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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 26 - Témoignages du 5 février 2015


OTTAWA, le jeudi 5 février 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 10 h 27, afin d'examiner, pour en faire rapport, l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences, et les solutions d'avenir.

Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je suis Kelvin Ogilvie de la Nouvelle-Écosse. Je vais demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma collègue à ma droite.

La sénatrice Seidman : Je suis Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Stewart Olsen : Je suis Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Beyak : Je suis Lynn Beyak, de Dryden, en Ontario.

La sénatrice Nancy Ruth : Je suis Nancy Ruth, de Toronto.

[Français]

La sénatrice Chaput : Je m'appelle Maria Chaput, du Manitoba.

[Traduction]

La sénatrice Merchant : Je suis Pana Merchant de la Saskatchewan.

Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, vice-président du comité. Je suis de Toronto.

Le président : Merci, chers collègues. Nous poursuivons notre étude sur l'incidence croissante de l'obésité. Nous sommes censés entendre un témoin par téléconférence. Pendant que les techniciens tentent d'établir la communication, j'aimerais commencer nos délibérations.

M. Jeffery a gracieusement accepté de nous faire son exposé, mais lorsque le Dr Lustig sera en ligne, j'interromprai brièvement M. Jeffery pour souhaiter la bienvenue au docteur. M. Jeffery terminera ensuite son exposé. Êtes-vous d'accord pour procéder ainsi?

Des voix : Oui.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Jeffery, je vous prie de commencer.

Bill Jeffery, coordonnateur national, Centre pour la science dans l'intérêt public : Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de comparaître sur ce sujet important.

Je suis le coordonnateur national du Centre pour la science dans l'intérêt public, une organisation de promotion de la santé à but non lucratif qui se spécialise dans les questions liées à la nourriture et à la nutrition. Nous n'acceptons aucun financement de l'industrie ou du gouvernement. Nous avons la chance d'avoir un bulletin de nouvelles qui connaît un grand succès. J'ai fait circuler quelques exemplaires du dernier numéro. Nous avons une centaine de milliers d'abonnés au Canada, ce qui fait un abonné à chaque pâté de rue. Malheureusement, notre bulletin de nouvelles paraît en anglais seulement.

Je vous dirais d'emblée que les taux d'obésité sont représentatifs d'un problème plus élargi de maladies liées à l'alimentation. Selon l'Organisation mondiale de la santé, de 48 000 à 66 000 personnes meurent au Canada chaque année en raison de maladies cardiaques, d'AVC, de cancers et du diabète, tous liés à la nutrition. On retrouve diverses estimations du fardeau économique des maladies liées au sodium et à l'obésité au Canada, et le fardeau se chiffre dans les milliards, allant de 3 à 30 milliards de dollars, selon l'estimation. Le dénominateur commun de toutes ces estimations, c'est que les auteurs indiquent avoir fait preuve de prudence dans leurs calculs. Il se peut donc que le fardeau économique soit considérablement plus élevé.

Comme certains de vos témoins ont déjà noté, l'espérance de vie au Canada est à la hausse, mais nous observons également une plus longue période de maladie en fin de vie. Je crois que la société canadienne et le gouvernement fédéral devraient avoir comme objectif d'aider à réduire la période d'invalidité et de maladie en fin de vie afin que nous puissions vivre de façon plus joyeuse et épanouie.

Je vais parler un peu des tendances en ce qui concerne l'alimentation, et ensuite je vous ferai part de sept propositions générales de réforme de la politique publique fédérale. Je me ferai un plaisir d'en parler de façon plus approfondie pendant la période de questions et de réponses.

Tout d'abord, en ce qui concerne les tendances en matière de consommation alimentaire, Santé Canada et Statistique Canada ont seulement effectué deux sondages détaillés sur l'alimentation au cours des 40 dernières années, à savoir au début des années 1970 et en 2004. De plus, les méthodologies utilisées dans ces deux études sont tellement différentes qu'il est difficile de comparer les deux ensembles de résultats.

Cependant, Statistique Canada recueille des données sur les aliments disponibles pour la consommation sur une base annuelle depuis environ 1960. Comme les stratégies de collecte de données sont relativement comparables depuis 1976, il devient donc possible d'observer des changements en matière de consommation, quoiqu'il s'agisse de la population dans son ensemble. Si vous allez au site web de Santé Canada et à la base de données CANSIM, vous constaterez que pendant les années 1990, lorsque les taux d'obésité étaient généralement à la hausse au Canada, la consommation quotidienne moyenne de calories par personne a augmenté graduellement d'environ 240 calories. Cette consommation avait été stable pendant les années 1970 et 1980, et ensuite il y a eu un progrès graduel pendant une décennie, et ensuite un autre nivellement. On peut voir que cette tendance suit de très près l'évolution des taux d'obésité.

Statistique Canada indique que de cette hausse, 114 calories provenaient des gras et des huiles, 69 calories de la farine de blé et des produits dérivés et 23 calories des boissons gazeuses. Après cette période, les calories provenant de boissons gazeuses ont affiché un léger déclin. Il y a eu quelques hausses et baisses de consommation d'autres produits, mais en général, elles se sont compensées.

Autant les scientifiques que les autorités en matière de santé publique s'entendent pour dire que les Canadiens consomment trop de calories, de sodium, de céréales raffinées et de sucres libres, c'est-à-dire des sucres qui sont ajoutés aux aliments, mais également le sucre présent dans les jus de fruit, car les éléments nutritifs du fruit ont été enlevés, et que les Canadiens consomment trop de viande rouge et de charcuterie et trop peu de fruits et légumes à indice glycémique faible, de céréales entières et de légumineuses, telles que les noix et les haricots.

Je sais que votre comité a déjà discuté de la contribution relative de l'activité physique et de la nutrition, et dans mon rapport, on indique que la plupart de la prise de poids observée chez les gens pendant les années 1990 s'explique par une plus grande consommation calorifique, et non par une réduction de l'activité physique.

Nous recommandons donc sept grandes réformes générales en matière de politique publique. Je me ferai un plaisir de vous en parler en plus grand détail plus tard. Nos recommandations s'appuient sur des expertises et de la recherche scientifique plutôt solides.

La première recommandation est de placer le tableau de la valeur nutritive sur le devant de l'emballage. On devrait également apporter certains changements au tableau de la valeur nutritive, mais à l'heure actuelle, ce tableau figure à l'endos de l'emballage, ce qui fait une différence énorme pour ce qui est de l'efficacité de l'étiquetage.

En ce qui concerne l'étiquetage des cartes de restaurant, il faut savoir que les restaurants jouissent d'une dérogation quant aux obligations en matière d'étiquetage de la valeur nutritive entrées en vigueur au Canada il y a plus ou moins 15 ans. Plus de 40 groupes canadiens revendiquent que les restaurants soient obligés de déclarer la teneur en sodium et en calories des plats proposés, ne serait-ce que dans le cas des grandes chaînes de restaurants.

Pour ce qui est de la réforme de la taxe sur les aliments, le gouvernement fédéral perçoit lui-même plus de 3 milliards de dollars grâce à celle-ci. C'est une taxe imposée dans les restaurants de façon généralisée, qu'il s'agisse de brocoli cuit à la vapeur ou de poutine. Fait intéressant, si vous achetez une salade de fruits dans le rayon des fruits et légumes du supermarché, la plupart des provinces y imposeront une taxe de 13 p. 100, mais si vous achetez une boîte de céréales Froot Loops, ce produit est exempt de taxe. Il y a de nombreux autres exemples, mais en voilà un qui est très parlant.

En ce qui concerne la réduction du sodium, il faut savoir que même si le sodium ne contient pas de calories en soi, sa présence contribue à ce point de saveur exquise dont certains autres témoins ont peut-être parlé, c'est-à-dire qu'il rend les aliments plus savoureux. De plus, certaines recherches indiquent que les aliments salés favorisent la consommation de breuvages sucrés, ce qui peut accroître la charge calorifique.

