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TRCM - Comité permanent

Transports et communications

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications

Fascicule 2 - Témoignages du 4 février 2014


OTTAWA, le mardi 4 février 2014

Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 31, dans le cadre de son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, ce matin nous poursuivons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

[Traduction]

Notre témoin, aujourd'hui, est Ian Morrison, porte-parole des Amis de la radiodiffusion canadienne. J'invite le témoin à faire son exposé, après quoi nous lui poserons nos questions.

[Français]

Monsieur Morrison, la parole est à vous.

Ian Morrisson, porte-parole, Les Amis de la radiodiffusion canadienne : Monsieur le président et membres du comité, merci de m'avoir invité à comparaître dans les premiers jours de votre examen de la question des défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.

[Traduction]

J'ai été invité ici à priori pour parler de l'environnement de la radiodiffusion, mais j'ai appris la semaine dernière que je pouvais aussi parler un peu de la CBC/Radio-Canada, alors c'est ce que je ferai pour stimuler en quelque sorte notre entretien d'aujourd'hui.

Les défis que doivent relever les décideurs et les radiodiffuseurs canadiens en 2014 sont similaires à ceux déjà décrits par la Commission Aird en 1929. Je vais en citer cinq : premièrement, offrir un contenu canadien de qualité en quantité suffisante pour rivaliser avec l'afflux de production venu d'ailleurs, surtout des États-Unis; deuxièmement, rendre ce contenu accessible à tous les Canadiens qui s'y intéressent — à l'époque, c'était cinq fuseaux horaires, mais maintenant il y en a six, sur un vaste territoire pas très peuplé où l'on parle deux langues officielles; troisièmement, faire en sorte que la production et la diffusion de contenu canadien soient viables et durables sur le plan économique en l'absence d'un modèle d'affaires rentable; quatrièmement, exploiter le système à la fois pour célébrer et partager la riche diversité des régions et des peuples du pays, de préférence à une vision monolithique égocentrique; et cinquièmement, préserver l'indépendance du système contre les abus d'influence ou de contrôle par les intérêts spéciaux de quelque sorte que ce soit, qu'ils soient politiques ou commerciaux.

Graham Spry a très bien illustré ce défi devant un comité parlementaire en 1932, lorsqu'il a dit :

Le choix qui se pose au comité est clair. C'est un choix entre les intérêts commerciaux et les intérêts du peuple. C'est un choix entre l'État et les États-Unis.

Voici un graphique qui montre bien que ce défi est toujours présent en cette deuxième décennie du XXIe siècle. Il se trouve dans les documents que je vous ai fait distribuer. Je l'ai obtenu d'un plan de CBC/Radio-Canada. On y voit les émissions télévisées les plus regardées dans 18 démocraties occidentales — les 100 émissions les plus regardées — par pays d'origine. Dans des pays comme le Japon et les États-Unis, les 100 émissions les plus regardées sont toutes d'origine japonaise ou américaine. On peut voir cette proportion diminuer graduellement. Les pays sont énumérés non pas par ordre alphabétique, mais en fonction du pourcentage de contenu étranger des 100 émissions qui sont les plus regardées.

Complètement à droite, on voit les proportions pour le Canada français et anglais. Vous pouvez constater qu'au Canada français, le niveau de contenu national, le nombre des 100 émissions les plus regardées équivaut, disons, à celui de la Suisse. Par contre, pour le Canada anglais, nous sommes pour ainsi dire une anomalie parmi les démocraties occidentales. Bien entendu, à l'abri de la concurrence américaine en raison de leur langue, les Canadiens d'expression française regardent surtout des émissions canadiennes et québécoises, tandis que du côté canadien anglais, 77 p. 100 des émissions sont d'origine étrangère, principalement américaine. C'est donc un cas tout à fait particulier.

En dépit de ces lacunes, notre réseau de télévision s'est gagné l'admiration et le respect du monde entier. En raison du décalage, des possibilités d'écoute hors marché et du large éventail de chaînes généralistes et spécialisées, le téléspectateur canadien moyen a un plus vaste choix d'émissions que l'Américain moyen. Il n'en reste pas moins que notre système est confronté à des menaces très réelles. Une grande part de notre succès en télévision est attribuable au délicat équilibre établi grâce aux mécanismes de contrôle du CRTC pour assurer l'accessibilité des émissions canadiennes. Un service à la carte ou dégroupé comme celui dont il est question dans le discours du Trône d'octobre dernier pourrait réduire à néant des dizaines d'années de dur labeur investi pour assurer l'accessibilité d'un large éventail d'émissions qui sont en majeure partie et distinctement canadiennes.

L'autre défi vient du changement dans les habitudes de dépenses en publicité. Catalysées par une capacité toute nouvelle de capitaliser sur l'activité humaine, les dépenses publicitaires en ligne ont décuplé depuis une dizaine d'années, alors que les journaux et la télévision conventionnelle perdaient du terrain. On prévoit que ces revenus dépasseront bientôt l'intégralité des revenus télévisés. Vous verrez dans mon document un graphique, en anglais seulement, qui illustre la croissance en million de dollars des revenus de publicité en ligne au pays au cours des 10 dernières années.

Les services non réglementés, comme Netflix, YouTube, Hulu et Google TV, entre autres, sont en train de causer une fragmentation sans précédent de l'auditoire canadien. Et pourtant, encore à l'automne 2012, le CRTC affirmait que les plateformes de ce genre demeurent un complément du système de télédiffusion réglementé. Une option serait d'offrir la distribution prioritaire des services canadiens sur le Web. De même, des stations radiophoniques canadiennes rivalisent maintenant non seulement avec la radio satellite, mais aussi avec les chaînes en ligne du monde entier diffusant en continu. Jusqu'à maintenant, ces stations ont pu maintenir leur part de revenus publicitaires, comme vous pouvez le constater; cependant, selon l'enquête environnementale sur la radio commerciale récemment publiée, les revenus publicitaires de la radio devraient commencer à diminuer de quelque 15 p. 100 d'ici cinq à sept ans.

Un autre défi pour la viabilité de notre système de radiodiffusion vient de l'immense rentabilité des grandes compagnies de communication, tant du côté de leurs services de radiodiffusion que des autres services. L'année dernière, leurs bénéfices avant intérêts et impôts ont dépassé pour la première fois les recettes des radiodiffuseurs conventionnels du Canada. Je tiens à le répéter : les profits des grands distributeurs et compagnies de communication ont dépassé pour la première fois les recettes des radiodiffuseurs conventionnels du Canada. En 2012, par exemple, la marge d'exploitation combinée de Cogeco, Rogers, Shaw, Vidéotron et d'autres distributeurs plus modestes a été de 44 p. 100. Comparons cela à la marge de 6 p. 100 de l'industrie télévisée conventionnelle.

Pourquoi cela pose-t-il problème, demanderez-vous? Parce que plus de 2 milliards de dollars de l'argent des abonnés est passé entre les mains des distributeurs pour atterrir dans celles de leurs actionnaires sans le moindrement contribuer à la création et à la diffusion de contenu canadien. Cette domination du marché sans réglementation des prix fait que cet argent vient du portefeuille des consommateurs. Nous remarquons que le gouvernement actuel, bien qu'il dise soutenir l'intérêt des consommateurs de sans fil, est resté muet en ce qui concerne les intérêts des consommateurs de contenu diffusé par câble et par satellite.

Puisque vous entamez une étude sur CBC/Radio-Canada, j'aimerais faire quelques commentaires sur l'acquisition récente par Rogers des droits de la LNH pour la période de 2014 à 2026. C'est très bon pour la Ligue nationale de hockey et ses joueurs qui travaillent si fort. À compter de septembre prochain, Rogers paiera jusqu'à 400 millions de dollars par année pour les droits de diffusion au Canada des parties de la LNH sur de multiples plateformes. En période de faible inflation, 400 millions de dollars par année, cela représente une augmentation de 500 p. 100 des droits versés par rapport à 2007. Comme il y a répartition entre les 30 équipes, 77 p. 100 de cette somme, c'est-à-dire 300 millions de dollars par année, restera aux États-Unis. À compter de septembre, les Canadiens paieront plus que les Américains pour voir et entendre les parties de la LNH.

Il fut un temps où CBC tirait un profit considérable de la diffusion de Hockey Night in Canada. En 2007, elle a fait l'erreur — c'est mon avis seulement, bien entendu — de hausser d'environ 100 p. 100 sa soumission pour obtenir les droits de la LNH en croyant, à tort, on l'a vu par la suite, que CTV/TSN ferait aussi une offre. Peu après, une vaste récession mondiale a entraîné une réduction des tarifs de publicité à la télévision, ce qui s'est traduit par des pertes pour CBC. Selon nos recherches, la société a pu se rétablir de ces pertes dès 2011, et ainsi offrir sans succès quelque 200 millions de dollars par année pour obtenir les droits à compter de 2014.

De plus, il semblerait que la LNH ait recommandé à Rogers l'arrangement actuel qui consiste essentiellement à louer un maximum de 350 heures de grande écoute sur le réseau anglais de télévision de CBC pour les quatre prochaines saisons de la LNH. Ce sera donc de septembre prochain jusqu'en juin 2018. En vertu de cette entente, Roger aura le droit de vendre de la publicité à l'antenne de CBC pendant la diffusion des parties de hockey de la LNH. D'après les médias, cet arrangement viendrait à échéance en 2018.

Cet arrangement nous laisse sceptiques, et ce, pour deux raisons. Nous pensons que Rogers a payé trop cher les droits de la LNH et que ses actionnaires insisteront dorénavant pour que l'entreprise optimise cet actif, alors même que la portée pancanadienne de la télévision de la CBC offre une occasion unique de vendre de la publicité à des annonceurs canadiens. Deuxièmement, le réseau télévisé de la CBC a acquis une vaste expertise qui lui permet d'offrir aux amateurs de hockey les productions de grande qualité auxquelles ils s'attendent désormais.

Le réseau CBC Television a pu, pour l'instant, éviter la catastrophe. Cette catastrophe serait de perdre la diffusion de 350 heures par année de hockey de la LNH en période de grande écoute pour devoir les remplacer par d'autres émissions. Notre groupe estime que cette période de quatre ans est pour CBC Television une excellente occasion de faire ce qu'a fait la télévision de la SRC il y a 12 ans — se sevrer de la dépendance excessive à l'égard des matchs de hockey professionnel. La perte des droits de la LNH réduira les recettes publicitaires de CBC Television de plus de 120 millions de dollars. C'est la moitié de ses revenus publicitaires totaux. Comme ses coûts de vente ne vont pas diminuer proportionnellement, le bénéfice net de la publicité restante diminuera à un point tel que la société pourrait envisager pour la première fois une vocation non commerciale.

