Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 4 - Témoignages du 1er avril 2014
OTTAWA, le mardi 1er avril 2014
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 32, pour poursuivre son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte.
Aujourd'hui, nous continuons notre étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui Richard Stursberg qui a été, entre 2004 et 2010, vice-président exécutif de la télévision anglaise de la Société Radio-Canada. Auparavant, il avait déjà acquis une vaste expérience de la radiodiffusion, des télécommunications et des industries culturelles, à la direction, entre autres, de l'Association canadienne de télévision par câble et de Téléfilm Canada.
Après son départ de CBC, M. Stursberg a publié un livre sur ses années à CBC, que vous pouvez d'ailleurs vous procurer chez Chapters-Indigo à un prix raisonnable. Si la question vous intéresse, je vous invite à le lire. Il est intitulé The Tower of Babble : Sins, Secrets and Successes Inside the CBC. Mais aujourd'hui, l'auteur va s'adresser à nous en personne.
Monsieur Stursberg, vous avez la parole.
[Français]
Richard Stursberg, à titre personnel : Merci. Je suis heureux de témoigner ici devant votre comité.
[Traduction]
J'aimerais commencer par faire quelques observations. Je sais que vous allez entendre beaucoup parler d'argent, et qu'on va vous dire que la SRC n'en a pas assez, ce qui est vrai. On va aussi vous dire qu'elle devrait avoir un financement pluriannuel, ce qui est vrai aussi. Enfin, qu'elle va devoir relever bien des défis technologiques, ce qui est encore vrai. Mais le plus gros problème qui se pose à la SRC, ce n'est aucun de ceux-là. Le plus gros problème, c'est l'absence d'un consensus sur ce que l'organisation devrait faire.
Ce n'est pas nouveau. La SRC a été tiraillée dans toutes les directions quasiment dès ses débuts. D'aucuns prétendent qu'elle devrait « produire des émissions haut de gamme, retransmettre des ballets ». Pour d'autres, c'est tout le contraire, elle devrait « produire des émissions populaires, qui plaisent à un maximum de Canadiens ». Certains disent qu'elle devrait desservir les petites villes qui sont délaissées par tout le monde, alors que d'autres voudraient qu'elle serve les grandes villes comme Toronto, Vancouver et Winnipeg.
Quand elles restent sans réponses, ces contradictions et ces tensions compliquent énormément la gouvernance de la société. D'autant plus que la Loi sur la radiodiffusion n'apporte à cet égard aucune solution.
Permettez-moi de signaler, en passant, que j'étais sous-ministre adjoint de la culture et de la radiodiffusion lorsque le président était député, et qu'à ce titre, j'ai participé activement à la rédaction de la dernière version de la Loi sur la radiodiffusion et à son examen article par article à la Chambre. Ce texte législatif ne règle pas le problème, car ce qu'il dit au sujet du rôle de la SRC est tellement général qu'on peut l'interpréter comme on veut.
Ce manque de clarté quant au rôle de la SRC crée également toutes sortes de difficultés à la fois graves et solidement ancrées dans le système. Premièrement, ces pressions contradictoires s'exercent à l'intérieur de la société. Celle-ci va donc à hue et à dia pour essayer de satisfaire toutes les clientèles, avec pour résultat une politique complètement incohérente.
Ça signifie aussi qu'il est très difficile de demander des comptes à la SRC, vu l'absence d'un consensus quant à son mandat. Quand une organisation ne sait pas exactement ce qu'elle est censée faire, on peut difficilement dire qu'elle a réussi ou qu'elle a échoué, que « telle chose a bien marché » et que « telle autre est un fiasco ».
À mon avis, seul le gouvernement est en mesure de définir ce que devrait être le mandat de la SRC. Étant composé de personnes élues, lui seul a la capacité de prendre ce genre de décisions, au nom des Canadiens qu'il représente, et c'est ce qu'il devrait faire.
Chose curieuse, je ne me souviens pas qu'un gouvernement ait dit un jour, clairement et simplement : « Voici ce que la SRC doit faire. » Ce serait une bénédiction pour la Société Radio-Canda. Et tout ce qui en découlerait aurait un sens.
Il faut que le gouvernement mette cartes sur table et dise clairement ce qu'il pense de toutes ces contradictions. Que veut-il? Un radiodiffuseur populaire ou élitiste? Un radiodiffuseur qui privilégie les collectivités délaissées ou les régions les plus peuplées?
Je pense que la meilleure façon de procéder serait que le premier ministre adresse une lettre au conseil d'administration de la SRC pour lui soumettre un mandat précis, du style : « Voici ce que le gouvernement vous demande de faire. » De cette façon, les choses seraient claires, ce qui mettrait un terme à ces tensions et à ces contradictions historiques. Soit dit en passant, il faudrait que ce soit une lettre ouverte.
Aussi me suis-je dit, quand j'ai su que j'allais comparaître devant votre comité, que je pourrais tout aussi bien préparer un projet de lettre. C'est ce que j'ai fait, et voilà donc le genre de lettre que le premier ministre devrait, à mon avis, envoyer au conseil d'administration. En a-t-on fait des photocopies? Oui, j'en ai un paquet ici. Je vous propose de donner lecture de cette lettre, car elle n'est pas très longue et elle vous donnera une idée de ce que je pense de toute la situation.
Voilà comme je vois les choses. Il s'agit donc d'une lettre ouverte du premier ministre du Canada au conseil d'administration de la SRC.
Le texte en est très simple :
Cher membre du conseil d'administration,
La Société Radio-Canada est confrontée à de nouveaux défis. Les dernières avancées technologiques, le rétrécissement des marchés de la publicité télévisée, la perte du contrat de la LNH et la réduction de ses crédits parlementaires vont obliger le radiodiffuseur à élaborer un nouveau plan stratégique.
Pour élaborer ce plan, je vous invite à prendre acte des volontés du gouvernement en ce qui concerne les orientations futures de la SRC.
Le travail du conseil d'administration devrait s'articuler sur les principes suivants :
1. Dans toute la mesure du possible, la SRC ne devrait offrir que des émissions canadiennes.
2. La société devrait privilégier les spectacles populaires. Étant donné qu'elle est financée par les impôts de tous les Canadiens, elle doit répondre aux besoins et aspirations de la plus grande majorité possible.
3. La SRC ne devrait pas dupliquer le travail du secteur privé. Il n'y a aucune raison de consacrer des deniers publics à des émissions que le secteur privé fait déjà très bien.
Ces principes étant énoncés, on peut d'ores et déjà en tirer des conclusions générales pour la stratégie de programmation.
1. La SRC doit supprimer les journaux télévisés locaux. Les réseaux privés s'acquittent très bien de cette tâche, et la SRC occupe généralement la troisième place sur les marchés qu'elle dessert. Il serait plus sage de mettre davantage l'accent sur les nouvelles internationales, afin d'aider les Canadiens à mieux comprendre la place qu'ils occupent dans le monde.
Il est bien entendu essentiel que la SRC continue de faire preuve, dans ses bulletins de nouvelles, d'un maximum d'équité, d'objectivité et d'équilibre.
2. La SRC — notamment le réseau anglais — doit privilégier, pour les heures de grande écoute, la production d'émissions dramatiques, de comédies, de documentaires et téléréalités populaires et typiquement canadiens. Les réseaux privés ne peuvent pas en faire autant, étant donné que leurs grilles de programmation aux heures de grande écoute sont inévitablement consacrées à des émissions américaines.
3. La SRC doit se retirer complètement de la retransmission d'émissions sportives.
4. La SRC doit faire connaître le Canada français au Canada anglais, et vice-versa, afin que les deux communautés linguistiques se comprennent mieux. La SRC est le seul radiodiffuseur — du public et du privé — qui soit capable de le faire.
Dès lors que le conseil d'administration aura élaboré un plan en fonction de ces principes et de ces orientations, le gouvernement sera prêt à discuter de son financement et à négocier un accord pluriannuel, sur le modèle de la charte royale que le gouvernement britannique négocie avec la BBC.
La SRC rendra des comptes à la population canadienne en présentant un Rapport annuel expliquant dans quelle mesure le plan a été exécuté avec succès. Il conviendra de mettre tout particulièrement l'accent sur les critères suivants : dans quelle mesure les grilles de programmation des divers services sont canadiennes; dans quelle mesure les émissions sont populaires auprès des Canadiens; et dans quelle mesure les services de nouvelles présentent l'actualité de façon équitable et exacte.
Enfin, il convient de souligner que, dans l'exercice de ses responsabilités, le conseil d'administration doit s'attacher tout particulièrement à préserver « l'indépendance » de la SRC dans ses relations avec le gouvernement. L'indépendance du contenu journalistique et des émissions est en effet indispensable à l'exécution du mandat que la SRC reçoit de la population canadienne.
Avec tous mes remerciements,
Le premier ministre du Canada.
C'est tout ce que je voulais vous dire. Je vous remercie infiniment de m'avoir écouté, et je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez me poser.
[Français]
Le président : Merci, monsieur Stursberg. Votre témoignage aidera le comité dans sa réflexion pendant les prochaines semaines et les prochains mois. Si vous avez un collègue qui peut nous écrire la même lettre pour Radio- Canada français, j'apprécierais que vous nous l'indiquiez.
M. Stursberg : Ce sont plus ou moins les mêmes principes, selon moi. Ils sont un peu différents, mais disons que ce sont les mêmes principes.
Le président : Sauf que la compétition de TVA est plus forte que celle de CTV.
M. Stursberg : Absolument.
[Traduction]
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de votre déclaration, monsieur Stursberg. La lettre que vous avez lue, et que vous imaginez provenir du bureau du premier ministre, est une bonne façon d'exprimer vos propres idées sur le mandat de la SRC. Je ne suis pas sûr qu'une seule personne doive décider du mandat et des orientations de la SRC. C'est vrai que trop de gens ont trop d'idées différentes, et que cela se traduit, comme vous l'avez dit, par toutes sortes d'orientations différentes voire contradictoires, et cetera, mais d'un autre côté, je ne pense pas que nous devrions donner autant de pouvoir à une seule personne, en l'occurrence le premier ministre.
Vous dites que la société devrait privilégier la production d'émissions populaires; dans votre livre, vous faites remarquer que les cotes d'écoute sont un facteur important, et que les deux semblent être liés. Je sais que mes collègues posent souvent des questions sur les cotes d'écoute de la SRC, qui ne sont pas très bonnes. Mais comment y remédier?
