Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 2 - Témoignages du 29 janvier 2014
OTTAWA, le mercredi 29 janvier 2014
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour étudier les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, ce soir, nous commençons une nouvelle étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
[Traduction]
Avant de commencer, je veux vous faire part d'une question d'ordre administratif. La sénatrice Merchant a fait une déclaration d'intérêts personnels par écrit à l'égard de l'étude sur Radio-Canada. Conformément à l'article 15-7 du Règlement du Sénat, la déclaration sera consignée au procès-verbal de la séance. Ainsi, la sénatrice Merchant se retire des réunions consacrées à cette étude, mais elle participera aux travaux du comité se rapportant à d'autres questions.
Les témoins d'aujourd'hui représentent l'Association canadienne de la production médiatique. Il s'agit de Michael Hennessy, président-directeur général; Marc Séguin, vice-président directeur, Politiques; Jay Thomson, vice-président, Politique de radiodiffusion et affaires réglementaires; Brian Goodman, directeur, Politiques et relations gouvernementales; et Marla Boltman, avocate-conseil. J'invite les témoins à présenter leur exposé, et nous passerons ensuite aux questions.
Michael Hennessy, président-directeur général, Association canadienne de la production médiatique : Merci à vous tous, membres du Comité, de nous avoir invités à vous parler des changements qu'ont connus les activités du secteur de la production indépendante ces dix dernières années, en particulier en ce qui a trait à la technologie et à l'émergence du monde numérique sur Internet.
Bien entendu, notre comparution aujourd'hui a pour toile de fond l'étude que mène actuellement le comité concernant les défis que pose à la Société Radio-Canada l'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications. Il est incontestable qu'il s'est produit d'énormes changements technologiques, grâce auxquels le consommateur peut avoir accès à du contenu en provenance de partout dans le monde et le faire au moyen de diverses plateformes nouvelles. Cela dit, la télévision classique demeure le principal moteur économique de l'industrie de la radiodiffusion. Le contrôle des droits sur le contenu au Canada reste ce qui fait la viabilité de la radiodiffusion pour tous les acteurs du domaine, des producteurs aux diffuseurs et aux sociétés de câblodistribution et de distribution par satellite.
Il s'agit peut-être du point le plus important de notre vision de ce que l'avenir nous réserve.
Nous sommes heureux de prendre la parole au nom de nos quelque 350 membres — des producteurs anglophones de partout au Canada. Pour vous donner une idée générale, le secteur de la production indépendante, francophone et anglophone, dépense chaque année à peu près 6 milliards de dollars pour produire principalement des émissions de télévision et des films, et nous créons environ 127 000 emplois.
Permettez-moi d'aller à l'essentiel de notre message. Au cours des 30 dernières années, j'ai travaillé au sein d'organismes tant publics que privés dans le domaine des télécommunications et de la radiodiffusion. Nous avons eu à nous pencher sur de nombreuses questions complexes découlant de l'intersection de la concurrence, de la convergence et du choix du consommateur qu'entraînent Internet et les réseaux numériques. De plus, fait important, j'appartiens à la première génération qui a grandi en regardant la télévision.
L'un de mes premiers souvenirs remonte à l'époque où ma famille habitait Kingston. J'avais quatre ans quand nos voisins d'en face se sont procuré un téléviseur. Les enfants du voisinage se faufilaient jusqu'à leur maison pour regarder la télévision à la dérobée à travers la fenêtre de leur salon. Dans les premiers temps, il n'y avait pas beaucoup de contenu pour cette merveilleuse technologie, mais cela n'avait aucune importance.
Quand j'étais enfant, mon choix se limitait à CBC ou à Radio-Canada. Même si l'entrée en ondes d'un radiodiffuseur commercial, soit CTV, a apporté plus de contenu dans les années 1960, l'espace où nous vivions et l'avenir qui s'amorçait étaient encore définis surtout par l'accès aux bulletins de nouvelles et à la programmation de sport et de divertissement de CBC.
Avec l'augmentation du contenu en provenance des États-Unis et la croissance des technologies, l'existence de solutions de rechange concurrentielles au diffuseur public et à la création de contenu canadien posait un problème pour les décideurs politiques. Il s'agissait du même problème qui s'était posé dans les années 1930 au moment de la création de la CBC : comment créer une identité nationale dans une culture définie par un autre État.
Ce problème a finalement mené, à la fin des années 1960, à l'adoption de la Loi sur la radiodiffusion et à l'établissement du CRTC. À mon avis, ces mesures ont permis la croissance d'un secteur des médias dynamique et concurrentiel au Canada. Initialement, sous le régime de la réglementation, l'accès au marché et le choix étaient limités dans le but de protéger l'industrie canadienne naissante. Au fil du temps, on en est toutefois venu à privilégier une combinaison équilibrée d'initiatives nationales, d'ouverture du marché et de choix. À notre avis, cela demeure une bonne approche face à l'avenir.
Encore une fois, à mon avis, le système ne peut fonctionner en faveur des Canadiens que s'il y a respect des droits de créer, produire, distribuer et présenter du contenu au Canada, c'est-à-dire respect du territoire géographique où s'appliquent ces droits, prévention de toute utilisation non autorisée par l'intermédiaire d'Internet et usage de pratiques commerciales équitables. C'est à ces facteurs que tient l'avenir de la radiodiffusion.
Je crois que, en définitive, nous avons vu juste en optant pour le choix et la concurrence parallèlement à des politiques comme la radiodiffusion publique, les crédits d'impôt et la réglementation pour tailler une place au Canada dans le monde des médias. Les mesures incitatives ont attiré des capitaux, tandis que la concurrence et le choix nous ont forcés à faire de notre contenu un produit de classe mondiale. Grâce à cet équilibre, l'industrie canadienne génère aujourd'hui d'importantes retombées, y compris la contribution de 7,6 milliards de dollars au PIB du pays.
Les clés USB qui ont été remises au comité renferment un exposé plus détaillé de ces statistiques, ainsi qu'une vidéo qui en résume les points saillants. Il s'agit de données très récentes, qui ont en fait été rendues publiques aujourd'hui même.
Nous sommes passés d'une industrie qui ne survivait que parce qu'elle était protégée par la réglementation à une industrie de plus en plus tournée vers l'exportation, qui vend nos produits culturels et récréatifs partout dans le monde. Mais, comme je l'ai avancé au début, il ne peut y avoir commerce de contenu à l'échelle mondiale que si les droits de diffusion et de présentation de ce contenu sont respectés et si les créateurs sont rémunérés équitablement.
Il y a 20 ans, nous cherchions avant tout à nous raconter nos histoires entre nous. Aujourd'hui, nous les racontons au monde entier. À mon avis, la Société Radio-Canada a joué un rôle de premier plan à ce chapitre, comme, d'ailleurs, les producteurs indépendants auxquels elle apporte son appui.
Toutefois, nous ne devons pas nous laisser leurrer par ce succès grandissant. L'industrie de la production et le diffuseur public se trouvent à un point tournant en raison de la restructuration des médias dans le monde qu'ont entraîné les technologies numériques, Internet et une plus forte consommation à la carte.
Alors, quel plan adopter pour l'avenir? Quarante-cinq ans après avoir regardé la télé à la dérobée à travers la fenêtre de mes voisins à Kingston, j'ai vécu une expérience semblable en regardant la vidéo à la demande, dans Internet, dont j'ai pu observer les premiers balbutiements alors que je travaillais pour l'industrie de la câblodistribution, qui commençait à passer d'un simple fournisseur de services de câblodistribution à un fournisseur d'accès Internet à large bande.
Dans l'un et l'autre cas, c'est la technologie qui a d'abord suscité l'émerveillement et le contenu est venu par la suite. Mais quand il est apparu, il a changé notre vision du monde et donné naissance à des industries valant des milliards de dollars partout dans le monde, y compris ici même. Le contenu offert à ma génération comportait un point de vue canadien et renseignait autant qu'il divertissait.
Pour moi, il est impensable qu'il puisse ne pas en être de même pour la prochaine génération. L'exclusion d'un point de vue canadien n'aurait vraisemblablement pas d'effet sur l'avenir des médias à l'échelle mondiale, mais elle priverait une génération de créateurs, d'innovateurs et d'entrepreneurs canadiens des possibilités, à la fois économiques et culturelles, créées par la révolution Internet.
Sans réglementation pour stimuler la diversité et protéger la propriété intellectuelle, et sans diffuseur public, je doute que nous aurions un système canadien de radiodiffusion aujourd'hui. Dans un univers branché où le choix est « en apparence » abondant, je crois encore — tout autant que je crois au bien-fondé du recours au marché et au choix du consommateur — qu'une telle réglementation et une Société Radio-Canada renouvelée doivent demeurer des éléments du cadre conceptuel à l'avenir, pour que les consommateurs en tant que téléspectateurs puissent bénéficier pleinement d'un système de radiodiffusion faisant une place aux points de vue canadiens.
Par contre, je crois aussi que, à moins que les producteurs et diffuseurs indépendants n'aient la possibilité d'avoir accès aux réseaux de diffusion et de câblodistribution — et, en fait, à des débouchés commerciaux leur permettant de contrôler et d'exploiter leurs droits sur le contenu qu'ils créent — la diversité des voix disparaîtra. Ce risque est d'autant plus réel que nos réseaux sont contrôlés par de gigantesques sociétés à intégration verticale et que des multinationales peuvent livrer concurrence sur le marché canadien sans avoir à exercer leurs activités dans les paramètres du système.
En clair, l'ACPM croit au choix et à la concurrence; mais il faut être prudent quand on nous dit de nous en remettre entièrement au marché, ou aux consommateurs, pour façonner l'avenir. Ce sont là des facteurs d'importance critique et essentiels, mais le choix du consommateur ne signifie pas grand-chose quand il n'y a pas de diversité. D'autre part, le marché est comme un verre à moitié vide si le nôtre ne peut comprendre des produits et services canadiens. Qu'est-ce qu'il y a de mal à vouloir le meilleur des deux mondes?
Nous ne devrions jamais perdre de vue, tout d'abord, que nous avons un système tout à fait unique, qui nous a permis d'ouvrir progressivement la porte à ce que le monde offre de mieux tout en conciliant la politique publique et la concurrence et en demeurant en mesure de nous adapter à l'évolution technologique. Ce système garantit que les Canadiens ont accès au meilleur contenu produit ici sans avoir à sacrifier l'accès à ce qui se fait de mieux ailleurs.
