Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 35 - Témoignages du 27 mai 2015
OTTAWA, le mercredi 27 mai 2015
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 29, pour examiner, afin d'en faire rapport, l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir.
Le sénateur Kelvin Kenneth Ogilvie (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
[Traduction]
Je suis Kelvin Ogilvie de la Nouvelle-Écosse, président du comité. J'aimerais inviter mes collègues à se présenter, en commençant à ma gauche.
Le sénateur Eggleton : Art Eggleton, de Toronto, vice-président du comité.
La sénatrice Merchant : Pana Merchant, de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Chaput : Maria Chaput, de la province du Manitoba.
[Traduction]
La sénatrice Raine : Nancy Greene Raine, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Wallace : John Wallace, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.
La sénatrice Stewart Olsen : Carolyn Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.
Le président : Je vous remercie, chers collègues. J'aimerais maintenant accueillir nos témoins. Je vais les présenter à mesure que je leur donne la parole. Étant donné que personne ne s'est battu pour parler en premier, je vais leur donner la parole dans l'ordre dans lequel ils apparaissent dans notre ordre du jour.
J'aimerais rappeler que nous sommes ici pour poursuivre notre étude en vue d'examiner, pour en faire rapport, l'incidence croissante de l'obésité au Canada : ses causes, ses conséquences et les solutions d'avenir.
J'invite donc Steve Barnes, directeur des politiques à l'Institut Wellesley, à livrer son exposé.
Steve Barnes, directeur des politiques, Institut Wellesley : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui. C'est un privilège.
Je suis directeur des politiques à l'Institut Wellesley, un institut de recherche et de politiques non partisan et sans but lucratif à Toronto. Notre mission est d'améliorer la santé de la population en inspirant des mesures liées aux déterminants sociaux de la santé et de promouvoir l'équité en matière de santé.
Aujourd'hui, j'aimerais vous parler de la façon dont l'obésité est souvent perçue comme étant un problème lié à des comportements individuels. Toutefois, de nombreuses preuves démontrent qu'il y a des liens entre l'obésité et un grand nombre de déterminants de la santé.
Aujourd'hui, je vais parler de ces liens et formuler de brèves suggestions au sujet des occasions de progresser en ce qui concerne les déterminants sociaux de la santé et de l'obésité. J'espère que nous pourrons avoir une discussion approfondie à cet égard.
Il est bien établi que l'obésité représente un problème qui prend de l'ampleur au Canada. En 2011-2012, un Canadien adulte sur quatre était obèse ou souffrait d'embonpoint, et ce qui est particulièrement inquiétant, c'est que le taux d'obésité est à la hausse. En effet, depuis 2003, le taux d'obésité a augmenté de 17,5 p. 100. L'obésité chez les enfants représente également une préoccupation importante. Presque le tiers des enfants canadiens présentent un surplus de poids ou sont obèses. Cette tendance est également à la hausse au Canada ces dernières décennies.
Les effets de l'obésité sur la santé sont nombreux et généralement bien compris, mais l'obésité entraîne, entre autres, un risque plus élevé de souffrir de maladie coronarienne, de diabète de type 2, d'hypertension, d'accident vasculaire cérébral, de trouble du foie et de la vésicule biliaire et de certains cancers.
Les conséquences sur la santé des enfants sont encore plus importantes, car elles durent toute la vie. Les maladies coronariennes et des taux plus élevés de diabète, de stress et d'asthme existent chez les enfants, et ces maladies s'aggravent avec le temps et les suivent toute leur vie. On estime que les enfants d'aujourd'hui vivront de trois à quatre ans de moins que les adultes d'aujourd'hui en raison de l'obésité.
Un point très important pour notre discussion d'aujourd'hui, c'est que l'obésité et les risques qu'elle entraîne ne sont pas distribués également dans la population, et certaines populations présentent un risque plus élevé que d'autres. Par exemple, au Canada, les salaires moins élevés sont plus fréquents parmi les immigrants récents, les familles monoparentales, les personnes âgées, les adultes célibataires, les Autochtones qui vivent à l'extérieur des réserves et les personnes handicapées.
Aujourd'hui, j'aimerais surtout vous parler des occasions de traiter l'obésité en réduisant la pauvreté. En effet, la pauvreté empêche les personnes et les familles de se procurer les nécessités de subsistance. Nous le savons tous. Lorsque nous abordons ce sujet relativement aux déterminants sociaux de la santé, nous parlons de nourriture, de logement, de services de garde d'enfants, de loisirs — un large éventail de choses.
Le revenu du quartier est un déterminant important de l'obésité, et l'obésité est plus fréquente chez les hommes et les femmes qui vivent dans des quartiers au statut socioéconomique moins élevé.
À l'échelon fédéral, plusieurs choses peuvent être faites pour réduire la pauvreté, par exemple, élaborer une stratégie de réduction de la pauvreté harmonisée à celles élaborées ou mises en œuvre par 11 provinces et territoires. Plusieurs municipalités élaborent également de telles stratégies. Nous pourrons approfondir le sujet plus tard.
Il faut également que le gouvernement fédéral participe plus activement aux soutiens directs au revenu. Par exemple, la Prestation fiscale pour le revenu de travail est une façon importante de fournir un soutien au revenu des personnes qui ont un emploi rémunéré, mais ce soutien est insuffisant pour les sortir de la pauvreté. De la même façon, des améliorations pourraient être apportées à l'AE et au RPC et à une série d'autres programmes.
Il faut également se rendre compte que la réduction de la pauvreté ne produit pas que des avantages pécuniaires; elle produit également une série d'avantages non pécuniaires tout aussi importants pour les déterminants sociaux de la santé.
Par exemple, chaque année, un Canadien sur dix ne suivra pas une ordonnance parce qu'il n'en a pas les moyens. Un grand nombre de ces personnes ne prendront pas le médicament prescrit ou le paieront de leur poche, ce qui nuit à leur capacité d'acheter de la nourriture, de payer leur loyer, et cetera. Nous pourrions mettre en œuvre une stratégie d'assurance-médicaments, par exemple, qui réduirait ces coûts quotidiens pour les Canadiens dont le salaire est peu élevé.
Nous pouvons discuter plus en détail d'autres avantages non pécuniaires, notamment les services de garde d'enfants et le logement abordable.
J'aimerais brièvement parler des facteurs agissant au niveau du quartier. En effet, les milieux qui font la promotion de la santé se retrouvent plus fréquemment dans des endroits où les gens sont relativement plus à l'aise financièrement. Cela inclut des quartiers qui favorisent les occasions de faire de l'activité physique par la présence d'espaces verts, de parcs, et cetera.
À l'échelon communautaire, le taux d'obésité tend à être plus élevé dans les quartiers les plus pauvres. Un grand nombre de ces quartiers ont également plus de restaurants-minute, et il est plus difficile d'y acheter des aliments sains.
De nombreux leviers politiques à cet égard existent aux échelons municipal et provincial, mais le gouvernement fédéral a l'occasion d'appuyer les efforts déployés par les provinces et les villes dans ce domaine. Par exemple, le gouvernement fédéral a beaucoup de pouvoir et des investissements en capitaux importants dans des éléments comme l'infrastructure des transports pour évaluer les effets sur la santé et donner la priorité aux secteurs et aux développements qui favoriseront la santé.
Enfin, j'aimerais parler de l'importance de la coordination des efforts. J'ai déjà souligné l'importance de collaborer avec les provinces en ce qui concerne leurs stratégies de réduction de la pauvreté. Le gouvernement fédéral pourrait en faire une priorité. Même au sein du gouvernement fédéral, à mon avis, on pourrait mieux coordonner les travaux menés dans les ministères, les agences, et cetera.
Une approche a été utilisée avec succès dans d'autres pays, notamment en Australie : il s'agit d'un modèle de politique appelé Intégration de la santé dans toutes les politiques, et son titre le décrit parfaitement. Il s'agit de construire des structures dans les processus d'élaboration des politiques qui permettent d'évaluer la santé en utilisant des outils simples, telle l'évaluation de l'impact sur la santé, pour éclairer la prise de saines décisions à toutes les étapes de la chaîne politique.
Je vais m'arrêter ici. J'espère que nous pourrons avoir une discussion plus approfondie pendant le reste du temps qui nous est imparti. Merci beaucoup.
Le président : La parole est maintenant à Valerie Tarasuk, chercheuse principale, professeure, Département des sciences de la nutrition, Université de Toronto; elle représente PROOF. Vous pouvez livrer votre exposé.
Valerie Tarasuk, chercheuse principale, professeure, Département des sciences de la nutrition, Université de Toronto, PROOF : PROOF est un programme de recherche interdisciplinaire financé par les Instituts de recherche en santé du Canada. Notre mission est de cerner des interventions politiques efficaces pour réduire l'insécurité alimentaire au Canada.
« L'insécurité alimentaire » est l'expression que nous utilisons maintenant pour parler des gens qui ont de la difficulté à se procurer de la nourriture en raison d'un manque d'argent. La définition que nous utilisons habituellement réfère à un accès inadéquat ou précaire à la nourriture en raison de contraintes financières. C'est un important déterminant social de la santé. C'est le point que je ferai valoir dans mon exposé.