Comment rendre ces émissions populaires dans un environnement où l'industrie américaine du spectacle est très difficile à concurrencer? Les Américains ont plein d'argent. Vous dites qu'ils l'investissent dans les réseaux privés, dans ce qui semble être des émissions populaires.
Alors, comment y remédier? Ce que vous dites aussi, dans votre projet de lettre, c'est que la SRC devrait supprimer les journaux télévisés locaux. Mais ne pensez-vous pas que, dans certains coins du Canada, il n'y aura tout simplement pas de réseau privé pour prendre la relève? On en revient toujours à la même question : dans les régions éloignées, il n'y a personne d'autre que la SRC. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
Enfin, vous proposez, dans votre lettre, que la SRC se retire complètement de la retransmission d'émissions sportives. Je suppose que, ça aussi, ça va représenter une perte de revenus assez conséquente. Déjà que la société perd le contrat de la LNH, qui est attribué à Rogers. Dans un contexte pareil, avec un gouvernement qui semble malheureusement se complaire dans l'austérité, où va-t-on pouvoir trouver l'argent pour faire tout ça, pour produire les émissions populaires qui attireront une cote d'écoute suffisante et pour faire tout ce que vous suggérez dans votre lettre?
M. Stursberg : J'ai plusieurs choses à dire. Premièrement, je n'imaginais pas que le premier ministre serait la seule personne à décider, mais plutôt que sa lettre serait rédigée au nom du gouvernement du Canada, pour ainsi dire.
Le sénateur Eggleton : Ou du Parlement.
M. Stursberg : Je ne sais pas s'il représente le Parlement, mais en tout cas, il représente le gouvernement.
S'agissant des émissions populaires, lorsque je suis arrivé à CBC en 2004, l'une des choses que je tenais à faire, c'était produire des émissions que les Canadiens aimeraient vraiment regarder. À l'époque, CBC avait déjà perdu une bonne part de son marché; je crois qu'on peut dire que ce phénomène avait commencé 35 ou 40 ans plus tôt. Sa part de marché diminuait donc chaque année. À l'époque, les gens étaient très sceptiques, ils ne pensaient pas que nous réussirions à produire des émissions que les Canadiens aimeraient vraiment regarder.
Nous nous sommes quand même mis au travail, mais ça a nécessité, de notre part, une modification radicale de la façon dont nous réalisions et commanditions des émissions télévisées. En fait, quand je suis arrivé, je crois que CBC était au plus bas de ses cotes d'écoute. Sa part du marché était d'environ 6,3. Quand je suis parti, ce chiffre était passé à 9,5, ce qui signifie que sa part de marché avait augmenté de près de 50 p. 100. En fait, pendant trois années consécutives, nous avons réussi, avec des émissions canadiennes, à dépasser l'audimat des émissions américaines diffusées par Global aux heures de grande écoute.
Autrement dit, c'est tout à fait réalisable, avec des émissions qui sont produites selon les critères que les Canadiens apprécient. Des émissions comme Battle of the Blades ont réussi à attirer 3 millions de téléspectateurs, elles ont fait un tabac, elles étaient à la une de tous les journaux, et tout le monde en parlait. Quand le premier épisode de The Little Mosque on the Prairie est sorti, il y a eu plus de 2 millions de téléspectateurs.
Nous avons eu beaucoup d'émissions qui ont attiré plus d'un million de téléspectateurs, donc, c'est tout à fait faisable. Ça coûte cher, c'est vrai. Mais au départ, il faut vraiment avoir la volonté de le faire, sachant que le succès dépendra entièrement de la popularité de l'émission auprès des Canadiens.
Ce que j'ai trouvé intéressant, par ailleurs, c'est que nous avons fait des sondages auprès des Canadiens pour essayer de savoir ce qu'ils pensaient de CBC. Est-ce que CBC était importante dans leur vie quotidienne? Est-ce qu'elle était différente des autres réseaux? Ce qui était fascinant, c'est qu'au fur et à mesure que les cotes d'écoute augmentaient, la confiance des Canadiens envers la société augmentait elle aussi, c'est-à-dire qu'ils étaient de plus en plus nombreux à trouver qu'elle était importante dans leur vie quotidienne et qu'elle était différente des autres réseaux. Ils ont même dit que la qualité des émissions s'était améliorée.
S'agissant des journaux télévisés locaux, il n'y en a qu'un, parmi tous les marchés locaux desservis par le réseau anglais de la SRC, qui n'ait pas, que je sache, de concurrent privé, et c'est celui de Charlottetown. Dans tous les autres marchés locaux, nous avons au moins un concurrent privé. Dans le cas de Toronto, selon la façon dont on fait le compte, nous avons peut-être quatre concurrents, mais dans tous les autres marchés, nous en avons au moins deux, CTV et Global.
À l'époque, je pensais qu'il était très important — et je me trompais, manifestement — de redynamiser les journaux télévisés locaux. C'est ce que je pensais parce que les deux tiers des téléspectateurs qui regardent les journaux télévisés regardent les journaux télévisés locaux. Nous avons donc essayé de les redynamiser.
Il y a là une corrélation fascinante avec la radio. Quand on a un service de radio local, les gens de la région écoutent plus souvent le journal télévisé « The National ».
Par exemple, à Toronto, la radio locale occupe la première place; en revanche, à Hamilton, où il n'y a pas de station de radio locale, les gens sont deux fois moins nombreux qu'à Toronto à écouter les émissions nationales.
Quoi qu'il en soit, nous avons eu beau essayer de dynamiser ces émissions dans les marchés où CTV et Global sont largement dominants, nos efforts ont été vains. Je me demande donc pourquoi on devrait consacrer de l'argent à des émissions que d'autres réseaux font déjà extrêmement bien. Pourquoi ne pas investir cet argent dans des émissions que les autres réseaux ne produisent pas, et je veux parler essentiellement des émissions de nouvelles internationales.
Enfin, s'agissant du financement, vous avez tout à fait raison de dire que la perte du contrat de la Ligue nationale de hockey va avoir de graves conséquences financières pour la société. Car non seulement elle perd les profits qu'elle faisait sur le hockey, mais elle perd aussi la capacité de vendre les autres publicités à des prix raisonnables. Voici comment ça se passe. Quand la société veut acheter la retransmission des matchs de hockey, elle se fait dire qu'elle est obligée d'acheter tel ou tel produit dont personne d'autre ne veut. Si elle dit qu'elle n'en veut pas, on lui répond que c'est une condition. Autrement dit, la retransmission du hockey est un fait important en soi, mais c'est important aussi parce que d'autres publicités en découlent.
Mais ce qui est plus grave avec la perte de ce contrat, c'est que le hockey représente environ 400 à 450 heures de programmation canadienne aux heures de grande écoute. Quand on perd toutes ces heures d'émissions, il faut les remplacer par autre chose. Vous avez raison de dire que ça coûterait très cher de les remplacer par des émissions dramatiques, par exemple.
L'enjeu financier est de taille. Quelles que soient les circonstances, que vous approuviez ou non le contenu de la lettre, la SRC se trouve confrontée à un enjeu financier de taille du seul fait qu'elle a perdu 400 à 450 heures de programmation.
Le sénateur Eggleton : Je vous remercie de vos réponses. Quand vous étiez à CBC, vous étiez aussi membre du comité exécutif de la Commonwealth Broadcasting Association. Avez-vous pu tirer certaines leçons de votre expérience là-bas, qui pourraient nous être utiles pour donner à la SRC le genre de mandat et de financement que vous proposez?
M. Stursberg : Non, rien au niveau du financement. Les radiodiffuseurs du Commonwealth sont encore plus fauchés que la SRC, à l'exception de la BBC.
Le Canada est dans une situation unique, pour les raisons que vous mentionnez. Au Canada anglais, nous sommes inondés d'émissions américaines. Ce ne sont pas des émissions médiocres, ce sont des émissions absolument fabuleuses, extrêmement bien faites, coûteuses, impressionnantes, donc c'est difficile de produire des émissions canadiennes qui puissent faire concurrence à ça. C'est difficile et c'est coûteux. Il faut dire aussi qu'il n'y a aucun autre pays au monde qui ait à relever un tel défi culturel. Aucun. Par conséquent, le défi qui se pose à un radiodiffuseur public canadien est bien différent que celui qui se pose à un autre radiodiffuseur public.
Et en plus d'être confrontée au défi culturel sans doute le plus important, la SRC est le radiodiffuseur public le plus mal financé. Si on la compare à la BBC qui, comme on sait, ne fonctionne que dans une langue — certes, ils ont quelques émissions en gallois et en gaélique, mais elles ne sont diffusées que dans une langue, et dans un seul fuseau horaire —, la société britannique reçoit à peu près sept fois plus d'argent per capita que la SRC. Quand on voit ces chiffres, c'est vraiment difficile, car le défi culturel est tellement plus grand, et les ressources financières tellement plus rares.
Le sénateur Eggleton : L'ancien président du CRTC a déclaré à l'une de nos réunions, par vidéoconférence, qu'« Internet et la technologie sans fil ont privé les organismes de réglementation fédéraux des outils nécessaires pour protéger l'identité culturelle ». Nous avons discuté de Netflix et d'autres fournisseurs, qui sont extérieurs au système. Êtes-vous d'accord avec lui? Pensez-vous qu'il nous faudrait de nouveaux outils, et lesquels?
M. Stursberg : On peut dire en effet qu'un grand nombre des mécanismes de réglementation dont nous disposions pour garantir un contenu canadien perdent peu à peu de leur efficacité. Et quand une organisation comme Netflix peut s'implanter au Canada et offrir des émissions télévisées sans appartenir à des intérêts canadiens ou sans respecter les règles du CRTC, on voit bien que le dispositif réglementaire est devenu impuissant.
On parle beaucoup de la façon dont les règles sont bafouées pour le regroupement des chaînes de télévision. C'est le genre de chose qui contribue à saper les soutiens autres que financiers dont jouit la télévision canadienne. Et finalement, la seule façon qui vous reste de produire des émissions canadiennes qui marchent, c'est de les subventionner. Il n'y a pas d'autre moyen, à mon avis. D'un autre côté, si vous voulez que Netflix achète des productions de CBC, il faut que celle-ci soit capable de faire de bonnes affaires avec Netflix, pour ce qui est non seulement du prix d'achat des productions, mais aussi de leur placement et de leur commercialisation. Il faut pouvoir dire à Netflix que, si une production lui plaît et qu'elle veut l'acheter, elle doit en faire un bon battage publicitaire.