Quoi qu'il en soit, le ministre de la Santé a constitué un Groupe de travail sur le sodium il y a quelques années. J'en étais membre, ainsi que 24 autres représentants de tous les secteurs intéressés, et nous avons fait des recommandations de façon unanime visant à réduire le taux de sodium dans les aliments, recommandations qui n'ont pas vraiment été suivies. Vous y trouverez de plus amples renseignements dans mon mémoire.

On a pu réduire la teneur en gras trans des aliments. Il faudrait donner suite à cette réussite au moyen de la réglementation. Certaines recherches indiquent que l'on a réduit la teneur en gras trans et saturés du maïs soufflé vendu dans les cinémas aux États-Unis pendant les années 1980 sous la pression du public, mais lorsque la pression a disparu, la teneur en gras trans et saturés est remontée. Il nous faut de la réglementation en la matière.

D'autres témoins ont certainement parlé d'imposer des limites quant à la publicité destinée aux enfants, comme l'a fait le Québec, et nous abondons dans le même sens. En fait, c'est de la tricherie destinée aux enfants. C'est de la tricherie légale à l'intention des enfants qui ne sont pas capables d'interpréter les publicités avec discernement.

En dernier lieu, le Canada est peut-être l'un des derniers grands pays industrialisés n'ayant aucun programme national de repas dans les écoles. Nous avons un méli-mélo de programmes provinciaux qui souffrent de carence financière grave et de quelques programmes municipaux bénéficiant de contributions d'ONG. Tandis que le gouvernement des États-Unis dépense environ 1,50 $ par élève par jour, ici au Canada, nous y consacrons moins de 5 cents par élève par jour, et ce n'est pas suffisant pour offrir un bon programme de repas à l'école.

Ce sont mes commentaires généraux. J'ajouterais seulement que certaines personnes seraient tentées de présumer qu'il existe énormément de confusion quant à la vérité sur la valeur nutritive de certains aliments, et je crois qu'une grande partie de cette confusion est attribuable à des intervenants qui ont des intérêts financiers. Si vous entendez une hypothèse sur la nutrition qui cloche, vous devriez vous demander ce qu'en disent l'Organisation mondiale de la santé, l'Institut américain de la médecine et Santé Canada.

Le président : Merci, monsieur Jeffery. Je vais maintenant accueillir le Dr Lustig, qui participera par téléconférence. Monsieur le docteur, nous avons commencé et je vous inviterai maintenant à faire votre exposé. La greffière vous a indiqué votre temps de parole. Une fois que cinq minutes se seront écoulées, je vous ferai signe, et nous passerons alors à une série de questions de la part des sénateurs.

Je vous souhaite donc la bienvenue. Merci beaucoup d'avoir accepté de témoigner. Je vous en prie, veuillez commencer.

Dr Robert Lustig, professeur, Université de la Californie, San Francisco, à titre personnel : Merci beaucoup, sénateur Ogilvie. Merci, mesdames et messieurs, de m'avoir invité à participer à cette discussion importante. J'ai trois choses à vous dire. Je tenterai d'être aussi bref que possible, mais vous devez comprendre que mes propos reposent sur la science. Il faut donc démanteler trois mythes afin de pouvoir faire avancer le dossier pour la santé de nos enfants. Ces trois mythes sont entretenus par l'industrie alimentaire depuis 45 ans. Nous les avons essentiellement gobés. Jusqu'à ce que ces trois mythes ne soient démantelés, nous ne pourrons pas nous extirper du problème.

Le tout premier mythe porte sur l'obésité. En fait, c'est à leur avantage, car de nombreux aliments peuvent provoquer l'obésité ou la prise de poids. Citons au premier et au deuxième rang les croustilles et les frites. Au troisième rang, les breuvages sucrés et les desserts ainsi que d'autres aliments qui contiennent du sucre. Cependant, si ce n'est pas un problème d'obésité, de quoi s'agit-il? Il s'agit d'un dysfonctionnement métabolique qui cause l'obésité. Je vous présente la chose ainsi. Tout le monde pense que c'est de la faute de la personne obèse, car 80 p. 100 de la population obèse est malade sur le plan métabolique, ce qui veut dire que 20 p. 100 de la population obèse se porte bien sur le plan métabolique. Ces gens auront une vie tout à fait normale, vivront jusqu'à un âge tout à fait respectable et ne coûteront pas une cenne noire aux contribuables. Ils sont gros, c'est tout. Regardons maintenant le poids normal de la population. Il s'avère que 40 p. 100 de la population souffre des mêmes maladies métaboliques et ont les mêmes marqueurs métaboliques que les personnes obèses. Ces gens souffrent de diabète de type 2 et d'hypertension. Ils ont des problèmes de lipides. Ils sont victimes de maladies cardiaques et du cancer, et de démence également. La prévalence est légèrement inférieure, 40 p. 100 plutôt que 80 p. 100, mais ils sont plus nombreux.

Si des gens au poids normal peuvent en souffrir, et cela s'appelle le syndrome métabolique dont vous avez sans doute entendu parler, comment peut-il s'agir d'un comportement? En fait, si l'on regarde les tendances de distribution et les groupes, on a plutôt une image d'exposition. La distribution ressemble davantage à celle de la tuberculose, du choléra ou du VIH, ou d'un autre agent infectieux. S'il ne s'agit pas d'un agent infectieux, c'est tout de même un agent auquel les personnes de poids normal sont exposées. Reste alors à déterminer lequel. Voilà le premier mythe qu'il faut démanteler, que c'est un problème d'obésité. Les parties intéressées veulent que l'on parle d'obésité, car si on s'en tient à cet argument, les gens sont goulus et paresseux. On est ce qu'on mange, et si on est gros, c'est de notre faute; il faut suivre un régime, faire de l'exercice, surveiller les calories. Cela cadre avec les mantras que répète l'industrie alimentaire depuis plus de 45 ans. Or, c'est pertinemment faux.

Le deuxième mythe, c'est qu'une calorie est une calorie. Si tel était le cas, il y aurait toujours un rapport entre le montant de calories consommées et le montant de calories brûlées, ce qui voudrait dire bien sûr qu'on deviendrait obèse en mangeant trop et en faisant trop peu de sport. La perception est négative, et cela devient un problème de comportement. Donc, c'est de la faute des gros. Ce n'est pas vrai. Cela relève de la mythologie. Il existe un phénomène, une discipline qui s'appelle la biochimie des nutriments. C'était ma majeure à l'université, et je m'y connaissais bien à l'époque. Lorsque j'ai fréquenté l'école de la médecine, cependant, on m'a fait tout oublier. Une calorie est redevenue une calorie. Je me suis souvenu il y a 10 ans environ de ces connaissances. En fait, une calorie, ce n'est pas une calorie. C'est l'origine des calories qui détermine où les calories vont se loger dans le corps et quelles seront les maladies provoquées. Le cas le plus évident est celui du sucre. Le sucre, car il est métabolisé par le foie, provoque toutes les maladies en aval que nous désignons par le syndrome métabolique. Il existe de nombreuses méta-analyses, des recherches cliniques, des analyses de substitution et des essais randomisés contrôlés qui démontrent ce phénomène. Nous venons d'en terminer un ici à l'université qui fera bondir plus d'un lorsque les données seront rendues publiques dans trois mois.

Le mythe numéro trois : c'est une question de responsabilité personnelle. La responsabilité personnelle repose sur quatre piliers. Le premier, c'est qu'il faut agir en connaissance de cause. Il faut savoir ce que l'on fait pour assumer sa responsabilité personnelle, et à l'heure actuelle, la population américaine et canadienne, et en fait, la population mondiale ne sait pas ce qu'elle fait. Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette situation. On cache l'information des gens. Tout d'abord, il faut savoir qu'il existe 56 noms pour désigner le sucre. On les utilise tous sur les étiquettes. Comme les ingrédients y paraissent selon la masse, on peut avoir un nom de sucre à l'ingrédient numéro cinq, un autre au numéro six, et encore d'autres aux numéros sept, huit et neuf, mais si on en fait le total, le sucre devient l'ingrédient numéro un. Mais vous n'êtes pas censés le savoir. De plus, on n'énumère que le total des sucres, et non le sucre ajouté. Par exemple, le yaourt contient sept grammes de lactose, qui est un sucre laitier, ce qui est tout à fait normal, mais un yaourt à saveur de fruit en contient 23 grammes. Cela veut dire que lorsqu'on consomme un yaourt à saveur de fruit, on consomme une part de yaourt nature plus un bol de Capitaine Crounche. Personne ne le sait. On le cache du consommateur.

