration et de la citoyenneté de la Chambre :

Si ce projet de loi est adopté, il devrait peut-être être accompagné d'un changement à la demande de passeport canadien. Quiconque est âgé d'au moins 16 ans devrait avoir à reconnaître par écrit les modalités de la citoyenneté. Le document préciserait que le demandeur comprend que la trahison, le terrorisme ou le conflit armé contre le Canada peuvent mener à une révocation de la citoyenneté. Il s'agirait essentiellement d'un contrat : si vous ne respectez pas les modalités de l'entente, vous vous exposez à des pénalités.

Mesdames et messieurs les sénateurs, si les dispositions de révocation de la citoyenneté contenues dans le projet de loi C-24 permettent d'éviter les effusions de sang à l'extérieur et à l'intérieur du Canada, elles valent la peine d'être examinées par le Parlement.

Je vous remercie encore une fois de m'avoir invitée à comparaître. Il me tarde de répondre à vos questions, et si vous avez lu les articles du Globe and Mail sur le projet de loi C-24, je serai ravie d'en discuter également. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie.

Timothy Edwards, président, Association professionnelle des agents du service extérieur : Je m'appelle Tim Edwards et je suis le président de l'Association professionnelle des agents du service extérieur. Je suis accompagné aujourd'hui de notre directeur exécutif, négociateur en chef et gestionnaire de notre bureau, Ron Cochrane. Je tiens à remercier le président et les membres du comité de nous donner l'occasion de comparaître aujourd'hui.

L'APASE est l'agent négociateur pour les diplomates canadiens ne faisant pas partie du groupe de la direction depuis l'adoption de la négociation collective à la fonction publique fédérale à la fin des années 1960. Nous représentons près de 1 400 employés du gouvernement du Canada qui travaillent en bonne partie à Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, Citoyenneté et Immigration Canada et l'Agence des services frontaliers du Canada.

À n'importe quel moment, environ 55 p. 100 de nos membres sont en affectation à long terme à l'extérieur du pays dans l'une des 173 missions canadiennes à l'étranger.

Je suis ici aujourd'hui pour exprimer le fort soutien des membres de l'APASE aux amendements contenus à l'article 3 de la Loi sur la citoyenneté dans le projet de loi C-24, qui rétabliraient entièrement les droits de citoyenneté aux enfants nés de diplomates, de soldats et d'autres fonctionnaires de la Couronne à l'étranger. Si ces amendements sont adoptés, les enfants nés à l'étranger pourront transférer leur citoyenneté à leurs propres enfants si ces derniers sont également nés ou adoptés à l'extérieur du pays.

Je vous fais une mise en contexte. En avril 2009, les derniers amendements d'envergure à la Loi sur la citoyenneté sont entrés en vigueur. Le principal objectif, comme vous le savez, était d'accorder la citoyenneté aux soi-disant « Canadiens dépossédés de leur citoyenneté ». Toutefois, on instituait toutefois le retrait de la citoyenneté aux enfants de deuxième génération nés ou adoptés à l'étranger. L'intention était de veiller à ce que les enfants nés de citoyens canadiens maintiennent un lien important et significatif avec le Canada et à ce que la citoyenneté ne soit pas transmise sans fin d'une génération à l'autre vivant à l'étranger sans un minimum de liens au Canada.

Toutefois, de nombreuses personnes qui continuent d'avoir un lien important et significatif avec le Canada ont été incluses dans le libellé de cet amendement sans qu'on en ait l'intention. Plus précisément, cet amendement n'avait pas exempté de cette limite les enfants de diplomates, de soldats et de fonctionnaires de la Couronne affectés à l'étranger à la demande de leur employeur — soit le gouvernement du Canada.

Ainsi, si ces enfants continuaient de vivre ou de travailler à l'étranger comme adultes puis avaient des enfants avec des partenaires non canadiens à l'étranger, ces enfants se verraient refuser la citoyenneté canadienne. Cette mesure aurait des conséquences particulièrement horribles si l'enfant était né dans un pays qui n'accorde pas automatiquement la citoyenneté aux bébés nés chez eux. Dans de tels cas, l'enfant serait apatride.

Bien que nous n'ayons pas de statistiques exactes sur le nombre de personnes désavantagées par cet amendement de 2009, pensez un instant au fait que, de 1983 à 1994, 3 943 enfants sont nés de membres du personnel des Forces canadiennes basés à Lahr, en Allemagne. Aujourd'hui, le Canada compte environ 1 700 fonctionnaires fédéraux à l'étranger. Même si, par exemple, seulement 2 p. 100 de ces employés avaient ou adoptaient un enfant une année donnée, cela voudrait dire qu'il y a déjà, en 2014, 170 enfants nés de fonctionnaires fédéraux depuis que la nouvelle loi a été adoptée et qui sont des citoyens de seconde classe, sans oublier les centaines d'autres enfants nés de diplomates et de soldats avant 2009 dont les droits à la citoyenneté ont été réduits rétroactivement par l'amendement de 2009.