Mais cela ne peut arriver que si nous avons de grosses productions canadiennes. Si nous n'avons que de petites productions anodines, nous n'avons qu'un pouvoir limité pour négocier leur prix d'achat ou leur placement et leur commercialisation. Je suis d'accord avec vous, ça va être de plus en plus difficile — et Dieu sait que c'est déjà très difficile du côté canadien anglais — de créer de belles productions que les Canadiens auront envie de regarder.
Le sénateur Plett : Je vous remercie de comparaître devant notre comité et de nous faire partager votre expérience. J'ai acheté votre livre hier, et j'ai déjà bien avancé dans ma lecture. C'est très intéressant.
Ma première question est très simple. J'en ai plusieurs à vous poser, mais j'aimerais savoir pourquoi vous avez choisi ce titre, The Tower of Babble?
M. Stursberg : C'est un jeu de mots, bien sûr.
Le sénateur Plett : Oui, je comprends.
M. Stursberg : C'est un jeu de mots pour illustrer le problème dont je viens précisément de parler et que je trouve fondamental, à savoir la nécessité de dégager un consensus sur le mandat à donner à la SRC. À l'heure actuelle, tout ce qu'on dit à ce sujet n'est que parlottes. Trop de gens en parlent, avec des points de vue différents, de sorte que personne ne se comprend. Je voulais trouver un titre amusant, qui illustre en même temps mon inquiétude vis-à-vis de la confusion qui entoure le mandat de la société.
Le sénateur Plett : J'ai lu une citation, et je vois qu'elle se trouve dans nos notes, ici. Je vais en lire une partie. Je la trouve très intéressante, surtout que je suis entièrement d'accord avec vous quand vous dites qu'à votre entrée en fonction :
Notre tâche était simple. Il s'agissait d'offrir aux Canadiens des productions canadiennes. Rien de plus. Et le critère utilisé pour mesurer le succès de notre action était la cote d'écoute : est-ce que les Canadiens regardent, écoutent ou lisent ce que nous leur offrons? C'était le seul résultat qui comptait...
Je suis d'accord avec ça. Vous ajoutez aussi — et je ne vous cite pas, j'essaie simplement de me souvenir — que la SRC avait quand même pour principe qu'il valait mieux être bon que populaire.
Vous indiquez aussi que lorsque vous y étiez et que vous posiez des questions sur les cotes d'écoute, on vous regardait avec de grands yeux parce que personne n'en savait rien; qu'il n'y avait que quatre ou cinq personnes qui avaient ces renseignements, mais qu'elles ne les faisaient pas circuler de peur de déprimer tout le monde.
Je suis d'accord avec vous. Vous avez peut-être déjà répondu à ma question, mais dans quelle mesure la SRC peut- elle faire fi des cotes d'écoute lorsqu'elle veut produire quelque chose de bon?
Dans votre lettre, vous dites :
Dans toute la mesure du possible, la SRC ne devrait offrir que des émissions canadiennes.
Vous dites aussi que, dans toute la mesure du possible, elle devrait diffuser uniquement des productions que les Canadiens ont envie de regarder. Je crois qu'il y a une différence entre les deux. Voilà pour ma première question. J'en ai d'autres.
M. Stursberg : Comme je le disais tout à l'heure au sénateur Eggleton, vous pouvez faire des émissions que les Canadiens ont envie de voir, mais à ce moment-là, il faut en faire une priorité et s'assurer que c'est en fonction de ce critère que vos émissions seront jugées.
Quand je suis arrivé à CBC, j'ai été surpris de constater qu'au sein de la société, on était convaincu qu'il fallait faire un choix entre des productions de grande qualité et des productions populaires. C'est vraiment étrange. Car avec ce genre de conviction, quoi qu'on fasse, on est sûr de perdre. Les gens disaient : « C'est populaire alors ça doit être mauvais. » Ou bien : « Personne n'a regardé mon émission, alors elle doit être vraiment bonne. »
Ce qui est faux, bien sûr. Je crois que nous vivons actuellement une sorte de renaissance de la télévision. Toutes les grandes productions qui plaisent aux téléspectateurs sont absolument fabuleuses et superbement bien faites. Je veux parler des productions américaines qui sont très populaires au Canada. Elles sont superbement bien faites. Il n'y a donc aucune raison pour que les gens soient obligés de choisir entre ce qui est bon et ce qui est populaire. Quand on dirige une chaîne de télévision, le défi consiste justement à produire des émissions qui sont à la fois bonnes et populaires. À vrai dire, je ne pense pas que les gens regarderaient une émission qui n'est pas bonne.
Cela dit, il ne faut pas se contenter de dire que l'objectif est de créer de bonnes émissions canadiennes. Il faut aussi s'assurer qu'elles ne sont pas le produit de ce qu'on appelle les élites.
On avait une émission, c'était essentiellement des spectacles de ballet, mais personne ne les regardait. Une cote d'écoute nulle. Ce n'est pas parce que les émissions n'étaient pas bonnes, bien au contraire, mais la télévision n'est pas faite pour ça. La télévision est faite pour les émissions dramatiques, les comédies et les téléréalités. C'est ce que les gens aiment regarder à la télévision. Si l'on veut respecter le médium, pour ainsi dire, il faut travailler dans les limites de ce médium et produire des émissions que les gens auront envie de regarder.
Le sénateur Plett : Toujours dans votre livre, vous rapportez que, au dire de Mark Dillon, CBC ne peut affronter ni CTV ni Global. Faudrait-il qu'elle le fasse?
M. Stursberg : Tout dépend ce que vous voulez dire par « affronter ». Si ça signifie que nous devons essayer d'attirer, aux heures de grande écoute, plus de téléspectateurs pour nos émissions canadiennes que Global ou CTV n'en attirent pour leurs émissions américaines, pourquoi pas? À ce moment-là, c'est ce critère-là qui devra servir à mesurer notre succès.
Les Canadiens et les jeunes Canadiens auront une idée plus précise de leur identité si nous réussissons à leur offrir un bon contenu canadien. Mais ça ne sert à rien si personne ne regarde les émissions. Ça revient à prêcher dans le désert.
En fait, comme je le disais tout à l'heure au sénateur Eggleton, nous avons déjà réussi à le faire. Nous avons battu Global trois années de suite. Nous les avons battus aux heures de grande écoute, avec des productions qui étaient vraiment spécifiquement canadiennes. Personne ne peut prétendre que des émissions comme The Border, Doyle, Dragon's Den ou Battle of the Blades ne peuvent être produites ailleurs au Canada. C'est donc tout à fait possible, et c'est ce qu'il faut faire.
Le sénateur Plett : Plusieurs d'entre nous avons fait une virée à Winnipeg, Edmonton et Yellowknife pour visiter les studios de la SRC et ceux de ses concurrents. Nous avons discuté des budgets, et ce que je trouve intéressant, c'est qu'apparemment la SRC — je sais que vous avez traversé une période difficile avec le lock-out et les budgets —, mais il semble que la SRC consacre environ 87 p. 100 de son budget aux salaires. Dans votre livre, qui est sorti il y a quelques années, vous mentionnez le chiffre de 80 p. 100, mais eux ils nous ont dit 87 p. 100. Peut-être que 80 p. 100, c'était pour la radio.
Les sociétés privées que nous avons rencontrées nous ont dit, elles, que leurs dépenses salariales représentaient environ 60 p. 100 de leur budget. L'écart est important. Puisque vous avez dirigé CBC, pourriez-vous nous confirmer que ces chiffres sont exacts, et, si oui, pourquoi la SRC affiche un tel pourcentage?
Les radiodiffuseurs privés se sont également plaints que la SRC leur volait de bons journalistes, parce que, eux, ils ne peuvent pas leur offrir des salaires aussi intéressants. J'aimerais donc que vous me disiez s'il est vrai que la SRC peut offrir des salaires plus alléchants grâce aux subventions qu'elle reçoit du gouvernement, et si ces chiffres sont exacts.
M. Stursberg : Je n'en sais rien, car ces chiffres me paraissent très élevés, et je veux parler des salaires qui représenteraient 87 p. 100 du budget de la SRC. Il est évident que les salaires en sont une composante importante, parce que la radio, c'est presque uniquement les salaires, les coûts de fonctionnement étant très faibles. Il vous suffit d'un microphone et d'un petit studio, tandis que les coûts de fonctionnement d'une chaîne de télévision, c'est autre chose. Vous avez besoin de grands studios, de caméras, de salles de montage, et cetera. Il faut aussi acheter les droits pour des retransmissions sportives, par exemple, et l'an dernier, quand nous avons négocié le contrat de la LNH, c'étaient des sommes exorbitantes. Pour les émissions dramatiques et les comédies, les droits sont également très élevés, car ces émissions sont toujours produites par des indépendants. Autrement dit, ces émissions ne sont pas produites à l'interne. Je trouve que le pourcentage qu'on vous a donné pour les salaires est excessif. Ça me surprendrait que ce soit aussi élevé.
L'autre coût que la SRC doit assumer, contrairement à la plupart de ses concurrents, vient du fait qu'elle possède les infrastructures de transmission les plus vastes au monde. Elle possède, si ma mémoire est bonne, 700 tours de transmission pour la télévision et la radio, dont l'accès est gratuit pour tous. Ça représente des dépenses considérables. Je n'arrive pas très bien à comprendre pourquoi la SRC assume encore ces dépenses étant donné que tout le monde peut avoir accès à la télévision soit par câble soit par satellite. Il y a aussi des coûts liés aux infrastructures de transmission que le secteur privé n'a pas à assumer. Mais pour en revenir aux salaires, je crois que ce pourcentage est excessif.
Ce que je dois dire, par contre, c'est que les employés de la SRC sont très syndiqués. En fait, je me souviens avoir été très surpris d'apprendre, à mon arrivée, qu'environ 90 p. 100 de tous les employés étaient syndiqués. Que je sache, il n'y a pas un autre radiodiffuseur, ou même une seule entreprise du pays, qui affiche un taux de syndicalisation pareil.
Le sénateur Plett : J'aimerais préciser, pour que ça soit consigné au procès-verbal, que vous faisiez partie du voyage, monsieur le président, ainsi que le sénateur Mercer et le sénateur Housakos. Vous vous souvenez que j'ai posé cette question à Yellowknife, et que nous avons pensé que, si le chiffre était élevé, c'était peut-être à cause de l'endroit, mais j'ai reposé ma question à Edmonton, où on nous a dit que ce pourcentage était le même à peu près partout, qu'il était peut-être légèrement supérieur à Yellowknife à cause des primes d'éloignement, mais que les salaires étaient à peu près les mêmes partout.
