Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 4 - Témoignages du 8 avril 2014
OTTAWA, le mardi 8 avril 2014
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 9 h 31, pour examiner les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Conformément à l'ordre de renvoi adopté par le Sénat, le comité poursuit son étude sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications.
Ce matin, nous entendrons Ferne Downey, présidente nationale de L'ACTRA, et Marit Stiles, directrice des politiques et des communications. Madame Downey fera une déclaration.
Si vous le permettez, le vice-président du comité aimerait dire quelque chose à propos d'un message d'un témoin précédent.
Le sénateur Housakos : Honorables sénateurs, j'aimerais prendre quelques instants pour dire publiquement ce que je pense d'un courriel qui a été porté à mon attention. Ian Morrison, de Friends of Canadian Broadcasting, a publié un courriel demandant du soutien et des dons tout en répandant de fausses informations. Il prétend que le comité, par l'intermédiaire du sénateur Plett et de moi-même, a un plan secret à l'égard de CBC/Radio-Canada. De plus, il affirme que cette étude provient indirectement du premier ministre et du gouvernement. C'est complètement faux.
Le seul déclencheur de cette étude est un intérêt authentique envers la radiodiffusion publique, la Société Radio- Canada et l'évolution du milieu de la radiodiffusion, y compris le fait que CBC ait perdu l'emblématique Hockey Night in Canada. Le comité a déterminé qu'il était temps de mener une étude exhaustive et juste sur l'une des plus importantes sociétés d'État au Canada. J'ai entrepris cette étude avec l'esprit ouvert et dans le but d'améliorer la radiodiffusion publique au Canada, et non pas de la voir disparaître.
Toutes mes questions sont exprimées publiquement et reflètent une approche équilibrée en vue de traiter tous les aspects. Certaines questions peuvent être perçues comme étant pour ou contre, mais toutes les questions visent à stimuler le débat, de sorte que notre étude ait une grande portée. M. Morrison se concentre sur l'une de mes questions qu'il a sortie de son contexte afin de créer un problème là où il n'y en a pas et de susciter la peur, ce qui est très malhonnête.
Merci, monsieur le président.
Le président : J'ai demandé au sénateur Plett, qui a été mentionné dans le courriel, de nous transmettre une copie. Comme je ne fais pas partie des membres de Friends of Canadian Broadcasting, je voulais que le greffier en obtienne une copie. Le même courriel sera envoyé à tous les membres du comité afin qu'ils sachent exactement de quoi parlait le sénateur Housakos.
[Français]
Je m'excuse pour l'interruption. Madame Downey, la parole est à vous.
[Traduction]
Ferne Downey, présidente nationale, ACTRA : Bonjour. Je suis Ferne Downey, actrice et présidente nationale de l'Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio. Merci de nous avoir invitées à prendre part à cette importante étude. C'est un honneur de représenter les 22 000 membres de l'ACTRA, des artistes professionnels qui, par leur travail, divertissent, éduquent et informent le public au Canada et dans le monde. Je suis aujourd'hui accompagnée de la directrice nationale des politiques publiques et des communications de l'ACTRA, Marit Stiles. Vous nous avez demandé de parler des défis auxquels doit faire face la Société Radio-Canada, compte tenu de l'environnement changeant de la radiodiffusion et des communications. Nous sommes très heureuses de pouvoir nous exprimer à ce sujet.
La CBC/Radio-Canada est un élément indissociable de l'histoire de l'ACTRA. En effet, ma propre histoire, comme celle de nombreux acteurs canadiens, est étroitement liée à la société. Lorsque je suis sortie de l'école de théâtre Dalhousie de Halifax, j'ai fait mes premières armes dans des séries dramatiques à la radio de la Société Radio-Canada vers la fin des années 1970, mais mon travail à la radio s'est poursuivi pendant de nombreuses années après que je sois déménagée à Toronto, jusqu'à ce que ces populaires séries soient retirées des ondes. Nous y reviendrons plus tard.
Que ce soit Mr. Dressup, Degrassi High, The Beachcombers, Heartland, The Red Green Show, Little Mosque on the Prairie, Afghanada, Republic of Doyle, Being Erica ou The Rick Mercer Show, ce sont tous de grandes histoires canadiennes, de grands personnages canadiens et de grands acteurs canadiens qui leur ont donné vie. Sans la performance extraordinaire de Robert Clothier, en tant que Relic, est-ce que The Beachcombers serait devenu un classique canadien? Erica, dans Being Erica, a été interprétée avec brio par la jeune actrice canadienne très talentueuse Erin Karpluk. Pouvez-vous imaginer la télévision canadienne sans Rick Mercer? J'espère que nous n'aurons jamais à le faire.
L'ACTRA a vu le jour lorsque notre syndicat précédent a été créé à la radio de CBC/Radio-Canada dans les années 1940. Ensuite, lorsque les premières stations de télévision de Radio-Canada et de CBC se sont établies partout au pays dans les années 1950, nous sommes devenus l'ACTRA et nous avons ouvert des filiales aux endroits où la société offrait des services de télévision locale et embauchait des artistes locaux. Étant donné ces relations historiques, il n'est pas étonnant que l'ACTRA ait toujours appuyé et continue encore aujourd'hui de préconiser un radiodiffuseur public national fort. Évidemment, il y en a certains qui ne le font pas.
CBC/Radio-Canada a joué un rôle essentiel dans la création et le développement d'un bassin d'acteurs, d'auteurs et de journalistes talentueux au pays. La société a permis de mettre en place une infrastructure à partir de laquelle la radiodiffusion privée et l'industrie de la production indépendante ont pu se développer et prospérer — à la fois un incubateur et un moyen d'illustrer notre talent à l'échelle internationale. Comme beaucoup d'entre vous, nous craignons que l'évolution de la radiodiffusion et des communications ait une incidence négative sur CBC/Radio- Canada et nous sommes préoccupés par la menace constante de compressions dans son financement. La perte de Hockey Night in Canada a été l'élément déclencheur qui a mis en lumière tous ces problèmes, mais nous avons décidé de voir cela comme un défi à relever — une occasion de rendre la société encore plus forte et d'augmenter notre contenu canadien.
La direction de la CBC/Radio-Canada et le gouvernement se pencheront sur des façons de composer avec ces changements. On a déjà perdu du temps précieux. Au lieu d'essayer de remédier à leur dépendance aux recettes provenant de Hockey Night in Canada, la direction de la CBC a accru cette dépendance. Nous estimons que toutes les décisions qui seront prises quant à l'avenir de la société devraient être guidées par plusieurs principes clés.