Vous pouvez comprendre l'effet dissuasif que cette mesure représente pour les agents à l'étranger qui auraient l'intention d'avoir des enfants. Cette mesure mine la capacité du gouvernement de recruter, de maintenir en poste et d'affecter des fonctionnaires à l'étranger, sans oublier les coûts supplémentaires à payer pour le gouvernement pour rapatrier les femmes enceintes qui, on peut le comprendre, insistent pour donner naissance en sol canadien.

L'APASE a été saisie de cette question dès que la mesure a été adoptée. Le sénateur Munson, qui malheureusement est absent aujourd'hui, se rappellera d'avoir pris la parole à une conférence de presse conjointe que l'APASE avait organisée en avril 2010 pour attirer l'attention de l'Association des expatriés canadiens à cette question.

Les présidents successifs de l'APASE, moi y compris, ont écrit au premier ministre à plusieurs occasions, et d'après ce que nous comprenons de nos interactions avec les fonctionnaires, il s'agissait simplement d'une grave erreur qui n'aurait jamais dû se retrouver dans la loi.

Depuis 2009, il a été convenu entre tous les partis que les petits-enfants des fonctionnaires canadiens loyaux et dévoués ne devraient pas être privés de leur citoyenneté canadienne simplement parce que leurs parents sont nés à l'étranger.

Nous sommes ravis que, après des années de pression pour faire corriger cette horrible erreur de rédaction, le gouvernement ait finalement donné suite en janvier 2013 à un engagement pris par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de l'époque, Jason Kenney, de tenir compte de nos préoccupations. Si ce projet de loi est adopté, les enfants de fonctionnaires fédéraux, provinciaux et territoriaux et du personnel des Forces canadiennes seront exemptés de la limite d'une génération pour le transfert de la citoyenneté aux personnes nées à l'étranger.

Nous espérons que ces amendements seront adoptés rapidement. De cette façon, les Canadiens qui servent notre pays à l'étranger avec fierté et distinction peuvent avoir l'assurance que peu importe le lieu de naissance de leurs enfants, leurs petits-enfants seront tous légitimement des citoyens canadiens.

Mesdames et messieurs, je serai ravi de répondre à vos questions ou d'aider le comité à obtenir toute information supplémentaire dont il aurait besoin. M. Cochrane est aussi ici pour m'aider à répondre aux questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant céder la parole aux collègues qui ont des questions à poser.

Le sénateur Eggleton : Je suis d'accord avec ce que messieurs Edwards et Cochrane ont dit, et ils sont ravis. Si nous pouvions adopter cette partie du projet de loi et torpiller le reste, je n'aurais pas d'objection.

J'ai une question à poser à Mme Saperia. J'ai une préoccupation en ce qui concerne le processus de révocation. Jusqu'à maintenant, la révocation se faisait seulement pour cause de présentation de documents frauduleux ou de conflit armé, mais il y avait une procédure précise à suivre devant la Cour fédérale, et une audience complète avait lieu.

Ces révocations seront étudiées par le ministre, et on y ajoute toutes ces activités criminelles, y compris la trahison, le terrorisme, et cetera.

Mais le processus est différent. Comme je l'ai dit, le ministère y participe; une déclaration écrite est rédigée, en fait. S'il s'agit d'une révocation, une déclaration écrite serait envoyée par le ministre et pourrait donner lieu à une réponse. Aucun témoignage ni appel à la Cour fédérale n'est prévu, sauf pour des motifs très juridiques limités aux erreurs de droit. Il faut obtenir une autorisation pour aller aussi loin. Tout de même, il n'y a pas de témoignage, ni motif humanitaire ou de compassion. On a donc sévèrement limité la possibilité pour les gens de faire valoir leur argument dans le cadre d'un appel. N'en êtes-vous pas préoccupée?

Mme Saperia : Je dois dire que la procédure n'est pas mon domaine d'expertise. Je me concentre davantage sur les concepts. Je crois comprendre que les personnes touchées auront l'occasion de faire valoir leurs arguments devant un tribunal. Je ne crois pas qu'elles soient soudainement privées de leur citoyenneté et envoyées ailleurs, alors je crois qu'il y a un processus en place.