M. Stursberg : S'ils parlent du pourcentage que les salaires représentent par rapport au budget de la station locale de Yellowknife, c'est évident que ça sera plus élevé que le pourcentage du budget de la SRC au niveau national, car la station locale n'a pas à assumer tous les autres coûts que j'ai mentionnés, à savoir les coûts des infrastructures, les droits de retransmission des émissions sportives, les droits d'auteur des émissions dramatiques, et cetera. Dans les stations locales, tout ce qu'ils font, c'est de la radio locale et de la télévision locale, et ce sont des choses qui sont faites à l'interne et qui exigent beaucoup de main-d'œuvre. En fait, à Yellowknife, ils produisent des journaux télévisés locaux en inuit, et à la radio, ils diffusent dans sept langues autochtones.
Il faut savoir ce qu'on compare. Si vous comparez les salaires aux coûts totaux d'une station locale, le pourcentage est beaucoup plus élevé que pour l'ensemble du réseau.
Le sénateur Housakos : Je vous remercie de votre déclaration liminaire, monsieur Stursberg.
Ce que vous avez dit ressemble beaucoup à ce que j'ai entendu de la bouche des témoins qui ont comparu devant notre comité. Votre résumé de la situation correspond tout à fait à ce que j'ai constaté pendant le peu de temps que nous avons passé sur le terrain, à visiter des installations de radiodiffusion. Qu'il s'agisse d'adversaires ou d'amis de la SRC, on entend toujours le même message, à savoir que nous avons besoin de la SRC, que nous avons besoin d'un radiodiffuseur public, car il joue un rôle important. On nous a fait une longue liste des différentes attributions qu'il faudrait lui confier.
Par contre, quand on essaie de savoir plus précisément dans quelle mesure l'organisation s'acquitte de ses différents mandats, les réponses restent généralement vagues. Quand on rencontre des producteurs canadiens d'émissions canadiennes, ils disent qu'il faut en produire davantage, que la SRC est le seul à le faire. Quand on leur demande comment ça se passe depuis quelques années, ils vous répondent qu'ils produisent moins d'émissions, et quelles sont moins bonnes, parce qu'ils n'ont pas les ressources.
Quand vous rencontrez des citoyens de Saint-Boniface, des Manitobains francophones, ils vous disent qu'ils ont besoin de la SRC, car sans elle, il leur serait très difficile de conserver leur langue et de faire parler d'eux dans le reste du Canada. Par contre, quand vous essayez d'en savoir un peu plus, vous constatez qu'ils n'ont par exemple qu'une heure d'émissions locales par jour. On retrouve ce genre d'anomalies un peu partout.
Cette société d'État qui a reçu des milliards de dollars du gouvernement pour faire la promotion de la culture canadienne offre notamment un service de musique en ligne — c'est ma bête noire. Vous allez sur Internet, et vous pouvez entendre en continu, partout dans le monde, de la musique en ligne. Il vous suffit de vous brancher sur votre ordinateur portable. Mais le choix qui vous est offert ne se limite pas à des musiciens canadiens. Vous pouvez écouter toutes sortes de musiciens américains et britanniques.
Je suis bien placé, en tant que parlementaire, pour savoir que nous avons versé des milliards de dollars à la SRC pour faire la promotion de la culture canadienne, mais je me demande en quoi un service comme celui-ci fait la promotion de la culture canadienne. J'ai vraiment l'impression que cette entité ne sait plus où elle va.
Voici ma question. Le message qui est ressorti clairement de tous les témoignages que nous avons entendus est que le créneau dans lequel la SRC excelle, c'est celui des émissions de nouvelles. Au cours de nos déplacements et de nos audiences, nous avons appris que les trois quarts des ressources de la SRC sont consacrés aux émissions de nouvelles. Cette entité qui reçoit autant de financement du gouvernement n'est-elle pas obligée de diffuser du contenu canadien plutôt que de consacrer autant de ressources aux émissions de nouvelles? Tous les radiodiffuseurs nationaux consacrent des budgets importants aux émissions de nouvelles, que ce soit CTV, Global, TVA ou LCN. Ils produisent tous des émissions de nouvelles, et c'est toujours du contenu canadien.
La SRC doit-elle avoir pour stratégie de consacrer la majeure partie de ses ressources aux émissions de nouvelles, peut-être au détriment de la vraie culture canadienne, c'est-à-dire les films, les productions, et cetera? Il est peut-être temps de revoir le mandat de la société et les dispositions de la Loi sur la radiodiffusion, et de dire que la SRC devrait faire ceci et cela. Qu'elle devrait produire des films canadiens. Qu'elle devrait collaborer avec des producteurs canadiens pour réaliser les meilleurs films, les meilleures émissions et les meilleures téléréalités, au lieu de nous offrir « The National », qui fait concurrence à trois autres radiodiffuseurs pour pratiquement régurgiter les mêmes nouvelles tous les soirs, chacun sous un angle différent.
C'était un long préambule, mais je crois que vous avez saisi ma question, tout à la fin.
M. Stursberg : Dans l'ensemble, je suis d'accord avec vous. L'un des principes fondamentaux est de ne pas dupliquer ce que les chaînes privées font déjà très bien. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il n'est pas très utile que la SRC produise des journaux télévisés locaux. Si elle veut faire des émissions de nouvelles, qu'elle fasse ce que les autres chaînes ne font pas.
À cause de contraintes financières, les réseaux privés s'intéressent de moins en moins aux nouvelles internationales. Si la SRC doit se repositionner, elle pourrait mettre davantage l'accent sur les nouvelles internationales et les reportages d'investigation. Je pense que ce serait bien, car de toute façon c'est trop cher et trop difficile pour les réseaux privés, et à ce moment-là, la SRC se retirerait des journaux locaux.
Pour ce qui est de la musique canadienne, je me souviens que, lorsque j'y étais, nous avions deux grands réseaux radiophoniques, CBC Radio One et CBC Radio 2. Radio 2, le réseau FM — ils sont tous les deux FM maintenant —, était une chaîne de musique classique. Je me suis alors demandé, un peu comme vous tout à l'heure, pourquoi ces grands compositeurs canadiens que sont Brahms, Beethoven et Mozart occupaient tout le temps d'antenne.
On a constaté que cette chaîne passait essentiellement de la musique classique européenne du XIXe siècle. Nous avons estimé que ça n'avait pas de sens. À y regarder de plus près, nous avons également constaté que les stations de radio privées ne diffusaient qu'à peine 1 p. 100 de toute la musique canadienne alors sur le marché. Nous nous sommes dit qu'il fallait se débarrasser de cette musique classique — d'autant plus que les cotes d'écoute étaient en chute libre — et faire de la chaîne la principale plateforme de promotion de la musique canadienne.
La musique canadienne a un succès incroyable à l'étranger, et il est donc anormal qu'on n'ait pas de vecteur adéquat pour la diffuser. Voilà ce que nous avons fait avec Radio 2. En fait, nous avons créé le lien de musique classique en continu parce que des auditeurs nous ont reproché d'avoir supprimé la chaîne de musique classique. L'idée, c'était de créer une tribune pour faire la promotion de la musique canadienne, et d'y attirer les auditeurs.
Pour ce qui est des films, je suis tout à fait d'accord avec ça aussi. À l'heure actuelle, la situation est difficile au Canada parce que les radiodiffuseurs canadiens n'achètent pas beaucoup de films, en partie parce qu'au moment où ils sont prêts à le faire, les films ont pratiquement perdu tout leur intérêt. Je veux dire par là qu'ils sont en mode fenêtré, c'est-à-dire qu'ils sont d'abord visionnés dans les salles de cinéma, avant d'être diffusés sous forme de vidéos à domicile ou de paiement à la carte, et ensuite à la télévision payante, si bien que lorsqu'ils sont disponibles pour la télévision conventionnelle ou autre, tous ceux qui voulaient les voir les ont déjà vus.
Quand j'étais à CBC, nous nous sommes demandé s'il était possible de financer des films canadiens pour les faire passer devant, pour que la SRC puisse les obtenir avant qu'ils n'aient perdu tout leur intérêt. Nous nous sommes également demandé si la SRC pourrait participer à leur réalisation, pour que ce soit des films que les Canadiens ont envie de voir. Nous avons préparé un plan à cette fin, avec des financements de Téléfilm, que j'avais dirigé, et du Fonds des médias du Canada, et nous avons réussi à financer plusieurs films assez intéressants.
Nous avons ainsi financé Book of Negroes; Midnight's Children, un film réalisé par Deepa Mehta, d'après le livre de Salman Rushdie, ainsi que, si je me souviens bien, The Paper Bag Princess.
En finançant ces films, nous nous disions que ça nous coûterait aussi cher que pour produire une émission dramatique, mais que, de cette façon, le film allait passer en salles d'abord et ensuite en paiement à la carte, mais que la SRC pourrait le diffuser avant les stations privées de télévision payante. Nous avions clairement dit que ce que nous voulions faire, car c'était aussi dans notre intérêt, c'était de promouvoir le film canadien dans les salles de cinéma, et qu'en en faisant ainsi la promotion dans les salles, la SRC servait aussi son intérêt.
J'ai pensé que c'était une bonne idée. Malheureusement, quand je suis parti, ils ont annulé le programme, mais je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que c'est très important.
Le sénateur Housakos : Lorsque nous étions dans l'Ouest du Canada et que nous avons rencontré des radiodiffuseurs privés, à deux ou trois occasions, je leur ai posé la question suivante : « Supposons que la SRC disparaisse. Supposons également que le gouvernement fédéral décide de diviser en deux ou en trois son budget annuel de 1 milliard de dollars et quelques, et qu'il propose à Global TV ou à Bell Média 200 ou 300 millions de dollars pour diffuser du contenu canadien et des films canadiens pendant les heures de grande écoute. Est-ce que ça vous intéresserait, vous? Est-ce que ça vous intéresserait de remplacer votre contenu américain par du contenu canadien? » Ils m'ont tous répondu : « Pas dans la situation actuelle, parce que les films canadiens ne sont pas assez bons, et que les Canadiens n'ont pas envie de les regarder. »
On avait beau leur proposer l'argent nécessaire pour diffuser ces émissions, ils nous répondaient systématiquement : « Non, parce qu'à l'heure actuelle, tout ce qui compte, c'est le nombre de spectateurs; les émissions que nous diffusons actuellement sont celles qui attirent le plus grand nombre de spectateurs, et c'est ça qui nous rapporte les revenus publicitaires. »
J'en reviens à ma question initiale : le milliard et quelques que nous donnons actuellement à un radiodiffuseur, pourrions-nous le donner plutôt aux réalisateurs de films et d'émissions à contenu canadien, pour qu'ils puissent faire des productions de qualité? À partir du moment où il y aura un contenu canadien de qualité, il sera plus facile de convaincre les radiodiffuseurs privés d'en mettre davantage à leur programme?