Nous nous demandons vraiment pourquoi le PDG et la haute direction de CBC ont négligé d'établir un plan d'urgence en cas de perte des droits de la LNH. C'était pourtant prévisible. Dans leur témoignage devant le CRTC lors des audiences de renouvellement de permis l'année dernière, les représentants de la CBC ont donné l'impression que la société faisait l'autruche relativement à cette question. Cette attitude ne semble pas avoir changé. J'entends par là que la société semblait croire qu'elle conserverait ces droits pendant 60 ans encore, et qu'elle ne risquait pas de les perdre. La direction de la CBC préconisait une dépendance encore plus grande envers les revenus autogénérés, surtout les recettes de publicité. L'échec de sa stratégie relativement à la LNH, ainsi que sa récente incursion dans la publicité sur Radio 2 et Espace musique donnent à penser qu'il faut envisager la possibilité d'un avenir non commercial.

D'après Albert Einstein, la folie c'est faire la même chose encore et encore en s'attendant à des résultats différents. Nous recommandons que le comité envisage la possibilité que ce soit le cas de la CBC. L'élimination de la concurrence subventionnée avec le secteur privé peut aussi être avantageuse pour tout le monde. Le premier ministre lui-même a exprimé ce point de vue quand il a dit à l'Association des radiodiffuseurs canadiens :

La télévision de langue anglaise tend à devenir plus commerciale, davantage en concurrence directe avec la télévision privée et est plus portée à diffuser des émissions américaines pour attirer les revenus de publicité — une approche qui ne semble pas fructueuse...

Nous croyons que la télévision de langue anglaise de la SRC devrait et doit devenir plus distincte si elle entend demeurer viable et remplir son rôle en tant que diffuseur public unique.

Notre groupe est d'accord avec le premier ministre.

Pour terminer, j'aimerais signaler deux enjeux qui, selon nous, méritent votre attention en priorité dans le cadre cette étude. Tout d'abord, il faut renforcer la présence locale de CBC/Radio-Canada dans tout le pays. Canadian Media Research Inc. a constaté que l'actualité locale est en tête des priorités des Canadiens lorsqu'ils regardent la télévision. La Loi sur la télédiffusion charge CBC/Radio-Canada de « refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu'au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions ». Nous estimons qu'il faudrait porter plus d'attention à la dimension locale et régionale des responsabilités statutaires de CBC/Radio-Canada.

Le deuxième enjeu concerne l'indépendance de la gouvernance de CBC/Radio-Canada, pour maintenir la distance nécessaire entre le radiodiffuseur public et un gouvernement démocratique. Le sage conseil qui figure dans le rapport Lincoln de 2003 n'a pas encore été retenu :

Dans l'intérêt d'une reddition de comptes sans faille et de l'indépendance par rapport au gouvernement, les nominations au conseil d'administration de la CBC/Radio-Canada devraient relever de sources multiples et le président de la Société devrait être embauché par le conseil d'administration et lui rendre des comptes.

[Français]

J'anticipe avec plaisir notre conversation de ce matin ainsi que la chance de commenter suite à la comparution de la Société Radio-Canada. Je vous remercie.

Le président : Merci, monsieur Morrison. Avant de commencer, je demanderais aux sénateurs de noter que la réunion de demain soir est annulée.

[Traduction]

En tant que président, il est rare que je pose des questions, mais je vais faire une petite exception aujourd'hui. Existe-t-il un pendant francophone qui pourrait s'appeler « Les Amis de Radio-Canada », je veux dire en dehors du caucus du PQ?

M. Morrison : Monsieur le président, nous sommes beaucoup plus nombreux que le caucus du PQ.

Le président : Existe-t-il un équivalent francophone ou québécois?

M. Morrison : Je vais vous donner une brève réponse afin d'éclairer tous les sénateurs qui ne connaissent peut-être pas très bien notre travail. Les détails se trouvent dans une note de bas de page dans notre mémoire. Nous sommes essentiellement un groupe de surveillance anglophone indépendant qui se préoccupe de la qualité et de la quantité des émissions canadiennes dans le réseau audiovisuel. S'il est vrai qu'il n'existe pas d'organisation semblable en langue française au Canada, il n'en existe pas non plus dans un seul de ces 18 pays. Cela s'explique sans doute par la grosse ligne rouge que vous voyez sur le graphique.

Nous offrons certains services en langue française à ceux qui appuient notre cause mais étant donné nos contraintes, nous n'avons jamais essayé de faire des levées de fonds dans les milieux francophones. Notre financement provient presque exclusivement des 170 000 ménages de langue anglaise alors que nous n'avons de lien qu'avec 30 000 ménages de langue française.

Le président : Merci de cette réponse. Je vais demander à notre greffier de faire distribuer le rapport Lincoln aux membres du comité. Il n'est plus aussi d'actualité que le rapport que nous allons préparer, mais nous trouverons à mon avis utile de savoir ce qui a été discuté à l'époque.

M. Morrison : Clifford Lincoln disait que c'était un bottin téléphonique.

Le président : Je voudrais ajouter une autre observation. Je ne sais pas si je cite vos propos ou ceux d'un de vos adhérents. Si l'on considère la gouvernance générale de la société, le conseil d'administration, les barres du graphique témoignent d'activités très différentes pour la CBC et la SRC en matière de commercialisation et de pénétration du marché.

M. Morrison : Parlez-vous de la télévision? Il n'en va pas de même pour ce qui est de la radio.

Le président : Je ne sais pas si je vous cite vous ou un de vos collaborateurs, mais quand on voit le mode de gouvernance de CBC/Radio-Canada, c'est un peu comme si la Radiodiffusion Télévision Française, la RTF, et la BBC étaient dirigées conjointement à partir de Bruxelles. Il s'agit en effet de deux mondes totalement différents que l'on assimile néanmoins aux fins de la gouvernance, sans tenir compte des lignes rouge et bleue que vous nous avez montrées. Je ne sais pas si c'est vous qui avez dit cela ou quelqu'un d'autre.

M. Morrison : Monsieur le président, si j'ai dit cela, c'est que je citais quelqu'un d'autre, le regretté Pierre Juneau.

Le président : Étant donné les différences majeures que vous avez signalées, c'est une chose qu'il va nous falloir examiner plus tard.

Le sénateur Mercer : Merci, monsieur Morrison, d'être venu et merci pour le travail que vous faites. J'ai trouvé intéressant que vous rappeliez que la marge bénéficiaire des câblodistributeurs était de 40 p. 100 alors que pour la télévision conventionnelle, elle est de 6 p. 100. Je pensais que la concurrence devait contribuer à maintenir de bas prix, mais il semble que le résultat soit tout à fait à l'opposé.

M. Morrison : En effet. Je tiens à m'assurer que nous parlons de la même chose. Quand j'ai parlé de « marge », je parlais du revenu total de la société duquel on défalque les dépenses totales, ce qui aboutit au revenu d'exploitation. Si l'on divise le revenu d'exploitation par le revenu total, on obtient la marge. Cela ne tient pas compte des intérêts, de l'amortissement, des impôts, et cetera.

C'est quand même une mesure qui est utilisée couramment. Si vous vous reportez à la note de bas de page portant sur cet élément, sénateur Mercer, vous constaterez que pour ce qui est des activités réglementées par le CRTC et les autorités responsables de la radiodiffusion, la marge chute à environ 20 p. 100. La marge est plus élevée dans le secteur non réglementé en matière de radiodiffusion, c'est-à-dire Internet et le sans fil.

Comment expliquer cela? Je vais vous donner mon opinion. Je pense que le CRTC a fait une erreur il y a 15 ans quand le conseil a défini ce qui constituerait, comme vous dites, la « concurrence ». Comme vous le savez, les câblodistributeurs ont des monopoles géographiques et, à l'époque, il y avait peu de choix. Le CRTC a décidé que si 5 p. 100 des abonnés choisissaient un autre service, il y avait concurrence. Cela n'a pas été probant. On n'a qu'à se reporter au coût de la télévision de base.

J'ai écrit un article à propos d'une proposition voulant dégrouper les services de télévision. En 2002, le forfait de base de Rogers, c'est-à-dire la facture minimum d'un abonné, était de 22 $ par mois — sans les taxes — et l'année dernière elle était de 40 $. Excusez-moi, ce n'était pas Rogers mais Shaw. Dans le cas de Rogers, la facture minimale mensuelle est passée de 23 $ à 43 $. Pour Vidéotron, c'est de 19 $ à 37 $. Autrement dit, cela représente une augmentation moyenne de 80 p. 100 pour ce qui est de la facture minimale de câblodiffusion alors que l'inflation au Canada n'était que de 15 p. 100.

S'il n'y a pas eu de réaction aux forces du marché, c'est parce qu'il n'y avait pas de marché. Je vis dans un condo dans une ville que le sénateur Eggleton connaît bien, Toronto. Il est interdit d'installer une antenne parabolique sur un mur extérieur du condo. Si je me trouvais du côté nord d'un édifice à étages multiples, je ne pourrais pas orienter de toute façon une antenne vers un satellite. Tous ces éléments contribuent à favoriser les monopoles territoriaux. En bout de ligne, c'est une affaire de 2 milliards de dollars qui ne sont pas réinjectés dans le réseau. Cela nous inquiète. Nous recommandons qu'on y voie et qu'on revienne à la réglementation des tarifs par le CRTC. Le conseil le faisait au XXe siècle, mais ce n'est plus le cas.

Le sénateur Mercer : Je vis dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse et le seul accès que nous ayons, c'est un satellite et les coûts sont beaucoup plus élevés. Je pense que cela dépasse les 100 $ suivant les options que vous choisissez et cela m'amène aux services dégroupés dont il est question dans le discours du Trône. Vous avez dit que cela ruinerait des décennies de travail acharné pour garantir une vaste gamme d'émissions principalement canadiennes.

Pourrait-on y parvenir si le gouvernement imposait le dégroupement de ses services en assortissant la mesure de l'obligation d'offrir certaines chaînes canadiennes comme CBC et Radio-Canada?