Tout d'abord, la CBC/Radio-Canada doit accorder la priorité au Canada en diffusant un contenu 100 p. 100 canadien et en mettant l'accent sur des catégories qui sont sous-représentées ou qui ne sont pas disponibles sur d'autres plateformes, telles que nos émissions d'intérêt national, nos émissions régionales et nos émissions destinées aux enfants et aux jeunes. Nous sommes d'avis que la CBC/Radio-Canada doit continuer d'appuyer l'industrie des séries dramatiques canadiennes, notamment en négociant des conditions équitables avec les producteurs indépendants.
Le radiodiffuseur public doit être un espace ouvert et accessible, un peu comme nous percevons nos parcs, c'est-à- dire qui donne l'occasion aux Canadiens de participer à des activités auxquelles ils n'auraient pas accès autrement. Il doit accueillir les Canadiens de tous les milieux économiques et ethniques en leur donnant une voix et en partageant leurs histoires et en étant un endroit où ils peuvent créer des liens avec les autres et échanger des idées, des histoires et des expériences. Ce n'est pas le mandat d'un diffuseur privé. Les diffuseurs privés sont redevables aux actionnaires. À titre de radiodiffuseur public, la CBC/Radio-Canada a une vocation plus noble; elle doit rendre des comptes à tous les citoyens canadiens.
L'ACTRA recommande que la société, dans son rôle à titre de radiodiffuseur public national, ne se contente pas de simplement maintenir le statu quo. Elle doit plutôt renforcer sa position en tant que pilier de l'économie numérique canadienne et en tant qu'important moteur culturel et économique.
Ces dernières années, la CBC/Radio-Canada n'a pas été une véritable solution de rechange aux diffuseurs privés. Pour ce faire, la société doit non seulement refléter la réalité actuelle du Canada, mais aussi nous amener à réfléchir sur notre histoire et notre avenir.
La Société Radio-Canada ne doit pas être dans une position où ses choix de programmation sont exclusivement motivés par le potentiel commercial. Seul un organisme public peut se permettre de courir les risques inhérents à la production d'une programmation unique et particulière. Du point de vue de l'ACTRA, un point de vue qui est heureusement partagé par de nombreux canadiens, il revient au gouvernement d'allouer à la société les ressources nécessaires pour prendre ces risques.
La Société Radio-Canada doit continuer d'offrir des émissions originales et de qualité aux enfants et aux jeunes. Les Canadiens qui ont la société à cœur disent qu'ils ont grandi avec elle. Ils ont de bons souvenirs en lien avec le radiodiffuseur public à divers moments de leur vie. Particulièrement en cette ère de contenu infini partout et tout temps, on ne peut pas s'attendre à ce qu'un jeune de 25 ans remue ciel et terre pour défendre le radiodiffuseur public. Nous devons développer cette relation avec le temps. Elle doit être constante et fiable.
En abandonnant les 5 à 17 ans, la Société Radio-Canada ne rend pas service aux jeunes ni à leur avenir. Comme vous le savez, la société renonce à sa programmation pour enfants. L'an dernier, dans le cadre des audiences sur le renouvellement de licence, la Société Radio-Canada a demandé au CRTC de l'autoriser à réduire certaines exigences en ce qui a trait à la diffusion des émissions pour enfants. Nous nous sommes battus, et heureusement, le CRTC a refusé. La diffusion d'émissions de jeunesse est plutôt devenue une condition.
Si la Société Radio-Canada reproduit ce que les Canadiens voient sur les chaînes privées, c'est-à-dire des émissions américaines à n'en plus finir, les Canadiens seront moins enclins à apprécier le mandat unique et précieux de la société. Même si l'ACTRA comprend la pression considérable qui pèse sur la société, compte tenu des décennies de sous- financement, nous ne pouvons pas baisser nos attentes collectives en nous remettant au plus petit dénominateur commun.
La Société Radio-Canada a produit quelques-unes des plus importantes et divertissantes séries dramatiques dans le monde — des séries primées comme Afghanada et The Mystery Project, qui ont été abandonnées malgré leur faible coût de production et leur public fidèle. Qui racontera ces histoires à l'avenir?
La société a l'obligation et la responsabilité de refléter l'histoire et le patrimoine des Canadiens à travers leurs télévisions et leurs radios.
Maintenant, pour ce qui est de notre deuxième principe, CBC/Radio-Canada doit maximiser ses investissements dans le contenu, en mettant ses ressources à l'écran et sur les ondes, et en minimisant les structures de gestion superflues et les coûts généraux. C'est une question d'équilibre. Je suis consciente que ce n'est pas notre travail de dire à la société où elle doit réduire ses coûts de gestion, mais si nous demandons un financement stable et à long terme pour notre radiodiffuseur public, nous devons savoir que cet argent sera dépensé pour la création et la production du contenu de grande qualité que les Canadiens recherchent.
En tant que créateurs, nous sommes témoins de l'incidence du manque de financement stable et à long terme de la société. On ne se le cachera pas; il y a des répercussions sur la production. Prenons par exemple les séries dramatiques à la télévision. Au sein de l'industrie, on nous compare souvent aux émissions américaines de grande qualité qui connaissent beaucoup de succès. Les gens se demandent pourquoi nous ne produisons pas plus d'émissions comme celles-là. On peut comprendre que c'est une question d'économie d'échelle. Pour chaque série télévisée qui passe l'étape de pilote aux États-Unis, des centaines sont abandonnées. Il y a des échecs là-bas également.
Toutefois, une fois que vous avez passé cette étape, quelle est la différence? Les créateurs et les scénaristes peuvent faire beaucoup mieux lorsqu'ils peuvent prévoir à long terme et non pas seulement écrire une brève saison. Pour créer des séries captivantes, il faut du temps pour laisser les personnages et l'histoire évoluer. À CBC/Radio-Canada, il y a eu tellement de bonnes émissions auxquelles on a mis fin au moment où elles commençaient à se bâtir un auditoire. Ce n'est pas ainsi qu'on crée de la télévision de grande qualité ni qu'on développe un star-système qui peut concurrencer avec les studios américains.