Il s'agit en bonne partie d'un pouvoir discrétionnaire ministériel. Lorsqu'il est question de conflit armé avec un autre pays, la détermination est en fait faite par la Cour fédérale. Ces cas vont au-delà de la discrétion ministérielle.

Le sénateur Eggleton : Oui, dans ce cas-là.

Mme Saperia : La discrétion du ministre, lorsqu'appliquée convenablement, est en fait un bon outil. La question est donc de savoir si on estime qu'un ministre en particulier soit en mesure d'exercer ce pouvoir discrétionnaire de façon appropriée.

Dans ces cas, la discrétion est très importante, parce qu'une révocation automatique serait pire que toutes les lacunes décelées dans cette procédure. Surtout lorsqu'il est question d'équité relativement à une condamnation étrangère, il est essentiel que le ministre ou quelqu'un — et, franchement, qu'il s'agisse d'un ministre ou d'un tribunal, cela n'a pas d'importance. Les deux peuvent faire un bon travail. Dans certains pays, une condamnation de terrorisme est purement politique; cela n'a rien à voir avec le terrorisme autre que le fait que la personne a des opinions politiques qui sont différentes de celles du gouvernement en question.

Voilà la question : veiller à ce que les bons facteurs soient pris en considération par quiconque est le décisionnaire, qu'il s'agisse du ministre ou du tribunal. Voilà ce sur quoi je me concentrerais.

Le sénateur Eggleton : Eh bien, je crains que les occasions devant les tribunaux soient rares, sauf pour la révision judiciaire. Les gens n'ont pas vraiment l'occasion de faire valoir leurs arguments devant un tribunal, sauf dans les cas très limités prévus dans le projet de loi.

Laissez-moi vous donner un exemple vécu. Mohamed Fahmy est canadien; il a en fait la double citoyenneté avec l'Égypte. Il est actuellement accusé de terrorisme en Égypte. Ce cas a fait couler beaucoup d'encre. Avant, il y a eu Maher Arar. Le cas de M. Fahmy est examiné par le tribunal égyptien. Qu'arrivera-t-il s'il est condamné de terrorisme? Le ministre pourra dire « je vais révoquer votre citoyenneté et vous pouvez continuer de vivre en Égypte, où on ne veut probablement pas de vous, mais vous pouvez continuer à vivre en Égypte. »

Voici un autre exemple de la citoyenneté à deux niveaux. Prenons le cas de John Smith, journaliste né au Canada et n'ayant absolument aucun lien avec quelque autre pays se fait arrêter en Égypte; il n'aurait pas à s'inquiéter. Notre gouvernement ne pourrait pas agir contre lui contrairement à M. Fahmy. Cela prouve que l'on crée une citoyenneté à deux niveaux. J'aimerais avoir vos observations sur ce cas.

Mme Saperia : Oui. Je traiterai d'abord du cas de M. Arar, car il a été donné en exemple aujourd'hui dans le Globe and Mail.

Si cette loi avait été en place quand M. Arar était considéré comme un criminel, on aurait très rapidement révoqué sa citoyenneté canadienne, n'est-ce pas? Non, car il n'a jamais été reconnu coupable. On n'avait que des soupçons à son sujet. M. Arar n'est donc pas un bon exemple.

Le cas de l'Égypte, lui, est un bon exemple. La discrétion ministérielle ou un contrôle judiciaire est, encore une fois, absolument crucial. Il faut prévoir un processus en deux étapes d'évaluation des condamnations à l'étranger et éviter que la révocation ne soit automatique. Les deux étapes seraient les suivants : premièrement, l'infraction dont la personne est accusée est-elle un acte terroriste au Canada au sens du Code criminel, et, deuxièmement, le procès ayant mené à la condamnation a-t-il été juste? Si ce n'est pas le cas, on ne devrait pas pouvoir révoquer la citoyenneté canadienne de cette personne.

En faisant un examen attentif et en posant les bonnes questions, on évitera les erreurs dans la révocation de la citoyenneté. Je ne crois pas que l'intention soit de procéder au plus grand nombre de révocations possible.

Le sénateur Eggleton : Ce n'est peut-être pas l'intention, mais il faut tout de même respecter la règle de droit et non pas se baser sur le fait que le ministre actuel est bien gentil, mais qu'on ne sait pas trop qui sera ministre dans 10 ans.

Quel est le processus en deux étapes?