Notre estimation la plus récente en ce qui concerne la prévalence de l'insécurité alimentaire au Canada est tirée de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes — Santé mentale et bien-être 2012. Cette année-là, 12,6 p. 100 des ménages canadiens ont signalé un certain degré d'insécurité alimentaire. Les taux variaient selon l'emplacement géographique; ils sont plus élevés dans le Nord et dans les Maritimes, et atteignent un maximum de 45 p. 100 au Nunavut, mais on ne trouve nulle part au Canada un taux de prévalence d'insécurité alimentaire aussi bas que 10 p. 100.
Nous parlons de l'insécurité alimentaire des ménages, car c'est dans les foyers que la nourriture est achetée et partagée, mais pour traduire cette donnée en chiffres plus représentatifs, une proportion de 12,6 p. 100 des ménages canadiens signifie que plus de 4 millions de Canadiens ont été touchés par un certain degré d'insécurité alimentaire en 2012 — plus de 4 millions. Cela représente environ un demi-million de plus que le nombre de personnes touchées en 2007. Nous avançons dans la mauvaise direction. Il est également troublant qu'un enfant canadien sur six vivait dans un foyer touché par un certain degré d'insécurité alimentaire en 2012.
La probabilité de l'insécurité alimentaire, comme vous vous y attendez, augmente à mesure que le revenu diminue, mais d'autres facteurs de risque sont liés à l'insécurité alimentaire, notamment être Noir, être Autochtone, avoir des enfants, être une mère monoparentale, et dépendre de l'aide sociale ou de l'assurance-emploi. Tous ces facteurs augmentent la probabilité d'être touché par l'insécurité alimentaire.
Cela dit, la majorité des ménages souffrant d'insécurité alimentaire au Canada vont à l'encontre de ces profils de risque. Par exemple, presque deux tiers des ménages souffrant d'insécurité alimentaire au Canada sont dans la population active. Ils dépendent de revenus d'emploi, mais ils ne sont toujours pas en mesure de joindre les deux bouts.
Pourquoi devrions-nous nous préoccuper de cette situation? Parce que c'est un déterminant de la santé très important. En effet, l'insécurité alimentaire érode la santé physique et mentale. C'est l'indicateur le plus puissant que nous possédons pour signaler la pauvre qualité de l'alimentation au Canada, et il est beaucoup plus fiable pour prévoir une alimentation de pauvre qualité que le revenu ou l'éducation.
Je pourrais parler des preuves ou des recherches qui établissent un lien entre l'insécurité alimentaire et l'obésité, mais honnêtement, je ne l'ai pas fait, car c'est le problème le moins grave parmi ceux liés à l'insécurité alimentaire.
Selon nos conclusions, les enfants exposés à l'insécurité alimentaire grave courent un risque plus élevé de souffrir d'une série de maladies chroniques, notamment la dépression et l'asthme. Les adultes qui vivent dans des ménages souffrant d'insécurité alimentaire courent également un risque beaucoup plus élevé de présenter un large éventail de troubles de santé physique et mentale. Une fois les maladies chroniques installées, la capacité de les gérer, comme vous pouvez l'imaginer, d'un adulte ou d'un enfant qui souffre d'insécurité alimentaire représente un problème. Ils courent un risque beaucoup plus élevé d'obtenir de piètres résultats.
Récemment, nous avons examiné des données de programmes de soins d'assurance-maladie de l'Ontario. Nous avons conclu que les adultes vivant dans des ménages souffrant d'insécurité alimentaire grave utilisent, au cours d'une période de 12 mois, environ 2,5 fois plus d'argent pour les soins de santé que ceux d'entre nous qui ne souffrent pas d'insécurité alimentaire. Je vous ai présenté ce ratio pour souligner deux éléments — le grave désavantage sur le plan de la santé entraîné par l'insécurité alimentaire, mais également la mesure dans laquelle il s'agit d'un coût public.
Que pouvons-nous faire à cet égard? Nous n'avons pas encore vu, à l'échelle fédérale, provinciale ou territoriale, une politique publique conçue pour traiter expressément l'insécurité alimentaire. Nous avons un large éventail de stratégies de réduction de la pauvreté, et des interventions ont été menées, du moins en partie, pour réduire la pauvreté dans certains groupes, mais leurs effets sur l'insécurité alimentaire sont en grande partie imperceptibles. Habituellement, notre premier réflexe pour résoudre ce problème a toujours été d'avoir recours aux banques alimentaires ou aux organismes caritatifs d'alimentation, et cela n'a pas changé.
Deux membres du groupe de recherche de PROOF, Lynn McIntyre et Cathy Mah, ont récemment mené un examen des Hansards, au niveau fédéral et provincial, remontant à 1994. Elles ont découvert plusieurs cas présentant un problème lié à la faim ou à l'insécurité alimentaire. Au cours des discussions dans lesquelles une politique a été présentée en raison de ces préoccupations, le seul type de politique présenté favorise les dons aux banques alimentaires, par exemple la Loi du bon samaritain présentée par plusieurs provinces. Nous n'avons trouvé aucune preuve, dans cet examen détaillé du contenu du Hansard sur une période de 20 ans, d'une occasion où l'on a utilisé une approche différente pour remédier au problème de l'insécurité alimentaire.
C'est une préoccupation, car l'insécurité alimentaire n'est pas tellement un problème alimentaire, mais plutôt un problème de privation matérielle. En effet, lorsqu'une personne a de la difficulté à se procurer de la nourriture pour elle-même et sa famille, elle a déjà des difficultés dans de nombreux autres domaines. Il est très probable qu'elle ait des factures impayées. Si elle doit prendre des médicaments d'ordonnance, il est probable qu'elle ne les prend pas si elle n'a pas d'assurance-médicaments. Elle se passe d'autres nécessités et, ce qui est encore plus préoccupant, il se peut que le paiement de son loyer soit en retard. Bref, elle ne réussit pas à joindre les deux bouts et elle fait tout ce qu'elle peut pour survivre jusqu'au prochain chèque. Certaines de ces personnes peuvent également avoir recours à une banque alimentaire ou à un programme communautaire, mais la plupart ne le font pas.
Même si les banques alimentaires demeurent le visage public de l'insécurité alimentaire au Canada, la prévalence de l'insécurité alimentaire est de nombreuses fois plus élevée que le nombre de personnes qui utilisent les banques alimentaires. Nous n'avons aucune preuve que ces banques alimentaires fournissent une aide suffisante pour soulager les pénuries de nourriture à court terme, et encore moins pour aider les gens à se sortir de l'insécurité alimentaire.
La même limite s'applique à d'autres types de programmes communautaires d'alimentation, par exemple les jardins communautaires, les cuisines communautaires ou les programmes de fruits et légumes subventionnés qui gagnent en popularité. Même si ces initiatives sont issues de bonnes intentions, elles sont incapables de modifier la privation matérielle qui sous-tend l'insécurité alimentaire.
Que doit-on faire? On peut trouver des indices de solutions stratégiques en s'inspirant de quelques exemples de réussite. L'un d'entre eux concerne la stratégie de réduction de la pauvreté qui a été lancée à Terre-Neuve-et-Labrador en 2006. Comme M. Barnes l'a mentionné, plusieurs provinces ont mis en œuvre des stratégies de réduction de la pauvreté. Selon nos observations, seulement l'une d'entre elles entraîne des effets sur l'insécurité alimentaire, et je parlerai surtout de ses effets sur les bénéficiaires de l'aide sociale.
Environ 70 p. 100 des bénéficiaires de l'aide sociale au Canada souffrent d'insécurité alimentaire, et on reconnaît généralement que c'est attribuable au revenu très peu élevé des gens qui profitent de ce programme. Toutefois, de 2007 à 2012, le taux d'insécurité alimentaire chez les bénéficiaires de l'aide sociale à Terre-Neuve-et-Labrador a diminué de moitié. Pourquoi? Eh bien, dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie de réduction de la pauvreté, la province a augmenté le montant de soutien du revenu et l'a indexé à l'inflation, elle a augmenté les limites liées aux exemptions sur les liquidités et les gains, et elle a augmenté le seuil de revenu pour profiter d'une réduction d'impôt pour faible revenu. Ensemble, ces mesures ont permis aux bénéficiaires de l'aide sociale de conserver une plus grande partie de leur revenu. Cela a eu des effets importants sur leur risque de souffrir d'insécurité alimentaire. C'est une découverte très importante, car c'est la preuve que la modification d'une politique publique visant à améliorer les circonstances matérielles des groupes très vulnérables modifiera également le risque qu'ils souffrent d'insécurité alimentaire.
L'autre exemple d'intervention politique que nous avons et qui semble être un exemple de réussite concerne les personnes âgées. Pendant de nombreuses années, nous avons observé la mise en œuvre de stratégies très énergiques, menées en grande partie par le gouvernement fédéral, mais également avec la participation des provinces et des territoires, visant à réduire la pauvreté chez les Canadiens âgés, et elles ont fonctionné. De plus, nous avons également observé des taux d'insécurité alimentaire beaucoup moins élevés chez les personnes âgées au Canada. L'insécurité alimentaire n'a pas été éradiquée chez les personnes âgées, mais c'est le seul groupe social qui semble à l'abri du problème. En effet, lorsqu'un adulte au revenu peu élevé atteint l'âge de 65 ans, si son revenu est peu élevé à ce moment-là, le fait d'atteindre cet anniversaire réduit de moitié le risque qu'il souffre d'insécurité alimentaire.