Sur les étiquettes de valeur nutritive que nous utilisons actuellement, on y indique la consommation sous forme de pourcentage de chaque élément nutritif de la liste à l'exception d'un, et c'est le sucre. C'est un cas bien précis, car l'industrie alimentaire ne veut pas que vous sachiez la quantité de sucre qui fait trop de sucre. Si vous le saviez, les céréales pour les déjeuners disparaîtraient en un clin d'œil. Mais vous devriez le savoir.

Deuxièmement, il faut pouvoir s'en procurer, et dans le cas des pauvres et des membres des Premières Nations, qui reçoivent leur nourriture grâce à des subventions de programmes gouvernementaux, ce n'est pas possible. Ces gens ne peuvent pas se procurer des aliments sains et normaux. Ils peuvent uniquement se procurer ce qu'on leur donne, et ce qu'on leur donne, c'est de la nourriture de mauvaise qualité.

Troisièmement, il faut que la nourriture soit abordable. Il faut pouvoir avoir les moyens de se prévaloir de son choix, et à l'heure actuelle, les recettes de l'industrie alimentaire ici aux États-Unis, qui se chiffrent à 450 milliards de dollars par année, sont largement dépassées par les sommes dépensées pour soigner les maladies métaboliques chroniques. On pourrait épargner 1,4 billion de dollars si nous arrivions à résoudre le problème. En d'autres termes, nous dépensons trois fois plus que n'encaisse l'industrie. C'est insoutenable, et c'est la raison pourquoi ici aux États- Unis, le système national Medicare sera dans le rouge d'ici 2026. Nous n'avons pas les moyens de nous offrir ce choix.

Quatrièmement, votre choix ne peut influer sur celui de quelqu'un d'autre. Cela s'appelle l'externalité. Donc si vous fumez, j'en souffre. Si vous buvez, c'est moi qui trinque. Si vous prenez de la drogue, j'en écope. Mais si vous mangez des aliments qui contiennent du sucre, si vous buvez des breuvages sucrés, est-ce nocif pour moi? Il faut alors savoir si la société a un rôle ou non à jouer pour régler ce problème. La réponse est de toute évidence oui, c'est nocif pour moi, car il n'y aura pas de soins de santé, il n'y aura pas de médecins et je ne pourrai même pas aller aux urgences en raison de toutes les endoprothèses coronaires qu'on placera, de toutes les dialyses qu'on fera et de tous les diabètes qu'on soignera chez nos adolescents. C'est ce qui arrive actuellement. C'est la situation actuelle, et ces trois mythes empêchent notre société d'agir de façon rationnelle. Une fois que nous aurons démantelé ces trois mythes, on constatera qu'il faut prendre le sucre, actuellement classé comme aliment qui représente 18 p. 100 de notre alimentation, et le reclassifier comme additif alimentaire, avec une teneur recommandée de 4 à 5 p. 100, ce que revendique l'Organisation mondiale de la santé. Je suis entièrement en faveur.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le docteur. J'ai décidé de ne pas vous interrompre. Vos propos sont fort intéressants. Merci beaucoup pour votre exposé.

Je vais maintenant permettre à mes collègues de poser des questions.

Le sénateur Eggleton : Nous devrions donc changer le nom de notre étude qui ne porterait plus sur l'obésité, mais plutôt sur le syndrome métabolique, si je vous ai bien compris, docteur Lustig.

Vous vous concentrez tout particulièrement sur le sucre. Vous nous dites que c'est le sucre l'ennemi, surtout le sucre utilisé par l'industrie.

Dr Lustig : Nous retrouvons quatre ennemis dans notre alimentation, mais le sucre est celui qui est le plus présent et le plus nocif et c'est celui que l'industrie alimentaire ajoute à ses propres fins. Permettez-moi de vous énumérer les quatre ennemis du métabolisme de notre foie.

Tout d'abord, les gras trans. Mais ça, nous ne le savions, et la présence de ces gras diminue.

Deuxièmement, les acides aminés à chaîne ramifiée, des acides aminés qui sont présents dans la viande et le lait et bien d'autres sources, mais à des teneurs relativement basses sauf dans le cas des animaux nourris au maïs. Il faut effectivement de la leucine, de l'isoleucine et de la valine pour se faire des muscles. Si l'on fait de la musculation, on prend des suppléments protéinés pour augmenter la masse musculaire et dans ce cas, ces acides aminés en chaîne sont souhaitables. Mais si l'on ne s'adonne pas à la musculation et en consomme des quantités excédentaires, ce qui arrive, c'est que tout l'excédent se retrouve dans le foie. L'excédent est métabolisé et crée la stéatose hépatique, comme le fait le sucre.

Troisièmement, il y a l'alcool, mais les enfants ne boivent pas d'alcool.

Quatrièmement, il y a le fructose, qui est la molécule sucrée du sucre.

Ce sont les quatre principales causes du problème qu'est le syndrome métabolique. Ces quatre éléments, les gras trans, les acides aminés ramifiés, l'alcool et le sucre, sont à la base des aliments transformés qui font partie du régime alimentaire des Américains, des Canadiens et d'autres populations dans le monde.

C'est parce qu'ils ont trois choses en commun que ces quatre éléments sont si dommageables. Premièrement, seul le foie peut les métaboliser; deuxièmement, ils ne peuvent pas être régulés par l'insuline; et troisièmement, ils saturent la capacité du foie de les métaboliser, alors le foie n'a d'autre choix que de transformer l'excédent en gras hépatique. Ce gras hépatique entraîne donc tous les effets négatifs des maladies métaboliques, notamment la résistance à l'insuline, qui fait en sorte que le pancréas doit produire davantage d'insuline, ce qui donne lieu à un gain de poids. Autrement dit, l'augmentation de l'obésité dont vous vous préoccupez tant est en fait causée par l'accumulation de gras hépatique attribuable à ces quatre éléments.

Le problème est que le sucre est l'ingrédient de base des aliments transformés. L'industrie alimentaire utilise le sucre comme un hameçon pour vous amener à acheter davantage. Le sucre n'est pas le seul problème, mais c'est le problème le plus important.

Le sénateur Eggleton : Vous avez en partie répondu à la question que je voulais vous poser. Permettez-moi donc de vous interroger également au sujet des effets du sodium, des maladies qu'il entraîne et de son lien avec l'obésité.

Dr Lustig : La question du sodium est extrêmement complexe, et la réponse que vous allez obtenir dépend de la personne à laquelle vous posez votre question. Si on examine la méta-analyse sur la consommation de sodium, les maladies cardiovasculaires et le diabète, on constate qu'il y a bel et bien un effet. Toutefois, le taux de risque s'établit entre 1,24 et 1,27. Cela signifie que, si vous augmentez votre consommation de sel, votre risque de développer une maladie cardiaque ou d'avoir un AVC est de 24 à 27 p. 100 plus élevé. Il s'agit d'un chiffre important, sauf qu'il faut dire que les scientifiques et les statisticiens ont déterminé que le critère pour toute intervention est un taux de 1,3. Lorsqu'on examine les données sur le sodium, on apprend qu'il y a un groupe de personnes très précis, peut-être 15 p. 100 de la population totale du Canada et des États-Unis, qui est extrêmement sensible au sel. Ces personnes doivent réduire leur consommation de sodium. Je suis tout à fait d'accord là-dessus.

Cependant, pour la majorité des gens, une réduction de leur consommation de sodium n'aurait pas une incidence considérable sur leur taux de risque, car leurs reins sont en mesure de métaboliser l'excédent de sodium mieux que ceux des personnes faisant partie de ce groupe en question, alors leur système peut gérer cette quantité excessive de sel que nous consommons.

