Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 6 - Témoignages du 14 mai 2014
OTTAWA, le mercredi 14 mai 2014
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui, à 18 h 45, pour poursuivre son étude de la teneur des éléments des sections 15, 16 et 28 de la partie 6, du projet de loi C-31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures.
SUJET : Partie 6 — Section 15 — Coopération en matière de réglementation
Le sénateur Dennis Dawson (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ouverte. Ce soir, nous continuons notre étude du projet de loi C-31, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures. Le comité a été chargé d'effectuer une pré-étude des sections 15, 16 et 28. Nous nous pencherons aujourd'hui plus particulièrement sur la section 15. Cette section modifie la Loi sur la sécurité automobile en vue d'harmoniser les règlements canadiens et américains en ce qui concerne les normes de sécurité automobile, une mesure qui va de pair avec les objectifs du Conseil de coopération en matière de réglementation.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui Steve Rodgers, président de l'Association des fabricants de pièces d'automobile du Canada, qui témoignera par vidéoconférence. Je vous invite à commencer votre exposé.
Steve Rodgers, président, Association des fabricants de pièces d'automobile du Canada : Monsieur le président, distingués sénateurs, je vous remercie infiniment de me donner l'occasion de comparaître.
Je vais commencer en précisant que l'Association des fabricants de pièces d'automobile du Canada, ou AFPA, représente les fabricants de pièces canadiens qui approvisionnent les usines d'assemblage des équipementiers internationaux. Plus particulièrement, nous représentons quelque 450 fournisseurs, qui ont produit au Canada l'an dernier pour une valeur nette d'environ 23,5 milliards de dollars, et qui emploient environ 89 100 Canadiens.
Nous parlons du Canada, mais il faut admettre de façon générale que la grande majorité de nos membres sont en activité dans les provinces du Québec et de l'Ontario.
L'AFPA appuie fortement les efforts d'harmonisation du Conseil de coopération en matière de réglementation. Il faut toutefois se rendre compte que c'est davantage à titre de membre de l'ALENA que notre industrie, notre pays fait concurrence à d'autres régions du monde, comme la Chine, l'Inde, l'Amérique du Sud et l'Europe, y compris l'Europe de l'Est. Il est important que l'ALENA dans son ensemble, et pas seulement le Canada, ait des prix concurrentiels au sein de l'industrie automobile mondiale.
Nous avons eu beaucoup de succès grâce à certaines initiatives du Conseil de coopération en matière de réglementation, comme le Groupe de travail transfrontalier et l'harmonisation des lois et des politiques avec les États- Unis visant à faciliter la circulation des marchandises et des ressources humaines de part et d'autre de la frontière. Dans tous les cas, l'objectif est de nous rendre plus concurrentiels et d'augmenter les échanges commerciaux ainsi que la compétitivité générale.
Dans l'ensemble, il est extrêmement avantageux pour le Canada d'harmoniser les pratiques de son industrie automobile, surtout en ce qui a trait aux normes de sécurité, avec celles des États-Unis notamment afin qu'une seule série de normes de sécurité particulièrement avantageuses soient en vigueur.
Nous avons évidemment un rôle moins important à jouer quant au respect et à l'application des normes de sécurité. S'il y a une chose que nous aimerions faire remarquer, c'est que les rappels seront en quelque sorte laissés à la discrétion d'un ministre, d'après ce que nous avons lu. Nous espérons que toutes les décisions seront fondées sur des preuves et une analyse exhaustive des données plutôt que sur d'autres pressions qui pourraient entrer en ligne de compte avant qu'on ne comprenne que la situation est généralisée. Mais dans l'ensemble, tout ce que nous ferons pour harmoniser nos normes de sécurité avec celles des États-Unis en particulier aidera les fabricants canadiens à devenir bien plus concurrentiels.
Pour terminer, j'aimerais préciser que d'ici 2019, le Canada passera du 9e au 14e rang des nations productrices d'automobiles. Chaque année, nous perdons des parts de la production de l'ALENA. Nous avons atteint un sommet en 2009, où nous détenions environ 18 p. 100 du marché, mais d'ici 2019, nous aurons chuté à quelque 13,5 p. 100 de la production du territoire. Nous aurons perdu environ 600 000 unités de production pendant cette période : nous en avons produit environ 2,4 millions l'an dernier, et devrions en produire aux alentours de 1,7 million d'ici 2019.