Sur le plan commercial, il nous faut promouvoir l'exportation de nos produits culturels et récréatifs avec autant d'ardeur que Hollywood le faisait pour les siens au siècle dernier. Or, ce ne sera possible que si le marché des droits canadiens se porte bien. Dans un milieu de plus en plus régi par le marché, une forte proportion de contenu de valeur en tout genre ne survivra que si au moins une plateforme de présentation n'est pas entièrement subordonnée au rendement du capital investi. Cette plateforme, c'est la Société Radio-Canada. Cependant, ce réseau doit aussi être accessible à des conditions commerciales équitables pour assurer la production de contenu de qualité, justement parce qu'il peut bien être le seul réseau où il serait possible de garantir une place à la diversité des voix.
Quelle est la recette pour réaliser les objectifs que sont le choix, la diversité et la croissance sur un marché plus ouvert?
Premièrement, nous devons nous assurer de créer un contenu qui interpelle le public, au Canada et à l'étranger. Cela suppose que le système fasse appel aux producteurs et créateurs indépendants pour favoriser la diversité et soutenir la créativité.
Deuxièmement, nous devons faire en sorte que le consommateur ait plus de liberté de choix, afin d'en faire un adepte fidèle du système canadien. Il faut néanmoins avoir conscience que la formule « à la carte », même si elle est essentielle, peut aussi limiter, si elle est mal utilisée, la possibilité de continuer à produire du contenu de qualité dans certains créneaux de marché, tels les documentaires, les longs métrages et les émissions pour enfants.
Troisièmement, nous devons prendre des mesures pour nous assurer que les radiodiffuseurs et les distributeurs canadiens — soit les distributeurs par câble et par satellite — peuvent exploiter les droits de programmation qu'ils acquièrent, et nous devons veiller à ce que les règles du jeu soient équitables pour tous en ce qui a trait à la radiodiffusion au Canada, comme nous le faisons depuis plus de 40 ans.
Pour cela, il faudrait d'abord obliger les sociétés offrant un contenu étranger comme Netflix, qui sort à l'heure actuelle des millions de dollars du Canada chaque mois, à réinvestir sur le marché canadien une partie des sommes qu'elles en tirent pour contribuer à soutenir notre système, comme le doivent les radiodiffuseurs et distributeurs canadiens. Le gouvernement doit s'assurer que les sociétés étrangères qui fournissent des services de radiodiffusion aux Canadiens — et je crois qu'il faut leur permettre de fournir ces services — ne peuvent jouir d'avantages concurrentiels déloyaux, que ce soit en raison de l'absence de réglementation ou de règles d'imposition qui favorisent les entreprises étrangères. C'est la situation actuelle.
Il faut aussi exiger que, en échange de la possibilité de fournir des services de cyberdiffusion aux Canadiens grâce à un réseau Internet ouvert, où rien n'est bloqué, Netflix et les autres fournisseurs du genre s'assurent que leurs abonnés canadiens ne peuvent pas se servir d'adresses IP falsifiées pour obtenir accès, par leur intermédiaire, à du contenu aux États-Unis dont des entreprises canadiennes détiennent déjà les droits de distribution au Canada.
Quatrièmement, nous devons veiller à ce que notre diffuseur public ait les outils voulus pour promouvoir la diversité dans des catégories d'importance critique, comme les longs métrages et les documentaires, dont la survie ne peut reposer uniquement sur la demande des consommateurs.
Enfin, nous devons aussi mettre en place des mesures propres à empêcher le diffuseur public et les diffuseurs privés à intégration verticale d'user du pouvoir que leur confère leur rôle de contrôleurs d'accès pour imposer aux producteurs indépendants des conditions telles que ces derniers ne tirent aucun rendement des capitaux qu'ils investissent dans la création de biens de propriété intellectuelle. Les producteurs doivent pouvoir contrôler les aspects créatifs des émissions qu'ils réalisent, car c'est ce qui engendre la diversité. Or, ce contrôle tient à celui des droits sur les émissions réalisées.
En résumé, si nous ne pouvons pas empêcher des services qui n'y sont pas autorisés d'exercer leurs activités au Canada — et je pense que nous ne devrions même pas essayer de le faire — et si nous ne pouvons pas les empêcher d'empiéter sur les droits territoriaux des diffuseurs à l'égard du contenu dont ceux-ci ont fait l'acquisition, nous n'aurons plus d'industrie de la radiodiffusion digne de ce nom, car ce sont ces droits qui ont toujours permis de défrayer la création d'un contenu national.
D'autre part, et c'est une considération tout aussi importante, si les diffuseurs, qui, en tant que contrôleurs d'accès, sont caractérisés par une forte concentration, s'arrogent le contrôle des droits des producteurs ou n'accordent pas à ces derniers une rémunération équitable pour le contenu qu'ils créent en tant que partenaires, il n'y aura pas non plus de diversité des voix.
À cet égard, j'aimerais signaler que les producteurs craignent souvent le pouvoir du diffuseur public ou privé, en tant que contrôleur d'accès, autant qu'ils peuvent s'inquiéter de la capacité d'Internet de redéfinir les marchés en portant atteinte aux droits territoriaux. À moins de mesures réglementaires visant à prévenir toute action discriminatoire des diffuseurs et des exploitants de services à intégration verticale à l'endroit des voix indépendantes — qu'il s'agisse d'un producteur indépendant, d'un diffuseur indépendant ou d'une entreprise de câblodistribution indépendante — notre système comptera moins de voix, la création de contenu canadien s'amoindrira et la présentation de ce contenu en viendra à être contrôlée par un très petit nombre de sociétés.
Non seulement cela aurait-il des répercussions fâcheuses sur notre système de radiodiffusion dans son ensemble, cela irait aussi à l'encontre de la Loi sur la radiodiffusion, qui exige que la programmation offerte par notre système fasse appel de façon notable aux producteurs canadiens indépendants. Ce sont des préoccupations de ce genre qui ont finalement poussé le Royaume-Uni à fixer dans la loi les droits des producteurs indépendants. Peut-être avons-nous besoin de mesures semblables au Canada.
Merci encore de nous avoir invités à prendre la parole devant vous aujourd'hui. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Hennessy. Comme vous le savez, vous êtes notre premier témoin. Il s'agit du premier exposé qu'on nous présente, et si c'est un gage de la qualité et de la pertinence des exposés à venir sur cette question, je crois que l'étude s'avérera très intéressante. Je tiens à vous féliciter pour votre exposé.
Le sénateur Mercer : Merci, madame et messieurs, d'être venus. Je suis du même avis que le président pour ce qui est de la qualité de l'exposé. L'ACPM croit au choix et à la concurrence, mais elle appuie Radio-Canada. Vous affirmez que « le marché est comme un verre à moitié vide si le nôtre ne peut comprendre des produits et services canadiens ». Croyez-vous que ce que vous dites dans cette dernière phrase, que le verre est à moitié vide si le marché ne peut comprendre des produits et services canadiens, puisse se produire sans Radio-Canada?
M. Hennessy : Je crois que oui. Je pense que le marché peut continuer de soutenir la création d'émissions dramatiques, qu'il s'agisse de Republic of Doyle ou The Listener ou Heartland ou d'autres émissions qui attirent un auditoire de plus d'un million de téléspectateurs au Canada, ce qui constitue un nombre très élevé.
Cela s'avère moins vrai en ce qui concerne les marchés à créneaux — le secteur des émissions pour enfants, les documentaires et les longs métrages me viennent immédiatement à l'esprit — parce que la formule « à la carte » s'impose de plus en plus. Les consommateurs se sont exprimés et il est clair qu'ils veulent un choix plus vaste de la part de leurs réseaux de câblodistribution et de radiodiffusion. C'est une bonne chose. Si vous gérez une bonne entreprise, vous devez répondre aux demandes formulées par votre clientèle.
Dans un monde « à la carte », où les clients ont davantage la possibilité de choisir — et je pense qu'il y aura toujours des options, mais que la possibilité de choisir sera plus grande — vous pouvez affirmer que la pénétration, le nombre d'abonnés de chaque chaîne spécialisée aujourd'hui, va diminuer. C'est une simple question mathématique, car ces chaînes sont regroupées dans des forfaits pour assurer une forte pénétration, et puis les gens font leur choix. Même le secteur des sports, qui est le plus populaire, n'attire que 60 p. 100 des Canadiens lorsqu'il s'agit de prendre un abonnement.
Si les recettes provenant de l'abonnement obligatoire diminuent, vous devrez augmenter votre tarif; toutefois, si vous avez un auditoire beaucoup plus faible, vous n'obtiendrez jamais les recettes publicitaires que vous touchiez auparavant. Vous disposerez de moins de fonds pour produire des émissions et vous tenterez de créer une programmation plus populaire pour attirer un plus grand auditoire. Il y a de nombreuses émissions dans les marchés à créneaux qui sont de haute qualité, mais qui sont le reflet de l'univers de groupes minoritaires, si bien qu'une telle programmation, livrée à elle-même, ne survivrait pas. Je fais souvent référence aux émissions pour enfants à titre d'exemple. Nous examinions certains chiffres plus tôt aujourd'hui dans les rapports que je vous ai remis. La baisse d'une année à l'autre du montant dépensé dans le secteur de la production indépendante est d'environ 250 millions de dollars, et la baisse la plus importante touche les émissions pour enfants. Radio-Canada a commencé à se retirer de la programmation destinée aux enfants. Elle se concentre de plus en plus sur deux chaînes. Les émissions pour enfants et les films qui ne s'en tiennent pas à certaines idées préconçues du succès commercial ont de la valeur. Il faut que ces produits soient bons. Voilà ma première observation. L'émission ou le film doit trouver écho chez les spectateurs. Si l'émission ou le film est mauvais, tant pis. Voilà la conclusion à laquelle nous sommes arrivés au sein de l'industrie, et il se peut que cette façon de penser diffère de celle d'il y a 10 ans. Il faut vraiment plaire à l'auditoire, mais à moins d'avoir un radiodiffuseur public ou une réglementation qui oblige les radiodiffuseurs commerciaux à combler ce vide, vous aurez un problème.