Troisièmement, nous soutenons que CBC/Radio-Canada doit devenir tout à fait exempte de publicité. Avec la fin de « Hockey Night in Canada » et l'ajout récent de publicité sur CBC Radio 2 et Espace Musique, nous pensons qu'il est temps d'envisager de vraies solutions de rechange. Il faut un modèle de revenus capable de soutenir des séries dramatiques de grande qualité. Si c'était possible sans publicité, ne serait-ce pas mieux? Franchement, je sais qu'on vous l'a déjà dit, mais nous savons que la perte de Hockey Night in Canada produit un effet sur les revenus publicitaires globaux de CBC. S'il faut que le gouvernement paie davantage, nous sommes d'accord.
Quatrièmement, nous croyons que CBC/Radio-Canada doit adopter une structure de gouvernance plus représentative comportant un conseil d'administration indépendant composé de Canadiens d'horizons très variés, surtout des créateurs de contenu.
En conclusion, je réitère que ce qu'il faut absolument à CBC pour réaliser bon nombre de ces objectifs, c'est un engagement de la part du gouvernement qui lui assurera un financement stable et de longue durée. Dans notre industrie, nous planifions des saisons à l'avance. Nous avons besoin d'un gouvernement qui fait la même chose. Il faut que nous investissions dans les industries excitantes, vertes et créatives dont la contribution à notre PIB dépasse les 7 millions de dollars. Les personnes ici présentes sont très au fait de l'écart grandissant entre le mandat de CBC/Radio- Canada qui est prévu dans la Loi sur la radiodiffusion et les crédits parlementaires qui lui sont accordés. Cet écart entrave la capacité de CBC/Radio-Canada de répondre aux besoins des Canadiens qui comptent sur elle pour s'acquitter de ce mandat.
L'étude réalisée par le groupe Nordicité pour CBC/Radio-Canada en 2011 a révélé que des 18 grands pays occidentaux, le Canada arrivait au troisième rang des pays qui finançaient le moins, par personne, son télédiffuseur public. Les seuls pays que le Canada devançait sur ce plan étaient la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Nous étions donc au troisième rang des pays qui versaient le moins de financement. En 2009, les fonds publics destinés à CBC/ Radio-Canada correspondaient à 34 $ par personne, alors que la moyenne des 18 pays occidentaux était de 87 $ par personne. C'était donc 60 p. 100 de moins que la plupart de ces pays.
De plus, CBC/Radio-Canada doit soutenir la concurrence dans un environnement changeant. Il n'y a pas que de la concurrence des diffuseurs privés, mais il y a aussi celle des fournisseurs de services Internet et des fournisseurs de services par contournement comme Netflix, qui ne sont pas du tout soumis au CRTC et qui n'ont aucune obligation de se conformer aux exigences relatives au contenu, de contribuer à notre industrie de production télévisuelle nationale, ni même de payer la taxe au détail, ce qui est vraiment surprenant.
L'ACTRA estime que le CRTC doit entreprendre d'imposer les mêmes conditions aux fournisseurs de services par contournement. Les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous, mais il faut aussi reconnaître de la même façon qu'il faut canaliser certains des profits vers la création de contenu, ici au Canada.
En terminant, je tiens à remercier encore le Sénat d'avoir entrepris ces très importantes consultations. Nous vous savons gré des efforts que vous avez déployés pour entendre aussi les créateurs, et je suis convaincue que vous en entendrez d'autres. Sur les plateaux de tournage et dans les studios, un peu partout dans notre magnifique pays, nos membres donnent vie à des personnages et contribuent à raconter l'histoire du Canada dans toute sa diversité. Il est d'un grand intérêt pour nous que l'on continue de relater ces histoires en notre nom à tous, et nous vous remercions de nous donner l'occasion de jouer ce rôle d'importance.
Si vous avez des questions à nous poser, Mme Stiles et moi ferons de notre mieux pour y répondre.
Le président : Merci beaucoup. Nous pouvons reconnaître l'expérience d'une spécialiste en communications. J'écoutais votre liste d'anciennes émissions, et il y a une émission que vous n'avez pas mentionnée et qui m'a beaucoup influencé quand j'étais jeune : Quentin Durgens, M.P.. Cette émission m'a ouvert à la politique canadienne et m'a sans doute motivé à devenir député, il y a plus ou moins 40 ans.
Le sénateur Housakos : Bienvenue au comité, et merci à vous pour cet exposé très instructif. Je vous ai écoutée attentivement énumérer tous les secteurs où CBC/Radio-Canada joue un rôle si important. Vous avez mentionné les actualités nationales et régionales, et les émissions pour enfants. Vous avez aussi parlé de l'industrie des émissions dramatiques et des communautés multiculturelles — et de la façon dont on rejoint manifestement les minorités linguistiques à l'échelle du pays. Nous avons entendu le même message dans l'Ouest canadien de la part des témoins là- bas. La réalité, c'est que notre pays est très vaste, mais très peu peuplé. Avec le temps, les ressources sont de plus en plus restreintes. Il est clair que les Canadiens trouvent tous les points soulevés importants. Chacun importe à des segments différents de la population canadienne.
Nous avons la Loi sur la radiodiffusion. Au moment de créer CBC/Radio-Canada, on lui a donné le mandat précis de promouvoir le contenu canadien et la culture canadienne. Bien entendu, rien de ce mandat précis n'est précis; c'est très vague et global. On pourrait dire que tout ce que nous venons de souligner représente du contenu canadien — les actualités régionales et nationales, la création d'émissions pour enfants fondées sur une perspective canadienne, et cetera. Compte tenu de toutes les options qui s'offrent aux Canadiens, comme l'information sur le Web, les diffuseurs privés et les concurrents, la question qu'il faut se poser, en 2014, est la suivante. Est-ce que CBC/Radio-Canada peut être tout pour tous? La question que je pose, celle-là même à laquelle le comité devra répondre au cours des mois à venir est celle-ci. Comment CBC/Radio-Canada peut-elle répondre à tous ces besoins, et ce, de manière responsable sur le plan financier, tout en tenant compte de propositions comme celle de rendre CBC/Radio-Canada exempte de publicité, par exemple?
C'est une question très générale, mais est-ce que CBC/Radio-Canada peut continuer? J'ai l'impression qu'ils essaient de satisfaire de nombreux groupes d'intérêts — les Canadiens qui ont soif d'actualités internationales et nationales de qualité et solides, tout comme les groupes d'intérêts locaux qui souhaitent de bons bulletins de nouvelles régionales, et les groupes linguistiques minoritaires du Nord pour lesquels la diffusion se fait dans 11 langues autochtones. Compte tenu de leurs ressources et des enjeux liés à la concurrence en général, peuvent-ils continuer à satisfaire tous ces groupes d'intérêts? Est-il peut-être temps de s'arrêter et de se concentrer sur le contenu canadien le plus important et sur ce que les Canadiens veulent vraiment, puis d'établir une liste de priorités?
