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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 22 - Témoignages du 29 octobre 2014


OTTAWA, le mercredi 29 octobre 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 13, pour étudier l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[English]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Translation]

Je m'appelle Kelvin Ogilvie, sénateur de Nouvelle-Écosse, et je vais demander à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto, où il y a un nouveau maire; je me suis dit que j'allais glisser cette information. Je suis le vice-président du comité. Je prends mon temps ici pour que la sénatrice Merchant puisse se rendre à sa place.

La sénatrice Merchant : Je m'appelle Pana Merchant, sénatrice de la Saskatchewan.

La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.

La sénatrice Nancy Ruth : Nancy Ruth, de Toronto.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Seth : Asha Seth, de Toronto.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

Le président : Chers collègues, nous commençons une étude, aux termes d'un nouvel ordre de renvoi, qui consiste à examiner l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir. Nous espérons mettre l'accent sur les solutions d'avenir.

Pour que cela soit inscrit au compte rendu, le 26 février 2014, le Sénat a adopté un ordre de renvoi autorisant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie à examiner, pour en faire rapport, l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir, notamment, mais pas exclusivement, les tendances alimentaires, les éléments particuliers de l'alimentation, le secteur des aliments transformés, le mode de vie, les initiatives provinciales et fédérales et les pratiques exemplaires ailleurs dans le monde.

Aujourd'hui, le comité entreprend la première réunion portant sur cette étude. Il entendra des représentants du Réseau canadien en obésité et de la Childhood Obesity Foundation. Je crois comprendre que nous allons avoir une vue d'ensemble de ce sujet complexe et que nous pourrons ainsi relever les enjeux fondamentaux en jeu et obtenir tout autre conseil que les représentants pourraient juger bon de nous donner aujourd'hui.

Comme convenu, les témoins vont présenter leur déclaration selon l'ordre établi dans l'ordre du jour. Je souhaite la bienvenue à Ian Janssen, président, Comité des sciences, qui va présenter son exposé en premier.

Ian Janssen, président, Comité des sciences, Réseau canadien en obésité : La réunion d'aujourd'hui arrive à un moment opportun. J'ignore si vous avez entendu les résultats du nouveau rapport sur l'obésité de Statistique Canada, selon lequel 26 p. 100 des adultes canadiens sont obèses, et le taux est d'environ 13 p. 100 chez les enfants. La seule bonne nouvelle est que cette proportion s'est stabilisée dans les dernières années, mais elle n'a pas encore diminué. Nous espérons que le comité pourra nous donner un élan dans ce sens.

Le jour, je suis professeur à l'Université Queen's, et, dans le cadre de ce travail, j'exerce la fonction de président du Comité des sciences du Réseau canadien en obésité.

Avant d'aborder le sujet de mon exposé, j'aimerais dire que le Réseau canadien en obésité est essentiellement le plus grand réseau de professionnels dans le domaine de l'obésité. Il compte plus de 10 000 membres, pour la plupart des Canadiens, et le réseau est en croissance. Il n'y a pas de frais d'adhésion. Il s'agit de la seule organisation à l'échelle mondiale où les membres n'ont pas à débourser de frais. La plupart des organisations professionnelles perçoivent des frais annuels de 500 $.

Le réseau comprend tous les intervenants du domaine de l'obésité, tel que des chercheurs — comme moi —, des professionnels de la santé — comme des médecins —, des infirmières, des diététiciens et des kinésiologues ainsi que des décideurs. Beaucoup de gens de l'Agence de la santé publique du Canada et de Santé Canada sont membres du réseau, ainsi qu'un grand nombre de partenaires du secteur privé, dont l'industrie des aliments et des boissons, l'industrie pharmaceutique et l'industrie liée aux soins bariatriques. Il réunit toutes les disciplines liées à l'obésité.

Le but d'ensemble du RCO est de réduire le fardeau mental, physique et économique de l'obésité au Canada, et il a pour mission de déclencher un processus de lutte contre l'obésité au Canada en réunissant des gens qui mettront au point des solutions efficaces visant à prévenir et à traiter l'obésité. Encore une fois, il s'agit de s'attaquer à la fois aux aspects liés à la prévention et au traitement.

Le RCO se fixe trois grands objectifs stratégiques, qui changent tous les deux ou trois ans. Nos objectifs actuels sont liés aux stigmates associés à l'excédent de poids. On parle de choses comme l'intimidation chez les enfants ainsi que les pratiques discriminatoires en matière d'embauche ou d'admission dans les collèges et les universités. Ces objectifs se rattachent à toute la gamme d'interactions que pourrait avoir une personne souffrant d'obésité.

Nous voulons changer l'approche des décideurs et des professionnels de la santé à l'égard de l'obésité. Essentiellement, nous essayons d'accroître l'attention accordée à l'obésité, ainsi que les ressources qui lui sont consacrées, et d'amener les intervenants à reconnaître que l'obésité est un enjeu complexe qui exige une solution complexe. Bien souvent, les solutions que nous trouvons sont simples et ne permettent donc pas de résoudre le problème.

Un autre objectif est d'améliorer l'accès aux ressources en matière de prévention et de traitement, ce qui peut s'avérer difficile parfois, surtout dans le domaine des soins primaires.

Je vais vous donner des exemples de ce que fait le RCO pour atteindre ces objectifs. Nous avons une initiative visant le problème de la stigmatisation appelé Perfect at Any Size. Voici le contexte : lorsqu'une personne souffrant d'obésité est présentée dans les médias, l'image est négative : il s'agit d'une personne paresseuse, peu motivée et peu séduisante. L'initiative vise à brosser un portrait positif des personnes souffrant d'obésité. Il s'agit de créer des images et des messages positifs selon lesquels les gens souffrant d'obésité peuvent bien manger, être actives et séduisantes et faire des choses normales.

Une initiative associée à notre objectif stratégique numéro deux, qui est de changer l'approche des professionnels à l'égard de l'obésité, est notre camp d'entraînement pour l'obésité. Contrairement à ce que croient beaucoup de gens, il ne s'agit pas d'un camp d'entraînement qui s'adresse aux enfants atteints d'obésité. Il s'agit d'un camp d'entraînement à l'intention des nouveaux professionnels et des étudiants des cycles supérieurs qui travaillent dans le domaine de l'obésité.

Traditionnellement, les domaines d'enseignement sont isolés les uns des autres. Si vous êtes biologiste cellulaire, on vous apprend la biologie cellulaire. Si vous êtes épidémiologiste, on vous apprend l'épidémiologie. Dans le domaine de l'obésité, il faut apprendre les différents aspects de l'obésité, et c'est là le rôle du camp d'entraînement. Il s'agit d'un cours intensif de neuf jours qui regroupe des étudiants de différents domaines et qui porte sur les différents aspects complexes de l'obésité.

Notre camp d'entraînement se déroule à Kananaskis — l'endroit où s'est tenu le sommet du G8 en 2002 — depuis quelques années, et j'y participe depuis sept ans. Il s'agit d'une initiative tout à fait fantastique.

Une autre activité que nous menons afin d'améliorer l'accès aux ressources en matière de prévention et de traitement s'intitule « The 5 A's of Obesity Management » à l'intention des responsables des soins primaires. Bien souvent, lorsqu'on va voir son médecin, on monte sur le pèse-personne et on se fait mesurer. Ensuite, en fonction du poids et de la taille, le médecin calcule l'IMC, et dira peut-être : « Vous savez, vous devez perdre quelques livres, alors mangez mieux et faites plus d'exercice. » Voilà l'essentiel de l'aide qui est offerte. L'initiative des 5 A vise à donner des ressources et une formation aux médecins de premier recours pour qu'ils puissent mieux évaluer et gérer l'obésité dans leur clinique.

Alors, ce sont des exemples de choses que le Réseau canadien en obésité essaie de faire.

Aujourd'hui, on nous demande d'aborder les causes et les choses que nous pouvons faire pour aider à résoudre le problème.

Si vous regardez l'image 8 de mon diaporama, vous n'aurez jamais vu une image aussi chargée. Cette image présente les causes de l'obésité. J'ai cinq à sept minutes pour présenter mon exposé, alors que je pourrais passer 5 000 minutes à parler de cette image. Finalement, elle vise à montrer à quel point l'enjeu est complexe. Il s'agit du diagramme de Foresight. Il a été créé au Royaume-Uni. Il montre qu'une foule d'éléments entrent en jeu et que toutes sortes de choses sont interreliées.

À la diapositive 9, on essaie de regrouper ces éléments en catégories. Si vous regardez les cercles centraux, il y a la consommation d'aliments : ce que vous mangez, combien vous en mangez et ce genre de choses. Il y a l'activité physique : à quel point vous faites de l'exercice, à quel point vous marchez, à quel point vous êtes assis durant la journée — au travail —, et ce genre de choses. Ensuite, il y a des facteurs externes qui exacerbent ces comportements. Il y a la production d'aliments, l'environnement connexe, l'environnement lié aux activités physiques, les influences sociales, puis la biologie et le patrimoine génétique individuel qui influencent toutes ces choses.

Il ne s'agit pas d'un problème simple pour lequel il existe une solution magique. Il y a trop de facteurs en jeu. Pour résoudre le problème de l'obésité, puisqu'il est si complexe, il faut trouver des solutions complexes. Il faut s'attaquer à de nombreuses causes de l'obésité et aux déterminants de l'obésité en amont pour favoriser une amélioration du poids des gens, surtout à l'échelle de la population. Cela dit, la plupart de nos efforts pour résoudre le problème de l'obésité se sont révélés complètement inefficaces. Nous considérons qu'ils ne sont pas du tout efficaces. Il y a très, très peu d'exemples d'interventions à l'échelle de la population ou de la collectivité qui ont fonctionné à long terme et ont été reproduites dans plus d'un contexte.

Un des deux ou trois seuls exemples dans le monde de choses qui ont fonctionné est le programme EPODE. Il est le fruit de travaux de recherche initialement menés en France. Je ne suis pas certain, mais je pense que l'acronyme EPODE veut dire « ensemble, prévenons l'obésité des enfants ». Il s'agit d'une intervention communautaire qui suppose la prise de nombreuses mesures au sein de la collectivité. Il y a un chef de projet, un comité directeur, une intervention municipale — habituellement le maire ou une personne haut placée — et des partenariats privés travaillant tous en collaboration pour s'attaquer aux différents aspects de l'obésité dans la collectivité. Ils font des choses dans les écoles et dans les centres de loisirs. Dans certains cas, ils font des choses dans les bibliothèques. Ils font des choses avec les agriculteurs. Ils font toutes sortes de choses en même temps, sur une longue période. Cela ne fonctionne pas dans la première année ou au cours des deux premières années. Il faut attendre, trois, quatre ou cinq ans après le début de ce type d'intervention constante pour voir des résultats.

Idéalement, différentes collectivités mènent ce type d'intervention. Il y a aussi un comité de coordination central qui surveille chacune des collectivités. Il assure une surveillance scientifique, puis offre des ressources supplémentaires, car beaucoup de choses sont semblables d'une collectivité à l'autre. Il peut s'assurer qu'il y a un dialogue entre les collectivités, de sorte qu'une mesure qui fonctionne à un endroit puisse être appliquée à un autre endroit.

Quant à ce que nous faisons au Canada à l'heure actuelle, je vais tout d'abord donner l'exemple d'une initiative fédérale. Je regrette de devoir le dire, mais, selon les données probantes, il est très clair que cette initiative particulière ne fonctionne pas. Il s'agit du crédit d'impôt pour la condition physique des enfants. Pour ceux qui ignorent ce que c'est, voici un exemple : j'ai deux enfants âgés de moins de 18 ans et, pour chacun d'eux, je peux déclarer des dépenses de 500 $, reçus à l'appui, pour des programmes d'activité physique et des choses qui satisfont à certains critères. Selon la fourchette de revenu à laquelle j'appartiens, je peux récupérer jusqu'à 75 $ si je déclare le montant intégral de 500 $. La remise est de 75 $ au plus. Je crois que, l'année dernière, j'ai récupéré environ 5 $, après avoir dépensé environ 800 $ pour mes deux enfants. Cela n'a pas une grande incidence. Je crois que le gouvernement fédéral dépense environ 100 millions de dollars par année dans le cadre de cette initiative. Il y a eu d'autres d'études que les deux que j'ai montrées ici, mais, essentiellement, elles révèlent que les gens qui recourent à cette initiative et les gens qui savent qu'elle existe sont ceux qui n'en ont pas besoin. Il s'agit de familles à revenu moyen et à revenu élevé, qui disent que cette initiative n'a absolument pas la moindre incidence sur le fait qu'ils inscrivent leur enfant à l'activité. Elle n'a pas eu d'incidence sur le comportement à l'égard de l'activité physique, ce qui est le but recherché. Elle vise à influencer le comportement, et elle ne le fait tout simplement pas. Encore une fois, elle s'attaque uniquement à un infime aspect de la composante comportementale de l'obésité : le sport et les activités physiques organisés chez les enfants. Elle n'a rien à voir avec l'alimentation. Elle n'a rien à voir avec le transport actif ou le jeu actif. Elle ne fait pas grand-chose. C'est une mesure très modeste, qui n'a pas d'incidence sur l'obésité.

Cela dit, la plupart des initiatives canadiennes — aux échelons fédéral, provincial et municipal — ne fonctionneront pas parce qu'elles suivent une approche trop simpliste. Au Canada, certaines provinces commencent à adopter des choses qui — selon nous — vont fonctionner. En Ontario, le ministère de la Santé et des soins de longue durée a récemment financé un projet qui s'appelle Action communautaire Enfants en santé. Cette initiative en est à ses tout débuts. On travaille à établir tous les contrats avec les collectivités. Quarante-cinq collectivités ont reçu un financement pouvant aller jusqu'à 1,5 million de dollars. Cela suit le modèle EPODE. Il y aura un centre de coordination centrale, Santé publique Ontario, qui surveillera chacune des collectivités. Elles recevront les 1,5 million de dollars et devront suivre le modèle EPODE que je viens de décrire, et prendre de nombreuses mesures sur leur territoire au cours d'une période prolongée, et nous espérons qu'elles donneront les résultats escomptés. Une initiative semblable était en cours au Québec, mais elle tire à sa fin, car elle a perdu le financement privé nécessaire. Nous espérons que les résultats en Ontario seront probants.

Je vais terminer en présentant ma dernière diapositive. Je ne saurais en dire assez en cinq à sept minutes, mais le Réseau canadien en obésité tient une conférence de cinq jours tous les deux ans. Notre prochaine conférence est en mai — c'est bientôt —, alors, si vous vous intéressez vraiment à la question de l'obésité, je pourrais probablement vous y faire admettre gratuitement grâce à mes relations. Nous essayons de mobiliser les décideurs; nous voulons qu'ils aient accès à l'information. Et nous encouragerions certainement la participation de tous les membres du comité.

Le président : Vous avez mentionné deux fois durant votre exposé que vous aviez de cinq à sept minutes, mais vous avez atteint 12 minutes et demie. Votre crédibilité quant à l'incidence sur l'obésité sera peut-être remise en question si nous envisageons la question sous tous les angles. Mais, sérieusement, merci beaucoup d'avoir présenté votre exposé. Je vais maintenant donner la parole au Dr Tom Warshawski.

Dr Tom Warshawski, président, Childhood Obesity Foundation : Merci. Je n'étais pas certain à quel point on allait nous faire respecter ce délai de cinq à sept minutes, alors j'ai coupé tout ce qui n'était pas essentiel. J'ai envoyé à la greffière trois ou quatre versions de mon discours, car je n'arrêtais pas de l'élaguer.