Le sénateur Mercer : Ainsi, même si vous avez indiqué que vous pourriez peut-être survivre sans Radio-Canada, plus tard dans votre exposé, vous avez signalé que nous devons adopter certaines mesures de protection. Vous avez également affirmé, plus tôt dans votre exposé, qu'en raison de l'augmentation du contenu en provenance des États-Unis et de la technologie qui crée des solutions de rechange concurrentielles au diffuseur public et à la création de contenu canadien en général, le défi pour les décideurs était de créer une identité nationale dans une culture définie par un autre État.
Je pense que vous conviendrez probablement que nous sommes toujours dans cette situation où notre identité nationale et notre culture sont définies par un autre État, en raison de la forte concentration de contenu américain sur tous nos réseaux.
Vous avez également parlé des marchés à créneaux et des produits-créneaux tels que les émissions pour enfants et les documentaires, et vous avez dit que nous devons être en mesure de réaliser de tels produits. Ce n'est pas possible dans un marché concurrentiel si vous vous adressez seulement à ce marché restreint. Est-ce la voie que Radio-Canada devrait emprunter, se concentrer uniquement sur les marchés à créneaux, la production d'émissions d'actualité, d'émissions pour enfants et de documentaires?
M. Hennessy : Je partirais probablement d'une simple prémisse économique. Elle peut sembler un peu simple, mais il s'agit d'un bon point de départ. Si vous voulez que Radio-Canada ait un rôle précis qui le distingue des réseaux privés, le meilleur point de départ serait exactement ce que vous venez de décrire. Vous vous assurez que Radio-Canada remédie à une lacune dans la programmation essentielle dans l'intérêt du public, une lacune que le secteur privé ne comblera peut-être pas.
Le sénateur Plett : Tout d'abord, veuillez excuser mon léger retard ce soir. J'ai bien apprécié la partie de l'exposé que j'ai entendue, et je vous assure que je lirai le reste de votre intervention, car elle est excellente.
Permettez-moi de commencer en signalant que je regarde assidûment Newsworld de CBC. Je crois que CBC/Radio-Canada est un des meilleurs réseaux que nous ayons pour l'actualité. J'aime regarder les émissions sportives et The Fifth Estate. Une de mes émissions préférées sur CBC est Dragons' Den. Je ne pense pas que CBC/Radio-Canada doive éliminer des émissions. Nous avons parlé pas mal d'émissions pour enfants et ainsi de suite. Je crois que CBC/Radio-Canada est une organisation suffisamment professionnelle pour rivaliser avec quiconque et qu'elle devrait tâcher de le faire.
Dans votre exposé, vous avez utilisé quelques termes que j'aimerais vous demander d'expliquer. Par exemple, vous avez parlé de « conditions commerciales équitables ». Qu'entendez-vous par des « conditions commerciales équitables »?
M. Hennessy : Dans le contexte que je décris, si la concentration au sein du marché est forte à tel point qu'il y a un nombre restreint d'acheteurs, alors il est peu probable que les effets du marché se produisent étant donné que l'acheteur, au lieu de négocier, dicte le prix du produit, le montant qu'il est prêt à verser pour votre produit, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'autres clients potentiels à qui vous pouvez vous adresser. Depuis les 10 dernières années, c'est la trajectoire que suit le réseau canadien de radiodiffusion.
Au Canada anglais, Rogers, Shaw et Bell contrôlent 90 p. 100 de la radiodiffusion. Au Québec, il y a un certain niveau de concurrence, même si Québecor détient encore une grande emprise sur le marché.
Ainsi, nos producteurs ont beaucoup de difficulté à négocier un prix équitable pour être en mesure de détenir suffisamment de biens de propriété intellectuelle parce que, selon moi, la propriété intellectuelle, la propriété du contenu que vous créez, est ce qui est exportable. À mon avis, les droits de propriété intellectuelle, à l'ère d'Internet, c'est de l'argent.
Revenons maintenant à votre observation. Si vous ne disposez pas d'un marché pleinement fonctionnel, vous avez un nombre restreint d'acheteurs. Il y a des raisons valables pour lesquelles nous avons une concentration aussi forte, parce que nous ne bénéficions pas des économies d'échelle dans ce pays, et la seule raison pour laquelle il y a autant de radiodiffuseurs dans le secteur commercial est que Rogers, Shaw et Bell en ont fait l'acquisition. Ainsi, il n'y a pas seulement des inconvénients à la situation, mais il y a aussi une certaine emprise sur le marché qui, à mon avis, est à l'origine de beaucoup de mécontentement chez les consommateurs.
Il y a trois ans environ, le CRTC a élaboré certaines règles et il a dit aux radiodiffuseurs : « Si vous continuez de faire des acquisitions, si nous vous accordons une déréglementation de plus en plus étendue, une souplesse de plus en plus grande pour faire des affaires dans votre marché, il faut que vous puissiez négocier dans un contexte commercial avec les producteurs indépendants et que vous vous présentiez à la table avec une entente avant que nous vous accordions votre licence ».
À ce moment-là, les licences étaient tellement importantes pour les radiodiffuseurs que nous avions un certain pouvoir de négociation. Nous avions un poids. Il y avait de l'équité dans les négociations commerciales. Nous faisions des compromis, mais ils devaient en faire aussi, et nous avons une entente dont ils ont tendance à se plaindre tous les ans.
Toutefois, nous avons réussi à conserver le contenu et nous sommes devenus des exportateurs importants de ce contenu parce que l'acheteur ne pouvait pas nous forcer à accepter ce qu'il offrait ou à renoncer à réaliser nos émissions.
Autrement dit, pour vous donner une réponse plus succincte, dans un marché idéal, on ne veut pas que l'État décide de ce qui est équitable et raisonnable. On veut que le marché révèle les ententes commerciales possibles, grâce à un équilibre des forces. Mais il n'y a pas d'équilibre.
Si la concentration que nous constatons aujourd'hui n'était pas aussi forte, les gens ne se plaindraient pas que les tarifs du câble sont trop élevés et qu'ils sont obligés de s'abonner à des chaînes qui ne les intéressent pas. Cela ne peut se produire que si une partie a plus de pouvoir que l'autre — dans ce cas-ci, les compagnies par rapport aux consommateurs — et si cette partie peut augmenter les tarifs sans craindre que la concurrence l'oblige à les réduire.
Si vous me disiez que le marché est entièrement ouvert et qu'il y a de nombreux acheteurs potentiels, ce qui a déjà été le cas — il y a 10 ans, il y avait trois ou quatre fois plus de radiodiffuseurs à qui nous pouvions vendre nos produits — alors la situation serait nettement préférable, car si X vous dit non, vous savez que vous pouvez vous adresser à Y.
Une telle situation n'est même pas envisageable avec trois acheteurs, parce que certains se concentrent sur les émissions sportives, comme Corus. Shaw met l'accent sur les émissions pour enfants; Bell mise sur les longs métrages et les émissions dramatiques. Voilà ce que je voulais dire. Ma réponse était un peu longue. Je vais tâcher d'être plus succinct la prochaine fois.
Le sénateur Plett : Ne vous en faites pas. J'imagine qu'un autre terme que vous avez utilisé, soit les « avantages concurrentiels déloyaux », est de nature similaire.
M. Hennessy : On parle de Netflix?
Le sénateur Plett : Oui.
M. Hennessy : Voici pourquoi je pense qu'il existe un avantage concurrentiel déloyal. Comme je l'ai signalé, je suis totalement en désaccord avec quiconque affirme que nous devons bloquer de tels services. Ce n'est pas bon sur le plan politique. Ce n'est pas bon pour les consommateurs; ce n'est pas bon pour la concurrence. Ça ne se fait pas.
Que je prenne la parole au nom des producteurs canadiens, ou en mon propre nom en tant que consommateur, je dois avouer que je suis abonné à Netflix.
Le sénateur Plett : Moi aussi.
M. Hennessy : Et à Apple TV.
Le sénateur Plett : Depuis un mois seulement, mais j'y suis abonné.
Le président : Depuis trois mois.
M. Hennessy : Netflix, par exemple, compte 4 millions d'abonnés au Canada, mais n'est aucunement tenue de se conformer aux règles et est perçue comme étant en marge du système au point de ne pas avoir à payer de taxe de vente au détail.
Pensez-y. Vous avez un radiodiffuseur qui fait concurrence aux autres diffuseurs au Canada, peu importe votre définition de la radiodiffusion. Si vous avez 4 millions de clients et si vous avez un service adapté au Canada, vous êtes en concurrence au Canada. En partant, du fait que vous ne payez pas la TVP ou la TPS, vous avez un avantage sur les entreprises canadiennes de l'ordre de plus de 10 p. 100.
À mon avis, c'est fondamentalement inacceptable. Je comprends pourquoi une telle situation a pu survenir, parce que nous voulions de l'innovation, nous voulions de la concurrence en provenance d'Internet. Quand nous parlons d'Apple, de Google ou de Netflix, nous ne parlons plus de petites entreprises novatrices lancées par des jeunes dans le garage de leurs parents. Ce sont des entreprises qui, par leur taille, éclipsent l'industrie canadienne sur de nombreux plans, compte tenu de leur portée mondiale.
Il me semble que, un peu comme l'exige la France, si une entreprise veut faire des affaires dans notre pays, elle doit se conformer aux mêmes règles que les entreprises nationales.
Le sénateur Plett : J'aimerais poser une autre question, si vous le permettez, monsieur le président, puis j'attendrai le prochain tour.
Je vais poser la question dans l'espoir d'être le premier à l'avoir soumise officiellement. Je suis certain qu'elle sera posée de nouveau à bon nombre de nos témoins. Vous avez fait mention des émissions sportives, vous avez fait mention de Rogers, et je suis certain que le réseau TSN fait partie de tout ça. Alors, j'aimerais vous demander : à votre avis, quel sera l'effet de l'entente conclue entre Rogers et la Ligue nationale de hockey sur CBC?
M. Hennessy : Oui. C'est une question difficile. Je ne peux vous fournir que des conjectures, mais je vais tout de même vous donner mon avis.
Il s'agit d'une entente d'une valeur de 4 milliards de dollars. Ce qui est intéressant, c'est qu'il ne s'agit pas nécessairement d'une entente de radiodiffusion, n'est-ce pas? Quand j'ai quitté Telus, 80 p. 100 du prix de notre action reposait sur les services sans fil. La situation est très similaire chez Rogers.