Mme Downey : Votre question est la plus urgente, n'est-ce pas? Je ne crois pas qu'il existe une réponse simple, et c'est la raison pour laquelle vous consacrez votre savoir et vos ressources à ce travail. Nous vivons une époque fascinante. Comme vous le dites, nous sommes en 2014, et non pas à l'époque où CBC/Radio-Canada est devenue notre radiodiffuseur public. Il y a tant de possibilités de réinvention qui s'offrent en 2014 et par la suite. Nous sommes nombreux à penser que c'est l'occasion de dire : voici ce que nous devons faire; voici ce que notre mandat dit que nous devons faire. Le mandat fondamental est très fort, concernant la radiotélévision publique. Cependant, il faut une nouvelle vision pour l'avenir. Avec un plan stratégique à long terme que tout le monde soutient, et si le gouvernement fédéral est prêt à accepter que vous proposiez un plan stratégique à long terme qui est clair, ouvert et transparent, ils seront d'accord. Si vous trouvez quelque chose qui s'adapte au nouvel environnement, de sorte que le gouvernement puisse dire qu'il s'agit d'un plan à long terme brillant, ils augmenteront les crédits qu'ils vous attribuent. C'est ma vision. Je sais que c'est ambitieux, mais je crois que c'est possible et réalisable.
Marit Stiles, directrice des politiques et des communications, ACTRA : Est-ce que CBC/Radio-Canada peut être tout pour tous? Peut-être pas, car son mandat est très vaste. Le problème, en ce moment, c'est la perspective de laisser aux diffuseurs privés la tâche de s'acquitter d'une partie de ce mandat. Les diffuseurs privés doivent rendre des comptes à leurs actionnaires. Leur objectif est de tirer davantage de revenus de la publicité et, de ce fait, ils ne vont pas nécessairement offrir le genre de programmation qui répond aux désirs des Canadiens. C'est la raison pour laquelle le CRTC impose certaines règles — pour garantir un certain contenu canadien, même chez nos diffuseurs privés.
Il faudrait resserrer ces liens énormément pour que cela fasse contrepoids. Je ne pense pas que le CRTC ou quelque autre organisme souhaite particulièrement faire cela aux diffuseurs privés, car il y aurait de la résistance. La raison d'être de CBC/Radio-Canada doit être de réaliser les objectifs des Canadiens et de présenter du contenu canadien. S'il est une chose qu'ils doivent faire, c'est se concentrer davantage sur cela, et moins sur d'autres options qui ne sont pas canadiennes. Nous devons nous concentrer sur les histoires locales et sur les actualités canadiennes qui traitent de notre perspective sur les affaires internationales, et appuyer notre industrie en relatant les histoires canadiennes.
Le sénateur Housakos : Nous vous entendons constamment dire que vous ne voulez pas être redevables aux diffuseurs privés parce qu'ils sont redevables à leurs actionnaires. En réalité, tout le monde a des actionnaires. CBC/ Radio-Canada a des actionnaires : ce sont les contribuables. Je ne suis pas d'accord avec cette idée selon laquelle CBC/ Radio-Canada n'a pas d'actionnaires et ne rend de comptes à personne. Malheureusement, contrairement à CTV, Bell Média et d'autres diffuseurs privés qui tiennent des assemblées d'actionnaires, la seule façon que nous, les parlementaires, avons de faire une évaluation, c'est en fonction des cotes d'écoute. Je suis ouvert aux suggestions, s'il y a une meilleure façon de déterminer si les contribuables en ont pour leur argent. En tant que comité, nous avons reçu les cotes d'écoute, les BBM, des diverses émissions. Nous en avons pris connaissance. Parmi les dramatiques présentées aux heures de grande écoute, deux émissions de CBC — en anglais — se classent dans les 30 émissions les plus écoutées. Leurs cotes d'écoute sont invariablement lamentables.
Je suis pour le contenu canadien. Je me rappelle avoir regardé une production canadienne sur la vie de Victor Malarek — un film formidable. J'ai récemment vu le film canadien sur la vie de Don Cherry, que j'ai trouvé fantastique. Je m'y suis identifié et je veux voir davantage de ce genre d'émissions. Cependant, je ne vois pas tant de productions de cette qualité, compte tenu de l'argent qui va à CBC. Si nous jugeons CBC en fonction de ce que ses actionnaires obtiennent, je dirais qu'ils n'ont pas le public que nous voudrions qu'ils aient. Mais pourquoi?
Mon autre question est celle-ci. Convenez-vous avec nous qu'il faudrait peut-être consacrer un peu moins d'argent au sommet, et un peu plus à la base, c'est-à-dire aux personnes qui produisent effectivement le contenu canadien — les acteurs, les producteurs et les réalisateurs? Je suis dans les affaires depuis toujours. Chaque fois que je signe un chèque à l'ordre d'un organisme de bienfaisance, je veux d'abord savoir le pourcentage de l'argent qui va à l'œuvre en question, et le pourcentage qui va à l'administration. J'aimerais avoir votre opinion sur les façons de corriger cela.
Je soupçonne que nous consacrons beaucoup trop de temps à administrer cette société. À mon avis, en tant que diffuseur public, nous consacrons beaucoup trop d'argent aux actualités, et moins de temps, d'énergie et d'effort aux dramatiques canadiennes, aux émissions canadiennes pour enfants et aux choses pour lesquelles, j'en conviens, les Canadiens seraient prêts à changer de poste, parce qu'il serait davantage question de la mosaïque canadienne.
Mme Downey : Je vais commencer par les diffuseurs privés. Oui, les diffuseurs privés ont des actionnaires, et des assemblées d'actionnaires. Moi aussi, j'aimerais connaître la structure de gouvernance générale de CBC. Est-ce que chaque pièce de monnaie est consacrée à ce qui va à l'écran ou au micro, dans le studio? On peut raisonnablement présumer qu'au fil des années, sans direction charismatique au sein de CBC, il y a eu trop de gestionnaires intermédiaires. Je pense qu'ils commencent à s'attaquer à cela, dans le plan stratégique auquel ils travaillent maintenant. Les diffuseurs privés font les choses différemment du diffuseur public, et ce, à tous les égards. Les exigences qu'on leur impose concernant le contenu canadien sont différentes.