La question que votre comité doit se poser est la suivante : est-ce que les besoins de la minorité ont préséance sur ceux de la majorité? Je ne peux pas répondre à cette question pour vous. Votre comité doit y réfléchir pour déterminer quelle est la réponse logique.

En tant que médecin, je peux vous dire qu'il n'y a aucune raison qui justifie qu'une personne ait besoin de consommer plus de 2,3 grammes de sodium par jour. Notre consommation de 6,9 grammes de sodium est ridicule et extrême. Alors, personnellement, je suis en faveur d'une réduction de la consommation de sel. Toutefois, je ne veux pas que vous pensiez qu'une réduction de la consommation de sel permettrait de régler tous les problèmes, car ce n'est pas ce qu'indiquent les données.

Le sénateur Eggleton : Je comprends. Nous parlons du point de satiété que l'industrie essaie d'atteindre. Elle utilise le sel et le sucre. Si vous attirez les gens avec le sel, alors ils vont consommer davantage de sucre.

Dr Lustig : Tout à fait. Nous parlions uniquement de la consommation de sel et des aliments transformés, mais là où on trouve du sel, on trouve davantage de sucre. C'est là un point extrêmement important.

Dans la vidéo que j'ai diffusée dans YouTube en 2009, intitulée « Sugar : The Bitter Truth », il y avait une diapositive intitulée « The Coca-Cola Conspiracy », et je crois toujours qu'il s'agit d'une conspiration. Je parlais du fait que, dans une canette de Coca-Cola, il y a 55 milligrammes de sodium. J'ai demandé au public pourquoi il y avait du sel dans cette boisson. Est-ce nécessaire? Ce n'est absolument pas nécessaire. Vous vous souvenez peut-être que, lorsque nous étions enfants, on vendait une boisson gazeuse qui s'appelait Royal Crown Cola. Cette boisson ne contenait pas de sel. On n'avait pas besoin de mettre du sel dans une boisson gazeuse. La raison pour laquelle on en met, c'est parce que cela vous fait uriner davantage, car lorsque vos reins se débarrassent du sel, vous perdez en même temps de l'eau. Cela accentue donc votre soif.

Le sénateur Eggleton : Je suis désolé, mais mon temps de parole achève. Je n'ai pas eu l'occasion de poser une question au professeur Jeffery. Je vais m'adresser à lui lors du prochain tour.

Avez-vous espoir que des négociations puissent avoir lieu avec l'industrie, qui a trouvé le moyen de transformer les aliments d'une façon qui lui permet d'accroître ses revenus et le nombre de consommateurs? Pensez-vous que des négociations soient possibles ou faudra-t-il adopter une loi?

Dr Lustig : Je vais vous répondre très honnêtement. Il sera impossible de négocier avec l'industrie. Il sera toutefois possible d'amener l'industrie à la table de négociation et de lui présenter des principes qui finiront par être adoptés, car c'est le gouvernement qui déterminera les règles du jeu. C'est ensuite l'industrie qui décidera comment elle veut les appliquer.

C'est ce qui s'est produit au Royaume-Uni. Un comité d'action sur le sodium, dirigé par le Dr Graham MacGregor de l'Institut Wolfson, en 2006, a enjoint le gouvernement de Tony Blair d'inviter l'industrie alimentaire britannique à la table de négociation. Le gouvernement a demandé à l'industrie de sevrer tous les Britanniques du sel, et de le faire lentement, c'est-à-dire à raison de 10 p. 100 par année au cours d'une période de cinq ans. Le gouvernement n'allait pas se préoccuper de la façon dont l'industrie allait s'y prendre, mais il comptait faire un suivi et s'assurer que l'objectif serait atteint. Savez-vous ce qui s'est produit? On a obtenu des résultats. Il y a six mois, on a publié un article dans le British Medical Journal, qui indique que l'incidence des maladies cardiaques et des AVC en Grande-Bretagne a diminué de 40 p. 100 durant cette période, car le gouvernement a surveillé l'industrie et a insisté pour que cet objectif soit atteint. Il a fait en sorte que l'industrie y parvienne, peu importe les moyens employés. Il n'y avait pas de négociation possible. Le gouvernement n'a pas demandé à l'industrie si elle allait ou non le faire. Elle devait le faire, un point c'est tout. Alors l'industrie a dû déterminer comment elle allait s'y prendre. Il n'y avait pas de négociation possible.

Le président : Monsieur Jeffery, je crois que vous vouliez faire un commentaire au sujet d'une des réponses qui ont été données, n'est-ce pas?

M. Jeffery : J'ai quelques points à faire valoir au sujet de la question du sodium. Il est juste de dire qu'il y a différents points de vue concernant le sodium. L'Organisation mondiale de la santé a déterminé que la réduction de la consommation de sodium au sein des populations constitue la façon la plus efficace de réduire la mortalité à l'échelle mondiale, au même titre que la réduction du tabagisme. Nous avons fait des efforts pour que les recommandations du Groupe de travail sur le sodium soient appliquées au Canada. En 20 ans, je n'ai jamais vu un tel appui de la part d'ONG œuvrant dans le domaine de la santé. Je crois qu'il y avait 70 groupes qui représentaient les deux tiers des ménages canadiens qui étaient en faveur de cela. Il n'est pas possible de traiter six millions de personnes qui sont sensibles au sodium. Nous n'avons pas les techniques de laboratoire qui nous permettent de le faire. Même les personnes qui ne sont pas sensibles au sodium observent une diminution de leur tension artérielle.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous les deux.

Il est clair qu'il s'agit d'un domaine complexe qui est en constante évolution. Cela ne fait aucun doute. La plupart des gens ne savent pas très bien ce qu'ils devraient ou ne devraient pas faire. Il y a toutefois des preuves qui sont incontestables, et je crois, docteur Lustig, que vous l'avez très bien démontré. C'est ce que vous avez fait également, monsieur Jeffery.

En tant que législateurs, nous sommes évidemment préoccupés principalement par les aspects pragmatiques : que pouvons-nous faire pour améliorer les choses? Quelles recommandations pouvons-nous formuler? C'est d'ailleurs l'objet de notre étude : quelles recommandations pouvons-nous faire afin d'améliorer la santé des Canadiens?

Je vous suis reconnaissante, monsieur Jeffery, d'avoir parlé des changements sur le plan de la consommation et du type de données que nous recueillons ou que nous ne recueillons pas, ainsi que du lien entre l'évolution de la consommation et l'augmentation de l'obésité. C'est un élément important.

J'aimerais vous poser à tous les deux une question fondamentale. Monsieur Jeffery, vous avez présenté une liste de recommandations portant sur des changements au chapitre des politiques qui est assez impressionnante. Docteur Lustig, vous avez très clairement énoncé des changements qu'il serait possible d'apporter. Pouvez-vous me dire précisément quelles mesures sont susceptibles de fonctionner selon vous et pour quelles raisons. Il existe toute une panoplie de mesures que nous pouvons envisager, mais nous devons nous pencher sérieusement sur celles qui pourraient effectivement fonctionner — le prix, le marketing, la distribution. Le Royaume-Uni a mis à l'essai certaines mesures. Le Mexique a imposé une taxe sur les boissons gazeuses. Il y a bien des choses que nous pouvons faire. J'aimerais savoir quelles sont selon vous les mesures qui pourraient fonctionner et pour quelles raisons.

M. Jeffery : Madame la sénatrice, notre mémoire contient des recommandations qui, à mon avis, fonctionneraient. Je crois que fournir davantage d'informations utiles aux consommateurs pour qu'ils puissent faire la part des choses pourrait s'avérer très efficace. Je ne parle pas seulement des menus des restaurants, mais aussi du devant des emballages des produits.