La caractéristique principale des deux exemples stratégiques que je vous ai donnés, dans la mesure où ils ont eu des effets sur l'insécurité alimentaire chez les groupes touchés, c'est que ces politiques ont amélioré, de façon importante, les circonstances matérielles des personnes situées tout en bas de l'échelle, en améliorant leur revenu et la sécurité du revenu. À mon avis, c'est ce qui distingue ces deux interventions politiques d'autres types d'interventions politiques qui ont peut-être eu un certain effet sur la réduction de la pauvreté, mais qui n'ont pas d'effet perceptible sur l'insécurité alimentaire.
En somme, l'insécurité alimentaire est un grave problème de santé publique au Canada. Tout indique que ce problème ne fait qu'empirer. La lutte contre l'insécurité alimentaire doit absolument devenir une priorité de politique publique. Par conséquent, il est impératif de s'attaquer à la privation matérielle qui définit l'insécurité alimentaire et de reconnaître que c'est plus qu'un problème d'alimentation. Merci.
Le président : Merci, docteure Tarasuk. Je vais maintenant céder la parole à Joe Gunn, directeur général de Citoyens pour une politique juste.
Joe Gunn, directeur général, Citoyens pour une politique juste : C'est un plaisir d'être ici aujourd'hui. Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous pour discuter de cet important dossier.
Citoyens pour une politique juste est une organisation nationale résolue à assurer l'épanouissement de l'être humain et l'intégrité de la création en réponse à l'appel de Dieu d'être juste et d'aimer son prochain. Nous sommes une organisation confessionnelle. Vous aimeriez peut-être savoir que nous venons d'effectuer une tournée à travers le Canada en compagnie des dirigeants de l'Église mennonite du Canada, de l'Église évangélique luthérienne du Canada ainsi que du Conseil canadien des Églises afin de nous pencher sur les questions de la pauvreté et des changements climatiques à l'échelle nationale. Notre mandat est de contribuer à l'élaboration de politiques qui permettront à chacun de vivre dans la dignité et de participer au sein de la société.
Je considère qu'il est important d'être ici aujourd'hui parce que nous avons probablement tous quelqu'un dans notre entourage, que ce soit un ami, un proche ou peut-être même un conjoint, qui est obèse ou qui a un surplus de poids et qui a profondément souffert de ce problème de santé. Il n'est donc pas étonnant que l'Organisation mondiale de la santé ait déclaré que l'obésité a atteint les proportions d'une épidémie mondiale et que, comme M. Barnes l'a indiqué tout à l'heure, un Canadien sur quatre en souffre, dont un trop grand nombre d'enfants.
Malheureusement, les stéréotypes voulant que les personnes obèses soient des personnes paresseuses, qui s'alimentent uniquement de malbouffe, influencent notre perception, à un point tel où l'obésité laisse supposer une défaillance morale des personnes qui en souffrent. Comme l'ont dit les autres témoins aujourd'hui, et comme vous pouvez le lire dans la documentation, si on veut mieux comprendre l'obésité, il faut la contextualiser davantage et reconnaître que la réalité est beaucoup plus complexe que cette perception populaire.
L'obésité est une maladie, influencée par la société et la culture et dont les attributs sont définis différemment selon les gens et les lieux. La littérature médicale définit l'obésité en fonction de l'indice de masse corporelle, sur lequel je ne m'attarderai pas aujourd'hui. N'empêche que si on parle d'une véritable épidémie, c'est parce que l'obésité est très fréquente et en croissance rapide partout dans le monde. On a indiqué que le taux d'obésité avait doublé récemment au Canada par rapport à 2008.
Nous devons peut-être examiner la documentation sur la santé qui considère que les principaux responsables de l'obésité sont les mauvaises habitudes alimentaires et le manque d'activité physique. Toutefois, les gens ont tendance à blâmer toutes sortes de choses pour leur manque d'activité physique, notamment l'Internet, les véhicules, les télécommandes et même le déficit de sommeil.
Ce que vous constaterez aujourd'hui, c'est qu'il faut aller au-delà de ces facteurs et ne pas voir ce problème comme une simple question de volonté personnelle.
Nous sommes également d'avis que la pauvreté est le principal facteur de risque d'obésité. L'inégalité, le faible revenu, la hausse des coûts des biens et des services et l'exposition à des problèmes de santé tels que les cancérogènes sont corrélés à l'obésité. Un grand stress vécu en bas âge, comme la dépression ou des troubles alimentaires, peut également être à l'origine de l'obésité. On a également fait mention du lien qui existe entre la pauvreté et la santé, et nous approuvons cette théorie.
Par conséquent, pour s'attaquer à ce problème, nous avons besoin de modèles de promotion de la santé qui sont intégrés du point de vue social et environnemental. Notre approche doit aller au-delà des choix alimentaires et de l'activité physique, qui sont des interventions un peu trop simplistes. Nous devons envisager des changements plus profonds et cesser de nous dire que si les gens obèses étaient mieux renseignés, ils pourraient modifier leur mode de vie, faire de meilleurs choix et améliorer leur santé par eux-mêmes.
Nous aimerions examiner les facteurs sociaux et environnementaux de la santé qui amèneraient les gens à avoir une meilleure santé grâce à toute une série d'interventions. De concert avec Canada sans pauvreté, un organisme composé de personnes ayant personnellement connu la pauvreté, Citoyens pour une politique juste, mène depuis 2009 une campagne intitulée Dignité pour touTEs dans le but d'éradiquer la pauvreté au Canada.
À vrai dire, mesdames et messieurs, je pense sincèrement que vous avez joué un grand rôle dans la mise sur pied de cette campagne. Votre rapport Pauvreté, logement, itinérance : les trois fronts de la lutte contre l'exclusion, paru en décembre 2009, a inspiré bon nombre d'entre nous et nous a incités à sensibiliser la population. Au fil des années, nous avons travaillé à l'organisation de divers sommets sur les politiques avec des experts et des dirigeants de groupes communautaires. Certains d'entre vous ont participé à plusieurs de nos diverses séances. Nous tâchons de réunir les gens. Comme vous le savez sans doute, le mouvement de lutte contre la pauvreté est plutôt dispersé; certains se préoccupent du logement et d'autres de la pauvreté chez les enfants. Nous tentons de rassembler les gens et d'élaborer un plan visant à aller de l'avant. C'est ce que nous aimerions faire.
Je vous ai laissé des copies du plan national de lutte contre la pauvreté Dignité pour touTEs que nous avons publié en février dernier. Jusqu'à maintenant, 15 000 personnes et 600 quelques organisations ont appuyé notre travail. Nous essayons d'encourager la discussion sur les mesures qui devraient être prises dans ce sens. À l'occasion de notre sommet sur la sécurité alimentaire, nous avons reçu les mêmes témoins que vous avez entendus en avril des organisations des Premières Nations, par exemple.
Nous estimons qu'il faut améliorer les conditions de santé et amener les communautés à contrôler les déterminants de la santé et que le gouvernement fédéral a un grand rôle à jouer à ce chapitre. Selon nous, les déterminants de la santé sont la pauvreté, l'exclusion sociale et l'infrastructure sociale.
On peut effectuer des changements à plusieurs niveaux. Lorsque les gens ne gagnent pas un salaire décent, cela a un effet sur leur santé. Lorsque les groupes minoritaires font l'objet de discrimination ou sont socialement exclus, leur santé en souffre. Les gens qui n'ont pas accès à des soins de santé ni à des services sociaux sont également plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé. Par conséquent, le message de la promotion de la santé dépend de la compréhension des déterminants de la santé auxquels on doit s'attaquer là où les gens travaillent, vivent et se divertissent.
Il est également important de se pencher sur l'étude de 2012 dont quelqu'un a parlé plus tôt. Il est vrai qu'au Canada, les gens qui vivent dans la pauvreté sont deux à trois fois plus à risque de développer des maladies telles que le diabète de type 2. Lorsqu'on tient compte de l'obésité et des niveaux d'activité physique, le risque demeure en effet très élevé.
J'encouragerais le comité à voir au-delà des perspectives qui se contentent de reconnaître les facteurs individuels ou comportementaux de la santé et à mieux comprendre les déterminants sociaux de la santé, ce qui serait crucial, ainsi qu'à intégrer à son travail un plan national de réduction de la pauvreté, qui est essentiel pour lutter contre de nombreux problèmes d'ordre social, économique et médical au sein des collectivités canadiennes, et plus particulièrement contre l'obésité.
Le président : Merci à vous tous. Nous allons maintenant enchaîner avec une période de questions. C'est le sénateur Eggleton qui ouvre le bal.