M. Morrison : J'ose espérer que le gouvernement va se donner tout le temps nécessaire pour prendre une décision éclairée. Bien longtemps après le discours du Trône, le ministre responsable a demandé au CRTC d'étudier le dossier, ce que le conseil va faire au cours des prochains mois. Cela signifie que le gouvernement va attendre l'opinion du CRTC sur un régime de facturation à la carte avant de prendre quelque mesure que ce soit. Pour agir de façon responsable, il faudrait garantir que certains services de base sur lesquels les Canadiens comptent, comme CBC/Radio-Canada, les informations météorologiques et d'autres, soient offerts automatiquement. Les autres chaînes pourraient devenir optionnelles.

On risque en effet de perdre les gains réalisés. Monsieur le président, pour gagner du temps, pourrais-je confier au greffier copie d'un article que j'ai écrit pour le Vancouver Sun sur ce sujet précisément? Ainsi, on pourrait le distribuer et je m'abstiendrai d'en parler davantage.

Le président : Eh bien, je vous prierais de vous assurer de deux choses : que les questions soient plus courtes et les réponses également. Vous pouvez nous envoyer tous les documents que vous souhaitez et le greffier s'en occupera. Nous serons heureux d'en tenir compte.

Le sénateur Mercer : Par courtoisie à l'égard de mes collègues, je vais en rester là.

Le sénateur Housakos : Bonjour, monsieur Morrison. Merci d'être venu aujourd'hui. Voici l'observation que je veux faire. Vous nous avez exposé d'emblée la raison d'être de CBC/Radio-Canada, ses origines et ses objectifs. Il y a certes consensus au sujet des grands objectifs visés, à savoir la promotion de la culture canadienne et la mise en valeur du contenu canadien. Notre comité ne cherche pas à déterminer si ces objectifs définis au fil des ans sont toujours valables; nous essayons seulement de trouver le meilleur moyen de les atteindre.

Vous avez ajouté dans votre exposé qu'en matière de radiodiffusion et de culture canadienne, il y a un bras de fer entre les États-Unis et le Canada. J'ai examiné les statistiques que vous nous avez fournies, et surtout ces graphiques forts révélateurs, et cela m'amène à vous poser plusieurs questions.

Tout d'abord, pensez-vous que le public canadien, et je dirais surtout l'auditoire anglophone en considérant les cotes d'écoute de CBC, se préoccupe autant du contenu canadien et de la culture canadienne qu'on le faisait il y a 30 ou 40 ans? Si cet aspect leur importe effectivement moins, comme semblent l'indiquer les statistiques, comment expliquez-vous cela?

Deuxièmement, dans le graphique que vous nous avez présenté, comment expliquer un tel écart entre la situation de Radio-Canada, quant aux choix des téléspectateurs, et celle de la CBC au Canada anglais? Est-ce parce que le volet français fonctionne différemment et produit un meilleur contenu, mieux commercialisé? Est-ce parce que la CBC du côté anglophone ne produit pas de contenu canadien de qualité et ne parvient pas à améliorer sa performance? Ou bien, et je soupçonne que c'est le cas, est-ce parce que le Canada anglais est un peu plus ancré dans la culture nord-américaine alors que Radio-Canada s'adresse à un marché qui est distinct du point de vue culturel en Amérique du Nord? C'était ma deuxième question.

Troisièmement, j'aimerais que vous nous en disiez davantage sur le problème de gouvernance que vous soulevez. J'ai l'impression que vous estimez qu'il y a trop d'ingérence du gouvernement dans la gestion actuelle de CBC/Radio-Canada. Serait-ce que le système en place n'offre pas l'indépendance et la distance souhaitables? Par ailleurs, qu'en est-il de la transparence entre CBC/Radio-Canada et ses commettants et en quoi peut-elle différer de la transparence que les radiodiffuseurs du secteur privé maintiennent à l'égard de leurs actionnaires?

Une dernière question concernant les dépenses de deniers publics par habitant pour maintenir une radiodiffusion publique. Je m'adresse en même temps à notre greffier, car nous pouvons peut-être faire la recherche nous-mêmes. Je suppose que vous n'avez pas les chiffres sous la main. J'aimerais pouvoir faire des comparaisons entre ce que dépensent le Japon, les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni et ce que dépensent les quatre pays au bas de la liste, à savoir, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Irlande. Je vous parie que ces quatre pays qui sont au haut de la liste, où les téléspectateurs ont accès à très peu de contenu étranger, dépensent beaucoup moins par habitant pour la radiodiffusion publique que des pays comme la France, l'Irlande, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Monsieur Morrison, je vous ai posé plusieurs questions, n'est-ce pas?

M. Morrison : Je reçois des instructions contradictoires — d'une part, être bref et, d'autre part, parler lentement pour les interprètes. Je vais essayer de concilier les deux.

En proportion de l'auditoire total, les cotes d'écoute ne sont pas tellement différentes de ce qu'elles étaient il y a 30 ou 40 ans. Tout dépend de la méthode utilisée pour mesurer la situation, mais disons que cette proportion serait d'environ 8 p. 100 pour notre réseau anglais. C'est très peu en comparaison des parts de marché obtenues par la télévision de Radio-Canada. Rappelez-vous que l'essentiel des émissions diffusées sur notre réseau anglais sont canadiennes. Je me ferai un plaisir de rédiger pour vous une explication plus détaillée, mais reste quand même que 8 sur 100, c'est une proportion bien faible. Mais si vous vous reportez au graphique, vous trouverez un nouveau dénominateur pour ce chiffre de 8 avec le pourcentage de contenu canadien qui s'établit à 23. Quant au reste, ce sont des émissions américaines. Donc, ce chiffre de 8 représente une proportion plutôt conséquente de l'écoute d'émissions canadiennes de divertissement et d'information. Je vais en rester là si je veux répondre à vos cinq questions.

Votre deuxième question portait sur le caractère particulier de la Société Radio-Canada par rapport... vous avez d'ailleurs utilisé le qualificatif « ancré ». On peut remonter au tout début de l'ère audiovisuelle. Dès 1929, John Baird, un banquier, soit dit en passant, devait s'occuper des stations radio frontalières, premières portes d'entrée pour la programmation américaine au Canada — quelqu'un a appelé cela de la « pluie satellite » — un phénomène qui touche davantage les anglophones que les francophones, bien évidemment. Les unilingues francophones, qui représentent une bonne majorité des francophones au Canada, jouissent d'une défense linguistique contre cet envahissement. La télévision en langue anglaise de la CBC doit essentiellement soutenir la concurrence de Hollywood. Rappelez-vous que, pour la balance commerciale des Américains, Hollywood représente un plus gros morceau que l'industrie aérospatiale. C'est tout dire. Ce sera une sorte d'explication à cette différence. Le défi est immense. Les choses sont-elles prometteuses? Je ne peux pas répondre à cette question en restant bref.

Pour ce qui est de l'indépendance dans la gouvernance, le Canada ne se compare pas favorablement à d'autres démocraties occidentales, notre gouvernement exerçant trop de contrôle. Par exemple, c'est le premier ministre qui nomme le président de CBC/Radio-Canada. Ce dernier ne peut pas être congédié. C'est un peu comme une nomination à la Cour fédérale. Il y a une expression pour dire cela : à titre inamovible. Le président ne rend pas véritablement de comptes au conseil d'administration. Le conseil d'administration est un peu comme un conseil consultatif. Ce n'est pas le cas au Japon ou au Royaume-Uni. Ce n'est pas la façon dont fonctionnent les choses dans la plupart des pays qui figurent sur cette liste. C'est un problème mais pour vous répondre, il me faudrait beaucoup de temps.

Vous avez ensuite parlé de la transparence à l'égard des commettants. Le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide? CBC/Radio-Canada essaie d'être transparente. Quelque part toutefois, les choses sont assez opaques. Si je comparais les renseignements — mais vous pourrez le faire. Si on consulte les renseignements concernant la gouvernance de la BBC sur son site web, c'est beaucoup plus instructif que dans le cas de CBC/Radio-Canada.

Ensuite, vous avez traité des dépenses par habitant. Le budget de la BBC est conféré différemment de celui de CBC/ Radio-Canada mais, par habitant, la BBC reçoit le double de ce que touche CBC/Radio-Canada. Comme il y a 60 000 millions d'habitants en Grande-Bretagne, cela donne quatre fois plus au total. Vous avez parlé de la France. Je me souviens très bien du rapport Lincoln, monsieur le président, et je sais qu'à la page 178 de la version anglaise, il y a un graphique qui présente les investissements dans la radiodiffusion publique en tant que pourcentage du PIB dans les pays de l'OCDE. Nous sommes en cinquième place à partir du bas de la liste. Actuellement, c'est environ 30 $ — c'était 33 $. Étant donné les compressions de 10 p. 100, cela représente 30$ par Canadien par année. La Suisse est au haut de la liste et l'Allemagne suit de près. Le Japon également. L'Australie nous dépasse de beaucoup. Je pense que derrière nous il y a le Portugal, la Grèce, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, parmi les pays de l'OCDE.

Le président : Comme d'habitude, je fais preuve d'un peu plus de générosité au début, pour les intervenants des deux côtés, mais je vais demander à chacun de poser des questions un peu plus courtes.

Le sénateur Demers : C'était un bel exposé, monsieur Morrison. Le président nous demande d'être brefs et je le serai. À votre avis, monsieur, est-ce que CBC/Radio-Canada est désavantagée dans cette nouvelle ère de plateformes multiples?

M. Morrison : Non. Je pense que CBC/Radio-Canada réagit plutôt bien. Comme je l'ai dit au sénateur Housakos, c'est le verre à moitié plein ou à moitié vide. Alors je dirais que CBC/Radio-Canada s'adapte assez bien à l'ère numérique et je ne vois pas de contraintes qui puissent l'empêcher de continuer, sauf pour ce qui est des ressources. C'était une courte réponse.

Le sénateur Demers : Bien, merci. Dans votre exposé, vous avez parlé du manque de vision de CBC en ce qui a trait à Hockey Night in Canada. Je n'ai rien contre eux. J'ai en effet travaillé pendant de nombreuses années pour Hockey Night in Canada. Ce fut une surprise. Nous ne nous y attendions pas. Dans le football, il y a des milliards de dollars. Mais considérons l'argent qui a été investi en 12 ans, avec les Sénateurs, TSN et RDS. Comment est-ce possible de gérer une telle entreprise de cette manière-là? Quatre ans, c'est vite passé. Si CBC perd le hockey de la LNH, ce sera grave. Ils auront bien du mal à s'en remettre. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Morrison : Dans mon mémoire, il y a une note en bas de page pour présenter un graphique, et la référence pour le graphique, c'est CBC/Radio-Canada. Vous trouverez une référence en anglais et en français au plan d'entreprise de CBC/Radio-Canada pour la période de 2013-2018. Ce plan date d'août 2013. J'en ai un exemplaire ici ce matin. Je dois vous dire que j'ai lu ce plan d'entreprise avec beaucoup d'intérêt puisqu'il a été produit en août, et les droits pour le hockey ont été perdus en novembre. On y mentionne en passant les menaces qui existent pour l'avenir. Cela a suscité à peu près autant d'attention que la difficulté de vendre des publicités sur Espace musique.