Le président : Vu le sujet traité, je lui ai permis de poursuivre.

Dr Warshawski : Fantastique. Je suis président de la Childhood Obesity Foundation. Je suis expert-conseil en pédiatrie à Kelowna, en Colombie-Britannique, mais je suis actif en politique médicale et en administration médicale de façon générale depuis un certain nombre d'années. J'ai commencé à m'intéresser aux politiques relatives à l'obésité infantile et à l'obésité infantile en général, parce que j'étais frustré de ne pas pouvoir faire grand-chose dans mon cabinet. Lorsqu'on voit un enfant ou une famille souffrant d'un surpoids et d'obésité qui vient consulter, il est très difficile de renverser la situation. Comme Ian, nous estimons qu'une approche sociétale est nécessaire. Il y a un certain nombre de choses qu'on peut faire. Certaines choses, comme le crédit d'impôt, ne fonctionnent tout simplement pas.

La Childhood Obesity Foundation a pour mission de recenser, d'évaluer et de promouvoir des pratiques exemplaires ainsi que des habitudes touchant l'alimentation saine et la vie active pour prévenir l'obésité et les maladies chroniques qui s'ensuivent. Merci de m'avoir invité à parler du sujet de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir. Au cours de mon bref exposé, je ferai un survol des causes, puis je m'attacherai à l'une des nombreuses mesures qui peuvent être prises par le gouvernement fédéral. Toutefois, je serai ravi de discuter de tous les aspects du sujet par la suite.

Nous savons que le Canada est aux prises avec une épidémie de poids malsains chez ses citoyens de tous les âges. Plus de 30 p. 100 de nos enfants et de nos jeunes ont un surplus de poids, et, à l'heure actuelle, l'obésité chez les adultes coûte aux contribuables canadiens des milliards de dollars chaque année. Ce chiffre est voué à monter en flèche, car il reflète le fardeau des maladies liées à l'obésité à l'époque où seulement 15 p. 100 des jeunes passaient à l'âge adulte avec un excédent de poids. Nous savons que les maladies chroniques liées à l'obésité enlèvent de trois à sept ans à l'espérance de vie d'un adulte faisant de l'embonpoint. Les poids malsains constituent une charge considérable sur le plan des coûts et des vies perdues.

Les deux principaux facteurs de risque de surpoids chez les enfants et les jeunes sont l'excès de temps passé devant un écran et la surconsommation de boissons sucrées. Le temps passé devant l'écran pose problème, car il gruge le temps consacré à l'activité physique au profit de la sédentarité; en outre, il s'agit du moyen utilisé pour faire la promotion des aliments et des boissons malsaines. Les boissons sucrées sont particulièrement obésogènes. Nous savons que les ventes sont le fruit de campagnes de marketing efficaces visant les jeunes. Selon les données probantes actuelles, un gain de poids excessif est habituellement le résultat de petits déséquilibres caloriques constants d'environ 100 à 150 calories par jour. Il s'agit du nombre de calories dans une canette de boisson gazeuse régulière ou un sac de croustilles d'une once. La malbouffe et les boissons gazeuses ne sont pas des gâteries inoffensives lorsqu'elles sont achetées à la fréquence que désire l'industrie des aliments. La consommation régulière de ces produits est un grand facteur de l'épidémie d'obésité. L'incessante publicité à l'égard de la malbouffe a pour objectif la surconsommation. Il ne fait aucun doute que la promotion de boissons et d'aliments malsains contribue grandement à l'épidémie d'obésité.

Nous savons que l'obésité est rarement causée par la gourmandise ou la paresse et que la minceur d'une personne peut être imputable autant à un bon bagage génétique qu'à la force de caractère. Nous devons éviter de tomber dans le jugement moral des personnes obèses et reconnaître le rôle du marketing alimentaire dans la création d'une préférence perpétuelle pour les aliments malsains. Nous devons aussi reconnaître le rôle essentiel du gouvernement sur le plan de notre santé.

Les libertariens rejettent toute intervention du gouvernement pouvant influencer le comportement du public, dénonçant l'État providence. Ils sont d'avis que l'État ne devrait pas compromettre le droit d'une personne de faire des choix, si ces choix n'ont pas d'effet négatif sur les autres. Selon la théorie libertarienne classique, l'individu qui a accès à de l'information complète et pertinente agira de façon rationnelle afin de maximiser les résultats. Toutefois, des travaux dans le domaine de l'économie comportementale, pour lesquels un prix Nobel a été décerné, témoignent d'une réalité différente. La plupart des adultes pensent souvent de façon irrationnelle et sont portés à prendre des décisions trop rapidement. Ce qui est encore plus important, c'est que l'empreinte neurobiologique des enfants et des jeunes les rend particulièrement vulnérables aux mauvaises décisions. Les enfants ont besoin de notre aide pour faire de bons choix, et on ne devrait pas les leurrer avec de la publicité au sujet des boissons et des aliments malsains.

Plus de 90 p. 100 des Canadiens estiment que les parents sont les principaux responsables lorsqu'il s'agit de s'assurer que les enfants et les jeunes ont un poids sain. Les parents canadiens demandent aussi que le gouvernement joue un rôle plus actif. En effet, plus de 85 p. 100 veulent que le gouvernement restreigne le marketing de boissons et d'aliments malsains visant leurs enfants. Les parents veulent de l'aide pour limiter la capacité des annonceurs de miner les efforts qu'ils déploient en vue d'inculquer des habitudes saines aux êtres qui leur sont chers. Or, cet appel à l'adoption de restrictions touchant le marketing de boissons et d'aliments malsains repose sur des fondements éthiques et pragmatiques solides.

Les enfants manquent de jugement et ont le don d'être crédules; ils sont prêts à croire quelque chose avec peu de preuve. Cela caractérise un stade du développement neurobiologique, alors on ne peut apprendre aux enfants à se méfier des médias. Un enfant de moins de cinq ans ne peut pas toujours faire la distinction entre une publicité et une émission. Au moins le tiers des enfants de 11 ans ne comprennent pas l'objectif de persuasion des publicités. La partie du cerveau responsable de la fonction exécutive et la prise de décisions termine seulement son développement au début de l'âge adulte.

Les enfants croient ce qu'on leur dit, ils sont faits comme ça; or, la plupart des aliments et des boissons qui leur sont proposés dans la publicité sont malsains, et, malheureusement, le marketing fonctionne. Il est prouvé que les enfants et les jeunes mangent ce qu'ils voient et mangent pendant qu'ils regardent. Il est irresponsable sur le plan éthique de vendre des boissons et des aliments malsains à des enfants qui nous accordent une confiance aveugle. Nous les trahissons et nous faisons fi de notre obligation de les protéger et de les entourer de soins.

En novembre 2010, un groupe de travail FPT a publié un cadre d'action intitulé « Freiner l'obésité juvénile ». Dans ce cadre et dans une analyse ultérieure, une stratégie clé était de trouver des façons de réduire le marketing de boissons et d'aliments malsains ciblant les enfants et les jeunes. On a suggéré que les sociétés et les annonceurs à leur service adoptent des contraintes volontaires pour réduire le marketing de boissons et d'aliments malsains et qu'ils travaillent à établir des lignes directrices communes. Certaines sociétés ont fixé des limites relatives au marketing visant les enfants dans le cadre de l'initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants, ce que nous appelons l'ICP, où chaque entreprise établit ses propres normes, puis s'autoévalue. L'ICP a révélé que les sociétés réussissaient à atteindre les normes qu'elles se fixaient, mais que le programme s'avérait inefficace lorsqu'on l'évaluait à l'aide de critères objectifs, comme ceux employés au Royaume-Uni. Encore une fois, l'expérience montre que les bons loups font de piètres bergers.

Compte tenu du conflit d'intérêts inhérent à l'autoréglementation de l'industrie des aliments et des boissons, il est impératif que le gouvernement accepte le rôle que les parents lui demandent de jouer. Le gouvernement fédéral devrait suivre l'exemple du Royaume-Uni et établir des critères objectifs pour définir ce qu'on entend par des boissons et des aliments sains et établir des limites régissant le marketing d'aliments et de boissons aux enfants et aux jeunes. Le gouvernement doit surveiller la conformité et, lorsqu'il y a une violation importante de la loi, il doit prévoir des conséquences.

En notre qualité d'intendants du système de santé, nous avons un intérêt pragmatique à limiter les coûts qu'entraînent les maladies chroniques liées à l'obésité. Cela dit, nous avons surtout l'obligation morale de protéger nos enfants et nos jeunes du tort causé par la surconsommation de malbouffe. Il est temps que le Canada conçoive un cadre stratégique pour protéger nos enfants et nos jeunes du marketing de boissons et d'aliments malsains. Nous demandons l'aide du Sénat pour atteindre cet objectif. Merci.

Le président : Merci. Nous allons passer aux questions.

Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup d'être venus et de nous avoir aidés à partir du bon pied sur le sujet. Monsieur Janssen, au début de votre exposé, vous avez dit « 26 » et « 13 ». Pouvez-vous expliquer encore à quoi concordent ces chiffres?

M. Janssen : Tout d'abord, 26 p. 100 des adultes — les personnes âgées de 18 ans et plus — souffrent d'obésité; et 62 p. 100 des adultes font de l'embonpoint ou sont obèses. Chez les adultes canadiens, la norme est non pas un poids santé, mais de l'embonpoint ou de l'obésité. Ensuite, 13 p. 100 des enfants âgés de 3 à 17 ans sont dans cette situation. Chez les garçons, il s'agit de 15 p. 100, et chez les filles, de 11. Un enfant sur trois est en surpoids ou obèse dans la fourchette d'âge pédiatrique.

Le sénateur Eggleton : Comment mesure-t-on cela?

M. Janssen : Dans ce cas-ci, par l'IMC. Chez les adultes, nous utilisons un IMC de 30 pour définir l'obésité et un IMC de 25 pour définir la surcharge pondérale. L'IMC correspond tout simplement au poids en kilogrammes divisé par la taille en mètres au carré. Chez les adolescents, c'est plus compliqué, parce qu'ils sont en pleine croissance et approchent l'âge de la maturité, alors nous utilisons un différent seuil pour définir le surplus de poids et l'obésité selon l'âge. On appelle cela une « courbe de croissance ». Par exemple, pour un adolescent âgé de 17 ans, le seuil de l'IMC pour définir l'obésité est très près de celui pour un adulte. Chez un enfant de cinq ans, il est très différent. Il tient compte du fait que les enfants grandissent et se développent et, ce faisant, leur IMC augmente naturellement. Il faut établir la distinction entre la croissance et le développement naturels et la croissance et le développement non naturels. Dans une clinique, pour mesurer la circonférence crânienne, la taille, le poids et tout le reste, on utilise ces courbes de croissance; et on utilise aussi des graphiques au sujet de l'IMC.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que l'IMC est la norme par excellence? Est-il la meilleure norme? Certains pourraient contester cela. Je suis certainement d'accord pour dire que le poids n'est pas une mesure.

M. Janssen : Pour la surveillance à l'échelle de la population, c'est ce que nous utilisons. Certes, en clinique, lorsque je traite un patient particulier, j'utilise l'analogie d'Arnold Schwarzenegger. Je parle non pas du Schwarzenegger actuel, mais lorsqu'il était au sommet de sa carrière de culturiste et prenait des stéroïdes, à l'époque où son IMC aurait indiqué qu'il était obèse, alors qu'il était musclé. À l'échelle de la population, nous n'avons pas observé d'explosion du culturisme et d'excès de muscles chez les gens. En clinique, on ne s'en remet pas seulement à l'IMC; on regarde aussi d'autres mesures de la santé. Il y a d'autres mesures que nous utilisons pour surveiller la population, dont le tour de taille, qui ne varie pas en fonction de la musculature. Les données relatives au tour de taille sont plus sombres que celles de l'IMC.

Le sénateur Eggleton : Croyez-vous qu'il s'agit d'un meilleur indicateur de l'obésité chez une personne?

M. Janssen : Il s'agit d'un indicateur un peu plus solide des nombreux risques de l'obésité pour la santé; par exemple, le risque de diabète de type 2 et de maladie cardiovasculaire. Le tour de taille est une meilleure mesure de ce risque, légèrement supérieure à l'IMC. D'ailleurs, au sujet des données relatives au tour de taille, nous avons vu le tour de taille augmenter plus rapidement que l'IMC chez certaines personnes.

Statistique Canada a déclaré que la prévalence de l'obésité avait doublé chez les adultes canadiens depuis 1980, mais la prévalence de l'obésité abdominale a triplé durant la même période. La prévalence de l'obésité infantile fondée sur l'IMC a triplé, mais, lorsqu'on s'appuie sur le tour de taille, on constate qu'elle s'est multipliée par sept durant la même période. Les données relatives au tour de taille brossent un portrait encore plus alarmant du problème de l'obésité.

Le sénateur Eggleton : Avez-vous une description de ces mesures, quelque chose que vous pouvez soumettre au comité?

M. Janssen : Oui, et j'ai toutes les statistiques des sondages récents. Je suis épidémiologue, alors j'ai un document qui résume toutes ces choses.

Le sénateur Eggleton : Veuillez l'envoyer à la greffière, je vous prie.

Vous avez dit que, selon les dernières statistiques, le chiffre n'a pas augmenté au cours des dernières années. Il a augmenté, si je comprends bien, par rapport aux années 1980 — j'ignore dans quelle mesure —, puis il s'est stabilisé, mais n'a pas diminué. Pourquoi s'est-il stabilisé?

M. Janssen : Pour deux raisons, ou une combinaison des deux. Tout d'abord, il est possible qu'un certain pourcentage de la population soit sujet à l'embonpoint et à l'obésité. Il y a des gènes qui entraînent un risque d'obésité élevé. Soit toutes les personnes sujettes sont devenues obèses, soit nous commençons à changer les choses. Nous en avons fait davantage au cours des 10 dernières années pour essayer de résoudre le problème de l'obésité que durant les 10 années avant cela. Nous espérons que ces choses commencent à avoir une incidence.

Le sénateur Eggleton : Quelle est la priorité parmi ces choses? Quelle mesure a le mieux fonctionné pour maintenir cette proportion?

M. Janssen : Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une chose en particulier. Ce sont de nombreux facteurs agissant simultanément. Je n'aime pas dire que nous faisons ceci ou cela ou que nous avons adopté telle politique ou lancé telle initiative. Il y a tant de choses. Comme je l'ai dit, beaucoup de choses entrent en jeu.

Le sénateur Eggleton : Toutefois, la proportion ne diminue pas.

M. Janssen : En effet, vous avez vu que, dans certaines régions du monde, dans certains États américains où la prévalence était très élevée, elle a commencé à diminuer. Ce sont les États où on en fait plus, comme l'Alabama.

Le sénateur Eggleton : Comme quoi?

M. Janssen : Ils font plus de tout : plus de politiques, plus de programmes et plus de mesures dans l'environnement.

Le sénateur Eggleton : Les écoles et des choses comme ça?

M. Janssen : Oui. En général, les endroits qui investissent davantage ou qui en font plus obtiennent de meilleurs résultats, car ils ont plus d'ambition.

Le sénateur Eggleton : Docteur Warshawski, est-ce la même chose chez les enfants? La proportion s'est-elle stabilisée?

Dr Warshawski : Je dirais que oui, pour la même raison que celle invoquée par Ian, ou pour une raison analogue. Les sujets les plus susceptibles de réagir à l'environnement actuel l'ont fait. Ils ont atteint un sommet.