Le sénateur Eggleton : Il s'agit d'une partie importante de notre étude sur l'obésité. On a déjà défini les déterminants sociaux de la santé auparavant au sein du comité. M. Gunn a fait allusion à une étude en particulier — le rapport Les trois fronts de la lutte contre l'exclusion —, mais il y a également eu une étude menée par le Dr Keon sur la santé des populations, selon laquelle les déterminants sociaux de la santé étaient indispensables au bien-être de notre pays.
Des efforts de réduction de la pauvreté déployés à l'échelle nationale par tous les ordres de gouvernement sont essentiels, de même que des politiques sur l'offre de logements abordables. L'assurance-médicaments est un autre aspect que vous avez abordé. Il y a également les questions liées à la sécurité alimentaire; ce sont tous des éléments fondamentaux de la pauvreté, de ce qui mène à la détérioration de la santé et aux nombreux problèmes de santé qui découlent de l'obésité.
J'aimerais poser des questions à chacun d'entre vous sur certaines choses que vous avez dites. Je vais tout d'abord m'adresser à la représentante de PROOF. Vous avez indiqué que la Stratégie de réduction de la pauvreté de Terre- Neuve-et-Labrador avait fait diminuer l'insécurité alimentaire et, par le fait même, la prévalence de l'obésité. Il s'agit d'une politique provinciale. Selon vous, comment le gouvernement fédéral pourrait-il collaborer avec les provinces ou agir directement à ce chapitre pour obtenir des résultats semblables à ceux qu'a obtenus Terre-Neuve-et-Labrador dans le cadre de sa stratégie de réduction de la pauvreté?
Mme Tarasuk : J'ai donné en exemple la stratégie de Terre-Neuve-et-Labrador parce que c'est une stratégie qui a été couronnée de succès. Nous nous sommes également beaucoup penchés sur la Prestation universelle pour la garde d'enfants. Il y a des mesures fédérales comme celle-ci qui pourraient avoir une incidence sur l'insécurité alimentaire.
En ce qui concerne la PUGE, nous n'avons pas constaté les effets. Nous n'avons pas encore publié sur le sujet, mais nous avons beaucoup travaillé là-dessus. D'autre part, un boursier postdoctoral qui travaille actuellement sur la PUGE se penchera ensuite sur la question de l'assurance-emploi. Il y a donc des programmes fédéraux qui peuvent avoir des répercussions positives ou négatives sur l'insécurité alimentaire.
À partir de l'exemple de Terre-Neuve-et-Labrador, du Supplément de revenu garanti et de la SV pour les aînés, nous essayons de déterminer comment offrir des suppléments de revenu aux groupes marginaux. Dans le cas de l'assurance- emploi ou de la PUGE, comment peut-on offrir ces programmes plus efficacement afin de lutter contre ce problème?
Nous exhortons le gouvernement à faire de la lutte contre l'insécurité alimentaire une priorité de politique publique. Lorsque vous prenez des mesures, comme les modifications actuelles à la PUGE, vous devriez prendre du recul et vous demander si ces changements auront des effets tangibles sur l'insécurité alimentaire. Si oui, tant mieux. Sinon, il faudrait peut-être faire les choses autrement.
Ce qui fait que la Stratégie de réduction de la pauvreté de Terre-Neuve-et-Labrador ne ressemble à aucune autre stratégie provinciale, c'est qu'elle ciblait la pauvreté la plus profonde et venait en aide aux plus démunis. Si les familles les plus pauvres recevaient des prestations plus élevées au titre de la PUGE...
Le sénateur Eggleton : En fait, c'est justement ce qui m'intéresse. Quels sont les mécanismes? Vous avez parlé de la Prestation universelle pour la garde d'enfants. La Prestation fiscale pour le revenu de travail pourrait être une autre option. Comment peut-on améliorer les programmes de façon à véritablement changer les choses?
Mme Tarasuk : En effet, la Prestation fiscale pour le revenu de travail est une autre possibilité. Je pense que ces programmes devraient surtout cibler les plus démunis. Lorsqu'une personne n'arrive plus à nourrir sa famille, faute de moyens, on parle d'indigence. Plutôt que de chercher à tout prix à réduire le taux de pauvreté, si nous voulons contrer l'insécurité alimentaire, nous devrions d'abord venir en aide aux plus démunis de manière à ce qu'ils aient au moins de quoi nourrir leurs enfants. Cela nécessite de réorienter un peu les ressources.
Cette stratégie provinciale est très inspirante, mais de nombreux programmes fédéraux actuels pourraient être reciblés et améliorés, ce faisant.
Le sénateur Eggleton : Merci. J'aimerais poser une question à Steve Barnes, de l'Institut Wellesley. Vous avez publié un rapport en 2012 sur la réduction du taux d'obésité infantile en Ontario. D'après ce que j'ai lu, aucune des recommandations du rapport ne portait sur le marketing ou la publicité sur la malbouffe destinée aux enfants. Avez- vous songé à cette question? Plusieurs témoins qui ont comparu devant le comité étaient d'avis qu'il faudrait interdire la publicité pour la malbouffe qui s'adresse directement aux enfants. Aujourd'hui, il y a divers médias et plateformes autres que la télévision, mais quelles sont vos réflexions à ce sujet?
M. Barnes : C'est une bonne question. Le rapport que nous avons publié en 2012 devait s'inscrire dans le cadre de la Stratégie pour des enfants en santé du gouvernement de l'Ontario. Le rapport du groupe d'experts que le gouvernement avait établi est paru en 2012 ou 2013 et renfermait des recommandations sur la réduction de la publicité s'adressant aux enfants. En théorie, ce n'est pas une mauvaise chose. On s'entend que de moins exposer les enfants à de la publicité, surtout lorsqu'il s'agit d'aliments malsains, c'est une bonne idée. Cependant, il s'agit encore là d'interventions très ciblées au niveau individuel qui ne s'attaquent pas nécessairement aux problèmes sous-jacents dont il est question aujourd'hui. Bien qu'il soit préférable de ne pas adresser ce genre de message aux enfants, cela ne règle pas le problème du revenu familial.
Le sénateur Eggleton : Les gens n'ont tout simplement pas assez d'argent.
M. Barnes : Exactement. On soulève également des questions concernant l'éducation alimentaire. Cela ne touche pas uniquement les enfants; si on donnait des cours de cuisine aux parents, par exemple, ils pourraient ainsi mieux nourrir leurs enfants. C'est peut-être le cas de certains parents, mais pour beaucoup d'autres, ce n'est pas simplement une question d'éducation. Il y a non seulement le manque de revenus, mais aussi le manque de temps. Ce n'est pas évident d'être pauvre. On doit parfois occuper deux emplois, après quoi on s'empresse d'aller chercher les enfants à la garderie et de retourner à la maison pour préparer le repas et ne pas les coucher trop tard. On n'a pas beaucoup de temps pour cuisiner. Par conséquent, ce n'est pas le type d'intervention qui risque de donner les meilleurs résultats. Cela ne veut pas dire que vous ne devez pas prendre de telles mesures, mais plutôt qu'elles ne ciblent pas les personnes dont on vient de parler.
Le sénateur Eggleton : J'aimerais maintenant m'adresser à Joe Gunn. Votre organisme préconise une fiscalité équitable. Certains nous ont proposé de taxer la malbouffe ou de subventionner les aliments sains. Avez-vous songé à cette possibilité?
M. Gunn : Ce n'est pas une question sur laquelle nous nous sommes beaucoup penchés. Nous savons que le public, qui est influencé par les partis politiques et ainsi de suite, est plutôt d'avis que les taxes sont une mauvaise chose. Nous avons donc essayé de collaborer avec de nombreuses communautés religieuses pour venir en aide aux personnes défavorisées et organiser des banques alimentaires et toutes sortes d'activités.
En ce qui a trait à l'imposition de ces types de produits, je n'ai pas vraiment de suggestions utiles à faire.
Le sénateur Eggleton : Mais si je ne me trompe pas, tous les trois avez indiqué qu'il fallait accroître les revenus pour que les gens puissent s'acheter des aliments sains et nutritifs.
M. Gunn : Tout à fait. C'est le cas également pour diverses questions, mesures fiscales et ainsi de suite; nous devrions toujours chercher à venir en aide aux plus vulnérables de notre société.
La sénatrice Seidman : Madame Tarasuk, je crois savoir que PROOF recueille de l'information sur le coût et l'accessibilité d'une saine alimentation dans les provinces de partout au pays dans le cadre du Panier de provisions nutritif. Pourriez-vous nous dire si les produits du Panier de provisions nutritif sont abordables?
Mme Tarasuk : En fait, PROOF ne recueille pas de renseignements sur le Panier de provisions nutritif. Ce travail est en grande partie effectué par des organismes de santé publique de l'Ontario et différents groupes de diverses provinces. L'abordabilité n'a pas été déterminée par une analyse du coût des aliments. Le Panier à provisions nutritif dresse une liste de 67 aliments dont le coût est établi en magasin. Statistique Canada a interrogé les gens sur leur capacité à s'acheter les aliments dont ils ont besoin. C'est dans cette optique que nous avons examiné la question.
Quant à la deuxième partie de votre question, si vous me la posiez encore, je suppose que je pourrais y répondre. Vous me demandez mon opinion sur le caractère abordable des aliments?