Il y a aussi une autre note en bas de page qui fait référence à l'exposé que j'ai présenté au CRTC au nom de Friends of Canadian Broadcasting, en novembre 2012. Les paragraphes 12 à 37 de ce mémoire répondent à votre question. Nous en avons parlé au CRTC. Essentiellement, la réponse de CBC/Radio-Canada, a été « tout est confidentiel, qu'en savent-ils? En plus, nous ne perdrons pas ces droits? » C'est tout. C'est dans la transcription. Je pense que vous avez tout à fait raison. Je les accusais de jouer à l'autruche. D'après mes sources, ils ne savent pas encore ce qu'ils vont faire. Ils avaient là une bouée de sauvetage, et rien ne va plus. Rogers peut vendre des publicités sur CBC, mais CBC n'a plus besoin de verser de l'argent à New York. Quoi qu'il en soit, c'était perdu d'avance. Quand la location ne leur coûte rien pour 350 heures de programmation, ils ont des moyens de se défendre en cas de grave récession ou quelque chose de ce genre. Leur planification aurait dû être meilleure, pour quelque chose d'aussi fondamental.

[Français]

La sénatrice Verner : Bonjour, monsieur. Je vais m'adresser à vous en français. Je voulais avoir quelques informations, d'abord sur vos sources de financement. Dans votre site web, j'avais vu que vous aviez 100 000 supporters, vous dites que vous en avez 160 000.

Est-ce qu'ils viennent principalement des grands centres urbains? Êtes-vous en mesure de nous donner le pourcentage de ceux qui viennent des régions ou des grands centres urbains? Est-ce qu'il y en a qui viennent du Québec? Parce que vous avez répondu au président du comité que votre organisation est essentiellement canadienne-anglaise.

M. Morrison : C'est vrai. Mais le problème primordial de ces chiffres de ce matin, c'est qu'ils sont du côté anglophone, et l'origine de notre organisation est venue de la priorité de ces problèmes.

[Traduction]

Vous comprendrez que je préfère parler dans ma langue maternelle.

La sénatrice Verner : Oui, bien entendu.

M. Morrison : D'où vient l'argent? L'an dernier, nous avons pu amasser 3 millions de dollars. En passant, je peux déposer ces documents, ils sont sur notre site web. Je parle de nos états financiers vérifiés, qui sont publics. D'où vient cet argent? Nous refusons les sommes provenant de gouvernements ou de toute société qui détient un permis du CRTC. Les autres entreprises ne tiennent pas beaucoup à nous soutenir. L'argent vient donc entièrement de Canadiens. Il y a un nombre modeste de dons de milliers de dollars, mais pour l'année dernière, l'argent est venu surtout de 70 000 à 80 000 dons valant en moyenne 40 ou 50 $. Nous rejoignons beaucoup de gens.

Vous avez demandé d'où viennent ces contributions. Elles viennent de partout. En Colombie-Britannique, un ménage sur 320 nous appuie. À Terre-Neuve, c'est 1 sur 2 000. Entre ces deux extrêmes, on peut dire que 10 p. 100 de nos fonds viennent du Québec. Il est difficile de dire si ce sont des francophones ou des anglophones, par exemple, pour quelqu'un dont le nom de famille est Dawson. Nous n'avons pas ce genre de renseignement de base. Je dirais qu'au Québec, la moitié des dons vient de gens dont la langue maternelle est l'anglais, et l'autre moitié, de francophones. Est-ce que cette réponse vous satisfait?

[Français]

La sénatrice Verner : En fait, le contexte de cette question vient du fait qu'on parle...

M. Morrison : J'ai oublié de dire quelque chose.

La sénatrice Verner : Oui, allez-y.

[Traduction]

M. Morrison : C'est évident, mais peut-être pas pour tout le monde. Nous ne sommes pas un organisme de charité. Par principe, nous sommes une organisation non partisane, mais nous avons des activités politiques, d'après l'interprétation qu'en donnent les tribunaux, puisque nous cherchons à influencer les politiques publiques, l'opinion publique et les décisions gouvernementales. Nous ne sommes pas un organisme de charité et ce montant de 3 millions de dollars, c'est notre budget après impôt. Ce serait l'équivalent de 12 millions de dollars recueillis par un parti politique fédéral, pour ce qui est de l'argent réellement investi ainsi par des Canadiens.

[Français]

La sénatrice Verner : Ce que je vous expliquais, c'est que le contexte de ma question s'inscrivait dans un questionnement sur la capacité de CBC/Radio-Canada. Puisque je suis du Québec, c'est surtout au sujet de Radio-Canada, où on parle surtout de montréalisation de son contenu plutôt que de régionalisation.

En 2003, vous avez demandé à la firme Nanos d'effectuer un sondage pour vous et ce sondage démontrait que moins de 25 p. 100 des Canadiens appréciaient la couverture de l'actualité faite par la société d'État. Est-ce que vous ne pensez pas que c'est préoccupant, probablement que oui, mais je voulais entendre vos commentaires là-dessus. Sauf que ma question, comme je vous dis, en tant que sénatrice du Québec, c'était de vous demander si ce sondage comportait des données pour le Québec.

M. Morrison : Oui, certainement.

[Traduction]

Sénateurs, on peut trouver tout cela sur l'Internet, mais si vous le voulez, je déposerai volontiers ces renseignements. Depuis le début des années 1990, nous avons recouru à des sondages pour connaître le point de vue des Canadiens. Je suis ici pour vous parler, mais au nom de qui? Nous avons un comité directeur, une sorte de conseil d'administration et nous représentons quelques centaines de milliers de familles. Mais que pensent les Canadiens? Nous le savons grâce à des gens comme Nik Nanos. D'ailleurs, tous nos résultats de recherche se trouvent sur notre site web. Certaines de nos meilleures questions sont celles dont nous faisons un suivi au fil des ans. En voici un exemple. Imaginons qu'à la Chambre des communes, il y est un vote sur le financement de la CBC/Radio-Canada. Demanderiez-vous à votre député de réduire le budget, de le maintenir ou de l'augmenter? Les choix ne sont pas toujours présentés dans le même ordre. Nous avons des données qui remontent à 20 ans pour cette question. Les données les plus récentes montrent que 10 p. 100 des Canadiens réduiraient le budget de CBC/Radio-Canada, environ 40 p. 100 le maintiendraient et environ 50 p. 100 des Canadiens voudraient l'augmenter.

Nous savons que CBC/Radio-Canada est une institution très populaire auprès des Canadiens. Pour eux, ce n'est peut-être pas aussi important que l'hôpital local, mais le radiodiffuseur public a un soutien assez large. Nanos n'est qu'une des sociétés auxquelles nous avons recours pour le démontrer. Si vous pensez que c'est utile, nous pourrions collaborer avec vous aussi, dans le cadre de vos travaux, pour faire un autre sondage Nanos sur ce que pensent les Canadiens en 2014. Je pourrais peut-être revenir un jour avec Nik Nanos, et nous pourrions vous parler de l'opinion publique et du radiodiffuseur public.

[Français]

La sénatrice Verner : Ma question portait davantage sur l'appréciation des Canadiens de la couverture de l'actualité dont le pourcentage était à moins de 25 p. 100. Avez-vous des commentaires à nous faire au sujet de cet aspect du sondage?

[Traduction]

M. Morrison : Les faits sont éloquents. C'est un bon sondage, mené de manière professionnelle. Ce n'est pas moi qui ai posé les questions, vous savez. Cela a été fait par Nanos Research, et vous avez les réponses.

Le sénateur Plett : La sénatrice Verner a déjà posé l'une de mes principales questions au sujet des aspects démographiques et du soutien que vous recevez. Vous avez répondu alors je ne m'éterniserai pas là-dessus.

Il y a des années, lorsque je voyageais dans le Nord du Manitoba et le nord-ouest de l'Ontario, j'écoutais la seule émission de radio que je pouvais capter : As it Happens. Je présume que la plupart des Canadiens de moins de 40 ans ne savent même pas ce qu'était As it Happens, sur CBC. Mais c'est ce que j'écoutais. Il est bien dommage que maintenant que j'ai la radio et la télévision par satellite, je ne sache même pas si cette émission est toujours diffusée.

M. Morrison : Elle l'est, sénateur.

Le sénateur Plett : Elle l'est? Excellent. C'était une très bonne émission.

Il va de soi qu'avec la radio et la télévision par satellite, tout naturellement, les gens écoutent ce qui leur plaît. Nous ne pouvons rien y changer, vous et moi, monsieur Morrison.

M. Morrison : Et nous ne le souhaitons pas.

Le sénateur Plett : Je veux regarder ce qui me plaît au moindre coût possible. C'est ce que veulent la majorité des Canadiens, tout simplement. Peut-être pas tout le monde. Peut-être pas vous. Les gens profitent des occasions qui se présentent. Il y a même des gens de votre groupe qui sont déménagés à Toronto, quittant Winnipeg, parce que de meilleures occasions se présentaient à Toronto, je présume. C'est comme ça. Nous suivons les occasions. Nous consommons selon les occasions.

J'ai quelques questions. Nous avons parlé de l'entente sur le hockey entre Rogers et la LNH et nous le ferons avec tous les témoins, j'en suis persuadé. Bien des amateurs de hockey se demandent ce qu'il en résultera. Je suis sûr que je pourrai continuer à regarder mes parties de hockey dans quatre ans d'ici, sur CBC ou ailleurs. Je vais essayer de m'en tenir à un préambule d'une minute tout au plus encore. Le greffier peut vérifier ce chiffre, mais vous avez sans doute la réponse, monsieur Morrison : on m'a dit que les Sénateurs d'Ottawa avaient signé une entente avec Bell qui a présenté une offre supérieure à celle de Rogers. Le pacte de 7 millions de dollars par année en vigueur avec Rogers a ainsi fait place à une entente de 10 ans d'une valeur de 400 millions de dollars. C'est presque aussi ridicule que les négociations de Rogers avec CBC, sauf que dans ce cas-là, c'est Rogers qui était en mauvaise posture.