La part de marché de Rogers diminue dans ce secteur. Rogers pourrait rehausser sa capitalisation boursière si elle pouvait reprendre, disons, 5 p. 100 du marché présentement accaparé par Telus et Bell; ainsi, l'entente se financerait d'elle-même, avant même de songer à ce qu'on peut faire du contenu.
Nous sommes dans une ère d'intégration verticale. Nous avons affaire aux intérêts de grandes entreprises, qui ne sont peut-être plus les intérêts des anciennes entreprises familiales pour qui la radiodiffusion était l'activité centrale. Mais là n'est pas la question.
Le président de Radio-Canada a affirmé — et je n'ai pas les chiffres, mais nous pourrions vous les fournir, ou vous les avez peut-être déjà — que la société versait une somme énorme pour les droits de diffusion du hockey et qu'elle touchait une somme énorme en recettes publicitaires. Toute ma vie, la Soirée du hockey et les séries éliminatoires ont débordé leur cadre commercial. Le hockey est une occasion de rencontre pour les Canadiens, mais je suis sûr que Rogers en est conscient.
Vous vous dites peut-être : « Eh bien, ça revient au même. » À mon avis, il y a des questions que vous devriez poser : qu'arrivera-t-il à vos recettes publicitaires?
Tout d'abord, comment allez-vous combler l'espace de programmation? Parce que le réseau CBC a maintenant des centaines d'heures de programmation à combler, ce qui, de notre point de vue, est une situation merveilleuse. Il y aura encore du hockey, mais c'est Rogers qui détient les droits de diffusion. Et dans quatre ans, il n'y aura plus de hockey sur le réseau CBC.
Soudainement, pour en revenir à mon sujet, c'est-à-dire l'importance de combler les créneaux que le secteur commercial néglige, nous avons de la place pour les émissions pour enfants, pour les films et pour les documentaires. On pourrait revenir à l'époque où on présentait deux longs métrages canadiens le samedi soir.
Le sénateur Plett : Vous auriez de la difficulté à regarder cela au lieu d'un match de hockey.
M. Hennessy : Vous auriez de la difficulté à regarder cela au lieu d'un match de hockey, mais il y a des gens, comme mon épouse, qui préféreraient un film. Mais nous savons que c'est le défi que la société aura à relever.
La question qui se pose ensuite est la suivante : maintenant que nous avons cette occasion, qu'allons-nous mettre à l'horaire? Et quels seront les coûts? Parce que c'est la grande question. Le hockey génère d'importantes recettes publicitaires, mais il coûte cher.
Si vous vous lancez dans différents créneaux de programmation, est-ce que les coûts seront inférieurs? Il faut reconnaître le fait que les recettes publicitaires seront moins élevées.
Un des impondérables — et nous l'avons constaté dans notre secteur et dans le secteur des émissions télévisées — est que l'auditoire du réseau CBC diminue lorsque les hockeyeurs sont en grève, un phénomène qui n'est pas rare. Un des avantages de Hockey Night in Canada, particulièrement durant les séries éliminatoires, est que le réseau CBC peut faire de la publicité pour ses autres émissions.
Pour le moment, il s'agit d'effets que nous ne pouvons mesurer, mais il sera peut-être très important de le faire. En même temps, le réseau public a tellement de mandats divergents qu'il se sent obligé d'obtenir un rendement satisfaisant pour l'argent des contribuables. Et les cotes d'écoute sont la preuve d'un tel rendement. Ainsi, il doit réduire de plus en plus les fonds alloués aux types d'émissions que les réseaux commerciaux ne présentent pas. Il s'agit d'un cercle très vicieux.
Je crois que la situation est en fait une occasion de repenser CBC. Elle doit se poser la question : que doit-on faire? Et elle dispose de moins de quatre ans pour y répondre.
Le sénateur Plett : J'espère qu'elle le fera.
M. Hennessy : Parce qu'il faut parfois deux ans ou plus pour élaborer du contenu et amorcer la production, pour tout mettre en marche. C'est tout un défi. La société a amorcé sa réflexion. Mais je lui poserais certaines de ces questions.
Le président : Sénateur Plett, comme vous le savez, je suis toujours généreux pour ce qui est du temps accordé aux premières questions. J'ai été généreux envers vous et envers le sénateur Mercer. J'ai également été généreux envers M. Hennessy étant donné qu'il a déjà témoigné devant le comité. Maintenant, je vais demander à tout le monde de poser des questions plus brèves et de donner des réponses plus succinctes.
Le sénateur Housakos : Pourriez-vous nous parler des membres de votre association, nous donner une idée des entreprises qui en font partie? Je ne sais pas si vous pouviez nous fournir une liste de vos membres.
M. Hennessy : Nous pouvons certainement vous fournir cette documentation. Certaines de nos entreprises les plus importantes sont eOne, qui est à la fois un producteur canadien et un distributeur international, Breakthrough Entertainment, qui réalise plusieurs émissions pour enfants à Toronto, et SEVEN24, qui produit l'émission Heartland à Calgary.
Le sénateur Housakos : Il s'agit principalement de producteurs de contenu, n'est-ce pas?
M. Hennessy : Oui, principalement. Il y a des gens qui se joignent à l'association parce qu'ils sont des fournisseurs de services, mais la vaste majorité des gens que nous représentons font de la programmation, des films ou des émissions de télévision.
Le sénateur Housakos : J'ai plusieurs questions, mais je vais tenter de les regrouper parce que je sais que le président est strict.
Du point de vue des producteurs de contenu, y a-t-il des différences entre traiter avec des radiodiffuseurs publics et des radiodiffuseurs privés au Canada, et quelles seraient ces différences?
M. Hennessy : Je répondrais à cette question en reprenant mon observation au sujet des ententes commerciales que nous avons présentement avec les radiodiffuseurs, qui portent sur des points comme les frais de production, l'attribution des crédits d'impôt et les droits liés à Internet, qu'ils détiennent au Canada et que nous détenons à l'étranger. Nous n'avons pas d'ententes commerciales avec Radio-Canada. Nous négocions depuis de nombreuses années et elle fait valoir que sa situation est différente. Le CRTC a accepté cette position et il y a des différences. Je vais admettre qu'il y a des différences.
Mais nous avons un différend. Le CRTC nous a accordé jusqu'à la fin de mai pour en venir à une entente, sinon il nous imposera l'arbitrage. Ce sont là les modalités.
Le sénateur Housakos : J'aimerais avoir votre point de vue sur la question suivante : En ce qui a trait au contenu canadien, quel est le recul des radiodiffuseurs privés par rapport à Radio-Canada? À votre avis, est-ce que l'écart entre les deux est suffisamment important pour justifier le mandat que le gouvernement confie à Radio-Canada depuis 40, 45 ou 50 ans? À votre avis, au cours des deux dernières décennies, au cours de la dernière décennie, croyez-vous que le mandat de Radio-Canada cadre bien avec le marché canadien d'aujourd'hui? Ou peut-être faudrait-il réexaminer ce mandat? Voilà une des questions.
Mon autre question est la suivante : à votre avis, qu'est-ce qui est le plus important pour Radio-Canada? Est-ce la production de contenu ou la diffusion de ce contenu? Est-ce que ce sont les plateformes qu'elle a, ou qu'elle n'a pas, en comparaison avec ses concurrents?
Je vous pose plusieurs questions, regroupées en une seule.
M. Hennessy : Permettez-moi de répondre à la dernière. Je dirais que c'est la diffusion, la présentation du contenu. Je pense que notre rôle à titre de producteurs, les centaines de producteurs à l'échelle du pays — nous comptons 350 membres, mais nous ne représentons pas les producteurs du Québec, même si nous nous associons à eux dans de nombreux dossiers
Il s'agit de la source de la diversité. Parce que si vous réalisez toutes vos productions à l'interne, il y a en fait trois ou quatre personnes dans tout le pays qui prennent toutes les décisions créatives. Et si elles ne prennent pas les bonnes décisions, c'est l'ensemble de l'industrie qui n'est plus compétitive.
Ainsi, je dirais que le rôle de Radio-Canada n'est pas de dépenser des fonds en risquant tout sur la production d'émissions à l'interne, même si elle produit de bonnes choses, — par exemple Dans l'œil du dragon, de très bonnes émissions qui ne sont pas de grandes émissions dramatiques.
Le sénateur Housakos : Quel pourcentage de sa production actuelle est réalisée à l'interne?
Marc Séguin, vice-président directeur, Politiques, Association canadienne de la production médiatique : J'aimerais signaler une chose au sujet de certains types de données dans notre secteur. Nous n'avons pas accès à ces données, parce que les données cumulatives ou unitaires que vous demandez sont considérées comme étant des renseignements d'entreprise confidentiels et privés. Il arrive souvent qu'ils soient transmis au Conseil, mais ils ne sont pas rendus publics; ainsi, nous n'avons pas accès à certains de ces renseignements.
Jay Thomson, vice-président, Politique de radiodiffusion et affaires réglementaires, Association canadienne de la production médiatique : Pour ce qui est de la programmation interne de Radio-Canada en comparaison avec la production indépendante qu'elle achète, les derniers chiffres dont nous disposons datent de 2011 et, à part les émissions d'actualité, de sports et d'affaires publiques, environ la moitié de la programmation est produite à l'interne et l'autre moitié obtenue de producteurs indépendants.
Cette proportion diminue depuis quelques années. En 2005, je crois que 80 p. 100 de la programmation de Radio-Canada provenait de producteurs indépendants. En 2011, la proportion avait chuté à 50 p. 100.
Le sénateur Housakos : Quelle serait la proportion chez les radiodiffuseurs privés?
M. Hennessy : Les principaux sont tenus d'y affecter environ 30 p. 100 de leurs recettes.
Si vous consultez l'horaire, Radio-Canada dépasse largement tous les radiodiffuseurs privés pour ce qui est de la présentation de contenu canadien. Exception faite d'émissions occasionnelles comme Orphan Black, à laquelle Bell a consacré beaucoup d'énergie et pour laquelle elle s'est associée à BBC America, la plupart du temps les radiodiffuseurs privés font le minimum qui leur est exigé.
Un des problèmes dans l'industrie, c'est qu'on n'accepte pas l'idée. Il est encore beaucoup moins coûteux d'acheter du contenu des États-Unis, mais la SRC, en raison de ses principes, croit qu'il faut créer du contenu au pays. C'est très important, je pense. C'est pourquoi j'ai dit qu'il manquait environ 250 millions de dollars dans le budget de dépense des productions indépendantes. Même si la SRC a dépensé un peu plus d'argent, les radiodiffuseurs privés s'en sont pratiquement tenus au strict minimum de ce qu'ils devaient fournir.