La sénatrice Seidman : Oui, et, si vous le pouviez, une idée de leur caractère abordable d'un bout à l'autre du pays. Constate-t-on des différences entre les provinces?
Mme Tarasuk : C'est dans le Nord du Canada que les aliments présentent le plus grand écart de prix, mais, dans le Sud, à ce que je sache, les écarts de prix ne sont pas considérables. Cependant, nous constatons que l'insécurité alimentaire amène à cesser, d'une manière très prévisible, l'achat de certains produits alimentaires. C'est tragique, mais c'est extrêmement prévisible. La difficulté à joindre les deux bouts fait d'abord sauter les fruits, puis les produits laitiers. Ensuite, on sacrifie des aliments plus fondamentaux, comme les légumes et les protéines. En général, on conserve un apport de protéines et d'aliments énergétiques ou de calories jusqu'à la fin. Mais avant, on a cessé d'acheter des produits nutritifs.
Cela nous amène donc à nous interroger, non pas sur l'ensemble du panier d'épicerie, mais sur des produits particuliers. Pour revenir à la question du sénateur Eggleton : Qu'arriverait-il si on rendait ces produits moins coûteux? Le produit qui se trouve dans le panier d'épicerie et dont on a le plus étudié le prix sont les produits laitiers, en raison de la gestion de l'offre du lait. Sans aucun doute, nous pouvons constater que la structure particulière de l'établissement des prix du lait influe beaucoup sur les décisions des consommateurs. Par exemple, si nous comparons les Canadiens et les Américains en situation d'insécurité alimentaire, nous voyons que l'apport de calcium est bien meilleur pour les Américains que pour les Canadiens. Leur lait est bien meilleur marché qu'ici et il serait subventionné de diverses façons. Nous pouvons constater des différences.
Je pense que, d'après le point de vue de PROOF, quand nous nous intéressons à la question du coût des aliments par rapport à leur accessibilité, nous nous arrêtons davantage à la dynamique de la prise des décisions dans le ménage, compte tenu du prix.
La sénatrice Seidman : Je comprends.
Monsieur Barnes, dans votre exposé vous avez dit que, de plus en plus, on comprend que les problèmes socio- économiques complexes exigent des solutions découlant de stratégies globales, intégrées. Vous avez parlé de la mobilisation de tous les gouvernements.
Pourriez-vous nous donner un exemple ou des exemples de travail que vous auriez réalisé avec les provinces et les municipalités et qui a donné de bons résultats.
M. Barnes : C'est une excellente question, à laquelle il est très difficile de répondre, parce que, comme nous le savons tous, les gouvernements ne collaborent pas toujours trop bien entre eux. En fait, certains des meilleurs exemples qu'on pourrait citer, on les trouve à l'étranger.
J'ai mentionné brièvement la démarche adoptée par l'Australie contre l'obésité, qui était axée sur des mesures favorisant la santé pour tous. Bien sûr, le partage des compétences là-bas diffère un peu de celui d'ici, mais, en Australie-Méridionale, le gouvernement de cet État a lancé une initiative qui englobait les municipalités. Essentiellement, on a tenté d'intégrer tous les secteurs stratégiques qui étaient susceptibles d'influer sur l'obésité, de trouver les points communs et de se servir des principaux points d'appui qui permettaient de démultiplier les efforts.
Une autre mesure qui donne d'excellents résultats en Australie, et pas seulement à l'échelle d'un État, mais dans plusieurs administrations, est l'évaluation des répercussions sur la santé pour essayer de comprendre les éventuelles répercussions de certaines mesures envisagées. On l'emploie beaucoup plus systématiquement en Australie et dans beaucoup de pays d'Europe qu'au Canada.
On part du principe que, dans l'élaboration d'une politique, on prend le temps de faire une analyse rapide des éventuels impacts sur la santé en déterminant chez qui ils pourraient se faire sentir. On se demande comment démultiplier l'effet des facteurs positifs et neutraliser l'effet des facteurs négatifs. Si, en plus, on tient compte de l'équité, on peut tirer des conclusions pour telle tranche de la population. Par exemple, si les immigrants récents sont touchés proportionnellement plus que les autres et comment on peut mieux doser les facteurs, positifs comme négatifs.
Dans une certaine mesure, on a appliqué cette méthode au Canada. En Ontario, différents ministères provinciaux ont employé un outil qui permet d'évaluer les répercussions sur l'équité en santé. C'est un bon début, mais, autant que je sache, cet outil n'est pas encore connu des décideurs municipaux, par exemple.
Je suis désolé de tellement parler de l'Ontario et de Toronto, mais les évaluations des impacts sur la santé sont utilisées assez souvent par les services de santé publique de cette ville pour évaluer l'impact sur la santé de décisions prises par une large gamme de services municipaux. J'ai pris un détour pour répondre à votre question, mais, en fin de compte, vous cherchez un cadre qui permet de tester l'effet des décisions. Il est encore tôt pour savoir si cela peut fonctionner au Canada, pays où le partage des compétences est complexe. Dans votre rapport, vous pourriez recommander la mise à l'épreuve de ce moyen contre l'obésité pour confirmer son efficacité.
La sénatrice Seidman : Monsieur Gunn, M. Barnes a mentionné dans son exposé les facteurs de voisinage. Je tenais à vous questionner à ce sujet, parce que l'exposé nous en a révélé beaucoup sur l'importance de l'activité physique dans la lutte contre l'obésité. Nous avons aussi entendu que l'exercice ordinaire, l'activité dans son quartier, est aussi utile, peut-être même plus, que les sports organisés, par exemple.
Je me demande si votre organisation aide les quartiers à devenir des milieux plus favorables pour les enfants et leurs activités quotidiennes ordinaires.
M. Gunn : Je peux vous répondre que nous y participons directement, mais, dans les groupes confessionnels avec lesquels nous collaborons, cela pose un gros problème. Il suffit de voir le nombre de possibilités, la vaste gamme de possibilités subventionnées qu'offrent les camps d'été aux jeunes. Dans la région d'Ottawa, elles sont immenses.
C'est avec certaines d'entre elles que des organisations comme Christie Lake Kids, ici, à Ottawa, ont débuté, complètement détachées des groupes confessionnels. C'est un besoin pour certains néo-Canadiens. Des changements doivent donc survenir.
Bien honnêtement, nous n'avons pas vraiment consacré d'étude à cette question, mais je pense que, dans les collectivités, on est conscient de la grande importance de trouver des façons de faire communier les jeunes avec la nature et d'augmenter la participation aux programmes de loisirs, pas seulement pour des motifs de santé, comme nous le savons. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous communiquer plus de détails à ce sujet.
La sénatrice Seidman : C'est très bien.
[Français]
La sénatrice Chaput : Quand on parle d'insécurité alimentaire, je trouve cela incroyable. J'ai déjà entendu des commentaires de la part d'une petite fille qui venait jouer avec les miennes, lorsque je les élevais, et qui ne m'apparaissait pas du tout pauvre au sens de la pauvreté. Elle a dit ceci tout bonnement à ma fille, et elle avait 3 ans : « Nous, chez nous, depuis hier on n'a plus de lait et on n'aura pas de lait avant que maman se fasse payer. » Elle a même ajouté ceci : « Mais on boit de l'eau, parce que de l'eau, c'est bon pour la santé. »
Cela m'a rappelé ce commentaire, madame, lorsque vous avez parlé de l'insécurité alimentaire. Je me dis qu'il faut arriver, en tant que gouvernement, à élaborer une politique qui cible l'insécurité alimentaire afin de rejoindre les gens qui sont vraiment dans le besoin.
Comment pouvons-nous rejoindre ces familles et ces gens? Disposons-nous de statistiques? Savons-nous où ils demeurent et de quelle façon on pourrait arriver à les rejoindre? Savons-nous de quel type de politique devrait se doter le gouvernement pour commencer à la base?
[Traduction]
Le président : Madame Tarasuk, voulez-vous commencer?
Mme Tarasuk : Je vous remercie pour l'anecdote. Effectivement, depuis 2004, nous mesurons l'insécurité alimentaire par l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes. C'est une enquête annuelle que mène Statistique Canada auprès d'un échantillon de 65 000 Canadiens, représentatif de la population du pays. Un cycle sur deux, un questionnaire permet d'évaluer l'insécurité alimentaire des ménages. Les réponses à ses 18 questions fendent le cœur. Nous avons rassemblé énormément de données sur ce problème.
D'après moi, il est très facile d'en prévoir les victimes. Nous savons que le principal facteur est un faible revenu, qu'aggrave le fait d'être locataire plutôt que propriétaire. Le fait d'avoir des enfants dissipe les doutes. Avec le sous- emploi ou l'aide sociale, on risque peu de se tromper. Il ne subsiste aucun mystère. Nous disposons d'une masse extraordinaire de données. Il a fallu beaucoup de temps pour parvenir à surveiller le problème et à le mesurer aussi bien.
C'est en grande partie à l'honneur de Statistique Canada et de Santé Canada, mais nous pouvons maintenant cerner les groupes vulnérables avec un fort degré de probabilité.