Quelques questions. D'abord, à votre avis, qu'aurait dû faire la LNH? Ce n'est pour elle qu'une question d'argent, il s'agit de trouver la meilleure offre. Qu'aurait dû faire la LNH?

Quelques autres questions sur CBC/Radio-Canada. Sur votre site web, vous affichez une pétition demandant au gouvernement d'en accroître le financement. Combien d'argent le gouvernement doit-il donner à CBC/Radio-Canada? Je ne suis pas certain d'être pour ce financement. Combien faut-il lui donner? À quelques reprises, vous avez parlé du processus de nomination et du fait que le président est nommé par le premier ministre. Voici ma question : qui devrait nommer le président, si ce n'est pas fait par voie de nomination par le gouverneur en conseil. CBC/Radio-Canada reçoit des contribuables canadiens une subvention d'un milliard de dollars.

Je m'arrête à ces trois questions. Qu'aurait dû faire la LNH? Vers qui aurait-elle dû se tourner? Combien d'argent le contribuable doit-il accorder à Radio-Canada?

M. Morrison : Dans votre préambule, vous parlez d'un groupe qui n'existe pas, soit « Friends of CBC ».

Le sénateur Plett : Mes excuses, il s'agit bien de « Friends of Canadian Broadcasting ».

M. Morrison : Vous devez peut-être créer ce groupe, sénateur. Pour les besoins du compte rendu, on peut se reporter à la note en bas de page que je n'ai pas lue à voix haute. French of Canadian Broadcasting est un organisme indépendant de surveillance qui n'est pas affilié à un radiodiffuseur ni à un parti politique. Je tenais à le dire.

Le sénateur Plett : Je pense que vous l'avez dit très clairement, et j'en conviens.

M. Morrison : Passons à la question sur les autres sénateurs d'Ottawa, soit le club de hockey. La plupart des équipes de la LNH conservent des droits pour certaines de leurs parties qui ne seront pas diffusées ailleurs que dans leur région immédiate. Ainsi, le Réseau des sports a actuellement un contrat avec les Canadiens de Montréal pour une soixantaine de parties, je ne sais pas précisément combien. L'entente dont vous parliez avec les Sénateurs est semblable. Pour les Sénateurs, certaines parties ne sont pas diffusées à l'échelle nationale et il semble que TSN peut les présenter. Sur 10 ans, c'est une entente de 400 millions de dollars. Je ne saurai dire si c'est une bonne affaire.

Je crois que la LNH a fait exactement ce qu'elle avait à faire. Je félicite le commissaire de la LNH qui a négocié avec tous ces Canadiens. Dans mon mémoire, il y a une note en bas de page, une citation d'Ivan Fecan, l'ancien président de CTV. Il a écrit une courte lettre au magazine Maclean's, il y a quelques années où il disait : « CBC ne présente pas une soumission rivale à la nôtre, nous n'avons pas présenté de soumission. » M. Stursberg, le vice-président responsable à l'époque, n'avait comme seul concurrent que lui-même. La LNH est très habile à obtenir des radiodiffuseurs qu'ils agissent ainsi. L'argent va aux propriétaires et aux joueurs. C'est comme ça que la LNH fonctionne. Et je le répète, je félicite la LNH. C'est une société privée, multinationale, surtout américaine puisque 77 p. 100 des équipes sont aux États-Unis.

Au sujet du financement de CBC/Radio-Canada, la pétition dont vous parliez fait probablement suite aux délibérations du Comité permanent de la Chambre des communes sur le patrimoine canadien, remontant à 2007 environ. On peut vérifier. Une motion avait été adoptée par le comité, à la suite d'une étude. Gary Schellenberger présidait ce comité. Le comité recommandait que les sommes annuelles consenties à CBC/Radio-Canada par le Parlement soient augmentées pour équivaloir au moins à la moitié de ce qui est donné aux radiodiffuseurs publics dans les démocraties occidentales, les pays de l'OCDE. Si je me souviens bien, cela signifiait augmenter les budgets de CBC/ Radio-Canada sur une période de quatre ans, une hausse d'environ 100 millions de dollars par année, soit l'équivalent d'une bonification de 8 p. 100, pour se rapprocher au moins de la moitié visée. À l'époque, le gouvernement était minoritaire. C'était l'opinion du Bloc québécois, des néo-démocrates et des libéraux. Les conservateurs alors minoritaires étaient contre cette recommandation. Nous étions en faveur de la recommandation et la pétition va dans ce sens. Cela semblait être une solution raisonnable pour combler le déficit du radiodiffuseur public.

Enfin, concernant les nominations par décret, en Grande-Bretagne, le directeur général de la BBC est nommé suivant un processus semblable à celui des nominations par décret. Cela se fait toutefois sur l'avis du bureau des gouverneurs de la BBC. Autrement dit, c'est un processus indépendant, un peu comme lorsque le gouverneur général agit selon les conseils du premier ministre. C'est un processus de nomination à l'abri de la partisanerie politique qui fait en sorte que les éléments les meilleurs, les plus brillants puissent faire partie du conseil ou être choisis comme PDG de l'organisme. C'est ce que proposait le comité Lincoln à la page 567, que j'ai citée plus tôt aujourd'hui. C'est le processus que nous préconisons. Je me rappelle que M. Lincoln a dit que cela pourrait ressembler à la façon dont on choisit les récipiendaires de l'Ordre du Canada. Cela n'a rien de politique. Les politiciens n'interviennent pas dans le processus. C'est un moyen de trouver les meilleures personnes pour leur confier la gouvernance de l'institution culturelle de loin la plus importante du pays. Nous sommes à part des autres. Presque aucun pays démocratique n'a adopté ce mode de nomination directe et partisane des dirigeants de son radiodiffuseur public.

Le sénateur Plett : D'abord, un commentaire : je crois que nous nous sommes assurés que les meilleurs éléments étaient nommés.

M. Morrison : Eh bien, nous ne sommes pas d'accord là-dessus, vous et moi.

Le sénateur Plett : Bien. Ce ne sera pas la seule chose sur laquelle nous ne nous entendrons pas.

M. Morrison : Nous sommes tous les deux de Winnipeg, en passant.

Le sénateur Plett : Et moi, j'y vis encore.

Vous avez insisté pour dire que vous n'êtes pas les « Amis de CBC/Radio-Canada ». Alors je vous pose la question : combien d'autres radiodiffuseurs canadiens sont visés par la demande d'augmentation de financement de la pétition de Friends of Canadian Broadcasting?

M. Morrison : Il est important de savoir que les contribuables canadiens soutiennent bon nombre de diffuseurs. Ils soutiennent Radio-Canada via une subvention du Parlement, mais ils le font aussi pour d'autres télédiffuseurs dont ils subventionnent les coûts de production, et aussi parce que les publicités pour les stations frontalières sont très coûteuses, sans oublier la substitution de signaux identiques. Le Parlement appuie les diffuseurs de nombreuses façons.

Mais la chose essentielle à retenir, et pas seulement pour le Canada, mais pour l'ensemble du monde démocratique, c'est que les diffuseurs privés offrent des émissions dans le but de permettre aux annonceurs d'avoir accès à leurs auditoires. C'est leur modèle d'affaires.

Dans l'ensemble du monde démocratique, l'objectif des diffuseurs publics est d'offrir des émissions aux citoyens. Autrement dit, pour répondre à la question du sénateur Housakos, je dirais que 8 p. 100, ça ne semble pas beaucoup, mais que si le dénominateur est 23, on va jusqu'à 30 ou 40 p. 100 de toute la programmation canadienne.

Il est tout à fait logique... Le premier ministre R. B. Bennett a créé la Commission canadienne de la radiodiffusion en 1932, et a suivi l'avis de Graham Spry. Je le cite : c'est l'État ou les États-Unis.

Vous direz que 23 p. 100, ce n'est pas beaucoup, mais on a du mal à garder ce chiffre aussi élevé au Canada anglais au fil des ans.

Le sénateur Plett : Je présume que la réponse à ma question, c'était : aucun. Merci.

Le sénateur Eggleton : Monsieur Morrison, je vous remercie de nous faire profiter de vos connaissances et de nous avoir présenté un bref exposé aujourd'hui. Merci aussi pour le travail que vous et les Friends of Canadian Broadcasting effectuez pour qu'on parle aux Canadiens des Canadiens, malgré que ce soit si difficile compte tenu des efforts de commercialisation colossaux déployés au Canada par le secteur américain du divertissement.

Mes questions portent sur trois thèmes. Je voudrais trois réponses séparées. Pour commencer, vous avez dit qu'avec les pertes des droits de la LNH, CBC perdra des revenus publicitaires que vous estimez à environ la moitié de l'ensemble de ses recettes publicitaires. Vous pensez que c'est peut-être l'occasion de passer à une vocation non commerciale. Je présume que les diffuseurs privés seraient contents de ne plus avoir ce rival.

Mais alors, d'où viendraient les recettes de la société d'État? Il y a eu des compressions à CBC/Radio-Canada ces dernières années, et je doute qu'on renverse la vapeur d'ici la prochaine élection.

Y a-t-il une autre source de financement? Au Royaume-Uni, on fait les choses autrement. Je ne sais pas ce qui se fait dans d'autres pays, mais y a-t-il d'autres sources de financement pour garder à flot CBC/Radio-Canada afin qu'elle continue de présenter du contenu canadien?

M. Morrison : Merci pour vos observations, sénateur. Nous acceptons tant les louanges que les critiques.

Au sujet de la perte du contrat avec la LNH et de la possibilité de ne plus être une société commerciale, il faut se demander d'où viendrait l'argent. Bien entendu, les contribuables pourraient investir davantage. C'est ce que recommandait le Comité de la Chambre des communes. Vous voulez savoir s'il y a d'autres solutions. Il n'est pas nécessaire que les solutions s'excluent les unes et les autres; on pourrait avoir une combinaison de sources de revenu.

Il y a quelques années, dans un éditorial du Globe and Mail, on se demandait à qui profiterait l'étatisation complète de la télévision anglaise de Radio-Canada. La réponse : aux télédiffuseurs privés. Vous y avez fait allusion.

Qui serait contre l'étatisation complète? Le secteur de la publicité. Le réseau anglais de télévision est un moyen sans égal pour General Motors de présenter les avantages de ces véhicules, même chose pour Molson, et bien d'autres.

