Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 26 - Témoignages du 4 février 2015
OTTAWA, le mercredi 4 février 2015
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour examiner, afin d'en faire rapport, l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je suis Kevin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse, président du comité. J'invite mes collègues à se présenter, à partir de ma gauche.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, sénateur de Toronto et vice-président du comité.
La sénatrice Merchant : Bonjour. Je suis Pana Merchant, sénatrice de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Chaput : Maria Chaput, du Manitoba.
[Traduction]
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Nancy Ruth : Nancy Ruth, de Toronto.
Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.
La sénatrice Stewart Olsen : Caroline Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal.
Le président : Chers collègues, merci beaucoup. Rappelons-nous que nous poursuivons l'examen, pour en faire rapport, de l'incidence croissante de l'obésité au Canada — je répète, l'incidence croissante de l'obésité au Canada — ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir.
Aujourd'hui, nous accueillons deux témoins, l'un par téléconférence, l'autre en personne, ici même. Comme il a été convenu, j'invite le Dr William Flanders à nous livrer le premier son exposé. Il est professeur au Département d'épidémiologie de la Rollins School of Public Health, de l'Université Emory.
Docteur Flanders, nous vous écoutons.
Dr William Flanders, professeur, Département d'épidémiologie, Rollins School of Public Health, Université Emory, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à vous faire connaître certaines de mes opinions sur l'obésité.
Mes observations porteront sur le phénomène appelé le « paradoxe de l'obésité » autrement et plus clairement dit les effets de l'obésité sur la mortalité des personnes ayant une maladie préexistante. C'est de ce sous-groupe que je parle et non des effets globaux.
J'ai fait distribuer des documents. Si vous allez à la deuxième page, il y a un petit chiffre dans le coin inférieur droit. Il s'agit d'extraits d'un article publié en 2012 dans le New York Times, qui résume très bien la question.
Le titre est « Le 'paradoxe de l'obésité' : plus mince peut signifier plus malade », par Harriet Brown. Le premier extrait dit que :
Les patients diabétiques de poids normal sont deux fois plus susceptibles de mourir que ceux qui sont en surpoids ou obèses. Cette constatation fait du diabète le plus récent exemple d'un phénomène médical qui confond les scientifiques et qu'ils appellent le paradoxe de l'obésité.
C'est pour en parler que je suis ici.
Jusqu'à présent, les scientifiques ont fait état de ces constatations chez des patients atteints d'insuffisance cardiaque, de maladies cardiovasculaires, de maladies rénales, d'hypertension et, maintenant, de diabète.
À la page suivante, la page 3, c'est un autre exemple, dans MedPage Today, d'un article publié dans la presse généraliste qui souligne cette idée nouvelle et l'idée que, peut-être, les kilos en plus sont salutaires.
À la page 4, on a reproduit l'article dont se sont inspirés les deux articles de la presse généraliste. Il a été publié dans le Journal of the American Medical Association, par Carnethon et al., qui concluent que les adultes dont le poids était normal au moment d'un diabète indicent avaient un taux de mortalité supérieur à celui des adultes en surpoids ou obèses — ce qui, encore une fois, va à l'encontre de la corrélation attendue.
À la page 5, on voit deux courbes de survie. Voyons particulièrement le graphique supérieur. L'axe horizontal dénote le temps écoulé depuis le diagnostic du diabète; l'axe vertical, la survie. Les deux courbes sont descendantes. La courbe supérieure représente la survie des patients en surpoids au moment du diagnostic; la courbe inférieure, la survie des patients de poids normal. On peut constater que les patients en surpoids survivent mieux; la courbe qui leur correspond passe par des valeurs supérieures. Encore une fois, la survie est meilleure et la mortalité moindre dans le sous-groupe des patients diabétiques obèses.
À la page 6, j'énumère des exemples du paradoxe de l'obésité, par lequel, encore une fois, il semble que les personnes obèses souffrant de certaines de ces maladies tendent à vivre plus longtemps que celles de poids normal ayant la même maladie.
La question, donc qui a guidé ma recherche à l'Université Emory, est la suivante : sur quoi repose ce phénomène par lequel un facteur que nous croyons nocif, l'obésité, tend à être associé à un pronostic optimiste et à une mortalité plus faible?
La page 7 expose les trois liens importants, sous-jacents à ce phénomène. L'opinion générale est que l'obésité est l'une des causes de l'insuffisance rénale chronique au stade ultime, l'IRSU. Que, aussi, l'obésité cause une mort prématurée. Mais on observe le plus souvent, pas toujours mais typiquement, que, chez les personnes obèses souffrant d'IRSU, la mortalité est inférieure à celle des personnes de poids normal. La corrélation est donc inversée.
Pour trouver les causes de cette inversion, on trouve, à la page 8 un graphe causal ou graphe acyclique orienté. « IRSU » y signifie insuffisance rénale chronique au stade ultime. On y trouve aussi l'obésité et le décès, puis ce U, par lequel j'ai voulu représenter un facteur non mesuré. Dans le graphe, la flèche pointe de la cause vers l'effet. Vous voyez que l'obésité cause l'IRSU, comme la plupart des gens en conviendront. Une flèche part d'obésité pour atteindre décès, parce que l'obésité est reconnue comme une cause de mortalité. Ensuite, il y a ce U, ce facteur non mesuré : nous supposons l'existence de facteurs non mesurés, parce que nous ne pouvons pas tout mesurer. Ce facteur est une cause de l'IRSU et une cause de mortalité. Le biais intervient parce que lorsque nous choisissons des sujets qui souffrent d'IRSU, il tend à modifier le rapport qui existe entre l'obésité et la mortalité en présence d'un facteur non mesuré.
À la page 9, on lit le titre d'un article que je viens de publier ou qui vient d'être accepté pour publication. Il a été publié sous forme électronique mais pas encore sur papier. L'article entre dans beaucoup de détails pour expliquer le phénomène que je viens d'essayer de vous expliquer, et le temps me manque pour entrer dans les détails. Avec beaucoup plus de détails, il explique comment le « biais de collision », qui est bien connu, s'applique dans cette situation où nous choisissons des sujets souffrant de maladies chroniques comme le diabète ou l'IRSU.
J'arrive à mes conclusions et je serai heureux de répondre à vos questions à ce sujet, parce que je suis allé très vite. L'inversion de corrélation que montrent ces exemples du paradoxe de l'obésité chez les personnes souffrant de maladies comme l'IRSU s'explique, en partie du moins, par ce biais de collision. Mes simulations, que je ne vous ai pas montrées, donnent à penser que le biais peut suffire pour faire paraître bénéfique un effet effectivement nocif de l'obésité.
Il est difficile de mesurer exactement ce biais, mais, personnellement, je conclus que l'effet apparemment bénéfique de l'obésité chez les personnes souffrant d'une maladie préexistante comme l'insuffisance rénale chronique au stade ultime, l'infarctus du myocarde, le diabète est probablement dû à ce biais principalement.
Voilà qui conclut mon exposé.
Le président : Merci beaucoup. Je demande maintenant à Mme Adamo de faire son exposé.
Kristi Adamo, chercheuse, Institut de recherche sur les saines habitudes de vie et l'obésité, Institut de recherche du CHEO : Merci beaucoup pour l'occasion que vous m'offrez de livrer mon témoignage. Je parlerai un peu de grossesse. Je vous invite à me suivre sur la reproduction des diapos que vous avez entre les mains.
Comme tout le monde, nous savons que l'obésité est une situation complexe et multifactorielle. La grossesse et la période de développement intra-utérin sont sans doute les périodes les plus critiques pour la maîtrise du poids et les efforts de prévention. Elle est critique pour le bébé à naître, parce que les neuf mois passés dans l'utérus constituent la période la plus spectaculaire de croissance et de développement de toute une vie. Pour la mère, c'est une période critique de maîtrise de son poids qui, souvent, est le début d'une lutte pour le reste de sa vie contre le surpoids.
Si vous allez à la diapo 4, « Votre inscription tombale résume votre vie dans l'utérus » fait un titre très dramatique. C'est une allusion aux travaux féconds de feu sir David Barker, dont les idées sur l'influence de la période de développement sur la santé et la maladie ont suscité l'intérêt dans le champ d'études portant sur cette période. Essentiellement, cela signifie que l'ambiance, l'environnement intra-utérin, s'est révélée avoir un effet sur le risque de maladie. Ces expositions peuvent avoir un effet graduel et subtil. Elles ne perturbent pas nécessairement le développement typique, mais elles influent sur la sensibilité à la maladie et la vitesse à laquelle on peut, plus tard, contracter une maladie.
La diapo 5 montre que cette notion a été remarquée par la presse grand public. Voyez la page couverture du magazine Time, quelque part en 2010. Beaucoup de chercheurs du domaine affirment que l'utérus peut être encore plus important que le foyer familial.
Comme il est dit dans les diapos que vous avez sous les yeux, deux facteurs maternels importants sont incriminés pour le risque d'obésité plus tard dans la vie : l'indice élevé de masse corporelle (IMC) au début de la grossesse et le gain excessif de poids pendant la grossesse.
Je vais insister sur le deuxième, le gain de poids excessif pendant la grossesse. C'est que nous savons que plus de la moitié des femmes ont des grossesses non planifiées. Il est donc difficile d'intervenir sur l'IMC avant la grossesse. Cependant, on peut agir sur le gain de poids pendant la grossesse. Quand la femme devient enceinte, il est trop tard pour le premier, mais certainement pas pour l'évolution ultérieure du poids.