M. Stursberg : Tout à fait. Comme je le dis depuis un certain temps, nous pouvons produire des émissions canadiennes que les Canadiens ont envie de regarder. Ça ne fait aucun doute, preuve en est donnée. Les chaînes privées produisent des émissions très populaires auprès des auditoires canadiens, comme Canadian Idol ou Saving Hope, qui attirent à peu près 1,5 ou 1,6 million de téléspectateurs. C'est donc tout à fait faisable. Toutefois, si vous voulez donner l'argent directement aux producteurs, leur seule rétribution, ce seront les commissions qu'ils vont se faire à partir du budget de production. Peu leur importera que l'émission attire beaucoup de téléspectateurs. Ce qui comptera à leurs yeux, c'est le montant du budget et le pourcentage qu'ils vont toucher en commission. Si vous les laissez faire, je ne suis pas sûr que ça va marcher. Ce qu'il faut, c'est les maintenir dans la relation qu'ils ont avec les radiodiffuseurs, lesquels ont pour objectif d'attirer l'auditoire maximum. Et les radiodiffuseurs vont travailler avec les producteurs pour que l'émission réalisée atteigne cet objectif. Je pense que, avec cette structure, vous avez plus de chances que l'émission plaise à des auditoires canadiens.
Le problème, c'est que la majorité des productions canadiennes, quelle que soit leur qualité ou leur popularité, font toujours face à d'énormes difficultés et qu'en fait, dans la plupart des cas, elles se soldent toujours par une perte nette. La raison en est que vous pouvez acheter des émissions américaines à un prix très modique, en comparaison de ce qu'il en coûte pour réaliser une émission canadienne de qualité comparable. Même si vous dites aux radiodiffuseurs privés que vous allez leur distribuer le budget de la SRC, ils vont dire qu'il leur sera difficile, du point de vue économique, de remplacer leurs émissions américaines par des productions canadiennes aux heures de grande écoute.
CBC est le seul radiodiffuseur du Canada anglais — et c'est à la fois une qualité et une chance — à pouvoir consacrer ses heures de grande écoute à des productions canadiennes. Les autres radiodiffuseurs, Global et CTV, ne peuvent pas en faire autant sans risquer de compromettre leur rentabilité.
Le sénateur Demers : Je suis un nouveau membre du comité, et je dois dire que ça tourne rondement avec le président et le sénateur Housakos. Nous avons entendu des témoins très intéressants, les sénateurs des deux partis ont manifesté beaucoup d'intérêt et n'ont pas hésité à poser des questions difficiles. J'ai beaucoup de respect pour ça. J'ai essayé de me faire une opinion, à partir des observations de M. Lacroix et de tous les témoins qui ont comparu. J'ai maintenant quelques questions à poser, et je vais le faire sans me presser.
Comme vous l'avez fait remarquer, il y a environ un mois, les cotes d'écoute de CNN avaient pas mal plongé. Sur ces entrefaites, il y a eu la disparition de cet avion. Vous avez dit que nous devrions davantage mettre l'accent sur les nouvelles internationales. Eh bien, depuis que CNN consacre un nombre faramineux d'heures d'antenne à la recherche de cet avion, ses cotes d'écoute ont monté en flèche. Je suis d'accord avec ce que vous dites dans votre lettre.
Pour ce qui est des émissions sportives, ce n'est pas tout le monde qui aime le sport ou le hockey. L'une de mes adjointes, qui est assise là-bas, n'aime pas le hockey, mais son petit ami est un amateur, lui. Ce que je veux dire, c'est que le sport, ça ne plaît pas à tout le monde.
Certains témoins qui ont comparu devant nous nous ont dit que l'un des événements les plus importants de cette année avait été les Jeux olympiques. Vous avez dit que la SRC devrait se retirer de la retransmission d'événements sportifs. Les Jeux olympiques ont pourtant rapporté beaucoup à la SRC, qui a d'ailleurs fait un travail extraordinaire. La soirée du hockey est une institution. Malheureusement, la SRC a perdu le contrat parce qu'elle n'était pas prête à payer autant que Rogers et compagnie. La concurrence est très forte, mais c'est le mieux qui peut arriver à n'importe quelle entreprise. Est-il possible que CBC/Radio-Canada ne soit pas suffisamment équipée ou financée pour faire concurrence à ce qui est en train de se passer? Il y a d'autres chaînes au Canada, qui diffusent de plus en plus d'émissions produites aux États-Unis — d'excellentes émissions d'ailleurs. La Voix, qui est américain, est maintenant diffusé par TVA; Battle of the Blades est une bonne émission.
Ne sommes-nous donc pas capables de faire face à la concurrence — je dis « nous » parce que ce sont nos impôts, ou de concurrencer les meilleurs? Nous avons grandi avec la SRC. Je vous parle en mon nom personnel, et je constate que la SRC est sur le déclin.
M. Stursberg : Je pense aussi qu'elle est sur le déclin, et c'est malheureux. Mais je ne vois pas pourquoi une SRC bien mandatée et bien financée ne pourrait pas faire face à la concurrence. Je suis absolument convaincu qu'une SRC dotée d'un mandat clair — c'est-à-dire qui l'enjoint clairement de produire de grandes émissions populaires et distinctement canadiennes — et d'un financement adéquat est tout à fait capable d'y parvenir. Je n'en doute pas une seconde.
À mon avis, la SRC n'a rien à faire dans les émissions sportives. Il y en a d'autres qui le font. C'est vrai qu'elle a fait un excellent travail pour les Jeux olympiques, mais d'autres sauront le faire tout aussi bien, vous ne pensez pas? Ce qui est important, c'est que la SRC ait un mandat précis et clair et un financement adéquat, car c'est de cette façon qu'elle pourra faire face à la concurrence.
Le sénateur Mercer : Merci, monsieur Stursberg. Je suis désolé d'être arrivé en retard, mais j'étais à un autre comité.
Vous avez dit plusieurs choses que je trouve intéressantes. Nous pouvons faire des émissions populaires pour les heures de grande écoute. Vous nous en avez donné plusieurs exemples aujourd'hui, notamment La Petite mosquée sur la Prairie, qui a été largement diffusée, ici et à l'étranger. Avons-nous trouvé un créneau, celui des émissions populaires un peu différentes? C'était une comédie de situation tout à fait inhabituelle, qui comportait un risque de taille pour le producteur en ce sens qu'il y est question des relations entre des musulmans et des chrétiens dans une petite ville des Prairies. C'est donc une situation tout à fait plausible au Canada. Avons-nous trouvé un créneau, à savoir des histoires typiquement canadiennes? Je crois que les Américains qui aiment beaucoup l'émission sont surpris que ça puisse se produire.
M. Stursberg : Oui, vous avez raison. Ça montre bien qu'il ne suffit pas de singer des émissions américaines pour réussir, car après tout, pourquoi voudrais-je regarder une copie d'une émission américaine alors que je peux regarder un original? Il y a aussi le fait que, si vous produisez des émissions typiquement canadiennes, qui nous parlent — c'est- à-dire qui reflètent notre histoire, notre sens de l'humour et nos préoccupations diverses —, il y aura de fortes chances qu'elles plaisent à un auditoire canadien, car elles sont faites pour cet auditoire. Et elles plairont également à l'étranger parce qu'elles racontent notre pays. Vous ne voyez pas ça partout.
Je pense que vous avez raison. La solution, ce sont les émissions populaires typiquement canadiennes, car elles seront populaires à la fois au Canada et à l'étranger.
Le sénateur Mercer : Vous avez dit tout à l'heure, à propos des films canadiens, que lorsqu'ils passent sur une chaîne de télévision, ceux qui voulaient les voir les ont déjà vus. Je ne suis pas d'accord. Le problème des films canadiens, c'est qu'il n'y a pas assez de gens qui les regardent. Et c'est parce qu'il n'y a pas assez de vecteurs pour les distribuer.
À mon avis, la SRC est le vecteur idéal pour les films canadiens. Si les Canadiens prenaient le temps de regarder des films canadiens, ils seraient agréablement surpris par la qualité de la production et des scénarios. Nous tous qui sommes autour de cette table, nous voyageons beaucoup et nous avons donc l'occasion de regarder toutes sortes de films à bord des avions. Il y a toujours une section séparée pour les films canadiens, et je m'assure d'en regarder régulièrement. Je suis toujours étonné de la qualité des productions. C'est vrai que, comme ils se passent chez nous, ça fait vibrer une corde sensible. Je pense qu'il faut y réfléchir très sérieusement.
Les créateurs canadiens seraient certainement intéressés si la SRC leur offrait des heures de grande écoute pour diffuser des émissions d'une demi-heure ou d'une heure, ou même des longs métrages.
M. Stursberg : Comme je l'ai dit tout à l'heure, je suis entièrement d'accord avec vous. Quand j'étais à CBC et que Wayne Clarkson dirigeait Téléfilm, nous avions élaboré une structure nous permettant précisément de faire cela, c'est- à-dire de faire produire des films et de les diffuser sur la SRC. Du même coup, ça aurait pu faciliter la distribution de ces films dans les salles de cinéma puisque la SRC en aurait fait la promotion de façon efficace, en invitant par exemple les acteurs et les metteurs en scène à des talk-shows et en faisant plein d'autres choses pour assurer le succès de ces films dans les salles de cinéma et à la télévision.
Le sénateur Mercer : Vous avez parlé tout à l'heure des infrastructures que la SRC a édifiées, plus de 700 tours?
M. Stursberg : C'est à peu près ça.
Le sénateur Mercer : Ça m'a rappelé les études qu'a faites notre comité ces dernières années au sujet du manque d'espace, dans ces tours, pour les opérateurs de téléphones cellulaires. La SRC dispose de 700 tours, mais elle ne les utilise probablement pas toutes. Y a-t-il un marché pour ça? Pensez-vous qu'on pourrait les louer à des opérateurs privés de téléphonie mobile?