Il risque d'y avoir de vives discussions et le lobby des publicitaires sera pour le maintien du statu quo. Mais le meilleur vecteur publicitaire de CBC est maintenant entre les mains de Rogers. Il s'agit du hockey. C'est la vache à lait pour les publicitaires.

Les diffuseurs privés qui profiteraient de l'absence de concurrence en provenance de CBC/Radio-Canada pourraient contribuer à cet état de choses. Ce serait grandement à leur avantage. Ces discussions ont déjà eu lieu, on m'en a informé.

Je pense que vous seriez bien avisé de distribuer le rapport Lincoln à vos collègues, monsieur le président. Il y a un autre rapport auquel vous pourriez vous référer. Pierre Juneau était à la tête du groupe qui a préparé ce rapport. Il y avait Catherine Murray, une professeure de l'Université Simon Fraser, et le célèbre Peter Herrndorf, qui ont participé à la rédaction de ce rapport publié, je crois, autour de 1996. On y parle des grandes institutions canadiennes. Il y est question de l'ONF, mais principalement de CBC/Radio-Canada. Le rapport comporte des recommandations détaillées.

Déjà à cette époque, on s'intéressait de près aux profits mirobolants des distributeurs. On estimait qu'une partie de cet argent pourrait être réinvestie, pour aider non seulement les diffuseurs publics mais aussi les diffuseurs privés.

Pensez-y un instant. Si vous et moi donnons de l'argent à Vidéotron et à Rogers et que les marges de profit sont si élevées, il s'agit d'une sorte de monopole non réglementé, pour beaucoup d'utilisateurs, n'est-ce pas? Il serait possible de réinvestir une partie de ces ressources dans le contenu. Et ce ne serait pas destiné uniquement aux émissions de CBC/ Radio-Canada, mais ce serait fait pour l'ensemble du public.

Sénateur Eggleton : Cela m'amène à la deuxième question, parce que vous parlez de l'industrie privée. Vous avez parlé de Netflix, de YouTube, de Google, et cetera. Quels règlements devrions-nous leur imposer? Comment peuvent-ils contribuer au contenu canadien? Je présume que, pour l'instant, ils n'apportent aucune contribution, ou ne sont pas obligés de contribuer de quelque manière que ce soit au contenu canadien.

M. Morrison : Ils représentent tous de grandes préoccupations à l'échelle internationale, alors toute mesure prise pour les réglementer doit s'appliquer à ce niveau.

Un certain nombre de pays ont les mêmes préoccupations. Je sais que c'est le cas de l'Australie, de l'Irlande et de la France. Il se pourrait qu'à l'échelle internationale, une forme de réglementation puisse être mise en œuvre pour prélever une somme modeste des ressources d'une entreprise comme Netflix afin de la verser à l'équivalent du Fonds canadien de télévision dans chaque pays. Le Fonds canadien de télévision se situe à l'échelon de la programmation en gros; c'est le moteur de la création d'émissions de fiction au Canada.

En ce moment, 5 p. 100 des revenus des grands câblodiffuseurs, ce que le CRTC appelle des EDR, des entreprises de distribution de radiodiffusion, doivent être versés dans ce fonds. Je vous fais grâce des détails techniques. Donc, Netflix serait sur le même pied que les diffuseurs canadiens équivalents s'il agissait de la sorte.

Il existe d'autres moyens, et j'en ai abordé un brièvement, à savoir que les diffuseurs canadiens sur Internet pourraient bénéficier d'un traitement plus favorable si on repoussait la limite de la bande passante qu'il leur est offerte par les grandes entreprises. On pourrait établir une distinction entre le contenu canadien et le contenu étranger dans l'application de ces règles.

Je pense que mes réponses se résument à passer à l'action. Vous posez les bonnes questions.

Le sénateur Eggleton : Est-ce que le service d'actualités et d'information de la CBC pourrait atteindre le seuil de rentabilité en concentrant ses efforts sur CBC News Network, si ce réseau spécialisé diffusait de la publicité, contrairement au réseau principal?

M. Morrison : Voilà une question complexe, mais voici une réponse brève : premièrement, comme vous le savez, le réseau CBC News Network a des revenus publicitaires. Le réseau a des tarifs prévus par le CRTC que le câblodiffuseur doit percevoir et remettre, tout comme TSN le fait. Le réseau a un écheveau complexe. Le montant se situe entre 80 et 100 millions de dollars par année. Vous pouvez retrouver ces chiffres dans les états financiers de la CBC.

Il transmet l'information qu'il collecte au réseau principal de télévision. En fait, à l'ère numérique, on retrouve de plus en plus l'information recueillie sur les ondes de la radio et sur les sites cbc.ca et rad-can.ca. Il existe donc un grand carrefour de sources de nouvelles, dont certaines sont subventionnées par le contribuable, d'autres par les annonceurs et encore d'autres par les abonnés au service de câble et de satellite. Cela permet-il d'atteindre le seuil de rentabilité?

Voilà une bonne question pour la direction de CBC/Radio-Canada. Je suis convaincu que d'autres peuvent trouver de meilleures choses à faire pour gagner leur vie, mais moi, je lis les rapports annuels de CBC/Radio-Canada ainsi que ceux de Rogers et d'autres. Je peux vous dire que ces rapports ne sont pas uniformes d'une année à l'autre. Ils sont opaques. Ils mélangent souvent la radio et la télévision ensemble. Une comparaison avec les rapports de la BBC, dont le site Internet est beaucoup plus transparent en matière de finances, serait très intéressante à faire. Je devine que les services d'actualités et d'information arrivent presque à atteindre le seuil de rentabilité; les grandes dépenses particulièrement difficiles à financer au Canada sont pour les émissions de fiction, qui coûtent 1 million de dollars par heure et qui livrent concurrence aux émissions de Hollywood qui coûtent 10 millions US par heure.

Le sénateur McInnis : Hier, j'ai cherché « Friends of Canadian Broadcasting » sur Google, et je m'attendais à voir un chien d'attaque se présenter devant nous ce matin. Les articles que j'ai pu lire semblent en effet témoigner d'une grande agressivité. Voilà que je vous rencontre ce matin pour la toute première fois — je n'essaie pas d'être condescendant — et vous êtes vraiment très gentil.

M. Morrison : Je vous trouve très sympathique aussi, sénateur.

Le sénateur McInnis : Vous l'êtes vraiment. Vous devez faire quelque chose. Les gens ont une impression entièrement fausse.

Habituellement, on forme des groupes d'amitié lorsque des problèmes découlent d'un manque d'intervention gouvernementale. Par exemple, mes collègues néo-écossais se souviennent sans doute du groupe « Friends of the Halifax Public Gardens » formé parce que les jardins publics de Halifax étaient délaissés. Même chose pour le groupe des amis du parc provincial Taylor Head sur la côte Est.

Le vôtre a été formé en 1985 — vous en faisiez déjà partie à l'époque — et on peut donc présumer qu'il y avait des problèmes. Je me demandais si les problèmes sont demeurés les mêmes, et quand vous pourriez envisager de prendre votre retraite.

En ce qui concerne les nominations au conseil de CBC/Radio-Canada, c'est toujours bon d'essayer d'être aussi transparent que possible. Je me souviens du processus des nominations judiciaires lorsque je faisais partie du gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Au départ, les recommandations étaient communiquées au procureur général, qui les transmettait au conseil exécutif et les nominations étaient ratifiées. Le public n'était pas content du processus, apparemment, alors tout un groupe de personnes a été mandaté pour ce faire, et voilà qu'on se plaint de ces gens qui nomment leurs amis.

Je ne sais pas où se trouve le juste milieu en ce qui concerne la nomination du PDG. Ce matin, à l'émission nationale de CBC Radio, on parlait de la nomination d'un nouveau président à la Commission de la capitale nationale, nomination que certains ont contestée parce qu'il vient de l'organisation, qu'il est un des leurs. Comme il fallait s'y attendre, un commentateur a fait valoir par la suite que l'on devrait peut-être revenir aux nominations par le conseil exécutif, avec des gens comme Jean Pigott. Je ne sais pas où se trouve le juste milieu dans ce cas.

Voici l'autre point que je voulais soulever très rapidement : dans ce pays, nous avons la CBC Radio qui, si jamais les choses en viennent à être faites comme il se doit, est un excellent exemple à suivre.

Lorsque je me réveille en Nouvelle-Écosse, j'écoute « Information Morning », une émission diffusée à peu près partout au pays. On passe ensuite à « Canada AM »; il y a du contenu canadien à souhait. Le dimanche après-midi, c'est Rex Murphy et « Cross Country Checkup. » Lorsqu'on vieillit, et qu'on se réveille à trois heures du matin, on peut écouter la BBC, l'Australie, l'Allemagne et ainsi de suite.

Selon moi, ils ont raison. Le CRTC a dû assortir l'octroi d'une licence de l'obligation de diffuser neuf heures de contenu canadien par semaine à la télé anglaise et sept heures au Québec, je crois. Lorsqu'il faut agir de la sorte, il faut poser la question : est-ce que CBC Television a toujours sa raison d'être? Ce serait un débat digne d'intérêt parce que, comme vous l'avez déjà dit, CBC est en concurrence avec Hollywood. J'imagine qu'environ 1 milliard de dollars y est investi.

S'agit-il d'une bonne utilisation de l'argent des contribuables canadiens? À mon avis, la réponse est de plus en plus évidente. Pourriez-vous me faire part de vos observations à ce sujet?

M. Morrison : Merci. Vous avez parlé d'un chien d'attaque. Je me rappelle d'un article du Toronto Star au tout début de l'existence de ce groupe. Dans tout bon article, la première phrase doit capter l'attention. Elle se lisait comme suit : « Pour des gens qui se décrivent comme un groupe d'amis, ils ont certainement beaucoup d'ennemis. »

Les problèmes que nous souhaitons résoudre ont trait à la qualité et à la quantité de la programmation canadienne. D'après le sondage dont j'ai parlé plus tôt, nous savons que les Canadiens sont favorables à la programmation canadienne. Ils veulent qu'elle soit disponible.

L'un de vos collègues, le sénateur Gerstein, a envoyé une lettre dont j'ai obtenu copie. Certaines accointances avec le Parti conservateur ont sans doute joué un rôle. L'une des questions soulevées consistait à savoir si le montant d'environ un milliard de dollars consacré à CBC/Radio-Canada représente une bonne ou une mauvaise utilisation de l'argent des contribuables.