La diapo qui présente un tableau peut amener à se demander qu'est-ce qui constitue un gain excessif de poids pendant la grossesse. Les nombres-guides du tableau ont été élaborés par l'Institute of Medicine en 2009, en raison de l'épidémie d'obésité. Fondés sur les faits, ils tiennent compte à la fois de l'issue de la grossesse pour les mères et pour le fœtus et ils essaient de concilier le risque de gain élevé et faible de poids et le risque pour la mère et l'enfant. D'après le tableau, la fourchette des gains acceptables de poids est plus ou moins large selon le poids de départ. Elle l'est le plus pour les femmes dont l'IMC est faible, à qui on conseille un gain plus important de poids pendant la grossesse. Pour les femmes en surpoids ou obèses, la fourchette est sensiblement plus étroite, parce que le risque de commencer la grossesse en surpoids et de ne pas respecter le nombre-guide aggrave le risque.
Pourquoi est-ce important, demanderez-vous? En fait, 60 p. 100 des Canadiennes excèdent les nombres-guides, ce qui les expose trois fois plus à des problèmes reliés à la grossesse pendant l'accouchement, parmi lesquels l'obésité ultérieure et l'obésité chez l'enfant. Parmi les autres problèmes, mentionnons les avortements spontanés, la mortinatalité, le diabète gestationnel, la prééclampsie et un taux plus élevé de césariennes; les causes d'inquiétude sont tellement nombreuses. Le gigantisme du fœtus, c'est-à-dire un bébé très gros, de plus de 4 000 grammes, dont l'accouchement est difficile, a des conséquences à long terme sur la santé cardiométabolique, comme le diabète et l'hypertension.
Nous voici arrivés à ma série préférée de diapos, qui portent sur le cycle intergénérationnel de l'obésité. Allons directement à la diapo pourvue de toutes les flèches. Un gain de poids excessif par rapport aux nombres-guides de l'Institute of Medicine, peu importe le poids de départ, que la femme soit mince ou en surpoids ou obèse, permet de prévoir l'accouchement d'un gros bébé. On pense que cela est dû à un milieu de croissance intra-utérin anormal. Les bébés qui naissent gros, relativement à l'âge gestationnel, sont plus susceptibles de suivre ce parcours de croissance, parce que l'obésité persiste. Ils deviennent des enfants et des adolescents obèses. Le bébé de sexe féminin perpétuera le cycle, quand elle sera en âge de procréer. Si elle entreprend la grossesse en surpoids, elle risque d'excéder les nombres- guides, ce qui accroît simplement le risque.
Parallèlement, la femme qui a excédé les nombres-guides et qui conserve son gain de poids après sa grossesse est plus susceptible d'entreprendre une deuxième grossesse en étant plus grosse que pour la première. Cela aussi perpétue le cycle de l'obésité. C'est un phénomène auquel mon équipe de recherche s'intéresse beaucoup.
Nous savons que les gains excessifs de poids augmentent de 30 à 40 p. 100 le risque d'obésité, chez l'enfant, un taux stupéfiant. Nous savons aussi que les problèmes de poids ont une influence plus grande que le tabagisme, en tant que facteur de risque relié au mode vie, sur le nombre le plus élevé d'issues défavorables de la grossesse. Nous avons assez bien réussi à incriminer le tabagisme et la consommation d'alcool pendant la grossesse, mais nous avons négligé le gain excessif de poids.
Pourquoi nous intéressons-nous au gain de poids pendant la grossesse? C'est la mesure réaliste à adopter, puisque nous ne pouvons pas revenir en arrière quand la femme devient enceinte, pour nous attaquer à son poids d'avant la grossesse. C'est très fréquent : 60 p. 100 des femmes qui excèdent les nombres-guides perpétuent le cycle intergénérationnel de l'obésité. Le gain de poids pendant la grossesse concerne toutes les femmes, et elles doivent toutes s'en préoccuper. Il s'agit d'une période précise dans la vie de la femme pendant laquelle nous pouvons modifier son comportement, parce qu'elle est disposée, pendant cette période critique de sa vie, à modifier ses habitudes pour la santé de son enfant. Que pouvons-nous faire?
De nombreux faits donnent à penser que la femme peut réduire son gain de poids pendant la grossesse si elle adopte un mode de vie prénatal sain. Ce changement pourrait toucher son régime alimentaire, son activité physique, son sommeil, sa sédentarité ou certaines barrières psychosociales qui l'empêchent d'adopter un mode de vie sain. Les interventions en ce sens faites en personne sont coûteuses et ne peuvent atteindre qu'un faible pourcentage de la population. On ne peut donc pas l'étendre à la totalité du paysage actuel des soins de santé au Canada. Il faut un changement de cap original.
Allons à la diapo montrant un téléphone dit intelligent. Nous avons appris, par nos interactions avec elle, que ses fournisseurs de soins de santé ne répondent pas aux besoins de la femme d'aujourd'hui. Elle réclame de l'information en temps réel, au moment qui lui convient, en fonction de son horaire. Finis les rendez-vous à la course partout en ville. Elle veut être renseignée là où elle se trouve. Je dirige un groupe, le réseau canadien de recherche des mères intelligentes, constitué de professionnelles de la santé, de scientifiques et de femmes influentes de partout au Canada. Nous avons réuni nos compétences collectives et décidé que nous devions miser sur les technologies nouvelles pour nous attaquer à ce problème prénatal.
C'est l'orientation prise par beaucoup d'interventions en soins de santé, parce qu'elle permet de rejoindre beaucoup de monde à un coût raisonnable. Nous savons aussi que 99 p. 100 du Canada est raccordé à des réseaux locaux sans fil et que 90 p. 100 des Canadiens possèdent des téléphones mobiles, dits, pour la plupart, intelligents. Voilà l'un des rares domaines épargnés par les divisions socioéconomiques. Les pauvres comme les riches possèdent de ces téléphones. Cela permet d'atteindre un vaste auditoire. Les technologies mobiles qui ciblent la période prénatale offrent beaucoup de possibilités d'intervention.
Une dernière observation, très rapidement. Vous verrez que l'avant-dernière diapo donne un aperçu des diverses utilisations de la technologie mobile pour cibler la prénatalité, tout en permettant la communication bidirectionnelle de renseignements à la mère. Cela permettra d'éviter des obstacles qui, d'après les mères, les arrêtent quand elles n'obtiennent pas ce dont elles ont besoin de leurs fournisseurs de soins prénataux. Nous croyons que cette solution offrira une façon rentable de cibler les femmes. Nous attendons que l'Agence de santé publique du Canada autorise un projet auquel elle a donné son accord de principe. Nous attendons depuis un an. Il serait bon de l'évaluer convenablement avant de l'étendre au réseau de santé.
Je vous remercie de me donner l'occasion de parler de la période prénatale, plus précisément des mères et de leur santé. L'Organisation mondiale de la santé a commandé quelque chose de similaire pour mettre fin à l'obésité infantile. Elle a un groupe de travail qui cible uniquement la période prénatale. Tous les organismes de santé du monde en sont saisis. Nous devrions tous déployer des efforts à cet égard.
Le président : Je vais céder la parole aux membres du comité pour qu'ils puissent poser leurs questions, mais j'aimerais tout d'abord que le Dr Flanders précise quelque chose sur un élément de ses diapositives — l'exemple obésité-IRSU, le lien entre les deux. Au premier point, vous dites qu'il est accepté que l'obésité cause l'insuffisance rénale chronique au stade ultime. La proportion de gens qui souffrent d'IRSU est-elle plus grande chez les personnes obèses que chez les personnes non obèses? Le nombre de cas est-il plus élevé chez les personnes obèses?
Dr Flanders : Oui. Cette constatation est fondée sur un mélange ou une synthèse des renseignements disponibles. Bon nombre d'études montrent que les personnes obèses risquent davantage de souffrir d'IRSU. La plupart des gens reconnaissent que c'est une cause. Il n'est pas question d'une seule étude, et il ne s'agit pas seulement de la prévalence. On parle vraiment du risque — le risque que ces gens finissent par en souffrir au cours de leur vie. Le taux est plus élevé chez les obèses que chez les non-obèses. C'est admis.
Le président : Y a-t-il un facteur à cet égard? Parle-t-on de 30 p. 100 de plus ou avez-vous des données?
Dr Flanders : J'hésite un peu à lancer une donnée. J'imagine que c'est entre 40 et 50 p. 100, mais c'est une approximation.
Le président : Si je vous pose la question, c'est pour comprendre le lien avec votre troisième point, c'est-à-dire que le taux de mortalité chez les gens obèses est plus faible s'ils sont atteints de la maladie. Je voulais seulement mettre les choses en perspective. Merci beaucoup.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Flanders, compte tenu de vos remarques, j'ai besoin de comprendre en quoi l'obésité constitue un problème exactement. Selon l'article du New York Times, les patients diabétiques qui ont un poids normal sont deux fois plus susceptibles de mourir que ceux qui font de l'embonpoint ou qui sont obèses, et vous l'expliquez, et vous venez de fournir des précisions au président à ce sujet. En quoi l'obésité est-elle un problème dans notre société à votre avis?