Les BBM en soi représentent une mesure étrange, depuis la révolution numérique. Il faut vraiment combiner tous les chiffres. Je pense que certains jeunes ne regardent des émissions que sur leurs tablettes et téléphones, et les chiffres, combinés, deviennent plus complexes.
Vous avez tout à fait raison de dire que CBC ne compte que deux émissions parmi les 30 meilleures, parce qu'ils n'ont pas les ressources qu'il leur faut pour rassembler le public qui les suivra. Il faut alimenter les choses. Il faut de la dévotion. Quand CTV et Bell Média décident qu'une émission aura du succès parce qu'ils estiment qu'elle est très bonne, comme Motive, ils y mettent le paquet et saisissent toutes les occasions de promotion croisée possible.
Regardez CBC et toutes ses magnifiques plateformes. Leur espace numérique est excellent. La conversation, dans l'espace numérique de CBC, est vraiment très bonne. Pour que cela se traduise par des publics plus nombreux, il faut pousser tout cela encore plus loin, se concentrer sur le travail et l'alimenter. Il devient très difficile pour les publics de trouver le travail et de savoir, en fait. Il n'est plus tant question de destination, aujourd'hui. Il faut trouver le travail, savoir qui s'y trouve et pourquoi c'est important.
Le sénateur Mercer : Merci beaucoup de votre présence. Je lisais votre document et je comptais : un, deux, trois, quatre, et je pense que j'ai trouvé un numéro cinq aussi. C'est exactement cela.
Le sénateur Housakos a posé une question à laquelle je pense que vous n'avez pas répondu, au sujet du volet administratif. Vous dites dans votre mémoire que vous n'avez pas de réponse à cela. Je pense qu'à force d'écouter, j'en viens à la conclusion que nous devons consolider et resserrer le volet administratif de CBC/Radio-Canada afin d'en faire un très bon modèle opérationnel pour ce genre d'activité. Cette organisation est éparpillée entre trois endroits : Toronto, Montréal et Ottawa. Il n'est pas étonnant qu'elle peine à faire ce qu'elle veut faire.
Quand vous parliez du nombre insuffisant d'émissions dans les 30 meilleures, vous avez aussi dit qu'on ne leur permettait pas d'établir des liens. Je suis sûr que Coronation Street n'a pas eu un grand succès dès le début. Maintenant, on dirait que cette émission dure depuis une éternité. Je ne regarde pas cette émission, mais je connais des personnes qui ne manquent pas un épisode. Ils l'enregistrent pendant la semaine et consacrent leur samedi matin à regarder ce qu'ils ont manqué. C'est ce genre de chose. Ce ne sont pas que les ressources, mais c'est la volonté et l'engagement d'être le meilleur possible. Je pense que c'est l'une des choses que nous devons accomplir.
J'ai peine à formuler une question, car je suis d'accord avec à peu près tout ce que vous avez dit. Nous avons d'excellentes maisons de production au Canada — des gens qui produisent des films. Nous avons parlé, dernièrement, au sein du comité, de la possibilité de faire en sorte que CBC diffuse davantage de films canadiens et de documentaires canadiens pendant les vastes plages horaires laissées vides depuis qu'on ne présente plus le hockey.
Nous devrions viser à mettre en œuvre votre première recommandation, qui est de présenter un contenu à 100 p. 100 canadien. Définir le contenu est un autre aspect — émissions pour enfants, documentaires, émissions uniques, films et actualités, car les actualités sont très bien faites. Si nous options pour ce modèle, l'industrie pourrait-elle réagir, et dans quelle mesure pourrait-elle le faire rapidement?
Mme Downey : Oh, je pense que l'adaptation pourrait être rapide. Notre industrie est très adaptable.
En vérité, nous sommes pour la plupart déterminés à faire travailler les Canadiens. Nous sommes tous des acteurs et faisons du travail de production ou d'animation ou autre, mais il faut quand même faire du bon travail. Il faut trouver un endroit pour le bon travail, et il faut que quelqu'un dise : « Je veux que ce soit du bon travail, et je vais bâtir un public pour cela. » CBC ne pourrait pas se soustraire à cet impératif. Nous ferions toujours le travail. Le système ne changerait pas énormément. C'est au sein même de CBC que le changement serait plus profond, car c'est là qu'ils s'imposeraient la volonté d'être ce qu'ils doivent être. Est-ce que vous comprenez?
Le sénateur Mercer : Oui.
Mme Stiles : J'espère que je comprends bien votre question, mais l'industrie de la production est très bien développée. Certaines régions ont une industrie de taille considérable, comme Toronto, Montréal et Vancouver.
Le sénateur Mercer : Et Halifax.
Mme Stiles : Oui, et Halifax. Grâce à la SRC, nos centres régionaux peuvent créer d'excellentes émissions canadiennes, comme Republic of Doyle qui emploie en grande partie l'industrie de la production de Saint John et qui lui permet de s'améliorer. Cette émission a renforcé l'industrie, qui peut maintenant produire des films encore meilleurs. Nous n'avons pas de mal à répondre aux besoins. Tout ce qu'il nous faut, c'est du financement et un mandat.
Le sénateur Mercer : Les gouvernements fédéral et provinciaux offrent bien sûr des encouragements fiscaux pour la production. Pensez-vous que nous devons maintenir ces encouragements ou les modifier?
Mme Downey : Oui, les crédits d'impôt sont utiles, car notre marché est assez petit par rapport à la gigantesque industrie du divertissement au sud de la frontière. Nos redevances pour la production sont faibles, car elles se fondent sur le nombre d'habitants. D'après moi, nous aurons toujours besoin de crédits d'impôt stables au Canada. Mon mémoire indique à maintes reprises que la stabilité est essentielle, mais je ne le soulignerai jamais assez. Nous en avons besoin, sinon nous ne pouvons rien planifier. La production réagit mal au chaos, à l'incertitude et à l'instabilité. La production nécessite des crédits d'impôt année après année pour fonctionner.
Le sénateur Mercer : Il importe de savoir que le Canada n'est pas le seul pays qui accorde des crédits d'impôt. Je regardais un réseau américain et je n'en revenais pas que l'État de New York offre aux entreprises établies dans d'autres États non pas de payer moins d'impôt, mais de ne payer aucun impôt pendant 10 ans si elles s'installent là-bas. C'est une industrie concurrentielle, et nous devons y participer.