Nous avons trouvé que c'était une bonne question et demandé à M. Nanos de la poser aux Canadiens. Nous avons ainsi appris que 63 p. 100 de nos concitoyens estiment qu'il s'agit d'une bonne utilisation de leurs deniers alors que 25 p. 100 pensent le contraire.

Nous avons demandé au sénateur Gerstein si l'on pouvait obtenir les résultats pour les sympathisants du Parti conservateur, mais il ne s'est pas montré très ouvert à cette idée. Il y a donc une certaine volonté de dépenser de l'argent pour du contenu canadien.

Pour revenir un peu en arrière, CBC Radio jouit d'un bon appui, mais CBC Television connaît ces problèmes particuliers. Vous avez demandé si nous devrions chercher à concurrencer Hollywood. Si nous ne le faisions pas, l'écoute de contenu canadien, au Canada anglophone, chuterait à un niveau bien inférieur sans CBC Television.

Au dos de ce graphique, vous trouverez, à titre documentaire, un tableau portant sur la situation à Ottawa. Sur notre site web, nous avons uniquement ces informations pour le réseau de télévision anglophone. Il s'agit des canaux diffusés par onde hertzienne. Même de la distance où vous êtes, sénateur, et quelle que soit votre vision, vous pouvez voir que la chaîne en tête de liste est toute rouge aux heures de grande écoute, ce qui signifie qu'elle diffuse uniquement de la programmation canadienne. On voit plus bas ce que font les autres chaînes. Les deux autres couleurs, le blanc et le gris, indiquent la diffusion simultanée de programmes américains.

Donc, au moment de la journée où la plupart des adultes canadiens peuvent regarder la télévision, seulement une des chaînes accessibles par les ondes hertziennes diffuse du contenu principalement canadien. Je pense que cela se passe de commentaires. Pour ce qui est du conseil d'administration de CBC/Radio-Canada et de la façon dont on en nomme les membres, finalement votre question vise à savoir si le mécanisme de nomination pose problème. Je conviens avec vous qu'il n'y a pas de mécanisme de nomination idéal.

Il y a quelque chose qui pose problème avec le mécanisme canadien existant, et qui est bien documenté. Vous n'êtes pas obligé de me croire sur parole. Vous pouvez tout simplement lire le rapport Lincoln et voir les autres recommandations qui ont été faites. Ce que je dirais, c'est qu'à cette étape de votre travail, vous êtes probablement en train de réfléchir aux questions que vous souhaitez poser. À quoi voulez-vous porter attention?

Moi je vérifierais les systèmes de gouvernance des diffuseurs publics d'autres pays démocratiques. Tout comme le sénateur Housakos l'a indiqué, il faut obtenir des données sur les investissements effectués dans la diffusion publique dans différents pays. Ce sont là les deux choses que je vérifierais. Il reviendrait probablement moins cher de faire venir des témoins allemands dans cette salle, plutôt que de faire un voyage en Allemagne avec tous les membres du comité, mais j'insisterais sur la nécessité pour vous de savoir ce qui se passe dans ces autres pays et de ne pas confiner vos recherches aux États-Unis, où il y a très peu de diffusion publique.

Ai-je oublié quelque chose? Je ne crois pas.

Le sénateur McInnis : Non.

Le sénateur MacDonald : Bonjour, monsieur Morrison. J'ai beaucoup de questions, mais je vais tenter de m'en tenir à quelques-unes. Pendant 50 ans, la structure de CBC/Radio-Canada était adaptée à la façon dont les émissions, les messages et les différents types de contenu étaient transmis par l'entremise de la radio ou de la télévision. Aujourd'hui, les modes de diffusion médiatique ont bien changé; je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus. Nous pouvons regarder ce que nous voulons quand nous le voulons. Compte tenu de cette évolution, qu'est-ce qui demeure selon vous fondamentalement essentiel à CBC/Radio-Canada? Quel est l'aspect le plus important de la société d'État qui doit être préservé en cette période de changement?

M. Morrison : Je présume qu'il fut une époque où il n'y avait pas de changement, mais je ne sais pas quand c'était. Le sous-titre du plan d'affaires que j'ai critiqué plus tôt indique que le changement est le nouveau statu quo. Il y a des éléments de continuité dans nos problèmes. Par exemple, dans les années 1930, le problème était causé par ces grandes stations de radio américaines que l'on pouvait capter ici et que les Canadiens écoutaient. Tout à coup, les Américains pouvaient être présents dans chaque foyer canadien. Aujourd'hui, nous avons quelque chose de très semblable : l'Internet. Nous sommes passés d'un spectre très limité à un spectre pratiquement infini.

Voici ce que je vous conseillerais à cette étape de vos activités : évitez de trop vous intéresser à l'aspect technologique. Il faut voir la technologie comme un ensemble de tuyaux, de fils et d'outils. C'est le contenu qui importe. La raison pour laquelle les diffuseurs canadiens, y compris le diffuseur public, sont si importants, c'est que, sans eux, il serait difficile pour nos collectivités de se comprendre entre elles. Par exemple, il serait impossible aux gens de la Saskatchewan de comprendre ce qui se passe à Terre-Neuve. C'est ce sentiment d'appartenance qui crée ce que Peter C. Newman a décrit dans notre première publicité, qui était adressée au premier ministre de l'époque, M. Mulroney, comme l'identité distincte de la moitié nord du continent nord-américain. C'est l'élément clé. CBC/Radio-Canada excelle, et on l'observe souvent à l'échelon local plutôt que sur un réseau, à raconter des histoires canadiennes.

Rendez-vous dans un Safeway, un Métro ou un Loblaws et promenez-vous dans les allées. Ce que l'on trouve sur l'étagère du bas ne peut pas vraiment être vu et ce n'est pas ce que vous achetez. Les objets les mieux placés dans ces magasins se trouvent à hauteur des yeux. Si on applique cette métaphore au réseau de télévision, on a besoin d'espace d'étalage pour le contenu canadien dans notre système audiovisuel; et c'est vraiment problématique.

Le sénateur McDonald : CBC est un réseau de télévision d'intérêt général, tout comme ABC, CBS, NBC et CTV.

M. Morrison : Désolé; j'aurais dû attendre la fin de votre question, mais si vous me le permettez, c'est à l'exception du hockey. La programmation destinée aux enfants et le hockey ne sont pas traités de la même façon.

Le sénateur MacDonald : Non, vous avez raison. Ces émissions génèrent des recettes différentes.

CBC, tout comme les stations de télévision d'intérêt général, connaît des difficultés pour ce qui est de sa capacité à générer des recettes publicitaires, car celles-ci dépendent de la taille de l'auditoire. CBC News World a réussi à recueillir des fonds au moyen d'abonnements. On est ainsi parvenu à générer environ 10 millions de dollars cette année. Si le marché de la publicité s'effondre pour CBC, et je pense que c'est une menace qui va peser sur elle lorsqu'elle perdra le hockey, quelles seraient les recommandations de Friends pour que CBC puisse générer des recettes?

M. Morrison : Soit dit en passant, je suis certain que vous l'avez trouvé quelque part ce chiffre de 10 millions de dollars, mais il me semble que CBC obtient un peu plus de 50 cents par abonné par mois, ce qui équivaut à plus de 6 $ par an. Comme le service anglophone compte environ 10 millions d'abonnés, les recettes tirées des abonnements se trouvent plutôt dans une fourchette de 50 à 70 millions de dollars.

En gros, la question ressemble à celle du sénateur Eggleton concernant la provenance des ressources. Afin de gagner du temps, je vous répéterai ce que je lui ai dit : si CBC/Radio-Canada devait fonctionner de façon non commerciale, qui en bénéficierait? Et ceux qui en bénéficieraient seraient sans doute prêts à payer quelque chose pour qu'on en arrive là.

Il s'agit là de réponses qui concernent les anglophones. Le Réseau de l'information de Radio-Canada est semblable. Il impose des tarifs et génère quelque chose de l'ordre de 20 à 25 millions de dollars. Dans le marché anglophone, il doit obligatoirement être offert pour permettre l'accès aux nouvelles en français. Si vous combinez les deux, sénateur, vous obtenez le chiffre de 100 millions de dollars.

Je vous renvoie aux réponses que j'ai données au sénateur Eggleton, plutôt que de me répéter davantage.

Le sénateur Eggleton : J'ai une question rapide. Vous nous avez montré un tableau qui indiquait en rouge la quantité de contenu canadien que l'on trouve sur CBC par comparaison aux chaînes du secteur privé.

M. Morrison : C'est pour les heures de grande écoute.

Le sénateur Eggleton : Oui. En période de grande écoute, bien évidemment. Une grande partie du contenu canadien des chaînes privées est diffusée soit au début ou à la fin de cette période de grande écoute — les nouvelles au début et d'autres nouvelles à la fin.

Au milieu de la période de grande écoute, soit de 20 heures à 22 heures, j'ai cru comprendre que CBC diffuse 94 p. 100 de contenu canadien et que les autres diffusent 18 p. 100, 14 p. 100, 7 p. 100 et même 0 p. 100 de contenu canadien. Pour ce qui est de la période de grande écoute de 20 heures à 22 heures, il y a donc très peu de contenu canadien sur les chaînes du secteur privé lorsqu'on les compare à CBC qui en diffuse 94 p. 100.

Pensez-vous que les règles devraient changer? Le CRTC et le gouvernement devraient-ils changer les règles en ce qui a trait au contenu canadien au cours de cette période de grande écoute où l'on diffuse toutes ces émissions américaines?

M. Morrison : Les diffuseurs privés doivent diffuser du contenu américain en période de grande écoute afin de générer suffisamment de recettes pour être rentables; il y a donc une limite. Nous pourrions bien décréter qu'ils doivent en faire plus, mais que se passerait-il s'ils ne parvenaient à être rentables en suivant ce modèle? Que feraient-ils à ce moment-là? Devraient-ils renoncer à leur licence, ce qui nous laisserait avec un nombre réduit de diffuseurs par ondes hertziennes, lesquels vivent sous une menace constante? Plutôt que de vouloir que l'on impose de nouvelles obligations, je me préoccuperais davantage du fait que le CRTC, contrairement à ce qu'il faisait par le passé, n'exige plus certains investissements dans des programmes de grande qualité, comme une bonne série dramatique qui serait diffusée aux heures de grande écoute.