J'aimerais ajouter deux choses aux commentaires d'Ian. Nous savons que les maladies découlant de l'obésité ne reflètent pas seulement l'IMC ou les réserves de gras, mais aussi la durée d'exposition. Ce n'est pas tant l'excédent de poids qui est dangereux à 40 ans — la perte de trois à sept ans d'espérance de vie —, c'est le fait de souffrir d'embonpoint pendant 40 ans.

Parmi la cohorte d'adolescents qui ont atteint l'âge adulte, 30 p. 100 souffraient d'embonpoint ou d'obésité; en 1978, cette proportion était de 15 p. 100. Plus vous êtes exposé longtemps à un IMC élevé, plus vous êtes susceptibles de développer le diabète de type 2 et des maladies coronariennes et de subir un accident vasculaire cérébral. Nous allons donc voir ces maladies apparaître plus tôt que tard.

L'autre fait que je voulais mentionner au sujet de Statistique Canada, c'est que cette cohorte de jeunes adultes, à cause des habitudes qui lui ont été inculquées dès l'enfance, prend du poids beaucoup plus rapidement que les adultes âgés, car elle mange trop de malbouffe, boit trop de boissons sucrées et est sédentaire. Les données de Statistique Canada ont révélé que, dans le groupe des 18 à 24 ans, si vous faites un suivi sur huit ans, parmi le groupe de personnes en surpoids, le tiers devient obèse. Parmi le groupe de personnes ayant un poids normal, le tiers a commencé à faire de l'embonpoint. Il ne fait aucun doute que le problème s'aggrave, et, plus vous franchissez le seuil du poids malsain rapidement, alors, vous accumulez 30 ou 40 années d'exposition aux différentes cytokines. Le tissu adipeux n'est pas seulement inesthétique ou lourd. Il touche des organes endocrines et a une incidence sur le corps. Plus vous y êtes exposé, plus vous risquez de développer ces maladies. C'est un grave problème.

Le sénateur Eggleton : Quel pourcentage de ces enfants devient obèse à l'âge adulte? La plupart restent-ils obèses à l'âge adulte, ou y a-t-il une diminution?

M. Janssen : Cela varie un peu selon l'âge. Pour les adolescents — les personnes âgées de 16 ou 17 ans —, la proportion est de 90 à 95 p. 100. Pour les enfants âgés de 2 ans, la proportion n'est peut-être que de 20 ou 30 p. 100. Cela varie selon l'âge,

Dr Warshawski : C'est une courbe de croissance. Nous savons que, à l'âge adulte, les données sont solides. Si vous avez 30 ans et un IMC de 30, il y a des facteurs de risque. Pour les enfants, nous essayons de formuler des hypothèses selon une courbe et disons : « Si vous continuez votre croissance à ce taux, lorsque vous aurez 18 ans, votre IMC sera probablement de 25. » C'est beaucoup plus un jeu de devinettes.

Le sénateur Eggleton : Nous parlons de ce que mangent les gens; les aliments nutritifs et non nutritifs, la malbouffe, et ce genre de choses. Nous parlons aussi d'exercice. Quelqu'un m'a dit que le poids dépendait à 90 p. 100 de ce que vous mettiez dans votre estomac et à 10 p. 100 de votre mode de vie ou de l'exercice. Partagez-vous cet avis?

M. Janssen : Je suis amateur d'activités physiques, alors je dirais probablement que non.

Le sénateur Eggleton : Je demande à la mauvaise personne.

M. Janssen : Je crois qu'il s'agit d'un argument théorique. Je pourrais trouver des données pour prouver l'une ou l'autre des positions. Je pourrais trouver quelqu'un qui ne fait pas d'exercice — au sens où nous l'entendons —, mais qui aurait une alimentation équilibrée et maintiendrait un poids santé. À l'inverse, je pourrais trouver des gens qui font beaucoup d'exercice, mais ne mangent pas très bien, et qui maintiennent un poids santé. Pour certaines personnes, une stratégie fonctionne, tandis que d'autres doivent combiner les deux. L'important, c'est de trouver le bon équilibre, et il varie selon chaque personne.

Dr Warshawski : Il prône l'activité physique, tandis que moi, c'est l'alimentation. Mais la réalité, c'est que les deux sont importants. On ne saurait les séparer. L'activité physique, même seulement à raison de 20 minutes par jour, prolonge l'espérance de vie. Tout exercice est bon; il est toujours mieux d'en faire plus. Quant à l'alimentation, il faut manger des fruits et les légumes. Il faut bien manger. Il ne s'agit pas de choisir l'un ou l'autre. Il faut faire les deux.

M. Janssen : Pour l'activité physique, il faut en faire beaucoup. En 20 minutes, on ne brûle pas beaucoup de calories. Je cours le marathon. Je l'ai fait il y a quelques semaines, et c'était très pénible. Je peux manger la quantité de calories que je brûle en courant un marathon en environ une demi-heure, surtout si c'est une boisson; quelques gorgées, et c'est fait.

Le président : Je crois que vous soulevez une idée très importante ici en ce qui concerne la différence entre la longévité et le poids relativement à la question de l'exercice.

Dr Warshawski : L'exercice comporte tant d'avantages. C'est le médicament miracle : si seulement on pouvait l'emballer et le vendre.

Le président : Votre intervention est importante : il ne faut pas que nous interprétions ces choses sans égard à tous les autres facteurs.

La sénatrice Seidman : Merci beaucoup. Comme vous pouvez le voir, nous en sommes au tout début de cette étude et nous essayons de comprendre les enjeux.

J'aimerais poursuivre sur la question des taux d'incidence à la hausse dont vous discutiez avec le sénateur Eggleton. Nous savons que, à l'échelle mondiale, l'incidence de l'obésité a commencé à augmenter dans les années 1980. Monsieur Janssen, comme vous êtes épidémiologue, j'aimerais vous demander sur quelles données ou hypothèses vous vous appuyez pour expliquer pourquoi les taux ont commencé à augmenter dans les années 1980 et que, maintenant, ils se stabilisent. À ce chapitre, la question est peut-être de savoir — et vous en avez parlé un peu — quelles mesures nous utilisons pour définir l'obésité. Recueillait-on des données fiables sur le poids avant les années 1980?

M. Janssen : Nous avons des données antérieures aux années 1980, qui remontent aussi loin que les années 1950, et, au Canada, de 1950 à 1980, il n'y a pas eu beaucoup de changement. Et la situation est la même dans le monde industrialisé. Dans le monde en développement, le cheminement accuse un retard d'environ 20 ans par rapport aux pays à revenu élevé, alors c'est un peu compliqué.

Pourquoi les années 1980? Je pense que c'est lié aux changements majeurs qui se sont produits à l'égard de la production alimentaire. Par exemple, aux États-Unis, on parle des boissons sucrées — particulièrement des boissons gazeuses — et de leurs répercussions. Il y a eu d'importants changements en ce qui concerne les produits sucrants utilisés. Au début, c'était du sucre, puis on a remplacé cela par du sucre à base de maïs et, enfin, par du sirop de maïs à haute teneur en fructose. Cela tient à certains choix de politiques concernant la culture du maïs et l'argent que les agriculteurs recevaient pour en cultiver. Le prix des fruits et légumes a augmenté plus rapidement que le taux d'inflation, alors que celui des boissons gazeuses, de la malbouffe et de la nourriture rapide a augmenté plus lentement que ce taux.

Nous savons à quel point les restaurants McDonald's et Burger King sont omniprésents, et on peut acheter de la nourriture partout. J'ai compté le nombre de machines distributrices à cinq minutes de marche de mon bureau, et je crois avoir perdu le compte après 50. J'ai aussi compté le nombre de restaurants à service rapide à 15 minutes de marche de mon bureau, et je me suis arrêté à 15. On peut donc acheter partout ce genre de nourriture. Elle ne coûte pas cher. Elle est très accessible. Elle est commode. Il y a plus de femmes sur le marché du travail, alors faire les repas est plus difficile. Il coûte plus cher d'acheter des aliments pour préparer soi-même un repas nutritif. Les portions sont plus grosses qu'avant. Le format standard des boissons gazeuses de nos jours, ce n'est plus une canette; c'est une bouteille de 750 millilitres. Alors, on boit plus, on mange plus et on consomme plus de calories. Voilà ce qui se passe, et c'est aux alentours des années 1980 que les choses ont dégénéré.

Pour ce qui est de l'activité physique, nous savons que ce n'est pas ce qui pose problème chez les adultes. Le problème n'est pas ce que les gens font de leurs temps libres. On pourrait même dire que, sur ce plan, les choses se sont améliorées. C'est plutôt ce qu'ils font au travail qui est problématique. Que faisons-nous ici? Nous restons assis. Les gens sont assis devant un ordinateur, ils font du travail de col blanc, et cela remplace de plus en plus le travail de col bleu, qui implique des tâches d'un faible niveau d'intensité physique, mais permet de brûler des calories tout au long de la journée. Les gens utilisent leur voiture pour aller partout et marchent moins qu'avant.

Avec les jeunes, c'est la même situation. Ils pratiquent en fait plus de sports organisés que dans les années 1980, mais ce genre de sports ne permet pas de brûler beaucoup de calories. Qu'est-ce qui permet d'en brûler beaucoup? Le jeu actif. Qu'est-ce qu'on ne voit pas dans les rues? Des enfants qui jouent. Il y a beaucoup de problèmes découlant d'un déséquilibre entre l'apport énergétique et la dépense d'énergie. Il y a d'autres comportements. Ce sont les deux principaux facteurs, selon nous. Mais il y en a d'autres, comme des changements dans la prévalence du tabagisme. De fait, fumer accélère le métabolisme. La façon dont nous réglons la température dans notre chambre a changé. S'il fait très froid dans une pièce, on frissonne davantage. S'il fait chaud, on brûle plus de calories en évacuant la chaleur. On dort moins. C'est un autre comportement associé à l'obésité qui est peu pris en compte, mais qui a de l'importance, surtout durant l'adolescence. Il y a beaucoup d'aspects comportementaux, comme l'activité physique et le régime alimentaire, qui peuvent aussi contribuer à l'obésité.

La sénatrice Seidman : Merci. Vous avez fourni deux explications possibles de la stabilité des taux de nos jours, alors soit nous commençons à faire des progrès, soit nous atteint le plein potentiel de la prédisposition génétique. Mais cela m'amène à une question : avez-vous une hypothèse au sujet d'autres pays du monde — comme le Japon, la Norvège et l'Italie — qui sont, je crois, moins susceptibles d'avoir un taux d'obésité élevé?

M. Janssen : La Finlande serait un bon exemple. Elle fait beaucoup de choses. Il y a des politiques très strictes dans ce pays. Son approche en matière de nutrition, d'alimentation et de gras saturés, tout particulièrement, a occasionné d'immenses bienfaits sur le plan de la prévention des maladies cardiovasculaires. Elle met en œuvre des politiques gouvernementales vigoureuses qui occasionnent ensuite un effet de ruissellement.

Je pense aussi aux Pays-Bas, terre natale de mon père. Le moyen de transport le plus courant à Amsterdam, c'est le vélo. Pour faire comme tout le monde, c'est ainsi qu'il faut se déplacer. Ottawa est un peu mieux que Kingston. Si vous vous déplacez à vélo à Kingston, vous risquez votre vie dans bien des endroits. L'environnement aux Pays-Bas est plus propice à l'activité physique. C'est la norme dans ce pays. Nous en avons discuté avec des économistes : dans certaines situations là-bas, l'activité physique va de soi, alors qu'ici, ce qui va de soi, c'est d'utiliser sa voiture pour aller partout.

La sénatrice Seidman : J'aimerais passer directement à un point que vous avez tous deux soulevé et qui a trait à la nécessité de changer l'approche des décideurs concernant la question de l'obésité.

Docteur Warshawski, vous en avez parlé. Vous avez d'ailleurs clairement fait ressortir un problème de politique touchant la publicité destinée aux enfants.

Monsieur Janssen, vous avez dit que nous devions changer notre approche liée à l'obésité au moment d'élaborer des politiques.

J'aimerais que, tous les deux, vous répondiez brièvement à cette question : si vous deviez rédiger un court sommaire, quels conseils donneriez-vous pour changer la façon dont nous les élaborons, ou quelle approche pensez-vous que les décideurs devraient adopter pour améliorer la situation à ce chapitre?

Dr Warshawski : Selon moi, il faudrait que tous les aspects liés à l'élaboration des politiques soient considérés sous l'angle de la santé. Vous avez parlé de l'environnement bâti, des villes piétonnes en Europe, de ce qu'on pourrait qualifier de déserts alimentaires et de la grande accessibilité d'aliments et de boissons néfastes pour la santé tout près des écoles. Ce sont tous des aspects auxquels on peut s'attaquer.

Au moment d'élaborer un règlement de zonage, sénateur, il est logique de tenir compte du bruit et de la circulation, mais il faut simplement voir les choses sous l'angle de la santé. Comment le règlement contribue-t-il à la réalisation de l'objectif de société global? À chaque palier de gouvernance, il y a des points qui doivent être pris en compte à l'échelon municipal. À Kelowna, on a bâti deux patinoires à côté d'une piste de course intérieure et de deux terrains de soccer. On n'avait pas aménagé de fontaine sur place, mais il y avait un comptoir central qui vendait des sloches, des boissons gazeuses et d'autres produits du genre. J'ai dû faire une plainte au maire pour qu'on installe une fontaine. Cette intervention toute simple a diminué la consommation de boissons sucrées. Personne de la municipalité n'avait abordé la chose sous cette optique.

À l'échelon municipal, il faut déterminer quels aliments et boissons doivent être interdits de vente, et, à l'échelon provincial, quels aliments peuvent être vendus dans les écoles pour dîner. Il faut rendre l'activité physique — pas seulement l'éducation physique — obligatoire pour que les jeunes soient actifs.

À l'échelon fédéral — et c'est pourquoi j'ai fait de tels commentaires tout à l'heure —, que peut-on faire? Sur le plan des communications, il n'y a pas que la publicité à la télévision qui est envahissante : il y a aussi celle sur Internet. Elle est partout. Nous savons que la publicité visant les enfants influe sur leurs choix, leurs préférences. Quand leur enfant de cinq ans n'arrête pas d'insister et de tirer sur leur manche, les parents finissent par en avoir assez et par céder, et ils achètent ce qu'il réclame. Quel mal y a-t-il à cela? L'impact cumulatif est problématique.

Chaque ordre de gouvernement doit déterminer ce qu'il peut faire, ce qui est de son ressort et l'impact que peuvent avoir ses décisions, et il doit agir en ce sens. C'est notre point de vue.

M. Janssen : Je suis d'accord, surtout pour ce qui est d'aborder les choses sous l'angle de la santé au moment d'élaborer des politiques. Je pense qu'il y a aussi beaucoup d'idées, de recommandations et de pratiques exemplaires dont on peut s'inspirer, alors ce n'est pas comme si on partait de zéro. Nous avons parlé de la publicité. Il y a beaucoup de travail réalisé à ce chapitre dans le monde ainsi que d'excellentes recommandations de politiques émanant de chercheurs et de groupes de travail qui s'intéressent à l'obésité. Il en va de même pour les boissons sucrées, les taxes sur les boissons gazeuses et ce genre de choses. Il y a beaucoup de choses dont on peut s'inspirer; on n'a pas à partir de zéro.

La sénatrice Seth : Je trouve le sujet très intéressant, car — comme vous l'avez dit — il y a un taux d'obésité croissant qui entraîne des maladies chroniques chez les enfants et les adultes. La semaine dernière, j'ai tenu une réception où nous avons discuté du fait que la bonne alimentation, un mode de vie actif et des examens médicaux fréquents durant la maternité et l'enfance jouent un rôle clé pour ce qui est de prévenir et de retarder l'apparition de maladies chroniques chez les adultes.