Comme je l'ai dit, on pourrait facilement modifier des mécanismes fédéraux pour les rendre plus efficaces pour ces groupes à faible revenu. Je pense aussi qu'un groupe comme le vôtre a un rôle de premier plan sur toute cette question de reddition de comptes. Si aucune politique publique ne touche cette question, c'est notamment parce que personne ne l'a demandé. Si on se donnait simplement la mission d'évaluer l'efficacité ou les mérites des interventions stratégiques — ont-elles amélioré ou aggravé la situation? —, un grand pas serait franchi.
M. Barnes : Je voudrais répondre à votre question sur notre façon d'entrer en contact avec ces personnes et de les aider. Je pense que le principal mécanisme dont nous disposons est la fiscalité. L'une des belles réussites de la stratégie ontarienne de réduction de la pauvreté est la prestation pour enfant. En fait, la pauvreté chez les enfants a diminué au cours des cinq années de la première stratégie. L'effet a été le plus visible dans les premières années qui ont suivi la mise en œuvre de cette prestation. Il a ensuite graduellement plafonné, parce que le montant de la prestation est resté constant plutôt que d'augmenter comme prévu.
De toute façon, cette mesure a été très importante parce qu'il était très facile pour les familles à faible revenu de l'obtenir. Si elles remplissaient leur déclaration de revenus, on déterminait plus ou moins si elles étaient admissibles, et le tour était joué. Je pense que l'une des leçons que nous pouvons en tirer est que les complications sont inutiles. De toute manière, la plupart des gens dont nous avons parlé aujourd'hui seraient en quelque sorte en contact avec l'administration à un moment ou à un autre au cours de l'année. Comme certains contribuables ne déclarent pas leurs revenus, cela peut présenter une grande difficulté, mais nous savons que beaucoup de personnes à faible revenu se retrouvent à l'hôpital, à l'urgence, qui peut être un lieu important d'intervention.
Ce n'est pas parfait, parce que, à ce point, la situation est devenue assez grave. Par exemple, à l'hôpital St. Michael de Toronto, un programme permet de prescrire un revenu aux personnes à faible revenu qui se sont adressées à son service de santé familiale. Cela permet de les diriger vers des personnes qui peuvent remplir leurs déclarations de revenus et ainsi de suite.
Je pense que nous devons chercher le genre d'occasions qui se présentent déjà. Il est possible d'élargir l'admissibilité à la prestation fiscale pour le revenu de travail et d'améliorer l'accès à l'assurance-emploi.
Enfin, j'ajouterai seulement que le travailleur à faible revenu est une autre tranche de la population qui présente un problème en croissance. En février dernier, nous avons publié un rapport qui cherchait à déterminer qui avait accès aux avantages médicaux payés par les employeurs en Ontario et nous avons constaté qu'un tiers des employés ontariens ne jouissait d'aucune protection assurée par les employeurs et qu'il avait tendance à ne participer à aucune sorte de programmes publics de prestations pour soins de santé non plus. Nous cherchons des occasions d'améliorer son sort par le régime fiscal aussi.
Des mécanismes existent, et nous devons essentiellement trouver des endroits qui permettent, sans complication, d'intervenir utilement.
Le président : Monsieur Gunn?
M. Gunn : Je serais d'accord. Je me souviens d'avoir entendu, pendant le tour dont j'ai parlé avec des dirigeants religieux, l'anecdote d'une femme victime d'une situation de violence. Elle en était sortie et était venue vivre en ville, mais c'était dans la pauvreté. Elle a raconté être allée à son église, puis, en compagnie d'amis, elle était allée prendre un café. Elle pleurait parce qu'elle n'avait pas d'argent pour le payer. Un jour, elle a eu 65 ans, et sa vie a changé.
C'est une anecdote intéressante. Elle diffère de celle de la personne qui n'avait pas de lait, mais des programmes aident à changer la vie des gens. Nous devons les bonifier et les rendre efficaces. C'est possible. Je pense qu'une partie de la difficulté vient de ce que nous laissons la population penser que nous pouvons vraiment rendre ces interventions efficaces. Dans les groupes confessionnels, on entend souvent : « Les pauvres seront toujours avec vous ». J'ai horreur de dire que la Bible se trompe, mais je pense que ce n'est pas vrai.
La sénatrice Raine : Merci beaucoup pour votre travail. Il est très important, et il est bon que vous nous en parliez.
Monsieur Gunn, parmi vos groupes confessionnels, travaillez-vous avec l'Église adventiste du Septième Jour?
M. Gunn : Non. Nous travaillons beaucoup avec les communautés chrétiennes, en raison d'une longue tradition, 25 dénominations religieuses représentées au Conseil canadien des Églises, mais je ne me souviens pas d'avoir travaillé avec elle.
La sénatrice Raine : Il me vient à l'esprit que quand j'étais jeune mère avec deux bébés qui faisaient leurs premiers pas et que je venais d'emménager dans un nouveau quartier, j'ai reçu, quelques jours après un dépliant par lequel on m'invitait à des leçons gratuites de cuisine à l'école, au bout du bloc. Comme je ne connaissais personne et que je ne savais pas faire la cuisine, j'ai saisi l'occasion. Les cours se donnaient à 20 heures. Excellent, puisque, à cette heure, les enfants étaient au lit. Je pouvais y aller à pied. Le cours était organisé par l'Église adventiste.
J'ai été étonnée par tout ce que j'ai appris, mais, surtout, j'ai suivi ce groupe au fil des ans, un groupe de Canadiens pas nécessairement riches, très classe moyenne, ordinaires, mais à qui la santé ne coûte presque rien, grâce à la bonne nourriture saine qu'ils préparent pour eux-mêmes.
Je comprends que nous vivons dans une société très obésogène et que la solution ne convient pas à tous, mais il serait intéressant de savoir si nous pouvons adopter certaines de ces habitudes. Ces gens consommaient beaucoup d'aliments comme des haricots et des céréales, qui ne coûtent pas cher, mais qu'il faut apprendre à préparer, et je pense que nous avons perdu ces compétences.
Peut-être pourriez-vous tous les trois formuler des observations sur l'existence de programmes ou d'occasions de réapprendre de bons vieux trucs pour manger sainement des aliments entiers.
M. Gunn : Mes meilleurs enseignants sont mes enfants, maintenant végétariens. Je suis comme vous : j'ai dû réapprendre beaucoup moi-même.
Dans notre visite au Canada, ces quelques dernières semaines, il a été très intéressant de constater les liens qu'établissement certaines gens entre le changement climatique et notre régime nord-américain extrême, qui comporte tellement de bœuf et d'autres types de protéines animales. En fait, les gens établissent les liens entre une gentillesse plus grande pour la terre qui viendrait de l'apprentissage de méthodes culinaires différentes. C'est un défi pour beaucoup d'entre nous.
Je pense que les groupes confessionnels ont toujours respecté des prescriptions alimentaires. Peut-être devrions-nous nous attaquer à la tâche d'en actualiser certaines, mais il existe de nombreux programmes. Je sais que ma propre église s'occupe aussi de ce genre de choses. Elle a mis sur pied un programme d'alimentation, mais elle donne aussi des cours de cuisine et ainsi de suite. Peut-être avons-nous besoin de plus.
Le président : Madame Tarasuk?
Mme Tarasuk : Je pense que beaucoup de Canadiens pourraient profiter d'une augmentation de leurs compétences culinaires, mais je vous mettrais au défi de dire quel est le problème que vous voulez corriger. Comme je l'ai dit, nous avons été les témoins de beaucoup d'initiatives, ces quelques dernières décennies, qui ont été lancées à la faveur de programmes de promotion de la santé et d'initiatives de développement communautaire et d'amélioration de la santé publique qui ciblaient particulièrement les Canadiens à faible revenu et qui cherchaient à améliorer leurs compétences culinaires. À ce que nous sachions, rien ne prouve que ces Canadiens aient moins de compétences culinaires que les autres Canadiens. On pourrait prétendre qu'ils ont besoin d'en avoir même plus pour se débrouiller avec leurs ressources limitées, et cela semble effectivement le cas.
Mettez-vous à la place d'une mère à faible revenu qui se démène mois après mois. Au début, elle est démunie, mais elle finit par devenir extraordinairement ingénieuse. Encore une fois, nous possédons des données, cette fois de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, sur cette question très précise. Nous ne parvenons pas à voir de preuves que les personnes en situation d'insécurité alimentaire sont moins compétentes que les autres. En fait, la différence significative que nous constatons dans cette analyse est qu'elles sont plus susceptibles de respecter un budget avec plus de rigueur.
Dans la population en général, compte tenu de l'offre massive de malbouffe et d'aliments prêts à servir dans la chaîne d'approvisionnement, il faut vraiment une conscientisation si l'on veut manger des aliments entiers et apprendre à les apprêter. D'après ce que je peux observer sur l'insécurité alimentaire et le faible revenu au Canada, je ne crois pas que ce soit la solution.
M. Barnes : Je pense que l'exemple que vous nous avez donné illustre parfaitement le concept de l'inclusion sociale. Ce peut être très bon pour la santé, particulièrement pour la santé mentale, mais également pour la santé physique, de déménager dans un quartier où les voisins s'invitent à toutes sortes de choses. C'est le genre de chose qui existe dans différents quartiers, partout, et c'est très positif.