Dr Flanders : Eh bien, pendant mon exposé, j'ai essayé de dire que mes observations portaient précisément sur le sous-groupe de la population qui est déjà atteint d'une maladie. C'est le sous-groupe de gens qui souffrent d'insuffisance rénale chronique au stade ultime ou un sous-groupe de gens souffrant d'insuffisance cardiaque chronique. Il s'agit d'un sous-groupe très spécial. Ce sont des gens malades.
Pourquoi je pense que l'obésité constitue un problème? Je crois que les études qui font l'association inverse pour les sous-groupes spéciaux sont faussées. Je ne crois pas que l'obésité protège ces gens. Je crois que c'est l'indication claire d'un meilleur pronostic, mais je ne crois pas que cela les protège. Le taux de mortalité ne baisse pas pour autant; il ne s'agit que d'une simple association. Si je le crois, c'est en raison des facteurs non mesurés. Nous ne pouvons pas évaluer tous les facteurs concernant la mortalité. C'est tout simplement impossible. Je crois que chaque étude comprend des éléments qui ne sont pas mesurés. Nous ne savons pas pourquoi tout le monde meurt et quelles en sont les causes. Nous pouvons ranger cela dans la catégorie des cancers, par exemple, mais nous ne pouvons pas classer le facteur environnemental ou le facteur alimentaire pour chaque personne. Il y a des facteurs non mesurés, et ce sont ces facteurs qu'on associe à l'obésité lorsque nous sélectionnons des personnes atteintes d'une maladie. C'est le mécanisme qui est à l'origine du biais
C'est difficile à expliquer, mais c'est un phénomène statistique lorsqu'on sélectionne un sous-groupe comme les gens qui souffrent d'insuffisance rénale chronique au stade ultime. Si vous regardez l'image 8 du document, l'IRSU est causée par deux facteurs. Il y a un petit nombre au coin droit en bas de chaque page.
Le sénateur Eggleton : Je ne suis pas certain que nous l'avons. Je ne vois pas cela dans le document que j'ai reçu. Quel est le titre de la page?
Dr Flanders : Le titre est en haut à gauche : « insuffisance rénale chronique au stade ultime ». Il y a des flèches qui marquent le lien entre la cause et l'effet. C'est un phénomène statistique : lorsqu'on sélectionne des gens qui ont une maladie qui est causée par deux autres facteurs, on aura tendance à associer ces deux autres facteurs dans le sous- groupe sélectionné. Si nous sélectionnons des gens souffrant d'IRSU qui sont représentés dans l'image, on aura tendance à faire une association entre l'obésité et les facteurs non mesurés dans le groupe sélectionné, et ce biais, c'est la conséquence de l'obésité ou le lien avec le décès. Je sais que c'est compliqué, mais voilà pourquoi c'est demeuré un mystère aussi longtemps. Je crois que ce n'est plus un mystère maintenant.
Le sénateur Eggleton : Merci.
Dr Flanders : Ou on ne devrait plus le considérer comme tel.
Le sénateur Eggleton : Permettez-moi de poser des questions à Mme Adamo. Vous parliez de votre projet Smart Moms, d'utiliser la technologie mobile. Votre projet a-t-il été mis en place?
Mme Adamo : Nous attendons de recevoir des fonds
Le sénateur Eggleton : D'où proviendront-ils?
Mme Adamo : De l'Agence de la santé publique du Canada.
Le sénateur Eggleton : C'est une demande très directe et précise.
Mme Adamo : Nous avons reçu une lettre de la part de l'agence en décembre 2013 dans laquelle elle nous disait essentiellement qu'elle approuvait notre projet en principe, mais nous attendons toujours. De toute façon, nous cherchons d'autres fonds ailleurs pour pouvoir aller de l'avant. Pour ces technologies, lorsque des portes s'ouvrent, elles peuvent se refermer très rapidement, et il faut donc agir vite.
Le président : Peut-être que la longue période de gestation fera en sorte que vous recevrez des fonds plus importants.
Mme Adamo : Peut-être que si nous attendons, la situation empirera; c'est cela que vous dites.
Le sénateur Eggleton : Vous croyez que c'est une solution clé. Vous soulignez que dans l'ensemble, les gens, quel que soit leur revenu — une question qui me préoccupe —, dont les gens à faible revenu, ont cette technologie. Qu'en est-il de la langue? Serez-vous en mesure d'offrir cela en différentes langues?
Mme Adamo : À l'heure actuelle, nous prévoyons l'offrir en français et en anglais, évidemment, au Canada, mais après que les essais auront été faits, et si nous constatons que les choses fonctionnent comme nous le voulons, ce sera facile d'en faire la traduction vers n'importe quelle langue, en fait. Nous collaborons avec nos collègues américains à cet égard, qui n'ont encore rien traduit en espagnol. Au Canada, ce sera nécessaire d'en faire la traduction étant donné qu'il y a deux langues officielles.
Le sénateur Eggleton : J'ai peut-être manqué une ou deux choses. J'étais tellement absorbé par les questions que j'allais poser à M. Flanders que j'ai peut-être manqué quelque chose. Est-ce que les mères qui ont un excédent de poids transféreront ce problème à leur bébé? S'agit-il plutôt d'un problème qui apparaît plus tard et qui est causé par les habitudes de vie?
Mme Adamo : Il y a deux volets. D'une part, si une femme souffre d'embonpoint ou d'obésité, le bébé se développe dans un environnement qui est probablement loin d'être idéal, car l'obésité est associée à l'inflammation, aux acides gras; c'est un environnement qui n'aide pas nécessairement le bébé. Oui, cela peut avoir des répercussions sur l'enfant.
D'autre part, nous devons être préoccupés par le fait qu'il ne s'agit pas seulement d'une question d'embonpoint ou d'obésité. Même une femme mince qui prend trop de poids durant sa grossesse impose cet environnement à l'enfant. Il ne s'agit pas seulement des femmes qui font de l'embonpoint ou qui sont obèses; nous devons être préoccupés par toutes les femmes qui dépassent les nombres-guides.
Le sénateur Eggleton : Je vois des articles assez récents qui traitent d'aliments pour bébés et bambins qui indiquent que les goûts se développent tôt et durent probablement toute une vie, ce qui explique les craintes concernant les aliments très salés et sucrés qui sont destinés aux enfants. Des recherches ont été faites au Canada et aux États-Unis sur cette question et elles montrent que les premiers stades suivant la naissance sont très importants. Pouvez-vous nous donner votre point de vue à ce sujet?
Mme Adamo : Je peux faire différentes observations à ce sujet. Je peux parler de l'environnement intra-utérin. Selon des données de modèle animal, pendant la grossesse, la neurobiologie d'une personne peut être reprogrammée; donc, essentiellement, la neurobiologie du fœtus peut être reprogrammée pour qu'il ait différents goûts. Le système cérébral peut changer en fonction de ce qu'il y a dans cet environnement, ce qui fait que dans la période post-partum, il peut préférer un certain type d'aliment. Cela n'a pas encore été prouvé chez l'humain, mais sur l'animal, oui.
De plus, il est vrai que ce qu'un bébé voit dans la période postnatale est aussi très important. Tout ne se produit pas dans l'environnement intra-utérin. Ce qui s'y produit a des répercussions, mais ce qui se passe après la naissance de l'enfant est aussi important, de même que la façon dont on le nourrit et tout ce à quoi on l'expose.
Le sénateur Eggleton : Que devrait faire le gouvernement selon vous? C'est peut-être quelque chose que l'on peut intégrer au programme Smart Moms également.
Mme Adamo : Dans le cadre du programme Smart Moms, nous voudrions entre autres faire des suggestions pour orienter les femmes sur les choix alimentaires qu'elles devraient faire. Cependant, durant la période post-partum, les femmes peuvent avoir de la difficulté à faire manger leur enfant, et souvent, elles le nourrissent avec ce qu'il veut bien manger pendant un certain temps uniquement pour qu'il mange, car les mamans en particulier craignent toujours que leur enfant ne mange pas suffisamment, ce qui peut se traduire par des comportements alimentaires qui ne conviennent pas, et ce n'est pas une mince tâche. C'est très difficile.
La sensibilisation, c'est important, mais comme vous le savez, avec les médias et compte tenu des multiples sources d'information qui existent, je crois qu'en général, les parents ne savent pas ce qu'il faut croire. Un jour, on nous dit que les régimes à haute teneur en glucides sont la solution, le lendemain, on nous dit que ce sont plutôt les régimes riches en protéines. Trop de sel; pas assez de sel. Je pense vraiment que les messages sont très déroutants pour les gens. S'ils n'ont pas les connaissances, cela peut être très difficile.
Que ce soit relié à Santé Canada ou non, il faut s'assurer que l'information inscrite sur l'étiquette est claire et que c'est évident pour les gens qu'il s'agit d'un aliment sain. Je présume que ce serait une bonne façon dont le gouvernement pourrait intervenir.
Le sénateur Eggleton : Merci.