Si nous voulons produire une émission, il est de plus en plus fréquent qu'on nous demande d'abord de trouver un partenaire américain, d'obtenir son approbation pour délivrer des licences sur certains contenus afin de couvrir les frais de l'accord, et c'est lui qui paiera les autres frais.
Le sénateur Housakos : Est-il juste de dire, d'après votre témoignage, que la SRC a dépensé davantage pour la production que pour le développement de plateformes et de technologies et la diffusion de sa programmation?
M. Hennessy : C'est une question complexe. Je ne sais pas. Elle ne connaît probablement pas les données. La raison pour laquelle je dis cela, c'est qu'elle a dû au fil des ans construire toutes ces tours, ces stations de radio locales. Elle a dû mettre en place un énorme réseau d'infrastructures.
En ce qui concerne ses installations de production, peut-être pas autant. Mais une partie de ses activités depuis longtemps dans toutes les collectivités était centrée sur la production — la production de nouvelles locales, par exemple. J'ai l'impression qu'elle a fait des investissements considérables.
Le sénateur McInnis : Merci beaucoup, et je vous remercie de votre présence. Certaines des questions que j'avais ont été posées. J'aimerais simplement aborder quelques sujets. L'un d'eux concerne Netflix. Vous avez déjà mentionné que, sur le plan de la concurrence, nous faisions les bonnes choses et nous permettions qu'il y ait de la concurrence au Canada, mais quelles ont été les conséquences de cette concurrence pour la SRC? Deuxièmement, sur un sujet connexe, il m'apparaît comme tout un défi de réglementer Netflix. Y a-t-il un moyen d'assurer un certain contrôle? Il est évident que cela doit avoir des effets néfastes.
M. Hennessy : Voulez-vous dire les conséquences de la concurrence sur la SRC, de la part de Netflix ou simplement de la concurrence en général?
Le sénateur McInnis : En général.
M. Hennessy : La concurrence en général. La baisse de l'auditoire de la SRC a été considérable. Comme je l'ai mentionné, lorsque j'étais jeune dans les années 1960, c'était la principale chaîne de télévision, puis une part de son auditoire a été conquise par CTV. Global n'a jamais eu une grande force d'attraction dans beaucoup de régions au pays. Aujourd'hui, sa part du marché de la télévision se situe probablement autour de 10 ou 11 p. 100. Mes chiffres ne sont peut-être pas tout à fait justes. En ce qui concerne la part de marché, la concurrence a eu sur elle des conséquences désastreuses.
Le sénateur McInnis : Cela m'amène aux propos déjà mentionnés. Manifestement, le CRTC devait avoir cela à l'esprit lorsqu'il a renouvelé ses permis dernièrement, parce qu'il a dit :
[...] CBC/Radio-Canada devra continuer de démontrer à ceux qui contribuent à son financement, c'est-à-dire aux Canadiens, qu'elle demeure une valeur pertinente et essentielle dans le paysage culturel canadien.
De nombreuses personnes doivent avoir cela à l'esprit. Si sa part n'est plus que de 10 p. 100, quelle est sa pertinence? Je me souviens du débat qui a eu lieu il y a 10 ou 15 ans environ et qui avait soulevé la question de la pertinence de la télévision de Radio-Canada. Je sais qu'on a mentionné Dragons' Den à plusieurs reprises ce soir. La radio de Radio-Canada est très pertinente et rejoint un auditoire dans l'ensemble du pays. Avec tout ce que nous avons maintenant, si je veux regarder les nouvelles canadiennes, je peux regarder CTV et d'autres choisiront Global. C'est pourquoi je me demande si la télévision est réellement aussi pertinente qu'elle l'a été lorsque nous n'avions que deux ou trois réseaux au pays.
M. Hennessy : Cette une question très intéressante. On pourrait croire, devant tous les choix offerts sur Internet, que la télévision n'est pas pertinente, mais si vous regardiez en fait la quantité d'émissions piratées sur Internet parmi les cinq ou six émissions télévisées les plus populaires, vous verriez que personne ne pirate ce genre de contenu sur Internet. On pirate Trône de fer et toutes les émissions les plus populaires. Les émissions télévisées peuvent se retrouver sur une multitude de plateformes différentes aujourd'hui, mais si on parle des dramatiques, ce sont ces émissions pour lesquelles on dépense 2 millions de dollars ou plus par épisode qui attirent toujours les gens. On veut pouvoir y avoir accès en utilisant toutes sortes de technologies. La télévision et le contenu télévisé sont loin d'être morts.
Je pense que lorsque Radio-Canada a pris un trop grand virage pour tenter de devenir un radiodiffuseur commercial, pour agir comme si elle devait suivre les lois du marché au lieu de définir son propre mandat — et peut-être qu'il est impossible de le faire pour soi-même, et votre rapport pourrait recommander d'autres options. Lorsqu'elle a pris cette direction, je pense qu'elle a peut-être perdu ses repères. Si on regarde parmi les quelques émissions les plus populaires au Canada, on a Murdoch, de Shaftesbury, qui a été rejetée par les radiodiffuseurs commerciaux et qui est maintenant l'émission numéro un au pays, du moins à la télévision de langue anglaise; on a Republic of Doyle, produite à Terre-Neuve, et Heartland, à Calgary. Ce sont toutes des émissions très populaires qui existent parce que Radio-Canada accorde plus d'importance aux productions régionales que ne le font les radiodiffuseurs commerciaux. Pour moi, cela représente une chose importante qui disparaîtrait. Nous verrions de plus en plus de programmation de langue anglaise concentrée à Toronto et prenant Hollywood comme modèle.
Le sénateur Greene : Merci beaucoup de votre présence. Dans votre déclaration, vous avez dit quelque chose de vrai, je crois, soit que la SRC ou une organisation comme la SRC ayant un mandat a toujours été nécessaire au Canada afin d'offrir une plateforme aux voix minoritaires et d'offrir une plateforme de diffusion de contenu varié, où les histoires peuvent être racontées par des Canadiens à d'autres Canadiens et dans le monde entier. Toutefois, ma question touche la production de contenu, qui coûte sûrement de moins en moins cher aujourd'hui. Il est maintenant possible de produire une émission sur un ordinateur portable et de la diffuser sur Internet ou sur YouTube ou quelque chose du genre très facilement, et très bientôt, j'imagine, il sera possible de le faire avec un téléphone. À cet égard, il me semble que la capacité des minorités et des personnes aux quatre coins du pays à raconter leurs histoires n'a jamais été aussi forte qu'elle ne l'est aujourd'hui. Parce que les technologies se diversifient et deviennent accessibles à toutes les couches de la société et à tous les groupes d'âge, il est de plus en plus facile de raconter ses propres histoires. Dans ce contexte, pourquoi est-il nécessaire que la SRC soit là pour le faire?
M. Hennessy : Mme Boltman pourra m'aider à répondre à cette question, car elle a participé de près aux activités de production. Il est facile aujourd'hui de produire du contenu et de le diffuser sur Internet, et deux choses peuvent se produire. Le contenu peut être complètement bizarre et visionné par 1 million de personnes, ou personne n'en prend connaissance. Les gens souhaitent encore regarder en particulier des émissions dont la production est souvent coûteuse, et le coût de production de ces émissions n'a pas diminué.
En ce qui concerne l'inclusion, si vous dites à un groupe particulier qu'il n'a pas besoin d'un créneau à la télévision parce qu'il y a Internet et qu'il n'a qu'à y diffuser son contenu, je ne suis pas sûr que ce soit une très bonne chose à dire à quelqu'un. Je ne crois pas à cet égard qu'Internet réponde aux besoins des minorités en ce qui concerne le genre de programmation de bonne qualité que le public continue de consommer au même rythme. Pour produire ce genre de contenu, il faut des infrastructures. Il faut des gens qui investiront dans le développement. Il faut des gens qui paieront les guildes et les syndicats d'où proviennent tous les talents. Il faut un endroit pour présenter son contenu à un vaste auditoire, et il faut en faire la promotion. Cela requiert toujours beaucoup d'argent, que l'on fasse affaire avec Hollywood ou le Canada.
Le sénateur Greene : Je suis cependant porté à croire qu'il est possible de raconter une histoire fascinante qui touche beaucoup de personnes sans se soucier autant de la valeur des productions et autres choses du genre. Enfin, c'est mon point de vue.
J'ai une autre question. Quels moyens devrait prendre la SRC à l'avenir pour générer des revenus? À l'heure actuelle, ses revenus proviennent du gouvernement du Canada, de la publicité et des émissions qu'elle produit et qu'elle arrive à vendre à l'étranger.
En ce qui a trait aux revenus publicitaires, si l'on exclut totalement le hockey, j'ai l'impression qu'avec le temps ils ne peuvent que continuer à diminuer parce que les consommateurs regardent de moins en moins la télévision commerciale au profit de Netflix ou de HBO ou d'autres chaînes semblables qui présentent moins d'annonces publicitaires ou pas du tout.
Dans un tel contexte, avec les revenus publicitaires de la SRC qui sont à la baisse, d'où proviendront, selon vous, les revenus de la société? Comment pourra-t-elle générer des revenus à l'avenir?
M. Hennessy : Je suis d'accord avec vous au sujet de la baisse des revenus publicitaires. La première question à se poser est la suivante : sur le plan politique, le gouvernement veut-il soutenir un radiodiffuseur public? Si oui, serait-ce avec l'argent des contribuables? Même si vous répondez par l'affirmative à cette première question, il est fort probable que vous demanderiez, comme tout le monde et comme l'a fait le gouvernement, quelles sont les recommandations ou qui les exécutera — je n'en sais rien. Je pense que la réponse sera, quoi qu'il en soit, que nous ne voulons pas consacrer autant de fonds publics que nous le faisons aujourd'hui. Comment fera-t-elle pour survivre? Si vous n'êtes plus disposés à engager de fonds publics, c'est réglé. On ne peut créer un hybride.