Il est très difficile pour nous au Canada de demeurer compétitifs. Voilà le grand défi qui se profile si nous essayons de continuer à protéger tant la production de véhicules que la fabrication de pièces au Canada. Tout ce que nous ferons pour améliorer les choses est certainement dans notre intérêt.
Je vais m'arrêter ici pour vous laisser la chance de me poser vos questions.
Le sénateur Mercer : Monsieur Rodgers, merci beaucoup d'être avec nous ce soir. Nous vous remercions de prendre le temps de nous parler.
Pour revenir à votre dernier point au sujet des pertes de production et du déclin au fil des ans, est-ce attribuable au prix de revient du Canada comparativement à celui du Mexique et des États-Unis? Est-ce uniquement une question de coût?
M. Rodgers : Je ne crois pas que ce soit exclusivement attribuable aux prix. Or, nous ne dirions jamais que le coût de la main-d'œuvre au Canada en est responsable. Comparativement au Mexique, il ne fait aucun doute que nous ne sommes pas un territoire à faible coût, mais n'oublions pas qu'un grand nombre de facteurs entrent en ligne de compte.
Le problème en Ontario, mais pas au Québec, ce sont les tarifs d'électricité. Aussi, certaines de nos politiques en matière de travail ne sont pas aussi flexibles et ne permettent pas une mobilité aussi rapide que celles de certains États américains.
Nous devrions nous inspirer d'États comme la Géorgie, l'Alabama, la Caroline du Sud et le Tennessee, qui considèrent les nouvelles usines d'automobiles comme des investissements. Ils se basent sur des modèles détaillés pour déterminer le rendement du capital investi qu'ils pourraient obtenir en attirant ces emplois. Comme vous l'avez peut- être lu dernièrement, certains de nos politiciens semblent considérer le tout non pas comme un investissement dans l'intérêt de notre avenir économique, mais plutôt comme une aide sociale aux entreprises parasites et une base concurrentielle.
Certains facteurs, comme la structure des coûts et les attitudes, nous ont simplement désavantagés sur le plan concurrentiel. Si le Canada veut détenir 18 p. 100 des parts de marché et reposer son économie sur une industrie automobile forte qui s'occupe de 18 p. 100 de la production du territoire de l'ALENA, il faudra pour ne pas perdre de terrain qu'une nouvelle usine sur six dans la région de l'ALENA choisisse de s'installer au Canada. Mais depuis l'annonce en 2007 concernant l'usine d'assemblage de Toyota à Woodstock, nous n'avons réussi à en attirer aucune sur 18.
Le sénateur Mercer : La qualité des pièces diffère-t-elle entre le Canada, le Mexique et les États-Unis? Pouvons-nous garantir une qualité conforme aux normes?
M. Rodgers : Je crois que oui. Comme pour toute industrie, il y aura toujours des différences d'un fabricant de pièces à l'autre, mais nous trouvons de façon générale que la qualité des opérations d'assemblage au Mexique est aussi bonne que partout ailleurs. L'usine de Nissan à Aguascalientes occupe habituellement le deuxième rang, après l'usine principale du Japon.
Il y a évidemment des secteurs technologiques où le Mexique n'est pas aussi concurrentiel et ne produit pas une qualité aussi élevée, mais dans l'ensemble, nous pouvons dire que la qualité actuellement produite dans le monde entier est généralement très concurrentielle.
Le sénateur Mercer : Vous avez parlé de certaines règles du travail en Ontario, mais aussi des tarifs d'électricité inférieurs au Québec, ce qui constitue un net avantage. Y a-t-il des fabricants de pièces au Canada qui viennent s'installer au Québec pour profiter de ces faibles tarifs? Par ailleurs, pourriez-vous expliquer les règles ontariennes nuisibles dont vous avez parlé?