J'ai aimé votre commentaire sur la structure de gouvernance représentative. Un des problèmes en fin de compte, c'est que la structure entraîne naturellement des nominations politiques au conseil d'administration de la SRC. Le gouvernement nomme les dirigeants. Nous devrions peut-être imposer des conditions pour que le CA comprenne des gens de la production et des créateurs qui mettent l'accent sur ces questions. Vous avez parlé du président de la SRC, qui est présentement nommé par le premier ministre plutôt que par le CA. Quel est votre avis sur cette nomination?
Mme Downey : Je n'ai pas d'avis à donner au nom de l'ACTRA. Je veux simplement dire de façon générale que la SRC doit consolider sa gouvernance, qui était très dynamique lorsque davantage d'artistes participaient directement à la direction du diffuseur public. Je suis ouverte à toutes les suggestions sur la forme que prendrait la gouvernance et sur la façon de rendre les rapports annuels plus concrets pour les contribuables canadiens. Je pense que nous pouvons améliorer bien des aspects qui laissent à désirer.
Le sénateur Mercer : Dans l'exposé, vous n'avez pas parlé de Radio-Canada, sans doute parce qu'elle applique déjà un certain nombre de vos suggestions sur la production et la promotion de contenu canadien. Radio-Canada n'a pas de concurrent francophone comme la CBC avec les diffuseurs anglophones, n'est-ce pas?
Mme Downey : C'est exact. En tant qu'auditrice, je dirais que l'on sait à quoi s'attendre en écoutant CBC Radio One; c'est la radio de la CBC. J'écoutais beaucoup CBC Radio 2, mais les publicités trop nombreuses durant ce projet pilote de trois ans me dérangent un peu. La radio de la CBC a propulsé des animateurs au rang de vedettes, et elle présente un excellent contenu d'information et de culture qui me rend fière de ce service de radiodiffusion.
Le sénateur Mercer : Il y a trop de rediffusions de nos jours.
Mme Downey : C'est vrai.
Le sénateur Demers : Merci beaucoup de vos explications et de votre honnêteté. C'est important pour nous. Je ne siège pas au comité depuis longtemps, mais le gouvernement et l'opposition travaillent extrêmement fort pour améliorer la CBC et Radio-Canada. Notre objectif, c'est de travailler avec vous. Je tiens à vous dire que c'est très important pour nous.
L'un des deux témoins peut répondre. Pouvez-vous décrire le marché canadien actuel concernant les services à vos membres? Quels changements avez-vous constatés depuis 10 ans? Quel pourcentage de vos membres va aux États-Unis pour saisir les occasions qui s'y présentent?
Mme Downey : Depuis deux ou trois ans au Canada, surtout dans le principal centre culturel qu'est Toronto, les débouchés se diversifient pour nos membres : les jeux vidéo de Montréal et de Toronto; les merveilleux films d'animation et les émissions pour enfants; les publicités avec voix hors champ. Nous créons beaucoup de contenu télévisuel canadien, parce que les séries canadiennes réussissent bien dans le monde et constituent une de nos meilleures exportations. Nous produisons des longs métrages anglophones au Canada, mais personne ne veut les diffuser. C'est une catégorie quelque peu inhabituelle pour nous.
En général, mes membres diversifient leurs débouchés et jouent divers rôles, car nous sommes un petit pays. Certains jeunes sont au sommet de leur art et ont déjà été mis en vedettes dans six téléséries. Par exemple, Degrassi a formé un groupe de professionnels talentueux et très compétents. Ces jeunes de 19 ans arrivent à un tournant dans leurs carrières au Canada et examinent leurs options. Ils habitent à Toronto, à Vancouver ou à Montréal et se demandent quelle sera leur prochaine télésérie. Ils n'ont plus l'âge pour jouer des rôles d'adolescents. Les émissions produites dans ces régions comptent une distribution assez restreinte. Si aucun rôle ne leur est offert à la télévision, qui est leur principal débouché, ces jeunes vont à Los Angeles pour une saison pilote et tentent d'obtenir un visa O-1. Les membres qui ont une adresse à Los Angeles sont si nombreux que j'y tiens des réunions d'information annuelles.
Le sénateur Demers : Au début, vous avez dit qu'il n'y a rien de mal à être très ambitieux lorsqu'on travaille bien. Vous avez bien raison de penser ainsi, croyez-moi. Merci.
Le sénateur Eggleton : Merci beaucoup de votre témoignage. Comme mes collègues, je suis en grande partie d'accord avec vous. Je veux reparler du préambule du sénateur Housakos.
Nous sommes d'accord qu'il faut apporter des changements à la structure de la direction et peut-être à la Loi sur la radiodiffusion concernant la SRC. Comme vous l'avez dit, on ne peut pas plaire à tout le monde. C'est un adage bien accepté, n'est-ce pas? N'oublions pas que nous sommes un pays très divers, pour ce qui est des origines culturelles, des langues et des régions. C'est tout un défi d'être le principal diffuseur public au Canada. Il faut répondre à des attentes diverses et rejoindre bien des gens différents avec le contenu canadien.
Le problème, c'est que les émissions ne seront pas toutes populaires et concurrentielles par rapport à l'industrie américaine du divertissement, qui dispose de moyens considérables et difficiles à égaler. Toutefois, il faut répondre à des goûts et à des intérêts culturels différents au pays. Il ne faut pas s'attendre à ce que les émissions obtiennent toutes de grandes cotes d'écoute. C'est le problème que nous devons comprendre.
Un autre problème qu'il faut comprendre et qui ne vous fera pas plaisir d'entendre, c'est que le gouvernement affame la CBC/Radio-Canada. Dans les circonstances, la CBC/Radio-Canada n'a d'autre choix que de tourner les coins ronds ici et là et de réduire ses investissements dans une programmation de qualité. En passant, les bonnes émissions favorisent les bonnes cotes d'écoute. Si cette situation perdure, le problème ne peut que s'aggraver. Nous devons trouver une solution pour le financement de la CBC/Radio-Canada. Je vais maintenant poser ma question.
Concernant le mécanisme de financement, au lieu d'allouer les crédits parlementaires annuels que le gouvernement recommande et qui varient selon l'économie et la politique, que pensez-vous d'un financement distinct? Deux autres témoins nous ont dit qu'il faut un mécanisme semblable à celui du Royaume-Uni, qui applique un système de licences auquel tout le monde doit contribuer. La BBC semble très bien fonctionner dans ce contexte.