C'est essentiel. Si, à l'épicerie, vous voulez acheter de la soupe, et qu'il y a 30 ou 40 types de soupe différents, vous devrez lire l'information qui se trouve sur l'étiquette à l'endos de chaque boîte pour trouver celle qui contient le moins de sodium. Cela vous prendra plusieurs minutes. Je n'ai jamais vu personne faire cela, honnêtement, à part moi, et non pas durant mon épicerie hebdomadaire, mais plutôt pour des rapports que nous devions préparer. Si vous faites cela religieusement, vous passerez six heures à l'épicerie. Ce n'est pas réaliste.

On pourrait utiliser le système fondé sur les feux de circulation rouges, jaunes et verts, en même temps que le système NuVal créé par l'Université Yale, qui attribue aux aliments une cote allant de 1 à 100. Ainsi, si vous voyez qu'une soupe a obtenu une cote de 40 et un feu jaune, et qu'une autre obtient une cote de 60 ou 62, le choix est alors simple. On le voit directement sur la tablette, et il en serait de même dans les menus.

Pour ce qui est des taxes sur les aliments, certaines politiques à cet égard sont ridicules et insensées. On ne paie pas de taxe sur les Froot Loops, alors que c'est le contraire pour la salade de fruits. Le soda est assujetti à une taxe, tout comme l'eau embouteillée en fonction du format. Toutes ces règles ont été mises en place à une époque où personne ne se préoccupait au Canada des maladies liées à l'alimentation. Elles ont donc été créées pour d'autres motifs.

Nous avons déjà parlé de la réduction du sodium. À cet égard, on a proposé une stratégie mûrement réfléchie à laquelle ont collaboré des fonctionnaires et des représentants de l'industrie et de groupes œuvrant dans le milieu de la santé. Les groupes voués à la protection des enfants s'entendent de plus en plus pour dire qu'il faut éliminer la publicité qui s'adresse directement aux enfants, comme l'a fait le Québec il y a longtemps. La Cour suprême du Canada a d'ailleurs affirmé que la publicité qui vise directement les enfants est manipulatrice.

Dr Lustig : Je suis d'accord sur tout ce que M. Jeffery a dit, à l'exception d'une chose, et j'aimerais lui poser une question à ce sujet. Il a parlé d'un système d'évaluation appelé NuVal. Il s'agit d'un système breveté élaboré par le Dr David Katz du Yale-Griffin Prevention Research Center pour ses propres besoins. Il n'a donc aucun fondement dans la réalité.

Je vais vous expliquer comment il fonctionne. Essentiellement, on attribue des points aux aliments qui sont bons et on en enlève à ceux qui sont mauvais. Monsieur Jeffery, si un produit alimentaire contient une toxine A et un antidote B, est-il bon ou mauvais pour vous?

M. Jeffery : Ce qui est intéressant à propos du système NuVal, c'est qu'il comporte une échelle allant de 1 à 100. Certains des autres types d'étiquettes qui figurent sur le devant des emballages utilisent seulement des crochets. Alors, si certains critères nutritionnels sont respectés...

Le président : Nous n'allons pas entrer dans un long débat entre les témoins. Pouvez-vous répondre à la question qu'il a posée?

Dr Lustig : Si un aliment contient une toxine A et un antidote B, est-il bon pour vous? Oui ou non?

M. Jeffery : Je dois vous répondre qu'il est illégal de vendre un aliment qui contient des toxines, alors il ne s'agit pas d'un aliment s'il contient une toxine.

Dr Lustig : Vous savez, on vend constamment des aliments qui contiennent des toxines. La liste des substances généralement reconnues comme étant sécuritaires contient 10 000 substances. Croyez-vous vraiment que chacune de ces substances devrait figurer sur cette liste? N'importe quoi peut s'y retrouver. Il faut simplement qu'une compagnie affirme que c'est sécuritaire. Pensez-vous vraiment que...

Le président : Nous avons compris. Nous ne voulons pas un débat. Nous voulons des arguments. Nous sommes capables de faire un suivi. Ce système n'est pas utilisé ici, alors je vais mettre fin à cet échange maintenant. Cessons cette discussion.

Passons au prochain point.

Dr Lustig : Mis à part cet élément, je suis d'accord avec tout ce que M. Jeffery a dit.

Le président : Je vous remercie beaucoup.

Dr Lustig : Pour revenir aux mesures qui pourraient fonctionner, je dois dire que je conviens tout à fait que la publicité qui s'adresse aux enfants est malhonnête et constitue un grand problème. Cependant, la sensibilisation n'a pas contribué à régler le problème des dépendances. Si nous nous limitons à faire de la sensibilisation, nous n'obtiendrons aucun succès. Il faut se demander ce que nous pouvons faire d'autre. La sensibilisation est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante.

La taxation est une solution facile. Tout le monde en parle, mais il faut se demander si elle fonctionne. Tout dépend du taux de taxation.

Quand on examine l'élasticité des prix, c'est-à-dire la mesure dans laquelle les gens continuent de consommer un produit alimentaire lorsque le prix augmente, on constate que l'élasticité des prix en ce qui concerne les boissons gazeuses est extrêmement grande, ce qui signifie que les gens continuent d'en acheter. Cette situation s'explique par le fait que le sucre crée une dépendance.

Si on veut avoir recours à la taxation pour réduire la consommation des substances qui créent une dépendance, il faut que la taxe soit élevée. C'est ce qu'on a constaté dans le cas des cigarettes. En ce moment, une taxe de 12 $ est imposée aux États-Unis sur les paquets de cigarettes. Il y a une incidence, car il s'agit d'un montant très élevé. Cependant, il faut d'abord se demander si les gens sont prêts. Toute la question de la taxation est très complexe.

Deuxièmement, ce qui serait le plus logique de faire, ce serait d'envisager le problème de la même façon que nous l'avons fait pour l'alcool, car l'alcool et le sucre sont très similaires sur le plan de leurs propriétés biochimiques, de leurs propriétés hédoniques et de la façon dont ils sont mis en marché. C'est ce sur quoi porte le chapitre que j'ai fait parvenir à Mme Richardson hier soir. J'espère que vous aurez l'occasion de le lire puisqu'on y traite de l'expérience vécue avec l'alcool et de la mesure dans laquelle on peut s'en inspirer en ce qui a trait au sucre.

Le subventionnement différencié serait la mesure la plus sensée, car il vise à utiliser en même temps la carotte et le bâton. Lorsqu'on combine les deux, cela donne de bons résultats.

Par exemple, je ne dis pas que ce serait une bonne mesure, mais, si on subventionnait les boissons gazeuses diètes et qu'on taxait les boissons gazeuses sucrées, on amènerait les gens à consommer davantage de boissons gazeuses diètes. Si on subventionnait l'eau embouteillée et on taxait les boissons gazeuses, il s'agirait d'un subventionnement différencié et on se trouverait par conséquent à réduire la consommation de l'aliment néfaste et on amènerait les gens à consommer davantage de bons aliments. On pourrait subventionner le brocoli et le chou-fleur puis taxer les aliments transformés. De nombreuses personnes du milieu ont affirmé qu'il s'agissait de la meilleure solution, mais cela nécessiterait bien entendu un très large consensus à Ottawa.

La sénatrice Merchant : Je crois qu'il y a de la confusion en ce qui concerne les aliments parce qu'il y a tellement d'information qui circule et qu'on ne sait pas dans quelle mesure elle est exacte. Nous savons qu'en grande partie elle ne l'est pas. Je pense que la sensibilisation est importante, quoiqu'une grande partie de la sensibilisation provient de la publicité et de la télévision. Elle ne provient pas souvent de revues scientifiques.

Il y a beaucoup de sujets à aborder, notamment l'indice glycémique des aliments. J'aimerais vous entendre sur ce point. Pour faire plus court, je vais poser tout de suite ma deuxième question. On incite maintenant les gens à délaisser le lait de vache au profit d'autres types de lait, comme le lait de coco ou de soya. Je sais que les gens en achètent. J'ai lu l'autre jour un article dans lequel on indiquait que les ventes de lait de vache avaient baissé. Puis-je obtenir vos commentaires au sujet de ces deux éléments, s'il vous plaît?