Je réfléchis à ce que Mme Tarasuk vient de dire sur l'idée de reproduire à plus grande échelle ce type d'intervention pour lutter contre l'obésité ou l'insécurité alimentaire. Il est intéressant de souligner qu'au Canada, comme à bien d'autres endroits, lorsque les immigrants arrivent, ils ont tendance, en moyenne, à être plus en santé que les gens nés au Canada, même si cet avantage tend à s'estomper au fil du temps.
L'une des difficultés, c'est que l'environnement alimentaire est très différent ici. Les gens finissent par manger plus d'aliments transformés et des aliments différents de ceux auxquels ils étaient habitués. Je pense que ce genre d'intervention pourrait favoriser grandement l'inclusion sociale, le sentiment de cohésion communautaire, et permettre d'orienter les gens vers les ressources culturelles susceptibles de contribuer à leur santé et de l'améliorer.
Cette mesure serait probablement surtout adaptée aux personnes qui ne sont pas situées au bas de l'échelle des revenus. Il y a beaucoup de preuves dans le monde que les interventions qui visent les personnes à faible revenu finissent souvent par toucher le groupe juste au-dessus, qu'il est important d'atteindre, mais ce sont des gens qui peuvent sortir à 20 heures, un soir de semaine, pour se rendre à leur église. C'est une intervention importante, mais qui doit s'accompagner d'autres mesures ciblant les groupes encore plus dans le besoin.
La sénatrice Raine : C'est très bien.
Je ne peux m'empêcher de croire que nous devrions nous pencher sur les programmes des petits déjeuners et des dîners à l'école, particulièrement dans les milieux défavorisés, mais peut-être partout au Canada. Nous savons qu'il est presque impossible pour les enfants d'apprendre quand ils ont faim à l'école. Croyez-vous que nous devrions envisager de leur offrir de bons aliments nutritifs dans nos écoles?
M. Barnes : Tout le monde ne s'entend pas à ce sujet, mais la question revient chaque année à Toronto, quand la ville établit son budget et doit décider de financer ou non les programmes alimentaires destinés aux élèves. Bien sûr, si ces programmes déterminent si un enfant va manger ou non aujourd'hui, nous voulons de ce genre de programmes dans les écoles. C'est également l'occasion d'exercer une influence sur la qualité des aliments que les enfants mangent.
Quoi qu'il en soit, cependant, les enfants pauvres viennent de familles pauvres. Si nous voulons nous assurer que les enfants mangent, je pense que nous devons également nous demander si les parents mangent. Il y a des données probantes, au Canada, qui montrent que les mères monoparentales, en particulier, ont tendance à sacrifier leurs propres repas pour que leurs enfants puissent manger. Le fait d'offrir des programmes dans les écoles peut permettre à la mère de manger elle aussi, mais cela ne règle pas vraiment le problème de fond.
Mme Tarasuk : Je pense qu'il y a beaucoup de bons arguments qui justifient qu'on offre des repas à l'école, mais je rappelle que cela signifie que nous sommes aux prises avec un problème très grave, puisqu'il y a énormément de familles canadiennes qui ont du mal à se nourrir et à nourrir leurs enfants. Je ne voudrais vraiment pas que nous détournions notre attention du problème pour offrir un déjeuner aux enfants au début de la journée à l'école. Les enfants ne passent que quelques jours à l'école, cinq jours par semaine. Je pense que cela représente 192 jours par année.
Nos voisins du Sud ont un programme alimentaire national dans les écoles. Il y a eu des études afin d'évaluer son incidence sur la sécurité alimentaire des ménages, et elle est presque imperceptible parce que ce n'est qu'une toute petite injection de ressources dans la famille.
Nous devons faire attention avant de nous engager dans cette voie. Nous avons un problème très grave. Si nous choisissons de mettre en place toute l'infrastructure nécessaire pour offrir de l'aide alimentaire dans les écoles, surtout si l'on tient compte de la répartition des pouvoirs, je crains que cela nous distraie du problème très grave de l'insécurité des ménages et que nous ne perdions l'occasion de nous y attaquer.
Comme M. Barnes l'a dit, on ne trouvera jamais un enfant qui n'a pas mangé du tout à moins que sa mère n'ait extrêmement faim elle-même, et la soi-disant solution de donner un petit déjeuner à l'enfant ne permet tout simplement pas de régler le problème. Nous vivons au Canada, nous devrions faire mieux.
Le sénateur Eggleton : Il y a beaucoup de statistiques, des données que j'ai vues souvent et que j'ai déjà utilisées moi- même, sur la relation entre la pauvreté et les problèmes graves de santé, le logement insalubre et tout ce qui y est relié. J'aimerais vous interroger sur le lien entre le niveau de revenu et l'obésité.
Monsieur Gunn, vous avez dit dans votre exposé : « La pauvreté est le principal facteur de risque d'obésité. » Vous citez une étude de Minkler, qui date de 1999. Nous savons tous que les personnes pauvres ou à faible revenu et en mauvaise santé ne sont pas nécessairement toutes obèses. En revanche, il y a beaucoup de gens à revenu élevé qui sont obèses, même s'ils ont les moyens de s'acheter des aliments plus nutritifs.
Avez-vous des renseignements pour appuyer l'affirmation que je viens de lire ou en général sur la corrélation entre le niveau de revenu et l'obésité?
M. Gunn : Nous tirons cette information d'études qui datent de 2012. C'est là où nous avons constaté, à la dernière page du document, que les gens ayant vécu dans la pauvreté pendant les 12 années qu'a duré l'étude avaient 41 p. 100 plus de risque de développer la maladie et de devenir obèses lorsque le niveau d'activité physique était pris en compte. Il demeure encore élevé, à 36 p. 100.
Je pense que vous posez la bonne question, de la bonne façon, puisque vous soulignez que ce n'est pas toujours le cas. Il y a, bien sûr, des problèmes d'obésité chez les personnes qui ont un bon revenu, mais qui mangent mal elles aussi.
Il semble toutefois que cette étude montre qu'il y a suffisamment de données pour nous convaincre qu'il y a un lien avec la pauvreté et qu'il faut clairement une volonté, au Canada, pour lutter contre la pauvreté, donc nous espérons réussir à vous en convaincre.
Mme Tarasuk : L'étude représentative de la population canadienne la plus récente dont nous disposons, dans laquelle on a mesuré la taille et le poids des gens est l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2004. Je suppose que vous en avez déjà entendu parler. Dans le cadre de cette étude, la taille et le poids de 20 000 Canadiens ont été mesurés, et il n'en est pas ressorti de lien causal évident entre le revenu et l'obésité ou l'embonpoint.
Pour bien préciser ce que je veux dire, on aurait pu s'attendre, d'après la littérature nous provenant des États-Unis, par exemple, que plus le revenu est bas, plus la probabilité d'embonpoint ou d'obésité augmente. Cela n'a pas été le cas. Quand nous avons étudié les Canadiens, le meilleur échantillon que nous avons pu recueillir, qui était très grand — leur taille et leur poids ont été mesurés, ce qui est très important. Dans les études où les gens déclarent eux-mêmes leur taille et leur poids, le portrait change un peu. Mais le groupe démographique dans lequel le taux d'embonpoint et d'obésité était le plus élevé était en fait celui des hommes à revenu élevé. Je pense donc que cela nous place dans une situation délicate.
Je dirais deux choses en réaction aux observations de M. Gunn. Je pense qu'il faut faire preuve de prudence avant de faire des extrapolations de données provenant des États-Unis, parce que les tendances démographiques de l'obésité et de l'embonpoint sont peut-être un peu différentes là-bas; et je souligne aussi qu'il y a là un lien étroit avec la race.
Si vous me le permettez, j'aimerais aussi parler de l'insécurité alimentaire comme marqueur de défavorisation économique. Quand on fait une analyse intersectorielle, le seul groupe pour lequel on peut voir une probabilité supérieure d'embonpoint ou d'obésité est celui des femmes adultes. Nous ne voyons pas de lien en ce sens chez les enfants à l'échelle de la population, pas plus que nous n'en voyons pour les hommes. S'il y a une chose qu'on observe chez les hommes vivant de l'insécurité alimentaire, c'est qu'ils sont plus susceptibles d'être en insuffisance pondérale.
Il y a aussi un autre lien qui persiste. Nous voudrions bien nous en débarrasser, mais c'est impossible. Nous voyons une association statistique entre l'insécurité alimentaire et l'obésité chez les femmes adultes, mais nous n'avons pas de preuve que l'obésité est causée par leur insécurité alimentaire. Quand j'ai réfléchi à la façon de me préparer à témoigner devant ce comité, j'ai eu beaucoup de mal à déterminer comment m'orienter, parce que je pourrais franchement vous parler pendant une heure et demie de toute la complexité de l'analyse et de la littérature sur cet élément en particulier. Je ne voulais pas m'aventurer sur ce terrain, parce que je n'aurais pas eu la chance de vous parler de ce qui compte le plus, d'après moi.
Les femmes adultes en situation d'insécurité alimentaire ont souvent un diagnostic de maladie mentale et elles sont susceptibles de souffrir de problèmes métaboliques, de diabète, d'hypertension ou d'autres maladies chroniques dont on pourrait s'attendre à ce qu'elles soient liées à une plus grande probabilité d'excès de poids.