La sénatrice Seidman : Docteur Flanders, il ne fait aucun doute que les questions méthodologiques que vous avez présentées sont intrigantes, mais je ne veux pas particulièrement parler des questions de biais de sélection ou de confusion. J'aimerais vous poser une question au sujet d'une étude à laquelle vous avez participé; vous êtes l'un des auteurs d'un article qui a été publié dans JAMA Internal Medicine, en 2013 : « Added Sugar Intake and Cardiovascular Diseases Mortality Among US Adults ». Concernant les résultats de l'étude, des données ont été recueillies durant certaines périodes entre 1998 et 2010, et ces périodes ont été comparées et on a examiné le pourcentage moyen ajusté des calories consommées quotidiennement provenant de sucre ajouté. Ce qui est intéressant, c'est que ce pourcentage était d'environ 15 à 18 p. 100 au cours de toute la période. Durant une partie de cette période, c'était environ 15 p. 100, et le pourcentage a augmenté un peu pour ensuite redescendre un peu. Les données n'ont pas énormément changé au cours de cette période relativement longue.
C'est intéressant. Je me demande si dans le cadre de cette étude, vous avez observé une relation dose-réponse entre la quantité de sucre ajouté consommée et le nombre de décès liés à une maladie cardiovasculaire, ou si cette étude a donné d'autres résultats intéressants qui nous aideraient à comprendre les causes de l'incidence croissance de l'obésité.
Dr Flanders : Merci. Je dois dire que je ne m'étais pas préparé à parler de cette question et que la dernière fois que j'ai examiné l'article, c'était probablement quelques mois avant sa publication étant donné qu'il y a une période d'attente. Il serait préférable que je ne dise rien à ce sujet, car vous l'avez devant vous, et puisque cela fait un certain temps qu'il a été publié, je ne me souviens pas du tout des détails. Je crois que je l'ai sur mon ordinateur, mais je ne l'ai pas avec moi présentement. Je m'en excuse.
J'étais prêt à discuter de l'autre sujet. Je sais qu'il y a beaucoup de questions qui intéressent probablement un plus large public, mais ce paradoxe de l'obésité est quelque chose qui est omis et qui est peut-être mal compris. Je m'en excuse.
La sénatrice Seidman : C'est très bien. Merci.
Puis-je poser des questions à Mme Adamo? Dans votre exposé, vous avez dit que le poids que les femmes prennent pendant la grossesse a beaucoup augmenté au cours des quatre dernières décennies dans le monde. Comment peut-on expliquer ce phénomène? Avez-vous constaté quelque chose, ou y a-t-il des recherches ou des études qui ont découvert quelque chose à cet égard?
Mme Adamo : Nos habitudes de vie ont changé au cours de ces 40 années et tout est maintenant automatisé et numérisé. À une certaine époque, les femmes enceintes faisaient encore beaucoup de tâches ménagères ou des activités qui ne sont pas considérées comme des programmes d'exercices comme tels, mais qui leur permettaient de demeurer actives. Depuis peu, non seulement l'épidémie d'obésité s'abat sur nous, mais parce que nos habitudes de vie ont changé aussi radicalement, on considère la grossesse comme l'occasion de manger ce qu'on veut.
De vieilles croyances continuent de se répandre : tu manges pour deux; c'est mauvais pour le bébé si tu fais de l'activité physique. Rien ne prouve qu'une femme ne peut pas être active durant sa grossesse, dans la mesure du raisonnable. Tout porte à croire qu'au contraire, une femme devrait être active durant sa grossesse. Sur le plan de l'alimentation, on ne mange pas pour deux. Durant la majeure partie de la grossesse, la femme nourrit un enfant qui a la taille d'un pois. Il n'atteint pas la taille d'un ballon de football avant le troisième trimestre. Elle n'a donc pas besoin de 1 000 calories supplémentaires durant les deux premiers trimestres. Elle ne doit augmenter la quantité d'aliments qu'elle consomme qu'au troisième trimestre, et ce, légèrement. On semble croire qu'on peut manger pour deux, et c'est particulièrement vrai de nos jours; nous avons accès à de la nourriture 24 heures sur 24, tous les jours. Nous ne fouillons plus pour trouver de la nourriture. Il y a des dépanneurs à tous les coins de rue. Nous avons un accès qui n'existait pas il y a 40 ans. Je ne suis pas en train de dire que c'est la seule raison, mais cela a contribué à la situation actuelle. Le milieu obésogène dans lequel nous vivons y a certainement contribué.
La sénatrice Seidman : C'est intéressant. Il y a peut-être des tendances quant aux conseils que reçoivent les femmes.
Mme Adamo : Oui, absolument.
La sénatrice Seidman : Je me souviens d'une période où les médecins conseillaient aux femmes de ne pas prendre plus de 30 livres, par exemple. Y a-t-il des recherches? S'est-on déjà penché sur l'évolution des conseils que donnent les médecins? J'examine ce que vous dites. Il y a eu une énorme augmentation au cours des quatre dernières décennies dans le monde. Nous sommes maintenant dans une situation où 60 p. 100 des femmes excèdent les nombres-guides.
Mme Adamo : Vous parlez des tendances qui se dessinent sur le plan des interactions avec les fournisseurs de soins de santé, et je trouve que celles-ci ont changé au fil du temps. Nous savons que les médecins sont censés en faire beaucoup. Ils ont très peu de temps pour voir les patients, et doivent s'attaquer aux problèmes pendant ce court laps de temps. La question du poids est donc souvent laissée de côté.
Le poids est un sujet très délicat, et ce ne sont pas toutes les femmes qui veulent en parler. Bien des professionnels de la santé ne sont pas à l'aise d'en discuter, ou n'ont pas l'impression d'avoir les compétences nécessaires pour dire aux femmes quoi faire. Le problème est donc double, car ils sont mal à l'aise et n'ont pas l'impression d'avoir suffisamment de connaissances pour formuler un message que les femmes pourront mettre en application.
Je pense que les choses changent. Je crois que nous commençons à renverser la vapeur. Je fais partie d'un groupe qui vient de concevoir une trousse à l'intention du personnel soignant en santé maternelle, et qui porte sur les cinq préceptes d'un gain de poids sain durant la grossesse. Nous avons réalisé le projet en collaboration avec le Réseau canadien en obésité. L'outil vise à orienter le personnel soignant pour qu'il puisse engager délicatement des conversations sur le poids avec leurs patientes. L'objectif est de les aider. Le problème a été largement ignoré. Nous devons faire quelque chose, mais en toute délicatesse.
La sénatrice Seidman : C'est utile. Vous faites partie de l'Institut de recherche sur les saines habitudes de vie et l'obésité. J'imagine que vous participez à l'élaboration de stratégies visant à réduire l'obésité chez les enfants. Avez- vous mis au point des stratégies et trouvé des façons d'évaluer si elles réussissent?
Mme Adamo : Je fais un grand travail d'intervention, ce qui prend du temps. Mon équipe intervient auprès des mères depuis cinq ans. Nous sommes passés à la technologie mobile parce que nous sommes conscients que les femmes enceintes vivent toutes sortes de choses. C'est une période exigeante, et toutes sortes de situations peuvent survenir. Il est très difficile de confiner les femmes et de leur imposer une intervention en personne. Elles doivent se rendre quelque part à un moment donné, et voir une personne à un endroit donné. Voilà qui peut être très gênant pour les femmes. Nous essayons donc d'intervenir auprès des femmes enceintes.
J'ai participé activement à des interventions en garderie. Nous avons choisi ce milieu parce que nous savons que les enfants y passent plus de huit ou neuf heures par jour. C'est un public captif et une excellente cible. Nous collaborons donc avec les pourvoyeurs de services de garderie et les formons pour qu'ils puissent offrir un programme sain favorisant l'activité physique et limitant les comportements sédentaires.
En fait, Santé publique Ottawa travaille maintenant avec nous à la conception d'un ensemble de politiques qui seront mises en œuvre dans les garderies. L'objectif n'est pas nécessairement de conjurer l'épidémie d'obésité, mais plutôt de créer un environnement dans lequel les enfants seront plus souvent actifs et apprendront des comportements qu'ils pourront reproduire à la maison et pendant le reste de leur vie aussi. Il s'agit donc au moins d'un mode de vie sain et actif, et pas nécessairement d'une stratégie de gestion de l'obésité. Mais nous savons que les comportements liés à la santé sont adoptés et enracinés tôt, de sorte que plus les enfants les apprennent tôt, plus ils ont de chances de conserver ces habitudes au fil des ans. Nous essayons donc d'intervenir auprès de certaines populations cibles.
D'autres membres du groupe travaillent auprès d'enfants d'âge scolaire et d'adolescents, mais puisque je suis la spécialiste de la petite enfance, c'est en quelque sorte ma première préoccupation.
La sénatrice Seidman : En fait, j'espérais apprendre si ces interventions et programmes sont surveillés et évalués pour savoir s'ils réussissent ou non.
Mme Adamo : Bien entendu. Ce que nous faisons, c'est de la recherche. Je réalise des essais cliniques qui, il va sans dire, sont examinés. Nous avons bel et bien des mesures et des résultats aussi.
La sénatrice Stewart Olsen : Docteur Flanders, j'aimerais vous poser une question sur votre étude. Avez-vous décelé une différence entre les hommes et les femmes? Vos résultats étaient-ils les mêmes?
Dr Flanders : Parlez-vous de l'étude sur laquelle porte le document?
La sénatrice Stewart Olsen : Oui.
Dr Flanders : Nous n'avons analysé aucune différence entre les hommes et les femmes puisque cela ne faisait pas partie de l'objectif que nous nous étions fixé.