M. Rodgers : Permettez-moi de vous donner un petit exemple. En ce qui concerne le droit du travail de la plupart des États américains et de l'Ontario — je dois admettre ne pas bien connaître la politique actuelle du Québec à ce chapitre —, des dispositions législatives similaires prévoient une semaine normale de travail de 40 heures. Il est possible de demander à un employé de travailler jusqu'à 8 heures supplémentaires, après quoi il faut obtenir son consentement écrit pour qu'il poursuive jusqu'à 60 heures. La différence, c'est que les employeurs de l'Ontario doivent obtenir ce consentement écrit chaque semaine, ce qui complique beaucoup les choses. Bien des employés sont ravis de travailler autant d'heures, surtout pendant la période des Fêtes, mais la structure est très bureaucratique.
En revanche, les employeurs du Michigan peuvent demander le consentement de l'employé une seule fois, après quoi celui-ci est libre de travailler ou de simplement refuser les heures supplémentaires à n'importe quel moment. Les employeurs doivent essentiellement obtenir l'autorisation écrite une fois par année, alors que l'Ontario l'exige chaque semaine. C'est donc ce genre de petits détails qui compliquent les choses au Canada.
Le deuxième facteur dont vous avez parlé est la question des tarifs d'électricité. Lorsqu'on parle de production automobile au Canada, on parle malheureusement désormais de l'Ontario, en quelque sorte. Il n'y en a plus au Québec.
Les fabricants de pièces sont tout bonnement attirés par la production de véhicules automobiles. Ils auront toujours tendance à s'installer à proximité des usines de montage, et c'est dans l'ensemble le principal motif de leur emplacement. C'est donc simplement parce qu'il n'y a plus d'usines de montage qu'ils ne sont pas plus nombreux actuellement à s'installer au Québec. Les gains qui seraient attribuables aux faibles tarifs d'électricité et à d'autres avantages de coûts du Québec sont malheureusement annulés par les frais de transport et le prix actuel du diesel et du carburant ordinaire.
Le sénateur Demers : Merci de discuter avec nous, monsieur Rodgers. Croyez-vous que la modification proposée pourrait augmenter le nombre d'emplois dans l'industrie canadienne des pièces automobiles?
M. Rodgers : Nous croyons effectivement que la mesure pourrait augmenter le nombre d'emplois. En cas de problèmes d'harmonisation, nous savons qu'il est possible de rendre un véhicule plus concurrentiel en diminuant le coût de sa certification. Par conséquent, la production locale de véhicule, même sur le territoire de l'ALENA, se traduira par la création d'emplois; autrement dit, les prix seront plus compétitifs que si le véhicule était importé d'un autre pays. D'ailleurs, la signature de l'accord de libre-échange avec l'Union européenne engendrera de nouvelles pressions en matière d'importation.
L'harmonisation baisse les prix, faisant en sorte que les véhicules produits à l'échelle locale sont plus concurrentiels et que les pièces sont achetées chez nous, au bout du compte.
Le sénateur Demers : À l'aide d'exemples concrets, pourriez-vous expliquer dans quelle mesure la modification à la Loi sur la sécurité automobile proposée dans le projet de loi C-31 touchera l'industrie canadienne des pièces automobiles?
M. Rodgers : C'est une excellente idée de demander des exemples précis.
Voici ce qui se passe en présence de deux séries de normes. Disons que la norme américaine relative aux capotages est différente de celle du Canada. Dans l'ensemble, les conditions géographiques et environnementales des deux pays sont exactement pareilles, du moins dans certaines régions de chaque pays.
Si la norme relative aux capotages n'est pas la même et que les ingénieurs doivent concevoir des éléments différents, il faut en tenir compte. Le véhicule peut satisfaire à la norme d'un pays, mais un élément du coût doit être recertifié au Canada. Voilà qui représente des coûts d'ingénierie supplémentaires, et possiblement de matériaux et de pièces aussi. On pourrait donc simplement décider de ne pas vendre le modèle au Canada en raison de cette norme de sécurité différente. Le manque d'harmonisation représente donc une structure de coûts additionnelle en plus de diminuer le nombre de modèles offerts au Canada, ce qui réduit la concurrence et entraîne une hausse des prix.