Disons que je parlais à quelqu'un avant mon arrivée au sujet de la privatisation de la SRC. Je ne sais pas qui serait cet acheteur de la SRC aujourd'hui. Vous pourriez dire qu'une société privée pourrait acheter la SRC mais, en passant, cette société serait quand même tenue de faire A, B, C et D et de remplir le mandat qui l'a probablement toujours brimée. Aucune entreprise sensée dirigée par des actionnaires n'en voudrait. Il est beaucoup plus facile de créer un radiodiffuseur indépendant, mais nombre d'entre eux ne font plus d'argent. La question fondamentale comporte deux éléments. Premièrement, vous décidez que vous voulez un radiodiffuseur public et vous êtes disposé à consacrer un certain montant de fonds publics comme tout le monde le disait dans le passé, sur plusieurs années, de façon à assurer un financement stable. Deuxièmement, en tant que décideurs, si vous avez choisi cette voie, vous devez déterminer quel sera son mandat. Cela ne peut pas être « tout offrir à tout le monde », parce qu'il n'en a pas les moyens et ne pourra jamais en avoir les moyens.
Lorsque la SRC a tenté de combler tous les vides, la situation a commencé à se détériorer parce qu'elle a toujours subi cette pression politique. Revenons à l'époque où la SRC a été créée dans les années 1930 sous le gouvernement de R.B. Bennett. Depuis ce temps, il y a des commissions d'étude et presque toutes ont conclu à la nécessité d'assurer un financement stable, pluriannuel, prévisible et de donner un mandat clair. Le passé est garant de l'avenir, et une bonne partie de la solution s'y trouve en grande partie. Si vous n'avez plus les fonds nécessaires à la création de grandes productions commerciales, concentrez-vous alors sur ce que vous pensez que le marché ne produira pas; ce sera votre mandat. Je donnerais certainement une chance à l'équipe de la SRC d'expliquer comment elle peut financer ses activités par la publicité, mais ce sera un défi considérable tant que les mandats seront multiples.
Le sénateur Greene : Recommandez-vous de retirer à la SRC quelques-uns de ses mandats?
M. Hennessy : Je veux prendre garde à l'utilisation de ces mots parce qu'ils sont sujets à de nombreuses interprétations. Je recommanderais la tenue d'un vrai débat sur la façon dont nous voulons servir ceux qui ne seront peut-être pas servis par les radiodiffuseurs commerciaux et pour lesquels nous croyons important de permettre l'accès au système de façon à ce que leurs voix soient entendues. Tout le monde a accès, mais la majorité des personnes n'est pas entendue en raison du bruit. La question fondamentale est la suivante : qu'est-ce que ne peut offrir le secteur commercial que nous croyons important pour un pays? Si on peut répondre à cette question, qui est passablement complexe, au moins on peut se dire, eh bien, que c'est peut-être cela le mandat. Il est difficile d'essayer d'enlever des choses qui coûtent trop cher parce que, ce faisant, on revient à démanteler une structure avant d'avoir décidé de ce qu'on voulait qu'elle soit. Certaines personnes peuvent vouloir sa disparition, tandis que d'autres peuvent vouloir qu'elle soit mieux orientée; il s'agit là d'un autre débat politique.
Le président : Pour les personnes qui nous suivent sur Internet ou qui écouteront ces échanges sur le Web un samedi soir, nous entamons ce soir une étude sur les défis que pose à la Société Radio-Canada l'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications. Les témoins proviennent de l'Association canadienne de la production médiatique.
Le sénateur Demers : Tout d'abord, je n'ai absolument rien contre Radio-Canada. J'ai travaillé pour La Soirée du hockey en anglais et en français pendant de nombreuses années et j'y ai toujours des amis. Ce qui a été dit au sujet de Radio-Canada, c'était de ne pas faire concurrence à d'autres. Je vous donne un exemple. L'émission Tout le monde en parle, qui a connu un succès fou. TVA a ensuite produit Le Banquier, puis il y a eu La Voix. Il semble que Radio-Canada n'offre pas ce que les gens veulent. La concurrence est tellement forte, et vous le savez. De toute évidence, je ne vous apprends rien. À l'exception de La Soirée du hockey et de Don Cherry, qui dit des choses, et les gens l'écoutent, je ne vois pas Radio-Canada produire ce que les gens veulent. Les émissions d'information sont bonnes, mais il y a beaucoup de choses que d'autres chaînes de télévision présentent, d'autres entreprises. Nous avons une nouvelle génération qui demande certaines choses, et Radio-Canada ne semble pas lui offrir cela. Ai-je raison ou suis-je à côté de la plaque?
M. Hennessy : Permettez-moi d'abord de faire le point... Vous avez soulevé un point intéressant en parlant de certaines émissions.
En général, il y a une question d'identité. Cette question d'identité est beaucoup plus pertinente dans la partie anglophone du Canada. Je crois que, en tant que nation et que population, nous n'avons jamais su réellement ce qui nous différenciait des Américains. Le pays dans lequel j'ai grandi n'existe plus depuis longtemps. Nous vivons dans un pays qui se redéfinit en grande partie par son ouverture et son caractère inclusif. Encore une fois, il n'y a pas d'identité. Il est très difficile de dire à quelqu'un d'aller promouvoir notre identité, alors que la plupart d'entre nous sont incapables de la définir, mis à part le fait que nous sommes un peu différents des Américains, mais que nous aimons les mêmes émissions et que nous aimons faire nos achats dans les mêmes magasins. C'est différent au Québec, où le secteur télévisuel dans son ensemble réussit beaucoup mieux, parce qu'il a été mieux à même de refléter un dialogue et d'en faire partie et d'être partie prenante de la culture que ne l'a été l'antenne anglophone de Radio-Canada, je pense, en raison de la concurrence.
Il est difficile de répondre à cette question.
M. Séguin : Il est essentiel de mentionner que l'acquisition d'émissions à l'étape de la conception, qui est celle où les radiodiffuseurs y ont accès en premier lieu, et le financement et la création de ces émissions constituent une opération extrêmement risquée. Si nous avions une boule de cristal pouvant prédire un projet et un développement et leur résultat après avoir été produits un an et demi plus tard et leur résonnance auprès du public, nous serions tous au-dessus de nos affaires, croyez-moi. C'est une entreprise à haut risque. Cela est vrai pour Radio-Canada comme pour les sociétés privées.
Il y a une chose que nous ne devrions pas perdre de vue en ce qui concerne les principaux ingrédients de la recette et la SRC en particulier, c'est que l'ACPM est depuis longtemps convaincue qu'il y a une place pour la SRC dans notre système de radiodiffusion. Nous pouvons discuter de la place exacte qu'elle peut occuper, mais la SRC a définitivement un rôle à jouer dans notre système. C'est mon premier point. Le deuxième, c'est que pour être réellement efficace, en particulier à la télévision de langue anglaise, elle doit bénéficier d'un financement approprié afin de prendre les risques qu'elle doit prendre pour frapper un coup sûr ou — pour trouver une analogie plus pertinente encore — pour lancer la rondelle dans le filet. C'est une entreprise à haut risque. Si elle ne reçoit pas un financement adéquat et si elle ne prend pas de risques et ne travaille pas avec la population qu'elle représente, jamais elle ne pourra réussir.
M. Hennessy : Je pense que M. Séguin a soulevé un point très intéressant, pour ceux et celles qui ont lu John Doyle dans le The Globe and Mail au sujet de la télévision. Ce qu'on dit souvent au sujet de l'âge d'or de la télévision aux États-Unis, les nouvelles émissions avant-gardistes présentées par un câblodistributeur, c'est qu'elles sont là parce qu'il y a un niveau de prise de risque dans le secteur privé qui n'existe pas au Canada. Pensons aux possibilités des dramatiques. Certaines des émissions disposent d'un budget beaucoup plus restreint et créent des séries beaucoup plus courtes que les émissions produites par les radiodiffuseurs commerciaux. Au lieu de délaisser les dramatiques, comblons les vides là où le risque donne lieu à quelque chose de vraiment différent et intéressant, de fascinant. Je pense qu'il y a là des possibilités.
Merci, Marc. C'est là une chose très importante qu'elle pourrait faire.
Le sénateur Demers : Merci beaucoup, monsieur Séguin et monsieur Hennessy.
Le sénateur MacDonald : Je demande à nos invités d'excuser mon léger retard. J'ai pris connaissance de la déclaration. J'ai deux questions, l'une qui porte sur la déclaration et l'autre sur un autre sujet.
Monsieur Hennessy, à la fin de votre déclaration, vous avez soulevé le fait que la loi canadienne sur la radiodiffusion exige que notre système fasse largement appel aux producteurs canadiens indépendants. Je pense que la plupart des Canadiens adhèrent à cette position.
Vous avez mentionné précédemment que nous racontons nos histoires au monde entier et que Radio-Canada a joué un rôle de premier plan à cet égard, comme l'ont fait nos producteurs indépendants que la SRC contribue à soutenir.
La SRC devrait-elle choisir les gagnants et les perdants en ce qui regarde les producteurs indépendants? Y a-t-il une meilleure façon dont le gouvernement pourrait offrir du financement et un soutien aux producteurs indépendants au lieu de le faire par l'entremise de la SRC qui décide ce qu'elle va soutenir et ce qu'elle ne soutiendra pas?
M. Hennessy : Encore une fois, les façons dans ce genre de discussion impliquent souvent de l'argent, mais il est certain que si vous aviez augmenté les crédits d'impôt et le nombre de mesures incitatives — premièrement, vous devez reconnaître que la production, en tant qu'industrie, en est une qui crée des emplois et qui vend maintenant des biens et des services à l'étranger. Plus on offre de crédits d'impôt et de mesures d'incitation à l'exportation qui sont souvent destinés à d'autres entreprises, plus on conçoit de produits à l'extérieur du système, on les réalise et on démontre pourquoi le risque en valait la peine.
Pourtant, à la fin de la journée, il n'y a qu'un nombre limité d'acheteurs. Si on n'arrive pas à vendre une émission télévisée à un réseau de télévision — et cela est aussi vrai aux États-Unis et en Europe que ce l'est au Canada —, on ne peut produire le genre d'émission télévisée dont vous parlez.
Nous serions très heureux d'avoir cette possibilité, parce que si nous étions capables de concevoir le contenu le plus inventif qui soit avant d'attendre que quelqu'un dans une société nous dise ce qu'elle croit que les consommateurs veulent — et c'est une affaire risquée — alors ce serait bien, parce que l'avantage d'avoir des producteurs indépendants en premier lieu c'est d'avoir différents points de vue, différents types de preneurs de risque, des personnes qui s'intéressent à des productions de tout genre. Sans cela, vous n'avez que deux ou trois personnes qui décident du contenu télévisuel.