Malgré cela, 20 p. 100 des enfants de moins de 12 ans sont déjà aux prises avec une maladie chronique. Alors, ma question est la suivante : comment doit-on aborder la question de l'obésité, qui joue un rôle dans le développement de telles maladies chez les enfants? Voilà ma question.

Dr Warshawski : Une chose que nous faisons — l'organisme que je représente s'appelle la Childhood Obesity Foundation —, c'est essayer d'amener les gens à prendre les bonnes habitudes, à savoir bien manger et être actif. Nous ne voulons pas que les parents soient trop préoccupés par le poids de leur garçon ou de leur fille si leur enfant a un excédent de poids ou qu'il est obèse. Si on adopte un mode de vie sain, qu'on mange bien — fruits et légumes, grains entiers, aliments à faible teneur en gras saturé — et qu'on est actif physiquement — c'est-à-dire qu'on fait chaque jour 60 minutes d'activité physique modérée ou intense —, alors on sera en santé.

Nous savons aussi que les signes de maladies chroniques apparaissent parfois même à l'âge préscolaire. D'ailleurs, une récente étude menée en Italie sur des enfants obèses de quatre et de cinq ans a révélé chez eux un taux d'incidence de 5 à 10 p. 100 d'hyperlipidémie et d'hypertension et certains changements permettant de supposer que leurs artères s'étaient épaissies.

Nous savons que, chez les adolescents qui ont le syndrome métabolique — qui se caractérise par la présence d'un grand tour de taille, une intolérance au glucose, de l'hypertension et la présence anormale de lipides dans le sang —, il se produit des changements dans la structure du cerveau — comme l'ont révélé des tests d'IRM — ainsi que des changements cognitifs. Ces jeunes ne réfléchissent pas aussi bien; leur cerveau ne fonctionne pas aussi bien. L'adage « un esprit sain dans un corps sain » est tout à fait fondé.

Nous voyons que des maladies sont causées par l'obésité à l'enfance, comme vous l'avez dit, et toute la société doit se mobiliser pour améliorer ses habitudes, c'est-à-dire bien manger et adopter un mode de vie actif.

La sénatrice Seth : À quel point ces maladies chroniques peuvent-elles être précoces chez les enfants?

Dr Warshawski : Les maladies chroniques liées à l'obésité dont il est habituellement question sont le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, l'hypertension, et cetera. Normalement, nous ne voyons pas ces maladies avant l'adolescence, c'est-à-dire avant 13, 14 ou 15 ans. Avant, elles étaient extrêmement rares chez les enfants. On parlait de « diabète des adultes », par opposition au « diabète infantile ». Cela demeure relativement rare, mais le taux d'incidence a probablement doublé, car c'est une maladie qui ne devrait pas se manifester avant l'âge de 20 ou 30 ans. Pour ce qui est des autres maladies chroniques, des cas d'hypertension commencent à apparaître; les enfants ne présentent pas de symptômes externes, mais cela nuit à leur cognition. Le cerveau ne fonctionne pas aussi bien quand la pression sanguine est élevée que lorsqu'elle est normale. Alors, le problème est là. C'est un problème important, et il y a des mesures que nous pouvons prendre. Mais, généralement, ce qui est déterminant, c'est le fait d'avoir un mode de vie sain, c'est-à-dire manger mieux et être plus actif.

La sénatrice Seth : Y a-t-il autre chose que l'on peut faire dès le début de la grossesse pour éviter l'obésité?

Dr Warshawski : Absolument. Il y a énormément de données indiquant que l'excédent de poids ou l'obésité de la mère durant la grossesse ont des conséquences pour le nouveau-né, comme le risque accru de souffrir d'obésité plus tard au cours de sa vie ou d'autres maladies, telles que l'autisme.

M. Janssen : Ce domaine d'étude s'appelle l'épigénétique, et les risques sanitaires se répercutent en fait sur plus d'une génération. Par exemple, si ma grand-mère n'avait pas de très bonnes habitudes de vie durant sa grossesse, cela aurait influé dans une certaine mesure sur le bagage génétique de mon père, ce qui aurait ensuite eu des répercussions non seulement sur lui, mais aussi sur moi-même. Il est certainement important d'avoir une grossesse saine, de bien manger, de faire de l'activité physique et de ne pas prendre trop de poids. Comme je l'ai dit, ce sont les cinq principes de la gestion de l'obésité. Il y en a un qui porte précisément sur la grossesse et sur ce qui constitue une prise de poids appropriée pour une femme enceinte. Les femmes obèses devraient en fait prendre moins de poids durant la grossesse que celles qui ont un IMC sain.

Le sénateur Enverga : Merci beaucoup pour vos exposés; ils étaient très intéressants.

Voici ma première question. Vous avez dit que 26 p. 100 de la population canadienne était obèse. Sur quoi est basée cette statistique? Est-ce sur l'IMC ou le rapport taille-poids? Je ne sais pas quelle mesure a été utilisée.

M. Janssen : L'IMC — l'indice de masse corporelle — est le rapport entre le poids et la taille. Les personnes de grande taille sont plus pesantes. Si Tom voulait bien se lever, on verrait qu'il est très grand, alors son poids santé sera différent de celui d'une personne qui mesure cinq pieds deux pouces. L'indice tient compte du fait que, plus on est grand, plus on est pesant. Il indique le poids en fonction de la taille.

Le sénateur Enverga : J'ai constaté que bien des gens ont une forte charpente. Cela les rend pesants, n'est-ce pas? Certaines personnes sont petites, mais bien charpentées. Est-ce pris en compte dans les statistiques?

M. Janssen : Quand nous examinons cet indice à l'échelle de la population pour surveiller la prévalence de l'obésité, nous tenons pour acquis que certaines personnes ont une grosse ossature, si je puis dire. C'était le cas en 1980 et en 1950, et c'est encore le cas aujourd'hui. On peut donc considérer que ce facteur s'annule quand on veut déterminer la prévalence de l'obésité et son évolution au fil du temps.

En tant que médecin, si un patient vient me voir, je ne fais pas que vérifier sa taille et son poids et je ne lui dis pas que l'IMC est l'ultime déterminant de la santé. Il faut vérifier sa tension artérielle, ses lipides, ses comportements et d'autres facteurs importants à ce chapitre. L'IMC n'est qu'une des nombreuses mesures de santé utilisées pour évaluer l'état de santé d'un patient.

Le sénateur Enverga : Selon ce que j'ai lu dans certains journaux, l'obésité est surtout considérée comme un trait physique naturel d'une personne; c'est juste?

M. Janssen : Assurément, le bagage génétique influe énormément sur l'obésité. Selon certaines données, jusqu'à 50 p. 100 de la variabilité du poids corporel est attribuée aux gènes, à la prédisposition génétique. Les gènes chargent le fusil; l'environnement appuie sur la gâchette. Par « environnement », j'entends l'alimentation et un mode de vie malsain, inactif. Voilà l'élément déclencheur. Ensuite, les gènes font en sorte que la personne développe un problème de poids.

Dr Warshawski : Je veux juste revenir sur les commentaires de M. Janssen, car je crois que vous posez de bonnes questions. Il y a beaucoup d'idées fausses sur l'IMC. M. Janssen en a parlé plus tôt. Il s'agit du poids en kilos divisé par la taille au carré. C'est une façon de jauger la taille par rapport au poids. De fait, c'est l'industrie des assurances qui a donné à l'IMC son importance quand elle l'a adopté comme mesure actuarielle. Vers les années 1920, des gens ont voulu déterminer qui était hautement à risque et qui ne l'était pas. Ils ont dit : « Ceux dont le poids divisé par la taille est élevé meurent plus jeunes, alors nous devons augmenter leurs primes d'assurance. » Les médecins se sont mis de la partie, et les épidémiologistes ont dit : « Qu'est-ce que cela signifie? » C'est une mesure indirecte du taux de graisse. Ce n'est pas la même chose que mesurer la masse adipeuse par impédance, par l'immersion de la personne dans une cuve d'eau — comme nous le faisons parfois — ou par l'utilisation d'un adiposimètre. C'est une mesure indirecte, et, globalement, cela fonctionne assez bien.

Comme l'a dit M. Janssen, il n'y a pas d'épidémie de muscles. Quand on fait monter une personne sur la balance et qu'on constate qu'elle est pesante, on sait immédiatement s'il s'agit d'un Arnold Schwarzenegger ou d'une Rosie O'Donnell. On peut voir tout de suite si cela va poser problème.

Vous avez soulevé l'idée que l'obésité pouvait être une sorte de phénomène naturel. C'est la norme, de nos jours. Comme l'a dit M. Janssen, 60 p. 100 des adultes ont un excédent de poids. C'est la nouvelle norme. D'ailleurs, je viens moi-même de perdre 25 livres parce que j'ai fait une crise cardiaque il y a deux mois. Pourtant, mon IMC était bon. Je courais. Je m'alimentais bien. Ce sont des choses qui arrivent, n'est-ce pas? J'ai suivi un régime pauvre en graisses et j'ai perdu 20 livres. Je mesure six pieds un et je pèse 195 livres. De fait, c'est une bonne taille. Ma secrétaire me trouve maigre comme tout parce qu'avant, je pesais 220 livres. J'ai probablement un IMC de 25. Ma taille est bonne, mais la nouvelle norme, c'est d'être gros. Ce n'est pas d'être en santé. C'est juste d'être gros.

M. Janssen : Un IMC normal de nos jours, c'est environ 27. Un IMC de 25 indique un excédent de poids, et la moyenne chez les adultes canadiens est d'environ 27. C'est trop.

Le sénateur Enverga : C'est une règle générale qui s'applique à tous? On est obèse si on a un IMC de 27?

M. Janssen : C'est la moyenne des adultes canadiens. Nous avons calculé le 50e percentile, et cela donnait un IMC de 27. Un IMC de 25 est le seuil qui détermine l'excédent de poids.

Le sénateur Enverga : Vous avez dit que les parents ont besoin que le gouvernement limite la publicité destinée aux enfants. Devrions-nous simplement sensibiliser les parents au lieu de limiter la publicité? Nous pourrions le faire et leur dire : « N'écoutez pas cela. » Ils ont de l'autorité sur leurs enfants. Ils pourraient leur dire : « Tu ne peux pas acheter cela. On ne doit pas en acheter. »

Dr Warshawski : Sensibiliser les parents ne suffit pas, voilà tout. J'ai parlé de l'économie comportementale et de ce que nous savons sur la façon dont les gens font des choix et prennent des décisions. Nous ne sommes pas des machines qui n'écoutent que leur raison — comme Spock — et qui prennent toujours des décisions rationnelles. Certes, un certain nombre de fois au cours de la journée, nous pouvons mobiliser beaucoup d'énergie mentale pour bien réfléchir à nos choix et en arriver à des décisions rationnelles, mais nous devons prendre des centaines de décisions chaque jour, et nous finissons par céder. Quand nous sommes distraits et fatigués, nous cédons plus souvent.

Comme Ian l'a mentionné, la nourriture est partout, et elle est bon marché, savoureuse et accessible. Nos jeunes sont bombardés de publicité non seulement à la télévision, mais aussi sur leur téléphone et sur Internet. Elle est intégrée aux émissions de télévision et aux films. Elle leur apprend à consommer des aliments malsains. Un parent avec une volonté de fer peut dire : « Non, nous n'achèterons pas ceci, et non, tu ne peux pas avoir cela », mais cela ne fonctionne pas. Voilà pourquoi on assiste à une telle épidémie.

Comme l'a dit Ian, certaines mesures et certaines pratiques exemplaires ont été adoptées au Royaume-Uni, en Corée du Sud, en Finlande et en Norvège. Le Québec a totalement interdit la publicité destinée aux enfants de moins de 12 ans. Il existe de nombreux antécédents à cet égard. C'est faisable, et cela peut fonctionner.

M. Janssen : J'ajouterais qu'il est facile pour moi, en tant que parent d'enfants de trois et cinq ans, d'établir des limites. Si je ne leur donne pas de boisson gazeuse, ils n'en auront pas. Ils ne regardent pas la télé à moins que je l'allume pour eux. C'est facile. Mais quand ils auront 13 ou 14 ans, je vais vouloir qu'ils développent leur autonomie. Je vais vouloir qu'ils prennent leurs propres décisions parce qu'ils vont devenir adultes et que cela représente une partie importante de leur développement. C'est cet âge-là qui me préoccupe : l'âge où ils devront prendre leurs propres décisions et développer leur autonomie.

Le sénateur Enverga : Vous avez parlé de l'initiative Perfect at Any Size. Ne contredit-elle pas le fait que vous souhaitez un IMC de 27, ou quelque chose du genre? Si on est parfait à n'importe quelle taille, cela élimine beaucoup de préoccupations, n'est-ce pas?

M. Janssen : Cette initiative est essentiellement un outil pour les médias qui vise tout particulièrement les femmes et les jeunes filles : pour elles, un IMC de 21 est très bas et très sain, mais c'est perçu comme le signe d'un excédent de poids. L'initiative a pour objectif de faire comprendre que certaines personnes qui ont un problème de poids et un IMC indiquant l'obésité font de l'activité physique, mangent bien et sont plutôt en santé. Le poids n'est pas le seul déterminant. Par cette initiative, nous voulons nous attaquer aux préjugés et faire comprendre aux gens que certaines personnes corpulentes peuvent être en santé et avoir de saines habitudes, même si cela n'a aucun effet sur leur poids. L'activité physique a d'énormes bienfaits sur la santé des gens. Et quand une personne s'alimente bien — c'est-à-dire qu'elle mange des fruits et légumes —, c'est la même chose, même si elle a un excédent de poids ou qu'elle est obèse, et même si son poids demeure le même.

Encore une fois, cette initiative vise surtout à envoyer le message que nous avons tous des préjugés envers les personnes qui souffrent d'obésité. Si elles sont obèses, ce n'est pas seulement parce qu'elles ne prennent pas les bonnes décisions ou qu'elles manquent de volonté. Il y a d'autres facteurs qui contribuent au poids d'une personne, comme son travail, son revenu, son lieu de résidence et les politiques du gouvernement. Voilà des facteurs qui ont aussi une incidence sur le poids corporel, peu importe les décisions qu'on prend.

La sénatrice Merchant : Merci de votre présence. Il y a tellement d'aliments pauvres en calories, de boissons gazeuses sans calories et de succédanés de sucre. Selon vos études, est-ce que cela a eu des effets positifs? Est-ce bon pour le poids de boire une boisson contenant autre chose que du sucre? On peut lire que ce n'est pas le cas, car le corps ne peut pas goûter la différence entre le sucre et d'autres substances. Les succédanés ont-ils eu des bienfaits?