Le président : Monsieur Rodgers, vous avez dit avoir une certaine appréhension à l'idée que des décisions sans fondement scientifique soient prises au sujet des rappels. S'agissait-il d'une remarque générale ou d'une inquiétude relative au contexte créé par le projet de loi?
M. Rodgers : Le libellé semble indiquer que certains éléments seront totalement laissés à la discrétion d'un ministre, sans en préciser les critères ou ce qui est en cause. Nous avons du mal à bien comprendre, mais nous savons qu'en cas d'accidents, par exemple, toutes sortes de facteurs peuvent être en cause, y compris la défaillance mécanique d'une pièce et un problème de conception du véhicule, mais aussi la météo, le conducteur, et ainsi de suite. Lorsque certaines choses se produisent, la pression est toujours forte de prendre une décision rapide avant d'agir.
Je ne peux pas dire si c'est vraiment ce qu'on retrouve dans le projet de loi. Certains mots employés pourraient nous inquiéter. Au fond, tout ce que nous proposons, c'est de toujours prendre des décisions fondées sur de véritables données et chercher la cause fondamentale du problème — et je pense que nous avons généralement toujours procédé ainsi au Canada.
Le président : Merci. Je voulais être certain que vous alliez préciser votre pensée.
[Français]
La sénatrice Verner : Bonsoir, monsieur. Merci d'être présent ce soir.
J'aimerais avoir une information. Ce n'est peut-être pas relié, mais j'entends souvent dire qu'il y a des Canadiens qui souhaitent acheter un véhicule aux États-Unis, mais dont les concessionnaires ici, au Canada, ne veulent pas honorer les garanties. Il semblerait que des concessionnaires prétendent que, si on achète un véhicule aux États-Unis, ils n'honoreront pas la garantie.
Est-ce que cette question est liée à des enjeux de réglementation? Y a-t-il un lien avec les dispositions que vise à corriger le projet de loi, actuellement, en termes de réglementation?
[Traduction]
M. Rodgers : Je dois admettre que les équipementiers seraient probablement mieux placés que moi pour répondre. En tant que fabricants de pièces, nous sommes davantage touchés par la production des véhicules que par leur vente.
Je sais que la raison de cette inquiétude, c'est que les équipementiers veulent toujours se montrer loyaux envers leurs concessionnaires locaux. S'ils demandaient à ceux de Windsor d'honorer la garantie des véhicules achetés aux États- Unis, la division canadienne ne semblerait pas loyale à leur égard. La question se résume toujours à la loyauté envers le concessionnaire qui sert le client, donc envers le client lui-même.
Il y a toujours certains problèmes lorsqu'un véhicule est acheté aux États-Unis, comme l'affichage en miles plutôt qu'en kilomètres, et d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte. Il y a parfois une certaine confusion en raison de la commercialisation différente de l'intérieur du véhicule ou d'autres facteurs.
Que je sache, les modifications proposées dans le projet de loi ne changeront pas la donne d'une façon ou d'une autre, en ce qui concerne le fait de faciliter l'entrée d'un véhicule acheté aux États-Unis plutôt que chez un concessionnaire local canadien.
Mais comme je l'ai dit, je vous invite à consulter les équipementiers pour obtenir l'information voulue.
[Français]
La sénatrice Verner : Je me demandais s'il s'agissait d'une différence dans la réglementation, dans la production des pièces automobile. Je comprends, maintenant. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Monsieur Rodgers, merci infiniment de votre témoignage. Vous avez été très clair sur le sujet. J'aimerais dire aux membres du comité que notre prochaine séance, qui portera encore sur le projet de loi C-31, aura lieu le mardi 27 mai. Le représentant de WIND Mobile viendra discuter du volet communicationnel du projet de loi. Le mercredi 28 mai, nous recevrons les maires de Montréal et de Longueuil. Quant aux témoins qui pourraient être convoqués à propos du projet de loi S-4 sur la protection des renseignements personnels numériques, nous vous aviserons dès que nous aurons des confirmations.
S'il n'y a pas d'autres commentaires, je vous remercie et vous souhaite une bonne soirée.
(La séance est levée.)