Mme Saperia : Je vous en ai touché quelques mots. Selon le libellé actuel du projet de loi, l'infraction doit être comparable à un acte terroriste au sens du Code criminel du Canada. Quand les collaborateurs du ministre Alexander ont témoigné, ils ont fait allusion à ce processus en deux étapes pour évaluer l'équité de la condamnation, mais cela ne figure pas dans le projet de loi. À mon avis, il faut combler cette lacune par un amendement. D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi le gouvernement s'opposerait à un amendement en ce sens puisqu'il a déjà exprimé son intention de tenir compte de ce facteur avant de prendre une décision. Cela me semble important.

J'aimerais revenir à une autre question que vous avez soulevée, celle de la citoyenneté à deux niveaux. Votre observation est légitime, mais il faut savoir que toute distinction ne constitue pas une forme de discrimination. L'article 15 de la Charte garantit l'égalité devant la loi, mais toute distinction ne constitue pas pour autant une forme de discrimination. En l'occurrence, la distinction se fonde uniquement sur nos obligations internationales aux termes de la convention sur l'apatridie. Le droit international nous oblige à nous assurer de ne rendre personne apatride. Si vous êtes citoyen d'un pays seulement, on ne pourra révoquer votre citoyenneté, car cela vous rendrait apatride. Voilà pourquoi on a fait cette distinction. Elle ne se fonde pas sur le lieu de votre naissance, ce qui serait véritablement problématique et susciterait mon objection.

La double citoyenneté découle d'un choix. Bien des gens veulent être citoyens d'un autre pays en plus du Canada. Je ne crois pas qu'on puisse faire valoir de façon convaincante que ceux qui ont fait ce choix, en raison de liens personnels ou pour profiter des avantages d'une deuxième citoyenneté, font l'objet de discrimination. Ils ont fait ce choix et en retirent probablement des avantages. Personne n'est tenu d'avoir la double citoyenneté. Cependant, certains détiennent la citoyenneté d'un pays qui ne permet pas qu'on y renonce.

Le sénateur Eggleton : L'Égypte.

Mme Saperia : Oui, et ces cas-là sont problématiques. Dans ce genre de situation, je propose que l'on évalue les liens avec cet autre pays. Peu importe qui prend cette décision, tant qu'il s'agit d'un décideur responsable. Le ministre ou un tribunal pourrait déterminer si l'intéressé a conservé des liens étroits avec cet autre pays, s'il a exercé les droits que lui confère la citoyenneté à cet autre pays, s'il a voyagé avec cet autre passeport ou s'il a rempli des fonctions officielles auxquelles seuls les citoyens sont admissibles. Autrement dit, et s'il a été un citoyen actif de cet autre pays, il pourra difficilement faire valoir qu'il a voulu renoncer à cette citoyenneté, mais qu'on l'a obligé à la garder.

Le sénateur Eggleton : Dans le projet de loi, les actes de terrorisme doivent être passibles d'une peine d'emprisonnement de cinq ans ou plus au Canada ou à l'étranger.

Mme Saperia : C'est exact.

Le sénateur Eggleton : Je crois que c'est la peine d'emprisonnement à perpétuité qui s'applique aux autres infractions et que celle-ci est un peu différente. Quelles sont les infractions de terrorisme punissables d'une peine d'emprisonnement de cinq ans? Ça ne peut être aussi répréhensible que ce qu'un citoyen canadien a commis comme crime au Canada contre d'autres citoyens canadiens, soit Robert Pickton, qui ne relève d'aucune de ces catégories. Je vois mal quel acte de terrorisme serait passible d'une peine de cinq ans, mais quels sont-ils?

Mme Saperia : J'ai parfois un Code criminel de poche avec moi, mais pas aujourd'hui. Il faudrait que je revienne pour passer cela en revue avec vous. Il s'agit de la Partie II.1 du Code criminel. Nous pourrions examiner cela pour voir quelles sont les infractions donnant lieu à ce genre de condamnations.

En ce qui concerne Robert Pickton, vous avez raison. Certains commettent des crimes horribles qui n'ont rien à voir avec le terrorisme. Voilà justement ce qui est au cœur du projet de loi. On ne vise pas simplement les auteurs de crimes odieux, mais plutôt ceux qui commettent des crimes terribles qui violent leurs relations avec le Canada, leur loyauté pour le pays et leur allégeance au Canada. C'est différent. Toute la rigueur de la loi doit s'appliquer aux meurtriers, mais il est légitime d'examiner les différents crimes pour déterminer l'objet et l'intention.

Le sénateur Enverga : J'aime bien l'idée d'inclure dans le passeport un rappel disant que l'on peut perdre son passeport si on enfreint la loi.

Revenons à la perte de la citoyenneté pour ceux qui ont la double nationalité. Que pensez-vous des gens comme M. Khadr qui n'ont que la citoyenneté canadienne? Y a-t-il une autre solution? Avez-vous une suggestion à ce sujet?