Dr Warshawski : Une des mesures stratégiques préconisées par la fondation est de recommander une taxe sur les boissons sucrées. On entend beaucoup parler des boissons diètes. Dans des études menées auprès d'un vaste bassin démographique, on voit que ces boissons sont associées à une augmentation du risque de diabète de type 2, probablement par ce qu'on appelle un effet causal inversé. Les personnes qui ont un excédent de poids ont tendance à en boire, et on voit qu'il y a un lien. C'est sous-jacent au surpoids, mais ce n'en est pas la cause. Des données fiables le confirment. Si on fait boire des boissons sucrées à des gens pendant huit semaines, leur poids va augmenter. Donnez- leur ensuite des boissons diètes, et leur poids va diminuer. À l'échelle de la population, ces boissons sans sucre sont surtout associées à un gain de poids moindre et sont moins susceptibles de mener à un excédent de poids et à l'obésité, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'elles sont tout à fait sans danger. Il y a d'autres questions à se poser concernant l'innocuité de l'aspartame et d'autres substances du genre. Selon certaines données récentes, cela peut perturber la flore intestinale. Je n'ai pas lu l'étude. Elle a été publiée dans Nature. Je ne suis pas certain de ce qu'elle disait. Pour ma part, la plupart du temps, quand mes enfants veulent boire une boisson gazeuse, je leur dis : « Bois une boisson diète. Ne bois pas une bouteille de 700 millilitres de Coke chaque jour, car nous savons que c'est malsain. »

M. Janssen : Je ne saurais être impartial, car je suis moi-même un buveur de boissons diètes. À coup sûr, il vaut mieux boire une boisson diète qu'une boisson sucrée. Il reste encore à déterminer si les boissons gazeuses diètes et tous les édulcorants artificiels qu'il y a dedans perturbent le métabolisme. Par exemple, quand je commence à boire une boisson diète, je la trouve sucrée. Elle devrait me rassasier, mais elle n'envoie pas le bon signal à mon cerveau et — selon certains travaux de recherche — elle m'amène en fait à développer une résistance à ce signal. Alors, quand je bois une boisson sucrée ordinaire, mon cerveau ne reçoit pas non plus le signal et je me trouve à en boire plus. C'est un volet très controversé de la recherche à l'heure actuelle. Il y a beaucoup de travaux qui sont menés au sujet des boissons gazeuses diètes et des édulcorants artificiels et de leurs éventuels bienfaits. Assurément, les boissons sucrées, ce n'est pas bon. L'eau est toujours un meilleur choix.

La sénatrice Merchant : Eh bien, il faut aussi se pencher là-dessus. Il y a tellement de marques de bouteilles d'eau commercialisées que c'est très déroutant. Les gens ne boivent pas d'eau du robinet pour des raisons de santé. Cela n'a rien à voir avec le poids.

Aux fins du compte rendu, pourriez-vous aussi nous dire quels mots indiquent la présence de sucre? Quand on lit la liste des ingrédients sur un contenant ou dans une recette, il y a des sucres qu'on désigne par d'autres mots. À quelles autres substances, qui sont en fait du sucre, devrait-on faire attention? Le fructose, et quoi d'autre? Y a-t-il d'autres mots que nous devrions connaître?

Dr Warshawski : Je ne suis pas un expert de l'étiquetage, mais le Canada a élaboré de nouvelles étiquettes qui indiquent le nombre de grammes de sucre dans un produit. Malheureusement, on ne fait pas la distinction entre le sucre ajouté et le sucre naturel. Si un produit contient des pommes, le sucre qu'elles contiennent sera indiqué de la même façon que le sirop de maïs, alors qu'il s'agit de deux choses très différentes. C'est donc problématique. Tout de même, ces étiquettes sont utiles à l'égard du point que vous avez soulevé quand vous parliez de ces substances aux noms imprononçables que sont le dextrose, maltose et le sirop de maïs à teneur élevée en fructose. Laquelle de ces substances est du sucre? Elles le sont toutes. Il y a là un problème d'étiquetage.

Le sénateur Enverga a parlé des décisions que doivent prendre les gens. Eh bien, quand on lit des étiquettes, il est difficile de comprendre ce qu'elles impliquent, et c'est pourquoi on doit les simplifier. Les étiquettes doivent être simples. Le gouvernement canadien a fait un pas dans la bonne direction, mais il doit prendre les moyens pour qu'on puisse faire la distinction entre des sucres ajoutés et des sucres naturels. Si c'est écrit « sucre ajouté », essayez d'éviter ce produit. Simplifiez-vous la tâche. Essayez tout simplement de les éviter.

M. Janssen : L'autre aspect complexe, c'est que bien des gens ne savent pas que certaines boissons sont en fait sucrées. Par exemple, si je vais chez Tim Hortons ou chez Starbucks et que j'achète un café avec des doses de telle et telle saveurs, j'ajoute ainsi plusieurs centaines de calories qui peuvent rendre mon café aussi calorique qu'une boisson gazeuse.

Bien des gens ne savent même pas que ce qu'ils boivent — comme certains jus de fruits et les boissons en boîtes à boire destinées aux enfants — est rempli de calories et de sucre ajouté. Il y a beaucoup de confusion au sein de la population. Je travaille dans le domaine et je suis moi-même dérouté quand je vais acheter des choses. Je ne suis pas diététicien — je suis plutôt spécialiste de l'activité physique —, mais je suis à l'affût des développements dans ce domaine, et c'est déroutant même pour moi, alors que j'ai une certaine expertise à l'égard de ce qui est sucré, de ce qui constitue ou non un sucre ajouté et de ce qui est bon ou néfaste. Je n'ai aucune difficulté à imaginer que les Canadiens ordinaires aient du mal à différencier les bonnes et les mauvaises boissons. C'est pour cela que j'ai dit qu'on ne peut pas se tromper avec de l'eau, et encore, je ne parle pas de l'eau embouteillée. Pour la majorité de la population, l'eau du robinet est un choix très sain, je crois.

Dr Warshawski : En ce qui a trait à l'eau, un organisme comme le nôtre, qui préconise une taxe sur les boissons sucrées, doit affronter le géant qu'est l'industrie des boissons sucrées. Aux États-Unis, en ce moment, il y a des villes qui essaient de faire adopter une taxe sur les boissons sucrées, San Francisco et Berkeley, par exemple. L'industrie des boissons a consacré plus de 10 millions de dollars à la campagne qu'elle mène contre les gens qui préconisent la taxe, qui, eux, ont consacré 200 000 $ à leur campagne. C'est David contre Goliath. Pour ma part, j'encourage les gens à boire l'eau du robinet, mais il faut presque que nous laissions une voie de sortie à l'industrie. Si nous lui enlevons tout ce qu'elle vend, par exemple l'eau embouteillée, les jus, elle va réagir fortement. Les représentants de l'industrie savent que les ventes de boissons sucrées sont en baisse, et c'est pour cette raison que les nouveaux produits prolifèrent; et les gens veulent des boissons qui ont du goût. Mes enfants, qui ont 16 et 18 ans, aiment à l'occasion boire de cette eau vitaminée qui se vend sur le marché. Elle ne contient que 10 calories par bouteille, comparativement à 200 calories par canette de boisson gazeuse. Il faut que l'industrie ait un marché.

M. Janssen : Pour poursuivre sur le sujet de la taxe sur les boissons sucrées, s'il y a une taxe, il faut qu'elle soit élevée. Beaucoup de gens parlent d'une taxe de 1 à 5 cents. Il faut que ce soit une taxe qui ait une incidence. C'est un peu comme dans le cas des cigarettes. Si on impose une taxe de 10 cents sur un paquet de cigarettes, est-ce que les comportements vont changer? Probablement pas. Les gens paient 9 $ pour un paquet de cigarettes. Je suis convaincu que la majeure partie de cette somme correspond aux taxes. Il faut que la taxe soit élevée, qu'elle ait une incidence et qu'elle soit fonction du volume. Pour une bouteille de 2 litres, par exemple, on devrait payer 50 fois plus de taxes que pour une seule canette. Il faut que la taxe soit fonction du volume, et les études le montrent assez clairement.

La sénatrice Merchant : Je m'interroge au sujet de la mesure consistant à exiger des restaurants qu'ils indiquent le nombre de calories sur leur menu. Qu'en pensez-vous? Est-ce que c'est efficace? Pouvez-vous nous donner de l'information là-dessus?

M. Janssen : Je ne pense pas que les recherches soient très concluantes en ce qui concerne l'influence de l'étiquetage du nombre de calories sur les comportements. Il est très difficile d'amener une personne à modifier son comportement. Je pense que c'est une bonne chose que ces renseignements soient accessibles aux consommateurs qu'ils intéressent et qui veulent savoir ce genre de choses. Il est difficile de trouver cette information et d'y avoir accès dans les endroits qui seraient censés l'avoir. Parfois, je veux connaître la teneur en sel de ce que je m'apprête à commander et savoir si je peux manger ce que je vais commander, étant donné que je suis végétarien. À bien des endroits, il est difficile d'obtenir ces renseignements. Les études ne montrent pas d'incidence claire sur les comportements, mais il y a des choses que nous devons examiner.

Dr Warshawski : La mesure dont vous parlez est nécessaire, mais insuffisante. Des études réalisées auprès d'adolescents qui sortent de chez McDonald's visaient à vérifier si le nombre de calories faisait partie des facteurs de décision. D'après ces études, les adolescents ne décident pas en fonction du nombre de calories et ne pensent pas aux conséquences à long terme. Nous savons aussi que les décisions ne sont pas toujours prises de façon rationnelle et que les gens choisissent souvent un produit ayant une valeur affective pour eux, lorsqu'il y a un lien quelconque dans leur cerveau entre le produit et le fait de se sentir bien. C'est pour cette raison que les gens de Coca-Cola aiment afficher leur logo dans des endroits où les gens se sentent bien. Ils savent que cela va beaucoup plus influencer leur choix. McDonald's aime afficher son logo dans les terrains de jeu, parce qu'ils sont associés à des émotions positives. Souvent, ce genre de choses a plus d'emprise sur les gens que l'information factuelle. Il y a des gens qui vérifient le nombre de calories, alors il est nécessaire que cette information soit indiquée, mais ce n'est pas suffisant.

La sénatrice Nancy Ruth : Je voudrais revenir sur la question de l'IMC. Vous avez parlé de l'existence d'un certain ensemble de données désagrégées concernant l'indice de masse corporelle des hommes et des femmes. Avez-vous désagrégé les données en fonction des groupes raciaux?

M. Janssen : C'est une question de perception du poids santé. Les femmes, surtout, si elles n'aiment pas la fille sur la page couverture de Châtelaine, elles pensent qu'elle a un surplus de poids, même si son poids est tout à fait adéquat. Un homme qui a un IMC de 25 à 27 est perçu comme ayant un poids santé. L'IMC idéal pour une femme est différent de l'IMC sain pour un homme. Je suis sûre que beaucoup de femmes ici présentes le savent. Cela tient simplement à la façon dont le public perçoit les choses.

En réalité, l'IMC correspondant au seuil de risque pour la santé est le même chez les hommes et les femmes : les hommes et les femmes qui un IMC de 25 et plus ont un surplus de poids, et ceux et celles qui ont un IMC supérieur à 30 sont obèses.

La sénatrice Nancy Ruth : Ma question est plutôt la suivante : en général, les Asiatiques de 20 ans n'ont pas la même silhouette que les femmes autochtones du Canada. Comment composez-vous avez ces différences?

M. Janssen : À l'exception des gens originaires d'Asie du Sud-Est et d'Asie, nous pouvons utiliser les mêmes seuils d'IMC pour tout le monde. On peut appliquer le seuil d'un indice de masse corporelle de 25 à une femme afro- américaine comme à une Anglaise de race blanche. En Asie du Sud-Est, la masse adipeuse correspond à un point donné plus élevé en moyenne, et nous avons tendance à utiliser des seuils plus faibles pour définir le surplus de poids et l'obésité dans cette région. Nous utilisons un IMC de 27 pour définir l'obésité chez les adultes et souvent un IMC de 23 pour définir le surplus de poids, sachant que, à poids égal, les Asiatiques ont en moyenne une masse adipeuse supérieure et sont exposés à un risque pour la santé plus grand que les membres d'autres groupes raciaux.

La sénatrice Nancy Ruth : Docteur Warshawski, vous avez parlé de l'objectivité des critères utilisés au Royaume- Uni, des fontaines, de quelques autres choses et de l'augmentation des taxes. Pouvez-vous nous en dire plus au sujet des critères du Royaume-Uni et nous faire part de vos autres idées, si vous en avez d'autres?

Dr Warshawski : La Childhood Obesity Foundation mène des programmes visant à aider les jeunes à prendre des habitudes qui vont leur permettre d'atteindre un poids sain. Nous informons les jeunes au sujet des choix de boissons qui s'offrent à eux et de mesures stratégiques que nous préconisons et qui découlent des pratiques exemplaires. Le Royaume-Uni est l'un des nombreux pays ayant exprimé des préoccupations. L'OMS a par ailleurs publié certaines recommandations visant à limiter la promotion de boissons et d'aliments malsains auprès des enfants. C'est un problème complexe.

Au Canada, un certain nombre d'ONG ont pris position, notamment la Fondation des maladies du cœur, les Diététistes du Canada et l'Association médicale canadienne. Il y en a probablement 15 ou 20 en tout. Comme on pouvait s'y attendre, ces positions sont rarement concordantes. Nous collaborons avec la Fondation des maladies du cœur pour essayer de ramener ces positions dans un cadre factuel et pour formuler une recommandation exemplaire concernant la limitation de la promotion d'aliments et de boissons auprès des enfants et la meilleure façon d'y parvenir.

Au Royaume-Uni, on a mis au point ce qu'on pensait être un profil nutritionnel adéquat fondé sur la teneur en sucre, en matières grasses et en sel de tous les aliments. À un moment donné, il faut établir un seuil et dire qu'un aliment est dangereux s'il contient plus de la moitié de l'apport en sel quotidien recommandé. Nous obtenons des données sur le seuil de danger pour le sucre ajouté, qui serait d'environ 200 calories par jour pour un adulte, et aussi pour les matières grasses, et surtout les gras trans et les gras saturés. C'est réalisable. On peut en arriver à 80 p. 100 d'une solution au problème de ce qui est bon et de ce qui est mauvais pour la santé.

Le gouvernement britannique a dit qu'il définirait « sain » et « malsain ». Maintenant, il doit définir « enfant ». J'ai mentionné le fait que le cerveau n'est pas pleinement développé avant la vingtaine sur le plan de la prise de décisions, mais le développement est assez avancé à l'âge de 18 ans et très peu à l'âge de 12 ans. Quel âge faut-il choisir pour le seuil? Le gouvernement a décidé de l'établir à 16 ans. Il a envisagé le marketing de façon étroite et tenu compte seulement de la télévision, mais nous savons que le marketing est plus insidieux que cela. Au Canada, la télévision compte probablement pour 80 p. 100 du marketing, et le contenu est encore canadien en majeure partie. On peut ratisser assez large en se concentrant sur la télévision.

Ensuite, il faut se demander quelles sont les émissions pour les enfants. Barney est une émission pour enfants. Mais si La voix, à 19 heures, en est une aussi, la vaste majorité des enfants qui regardent cette émission verront une publicité diffusée à cette heure. Il y a des nuances que nous essayons d'examiner ensemble. Si nous arrivons à nous entendre entre nous sur des pratiques exemplaires, cela nous permettra de présenter une recommandation stratégique cohérente au gouvernement. La taxe sur le sucre ajouté aux boissons est une mesure qui a été prise dans beaucoup de pays. Tout récemment, le Mexique a instauré une taxe de 10 p. 100 sur les boissons sucrées.

Pour une raison ou pour une autre, cette mesure a été efficace. On a constaté une réduction d'environ 10 p. 100 de la consommation de boissons sucrées et le remplacement de ces boissons par l'eau. Le Mexique, ce n'est pas le Canada, et le revenu disponible des gens y est moins important, ce qui fait que l'incidence de la mesure a pu être plus grande qu'elle ne le serait ici.

Pour une raison ou pour une autre, les gens passent à l'eau. Une taxe permettrait d'accomplir deux ou trois choses. Elle permettrait de tenir compte du coût externalisé de consommation des produits en question. Lorsqu'une personne boit beaucoup de boissons sucrées et qu'elle est en mauvaise santé, cela fait grimper le coût des soins de santé, mais la personne paie la même part qu'une autre qui ne boit que de l'eau. C'est le principe de l'utilisateur payeur. Si on boit plus de boissons sucrées, on paie une part plus importante.