Oui, ce serait des crédits d'impôt et des mesures d'incitation à l'exportation. L'un des tests utilisés pour vérifier la réussite dans notre industrie aujourd'hui devrait être la capacité de vendre non seulement des productions au Canada, mais de les vendre aussi — ce qui est le cas — partout dans le monde. Certains pays peuvent ne pas payer beaucoup, mais ils sont prêts à acheter votre programmation.
Pour nous, l'un des tests majeurs est que les Américains veulent de plus en plus acheter notre programmation. J'ai grandi à une époque où la menace était que les Américains paient pour diffuser leur programmation ici, en la vendant à un prix sans cesse croissant et en rendant ainsi toute concurrence impossible.
John Doyle a écrit dans le journal l'autre jour que le contenu canadien n'a rien pour impressionner et que les États-Unis l'achètent parce qu'il ne coûte pas cher. C'est exactement le même discours, mais livré différemment. L'essentiel, c'est qu'ils l'achètent. Nous devrions nous réjouir d'être capables de produire du contenu adapté au Canada, mais à présent nous considérons le monde entier comme un endroit où nous pouvons raconter nos histoires.
Des mesures qui touchent le soutien à l'exportation et à la promotion, qui encouragent l'accès aux marchés, les mêmes mesures gouvernementales dont peuvent profiter les autres entreprises pour marquer des points sur le marché de l'exportation, absolument, ce serait une bonne chose.
Le sénateur MacDonald : Ma deuxième question est surtout d'ordre pratique et financier. La SRC consacre beaucoup d'argent aux ressources humaines et aux coûts liés aux RH, probablement beaucoup plus que la moyenne dans l'industrie. D'autres radiodiffuseurs qui mettent l'accent sur l'acquisition de contenu, comme Netflix, n'ont pas à se soucier de ces coûts. Son modèle d'entreprise semble onéreux sur le plan des ressources humaines.
La SRC peut-elle continuer à remplir son mandat tout en prenant des mesures pour résoudre les problèmes liés au coût des ressources humaines?
M. Hennessy : Je pense que ce serait très difficile. Il y a de nombreux éléments à prendre en compte, comme celui des syndicats, celui de l'obligation d'avoir certaines installations et infrastructures en place partout au pays, contrairement à une organisation centralisée. Ce serait très difficile. Je reviens à mon idée voulant qu'il faille d'abord mettre l'accent sur le mandat et, à partir de là, travailler à rebours.
[Français]
La sénatrice Verner : Votre association a conclu un accord commercial en 2011 avec les diffuseurs privés, lequel inclut une série d'éléments dont, entre autres, un processus de règlement des différends. Depuis que l'entente a été conclue, avez-vous eu à utiliser le processus de règlement des différends?
[Traduction]
Marla Boltman, avocate-conseil, Association canadienne de la production médiatique : Il y a une disposition de résolution des différends dans les conditions de l'accord commercial avec les radiodiffuseurs privés, que nous espérions ne pas avoir à utiliser. Il y a une entente tacite entre les parties selon laquelle nous tenterons de régler les différends de façon informelle. Un comité chargé des affaires commerciales a été formé et compte certains membres du personnel de l'ACPM et des radiodiffuseurs. Chacun a nommé un représentant.
Au cours de l'année, nous avons tenté de résoudre les différends de cette façon. Nous en avons résolu plusieurs — chacune des parties a fait des concessions —, mais certains n'ont pu être résolus. Par conséquent, nous avons essayé de mettre en œuvre la politique de résolution des différends sur laquelle les deux parties se sont entendues en vertu de l'accord commercial.
Ce processus a débuté en septembre, donc depuis seulement quelques mois. Il n'a pas été possible de s'entendre sur les modalités de la disposition visant la résolution des différends, mais nous sommes en voie de régler le problème.
M. Hennessy : Le point le plus important en ce qui concerne le processus, réduit à sa plus simple expression, c'est qu'il ne repose pas sur un organisme de réglementation qui se charge de résoudre les différends, mais plutôt, comme toute autre entreprise, sur un processus de médiation non exécutoire et, si la résolution s'avère impossible, sur l'arbitrage commercial exécutoire. Nous ne sommes jamais allés jusqu'au bout de ce cycle, mais je pense que les questions seront soulevées lorsque nous entamerons la prochaine étape de renouvellement de ce genre d'accord.
[Français]
La sénatrice Verner : Quels sont les facteurs, sans évidemment faire le tour de toute la question, si vous aviez à les résumer simplement, qui font en sorte que cela a été plus facile de conclure une entente avec les diffuseurs privés plutôt qu'avec CBC/Radio-Canada?
[Traduction]
M. Hennessy : Encore une fois, cela a été assez facile. Vers les années 2010 ou 2011, les grands radiodiffuseurs ont tous réclamé d'un commun accord la capacité de ne plus avoir à tenir leurs engagements par rapport aux dépenses de programmes par canal. Ils voulaient dire que, si on est Bell ou Shaw ou tout autre radiodiffuseur, à ce titre, on a des engagements en fonction de nos revenus, que l'on aimerait investir dans ce que l'on veut, en partant du principe que l'on est un radiodiffuseur commercial; qu'on nous laisse donc produire des émissions. Si le public ne paie pas suffisamment pour regarder les émissions d'enfant ou que le public qui regarde les émissions d'enfant n'est pas assez nombreux, qu'on nous laisse utiliser l'argent pour des émissions dramatiques.
Ce fut une question très litigieuse. Ces radiodiffuseurs ont également perdu leur cause au profit des câblodistributeurs indépendants devant le CRTC sur la seule question de l'abus de pouvoir commercial en matière de transmission des signaux. Nous avons profité de cette occasion pour aller au CRTC et lui indiquer que s'ils obtenaient la latitude leur permettant de supprimer complètement certains genres, il fallait avoir une forme d'entente commerciale, sinon ce serait la disparition du secteur de la production indépendante.
Le président à l'époque leur a essentiellement indiqué que s'ils voulaient obtenir une licence, ils avaient tout avantage à rencontrer les autres joueurs et à se présenter avec une entente signée, sinon ils risquaient de ne pas obtenir ce qu'ils demandaient.
Nous avons déjà abordé cette question; un équilibre a été instauré. Il y avait des choses qu'ils voulaient et d'autres qu'ils étaient prêts à nous donner afin d'obtenir quelque chose de plus important sur le marché. Maintenant, ils l'ont, donc on entend à présent Rogers affirmer que toutes ces ententes commerciales sont ridicules et que nous devrions nous en débarrasser. J'imagine que si j'étais toujours dans ce secteur de l'industrie, je pourrais utiliser cet argument, mais ce n'est pas un très bon argument. Mais ce sont les raisons, et c'est parce qu'il y a eu des moyens de pression. En ce moment, il ne semble pas y avoir de moyens de pression pour conclure une entente avec la SRC, et il n'y en a pas eu depuis des années.
[Français]
La sénatrice Verner : Mais mai 2014 a été fixé comme date butoir pour parvenir à une entente. On verra par la suite. Avez-vous espoir qu'avec une date lancée ainsi vous serez en mesure de conclure une entente ou le CRTC devra-t-il s'en mêler?
[Traduction]
M. Hennessy : Il est fort possible que le CRTC doive s'en mêler. Comme il n'y a pas d'entente à ce jour, il n'y a pas la possibilité de recourir à ce processus d'arbitrage commercial, de médiation. Toutes les négociations auxquelles j'ai participé se sont souvent poursuivies jusqu'à la toute fin, jusqu'à ce que le recours ultime consiste à effrayer suffisamment l'autre partie — non pas de façon menaçante, mais pour la convaincre qu'elle avait plus à perdre en prenant telle mesure que si elle acceptait de faire une concession en prenant telle autre mesure. Plus on se rapproche du point où il faut compter sur un organisme de réglementation pour prendre la décision, plus on risque de décider à la toute dernière minute d'en venir à une quelconque entente.
Je suis tout à fait optimiste à ce moment-ci sur cette question, mais mon travail au cours des prochains mois sera de leur faire comprendre ces arguments pour qu'ils en arrivent à voir le côté sensé de l'établissement d'un partenariat avec nous.
Le sénateur Plett : Merci. Mon intervention sera autant un commentaire qu'une question, mais je souhaite évidemment obtenir une réponse.
Monsieur Hennessy, je ne veux pas vous attribuer un âge; je pense que vous l'avez fait lorsque vous avez dit que vous regardiez Radio-Canada dans les années 1960, donc je nous vois comme étant pratiquement de la même génération. Nous regardons probablement beaucoup Radio-Canada. Nos enfants et nos petits-enfants regardent Netflix et HBO et d'autres émissions. Je pense que c'est la génération plus âgée qui, en fait, s'assoit pour regarder Radio-Canada, peut-être même CTV et d'autres chaînes semblables, mais la jeune génération utilise Internet. Elle regarde, comme je le disais, des émissions sur Netflix et HBO.
Qu'est-ce que cela nous dit sur la pertinence de CBC/Radio-Canada et des autres producteurs comme Radio-Canada à l'avenir? Et je pense que ni vous ni moi ne pouvons y changer quoi que ce soit. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question de concurrence. Je ne crois pas que nous pouvons simplement accorder davantage de subventions. La génération actuelle veut regarder autre chose, et elle sait s'y prendre. Qu'est-ce que cela nous dit sur l'avenir de CBC/ Radio-Canada?
M. Hennessy : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je n'ai pas les données, mais je parie que, lorsqu'elles seront disponibles, vous verrez précisément que nous sommes le segment démographique. Je suis peut-être un peu plus âgé que vous.
Le sénateur Plett : J'en doute.
M. Hennessy : Nous en reparlerons plus tard.
Il revient à la SRC d'être pertinente, et c'est pourquoi vous devez peut-être faire le pari du risque lié aux émissions dramatiques, parce qu'il n'y a plus grand-chose à perdre. Si vous pouvez commencer à démontrer que vous avez des émissions gagnantes, vous pouvez changer la donne assez rapidement, sinon, les gens vont s'éloigner de vous.