La sénatrice Stewart Olsen : Votre étude portait-elle notamment sur l'apparition de la maladie? Vous avez étudié des patients qui souffraient déjà d'une affection. Chez vos patients, la maladie était-elle apparue environ au même moment, ou s'inscrivait-elle dans un continuum qui a peut-être produit des résultats différents?
Dr Flanders : C'est une bonne question. Je n'ai pas beaucoup décrit l'étude, et je devrais probablement le faire.
La sénatrice Stewart Olsen : Allez-y toutefois brièvement, s'il vous plaît.
Dr Flanders : Oui, je serai bref. Le plus important, c'est qu'il s'agissait en fait d'une étude statistique ou théorique qui visait à montrer comment les distorsions peuvent apparaître. Nous avons ensuite réalisé des simulations à partir de différents âges d'apparition de la maladie, par exemple. Nous avons bel et bien évalué différents moments d'apparition, mais il ne s'agissait pas de données réelles. Le modèle s'inspirait de données réelles, mais il ne s'agissait pas de cas réels. Je n'ai rencontré aucun patient en personne dans le cadre de l'étude.
Ce type d'étude comporte des avantages et des inconvénients. Lorsque nous recueillons les données, nous connaissons la vérité et savons ce qui est une distorsion ou non, alors que lorsque nous utilisons des données réelles, nous ne savons pas vraiment si une intervention nous rapproche de la vérité ou non, puisque nous ignorons la vérité.
Quoi qu'il en soit, l'objectif de l'article était de démontrer de quelle façon une distorsion peut être assez forte pour faire paraître une chose vraiment nocive comme un facteur de protection.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci, docteur Flanders.
Madame Adamo, j'aimerais que vous nous expliquiez brièvement pourquoi la prise de poids chez la mère entraîne un gain pondéral chez l'enfant. Je sais que vous avez parlé de conditions intra-utérines, entre autres, mais je ne saisis pas. Je peux comprendre l'interférence de la cigarette, qui nuit par exemple à l'absorption de l'oxygène. J'ignore toutefois l'effet que des cellules adipeuses peuvent avoir.
Mme Adamo : Voyez les choses ainsi : le placenta est une barrière entre la mère et le fœtus. C'est ce qui établit un lien entre la circulation de la mère et celle du fœtus. Tout ce qui se trouve dans la circulation de la mère, comme l'oxygène, est transmis à l'enfant, mais les nutriments sont transmis au fœtus par le placenta.
Disons par exemple que l'alimentation de la mère est ce que nous considérerions comme très malsaine, soit riche en sucre, en acides gras, ou en quelque nutriment du jour qui favorise la formation de cellules adipeuses. Le bébé y sera ensuite exposé par la circulation maternelle et le placenta, ce qui peut entraîner une accumulation de gras.
Nous savons que les femmes atteintes de diabète gestationnel, un état de santé possible durant la grossesse, présentent généralement une glycémie très élevée parce qu'elles sont résistantes à l'insuline. Le bébé est exposé au glucose de la mère, mais il doit produire sa propre insuline, une hormone qui favorise la croissance. S'il doit produire une grande quantité d'insuline pour contrebalancer la glycémie élevée du sang, il va grandir. La croissance est donc étroitement liée au milieu nutritionnel auquel le bébé peut être exposé, ou aux signaux qu'il peut percevoir dans la circulation maternelle, comme des facteurs de croissance, des hormones et des nutriments. Différentes raisons peuvent expliquer le phénomène. La mère crée cet environnement, et un milieu malsain peut entraîner une surcroissance pendant la période fœtale.
Il existe un domaine de recherche assez récent qu'on appelle l'épigénétique, dont le sénateur Ogilvie pourrait certainement parler bien mieux que moi.
Ce que les chercheurs pensent, c'est que le fœtus est exposé à diverses choses dans le milieu intra-utérin qui peuvent changer la lecture du code génétique. Ce phénomène peut modifier les protéines et même le comportement des cellules, y compris les cellules adipeuses, les cellules musculaires ou différents types de cellules. Il peut donc favoriser la croissance des unes ou des autres. Voilà donc les réflexions entourant les raisons pour lesquelles cela peut entraîner une surcroissance ou y contribuer.
La sénatrice Stewart Olsen : Merci. C'est utile. Je pourrai mieux expliquer le phénomène aux gens.
Dans quelle mesure la constante évolution de l'information entourant ce qui constitue un bon aliment ou un aliment malsain a-t-elle une incidence sur votre principe fondamental?
Mme Adamo : Bien honnêtement, il s'agit là d'un immense défi pour ceux qui évoluent dans le domaine de la recherche, et surtout la recherche sur la santé. Le sucre est aujourd'hui considéré comme le nouveau tabac, alors qu'il s'agissait hier du gras, et qu'il pourrait demain s'agir des protéines. Qui sait? Nous avons beaucoup de mal à suivre le rythme. Il est difficile de vraiment comprendre les raisons fondamentales ou sous-jacentes sans être spécialiste du domaine. Nous comprenons généralement ce qui constitue une alimentation saine, mais j'admets sans réserve que c'est difficile à comprendre pour la plupart des gens de notre domaine, à plus forte raison pour le grand public. Je pense vraiment que le message doit être très déroutant pour la population s'il l'est même pour nous, les « spécialistes ».
La sénatrice Raine : Je vous remercie tous les deux d'être ici. Docteur Flanders, je dois dire que votre étude est fort intrigante. Quand je lis le titre et l'article du New York Times dont vous avez parlé sur le paradoxe de l'obésité, je peux comprendre pourquoi vous avez voulu en étudier la cause. Ai-je raison de penser que c'est selon vous attribuable en quelque sorte à la volonté de trouver une cause? C'est un peu comme si nous voulions une petite excuse pour laisser tomber l'obésité, non? Le tout me semble très étrange. Ce que j'en retiens, c'est que rien n'indique que l'obésité soit une bonne chose ou que ce soit sain.
Dr Flanders : Oui, c'est un peu ce que j'en conclus aussi. Même si ces études sur le paradoxe de l'obésité pourraient être interprétées comme si l'obésité était bénéfique, je pense au contraire qu'elle est nuisible dans la plupart des cas et des situations. Voilà ma conclusion personnelle. Ce que j'ai pu montrer avec certitude, c'est que la distorsion est peut être forte au point de faire paraître bénéfique une chose qui est nuisible, comme le font ces études. On ne peut qu'émettre des hypothèses sur le fait que la distorsion soit aussi forte ou non; je crois personnellement qu'elle est suffisamment forte pour expliquer la plupart des revirements, mais je ne peux pas le prouver. La question demeure ouverte dans une certaine mesure. Personnellement, je crois que c'est le cas. Je pense que la distorsion explique tout.
Mme Adamo : J'espère que le Dr Flanders pourra m'aider. Que pensez-vous, dans ce cas, des personnes obèses au métabolisme sain, soit le segment ou sous-ensemble de la population qui est obèse selon le phénotype, mais qui est en bonne santé? Ces gens mangent bien et font de l'exercice, mais souffrent par hasard d'une surcharge pondérale. En théorie, ils seraient en bonne santé, si l'on se fie aux marqueurs de maladie.
Croyez-vous à ce phénotype? Qu'en pensez-vous, puisqu'on nous pose constamment ce genre de questions?
Dr Flanders : Il existe toutes sortes d'indicateurs de santé. L'obésité est un d'entre eux. Il y a également des indicateurs endogènes, comme la lipidémie, la capacité d'exercice, le VO2 max, la tension artérielle et le reste. La santé d'une personne est la somme de toutes ces variables; voilà donc mon point de vue sur la question.
La sénatrice Raine : J'aimerais vous poser une question à propos de votre tableau. Pouvez-vous nous donner un exemple d'autres facteurs de risque?
Dr Flanders : Les facteurs génétiques sont très importants. Il y a également les facteurs de risques connus qui sont mal mesurés, comme la tension artérielle, la lipidémie, la combinaison des lipides, la glycémie, l'attitude, les comportements et l'alimentation. Presque tous les facteurs de risque, même si nous les connaissons, sont difficiles à mesurer avec exactitude et à gérer adéquatement, de façon à représenter tant les facteurs connus que ceux qui sont inconnus. Les facteurs connus sont ceux qu'on ne peut pas mesurer avec exactitude, alors que les facteurs inconnus sont les facteurs génétiques ou d'autres facteurs auxquels nous n'avons pas encore pensé, ou que nous n'avons pas inclus dans les études. Par exemple, les facteurs liés à l'inflammation seraient une tout autre catégorie.
La sénatrice Raine : C'est en quelque sorte l'ensemble du scénario, si l'on revient à l'article du New York Times. Il est un peu fallacieux d'affirmer que l'obésité ne pose aucun problème. C'est comme dire que vous ne mourrez pas en fumant toute votre vie puisque votre grand-père a fumé toute sa vie sans en mourir. Ce n'est pas très brillant.
Dr Flanders : J'en conviens. C'est contraire à ce qui me semble être le gros bon sens, mais les gens voient l'association et pensent dès lors qu'il s'agit d'un lien de cause à effet. Ce que nous disons, c'est que ce n'est pas le cas. La relation n'est pas assurément causale, et une certaine incertitude entoure le caractère nocif de l'obésité. Tout bien considéré, je pense toujours que l'obésité est nuisible malgré ces études.