Une autre raison, c'est que la taxe devient un rappel au point de vente. C'est mauvais. La société vous dit que ce produit est plus dangereux que les autres pour la santé. C'est pour cette raison que, lorsque la France a instauré une taxe sur les boissons sucrées, les fabricants de boissons ont demandé au gouvernement de ne pas établir de lien avec l'obésité. Ils lui ont dit d'instaurer la taxe, mais sans dire pourquoi. Le gouvernement a refusé et a voulu expliquer pourquoi il instaurait une taxe. Dans ce pays-là aussi, on a constaté une réduction de la consommation.

La troisième raison, c'est que, lorsqu'on augmente le prix d'une chose, selon le principe de l'élasticité des prix, les gens en achètent moins. Le tabac est un exemple parfait. Lorsque les prix ont augmenté, la consommation a diminué, quoique d'autres mesures ont été prises en même temps. Diverses mesures stratégiques peuvent être efficaces. Nous subissons un contrecoup énorme de la taxe sur les boissons sucrées qui vient de l'industrie. Au sujet de la limitation de la promotion des aliments et des boissons, il y a un groupe qui porte le nom d'Annonceurs responsables en publicité pour enfants, et, lorsque les représentants de ce groupe entendront parler de ce que vous faites, ils voudront probablement venir témoigner. Ils sont préoccupés, certes, mais cette préoccupation porte sur les profits. C'est un groupe qui sert de façade aux entreprises du secteur de la confiserie, c'est-à-dire Cadbury, Neilson, Pepsi et Coke. Ils sont préoccupés, et ils auront des choses à vous dire au sujet de la connaissance des médias et du reste, mais rien de tout cela n'est fondé sur des données probantes. Par diligence raisonnable, vous entendrez le témoignage de ces gens.

La sénatrice Nancy Ruth : Qu'est-il advenu du lait? Pensez-vous qu'il y a un espoir quelconque que les fabricants de boissons gazeuses diversifient leurs gammes et commencent à offrir des produits à base de lait?

Dr Warshawski : Ils ont beaucoup investi dans les boissons gazeuses, et colorer et aromatiser de l'eau coûte moins cher que traire des vaches. Je dirais que l'industrie laitière est suffisamment active. Je vais m'en tenir à cela.

M. Janssen : Je voulais ajouter une petite chose. Nous parlons d'imposer une taxe sur les boissons sucrées, et il va y avoir une certaine résistance à cette taxe. Je pense que l'industrie des boissons préférerait que la réglementation soit uniforme à l'échelle du secteur. Il serait possible par exemple de prescrire le nombre de calories que peut contenir une boisson gazeuse. S'il y a 200 calories dans une canette de boisson gazeuse à l'heure actuelle, le nombre de calories prescrit pourrait être de 180, de sorte qu'il devrait y avoir une réduction de 10 p. 100 pour tout le monde. L'industrie serait beaucoup moins réticente à une réglementation de ce genre qu'à toute taxe ciblant ses produits en particulier.

Le président : Je ne vais pas prendre position sur le sujet, mais cela serait fonction du succédané utilisé. Nous avons déjà entendu dire qu'il peut être pire que le produit qu'il remplace. Votre idée a du sens, mais il faudrait encadrer l'utilisation de succédanés.

La sénatrice Cordy : Notre étude commence bien. Ce qui s'est dit jusqu'à maintenant est très intéressant.

J'aimerais revenir à M. Janssen. Vous avez parlé de stigmatisation chez les enfants. J'ai enseigné au primaire pendant 30 ans, et je dirais que la pire forme de discrimination et de stigmatisation chez les élèves du primaire est de loin celle dont sont victimes les élèves qui ont un surplus de poids. Votre idée de mettre en place un programme pour vous attaquer à ce problème est excellente, mais comment utilisez-vous votre message selon lequel tout le monde est parfait?

M. Janssen : Perfect at Any Size.

La sénatrice Cordy : Comment utilisez-vous ce message? Je suis d'accord là-dessus, car c'était presque devenu une situation sans issue. Les élèves qui étaient victimes de discrimination étaient aussi ceux que les autres empêchaient de participer à des jeux comme la tague dans la cour d'école. Dans le cadre de votre campagne, outre le fait d'examiner les façons de modifier le mode de vie, comment diffusez-vous vos messages?

M. Janssen : Cela ne se ferait pas dans le contexte de la campagne Perfect at Any Size. Le Réseau canadien en obésité collabore avec un autre groupe, le PREVNet, qui est le nom court qu'on utilise pour parler du Réseau pour la promotion de relations saines et l'élimination de la violence. Ce groupe travaille à la prévention de la violence dans les relations et s'attaque surtout au problème de l'intimidation. Il s'agit d'intégrer les questions liées au poids dans les interventions effectuées dans les écoles relativement à l'intimidation. Bien souvent, le poids n'est pas abordé dans ces initiatives, ces interventions. Nous parlons de toutes sortes de choses, mais négligeons d'aborder les problèmes liés au poids. Cela ne se ferait pas dans le cadre de Perfect at Any Size; ce serait dans le contexte d'une intervention portant sur l'intimidation.

Une chose que nous essayons de faire, entre autres, c'est de sensibiliser les gens au fait que ce n'est pas de la faute d'une personne si elle est obèse. On pense souvent qu'il suffirait que la personne mange mieux, fasse plus d'exercice, soit moins paresseuse et ait la volonté de résister à la tentation de manger des bonbons. Nous essayons de sensibiliser les gens au fait que c'est beaucoup plus complexe que cela. Le message commence à passer dans les écoles. J'ai écrit un article sur l'obésité et l'intimidation il y a 10 ans, et c'était l'un des premiers articles publiés sur le sujet. Aujourd'hui, il y en a plein. C'est vraiment un sujet qui fait partie des préoccupations. Wendy Craig, qui enseigne elle aussi à l'Université Queen's et donc une collègue à moi, dirige le réseau PREVNet et fait de l'excellent travail pour ce qui est d'intégrer les questions liées au poids aux initiatives de prévention de l'intimidation dans les écoles.

La sénatrice Cordy : Je suis vraiment contente de vous l'entendre dire, car c'était quelque chose qu'on remarquait souvent, comme vous le disiez tout à l'heure.

Je me demande aussi si vous avez remarqué que l'incidence de l'obésité est particulièrement élevée au sein de certains groupes démographiques. Je pense surtout au facteur économique, puisque bien manger coûte cher, comme d'autres l'ont dit plus tôt. Une bouteille de deux litres de boisson gazeuse coûte 1,29 $, parfois même 99 ¢. Un carton de lait du même format coûte plus de deux fois plus cher. Avez-vous fait des recherches dans ce domaine?

M. Janssen : Il y a une corrélation subtile entre l'obésité et les indicateurs de pauvreté, et il s'agit probablement dans ce cas-ci de la pauvreté extrême. Comme 25 p. 100 de la population est obèse et que 62 p. 100 des gens ont un surplus de poids, ça touche tout le monde. Certains groupes sont plus désavantagés que d'autres. Le problème est le plus criant chez les Autochtones, où le taux d'obésité, et non le surplus de poids, dépasse les 60 p. 100, et est encore plus élevé dans les collectivités isolées du Grand Nord. Voilà donc le groupe du Canada où le taux est assurément le plus élevé... Je dis le groupe même si je sais que la population autochtone est composée de nombreux groupes distincts. Mais chez les Autochtones, surtout dans les réserves, pour lesquelles nous avons très peu d'information, la prévalence de l'obésité est très élevée et très fortement liée au risque accru de diabète qu'on constate au sein de cette population.

Dr Warshawski : Je ne suis pas épidémiologiste, mais je suis les statistiques de près, car cet aspect de la question m'intéresse aussi beaucoup. D'après ce que je comprends — et vous me corrigerez si je me trompe —, la corrélation est la suivante : les femmes au SSE faible sont plus à risque d'être obèses que les autres, et les hommes au SSE faible ont tendance à être moins à risque d'être obèse que les autres. Ils occupent des postes qui sont exigeants physiquement.

La sénatrice Cordy : Qu'est-ce que le SSE?

Dr Warshawski : Le statut socioéconomique. J'essaie d'éviter de tomber dans le jargon. J'ai assez bien réussi pendant la majeure partie de la journée. Les femmes pauvres ont plus souvent un surplus de poids que les autres. Chez les enfants, il ne semble pas y avoir de corrélation. D'après les données dont nous disposons, celles de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2004, il n'y a pas vraiment de lien entre le revenu et le surplus de poids. Cependant, il y a un lien important avec l'éducation. Plus un adulte est éduqué, plus le risque de surplus de poids est faible. Ce facteur semble être indépendant du revenu dans une certaine mesure, mais je me demande aussi si les gens qui ont plus d'éducation sont capables de mieux se défendre contre la publicité et les choses de ce genre. Je ne suis pas très certain. Vous pourriez peut-être dire quelque chose au sujet de l'éducation.

M. Janssen : Je pense qu'il y a des liens, mais qu'ils sont subtils, très subtils. Ils sont aussi variables, chez les hommes, les femmes et les enfants. Ce n'est pas un déterminant probant. Le lien est plus fort avec les comportements, surtout avec les comportements liés au régime alimentaire et au type d'activité physique que les gens font. C'est davantage lié aux comportements, qui, selon moi, sont plus importants que le fait d'être obèse en tant que tel.

La sénatrice Cordy : J'ai aussi pensé à votre observation — je ne me rappelle plus qui l'a faite — selon laquelle les sports d'équipe ne sont pas nécessairement la solution à tous les problèmes. On reste assis sur le banc pendant une bonne partie du temps lorsqu'on joue au hockey, mais c'est ça l'activité physique. Les enfants ne sont pas dehors à courir.

M. Janssen : Mes recherches portent sur l'activité physique et l'obésité chez les enfants. Lorsque je parle de sport d'équipe, je dis que maman, papa, l'enfant qui fait partie de l'équipe et l'autre enfant de la famille montent dans la minifourgonnette, font 30 minutes de route pour se rendre au centre sportif regarder un enfant jouer pendant une heure, mais, en réalité, il ne fait que 20 minutes d'activité physique, parce que le passage de la zamboni prend 10 minutes. Il passe beaucoup de temps sur le banc pendant la partie, et ensuite la famille rentre à la maison, et on arrête au Tim Hortons pour récompenser tout le monde en achetant des Timbits et toutes les choses de ce genre. Nous appelons ça une récompense.

Les sports d'équipe sont une très bonne chose, ne pensez pas que je dise le contraire. J'ai fait beaucoup de sports d'équipe pendant ma jeunesse. C'est une bonne chose pour beaucoup de raisons. Comme stratégie de lutte contre l'obésité, cependant, ils ne donneront pas de résultat, parce que ça ne suffit pas. On joue au hockey deux ou trois fois par semaine.

Lorsqu'on parle de jouer activement, c'est quelque chose que tous les enfants peuvent faire pendant plusieurs heures par jour, et ils ont le temps de le faire. Les élèves de la 6e année passent en moyenne cinq ou six heures par jour devant un écran. Au bout de l'année, ils ont passé plus de temps à regarder un écran dans leur temps libre qu'en classe. Ils ont le temps de jouer. La possibilité est là. Nous avons parlé plus tôt des changements qui ont eu lieu depuis les années 1980. J'étais petit à l'époque, et nous jouions dehors alors qu'aujourd'hui, je pense que les gens restent à l'intérieur et subissent le bombardement des écrans.

La sénatrice Cordy : Qu'en est-il du pourcentage de gens qui perdent du poids? Nous entendons parler de tous ces régimes miracles. Encore là, l'accent est mis sur les régimes, et non sur le changement de mode de vie. Quelle proportion des gens — et je ne vous demande pas un pourcentage précis — qui perdent beaucoup de poids réussissent à ne pas le reprendre et à changer de mode de vie, et non à changer simplement de régime?

M. Janssen : Le pourcentage est très faible. Moins de 5 p. 100 des gens qui perdent beaucoup de poids — c'est peut- être même moins de 1 p. 100 — arrivent à maintenir leur nouveau poids à long terme. Lorsque je dis « long terme », je veux dire au moins deux ans. Il y a un registre aux États-Unis des gens qui ont perdu au moins 50 livres, je crois, et qui ont réussi à ne pas les reprendre. Les études montrent très clairement que ce sont des gens qui comptent les calories de façon très méticuleuse. On entend parler de gens qui apportent leur propre vinaigrette dans leur sac lorsqu'ils vont au restaurant, et ce sont des gens très actifs. Encore une fois, ce n'est pas qu'ils changent un peu de régime. Ils font les deux. L'activité physique est très importante, surtout pour ne pas reprendre le poids perdu. Il est très difficile de dépenser suffisamment de calories pour perdre du poids. Il faut faire de l'exercice pendant une heure par jour pour perdre une livre par semaine. Marcher rapidement pendant une heure par jour, chaque jour. C'est faisable. J'ai pris part à des études dans le cadre desquelles nous avons été en mesure d'amener des gens à le faire. C'est difficile. Il est beaucoup plus facile de réduire le nombre de calories en mangeant moins que de faire plus d'exercice. Lorsqu'il s'agit de ne pas reprendre le poids perdu, surtout à long terme, les études montrent très clairement que l'ajout de ce volet d'activité physique est très important, voire nécessaire dans bien des cas.

Dr Warshawski : C'est pour cette raison que la prévention est si cruciale, car une fois qu'on l'a pris, il est très difficile de se débarrasser de l'excédent de poids. Le corps fait tout ce qu'il peut pour empêcher la perte de poids. Notre évolution nous a conditionnés à manger le plus que nous pouvons lorsque c'est possible, à ne pas être actifs et à stocker les calories supplémentaires dans nos tissus adipeux pour nous préparer à affronter les périodes de vaches maigres. Lorsque le corps perçoit tout à coup le début d'une période de vaches maigres — lorsque les calories cessent d'entrer, le métabolisme de base ralentit. Le corps procède à toutes sortes de rajustements pour ralentir la perte de poids. Ensuite, lorsqu'on recommence à manger il cherche à renouveler les réserves adipeuses. Il est très difficile de perdre du poids et de ne pas le reprendre, une fois qu'on l'a déjà fait. Idéalement, il faut prévenir. Mais il ne faut pas oublier les gens qui ont pris un surplus de poids, car cela a des répercussions sur la santé. Nous devons mettre davantage l'accent sur la vraie prévention.

M. Janssen : Il vaut mieux ne pas perdre de poids que d'en perdre et le reprendre, d'avoir le poids qui monte et qui descend comme un yo-yo. Il vaut mieux ne pas perdre de poids au départ.

La sénatrice Cordy : Vous avez tous les deux parlé du prochain sujet que je veux aborder. Je sais que, au Canada, nous avons demandé à l'industrie de réduire volontairement la teneur en sel et en gras trans de leurs produits. Certains secteurs l'ont fait. Beaucoup ne l'ont pas fait. Est-ce que les critères que l'industrie s'impose volontairement fonctionnent?

Dr Warshawski : Certainement pas lorsqu'il s'agit de la publicité concernant les boissons et les aliments mauvais pour la santé. J'ai parlé de l'Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants. Elle crée l'illusion qu'il y a des restrictions importantes. Les entreprises se sont donné leurs propres lignes directrices. Chaque société détermine ce qu'elle va faire et établit sa propre définition d'« aliment mauvais pour la santé », puis elle publie ses résultats et affirme avoir atteint tous ses objectifs.