M. Stursberg : La SRC loue déjà de l'espace, dans ces tours, à des radiodiffuseurs ou à des opérateurs de téléphonie mobile. À une certaine époque, nous avions envisagé de vendre toutes les infrastructures, mais le problème qui se pose, c'est que seules les tours situées dans des zones très peuplées intéressent ces gens-là. Ils ne veulent pas acheter les tours situées dans les zones peu peuplées, et c'est évidemment celles-ci qui coûtent le plus cher. On se serait retrouvés, bien souvent, dans une situation encore plus inconfortable qu'en gardant les tours. On pourrait par contre s'en débarrasser complètement et n'utiliser que les satellites et le câble, ce qui permettrait d'économiser beaucoup d'argent.
Le sénateur Mercer : Vous avez suggéré de mettre l'accent sur les nouvelles internationales, et de faire ce que les autres chaînes de nouvelles ne font pas. Ne pensez-vous pas que l'une des choses que la SRC fait bien — elle l'a démontré dans le passé — et qui n'existe pas dans les salles de rédaction du secteur privé, c'est le journalisme d'investigation? Ça prend du temps d'aller fouiller au fond des choses pour découvrir ce qui s'est passé réellement, plutôt que de lire les nouvelles que reçoivent chaque jour tous les réseaux.
M. Stursberg : Je suis tout à fait d'accord avec vous, il faudrait mettre l'accent sur les nouvelles nationales, les nouvelles internationales et le journalisme d'investigation, c'est-à-dire l'analyse plus poussée de divers sujets d'actualité, comme The Fifth Estate et Marketplace. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
La sénatrice Greene : Je vous remercie de votre déclaration liminaire, qui était très intéressante.
Mon collègue a dit que la SRC était sur le déclin, et vous avez approuvé. Moi aussi je suis d'accord. C'est dommage d'une certaine façon, mais n'est-ce pas la situation de toutes les télévisions traditionnelles? J'ai l'impression que la seule catégorie d'émissions qui aient su conserver son auditoire traditionnel, à la télévision traditionnelle, ce sont les émissions sportives. Toutes les autres sont reformatées pour être distribuées sur Netflix, sur les ordinateurs ou sur d'autres supports, ce qui permet à l'usager non seulement de regarder l'émission quand il en a envie, plutôt que de devoir s'en tenir à un horaire précis, mais aussi d'en regarder huit ou neuf d'affilée si ça lui chante. On ne peut pas regarder d'émissions sportives en direct sur Netflix ou d'autres supports de ce genre, mais on peut en regarder sur son ordinateur. C'est ce que je fais pour le hockey.
Nous vivons dans une période de changements considérables, et ce qui s'est produit au cours des 10 dernières années va redessiner complètement les contours de l'industrie du spectacle d'ici une dizaine d'années, et peut-être moins. Ne devrions-nous pas nous intéresser à cela plutôt que d'essayer de savoir comment on peut régler les problèmes pour les 12 prochains mois, car c'est de cela qu'on a surtout discuté jusqu'à présent?
Il faudrait réfléchir à ce qui risque de se passer d'ici 10 ans, dans le domaine des communications électroniques, car le paysage va changer radicalement. Les gens vont de plus en plus utiliser des supports autres que la télévision traditionnelle, à l'exception peut-être d'une émission sportive de temps en temps ou même d'une émission de nouvelles nationales, s'il y a un sujet qui les intéresse tout particulièrement. Et même dans ce cas, ils peuvent trouver tout ça sur Internet.
M. Stursberg : Je ne peux pas vous dire ce qui se passera dans 10 ans, mais je pense que d'ici 5 ans, et c'est déjà ce qui est en train de se passer, tous les écrans n'en formeront plus qu'un. La seule différence, ce sera la taille de l'écran, selon que vous voudrez l'avoir à la maison ou le transporter avec vous. Votre téléviseur est un ordinateur, votre ordinateur est un téléviseur, votre téléphone cellulaire est à la fois un téléviseur et un ordinateur. C'est tout à fait vrai. Les émissions que les gens regarderont appartiendront à deux catégories : les retransmissions directes, comme les émissions sportives —, car qui veut regarder un match qui est déjà terminé? — et les émissions de nouvelles. Quand vous regardez du patinage, vous voulez le voir en direct pour savoir quel couple a été éliminé du championnat. C'est vrai pour n'importe quel match de sport. Mais pour tout le reste — les émissions dramatiques, les comédies, les documentaires, et cetera —, vous avez tout à fait raison. Les gens veulent les regarder quand ça leur convient. S'ils préfèrent regarder une émission jeudi à 20 heures plutôt que lundi à 14 heures, ils veulent pouvoir le faire.
Ce que je trouve intéressant dans tout ça, c'est que le temps que les gens passent à regarder la télévision — que ce soit sur un écran comme celui-ci, sur un téléphone ou sur un autre support — n'a pratiquement pas changé depuis 40 ans. Au Canada, les gens regardent la télévision en moyenne 26 à 28 heures par semaine. Ça n'a pas changé. Qu'ils la regardent sur un ordinateur ou sur un téléphone portable, cela n'a pas d'importance, à mon avis.
La sénatrice Greene : Quel est le rôle de la SRC dans ce scénario?
M. Stursberg : Dans ce scénario? Je vais vous donner des exemples. Quand nous avons négocié le dernier contrat de La Soirée du hockey, nous avons dit à la LNH que nous voulions tous les droits. À l'époque, je ne pense pas que les gens se rendaient vraiment compte de la valeur que prendraient certains de ces droits. La LNH a dit d'accord. Ce que nous entendions par « tous les autres droits », c'était tous les droits nécessaires pour pouvoir offrir les émissions en continu sur les ordinateurs, les appareils sans fil, les téléphones cellulaires, et cetera. Nous voulions donc contrôler toutes les diffusions de La Soirée du hockey, sur quelque support que ce soit. Et, de plus en plus, c'est ce que font les gens qui négocient l'achat de droits ou d'émissions.
Ils achètent tous les droits pour être sûrs qu'en les rendant accessibles à la télévision ou sur l'ordinateur, les émissions seront visibles par tous les Canadiens, sur le support de leur choix. C'est la raison pour laquelle je pense que, pour ce qui est de la SRC aussi bien que des autres radiodiffuseurs — ils sont tous dans le même bateau —, le problème n'est pas le type de plateforme mais plutôt la question du contenu. Car ils vont finir par obtenir tous les droits pour toutes les plateformes, et ça va leur permettre de servir les Canadiens de façon plus efficace.
Mais reste à savoir quel sera leur créneau : les émissions populaires, les émissions dramatiques? C'est la raison pour laquelle il faut que la stratégie de la SRC porte sur le contenu, plutôt que la technologie.
[Français]
La sénatrice Verner : Bonjour, monsieur. Merci pour votre présentation ce matin.
Je suis du Québec, je vais donc m'adresser à vous en français. J'aimerais aborder l'enjeu de la situation différente qui prévaut entre les réseaux français et anglais, à Radio-Canada.
En avril 2012, vous avez donné une entrevue qui a paru dans le National Post dans laquelle vous avez dit que vous constatiez l'émergence d'un système à deux vitesses dans la radiodiffusion publique, où le réseau français semblait mieux s'en tirer que le réseau anglais qui fait, lui, davantage l'objet de critiques et de déceptions.
Parmi les solutions présentées, vous pensiez peut-être qu'une diminution du financement du réseau francophone permettrait qu'il respecte davantage la représentation démographique de la population francophone au Canada.
Est-ce que vous pensez encore aujourd'hui qu'une des solutions se trouve notamment dans la diminution du financement du réseau français?
M. Stursberg : Il faut comprendre d'abord que sur le plan culturel, j'ai l'impression que tout va très bien au Canada français, dans le sens que les émissions les plus populaires sont toutes canadiennes. Mais au Canada anglais, c'est exactement l'inverse. Cela a été le cas pendant aussi longtemps que 30, 40 ou 45 ans.
En ce moment, la répartition des fonds, c'est-à-dire la fameuse somme d'un milliard de dollars en subventions publiques qui est allouée à CBC/Radio-Canada, est organisée ainsi : 40 p. 100 pour les services français et 60 p. 100 pour les services anglais.
Mon point de vue est le suivant. En ce moment, la population francophone du Canada représente effectivement entre 24 et 25 p. 100 de la population, et du côté anglophone, c'est 75 p. 100 de la population. Et le défi culturel est plus difficile à régler du côté anglophone pour les raisons que nous avons déjà énoncées.
Je me demande si c'est une bonne idée de donner plus d'argent aux services français qu'aux services anglais per capita si le défi culturel est plus grand du côté anglophone que du côté francophone. Je pose la question.
La sénatrice Verner : Êtes-vous toujours persuadé de la possibilité de préparer une nouvelle politique de radiodiffusion canadienne qui pourrait accommoder ces deux différences à travers le pays, au sein du même diffuseur public?
M. Stursberg : Absolument. Dans la petite ébauche de note que j'ai préparée pour le premier ministre, j'ai proposé qu'un des objectifs fondamentaux de CBC/Radio-Canada puisse être de faire un échange entre les services français et les services anglais pour que les francophones puissent mieux comprendre la culture anglophone et vice versa. Et c'est la seule grande institution culturelle que nous avons au pays qui pourrait le faire parce qu'elle a deux grands volets, un volet francophone et un volet anglophone.
Quand j'y étais, j'ai tenté de le faire. Nous avons refait deux grandes émissions de Radio-Canada, Les hauts et les bas de Sophie Paquin et Rumeurs. Nous avons fait des séries documentaires ensemble, une au sujet de la Deuxième Guerre mondiale et l'autre sur la Guerre froide. J'ai financé une émission culturelle pour Mitsou Gélinas afin qu'elle puisse expliquer aux anglophones ce qui se passait sur le plan culturel à Québec. Ce sont des choses bien importantes selon moi.
Je crois que les cadres supérieurs de Radio-Canada et de CBC doivent être capables de parler les deux langues officielles et, si possible, être biculturels. À un certain moment, j'avais offert à mon homologue, Sylvain Lafrance, de faire un échange; c'est-à-dire que moi, je serais allé à Montréal pour gérer les services français, et que lui serait allé à Toronto pour gérer les services anglais. Il s'agissait d'un geste symbolique pour montrer aux gens qui travaillent à Radio-Canada et même à la CBC à quel point il était important qu'ils comprennent très bien ce qui se passait de l'autre côté. Cela m'aurait donné également l'occasion de mieux comprendre ce qui se passait à Radio-Canada, et la même chose pour Sylvain, pour que nous ayons pu établir une stratégie qui aurait été une vraie stratégie d'échange entre les deux cultures.