La sénatrice Merchant : Docteur Flanders, je trouve toutes vos interventions d'aujourd'hui fort intéressantes, mais certaines sont un peu difficiles à comprendre puisque je ne suis pas une scientifique. Vous avez réalisé cette étude. Par ailleurs, comment communiquez-vous vos découvertes importantes au grand public? Que faites-vous après avoir recueilli toutes ces informations? Comment suscitez-vous l'intérêt de la population? Nous connaissons tous des personnes obèses, qui cumulent les problèmes de santé et sont très confuses par toutes sortes de facteurs, comme les régimes alimentaires et les étiquettes. Ce n'est pas tout le monde qui s'y retrouve aussi facilement que vous, car nous ne comprenons pas le langage. Comment peut-on aller encore plus loin que ce que vous faites? Nous essayons ici de trouver une façon de contribuer aux études sur l'obésité. Comment pouvons-nous aider les gens à comprendre?
Dr Flanders : En réponse à votre question, il est important de préciser que l'obésité est apparue avant la maladie dans le cadre des études sur le paradoxe. Par exemple, il pourrait théoriquement s'agir d'une personne qui était atteinte d'embonpoint ou d'obésité à l'adolescence, puis qui a commencé à souffrir de diabète à l'âge de 20, 30, 40 ou 50 ans. Or, quelqu'un pourrait dire que puisque la personne était obèse à l'adolescence, son pronostic est meilleur étant donné que son risque de mortalité est inférieur. En pratique, il est trop tard à 40 ans pour changer quoi que ce soit à l'obésité au cours de l'adolescence. Pour que ce soit pratique, nous devrions réaliser des études d'intervention au moment du diagnostic, afin de déterminer si une intervention sur le plan de l'alimentation, de l'activité physique et de la perte de poids serait bénéfique. Il y a de l'incertitude à ce sujet.
Je suis d'avis que ce serait souhaitable pour la plupart des gens, suivant la maladie et sa gravité. Même si c'est ce que je pense de façon générale, la question devrait faire l'objet d'une étude d'intervention, car il y a trop d'incertitude à mes yeux pour pouvoir émettre une recommandation clinique qui irait à l'encontre de toutes ces études renversées. Ce qu'il faudrait, c'est réaliser des études sur les personnes atteintes de diabète. Qu'est-ce qui est avantageux pour les personnes souffrant de maladie rénale? Est-ce que la perte de poids ou l'activité physique sont une bonne chose? N'oubliez pas que ces questions s'appliquent à des groupes très restreints.
La sénatrice Merchant : Comment faire, alors, pour transmettre vos connaissances et résultats? Comment les gens ordinaires peuvent-ils prendre connaissance de cette information? Avant votre témoignage, je n'avais jamais vu ces articles. Comment faire pour mieux sensibiliser les gens? Vous faites beaucoup de travail dans ce domaine. Comment passer au prochain niveau de façon à ce que ce travail soit bénéfique aux gens? Les médecins et professionnels de la santé transmettent-ils cette information à leurs patients? Comment peut-on utiliser vos connaissances et informations pour aider les gens ordinaires?
Dr Flanders : Puisqu'il règne encore une certaine incertitude, il faudrait d'abord publier les résultats dans la littérature scientifique afin que la communauté scientifique en prenne connaissance avant de dire aux gens : « Si vous êtes atteints de diabète, vous devriez faire ceci en ce qui concerne votre poids. » À mon avis, ce n'est pas avantageux d'avoir un excès de poids; c'est néfaste. Avant de faire une telle recommandation, il faudrait effectuer des études cliniques. Je ne serais pas à l'aise de dire aux gens quoi faire pour le moment. Je crois que j'ai raison de dire ce que j'ai dit, mais je n'ai pas de preuve. Dans le cadre de cette étude, j'ai démontré qu'un préjugé peut être suffisamment grave pour renverser les résultats et fausser une étude, mais j'ignore si c'est le cas ici. Il faudrait faire des essais cliniques. Avant de communiquer des informations au public, il faudrait mener des études d'intervention pour montrer l'impact que peut avoir un changement de poids, lorsqu'un changement de poids est possible.
La sénatrice Merchant : Je regarde la carte du Canada que vous avez fournie. Je suis de la Saskatchewan. Sur la carte, les autres provinces et territoires sont représentés par une couleur, mais pas la Saskatchewan. Pourquoi?
Mme Adamo : Parce que tous les habitants de la Saskatchewan sont parfaits.
C'est une carte que j'ai prise dans Internet.
La sénatrice Merchant : Je remarque maintenant qu'elle est en jaune.
Hier soir, j'ai participé à un débat en Saskatchewan — ça revient un peu sur la question du sénateur Eggleton au sujet des téléphones intelligents. Beaucoup de femmes qui se retrouvent à un niveau socio-économique bas ont pris la parole lors de ce débat. Elles ont des journées folles. Elles sont monoparentales et tentent de faire des études. Une d'elles étudie pour être infirmière. Toutes pleuraient, car elles n'arrivent pas à s'adapter à leur situation. Elles n'ont pas les moyens financiers d'obtenir de l'aide. Qui ciblez-vous avec ce programme? Viendra-t-il en aide à ces femmes?
Mme Adamo : Nous l'espérons, car c'est ce genre de femme qui a de la difficulté à se rendre là où ont lieu les interventions en personne. Elles doivent se rendre à un endroit précis, à une heure précise, trouver un stationnement, et j'en passe. Celles qui travaillent à des heures qui ne sont pas propices à ce genre d'activité ont de la difficulté à y participer. Nous avons espoir que ce genre de programme sera plus acceptable pour celles qui ont un horaire de travail différent ou qui sont débordées à différents moments de la journée. Un tel programme leur permettrait d'obtenir les informations qu'elles veulent et dont elles ont besoin au moment qui leur convient et non quand nous le leur disons. Nous espérons ainsi pouvoir offrir un service plus personnalisé. Est-ce que ça réglera tous les problèmes? Nous n'en sommes pas certains, mais nous savons que les femmes dont vous parlez sont celles qui ont le plus de difficulté à participer aux activités traditionnelles d'intervention.
Le sénateur Enverga : Docteur Flanders, j'ai été surpris de lire, dans votre rapport, que les personnes obèses ont une espérance de vie plus longue que les personnes normales atteintes de diabète. Je suis convaincu que les amateurs de restauration rapide étaient heureux de l'apprendre.
Par ailleurs, j'ai lu dans un livre ou une revue que, pour certaines personnes, les graisses constituent une source d'énergie emmagasinée, une couche protectrice naturelle ou une sorte d'amortisseur. J'ignore si c'est vrai. J'aimerais vous entendre à ce sujet. Votre étude laisse-t-elle entendre que ceux qui ont une maladie devraient manger plus pour vivre plus longtemps? Est-ce votre conclusion?
Dr Flanders : Non. C'est ce que certains avancent pour certaines maladies, comme le diabète et l'insuffisance cardiaque congestive, mais, à mon avis, ces conclusions sont entachées de préjugés. Selon moi, c'est plutôt le contraire; dans la plupart des cas, ce serait une erreur que de recommander aux gens de manger plus et de prendre du poids pour espérer vivre plus longtemps. Je ne crois pas que ce soit le cas.
Le sénateur Enverga : Pourquoi dites-vous que ces conclusions sont entachées de préjugés? Ont-elles été tirées par un établissement réputé?
Dr Flanders : Bien, il y a une différence entre une association observée — je suis convaincu qu'ils ont observé une association — et une causalité. Ces éléments non mesurés — et il y en a — expliquent probablement pourquoi il y a une distorsion dans les associations observées. Il s'agit d'un résultat théorique qui montre qu'un préjugé peut être suffisamment grave pour fausser les résultats. La prochaine étape serait de mener une étude afin d'évaluer l'efficacité d'un régime chez les personnes atteintes de diabète ou d'insuffisance rénale terminale.
Le sénateur Enverga : Ce que vous dites, c'est qu'il faut mener d'autres études et faire d'autres recherches à ce sujet.
Madame Adamo, dans votre rapport, vous parlez d'avortement.
Mme Adamo : De l'avortement spontané associé aux femmes qui prennent énormément de poids pendant la grossesse. C'est un autre mot pour parler de fausse-couche.
Le sénateur Enverga : Est-ce que ça signifie qu'un avortement peut entraîner un gain de poids?
Mme Adamo : Non. Vous voulez savoir si le contraire est vrai? Je l'ignore. Ce que je dis, c'est que les femmes qui tombent enceintes alors qu'elles ont un surpoids et celles qui prennent énormément de poids pendant la grossesse sont plus à risque de subir un avortement spontané.
Le sénateur Enverga : Je sais que certaines femmes prétendent avoir subi plusieurs avortements. Vous dites dans votre rapport que la deuxième grossesse est plus grosse que la première. Est-ce que cela inclut l'avortement?