Si on compare les entreprises qui participent à l'Initiative canadienne pour la publicité sur les aliments et les boissons destinée aux enfants à celles qui n'y participent pas et qu'on examine ce qu'elles vendent, les entreprises membres vendent des produits qui sont beaucoup plus néfastes que celles qui ne sont pas membres. L'initiative était donc l'occasion pour ces entreprises de rétablir leur image et de donner l'impression qu'elles prenaient les devants.

La réglementation volontaire ne fonctionne tout simplement pas en publicité, et je ne pense pas qu'elle fonctionne vraiment lorsqu'il y a un conflit d'intérêts. La tâche de la société consiste à rapporter de l'argent à ses actionnaires. Elle n'est pas là pour promouvoir la santé. Tous ceux d'entre nous qui ont des REER veulent que les responsables s'occupent des recettes nettes et fassent en sorte que nos investissements rapportent; leur tâche n'est pas de promouvoir la santé, et il vaut mieux qu'ils laissent quelqu'un d'autre s'occuper de cela. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les sociétés se réglementent elles-mêmes.

M. Janssen : Il y a quelques années, la recommandation était de réduire la teneur en sel. Je pense que c'est Campbell qui a abaissé la teneur en sel de ses soupes. C'est l'une des rares entreprises à l'avoir fait, et vous avez vu toutes les belles annonces là-dessus. Les ventes ont diminué. Qu'est-ce que Campbell a fait? Elle a rétabli la teneur en sel de ses produits, vu qu'aucune autre entreprise du secteur n'appliquait les mêmes normes qu'elles, étant donné qu'il s'agissait de normes qu'elle s'était données elle-même.

La sénatrice Chaput : La sénatrice Cordy a abordé quelques-unes des questions que je voulais poser, mais, en ce qui concerne le sel, vous avez beaucoup parlé du sucre et du fait qu'il contribue à l'obésité. Nous savons que trop de sel est mauvais pour la santé, mais est-ce que le sel contribue aussi à l'obésité?

M. Janssen : Le sel ne contient pas de calories ni d'énergie. Ce sont plutôt les types d'aliments qui sont susceptibles de contenir beaucoup de sel, les aliments transformés, entre autres, qui peuvent contribuer à l'obésité. Il s'agit peut-être plutôt d'une indication ou d'un reflet du type d'aliments que les gens mangent, de leurs tendances et de leurs comportements. Ce n'est pas le sel en soi qui contribue à l'obésité, sauf dans le cas où il donne soif et où la personne engloutit une boisson sucrée pour se désaltérer. Les boissons sucrées accompagnent naturellement certaines choses qu'on mange, les croustilles et les bretzels, entre autres.

Dr Warshawski : Il y a un livre intitulé Sucre, sel et matières grasses qui a été écrit par un journaliste. C'est un très bon livre, et l'auteur parle de la façon dont les aliments sont mis au point. Le sel joue un rôle dans la création d'un aliment entièrement satisfaisant. Si nous prenons l'exemple des croustilles, que j'adore, les croustilles à saveur de barbecue contiennent un mélange de sel, de sucre et de matières grasses. Des chimistes déterminent la proportion de chacun de ces ingrédients de façon à ce que nous ne puissions pas nous empêcher de continuer à manger des croustilles. Ils disent que c'est le but. Je dirais que c'est à cet égard que le sel intervient.

La sénatrice Chaput : Selon vous, est-ce que les comportements commencent à changer au Canada? Je pense que, dans les supermarchés, par exemple, nous voyons de plus en plus les gens vérifier la quantité de sucre sur l'étiquette, que ce soit des personnes âgées, des parents ou des adolescents, même.

Dans les écoles, nous observons un changement touchant les activités physiques. Je vais vous donner un exemple. Ma petite-fille est en 12e année, et elle passe un nombre d'heures donné à faire de l'activité physique au gymnase, mais il y a aussi la question de savoir si elle a promené le chien ou si elle a pris son vélo pour se rendre à l'école. Croyez-vous que les comportements soient en train de changer, ou pensez-vous que les changements sont minimes?

M. Janssen : Je parle des enfants, et, de façon générale, il ne semble pas y avoir de changement positif en ce qui a trait à l'activité physique. Lorsque nous examinons les différents volets de l'activité physique, par exemple la participation à des activités organisées à l'école et à l'extérieur dans la collectivité, nous constatons une augmentation de la participation.

Lorsque nous examinons des activités non organisées comme le fait de jouer activement, de marcher pour se rendre quelque part, c'est-à-dire les activités qui devraient compter pour la majeure partie de l'activité physique que font les enfants, la tendance est probablement inverse. Nous ne disposons pas de bons indicateurs à ce chapitre. Nous en avons pour le transport actif pour se rendre à l'école. En une génération, nous avons vu la proportion d'enfants qui marchent ou prennent leur vélo pour se rendre à l'école diminuer de moitié. Cette proportion était de plus de 40 p. 100. Aujourd'hui, elle est d'environ 25 ou 30 p. 100. Nous savons que le transport actif pour se rendre à l'école a diminué, et j'imagine que c'est encore pire lorsqu'il s'agit de marcher pour se rendre au dépanneur, lorsqu'il s'agit seulement de déplacements utilitaires.

La sénatrice Chaput : Que pouvons-nous faire? Que devrions-nous faire? Quelle est la première étape?

Dr Warshawski : Je dirais encore une fois qu'il s'agit d'une démarche qui doit être faite par l'ensemble de la société. Lorsque vous me demandez ce que « nous » pouvons faire, si ce « nous » désigne l'organe législatif, je pense qu'il y a des choses qu'il est possible de faire.

Un facteur important des choix et des préférences alimentaires, c'est la publicité en général et la publicité visant les enfants en particulier. Vous me demandez si les choses changent. La consommation de boissons sucrées diminue dans le monde, et cela est attribuable en partie à la sensibilisation aux effets néfastes du sucre. La prochaine étape, c'est l'étiquetage — un étiquetage efficace, qui n'exige pas que la personne qui consulte l'étiquette ait un diplôme en biochimie pour comprendre ce qui se passe. Un étiquetage efficace, disons avec un système de feu vert, rouge ou jaune. S'il y a un feu vert sur l'emballage, par exemple pour des croustilles de kale dans l'huile de canola, on pourrait laisser les enfants en manger autant qu'ils veulent. Mais si c'était un feu rouge sur l'emballage, cela donne à réfléchir. C'est un système très efficace.

Quand mes enfants suivaient un cours de natation, il y avait un visage souriant ou un visage fâché sur les machines distributrices. Je leur disais de choisir les produits correspondant au visage souriant. De cette façon, les parents n'ont pas à tout expliquer aux enfants. Quand on a beaucoup de choses à acheter, il est épuisant d'avoir à consulter toutes les étiquettes pour vérifier la teneur en fibres, pour déterminer si elle correspond à une portion de 30 ou de 50 grammes, de se demander quelle quantité du produit on va manger et de vérifier la quantité de matières grasses que le produit contient. Il faut que ce soit simplifié. Il y a beaucoup de choses à faire à l'échelon fédéral au chapitre de l'étiquetage, de l'imposition de taxes et de la réglementation de la publicité visant les enfants.

M. Janssen : À l'échelon fédéral, il est plus facile de s'attaquer aux problèmes liés aux aliments, au régime alimentaire et à la nutrition. Je pense que, en ce qui concerne l'activité physique, surtout chez les enfants, ce sont des choses qui relèvent plutôt d'une réglementation municipale. Encore une fois, l'objectif est que les enfants soient plus actifs dans leurs jeux et dans le transport. Le facteur déterminant, à cet égard, c'est que les parents sentent que leur enfant est en sécurité dans le quartier et le laissent jouer dehors et que les enfants se sentent en sécurité eux aussi.

À ce chapitre, il y a beaucoup de fausses perceptions en ce qui concerne la sécurité. Lorsqu'un enfant se fait frapper par une voiture, tout le monde en entend parler pendant des semaines. Pourtant, lorsqu'il y a un accident et qu'un enfant se trouve dans la voiture, on n'en entend pas parler. Lorsqu'un enfant se fait enlever, par un parent, habituellement, on en entend parler dans les actualités pendant longtemps. Les gens pensent qu'il est très dangereux pour les enfants d'être à l'extérieur, dans les rues, pour se rendre quelque part ou pour jouer. En réalité, les rues sont beaucoup plus sûres qu'elles ne l'étaient pour la génération précédente. Il faut penser davantage à l'activité physique que font les enfants. Il s'agit non pas d'organiser plus d'activités, mais plutôt de faire ce qui se faisait autrefois et de favoriser le sentiment d'appartenance à la collectivité, au quartier, et le sentiment de sécurité. Je pense que cela relève davantage des municipalités. Le gouvernement fédéral peut apporter une contribution, mais il s'agit davantage de choses qui doivent se faire dans les municipalités que d'initiatives menées à l'échelon fédéral.

La sénatrice Stewart Olsen : Je m'excuse d'avoir raté vos exposés. Je les ai lus, par contre.

J'aimerais avoir votre opinion. Je pense qu'il est très difficile de perdre du poids aujourd'hui. L'une des raisons pour lesquelles c'est difficile, je crois, c'est qu'on nous présente toutes sortes de méthodes pour le faire. Choisissez-en une, et vous pouvez être sûr que dans cinq ans, une nouvelle étude montrera qu'elle n'était pas bonne. Le choix d'éviter le gras était stupide, parce que le gras est bon pour la santé.

Je ne sais pas. Je pense que nous compliquons certaines choses. Il va être très difficile de présenter une bonne solution dans le rapport, étant donné que tout est si compliqué et nous dépasse. Vous parlez par exemple de l'IMC. La plupart des gens disent maintenant que l'IMC n'a aucune incidence. Je sais que vous dites qu'il en a une, mais c'est ce que les gens entendent dire. Les gens entendent toutes sortes de points de vue. À qui devraient-ils se fier? C'est la grande question que je vous adresse.

Dr Warshawski : J'ai deux choses à dire là-dessus, je crois. La première, c'est que, à la Childhood Obesity Foundation, nous préconisons l'utilisation de la règle du 5, 2, 1, 0, car je crois qu'il faut transmettre un message simple. L'American Academy of Pediatrics dit la même chose. Il y a un programme en Colombie-Britannique qui préconise la même règle. Mangez au moins cinq portions de fruits et légumes par jour; ne restez pas devant un écran pendant plus de deux heures par jour; faites au moins une heure d'activité physique et évitez toute boisson sucrée. Si vous arrivez à respecter cette règle, vous aurez le bon poids. C'est une petite règle pratique. Il ne faut pas que ce soit trop compliqué. Michael Pollan est un excellent auteur qui écrit sur l'alimentation — vous avez peut-être lu Le Dilemme de l'omnivore ou d'autres de ses livres. Le mot d'ordre est le suivant : mangez des aliments que votre grand-mère considérerait comme tels. Si vous êtes obligé de vous demander ce que vous avez devant vous, n'en mangez pas. Mangez surtout des végétaux, et pas en trop grande quantité. Il faut se donner quelques règles simples à suivre. Vous irez bien si vous le faites.

Je suis d'accord avec ce que vous avez dit. Les nutritionnistes nous ont dit de ne pas manger d'œufs, puis nous ont dit que nous pouvions en manger. Et la margarine? Oh, la margarine contient des gras trans, donc ce n'est pas un bon aliment. Ça change constamment. Revenez aux choses simples et faites de l'exercice.

M. Janssen : Ce que je vous conseille, c'est de ne pas du tout mettre l'accent sur le poids et sur l'IMC. Comme vous le disiez, les gens vont se braquer. Ils ne réagiront pas.

Vous n'étiez pas ici pendant l'exposé, mais, dans notre programme que le ministère déploie à l'échelon communautaire, il n'est aucunement question de poids. Il s'agit du programme Action communautaire Enfants en santé. J'espère qu'il n'y a rien au sujet de l'IMC, du poids et d'autres choses de ce genre dans le matériel envoyé aux collectivités. Le programme est axé sur les comportements.

L'autre chose que je veux dire, c'est que je me soucie peu des modes en matière de régime alimentaire. Les études montrent clairement que c'est l'assiduité qui importe. Qu'on suive tel ou tel régime, qu'on mange tel ou tel type de gras ou qu'on choisisse un programme ou un autre, ce qui compte, c'est l'assiduité. Les gens qui suivent assidûment un programme, peu importe lequel, connaissent plus de succès que les autres. Ce qui compte, c'est l'assiduité et la persistance. Si vous commencez un régime que vous n'arriverez pas à suivre — par exemple un régime dans lequel on ne peut jamais manger de glucides ou d'autres choses — cela ne fonctionnera pas. Ce qui compte, c'est de faire des choses qu'on peut continuer de faire à long terme et la capacité des gens de continuer de suivre le régime alimentaire ou le programme d'activité physique ou d'exercice qu'ils ont choisi.

La sénatrice Stewart Olsen : Je comprends très bien ce que vous dites. Merci. Je pense que l'idée de simplicité pourrait être une très bonne idée à évoquer dans notre rapport également.

Lorsque vous parlez de revenir aux traditions, il est possible pour moi de le faire, parce que j'ai grandi dans une famille pauvre et que je suis âgée, maintenant. À l'époque, on mangeait de la viande, et il y avait rarement du dessert et des choses de ce genre. Les enfants d'aujourd'hui ne peuvent revenir aux traditions, puisqu'ils ont mangé chez McDonald's. Les expressions que nous utilisons pour parler de choses de ce genre supposent des attentes que nous ne pouvons pas combler. Vous dites que les enfants devraient marcher pour se rendre à l'école. C'est très bien. Mais en région rurale, ils ne peuvent pas le faire, puisqu'ils passent deux heures par jour dans l'autobus. Il s'agit d'affronter les problèmes qui existent aujourd'hui et d'essayer de trouver des solutions réalistes. Je ne cherche pas du tout à vous critiquer; tout ce que vous avez dit est très bien. Ce que je dis, cependant, c'est que les parents ont énormément de difficulté à faire respecter un horaire quelconque aux enfants. La plupart des parents travaillent. Ils ne peuvent pas ordonner à leurs enfants de ne passer que deux ou trois heures devant l'ordinateur parce que, concrètement, ça ne fonctionnera pas. Le dilemme est énorme, je crois.

M. Janssen : Certainement. J'ai moi-même des enfants. Je ne sais pas si vous étiez ici quand je l'ai dit, mais j'ai un enfant de 5 ans et un de 3 ans qui vont à l'école. L'école est à 10 kilomètres de la maison, alors ils prennent l'autobus. Je les reconduis à l'arrêt d'autobus à pied, trois ou quatre pâtés de maisons plus loin. Je ne prends pas la voiture. Lorsque nous allons en ville, nous ne prenons pas la voiture pour faire le trajet d'un magasin à l'autre. Nous nous stationnons quelque part. Nous vivons à la limite de la ville. Il y a toujours des façons d'intégrer le transport actif dans notre vie. Lorsque nous allons dans les grands magasins, nous ne prenons pas la voiture. Il y a des solutions créatives. Je dis souvent : pourquoi faut-il que l'autobus dépose mes enfants à l'école? Il y a un Tim Hortons à partir duquel il y a un sentier de un demi-kilomètre qui se rend à l'école. L'autobus pourrait laisser les enfants au Tim Hortons. Évidemment, il y a des enjeux liés à la responsabilité et d'autres choses que l'école devrait démêler, mais il y a des solutions créatives aux problèmes de ce genre.