La semaine dernière, un témoin a suggéré d'imposer une surtaxe de 7 p. 100 aux entreprises de télécommunications privées, pas seulement aux diffuseurs. À son avis, nous pourrions récolter 3 milliards de dollars par année. Qu'en pensez-vous?
Concernant les chaînes de nouvelles par rapport au diffuseur principal, est-il possible de commercialiser tous les services d'information, qui entreraient en concurrence avec le secteur privé? Le diffuseur principal ne diffuserait aucune publicité et serait axé sur les séries dramatiques, les comédies et d'autres émissions. J'aimerais obtenir vos commentaires sur ces quelques réflexions en matière de financement.
Mme Downey : Les chaînes de nouvelles se fondent sur le modèle des chaînes spécialisées, qui ne rassemblent pas un vaste auditoire contrairement aux grands télédiffuseurs. En tant que Canadienne, j'aime d'instinct la variété qu'offre le diffuseur public. Je veux encore qu'il présente du contenu canadien et les nouvelles, mais c'est une idée intéressante. À vrai dire, je n'y ai pas beaucoup réfléchi. Je demanderais à Marit de nous donner son point de vue.
Le sénateur Eggleton : J'ai posé une autre question sur le financement.
Mme Stiles : Je vais y répondre. Au fil des ans, nous avons consulté un certain nombre d'études que je n'ai pas sous la main et nous avons participé à des sondages et à ce genre d'exercices pour connaître les intérêts des Canadiens, qui soutiennent en grande majorité la CBC/Radio-Canada. Certaines études indiquent qu'ils seraient même prêts à payer davantage, d'une manière ou d'une autre. Le système pourrait ressembler à ce qui se fait au Royaume-Uni. Je ne sais pas si c'est la bonne solution, mais ce serait intéressant d'avoir d'autres sources de revenus comme Netflix, qui ne paient même pas de taxe de vente. Je suis membre et je regarde bon nombre d'excellentes émissions canadiennes sur Netflix, mais Netflix ne génère aucun revenu pour le pays.
Les fournisseurs de services Internet constituent une source de revenus potentiels dont nous ne profitons pas encore. Le CRTC ne veut pas se charger de les réglementer. C'est une possibilité que nous pourrions envisager. Il convient de réaliser un examen approfondi. Si nous sommes tous ici aujourd'hui, c'est parce que la CBC/Radio-Canada et le gouvernement ont reporté cet examen depuis très longtemps et qu'ils se fiaient aux revenus générés par les matchs de la LNH. Nous espérons qu'ils vont maintenant explorer diverses avenues afin de trouver de nouvelles sources de revenus.
Le sénateur Eggleton : D'après ce que vous avez dit il y a quelques instants, l'ACTRA croit que le CRTC doit imposer les mêmes conditions aux fournisseurs de services par contournement. Que peut faire le CRTC pour s'assurer qu'ils diffusent du contenu canadien ou qu'ils contribuent au fonds qui soutient ce contenu? Que suggérez-vous?
Mme Stiles : Le CRTC doit imposer les mêmes conditions qu'aux diffuseurs privés.
Le sénateur Eggleton : Est-ce possible compte tenu de la nature...
Mme Stiles : Oui. Si je me souviens bien, le président du CRTC a indiqué que son organisme est en mesure de le faire, mais que cette option ne l'intéresse pas pour l'instant, n'est-ce pas?
Mme Downey : C'est ce que j'ai compris. Nous demandons plus de fonds depuis longtemps. C'est plutôt incroyable que tous les diffuseurs contribuent au Fonds des médias du Canada, sauf Netflix, Apple TV, et cetera. Netflix compte quelque 4 millions d'abonnés au Canada, mais elle ne soutient pas la création de contenu au pays. Nous devons trouver des fonds pour la CBC/Radio-Canada d'une manière ou d'une autre. Je suis prête à examiner toutes les options.
Mme Stiles : L'industrie est très reconnaissante que le présent gouvernement ait stabilisé le financement à long terme du Fonds des médias du Canada. La donne a changé. Nous aimons toujours que le financement augmente, mais c'est une aide importante pour l'industrie.
Le sénateur Housakos : J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le préambule de la question du sénateur Eggleton. Il me paraît injuste d'affirmer qu'accorder un milliard de dollars en subventions annuelles, c'est affamer la CBC/Radio- Canada.
C'est clair que le gouvernement gère les finances de façon responsable et qu'il devait faire preuve de rigueur budgétaire. Lorsque les gouvernements libéraux précédents ont ouvert la voie en imposant des compressions bien plus radicales que nous à la CBC/Radio-Canada, aucun sénateur libéral n'a déchiré sa chemise et n'en a fait une question de principe. Nous comprenons que les ressources du gouvernement sont limitées. Nous discutons ici de la meilleure façon de tirer profit de ces ressources.
C'est bien beau de minimiser et d'ignorer les cotes d'écoute, mais c'est malheureusement tout ce qui nous permet d'évaluer l'auditoire. Je suis d'accord avec vous que ce n'est pas la seule façon de mesurer l'intérêt, mais je défie quiconque de trouver une émission de la CBC/Radio-Canada qui se situe parmi les trois, les cinq ou les six plus populaires. Le bulletin de nouvelles national sort du lot, mais c'est facile de le comparer au contenu canadien des diffuseurs privés. Pour moi, les nouvelles sont les nouvelles.
Le président : Quelle est votre question?
Le sénateur Housakos : Elle s'en vient. Je suis d'accord avec tout ce que vous avez dit moi aussi. Malheureusement, je ne crois pas que le public canadien ait envie de nous entendre dire que nous allons doubler ou tripler le financement que le gouvernement du Canada verse aux télédiffuseurs canadiens. Voici ma question : quelles mesures souhaiteriez- vous que le comité recommande dans son rapport pour aider les radiodiffuseurs canadiens à obtenir plus de ressources, dans le respect de certaines réalités fiscales d'aujourd'hui?