La corrélation n'apparaît donc pas clairement. Il y a peut-être un lien de cause à effet aux États-Unis, mais nous n'en avons pas la preuve solide au Canada.
Je dois dire une chose avant de m'arrêter : il est certain que l'aptitude à maîtriser son poids de la personne obèse qui se trouve en situation de faible revenu ou d'insécurité alimentaire est probablement nulle. De la même façon, les chances qu'un fumeur dans le même genre de situation arrête de fumer sont assez faibles. C'est l'autre aspect de l'équation. Quelles que soient les causes pour lesquelles ces personnes se trouvent dans cette situation, leurs statistiques ne sont pas beaucoup plus élevées que celles du reste de la population, mais leurs chances de réussir à perdre du poids ou d'adopter des comportements plus sains, si elles ont de la difficulté à se nourrir et à nourrir leurs enfants, sont probablement nulles.
M. Barnes : Quand on parle de revenu, on pense habituellement au revenu individuel et au revenu familial. Comme Mme Tatasuk l'a dit, il n'y a pas de lien particulièrement fort avec l'obésité à ce chapitre, mais si l'on tient compte des caractéristiques du milieu, on peut commencer à faire des liens.
Il y a une étude publiée dans La Revue canadienne de santé publique qui montre que les enfants qui grandissent en milieu défavorisé affichent un taux d'obésité plus élevé que les enfants qui grandissent en milieu favorisé. Il y avait une différence d'environ 10 p. 100 entre les deux groupes. Cette étude porte sur tous les enfants et non seulement sur les enfants pauvres des milieux défavorisés. Elle porte sur tous les enfants vivant dans ces quartiers.
Cela nous mène à nous demander quelles sont les caractéristiques du milieu qui font augmenter les taux d'obésité. Le revenu fait fort probablement partie de l'équation, mais comme je l'ai déjà mentionné, il y a généralement un manque d'infrastructure dans les milieux défavorisés pour favoriser une bonne santé, comme des trottoirs, des parcs et des endroits où les gens peuvent se rassembler. La situation est complexe, mais c'est pourquoi il est si important de discuter des déterminants sociaux de la santé, parce qu'ils sont tous interreliés.
Le sénateur Eggleton : C'est une bonne observation.
La sénatrice Raine : À ce sujet, vous nous parlez beaucoup de Toronto. Avez-vous remarqué des différences entre les régions urbaines, les petites et les moyennes villes et les régions rurales? Est-ce que l'un de vous les a mesurées? Ce ne sont pas tous les Canadiens qui vivent dans les grandes villes.
M. Barnes : En effet, mais je ne peux pas vous présenter de données probantes en ce sens. L'Institut Wellesley est situé à Toronto, et notre mandat vise la région du Grand Toronto. C'est la région sur laquelle nous nous concentrons.
Pour expliquer un peu ce que je viens de dire, il n'y aura pas de solution unique aux problèmes de l'environnement construit. Il y a de grandes parties du pays où l'infrastructure de transport public n'est pas une option viable et où les gens doivent utiliser la voiture pour se déplacer. Je le comprends bien.
Il faut donc changer la perspective et examiner l'environnement physique, puis réfléchir aux liens qui existent avec la santé. Bien souvent, lorsqu'on étudie les facteurs propres au milieu, on évalue des choses bien concrètes. On se demande s'il faut ajouter des places de stationnement, s'il faudrait ouvrir un restaurant là, et cetera, mais on oublie de voir les petites villes, les banlieues ou les quartiers, et même les rues, comme un tout. Il est important de tenir compte de la santé dans la planification, dans les grandes villes comme dans les petites, de même que dans les régions rurales.
La sénatrice Raine : J'ai lu une chose sur un pays, je ne me rappelle plus lequel, qui limite le nombre de restaurants- minute qui peuvent s'établir dans un territoire donné, parce que les gens sont conscients qu'ils causent trop de problèmes.
Dans la planification urbaine de Toronto, est-ce que ce genre de chose est pris en considération?
M. Barnes : Je ne crois pas qu'il y ait de réflexion du tout sur les limites à imposer à la restauration rapide, mais j'ai déjà mentionné qu'il y avait généralement un plus grand nombre de restaurants de ce type dans les milieux défavorisés.
Il y a une initiative intéressante à Toronto, qui relève du Bureau de santé publique de Toronto, qu'on appelle l'initiative des magasins santé, quelque chose du genre, qui consiste à ratisser les différents quartiers de la ville et à aller dans tous les dépanneurs pour trouver des façons de les aider à offrir des fruits et légumes frais. C'est qu'il y a tellement de leurs produits qui sont de mauvaise qualité, qui sont pleins de sucre et qui sont mauvais pour la santé. Cette infrastructure existe déjà; il y a là un magasin. Pourquoi ne pas l'aider à trouver le moyen d'offrir des aliments de meilleure qualité?
C'est une toute petite intervention locale, mais pour la personne qui a du mal à se rendre à l'épicerie parce qu'elle n'a pas de voiture et que l'autobus ne passe pas assez souvent, cela pourrait faire une grande différence que de pouvoir acheter des fruits et légumes frais au dépanneur situé à cinq minutes à pied.
La sénatrice Raine : J'ai une autre question à poser à Mme Tarasuk. Vous aviez une liste de programmes alimentaires communautaires, comme les jardins communautaires, les cuisines collectives et les programmes subventionnés de fruits et de légumes, qui gagnent beaucoup en popularité.
Si nous voulons que les dépanneurs offrent plus d'aliments sains, serait-il logique de les subventionner dans certains milieux défavorisés ciblés?
Mme Tarasuk : Je vais vous donner une réponse qui ressemble beaucoup à ma réponse sur les programmes alimentaires offerts dans les écoles. Si nous voulons que les gens aient le potentiel de remplir les conditions de base à une bonne santé, c'est-à-dire un régime alimentaire sain et de l'activité physique, si c'est ce que nous voulons favoriser, alors il ne faut pas nous contenter d'interventions à la pièce qui se limitent à l'alimentation.
La sénatrice Raine : Vous voudriez qu'on favorise des programmes comme le revenu annuel garanti, par exemple?
Mme Tarasuk : Des soutiens au revenu annuel garanti, oui. Cela représente tellement de travail. Quand je pense à certains projets communautaires, il faut tellement de travail pour créer une structure qui permette de retranche 10 cents du prix d'une tête de laitue. Quand je pense aux personnes que nos statistiques sur l'insécurité alimentaire représentent, ce ne sont pas 10 cents qui leur manquent. Ils auraient besoin de milliers de dollars pour combler l'écart qui leur permettrait d'être des citoyens parfaitement fonctionnels dans notre société, sans toutes ces contraintes.
Encore une fois, il faut prendre du recul; vous devez vous demander quel est le problème que vous voulez corriger.
La sénatrice Raine : Y a-t-il autre chose?
Le président : Je pense que c'est un thème que nous avons déjà passablement abordé aujourd'hui et que nous cherchons à découvrir d'autres aspects.
Je dirai, pour conclure la séance, que vous nous avez proposé un angle différent pour examiner les questions présentées jusqu'ici. Beaucoup de personnes ont dit croire qu'il s'agit d'un enjeu complexe, mais n'ont mis l'accent que sur cet aspect, sur lequel nous devrions nous concentrer, en ce qui concerne le dépanneur du coin, par exemple. Vous avez placé la question dans un contexte beaucoup plus vaste, qui me semble réaliste.
Il y a une chose qui m'a frappée, madame Tarasuk, c'est ce que vous avez mentionné sur la pension de vieillesse. Vous étiez tous d'accord. Je vis dans la Nouvelle-Écosse rurale, et je peux vous dire que l'apparence des maisons change radicalement en Nouvelle-Écosse lorsque les gens atteignent 65 ans. C'est un paramètre important. Il vaudrait vraiment la peine d'étudier l'incidence de mesures garantissant l'aptitude à long terme de faire des choses.
Je vous remercie infiniment de cette nouvelle « perspective », qui est peut-être un terme un peu fort, mais de ce nouvel angle d'approche pour réfléchir aux enjeux que nous examinons depuis le début de cette étude. Votre témoignage est extrêmement utile pour nous motiver à nous pencher sur ces enjeux sous ces nouveaux angles. Je ne suis pas certain que cela nous rapproche beaucoup d'une solution absolue, mais il est clair que vous nous avez aidés à placer quelques morceaux du casse-tête.
Quand on laisse tomber un peu l'idée qu'il n'y a que la pauvreté qui mène à l'obésité, entre autres, je me rappelle avoir lu quelque chose, il y a quelques années, sur la prévalence croissante de l'obésité chez les jeunes enfants en Chine. Celle-ci était totalement reliée, d'après l'étude que j'ai lue, à l'augmentation importante du revenu et à l'accès accru aux ressources. Il faut vraiment prendre toutes ces questions en considération.
Je vous remercie tous infiniment de votre présence parmi nous. Encore une fois, je remercie aussi mes collègues de leurs questions.
(La séance est levée.)