En clair, quand on regarde bon nombre d'individus issus de la jeune génération et leurs habitudes de consommation, on remarque deux choses. Ils consomment encore beaucoup de ces émissions télévisées dont l'écoute se mesure avec les anciennes cotes Nielsen et BBM. Ils n'ont probablement pas le câble; ils regardent souvent la télévision sur Internet, sans nécessairement avoir versé de redevances aux détenteurs de droits au Canada pour l'accès à ce privilège, et je pense que cela constituera un défi fondamental, non seulement pour l'industrie canadienne —, quoi qu'elle sera davantage touchée — que s'il n'y a pas la volonté de payer pour obtenir du contenu, les sommes disponibles pour produire des choses intéressantes ne cessent de diminuer. Si vous regardez la liste de ce qui est piraté, vous y trouverez le meilleur contenu.
Ce n'est pas tant qu'ils ne regardent plus la télévision; ils la regardent différemment et ils ne font plus partie du modèle économique auquel je faisais référence au sujet des droits.
Le sénateur Plett : Alors, permettez-moi de vous lancer une dernière balle. Les appareils PVR causent indéniablement des préjudices à n'importe quelle chaîne de télévision qui présente de la publicité. Les gens enregistrent du contenu et peuvent faire passer les annonces publicitaires en accéléré. Quelles en seront les conséquences pour les producteurs de télévision comme Radio-Canada lorsque mes enfants diront : « Eh bien, je regarderai cette émission plus tard; je l'enregistre pour être capable ensuite de faire passer toutes les publicités en accéléré »?
M. Hennessy : Oui. Il y a quelques avantages à la situation actuelle. L'un d'eux est que nous commençons à mettre au point la technologie qui servira, en fait, à suivre les habitudes des Canadiens ou des Américains qui regardent une émission télévisée une semaine ou un mois plus tard, et cette technologie présente encore une valeur pour les publicitaires. Cela semble un peu étrange, parce que vous parlez de balayer les publicités, mais je possède le plus récent appareil tout-en-un Netbox de Rogers, et les modifications apportées au contrôle de la vitesse sont telles qu'il est maintenant plus difficile qu'avant de passer outre aux annonces publicitaires.
Ils ont commencé à changer la vitesse de ces appareils, et ils ont restreint la durée des publicités de telle sorte qu'elles vous sont présentées même si vous ne leur accordez pas toute votre attention. Par conséquent, ils découvrent en fait que lorsque vous le faites et que plus il y a de plateformes différentes, ils se disent : « Tiens donc, un tel et un tel n'ont pas regardé cette émission. » Disons que Republic of Doyle a seulement 800 000 abonnés — sauf que je regarde souvent Republic of Doyle sur mon PVR —, il vaut toujours la peine d'en tenir compte, parce que dans le monde nouveau, on voudra diffuser des émissions très populaires, même si elles ne rapportent peut-être pas autant de revenus publicitaires, car cela signifie que les câblodistributeurs exposeront votre marque à la télévision, et votre marque commencera à prendre de l'importance. Donc, l'industrie est très astucieuse. Elle s'adapte.
Ce qui est étonnant dans tout cela, c'est que vous voyez diminuer les revenus de diffusion de Bell ou de Shaw, par exemple, mais les profits des gens qui détiennent Internet, les systèmes de câblodistribution et les radiodiffuseurs, quand vous regardez cela et réalisez que tous ceux-là déplacent également leur contenu, ce n'est plus mesuré uniquement dans la boîte, mais cela continue de créer une valeur.
C'est pourquoi j'ai mentionné qu'il faut produire du contenu qui parle à un auditoire. Si vous présentez un produit-créneau, vous devez disposer d'un budget correspondant à la taille de l'auditoire visé.
Beaucoup de choses vont disparaître, et c'est de cela qu'il est question dans les services à la carte, la politique.
Il y a aujourd'hui des canaux que nous payons tous et que personne ne regarde. Prenez la télévision qui vous présente des épisodes de One Day at a Time, si vous vous rappelez les années 1970. Nous ne lui vendons rien. Elle ne fait que rester là et gaspiller de l'argent, et c'est périmé.
Les canaux de ce genre vont disparaître. J'irais même jusqu'à dire qu'on se moque. Si les pires canaux du système disparaissent et que vous ne récompensez pas les distributeurs qui produisent des émissions impopulaires, c'est bon, parce que cela signifie que vous avez répondu aux frustrations d'un consommateur.
Si vous commencez alors à dresser la liste des raisons pour lesquelles les consommateurs délaissent une émission, vous verrez qu'ils veulent avoir accès à une saison complète de programmation. Ils veulent pouvoir dire : « J'ai manqué un épisode. Je veux voir la saison au complet à partir du début », et découvrir qu'ils ne peuvent obtenir que deux épisodes au Canada. Je pense que Rogers est sur le point de changer cela.
Si vous parcouriez cette liste et décidiez de combler tous les désirs des consommateurs en vous disant : « Peut-être que nous devrions faire cela », « Peut-être que cela devrait faire partie de notre système », « Peut-être que nous devrions prendre des risques », qui est la position que devrait adopter selon nous la SRC, alors tout va bien. À ce moment-là, vous redevenez un joueur.
Je reviens à la raison qui me fait croire qu'il y a un besoin pour un radiodiffuseur public, c'est qu'il y aura toujours une programmation de niche importante d'intérêt public qui ne pourra être offerte par le marché commercial.
Comme l'a souligné M. Séguin, il y a probablement les dramatiques à haut risque qui, si elles sont bien produites, deviendront tout à coup exportables dans d'autres pays. Prenez BBC America et BBC Worldwide. Elles ont réinventé leur modèle en se fondant sur le principe fondamental que si on produit du contenu qui se vend dans le monde entier parce que cela plaît au public, on va réussir. On peut pratiquement suivre ce modèle dans n'importe quel marché et connaître un succès.
Je crois toujours qu'il y a de l'avenir pour la radiodiffusion publique.
Le président : Si vous voulez savoir son âge, vous pouvez consulter le site web senate.parl.gc.ca et entrer le nom « Plett » et vous verrez qu'il a six mois de moins que moi, et j'ai 64 ans; cela vous donne donc une idée de son âge.
En parlant du vice-président du comité, sénateur Housakos, la dernière question vous revient.
Le sénateur Housakos : Merci. Je reviens à une question que je poserai dans une autre perspective. J'aimerais savoir ce que nous diraient vos membres si, au nom d'un producteur de contenu canadien dans ce pays, on leur posait la question suivante : « La SRC remplit-elle au meilleur de sa capacité son rôle de promoteur de contenu canadien »?
Vous avez déjà mentionné de quelle façon, en 2014, il est beaucoup plus difficile de déterminer en quoi consiste le contenu canadien et ce qu'est la culture canadienne. Dans le passé, nous avons toujours essayé de nous distinguer de la culture américaine, du contenu américain. Et la SRC avait un mandat très clair de promouvoir la culture canadienne et le contenu canadien.
Vous représentez les producteurs canadiens de contenu, et la question que je pose à vos membres est la suivante : la SRC représente-t-elle le meilleur moyen à leur disposition actuellement pour faire la promotion de ce contenu? Sinon, avez-vous des suggestions à faire quant à la recherche d'un moyen plus efficace ou que peut faire le gouvernement pour soutenir les producteurs canadiens de contenu canadien dans l'industrie de la radiodiffusion?
M. Hennessy : Je dirais d'abord que la SRC fait un excellent travail de promotion du contenu canadien, à l'intérieur du réseau qui est le sien, mais le fait que sa portée diminue représente un problème.
Elle diffuse davantage de contenu canadien et des choses que l'on peut encore appeler du contenu visiblement canadien qui permettent de mieux utiliser les ressources canadiennes, qu'il s'agisse des comédiens, des directeurs, des techniciens et tout. À cet égard, elle fait du bon travail lorsqu'elle le fait. Le problème que nous avons avec la SRC vient du fait que, étant donné les conditions économiques dans lesquelles elle poursuit ses activités, il tend à y avoir un resserrement. Mais même s'il y a de l'insatisfaction sur le plan commercial, nous respectons toujours ses intentions.
En même temps, je reviens au point soulevé par M. Séguin selon lequel son travail consistera à produire du contenu visiblement canadien ou davantage de contenu canadien que les autres, de façon relative. Même la SRC doit penser à la façon dont se vendra cette programmation.
Ce contenu doit-il être visiblement canadien? Avons-nous besoin de nous faire donner une gifle pour nous rappeler où nous sommes et dans quel pays nous vivons, même si nous aimons voir des choses?
Lorsque nous allons maintenant à Cannes ou à Berlin ou dans des foires commerciales partout dans le monde, le respect que le Canada commence à susciter est important. Une partie de cette reconnaissance vient du soutien de la SRC, et une autre partie importante vient du soutien des radiodiffuseurs commerciaux.
Je pense que la question a été soulevée sur le fait qu'elle doit également sortir de la boîte. La boîte est fissurée — je ne sais pas trop à quoi on pourrait la comparer —, mais le fait est qu'il y a des fuites. Je m'arrêterai là-dessus.
Le président : Je tiens à vous répéter, monsieur Hennessy, que vous donnez le ton aux discussions des prochaines semaines, et nous avons grandement apprécié le ton de votre déclaration et du dialogue avec les membres.
J'aimerais prendre quelques minutes pour les questions d'ordre administratif. La semaine prochaine, mardi plus précisément, les Amis de la radiodiffusion canadienne comparaîtront dans la matinée. Mercredi, la commissaire à la protection de la vie privée sera avec nous pour discuter des pratiques de collecte et d'analyse des données sur les consommateurs par les entreprises de télécommunications; une question qui déborde du cadre de la présente étude. Ce sera mercredi en soirée.
La semaine suivante, nous accueillerons M. Konrad von Finckenstein, ex-président du CRTC, qui comparaîtra le 11 février. M. Florian Sauvageau et M. Daniel Giroux, des spécialistes en radiodiffusion, comparaîtront le 12 février. Le 25 février, nous accueillerons le CRTC et, le 26 février, la SRC, mais ces dates restent à confirmer.
Le sénateur Plett : Monsieur le président, est-ce possible de tenir une courte réunion du comité directeur après celle-ci? Je ne sais pas si notre greffier vous en a fait la demande.
Le président : Oui, si le vice-président est disponible.
Monsieur Hennessy, je vous remercie encore une fois. Honorables sénateurs et sénatrices, ce fut un plaisir de vous revoir et nous nous retrouverons mardi prochain dans la matinée.
(La séance est levée.)