Dr Lustig : Le concept de l'indice glycémique a pris énormément d'ampleur. Je comprends très bien de quoi il s'agit, alors permettez-moi de vous l'expliquer brièvement.

L'indice glycémique indique dans quelle mesure votre glycémie augmente si vous consommez 50 grammes de glucides. Je crois que l'indice glycémique est une fausseté, et je vais vous expliquer pourquoi. Prenons par exemple les carottes. L'indice glycémique des carottes est très élevé. Si vous consommez 50 grammes de glucides en mangeant des carottes, votre glycémie augmentera passablement. La question est la suivante : Combien de carottes devez-vous manger pour consommer 50 grammes de glucides? Il faut en manger 1,3 livre. Personne n'en mangera autant.

Les carottes ont un indice glycémique élevé, mais elles ont une faible charge glycémique. C'est la charge glycémique qui importe vraiment, et non l'indice glycémique, car il faut prendre en considération la quantité d'aliments que vous devez consommer, à cause des fibres. Autrement dit, tout aliment dont la teneur en fibres est élevée aura, par définition, une faible charge glycémique et fera en sorte d'augmenter beaucoup moins votre glycémie.

Autrement dit, si on prend un aliment à son état naturel — car tous les aliments ont une certaine teneur en fibres — il aura une faible charge glycémique. C'est pourquoi je préconise les aliments non transformés. L'indice glycémique est une fausseté car, premièrement, vous ne mangeriez jamais autant de carottes et, deuxièmement, il faut savoir quel est l'aliment qui affiche la plus faible charge glycémique. Cet aliment est le sucre, car la molécule de fructose ne peut pas être mesurée dans la glycémie parce que le fructose, ce n'est pas du glucose. Le fructose ne fait pas augmenter votre glycémie; il fait augmenter votre taux de fructose dans le sang, et le fructose se lie dans vos artères aux protéines et leur enlève leur souplesse, ce qui contribue notamment à l'athérosclérose et à l'hypertension. On peut voir les molécules de fructose se lier aux protéines au moyen de techniques d'anticorps.

Mais est-ce que vous voulez vraiment augmenter votre taux de fructose sérique? Certainement pas; c'est la pire chose qui pourrait vous arriver. Les partisans de l'indice glycémique affirment pourtant que le sucre est une bonne chose. C'est une supercherie. C'est une manœuvre de l'Autorité européenne de sécurité des aliments pour tenter d'intégrer les sucres à l'apport alimentaire recommandé, comme elle l'a fait en 2013, et je m'y oppose vigoureusement.

Le président : Merci. C'est on ne peut plus clair.

M. Jeffery : J'ajouterais que la capacité de définir la plupart des aliments en fonction de leur charge glycémique ou de leur indice glycémique est limitée par le fait qu'ils comportent plus souvent qu'autrement de multiples ingrédients. La charge ou l'indice glycémique ne peut donc s'appliquer qu'à un seul de ces ingrédients à la fois. Encore faut-il savoir quelle proportion de l'aliment représente cet ingrédient. Cela devient donc le multiple d'un multiple, ce qui rend les choses d'autant plus complexes et témoigne bien à mon sens de l'importance d'une étiquette apposée sur le devant d'un produit alimentaire pour indiquer sa valeur nutritive suivant une échelle de 1 à 100. Il va de soi qu'il faut des critères nutritionnels valables pour établir une telle cote.

La sénatrice Merchant : Mon autre question concernait tous ces gens qui délaissent le lait ordinaire au bénéfice d'autres variantes qui sont de plus en plus populaires.

M. Jeffery : Certains souffrent d'intolérance au lactose et choisissent ces produits comme source de calcium ou de vitamine D. Ce n'est pas une option que nous recommandons sans réserve. Il y a bien des problèmes de nutrition qui se cachent dans le tableau d'ensemble. Nous devrions consommer davantage de fruits, de légumes et de grains entiers, et moins de sucres libres, de sodium et de grains raffinés.

Dr Lustig : Il y a deux aspects à considérer dans le cas du lait. Il y a la question du gras saturé et celle du lactose dont M. Jeffery vient de nous parler avec beaucoup d'à-propos. Il y a effectivement bien des gens qui souffrent d'intolérance au lactose et qui doivent éviter les produits qui en renferment. Il y a maintenant des laits sans lactose et j'estime que l'offre alimentaire est désormais suffisante pour que le problème se règle essentiellement de lui-même. Ce n'est donc pas quelque chose qui me préoccupe plus que de raison.

C'est surtout le gras saturé qui est problématique avec le lait. Depuis bien longtemps, une quarantaine d'années en fait, le lait fait partie des aliments ciblés, avec les œufs et la viande, parmi les causes de maladie cardiaque. Mais on a effectué récemment de nouveaux travaux de recherche dont les conclusions ne vont pas du tout dans ce sens-là.

Il y a deux sortes de gras saturés. Il y a ceux qui viennent de la viande, des acides gras dont les atomes sont en nombre pair, et ceux qui proviennent du lait et des produits laitiers, dont la chaîne comporte un nombre impair d'atomes. Ce n'est pas du tout la même chose. On a découvert que ces deux types de gras saturés se métabolisent différemment. La signature phospholipidique des gras saturés à chaîne d'atomes en nombre impair est différente. Les études empiriques menées par Dariush Mozaffarian, maintenant doyen de l'école de nutrition à l'Université Tufts, ont révélé que les gras saturés provenant des produits laitiers qui ont cette signature phospholipidique différente inhibent l'inflammation, plutôt que de la stimuler.

Il demeure possible que la viande rouge, avec son contenu en gras saturés, à chaîne d'atomes en nombre pair, ait certaines propriétés inflammatoires. Il peut y avoir des moyens de réduire cet effet indésirable — par exemple avec du bœuf engraissé à l'herbe — mais il semble bien que le lait se retrouve de l'autre côté de l'équation et ait plutôt un effet anti-inflammatoire.

Si l'on fait exception des gens qui souffrent d'une intolérance au lactose, j'estime que le lait est l'un des meilleurs aliments qui puisse exister. Bien des gens font référence à cette étude chinoise qui faisait ressortir tous les problèmes associés au lait, en pointant la caséine comme coupable, mais ces données n'ont jamais été confirmées par ailleurs. On a procédé à une série d'analyses de régression unidimensionnelle sans tenir compte de la nature multidimensionnelle qui caractérise les macronutriments. De plus, c'est un instantané de la situation à un moment précis; l'étude ne portait pas sur une période prolongée. J'écarte donc les conclusions de cette étude chinoise tant qu'on ne l'aura pas revue au moyen d'une méthodologie acceptable, ce qui n'a pas encore été fait. Pour ma part, j'estime qu'il n'y a rien à craindre du lait.

Le sénateur Enverga : Merci, messieurs, pour vos exposés. Je crois que nous recevons aujourd'hui d'excellents témoins.

Docteur Lustig, vous vous rappelez sans doute qu'il y a une dizaine d'années, l'Organisation mondiale de la santé a déclenché un tollé en indiquant qu'un régime alimentaire sain ne devrait inclure que 10 p. 100 de sucre ajouté. Pour sa part, l'U.S. Sugar Association a fait valoir que notre apport alimentaire quotidien devait renfermer 25 p. 100 de sucre ajouté. C'était une action concertée du secteur.

J'aimerais savoir si cela a fonctionné et s'il y a vraiment un apport quotidien recommandé en sucre. Dans l'affirmative, qu'est-ce qui est recommandé exactement?

Dr Lustig : C'est bien sûr une question qui me tient beaucoup à cœur. Mes collègues de l'UCSF procèdent actuellement à l'analyse de différents travaux sur le sucre. Ils utilisent pour ce faire la même méthodologie que pour les travaux sur le tabac en essayant de déterminer ce que l'industrie savait et à quel moment elle l'a appris.

D'après ce que nous savons actuellement, je peux vous dire que l'affirmation de l'Institute of Medicine à l'effet que le sucre pouvait représenter jusqu'à 25 p. 100 du régime alimentaire des Américains, une déclaration de 2004 que l'industrie alimentaire cite encore aujourd'hui, est le fruit de l'infiltration de plusieurs représentants de l'industrie dans le cercle des décideurs.