Mme Adamo : Ce que je dis, c'est que si une femme prend énormément de poids pendant la grossesse et qu'elle ne perd pas tout ce poids par la suite... Disons qu'après avoir donné naissance à un premier enfant, une femme conserve un excès de poids de 20 livres. Si elle tombe de nouveau enceinte, son poids initial sera supérieur de 20 livres au poids de départ qu'elle avait lors de sa première grossesse. Au fil des ans et des grossesses, ce poids s'accumule. Par exemple, lors de sa première grossesse, disons, à 25 ans, une femme peut peser 140 livres. À sa deuxième grossesse, elle en pèse 160, puis 180 à sa troisième grossesse. C'est un cycle de maintien de surpoids. Dans le cadre de nos recherches et d'autres recherches effectuées sur le sujet, les femmes interrogées ont dit que leurs problèmes de poids ont commencé lorsqu'elles ont eu des enfants.
Le sénateur Enverga : Cela n'a rien à voir avec la grossesse elle-même.
Mme Adamo : Oui, il y a un lien. Les femmes prennent du poids pendant la grossesse et ne le perdent pas par la suite. Mais, la source n'est pas le fait d'être en état de grossesse. Tout dépend de la façon dont le corps s'ajuste à la grossesse, de ce qui se produit pendant la grossesse. Les femmes réagissent différemment. Certaines prennent beaucoup de poids, d'autres en prennent moins. Certaines sont en mesure de perdre le poids par la suite, d'autres en sont incapables. Il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. Ce n'est pas simple.
Le sénateur Enverga : Pour revenir à l'application pour téléphones intelligents dont vous avez parlé, je sais que les téléphones intelligents sont de plus en plus intelligents. Ils offrent maintenant des compteurs de distance et des moniteurs de fréquence cardiaque et du pouls, notamment. Allez-vous intégrer ce genre d'instruments à votre application?
Mme Adamo : Absolument. Nous offrons une balance et un Fitbit avec capacité Wi-Fi, ainsi qu'un outil qui permet de prendre une photo des aliments pour obtenir des données sur leur apport énergétique et nutritionnel. Nous aimerions en ajouter d'autres, mais plus on en ajoute, plus l'application devient complexe. Nous allons commencer par des outils qui permettent l'autosurveillance et ajouterons d'autres outils plus tard. C'est la direction que nous allons prendre. D'ailleurs, certains téléphones offrent maintenant des sonagrammes qui permettent aux femmes enceintes d'entendre les battements cardiaques de leur enfant et d'avoir des images intra-utérines. La technologie évolue énormément. Si nous n'en profitons pas dès maintenant, nous allons prendre du retard. Nous devons utiliser cette technologie à notre avantage, car le système de santé est déjà suffisamment surchargé. Nous devons faire notre possible pour aider.
Le sénateur Enverga : Je vous souhaite bonne chance avec votre projet. Merci.
La sénatrice Chaput : Un article publié en 2014 prétend qu'il pourrait y avoir un lien entre l'obésité infantile et la prise d'antibiotiques pendant la grossesse. Avez-vous entendu parler de cet article? Qu'en pensez-vous?
Mme Adamo : Ce n'est pas mon domaine. Je ne suis pas une spécialiste des antibiotiques. Mais, c'est une réflexion intéressante; les mères qui consomment des antibiotiques pendant la grossesse seraient plus susceptibles de donner naissance à un enfant qui développera un problème d'obésité. L'article parle-t-il du mécanisme?
La sénatrice Chaput : Je l'ignore. Je n'en ai aucune idée. Quelqu'un le sait?
Le président : Il y a plusieurs questions sur la table qui n'ont pas encore été réglées. Une d'elles se rattache au biote et l'idée selon laquelle un changement de bactéries dans le corps pourrait avoir un impact sur plusieurs problèmes de santé, et ce, de manière différente, et sur le corps lui-même, notamment en entraînant une prise de poids chez certaines personnes. L'idée selon laquelle la médecine se tourne vers la personne dans son ensemble et le microbiome est en évolution, mais je crois qu'il faudrait laisser cette question de côté pour le moment.
La sénatrice Chaput : D'accord.
La sénatrice Raine : Je suis curieuse. Vous travaillez à SHVO depuis un certain temps à des questions liées à l'obésité infantile. Cette étude porte sur l'incidence accrue de l'obésité chez les enfants. Il existe beaucoup de statistiques sur le sujet. J'imagine que la question qu'il faut se poser, c'est pourquoi les gens mangent-ils autant? Pourquoi consomment- ils de mauvais aliments? Pourquoi ne font-ils pas de l'exercice, même s'ils savent que c'est bon pour eux? Pourquoi n'envoient-ils pas leurs enfants jouer dehors? Ce sont ces questions que je me pose.
L'application dont vous parlez permettra-t-elle de répondre à ces questions? Donnera-t-elle de la rétroaction à la femme qui l'utilise? J'espère que lorsqu'elle consulte son téléphone intelligent pour savoir quoi faire, ses enfants sont actifs.
Mme Adamo : L'application pour téléphones intelligents est conçue pour la période prénatale. Ce n'est pas pour les enfants.
Le but, c'est d'intervenir afin de changer le style de vie d'une personne. On espère que les mères acquerront de bonnes habitudes et qu'elles les communiqueront à leurs enfants. Si elles acquièrent ces habitudes saines au cours de la période prénatale, nous avons espoir que celles-ci s'imprégneront dans leur style de vie, qu'elles conserveront ces habitudes et qu'elles les départageront avec leurs enfants. Ce n'est pas toujours le cas. Nous vivons dans un environnement qui n'est pas propice à l'activité physique et à la consommation régulière d'aliments sains. Nous sommes bombardés de toutes sortes d'options faciles.
Nous allons partout en voiture. Nous conduisons nos enfants à l'école en voiture. Nous les surprotégeons à un tel point que nous craignons de les envoyer jouer tout seuls dehors de peur qu'ils se fassent kidnapper ou qu'ils soient confrontés à une situation dangereuse, même si nous savons que les enfants sont plus en sécurité aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a 20 ou 30 ans. Nous vivons dans une société où les médias sont présents jour et nuit. Il y a donc beaucoup de sensationnalisme. Les parents ont donc l'impression que s'ils laissent leurs enfants jouer dehors tout seuls, c'est parce qu'ils ne s'inquiètent pas suffisamment de leur santé et de leur bien-être.
Nous avons aujourd'hui des produits alimentaires qui n'existaient pas il y a 20 ou 30 ans. À l'époque, il n'y avait pas de boissons de type « barbotine » bourrées de sucre ni de boissons gazeuses en format de deux litres offertes à prix abordable. L'environnement dans lequel les gens élèvent leurs enfants est très différent. L'environnement obésogène est un facteur contributif. Il serait bien de s'attaquer à ce problème, mais une seule personne ne peut pas le régler. Il faudrait un changement progressif, échelonné sur plusieurs années, au niveau de la société. C'est un énorme problème. Il est dommage que l'on en soit rendu là, mais c'est la réalité.
La sénatrice Raine : Les appareils technologiques de santé mobile sont éducatifs. Il s'agit d'une bonne façon de sensibiliser les parents. Je crois qu'il n'y a pas de meilleur moment pour les femmes d'apprendre ce genre d'information que lorsqu'elles sont enceintes ou qu'elles viennent de donner naissance, car toutes les mères veulent ce qu'il y a de mieux pour leur enfant. Vous pourriez profiter de la période prénatale pour leur enseigner quoi faire. Les bébés ne sont pas accompagnés d'un manuel d'instructions. Ce programme serait utile s'il permettait ce genre d'enseignement.
Mais, on revient au même problème. Bon nombre de personnes reçoivent des informations de toutes sortes de sources. Comment une femme peut-elle savoir que cette information est valide, que c'est la bonne information?
Mme Adamo : C'est une excellente question. C'est la raison pour laquelle le programme doit faire l'objet d'une évaluation et c'est pourquoi nous tentons d'obtenir les fonds nécessaires pour faire cette évaluation. Sans cette évaluation, nous ne pouvons pas demander à un médecin d'appuyer le programme. Nous avons créé le programme en nous appuyant sur des données probantes et nous croyons qu'il s'agit d'un bon programme. Mais, nous devons l'évaluer pour voir s'il trouve écho chez notre public cible, s'il aura un impact positif. Nous savons que les femmes enceintes sont prêtes à prendre des mesures pour la santé de leur enfant qu'elles ne feraient pas pour elles-mêmes. De façon générale, les femmes sont plus ouvertes au changement lorsqu'elles ont un enfant. Nous espérons que cela mènera à des changements de comportement. Toutefois, nous ignorons si le programme serait efficace pour toutes les femmes, car il n'a pas encore été évalué.
La sénatrice Raine : Par l'entremise de vos conseils avisés, par exemple, vous pourriez changer la base de connaissances des parents pour leur faire comprendre qu'il est bon pour leurs enfants de jouer dehors et qu'il s'agit d'un mauvais traitement de les laisser devant un écran.
Mme Adamo : Vous avez raison.
Le sénateur Eggleton : Madame Adamo, qu'en est-il de la nutrition et de l'étiquetage alimentaire? Auriez-vous des suggestions à faire à cet égard?
Mme Adamo : C'est un domaine très complexe. Santé Canada et les diététistes canadiens ont de la difficulté à définir quelle information mettre sur les étiquetages alimentaires, ce qui est important et comment les consommateurs vont interpréter cette information. Nous avons tous déjà consulté une étiquette alimentaire sans vraiment savoir ce qu'il faut rechercher. Doit-on regarder la teneur en gras? La teneur en sucre? La teneur en fibres? Il faut produire un guide ou enseigner aux gens les trois principales choses à regarder sur les étiquettes alimentaires. On s'attend à ce que les gens obtiennent un diplôme en éducation personnelle pour apprendre tout cela; ce n'est pas simple.