Mme Saperia : Bien des gens pensent à M. Khadr. Or, nous sommes partie à une convention qui interdit l'apatridie. Si vous êtes citoyen d'un seul pays, les autorités de ce pays peuvent vous emprisonner ou vous obliger à assumer les conséquences de vos actes. Toutefois, elles ne peuvent révoquer votre citoyenneté canadienne.

Je crois que le père d'Omar Khadr avait la double citoyenneté. Il est mort, mais c'est un bon exemple. Si cette loi avait été en place, on aurait peut-être voulu révoquer sa citoyenneté canadienne.

Le sénateur Eggleton : Au sujet de M. Khadr, vous serez peut-être heureux d'apprendre qu'il sera probablement assujetti aux dispositions de ce projet de loi.

La sénatrice Eaton : M. Khadr a-t-il la double nationalité?

Le sénateur Eggleton : Son père est né en Égypte et l'Égypte vous considère comme un ressortissant égyptien si l'un de vos parents est né en Égypte. Le père d'Omar Khadr est né en Égypte. Lui, il est né au Canada et il n'a jamais été en Égypte, et il ne parle probablement pas la langue, mais ne pourrait-on pas révoquer sa citoyenneté canadienne et réclamer son expulsion? C'est peut-être la raison d'être de ce projet de loi.

Mme Saperia : Non, je ne crois pas. Omar Khadr est un personnage controversé. Les opinions sur son sujet divisent le pays. J'hésite donc à me lancer dans un débat sur Omar Khadr. Je dirais simplement qu'il faudrait d'abord déterminer s'il a la double nationalité. Si c'était le cas, il faudrait se demander si sa condamnation est légitime et si elle a été obtenue de façon équitable. Ces questions en susciteraient alors beaucoup d'autres.

Le sénateur Eggleton : Il devrait prouver selon la prépondérance des probabilités qu'il n'a pas la double nationalité. C'est à lui qu'incombe le fardeau de la preuve.

Mme Saperia : La charge de la preuve est inversée seulement si le gouvernement a des preuves de la double nationalité d'un ressortissant canadien.

Le sénateur Eggleton : Certains crimes ont à voir avec notre affiliation à un pays, ce qui est un peu différent. N'est-ce pas à cela que sert le droit criminel? Le droit criminel sert à sévir contre les personnes. Que l'on invoque les dispositions sur le terrorisme ou non, c'est du droit criminel. On ne dit pas aux Canadiens nés ici : « Nous allons sévir deux fois contre vous. Nous allons invoquer les dispositions du droit criminel, puis nous révoquerons votre citoyenneté et nous vous expulserons peut-être même du pays. » N'est-ce pas une forme de double incrimination?

Mme Saperia : Selon moi, cela peut servir à protéger les Canadiens. Je vous renvoie à un article paru aujourd'hui dans le Globe and Mail et signé Michael Zekulin, « Made-in-Canada terror is real Ð and it's being ignored ». On y fait état d'un phénomène que tous les services de renseignement occidentaux, y compris ceux du Canada, vous confirmeront : des Canadiens et d'autres vont dans des pays comme la Syrie et la Somalie pour acquérir de l'expérience de combat puis reviennent au pays où ils posent un risque. C'est une préoccupation bien réelle.

Je ne crois pas que ce projet de loi vise Omar Khadr. Il vise plutôt à empêcher les Canadiens qui vont à l'étranger pour acquérir de l'expérience du djihad sur le terrain de poursuivre le djihad ici, au Canada.

J'aimerais vous citer un court extrait de cet article :

Il est tout à fait possible que ces ressortissants canadiens reviennent au pays après avoir participé à des conflits à l'étranger. Ils reviennent avec un diplôme « postsecondaire » en extrémisme après avoir été formés par des djihadistes étrangers endurcis dans des situations de combat réelles et constituent une véritable menace terroriste.

C'est la réalité, car tous les services de sécurité occidentaux s'inquiètent de ce phénomène. Selon moi, ce projet de loi est une partie de la réponse.

Le président : Messieurs Edwards et Cochrane, malheureusement, vous n'avez abordé qu'un sujet que nous connaissions assez bien, semble-t-il.

M. Edwards : Le sénateur Eggleton l'a très bien expliqué.

Le président : Nous en convenons tous. Vous aussi.

Madame Saperia, vous nous avez bien décrit la complexité des sujets sur lesquels nous vous avons interrogée. Je vous remercie beaucoup de votre témoignage.

(La séance est levée.)


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