Je prends l'exemple de la BBC. J'ai examiné son mécanisme de financement. Il est vrai qu'elle reçoit beaucoup plus d'argent per capita que les gouvernements canadiens n'en ont jamais investi dans la radiodiffusion publique. Cependant, le gouvernement du Royaume-Uni n'est pas sa seule source de revenu. Elle reçoit du financement de sources internationales et de commanditaires. Elle a trouvé d'autres sources de revenu. Il me semble assez clair que la stratégie de CBC/Radio-Canada est de miser exclusivement sur ses cotes d'écoute comme autre source de revenu. Notre comité ou notre gouvernement n'a pas encore déterminé selon quels critères évaluer son succès ou son échec, mais la société elle-même ne mise que sur cela comme autre source de revenu.
Pour revenir à la question de départ, j'aimerais que vous, qui êtes sur le terrain et connaissez bien cette industrie, me disiez quelles autres sources de revenu, à part les dons du gouvernement fédéral, cette société pourrait utiliser pour continuer de respecter l'objectif très honorable de défendre la radiodiffusion publique canadienne?
Mme Stiles : Nous n'avons pas toutes les réponses. Je suis totalement d'accord avec vous. Je pense que l'ACTRA serait totalement d'accord pour dire qu'il faut trouver d'autres sources de revenu et que les Canadiens ne sont probablement pas prêts à accepter cette idée si facilement, qu'il faudra leur vendre l'idée d'un droit de permis. Je pense qu'il y a beaucoup de chemin à parcourir pour y arriver et que le gouvernement devra fortement adhérer à cette idée pour en faire la promotion active. Je pense que les Canadiens seraient probablement prêts à accroître leur contribution à CBC/Radio-Canada.
J'aimerais parler également un peu de l'avenir de la radiodiffusion, des fournisseurs de services Internet et des fournisseurs de services par contournement. De plus en plus, nous constatons que c'est là où les Canadiens consomment du contenu. Tirons-en avantage et donnons-en le mandat à Radio-Canada ou directement aux créateurs de contenu, comme on l'a fait pour le FMC. Je n'ai pas de haricot magique qui va pousser pour aider Radio-Canada en ce moment. Avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Downey : J'aimerais pouvoir vous dire oui. Je ne pense pas que ce soit un don des contribuables. Je dois dire que je m'attends à ce que tout ce bon travail nous amène à voir différemment ce que Radio-Canada va devenir et peut devenir. Si tout le monde pouvait être convaincu du plan stratégique à long terme, de ce que les gens de Radio-Canada eux-mêmes croient vraiment pouvoir faire, pour que la société ne soit pas tout pour tout le monde, mais pour réaliser sa mission, en toute intégrité, on pourrait commencer par se doter d'un plan stratégique, après quoi je pense qu'il faudra faire preuve de créativité pour trouver de nouvelles sources de financement, mais ce ne sera pas possible tant qu'on ne sera pas convaincus que tout le monde est prêt à appuyer le plan stratégique.
Je pense que les Canadiens apprécient toujours profondément son travail et que si vous les consultiez convenablement, vous pourriez être surpris.
Le sénateur Housakos : Merci.
Le sénateur Eggleton : Oh! J'en aurais une autre.
Le président : Tant qu'il s'agit bel et bien d'une question...
Le sénateur Eggleton : Ne pourrais-je pas faire un autre préambule? Je vais garder cela pour une autre fois.
J'aimerais simplement vous demander comment remplacer les parties de hockey de la LNH. Je crois comprendre que les premières années, à tout le moins, elles vont probablement être toujours diffusées à la CBC grâce à l'appui de Rogers ou du diffuseur retenu. À votre avis, qu'est-ce qui devrait remplacer le hockey de la LNH ultimement? Quel genre de programmation proposeriez-vous?
Mme Downey : Des émissions dans lesquelles j'apparaîtrais, ce serait bien.
Mme Stiles : Je suis pour. Il y a beaucoup d'idées. On parle souvent de créer une soirée du cinéma canadien, dans laquelle on investirait un peu pour enrichir le contenu. On pourrait présenter des entrevues avec les acteurs et les réalisateurs, produire des documentaires sur le tournage, puis présenter le film canadien. Comme Ferne le disait, nous avons beaucoup de mal à diffuser les œuvres cinématographiques de langue anglaise au Canada. Ce serait une excellente façon de les faire connaître. Je sais que c'est l'une des idées qui circulent. Sinon, on pourrait investir dans du contenu canadien de qualité qui attirerait les téléspectateurs et susciterait de l'intérêt, ce qui pourrait générer des revenus de publicité, dans la mesure où l'on ne parle pas d'une programmation publique sans publicité.
Le sénateur Eggleton : Il faut que ce soit meilleur qu'une partie de hockey des Maple Leafs.
Le président : C'est un ancien maire de Toronto qui le dit, et ce sera le mot de la fin.
Votre président aimerait également faire quelques observations avant de conclure. Si vous voulez vraiment menacer la survie de CBC/Radio-Canada, nous pourrions télédiffuser les délibérations du Sénat le samedi soir. Cela correspondrait à peu près au nombre d'heures où nous siégeons pendant une année. Si vous voulez vraiment menacer la survie de Radio-Canada, vous allez recevoir tous les courriels que vous voulez des Amis de Radio-Canada.
Cela dit, pour passer aux choses sérieuses, pendant notre visite à Yellowknife, le Conseil des arts des Territoires du Nord-Ouest nous a présenté un document que j'aimerais déposer officiellement ici, si vous êtes d'accord. Nous allons l'envoyer à vos bureaux, et il va faire partie des témoignages.
Notre prochaine séance aura lieu demain, et nous allons recevoir des porte-parole de l'Association canadienne des annonceurs. Le 29 avril, le comité va accueillir la commissaire à la protection de la vie privée au sujet de la collecte de données sur les consommateurs. Le lendemain, nous allons rencontrer des représentants de Bell Canada sur le même sujet. Ensuite, nous devrions en toute vraisemblance amorcer une étude préparatoire sur les transports et les communications dans le contexte du projet de loi d'exécution du budget. Cette étude va probablement nous occuper l'essentiel du mois de mai. Après, nous devrons décider de ce que nous allons faire en juin. S'il nous faut d'autres séances sur l'exécution du budget, nous allons continuer. Sinon, nous allons reprendre notre étude sur CBC/Radio- Canada.
Chers témoins, j'aimerais vous remercier au nom des membres du comité. C'est une longue étude qui se poursuit, et vous aurez la chance de nous suivre au cours des prochains mois. Nous vous sommes reconnaissants de votre présentation; votre talent en communications est manifeste, comme je l'ai déjà mentionné. Je vous félicite de ce témoignage.
(La séance est levée.)