Cette affirmation est maintenant remise en question par l'organisation responsable des recommandations alimentaires pour les Américains. Le Comité consultatif sur les recommandations alimentaires a en effet indiqué au ministère américain de l'Agriculture qu'il n'était pas d'accord avec cette évaluation et qu'il estimait que le sucre ne devrait pas compter pour plus de 10 p. 100 de l'apport calorique total. Reste maintenant à voir si le ministère de l'Agriculture donnera suite à cette recommandation d'un groupe consultatif ne possédant aucun pouvoir décisionnel. Quoi qu'il en soit, le Comité consultatif a bel et bien recommandé officiellement un taux ne dépassant pas 10 p. 100.

Dans un rapport auquel j'ai contribué, l'American Heart Association a indiqué que l'on ne devrait pas excéder de 6 à 9 cuillérées à thé de sucre ajouté par jour, ce qui correspond à environ 8 p. 100. L'Organisation mondiale de la santé a établi le maximum à 10 p. 100, mais s'efforce de tendre vers un taux de 5 p. 100 en raison de l'incidence de la carie dentaire, la maladie chronique la plus répandue et la principale cause de douleur chronique dans le monde. L'OMS recommande donc essentiellement un taux de 10 p. 100 pour la santé et de 5 p. 100 pour la dentition.

J'estime pour ma part qu'un taux de 10 p. 100 est un objectif raisonnable, réaliste et cohérent que l'on peut atteindre et contrôler. J'ai toutefois adhéré à l'objectif de 8 p. 100 fixé par l'American Heart Association. Il faut se poser différentes questions : Quel objectif vous semble acceptable? Qu'est-ce qui vous apparaît réalisable? Y a-t-il un taux que l'on doit viser? Il faut certes répondre par l'affirmative, mais ce n'est pas un taux de 25 p. 100

M. Jeffery : L'American Heart Association en est arrivée à sa recommandation en partant du taux de 25 p. 100 proposé par l'Institute of Medicine qu'elle a appliqué au régime alimentaire recommandé par l'institut lui-même en suivant le guide alimentaire des États-Unis. Une grande partie de notre apport en sucre nous vient directement des fruits et des légumes, de certaines céréales et des produits laitiers à faible teneur en gras. On a déterminé qu'une fois déduit ce sucre essentiellement recommandable que renferment certains aliments, il vous reste ce qu'on appelle le sucre discrétionnaire, soit les 6 à 9 cuillérées à thé par jour, ce qui est conforme aux indications de l'Organisation mondiale de la santé.

Le président : Docteur Lustig, est-ce que vous recommandez un apport total en sucre correspondant à 10 p. 100?

Dr Lustig : Non, je parle du sucre ajouté.

Le président : Vous parlez du sucre ajouté. C'est une précision importante. Merci.

Dr Lustig : Je suis tout à fait d'accord. C'est un aspect clé de la problématique. Il faut vraiment faire la distinction entre le sucre endogène et le sucre ajouté. Le sucre endogène ne cause pas de problème, car il vient avec ses propres fibres. Le galactose, un sucre naturel du lait, est normalement transformé immédiatement en glucose par le foie. Ce n'est donc pas un problème.

Le président : C'est quelque chose que nous comprenons bien. Je voulais que tout soit bien clair, car ce n'est pas nécessairement ressorti dans votre réponse. C'est une distinction très importante. Monsieur Jeffery, vous vouliez terminer vos commentaires?

M. Jeffery : Pour que les choses soient bien claires, les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé portent sur le sucre libre, ce qui comprend essentiellement le sucre extrait de sources naturelles et ajouté comme ingrédient à d'autres aliments, soit le sucre ajouté, ainsi que celui contenu dans les jus de fruit — lorsqu'on procède à l'extraction des parties saines du fruit. C'est un élément très important à considérer. Le jus de fruit est une source considérable de sucre qui inquiète bon nombre de diététiciens.

Le sénateur Enverga : Ma question s'adresse à M. Jeffery. Vous avez parlé d'étiquetage et de publicité à l'intention des enfants. Nous avons discuté ici de la nécessité d'un étiquetage plus uniforme qui pourrait interpeller davantage ces gens qui ne s'intéressent pas à tous ces détails que l'on peut retrouver sur les emballages. On pourrait notamment se servir de symboles. Par exemple, une image de souris pourrait figurer sur une boîte de haricots, un porc sur un autre produit, ou encore une baleine. Nous pourrions réfléchir à la façon de simplifier l'étiquetage, surtout pour les enfants.

M. Jeffery : Je veux préciser d'entrée de jeu que je n'aime pas trop cet exemple de la souris et du porc, mais je suis d'accord avec la suggestion d'utiliser des symboles visuels clairs sur le devant de l'emballage, un élément crucial. Je veux revenir sur un point important que j'ai déjà abordé. Il est essentiel d'utiliser une échelle de 1 à 100 pour permettre la comparaison entre tous les aliments que l'on peut se procurer au supermarché. Si l'on se sert d'un symbole qui nous dit simplement si l'aliment est sain, il apparaîtra sur tous ceux qui se trouvent dans la section des fruits et légumes, mais sur aucun de ceux qui sont vendus dans la section des craquelins ou de la soupe. Et c'est justement là où le consommateur a besoin d'aide pour distinguer les aliments moins nutritifs des autres. C'est une bonne idée d'utiliser un système de cotation au moyen d'un code de couleurs visible sur le devant de l'emballage, mais on devrait le faire pour tous les aliments, et pas seulement pour quelques-uns.

Dr Lustig : Je suis tout à fait d'accord. L'utilisation de symboles rappelant les feux de circulation sur le devant de l'emballage serait une excellente chose. Il faut toutefois déterminer quels critères sont applicables pour qu'un aliment obtienne le feu vert. Ce sont des décisions qui devraient être prises dans les coulisses du Parlement, plutôt que dans les officines de l'industrie alimentaire. Vous avez vu ce qui s'est passé avec le programme de repérage des aliments sains; même les Froot Loops avaient la cote. C'est un processus qui exige un minimum de logique et de vigilance. L'étiquetage sur le devant de l'emballage est certes à privilégier.

Pour ce qui est des sucres ajoutés, on devrait indiquer le nombre de cuillérées à thé sur le devant de l'emballage de telle sorte que les gens comprennent bien à quoi ils ont affaire. S'ils voient ainsi qu'un produit renferme neuf cuillérées à thé de sucre, ils vont peut-être y penser à deux fois avant de le mettre dans leur panier.

M. Jeffrey : Comme vous le savez sûrement, Santé Canada songe à modifier la manière dont les données nutritionnelles sont indiquées sur les étiquettes des aliments. À la lumière des premières consultations menées par la ministre Ambrose auprès des parents, on devrait afficher des données explicatives sur le devant de l'emballage pour toutes les raisons que nous avons déjà exposées. Cela n'apparaît pourtant pas dans la proposition rendue publique en septembre dernier et j'estime que c'est vraiment problématique. Alors même que les maladies d'origine alimentaire causent chaque année la mort de 48 000 à 66 000 personnes, nous nous contentons de rectifications mineures au dos des emballages. Ce n'est pas ça qui va réduire sensiblement les taux de décès.

Le sénateur Enverga : J'ai mentionné sur différentes tribunes que nous menons une étude sur l'obésité. Les gens me disent qu'ils sont effectivement en faveur de régimes alimentaires plus sains. Ils voudraient toutefois que nous rendions le tout plus abordable. Est-ce que la voie des subventions est une piste de solution pour que le poisson et les légumes soient moins chers? Cela pourrait favoriser grandement l'adoption de modes de vie plus sains.