J'espère que le président du CRTC viendra comparaître ici un jour afin que vous puissiez lui poser ces questions. Il semblerait que CBOT, au cours de la période sélectionnée pour le test, qui a débuté il y a un an jour pour jour pour se poursuivre jusqu'au 24 mars dernier — au cours d'une année non olympique, soit dit en passant — diffusait 100 p. 100 de contenu canadien entre 20 heures et 22 heures. Ils auraient pu connaître de biens meilleurs résultats s'ils n'avaient pas diffusé Coronation Street. La couleur bleue sur le graphique indique qu'il s'agit non seulement de contenu canadien, mais aussi de contenu local. Sénateur, la réglementation du CRTC considère que la période de grande écoute se situe entre 18 heures et minuit. C'est comme cela qu'on l'a défini.

Cela ne correspond pas à la définition utilisée dans le privé. Ce n'est pas quelque chose que quelqu'un d'Hollywood pourrait comprendre. Les heures de grande écoute sont généralement de 19 heures à 23 heures et la tranche de 20 heures à 22 heures correspond au milieu de cette période. Voici ce qui se produit lorsque l'on fait une règle générale : chaque chaîne de télévision canadienne doit diffuser, en moyenne pour toute l'année, au moins 60 p. 100 de contenu canadien de 18 heures à 2 heures du matin, disons. À l'intérieur de cela, il faut diffuser 50 p. 100 de contenu canadien entre 18 heures et minuit. Les diffuseurs mettent donc tout leur contenu canadien de 18 heures à 19 heures et de 23 heures à minuit et, pendant la véritable période de grande écoute, la plus rentable, il n'y a plus que 25 p. 100 de contenu canadien.

C'est comme ça que cela fonctionne. Il y a des gens générant des profits énormes dans le secteur de la diffusion privée qui s'assurent que les 60 p. 100 de contenu canadien qui devraient constituer un plancher sont en fait un plafond. Ils ne voudraient surtout pas diffuser 60,1 p. 100 de contenu canadien. Plutôt que de créer de la programmation canadienne, il est toujours plus rentable de louer une émission américaine dont les énormes coûts de production ont été absorbés par le marché américain, et de l'entourer de publicités canadiennes. C'est pour cela que j'ai dit dès le début que notre système est conçu d'une manière qui défie les règles de l'économie. Dans un monde néoconservateur où ne régneraient que les forces du marché, il n'y aurait aucune programmation canadienne.

Le sénateur Plett : En plus de cette ébauche, monsieur Morrison, avez-vous des chiffres concernant le nombre de téléspectateurs canadiens? Mis à part l'émission The National et les émissions sportives, savez-vous combien de gens regardent CBC par rapport aux trois autres chaînes que vous avez mentionnées pendant les heures de grande écoute?

M. Morrison : Ces chiffres sont disponibles auprès d'un groupe qui s'appelle le Bureau of Broadcast Measurement (BBM). Les diffuseurs ont ces chiffres. Vous pourriez exiger qu'on vous les fournisse. Ils ne nous tiennent pas informés. Nous avons offert de les payer. On m'a même retourné un chèque.

J'ai une réponse générique, ce qui vous intéresse probablement davantage. Je vais tenter de vous donner un exemple précis. En février de l'année dernière, American Idol était diffusé entre 20 heures et 22 heures sur CJOH, une chaîne du réseau CTV. Cette émission est suivie par bon nombre de Canadiens. Il y a aussi majoration de 30 p. 100 parce que les Torontois syntonisant la station de Buffalo captent, en raison de la substitution simultanée, le signal canadien et regardent donc les publicités canadiennes. Pour les États-Unis, les chiffres sont énormes. C'est de l'ordre de 2 à 3 millions de personnes. C'est la raison pour laquelle l'autre graphique, qui présente les 100 émissions les plus regardées, est si important. Le tableau avec du rouge ne représente que ce qui est disponible. Ce n'est pas l'auditoire.

Le président : La semaine prochaine, nous n'aurons pas le président actuel du CRTC, mais son ancien président. L'honorable Konrad von Finckenstein témoignera devant nous par vidéoconférence mardi matin. Mercredi prochain, nous recevrons MM. Florian Sauvageau et Daniel Giroux du Centre d'études sur les médias de l'Université Laval.

La semaine prochaine, je demanderai aussi au comité d'adopter une motion invitant le ministre des Transports à réagir à notre rapport sur les aéroports et les compagnies aériennes, car, étant donné qu'il y a eu prorogation, nous n'aurons pas de réponse si nous n'adoptons pas une nouvelle motion en ce sens. C'est ce que je vais vous prier de faire, car je pense qu'une réponse serait appréciée. Je pourrais en faire la demande moi-même à titre de président, mais je pense qu'une résolution du comité aura davantage d'impact.

Le sénateur Housakos : Comme j'ai la chance de poser les dernières questions, j'estime important de souligner qu'il semble bel et bien y avoir un débat en cours quant à la pertinence de la radiodiffusion publique aux yeux des Canadiens. Vous avez tout à l'heure mentionné un sondage révélant qu'une forte majorité de Canadiens sont convaincus de l'utilité de CBC/Radio-Canada ou d'un système de radiodiffusion publique au Canada. Je pense que nous convenons tous de la nécessité de trouver une solution viable pour le contenu canadien et sa diffusion publique. En tant que parlementaires, notre objectif dans le cadre de cette étude est de tenter de déterminer comment y parvenir tout en permettant aux contribuables canadiens, qui demandent davantage de transparence et d'efficience, d'en avoir plus pour leur argent.

J'ai le plus grand respect pour Nik Nanos. C'est un grand sondeur, et j'apprécie que vous nous ayez communiqué les résultats de ses enquêtes. Je pourrais probablement trouver d'autres sondages qui ne sont pas si favorables à la diffusion publique, à CBC/Radio-Canada et au contenu canadien. Au final, en tant que parlementaire, ce sont les cotes d'écoute et les recettes qui m'intéressent. Le constat actuel pour ce qui est de la radiodiffusion canadienne et de CBC du côté anglophone est que les cotes d'écoute sont navrantes et que les recettes ne sont pas au rendez-vous. Si c'était le cas, on ne dépenserait pas des dizaines de milliards de dollars par décennie pour subventionner cette organisation.

Nous allons vous donner le dernier mot aujourd'hui, et vous le méritez. En tant que parlementaires, nous devons nous demander quel problème touche véritablement la radiodiffusion canadienne. Est-ce qu'on ne lui alloue pas assez d'argent et que les subventions devraient passer de 1,2 milliard de dollars à 2,5 milliards de dollars pour s'assurer que le contenu canadien est concurrentiel et que l'on produit de meilleures émissions que plus de Canadiens voudront regarder? Est-il possible que le problème vienne du fait que CBC/Radio-Canada ne prend pas les mesures nécessaires pour optimiser ses investissements et mettre en valeur le contenu canadien? Je vous donne un petit exemple. Il y a quelques mois, j'ai visité le site web de CBC/Radio-Canada, où l'on trouve de la musique accessible en mode continu. J'aime bien ce service, mes enfants aussi l'aiment bien. Vous pouvez aller sur le site web et écouter la musique qui vous intéresse. En naviguant sur le site, je me suis dit que, puisque CBC/Radio-Canada fait la promotion de la culture et du contenu canadiens, on ne devrait y trouver que des œuvres d'artistes canadiens. Ce n'était pas le cas. Il y avait aussi toute la musique des stars de Hollywood. Ce n'est qu'un petit exemple. CBC/Radio-Canada en fait-elle assez pour s'acquitter de son mandat avec l'argent qui lui est octroyé ou manque-t-elle simplement de financement? Qu'en pensez-vous?

M. Morrison : Le regretté Dalton Camp a dit que CBC/Radio-Canada était probablement l'institution la plus critiquée au pays mais, qu'on l'aime ou qu'on la déteste, qu'elle était l'une des seules institutions nationales qui fonctionnait toujours. J'ai trouvé cela très intéressant de sa part. Camp est décédé en 2002, il y a de cela plus de 12 ans. C'est quelques années auparavant que j'ai lu cette citation dans un journal. Nous avons toujours eu à nous battre pour créer un sentiment d'identité et d'appartenance dans un contexte où nous sommes inondés par la culture des autres.

Lors d'une réception à laquelle j'ai participé, le premier ministre a indiqué que R.B. Bennett avait créé Radio-Canada. Ce n'est pas entièrement vrai, mais c'est vrai en principe. Il a créé la CBC. Le premier ministre a marqué une pause avant d'ajouter : « Mais il y a longtemps déjà que nous lui avons pardonné. »

Je tiens à vous rappeler que le financement accordé par le Canada à la radiodiffusion publique est bien modeste comparativement à ce que font les autres démocraties. Je crois donc que notre société d'État obtient d'excellents résultats.

En terminant, je crois qu'il est également très important que CBC/Radio-Canada respecte les deux communautés de langue officielle du Canada. Traditionnellement, l'institution alloue environ 40 p. 100 des fonds publics aux services en langue française et environ 60 p. 100 à ceux en langue anglaise. Le groupe que je représente appuie cette allocation et n'aime pas voir ces chiffres modifiés. Un exemple. Un conseiller du CRTC, en fait, il s'agit du vice-président, M. Tom Pentefountas, a été très clair dans son opinion dissidente concernant le renouvellement récent de la licence de CBC/ Radio-Canada par le CRTC. Dans cette analyse en profondeur, il indique que les gestionnaires actuels de CBC/Radio-Canada, en proposant la diffusion de publicité sur les chaînes musicales, voulaient essentiellement que Radio 2, le service de langue anglaise, soit financé à 98 p. 100 par l'activité commerciale, alors que le service équivalent en langue française continuerait d'être subventionné. Il est donc essentiel que l'on comprenne bien que CBC/Radio-Canada joue un important rôle de rassembleur pour le pays et qu'elle doit se montrer juste et équitable envers les deux communautés de langue officielle, tout en faisant de son mieux avec les ressources qu'on lui octroie. Je crois qu'elle pourrait faire beaucoup mieux si elle était gérée de manière plus professionnelle aux échelons supérieurs et si elle recevait les ressources équivalentes à celles dont disposent les diffuseurs publics dans les autres démocraties occidentales.

Le président : Sur ce, monsieur Morrison, merci d'être venu. C'était très instructif. Cette réunion a été très longue, plus longue que la plupart de nos réunions, et vos commentaires ont été très appréciés par les sénateurs.

J'aimerais vous rappeler que nous ne nous verrons pas demain, mais nous allons nous réunir en matinée mardi prochain pour entendre l'ancien président du CRTC. Merci.

(La séance est levée.)


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