Dr Warshawski : Je suis du même avis qu'Ian, c'est-à-dire qu'il faut se concentrer sur les habitudes, et non sur le poids. Vous avez parlé des heures de repas. Nous savons qu'elles sont importantes pour la cohésion de la famille et la santé mentale. Nous savons que l'activité physique est importante pour la cognition. Les enfants qui sont actifs physiquement apprennent mieux à l'école. Il faut faire la promotion de ces idées. C'est du marketing social aussi. Il y a des forces en jeu, mais les entreprises qui en sont à l'origine, McDonald's et Coke, dépensent des milliards de dollars pour persuader les gens de poser des gestes favorables à leur santé. Le gouvernement fédéral peut lui aussi jouer un rôle et faire du marketing positif au sujet des choses qui comptent vraiment. Les repas en famille font diminuer le risque de dépression et d'anxiété et contribuent à l'amélioration des résultats scolaires. Il faut présenter un ensemble de raisons de faire quelque chose, plutôt que de présenter les raisons pour éviter un certain geste. Comme médecins, nous devons envisager l'obésité en dehors du cadre de notre travail. Encore une fois, même si notre formation s'appelle la Childhood Obesity Foundation, tout ce dont nous faisons la promotion aujourd'hui a trait aux habitudes saines. Acquérir de saines habitudes est la clé de la santé.

M. Janssen : Il est possible d'établir des règles qui fonctionnent pour ce qui est du temps que les enfants passent devant un écran, par exemple le fait de ne pas mettre d'écran dans leur chambre à coucher. Mettre une télévision dans la chambre à coucher d'un enfant, c'est comme lui donner un paquet de cigarettes. C'est tout à fait ridicule. Cela s'applique aussi aux ordinateurs et au fait de laisser des enfants garder un téléphone cellulaire dans leur chambre lorsqu'ils dorment. Ils reçoivent des messages textes à 3 heures du matin auxquels ils doivent répondre. Il y a des règles que les parents peuvent adopter et des choses qu'ils peuvent faire pour limiter les comportements de ce genre.

La sénatrice Stewart Olsen : Si vous permettez, ce que vous dites, au fond, c'est qu'il faut établir les règles pendant que les enfants sont jeunes, parce que, lorsqu'ils auront 13, 14 ou 15 ans, ils n'écouteront plus lorsqu'on leur dira de lâcher le téléphone cellulaire ou l'ordinateur.

M. Janssen : Il est certainement plus facile de commencer tôt que de réparer le tort qui a été fait. Comme pour tout le reste, il est plus facile de maintenir des habitudes saines acquises dès le jeune âge que de s'améliorer lorsqu'on a pris des habitudes malsaines.

Dr Warshawski : Je pense qu'il faut établir les règles pendant que c'est possible. Les futurs parents qui suivent des cours prénataux sont très réceptifs aux idées concernant la façon d'enseigner à leurs enfants qu'il faut limiter le temps passé devant un écran et la consommation de malbouffe. Les enfants de 5 ou 6 ans croient tout ce qu'on leur dit, alors, sans leur mentir, évidemment, on peut les endoctriner à cet âge.

Malheureusement, ce qui préoccupe le plus les adolescents, c'est leur teint de peau et leur poids, donc leur charme. Comment nous y prendre pour leur présenter de saines habitudes et trouver une formule qui fonctionnera pour eux? Essayons de sortir du discours ennuyeux des médecins et de trouver quelque chose qui fonctionnera à tous les âges.

Le sénateur Eggleton : Il se peut qu'il soit plus facile pour vous de répondre à ma question par écrit, mais je serais heureux d'obtenir une réponse rapide si possible.

Pour en revenir au gouvernement fédéral et aux choses à l'égard desquelles nous pourrions adopter des dispositions législatives, le Dr Warshawski a mentionné trois choses. Premièrement, vous avez parlé de la publicité à la télé; deuxièmement, d'un système d'étiquetage simplifié — un feu rouge, un feu vert et des choses de ce genre —; et troisièmement, de l'imposition de taxes. Y a-t-il de bons exemples de ces choses ailleurs dans le monde?

Dr Warshawski : Oui, il y en a plein, en fait. Pour ce qui est de limiter la promotion d'aliments et de boissons auprès de jeunes, nous avons tenu un webinaire il y a quelques semaines — je pourrais vous faire parvenir le lien, et vous pourriez regarder le webinaire sur notre site web — sur les pratiques exemplaires internationales. Les pays dont il a été question sont le Royaume-Uni, la Finlande, le Mexique, la Corée du Sud et le Québec en tant que société distincte. Dans tous ces pays, il y a des variations en ce qui a trait à la façon dont on limite la promotion d'aliments et de boissons auprès des enfants. Il y a plein d'exemples.

Pour ce qui est de la taxe sur les boissons sucrées, le Mexique vient d'adopter une loi, la France en a une, et la Hongrie également, donc c'est quelque chose qui existe dans divers pays, et j'espère que Berkeley et San Francisco auront aussi un règlement là-dessus bientôt.

Pour ce qui est de l'étiquetage, je pense qu'un exemple de système efficace d'étiquetage des aliments, c'est celui qui a été mis en place en Angleterre, et il y a des groupes privés aux États-Unis qui étiquettent les aliments, dont une chaîne de supermarchés que je ne connais pas, mais je peux retrouver l'information ou la transmettre.

Le sénateur Eggleton : Oui, pouvez-vous assembler l'information et la transmettre à la greffière?

Dr Warshawski : Oui.

M. Janssen : J'ai même vu que, en Australie, on présente l'équivalent en exercice des calories qu'un produit contient. On dit par exemple que les calories que contient un aliment correspondent à une marche de 30 minutes ou d'une heure.

Le sénateur Eggleton : Faites-nous parvenir tous ces liens ou toutes ces données, s'il vous plaît. Ce serait très apprécié. Merci.

Le président : Nous avons eu droit à un survol assez complet, pour notre première séance sur le sujet. Je voulais poser deux ou trois questions précises, dont une pour obtenir un éclaircissement. Monsieur Janssen, je ne suis pas tout à fait sûr d'avoir bien compris, mais voici ce que j'ai cru vous entendre dire, quoique j'ai pu comprendre le contraire : il vaut mieux perdre du poids et le reprendre que de ne pas le perdre du tout. Je suis sûr que vous avez dit le contraire.

M. Janssen : Je pense que j'ai dit le contraire. Je m'excuse. Lorsque le poids monte et descend comme un yo-yo, selon l'expression que nous utilisons, c'est vraiment pénible.

Le président : C'est ce que je pensais. Je vous aurais demandé une explication si ce que j'avais compris était la bonne chose, parce que tout ce que j'ai lu me porte à croire que c'est la pire chose à faire.

Effectivement, par rapport à ce que le Dr Warshawski a dit là-dessus, selon les données que j'ai vues, le corps a une espèce de mémoire du poids, et lorsque le poids diminue et que le corps veut le faire remonter vers un poids sain, il a tendance à le faire remonter plus haut que le poids initial.

Dr Warshawski : Je ne suis pas expert de l'aspect physiologique de la chose, mais j'ai lu dans le Lancet, il y a quelques années, une série d'articles sur l'obésité qui portaient sur la façon dont le corps s'adapte sur le plan du métabolisme de base. Une personne qui a un surplus de poids de 30 kilos peut facilement perdre les 10 premiers kilos, puis les 10 kilos suivants sont plus difficiles à perdre, et les 10 derniers prennent deux fois plus de temps que les 10 premiers à perdre, parce que le métabolisme change. Le corps cherche à tout prix à conserver ses calories, ce qui fait que, pour un même apport en calories, la personne va en stocker davantage dans ses tissus adipeux.

Je voudrais par contre nuancer ce que nous avons dit au sujet de l'effet yo-yo. Vous connaissez probablement les études qui ont été publiées sur la question, mais, l'an dernier, dans le New England Journal of Medicine, il y avait un article sur les mythes liés à l'obésité, et les données concernant l'effet yo-yo étaient remises en question. Je vais me contenter de dire que je ne connais pas la réponse à cette question, mais j'ajouterais que si les gens qui écrivent dans le New England Journal of Medicine ne la connaissent pas et que je ne la connais pas moi non plus, je ne sais pas si quelqu'un connaît la vraie réponse à cette question.

Je dirais qu'il est préférable d'essayer de perdre un peu de poids. Il est préférable d'adopter des habitudes saines, d'être actif physiquement et de bien s'alimenter. Si vous faites de l'activité physique pendant 20 minutes par jour, sans être idéal, cela va vous mettre sur la bonne voie. Mangez plus de fruits et de légumes, ce qui va éliminer la malbouffe de votre régime alimentaire. Buvez de l'eau, ce qui va probablement vous faire perdre un peu de poids.

Pour les personnes qui souffrent de diabète de type 2, le fait de perdre 15 p. 100 seulement de leur masse corporelle a une incidence énorme sur leur espérance de vie, alors il vaut mieux perdre un peu de poids que pas du tout. C'est une question de mode de vie.

Le président : Là-dessus, je vais revenir sur la question de l'activité, dont je suis convaincu, maintenant que je suis très vieux et que j'ai pu observer beaucoup de choses, qu'elle est une chose extrêmement importante, pour les gens en général, mais surtout pour les enfants. Mon point de vue subjectif, c'est que le système scolaire a supprimé le désir de faire de l'activité physique du comportement général des élèves en appliquant l'idée qu'il faut que l'école soit un milieu très sûr. Beaucoup d'écoles interdisent même aux élèves de jouer avec un ballon de soccer ou de faire toute activité qui peut devenir très intense par moment, c'est-à-dire les activités qui, au départ, visaient les jeunes garçons très actifs et très agressifs et leur permettaient évidemment, lorsque j'étais petit, de brûler des calories et de devenir très actifs. En outre, cela créait une attitude axée sur l'activité dans la vie en général. L'école leur interdit de se livrer à ces activités à un âge où les enfants sont extrêmement perméables à l'influence des gens qui ont une autorité sur eux.

Si l'idée d'être très actif, d'être très occupé et de faire des sports où on se fonce dedans, et ainsi de suite; si ces choses sont considérées comme étant malsaines ou mauvaises — elles sont surtout considérées comme étant mauvaises parce qu'on juge que ce sont des activités néfastes dans l'environnement —, cela pourrait avoir des répercussions très importantes à long terme sur la façon dont les enfants envisageront plus tard l'idée de l'activité aléatoire qui, comme vous l'avez dit tous les deux, a tendance à brûler plus de calories que les sports organisés pour une même période d'activité.

Avez-vous un bref commentaire à faire?

M. Janssen : Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit. En Ontario, l'activité physique se fait pendant les heures de classe. Il y a ce qu'on appelle l'« activité physique quotidienne », et je pense que cela existe aussi en Colombie-Britannique et en Alberta maintenant; c'est-à-dire que les enfants doivent faire chaque jour 20 minutes d'activité d'intensité modérée à élevée. Nous ne sommes pas sûrs qu'ils le font. Le taux de conformité est probablement assez faible, mais nous n'avons pas de données plus précises.

Le vrai problème que nous voyons, c'est la diminution du temps de récréation. En Ontario, il y a ce qu'on appelle « la journée équilibrée », et les enfants ont une pause de 40 minutes durant la matinée et une autre pause de 40 minutes durant l'après-midi, et, là-dessus, il y a 20 minutes qui sont consacrées à l'alimentation et 20 minutes que les enfants passent dehors. Ils sont donc dehors pendant 40 minutes par jour, et ils sont surveillés de près et doivent respecter toutes sortes de règles pendant ce temps-là, beaucoup plus que lorsque nous étions petits, j'en suis convaincu.

Je pense qu'on ne permet pas aux garçons en particulier d'apprendre à prendre des risques, à gérer le risque, et il y a toute une série d'études là-dessus qui montrent que, si on n'apprend pas à prendre des risques raisonnables à un jeune âge, on ne saura pas comment gérer le risque à l'adolescence ni à l'âge adulte lorsqu'on se retrouve dans une situation où il y a un danger important.

Il y a des exemples de jeunes qui, à l'âge de 14 ans, ne sont pas capables de traverser d'intersections où la circulation est assez forte. Deux ans plus tard, ils vont les traverser en voiture. Il faut que les enfants soient exposés à un risque raisonnable qu'ils sont capables de gérer compte tenu de leur âge, ce qui favorisera leur développement à long terme.

Dr Warshawski : Une chose qu'il faut dire, c'est que tout le monde s'attend à ce que ce soit les écoles qui trouvent la solution. Il faut faire ceci et cela à l'école. Nous avons beaucoup collaboré avec les écoles, et les gens qui y travaillent deviennent vraiment fâchés maintenant, parce qu'ils doivent enseigner aux élèves à lire, à écrire et à compter, en plus de leur enseigner la morale, la nutrition et tout le reste. Les écoles font ce qu'elles peuvent. Elles ne reçoivent pas assez de financement, il faut que les gouvernements provinciaux, qui sont responsables de l'éducation, fassent une priorité du financement des écoles pour qu'elles offrent des périodes d'activité physique de qualité qui soient dirigées par des professeurs d'éducation physique qualifiés, de sorte que, lorsque les élèvent passent 30 minutes à faire de l'activité physique, ils fassent vraiment de l'exercice. Voilà la première chose.

Une autre chose en ce qui concerne les écoles, c'est que le système d'éducation est divisé en deux pour ce qui est de l'activité physique. Presque toutes les écoles privées obligent leurs élèves à faire de l'activité physique chaque jour. Elles reconnaissent l'existence d'un lien entre l'apprentissage et l'activité physique. Au Canada, nous sommes fiers de notre système de santé, à juste titre, et nous le défendons, notamment parce qu'il est universel, mais nous devons composer avec un système d'éducation divisé en deux dans lequel les écoles privées font tout ce qu'elles peuvent pour aider leurs élèves à réussir, notamment en leur faisant faire de l'activité physique tous les jours, et où les écoles publiques sacrifient l'activité physique, parce que nous n'estimons pas qu'elle contribue à la réussite scolaire.

En Colombie-Britannique, il y a quelques années, Christy Clark, qui est maintenant première ministre de la province, a essayé d'instaurer l'activité physique obligatoire dans les écoles secondaires. Les parents se sont rebellés, pensant que leurs enfants réussiraient moins bien à l'école. Il y a un manque d'intégration et de reconnaissance du fait que ce n'est pas une question de perte de poids ou de maintien du poids. Les élèves qui font de l'activité physique ont les idées plus claires et apprennent mieux. Il faut que nous enseignions cela.

Le président : Quand j'étais petit, on jouait dans la cour, et ça ne coûtait rien. L'activité physique organisée coûte cher. Les effets bénéfiques et le degré d'organisation sont inversement proportionnels.

En plus des considérations générales qui sont importantes pour nous et que le sénateur Eggleton a résumées, une observation importante qui a été formulée, c'est que nous devons comprendre que tout le monde n'a pas le même corps ni les mêmes gènes, mais que nous pouvons examiner la société dans son ensemble et réfléchir à ces questions dans un contexte élargi.

Étant donné mon expérience et le fait que j'ai été chimiste, je ne toucherais jamais à un succédané du sucre. Je préférerais de loin m'habituer à ne pas sucrer mon café ou mon thé que d'avoir à utiliser un succédané quelconque. Je connais la structure de ces produits, dont je ne mentionnerai le nom d'aucun en particulier, car on me surveille d'en haut. Je ne veux pas passer le reste de ma carrière devant les tribunaux.

Le meilleur indicateur de la complexité de la question qui nous a été soumise, c'est peut-être votre diapositive, monsieur Janssen. Je pense qu'elle permet de voir en un coup d'œil le labyrinthe que nous devons traverser et le travail que nous devons faire pour isoler certains éléments et ensuite rétablir les liens entre certaines choses que vous avez cernées pour essayer de trouver une solution au problème.

Là-dessus, au nom du comité, je vous remercie d'être venus.

(La séance est levée.)


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