Nous pourrions signaler certains éléments. Je sais que diverses organisations au Canada, comme la Fondation des maladies du cœur, ont des symboles liés aux maladies du cœur, et que Loblaws est en train de mettre en place un programme de marquage de leurs produits. Vous ne pouvez pas payer pour avoir un symbole sur une boîte de céréales. Il faut que votre produit se traduise par des bienfaits particuliers pour la santé, et que cela soit déterminé par des personnes qui possèdent les connaissances nécessaires, par exemple des diététistes.
Le sénateur Eggleton : Sur les étiquettes, dans certaines administrations, plutôt que des nombres, on a un feu vert, rouge ou orange.
Mme Adamo : Le régime axé sur les feux de circulation.
Le sénateur Eggleton : Trouvez-vous que cela fonctionne?
Mme Adamo : Je pense que cela fonctionne. C'est exactement ce qu'on a fait aux États-Unis, pas nécessairement avec les produits alimentaires, mais avec les recommandations nutritionnelles. Le vert s'applique aux aliments à manger tout le temps; l'orange, à ce qu'il faut manger avec modération, et le rouge, à ce qu'il faut réserver pour les occasions spéciales seulement. L'aspect des aliments à réserver aux occasions spéciales seulement a échappé à notre attention, et c'est maintenant une attente quotidienne.
Le sénateur Eggleton : La revue scientifique Springer a publié un article qu'un de vos collègues du Groupe de recherche sur les saines habitudes de vie et l'obésité, Jean-Philippe Chaput, a cosigné. Je ne sais pas si vous êtes au courant de cette recherche en particulier. Elle s'appuie sur le principe selon lequel un sommeil insuffisant contribue au gain de poids, à l'obésité et aux problèmes cardiaques. Auriez-vous quelque chose à dire là-dessus?
Mme Adamo : Je ne suis pas la spécialiste du sommeil, mais j'en sais beaucoup, car nous avons publié ensemble quelques fois. Nous l'appelons « Dr Sleep » au travail, Dr Sommeil. Il y a des liens à faire avec l'insuffisance de sommeil. Si une personne est éveillée plus longtemps, elle a davantage d'occasions de manger, par exemple, si vous êtes debout 18 heures par jour, plutôt que 14. Si vous ne dormez pas assez, vous êtes vraisemblablement plus fatigué, et si vous êtes plus fatigué, vous n'êtes pas aussi motivé à faire de l'activité physique. C'est une lame à deux tranchants. Nous savons que les enfants et les adultes qui dorment assez vont vraisemblablement avoir d'autres profils comportementaux propices à un mode de vie sain et actif.
Le sénateur Eggleton : J'ai une dernière question que je vais adresser à vous deux. Certains semblent dire que l'IMC n'est pas la bonne manière et qu'il faut plutôt utiliser la méthode de la circonférence. Pourriez-vous me parler de cela tous les deux?
Mme Adamo : Je peux certainement vous répondre. Dans le milieu de la recherche, on pense que l'IMC n'est probablement pas la meilleure façon de mesurer l'adiposité. On mesure la taille et le poids, et on établit un lien entre les deux. Ce n'est pas idéal. En recherche épidémiologique, nous utilisons cela, car c'est la façon la plus simple. Tout ce qu'il faut, c'est la taille et le poids. Vous n'avez pas besoin de pèse-personne compliqué ou d'autre chose comme une tomodensitométrie ou une IRM. C'est une façon relativement facile de prendre une mesure.
C'est un problème, car il y a surestimation chez les personnes qui ont une forte masse musculaire, et il peut y avoir sous-estimation chez les personnes minces, mais obèses en ce sens qu'elles ont peut-être une plus forte masse adipeuse, sans pour autant être très lourdes.
Il y a en effet un problème des deux côtés du spectre, et cette mesure est imparfaite. Il existe bien des mesures plus efficaces, mais aussi nettement plus coûteuses, et ce n'est pas tout le monde qui a la technologie nécessaire. Malheureusement, nous revenons à l'IMC parce que c'est simple. Mais je suis d'accord : la logique est déficiente dans une certaine mesure.
Le président : Docteur Flanders, avez-vous quelque chose à dire?
Dr Flanders : Je suis d'accord. Je n'ai rien à ajouter.
Le président : Merci beaucoup. Docteur Flanders, dans votre exposé, vous avez bien illustré qu'on peut mesurer des choses et produire de beaux graphiques qui semblent mener à une conclusion très claire, mais qu'en réalité, la bonne conclusion n'est pas celle qui semble évidente d'après les graphiques.
L'un des problèmes qui viennent avec ce genre de choses, c'est que les médias vont se saisir de n'importe quelle information s'ils pensent que ça va donner des grands titres fascinants. Nombreux sont ceux qui aimeraient croire qu'un surpoids les aidera en cas de maladie grave et que le résultat sera meilleur. Je pense que vous n'avez pas ménagé vos efforts pour nous aider à comprendre votre interprétation des données dans ce domaine, et je tiens à vous en remercier.
Madame Adamo, en ce qui concerne les téléphones intelligents, je crois que la clé de ce que vous avez dit, c'est que la technologie est accessible à l'échelle du spectre économique. En réalité, il y a peut-être même une plus forte concentration du côté du statut socio-économique inférieur, en ce qui concerne l'utilisation des téléphones intelligents. On a donc accès à un outil disponible à tous, et il est possible de concevoir des programmes, et ce qui ressort principalement de vos discussions avec plusieurs des sénateurs, c'est qu'il faut que les choses soient simples et claires. La raison pour laquelle le concept des feux de circulation vert, jaune et rouge fonctionne dans certains secteurs, c'est qu'il est excessivement simple et qu'il est facile pour tout le monde de savoir ce que ces couleurs signifient dans une situation donnée. Quand vous en viendrez à déterminer que certains messages sont utiles pour les femmes enceintes, j'espère que le modèle sera simple et leur permettra de comprendre le message.
Il y a autre chose dont nous n'avons pas vraiment parlé — on vous a posé diverses questions sur l'alimentation, ce qui est bon et ce qui est mauvais, mais nous avons de plus en plus de faits scientifiques découlant d'essais cliniques. Nous y arrivons, dans une certaine mesure. C'est un domaine complexe.
Espérons, avec votre technologie des téléphones intelligents, que la mère de famille aura la possibilité d'obtenir directement des conseils, que ce soit pour un produit dont une amie lui a parlé ou pour une étiquette, alors qu'elle est dans un magasin, de sorte qu'elle puisse communiquer rapidement avec un centre de conseil.
L'un des problèmes aujourd'hui pour quiconque, peu importe le statut socio-économique, c'est d'avoir accès à de bons conseils au moment opportun. L'industrie est passée à la livraison « juste-à-temps », mais sur le plan des conseils de santé, nous sommes loin du conseil « juste-à-temps ».
D'après moi, il serait formidable d'établir un lien rapide de dialogue, ce qui aurait un effet positif énorme sur les femmes enceintes.
Mme Adamo : J'aimerais que vous parliez de cela avec les IRSC. Je dis cela, car nous avons soumis un essai contrôlé randomisé aux IRSC, l'an dernier. Nous avions un conseiller en santé intégré dans l'application pour téléphone intelligent, précisément pour cette raison — des conseils pour la femme qui est à l'épicerie et qui se demande si elle doit acheter les flocons de maïs ou les Cheerios miel et noix, par exemple. Nous voudrions pouvoir lui dire à ce moment : « Je suis votre conseiller en santé, et je dis que les flocons de maïs représentent le meilleur choix ». Cependant, les IRSC ne comprenaient pas la nécessité ou le bienfait d'un tel dialogue, et ils ont dit que ce ne serait jamais possible. Il n'est pas possible d'échelonner cela, dans notre contexte des soins de santé, alors ils n'ont vraiment pas aimé cela.
Nous essayons de les convaincre de la nécessité de cela, ou de la possibilité d'un dialogue virtuel intégré, et non nécessairement d'un conseiller en santé. Mais quand la personne poserait telle question, elle obtiendrait telle réponse du conseiller en santé. Ce genre d'intelligence artificielle en temps réel est très complexe à intégrer, comme vous pouvez l'imaginer. Nous étions convaincus que de tels conseils en temps réel sur des questions de santé étaient impératifs pour les femmes, mais il arrive que les agences de financement voient les choses différemment.
Le président : Je pense qu'il faut que vous continuiez dans le même sens. Nous voyons, dans d'autres domaines de la santé, la possibilité de communiquer avec une source de savoir — les effets sont très positifs pour les personnes qui souffrent d'une maladie du cœur et qui sont capables d'obtenir directement des conseils, et les soins à la maison ont par exemple de meilleures chances de réussir que les soins à l'hôpital, mais il faut qu'un dialogue soit possible. Notre comité se penche sur des aspects très divers pour lesquels la collecte électronique de données et la possibilité de communiquer et d'obtenir rapidement de l'information se traduiraient très évidemment par d'importantes améliorations et contributions dans divers domaines.
Je vous remercie tous les deux de vos contributions très dynamiques à nos travaux.
Sur ce, je déclare que la séance est levée.
(La séance est levée.)