M. Jeffery : Comme Dr Lustig l'indiquait précédemment, il peut être avantageux de se servir des subventions comme mesure incitative. Il faut toutefois procéder avec beaucoup de rigueur, car ces subventions risquent de se retrouver dans les poches des intermédiaires dans la chaîne d'approvisionnement alimentaire. Si l'on choisit d'appliquer une taxe, il importe de s'assurer que les Canadiens comprennent bien que le gouvernement le fait en raison de la valeur nutritive moindre de l'aliment visé, et que cela soit indiqué sur l'étiquette et non pas seulement sur le reçu de caisse, de manière à exploiter l'effet de sensibilisation qui ajoute à l'efficacité de mesures semblables.

Le président : Monsieur Jeffery, vous avez sans doute une copie de ce document dont vous nous parlez concernant les recommandations de Santé Canada.

M. Jeffery : Oui. Il y a en fait cinq documents.

Le président : Pouvez-vous faire parvenir ces documents à la greffière du comité ou lui fournir un lien pour y accéder? Merci.

La sénatrice Merchant : Il y a bien des gens qui établissent des comparaisons avec le tabagisme et les mesures que nous avons prises pour contrer ses effets très néfastes. Nous en sommes rendus à mettre sur les paquets de cigarettes des photos qui sont censées dissuader les gens de s'exposer à un aussi triste sort. Pensez-vous qu'il faudra aller aussi loin dans le cas des produits alimentaires ou est-ce que les mesures que vous recommandez, comme le code de couleurs, suffiront? C'est ce que nous espérons, mais croyez-vous qu'il faudra en venir un jour à utiliser des messages aussi crus sur nos emballages?

Dr Lustig : Sénatrice Merchant, permettez-moi de répéter ce que je disais tout à l'heure. L'éducation à elle seule n'a jamais permis de régler aucun problème de dépendance. Je pourrais vous dire que de nombreuses données indiquent que ces images grotesques et horribles que l'on place sur les paquets de cigarettes — où l'on voit des gens ayant subi une trachéotomie ou perdu la moitié de leurs poumons ou de leur langue — n'ont aucunement permis d'endiguer le fléau du tabagisme. Les données sont bien claires; cela ne fonctionne pas. En définitive, lorsqu'une personne ressent le besoin de fumer, elle va tout simplement le faire. Il faut alors se demander si le sucre crée une dépendance. C'est une dépendance faible, mais c'est effectivement le cas et, en combinaison avec la caféine, cette dépendance devient forte. En outre, il est clair que les boissons gazeuses créent une dépendance chez certains.

Est-ce que l'éducation sous toutes ses formes, qu'il s'agisse d'un étiquetage indiquant le nombre de cuillérées à thé ou de telles images grotesques, donne vraiment des résultats? Est-ce que ces différentes mesures peuvent fonctionner? Est-ce que tous ces messages d'intérêt public que nous diffusons dans les écoles ou à la télé peuvent avoir un effet bénéfique sur la consommation? Regardez ce qui est arrivé à New York. Le maire Bloomberg a pris différentes mesures. On a pu voir cet homme qui buvait du gras. On a montré le nombre de sachets de sucre que renferme une boisson gazeuse. On s'est même adressé au ministère de l'Agriculture pour demander que les gens ne puissent pas se servir de leurs bons alimentaires pour acheter des boissons gazeuses. Bloomberg a fini par imposer une interdiction sur la vente de boissons gazeuses grand format. En fin de compte, personne n'a modifié sa consommation de sucre pour autant. Tous ces efforts de sensibilisation n'ont permis aucun changement, mais est-ce vraiment possible? Reste quand même que ces différentes mesures ont contribué à sensibiliser les gens, ce qui est absolument essentiel.

Pour le compte de l'Institute for Responsible Nutrition, notre organisme sans but lucratif, nous avons rencontré deux firmes de relations publiques, une à Washington et l'autre à Houston, pour leur poser la question suivante. Que devrions-nous faire et par quoi faut-il commencer? Leur réponse a été la même. Il est impossible de faire quoi que ce soit de concret tant que la population n'a pas été pleinement sensibilisée. Je suis donc totalement en faveur de l'éducation, mais vous faites fausse route si vous pensez que les efforts peuvent se limiter à cela.

Il faut enchaîner avec une forme quelconque d'intervention, que ce soit par la voie fiscale, la solution facile, en limitant l'accès au produit, ce qui est plus difficile, ou au moyen de subventions différenciées, le mécanisme le moins évident, mais le plus efficace. Il faut en venir à passer à l'action dans la foulée des efforts de sensibilisation.

Le président : Monsieur Jeffery, vous avez des observations à ce sujet?

M. Jeffery : L'incidence du tabagisme a diminué considérablement au Canada au cours des dernières années, et les groupes de lutte contre le tabagisme vous diront que cette baisse est attribuable aux taxes imposées, à l'étiquetage utilisé et aux règlements municipaux interdisant de fumer dans les endroits publics. Tous ces facteurs ont joué un rôle. Cela fait partie des mesures qui peuvent être prises pour modifier les comportements. Je ne suis pas chaud à l'idée de mettre une tête de mort sur les étiquettes. Je ne pense pas qu'on devrait le faire. Si un produit est nocif à ce point, il ne devrait pas se retrouver sur le marché.

Je pense qu'on pourrait être justifié d'interdire certains aliments dans des endroits bien précis, comme les écoles. Je ne crois pas que l'on devrait gaver les écoliers de malbouffe pour financer les activités scolaires. On devrait leur servir uniquement des aliments nutritifs. De nombreux employeurs canadiens auraient tout intérêt à réfléchir au type de nourriture qu'offre leur cafétéria s'ils souhaitent accroître la productivité de leur main-d'œuvre.

J'ajouterais que notre réglementation actuelle concernant la teneur des étiquettes porte surtout sur le genre d'allégations que les entreprises peuvent se permettre pour commercialiser leurs produits. Notre organisation estime que le consommateur devrait être informé à la fois de ce qui est bon pour lui et de ce qui est mauvais. Trop souvent, les bonnes nouvelles apparaissent sur le devant du produit, alors que les moins bons côtés sont noyés dans les détails à l'arrière des étiquettes.

Le président : Nous avons eu aujourd'hui une discussion vraiment intéressante. Le modèle souris-porc-éléphant qui a été proposé nous aura tout au moins permis d'entamer une réflexion sur la forme que pourrait prendre l'étiquetage. Nous commençons à nous rendre compte, comme l'ont mentionné plusieurs sénateurs ainsi que nos deux témoins, qu'il s'agit d'enjeux fort complexes. Tout cela n'a rien de simple, surtout pour le citoyen ordinaire.

Je pense que vous avez bien illustré vos propos en nous donnant des exemples très précis qui vont nous guider dans la formulation de nos recommandations quant aux différentes questions à régler. Je vous suis notamment reconnaissant à tous les deux d'avoir mis en lumière les différents aspects sur lesquels pourraient porter nos recommandations tout en nous donnant une idée de la forme qu'elles pourraient prendre.

La question de l'étiquetage n'est pas simple, mais nous savons tout de même que le consommateur peut comprendre assez rapidement la signification de certains symboles. C'est ce que nous avons pu constater avec le concept du carré et du triangle noirs sur les emballages des produits pharmaceutiques en Europe et aux États-Unis. Cela fait sans toute partie des recommandations que nous pourrions faire. Nous ne pourrons peut-être pas louer la ferme du sénateur Enverga pour y trouver une source d'inspiration dans le choix des symboles à utiliser, mais c'est une idée qui devrait certes faire son chemin.

Je crois parler au nom de tous mes collègues du comité en vous disant que ce fut une séance tout à fait captivante et que vous avez su nous présenter les différents enjeux de façon claire et articulée avec, dans certains cas, une vigueur qui était pleinement justifiée. Je veux vous en remercier tous les deux.

Docteur Lustig, je vous remercie d'avoir fait preuve de patience dans le contexte d'une comparution par téléconférence et d'avoir ainsi pu nous faire profiter de votre très précieuse contribution malgré la grande distance qui nous sépare.

Monsieur Jeffery, vous avez su exposer très clairement ces questions en faisant ressortir les aspects que nous devions considérer dans le contexte canadien.

(La séance est levée.)


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