La sénatrice Verner : Dans un autre ordre d'idée, pour ce qui est de la production de nouvelles locales, dans les communautés linguistiques minoritaires à travers le pays francophone, comment voyez-vous la transmission de contenus locaux pour eux, qui les concerneraient, eux, dans leur langue?
M. Stursberg : C'est un peu différent dans le sens qu'il n'y a aucun autre service de nouvelles locales, à part Radio- Canada, dans toutes les grandes villes anglophones. Parce qu'en ce moment, Radio-Canada a offert des services locaux en français à Regina, à Winnipeg, à Vancouver même, où la population des francophones est très petite.
C'est le seul service qui existe pour servir les francophones hors Québec. Ce n'est pas la même chose en anglais. Toutes les grandes villes anglophones ont des services en anglais, en plus du service de la CBC. C'est pour cette raison que je fais une distinction entre les deux. La stratégie pour Radio-Canada doit être différente de celle pour la CBC, parce qu'elles ont des problèmes totalement différents et qu'elles servent des auditoires totalement différents.
La sénatrice Verner : Je vous remercie beaucoup.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Quand je pense qu'il y a 700 tours un peu partout au Canada...
M. Stursberg : C'est un chiffre approximatif.
Le sénateur MacDonald : ... vous devriez vous lancer dans la téléphonie mobile.
M. Stursberg : Le problème, ce n'est pas les tours.
Le sénateur MacDonald : Vous pourriez vous autofinancer et concurrencer le cartel des opérateurs de cellulaires. Les Canadiens vous en seraient reconnaissants.
Vous avez dit que la SRC ne devrait pas dupliquer le travail du secteur privé. Pourriez-vous être plus précis? Quand je vois ce que font les radiodiffuseurs privés, je me demande quel type d'émissions ils ne font pas et que la SRC pourrait faire.
M. Stursberg : Je parle uniquement du Canada anglais. Les radiodiffuseurs ne sont pas vraiment intéressés à produire des divertissements canadiens comme le fait la SRC.
Le sénateur MacDonald : Qu'entendez-vous par divertissements canadiens?
M. Stursberg : Les émissions dramatiques canadiennes, les comédies canadiennes, et cetera. Par exemple, The Rick Mercer Show, This Hour Has 22 Minutes, ou des émissions dramatiques comme Doyle ou The Border, ou même des émissions que nous avons refaites en français — Rumeurs et Les Hauts et les Bas de Sophie Paquin. Ce sont des divertissements qui racontent la vie au Canada, avec notre sens de l'humour, notre sensibilité et notre histoire.
Nous avons même fait un film sur la vie de John A. Macdonald. Nous avons essayé d'y ajouter une pointe d'humour, afin que ce soit plus léger tout en restant instructif. En fait, nous n'avons réalisé que la première moitié du film, car ensuite je suis parti, et l'autre moitié n'a jamais été financée. Voilà ce que je veux dire quand je parle de grandes émissions populaires et typiquement canadiennes.
Le sénateur MacDonald : Voulez-vous parler du film qui a été produit à Toronto par un réalisateur indépendant?
M. Stursberg : Non. C'est un film que CBC a commandité et qui a été produit par un réalisateur indépendant du nom de Bernie Zukerman.
Le sénateur MacDonald : Et il devait y avoir quatre épisodes?
M. Stursberg : Non, deux seulement.
Le sénateur MacDonald : J'ai lu quelque part qu'il devait au départ y en avoir quatre. Pourquoi n'en ont-ils réalisé que la moitié? C'était une émission excellente. Vous l'avez passé une fois à 11 heures du soir.
M. Stursberg : Il faudrait le demander à ceux qui... beaucoup de mes projets ont été mis au rancart après mon départ. Je croyais au projet John A. Macdonald, je trouvais que c'était vraiment important. Donc nous l'avons financé. J'étais déjà parti quand il a été finalisé, mais j'en avais vu les épreuves de tournage et un premier montage.
C'est la même chose pour... Nous avions le projet de diffuser des films à la SRC. Le programme que nous avions préparé avec Téléfilm a été mis au rancart. Je ne comprends vraiment pas pourquoi on s'en est débarrassé.
Le sénateur MacDonald : Je l'ai vu en Nouvelle-Écosse. Il est passé un lundi, à 11 heures du soir.
M. Stursberg : Vous avez raison. C'était superbe. C'était léger et divertissant.
Le sénateur MacDonald : Les décors, les acteurs, le scénario, les coutumes, c'était vraiment formidable.
M. Stursberg : Mais c'est ce que je veux dire. Aucun radiodiffuseur privé ne va faire ça. Aucun ne va faire une émission comme Battle of the Blades, ce n'est pas possible. Voilà donc un exemple du genre d'émissions que les sociétés privées ne feront pas, mais que la SRC devrait faire. C'est tout ce que je voulais dire.
Le sénateur MacDonald : Vous avez dit que la SRC devrait abandonner les journaux télévisés locaux. Je ne suis pas en désaccord avec vous, mais pourquoi faudrait-il laisser aux radiodiffuseurs privés les journaux télévisés locaux, et pas les journaux télévisés nationaux? Pourquoi faudrait-il sacrifier les journaux télévisés locaux aux journaux nationaux?
M. Stursberg : Tout d'abord, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons essayé de redynamiser les journaux télévisés locaux de l'heure du dîner, et nous y avons consacré beaucoup d'énergie. Nous les avons tous restructurés, absolument tous. À l'époque, on pensait que Global allait s'effondrer, en raison de graves difficultés financières. Vous vous en souvenez peut-être.
Je me suis donc dit que c'était le moment d'essayer de redynamiser ces journaux télévisés, car ils sont importants pour les Canadiens. Il me semblait que c'était le bon moment, car si Global faisait faillite, les Canadiens n'auraient plus qu'un seul réseau, CTV. Ça semblait donc une bonne idée.
Mais la situation a changé. Global a été refinancé et a ainsi évité la faillite. Dans l'entente, le CRTC a exigé, pour que Shaw puisse acheter Global et que Bell puisse acheter CTV, que ces deux sociétés maintiennent les journaux télévisés locaux de l'heure du dîner, même dans les marchés marginaux où c'était difficile. C'est ainsi que certaines des hypothèses qui m'avaient convaincu que c'était une bonne idée ont tout simplement été démenties.
Aujourd'hui, je me dis : « pourquoi la SRC continuerait-elle de faire ce que CTV et Global font extrêmement bien »? Leurs journaux télévisés locaux sont très bons. Alors, pourquoi ne pas investir nos ressources dans des émissions de nouvelles qu'ils ne font pas, puisqu'ils s'intéressent surtout aux nouvelles locales, et c'est très bien comme ça? Ainsi, on pourrait mettre davantage l'accent sur le journalisme d'investigation et les nouvelles internationales, deux créneaux qui sont très peu exploités à la télévision à l'heure actuelle.
Le sénateur MacDonald : J'aimerais dire quelque chose à ce sujet. Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec vous, mais c'est la tendance au gouvernement de... si vous vous adressez à n'importe quel sous-ministre, il vous dira qu'il doit réduire son budget de 10 p. 100. La première chose qu'ils font, c'est de réduire les budgets des régions. Ils ne réduisent pas leurs propres dépenses, ils réduisent celles des régions. Et je suppose qu'ici, c'est un peu la même chose, que ce soit délibéré ou non.
M. Stursberg : C'était un jeu à somme nulle, et je continue de penser qu'il vaut mieux investir son argent — dont une grande partie provient des deniers publics — dans des créneaux que les radiodiffuseurs privés n'exploitent pas, car ce n'est pas comme si les gens allaient être privés de nouvelles locales; ils auront toujours deux grands radiodiffuseurs locaux, dans presque tous les grands marchés du Canada anglais. Alors, essayons d'offrir aux Canadiens des émissions qu'ils n'ont pas beaucoup d'occasions de regarder, et je veux parler du journalisme d'investigation et des nouvelles internationales.
Le sénateur Plett : J'aimerais poursuivre dans le même ordre d'idée. L'abandon des journaux télévisés locaux me préoccupe tout particulièrement, et j'aimerais faire deux ou trois observations avant de poser une question.
Premièrement, vous dites que les radiodiffuseurs privés font ça très bien, et je suis tout à fait d'accord avec vous. J'habite à Winnipeg, et j'ai accès à CTV et à Global. Mais à Yellowknife et dans toutes les communautés septentrionales du Canada, ils n'ont accès ni à CTV ni à Global. Ne pensez-vous pas que la SRC devrait justement rester, vu que les radiodiffuseurs privés ne veulent pas desservir Yellowknife parce que ce n'est pas rentable?
J'ai toujours estimé qu'il fallait avoir un radiodiffuseur public pour desservir les régions où les radiodiffuseurs privés ne veulent pas aller. Par contre, je me demande si nous devrions subventionner un radiodiffuseur public pour desservir des régions que desservent déjà les radiodiffuseurs privés. Nous avons appris qu'au Québec, par exemple — si je me souviens bien —, trois grands radiodiffuseurs se partagent de façon assez égale la totalité de l'auditoire québécois. Je me demande si nous devrions subventionner le radiodiffuseur public qui dessert le tiers de l'auditoire, alors que les deux autres se partagent les deux autres tiers.
Vous proposez que la SRC mette davantage l'accent sur la télévision nationale et internationale. Il se trouve que CTV et Global font un aussi bon travail que la SRC dans ce créneau ... peut-être mieux. La plupart du temps, je regarde The National, mais hier soir, j'ai regardé CTV, et je vais continuer de le faire. J'entends dire que The National n'est certainement pas la meilleure émission.
C'est une question très générale, mais j'aimerais avoir votre opinion. Qui produira les journaux télévisés locaux dans les régions où les radiodiffuseurs privés ne veulent pas aller? Pourrait-on envisager d'utiliser des deniers publics pour ces régions-là, et de ne pas le faire pour Toronto, Montréal ou même Winnipeg? En dehors du Québec, il nous faudrait maintenir les subventions pour les services en langue française, c'est normal, car Winnipeg ne peut pas avoir un service rentable en français.
M. Stursberg : Tout à fait. C'est vrai que le Nord est dans une situation à part. En plus de la question de l'anglais et du français, il y a aussi celle des langues autochtones. Comme je le disais tout à l'heure, il y a une émission télévisée en inuktitut tous les soirs. Je sais qu'ils ont quelques émissions de radio en gwich'in, en dogrib, en cri, et cetera.
J'ignore pourquoi nous avons cessé les émissions de télévision en langues autochtones lorsque nous avons commencé à desservir le nord du Canada. Aujourd'hui, la SRC diffuse dans un grand nombre de langues, y compris le gwich'in. Dans 30 ans, il n'y aura plus de locuteurs de cette langue. Mais nous n'avons pas d'émissions télévisées en ojibwa, ou très très peu.
Quelle serait la meilleure stratégie pour CBC/Radio-Canada en ce qui a trait à la télédiffusion dans les langues autochtones? Tout le monde est d'accord pour dire que les langues inuites, cries et ojibwas vont survivre. Le gwich'in et le dogrib ne survivront pas.
À mon avis, la situation des communautés du Nord doit être placée dans le contexte de la radiodiffusion en langues autochtones, et le rôle de la SRC doit être bien défini à cet égard. Il est évident qu'aucun des radiodiffuseurs privés ne va desservir ces régions-là, je suis tout à fait d'accord avec vous.
En ce qui concerne les marchés locaux, de façon plus générale, il faut faire la distinction, dans les grands marchés anglophones, entre la radio et la télévision. S'agissant des stations de radio à prépondérance verbale et de la couverture des événements locaux, il y a très peu de chaînes d'information continue ou d'émissions-causeries à caractère local en dehors des grandes villes, et quand il y en a, c'est un peu toujours la même chose. On ne s'informe pas en profondeur sur la communauté locale et sur ce qui s'y passe. C'est le genre d'émissions que fait la SRC et que les sociétés privées ne font pas. Pour la radio, je pense que la SRC a un grand rôle à jouer au niveau local. Mais pour la télévision, je suis d'accord avec vous, je ne vois pas très bien pourquoi la SRC produit des journaux télévisés locaux en concurrence avec les radiodiffuseurs privés.
Le sénateur Plett : Pourquoi produit-elle des journaux télévisés nationaux?
M. Stursberg : C'est une bonne question. La seule raison pour laquelle elle devrait le faire, c'est parce qu'elle peut offrir quelque chose de plus que les radiodiffuseurs privés. Pour ce qui est de l'actualité internationale, je pense que CTV ne fait pas du très bon travail, et que Global en donne une couverture assez limitée. De façon générale, pour les Canadiens anglais, la couverture de l'actualité internationale n'est pas aussi bonne qu'elle devrait l'être. Nous vivons dans un monde complètement interconnecté. Nous sommes une nation commerçante. Nous vivons dans un monde où la moindre crise qui se produit dans un pays a un impact chez nous. Il est donc très important que le Canada ait un réseau d'envergure pour les émissions d'actualité internationale.
Comme nous l'avons dit tout à l'heure, ces émissions d'information devraient être davantage axées sur le reportage d'investigation, et pas seulement sur la lecture des nouvelles.
Nous avons restructuré toutes nos émissions de nouvelles et nous avons fait un lancement en grand. Nous les avons toutes restructurées, non seulement les journaux télévisés locaux, mais aussi les chaînes d'information continue.
Notre réseau d'information continue marche bien. Dans ce créneau, c'est le réseau qui domine, et c'est celui que les Canadiens regardent de préférence quand ils veulent regarder toutes les nouvelles.
Quand nous avons lancé The National, nous nous sommes dit que les gens qui vont le regarder à 21 ou 22 heures, s'ils ont déjà regardé Newsworld, ils sauront déjà les nouvelles. On s'est alors demandé ce que The National pouvait leur apporter de nouveau, de différent. J'ai pensé que la réponse devait être le contexte et l'historique. Il fallait permettre aux Canadiens de voir ce qui se passe, mais aussi de comprendre, grâce au contexte et à l'historique. C'est ça le journalisme d'investigation, et s'agissant de l'actualité internationale, il faut analyser l'impact qu'elle pourra avoir sur le Canada.
Si la SRC est capable de faire ça, ce sera quelque chose de très différent de ce que font les radiodiffuseurs privés. Je suis assez d'accord avec vous pour dire que ce qu'on voit actuellement à The National n'est pas très différent de ce qu'on voit au dernier journal télévisé de CTV.
Le sénateur Plett : Au cours de notre voyage, les concurrents de la SRC se sont plaints, pas tellement du fait que la SRC recevait des subventions, mais surtout parce qu'avec ces subventions elle leur faisait concurrence pour les revenus publicitaires.
J'aimerais savoir, premièrement, si vous trouvez juste que les contribuables donnent 1,15 milliard de dollars par an à la SRC pour lui permettre de concurrencer Global, CTV et les autres radiodiffuseurs privés. Ça paraît évident que cela permet à la SRC de pratiquer des tarifs inférieurs sur le marché publicitaire. C'est ce qui semble les préoccuper le plus.
Qu'avez-vous à dire là-dessus? J'aimerais aussi que vous me disiez si, dans les régions où il y a de la concurrence — je ne parle pas de Yellowknife ou des communautés francophones au Canada anglais —, la lettre que le premier ministre devrait envoyer à la SRC devrait mentionner que la société devra s'assurer de la rentabilité de ses activités dans ces régions, si elle veut continuer à recevoir des deniers publics, ou bien si la société pourra poursuivre ses activités comme avant? Je pense plus précisément aux secteurs où elle est en concurrence directe avec CTV et Global.
M. Stursberg : Maintenant qu'elle a perdu le contrat de la LNH, la SRC va connaître une diminution considérable des revenus publicitaires qu'elle tire du marché conventionnel. Il ne lui en restera qu'une infime partie. Certes, la même situation aurait été bien plus grave il y a quelques années, où la concurrence entre les revenus publicitaires était beaucoup plus grande.
Ce serait sans doute une bonne chose que la SRC puisse se passer de la publicité, à condition qu'il soit clair pour tout le monde que le critère de sa réussite sera le nombre de Canadiens qui auront regardé les émissions qu'elle aura commanditées. L'avantage de la publicité, c'est qu'elle vous oblige, à tout le moins, à vous préoccuper de vos cotes d'écoute. Si la SRC devait cesser de passer de la publicité, j'aurais peur qu'elle n'ait plus cette discipline, à moins que — et je reviens là-dessus — le gouvernement lui donne clairement le mandat prioritaire de produire des émissions qui plaisent aux auditoires canadiens.
Ce qui est intéressant, c'est que la BBC, qui ne passe pas de publicité, n'a pas ce problème. Sa devise, qu'elle a affichée dans tous ses bureaux, est « L'auditoire, c'est notre priorité ». C'est exactement ce qu'il faut faire. Vous avez raison. Ce ne serait pas plus grave que ça si la SRC se retirait aujourd'hui du marché de la publicité, vu qu'elle n'en tire presque plus de revenus. Ce serait sans doute une bonne idée. Ça contribuerait à la démarquer davantage des autres radiodiffuseurs, mais il faudrait alors qu'il soit bien clair que les cotes d'écoute seront le critère primordial.
Le sénateur Plett : La rentabilité.
M. Stursberg : Réaliser des productions que les Canadiens ont envie de regarder.
Le sénateur Plett : D'accord.
Le sénateur Housakos : Vous avez dit tout à l'heure que quand on n'a pas la pression des cotes d'écoute, on se déconnecte de son auditoire et on perd sa raison d'être. Car après tout, le principe de la radiodiffusion, c'est d'aller à la rencontre du public, d'obtenir des informations et d'en communiquer.
J'ai eu l'impression, quand nous nous sommes rendus dans des stations locales de CBC/Radio-Canada, qu'elles n'étaient pas animées du même souci de se démarquer que les stations de radio ou de télévision privées que nous avons visitées. Quand nous sommes arrivés dans la salle d'accueil d'un radiodiffuseur privé, il y avait là une quinzaine de personnes, des gens du public, qui attendaient les cadeaux qu'elles avaient gagnés à des jeux et à des concours.
J'ai aussi constaté dans mes activités personnelles — et encore là, je ne suis peut-être pas dans la norme —, par exemple dans les associations de hockey, les activités et les festivals communautaires auxquels je participe, que la SRC est rarement visible, en tout cas beaucoup moins que les autres radiodiffuseurs privés qui font des efforts pour créer un contact avec l'auditoire. Est-ce un phénomène culturel? Pensez-vous que CBC/Radio-Canada devrait essayer d'en faire un peu plus à ce niveau-là?
[Français]
Je viens de Montréal, et à Montréal les gens qui écoutent Radio-Canada disent toujours que Radio-Canada c'est le télédiffuseur de la communauté intellectuelle; et le monde ordinaire va écouter LCN. Mais en affaires, c'est avec le monde ordinaire que tu fais ton argent parce qu'il y a plus de monde ordinaire que d'intellectuels.
M. Stursberg : Je suis d'accord. Selon moi, c'est plus important de faire des émissions pour le monde ordinaire, si je peux m'exprimer ainsi. Même avec les gens de CBC/Radio-Canada j'ai insisté, lorsque j'étais là, qu'il était important d'être présents dans les communautés. C'est-à-dire d'aller aux événements de la communauté, parce que c'est une question de marque. Si on est présent, comme les compagnies privées, cela va renforcer la marque de CBC/Radio- Canada.
[Traduction]
À une époque, je pensais qu'on devrait dire à tous les animateurs d'émissions locales qu'ils ont une double responsabilité : la première est d'animer l'émission, et la deuxième est de parrainer des activités de la communauté, pour établir un contact avec l'auditoire. L'objectif était aussi de mettre en valeur notre marque, mais surtout d'encourager l'animateur à participer à la vie communautaire, d'écouter ce que les gens avaient à dire.
Ces contacts permettent ensuite de produire de meilleures émissions, de leur donner un meilleur ancrage.
[Français]
Il est très important, comme vous le dites, que le programme soit très bien enraciné dans la communauté, si on veut continuer à produire des émissions locales.
Le président : Merci, monsieur Stursberg. Je vais vous encourager à aller acheter le livre de M. Stursberg dans un magasin privé près de chez vous; il est disponible dans les librairies comme Chapters et Amazon.
[Traduction]
Merci beaucoup de votre lettre, monsieur Stursberg. Je crois qu'elle nous sera très utile. Nous avons eu une discussion très instructive, et je conseille à tout le monde de lire votre livre pour en savoir davantage sur CBC/Radio- Canada.
C'est le sénateur Housakos qui présidera notre réunion de demain soir.
(La séance est levée.)